toutes deux fondatrices de la speacutecificiteacute humaine et entre lesquelles il nrsquoy a pas de rapport
drsquoeacutegaliteacute possible lrsquoesprit humain nrsquoayant de cesse drsquoessayer de retirer toute leacutegitimiteacute on-
tologique agrave la finitude ce qursquoil ne fait pas de gaicircteacute de cœur puisque la neacutecessiteacute de choisir
est aussi indeacutepassable qursquoinconfortable mais tout simplement parce que le triomphe du
choix sur le non-choix est ce qursquoil y a de plus logique ce qursquoil y a de plus conforme agrave
lrsquoideacutee premiegravere que lrsquohomme se fait de lui-mecircme sa veacuteriteacute ontologique premiegravere de ce
fait il peut aussi invalider jusqursquoau plaisir lui-mecircme mecircme srsquoil est conforme agrave la nature
son tort eacutetant preacuteciseacutement de deacutetourner lrsquohomme drsquoune activiteacute conforme au choix et de le
renvoyer agrave la part absolument non-choisie de son ecirctre La finitude nrsquoest pas toujours un
obstacle pour le choix elle peut mecircme lui ecirctre une aide par exemple lorsque la connais-
sance mateacuterielle est envisageacutee comme un tremplin vers la connaissance des reacutealiteacutes
intelligibles mais crsquoest justement le laquo pas toujours raquo qui fait toute la diffeacuterence lrsquoesprit
humain ne srsquoaccommode pas spontaneacutement des demi-mesures dont lrsquoacceptation neacutecessite
un effort et il suffit agrave la finitude de ne pas toujours ecirctre une aide pour constituer un obstacle
permanent aux yeux de lrsquohomme qui est cependant contraint de srsquoen contenter Vivre crsquoest
prendre le risque que tout ne se deacuteroule pas exactement comme notre raison lrsquoavait antici-
peacute et cela est insupportable non pas parce que ce serait eacutethiquement intoleacuterable mais
La neacutegation de la finitude a notamment eacuteteacute opeacutereacutee au travers de trois grandes repreacute-
sentations mythiques dont Platon srsquoest fait lrsquoeacutecho dans la mesure ougrave elles exhortent agrave la
philosophie en laissant entendre que le monde nrsquoest pas irreacutemeacutediablement opaque pour
lrsquoesprit Ces repreacutesentations qui se teacutelescopent souvent se distinguent les unes des autres
en termes drsquoespace mais aussi en termes de temps elles ont cependant en commun de re-
connaicirctre au choix son statut de veacuteriteacute premiegravere de lrsquohomme lui accordant un primat
chronologique qui nrsquoest que lrsquoimage de son primat ontologique ndash aussi son triomphe serait
donc un reacutetablissement apregraves lrsquoannulation de la falsification opeacutereacutee par la finitude La pre-
miegravere repreacutesentation celle de la deacutecheacuteance originelle fait de la finitude la conseacutequence
drsquoune faute drsquoune maladresse ou de tout autre eacuteveacutenement adventice le triomphe du choix
sur le non-choix est donc situeacute ici-bas mais dans un passeacute lointain et reacutevolu La deuxiegraveme
reacuteside dans lrsquoideacutee drsquoacircme du monde qui postule que le choix a deacutejagrave triompheacute de la finitude
mais dans un au-delagrave a priori inaccessible agrave lrsquohomme La troisiegraveme enfin celle de
lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme situe agrave nouveau dans le passeacute la victoire sur la finitude mais ce
passeacute nrsquoest pas deacutefinitivement reacutevolu puisque cette repreacutesentation fait eacutegalement agrave
lrsquohomme la promesse que la falsification par la finitude sera annuleacutee dans lrsquoavenir dans un
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au-delagrave qui nrsquoest donc pas irreacutemeacutediablement inaccessible agrave lrsquohomme puisque crsquoest de lagrave
que vient son acircme et que crsquoest lagrave qursquoelle est appeleacutee agrave revenir Cette troisiegraveme et derniegravere
repreacutesentation est celle qui satisfait le mieux lrsquoesprit humain non seulement parce qursquoelle
ne se contente pas de prendre acte drsquoune beacuteance et fait la promesse drsquoune victoire sur cette
beacuteance mais aussi parce que crsquoest cette repreacutesentation qui tient le mieux compte des con-
seacutequences de la nature ambivalente de lrsquohomme agrave la fois ecirctre de choix et de finitude la
plus deacuteterminante de ces conseacutequences eacutetant le caractegravere absolument ineffaccedilable de
lrsquoavoir-eacuteteacute de lrsquoindividu humain avoir-eacuteteacute qui peut ne se manifester que par un presque-
rien par des empreintes pour ainsi dire imperceptibles agrave lrsquoœil nu mais qui nrsquoen existent pas
moins et ont donc eacuteteacute introduites dans le monde comme une nouveauteacute radicale que nul ne
pouvait anticiper et qui plaide directement en faveur de la capaciteacute du principe spirituel de
lrsquoindividu humain absolument singulier agrave transcender les limites chrono-biologiques de
lrsquohomme Le philosophe en tant qursquoil produit une reacuteflexion qui nrsquoa pas vocation agrave expri-
mer la veacuteriteacute toute entiegravere de faccedilon deacutefinitive mais nrsquoest que la continuation drsquoun effort
intellectuel qui lrsquoa preacuteceacutedeacute et qui devra ecirctre poursuivi apregraves sa mort est mieux au fait que
quiconque de cette capaciteacute agrave srsquoinseacuterer dans un processus transcendant lrsquoindividu qui en est
cependant le producteur exclusif mais la connaissance de cette capaciteacute nrsquoest pas entiegravere-
ment satisfaisante pour un esprit humain en quecircte de triomphe du choix sur la finitude agrave
tout prendre elle est deacutecevante en tant que nous ne jouissons pas nous-mecircmes de la survie
de notre propre principe spirituel ce qui nous satisfait drsquoautant moins que nous
nrsquoengageons jamais une tacircche dans lrsquoideacutee qursquoon ne lrsquoachegravevera jamais La conception de
lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme agrave cet eacutegard apparaicirct comme le plus haut degreacute envisageable
drsquoactualisation de cette survie potentielle celui qui promet enfin lrsquoachegravevement deacutefinitif de
notre eacutelan vers le savoir (au sens le plus large) et la possibiliteacute drsquoen jouir de faccedilon pleine et
entiegravere en contrepartie de lrsquoeacutetat drsquoinachegravevement permanent qui caracteacuterise notre vie la
conception de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme promet lrsquoachegravevement complet autant dire le triomphe
complet du choix sur la finitude et crsquoest en promettant un eacutetat ougrave plus rien ne viendrait
contrecarrer lrsquoeacutepanouissement du choix que cette conception preacutemunit contre la tentation
de se reacutevolter ouvertement contre notre condition en la rendant supportable Crsquoest en tout
cas ainsi qursquoil fallait la comprendre dans le monde grec ougrave toute reacutevolte de lrsquohomme contre
sa propre reacutealiteacute aurait releveacute de lrsquoὕϐρις ce contre quoi il fallait se preacutemunir agrave tout prix
drsquoautant que la tentation de cette reacutevolte eacutetait forte pour les Grecs qui se pensaient seuls
soumis au devenir lineacuteaire qui est un aspect parmi drsquoautres de la finitude dans un monde
caracteacuteriseacute par le devenir circulaire ou plutocirct par la stabiliteacute
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Lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme dans un tel cadre nrsquoest donc pas contraire au λόγος elle
est mecircme ce qursquoil y a de plus logique pour un Grec qui ne peut concevoir le neacuteant (il nrsquoest
drsquoailleurs pas certain qursquoil soit moins ineffable pour la moderniteacute) et pour lequel il est deacutejagrave
patent que chacun peut connaicirctre une expeacuterience mecircme minime de sortie du corps elle
nrsquoest pas non plus deacuteraisonnable elle est mecircme drsquoautant plus raisonnable qursquoen maintenant
vivace lrsquoespoir drsquoune continuation perpeacutetuelle drsquoune vie caracteacuteriseacutee par le choix ne ren-
contrant aucun obstacle elle constitue une sorte de garde-fou gracircce auquel le monde grec
srsquoest longtemps preacutemuni contre la tentation drsquoune reacutevolte contre la condition humaine lais-
sant la responsabiliteacute de la reacutevolte aux ecirctres surhumains repreacutesenteacutes sur la scegravene de la
trageacutedie comme Promeacutetheacutee Le poegravete et le politique contribuaient au maintien de ce garde-
fou mais agrave lrsquoeacutepoque de Platon le cadre traditionnel de la citeacute a eacuteclateacute entraicircnant notam-
ment une deacuteperdition au sein de la jeunesse des mythes qui assuraient la coheacutesion de la
citeacute agrave commencer par la repreacutesentation de la survie post corporis mortem de lrsquoacircme ce qui
nrsquoa pas eacuteteacute sans conseacutequences eacutethiques facirccheuses Le politique et le poegravete ayant failli libre
au philosophe drsquoentrer en scegravene et de construire un nouveau garde-fou en lieu et place de
celui qui a craqueacute sous les coups de boutoir des Laceacutedeacutemoniens ce qui neacutecessite une reacute-
forme agrave part entiegravere non pas un retour en arriegravere et encore moins une crispation
reacuteactionnaire sur un passeacute reacutevolu la reacuteforme ne saurait non plusse traduire par une volonteacute
de faire table rase du passeacute Platon prend acte du fait que la foi en lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme
nrsquoest ni illogique ni deacuteraisonnable son mode de vie philosophique et donc asceacutetique (et
non pas asceacutetique et donc philosophique) lui ayant donneacute la confirmation de ce qui lui en-
seignait la tradition mais puisque cette tradition ne se suffit plus crsquoest donc le mode de vie
philosophique qui distribue deacutesormais les bons et les mauvais points aux repreacutesentations
mythiques et valide ainsi la foi en lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme agrave laquelle il nrsquoest pas neacutecessaire
de croire sans reacuteserve mais agrave laquelle il est preacutefeacuterable drsquoadheacuterer afin de maintenir agrave lrsquoeacutetat
drsquoespoir la possibiliteacute drsquoun accegraves immeacutediat aux veacuteriteacutes intelligibles et ainsi accepter que cet
accegraves reste agrave lrsquoeacutetat drsquoobjectif continuellement diffeacutereacute aussi longtemps que lrsquoon vit sur terre
Le philosophe entretient avec le domaine mateacuteriel une relation apparemment ambigueuml en
tant qursquoil doit srsquoen abstraire pour mener agrave bien une reacuteflexion mais a aussi besoin de lui
pour penser la reacutealiteacute dans son entiegravereteacute il a donc conscience plus que quiconque du hiatus
qui existe entre ces deux veacuteriteacutes humaines compleacutementaires et cependant irreacuteconciliables
que sont le choix et la finitude et puisque la conception de lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme nrsquoest ni
illogique ni deacuteraisonnable elle constitue donc le meilleur compromis qui soit pour rendre
ce hiatus supportable pour lrsquoapprenti philosophe Le reacuteinvestissement par la philosophie de