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MAGDA EST LA ET NEST PAS LAde
Jean SibilUne partie du quai de mtro de la station Saint-Sulpice
Paris, avec droite (pour le spectateur) lescalier dentre et sortie.
Sur le mur, outre le nom de la station, une gigantesque affiche des
Galeries Lafayette gauche, une belle fille y esquisse un joyeux pas
de danse, une jambe en lair, dstabilise, sa robe est assez courte,
elle a une tour Eiffel comme chapeau; puis on trouve les plans des
transports publics, sous terre et sur terre; enfin, prs de
lescalier, un grand panneau o sont colles une quinzaine
daffichettes de spectacles parisiens. Un banc de chaises lies
gauche et un autreentre les plans et le panneau affichettes.Au tout
premier plan, entre les spectateurs et le quai, les rails. Mais
pour le moment occups par une rame (une simple toile peinte que lon
tire suffit).Sauf indications particulires les personnages sont
toujours habills de la mme faon, en accord relatif avec ce qu'ils
sont.La rame part (vers la gauche).Sur le quai, de dos, Le gros
Limousin et Beaut Capital: plus loin gauche, Lhomme daffaires et La
mre instit.
1. Le gros Limousin (rjoui) : Alors, c'est a, les catacombes !
(Il se retourne en riant de sa plaisanterie pour regarder l'arrire
de la rame qui disparat.)Beaut Capital (aigrement, se tournant vers
lui) : Pourquoi est-ce qu'on s'est arrt ici ? Je croyais qu'on
allait Montparnasse ?Le gros Limousin : Je veux voir l'glise. Pour
raconter ma femme.Beaut Capital (ironique) : Je ferai partie du
rcit ?Le gros Limousin (cherchant la direction sortie) : Inutile,
ma femme n'aime pas les femmes.(Pendant ce temps L'homme d'affaires
et La mre instit s'acheminent lentement vers l'escalier; l'homme a
les mains dans les poches et regarde tout sauf la femme qui a l'air
rigide et avance en statue du commandeur. Arrivs presque la hauteur
de l'autre couple :)L'homme d'affaires (excd) : La bourse, elle
monte, elle descend; un jour voiture avec chauffeur, un autre le
mtro; et alors ? et alors ? Contrairement ce que tu racontes je ne
vis jamais au-dessus de mes moyens, j'ai des moyens qui varient.La
mre instit : Tu joues, tu t'amuses, tu n'as mme pas conscience des
drames crs par vos petits calculs.L'homme d'affaires : Si la bourse
n'est pas srieuse, alors c'est que le monde n'est pas srieux. Rien
n'est srieux.(Ils dpassent le premier couple.)Le gros Limousin (
qui on ne demande rien) : Bien vu. (A Beaut Capital :) Il a
raison.La mre instit : J'enseigne d'autres valeurs aux enfants.
Heureusement.L'homme d'affaires : Il vaudrait mieux leur apprendre
la vis. Elles servent quoi tes valeurs ?Le gros Limousin ( mi-voix,
Beaut Capital) : Aux lections.La mre instit (qui l'a entendu;
vertement) : A ne pas voter pour n'importe qui.(De la partie
invisible du quai gauche, arrivent L'colo barbu et sa fille,
Isabelle.)Isabelle : Papa ! Je te vois une fois l'an et tu fais la
tte.L'homme d'affaires (brusquement) : Quand on ne s'entend pas il
faut en tirer les consquences.
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(La mre instit s'arrte net - au pied de l'escalier - et le
regarde, stupfaite. Il s'est arrt aussi. Du coup Le gros Limousin,
qui suivait et a failli buter sur La mre instit, s'arrte aussi et
regarde les affichettes pour se donner une contenance. Beaut
Capital, docilement mais amuse, l'imite.)L'colo barbu : Je ne fais
pas la tte, je suis proccup. Et je ne viens pas une fois l'an.
C'est la deuxime cette anne.La mre instit : Je ne comprends
pas.Isabelle : Tu me demandes o en sont mes tudes, tu ne t'en
souviens mme pas et tu me promnes une journe.L'homme d'affaires
(bredouillant) : Ou on est vraiment ensemble ou on n'est pas
ensemble.L'colo barbu : Je t'aime, ma chrie, mais je n'ai pas la
fibre paternelle, j'ai la tte pleine de voyages, il faut me prendre
comme je suis.La mre instit : Je ne comprends pas.Isabelle
(grommelant) : Papa courant d'air.L'homme d'affaires : On part
chacun de son ct.Le gros Limousin : Trs intressantes, ces
affichettes. Mais j'ai une glise voir. Pardon. (Il essaie de passer
sans heurter le couple qui bloque le passage.)(Surgit dans
l'escalier, Magda. Elle passe sans mme leur prter attention entre
L'homme d'affaires et La mre instit. Le gros Limousin doit
reculer.Magda, une trentaine d'annes, trs mince, lance, dgingande,
avance grands pas, regardant en l'air, la bouche ouverte; elle rit,
aveugle au monde; la tte renverse en arrire elle semble chercher
les toiles dans ce souterrain. On la croirait ivre, drogue.En
passant la hauteur du premier banc elle ralentit, met son bras
gauche devant ses yeux, pour ne pas mme apercevoir les rails, puis
elle le baisse et continue jusqu'au banc suivant. Aprs le passage
de cet endroit "sensible" l'vidence, elle se met chanter
"Madeleine" de Brel, des fragments sans suite mais souvent
"Madeleine elle ne viendra pas".)Magda (jetant son sac sur un sige,
riant, chantant fort) : "Madeleine elle ne viendra pas" !La mre
instit : Adieu. (Elle monte les marches trs vite. L'homme
d'affaires va s'asseoir sur le premier banc, sourcils froncs.)Le
gros Limousin ( Beaut Capital; commenant enfin de monter
l'escalier) : Comme quoi il ne faut jamais dsesprer.L'colo barbu (
Isabelle) : Dire qu'en vingt ans tu n'as pas pu t'habituer ton pre.
J'ai l'impression de...Isabelle (agace, rsigne) : Oui oui, je
connais la chanson. Avec toi tout est chansons.Magda (qui s'est
assise; gravement) : Il a bien raison. (Chantant fort :) "Madeleine
elle aimera a", mais "Madeleine elle ne viendra pas". (Elle rit et
tape du pied.)(Une jeune fille descend l'escalier lentement, elle
regarde avec mfiance les gens prsents en avanant sur le quai.)Une
voix venant de la partie invisible du quai gauche : Je suis l,
Anglique, eh bien tu es en retard. (Apparat un officier d'une
trentaine d'annes alors qu'Anglique n'en a que vingt.L'colo barbu
et Isabelle sortent par l'escalier.)Anglique (froide) : Ah, tu es
encore l.Cap Bob : J'ai cru que tu ne viendrais pas.Anglique
(froide) : Je l'ai cru aussi. Je pensais que tu tais parti.Cap Bob
: Je t'aime trop pour ne pas te laisser toutes tes chances. (Il
l'enlace.)Magda (d'une voix un peu pteuse) : Eh bien, elle n'a pas
l'air enthousiaste, l'Anglique.
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Anglique ( Cap Bob) : Si, mais j'ai mes tudes, tu comprends.Cap
Bob (cherchant l'embrasser) : Bien sr, bien sr.Magda (hilare,
tapant du pied) : Bien sr, bien sr.Anglique (vitant les baisers) :
Tous ces trucs apprendre m'abrutissent. Mais il faut.Cap Bob (la
rattrapant pour l'embrasser) : Bien sr, bien sr.(La mre de Magda
apparat dans l'escalier, elle avance avec prudence, inquite, et
s'arrte sur les dernires marches quand elle voit Magda.)La mre
(criant) : Magda ! a ne sert rien ! Rentre !Magda : Va-t'en !
Va-t'en ! Je ne veux plus te voir ! (Anglique se dgage nerveusement
et disparat gauche, sur la partie du quai invisible.)La mre : On ne
sait rien ! Pourquoi es-tu sre du pire ? Pourquoi est-ce que tu
t'en prends moi ?Magda (criant) : Je sais ! Je sais ! (Elle se lve
et riant, la tte rejete en arrire, elle esquisse une sorte de danse
dans laquelle elle tape du pied, trs fort, dsesprment, et elle
chante :)"Madeleine elle aimera a ! Madeleine elle ne viendra pas
!" (Hurlant :) C'est ta faute si je n'y suis pas alle, c'est ta
faute si je n'y tais pas ! Aah. "Madeleine elle ne viendra pas" !
(Elle pleure et rit en mme temps. Elle se rassied ct de son sac.Un
silence.)La mre : Il ne s'agit pas du mme jour, Magda.Magda
(pleurant) : C'est pareil. C'est pareil.(Six personnes descendent
l'escalier, par deux. Les premires iront le plus loin sur le quai,
presque vers Magda.)La cultivatrice calculatrice (la quarantaine;
son voisin) : Qu'est-ce qui se passe ici ? on crie, on pleure.Le
syndicaliste professionnel (son voisin; un peu plus jeune) : Les
raisons de crier et de pleurer ne manquent pas.La cultivatrice
calcu : Excuse une humble cultivatrice; chez moi, tu l'as peut-tre
remarqu, on est pudique. On pleure l'intrieur. On se cache pour
crier.Le syndicaliste pro (ironique) : Des cris se perdraient dans
tes huit cents hectares de bl.(Deuxime couple :) Le chercheur s (la
quarantaine; mi-voix) : Qu'est-ce qui se passe ici ? Tout le monde
a l'air fch.La sportive des mers (trente ans environ) : Ils n'ont
qu' faire du sport.Le chercheur s : Ah, ton remde miracle.La
sportive des mers : Toi aussi tu devrais faire plus de
sport.(Troisime couple :)Le surfeur ple (vingt ans, mais l'vidence
il ferait un couple parfait avec La sportive des mers, ils se
regardent avec sympathie, comme attirs) : Qu'est-ce qui se passe
ici ? Quelle ambiance pour une station de mtro.La vendeuse
suburbaine (la quarantaine, pas plus) : Il n'y a rien de spcial,
quoi, on est sous terre, tu n'as pas l'habitude, tu passes ta vie
t'amuser.Le surfeur ple (agac) : Maman !La vendeuse suburbaine :
Quoi ! Le surf c'est un mtier ? Je me suis saigne aux quatre veines
pour que tu sois mdecin ! Mdecin !Le surfeur ple (plaintif) :
Maman...2. Magda ( tous) : Vous tes dans la station des amours
mortes.La cultivatrice calcu (aigrement) : Merci du
renseignement.
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Le chercheur s ( mi-voix) : On s'en serait pass.La mre (criant,
toujours de l'escalier, sans s'approcher) : Magda ! Magda !
Pourquoi ne regardes-tu pas la ralit en face ?Magda : Elle me fait
mal aux yeux... Et toi tu me fais mal aux oreilles !La vendeuse :
Je vends des produits sans intrt dans des souterrains depuis vingt
ans et je ne sais plus pourquoi.La cultivatrice calcu : ... et ces
aides agricoles qui n'arrivent pas. On a toujours l'impression de
mendier...La sportive des mers : Je m'ennuie sans la mer.Magda :
Asseyez-vous, mesdames messieurs, il n'y aura peut-tre plus de
trains.La mre (criant, de la mme place) : Magda ! Magda ! Je ne
suis pas responsable si les drames existent. Tu ne peux pas me le
reprocher !Le syndicaliste pro ( mi-voix) : Juste.Le chercheur s
(lui rpondant malgr lui) : Pas sr.Le surfeur ple ( La sportive des
mers) : Moi aussi j'aime la mer. Je veux retourner sur la cte
basque. Avec ma mre je n'ai droit de surfer que sur les vagues de
la Seine.La vendeuse suburbaine (au bord des larmes) : Mdecin...
mdecin...La sportive des mers : J'y participerai une course de
bateaux voile en juin.La cultivatrice calcu : ... sans ces aides je
suis devant la faillite.La mre : Magda ! Magda ! Ce n'est tout de
mme pas moi qui l'ai pouss !Magda (hurlant) : Si, c'est toi aussi !
Aussi ! Tu l'as pouss !La mre : On ne sait mme pas si c'est lui
!Magda (en larmes) : Il ne viendra plus ! Il ne viendra plus !
(Pleurant et riant, elle se lve et esquisse sa danse en tapant du
pied, elle chante :) "Madeleine elle aimera a !... les fleurs...
les fleurs..." (Elle se rassied :) Il ne viendra plus. Lui non
plus, comme Magda.Le chercheur s ( mi-voix) : On peut toujours
trouver des raisons d'esprer.Magda : Non, il n'y a que des raisons
de mort.Le chercheur s : Mon mtier de chercheur consiste trouver
comment retarder la mort.Magda : Il faut que les trains soient
forcs de s'arrter, tout seuls, quand quelqu'un tombe sur la voie.Le
chercheur s : Mon affaire est plutt la gntique.Magda : Les trains
attendent; la moindre erreur de notre part ils nous foncent dessus;
ils nous ratent cent fois; un jour ils nous crabouillent. Comme
lui... E-cra-bou-ill.... E-cra-bou-ill.La mre (criant) : Tu n'en
sais rien ! On ne sait rien ! Magda ! Pourquoi crois-tu a ? Magda :
Je sais ! Je sais !La mre : Tu ne sais rien. On ne sait rien.
Reviens, Magda. Ne me laisse pas.Magda : Va-t'en !... Je veux
rester avec lui, ici, toujours.La mre : De toute faon il n'est pas
ici. Voyons, les pompiers l'ont emport quel qu'il soit.Magda (en
larmes) : On reste toujours o l'on meurt.(Le gros Limousin
redescend l'escalier, vite.)Le gros Limousin (s'brouant) :
Brouououh... (Il voit L'homme d'affaires :) Ah. Pas encore de
train. Quel dimanche. (Il vient familirement s'asseoir ct de lui :)
Figurez-vous que dans l'glise il y avait une messe. Avec plein de
monde. (Un temps.) Je croyais que a ne se faisait plus. Ou
Notre-Dame, pour le folklore... Alors je suis reparti, mais elle...
elle est reste. Une fille comme a la messe. S'ils ne savent pas
trier leur clientle il ne faut pas s'tonner qu'ils n'aient plus les
gens comme nous... Au prix qu'elle cote, et a va la messe. (Un
temps.) Ma femme, elle n'est pas terrible, mais au moins elle est
gratuite.
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La mre : Le coeur ne peut pas tre avec les morts, Magda.
Reviens.Magda (triste) : Le coeur vivant de Magda est le coeur mort
de Magda.Le gros Limousin ( L'homme d'affaires) : Tiens, au fait,
j'y ai vu votre femme, l'glise, elle pleurait sur un banc du
fond.(L'homme d'affaires se lve brusquement et va tout prs de la
voie, quasiment l'endroit d'o le jeune homme a t pouss ou a
saut.)Magda : Pas l ! Pas l !(L'homme d'affaires, perdu dans ses
penses, ne ragit pas.)Magda (hystrique, se levant mais sans
s'approcher) : Pas l ! Pas l !La vendeuse suburbaine (proche de
L'homme d'affaires) : S'il vous plat, vitez la crise,
poussez-vous.(Il la regarde, suit le conseil sans comprendre. Magda
se rassoit.)Magda : On n'a pas le droit.Le gros Limousin (toujours
assis) : En voil des bizarres... Rendez donc service...Magda (au
bord des larmes) : L'amour tait comme du sable.3. Le chercheur s
(pour dire quelque chose; La sportive des mers) : Il y a moins de
trains le dimanche.(La mre s'appuie contre le mur dans l'escalier,
elle ne sait ni quoi dire ni quoi faire.Un temps.)La sportive des
mers : Quel ennui...Le surfeur ple : Comment peut-on vivre ici ?La
vendeuse suburbaine (schement, avec sous-entendu) : On y
travaille.(Un temps.Le gros Limousin se lve et arpente lentement le
quai en direction de Magda.)Le syndicaliste pro : Un travail pnible
et mal pay. (Regard reconnaissant de La vendeuse, agac du fils -
genre : de quoi se mle-t-il !)La cultivatrice calcu (pour ne pas
couper les ponts) : ... Oui...La vendeuse sub (entre ses dents) :
Mdecin...La sportive des mers : C'est interminable.Magda : On ne se
quittera peut-tre plus. Est-ce que vous tes morts ici vous aussi
?Le surfeur ple (entre ses dents) : Je commence le croire.Magda
(qui a l'oue fine) : Les morts savent, ils n'ont pas besoin de
croire. Moi, je sais.La mre (explosant) : Qu'est-ce que tu sais ?
Tu ne sais rien. Rien ! (A tous :) Je vais vous dire l'histoire de
Magda. (Elle s'avance un peu sur le quai. Toutes les ttes se sont
tournes vers elle.) Le type tait louche, plus jeune qu'elle, plutt
beau, pourquoi est-ce qu'il aurait aim Magda ? Pourquoi est-ce
qu'il se serait mme intress Magda ? A trente ans elle est nave
comme une jeune fille de quinze. Alors, pour la protger, moi sa
mre, je l'ai enferme. Pour qu'elle n'aille pas un rendez-vous. Un
rendez-vous dterminant, selon ce qu'elle disait. Il essayait de
l'embarquer, quoi. Et aprs elle a eu beau essayer de le contacter :
pas au tlphone, pas chez lui, enfin vous voyez le genre. Et puis
elle tombe sur l'accident dans le journal : ici (Elle dsigne
l'endroit.) Un jeune homme a t pouss par on ne sait qui sur les
rails l'arrive d'une rame. Il est mort. Une photo du quai avait un
rond pour indiquer la place exacte. Selon elle, sans aucune preuve,
il ne peut s'agir que de "lui". C'est "lui". Car le monde tourne
autour de Magda, tout a un sens ou existe par rapport Magda.
Evident, n'est-ce pas ? Les avions qui s'crasent, les sous-marins
qui se noient, les autos qui brlent les stops... tout a une raison
d'tre : Magda. Quant la coupable, il n'y en a qu'une en fin de
compte, une seule : moi.Magda (pleurant) : C'est elle qui l'a
pouss.
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Le gros Limousin (qui tait arriv la hauteur de Magda; les ttes
se tournent vers eux) : Allons, Mademoiselle, il faut tre
raisonnable, votre mre a eu raison d'agir ainsi, ce type se jouait
de vous, il vous aurait rendue malheureuse.Magda (triste) : Le
malheur est comme la pluie ou la grle, il fait partie du cycle des
saisons, le beau temps revient son tour. Mais Magda est passe du ct
des morts, o il n'y a plus de malheur. Magda n'est plus l.Le gros
Limousin (chaleureusement) : Mais si, vous pouvez encore tre
malheureuse, ne vous dcouragez pas... Trente ans, vous tes un peu
vieille, mais vous avez encore une chance de rencontrer
l'amour.Magda : Maman a pouss l'amour sur les rails... l. (Elle
dsigne l'endroit. Les ttes se tournent vers les rails.)La mre :
C'est une obsession. Elle ne rflchit mme pas. Rflchis donc !
Reprends ton bon sens !Le gros Limousin ( Magda) : Sinon votre
maman devra vous faire enfermer... A Limoges ce serait dj excut.(La
rame arrive, on ne voit plus personne.4. La rame repart.La mre est
assise la place qu'occupait L'homme d'affaires.Magda n'a pas
boug.De dos, Le gros Limousin ( la mme place que la fois prcdente)
et La mre instit. Plus loin L'homme d'affaires et La cultivatrice
calcu.)Le gros Limousin (rjoui) : Alors c'est a, les catacombes.
(Il se retourne en riant de sa plaisanterie pour regarder l'arrire
de la rame qui disparat.)La mre instit (amuse) : Si les enfants
taient avec nous on organiserait une chasse aux morts.Le gros
Limousin : Et qui fera le mort ?Magda : Magda est la morte. Lui, il
est mort l. (Elle dsigne l'endroit. Le couple se regarde, gn, et se
dirige en silence vers l'escalier.L'homme d'affaires et La
cultivatrice calcu suivent de loin, la main dans la main.)L'homme
d'affaires : Laisse-moi t'offrir une babiole pour fter a.La culti
calcu : Sans toi je me demande quand j'aurais touch cette aide
agricole.L'homme d'affaires : Oh c'est rien, un coup de tlphone un
vieux copain de promo de l'ENA et voil.La culti calcu : La Beauce
reconnaissante embrasse chri. (Elle lui donne un rapide
baiser.)Magda (indigne) : Faut rester convenables, les gens ! Ici
c'est le quai des amours mortes.L'homme d'affaires ( Magda) : Pas
aujourd'hui, ma belle, car nous y sommes. (La culti et lui rient et
continuent vers l'escalier.)La mre (de sa place) : Est-ce que tu
vas continuer d'embter les passants toute la journe !Magda (triste)
: Il faudrait des fleurs. Mais je ne peux pas sortir, chri, pour
aller t'acheter des fleurs.La mre ( la cantonade) : Voil qu'elle
lui parle, maintenant !Le gros Limousin (commenant de monter
l'escalier La mre instit) : On va jeter un oeil l'glise ?La mre
instit : Comme a on saura quoi raconter aux enfants.(Ils
sortent.)La culti calcu : Quand mon frre a pris ce p'tit restau
dans ce coin j'tais trs inquite.L'homme d'affaires : Tu es toujours
inquite.La culti calcu : C'est vrai... Je suis contente de le
revoir.
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(Ils sortent par l'escalier.)Magda : Ouf. Un peu de calme. Enfin
chez soi.La mre : On est dans une station de mtro. Les gens ont le
droit de passer.Magda : Va-t'en.La mre : Qu'est-ce que je ferais si
je n'ai plus m'occuper de toi ?Magda : Ton chez toi n'est pas mon
chez moi. Moi je reste avec mon mari.La mre : Ton mari ? Voil du
nouveau. O es-tu pris qu'il voulait t'pouser ? (Arrive en courant
par l'escalier Anglique qui cherche dsesprment quelqu'un; elle
l'aperoit sur la partie du quai hors scne.)Anglique : Herv !Le
syndicaliste pro (arrivant au-devant d'elle sur la scne) : Je
croyais que tu ne viendrais plus. (Ils se prennent les mains, sans
s'embrasser.)Anglique : Ma mre se doutait de quelque chose, je
n'arrivais pas m'chapper.Magda : Ah, les mres ! Quelle plaie !Le
syndi : Leur amour est une prison. Mais tu t'es vade... (Ils
passent dans la partie hors-scne.)Magda (criant) : S'il t'aime, il
va mourir !La mre (s'efforant au calme) : Magda, essayons de
regarder les choses... les faits... en face... calmement. La police
n'a pas voulu donner l'identit du jeune homme mais s'il s'agissait
de "lui" il y aurait eu du remue-mnage dans son coin...(Magda se
bouche les oreilles. La mre continue en parlant plus fort :)Les
proches auraient t avertis. Ils auraient mme t questionns dans le
cadre de l'enqute.(Magda, les mains sur les oreilles, commence
d'mettre le son "a" en continu, d'abord assez bas, pour couvrir ce
qui passe des mots de sa mre.Sa mre, plus fort :)On saurait ! Mme
nous les policiers seraient venus nous poser des questions !... Et
son amour pour toi...(Magda amplifie le bruit du son destin couvrir
les cris de sa mre.La mre hurlant :)Il en avait marre de toi ! Tout
le monde a toujours eu vite marre de toi ! Tu es impossible ! Il
s'est dbarrass de toi comme il a pu, en disparaissant !Magda
(enlevant ses mains de ses oreilles; triste) : Un disparu est un
mort. Il a choisi de se tuer... parce que je l'aimais.(Un
silence.Anglique et Le syndi rapparaissent, enlacs, ils se dirigent
vers l'escalier de sortie.)Anglique : Tant pis pour ma mre, je lui
tlphonerai que les transports en commun font une grve sauvage ou
qu'ils ne circulent plus cause d'une panne. Attends. (Elle sort son
tlphone.) All maman ? Oui, je ne sais pas quand je pourrai rentrer,
on dirait qu'ils s'est pass quelque chose... plus un train... mais
non, ne viens pas me chercher, je vais rentrer en me promenant, il
fait beau... et puis c'est dimanche... A tout l'heure. (Au Syndi :)
Voil. (Ils rient, s'enlacent, s'embrassent en marchant vers
l'escalier.)La mre : C'est laid de mentir sa mre.Magda : Je n'ai
pas t assez capable de mentir ma mre.5. Le syndi ( Anglique en
commenant de monter les marches) : On pourrait aller au jardin du
Luxembourg, on djeunerait juste ct...Anglique : A une
terrasse...(Ils disparaissent.)
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Magda (commentant gravement) : a, c'est une vie.La mre : Tu
parles, ils se disputeront dans cinq, dix, quinze minutes. Tout le
monde a connu a.Magda : Pas moi.La mre : C'est banal.Magda : Alors
il n'y a rien de plus beau que ce qui est banal.(Un temps.Magda
dverse son sac sur le sige ct du sien pour en faire l'inventaire.
Il contient ses trsors, en particulier ses souvenirs d'amour.)O est
mon billet d'entre pour le film ? Je ne le trouve plus... (Elle
fouille dans le sac.)Ah, le voil... Nous nous sommes rencontrs la
sortie de ce film, "Le Titanic"... Le petit caillou, je l'ai ramass
lors de notre promenade au parc de Versailles...(Descendent
l'escalier, par couples, Cap Bob et Beaut Capital, L'colo barbu et
La sportivedes mers, Le surfeur ple et Isabelle. Magda continue son
inventaire.)Cap Bob (en civil dsormais; Beaut Capital, un bras
autour de ses paules) : Oh, mon ange, tu es plus belle que Felicia,
Margarita et Ulrika runies...Beaut Capital (surprise) : Qui sont
ces filles ?Cap Bob : Ne sois pas jalouse. Juste des images sur la
porte de mon armoire la caserne. Elles me tenaient compagnie.La
sportive des mers ( L'colo barbu, un bras autour de sa taille) :
J'ai un dauphin apprivois, tu verras, sur mon catamaran je fais la
course avec lui, et parfois je gagne.L'colo barbu : Il est amoureux
de toi ? Il te laisse gagner ?La sportive des mers (riant) : T'es
bte.Isabelle (au Surfeur ple, elle lui donne la main) : Comment tu
vas faire avec ta mre ?Le surfeur ple : Va bien falloir qu'elle
comprenne. On lui enverra un courriel de l-bas.(Ils se rpartissent
sur le quai, les derniers arrivs sont le plus loin de l'escalier,
prs de Magda.)Magda (pas contente) : Allons bon, revoil des gens.La
mre : Tu es sous terre, pas au septime ciel, la compagnie en
principe rend l'endroit plus supportable.Le surfeur (voyant le
dballage de Magda, pour tre aimable) : Vous avez perdu quelque
chose ?Isabelle : Vous voulez qu'on vous aide ?Magda (triste) :
J'ai perdu mon amoureux... l. (Elle montre la place indique par le
journal.)Isabelle (qui ne comprend pas) : Il va srement revenir.Le
surfeur (encourageant) : Bien sr.Magda (drlement) : Je suis sre
qu'il m'attend.La mre (explosant, se levant) : Magda ! Magda !
Arrte ces extravagances ! Tu n'as plus dix ans pour dire des choses
comme a !Magda (triste) : Si, Magda a dix ans. S'il ne peut pas
revenir, alors moi j'irai. Il est l, l, je le sais et je ne peux
pas le voir. Je sais qu'il est l !(Les autres se taisent, se font
discrets, vitent de regarder.)La mre : Magda ! Magda ! Tu n'as plus
quinze ans pour dire des choses comme a ! Arrte tout de suite ou je
pars ! (Elle fait mine de partir puis s'arrte.)Magda : Si, Magda a
quinze ans. La vie est un brouillard, on ne voit rien, mais je
devine. La ralit est invisible. Mais il me sourit, il me parle. Il
sait que je finirai par l'entendre.La mre : Magda ! Magda ! Tu n'as
plus vingt ans pour dire des choses comme a. Reviens sur terre,
Magda, viens avec moi, je pars. (Elle gagne l'escalier.)Magda
(triste) : Si, Magda a vingt ans. Ses vingt ans ne lui servent
rien. Parce qu'elle a une
-
mre. Il faudrait tuer toutes les mres pour vivre heureuses.
Va-t'en..La mre : Je pars pour de bon !Magda (se levant brusquement
et hurlant) : Va-t'en !(Un silence.La mre monte prcipitamment les
marches et disparat.Magda se rassied.Elle reprend son
inventaire.)Magda (pleurant) : Et a, le petit botier en forme de
coeur, il me l'a donn lors de la fte foraine. Il l'avait gagn la
pche la ligne. (Elle rit.)6. La sportive des mers ( mi-voix) : Oh
ce train mille pattes, qu'il est lent !L'colo barbu ( mi-voix) :
Dis-toi que tu es dans le ventre de la baleine, tu ne peux plus
fuir ceux qu'elle a avals comme toi.Cap Bob (tout proche) : Pas
d'opration commando possible contre Magda-malheur.Beaut Capital (
ct de lui, souriante) : Il ne nous reste qu' attendre le mille
pattes stoquement.Isabelle (revenant vers Magda, complexe d'tre si
heureuse quand l'autre est si malheureuse) : Dans l'tat o vous tes,
vous tes sre que vous ne feriez pas mieux de rejoindre votre mre
?Magda (tenant le petit coeur contre une de ses joues) : Mre prison
et pre porc ont eu une fille... Magda la sainte... oh, pas par
vocation, ni par hrdit... Par lchet... Magda a t lche, elle n'a pas
os se rvolter.Isabelle (que Le surfeur ple rejoint) : Voyons, vous
dramatisez encore, vous n'tes coupable de rien.Le surfeur : On ne
choisit pas ses parents mais l'avenir vous rserve de belles
surprises.Magda : L'avenir est couvert de poussire et la poussire
ce sont des morts... Je n'ai mme pas une photo de lui.Isabelle :
Tiens, moi non plus.Beaut Capital ( mi-voix) : Moi non plus.La
sportive ( L'colo) : Et moi non plus.Cap Bob (enlaant Beaut
Capital) : Mais moi j'ai la tienne. Je l'ai dcoupe dans une
revue.Isabelle (sortant son tlphone pour photographier son Surfeur
qui en profite pour faire des grimaces comiques) : Oh, arrte, je
veux pouvoir la montrer aux amies.Le surfeur : Ah en ce cas. (Et il
prend la pose, mi-srieuse.)La sportive : Bonne ide.(Tous sortent
leurs tlphones, y compris Le surfeur ple et photographient l'tre
aim.)Magda : Voil, maintenant vous tes tous ternels. Magda est la
seule qui mourra. Elle n'a pas os tre ternelle. Alors il est mort.
Il est mort parce que Magda a t lche.(Isabelle s'est carte, elle
prend la main du Surfeur. Tous sont devant les rails, ils regardent
du ct d'o la rame doit arriver.Un temps.)Magda ( la fille de
l'affiche gante des Galeries Lafayette) : Ils sont comme toi
maintenant, ils sont dans l'ternit, mais toi tu es une guignole
avec ta tour Eiffel sur la tte. Une guignole comme moi. Moi aussi
je peux lever la jambe en cartant les bras. (Elle se lve, elle
imite la position du mannequin .) Et avoir le sourire. Le sourire !
(Elle imite le sourire.) O joie ! O bonheur ! (Hurlant chantant :)
"Madeleine elle aimera a !... Madeleine elle ne viendra pas !"(Elle
rit, pleure, danse en tapant du pied, toujours le mme, imite la
pose du mannequin; recommence le tout.)(La rame arrive et les cache
tous. On l'entend encore un peu chanter, puis le silence.
-
7. La rame repart.Outre Magda; de dos, la place occupe par Le
gros Limousin les fois prcdentes, Beaut Capital. Et quel dos. Un
peu plus loin Le chercheur s.)Beaut Capital (se retournant vers
lui) : a va, tu t'es bien rinc l'oeil ?Le chercheur s (souriant,
sur la dfensive) : Je ne regarde que ce qui est public.Beaut
Capital (marchant sur lui) : Qu'est-ce que je suis ?Le chercheur s
: Dans le service public tout le monde est public.Beaut Capital
(indcise) : ... Oui... Mais toi tu ne risques pas d'en tre gn.Le
chercheur s : Pliton, chercheur.Beaut Capital (repartant vers la
sortie grands pas) : Donc ni riche ni photographe.Le chercheur s :
Attends... puisqu'on a fait connaissance... (Elle disparat. Il
s'arrte, dcourag, et s'assied sur une chaise du banc prs des
affichettes.)Magda : Chercheur en quoi ?(Silence. Il est
dpit.)Magda (ttue, plus fort) : Chercheur en quoi ?Le chercheur s
(la regarde, puis froidement) : Aucune envie de vous connatre.(Il
se lve et va sortir par l'escalier.)Magda (bougonnant) : La vieille
politesse franaise s'est perdue dans le mtro.L'homme d'affaires
(apparaissant gauche, poursuivi par Isabelle) : Oeoeoe.Isabelle (le
poursuivant) : Quoi, l'ge ? Tu es un homme d'action, je trouve a
beau un homme d'action, quelqu'un qui entreprend, qui...L'homme
d'affaires (filant) : Oeoeoe... Oeoeoe...Isabelle : Tu ne te
laisses pas culpabiliser par des lavettes ?Magda (comme L'homme
d'affaires arrive sa hauteur) : Il vient d'en sortir une plus belle
plus vieille. (Comme il passe sans comprendre, criant :) Si vous
courez, vous pouvez la rattraper !Isabelle : Ta gueule la came
!(L'homme d'affaires finit de disparatre. Isabelle qui avait dpass
Magda revient brusquement sur ses pas, hargneuse. Apparat sur la
gauche Le Surfeur ple.)Tu t'mles de quoi ? Hein ? Et t'es quoi,
d'abord ? Sur ce banc. Clocharde, hein ? Je vais appeler la police,
moi. Une clocharde came qui pollue l'mtro et personne ne fait
rien.Magda (berlue) : ... Ben non... Je suis Magda...Isabelle : Je
me passe de savoir qui tu es. Tu n'es pas le genre de personne que
l'on a envie de connatre.Le surfeur (arrivant sa hauteur) :
Mademoiselle ! Mademoiselle ! Laissez cette pauvre fille ! Ce n'est
pas bien d'agresser les gens comme a.Isabelle (hargneuse, se
retournant) : A la niche le saint-Bernard.Magda (berlue) : C'est
moi la "pauvre fille" ?La mre instit (arrivant de la gauche) :
Dites plutt Mdor; papa maman le sifflent et hop hop il rapplique. A
la maison, Mdor.Le surfeur ( La mre instit) : Arrte a ! Mais arrte
!Isabelle (le sifflant mais mal car elle ne sait pas siffler) : Pfu
! Pfu ! Allez, viens, Mdor, viens.Le surfeur (s'asseyant ct de
Magda) : Tirez-vous les garces. Allez faire le sabbat la pleine
lune.La mre instit (continuant vers la sortie) : On se reverra
quand tu auras un peu mri.Isabelle (la suivant) : Alors ce ne sera
pas de sitt. (La rejoignant :) O est-ce que vous avez ramass cette
lavette ?La mre instit : Ses parents me l'avaient confi (Riant :)
mais je n'ai rein pu en faire.
-
(Un temps. Elles sortent.)Magda (au Surfeur) : Il n'y a pas deux
minutes il est sorti une bien plus belle; pour l'ge, entre les deux
autres. Si vous courez vous pouvez encore la rattraper.Le surfeur
(lui jetant un coup d'oeil vague, se levant, ironique) : Merci du
renseignement.(Il part mais lentement.Un silence.)Magda (parlant la
place d'o le jeune homme aurait t pouss) : C'est trs passant chez
nous. L'intimit est difficile. (A la grande fille de l'affiche :)
Et toi, arrte de faire la guignole ! Tu donnes de nous une mauvaise
impression ces gens du voyage.Une vois fminine, de la gauche : A
qui est-ce que vous parlez ?(Magda interloque regarde dans la
direction de la voix mais reste muette.)La culti calcu
(apparaissant sur la gauche) : Vous parlez toute seule ? Vous
n'allez pas bien ?(Magda la regarde, muette.)La fille avait raison
tout l'heure, vous avez un problme... Vous avez besoin d'aide...(Un
temps.Brusquement Magda gonfle ses joues et lui fait une grimace en
ouvrant grand les yeux et secouant la tte de droite gauche, puis
dgonfle ses joues avec bruit.)Oh... Je vais tlphoner ... ... Magda
(grimaant de toutes les faons, sortant son carnet de son sac et un
crayon) : Vouspouvez me donner votre nom ? votre adresse ?La culti
(vaguement inquite) : Pourquoi a ?Magda (grimaant de plus belle) :
Je suis charge d'une enqute par le CNRS sur le comportement des
gens envers les anormaux. Vous voyez, je peux ne plus grimacer.
(Elle s'arrte.) Alors ! Nom ! Prnom ! Adresse !Cap Bob (descendant
toutes jambes l'escalier; La culti) : Ah te voil !... Me voil.La
culti (froide) : Je vois... Toujours pas capable d'tre l'heure...
Comme frre on peut trouver mieux.Cap Bob (l'embrassant gauchement)
: Ne dis pas a, je suis venu le plus vite possible.Magda (malgr
elle) : Fallait partir plus tt.Cap Bob : De quoi je me mle ?Magda
(elle lui fait une horrible grimace, puis) : Nom ! Prnom ! Adresse
!... Et numro de tlphone !La culti ( son frre) : Viens, c'est une
malade qui ne veut pas qu'on la soigne.(Ils commencent de s'loigner
vers la sortie.)Cap Bob : Y a des gens qui sont des drames.La culti
: Tant qu'ils ne sont pas exportateurs... Tiens, ce propos, pour la
prime l'export du bl, j'aurais besoin de ta signature puisque tu as
encore une partie des terres.Cap Bob : Une si petite.La culti
(aigrement) : Pas si petite.(Un temps.Ils sortent.)Magda : Notre
drame, nous deux et la guignole on se le garde. On n'a pas besoin
de passages... Et la guignole, toi, tu nous as t impose...8.
Anglique (descendant les escaliers, seule; parlant fort au tlphone)
: Non, maman, je-ne-peux-pas-parler-plus-fort !... Mais je n'sais
pas o est le chat !... Oui, je l'appelle. (Appelant :) Minet,
minet. Tu as entendu ? Je l'ai appel... (Fort :)
Je-ne-peux-pas-parler-plus-fort !Magda : Non, surtout ici. Le
cimetire du ventre de la baleine.
-
Anglique (mettant une main sur le micro de son tlphone; Magda) :
J'm'en tape.Magda (interloque) : Mais il y a eu un mort... Deux
avec moi...Anglique : C'est a; en Ecosse le fantme. Ziup, et qu'a
saute.(Magda interloque rpond en lui faisant une abominable
grimace.)Mais si maman j't'coute... Je ne rponds pas pour mieux
entendre.(Le gros Limousin descend, seul, l'escalier.)Le gros
Limousin : Allons bon, une phonemaniaque.Anglique (fort) : Que je
te dcrive les gens sur le quai ?... Oh y a pas grand chose... Une
paume et un bibendum.(Airs scandaliss des deux autres.)Le gros
Limousin (fch, fort) : Je me demande comment je dois prendre a
!Anglique (la main sur son micro) : Vous attaquez les femmes dans
l'mtro ?... Non ? ... Alors fermez-la. (Au tlphone :) Mais non,
maman, je sais me dfendre, je n'ai pas besoin de la police.Magda
(au Gros Limousin) : Comme elle vous traite.Le gros Limousin (pour
se venger sur quelqu'un) : Le bibendum n'a pas besoin de la
compassion de la paume.Anglique : D'accord, maman, bientt. (Elle
range d'un coup son tlphone. Sur le point de passer dans la zone
hors scne du quai, se retournant, Magda :) Je ne t'aime pas. (Elle
passe de l'autre ct.)(Un temps.)Magda : ... Et pourquoi ?(Un
silence.)Magda (indigne) : J'lui ai rien fait.Le gros Limousin :
Remarquez, elle n'a pas tort en ce qui vous concerne. Vous avez un
drle d'air. Quand on entre dans la station, on vous voit sur ce
sige, on a une drle d'impression.Magda (pas contente) : a veut dire
quoi "une drle d'impression" ?Le gros Limousin : Une drange, une
pas normale dans sa tte, une fle, une dtraque vade ou, avec le
laxisme d'aujourd'hui, qu'on a laisse en libert.Magda (indigne) :
Moi ! ... Mais je suis en deuil, Monsieur. Je suis une veuve sur la
tombe de l'homme qui tait sa vie... (Dsignant l'endroit :) L.Le
gros Limousin (s'approchant, voulant la raisonner) : Y a personne,
l. Pas un macchabe. Hein, toque. A Limoges on t'aurait dj mis la
camisole... (Quand il arrive tout prs, elle lui fait une horrible
grimace. Il recule.) P't'te qu'elle mord en plus.Magda : Si je
l'appelle, "lui", tu vas voir a.Le gros Limousin : Ah, il va
revenir la vie pour me boxer. Et il a de gros gros poings.Magda :
Les morts ont un grand pouvoir sur les vivants.Le gros Limousin
(abandonnant) : J'suis immunis.Magda (bougonnant) : Je veux bien me
remettre en cause, comme on dit, et tout c'qu'on voudra... mais tre
oblige de faire des grimaces pour qu'on me laisse tranquille... on
n'est plus chez soi dans sa station de mtro... (Imitant Anglique,
trs fort :) All ?... Maman !... Y a pas grand monde... Juste un
bibendum et une oie.9. (L'colo - non barbu - et Le syndi pro
descendent les marches en costumes policiers.)Le gros Limousin (
Magda) : Aah, la paume face la marchausse... Ils vont t'virer.
Tire-toi vite.Magda (ttue, forte de ses "droits") : Ils ne peuvent
pas. Personne ne peut empcher une veille funbre. C'est sacr.(Les
policiers vont droit sur elle, lentement.
-
Un silence.)Le syndi pro : Vous avez un problme, Madame ? On
peut vous aider ?L'colo non barbu : On vous observe sur les crans
depuis pas mal de temps. Vous ne voulez pas prendre le mtro ?Magda
(sur la dfensive) : Je suis la veuve... de "lui". (Elle dsigne
l'endroit d'o le jeune homme aurait t pouss.)Le syndi : Ah. C'est
diffrent.L'colo non barbu : Rester ici ne sert rien.Magda : Sa mort
non plus n'a servi rien.L'colo imberbe : Si le fou revient il s'en
prendra peut-tre vous. On risque d'arriver trop tard.Le gros
Limousin (qui brlait de mettre son grain de sel) : Une habitude de
la police, a, hein ? (Joyeux :) Vaut mieux pas avoir besoin
d'vous.L'colo (froidement) : Vos papiers, s'il vous plat.Magda
(hypocritement) : Il n'a pas cess de me poser des problmes depuis
qu'il est entr.Le syndi : On a vu... sur les crans.Le gros Limousin
: Vu quoi ? Rien du tout. J'lui ai juste donn mon opinion, que je
ritre, savoir qu'elle pollue la station.L'colo (ferme) : Papiers...
s'il vous plat.(Le gros Limousin les donne. L'colo les vrifie, Le
syndi vient jeter un coup d'oeil.)L'colo (les rendant) : Bon...
Mais laissez la dame tranquille.Le syndi ( Magda) : Toutes mes
condolances.Magda : Merci. Je suis trs touche.(Les deux policiers
s'loignent un peu sur le quai. Ils attendent le prochain mtro.Le
gros Limousin va pour dire quelque chose, value les consquences
ventuelles, puis renonce. Il va devant les rails mais se place
l'endroit fatidique... sans savoir.)Magda (hurlant) : Pas l !Le
gros Limousin (ahuri) : Quoi ?L'colo : Pas l, voyons.
Ecartez-vous... C'est la place d'o son mari a t pouss sur les
rails.Le gros Limousin (confus) : Ah ?... Excusez-moi.(Il
s'carte.Magda lui lance encore un regard furieux mais s'apaise.)
L'colo (au Syndi) : Des iguanes, entasss dans une caisse, voil ce
qu'essayait de passer la brave dame. La souffrance des animaux ?
Elle nous a expliqu qu'ils ne souffraient pas.Le syndi : Elle
essayait de se justifier.L'colo : Non, non. Bien persuade. La
justification on y a eu droit plus tard : elle est pauvre et les
riches achtent des iguanes.Le syndi : On serait plus efficaces sans
doute si on s'en prenait aux acheteurs.Magda (qui naturellement a
cout) : Ma mre a achet un iguane. Vous voulez son adresse ?L'colo :
Dsol mais j'ai chang de service.Magda (entre ses dents) :
Dommage.(Dvalent l'escalier en courant La vendeuse sub et La
sportive des mers, riant.)La sportive des mers (en tte) : Vite,
vite, je l'entends...La vendeuse sub : J'suis sre qu'il part.La
sportive : Mais non, fofolle, grouille.La vendeuse (joyeusement) :
S'il ne m'attend pas, je hurle dans la station jusqu'au
suivant.(Elles arrivent essouffles sur le quai.)Magda : Eh bien, ce
s'rait gai.
-
(Le mtro arrive et les cache. On entend La sportive dire : Tu
vois, j'ai eu raison.10. Le mtro repart.Sur le quai, en partant de
l'escalier : La sportive des mers et Le surfeur ple enlacs; L'colo
barbu ct de La vendeuse sub qu'il essaie d'embrasser en se penchant
- elle se laisse faire demi; Le gros Limousin et La mre instit,
main dans la main.)La sportive des mers (au Surfeur, le caressant)
: Ummm. Oh chri, j'adore la faon dont tu es muscl. Je voudrais
embrasser chacun de tes muscles. Avec de tout petits baisers.L'colo
barbu ( La vendeuse sub) : Moi aussi j'adore tes muscles.La mre
instit (au Gros Limousin, sur un ton rveur) : C'est dommage que tu
n'en aies pas.Magda (stupfaite) : Non mais. Dans un cimetire...
Devant une veuve.(Le gros Limousin et La mre instit se mettent en
marche vers l'escalier. Puis L'colo et La vendeuse - qui en sont
plus prs.)La sportive des mers ( l'oreille du Surfeur mais fort
pour que tous entendent) : Je voudrais que ce soit l devant tout le
monde.Magda (scandalise, montrant la plaque de la station) : Dans
Saint-Sulpice, y a "saint" !La sportive (par dfi) : Avec lui tous
les supplices sont bons. (A Magda :) Dommage que tu ne sois pas
plus jolie, je t'aurais invite en troisime. (Elle et lui
rient.)L'colo : Et pourquoi pas quatre ?La sportive (ironique) :
C'est surtout l'homme qui doit tre muscl. (Elle tte le sien qui
rit.)Le gros Limousin : Bien fait.La mre instit : On ne
conviendrait pas non plus.Le gros Limousin : Mais quelle importance
? Nous nous suffisons bien.La mre instit (avec un regard au
Surfeur) : Moi j'aurais aim faire pareil. (Regardant L'colo:) Mme
avec l'autre.Magda (criant; avec rage) : Y a eu un mort ici ! L !
(Elle dsigne l'endroit.) Un peu de respect, les gens !Le surfeur :
Les morts ne peuvent plus rien faire, alors ils aiment peut-tre
regarder.(Il pelote la sportive exprs.)La sportive (de Magda) :
Elle est trop bonne celle-l; viens, on va s'asseoir ct d'elle.(Ils
le font en riant et croisent les quatre autres qui vont vers la
sortie. L'colo a ralenti pour voir. La mre instit s'est arrte et
retourne. Le gros Limousin et La vendeuse sub vont se retrouver cte
cte.)Magda (scandalise) : Pas sur mes siges ! Ils sont rservs pour
la veille. Faut rester convenables. J'ai de la morale, moi.La
sportive (frottant sa tte contre le corps du Surfeur) : Sois
tranquille, on ne va pas te la prendre.Le surfeur : On n'est pas
des voleurs.La sportive : Elle a juste regarder ce qu'elle
perd.Magda : Attention, hein, y a des camras. Des gens derrire des
crans.La sportive : Chri, il faut qu'on se surpasse, on passe en
direct la tl.Le surfeur (soufflant) : Pfou, pfou. Je sens la
vague.La sportive : Ummm. Surfe, mon cachalot. Vas-y. Montre-leur
qui qu'est un homme.Le surfeur (criant) : Ouais ! Un homme !L'colo
(criant comme au stade) : Al-lez les braves, al-lez les braves,
al-lez.La mre instit : Top ! On tourne !La vendeuse sub (au Gros
Limousin tout proche) : Ils sont dingues.Le gros Limousin (qui
n'apprcie surtout pas l'attitude de La mre instit) : Je trouve
a
-
indcent.Magda (berlue, dpasse) : Mais je suis l, moi !(La mre de
Magda arrive par la gauche, lentement, un journal la main.)La mre (
Magda, calmement) : Voil o a mne de ne pas suivre mes conseils. Il
aurait mieux valu te conduire comme tout le monde.Magda (en colre)
: Quoi "tout le monde" ? Qui a "tout le monde" ? J'suis ici depuis
une heure et j'lai pas vu "tout l'monde" ! C'est a (Elle montre ses
voisins.) "tout l'monde" ?Le surfeur (cajolant sa Sportive) : Pas
moi en tout cas.La sportive (trs cline) : Pas nous.L'colo ( La mre
de Magda) : Laissez-les donc faire; de quoi vous mlez-vous ?La mre
instit : I font pas d'mal.La mre (donnant des coups de journal au
Surfeur et La sportive) : Allez, ouste; dguerpissez.Le surfeur (se
protgeant de la main; sans oser frapper une vieille femme) :
Laissez-nous tranquilles ou j'te cogne, moi, hein !La sportive (qui
vient de recevoir un coup) : a va, la mre poule. On n'va pas se
battre avec mm. (Au Surfeur :) Viens, chri, laissons les sinistres
leur vie d'merde.Le surfeur ( la mre de Magda, en partant tir par
La sportive) : T'as d'la chance d'tre prime, toi.L'colo et La mre
instit (huant leurs hros en fuite ou la mre de Magda, on ne sait
trop) : Ouh. Ouh...La sportive : Allons l'air libre. (Regardant la
mre de Magda :) Libres, l'air.(La mre de Magda s'assied sur le mme
banc que sa fille mais deux siges les sparent.La sportive et Le
surfeur dpassent L'colo et La mre instit qui se remettent aussi en
marche vers la sortie, puis Le gros Limousin et La vendeuse.)Le
gros Limousin (docte) : Le vice fuyant la vertu.La sportive
(passant devant lui) : Tu tu tu.La vendeuse : Gourgandine.Le
surfeur (se retournant tout en avanant) : Dfonce l'ordinaire.La
sportive (joyeusement) : Nous, on roule au super !(Ils
sortent.)L'colo (rejoignant La vendeuse) : Pas si ordinaire que a.
(Il l'enlace.)La mre instit (rejoignant Le gros Limousin) : Ils
vous ont carrment riv votre clou.Le gros Limousin (vex) : La
discrimination positive concernant le sexe n'est visiblement pas
pour aujourd'hui.(Tous se dirigent vers l'escalier de sortie.)La
mre instit ( La vendeuse pour entrer en contact avec L'colo) : Vous
n'tes pas du coin on dirait .La vendeuse : Non, on visite.L'colo :
Cerise veut voir l'glise.(Ils arrivent l'escalier.)La mre instit :
Tiens, au fait je n'y suis jamais entre...Le gros Limousin (bougon)
: Oh moi, les glises...(Ils sortent.)11. Magda : Ouf... L'glise va
avoir du boulot avec eux.La mre : Tu vois, ta vieille mre peut
encore te rendre des services. Tiens, en voil un autre. (Elle lui
tend le journal.)Magda (sans le prendre) : Qu'est-ce que c'est
?
-
La mre (impatiente) : Un journal.Magda (sans le prendre) : Oui,
mais pourquoi un journal ?La mre (dsignant un endroit sur la une) :
Titre : Nouvelles informations sur le mort de Saint-SulpiceMagda
(se bouchant les oreilles) : J'veux pas savoir, j'veux pas
savoir.La mre (criant) : Page trois... (Elle tourne les
pages.)Magda (dans un gmissement, comme souffrant) : Non, non...La
mre (le journal ouvert sur ses genoux, un doigt sur les lignes
significatives) : "Une chemise carreaux". Tu m'as dit qu'il avait
horreur des chemises carreaux..Magda (chantonnant, comme un
gmissement) : "Madeleine... Madeleine elle aimera a..."La mre :
"Trs exalt. L'homme dont on croyait qu'il l'avait pouss, a peut-tre
essay de le retenir."...Magda (hurlant) : "Madeleine... elle
viendra pas."La mre (criant) : Tais-toi ! Tais-toi ! Regarde !Magda
(hurlant) : "Madeleine elle viendra pas !"La mre : Regarde ! (Elle
tend le journal en vain, Magda s'est tue mais bute regarde
ailleurs.Un silence.) Regarde la ralit en face. Ne fais pas
l'idiote.Magda (comme un gmissement) : Magda n'est pas idiote. Elle
ne sera jamais plus idiote.La mre : T'es pire qu'idiote, t'es
bte.Magda (comme un gmissement) : Magda n'est pas bte. Elle ne sera
plus jamais bte.La mre (se mettant debout) : Y a pas moyen avec
toi. On dirait qu't'es sourde. Mais, ma p'tite fille, la ralit
c'est la vrit. La vrit, elle est ici (Elle tape sur le journal.),
tu n'y peux rien, on n'y peut rien. Ton amoureux, s'il est mort, ce
qui m'tonnerait, en tout cas...Magda (hurlant) : Va-t'en ! Va-t'en
!La mre (criant) : Tu te heurtes un mur, Magda !Magda (prenant ses
prcieux objets dans son cas et les lui lanant la tte; criant et
pleurant) : C'est mre-prison le mur ! Tu l'as emmur au-dehors et
Magda reste toute seule. (Elle lance des objets sur la mre qui
recule.) Je veux tre avec lui ! Avec lui ! (Elle se lve son tour et
avance sur la mre en lanant les objets qu'elle ramasse car son sac
est vide.) Va-t'en avec les murs. Je suis sre qu'ils vont tomber ds
que tu seras partie !La mre : Tu te casseras la tte contre les
murs, Magda. Je t'en prie, remonte avec moi. Ne sois pas
stupide.Magda : Magda n'est pas stupide. Magda ne sera plus jamais
stupide ! Je vais casser les murs ! Tous les murs que tu as levs
devant lui. Je l'entends taper contre un mur, il le cassera, j'en
suis sre, il va le briser, ton mur !La mre (lui jetant le journal)
: Soit. Dbrouille-toi. Cette fois j'en ai assez, je m'en vais.
(Elle va vers l'escalier.)Magda : C'est a, tire-toi, laisse-moi.La
mre : Je ne te laisse pas, je ne te laisserai jamais...Magda (en
vritable crise de fureur et de dsespoir) : Aah ! (Elle jette les
objets qu'elle ramasse dans la direction de la mre qui est beaucoup
trop loin.)La mre : Soit. Je m'en vais. Tu vois, je m'en vais.
(Elle monte l'escalier.) Mais je ne t'abandonnerai jamais. (Elle
sort.)(Un temps.)Magda (toujours debout, regardant ses affaires par
terre) : ... Quel dsordre pour une veille.(Elle commence de
ramasser ses objets qu'elle va porter dans son sac rest sur un
sige.
-
Au bout de quelques instants il ne reste plus sur le sol que le
journal.)12. (Beaut Capital descend l'escalier en rage, suivie de
prs par Le syndi pro et quelques marches, d'Anglique, puis L'homme
d'affaires.)Beaut Capital (en furie) : Ta gueule, fauch !Magda
(dcourage en les voyant) : Allons bon.Le syndi : Ecoute,
chrie...Anglique : Aah, c'est bien fait, bien fait !Le syndi : Mes
rentres d'argent sont sres et certaines, je les sens comme le
sourcier sent l'eau sous terre.Anglique ( Beaut Capital) : Il veut
te faire creuser.Le syndi ( Anglique) : Laisse-moi tranquille. (A
Beaut Capital :) Ecoute moi.Beaut Capital (en rage) : Du pognon,
pas des explications !Anglique (au Syndi) : Aah, c'est bien fait,
bien fait !L'homme d'affaires ( Anglique) : Du calme, Anglique.Le
syndi ( Beaut Capital) : Y a plein de cotisations syndicales en
r'tard. J'ai lanc l'avis de recherche. On va ramasser.Beaut Capital
(en rage) : Mon loyer j'le paie pas avec des cotisations.Anglique (
L'homme d'affaires) : Il pique dans la caisse en plus. Il s'envoie
Anglique entre un vol et une coucherie 1 000 balles avec celle-l
!Beaut Capital ( Anglique) : Non mais, h ! T'as vu mon physique et
le tien ?Le syndi (aux deux) : Je vous en prie, ne nous disputons
pas.Anglique : Et pourquoi pas ?Beaut Capital : Alors paie.Le syndi
(dsorient, Anglique) : ... Tu ne pourrais pas m'avancer une petite
somme ?Anglique (ahurie) : Moi ?Le syndi (aigrement) : Non;
videmment. Y a des gens sur qui on ne peut jamais compter. (A
L'homme d'affaires :) Et vous ?L'homme d'affaires (froidement) : Le
tonneau des Danades, trs peu pour moi. Je fais des affaires.Beaut
Capital (intresse) : Et quelles affaires ?L'homme d'affaires : Des
grosses.Beaut Capital : Ce sont les meilleures. (Ils rient.)L'homme
d'affaires : Import. Export. (Ils se sont rapprochs et commencent
de s'loigner vers la gauche.) Et vous ?Beaut Capital : Je suis dans
le soutien psychologique. (Petit regard en douce de L'homme
d'affaires vers Le syndi. Elle prcise :) Pour hommes riches...
Exclusivement.L'homme d'affaires : Vous tes la plus belle des
Danades.(Ils disparaissent sur la gauche.)Le syndi ( Anglique, les
regardant s'loigner) : Je suis malheureux, Anglique.Anglique : Tant
mieux.Magda (riant, mi-voix) : a c'est envoy.La culti calcu
(descendant l'escalier, en rage) : Ce boui-boui, une bonne affaire
! Tu parles ! Ah si maman voyait...Cap Bob (lui courant aprs) :
Mais il va marcher... ds que j'aurai fait quelques progrs en
cuisine...La culti calcu (s'arrtant net en bas de l'escalier et se
retournant) : Toi un militaire, aux fourneaux !
-
Cap Bob : Pourquoi pas ? Il suffit d'apprendre.La culti
(repartant) : Ah oui, il suffit.Cap Bob : Tu me prtes la petite
somme, pour que je puisse...La culti calcu : Non.Cap Bob : J'ai
sauv la patrie quand j'tais soldat ! Merde, on me doit bien quelque
chose.La culti calcu : Demande "on". Le prix du bl a encore baiss,
les aides de l'tat aussi, je ne m'en sors plus.Cap Bob : J'ai la
croix de guerre et la lgion d'honneur, la famille en est plutt
fire...La culti calcu (schement) : L'arme a srement voulu te
remercier de ne pas lui avoir fait la cuisine. (Cap Bob furieux
remonte les marches de l'escalier et disparat.Il croise Le
chercheur s et Isabelle.)Isabelle : Mais le substrat, docteur ?Le
chercheur s : Le substrat est noble. Il est fertilisateur. Un
condens de forces. De puissances. Une incroyable potentialit de
dveloppements anarchiques...Magda : a fait du bien d'entende des
gens qu'on ne comprend pas.(Le mtro arrive. Repart.13. Sur le quai,
Magda videmment, mais seule.)Magda (regardant bien, sa gauche, sa
droite surtout) : En voil une surprise... (A "Lui" :) Enfin
seuls... Peut-tre que ton tre reste forcment "l", et que chaque
rame te traverse et te fait souffrir... Il y a tant d'atrocits dans
la vie qu'il est difficile de croire qu'elles aient une fin... Ce
n'est pas parce que ma mre sera morte qu'elle cessera de
m'embter... A quoi pourrait servir la mort si nous n'existions plus
?... (Se levant brusquement et allant vers le journal, elle lui
crie en se penchant un peu mais sans le toucher :) Je sais bien
qu'il s'est suicid ! Pour moi. (Chantant :) "Madeleine elle est pas
v'nue. Madeleine elle viendra pas." Aah. (S'loignant du journal :)
Coi, le journal. Quand ma mre n'y est pas, il fait pas l'mariolle.
(Se rasseyant :) Non mais, comme si une femme qui aime n'en savait
pas plus que des feuilles de papier. (Criant, au journal :) Parce
que tu n'es que du papier. (A elle-mme, avec satisfaction :) Du
simple papier. (Un temps.)Pauvre chri. Tu devais avoir mal comme
moi en ce moment... L'espoir meurt et nous, nous ne mourons pas
sur-le-champ. Et on dit que l'espoir fait vivre... Allez
comprendre. (Levant la tte et s'en prenant la grande affiche :) Eh,
la guignole, c'est pas toi qui lui aurait conseill la chemise
carreaux par hasard ? (Bougonnant :) M'tonnerait pas d'elle. Il
avait horreur des carreaux. Elle a d lui dire : "Si, si, ils font
plus distingu pour un suicide mtropolitain." Pauvre chri, en mode
il croyait n'importe quoi."... Et sur la mort il croyait la tl. Que
seuls ceux qui entrent dans la tl sont immortels. La slection par
la tl. Entre ou crve, alors y a foule pour y entrer... Pas moi. Pas
nous. Et on n'en est pas mort pour autant... On est des morts
libres. (Se levant, hurlant :)Libres ! Et on peut voler ! (Elle se
rassied, calme.)14. (Entrent par l'escalier la suite d'Isabelle
portant un petit drapeau les treize autres, par deux, sauf Le
surfeur qui est seul.)Isabelle : Par ici ! Vous avez la station
ancienne typique de Paris. Avec sa clocharde, son journal par
terre, ses affiches publicitaires, ses petits carreaux blancs sur
la paroi vote.(Le groupe s'tale sur le quai : de gauche - le plus
loign de l'escalier - droite : Cap Bob et Beaut Capital, L'homme
d'affaires et La culti, Le surfeur - seul - la hauteur de Magda, Le
chercheur s et La vendeuse sub, L'colo et La sportive des mers, Le
syndi et Anglique, Le gros Limousin et La mre instit.)Magda
(ironiquement, en regardant Le surfeur) : Tiens, y en a un de
libre.Isabelle ( la cantonade) : Surtout ne vous loignez pas.
Restez groups. (S'approchant du Surfeur en chatte subtile :) Vous
ne vous sentez pas trop perdu parmi ces couples ?
-
Le surfeur (souriant) : Je ne serai pas clibataire bien
longtemps.Isabelle (souriante) : Je n'en doute pas.Magda (criant
brusquement; tous se tournent vers elle) : Un mort est "l" ! (Elle
montre l'endroit, tous regardent dans la direction de son doigt, ne
le voient pas videmment et tournent de nouveau la tte vers elle.)
Mais on ne le voit plus... Les vivants n'ont pas le droit de voir
les morts... Je suis sa veuve, voyez-vous, et j'organise sur place
sa veille...(Presque tous commencent de chercher une pice dans leur
porte-monnaie ou leur poche. Le surfeur, qui est le plus prs,
s'approche; il cherche o poser sa pice.)Magda (comprenant, indigne)
: Mais non, on ne demande pas de participation !Le gros Limousin (
La mre instit) : Ah, tant mieux. Les clochards, c'est pittoresque
mais d'habitude c'est payant.Magda (se levant) : L'accs est libre.
On demande simplement aux passants de la discrtion.Isabelle : Bien,
bien, ne vous fchez pas.Magda : Du respect. (Regardant les paules
dcouvertes de Beaut Capital :) Et une tenue correcte est exige
!Beaut Capital (agace) : On ne va pas me refaire le coup de l'glise
! Dans le mtro !Cap Bob (devoir de mle, Magda) : Cessez
d'importuner mon amie ou...Magda (marchant sur lui) : Ou... ?Cap
Bob (interloqu) : Ou...Magda (juste devant lui, agressive) : Ou...
?Isabelle (sparant les combattants) : Madame, je vous en prie, ne
gchez pas la journe de mes touristes et le mienne.Magda (en fier
bras, mais se laissant ramener vers son sige par Isabelle) : Non
mais.Le gros Limousin ( mi-voix, La mre instit) : Ces gens-l sont
imprvisibles, ils peuvent vous agresser tout moment, sans aucune
raison.L'homme d'affaires ( mi-voix, La culti calcu) : Un de mes
amis a t mordu par le chien de l'un d'eux la semaine dernire. Et
comment se dfendre contre un chien ?Le chercheur s ( mi-voix, La
vendeuse sub) : Tous sont alcooliques, drogus, ce qui les rend
agressifs.L'colo barbu ( mi-voix, La sportive des mers) : On ferait
bien de les expdier la campagne, le grand air et le travail des
champs les soigneront mieux que tout contre la ville.Le syndi pro (
mi-voix, Anglique) : Si on leur donnait du boulot ils ne
tomberaient pas la rue.Magda (satisfaite des chuchotements) : Enfin
une atmosphre de veille.(Un temps.Tous se taisent face aux
rails.L'homme d'affaires se met rire doucement.)L'homme d'affaires
( mi-voix, La culti calcu; toujours riant) : Heureusement que l'on
n'a pas eu dfiler devant elle pour l'aumne, j'avais beau fouiller
mes poches, pas un radis. J'aurais eu bonne mine.La culti calcu
(amuse, mi-voix) : Je me demande si je vais pouvoir rester avec un
tel fauch.Magda (qui coute, abasourdie et peine) : Oh...L'homme
d'affaires ( mi-voix, La culti; s'amusant) : Mais je suis si
gentil, belle dame, vous n'allez pas me renvoyer.La culti (
mi-voix, comme srieuse) : Nous verrons. Nous verrons.Magda (peine)
: Oh... (Elle se met chercher dans son sac, en sort son
porte-monnaie, en tire une pice de deux euros, remet le
porte-monnaie dans le sac, se lve et trs vite va jusqu'
-
L'homme d'affaires , elle lui prend la main et y glisse sa pice,
trs vite elle retourne s'asseoir, comme si de rien n'tait. L'homme
d'affaires reste interloqu, il regarde la pice dans sa main,
regarde La culti calcu qui comprend ce qui s'est pass mais ne sait
quoi dire. Il est gn et indcis. Il referme sa main, la rouvre,
regarde la pice; perplexe.Enfin, dcision prise, il glisse la pice
dans sa poche, se tourne lgrement vers Magda...)L'homme d'affaires
(dans un souffle, Magda) : Merci.(Magda est contente, elle a un
lger sourire et le salue d'un petit signe de tte. L'homme
d'affaires , un peu rouge, fixe les rails. La culti lui prend
doucement la main.)Magda ( part soi) : Ce n'est pas que je sois
riche, mais quand on peut aider... si on est sr d'agir bon
escient...15. (Brusquement les femmes se ruent sur Magda. Les
hommes restent la mme place comme si rien ne se passait, le regard
sur les rails. Cinq attaquent directement tandis que les deux
autres -La cultivatrice et La sportive - regardent.)Beaut Capital
(tirant les cheveux de Magda en arrire) : Il n'allait pas
t'attendre quand il y a des filles comme moi !Anglique (giflant
Magda) : Tte claques. Tte claques !Isabelle (lui saisissant une
jambe) : Non mais, regardez-moi les godasses !La mre instit
(saisissant l'autre jambe qu'elle remue de faon grotesque) :
Mademoiselle jument, hop hop hop, a court.La vendeuse sub (lui
ttant un bras) : Eh, t'as gros biceps, toi. I valait mieux qu'i
soit sage.(Magda se dbat . Pendant toute la scne elle ne dira pas
un mot, ne profrera pas un gmissement.)Le gros Limousin (comme si
La mre instit tait ct de lui) : Prs de vous, je me sens
lgiaque.L'colo barbu (comme si La sportive des mers tait ct de lui)
: Il y a une confrence au Jardin des plantes, qu'en dites-vous ?La
culti calcu (qui n'avait encore que regard, aidant matriser Magda)
: Attends, toi, tu vas recevoir ta leon.La sportive des mers (qui
n'avait encore que regard, aidant matriser Magda) : Tu te crois
plus forte que moi ? Tu vas voir a.Anglique (giflant Magda) : Mais
calmez-vous, ma chre, vous tes hystrique.Beaut Capital (tirant
nouveau les cheveux de Magda, lui renversant la tte en arrire) :
Alors, Beaut, on rve d'amour ?L'homme d'affaires ( La culti calcu
comme si elle tait ct de lui) : Je djeunerais bien une terrasse en
zone pitonne, qu'en dites-vous ? La mre instit (qui a reu un coup
de pied de Magda) : Faut la mettre par terre, la salope, qu'elle
puisse plus ruer.La vendeuse sub : Je la tiens. (Elle l'a prise la
taille pour tirer.)La culti calcu : Pas comme a. Il faut tirer les
jambes. (Elles le font mais Magda s'agrippe aux chaises.)Isabelle :
Je tire mais...La sportive des mers : Et faire lcher les bras.
(Elle s'acharne sur un bras de Magda.)Beaut Capital : Je m'occupe
de l'autre.(Elles russissent. Magda tombe sur le sol.)Anglique (la
tirant firement par un pied tandis qu'elle se tord) : Va falloir
subir le chtiment, ma belle, belle, belle. (Toutes clatent de
rire.)Le chercheur s ( La vendeuse sub comme si elle tait ct de
lui) : J'aime l'atmosphre si
-
particulire du mtro, voyez-vous.La mre instit (donnant un coup
de pied Magda) : Appelle chri mort. "Chri mort".La vendeuse sub
(lui donnant aussi un coup de pied) : Salet de loque.Anglique
(donnant aussi un coup de pied) : Tte claques, tte claques.Isabelle
(donnant aussi un coup de pied) : Tu vas payer pour toutes tes
semblables.(Magda se dbat, elle essaie de se relever. Beaut Capital
s'agenouille pour lui saisir la tte et la plaquer au sol.)Beaut
Capital : Alors on jouit, petite ordure ? (Elle la saisit par les
cheveux en se relevant et la trane.)La culti calcu (crachant sur
Magda) : Appelle ton mort, appelle ton mort.Anglique (lui crachant
aussi dessus) : Tte claques, tte claques.La mre instit (lui
crachant aussi dessus) : Pauv'fille, sale loque.(Magda essaie de
fuir quatre pattes. Toutes se prcipitent sur elle.)Le syndi (
Anglique comme si elle tait ct de lui) : Le mois prochain sera
chaud, on prvoit des manifestations monstres.Cap Bob ( Beaut
Capital comme si elle tait ct de lui) : Si vous voulez conseiller
mon restaurant des amis, je leur ferai des prix.Isabelle (la tirant
par un pied) : Tu croyais filer, belle des belles ?Beaut Capital
(lui donnant un coup de pied) : Sale chienne;La culti calcu (lui
saisissant les cheveux et les tirant) : Appelle ton mort, vas-y.
Pourquoi i vient pas ?Anglique (lui crachant dessus) : Tte claques;
tte claques !La vendeuse sub (lui marchant sur une main pour lui
craser les doigts) : Et une petite manucure !La mre instit (lui
crachant dessus) : Allez, mignonne, appelle ta mre !Magda (qui n'a
rien dit jusque l, pas un mot, qui n'a pas profr un gmissement) :
Non !(Les sept femmes regagnent leurs places, six auprs des hommes,
Isabelle restant part.Un temps.)Beaut Capital ( Cap Bob) : On
pourrait se promener dans les ruelles de Saint-Germain...(Magda se
relve pniblement.Un temps.)Le surfeur ple ( lui-mme) : Finalement,
un peu de solitude n'est pas dtestable.(Un temps.)La vendeuse sub
(au Chercheur s) : Il n'y a que le soir que le mtro n'est pas
sr.Magda ( part soi) : J'aime pas les touristes.(La rame arrive. La
rame repart.16. Sur le quai, Beaut Capital et L'homme
d'affaires.)Beaut Capital (volubile) : a m'est gal, tes problmes.
Je ne suis pas avec toi pour tes problmes. Je ne suis pas ta femme.
Et d'ailleurs... j'ai t marie et j'en ai bav. Il tait jaloux et en
mme temps il m'aurait vendue pour avoir plus de fric. Mais si j'me
vends, autant que le fric soit moi...Magda (qui les regarde) : Je
suis contente d'tre dbarrasse des autres... Ils ont cependant l'air
excits ceux-l.Beaut Capital (encore plus agite) : ...Je veux ce qui
est beau, je veux les grands voyages en classe royale, je veux
l'ivresse des cimes, des lagons turquoise, je veux les robes qui me
changent en rve, je veux les dners magiques aux assiettes indites,
les voitures que l'on ose peine sortir de leur garage, les yachts
qui glissent sans aucun bruit...
-
Magda ( part elle) : C'est tout moi.Beaut Capital (presque
rageuse) : Tes problmes, tu te les gardes. Le temps passe. Il me
passe dans le corps. Il cherche me marquer. Avant que cette sale
brute vicieuse me domine, je veux tout avoir. Il me faut tout
avant. Et peut-tre que je pourrai supporter aprs... Selon mes
statistiques personnelles les filles comme moi meurent trente-cinq
ans.(L'homme d'affaires, visiblement bless, va s'asseoir sur l'in
des siges vers les affichettes. Beaut Capital est indcise. Elle va
vers l'escalier, fait demi-tour, quelques pas vers lui,
s'arrte.)Magda (secouant la tte avec dcouragement) : Quelle
veille...(De la gauche surgissent Le surfeur ple et La mre
instit.)Le surfeur (volubile) : Quoi, goste, quoi ! Ah le beau mot.
Tu crois me culpabiliser ? Ce sont les faibles qui se laissent
culpabiliser par des mots. Tes mots sont des machines complexes,
des toiles d'araigne. Mais tu m'as souvent dit que je n'tais pas
trs malin, alors les mots, voil, je n'les comprends pas. Et tant
mieux pour moi.Magda (pour elle-mme) : Aah, si ma mre rapparat je
lui case a.Le surfeur (plus agit) : Je veux des vagues gantes sur
lesquelles je serai debout, je veux l'ocan, qu'il soit moi, dix
secondes, une seconde, un milliardime de seconde, qu'il soit moi.
Je veux surfer sur des distances extraordinaires, vers des plages
qui m'admirent, des plages incendies de rves, qui subissent les
assauts des droulantes magnifiques domptes par ceux qui ne seront
plus jamais de simples hommes.Magda ( part elle) : Moi la tl me
suffit.Le surfeur (presque rageur) : Ici, est-ce une vie ? Une vie
pour moi ? Allons donc. J'aimerai risquer ma vie pour rien sur une
vague, mais pas sur un passage-pitons pour aller au bureau. Les
bureaux tuent lentement et en change vous n'avez qu'un
compte-goutte de sang qu'ils veulent bien vous donner. Je ne veux
pas de cette mort-l. On n'a sans doute qu'un choix possible, un
seul, celui de sa mort, et les discours sont l pour nous en priver.
Alors je ne les comprends pas, soit, puisque c'est le seul moyen de
s'en dfendre.(La mre instit, visiblement blesse, va s'asseoir sur
le mme banc que L'homme d'affaires mais deux siges les sparent.Le
surfeur va vers l'escalier, ralentit, indcis, il s'arrte.)Magda (se
levant, trs fort) : Que veut Magda ?... Magda veut, premirement,
que son mort soit son mort, qu'un tranger cesse de vouloir lui
prendre sa place. Avis aux journaux. Plus de discours des journaux.
Deuximement, que la veille se passe un peu mieux. On n'arrive pas
se recueillir. Troisimement que ma mre soit punie. Plus de discours
de ma mre. Voil. (Se rasseyant :) Mais c'est peut-tre trop
demander.(Le surfeur jette un coup d'oeil La mre instit et commence
de monter l'escalier.Beaut Capital hsite puis part galement.)17.
(Un silence.)L'homme d'affaires (pour lui-mme, prenant sa tte dans
ses mains, coudes poss sur ses genoux) : Je suis fatigu...La mre
instit (plonge dans ses rflexions; comme un soupir douloureux) :
Aah...(Un temps.)Magda (jubilant) : Ouiii, c'est a ! Enfin dans le
ton.(Isabelle descend l'escalier, son tlphone la main.)Isabelle :
Ah. (Regardant les trois prsents et jugeant leur attitude :) Je
dois tre la premire. (Elle sort de son sac une sorte de petite
cravate verte, qu'elle se passe autour du cou. Voyant l'absence de
raction des autres, pour elle-mme :) Bon. Je vais attendre.
-
Magda (aimablement) : Ici tout le monde attend. (Trs matresse de
station de mtro :) Si vous voulez prendre place. (Elle dsigne un
sige sur l'autre banc, celui de L'homme d'affaires et de La mre
instit.)Isabelle (interloque) : Non, merci... Je prfre rester
debout.(Le syndi descend l'escalier; apercevant Isabelle et sa
cravate, il sort la sienne d'une poche et la passe tout en
marchant. Il jette un coup d'oeil aux autres.)Le syndi ( Isabelle)
: Deux seulement. Je suis en avance ?Isabelle : Non, mais il y a
encore du temps.Magda ( part soi) : Du vert. Ils avaient peut-tre
dj us leur noir dans des enterrements familiaux. C'est quand mme
chic d'tre venus alors qu'ils ne le connaissaient pas.(Descendent
leur tour, dj cravats, Anglique, L'colo, La vendeuse, Cap Bob, La
sportive, Le chercheur.)Anglique : Isabelle ? Comme je suis
contente de te revoir.Isabelle (l'embrassant) : Il faut des
circonstances comme celle-ci.Le chercheur : Vous avez eu raison de
nous mobiliser. Il y a des circonstances o tout le rseau devrait
pouvoir tre oprationnel presque sur-le-champ.La vendeuse : Moi j'ai
laiss la boutique, ma collgue a dit qu'elle se dbrouillera.Cap Bob
: Ils veulent vraiment fermer notre unit de soins d'accompagnement
?Le syndi : Ce sont des barbares, ils ne connaissent que la logique
comptable.L'colo : Pourtant un jardin, des fleurs, de la lumire
pour ces malades en phase finale...La sportive : Je me souviens de
mon pre et de ses derniers jours, il aurait bien aim avoir a au
lieu de son ternel lit et du couloir...Le chercheur : Nous finanons
tout de mme 60 %.Anglique : Il me semble que nous avons notre mot
dire !Isabelle : Nos 60 %, les bureaucrates ont tent de les
rutiliser " des fins plus utiles", comme ils disent.(Magda se lve
et s'approche pour mieux entendre.)La vendeuse : Plus utiles !Cap
Bob : Ils attendent d'tre malades pour comprendre.La sportive :
Mais c'est notre argent, ils n'ont pas le droit !Isabelle : Ils ont
tent le coup, ils ont pens que ce serait fait avant qu'on
ragisse.Le syndi : Il faudrait la tl.Isabelle : On aura la
tl.L'colo : Enfin, c'est du vol !Isabelle : Ce n'est jamais du vol
quand c'est technocratique. La loi ne s'applique qu'assez vaguement
ces gens des bureaux.Magda (brusquement, s'immisant) : Ici, il y a
eu un mort. (Elle montre l'endroit de la main. Drlement :) Il n'a
pas eu le temps d'tre malade... Il a saut. (Elle va vers l'endroit,
le contourne, met la main devant ses yeux. Pleurant :) Il n'en
pouvait plus... Et je suis comme lui... Sans arrt je le vois
sauter. Je sens le moment de la dcision en moi. (Elle se touche le
coeur.) Elle me fait mal. Elle me fait souffrir. Vous comprenez ?
Les autres qui passent ne me comprennent pas, ils me croient
clocharde ou paume, mais vous, vous comprenez srement ?L'colo barbu
: Qu'est-ce que vous voulez ?Magda : Pourquoi est-ce que la vie est
supporter ?... Pourquoi est-ce que le vie est un devoir ?Isabelle
(pour dire quelque chose) : Je suis dsole.Magda : Les droits a
n'existe pas. Simple illusion. Ah oui, on dit : "Sois amoureuse" et
tu es amoureuse; on dit : "Sois malade", et tu es malade; on dit :
"Sois toute seule", et tu es toute
-
seule...Anglique : Vous entendez des voix ?Magda : Et on n'en
finit pas en croyant qu'on peut vouloir. Avez-vous votre permis de
suicide ? Il faut l'autorisation. On ne sort pas sa guise. Si la
porte ne s'ouvre pas, tu as beau vouloir, tu restes devant la
porte. Et tu es punie. Tu supporteras plus pour avoir voulu ne plus
supporter. La charge qu'on t'imposait. Il y a eu une autorisation
de sortie, l. (Elle montre l'endroit.) Maintenant la porte est
ferme. Je ne peux plus sortir. Vous non plus.Le syndi (gar) : Si
vous ne pouvez pas prendre l'escalier, prenez l'mtro.Magda
(s'arrte, pensive) : ... J'y ai pens... (Retournant s'asseoir :)
J'y ai pens. (S'asseyant:) Mais on y est toujours sous terre...
(Revenant brusquement vers eux, elle leur serre la main tous.) Moi
aussi je suis en phase finale. Oui. Moi aussi. a ne se voit pas. Et
je suis coince sous terre. Toujours. Dans le mtro. Avec "lui". Mais
"lui" il est pass. Je reste toute seule. J'attends. J'attends que
la porte s'ouvre.18. Isabelle (voyant les autres encore plus gns
qu'elle; pour montrer qu'elle est prte aider quel que soit le
problme) : Vous voulez bien que j'appelle un mdecin? Ce serait le
mieux, non ?Magda (tranquillement) : ... Les mdecins n'ouvrent pas
la porte, ils font de la mdecine.Isabelle : Vous avez des problmes,
vous avez besoin que quelqu'un s'occupe de vous...Magda : Magda est
juste malheureuse. Elle ne veut pas de drogue du bonheur. Qu'est-ce
qu'elle ferait d'un mdecin et de ses piquoses ? Isabelle : Elles
vous empcheraient de penser vos problmes.Magda : Empcher Magda
d'tre malheureuse c'est pire que tuer Magda.La vendeuse sub
(intervenant, sur un ton acerbe) : On a l'droit d'tre malheureux
partout, mme dans l'mtro.Le chercheur s (doucement, Isabelle) : Si
vous enlevez de ses paules le poids de ses peines, vous lui enlevez
son humanit, Isabelle. Vous ne pouvez pas faire a. Nous voulons
juste le contraire; que mme la souffrance physique ne puisse pas
dshumaniser les hommes. Et les mdecins non plus.Isabelle (en somme
soulage de n'avoir rien faire tout en gardant bonne conscience) :
Ma foi, peut-tre. Si les autres pensent comme vous... (Les autres
hochent la tte pour approuver.) Bon... Il est sans doute des cas o
il faut savoir ne rien faire...Magda (retournant s'asseoir) : Mais
c'est long.(La culti calcu et Le gros Limousin descendent
l'escalier.)La culti (au Gros Limousin) : Ah, vous voyez, il y a du
monde.Le gros Limousin (mfiant) : IL y a toujours du monde dans le
mtro.La culti : Mais regardez les cravates. (Elle sort la
sienne.)Le gros Limousin (pas si content) : Ah oui. (Il sort la
sienne.)Isabelle (allant au-devant d'eux) : On ne se connat pas
encore.La culti : Je suis une adhrente de la Beauce, en affaires
Paris, mais quand j'ai connu votre appel...Le gros Limousin : Moi
je suis l'adhrent de Limoges.Magda (s'approche vite, pleine
d'intrt) : Comment a s'passe l-haut ?La culti (interloque) :
Mais... comme d'habitude.Magda (pesant le renseignement) : Ah...
Bien. Bien... (Soulage :) Si l'habitude tient, tout tient.Le gros
Limousin (pour faire de l'esprit) : Tiens, v'l du boudin, v'l du
boudin. (On lui fait les gros yeux de partout, mines furibondes.)
Quoi ? Elle en a des faons.Isabelle : Madame s'informe de l'air du
temps, voyons.Magda (rectifiant) : Mademoiselle. (Baissant les
yeux, au bord des larmes :) Veuve.
-
La culti (qui comprend plus vite que son voisin) : Je suis
dsole. Toutes mes condolances.Magda (des larmes dans les yeux) :
Est-ce que vous les avez vus ?La culti : Qui ?Magda : Magda et lui.
Est-ce qu'ils sont heureux ?Le gros Limousin (pour parler cote que
cote) : Srement puisqu'ils ne sont pas ici.Magda (rassrne) : Oui.
Tant que je ne bouge pas d'ici, elle peut tre heureuse l-haut avec
lui. (Elle semble mditer.) C'est que je suis la vraie Magda,
voyez-vous. L'autre n'est qu'un double. "Lui" aussi. Mais elle
voulait tellement tre heureuse. Il fallait bien que je me sacrifie.
Et "lui" aussi. (Allant montrer :) Il est mort l. (Elle marche en
un demi-cercle autour de l'endroit d'o l'homme a saut.) Nous avons
dcid ensemble de nous sacrifier pour eux. Ils voulaient tellement
tre heureux. Ils ne pouvaient l'tre qu'ensemble. Il leur fallait
des habitudes eux.Le gros Limousin (ironique, lourd) : Comme de ne
pas prendre le mtro.Magda : Surtout pas prendre le mtro. Moi, j'y
garde la nuit. Enferme avec moi. Ils ont la lumire vivante. Et
j'attends que la vraie porte s'ouvre. L... Elle me prendra avec
toute la nuit du monde. Et il n'y aura plus que des habitudes de
bonheur. La lumire sera d'une douceur merveilleuse. Grce au
sacrifice de Magda.(La rame arrive.La rame repart.19. Magda reste
la mme place, dans la mme position, mais sans personne autour.Le
chercheur s et La vendeuse sub sont la hauteur des affichettes, de
trois quarts. Le chercheur, attir par elles, va les regarder de
prs. Elle le suit.)Le chercheur ( La vendeuse) : Pice grosses
blagues, pice grosses blagues, ah , "Les affaires sont les
affaires", o ? Au "Vieux-Colombier" bien sr. A deux pas. Vous
connaissez ?La vendeuse : Non, mais celle-l : "Granny mange Dady",
j'y suis alle avec une copine.Le chercheur (froid) : Oui... (Rveur
:) Au Vieux-Colombier, que de souvenirs. "L'incorruptible", "Le Mal
court", "Du ct de chez Thorpe"...La vendeuse (un peu pince) : On
peut y aller, si vous voulez; vous m 'emboterez dans vos
souvenirs.Magda (s'approchant; sans faons) : Je n'ai jamais pens
regarder les affichettes et pourtant j'habite cette station depuis
des annes. (Un temps, elle regarde.) Est-ce que je joue quelque
part ?La vendeuse : Vous tes actrice ?Magda (interdite) : Peut-tre.
Elle fait ce qu'elle veut. Je ne la contrle pas. Je ne lui donne
pas d'ordres.Le chercheur s (qui ne comprend pas) : Qui "elle"
?Magda : Magda... Moi.Le chercheur s (perplexe, La vendeuse) : Et
vous qui vous plaignez que je ne sois pas facile comprendre...Magda
: Comprendre quoi ? Si on ne garde pas le malheur sous terre, il
incendie sur terre, il se rpand, il torture, il tue atrocement.Le
chercheur s : Ah oui. Donc vous le gardez...Magda : J'aimerais bien
ressortir. Mme si je dois la rencontrer... Je ferai celle qui ne la
reconnat pas... Pensez, elle doit tre habille la dernire mode, en
Chanel, en Dior, en Lagerfeld... Mais il faudrait que je trouve
quelqu'un qui accepte de prendre ma place, au moins quelques
heures... (A La vendeuse sub :) Vous ne voudriez pas prendre ma
place ? Juste pour quelques heures ?La vendeuse (au Chercheur,
mcontente) : Venez donc. Allons-nous-en.Le chercheur s : Oui. (A
Magda :) Excusez-nous.
-
(Ils gagnent l'escalier.)Magda (rveuse) : Elle ne joue nulle
part... Mais moi je peux jouer ici; pas besoin de sortir. (A la
grande affiche :) Hein, la guignole ? On n'a besoin de personne !
On y arrivera bien toutes les deux. Il suffit de trouver quelques
passants de bonne volont, il passe tout l'temps du monde... (Un
temps.) Dans une veille funbre... Enfin on ne choisit pas les lieux
de la mort, on croit choisir et on se rend o l'on doit se rendre.
(Un temps.)(Arrivent par la gauche Beaut Capital et Cap Bob
enlacs.Magda se prcipite au-devant d'eux.)Magda : Pardon. Je suis
actrice. Spcialise dans les veilles funbres. J'aurais besoin de
quelqu'un pour me donner la rplique. Vous ne voulez pas me donner
la rplique ?Cap Bob : Et quelle est cette rplique ?Magda
(dcontenance) : Je ne sais pas. Il faut l'inventer.Beaut Capital
(riant doucement) : La fois o nous tions pass ici il y avait dj une
femme comme elle.Cap Bob (souriant) : C'est vrai, je m'en souviens,
un peu paume.Magda (susceptible) : Hein ?... Non mais. (Le couple
passe, Cap Bob est entran par Beaut Capital.)Beaut Capital : Viens.
Ne nous attire pas une affaire avec elle.Magda (criant) : Si dans
votre histoire d'amour vous avez un souvenir de paume, voyez plutt
pourquoi vous vous souvenez plus d'elle ! Magda, elle, sait aimer.
Mais il est mort, (Dsignant la place d'o il a saut :) l. (Ils
s'loignent. Bougonnant :) Paums d'amour, va.(Arrivent par la gauche
L'homme d'affaires et La culti calcu, main dans la main.)L'homme
d'affaires : Rien n'a chang. On se croirait report dans le pass.La
culti : Mme elle. Si ! Tu ne te souviens pas ?Magda (allant
au-devant d'eux) : Bonjour. Je suis tudiante en art dramatique.
J'anime ici la veille funbre. Vous n'accepteriez pas de jouer le
prtre et la prfte ? Moi je suis la veuve.La culti (riant) :
Toujours aussi folle.L'homme d'affaires (riant) : Sauvons-nous.
(Ils se mettent courir, rattrapent et dpassent Cap Bob et Beaut
Capital.)Magda (stupfaite) : Mais pourquoi est-ce que tout le monde
m'insulte ? (Hurlant :) Salauds ! Salauds ! (Un temps. Les quatre
disparaissent dans l'escalier.) Mais qu'est-ce qu'il faut faire
pour que les gens s'arrtent ? Pour qu'ils vous aident ? (Par la
gauche arrivent Le surfeur et Isabelle. A l'affiche :) Attends, la
guignole, je vais leur donner du spectacle. Du grand, comme toi,
mais vivant. (Elle retrousse sa robe et danse bizarrement en
chantant :) "Madeleine, elle aimera a. Madeleine elle viendra pour
a. Ah ah ah" (Elle dnude une paule/) "Madeleine elle n'a pas pris
l'mtro, l'mtro, Madeleine, elle reviendra !'(Le surfeur et
Isabelle, arrivant presque sa hauteur, visiblement gns et inquiets,
htent le pas - de plus en plus rapide - vers la sortie.;Un
temps.)Magda (qui a laiss retomber sa robe, recouvert son paule,
crie) : Salauds ! Salauds ! (Un temps.) Je n'y crois pas assez,
c'est pour a... (Retournant s'asseoir :) J'aurais tellement voulu y
croire. Qu'elle est l-haut. Avec lui. Qu'ils sont heureux. (Accable
:) Mais je n'y crois pas. (Un temps. Pleurant :) Je ne peux pas.
(Un temps. Criant :) Aide-moi, la guignole ! Aide-moi !20. (La mre
instit, Anglique et La sportive des mers dvalent l'escalier,
habilles de noir. Solennelles elles continuent l'vidence une
discussion.)La mre instit : Elle mrite le chtiment.Anglique
(ironique) : Je ne savais pas que le chtiment s'attribue au
mrite.
-
La sportive des mers : Qu'a-telle fait en somme ? Rien, je
dirais.La mre instit : Vivre d'illusions est un crime contre ceux
qui font et refont ce monde chaque matin. Durement.(Elles
avancent.)La sportive des mers : Faire et refaire le monde est une
illusion que Magda ne partage pas avec vous, c'est cela qui vous
choque ?Anglique (ironique) : Tout le monde doit tre puni puisque
personne n'est parfait.La mre instit : Ds sa naissance, on sentait
la marginale, le bb inadapt, l'asociale prdestine.Anglique : Magda
a voulu se marier, elle n'est donc pas si marginale.La sportive :
Il y a un don de la marginalit comme un don des sciences ou pour un
art. Un tout n'existe pas sans marges. L'humanit est un tre, un
tout; elle est garde contre le vide et le dlire par ses
marginaux.Anglique : Un malade est comme un soldat de l'humanit
bless par les forces qui la menacent; il protge les autres par sa
mort sans le savoir.La mre instit (ironique) : Sans que personne ne
le sache, assurment. O avez-vous lu tout a ? Quelles intellos !
Pour en revenir elle...La sportive : Mais on parle toujours d'elle
!La mre instit : Non, non. Vous dformez, vous voyez l'insignifiant
dans ce qui est grave, la peccadille dans le refus de contribuer au
bon fonctionnement social !(Elles arrivent la hauteur de Magda et
s'arrtent. Magda les regarde, elle les coute.)Anglique : Il aurait
juste fallu que le mariage ait lieu.Magda (pour elle-mme) : Oui.La
sportive : Ou qu'on lui propose quelque chose... de passionnant.La
mre instit (s'asseyant sur le banc de Magda) : Rien ne passionne
Magda. Rien ne l'intresse. Rien ne l'a jamais intresse.Anglique
(s'asseyant ct de La mre instit) : Sauf "lui".La sportive
(s'asseyant de l'autre ct de La mre instit, seul le sige avec le
sac la spare de Magda) : N'est-ce pas beaucoup ?Anglique :
Considrable ?Magda : Ma mre non plus ne comprend pas. (Comme pour
expliquer aux trois femmes qui la regardent :) Magda c'est moi.La
mre instit (choisissant de l'ignorer) : Si on ne sait pas chtier,
on ne sait pas aider.Magda : Je ne suis pas mchante, vous savez.
(Les trois femmes la regardent nouveau.) La vie au-dessus n'tait
plus possible pour moi. Alors je me suis rfugie ici avec "lui" et
la guignole. C'est dur. Mais on tient le coup.Anglique (regardant
autour) : Lui ?Magda : Il est mort le premier. (Dsignant l'endroit
:) L. (Pleurant :) J'essaie de croire qu'il m'attend... Je n'y
arrive pas... Je ne peux plus...La sportive (consolante) :
L'illusion est morte, elle l'a rejoint, une part de vous l'a bien
rejoint.Magda (pleurant) : Magda sans elle n'est plus rien. Je ne
suis plus Magda. Je porte encore le prnom ou plutt j'y suis
suspendue comme un fil, une vie qui se balance au bout d'un fil.La
sportive : Il ne cassera pas.Magda : Il faut qu'il casse. Et que la
porte s'ouvre.La mre instit (schement) : Refaites votre vie au lieu
de vous lamenter. Chaque matin il faut refaire la vie.Anglique
(doucement) : Il n'y avait que "lui" pour Magda, n'est-ce pas ?
-
Magda (pleurant) : Oui.La sportive : Il ne cassera pas.La mre
instit : Ayez du courage. Il faut du courage pour vivre. (Se
levant, aux deux autres :) Venez. Qu'elle s'assume au lieu de
dranger tout le monde.Magda (dsespre) : Si au moins il avait pu
casser. Il n'y a mme plus cet espoir.Anglique (suivant La mre
instit, se retournant) : Courage.Magda : Mais le courage se nourrit
d'espoir...La sportive (suivant les autres, se retournant) : Bonne
chance.(Magda d'abord stupfaite en reste muette, puis elle se met
rire doucement en hochant la tte : non, non, non.Les trois femmes
disparaissent par la gauche.)21. Magda (rveuse) : Le temps passe
nanmoins... Je le sens me traverser comme si je n'existais pas. Je
ne contrle rien. Je n'ai jamais rien contrl. J'ai toujours t
contrle. Que peut faire Magda pour que le temps ne la traverse plus
comme si elle n'existait pas ?(L'colo barbu descend l'escalier d'un
pas rapide. Il semble nerv. Sur le quai aprs s'tre plac face aux
rails, il marche un peu gauche, puis droite; il n'arrive pas rester
en place.)Magda (agace, fort) : Asseyez-vous donc !L'colo
(interloqu, mcontent) : Je vous drange ? Vous vous croyez chez vous
?Magda : Je vous retourne le compliment.L'colo (agressif) :
Qu'est-ce qui ne va pas dans votre tte ?Magda : ... Magda a de plus
en plus de mal pleurer.L'colo : Ah... Mais pourquoi pleurer ?Magda
: Pourquoi tricoter des guibolles sur mon quai ?L'colo (ouvre la
bouche pour rpondre schement, s'arrte, puis posment) : Je n'ai pas
besoin de parler.Magda : Vous tes comme la guignole. Jamais un mot.
(Air perplexe de L'colo.) Oui, la guignole. (Elle dsigne
l'affiche.) Vous devriez l'pouser. Le mariage du passant barbu et
de la guignole sur le quai mtropolitain. Quelle belle union.(La mre
de Magda apparat dans l'escalier. Elle reste sur les dernires
marches comme au dbut.)La mre : Magda. Magda ! Tu m'entends ? Je
l'ai retrouv. Je lui ai parl. Il va venir.(Magda se met les mains
sur les oreilles.)Ne fais pas ta sotte. Ce qui t'arrive est arriv
tout l'monde. Sois comme tout l'monde.(Magda, les mains sur les
oreilles, toujours assise, se penche en avant, se plie en deux, et
se met taper du pied.)Les morts sont morts. La vie est la vie. Le
lot quotidien on le subit. C'est comme a et c'est tout. Tu te crois
quoi ? Tu n'es rien. Inutile de rver. Tu as avort des dizaines de
fois. Tu es entoure des cadavres de tes rves. Cerne.(Magda a une
vritable crise. Penche, les mains sur les oreilles, elle frappe des
pieds frntiquement par terre et elle met une sorte de cri ou de
plainte qui crot peu peu.L'colo regarde tantt la mre tantt la
fille, compltement perdu.Sur la gauche les trois femmes en noir
rapparaissent. Elles regardent.)Te rfugier ici ne sert rien. Ton
rve d'amour est mort et "lui" est vivant. Tu te lamentes pour
quelqu'un que tu ne connais mme pas. Mme pas !(La crise de Magda
s'intensifie.)C'est bon, je m'en vais. Lui va venir. Je t'attends
la maison.(La mre remonte les marches en lui jetant un dernier coup
d'oeil.
-
Sa mre partie, Magda se calme peu peu.L'colo, calm aussi,
regarde du ct des rails, droit devant lui.Les trois femmes en noir
disparaissent nouveau sur la gauche.Un silence.Des pas dans
l'escalier. Magda se bouche les oreilles, se plie en deux.Le syndi
apparat. Un simple coup d'oeil lui suffit pour sentir le malaise.
Il s'arrte au pied de l'escalier, fait deux pas vers les rails,
reste l.Un silence.Magda se redresse lentement. On l'entend
respirer fort.De nouveau des pas.Magda se plie en deux, se bouche
les oreilles, met une sorte de cri ou de plainte.Le gros Limousin
apparat, descendant assez vite. Il marche jusque vers L'colo avant
de se rendre compte que quelque chose ne va pas.)Le gros Limousin (
L'colo) : Qu'est-ce qui s'passe ?L'colo (entre ses dents) : Que
cette rame arrive. Que cette rame arrive !(Magda se redresse
lentement.)Le gros Limousin : On s'est battu ? On l'a battue ?(La
rame arrive.La rame repart.22. Sur le quai une foule joyeuse
regroupe la hauteur du banc prs des affichettes. On ne se rend pas
compte tout de suite qu'il y a un homme en plus. - Le gros
Limousin, Beaut Capital, La mre instit, L'homme d'affaires, L'colo
barbu, Isabelle, Le chercheur s, La sportive des mers, La vendeuse
sub, Le surfeur ple.)Le gros Limousin (pour tous) : A la revoyure !
A la revoyure !Beaut Capital ( ct de lui, ironique) : C'est a.
(Pour lui seul :) Pense ma note.La mre instit (pour tous) : Vous
avez mon numro de tlphone, j'espre avoir de vos nouvelles.L'homme
d'affaires (pour tous et surtout La mre instit) : Nous deux on ne
se quitte pas vraiment, on habite deux cents mtres l'un de
l'autre.L'colo (tenant Isabelle par les paules) : Je crois que grce
vous ma fille aura appris beaucoup de choses.Isabelle
(ironiquement, en regardant bien en face Le surfeur) : Oui, papa.Le
gros Limousin : Les voyages forment la jeunesse. Isabelle a
vraiment l'ait panouie par rapport au dpart.Isabelle (ironique,
fixant le surfeur) : Oh l. Oui oui.La sportive des mers (embrassant
Le surfeur) : Moi aussi je me sens panouie. Et on va prolonger
l'panouissement.Isabelle (chappant papa pour venir aussi embrasser
Le surfeur, un peu jalouse) : J'espre que mon panouissement ne va
pas en rester l.Beaut Capital (venant l'embrasser aussi) : Grce
toi, beau surfeur, je ne me suis pas ennuye une minute.La vendeuse
sub (grommelant, mcontente) : Trois semaines voir son fils considr
comme un pot de miel par ces...Beaut Capital (qui l'a entendue,
pour la provocation, se suant les doigts) : Oh oui, quel bon
miel.Isabelle (riant, au Surfeur) : J'aimerais bien visiter ta
ruche.La sportive des mers (par dfi) : Il va me rejoindre dans
quinze jours Bayonne. Il logera chez
-
moi.La vendeuse sub (entre ses dents) : Alors l... Srement
pas.Le chercheur s ( La sportive) : Mais je croyais que nous
deux...La vendeuse sub : Mais oui !La sportive (nette) : Je suis
trop jeune pour donner mon corps ta science.Le gros Limousin (pour
se montrer spirituel; plat) : Le corps prfre se donner au
corps.Beaut Capital ( son oreille) : Pense ma note.(Magda, plus
dtendue, les regarde depuis un moment.Ils se dirigent vers
l'escalier. Reste "lui". Elle ne le dcouvre qu' ce moment, alors
que les spectateurs se sont aperus de sa prsence plus tt. Magda
dtourne la tte pour regarder droit devant elle. Il a l'air trs
embarrass.)Le surfeur (tandis que son groupe va vers l'escalier) :
Vraiment en partant en voyage organis avec ma mre je ne m'attendais
pas de si bonnes vacances.La vendeuse (aigrement) : Qu'est-ce que
tu veux dire au juste ?Le surfeur : Eh bien, faire des rencontres
aussi intressantes...(Les premiers commencent de monter les
marches.)La mre instit : Il y galement les sites visits quand
mme.Le gros Limousin (au Surfeur) : Comme Dlos, o vous vous tes
perdus avec Isabelle...Beaut Capital (ironique; au Surfeur) : Ou
Cnossos, o tu t'es perdu avec moi.La vendeuse (avant-dernire
disparatre, entre ses dents) : Economiser des mois pour payer un
voyage qui cote les yeux de la tte avec son fils, et entendre
a...Le chercheur s (dernier disparatre, amer) : Et en plus, tous
ces sites, je les avais dj vus.(Ils sont sortis.Un silence."Lui" ne
bouge pas. Magda n