-
Une passade de Donatade
Jean SibilUn grand salon avec un escalier, les volets sont
baisss (ferms). Un couple en tenue de ville,Xavier et Irne Gevrais,
elle la trentaine, lui la quarantaine; un homme en tenue plus
dcontracte, la trentaine, Robert.
1. Xavier : En haut ?Robert : Elle va descendre.Irne : Elle va
d'abord nous faire attendre. Jusqu'au moment o on sera exasprs. Je
connais ses raffinements.Robert : Elle a chang.Xavier (railleur) :
C'est une grande actrice; Donata change souvent.Robert : Elle a
renonc son art.Irne : Foutaise.Xavier : Vous nous avez bien annoncs
comme je vous avais dit ?Robert : Oui oui. Je ne connais pas votre
nom de toute faon. "L'homme l'impeccable complet."Irne : Et mon
chapeau ? Vous lui avez parl de mon nouveau chapeau ? (Il est trs
lgant et sobre; rien de comique.)Robert : A une poque o l'on n'en
porte plus gure, je n'aurais eu garde d'oublier. Curieusement cela
a sembl l'amuser, excusez-moi de ce terme, et je crois que c'est ce
dtailqui l'a dcide descendre.Irne : A nous faire poireauter.
J'aurais prfr un "non", alors je serais monte.Robert : Voil
Donata.Irne (stupfaite) : Vraiment ?Xavier ( mi-voix) : En ce cas
vous avez accompli un miracle.(Donata parat en haut de l'escalier,
dans une longue robe noire. C'est une trs belle jeune femme blonde,
d'une trentaine d'annes, aux traits rguliers; trs fine; la fragilit
est dans son attitude, ses gestes, mais de sa personne mane une
nergie rare; une increvable sant perce sous l'apparente
faiblesse.Elle commence de descendre lentement, dans le silence,
comme ailleurs, perdue. Une fois presque au milieu, d'une voix
basse, trs douce: )Donata : Excusez-moi si je vous ai fait
attendre... Je crois que je n'aurais pas d venir... Je... Oh, mon
Dieu, je me sens si perdue... si incertaine de tout... Je ne savais
que dcider... Robert m'a encourage descendre, alors je suis
descendue.Robert (doucement) : Mais bien sr; pourquoi pas ?
Viens.(Donata reprend sa descente lente, prcautionneuse.A deux
trois marches du bas : )Donata (aux Gevrais) : Pourquoi ne
m'avez-vous pas laisse ? Donata, en moi, tait morte; j'tais
heureuse.(Un silence.Elle descend les dernires marches.)Irne
(rompant le silence et l'embrassant) : Trs russie ta descente
d'escalier, ma chrie.Xavier (l'embrassant son tour) : Aprs deux
mois de rptition, tu as t la hauteur.Donata (indigne, s'animant) :
Mais je n'ai pas jou !
{C0A8C59 F- 6E8F -43c 4-8 453 -65D 208 276 F4 0}{ 766 444 2A-75
95- 4FF8- 9C79 -0BB2B97 887AE} {C0A8C5 9F-6E8 F-4 3c4- 845 3-6 5D20
827 6F40}
-
Robert : Bien sr que non !Xavier ( Robert) : Elle a le jeu dans
le sang, elle ne peut pas s'en empcher.Donata : C'est faux !Irne (
Donata) : Que dis-tu de mon nouveau chapeau ?(Donata a un petit
rire. Puis: )Donata : Il faut le porter lgrement inclin sur la
gauche. (Changeant elle-mme la position.)Voil.Xavier (en
connaisseur) : Oui, c'est mieux.Irne : Vraiment ? Il y a un miroir
quelque part ?Robert : Donata les a tous cachs sous des tissus de
diverses couleurs.Xavier (amus) : De petits rideaux de thtre ?Irne
: Un bout de tissu, a s'arrache, o y en a-t-il un ? L ? (Elle avise
un morceau de tissu rouge ple qui n'attirait pas l'attention dans
la tapisserie patchwork mais lgante. Elle tire d'un coup sec. On
voit apparatre un portrait de Donata.Un silence.Irne va vers un
autre grand morceau de tissu, vert ple, tire avec moins de
conviction; c'est un miroir.Tous s'y regardent un instant.)Donata
(mettant ses mains sur ses yeux) : Je ne veux pas !Robert
(doucement, la prenant dans ses bras) : Tu peux bien tre plusieurs
et mme innombrable, ma chrie, dans des tableaux, dans des miroirs,
je retrouverai toujours ma Donata parmi toutes les autres. La
vraie.Donata : Alors, la seule.Robert : La seule vraie.Xavier
(ironique) : Moi j'aime beaucoup la mienne.Irne ( Robert) : Vous la
verriez avec un chapeau. Quelle classe elle a ! Tu as raison,
chrie, il faut que je l'incline gauche.Donata (satisfaite) : Ah.2.
Robert ( voix basse, Donata) : Qui sont ces gens ?Donata : Ah oui,
tu ne les connais pas. (Railleuse.) Ce sont les Givrs.Irne
(faussement scandalise) : Oh.Xavier (tendant la main Robert) : Irne
et Xavier Gevrais, a,i,s. Mais le surnom ne me dplat pas.Irne
(serrant la main de Robert) : Et vous, Robert Vidal, je sais.Donata
(perfide) : Tu le sais comment ?Robert (logique) : Il a bien fallu
qu'ils connaissent mon nom pour trouver l'adresse.Donata (perfide)
: Oui, mais comment ?(Irne rit.)Xavier (tranquillement) : La mme
agence de dtectives que d'habitude. On peut s'asseoir ?
(S'asseyant, Robert.) Ils se sont spcialiss en Donata : protection,
recherche... et discrtion.Donata : C'est toujours Henri mon chien
de chasse ?Xavier : Toujours.Irne (enlevant son chapeau qu'elle va
poser sur un buffet) : Il te remercie du cadeau pour le baptme de
sa petite dernire. Sa femme y a t galement trs sensible.Donata : La
petite va bien ?Xavier : Naturellement.Irne : Toute leur famille
bnficie d'une clatante et insolente sant.Donata (mlancoliquement) :
Je n'ai pas eu cette chance.(Petit rire d'Irne.)
-
Xavier (faussement srieux) : Irne, ne glousse pas, s'il te plat,
quand Donata parle de sa sant dlicate.Irne (se rasseyant,
faussement confuse) : Je m'excuse, poux vnr. Mon inconduite me fait
honte.Robert (qui ne comprend pas) : Ben quoi, qu'est-ce qu'il y a
? Etre de sant dlicate n'a rien de risible.Irne (dramatique) :
Comme vous avez raison. Je suis une affreuse criminelle.(Donata
coute, amuse.)Xavier ( Robert, avec curiosit) : Vous avez dj vu
notre Donata malade ?Robert : ... Pas prcisment.Irne : Pourtant
avec tout l'alcool et les drogues qu'elle a ingurgits... d'autres
sont au cimetire pour moins que a.Xavier ( Robert) : Qu'est-ce qui
vous donne penser que notre Donata adore serait de sant dlicate
?Robert (navement) : Ben... elle me l'a dit.(Irne pouffe.)Xavier
(faussement svre) : Madame notre pouse, de la tenue ! Enfin !... (A
Robert, gaiement.) Et vous l'avez crue !Irne (en joie) : Depuis la
maternelle que j'ai envie de la soigner. Elle a toujours exig le
rle du docteur !Donata (soudain rieuse, marchant sur Irne) :
Tais-toi ou je te fais une coiffure l'iroquoise !Irne (joyeusement)
: Au secours ! (Se dbattant contre Donata qui lui attrape les bras,
Robert.) Elle a vraiment commis ce crime, savez-vous. Au lyce. Elle
m'a moiti tondue ! J'ai d, et c'tait la premire fois, porter un
chapeau... pour qu'on ne se fiche pas de moi !Donata (lui donnant
de petites tapes) : Tu te tais maintenant.Irne : Oui, matresse. Je
me tais.Donata : Promis ?Irne : Promis.(Donata de laisse tomber
assise ct d'Irne.)Robert (tonn, Donata) : ... Toi rieuse, je n'en
reviens pas.Xavier : Y a rien lamper ni becqueter, hein ?Robert :
C'est--dire...Irne (suppliante) : J'ai si faim. J'ai si soif.Xavier
: Elle vous a dit de jeter l'alcool bien sr, pour son rgime sec.
Vous avez regard sous l'vier de la cuisine, au fond droite ? C'est
l qu'elle planque l'ultime rserve d'habitude.(Robert regarde Donata
qui obstinment ne le regarde pas. Tout d'un coup il fonce vers la
cuisine, au fond du salon. Grimace de Donata.)Irne (critique, son
mari) : C'est malin. Pourquoi tu lui as dit ?3. Xavier : Pour qu'il
s'en aille. Donata, ma chrie, je ne suis pas venu pour du tourisme.
Plus de deux mois recluse, loin des mdias, ou tu rentres ou tu es
finie. On a parl de ta disparition, puis, comme il n'y avait plus
rien dire et crire, on a commenc de t'oublier. A toi de dcider,
mais fais vite. C'est maintenant.Irne (pour attnuer) ; Il t'aime
beaucoup, tu sais, mais l'amiti pour Xavier est lie aux affaires.
Il est comme a.Xavier : Le film qu'on te propose te propulsera du
niveau de vedette nationale celui de vedette internationale. Voil
en gros le scnar...Donata (criant, mettant les mains sur ses
oreilles) : Je n'entends pas ! Je suis sourde !Irne (pour attnuer
l'effet, Xavier) : Elle te fait confiance pour le scnario. Elle t'a
toujours fait confiance.
-
4. Robert (revenant avec la bouteille et deux verres, Donata) :
Je n'ai pris que deux verres, pour tes amis, mais peut-tre en
aurait-il fallu un troisime ? Donata : Non. Ne sois pas mchant...
J'avais oubli cette bouteille.(Robert la dbouche.Silence.)Robert
(pour meubler, regardant le portrait) : Quand j'ai vu ce portrait
dans une galerie, j'ai eu l'impression de te dcouvrir, de voir
l'artiste derrire ses masques dans les films et les pices. Les
autres, y compris les photos, ne te montrent que comme une femme
ravissante.Donata : ... "Ah vraiment ? Je n'en ai pas vu un seul
qui me plaise."Irne : Oh, l'exigeante !Xavier (amus) :
Pirandello.Irne (se souvenant) : Ah oui.Robert (leur prsentant
leurs verres) : Comment ?Irne : Merci.Xavier (rassrn et joyeux) :
Si ce n'est qu'une crise pirandellienne, alors a va.Irne : Sa crise
hugolienne a t terrible, tu te rappelles ? (A Robert.) Elle voulait
se suicider avec...Xavier (lui coupant la parole) : Et grignoter ?
Ma femme a une faim !Irne (surprise) : Quoi ?Xavier (svre) : Tu as
faim.Irne : Ah oui. (Hurlant.) J'ai faim !(Donata rit.)Robert (les
regarde, puis) : Je vais chercher des amuse-gueule.Irne : Oui. Des
gros !(Robert sort, remportant la bouteille.)5. Xavier ( Donata) :
Tu crois tre redevenue comme les autres, avec tes fentres fermes et
tes volets baisss alors qu'on est encore en t ? que le ciel est
d'un bleu magnifique ? Tu ne seras jamais normale. Oublie oui.
Normale jamais. Tu t'es mise dans un tombeau. Il en aura vite
marre.Donata : Marre, lui ? Non !Xavier : Alors, pourquoi est-ce
qu'il nous a laisss entrer ?Irne : Le fait est qu'on n'a pas eu
beaucoup insister.Xavier : Il est au bout de son dvouement l'amour.
Il ne le sait pas encore. Mais il cherche ouvrir les fentres et la
porte.Donata : Il ne me trahira pas.Xavier : Vous tes ici coups du
monde, enferms, comme dans une tombe. Vous tes des morts-vivants.
Mais tu seras la morte et il restera vivant. Donata : Il m'a sauve
de la drogue, il me retient la vie, je vis par lui.Xavier : Il
fatigue te retenir au-dessus du gouffre. Il a aim une vedette et tu
en es de moins en moins une.Irne : Quand tu te seras efface des
mmoires des autres, tu commenceras de t'effacer dans la sienne,
alors mme que tu seras devant lui.Robert (rentrant avec une
assiette charge) : Et voil le service pour affams.Xavier (prenant
un biscuit) : Merci. Parfait. (A sa femme qui n'y pense pas.) Eh
bien, mange !Irne : Ah oui. (Elle prend un biscuit qu'elle croque.
A Robert.) Mon estomac, monsieur Vidal, vous gargouille
merci.Xavier ( Robert) : Vous avez des projets d'avenir ou vous
avez l'intention de rester clotrs?Robert (firement) : Nous allons
bientt renouer avec la nature. Nous allons devenir fermiers.Xavier
(le biscuit en l'air, regarde Donata) : Fermiers ? Donata fermire ?
(Elle regarde dans le vide.)
-
Irne : Quand on tait au collge on a eu un stage la ferme toutes
les deux. (En confidence Robert.) On n'tait pas trs doues pour les
tudes, ni l'une ni l'autre. La paysanne a dcid de nous apprendre
traire une vache. (Donata a un petit rire ce souvenir et cache sa
bouche de sa main.) Cette vache n'tait pas contente, elle parlait
tout le temps mais elle avait un tel accent paysan qu'on ne
comprenait rien. (Nouveau petit rire de Donata; mme jeu de la
main.) Le paysan est venu aider sa femme dialoguer avec la vache.
Ils faisaient un barouf tous les trois ! Ah les sauvages ! On a
pris la poudre d'escampette, on a couru jusque chez nous, on ne
s'est pas retournes. (Donata et Irne rient, Xavier sourit, Robert
est perplexe.)Robert : Pourtant Donata adore les fermes. Elle m'a
dit avoir jou une fermire dans un tlfilm, que je ne connais pas,
quoique j'aie cru les avoir tous vus... (Xavier et Irne semblent
chercher mais ne trouvent pas.) Elle adorait le village en bois
autour de son tang...Irne (qui a l'illumination) : Ah oui ! Le
village de Marie-Antoinette Versailles ! (A Xavier qui visiblement
ne se souvient pas.) Elle a jou Marie-Antoinette, ses tout dbuts,
son deuxime ou troisime tlfilm. C'tait avant toi.Xavier (mprisant)
: La priode o elle cultivait les navets.Robert (choqu mais revenant
son ide) : ... On a parl longuement des choix effectuer, car on
doit tre ralistes, ne pas se lancer en nafs de la ville. Nous
allons apporter notre contribution dans la lutte contre les
pesticides et pour une nourriture saine.Irne : Vous avez parl tous
les deux ou elle a seulement cout ?Robert : Elle a une manire
d'couter qui est parlante.Xavier (perfide) : Elle ne vous a pas dit
? Nous lui avons prsent une contre-proposition.Robert (inquiet,
regardant Donata) : Une contre-...Xavier : Un film avec un grand
ralisateur. Qui la rendra tout fait clbre.Robert (bafouillant un
peu) : Elle n'aime pas la clbrit. (Il regarde Donata.) N'est-ce pas
?Donata : Je ne l'ai pas cout.Irne : Elle a jou la sourde. (Criant
et mettant les mains sur ses oreilles.) Je suis sourde !Xavier
(perfide, Robert) : C'est pour a qu'elle semble couter si
bien.Donata (elle se lve brusquement; Robert) : Ma vie passe est
derrire toi. Ne t'carte pas.Robert (qui ne comprend pas) : Comment
"derrire moi" ? Ta vie toi est derrire toi-mme, je pense...Donata :
Je t'ai mis entre elle et moi. a me fait moins peur que de la
sentir dans mon dos; prte m'agresser... me tuer. Tu me protges, tu
me sers de rempart. J'irai avec toi o tu voudras.Robert (gar) :
Mais nos projets... sont... ensemble...(Xavier sort son smartphone
et parat trs occup. Irne regarde dans le vide comme si elle voyait
le vide.)Donata : Je t'ai dit ce qui te ferait plaisir.Robert :
Oui... mais quand mme ! Marie-Antoinette !...Donata : C'est tout ce
que je connaissais... Et puis ce tlfilm n'tait pas si mauvais... On
devrait le ressortir dans les "Vidos la demande".Robert (berlu) :
Je croyais que tu ne pensais plus ... tout a.Donata : Bien sr,
chri, je n'y pense plus... Mais il m'a vexe l'autre, l, ce n'tait
pas du tout un navet.(Aucune raction de Xavier trs occup avec son
tlphone.)Irne (se levant) : Vous permettez que j'ouvre, je me sens
claustrophobe. (Sans attendre de rponse elle a pouss le bouton qui
actionne un volet, lequel commence de s'ouvrir. La lumire du soleil
entre peu peu. Elle reste devant la fentre, elle regarde le jardin
luxuriant qui apparat.)Robert ( Donata) : Es-tu sre que tu es une
femme pour moi ?
-
Donata (lgrement) : Je suis sre que tu es un homme pour moi,
chri, n'est-ce pas la mme chose ?Robert : ... Qui es-tu Donata ? Je
croyais le savoir. Je ne le sais plus.Donata : Qu'est-ce que tu
aimes en moi ?Robert (railleur) : J'ai toujours apprci les grandes
blondes fines, aux traits rguliers, aux belles formes rondes. A la
Botticelli, Lippi, Bellini...Donata (impatiente) : Tu aimes qui,
eux ou moi ?Robert : Ben, eux ils sont morts... (Donata rit et lui
donne des tapes. Il rit en reculant. Elle se met dans ses bras.)
Qui es-tu Donata, quand on te dpouille de Hugo, Corneille, Ibsen...
Pirandello... etc... All ? Il y a quelqu'un en-dessous de ces
oripeaux ?Donata (trs chatte) : Il y a Donata.Robert : Y est-elle
vraiment ? J'ai peur qu'il ne reste pas grand chose les vtements
enlevs.Donata : Ce n'est pas parce que tu ne m'as pas trouve que je
n'existe pas.7. Xavier (regardant son smartphone) : Il y a plus
grave que vos petits problmes de narcissiques nvross.Robert : Je ne
suis ni narcissique ni nvros.Xavier : Plus de trois cents morts
dans un accident d'avion...Irne (se dtournant de la fentre) : O
cela ?Xavier : Pas bien loin d'ici. Aux contreforts des
Alpes.(Donata et Robert s'cartent.)Irne : O est la tl ? Sous du
tissu, je suppose ? L ? Non... Ah ! Elle fonctionne au moins ?
(Irne prend la tlcommande ct, appuie sur un bouton, change de
chane... On voit une scne de dsastre, un appareil disloqu, des
fragments de corps; le commentaire du journaliste renseigne sur la
destination : Naples, sur l'heure du dpart : 10 h; incertitude sur
le nombre exact de passagers...)Robert (trs choqu) : Pauvres
gens.Irne : La descente quand tu sais que tu vas t'craser, ce doit
tre affreux.Xavier : Ils sentent arriver la mort de tous leurs
rves.(Donata ne regarde pas l'cran, elle est alle s'asseoir et lui
tourne presque le dos.)Robert (s'en apercevant, Donata) : Tu ne
viens pas voir ?... Tu ne dis rien ?(Donata ne rpond pas.)Irne
(dans un souffle, Robert) : Ne la tourmentez pas.Robert (impatient)
: J'attends juste d'elle qu'elle dise qu'elle plaint ces gens !Irne
( mi-voix) : Ne la brusquez pas.Robert (gar) : Quoi ?Xavier (fort)
: Elle ne peut pas comme nous se protger du drame par des banalits.
(Regardant Robert bien en face.) Elle ne peut pas rester l'extrieur
de ce qu'elle voit. Tout l'affecte "directement", ne le savez-vous
pas ? A quoi vous a donc servi tout ce temps pass avec elle ? C'est
surtout pour cette raison qu'elle se drogue.(Donata reste sans
raction, elle regarde vers la fentre.)Irne ( Donata) : Quel bel
effet ce soleil dans le feuillage des arbres.Donata (d'une voix un
peu lointaine) : Un soleil immuable.Irne : Avec toute la flotte
qu'on a reue sur le crne avant-hier, Xavier et moi, et Marseille
encore, on ne peut pas prtendre a.Donata (revenant, presque
intresse) : Alors, il a plu ?Irne : Oh que oui. Que d'eau, que
d'eau !Xavier : Emmne-la voir les fleurs. Il faut que je parle
Robert.Irne : Oui. (A Donata.) Viens, on va voir le jardin.(Elle
lui a pris la main et tire doucement.)Donata (se laissant entraner)
: Le jardin est fleuri ? Je ne le savais pas.
-
(Elles sortent sans que Donata se retourne.Xavier arrte la
tlvision.)8. Robert (perdu) : Qu'est-ce qu'elle a ? Elle m'en veut
?Xavier : L'indiffrence, pour Donata, c'est, comme disent les
policiers, crer un primtre de scurit.Robert (perdu) : Autour du
drame ?Xavier : Non, autour d'elle. Pour elle... Parce que si on
est trop sensible, on est victime.Robert (croyant comprendre) : Ah,
l'empathie...Xavier : Mais non, l'empathie c'est quand on a des
frontires, des barrires franchir pour se rapprocher des autres, et
il en reste toujours. Elle n'a pas de barrires.Robert : Je ne
comprends pas.Xavier : Imaginez un tre sans contours fixes, des
contours qui se modifient suivant ce qui les approche; cet tre
change de forme, d'aspect, il semble ne plus tre lui-mme aux
autres, et parfois lui-mme ne se retrouve plus. Donata est
ainsi.Robert : Avec moi, elle a toujours t trs... ordinaire.Xavier
: Avec vous, elle a t comme vous. Avec nous elle est comme nous.
Etc... Personne n'est "ordinaire", et elle est moins "ordinaire"
que personne.Robert : Je ne vous crois pas. Vous voulez nous
sparer.Xavier : Vous avez forcment lu les dtails de sa vie ? Son
accident de voiture et les heures attendre les secours avec le
conducteur mort ct d'elle, les mois d'hpital et de rducation, le
refus de sa mre de la revoir, le premier amour de sa vie s'est
suicid quand elle l'a quitt en crivant que c'tait cause d'elle, ses
compagnons finissent tous par la tromper, deux dpressions, trois
cures de dsintoxication... et j'en passe.Robert (irrit) : Des
ragots de magazines scandales !Xavier : Elle vous a dit a ?Robert :
... Non... Quand on voque son pass, elle a des propos si...
bizarres... cyniques, oui. Je ne la reconnais plus.Xavier
(railleur) : Quand elle redevient elle-mme, vous ne la reconnaissez
plus ?9. (Irne et Donata rentrent.)Irne : Superbes ces fleurs qui
ne connaissent pas le jardinier.Donata (s'est arrte; timidement
Robert) : Je suis triste pour ces gens, moi aussi.Robert (gn, sans
bouger) : On ne peut pas consoler leurs proches, on ne peut
malheureusement rien.Donata (sans bouger) : Tu m'en veux ?Robert
(sans bouger) : Non, bien sr que non... Moi je ragis trop
vite.Xavier (intervenant) : Et de faon superficielle.Irne (pour
changer de sujet) : Quand Donata sera fermire, elle aura un jardin
magnifique.Donata (s'avanant au centre de la scne) : Irne m'a
sermonne. (Souriant.) Mais je n'en avais pas besoin. (Comme
perdue.) Le monde est revenu vers moi.Robert (dsignant les Gevrais)
: Ils sont arrivs trop tt. Nous l'aurions redcouvert ensemble. Il
aurait t trs diffrent.(Un silence.Donata sa rassied en prenant
grand soin de tourner le dos la tlvision.)Donata (lentement et d'un
ton neutre) : Quel drame... Quelle horreur.Robert (tristement) :
Oui. Ah...Donata (cette fois avec tristesse) : Quel drame... Quelle
horreur.Robert : Eh oui. (Avec conviction et vhmence.) Oh si Dieu
existe, comment, comment peut-il...!Donata (avec conviction et
vhmence) : Quel drame !... Quelle horreur !Robert (tonn) : Pourquoi
rptes-tu ces mots ?
-
Donata : C'est moins vrai si on les rpte ?Robert : On dirait
une... que tu te moques de ces gens !Donata : Non. Quelle curieuse
ide. Je suis sincre.Irne : Donata est toujours sincre.Xavier (
Donata) : Bravo, chrie, en trois essais tu as trouv le ton juste.
(A Robert.) Ce n'est pas si facile, voyez-vous. Essayez de dire :
Quel drame... Quelle horreur...Robert : On n'est pas au cinma !Irne
: Donata tait sortie de scne, elle vient d'y rentrer.(Un silence.
Robert regarde les uns et les autres. Il semble rflchir.)Donata
(assise; sans bouger) : Qui es-tu Donata ?... Autrefois je me suis
beaucoup cherche et quand je me suis trouve, je n'ai pas vraiment t
ravie de la dcouverte. Alors l, pas vraiment. J'ai essay de...
m'amliorer. J'ai eu recours Corneille, Feydeau, Hugo, Molire,
Ibsen, etc.; tous voulaient m'aider. Et force d'amliorations en
somme, je me suis un peu perdue de vue. Je suis devenue
innombrable; et o est Donata ? Je ne sais pas... Le cinma m'a prise
dans ses images. Je suis devenue image. Une image anime. Je me suis
place en face de moi et je me suis regarde. Celle en face tait si
riche de ralits, j'tais la pauvre. Ma vie m'a fait piti. Si ma vie
quotidienne tait bien la mienne, seule celle de mes images valait
la peine d'tre vcue... La presse et les rseaux sociaux ont commenc
de m'inventer, je me suis regarde apparatre. J'ai vu la naissance
de Donata... Elle est ne de l'art et des mdias, elle est l'art et
les mdias qui ont pris une forme peu peu devant moi, cette forme
tait moi, cette forme est Donata... A certains moments je crois
pourtant tre quelqu'un d'autre. Je suis persuade qu'il y quelqu'un
d'autre en moi. Je me demande : O est la vraie Donata ?... Mais je
ne le sais pas.Robert : C'est pour a la drogue ?Donata (sans bouger
et sans le regarder) : La porte et les fentres fermes, tu avais
arrt le temps pour moi. Nous aurions pu vivre ternellement sans que
rien ne change. Rien ne pouvait plus nous toucher. Nous n'avions
besoin ni de drogues ni de l'indiffrence... Donata tait sortie de
moi, elle tait partie, je l'ai sentie partir. J'tais libre. Libre
d'elle. Il aurait suffi que tu ne rouvres jamais la porte et les
fentres. J'avais tellement confiance en toi. (Un temps.)Tu as
commenc de t'ennuyer avec moi. Je l'ai compris, je m'en dsolais,
j'esprais quand mme. Et tu as ouvert. La vie est revenue. Donata
est revenue. Je l'ai sentie revenir en moi. Elle reprend possession
de mes mains, elle reprend possession de mes bras, elle reprend
possession de mes yeux, elle reprend possession de mes pas... (Se
levant brusquement et marchant avec une lgret nouvelle.) Regarde-la
marcher ! Ces pas ne sont pas les miens; (Se plaant devant le
miroir.) ce visage n'est pas le mien; le son de cette voix n'est
pas le mien ! Je les reconnais, ce sont ceux de Donata... Je me
sens disparatre. (Regardant Robert.) Tu m'as perdue ! perdue ! Je
ne reviendrai jamais ! J'avais tellement confiance en toi !(Un
silence. Robert semble atterr. Irne compatissante. Xavier
lointain.)Xavier (brusquement) : Si on djeunait ? Il est midi
pass.Robert (berlu) : Comment ?Xavier : La cuisine, par l ?
Montrez-moi... Montrez-moi ! (Il le tire sans mnagement. Robert
hsite et se laisse entraner. Xavier sa femme qui ne bougeait pas et
pensait rester.)Non, viens aussi, toi. Laisse-la seule... (Sortant
avec Robert et trouvant une justification.) On a besoin de toi pour
la cuisine.(Irne hsite et le suit.)10. (Donata seule regarde
lentement autour d'elle, puis elle court la fentre, regarde par la
fentre, se retourne; elle rit joyeusement. Soudain elle effectue
une sorte de danse sauvage. Elle s'effondre sur le canap.)Donata :
Salut, toi... Salut, moi... Bienvenue la maison... Je suis de
retour... Qu'est-ce que tu as fait tout ce temps ?... Y a-t-il des
mondes parallles o vivent les tres fantmes comme toi
-
?... (Se prenant dans ses bras.) Jure-moi que nous ne nous
quitterons plus... Les hommes sont dcevants, ils ne devraient pas
avoir le droit de sparer une femme de son fantme... Tu sais que
nous allons devenir fermire ?... (Un silence. Donata, redevenue
srieuse, rflchit.)Passons aux choses importantes. (Elle va jusqu'
un meuble sur lequel se trouve son ncessaire pour se vernir les
ongles, approche la table basse du canap, y pose le ncessaire,
s'assied sur le canap, pose les pieds sur la table et commence de
s'occuper de ses ongles.)Mes pauvres, elle vous a laisss dans un
tat ! Oh. Vous si mignons. Je suis trs choque. (Elle va accomplir
avec soin tous les travaux indispensables selon le grand art.
Chantonnant: )Petits Franais, petits Franais,Y a plus d'sous, y a
plus d'foin, y a plus rien;Petits Franais, petits Franais, Fait'
cuire vot' pain !(Elle s'arrte, regarde l'tat gnral des
ongles.)Garde vous !(Chantonnant et commenant de vernir.)Petits
enfants de la patri-i-i-e,Le jour de gloire est arriv...(Changeant
tranquillement de ton et passant la chanson de P. Perret.)Tout,
tout, tout sur le zizi, Des grands, des gros, des moyens, des
p'tits.(S'arrtant brusquement, le pinceau en l'air.)Ah oui, le
drame ! L'avion !... Il faudrait que je trouve de bonnes paroles
pour qu'il soit content... (Riant.) Pas de bavures, Donata ! (Se
remettant peindre ses ongles. Ton grave: )Mes condolances les plus
sincres. (D'un ton lger: ) Le problme c'est que je n'ai pas de
texte... Je ne voudrais pas qu'il me juge immorale, inconsquente,
insensible, des trucs la con comme a... (De mauvaise humeur.) Des
drames, y en a tout l'temps. Il faudrait tre sinistre tout l'temps
! (Professorale, le pinceau en l'air.) Ce qu'il faudrait, c'est une
rduction significative du nombre de drames. (Finissant son oeuvre,
ton grave: ) Je suis profondment touche du sort impitoyable de ces
malheureuses personnes qui n'avaient pas mrit de mourir ainsi.
(Satisfaite, on ne sait s'il s'agit de la phrase ou des ongles
termins.) Oui-i-i.11. (Entre Irne.)Irne : La crise est passe
?Donata : Ecoute a : Je suis profondment touche du sort impitoyable
de ces malheureuses personnes qui n'avaient pas mrit de mourir
ainsi.Irne : Ah, la phrase de "Il pleut toujours quelque part" o tu
jouais le maire de la ville. Aprs l'incendie.Donata : Tu crois que
Robert sera content ?Irne : S'il connat le film, probablement
pas.Donata (mcontente) : Ah... Lui aussi est un cas difficile.
(Avec un peu d'apprhension: ) Ils te suivent ?Irne : Non. Leurs
talents de cuisinier sont en grande discussion.Donata : Y a qu'des
choses rchauffer.Irne : Tu connais Xavier, il faut
assaisonner.Donata : Ah oui. (Elle rit.)Irne : Tu penses au film
?Donata : Non.Irne (ironiquement) : Alors c'est fini ?Donata : Quoi
?Irne : La scne, le public, le cinoche...
-
Donata (prise de panique) : Hein ?... (Mettant les mains sur les
oreilles et criant.) Je suis sourde ! Je suis sourde !Irne :
Calme-toi. Ce n'est pas Xavier, ce n'est que moi.Donata (se levant
et bien en face) : Robert et moi nous allons nous marier !Irne :
Bon. Pourquoi pas ? Des tas de gens se marient. Y a pas d'mal
a.Donata : Et il m'aimera toujours.Irne : Bien sr... Il a de
l'argent pour te verser une bonne pension alimentaire ?Donata : On
ne se quittera jamais.Irne : Bien sr... Tu lui as expliqu en dtail
qui est Donata ?Donata : Tu m'as entendue, non ? Ou tu es sourde
aussi ?Irne : J'ai entendu quelques gnralits. Il y a loin des
gnralits la vie quotidienne, surtout avec toi.Donata : Il m'a vue
compltement sous l'emprise de la drogue quand nous sommes arrivs
ici.Irne (s'asseyant) : C'est encore dans ces moments-l que tu es
la plus supportable.Donata (indigne) : Oh !Irne : Et c'est ton
unique amie qui te le dit.Donata (vertement) : Eh bien, sa
remarque, elle peut la garder.Irne : Tu veux que je lui fournisse
tous les renseignements ncessaires ?Donata : ...Irne : Il faut
qu'il sache avant que tu te dcides au sujet du film.Donata : Il m'a
change.Irne : Tu tais de sortie de toi-mme, tu es revenue.Donata :
Youpi.Irne : Il a le droit de savoir avant d'pouser. Tu avais prvu
de le lobotomiser d'abord ?Donata (amuse) : Le pauvre chri, pourvu
que a ne lui fasse pas mal. (Prenant un ton insinuant et perfide.)
Il te plat, hein ? J'ai vu a dans ton oeil. Mais chasse garde, la
givre, compris ?Irne (riant) : Givre toi-mme. Moi je ne la suis que
par copie.Donata (amuse) : La petite escargot imite la cigale.Irne
: Moins la drogue, chrie !Donata : Un peu quand mme.Irne : Dame
escargot sait s'arrter, elle est quelqu'un de raisonnable.Donata :
Et ta limite est toujours fascine par le hors limite ?Irne : Tu es
mon rve, Donata, tu le sais bien. Mon rve ne va pas s'enfermer ici
?Donata (brusquement joyeuse) : Alors on danse ?Irne (riant
d'avance) : Comme autrefois ?Donata (criant et se lanant) : Imite
si tu peux !(Sa danse est spectaculaire, avec une marche en cercle
grandes enjambes - penche en avant et les bras balancs violemment
-, sauts virevoltants, succession de petits pas rapides, reprise
des grandes enjambes etc...Irne la suit de prs, parfois elle a un
peu de retard dans les mouvements et les gestes mais elle russit
redevenir presque synchro.)12. Xavier (rentrant avec Robert; ils
portent des assiettes et des plats) : La srnit a vaincu le dragon ?
Les courageux peuvent revenir ?(Irne s'effondre sur le canap,
essouffle.)Donata (pas essouffle, levant une jambe et mettant
firement un de ses pieds sous les yeux de Robert) : Hein ?Robert
(qui ne comprend pas) : Oui...Donata (due) : Ah...(Elle va
s'asseoir prs d'Irne qui s'allonge et pose la tte sur ses
genoux.)
-
Xavier : Plats arrangs maison. Jambon moutarde. Jambon sauce
tomate. Et mirabelles.(Robert distribue les assiettes.)Donata
(estomaque) : Je croyais que vous faisiez rchauffer des plats
?Xavier : On n'a pas russi se mettre d'accord sur les plats
rchauffer. Il y en a tellement dans son conglateur.Irne : Et la
boisson ?Robert : Ah oui. (Il sort.)Donata : Qu'est-ce que vous
avez fabriqu tout ce temps ?Xavier : On a discut... cuisine.Donata
(ironique) : Cuisine ?Xavier : La cuisine est l'apptissante image
du monde, manger, dguster; mais le monde, pouah; bref quand on
parle de l'une on parle aussi de l'autre.Irne : Une tranche de
monde, chri; nature.Donata : Pour moi avec mlange des
sauces.(Robert rentre avec deux bouteilles d'eau et des
verres.)Robert : Remplies au robinet juste avant consommation.
Garantie fracheur.(Il distribue des verres et les remplit.Les
autres mangent avec leurs doigts.)Donata (avec effort) : Tu veux
remettre la tlvision, chri, s'il te plat ?(Effet.)Robert (touch) :
Vraiment ?Donata : Puisque je te le demande...(Robert va appuyer
sur la tlcommande, puis grignote comme les autres.)Voix la tlvision
: On ignore encore s'il s'agit d'un acte terroriste, d'une erreur
humaine ou d'un accident d la mto. Et maintenant, voici des
suggestions de sortie pour votre week-end...(Robert arrte la
tl.)Robert : C'est indcent, cette succession...Xavier :
Franchement, y avait-il un enchanement possible ? Vous avez une
transition proposer ?Robert : ... Quand mme !Irne ( Donata) :
Soif.Donata : Tu peux courir. Bb est assez grand pour boire tout
seul.Irne (se dressant et prenant son verre) : Boh...Robert (aux
autres) : Enfin, vous ne trouvez pas ?Xavier : On ne peut qu'tre
indcent, tout le temps.Donata : Robert a choisi d'tre rvolt.Robert
: Mais parfaitement.Xavier (mangeant) : Etre impuissant avec bonne
conscience.Robert : On peut lutter... sur tous les fronts !Xavier :
En fermant porte et fentres ?Robert : a, c'est Donata. Mais on
allait ouvrir... un jour ou l'autre.Xavier : C'est fait.
(Railleur.) Luttez, je vous regarde.(Rire de Donata.)Robert (
Donata) : Qu'est-ce que tu as ?Donata : Pas de systme sans
profiteurs du systme. Tu parles ici trois profiteurs.Robert (tonn)
: Toi ?Donata : La russite n'est-elle pas un masque sduisant de
l'injustice ? J'en ai bnfici. Donata est de l'injustice
vivante.Irne (ironique) : Elle rtablit un semblant de justice en
picolant et en se droguant.
-
(Donata se lche les doigts puis finit de les essuyer sue Irne
-sans traces-, laquelle ne ragit aucunement.)Xavier : Sauter du
quatrime tage n'empche pas l'ascenseur d'y monter.Donata : Au Cours
Florent, une fille et moi nous ressemblions assez. Les autres en
plaisantaient. Au casting du tlfilm qui m'a lance : "Le mari seul",
elle tait en comptition avec moi. Il s'en est fallu d'un rien que
ce ne soit moi qui lui ressemble assez.Irne : Un rien indfinissable
mais essentiel.Xavier : Le "je-ne-sais-quoi" qui fascine.Robert :
Et qu'est-elle devenue ? Tu t'en es soucie ?Donata : Oui, mon gosme
s'en est souci... Elle est tombe sous la coupe d'un type qui
l'apousse, ou force, accrotre la ressemblance par chirurgie
esthtique, pour tourner des films pornos... C'est comme si j'avais
deux vies, une russie, et une manque. Une valorisante, celle-ci, et
une autre qui paie en humiliations pour mes triomphes... Si je
n'tais pas venue in extremis ce casting, amene par Jean-Louis qui
s'tait fch... mon ami de l'poque... et moi a ne me disait rien, je
ne voulais pas venir... elle aurait eu le rle. Tu comprends ?... Je
revois son regard quand on m'a annonc devant les autres, sans
mnagements pour elles, que j'tais choisie. Ah, ce regard. Dsespr.
Elle avait besoin de ce rle... Elle n'tait plus qu'une copie.
Dfinitivement.Robert (perdu) : Tu n'aurais pas pu... l'aider
?Donata : Comment ?Robert : Je ne sais pas, moi ! L'aider...Donata
(qui attend) : ... ?Xavier : C'est au "comment" que l'on attend les
indigns.Irne : En gnral ils s'arrtent l.Donata : Les gueules casses
du mtier paient pour les autres, et on retrouve a partout. Je suis
une profiteuse innocente.13. (Sonnerie du tlphone de Xavier. Il
prend la communication, coute.)Xavier : Ah...(Il remet le tlphone
dans de ses poches.Il semble proccup.Un temps.)Irne
(s'impatientant) : a ne concerne que toi, je suppose ? Xavier
(regardant Donata, avec hsitation) : Marc tait dans l'avion, on
vient de me prvenir. (Donata le regarde fixement, sans bouger, les
yeux lgrement agrandis. Un temps.) ... Oui. Ce Marc-l.Irne : ...
Mais, parfois, dans ces accidents, il y a des rescaps...Xavier
(nettement) : Non.Robert (perdu) : ... Il s'agit de l'un de vos
amis, naturellement. Trs proche sans doute ?Xavier (mettant les
points sur les i) : Marc Allirel, on ne peut pas s'intresser Donata
et ne pas savoir qui c'est... c'tait.Irne : Son compagnon durant
quatre ans. Et producteur de plusieurs de ses films. (Xavier la
regarde avec humeur; elle se tait.)(Un silence.Donata semble
ailleurs. Ayant fini son assiette, elle prend celle d'Irne qui y
avait peine touch, et se remet manger.)Robert ( Donata) : Mais...
dis quelque chose au moins.Xavier ( voix basse, Robert) : Il
vaudrait mieux la laisser tranquille.Robert (d'une voix forte,
criant presque) : Pourquoi ? On est ensemble ou pas ? Si on est
encore ensemble, on partage les peines !
-
Donata (d'une voix lente, lointaine, sans marquer d'motion) : Il
tait dj mort. Il a suicid notre couple.Irne (bas, Robert) : Vous
savez, avec la belle Isidorette ?Robert ( Donata) : Et alors a ne
te peine pas ? Tu l'as aim pourtant ?Donata : Tu as raison
d'employer le pass... compos. Il appartient au pass; c'est la
Donata du pass qui a de la peine, pas moi... Et on ne va pas le
recomposer pour un dcs.Xavier (approuvant) : Ce serait absurde,
chrie.Irne : Compltement absurde.Xavier : Un mort est mort, pas de
quoi affoler les cimetires.Irne : Il a rat son atterrissage de
retour parmi nous.Robert (stupfait) : Mais... ils osent plaisanter
! (Airs coupables de Xavier et Irne. A Donata: ) Enfin, quatre ans
vivre ensemble... coucher ensemble...Donata : Oh... (Ton de la
Donata des Givrs.) surtout lui avec moi. (Xavier et Irne
pouffent.)Robert (hors de lui) : Silence, les gugusses !Irne (
mi-voix) : Je crois qu'il est fch.Xavier ( mi-voix) : Allons dans
le jardin.(Ils sortent en punis.)Robert : A se demander quel est le
pire des trois. (Donata lve la main.) Quoi ?Donata : C'est moi,
chri ador... La pire.Robert : Toi ? Mais je t'aime.Donata (qui n'a
pas boug) : Tu n'as mme pas admir comme j'ai remarquablement verni
mes ongles de pieds. (Elle le regarde et se lve.)Robert (perdu) :
Il y a un rapport ?Donata : ... J'aurais trop de peine, je ne veux
pas avoir de peine du tout... Si je ferme les yeux, je vois ma vie
en dbris parpills sur des kilomtres... mle ... tout et n'importe
quoi... Ignoble. Et tu ne me protges pas !Robert : Mais il faut
bien regarder la ralit !Donata (sombre) : Non. Moi je la joue. On
me regarde, moi.Robert : Quand nous aurons des enfants, tu leur
rpondras a ?Donata (lointaine) : Des enfants ?Robert : Oui, on en a
parl, tu en voulais.Donata (lointaine) : Oh... a dpend des
jours...Robert : Comment, "a dpend des jours" ! Les enfants
existent en continu, pas de temps en temps !Donata (l'air ennuy) :
Eh oui... Quelle journe !15. (Irne rentre, un tlphone la main.)Irne
( Donata, lui tendant le tlphone) : La veut te parler. (Donata
reste fige.) Prends. (Elle lui met le tlphone dans les mains. A
mi-voix: ) Elle nous entend l.Donata ( mi-voix, la main sur le
micro) : Mais pourquoi lui as-tu dit que tu es avec moi !Irne (
mi-voix) : Elle voulait absolument savoir o tu tais. Elle se sent
perdue !Robert (voix ordinaire) : Qui est La ?Irne : La femme, la
veuve, de Marc.Robert (mu) : Dans ce cas, videmment...(Donata le
regarde fixement.Un silence.Elle enlve sa main du micro et se
dirige lentement vers la cuisine.)Donata : All ?... Oui, c'est
moi...(Elle entre dans la cuisine.)16. Xavier (rentrant et jetant
un rapide coup d'oeil pour savoir si Donata est l) : Elle tlphone ?
Elle s'est dcide ?
-
Robert : Quels sont ses rapports avec cette La, femme de Marc
?(Un temps.)Irne (hsitante, en regardant Xavier) : Aprs l'pisode
Isidorette...Xavier : Gros scandale.Irne : Il a fallu reconstruire
une faade.Xavier : Vous en avez forcment entendu parler, ne faites
pas l'innocent.Robert : Je ne fais pas l'innocent et j'en ai
entendu parler. Je n'ai pens qu' la dtresse de Donata.Irne (touche)
: Vous l'aimiez dj...Xavier : Isidorette, vous comprenez le prnom
?Robert : Non... Qu'est-ce qu'il y a comprendre ?Irne (lui
soufflant) : Un travesti.Robert (choqu) : Oh.Xavier : L'entourage
de Donata devait redevenir acceptable pour le public.Irne : On a
command un sondage d'opinion comme pour un Prsident de la
Rpublique.Xavier : Il tait moins une.Irne : Donata a coopr et a
dcid La. A pouser Marc.Robert : Qui est donc La ? Dites-le moi
!Irne (aprs avoir regard Xavier) : La et Donata se sont beaucoup
drogues ensemble.17. (Donata revient, un verre la main, moiti vide,
visiblement il ne s'agit pas d'eau.)Donata (l'air hargneux;
regardant Robert) : Fait !... Quelle pleurnicheuse... Elle croyait
qu'on allait le pleurer ensemble... On croirait vraiment qu'elle ne
l'a pas eu pour mari lors d'un dstockage.Robert (sidr) : Un quoi
?Donata (sans tenir compte de l'intervention, regardant son verre)
: Pas bon, ce truc. La fois prcdente j'en avais planqu du meilleur.
Je croyais moins mon amour, aussi; cette fois j'tais tellement sre.
Il suffisait de ne pas ouvrir. Pas-ou-vrir !Robert : Calme-toi. Tu
es secoue par tout a, je comprends. Nous en parlerons tous les deux
quand ils seront partis. Mais tu assumes tes responsabilits, c'est
bien.Donata (stupfaite) : Mes responsabilits ? (Elle finit son
verre d'un coup. Furieuse: ) J'ai pas fait s'craser l'avion, j'ai
pas fait que Marcouse soit d'dans, j'ai pas fait que... J'y suis
pour rien ! pour rien ! Qu'on me fiche la paix ! Voyez l'auteur
!Irne (aimablement, Robert) : Elle est odieuse comme a parce
qu'elle vient juste de se remettre boire. a ira beaucoup mieux
quand elle aura vomi.Xavier : Elle ne supporte pas l'alcool, enfin,
elle ne le retient pas, ce qui revient au mme.Donata : Salet de
Givrs. Si t'as un revolver, Robert, descends-les. Pan ! Pan ! (Elle
rit.)(Un temps.)Robert ( Donata) : Pourquoi as-tu voulu te saouler
?Donata : Pour ne pas faire pire.Robert : Mais des gens meurent, on
les pleure, on aide leurs proches... et la vie continue.Donata : La
vie passe. (Se marrant.) L elle est passe en avion... Boum... a
passe vite. Vroum.Robert : Tu es cynique maintenant ?Donata : ...
J'ai t chaste et puis je ne l'ai plus t; j'ai t sobre et puis je ne
l'ai plus t; j'ai t ftarde et puis je ne l'ai plus t; j'ai t pauvre
et puis je ne l'ai plus t; j'ai t riche et puis je ne l'ai plus t;
j'ai t prudente et puis je ne l'ai plus t; je suis cynique, dis-tu,
et bientt je ne le serai plus. Donc pourquoi y attacher de
l'importance ?Robert (stupfait) : ... Est-ce toi, Donata ?Donata
(posant son verre et s'asseyant calmement sur un fauteuil, change)
: Je ne sais pas... Je ne suis pas saoule, j'ai juste fait
semblant.
-
Robert : Tu as jou ?... Pourquoi ?Donata : Pour ne pas me mettre
boire pour de vrai.Xavier : Excellente raison.18. (On entend passer
un hlicoptre. Airs surpris de Xavier et Irne.)Robert (pour
expliquer) : C'est rare mais il y a des villas de gens trs riches
pas loin et une aire d'atterrissage d'hlicoptres.Irne : Pas de
plaintes d'un dirigeant colo ?Donata (amuse) : C'est lui le
dirigeant colo.Irne (avec un air faux-cul volontaire) : Je condamne
fermement les hlicoptres !Xavier (idem) : Bravo !Donata (amuse) Que
moi je chante avec les cigales, personne ne s'en tonnera, mais vous
deux...Xavier : Tu feras rpter Irne. Elle au moins finira par y
arriver.Irne : Je vais travailler dur.Robert (agac, Donata) : Alors
tu as jou ?Donata (jouant la coupable repentante) : Oui,
chri.Robert : Tu voulais que j'aie peur ?Donata (idem) : Oui
chri.Robert : Et pourquoi ?Donata (idem) : Oui chri.(Les Gevrais
pouffent.)Robert (fch) : Si tu veux juste les amuser, je peux cder
la place !Donata (se levant et allant lui) : Non !... Ne sois pas
mchant...Robert : Alors ? Je ne comprends pas...Donata : Tu tais
tout coup des milliers de kilomtres de moi. Des milliers. J'ai
regard autour de moi, tout tait devenu tranger dans cette cuisine.
Je me suis sentie tellement seule... Tu le sais, je ne supporte pas
d'tre seule.Robert : Voyons, j'tais dix mtres ! C'est ton
imagination...Donata : Mme en imagination je ne supporte pas.Robert
: Et en ce cas donc, tu as recours ...Donata : J'ai d'abord les
mots.Robert : Les mots ?Donata : ... Ils viennent m'entourer, ils
se liguent en phrases, pour m'arracher l'attirance du vide, au
vertige. Ils prennent ensuite un aspect; celui de personnages,
celui de fantmes qui m'offrent de les habiter... Sans eux, et sans
toi, j'aurais sombr. Je ne sais pas vivre sans eux. Je me cache en
eux, dans leurs drames ou leurs ridicules, et je suis bien.Robert :
Et nous deux ensemble a ne vaut pas tous ces mots ?Donata : Si...
Mais ds que tu t'loignes un peu, pour moi c'est comme des milliers
de kilomtres.Robert : Alors ?Donata (comme hallucine) : ... Je les
appelle.Xavier (narquois) : Et ils sont venus.Irne (renchrissant) :
Xavier les a apports lui-mme, un vrai Hercule. Dis-lui le scnar,
chri.Xavier ( Donata) : Tu n'es plus sourde ?Donata : Non, mon tat
empire.Xavier : Eh bien, voil : Une belle femme nue de papier glac
vit vieille et sans sa beaut.Donata (railleuse) : Donc
habille.Xavier : Dans un reportage la tl elle se voit sur le mur
d'un homme interview au sujet de... peu importe.
-
Donata (s'amusant) : Oui, peu importe. Parle-moi de moi.Xavier :
Elle dcide d'aller l o elle existe encore vraiment, o elle est
encore elle-mme.Irne : Elle va voir le type.Xavier : Elle veut
savoir qui il est, pourquoi il a fait d'elle sa compagne, pourquoi,
pendant tant d'annes, il lui a t, en quelque sorte, fidle.Donata
(attentive) : Enferms ensemble, quoi ? vingt ans ? trente ans
?Xavier : Longtemps elle cache qui elle est.Donata : Ne me dis pas
la fin... Laisse-moi rver...Irne : Le film raconte sa vie, il y a
de longs retours en arrire sur les moments-clefs avec un autre
homme, l'homme de sa vie, l'homme de sa vie qui ne la faisait pas
chapper au temps.Donata : Celui qui l'a laisse vieillir. Il ne
l'aimait pas assez. Toutes les portes et toutes les fentres taient
ouvertes...Xavier : Tu joues trois ges : celui de la photo, avec
toute l'histoire de cette unique photo de nu intgral dans sa
carrire de mannequin, celui de son amour avec l'homme de sa vie,
celui de la vieille dame chez cet inconnu.Donata : ... Il y a deux
rles masculins importants...Xavier : Jous par Charles Gabin et
Toulouse Mitchum.Donata (impressionne) : Vraiment ?Xavier : Ils
signent si tu signes.Irne (insinuante) : Ils signeront sans doute
de toute faon.Xavier : Ils prfrent jouer avec toi.Irne : Tu es la
meilleure possible pour ce rle.Donata : J'ai un peu peur de jouer
en vieille. Et si je restais vieille ?Irne ( Robert, amuse) : Notre
Donata est assez superstitieuse. (A Donata.) Mais sois tranquille,
chrie, on trouvera des gris-gris pour conjurer la
vieillesse.(Donata rit.)Xavier : Enfin voil la proposition. Je te
laisse rflchir un moment. Il me faut la rponse avant de repartir.
Dfinitive. Attention, il n'y aura pas de possibilit de marche
arrire. Si tu dis non maintenant, c'est non. (A Irne.) Retournons
visiter le jardin. (Irne hsite. Insistant: )Viens.(Elle le suit. La
porte du dehors reste ouverte.)Un temps.)19. Robert : Tu es tente
?Donata (vasive) : Je reconnais simplement que c'est tentant.Robert
: ... Et moi ?Donata (tonne) : Toi, tu es l.Robert (la prenant dans
ses bras) : Est-ce que je suis toujours seul tre l ? Je ne compte
pas les Givrs.Donata (la tte sur son paule) : Des fantmes sont
entrs. Il en arrive d'autres chaque minute.Robert : Je ne les vois
pas.Donata : Ils sont encore imcomplets, quelques mots, des bouts
de phrases, ils m'appellent, ils m'implorent...Robert : Que
veulent-ils ?Donata : Mon corps.(Un temps.)Robert (taquin) :
Serais-je un fantme ?Donata (riant et s'cartant) : Tu tais mon
tueur de fantmes. Tu as accompli une hcatombe parmi eux. Ils t'en
veulent.Robert (de nouveau srieux) : Tu vas te laisser tenter ?
-
Donata : Dieu seul le sait.Robert (railleur) : a m'tonnerait
qu'il vienne te le dire.Donata : Et pourquoi pas ?Robert : Ah oui.
Dieu te parlerait toi ! Et pourquoi Dieu viendrait-il te parler
?Donata (grands yeux et battements de cils) : Pour se changer du
pape ?(On entend Irne s'esclaffer.)Robert (amus) : Donata ou les
vacances de Dieu. Oh. Pourquoi dis-tu des choses pareilles !Donata
: Parce que a ne se dit pas.Robert : En voil une raison.Donata :
Toute petite dj, quand il y avait une belle flaque de pluie viter,
il fallait absolument que je saute pieds joints dedans. J'adorais
a. J'ai gard le meilleur des plaisirs de mon enfance.Voix d'Irne
(cri) : Sauter dans les flaques, y a pas mieux.Donata (criant) : On
n'coute pas aux portes !Voix d'Irne (cri) : Je n'coute pas,
j'entends !Robert ( Donata) : Tu veux que je ferme la porte ?Donata
(avec humeur) : C'est trop tard.Robert : Enfin il ne s'agit pas
d'un rle religieux. Heureusement.Donata (se rebiffant) : Comment,
"heureusement" ? On en connat bien une qui a eu une vie pire que la
mienne et qui a jou Jeanne d'Arc, avec succs... Tout le monde, aprs
avoir vu le film, a regrett qu'on ne m'ait pas propos le rle.Robert
(ironique) : Dieu ne t'avait pas choisie.Donata (mcontente) :
J'tais pas assez saoule, j'ai fait des manires, alors il a bais
avec l'autre.Robert (stupfait) : Oh.Donata (lance) : Si tu dois
trouver une pucelle pour jouer Jeanne d'Arc, cherche ailleurs que
dans le monde du cinma.Robert (scandalis) : Ah bravo; tu tiens la
forme. Pourquoi dis-tu des atrocits pareilles ?!Donata : Pour
qu'elles soient dites. Les pauvres, elles ne peuvent pas compter
sur toi, n'est-ce pas ? Mais maman est l, petites atrocits !
Seulement votre beau-pre ne vous aime pas.20. Xavier (rentrant
brutalement) : Alors, ma dcision ?Irne (derrire lui, mi-voix) : Ne
la brusque pas.(Donata a pris un air but, ferm.)Robert : On attend
ta... sentence, chrie.(Donata se laisse tomber assise par terre et
contemple ses ongles de pied.)Irne ( mi-voix) : Hou, a se
gte.Donata ( ses ongles de pied, presque gaiement) : Vous tes trs
bien. J'ai au moins russi quelque chose dans ma vie.(Un
temps.)Xavier : Tu as russi aussi quelques films, ceux produits pas
moi. (Avec effort.) Et mme un ou deux produits par Marc. (Irne,
admirative devant une telle concession, l'embrasse sur la
joue.)Irne ( mi-voix, Donata) : Tu te rends compte jusqu'o il est
all pour l'hommage au mort !(Donata ne rpond pas, elle a fini
d'examiner ses ongles de pied et semble rver.)Xavier ( Donata) :
C'est non ?Donata : ... Pauvres petits. (Airs mduss des trois
autres.) Mais moi je suis avec vous. Je ne vous laisserai pas
tomber.Xavier ( tout hasard) : C'est oui ?Donata : Je suis comme
vous. Je suis une des vtres. Infiltre parmi les humains... Je suis
un pan-go-lin. Ils doivent cesser de nous faire du mal. Le combat
pour la libert continue !
-
(Airs ahuris de Xavier et Irne. Robert baisse la tte avec un
demi-sourire crisp.)Irne ( Robert) : Vous comprenez ce qu'elle veut
dire ? (Acquiescement de la tte de Robert.)Xavier : Qu'est-ce que
c'est qu'a, un pangolin ?Donata (au bord des larmes) : Je suis une
dame pan-go-lin. Et je me cache dans les buissons. Ils ne me
trouveront pas, les humains, ils n'auront pas la peau de
Donata.Robert ( mi-voix) : Une espce animale en voie de
disparition. Elle avait une photo et un article sur cette bte dans
son sac de voyage quand nous sommes venus nous installer ici. De
temps en temps, je ne sais pourquoi, le pangolin resurgit en elle
et elle rabche sur leur cause juste, parfois deux ou trois
heures.Xavier (pinc) : C'est gai !Donata (toujours assise par
terre) : Je suis un pan-go-lin. Vive la pangolinie libre !Xavier
(ironique) : Bravo. (A Robert.) Et qu'est-ce que vous faites dans
ces cas-l ?Robert : Eh bien... rien.Xavier : Encore bravo.Robert :
J'attends que a passe.Xavier ( Donata) : Tu te fous de trois cents
morts dans un accident d'avion et te voil presque en larmes pour la
disparition suppose d'une espce qui...Donata : Et alors ?...
Humain, pouah. Mme pas une espce en voie de disparition.Xavier : Si
tu veux tre utile... (Levant les yeux au ciel.) Mon Dieu, ce qu'il
ne faut pas radoter ! (Prenant un ton de l'archi-arrire-grand-pre.)
... ta noble famille pangolin, (Voix normale.) ton statut de
vedette t'est indispensable.Donata (frappe) : Ah.Xavier : Compris,
petite ?Donata (se dressant furieuse, changeant de jeu) : Il
charrie, le Belzbuth !Xavier (tranquillement, Irne et Robert) :
Elle est vraiment tuer.Irne (jouant son jeu) : Je t'aiderai,
chri.Xavier : L'Histoire retiendra que l'extinction de l'espce
pangolin a eu lieu ici.Donata (lui envoyant coussins et objets
divers la tte) : Ah, tu veux te battre ! Bataille !Irne :
Dfends-toi, chri, vas-y !(Xavier renvoie les projectiles.Irne
rit.Robert reste coi, stupfait.)Donata : Victoire !Xavier : Jamais
de la vie !Donata (perfide) : Comment je ferai pour jouer le film
si je ne gagne pas ?Xavier (riant, se laissant tomber sur le canap)
: Ah, l'argument a port.(Donata rit.)Robert ( Irne) : Elle avait
l'air normale quand je l'ai rencontre.Irne : Parce qu'elle tait
drogue. Il faut pas mal d'aide interdite Donata pour avoir l'air
comme tout le monde.Donata : Je ne suis pas comme tout le monde, je
suis une vedette, je suis... exceptionnelle, oui, parfaitement,
pan-go-lin et ex-cep-tion-nelle.Xavier : Donc tu rapparais pour le
tournage du film ?Donata : ... Avant je me suis engage reprendre
"Lucrce Borgia" de Hugo, au thtre. Au thtre Molire.(Effet sur les
trois autres.)Xavier : L, la rentre thtrale ?... Comment se fait-il
que personne n'en ait parl ?Donata : Joris, le directeur, tait sr
que tu t'y opposerais. Alors il a choisi l'effet-bombe, du dernier
moment.
-
Robert (perdu) : Mais... tu m'as dit que tu ne voulais plus
d'engagements, pour te "sauver" de ce milieu qui te
dtruisait...Donata (agace) : J'y pensais plus... a arrive, quoi
!... J'avais oubli !Irne ( Xavier) : Elle est vraiment tuer.Xavier
: Non, elle me rapporte trop.21. (Entre en coup de vent une jeune
femme en deuil; tous, surpris, se taisent; elle fonce droit sur
Donata et tombe dans ses bras.)Donata (stupfaite) : La !La : Ah, ma
chrie, je suis dmolie, serre-moi fort !Donata : C'est plutt la
spcialit de Robert ici.La : Alors, prte-le -moi un peu. C'est
lui?(Elle se met dans les bras de Robert stupfait.)Donata (amuse) :
Eh bien, serre, chri.(Robert s'excute, gauchement.)La : Pas mal.
Peut mieux faire. (S'cartant.) Y a du rconfortant boire aussi
?Donata : Les Givrs ont commenc l'unique bouteille, je ne suis pas
sre qu'il en reste.La ( Robert mdus) : Va voir, chri serreur, j'ai
besoin d'un remontant.(Robert, indcis, va voir dans la
cuisine.)Donata : Mais comment as-tu pu arriver si vite ?La :
J'habite en face. (Montrant du doigt.) La villa en haut de la
colline, l. Quand tu m'as dit o tu tais, je suis tombe des nues;
j'ai pris notre hlicoptre et...Donata (farceuse) : T'y es
remonte.La : Quoi ?... Oui. Le plus long a t de l'aire
d'atterrissage ta cahute, je ne trouvais pas.Donata : Mais tu y
es.La (s'asseyant) : Que je suis nerveuse. Ce pauvre Marc. Hein ?
Oh.(Robert rentre avec un verre plein et le donne La qui ne pense
mme pas le remercier et boit.)Donata ( La, adoptant un ton ad hoc)
: ... Hlas, nous sommes tous mortels. (A mi-voix.) J'ai pas trouv
mieux.La : Eh ben c'est pas fort. Tu viens d'arriver ? O tais-tu
passe ?Xavier : Elle est l depuis deux mois.La : Non ? Et moi qui
pour me dsennuyer regardait de ce ct au tlescope et voyait tout
ferm ! Tu tais dedans ?Irne : Le couple seul au monde. Deux mois.La
(se levant et examinant Robert) : Il n'est pas mal. Mais quand
mme... pas ce point-l !Robert (un peu sec) : Donata tait au plus
mal, elle tait drogue.La (berlue) : Et alors ?Robert : Il lui
fallait sa dose ou l'hpital.La (pate) : Et elle vous a eu la
place...Robert (firement) : L'amour gurit de tout.La : ... L'amour
gurit seulement de l'amour. Aprs il faut trouver de nouvelles
doses, plus fortes. Son art les lui fournit en gnral, heureusement
pour elle.Xavier (railleur) : Si on pleurait encore un peu Marc ?La
: Oh le pauvre. Et moi donc, toute seule. Je me sentais perdue. (A
Donata.) Et je ne savais pas o te trouver ! J'tais effondre, et que
faire ?Donata : Je ne sais pas non plus ce que tu pourrais faire.La
: Mais deux qui ne savent pas quoi faire on se sent plus fortes.
C'est joli ici.Donata : La dcoration est de Robert.La ( Donata) :
Si on se remettait ensemble ?
-
Donata : Finis ton verre. (La le finit.) Assieds-toi. (La
s'assied.) Et coute-moi. (La tend l'oreille de faon comique.)
D'abord tu vas tre trs occupe par l'organisation de funrailles sans
corps dignes de lui et par tes lamentations dans les mdias. Irne te
fera rpter. Pas d'impair. Tu adorais ton mari.La (narquoise) : J'en
doutais dj quand tu nous as maris.Donata : Il faut empcher les
questions obtuses son sujet, tu comprends ?La : Les questions
"obtuses" sur un obtus ?Donata : Tu seras sage ?La : Bisou ?Donata
: Non. (De Robert.) Il n'est pas du genre approuver.La : Oh. A qui
est-ce que tu vas me remarier ? A lui ? (Air scandalis de Robert.
Pour lui expliquer: ) J'ai toujours eu droit aux ex de Donata, et
comme votre amour m'a l'air en phase finale...Robert (furieux) :
Mais qu'est-ce que c'est que cette folle !Donata (schement) :
Robert, je t'en prie, son mari vient de mourir dans un accident
d'avion avec environ trois cents personnes !(La se met
pleurer.)Robert : Mais je m'en fous, moi ! Je regrette seulement
qu'elle n'ait pas t aussi dans l'avion !Irne et Xavier (peut-tre
vraiment scandaliss) : Oh...La (d'une toute petite voix) : a veut
dire quil ne me serrera plus ?Donata : Mais si, ma chrie, il faut
juste qu'il s'habitue. Il ne connat pas notre genre de vie.La : En
deux mois il a pourtant eu le temps d'apprendre. Tu baisais tout
l'temps, tu as pas eu l'temps d'l'duquer ?Donata (comme
s'indignant) : Il me prend pour une idiote.Irne : Il te prend pour
une idiote parce que tu fais l'idiote.Donata (changeant de ton) :
J'aime bien.Robert (stupfait, regardant Donata) : Mais qui est
cette femme ?22. Donata : Cette femme est Donata. (L'enlaant.)
Pourquoi ne m'as-tu pas coute ? Elle ne serait pas revenue. Je me
suis bien habitue elle, moi; si tu m'aimes tu t'habitueras
aussi.Robert (en dtresse) : Je crois pas.(Pendant ce temps, La va
jeter un coup d'oeil la cuisine, fait la moue, revient.)Donata : Je
t'avais demand de n'ouvrir ni la porte ni les volets, tu as ouvert
et tu t'tonnes que le monde entier entre. (La monte sans bruit et
d'un pas vif l'escalier pur aller visiter l'tage.)Il tait juste
attendre, l, dans le jardin, avec ses fleurs magnifiques. (Irne a
l'air scandalise en voyant La monter l'escalier, hsite, puis, la
curiosit tant la plus forte, la suit.) Ou on refuse tout, ou on est
envahi par tout. Et par consquent, souvent par n'importe quoi. Tu
aurais d m'couter.(La et Irne disparaissent l'tage. Xavier regarde
le vide.)Robert : Mais c'est comme pour la drogue, il suffit d'un
peu de volont... Pour rsister aux... en somme, tentations.Donata
(ironique) : Un peu ?Robert : Soit, beaucoup.Donata (s'cartant) :
Enormment... Robert, ta volont s'est vite puise. On s'ennuie vite.
La volont est ennuyeuse. Se laisser emporter par le courant apporte
chaque jour son lot de nouveauts, de distractions... Tu ne m'as pas
longtemps aime assez pour ne pas t'ennuyer coup de tout. Alors tu
as ouvert la maison et tout est entr. Donata est revenue.Robert : O
est celle que j'aime ?Donata : Tu as d'abord aim la vedette et tu
as cru trouver sa vrit dans la solitude. Tu as aim Pandore, chri,
tt ou tard tu devais rouvrir la bote.
-
(Elle est prs d'un buffet ou d'un meuble assez haut. Xavier sort
vivement le contrat et un stylo de la poche intrieure de sa veste.
Il pose le contrat sur le meuble.)Xavier ( Robert, tout en mettant
le doigt o il faut signer et donnant le stylo Donata) : "Pandore,
divine Pandore", le film a t produit par moi, vous vous souvenez
?(Donata signe sans lire. Il remet vivement contrat et stylo dans
la poche de sa veste.)Robert ( Donata) : Tu n'as plus qu' raconter
notre histoire aux magazines people.Donata (revenant vers lui) :
Elle n'est pas finie, dis, notre histoire ?(La apparat en haut de
l'escalier avec un sac de voyage dbordant, suivie d'Irne.)Irne (
mi-voix, La) : Tu vas trop loin. Va remettre tout a en place.La
(voix forte, descendant rapidement l'escalier) : Je ne peux pas
vivre ici, c'est trop petit ! Ils n'ont mme pas un jacuzzi ! Pas de
piscine, pas de sauna, etc etc.Irne (la suivant) : Tout de mme, on
demande d'abord.La (arrive en bas de l'escalier) : Si j'avais
demand elle aurait dit non. (A Donata.) Hein, chrie, tu aurais dit
non ?Donata (amuse mais faisant la fche) : Oh, La ! Tu es
insupportable !La (se blottissant contre elle) : Oui. Tu veux que
je mette le serreur dans le sac de voyage ?(Pendant ce temps Irne
interroge son mari des yeux. Il fait signe que oui.)Donata : Je
devrais te gronder. Tu te permets tout.Xavier ( Robert) : Pour les
mdias, soyez tranquille, ils sauront bien sr, ils savent tout sur
elle...Robert : Qui les renseigne ?Xavier (dsignant des mains sa
femme et lui-mme) : Nous. (Irne et lui rient. Puis Donata et La.)
Mais notre faon. Au revoir, monsieur Vidal. (A Irne.) Je t'attends
dans la voiture.(Irne a repris son chapeau, elle le pose sur la tte
de Donata.)Irne : Un peu pench sur la gauche, n'est-ce pas ?La : Et
moi, regarde si je suis vaillante, je porte le sac jusqu' l'hlico.
(La et Irne prennent chacune une main de Donata et l'entranent tout
doucement vers la porte. Donata, amuse, se laisse faire. La,
Donata.) Est-ce qu'il vient avec nous ? (Donata se tourne vers
Robert sans que La et Irne lchent ses mains. Robert hoche la tte
ngativement. La Robert: ) De toute faon vous venez quand vous
voulez, c'est juste en face... sur la colline en face.(Un
temps.)Donata : La premire pour la pice est dans un mois. Tu
viendras ?Robert : ... Je ne sais pas.(Donata baisse la tte. La et
Irne l'entranent. Elles sortent dans la lumire.)
FIN