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KRAZY KAT volume 1 - 1929 à 1934

Mar 22, 2016

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soopameow

Les Rêveurs sont très fiers de remettre dans la lumière cette bande dessinée américaine (1913-1944) restée longtemps oubliée en France puisque les derniers Krazy Kat édités par Futuropolis remontent à une vingtaine d’années. C’est donc bien à une nouvelle génération de lecteurs mais aussi aux passionnés de cette bande dessinée que nous proposons aujourd’hui de découvrir ou de redécouvrir les Sunday strips parus voici plus de 85 ans dans la presse américaine.
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George Herriman dans une photo non datée distribuée par International Film Service, New York.

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KRAZY KAtde George Her r iman

Planches du dimanche

1925-1929

Les RêveuRs

traduction : Marc voline

Maquette et lettrage : Camil le Aubr y

Page 6: KRAZY KAT volume 1 - 1929 à 1934

Édité par les Rêveurs en 2012 83 rue Condorcet 93 100 Montreuil

www.editionslesreveurs.com

Copyright Les Rêveurs 2012 pour l'édition française. KRAZY KAT TM Hearst Holdings, Inc.

Excepté où c'est noté, les photos, illustrations, et documents ont été prêtés

par la San Francisco Academy of Cartoon Art.

Dépôt Légal à parution ISBN : 978-291-274-75-87

Second tirage imprimé en février 2013 par SIAZ Toulouse.

Remerciements :

Aude Charlier - Camille Aubry - Marc Voline - Le chef Max David Hernando - Paul Baresh et Kim Thompson chez Fantagraphics Books

¡ GRACIAS ! MERCI ! THANKS! GRAZIE ! A DANK !

Parmi les nombreuses personnes dont il a sollicité l’aide et testé la patience, le traducteur tient à remercier sa consœur Sionann O’Neill, pour avoir accueilli à toute heure, avec une équanimité sans faille, ses questions les plus incongrues ; Arthur Asa Berger, pour avoir extirpé

de sa crypte son papier fondateur sur les origines de Herriman, alors qu’il avait d’autres chats à fouetter ; Jeet Heer, pour lui avoir aimablement communiquée ses articles et sa connaissance ; Michael P. Jensen, pour avoir généreusement partagé sa science shakespeavrienne ;

Art Spiegelman, pour s’être penché avec bienveillance sur le projet, depuis ses premiers balbutiements ; et tout particulièrement Michael Tisserand, pour lui avoir fait profiter de quelques précieux scoops de sa biographie – en cours – de Herriman, et offert,

depuis l’autre côté de l’Atlantique, une écoute et un soutien constants tout au long de ces longs mois à tenter de décrypter le Kat.

Ce livre, comme beaucoup d’autres, passés et à venir, n’aurait évidemment pas été possible sans Bill Blackbeard (1926-2011), qui par ses efforts inlassables a sauvé du néant des pans entiers du patrimoine de la Bande Dessinée,

et de sa prose acérée en a illuminé la genèse et le legs.

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KRAZY KAt

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KRAZY KAt & ANNÉes FOLLes

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Au moment où Ignatz lance la nouvelle année d’une brique bien assurée, ce 4 janvier 1925, Krazy Kat a atteint son âge classique, et la reconnaissance de l’establishment culturel.

Propulsé sous les feux de la rampe dans le ballet jazz de John Alden Carpenter, adoubé par le très trendy Vanity Fair, le Kat vient tout juste d’être sacré par le non moins hype critique Gilbert Seldes comme « l’œuvre d’art la plus amusante, fantastique et satisfaisante produite en Amé-rique aujourd’hui  », aux côtés de Charlie Chaplin, George Gershwin et Picasso. En huit ans de pages du dimanche, le petit théâtre de Coconino s’est étoffé, rodé, et l’on aurait bien du mal à reconnaître, dans le langage fleuri des protagonistes — et le jargon élaboré du premier d’entre eux — les dialogues lapidaires de l’époque où Krazy et Ignatz étaient seuls à se donner la réplique. Dans le monde extérieur, le dernier quinquennat, avant la Grande Dépres-sion, des Roaring Twenties — nom outre-Atlantique de nos Années folles — s’ouvre sur la prise de pouvoir de Mussolini. Il verra, pêle-mêle, la première exposition surréaliste, l’apparition de Mickey dans Plane Crazy (Krazy, lui, est depuis plus de huit ans sur les écrans ; Félix, cinq) et celle, en BD, de Tintin et Popeye ; la naissance du film sonore et de la TV, le massacre de la Saint-Valentin, la découverte de la pénicilline et de l’angel dust, la traversée de l’Atlantique par Lindbergh, la collectivisation des terres en URSS et l’ouverture du Musée d’Art Moderne de New York.

Les tumultes du siècle, cependant, atteignent peu Krazy, davantage passionné, comme les Indiens, par les forces mystiques de la nature : ces éléments — vent, pluie, neige, foudre — qui rythmant le quotidien four-nissent souvent l’argument du moment. Seuls quelques rares faits et débats de société, par leur ampleur, trouvent un écho dans le petit monde de Coco-nino. Ainsi, la prohibition, appliquée avec une rigueur outrepassant le droit par le très zélé Sergent Pupp, et la paix. La paix qui, alors que le dernier conflit est encore dans tous les esprits et que certains, comme H.G. Wells, entrevoient déjà le prochain, fait l’objet (outre les efforts assidus de Mrs. Kwakk Wakk) de multiples conférences et du premier traité international tentant de mettre la guerre hors-la-loi.

Peu touchées par l’actualité, les pages dominicales de Krazy Kat sont en revanche imprégnées par l’air du temps. Chansons populaires, modes et gadgets du moment, fournissent contrepoints et récréations aux

questionnements philosophiques et aléas amoureux de Krazy. Les chansons, surtout. Si, en France, tout finit par elles, en Amérique, elles rythment la vie entière. On chante sans arrêt, partout, au travail, dans la rue, chez soi — refrains traditionnels comme nouveautés, dont les partitions, que le phonographe et la radio n’ont pas encore reléguées aux vieux papiers, s’arrachent par millions. Tout le monde chante et Krazy, éternel optimiste, le premier, qui entonne à tue-tête son amour pour Ignatz. There is a heppy lend, fur-fur awaaay…

Le lecteur d’aujourd’hui, à qui l’on présente Krazy Kat comme la BD la plus fameuse de tous les temps, se demandera certainement com-ment un chat de genre indéterminé au jargon hermétique, se prenant, avec un ravissement suspect, une brique sur le beignet chaque jour que Dieu fait (et ce, pendant plus de trente ans) a pu être à ce point célébré. La réponse tient en ces deux mots : low-brow et high-brow, populaire et chic.

KRAZY KAt & ANNÉes FOLLes

par Marc voline

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À l’instar de Shakespeare, qui plane sur toute son œuvre, Herriman fédère le peuple et l’élite, Broadway et Park Avenue. D’un côté, par son ancrage dans une longue tradition comique, et de l’autre par ses fulgurances novatrices, visionnaires, propres à séduire artistes, intellectuels et faiseurs d’opinion dans une époque avide d’expérimentation. Low-brow / high-brow, low-life / high-life, on ne sort pas de cette équation, dans le siècle comme dans notre Coconino de papier, dont les citoyens font assaut de généalogies aristocratiques et de relations huppées (toutes inventées), face à un Kat qui clame sans vergogne être né dans une lessiveuse, dans le grenier d’une maison hantée.

Si Herriman parle à tout le monde, c’est aussi qu’outre le rire, universel, son langage est celui de la poésie. Et c’est par la poésie qu’il faut aborder Krazy Kat aujourd’hui. La poésie propre à exprimer l’indicible, éclairer les plus insondables mystères. Le premier d’entre eux étant la rencontre d’un chat… et d’une souris.

Tout commence en juin 1910, quand paraît dans le New York Journal, vaisseau amiral de William Randolph Hearst, une nouvelle bande de George Herriman intitulée The Dingbat Family. Comme toute famille qui se respecte, les Dingbat ont un chien et un chat. Celui-ci va couler en bas de case des jours aussi mornes que ceux de la nouvelle série, qui peine à trou-ver ses marques. Jusqu’au 26 juillet où, suite à une inspiration de génie, la famille fait l’objet d’une double attaque : tandis que les voisins du dessus s’avèrent une redoutable nuisance, surgie du dessous, une souris lance une bille à la tête du chat qui n’en revient pas. Au fil des jours, d’autres projec-tiles suivront.

Emballé par ce jeu inversé du chat et de la souris, initié par Herriman « pour combler le vide », un garçon de bureau prénommé Willie l’enjoint de poursuivre, et lui fournit des idées ! La bénédiction de l’employé confor-tée par celle de l’éditeur, les duettistes poursuivent leurs ébats dans un micro-strip sous celui des Dingbat. Quand un beau jour d’automne — pris par quelle lubie ? — le chat qui s’est fait rosser tout l’été dépose un baiser sur le front de la souris endormie. « J’ai rêvé qu’un ange m’embrassait », dit celle-ci en reprenant ses esprits.

Semblable à celui de la Belle au bois dormant, ce baiser va réveiller tout le monde. Le chat, qui jusque-là quasi muet, se fait disert pour chanter sa flamme ; la souris, qui confrontée à ce nouveau challenge, doit redoubler de malice, et le public, ravi par ce développement inattendu et plein de zeste. Les frasques de nos compères sont bientôt légendaires. Ils n’ont pas six mois qu’un journal les cite en exemple de comique absurde, tandis qu’un autre offre de renommer la saint Valentin « Krazy Kat Day ». C’est le succès ! — qui décide Hearst à donner au Kat, le 28 octobre 1913, son propre strip, et trente mois plus tard sa page du dimanche.

Mais revenons à ce baiser initial. À partir de lui, le chat réveillé, révélé à lui-même, se lance dans l’exploration de ces deux grands mystères, intime-ment liés : l’amour et le langage — élaborant peu à peu le discours amou-reux propre à exprimer ses sentiments, et la rhétorique par laquelle, avec la force imperturbable que lui insuffle sa passion, il va imposer sa différence et faire exploser les certitudes de son entourage. Dans la construction de l’une comme de l’autre, il fait feu de tout bois, multipliant références et idiosyncrasies langagières.

La première des références est évidemment shakespearienne. Très tôt, l’amour de Krazy pour Ignatz est placé sous le signe de Roméo et Juliette, bientôt omniprésents. Mais il emprunte aussi à la tradition orientale, sous le parrainage d’Omar Khayyam, le chantre soufi de l’amour et (en cette

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période sèche) du vin. Ensuite tout y passe  : chansons — déjà citées — proverbes, citations d’auteurs de toutes les époques… constituant autant d’indices pour le lecteur, et autant de strophes à l’ode amoureuse à Ignatz qu’il ne cesse d’écrire, d’étoffer, comme l’auteur d’Évolution, qui composa son poème à sa bien aimée, strophe après strophe, au fil de longues années. Et dans les multiples scénarios qu’il invente ou reconstruit pour mettre en scène sa passion, peu importent les genres, peu importent les rôles, sujets à d’infinies permutations. Ce qui demeure, c’est l’amour, qui transcendant toutes les apparences, traverse les siècles et les éons.

Quant au langage même de Krazy, comment est-il passé du babil pri-mitif des premiers strips au mix babélien qui a tant marqué lecteurs et critiques ? Passionné par la langue, Herriman va gonfler le langage du Kat — jusqu’à arriver à ce jargon qui n’appartient à nul autre et dont lui-même aimait à user — de toutes celles qu’il pratique et, à en croire Gunboat Hud-son, autre garçon de bureau, et futur reporter, elles sont nombreuses :

« Ole boy George dessine Baron Bean et Krazy Kat. Avez-vous remarqué tout l’espagnol que George utilise dans Krazy Kat ? On pourrait croire qu’il est bidon mais ce n’est pas le cas. Honnêtement, il assure. Il parle à peu près quatorze langues — presque toutes les langues — sauf l’américain. Hoban et moi sommes les meilleurs Irlandais qu’on puisse trouver, et George essaie de s’immiscer dans la conversation, en invoquant on ne sait quelle ascendance celtique, mais ça ne prend pas. Deux, c’est assez, dans une pièce, pour représenter une nationalité. En plus, si Herriman dit à quelqu’un d’autre qu’il est irlandais, cela sera un terrible coup pour Hoban et moi. Si Herriman persiste à se prétendre irlandais, Hoban et moi devien-drons tous deux Suédois. »

Grâce à Michael Tisserand, en train d’œuvrer, en ce moment même, sur la première biographie de Herriman, nous savons que la langue maternelle de celui-ci, né dans une famille créole de la Nouvelle-Orléans, est certai-nement le français, très présent dans les strips du début. Vient ensuite, évidemment, le créole. Dans sa partie la plus apparente, le jas katien est un mélange de Yat, le dialecte américain de la Nouvelle-Orléans, et de « Broo-klynese », celui de New York, plus proches qu’on ne pourrait le penser, du fait de l’immigration commune aux deux grands ports, irlandaise en particulier. Dans ce pot commun on retrouve donc des éléments d’irlandais, d’italien, de yiddish, auxquels il faut ajouter l’espagnol mexicain tel qu’il se

parle en Arizona, un soupçon d’allemand… et bien sûr de l’américain, écrit fonétikement, selon la tradition comique en vigueur. Ajoutons à cela, pour le langage fleuri dont font assaut Ignatz et le Sergent Pupp, l’influence du théâtre élizabethain et de la prose dickensienne, et nous aurons une petit idée du langage de Coconino.

Mais si Herriman s’inscrit dans la tradition — des générations de bate-leurs et d’écrivains, Mark Twain le dernier en date et couronnement du genre, ayant utilisé écriture phonétique et parlers vernaculaires comme ressort comique — il va beaucoup plus loin. Premier héros philosophe de la BD, ce qui sans doute séduira Schulz, l’auteur des Peanuts, et Watterson, celui de Calvin & Hobbes, Krazy en est aussi le premier linguiste. À l’inverse d’Humpty Dumpty (un des ses héros personnels) qui colle les mots les uns aux autres pour créer ces fameux mots-valises conjuguant les significations de leurs composants, Krazy les déconstruit pour créer, comme il l’entend, une nouvelle phrase riche de sens entièrement nouveaux. De la même ma-nière, il déconstruit les assises mêmes de ses interlocuteurs, substituant à leurs préjugés pétrifiés un monde sans cesse changeant.

Le langage cependant, ne sert pas uniquement à Krazy à chanter son amour et damer candidement le pion à ses concitoyens. Il utilise ses méandres et ses métamorphoses pour défendre grandes causes et petites gens. Farouche partisan de la parité (ainsi demande-t-il à Ignatz, qui lui vante le grand fleuve qu’est le Mississippi, s’il y a aussi un Mister Sippi, ou devant un papaya tree (papayer), où est la mamaya), il soutient le combat des suffragettes. Mais peut-être, me direz-vous, est-ce parce que leur arme emblématique est… une brique !

De la brique, justement, me ferez-vous remarquer, nous n’avons pas parlé. Pas plus que du sexe de Krazy, qui aura bientôt fait couler plus d’encre que celui des anges. Si nous ne l’avons pas fait, c’est que l’une et l’autre, tels l’arbre cachant la forêt, occultent le vrai sujet. Eh oui ! Comme le dit Krazy, ç’a commencé si simple — et fini si compliké . Revenons donc à l’essentiel :

au début il y a un chat

et une souris

.

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George Herriman, 1880-1944

L'HOMMe DeRRIÈRe Le CHIeNDeRRIÈRe LA sOuRIsDeRRIÈRe Le CHAt

par Bill Blackbeard

Il y avait en lui beaucoup de Dickens, de Lewis Carroll, de W.C. Fields, de vaudeville et de comédie populaire, et manifestement, aussi, beau-coup d’Eliot, de Joyce et d’Ubu Roi. Mais George Herriman était cent dix-huit et demi coconino pour cent… George Herriman, un homme qui aurait froncé le sourcil à la mention de ces noms, beaucoup plus présents dans notre appréciation de l’artiste aujourd’hui que dans la vision qu’il avait de lui-même – vision, semble-t-il, d’une modestie frisant l’effacement. Il aurait certainement apprécié les analogies avec Dickens, Carroll et Fields (esquissant un sourire à l’inclusion de Chaplin et Laurel & Hardy) mais renâclé un peu face aux autres. Chose étonnante pour un cartoonist aussi révéré et renommé de son temps, l’intellectualité de Herriman demeure inexplorée. Nous avons de lui des lettres pétillantes au plus médiocre des illustrés coquins des années 1920, des critiques cocasses des films de Chaplin dans des magazines de cinéma (écrites comme par Krazy), mais pas un mot signé de sa main dans les périodiques littéraires et artistiques majeurs de cette époque marquante des arts. Vanity Fair, qui l’a inscrit à son Hall of Fame et lui a fait faire une page du Kat à la manière des planches du dimanche, n’a pu tirer la moindre ligne de prose ou de vers hors-comics de son timide maître. La recherche au peigne fin de la vie du cartoonist dans Krazy Kat  : The Comic Art of George Herriman (Harry N. Abrams, 1986) ne révèle pas le moindre soupçon de ses goûts littéraires ou visuels. Nous savons qu’il adorait visiter les vieux studios de Mack Sennett à Hollywood et tailler le bout de gras avec le réalisateur et les comiques, mais nous ignorons quelles galeries il fréquentait, ou quels livres peuplaient ses étagères. Nous ne connaissons même pas sa réaction à l’Armory Show (bien qu’y figure une peinture de Rudolph Dirks, le père des Katzenjammer Kids). Tout ce que nous avons, c’est Krazy Kat. Tout ce que nous avons, en bref, c’est un univers de fantaisie et de poésie, et la comédie la plus échevelée de ce côté de Charley Chase et des Marx Brothers. En fin de compte, cela nous dit tout ce que nous avons vraiment besoin de savoir sur Herriman, et le choc de la reconnaissance est le nôtre.

Couverture de la partition pour piano du ballet de John Alden Carpenter, Krazy Kat (1922) avec des illustrations originales de George Herriman.

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Tour à tour coiffeur, boulanger et tailleur, le Père de Herriman eut la bonne inspiration, en 1886, d'emmener sa famille (dont George, alors âgé de six ans) des miasmes de la Nouvelle Orléans au rêve ensoleillé de Los Angeles. Dès qu’il le pouvait, George s’esqui-vait de l’apprentissage correspondant à la lubie momentanée de son père pour poursuivre son chemin avec sa plume, son encrier, et ce qui allait devenir l’imagination graphique la plus radicalement originale du vingtième siècle. Tout ce qu’il faisait se vendait  ! Ses pleines pages de strips sortaient tout de suite dans les plus grands journaux  ; ses dessins humoristiques lui rapportaient des dollars vite et bien venus des magazines d’hu-mour de l’époque, Judge et Life ; ses personnages captivaient d’entrée éditeurs et lecteurs. De Professor Otto et Musical Mose en 1902, il enchaîne Lariat Pete et Two Jolly Jackies en 1903, puis Major Ozone, Bud Smith, Zoo Zoo, Baron Mooch, Alexander et The Dingbat Family et cela semble sans fin. Même après être entré, à son insu, dans l’immortalité avec Krazy Kat, il multiplie les fantaisies graphiques dans Baron Bean, Stumble Inn et Us Husbands au cours des années 1910 et 1920. Et tout ce travail, dans la moindre de ses minuties, est un délice visuel et une symphonie de fantaisie subtilement à contretemps, sans rien de comparable dans la bande dessinée avant ou depuis. C’est, bien sûr, l’œuvre d’un génie.

Il n’y a guère plus à dire. La vie de Herriman était très calme, principalement consacrée à sa famille et à son travail. Il aimait beaucoup les excursions dans le grand désert américain si adroitement dépeint dans son œuvre, en la joyeuse compagnie de collègues cartoonists

comme Rudy Dirks, Jimmy Swinnerton et Tom MacNamara. Il chérissait la vie de famille, et était très fier du grand talent de cartoonist de sa fille Bobbie. Titillé

par Archie and Mehitabel, la série de livres délirants de Don Marquis, il finira par illustrer les trois dans une réédition en un volume devenue un classique et un parfait mariage des talents d’auteur et artiste. Il souffrira de quelques médiocres adaptation en dessin animé de Krazy Kat sans être autorisé à ajouter la touche de supervision qui aurait pu les rendre merveilleux. Il entre-

tenait une large correspondance, arrosant amis comme ceux qui lui écrivaient pour la première fois d’aquarelles originales et de strips qu’il avait eu le bon sens de tirer des oubliettes du syndicate. Pour lui c’était une vie plutôt bonne, heureuse, et manifestement inspirante.

Il était unique en son genre. Contemplez son œuvre, mortels, et esclaffez-vous. Quelque part, au-dessus d’un arc-en-ciel coconinien, il pourrait bien être en train de s’esclaffer avec vous.

En silence et timidement, bien sûr.

Un ancêtre d’Ignatz ?

Ancien bol indien exhumé du désert

d’Arizona.

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E n 1944, l’Amérique a un goût insatiable pour ce que l’on pourrait appeler

la « comédie de la réalité ». La star numéro un au cinéma et à la radio est Bob Hope, le roi de la tchatche et des vannes d’actualité. Quand il ne brocarde pas les gros titres, il les fait, émettant souvent en direct du front pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les succès de Preston Sturges au box-office, The Miracle of Morgan’s Creek (Miracle au village) et Hail the Conquering Hero, s’attaquent aux sujets chauds du moment comme les « épouses de guerre » et le faux patriotisme. La même année Li’l Abner, d’Al Capp, parodie Frank Sinatra puis Dick Tracy dans ce qui va devenir un classique immortel, Fearless Fosdick. Guerres mondiales, culture pop et maux sociaux – tout cela est bien loin de Coconino County, endroit fantasque où la réalité n’a jamais vraiment pris pied. Mais l’humour américain a quelque peu changé depuis 1913, quand Herriman, sur l’injonction de son éditeur et fan number one, William Randolph Hearst (alias The Chief), créait Krazy Kat. C’est aujourd’hui un élément central de la légende de Herriman qu’en dépit de sa base fidèle de fans et d’intellectuels, Krazy Kat n’a pas toujours connu les faveurs du public. Des décennies durant, Hearst dut soutenir personnellement Herriman, lui offrant pages du dimanche, doubles pages et couleur malgré les appels de ses éditeurs à l’arrêt du strip. Les temps changent, et Herriman n’est pas le seul. Ses contemporains dans d’autres champs de l’humour populaire – cinéma, vaudeville et théâtre – font face aux mêmes défis culturels. Soit ils coulent, soit ils nagent avec l’époque, et comprendre le déclin populaire de Herriman revient à comprendre le sens de l’humour de toute sa génération. Pour être juste avec M. et Mme Tout-le-monde,George Herriman était un artiste exigeant. Ceux qui attendaient un simple gag se retrouvaient souvent perdus dans son imagerie dense, son goulasch dialectal et ses changements fantasques de lieu et de perspective – le tout teinté d’ironie et d’émotion. Alors, oui, ces gens allaient être perplexes et abasourdis en permanence. Mais dans les premiers temps de sa carrière, Herriman n'a pas ce genre de problèmes. Entré dans le cartoon avec un certain nombre de contributions à des magazines d’humour populaires comme Judge, en 1910, il écrit et dessine The Dingbat Family (bientôt renommée The Family Upstairs) pour William Randolph Hearst. La bande a un bon succès, et en 1913, Hearst suggère à Herriman de donner leur propre espace au drôle de chat et à la drôle de souris qu’il a ajoutés au strip. Ces personnages, bien sûr, sont Krazy Kat et Ignatz Mouse.

En tant que duo, Krazy et Ignatz ne sont pas très éloignés des fameux comiques de l’époque, Weber & Fields, rendus incroyablement populaires par leur combinaison de slapstick violent et de guerre verbale. Ils jouent tous les deux des immigrants en costume fantasque à pantalons bouffants, le «Meyer» de Fields maltraitant systématiquement le « Mike » de Weber, mais toujours avec un rassurant « J’t’aime, Mike ! ». Le mélange de briques et de cartes de la Saint Valentin de Krazy et Ignatz colle parfaitement avec le goût du public. Les Marx Brothers commencent leur carrière à cette époque, comme le Charlot de Chaplin et le W.C. Fields des Ziegfield «Follies», avec ses numéros de golf et de billard. Incarné par l’épopée comique de Mark Twain, Les Aventures d’Huckleberry Finn, qui n’a pas 35 ans, le mélange de slaps-tick verbal et physique est alors standard. Au cours de sa première décade, la diffu-sion de Krazy Kat grimpe de manière régu-lière et en 1916, Hearst offre à Herriman une planche du dimanche. Herriman lui-même tourne au vaudeville, et Krazy Kat est la star des premiers dessins animés de Hearst. Après la Première Guerre mondiale, Herriman se retrouve en phase avec une autre tendance, le nonsense sophistiqué de la Table Ronde de l’Algonquin. Au début des années 1920, les membres de la Table, Dorothy Parker, Robert Benchley, George Kaufman, Alexandre Woolcott, Deems Taylor et Ring Lardner (entre autres) montent même leurs propres revues – « No, Sirree! », puis « The Forty-Niners ». Dans la première, Benchley inaugure « The Treasurer’s Report », qui égratigne le conformisme à la

Babbitt de l’Amérique d’après-guerre. Pour la seconde, Parker et Benchley écrivent « Néron », un sketch dans lequel le

cardinal de Richelieu médite sur Dieu et le sirop d’érable, et Lardner offre « The Tridget of Greva (translated from the Squinch) » où trois hommes – Louis Barbooter (the

« tridget »), Desire Corby (« a corn vitter ») et Basil Laffler (« a wham salesman ») – pêchent sur leurs barques en parlant

de tout et de rien :

Barbooter : Au fait, c’était quoi le nom de ta mère, avant qu’elle se marie ? Corby : Je la connaissais pas, à l’époque.

Ils appellent ça « crazy humor », un humour dénué de sens commun, qui se suffit à lui-même. Dans un monde en convalescence d’une guerre mondiale brutale, cela correspond au goût de l’Amérique pour les speakeasies, le jazz et le défi face à l’appel simpliste du président Harding à un retour à la « normale ».

Le BOuFFON De COuRHearst, Herriman et la mort du nonsense

par Ben schwartz*

* Critique bande dessinée de la Los Angeles Review of Books, Ben Schwartz a écrit sur les comics pour le New York Times, Bookforum, Comic Art, le Los Angeles Times et le Washington Post. Après avoir dirigé l’anthologie Best American Comics Criticism (2010), il travaille actuellement à une histoire de l’humour américain entre les deux guerres.

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C’est ainsi que Krazy rencontre les faveurs de l’intelligentsia. En 1922, John Alden Carpenter monte son ballet Krazy Kat et Gilbert Seldes écrit dans Vanity Fair l’article qui deviendra la base de son essai fondateur, « The Krazy Kat That Walks by Himself », procla-mant Krazy la plus grande œuvre d’art produite en Amérique. Bientôt, Vanity Fair intronise Herriman dans son Hall of Fame. Herriman a atteint un sommet culturel comique de succès critique et populaire que seuls Chaplin, Twain et Will Rogers ont connu avant lui, et peu depuis. En 1922, donc, Herriman s’est fait un nom. Et au sommet de son succès il rapatrie sa famille à Los Angeles. L’action est symbolique d’un autre changement des années 1920. Si Gilbert Seldes a correctement identifié Herriman comme le seul véritable expressioniste du comic strip, la tendance montante est au modernisme, et celui-ci va chasser les expressionnistes de la ville. Le modernisme cherche une rupture avec la période d’avant-guerre. En l’occurrence, le passé signifie les excès du vieux monde. Une tendance au Moins-c’est-plus s’impose, incarnée dans le design du Bauhaus, la prose minimaliste d’Hemingway, les coupes au carré et l’élégance lisse des nouveaux gratte-ciel de l’Amérique. Le modernisme balaie la culture, et la comédie américaine ne fait pas exception. Au milieu des années 1920, l’humour ethnique et les pantalons bouf-fants de Weber et Fields ne font plus recette. Le clochard de Chaplin se trouve lui-même éclipsé, au box-office, par l’«homme ordinaire» d’Harold Lloyd, dont les lunettes constituent l’aspect le plus frappant du costume. Les comiques montants ne ressemblent plus à de drôles d’Italiens, Irlandais ou Juifs. Jack Benny, Bob Hope ou Burns & Allen jouent des Américains intégrés en costume classieux, parlant un bon anglais et ne frappant jamais personne – encore moins avec une brique. Ces comiques troquent les pantalons bouffants pour ce que leur parolier, Al Boasberg, baptise la «smart dress» comedy, ou comédie en tenue soignée. W.C. Fields met sa nature absurde au diapason et crée un «  homme ordinaire  » tout aussi hilarant pour des films comme Running Wild (Dans la peau du lion, 1927) et plus tard It’s a Gift (Une riche affaire, 1934). L’actrice Louise Brooks résume bien la tendance lorsqu’elle dit de Fields : « Au théâtre, c’était un personnage de fantaisie jouant dans un monde de fantaisie. Au cinéma, c’était un personnage réel jouant dans des histoires réelles. » Et les Marx Brothers ont un coup de chance. En « découvrant » l’équipe en 1925, le critique Alexander Woolcott et ses amis de l’Algonquin vont les propulser au firmament – en particulier Harpo, qui aurait pu être créé par Herriman. Irving Berlin et George S. Kaufman écrivent bientôt leurs spectacles, transformant les frères de losers de vaudeville en primitifs

de la Génération Perdue. Les frères courent toujours après les blondes, mais dans Animal Crackers ils trouvent le temps de débusquer le faisan sous le marchand d’art huppé et de parodier l’Étrange Interlude d’Eugene O’Neill pour le plus grand plaisir de l’honorable assemblée. Grâce à Hearst, devenu son plus ardent défenseur, le monde fantaisiste de Herriman demeure intouché. Les rédacteurs locaux de l’empire font remonter des lettres de lecteurs se plaignant qu’ils n’y «  comprennent tout simple-ment rien», certains demandent l’arrêt du strip, mais la réponse est toujours la même : Continuez à le publier. Pourquoi ? Parce que le Chef aime, voilà pourquoi. La loyauté de Hearst signifiait que Herriman pouvait continuer à travailler sans se soucier des exigences du public qui régissaient la carrière de ses collègues.Non qu’il les ignorât, car il avait, lui aussi, un écho des lecteurs. Un jour, il reçut la visite d’un fan troublé, le jeune réalisateur Frank Capra. Herriman avait un petit coin de bungalow aux studios d’Al Roach où Capra, alors âgé d’une vingtaine d’années, travaillait comme gagman sur la série Our Gang. Dans un moment d’interrogation transgénération-nelle, Capra posa à Herriman une question simple et de bon sens  :

Krazy Kat était-il un garçon ou une fille ? La réponse de Herriman donne une idée de ce qu’il pensait des temps nouveaux et de l’humour de bon sens qu’ils exigeaient : « Je reçois des dizaines de lettres qui me demandent la même chose. Je ne sais pas. J’ai joué avec cette idée autrefois, commençant à penser que Krazy Kat était une fille – j’ai même dessiné des strips où elle était enceinte. Ce n’était plus le Kat  ; trop obnubilée par ses petits problèmes – comme un feuilleton à l’eau de rose. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai alors réalisé que Krazy était un peu comme un lutin, un elfe. Ils n’ont pas de sexe. Ainsi le Kat peut être il ou elle. Le Kat est un lutin – un farfadet – libre de mettre son grain de sel dans tout. Ne croyez-vous pas ? » « Je ne sais pas pour Krazy Kat, Mr. Herriman, lança Frank Capra, mais s’il y a un lutin dans les parages il est en face de moi, en train de fumer la pipe. » Des années plus tard, Capra devait retrouver cette impatience dans Mr. Deeds Goes to Town (L’Extravagant Mr. Deeds, 1936). Dans la fameuse scène finale au tribunal, le plein de bon sens Longfellow Deeds (Gary Cooper), est accusé de démence pour, entre autres, avoir rossé quelques Chevaliers de l’Algonquin au déguisement transparent (ceux-là même qui adoraient Herriman et taxaient l’œuvre de Capra de « Capra-corn »). Les principales accusatrices de Deed, une paire de frêles vieilles dames, sont discréditées devant la cour lorsque elles reconnaissent que, oui, bien sûr, elles croient aux lutins.

Ci-dessus, les Marx Brothers (Harpo, Zeppo, Groucho et Chico) dans un cliché publicitaire non daté — probablement de Monkey Business (Monnaie de singe), 1931.

W.C. Fields et un ami, dans Never Give a Sucker an Even Break (Passez muscade), 1941.

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S’il ne faut pas nous étonner de l’indifférence du public envers une œuvre aussi complexe que Krazy Kat, il n’est pas inintéressant de voir pourquoi Hearst, le grand populiste, lui vouait une telle dévotion. Après tout, chaque colonne de son empire reposait sur la séduction des masses. Le monde se souvient de Hearst, aujourd’hui, comme d’un businessman impitoyable et cocardier, ou peut-être sa caricature par Orson Welles dans Citizen Kane. Mais un coup d’œil à sa vie privée fait apparaître le Kat autant comme une expression du magnat que du cartoonist. Tous deux Californiens, Hearst et Herriman quittent New York pour la Côte Ouest (dès que leur carrière le leur permet) animés du désir de se créer un univers amusant et excitant. Avec son imagination, Herriman le réalisera principalement sur le papier. Avec son argent, Hearst va le faire sortir de terre. Ils conçoivent leur maison, Herriman à Los Angeles, et Hearst son ranch délirant de San Simeon, qui va littéralement devenir le Coconino County du Chef. Tandis que les canards et les chats de Herriman arpentent improbablement le désert d’Arizona, San Simeon, défiant toutes les lois de la nature, pullule d’autruches, zèbres et girafes jaillis du zoo privé du Chef. Singes-araignées, lions et ours poursuivent et mordent les invités, au lieu, supposera-t-on, que la souris locale lance des briques. Herriman a un zoo, lui aussi, qui entretient quelque treize chats et cinq chiens dans sa maison. Le clash culturel cinétique de l’Amérique les fascine tous deux. Hearst l’utilise pour vendre des journaux à ses audiences ethniques urbaines, mais il l’affectionne également sur le plan personnel. Architecturalement, Hearst envisage son ranch comme un «bungalow helvético-nippon», et ses goûts éclectiques le portent des bains romains aux tapisseries médiévales, de l’argenterie edwardienne à la statuaire égyptienne antique. De même, dans ses bandes, Herriman infuse aux lieux navajos des voix, des thèmes et des personnages shakespeariens, yiddish, chinois et égyptiens. Mais avant tout, Hearst et Herriman aiment les gens drôles. Hearst n’a cessé de les rechercher depuis son passage, alors qu’il était étudiant, au magazine satirique Harvard Lampoon (sa première expérience à éditer des cartoons) jusqu’à ce qu’Harvard le renvoie pour ses blagues continuelles. À San Simeon, ses invités de prédilection sont les blagueurs comme Chaplin, Harpo Marx, et l’impétueuse fiancée du Chef, Marion Davis. De même, Herriman choisit de travailler dans les studios d’Al Roach ou de Mack Sennett, foyers respectifs de Laurel & Hardy et des Keystone Kops. « Krazy Kat se sent comme chez lui au milieu de tous ces crazy comics », explique-t-il. On pourrait penser que diriger un conglomérat médiatique et passer ses journées assis à un bureau à créer des cartoons félins exige des personnalités radicalement opposées, mais Hearst et Herriman étaient spirituellement soudés par la hanche. Vue à cette lumière, la défense personnelle de Krazy Kat par Hearst fait bien davantage sens au milieu de l’orientation de masse du reste de son empire.

À l’arrivée de la Dépression, Hearst, ayant investi dans l’immobilier et non à la bourse, souffrit peu. Le Chef s’accrocha à quelques valeurs sûres, parmi lesquelles Krazy Kat et le contrat à vie de Herriman. Celui-ci aura peut-être considéré comme un présage favorable l’acquisition par Hearst, dans une de ses frénésies d’achat légendaires, d’un antique buste en granit de Sekhmet, la déesse lionne égyptienne, qu’il plaça sur l’esplanade sud de San Simeon. Car ces deux chats noirs étaient porteurs de chance, non de malheur. En même temps qu’il s’était assuré que le goût changeant du public ne dérangerait pas son artiste, Hearst s’était assuré que la faillite financière du monde occidental ne l’atteindrait pas davantage. Mais pour Herriman, l’ère de la fantaisie triomphante se réduit à présent à une flamèche. En 1933, Jack Benny et son co-auteur Harry Conn ont créé une forme d’humour radiophonique nommée « situation comedy » qui place Benny dans un intrigue différente chaque semaine. Les Marx Brothers sont passés de la loufoquerie Années Folles de Duck Soup (La Soupe au canard, 1933) à des films beaucoup plus sensibles (mais moins drôles), reposant davantage sur l’histoire comme A Day at the Races (Un jour aux courses, 1937).

Et W.C. Fields trouve son plus grand succès à la radio, en jouant les seconds violons auprès de la marionnette d’Edgar Bergen, Charlie McCarthy. Herriman essaie d’aller avec son temps et développe des scénarios élaborés dans ses strips quotidiens. Mais dans «Tiger Tea», où l’herbe à chat ultime est introduite à Coconino County, il montre peu l’inclination pour l’actualité de ses collègues plus « réalistes » Al Capp, Chester Gould ou Harold Gray. Et il est peu probable que Frank Capra ait jamais eu à demander à Al Capp si Daisy Mae était un garçon ou une fille. Tandis que la diffusion décline, le Chef tente à nouveau de promouvoir Herriman en lui offrant la couleur pour ses pages du dimanche. Alors que les contemporains de Herriman s’adaptent à la dure réalité de la Dépression, Hearst permet à son homme de batifoler créativement comme il l’entend et lui donne de meilleurs outils pour le faire. Mais le passage à la couleur n’attire pas les lecteurs escomptés. De plus en plus, Herriman devient un bouffon de cour pour un public d’une personne. Hearst et Herriman vont tenir jusqu’aux années 1940, période qui voit le dernier souffle de la génération de Herriman. Chaplin envoie Charlot à la retraite avec The Great Dictator (Le Dictateur, 1940) film sur un tyran terri-blement réel. W.C. Fields, enfin, obtient carte blanche, et réalise ses ultimes chefs-d’œuvre absurdistes, The Bank Dick (Mines de rien, 1940), et Never Give a Sucker an Even Break (Passez muscade, 1941). Dans Passez muscade, Fields parle pour toute une génération. Jouant son propre rôle, il essaie d’expliquer son nouveau scénario nonsensique au pointilleux directeur de studio Franklin Pangborn. Le scénario de Fields le fait sauter d’un avion après une flasque de gnôle et atterrir dans une « Russie » où les autochtones portent des gauchos et des sombreros. Pangborn demande à Fields d’expliquer à quoi tout cela rime, ce dont il est évidemment incapable. Passez muscade fera un flop au box-office, et sera le dernier film avec Fields dans le premier rôle. Le problème du comédien, désormais, ce n’est plus les censeurs, mais les spec-tateurs pétris de bon sens. Un autre échec retentissant sera Fantasia, du fan de Herriman Walt Disney, un pur mélange de musique et de fantaisie cartoonesque – quelque chose qui n’avait pas été tenté, peut-être, depuis le ballet de Carpenter près de vingt ans auparavant – narré par le fidèle de Herriman, Deems Taylor. Quand le public eut manifesté une parfaite indifférence, Disney tourna le dos à l’art pour l’art jusqu’à la fin de ses jours Sous la protection de Hearst, Krazy Kat prospéra jusqu’à la mort de Herriman en 1944. Hearst lui rendit hommage en mettant fin au strip plutôt que de le laisser poursuivre par des imitateurs – non que le public se soit levé pour protester ! En 1944, Krazy Kat ne paraissait plus que dans 38 quotidiens. Hearst avait donné à Herriman un contrat à vie pour qu’il continue à l’amuser, et les deux hommes avaient tenu leur part du marché. Hearst lui-même disparut en 1951. Il avait commencé sa carrière avec les cartoons au Harvard Lampoon, et jusqu'au bout il conserva le dernier mot sur tout nouveau comic strip entrant dans ses journaux. Comme l’œuvre de la vie de Herriman, le rêve sans fin intitulé Krazy Kat, San Simeon demeura un work in-progress, officiellement « inachevé » au moment de la mort du Chef. L’essai de Gilbert Seldes est souvent cité. Mais les pensées de Seldes sur les comics 25 ans après méritent également d’être répétées. En 1957, il n’y trouvait plus de plaisir, même dans les œuvres de Crockett Johnson, Walt Kelly ou Al Capp. « Je me heurte à un mur, ici », écrit Seldes. « Année après année, encore et encore, j’ai tenté de suivre un comic strip – et échoué. Comme si j’étais devenu aveugle. Le plus près de la réussite où je me sois trouvé était chez Al Capp, mais quand, cédant à une pression qu’il ne pouvait identifier lui-même, il flancha et laissa Li’l Abner épouser Daisy Mae, je l’abandonnai. »

Grâce à Hearst, de telles pressions non identifiables – i.e. bon sens, réalité, sujets brûlants, logique, continuité, caractérisation, histoire – n’eurent jamais une grande influence à Coconino County. Dans cet unique endroit, de telles pensées étaient… pour les lutins.

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Page dessinée spécialement par Herriman pour le numéro de janvier 1930 de Vanity Fair.

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Quand Hearst introduisit les actualités au cinéma au milieu des années 1910, il décida qu’un journal filmé devait avoir sa section BD. Il ajouta donc à sa livraison hebdomadaire de courts dessins animés, d’environ quatre minutes chacun. Cette Page de Cartoons Magazine de Mars 1916 célèbre l’arrivée de Krazy Kat et sa bande dans les cartoons series, où il rejoignait Happy Hooligan, Mutt & Jeff et autres héros des comics passés au grand écran. Les dessins de chaque côté du portrait de Herriman sont extraits du dessin animé, auquel le père de Krazy et Ignatz ne prit aucune part.

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1925

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4 janvier 1925

Mesdames et Messieurs, les citoyens de «Coconino», désireux de célébrer en grande pompe le trépas de la «vieille année» et l’arrivée de la «nouvelle», ont requis les services de leurs deux plus talentueux plébéiens Krazy Kat incarnera «1924» – tandis qu’Ignatz Mouse ajoutera du lustre à l’allégorie de «1925». Et donc, comme dirait «Kay Cibi», «je vous remercie».

Et les voici - en pleine RÉpÉTiTiON la «brique», emblème d’un départ aussi vif que soudain, passera de l’un à l’autre, de la main de «1925» à la tête décrépite de «1924» - et donc, citant à nouveau «Kayci Bi» - «je vous remercie».

Saperlotte Et je n’ai ni la juridiction ni le pouvoir pour arrêter ça - c’est affreux

Le «Rocher Pendule» de Kaibito sonne la «Media Noche» et ses échos frémissent sur les falaises kramoisies de Kayenta» – et les rayons de lune dans l’étang d’Oljeto s’ondulent d’un millier de rides et les sables mouvants de Shanto dansent à son vacarme

assourdissant autrement dit, «C’EST MINUIt"

ur quoi - la «vieille année» entame son pèlerinage vers les «ombres», du sombre, humide et glacial ossuaire des ans passés».

Va-t’en, disparais dans la tombe des années mortes, ô fantôme - c’est MOi qui t’y envoie

Jamais «Coconino n’avait assisté à une performance si pleine d’entrain,

de verve et de vigueur –jamais –

POW

Aïaïe, Ignatz, j’suis en retard, quelqu’un

a trafiqué mon réveil - excuse-moi

Bonne année,

«sergent Pupp»

Bonne ânée, «sergent Pupp»

La pareille -

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11 janvier 1925

un vieux petit «bâton» de l’année dernière - modèle «1924»- et nous sommes en «1925» -

Fi de ce «bâton» vieux jeu - Vite, à la «bâtonnerie» pour acquérir un nouveau «modèle 1925», ainsi qu’il sied à un «flic» à la page comme moi.

Moi, une souris habituée au seul «dernier cri»- avec une «brique» modèle «1924» - ça n’va pas aller.

À moi, une «brique modèle 1925», avant d’entamer une nouvelle journée de lancer de brique -

Viens par ici - t'as beau être un modèle «1924», t'es toujours une «brique»

Et tu peux au moins me procurer un frisson « modèle 1925».

Reviens voir «papa» ma petite chérie -

Un modèle «Joie» 1930 - que je l’appelle Tout va bien,

finalement.

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18 janvier 1925

Tout en «brique» - et désert, en plus - Oh, si je pouvais

posséder un tel édifice.

Et pourquoi ne pourriez-vous pas le posséder, Monsieur ? Vous pouvez l’acheter, n’est-ce pas

L’acheter ?? Gosh

C’est à vendre

?

Filez-moi «deux dolls et six balles» et voyez si vous ne possédez pas cette structure.

VENDU

Enfin Me voilà délivré des griffes de «Kolin Kelly» - j’ai dans cette maison un stock inépuisable de «briques» pour cabosser la caboche de ce «Kat».

Alors, tu l’as acheté, hein ? Eh bien, vire-moi ça de ce terrain - Y’a assez longtemps que ça traîne -

Comment ça, enlever cette maison de ce terrain Est-ce que je n’achète pas le terrain, quand j’achète la maison, hein ? N’outrepassez pas votre autorité, sergent Pupp, je connais mes droits, moi.

Attrape-moi ce vieux «décor de film» et vire-le

de ce terrain - comme je te l’ai dit -

Sapristi, se peut-il que son

amour se soit refroidi -

«P’tit lâcheur»

«Deux et six» - Nom d’un chien - j’parie que j’aurais pu lui en tirer

«trois» aussi bien

rascal

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25 janvier 1925

Ma brave «maréchaussée», gardienne du bien et bien être publics - l’heure est proche où vous ne cabosserez plus la caboche du criminel d’un bâton - Non, non, non - Non - vous le châtierez d’un baiser et d’une boîte de bonbons -

et le renverrez meilleur qu’il n’était -

Bravo, «M’sieur l’maire»

!!

J’suis si ravi que l’«sergent Pupp» approuve

e Maire de «Coconino» délivre aux forces de l’ordre un discours d’«amour fraternel»- accueilli avec grand enthousiasme, et force lancers de «képi & bâton»

Le maire a raison -

Adieu au

crime -

Hourrah pour un monde rempli

d’anges - Hourraaaaah

Et plus le maire parle, plus l’enthousiasme monte, et plus véhéments se font les lancers de «képi & bâton»

J’espère vraiment qu’il

continue à lancer ses képi & bâton

en l’air

andis que non loin de ce cercle extatique, une souris escalade un poteau télégraphique

Ce sera un bien doux triomphe - - si j’y arrive

Les voilà

J’LES AI Victoire

Aussi, ma chère «maréchaussée», devez-vous inaugurer aujourd’hui cette ère d’"amour fraternel» - Traitez le pécheur

avec douceur - Donnez sa chance à la «crapule» - relevez le frère tombé

à terre - soyez gentil avec lui - l’amour triomphera - ...

A-A-A-A-HHH OUi

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1er février 1925

Pourquoi donc, «Sergent Pupp», quand je yodle, ou hurle un yo-ho, ces falaises me répondent ? Y a-t-il quelqu’un là-dedans qui s’en charge ?

Stupide «mouse» ! Il n’y a personne. Ce n’est que le son de ta voix qui rebondit vers toi - un écho - simple affaire d’acoustique - vois-tu.

es falaises de Kaibito recèlent mille échos. Et Ignatz, tout ouïe, s’en fait dresser le topo - par le "Sergent Pupp”.

Jamais je n’aurais imaginé que le «son»

rebondisse - n’y a-t-il pas quelque mystère derrière tout ça ?

Ce n’est pourtant que le «son» qui rebondit, idiot. L’«acoustique» est derrière - et non quelque «mystère»

issu de ton esprit émoussé.

J’ai fort envie, «sergent Pupp», de jeter cette «brique» contre la falaise pour voir si elle aussi rebondit, en «écho», comme un yodle ou un yo-ho.

Voilà, je l’avoue, un désir qui t’honore, «Mouse», et je t’engage vivement à tenter l’expérience. Il est plus sain pour ton propre bien être de jeter cette «brique» sur une falaise plutôt que sur le noble occiput de cet aimable « Krazy Kat» - de plus, j’estime que c’est un essai méritoire en «acoustique» - Ou-ais-

Bon, je vais reprendre ma ronde doucettement. Tant que ce stupide «mouse» tente de résoudre les complexités de l’«acoustique» en lançant une brique sur une falaise, je n’ai pas à me soucier du krâne klassique de Krazy dans l’immédiat - N-n-non.

L’ascension de la «brique»

Le rebond sur la falaise

Le choc

Ah-h - D’un flacon ou d’une outre, je savais que viendrait bientôt un massage d’amour DE LUi - mon p’tit «infarktusse» -

L’«Écho»- Très acoustiquement correct

Ohoho Cet «ÉCHO» me cause - Enfin mon expertise en «acoustique» me rend service.

Si l’«acoustique»est encore bonne - Il va y avoir de multiples «échos» de «coups» dès que je l’attrape - Le pleutre

La jolie manière dont cette "brique" a rebondi de cette falaise sur la "Kaboche" de ce "Kat" compense largement ma triste ignardise en "échos" et "acoustique" - Ohouiiiii -

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1929

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10 février 1929

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17 février 1929

C’est que de l’argile, «Ignatz» - l’argile dont tant de jolies choses est fait-

«Boue»- moi j’appelle

ça de la BOUE

Il a été dit par des gens trrès,

trrès savants, que toi et moi, et moi et

toi est fait d’«argile» -

Ouais, mais que va-t-il advenir de tout ce surplus de pâte qui traîne, libre et inutile. Pfaa - c’est de

la boue, et une sacrée cochonnerie

De la poterie de premier choix est faite en «argile», souviens-toi de ça, chairi.

Oui, et ça me fait

des jolies crêpes sur les pieds - mais à quoi ça rime -

Une «brique» volante -

«Sergent Pupp», voyez ?

Hum - oui.

Tiens, justement - demande à Mr Kelly en quoi sont faites les «briques» - demande-lui

BOUE -

«Argile», merlan frit ! pétrie, moulée et cuite par le meilleur

briquetier de Coconino - «MOi»-

Eh bien, je l’ai drôlement

konvainku de ses erreurs - le p’tit sceptik».

Vive la «boue» -

ça fait des

«briques» -

Oui - m’sieur -

Et les «briques» font les «prisons».

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24 février 1929

Les grands esprits ont recherché la solitude -

Pourquoi pas moi ? -Circule, «Kat,

circule -

Le tiqueur j'étais sûr

qu'il me faisaitmarché

Arrière, «brique»– arrière Je ne

veux point de toi -

VOUS -

Nul autre, «Mouse» - et à te voir l’air si

innocent - je vais me planter là

avec toi -

N’est-ce pas une affreuse perte de votre temps précieux, «Sergent Pupp»- passer une journée à me surveiller ? - Pourquoi ne pas en finir et me jeter en prison maintenant ?

Tu sais que t’as de bonnes

idées, toi,

parfois ?

Ce «Krazy Kop» ne soupçonne pas la faveur qu’il me fait - aah, me pâmer dans l’abandon, et tremper mon cœur dans la solitude -

Une bande de «poivrots»- chantaient «Sweet Adeline - ma prison est pleine, je peux les caser dans la vôtre ?

Bien sûr, «Shérif»,

flanquez- les avec "Ignatz

Mouse», il a l’air seul et

bluesy

oui, m’sieur

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4 jANvIeR 1925 — "KAY CIBI"Cette référence apparemment cryptique était saisie au quart de tour par les lecteurs de 1925. "KCB" était le nom de plume d’un célèbre éditorialiste de chez Hearst qui com-posait son – assez chichiteuse – chronique quotidienne sur Allen Sundry (Monsieur Tout-le-monde) en vers comiques fragmentés d’une demi-douzaine de mots, concluant son pro-pos d’un sempiternel « Je vous remercie ». Herriman avait précédemment pastiché la célèbre rubrique dans un strip de Krazy Kat rendant hommage à son collègue Tad Dorgan.

11 jANvIeR 1925 — HePPY LeNDLe hit absolu de Krazy, chanté à tue-tête et à l’envi par notre Kat favori. « Ses accents simples sont les premiers que les voix enfantines apprennent à balbutier, et les derniers mur-murés par les saints à l’heure de leur mort », dira un digne révérend de « There Is a Happy Land », écrit en 1838 sur un air hindi par le poète et professeur écossais Andrew Young (1807-1889). Dabord chantée dans ses classes, cette petite hymne, traduite dans toutes les langues, va faire le tour du monde et connaître mille avatars. Jusqu’à devenir, dans la version des Abyssinians – « Satta Massagna » (1969), titre le plus repris de toute l’histoire du reggae –, une hymne rasta !

There is a happy land, far, far away,Where saints in glory stand, bright, bright as day;Oh, how they sweetly sing, worthy is our Savior King,Loud let His praises ring, praise, praise for aye.

Come to that happy land, come, come away;Why will you doubting stand, why still delay?Oh, we shall happy be, when from sin and sorrow free,Lord, we shall live with Thee, blest, blest for aye.

Bright, in that happy land, beams every eye;Kept by a Father’s hand, love cannot die;Oh, then to glory run; be a crown and kingdom won;And, bright, above the sun, we reign for aye.

C’est un heureux pays, loin, loin, très loin,Où les saints en gloire se dressent, rayonnants comme le jour ;Oh comme leur chant est suave, et noble notre Roi Sauveur,Que Ses louanges résonnent, louons-Le pour l’éternité.

Viens dans cet heureux pays, viens, accours ;Pourquoi hésites-tu, pourquoi tarder encore ?Oh, nous serons heureux, quand libres du péché et de la peine,Seigneur, nous vivrons avec Toi, bénis pour l’éternité.

Rayonnants dans cet heureux pays, tous les yeux étincellent ;Sous la garde paternelle, l’amour ne peut mourir ; Alors cours vers la gloire ; sois une couronne et un royaume gagné ;Et, rayonnants, au-dessus du soleil, nous règnerons pour l’éternité.

18 jANvIeR, 25 jANvIeR, 1eR FÉvIeR 1925 —Ces pages sont des reprises, respectivement, des planches des 16, 9 et 23 décembre 1923.

1eR FÉvRIeR 1925 —Les « Echo Cliffs » sont des falaises qui serpentent sur une soixantaine de kilomètres, à l’ouest du Parc national du Grand Canyon, dans Coconino County, entre The Gap et Lee’s Ferry. Flanquées par la United States Highway 89, elles longent Marble Canyon dans leur partie septentrionale. L’écho est un des thèmes récurrents dans Krazy Kat. Voir la planche du 19 mai 1929.

8 FÉvRIeR 1925 — sHuLe ! sHuLe ! sHuLe AGRA ! sHuLe, AsuCuR, AGRA sHuLe, AARONViens ! viens ! viens, ma mie – Viens doucement, viens, mon amour ! Refrain du poème lyrique, de style macaronique (avec les couplets en anglais et le refrain en irlandais) « My Mary of the Curling Hair » (Ma Marie aux Cheveux Bouclés) du romancier, poète et dramaturge irlandais Gerald Griffin (1803-1840). S’il se chante sur l’air du traditionnel « Shule, agra », (Va, mon amour !), lamentation d’une femme que son amant quitte pour embrasser la carrière des armes, il est écrit du point de vue exactement opposé. C’est ici le garçon qui appelle sa fiancée et lui chante son amour à l’approche de leurs noces prochaines.

15 FÉvRIeR 1925 — ROCK A BYe … sOCK A BYe«  Rock-a-bye Baby  » est une ancienne berceuse dont la première version imprimée connue apparaît dans le recueil de comptines anglaises, Mother Goose’s Melody, or, Sonnets for the Cradle, publié par John Newbery, à Londres, vers 1765. La version la plus répandue est la suivante :

Rock-a-bye baby, on the treetop,When the wind blows, the cradle will rock,

When the bough breaks, the cradle will fall,And down will come baby, cradle and all.

Balance, bébé, en haut de l’arbre,Quand le vent soufflera, le berceau balanceraQuand la branche cassera, le berceau tombera,Et patatras, bébé berceau et tout.

La variante ignatzienne (avant-dernière bulle) joue sur les mots rock (balancer, bercer) et sock (frapper). Parmi les multiples théories, celle privilégiant une origine améri-caine l’attribue à la coutume des Indiennes de faire bercer leur bébé par le vent en suspendant le berceau à la branche d’un arbre, comme l’illustre, plus loin, la planche du 5 juillet 1925.

22 FÉvRIeR 1925 —Caractérisé par son absence de queue, le manx, ou chat de l’île de Man, fera en janvier-février 1932, dans les strips quotidiens, l’objet d’une continuité étalée sur trois semaines. Mais dès 1929 on note la présence dans un concours félin d’un manx nommé Krazy Kat. Tout seul dans sa catégorie – taillée, si l’on ose dire, sur mesure –, il remportera un prix. (Reprise du 12 octobre 1924.)

Oy, wam-pie : Accusant le kat incomplet de faire du plat à Ignatz, Krazy le traite de vampire, argot courant des années 1920 pour désigner une séductrice – cette "vamp" dont la star Theda Bara sera une des premières et plus fameuses incarnations à l’écran. Bill Cottrell : Le « Duc de Palm Street » remercié dans l’avant-dernière case, Bill Cottrell (1906-1995), est alors un jeune homme qui se fait un peu d’argent de poche en proposant des idées de gags à Herriman. Entré chez Disney comme cameraman en 1929 (il créditera plus tard les re-merciements de Herriman de l’avoir aidé à décrocher ce premier job), il en deviendra le principal «  réalisateur de rêves », participant à tous les longs-métrages et à la concep-tion de Disneyland. 

Les yeux verts de la jalousie : Emprunt au Marchand de Venise de Shakespeare (The Merchant of Venice, 3, 1456).

8 MARs 1925 — RÉseRve PeRsONNeLLeLes péripéties frénétiques de ce majestueux épisode appa-raissent d’une limpidité totale si l’on se souvient qu’en 1925, la prohibition sévissait. Un peu plus loin, on pourra voir avec délice Joe Stork, corrompu par la pression sociale, se transformer en bootlegger, transportant des bouteilles plutôt que des bébés. Voir 27 janvier et 26 octobre 1924.

17 MAI 1925 — LA NOCHe estA seReNAAncienne et très tendre sérénade hispano-californienne :

LA NOCHE ESTA SERENALa noche está serena, tranquilo el aquilón;Tu dulce centinela te guarda el corazón.Y en alas de los céfiros, que, vagan por doquierVolando van mis súplicas, á ti, bella mujer,Volando van mis súplicas, á ti, bella mujer.

De un corazon que te ama , recibe el tierno amor;No aumentes mas la llama, piedad á un trobador.Y si te mueve a lastime mi eterno padecer,Como te amo, amame, bellisima mujer!Como te amo, amame, bellisima mujer!

LA NUIT EST CALME La nuit est calme, le vent paisible ;Ta douce sentinelle te garde le cœurEt sur les ailes des zéphirs qui vaguent alentourVolent, vers toi, mes prières, belle femme, Volent, vers toi, mes prières, belle femme.

D’un cœur qui t’aime, reçois le tendre amour ;N’augmente pas la flamme, pitié pour le troubadour.Et si ma souffrance éternelle t’émeutComme je t’aime, aime-moi, sublime femme !Comme je t’aime, aime-moi, sublime femme !

N.B. N.B. La numérotation des lignes des pièces de Shakespeare, comme la division des actes en scènes, variant suivant les éditions, nous nous référons à la version etext du First Folio de 1623, identique sur tous les sites universitaires qui la donnent, en indi-quant après le titre anglais l’acte, la scène quand il y a lieu, et la ligne. Sauf pour Périclès, absent du Folio, et Roméo et Juliette, là où le Folio donne un autre texte. La référence correspond à L’édition de la Royal Shakespeare Company (RSC) chez Macmillan.

KRAZY NOtes 1925 -1929

par B i l l B l ackbea rd e t Marc vo l i n e

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7 juIN 1925 — Ne suIs-je PAs uN "veR" ?Herriman prend au sens premier et le sujet et le verbe du vers de Shakespeare dans Henry VI, Troisième partie (Henry VI, Part Three, 2, 889), «  The smallest worm will turn, being trodden on » (« Le plus frêle serpent se retournera contre qui l’écrase »), qui a donné le dicton « Even the worm will turn » signifiant que poussée dans ses retranchements, même la plus faible des créatures se rebiffera. Mais ici, notre vermisseau se contente de se retourner sur lui-même.

28 juIN 1925 — KALLALILLI [CALLA LILY]Il s’agit de la calla (Zantedeschia æthiopica), une plante tubéreuse de la famille des Araceæ originaire d'Afrique du Sud et devenue envahissante aux USA. Également appelée lys calla, lys arum, arum d’Éthiopie, c’est l’arum blanc des fleuristes. Extrêmement toxique du fait de sa haute teneur en acide oxalique, son contact peut causer irritations et lésions des yeux, de la peau et des muqueuses.

5 juILLet 1925 —voir 15 février 1925.

2 AOût 1925 —Le lecteur aura peut-être remarqué, dans la première case, au mur de la petite maison, le patronyme de Sid Wilson, et dans l’avant-dernière, au-dessus de nos coconiniens usagers, ceux de J.P. O’Farrel, D.C. Lowrey et Colville (La Osa, Red Lake, The Gap et Kayenta étant des noms de lieux). Sid Wilson était un cowboy et aventurier texan qui, après avoir quitté le Wild West Show de Buffalo Bill alla chercher fortune à Lee’s Ferry, un site sur le fleuve Colorado, dans le Comté de Coconino, à 15 km au sud de la frontière entre l’Utah et l’Arizona, jadis connu pour sa communauté mormone et ses prospecteurs, aujourd’hui considéré comme le début officiel du Parc national du Grand Canyon. J.P. O’Farrel était un marchand de Tuba City, la plus grande communauté de la Nation Navajo, dans le Désert Peint, non loin du Red Lake. David Crockett Lowrey – "Buck" pour ses associés – était un marchand du Gap. Il ouvrira ensuite un comptoir à Lee’s Ferry. Clyde Colville était un bon ami de Herriman, et un partenaire des Wetherhill, le couple de pionniers, négo-ciants et ethnographes chez qui Herriman demeurait lors de ses séjours en Arizona. Il était également le directeur des postes de la région de Kayenta. Herriman envoyait régulièrement des films pour qu’ils soient projetés au sana-torium de Kayenta, et Colville était la cheville ouvrière de l’opération. La Osa est une des dernières grandes haciendas encore préservées, grâce à Louisa Wetherill qui, en 1921, alors qu’elle cherche une tribu perdue de Navajos, découvre ce site historique et le transforme en une demeure d’hôtes devenue légendaire.

9 AOût 1925 — "seLDÉsIeN"Herriman parle ici d’un distingué « patron des arts » nom-mé Gilbert Seldes, le premier à célébrer les merveilles de la bande de Coconino, en 1924, dans son best-seller The Seven Lively Arts, première œuvre d’envergure à oser suggérer que le comic strip pourrait bien être une nouvelle forme d’art (Chut ! La notion fait encore scandale !).

16 AOût 1925 —Que vient faire cet arbre empoté au milieu de la harangue du Sergent Pupp sur la noblesse de la brique  ? Un coup d’œil aux pages suivantes révèlera d’autres vignettes cen-trales apparemment tout aussi incongrues, et ce presque jusqu’à la fin de ce volume. Le responsable n’est évidem-ment pas Herriman, mais nul autre que son principal men-tor et champion parmi les journalistes nationaux, W. R. Hearst, soucieux de faire savourer à une plus vaste audience la superbe sorcellerie secrétée chaque semaine par le ballet de briques herrimanien. Hearst n’est que trop tristement conscient de l’aversion ressentie par le grand public des quotidiens. Et en 1925, il pense avoir trouvé une possible solution : frapper son énorme lectorat entre les deux yeux – zip, pow ! – en offrant à la brique un espace panoramique dans la première double page de l’édition dominicale de son quotidien vedette, le New York Evening Journal. Pour obtenir l’impact désiré par W.R.H., seules huit cases, très agrandies par rapport à celles du strip au format tabloïd, étaient nécessaires  : quatre au bas de chaque page. L’effet était grandiose. Mais les autres quotidiens de Hearst, cha-cun avec son directeur, ne voulurent pas de cette apothéose cartoonistique dans leurs pages, amplement satisfaits de la version tabloïd qu’ils publiaient jusque-là. Le remontage au format tabloïd des huit grandes cases à présent dessi-nées par Herriman, cependant, laissait au centre un grand trou qu’Herriman, avec une félicité caractéristique, combla d’une vignette sans rapport [à première vue] avec la fan-tasque sarabande coconinienne alentour. À l’encontre du but recherché, le nouveau formatage permettra également aux éditeurs désireux de limiter da-vantage encore l’espace de la bande en la remontant sur une demi-page.

20 sePteMBRe 1925 — KOKONINOMalgré la propension de Herriman à substituer, tout au long de son œuvre katienne, des « k » sonores aux « c » réglementaires, il laissa généralement intouché le nom du lieu, un bien réel Coconino County, en Arizona. Cet usage est une des rares exceptions (voir également le 14 octobre 1928).

27 sePteMBRe 1925 — HOue HAIe tu, "IGNAtZ" ?Cette interrogation plaintive qui, sous divers atours, ne cesse de revenir dans la bouche de Krazy (voir 10 janvier et 5 décembre 1926) renvoie au célèbre vers de Juliette, «  O  Romeo, Romeo, wherefore art thou Romeo?  » (Romeo and Juliet, 2, 827) et aux générations de collégiens à qui il a fallu – et faut encore – rabacher que wherefore ne voulait pas dire où, mais pourquoi. « Pourquoi es-tu Romeo ? » demande en effet Juliette au jeune homme. « Renie ton père et refuse ton nom ». Dans la planche du 10 janvier 1926, au « Où es tu, "Ignatz" ? », Krazy ajoutera d’ailleurs « Et pourquoi ? ».

4 OCtOBRe 1925 — veAu De LuNe(mooncalf) Animal difforme, monstre. Épithète dont Shakespeare taxe Caliban, le serviteur de Prospero, dans La Tempête (The Tempest, 2, 1149, 1154, 1180 ; 3, 1371-1372) pays de lait et de miel Mots décrivant dans la Bible le pays de Canaan, au moment où Israël le découvre.Nombres 13:27 ; Deutéronome 6:3, 11:8-9.

6 DÉCeMBRe 1925 — OIseAu Du MAtINVariation herrimanienne sur « Early bird gets the worm » (L’oiseau du matin attrape le ver), version anglaise de notre dicton « L’avenir appartient à celui qui se lève tôt ».

20 DÉCeMBRe 1925 — sIR "WALteR RALeIGH"Le nom de cet aristocrate anglais (1554-1618) – poète, soldat, espion et explorateur, introducteur du tabac à la cour et inlassable chercheur de l’Eldorado – est entré dans la mémoire populaire comme un symbole d’esprit chevale-resque et galant. D’après la légende, il aurait jeté son somp-tueux manteau sur une flaque boueuse pour éviter que la reine Élisabeth Ire (dont il fut un soupirant et favori) ne se souillât les pieds.

10 jANvIeR 1926 — HOux HAIe tuvoir 27 septembre 1925.

17 jANvIeR 1926 —Herriman adorait passer ses heures de loisir, loin de Higgins et Strathmore [encre de Chine et papier], aux studios Keystone, à côté de chez lui, où ses camarades du slapstick batifolaient chaque semaine dans deux nouveaux two-reelers [films de deux bobines, ou 20-24 minutes], pour ses grandes joie et édification. L’atmosphère ainsi capturée ressort un peu dans cet épisode très cinématographique, au plus grand délice de tous, sauf d’Ignatz qui aurait mieux fait de déguiser sa "brique" en tarte à la crème Keystone dont ni pluie ni kop n’auraient pu empêcher, sur ce plateau, la collision avec la cabeza de Krazy.

31 jANv., 25 AvRIL 1926; 10 NOv. 1929 — CHINKCette offensive épithète, désignant un Chinois et, par exten-sion, toute personne d’originaire extrême-orientale, est bien connue des lecteurs de l’album de Tintin, Le Lotus bleu (1934), où Gibbons, le riche et antipathique industriel américain, en fait un usage immodéré. Elle est inséparable, à l’époque, de la phobie hystérique du péril jaune – cette invasion annoncée de l’Occident par des hordes d’envahisseurs asiatiques – entretenue entre autres par la presse Hearst.

14 FÉvRIeR 1926 — PReNDs çA !!!Après le « Wherefore are you ? » sempiternel de Krazy (qui dans son esprit veut dire « Où es-tu ? » (voir 27 septembre 1925), le « Have at you ! » d’Ignatz – que l’on peut traduire par « Prends ça ! », « Voilà pour toi ! », « En garde ! » – est la deuxième locution shakespearienne la plus fréquente dans Krazy Kat. Cette exclamation, indiquant que l’on est sur le point de frapper la personne à qui elle est adressée (généra-lement avec une épée ou une arme de poing), est présente chez Shakespeare dans une dizaine de pièces, dont Hamlet (5, 3776) lorsque, au dernier acte, Laertes lance une attaque sournoise contre Hamlet, et Roméo et Juliette. Dans cette dernière, référence absolue pour Krazy Kat, elle est proférée au début, par Tybalt au moment où il se rue sur Benvo-lio (1, 70), à la fin, par Roméo, quand provoqué par Pâris il l’invite à se battre (5, 2923), et, entre les deux, au sens figuré, par le second musicien qui défie Peter des traits de son esprit acéré (4, 2701).

28 MARs 1926 — vOtRe "vAIsseAu" ARRIveLocution. « When ship comes in », ou « quand le vaisseau [de quelqu’un] arrivera » signifie « quand [cette personne] deviendra riche et couronnée de succès ». Hosteen : Terme navajo de respect, pour les hommes, signifiant « honoré ».

16 MAI 1926 — AIGuILLes HuRLANtesLes « Thunder Needles », une des formations géologiques spectaculaires de Monument Valley.

23 MAI 1926 — "AjAx"Ajax fils d’Oïlée, héros de la guerre de Troie  ; si intrépide, dit le poète, que les Dieux, avec leurs foudres et leurs tempêtes, ne purent dompter son audace. Son bateau englouti, hissé sur un rocher, il les bravait encore. Kiva : Pièce ronde, profondé-ment enterrée, où les Indiens Pueblos tiennent cérémonies religieuses et conseils sacrés.

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11 juILLet 1926 —Depuis son apparition vers 1200, la fable des souris atta-chant un grelot à la queue du chat – connue dans le monde anglo-saxon sous le nom de Belling the Cat et immortalisée, chez nous, par La Fontaine et son Conseil tenu par les rats – a connu un succès constant, au point de devenir proverbiale. Voir aussi 11 novembre 1928.

18 juILLet 1926 — sWeet As tHe ROses IN suNsHINeRemix ignatzien de «  Baby, Baby  » (paroles de Hugh Morton, musique de Gustave Adolph Kerker), une chan-son de l’opérette The Lady Slavey, jouée au Casino Theatre, à New York, en 1896. En voici le premier couplet :

Lovers are silly young things, you know.And I am as silly as any;I've worn two engagement rings, you know,But two, you'll agree, are not many.My heart was once put in a whirl, you know,I think, by a fellow named Willie;He called me his dear baby girl, you know.And I liked it, although it was silly.For there's something in the term of baby, baby.That is the name I love;It's sweet as the perfume of roses.It's soft as the coo of a dove.My sweetheart may call me his darling.His queen, or his sugar plum, maybe;But 'tween you and me, I'd rather that heShould call me his dear little baby.

Les amants sont des p’tit’s choses stupides, voyez.Et moi comme n’importe qui ;J’ai porté deux bagues de fiançailles, voyez,Mais deux, c’est peu, vous en conviendrez.Mon cœur a été tout r’tourné, un’ fois,Par un gars nommé Willie, je crois ;Il m’appelait son petit bébé, voyez.Et j’aimais ça, tout idiot que ce soit.Car il y a quelque chose dans ce mot, bébé, bébéC’est le nom qui me plaît ;Suave comme le parfum des roses,Doux comme le roucoulement d’une colombe.Mon p’tit ami peut m’app’ler sa chérie, Sa reine ou son nounours en sucre, pas vrai ?Mais entre vous et moi, j’préfèr’raisQu’il m’appell’ son petit bébé.

25 juILLet 1926 — GueRDONRécompense. Herriman aime employer des mots archaïques, souvent d’origine française – comme celui-ci, d’une graphie identique dans les deux langues.

17 OCtOBRe 1926 — teRRe HeuReusevoir 11 janvier 1925.

31 OCtOBRe 1926 — Les "KAts" AttIReNt LA "FOuDRe"Sans fondement aucun, une croyance tenace du sud des États-Unis veut que les animaux, les chats en particu-lier, attirent la foudre. Les relations de la gent féline avec l’électricité ne datent pas d’hier. Le mathématicien grec Thalès de Millet (~625 env.-env. ~547) fut un des premiers à observer le phénomène d’électrisation obtenu en frottant un morceau d’ambre jaune (en grec, elektron). Et il y a peu, on définissait encore, en cours de science, l’électricité néga-tive comme celle produite en frottant un tube de verre poli avec une peau de chat.

21 NOveMBRe 1926 — suLtAN, HAReMLe thème du sultan (et de son harem !) n’est pas neuf pour Herriman, qui l’a déjà traité quinze ans auparavant, presque jour pour jour, à l’époque où Krazy et Ignatz s’ébattaient encore sous les pieds des Dingbat. Mais – une fois n’est pas coutume – peut-être a-t-il été inspiré, ici, par l’actualité. 1926 en effet a été riche en sultaneries (en l’occurrence celles de Moulay Youssef, Sultan du Maroc, alors sous protectorat français), dûment rapportées par la presse. Le 16 mai, pour la première fois depuis la construction du palais de Moulay Abdallah quatre siècles auparavant dans les faubourgs de Fès, les femmes du harem du Sultan, accom-pagnées par les eunuques de la maison royale, sont sorties faire un tour dans l’ancienne cour d’honneur adjacente, où se tenait la foire de Fès. Les lieux avaient été auparavant vidés de tous les ouvriers et visiteurs de sexe masculin, mais la seule nouvelle donnait à rêver. Le 12 juillet, le Sultan du Maroc, précédé de 100 pachas et caïds, arrive en France. Des fastes élyséens à ceux de la riviéra, les journaux des deux côtés de l’Atlantique se font lar-gement l’écho de cette visite officielle sans précédent. Seule ombre au tableau, déplorée par tous  : l’absence des jolies femmes du Sultan, laissées à la maison. Le 25 octobre, c’est Marrakech qui réunit plus de vizirs et de belles houris que tous les contes des Mille et une nuits pour célébrer le mariage de l’héritier du Sultan et de ses frères.

5 DÉCeMBRe 1926 — CHeRCHe et tu tROuveRAsMathieu 7:7 Demandez, et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. Houe haie tu don : voir 27 septembre 1925.

12 DÉCeMBRe 1926 — AH-H-H – Le "HâLe"La mode du bronzage, lancée par inadvertance par Coco Chanel après avoir pris un coup de soleil sur la Côte d’Azur, est encore toute neuve. Et l’on assiste à cet éton-nant spectacle  : tandis que les femmes blanches cultivent avec ardeur ce hâle hier encore fui comme la peste (ainsi qu’en témoignent des strips plus anciens de Krazy Kat), les femmes noires se ruent dans les black beauty parlors – qui feront de Madame C. J. Walker la première milliardaire noire – pour se faire éclaircir la peau à grands renforts de pommades blanchissantes. Du pain sur l’eau  !! : Ecclésiastes 11:1 Jette ton pain sur la face des eaux car tu le retrouveras après bien des jours (version John Nelson Darby, 1872). Autrement dit, un bienfait n’est jamais perdu. Herriman semble avoir une affection particulière pour cette parabole, qu’il a déjà

utilisée plusieurs fois. Dans le strip du 13 septembre 1919, à Ignatz qui lui demande ce qu’il fait planté là à fixer la rivière, Krazy répond : « Je viens de jeter une miche de pain à l’eau, et quand elle reviendra au centuple, j’ouvrirai une boulange-rie ». Un an plus tard, le 28 septembre 1920, Krazy a jeté, cette fois, un penny, et attend de voir revenir un dollar.

19 DÉCeMBRe 1926 — PReNDs çAvoir 14 février 1926.

16 jANvIeR 1927 —Ce traité sur la transmigration des ap-pendices à Coconino County consti-tue probablement la planche la plus déjantée de Krazy Kat jamais impri-mée. On soupçonne une récente appendicectomie dans le ménage Herriman (avec les Ow ! et les Oy ! ici dépeints) d’être à son origine. (Et, mazette ! que n’apprend-on pas sur les machinations en coulisses dans l’officine de Joe Stork…)

30 jANvIeR 1927 — … veuve DANs uN KOttAGe…Numéro 2, après «  The Happy Land  » du hit-parade krazykatien, « The Widow in a Cottage by the Sea » est une ballade populaire écrite par Charles A. White, publiée à Boston en 1868.

The Widow in the Cottage by the Sea.

Just one year ago today, love,I became your happy bride,Changed a mansion for a cottage,To dwell by the river side;You told me I'd be happy,But no happiness I see,For to-night I am a widowIn the cottage by the sea.

Chorus. Alone, all alone by the seaside he left me.And no other's bride I'll be.For in bridal flowers he decked meIn the cottage by the sea.

From my cottage by the seasideI can see my mansion home;I can see those hills and valleys,Where with pleasure I have roamed;

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The last time that I met him,Oh, how happy then were we, But to-night I am a widowIn the cottage by the sea.-Chorus.

Oh, my poor and aged father,How In sorrow he would wail;And my poor and aged mother,How in tears her eyes would swell;And my poor and only brother,Oh, how he would weep for me,If he only knew his sisterWas a widow by the sea.-Chorus.

La Veuve dans le Cottage au bord de la Mer

Il y a tout juste un an, mon amour,Je suis devenue ton heureuse épouse,Échangeant ma demeure contre une chaumière,Pour vivre au bord de la rivière ;Tu m’as dit que je serais heureuse,Mais de bonheur je ne vois guère,Car ce soir je suis une veuveDans le cottage au bord de la mer.

[ Refrain] Seule, toute seule en bord de mer il m’a laissée.Et de nul autre je ne serai l’épouse.Car de fleurs de noces il m’a couverteDans le cottage au bord de la mer.

De mon cottage en bord de merJe peux voir mon ancienne demeure ;Je vois les monts et les vauxQue j’arpentais dans la joie ;La dernière fois que je l’ai vu,Oh, que nous étions heureux alors,Mais ce soir je suis une veuveDans le cottage au bord de la mer. [Refrain]

Oh mon pauvre vieux père,Comme il gémirait de douleur ;Et ma pauvre vieille mère,Comme les larmes gonfleraient ses yeux ;Et mon pauvre et unique frère,Oh, comme il pleurerait pour moi,S’il savait seulement que sa sœurEst une veuve au bord de la mer. [Refrain]

6 FÉvRIeR, 20 NOveMBRe, 4 DÉCeMBRe, 11 DÉCeMBRe 1927 et 24 juIN 1928 —Si l’absence de ces dates vous a alarmés, ne vous torturez pas davantage ! Les planches publiées ces jours-là étaient des reprises de celles (respectivement) des 6 juillet, 17 août, 10 août, 25 mai et 20 juillet 1924.

27 FÉvRIeR 1927 — CHIeN ROuGeApparenté au loup et au lycaon, le dhole (cuon alpinus), également appelé chien sauvage d’Asie ou chien rouge, haut d’une cinquantaine de centimètres au garrot, ressemble à un gros renard au pelage rouge-brun.

L’Insigne du courage : Premier (1895) et plus fameux roman de Stephen Crane (1871-1900), sur un jeune soldat de l’armée de l’Union qui, pendant la Guerre de Sécession, fuit le champ de bataille, il va asseoir la réputation du jeune écrivain. En tant que correspondant, il couvrira pour le New York Journal de Hearst la guerre gréco-turque de 1897 et la guerre hispano-américaine de 1898.

13 MARs 1927 — "KAtNIP"Herbe aux chats – Les lecteurs fréquentant matous et mi-nettes connaîtront déjà les effets euphorisants et excitants sur nos félins domestiques de l’herbe aux chats, terme recouvrant plusieurs espèces de plantes du genre Nepeta, de la famille des Lamiaceæ. L’intoxication (joyeuse) est un thème récurrent dans Krazy Kat, bien au-delà de cette période de prohibition. Le 15 mai 1936 – l’alcool coule alors de nouveau à flots depuis près de trente mois –, pour aider Mr. Meeyowl, ex-millionnaire et roi du catnip, à se refaire, Krazy Kat part pour une quête digne de celle du Graal à la recherche du katnip ultime  : le Tiger Tea, ou Thé du Tigre. Si certains commentateurs ont pu distinguer dans le simple Katnip, outre celle, temporaire, de l’alcool, une parabole de la mari-juana, que voir, à ses puissants effets, dans ce Tiger Tea dont nous espérons vous offrir un jour la saga ?! Kit Kat Ket Rats : Face à une telle perfection nous avons préféré laisser la vignette centrale en v.o. « Rats » est une exclamation de frustration et de mécontentement.

20 MARs 1927 — OPOssuMÉEn cas de danger, l’opossum d’Amérique du Nord est connu pour « faire le mort », illusion parfaite par une odeur pesti-lentielle. Il s’agit d’un comportement réflexe non maîtrisé par l’animal, qui entre réellement en catalepsie. D’où la question de Krazy.

1eR MAI 1927 — QuAND t’ÉtAIs uN têtARD et MOI uN POIssON…je t’aimais déjà, clame, à la fin du premier couplet, le célèbre poème du reporter sportif et correspondant de guerre Langdon Smith (1858-1908) intitulé Evolution, mais le plus souvent nommé d’après son vers initial.

When you were a tadpole and I was a fishIn the Paleozoic time,And side by side on the ebbing tideWe sprawled through the ooze and slime,Or skittered with many a caudal flipThrough the depths of the Cambrian fen,My heart was rife with the joy of life,For I loved you even then.

Quand t’étais un têtard et moi un poissonAu PaléozoïqueEt côte à côte, à marée basseNous nous prélassions dans la vase et la boueOu nous agitions à grands coups de nageoireDans les marais du Cambrien,Mon cœur débordait de joie de vivre,Car je t’aimais déjà alors. Le choix de ce poème n’est pas innocent. Il inscrit l’amour de Krazy et Ignatz dans l’éternité. Dans un strip de 1926, Krazy demande à Ignatz : « Si je vivais un million d’années, aimerais-tu aussi vivre un million d’années ? » « Tout dépend de "Kolin Kelly" », répond Ignatz, « Sera-t-il en activité aussi longtemps ? » Et Krazy de se mettre à chanter !

15 MAI 1927 — vIeNs à tA FeNêtReIgnatz chante ici le premier vers de la sérénade du Don Giovanni de Mozart. Dans la première scène de l’acte 2, Don Giovanni et son valet Leporello ont échangé leurs vêtements. Et pendant que le valet, sous les atours de son maître, occupe Elvire, Don Giovanni en Leporello sérénade sa servante :

Deh, vieni alla finestra, o mio tesoro, deh, vieni a consolar il pianto mio. Se neghi a me di dar qualche ristoro,davanti agli occhi tuoi morir vogl'io. Tu ch'hai la bocca dolce più che il miele, tu che il zucchero porti in mezzo al core, non esser, gioia mia, con me crudele, lasciati almen veder, mio bell'amore!

Allez, viens à la fenêtre, ô mon trésorallez, viens consoler mes pleurs.Si tu refuses de me donner réconfort,devant tes yeux mourir je veux.Toi qui as la bouche plus douce que le miel,toi qui portes le sucre au milieu du cœur,ne sois pas, ma joie, cruelle avec moi,laisse-toi au moins voir, mon bel amour !

Oh mon amour… toujours : ajouté par Ignatz pour faire bonne mesure, est un clin d’œil à Roméo et Juliette où Sha-kespeare se moque des sonnets pétrarquiens à l’eau de rose par la voix de Mercutio, qui clame à Roméo : « Dis seulement deux vers et je serai satisfait / Crie juste "hélas !", fais rimer "amour" et "toujours" ; » (Romeo and Juliet, RSC, 2.1, 11-12).

6 juIN 1927 —Cette page a été réimprimée comme la deuxième planche du dimanche en couleur le 8 juin 1935. Aucun autre Sun-day noir et blanc n’a connu ce traitement. L’épisode en rappelle un autre, du 6 avril 1919. C’était alors Krazy qui collait la brique au plancher pour faire une farce à Ignatz.

27 juIN 1927 — sYCOMORe – sIC !Un aliso n’est pas un sycamore (nom générique, en Amérique du Nord, du platane), mais un aulne (en anglais, alder). Cepen-dant, l’emploi de ce mot, évoquant irrésistiblement la ma- ladie d’amour (sick amor), rappelle celui qu’en a fait, pour la même raison, Shakespeare au début de Roméo et Juliette (1, 123), lorsque Benvolio narre à Lady Montague comment il a trouvé Roméo se morfondant dans un bosquet de sycomores.

4 sePteMBRe 1927 — MARIPOsA, MARIPOsA De LINDAs COLORAsVersion katienne de la chanson de Manuel Fernández Palomero (paroles) et José padilla (musique) Princesita, enregistrée dès 1922 par le ténor Tito Schipa sur RCA Victor, sous la direction de Josef Pasternack. Un nouvel enregistrement est sorti en 1926.

Princesita, Princesita la de ojos azules y labios de granaMariposa, mariposa de lindos colores, florecilla de alegres mañanasMira, al que a tus plantas suspiraQuiere, al que adorandote muereBesa, mi encantadora PrincesaCual, con tus ojos azules, tus labios de grana,tus lindos colores, cautivan el alma!

Mírame, quiéreme, bésame, bésame.

En tus ojos hay sol de esperanzaEn tu cuerpo el olor de clavelesEn tu risa yo sentí mi alegríaY en tu boca el dulzor de las mieles

Mi princesa, yo te quiero, quiéreme porque me muero.

Princesita, Princesita la de ojos azules y labios de granaMariposa, mariposa de lindos colores, florecilla de alegres mananas

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Petite princesse, Petite princesse aux yeux d’azur [ et aux lèvres grenatPapillon, papillon aux jolies couleurs, petite fleur [ des lendemains heureuxRegarde, celui qui à tes pieds soupireAime, celui qui, t’adorant, se meurtembrasse, ma Princesse enchantéeCelui, dont tes yeux d’azur, tes lèvres grenat,tes belles couleurs captivent l’âme !

Regarde-moi, aime-moi, embrasse-moi, embrasse-moi.

Dans tes yeux tu as le soleil de l’espoirDans ton corps l’odeur des œilletsDans ton sourire j’ai senti ma joieEt dans ta bouche la douceur du miel

Ma princesse, je t’aime, aime-moi car je me meurs

Petite princesse, Petite princesse aux yeux d’azur [ et aux lèvres grenatPapillon, papillon aux jolies couleurs, petite fleur [ des lendemains heureux

11 sePteMBRe 1927 —La paix est au centre des débats à la 24e conférence de l’Union Interparlementaire qui se tient à Paris, au Palais du Luxembourg, en août 1927, et à la réunion de la Ligue des Nations à Genève en septembre. Voir 30 décembre 1928. Oh, fi, fi : Citation shakespearienne. Expression de dégoût de Hamlet face aux usages du monde et au compor-tement de sa mère (Hamlet, 1.2, 319).

25 sePteMBRe 1927 — "KIttIN Ket"Le rejeton de Mr. Meeyowl, le riche roi du Katnip, est loin d’être un nouveau venu. Sa spécialité est de se perdre, et ses mésaventures ont déjà alimenté plusieurs continuités dans les strips quotidiens. Cette planche est l’épilogue d’une série de douze strips consécutifs parus entre le 5 et le 17 septembre. Lors d’un épisode précédent, réfugié chez Krazy (qu’il aurait bien vu, après avoir hésité à l’appeler papa ou maman, épouser son milliardaire de père), il s’était amoura-ché d’un petit cousin d’Ignatz, un souriceau noir prénom-mé Marmaduke, qui s’était mis à lui lancer des briques, reproduisant ainsi, dans des couleurs inversées, la relation de Krazy et Ignatz.

2 OCtOBRe 1927 — tOut seu-euL… j’suIs sI tOut seuLKrazy entonne ici la ballade autobiographique d’Irving Berlin « All Alone » (1924), qui, chantée à la radio par le ténor John MacCormack va devenir un succès immortel, repris par les plus grands, de Frank Sinatra à Thelenious Monk, d’Ella Fizgerald à Shirley Bassey. En voici le refrain :

All aloneI’m so all alone There is no one else but you All alone by the telephone And I wonder when you’ll call again

I’m all alone ev’ry evening All alone, feeling blue Wond’ring where you are and how you areAnd if you are all alone too

Tout seulJe suis si seulIl n’y a nulle autre que toiTout seul près du téléphoneEt je me demande quand tu rappelleras

Je suis tout seul tous les soirsTout seul, bluesyÀ me demander où tu es, comment tu vasEt si tu es seule toi aussi

9 OCtOBRe 1927 — CeINtuReL’électricité, toute neuve, n’a encore rien perdu de sa ma-gie, et les charlatans se bousculent pour proposer aux gogos des ceintures censées soigner tous les maux, et réveiller la libido. Mais quand le courant ne passe pas, quel meilleur fournisseur qu’un chat ? (voir 31 octobre 1926)

23 OCtOBRe 1927 — AZOIMot yiddish signifiant « comme ça », « exactement ».

30 OCtOBRe 1927 — ReGARDeR uN ROIDu proverbe A cat may look at a king (« Un chat peut regarder un roi ») signifiant que même un soi-disant inférieur a quelques prérogatives face à un soi-disant supérieur. D’ori-gine inconnue, on le trouve imprimé pour la première fois en 1562 dans les Proverbs And Epigrams de John Heywood (1497-c. 1580), personnage haut en couleur – poète, écri-vain et dramaturge anglais, grand-père du poète John Donne – qui malgré sa religion catholique et son franc par-ler servira quatre souverains dont le redoutable Henry VIII avant de s’exiler en Belgique.

27 NOveMBRe 1927 —Des pages hors-format comme celle-ci apparaissent occa-sionnellement dans les épisodes de Krazy Kat distribués par le syndicate au cours des années 1927 et 1928. La plupart de ces pages (peut-être même toutes) étaient des reprints d’années précédentes (voir ci-dessus et ci-dessous)  ; il se peut que leur publication ait correspondu à des délais man-qués ou des épisodes de maladie (en particulier la séquence de cinq planches consécutives dont celle-ci est la deu-xième). En tout cas, toutes semblent avoir disparu des jeux d’épreuves diffusés à l’époque. Quoi qu’il en soit, quelques planches par ailleurs intraçables comme celle-ci (et celle du 12 août 1928, voir ci-dessous) peuvent représenter des planches déjà dessinées par Herriman et mises de côté au moment de la mise en place trop soudaine, peut-être, de la nouvelle formule du New York Journal (voir plus haut). Les microfilms du Journal pour les dates concernées montrent que les planches hors-format ont été imprimées sur une seule page au lieu des deux pages habituelles. Un mystère.

18 DÉCeMBRe 1927 — KAtNIPAinsi que le reflète cet épisode, les États-Unis étaient encore pris dans les abysses de la prohibition (voir 13 mars 1927).

25 DÉCeMBRe 1927 —Les «  Pattes d’éléphant  » sont un monument naturel de l’Arizona, comme la plupart des formations dépeintes dans la planche du 16 septembre 1928.

8 jANvIeR 1928 — CuAtRO MILPAsTrès ancienne chanson mexicaine sur la perte et l’amour. Heppy lend Voir 11 janvier 1925.

29 jANvIeR 1928 — AI CHINItA Que sIParoles de La Paloma. Très marquée par les rythmes cubains, cette chanson, composée et écrite par le compositeur espa-gnol Sebastián Iradier vers 1863, va devenir un des pre-miers hits planétaires.

19 FÉvRIeR 1928 —Tous les artistes cités au cours de la visite de cette exposi-tion sont des kartoonists habilement déguisés. Dans l’ordre d’apparition, à partir de la deuxième case : Rudy Dirks, créateur des Katzenjammer Kids ; Gus Mager, père de Hawk shaw the Detective ; Jimmy Swinnerton, géniteur de Little Jimmie et des Canyon Kiddies  ; Tad Dorgan, le plus grand dessinateur sportif des années 1910, et Dan Smith, à qui l’on ne doit aucun strip mais qui était un illustrateur de renom à l’époque. Tous des potes d’El Herriman.

Vin d’abeilles (bees’ wine) boisson fermentée maison, très populaire jusque dans les années 50. Faite d’ordinaire dans un bocal de verre conservé près de la fenêtre de la cui-sine, la culture – un mélange de levure et de bactéries – était baignée dans une mixture d’eau, de mélasse et de sucre roux. Liquide et sucre étaient renouvelés chaque semaine. La culture se multipliant, comme la mère du vinaigre, les gens en refilaient des morceaux à leurs amis pour qu’ils puissent faire leur propre « vin d’abeilles ».

1eR AvRIL 1928 — "BHuM–BHAY–RHuM"Bombay Rum (Rhum de Bombay). Rhum mélangé avec du jus de mangue, d’ananas et d’orange.

22 AvRIL 1928 —Contrairement à ce que l’on pourrait croire, si le 18e amen-dement prohibait la fabrication, le transport et la vente de l’alcool, sa consommation n’était pas interdite. Le "Sergent Pupp" se livre donc ici à un inique abus de pouvoir.

27 MAI 1928 — LOIR Ou sOuRIs De PORte ?Le petit animal que nous nommons loir dans cette page et souris de porte dans la suivante est bien un loir. En anglais, son sommeil légendaire l’a fait nommer dormouse. Mais de dor à door (porte), il n’y a qu’un « o », et la tentation était grande de réinventer son histoire. Si nous avons conservé « loir » dans un premier temps, c’est en hommage à celui d’Alice, ce dormouse qui avec le lièvre de Mars fait partie des convives d’Un thé chez les fous, et auquel Herriman a forcé-ment pensé. La « souris de porte » fait son apparition le 21 janvier 1922 dans un épisode – en couleur ! – mémorable pour avoir été reproduit et commenté avec force dithy-rambe, en 1924, par Gilbert Seldes dans The Seven Lively Arts, ouvrage pionnier dans l’exégèse laudatrice du bon kat. Cette page est une reprise de celle du 13 mai 1923, qui la mettait en scène pour la deuxième fois, laissant à pen-ser qu’Herriman l’a volontairement republiée comme un moment « klassique », ce qui l’a ensuite inspiré.

3 juIN 1928 — et Cette Aut’ P’tIte "sOuRIs"…Interprétant à sa manière l’expression Poor as a church mouse (« pauvre comme une souris d’église ») désignant un per-sonne vraiment démunie, Krazy fait trimballer au malheu-reux rongeur tout le saint édifice, bien plus lourd, on en conviendra, qu’une simple porte !

12 AOût 1928 —Encore un énigmatique strip «  hors-format  ». Herriman a-t-il, l’espace d’une semaine, ignoré sa contrainte ? A-t-il, comme suggéré, plus haut, repêché une ancienne planche inédite ? Ou bien est-ce un reprint dont vos humbles édi-teurs n’ont pu retrouver la trace ?

28 OCtOBRe 1928 —La planche de ce jour était une «  repasse  » de celle du 25 avril 1926. Peut-être le syndicate, considérant, face à la difficulté de publier ou remonter une planche hors-format, que le jeu n’en valait pas la chandelle, avait-il décidé, pour ses reprints, de piocher dans un passé plus immédiat.

22 juILLet 1928 — Les PLANs Les MIeux CONçus DessOuRIs et Des HOMMes sOuveNt vONt à vAu-L’eAu Vers, devenu proverbial, du poème de Robert Burns (1759-1796) To a Mouse, on Turning Her Up in Her Nest with the Plough (À une souris, en la retournant dans son nid avec la charrue). Il a inspiré à John Steinbeck le titre de son roman Des souris et de hommes.

2 sePteMBRe 1928 — CuAtRO MILPAsvoir 8 janvier 1928.

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16 sePteMBRe 1928 —Si les mitaines, dans la réalité, n’applaudissent pas, tous les « monuments » naturels décrits ici existent bel et bien. Après avoir constitué le décor quotidien de Krazy Kat, ils constitueront celui des westerns de John Ford.

23 sePteMBRe 1928 — LuNettes BLeuesLook through blue glasses (« regarder à travers des lunettes bleues ») : regarder les choses de manière biaisée, avec parti pris ou préjugé.

30 sePteMBRe 192 — FOLIe De LA DANseCes mots évoquent les diatribes de ceux – jusqu’à un juge de la Cour suprême ! – qui vilipendient la folie du jazz, de la danse et de la consommation de boissons illicites qui va avec.

11 NOveMBRe 1928 —voir 11 juillet 1926.

18 NOveMBRe 1928 — PRêteZ L’OReILLe Shakespeare, Pericles, RSC, 5.1, 87.

25 NOveMBRe 1928 — COLIBRI, ARBRe à MIeL Pour conserver toutes les implications du nom dans l’his-toire, nous avons traduit ainsi honey suckle – le chèvrefeuille – qui doit certainement son appellation, outre la forme pra-tique de ses fleurs (suckle = téter) pour papillons, abeilles et colibris, à son nectar et son parfum particulièrement doux (honey = miel). Parmi les nombreuses vertus de cet arbuste, ses feuilles et ses fleurs, en infusion, bue ou appliquée en compresse, sont un excellent détoxifiant et adoucissant pour les yeux. Espérons qu’Ignatz y a pensé, après avoir humé la « Kallalilli » (voir 28 juin 1925).

30 DÉCeMBRe 1928 —À cette époque, dans une orgie pacificatrice, les grandes puis-sances de la planète sabordent une partie de leur flotte de guerre. Signé à Paris le 28 août par 63 pays, le pacte Kellog-Briand, du nom des présidents américain et français, condamne le recours à la guerre. Voir 11 septembre 1927.Le Scott terrier que l’on aperçoit ici comme dans d’autres pages est un des animaux familiers de tout premier plan de Herriman, il appartient à une paire qui vécut presque aussi longtemps que lui.

3 MARs 1929 —Herriman s’est manifestement souvenu – avec délectation – du film Cops, de Buster Keaton (1922), dans cette folle reprise de quelques uns de ses concepts clés.

10 MARs 1929 —Un net hommage au slapstick tarte-à-la-crème de Keaton et consorts.

31 MARs 1929 — ARBRe à MIeLVoir 25 novembre 1928.

7 AvRIL 1929 —Cette page a été la première de Krazy Kat a être intégra-lement reproduite dans un grand magazine américain. Elle parut dans le numéro de juin 1929 du Golden Book Magazine, une revue de nouvelles publiée de 1925 à 1939, où le nom de Herriman côtoie ceux de Robert Benchley (Le Supplice des week-ends) et James Oliver Curwood.

14 AvRIL 1929 —Apparemment, le pote hollywoodien de Herriman, E. C. Segar, le créateur de Popeye (apparu dans le Thimble Thea-ter le 17 janvier) avait rendu une petite visite à Coconino County. Son stogie emblématique ne saurait mentir.

21 AvRIL 1929 — Ce sOIR je suIs uNe veuvevoir 30 janvier 1927.

19 MAI 1929 — ÉCHOvoir 1er février 1925.

23 juIN 1929 — BRONZAGevoir 12 décembre 1926.

28 juILLet 1929 — NOBLe GAusInfluent critique littéraire, professeur de langue et de littérature – françaises en particulier – à l’université de Princeton (dont il sera également le doyen) Christian Gauss, (1878-1951) était une figure importante de l’époque. Herriman a pu le connaître via Edmund Wilson, qui fut son élève.

11 AOût 1929 —Retour au libre format avec cette planche dominikale du Kat, curieusement suivie par trois autres sur le modèle à huit cases.

25 AOût & 1eR sePteMBRe 1929Ces deux planches ont de toute évidence été dessinées dans l’ordre inverse des dates indiquées par le syndicate. La chronologie herrimanienne a été rétablie, au détriment de celle du calendrier, mais pour le plus grand bénéfice de la continuité.

8 sePteMBRe 1929 — POOR LAMOOR De MICHeLTranscription phonétique de « Pour l’amour de Michel », traduction de l’expression populaire «  For the love of Mike », dérivée du juron adouci « For the love of Michael », en usage chez les soldats, dont saint Michel est le patron. Gracias Mary Burke Un petit mot de remerciement de Herriman, probablement pour l’idée utilisée ici.

3 NOveMBRe 1929 — sOuRIs BLANCHe sOuRIs NOIRe L’inversion des couleurs, ou , plus rarement, leur change-ment, revient sans cesse dans Krazy Kat. Voir 10 novembre 1929, 23 septembre 1928.

10 NOveMBRe 1929 — A MIO AMIGO "BLAKe WAGNeR"Encore un remerciement.

8 DÉCeMBRe 1929 —Encore du Keystone ! Lorsqu’il n’était pas à sa planche à dessin, Herriman passait le plus clair de son temps aux Studios Keystone de Mack Sennett, à Hollywood.

29 DÉCeMBRe 1929 — RAt tROQueuRLe rat à queue touffue (Neotoma cinerea), qui peuple les déserts et les montagnes du sud-ouest des États-Unis, a été surnommé « trade rat » (rat troqueur) pour sa curieuse habitude  : s’il rencontre sur son chemin un objet qui le tente alors qu’il porte déjà quelque chose, il échangera son fardeau contre sa nouvelle trouvaille.

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