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Jean Christophe d e Mestral L ATOME VERT LE THORIUM UN NUCLÉAIRE POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
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[Jean-Christophe de Mestral] L'Atome Vert(BookZZ.org)

Oct 09, 2015

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  • Jean-Christophe de Mestral

    L'ATOME VERT

    LE THORIUM, UN NUCLAIRE POUR LE DVELOPPEMENT DURABLE

    FAVRE

  • Jean-Christophe de Mestral

    L'atome vert

    Le thorium, un nuclaire pour le dveloppement durable

    FAVRE

  • Aucune technologie ne doit tre idoltre ni diabolise; toutes les technologies de production d'nergie sans mission de dioxyde de carbone doivent tre prises en considration. La contri-bution potentielle de l'nergie nuclaire en faveur d'un futur nergtique durable doit tre reconnue.

    Thorium Report Committee, Norvge, fvrier 2008

  • Introduction

    GNRALITS La deuxime re nuclaire. C'est ainsi qu'Alvin Weinberg, ancien directeur du Oak Ridge National Laboratory, aux tats-Unis, qualifiait l'espoir qu'il nourrissait pour la socit, avant de dcder en 2006. Cette deuxime re est si rvolu-tionnaire que tout ce qui a t fait dans le domaine nuclaire jusqu' maintenant ne peut tre que classifi sous une pre-mire re, celle voue tre remplace et disparatre.

    Ce livre dcrit le chemin emprunt par nombre de scientifi-ques, qui, dans une vision trs long terme motive par des ides scuritaires, ont conu une nouvelle manire de pro-duire de l'nergie, dbarrasse des risques que porte la gn-ration actuelle de racteurs.

    Il n'est pas question ici d'apologie de l'nergie nuclaire; toute source nergtique prsentant un quelconque danger potentiel serait certainement carte si l'humanit trouvait le moyen d'assurer sa consommation, croissante, uniquement par une source renouvelable, sans impact sur l'environne-ment, sans risque et sans nuisance, en un mot, la source par-faite. Mais nous n'en sommes pas l, et toutes les sources

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  • L'ATOME VERT

    d'nergie connues aujourd'hui mettent d'une manire ou d'une autre en pril des vies humaines, y compris l'nergie solaire avec 0,44 dcs et l'olien avec 0,15 dcs par trawattheure (TWh) produit. Pour rfrence, l'hydrolectri-cit compte 1,4 dcs/TWh (on pense au barrage de Banquio, 170'000 morts), le nuclaire 0,04 dcs/TWh, le charbon 161 dcs/TWh (problmes respiratoires, manations de C02, dispersion dans l'atmosphre de carbone-14 radioactif) et la biomasse 12 dcs/TWh. Nous en sommes actuellement rduits tenter de combiner, avec plus ou moins de bonheur, divers systmes nergtiques pour rpondre la demande et satisfaire les exigences des uns et des autres.

    Cet ouvrage se base sur la prmisse (discutable peut-tre) que la consommation mondiale d'lectricit ne baissera pas au cours des cinquante prochaines annes, bien au contraire : elle augmentera certainement. Des experts essaient d'ima-giner une socit base uniquement sur le renouvelable, et par l il faut entendre des nergies qui ne sont pas fondes sur le noyau de l'atome, ni celles qui produisent (directement) du C02 Non seulement c'est mettre toutes les approches fondes sur la physique du noyau de l'atome dans le mme panier, ce qui est intellectuellement indfendable, mais c'est se baser sur des scnarios nergtiques futurs pour le moins oss. On a pu lire, en juillet 2011, que l'Acadmie suisse des sciences techniques estimait possible une production 85% de l'lectricit partir de renouvelables, condition que la socit (suisse) divise ses besoins par trois et qu'elle revienne l'intensit nergtique de 1960. Ces conditions semblent largement irralistes, mais vu l'horizon 2050, c'est loin et on peut arguer que c'est une question d'appr-ciation. Au niveau mondial, la U.S. Energy Information Administration estime que la consommation d'lectricit

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  • INTRODUCTION

    devrait augmenter de 87% entre 2007 et 2035, la demande manant surtout des pays mergents. D'ici 2050, la majo-rit des tudes tablent sur un doublement de la demande, laquelle rpondront surtout les centrales charbon. L'tre humain n'est malheureusement pas connu pour sa discipline et son sens de 1' conomie. L'nergie nuclaire propre a indu-bitablement un bel avenir.

    Il est cependant certain que les incidents et accidents nuclaires crent une mauvaise image de la physique nuclaire et qu'en consquence on constate une diminution de l'intrt des tu-diants pour cette matire. C'est le manque de comptences, dans ce domaine qui rend la transition vers des technologies nouvelles difficile. Par exemple, une raison pour laquelle les ADS (Accelerator-Driven Systems, voir le chapitre ce sujet) ne font pas partie de la liste des racteurs de gnration IV est l'absence de connaissances suffisantes des ingnieurs nuclaires dans la technologie des acclrateurs.

    L'amortissement des normes investissements consentis pour la technologie actuelle constitue galement un frein impor-tant la recherche de solutions novatrices dans ce domaine.

    Un article publi en avril 2011 par Behnam Taebi, de l'uni-versit de Delft, Pays-Bas, pose la question du choix de l'op-tion moralement souhaitable pour la production d'nergie nuclaire. Il argumente que l'option choisie doit sauvegarder les intrts des gnrations futures, et que nous, gnration actuelle, avons au moins deux obligations envers la postrit : premirement, de ne pas ngliger ou ignorer les principes de scurit en faveur des gnrations futures et deuximement, de maintenir la qualit de vie future dans la mesure o cela est possible avec les ressources nergtiques disponibles.

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  • L'ATOME VERT

    LES ARGUMENTS

    Les centrales au thorium seraient-elles candidates au titre d'option moralement souhaitable? En effet, les diverses variantes de racteurs possdent des caractristiques tout fait extraordinaires :

    - Scurit : les particularits des racteurs examins plus loin dans ce livre dmontrent des qualits de scurit intrin-sques exceptionnelles, que ce soit par leur forte capacit autorgulatrice, leurs systmes de scurit passive, la faci-lit des arrts d'urgence, l'absence de risque d'explosion et de fonte du racteur ainsi que par la possibilit de recourir la convection naturelle pour l'extraction de la chaleur.

    Abondance: le thorium est quatre cinq fois plus abon-dant que l'uranium dans la crote terrestre. En tenant compte du fait que 100% du thorium extrait du sol est utilisable dans un racteur (compar 0,5% de l'uranium dans un racteur eau lgre), il a une densit nergtique 200 fois suprieure par kilogramme. Nous disposons de rserves mondiales, rparties sur tous les continents, pour 10'000 ans au moins, de quoi voir venir une troisime re. L'uranium, quant lui, devrait tre puis dans 80 ans.

    - Dure de vie des dchets: elle n'est plus de plusieurs centaines de milliers d'annes, mais de 300 500 ans. La combustion du thorium ne produit qu'une infime partie des actinides mineurs fabriqus par la combustion de l'uranium. La radioactivit diminue beaucoup plus vite. De plus, le volume des dchets issus du thorium est 250 fois moindre que celui issu de la combustion de l'ura-nium. Aujourd'hui, on sait trs bien construire des petits dpts qui peuvent durer 500 ans, mais on ne sait toujours

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  • INTRODUCTION

    pas construire des grands dpts qui doivent abriter des dchets pendant 100'000 ans.

    - Non-prolifration: en se basant sur le combustible ou ce que l'on peut en extraire d'un racteur, il est quasiment impossible de fabriquer une arme atomique. La manipula-tion des dchets issus du thorium prsente des difficults techniques trs difficiles surmonter, aujourd'hui la porte d'un petit nombre de nations seulement. En ajou-tant cela la volont de construire un nombre trs limit de centrales de retraitement afin de ne pas dissminer la technique, on rduit considrablement le risque de proli-fration tout en permettant d'autres nations de bnficier de cette source d'nergie.

    - limination des dchets actuels : on a pu lire qu'il fallait tre pro-nuclaire pour se rjouir du fait que ces centrales gnrent des dchets qui ne dureront que 500 ans. Mais ce n'est pas vrai. Car ces centrales viennent aussi avec la capacit de faire disparatre les dchets encombrants et dangereux actuels en les incinrant, technique applicable galement aux stocks de plutonium issus de la dmilita-risation de l'Est et de l'Ouest. L'incinration permet de rduire la dure de vie de ces dchets et produit en plus de 1' lectricit. Sans incinrateur, nous sommes condamns vivre avec des dchets longue dure. Avec les centrales au thorium, nous pouvons rpondre au critre moral de pr-servation de l'environnement des gnrations venir. Les cologistes devraient voir cela comme du pain bnit.

    On peut encore ajouter qu'il est possible d'utiliser du thorium la place de l'uranium dans plusieurs types de centrales actuelles, sans modifications majeures et que le thorium, contrairement l'uranium, n'a pas besoin d'tre enrichi

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  • L' ATOME VERT

    avant d'tre utilis dans un racteur. C'est une installation de moins, une procdure en moins et des cots en moins.

    Ces affirmations sont abordes plus en dtail et expliques dans les prochains chapitres. On pourra ainsi constater que les centrales au thorium sont effectivement des candidates srieuses au titre de l'option moralement souhaitable qui doit prvaloir dans la deuxime re nuclaire, dans 1' attente de la troisime re, qui peut tre celle de la fusion nuclaire.

    Le mot nuclaire est souvent galvaud et du coup fait peur certains en crant des amalgames. Quand on entend l'ex-pression sortir du nuclaire, le terme nuclaire n'est pas prcisment dfini et souvent mal compris mme par son utilisateur. Seulement, ce terme est multiples facettes et comprend la fusion comme la fission, l'uranium comme le thorium: ce sont des notions diffrentes. Mais la gothermie aussi est nuclaire : la chaleur provient de la dsintgration des noyaux d'uranium et de thorium naturellement prsents dans le sol. Bien sr, on dira que ce n'est pas la mme chose, que ce n'est pas dangereux, que c'est la nature. Et c'est pr-cisment le point: on ne peut pas mettre le nuclaire dans une seule bote, pas plus que 1' on peut simplement ignorer les avances technologiques, quelles qu'elles soient. C'est la raison pour laquelle il est indispensable, intellectuellement et moralement, d'inclure dans le dbat de politique nergtique toutes les options technologiques, qu'elles portent 1' tiquette nuclaire ou non.

    L'nergie issue du thorium vit un renouveau, aprs des annes d'clipse. la diffrence de la fusion nuclaire, aucun saut technologique n'est ncessaire pour sa mise au point.

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  • INTRODUCTION

    La bonne nouvelle, c'est que la plupart des problmes lis l'nergie nuclaire telle que nous la connaissons aujourd'hui peuvent tre rsolus par les centrales au thorium.

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  • Historique

    L'histoire des racteurs au thorium a commenc par une tonnante exprience. Pour la puissance nuclaire naissante qu'taient les tats-Unis se posait la question stratgique, du point de vue militaire, des vecteurs de l'arme nuclaire. Un bombardier avait transport les bombes atomiques d'Hiro-shima et de Nagasaki, il semblait logique de poursuivre dans la mme voie, dfaut d'autres solutions technologiques.

    La dissuasion impliquait une capacit de frappe tout instant. Il tait ncessaire, dans l'optique de la guerre froide, d'as-surer l'engagement d'armes nuclaires en conservant en per-manence des bombardiers en vol. Or, la dure de vol de ces avions tait limite quelques heures, ce qui posait pour le moins des difficults logistiques. Il fallait donc trouver une solution permettant d'allonger considrablement le rayon d'action, ce qui fut fait en modifiant compltement la moto-risation des bombardiers. L'ide tait d'installer un rac-teur nuclaire dans la carlingue, produisant suffisamment d'nergie pour les besoins d'un vol long. Les tats-Unis et l'Union sovitique, chacun de son ct, travaillrent sur cette technologie. Le principe est d'utiliser un racteur fonc-tionnant trs haute temprature : la chaleur gnre par la

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  • L'ATOME VERT

    combustion du krosne l'intrieur d'un turboracteur doit tre remplace par celle cre par la fission des atomes du combustible nuclaire.

    Un racteur nuclaire embarqu n'tait pas une simple affaire. Il devait rpondre des critres de puissance, de poids et de scurit stricts. Il faut se rappeler que nous sommes alors en 1947, et que beaucoup d'aspects techniques relatifs aux rac-teurs embarqus ne sont pas encore matriss. Un des pro-blmes majeurs auxquels les scientifiques ont faire face est la radioprotection de l'quipage.

    C'est au laboratoire national d'Oak Ridge que le programme se dveloppe, et que, en 1954, deux racteurs (d'avion) furent aliments presque pleine puissance par deux racteurs (nuclaires), pendant une centaine d'heures un maximum de 2,5 mgawatts. Ces racteurs taient les premiers de type sels fondus, concept important dans le futur dvelop-pement des racteurs utilisant le thorium. Cette ide d'uti-liser un combustible liquide tait rvolutionnaire, car elle prsente des caractristiques de scurit et de performance remarquables, ainsi qu'une grande capacit utiliser divers types de combustibles. L'exprience fut un succs: le com-bustible dissout dans les sels fondus se montra chimiquement stable, les produits de fission gazeux aisment extractibles et 1' change de chaleur efficace. L'utilisation de combustible liquide prsente un avantage supplmentaire intressant: plus sa temprature augmente, meilleure est sa conductivit thermique. Cela a un effet stabilisateur sur la gnration de chaleur du systme.

    Au final, aux USA ou en URSS, aucun avion n'a vol sur sa seule nergie nuclaire. Si un Convair B-36 amricain a bien effectu 4 7 tests en vol, c ' tait principalement pour vrifier la

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    HISTORIQUE

    Racteur nuclaire embarqu de 200 MW

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    protection de l'quipage contre les radiations. Les moteurs, eux, taient conventionnels. L'entier du programme a t annul en 1961, suite la construction de silos abritant les missiles balistiques intercontinentaux, nouveaux vecteurs de la dissuasion nuclaire.

    Paralllement ces dveloppements, depuis la fin des annes 40 jusque dans les annes 50, la priorit de la com-mission atomique de 1' nergie fut le contrle de la produc-tion de matriaux nuclaires de type militaire. Le nuclaire civil n'avait pas la cote. En 1957, 7% de la production totale d'lectricit aux tats-Unis tait dvolue 1' enrichissement de l'uranium des fins militaires.

    Le Dr Alvin Weinberg, directeur du laboratoire national d'Oak Ridge et inventeur du racteur eau lgre ( combus-tible solide), ralisa le potentiel des racteurs sels fondus,

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  • L' ATOME VERT

    et notamment l'utilisation du thorium en association avec ce type de centrale. En effet, il existe une forme liquide de thorium, le tetrafluorure de thorium, utilisable cette fin.

    Dr Alvin Weinberg.

    Le Dr Weinberg obtint le financement ncessaire pour raliser 1' tape suivante, le Molten Salt Reactor Ex periment (MSRE). Ce racteur sels fondus fut construit Oak Ridge et fonc-tionna pleine satisfaction de 1965 1969 et permit de tester diffrents combustibles, la stabilit du dispositif ainsi que diverses scurits passives.

    Voici le rsum de l'exprience, extrait du rapport final de 1969:

    Le MSRE est un racteur de 8 MW thermique dans lequel des sels fondus de fluorure 1200 F circulent travers un cur de barres de graphite. L'objectif tait de dmontrer sur un plan pratique les caractristiques cls de ce type de racteur.

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  • HISTORIQUE

    Le racteur dmarra en juin 1965 avec un combustible form de sels comprenant 33% d'uranium 235, et en mars 1968, il avait accumul 9000 heures de fonction-nement pleine puissance. La dmonstration de la fia-bilit du systme a t faite. (. .. ) la fin d'une priode de fonctionnement de 6 mois, le racteur a t arrt et le solde de l'uranium 235 a t efficacement extrait au moyen d'une installation locale de .fluorisation. De l'ura-nium 233 a ensuite t ajout aux sels fondus, faisant du MSRE le premier racteur fonctionner avec ce matriau fissile. Les oprations ont ensuite repris en octobre 1968, et le racteur fonctionna pleine puissance pendant 2500 heures sur ce combustible.

    Le MSRE a dmontr que la gestion et le traitement des sels fondus dans un racteur en opration ne posent aucun problme particulier, la chimie des sels se comporte trs bien et sans surprises, il n'y a pratiquement pas de cor-rosion, les caractristiques nuclaires sont proches de celles prdites et le systme est dynamiquement stable. Le confinement des produits de fission a t excellent et l'entretien des composants radioactifs a t ralis sans retard draisonnable, et avec une trs faible exposition aux radiations.

    Le succs du fonctionnement de MSRE est un rsultat qui doit renforcer la confiance dans les aspects pratiques du concept du racteur sels fondus.

    Ce racteur a t le premier et probablement le seul fonc-tionner avec trois types de combustible fissile: de l'uranium 233, de l'uranium 235 et du plutonium 239. L'uranium 233, que l'on ne trouve pas l'tat naturel, avait t obtenu partir de thorium, transmut dans le racteur d'Indian Point

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  • L'ATOME VERT

    dans l'tat de New York. Ce dernier racteur prfigure l'uti-lisation du thorium comme lment fertile, puisqu'il emploie une combinaison d'uranium hautement enrichi comme com-bustible et du thorium comme matriau fertile (que 1' on peut transformer en matriau fissile) . Le programme MSRE succomba en 1973 un dfaut jug rdhibitoire 1' poque: il ne permettait pas de fabriquer du plutonium de qualit militaire. Le Dr Weinberg fut limog par l'administration Nixon parce qu'il militait en faveur d'une amlioration de la scurit nuclaire par l'utilisation de racteurs sels fondus. C'est ainsi que ce projet fut annul, et l'quipe responsable rassigne d'autres tches. Toujours est-il que le dpart du Dr Weinberg d'Oak Ridge donna un srieux coup de frein la recherche dans le domaine des rac-teurs sels fondus. Il cra par la suite l'Institut pour l'analyse nergtique, organisme spcialis dans l'valuation des alter-natives pour les besoins nergtiques futurs.

    Mais l'histoire ne se termine pas l. Au gr des prsidences amricaines, les projets volurent. En aot 1977, sous 1' gide du prsident Carter, un mlange thorium - uranium 233 est charg dans le cur de la centrale eau pressurise de Shippingport, modifie pour les besoins. Elle tourne pendant cinq ans, aprs quoi le combustible est retir et analys: cette exprience prouve que le thorium 232 peut tre converti avec succs en uranium 233 dans un racteur eau pressu-rise conventionnel. Shippingport a t le premier racteur de type commercial fonctionner avec du thorium. Toujours sous Carter, le programme racteur sels fondus fut bri-vement ractiv, en lien avec les soucis de l'administration du moment concernant les risques de prolifration. Ce pro-gramme culmina en 1980 avec un concept de racteur encore

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  • HISTORIQUE

    considr par beaucoup de spcialistes comme une rfrence en la matire.

    Dans d'autres pays, d'autres expriences ont lieu, avec des succs divers. En Allemagne, entre 1967 et 1988, le rac-teur exprimental AVR lit de boulets, combustible solide, fonctionna pendant plus de 750 semaines 15 MWe, 95% du temps avec un combustible au thorium.

    En Allemagne toujours, le racteur THTR-300 (Thorium High Temperature Reactor, racteur lit de boulets), dmarra en 1983 et fut ferm en 1989. Il fut synchronis au rseau pour la premire fois en 1985 et fonctionna pleine puis-sance en 1987. Sa construction dura de 1970 1983, pour des raisons de procdures administratives et de contraintes de construction sans cesse accrues. Une erreur humaine, en 1986, lie une manuvre de dblocage du systme d'ali-mentation en billes de combustibles (boulets), provoquant une fuite mineure de poussire radioactive, ainsi que les cots de fonctionnement importants de ce racteur exprimental eurent raison de ce projet. D'autres projets exprimentaux ont vu le jour en Russie (ins-titut Kurchatov) et en Europe (Dragon, 1966-1973), avec Euratom1 et la participation de la Sude, de la Norvge et de la Suisse, SUSPO/KSTR (1974-1977) en Hollande. Le projet Dragon, un petit racteur de 30 mgawatts, dmontra avec succs ses capacits en Angleterre entre 1967 et 1973.

    1 Euratom: Communaut europenne de 1 'nergie atomique, organisme public europen charg de coordonner les programmes de recherche sur 1 'nergie nuclaire.

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  • L'ATOME VERT

    En Inde, 1' importance du thorium a t reconnue trs tt, ds 1950, par le physicien Homi Jehangir Bhabha, pre d'un programme nuclaire original trois niveaux. La raison de cet intrt prcoce pour le thorium tient dans le fait que les rserves d'uranium de l'Inde sont trs limites, alors que le thorium abonde. Par ailleurs, ce pays a fait l'objet de diverses sanctions internationales limitant fortement sa capacit se fournir en uranium.

    Les trois niveaux du programme indien ont pour objectif l'utilisation optimale des ressources en uranium, dans le but de s'en affranchir le plus rapidement possible et de passer au thorium. Dans un premier temps, des racteurs eau lourde sont construits, mettant en uvre l'uranium disponible pour obtenir du plutonium. Ce type de racteur permet d'utiliser de l'uranium non enrichi et donc d'conomiser les cots importants lis cette opration. La deuxime tape consiste utiliser des surgnrateurs en combinant le plutonium avec du thorium dans le but de produire de l'uranium 233, fissile. La troisime tape se base uniquement sur l'utilisation de l'uranium 233 et du thorium 232 dans des racteurs du type AHWR (Advanced Heavy Water Reactor- racteur avanc eau lourde). En 2000, sous l'administration Clinton, une coopration entre la Russie et les tats-Unis fut mise sur pied dans le but d'incinrer, au moyen de la technologie MOX (oxydes mixtes, Pu!U238), 34 tonnes de plutonium militaire excden-taire provenant de la rduction des stocks de missiles inter-continentaux. Mais cette technique tant peu satisfaisante, notamment en regard des risques de prolifration, le congrs amricain alloua une somme destine trouver de meilleures solutions. Un rapport de la socit Westinghouse montra

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  • HISTORIQUE

    qu'un combustible bas sur le thorium avait une capacit d'incinration nettement suprieure aux MOX, tait trois fois plus rapide pour un cot trois fois moindre, tout en laissant qu'une fraction des dchets en fin de cycle. Les Russes rus-sirent convaincre l'administration nationale amricaine de la scurit nuclaire que l'approche MOX tait prfrable, en arguant que la voie thorium n'avait pas t prouve. En 2008, cette coopration prit fin suite l'invasion de la Gorgie par la Russie.

    Enfin, en 1993, le professeur Carlo Rubbia, Prix Nobel et directeur gnral du CERN Genve, prsenta un concept d'amplificateur d'nergie, un ingnieux systme com-binant un acclrateur de particules avec un racteur au thorium, dcrit en dtail plus loin.

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  • L'lment thorium

    90 4788 1755

    232.038 1.1

    (Rn)6d27s2 11 .7 4

    tout seigneur tout honneur. Ce livre traitant des possibilits, des conditions et des consquences de l'extraction d' nergie partir du thorium, il est naturel de prsenter cet lment utilis dans plusieurs secteurs de 1' industrie.

    Le thorium est un mtal de la famille des actinides. La famille des actinides comprend entre autres le plutonium et l' uranium, dits actinides majeurs du fait de leur abondance relative

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  • L'ATOME VERT

    dans cette famille. Les actinides mineurs qui concernent la production d'nergie sont le neptunium, l'amricium et le curium. Nous y reviendrons, car ils jouent un rle important dans la gestion des dchets nuclaires.

    Le thorium mtallique pur est blanc argent. Au contact de 1' oxygne de 1' air, il se ternit lentement et devient finalement noir. Il est relativement mou, trs ductile, et l'allongement la rupture peut atteindre 60%. Une brique de lait de 1litre en thorium a une masse de 11,7 kg, proche de celle du plomb. Son point de fusion est de 1750C, et son point d'bullition de 4788C, ce qui en fait l'lment avec la plus grande plage de temprature en phase liquide.

    Dcouvert sous la forme d'un minerai noir, sur une le nor-vgienne, le thorium a t isol en 1828 par le mdecin et chimiste sudois Jons Jakob Berzelius, alors secrtaire per-manent de l'Acadmie des Sciences de Stockholm. Il baptisa ce nouvel lment Thorium, d'aprs Thor, le dieu scandi-nave du tonnerre. On doit d'ailleurs Berzelius la dcouverte d'autres lments chimiques simples, comme le crium et le slnium.

    Ce mtal n'eut pas d'utilit jusqu'en 1885, anne de l'inven-tion du manchon incandescence. cette poque, sa radioac-tivit n'tait pas connue et c'est en 1898 que Marie Curie et le chimiste allemand Gerhard Carl Schmidt la mirent, ind-pendamment, en vidence. Un gramme de thorium 232 pr-sente une radioactivit de 4070 becquerel, soit 4070 dsint-grations par seconde (cf. le chapitre sur la radioactivit), une activit relativement faible.

    Les applications industrielles non nuclaires, en plus des manchons 'incandescence servant de source de lumire,

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  • L'LMENT THORIUM

    comprennent les cathodes contenues dans les anciens tubes-image de tlvision, ainsi que les creusets destins la coule de mtaux haut point de fusion, profitant des qualits rfrac-taires et du trs haut point de fusion de l'oxyde de thorium. Les lampes arc de mercure haute pression et les lampes cathode froide basse pression utilisent aussi du thorium mtallique. Les verres contenant de l'oxyde de thorium pos-sdent un indice de rfraction lev et une faible disper-sion, permettant la fabrication d'optiques de grande qualit pour les instruments scientifiques. On l'ajoute galement au magnsium pour former un alliage qui possde une rsistance mcanique et une temprature d'utilisation plus leves.

    Si l'on regarde l'chelle de l'atome, la varit de thorium (l'isotope) la plus abondante a un noyau compos de 232 particules, soit 90 protons et 142 neutrons. Le chiffre 232 , soit la somme des protons et des neutrons dans le noyau, est appel nombre de masse, et le chiffre 90 , soit le nombre de proton caractrisant l'lment, le numro atomique. On connat 25 isotopes au thorium, dont 6 qui se trouvent dans la nature, avec des masses atomiques allant de 212 236. Le thorium 232, un des isotopes naturels et le plus abondant dans la crote terrestre, a une demi-vie d'environ 14 milliards d'annes, soit approximativement l'ge de l ' univers. Cela signifie que sur 1 kg de thorium, il faudra 14 milliards d'an-nes pour que 500 grammes se dsintgrent en d'autres l-ments, comme le radium 228, l'actinium 228, le thorium 228, et d'autres, tous temps de demi-vie considrablement plus court, pour terminer aprs une dizaine d'tapes au stade de plomb 208, stable et non radioactif. Pour en arriver l, toutes les tapes prcdentes gnrent de la radioactivit sous forme de particules alpha et bta (voir le chapitre La radioactivit

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  • L' ATOME VERT

    pour de plus amples dtails propos des diffrents types de radioactivit et les risques associs).

    Chane de dsintgration du thorium.

    O trouve-t-on le thorium sur notre plante? La question est bien sr d'importance puisqu'elle est lie la stabilit gopo-litique des diffrentes rgions du globe. Mais la rponse n'est

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  • L'LMENT THORIUM

    pas aise obtenir: la relativement faible demande actuelle du minerai de thorium empche l'tablissement d'une car-tographie prcise. Les chiffres qui suivent sont tirs d'une publication de la Nuclear Energy Agency (NEA), l'agence nuclaire de l'OCDE, datant de juin 2008. Les chiffres 2009 sont largement inchangs. La NEA estime donc la quantit plantaire raisonnablement estime du mtal 2'460'000 tonnes, qui se rpartissent comme suit: l'Australie (420'000), les tats-Unis (400'000), la Turquie (344'000), l'Inde (319'000), le Venezuela (300'000), le Brsil (241'000), la Norvge (132'000), l'gypte (100'000), la Russie (75'000), le Groenland (54'000), le Canada (44'000), l'Afrique du Sud (18'000) et divers (33'000). Le thorium commercialement intressant se prsente princi-palement sous trois formes : la monazite, la thorite, et comme sous-produit de l'extraction de l'uranium.

    Rpartition des sources de thorium dans le monde.

    La monazite est un minerai de phosphate de couleur jaune brune, contenant des terres rares et du thorium, du crium et du lanthane. La proportion de thorium dans la monazite

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  • L'ATOME VERT

    est typiquement de 6% 12%, mais peut atteindre 30% de la masse extraite.

    La thorite est un neosilicate de thorium. C'est un chantillon de cette matire qui a permis Berzelius d'isoler le mtal.

    Le thorium est 4 5 fois plus abondant dans la crote ter-restre que l'uranium. Ces deux lments sont les principales sources de chaleur interne de la terre grce leurs dsintgra-tions radioactives.

    Contrairement l'uranium 235, le thorium 232 n'est pas fissile. En d'autres termes, son noyau ne peut pas se scinder en plusieurs lments sous l'action d'un bombardement de neutrons. En revanche, il est possible de le rendre fissile, par transmutation, au moyen d'un bombardement de neutrons. On dit alors que le thorium 232 est fertile. De fertile fissile, la squence se passe comme suit: le noyau thorium 232, bombard, absorbe un neutron. La quantit de protons ne change pas (90) et la quantit de neutrons aug-mente d'une unit, 143, pour un nombre de masse total de 233. Le thorium 233 a une priode de demi-vie courte (compare celle du Th 232) de 22 minutes. Le Th 233 se dsintgre spontanment en protactinium 233 en mettant de la radioactivit bta: un neutron du noyau se transforme en proton. Le protactinium possde donc un noyau 91 protons et 142 neutrons, noyau instable et galement radioactif. tape suivante, le protactinium, dont la demi-vie est de 27 jours se dsintgre, en mettant galement une particule bta, pour donner de l'uranium 233 (noyau 92 protons et 141 neu-trons). La raction est souvent dcrite comme suit:

    {3- j3-232Th + n ->233 Th --->233pa ->233u

    22m 27}

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  • L'LMENT THORIUM

    L'uranium 233, lui, est fissile sous l'action d'un bombar-dement de neutrons et c'est seulement grce la fission (la rupture en deux noyaux plus lgers) de ce noyau, obtenue par les chocs des bombardements neutroniques, que de 1' nergie thermique est dgage, pour tre ensuite rcupre dans des turbines qui actionneront leur tour des gnratrices lectri-ques. Cette fission libre deux ou trois neutrons, qui iront leur tour servir de projectiles pour dclencher la fission sui-vante. Le couple neutron-noyau fissile est donc essentiel dans ce dispositif.

    La probabilit qu'un noyau de thorium capture un neutron libre, ou vagabond, dpend principalement de la concen-tration des atomes fissiles dans le cur du racteur, d'une part, et de la vitesse des neutrons bombardants d'autre part: elle est d'autant plus grande que la vitesse des neu-trons est faible. Celle-ci diminue lors des heurts successifs avec d'autres noyaux. Mais des neutrons peuvent aussi tre absorbs par capture dans d'autres noyaux et deviennent donc inutilisables pour la conversion du thorium 232 en uranium 233 ou pour la fission de l'uranium 233.

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  • Principe de fonctionnement des racteurs

    au thorium

    LA PHYSIQUE NUCLAIRE POUR TOUS Afin de comprendre le principe de fonctionnement des divers types de racteurs utilisant le thorium comme combustible, il est utile d'introduire quelques concepts de base de physique nuclaire. Que le lecteur se rassure, 1' auteur fait son possible pour conserver la description de ces concepts un niveau comprhensible pour tous.

    LE NOYAU ATOMIQUE Un atome consiste en un petit noyau charg positivement, entour par un nuage d'lectrons chargs ngativement. Le noyau est lui-mme form de protons, qui portent la charge lectrique positive, et de neutrons, qui ne possdent pas de charge lectrique. Les protons et les neutrons, collectivement appels nuclons, sont environ 2000 fois plus lourds que les lectrons et sont lis entre eux par la force nuclaire forte. Un atome est normalement lectriquement neutre, et possde en consquence le mme nombre de protons que d'lectrons. Le nombre de protons dans le noyau est appel numro ato-mique, not Z.

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  • L'ATOME VERT

    Un lment chimique est fait d'atomes ayant le mme numro atomique. L'hydrogne a Z = 1, donc un seul proton, le carbone 6 protons (Z = 6), l'oxygne 8 protons (Z = 8), et ainsi de suite. Alors que le nombre de protons est dfini pour un lment donn, le nombre de neutrons peut varier. Par exemple, l'hydrogne n'a normalement pas de neutron dans son noyau. Cependant, deux autres variantes d'hydrogne, appels isotopes, existent. Il s'agit du deu-trium (noyau avec un neutron) et du tritium (noyau avec deux neutrons). Beaucoup d'isotopes sont stables, comme le deutrium, et peuvent tre trouvs dans la nature. D' autres, comme le tritium, sont instables et se dsintgrent en met-tant de la radioactivit. On dit alors que ces isotopes sont radioactifs.

    Un noyau est compltement caractris par le nombre de protons, Z, et le nombre de nuclons, not A et galement appel nombre de masse . Le nombre de neutrons est donn par la diffrence entre A et Z. Par exemple, pour dcrire l'iso-tope le plus commun du carbone, dont le noyau contient 6 protons et autant de neutrons, on crit 12C, ou encore carbone-12 ou C12 Le 14C, ou carbone-14, est un isotope radioactif du carbone (avec A = 14 et Z = 6, donc 14 - 6 = 8 neutrons) frquemment utilis dans la datation d'objets en archologie.

    Un noyau instable (radioactif) se dsintgre en mettant de la radioactivit, appele pour des raisons historiques radia-tions alpha, bta et gamma. Ce point est dvelopp plus loin dans le chapitre propos de la radioactivit. Une particule alpha, note a , est identique au noyau d'hlium (A = 4, Z = 2), une particule bta (ou ~) est soit un lectron, ~-. soit un antilectron (positron), W. avec une charge positive, et le

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    rayonnement gamma (y) est un photon trs haute nergie, comme un rayon X trs pntrant. Les radiations alpha et bta sont frquemment accompagnes par un rayonnement gamma. Lorsque le noyau jecte une particule charge, le numro atomique, Z, est par dfinition modifi.

    Une substance radioactive perd graduellement sa radioacti-vit. Le temps ncessaire pour la rduire la moiti de sa valeur d'origine est appel demi-vie. Cela signifie qu'aprs une demi-vie, la radioactivit de l'lment diminue de 50%, une deuxime demi-vie rduit encore de moiti le 50% radioactif qui restait, ne laissant plus que 25% de l'lment initial, la troisime demi-vie ne laissant son tour plus que 12,5% de l'lment de dpart, et ainsi de suite. Par exemple, le carbone-14 a une demi-vie de 5730 ans, et le plutonium de 24'200 ans.

    MODIFICATIONS DU NOYAU

    Lorsque l'on bombarde un noyau lourd (= qui contient un nombre important de protons et de neutrons, typiquement de nombre de masse suprieur 232) avec un neutron, il peut ragir de deux faons : soit il 1' absorbe sans fissionner, soit le noyau se brise aprs l'absorption (noyau fissile). Dans le premier cas, le neutron intgre le noyau et augmente le nombre de particules d'une unit, ce qui en fait un isotope de l'lment de dpart. Comme un lment est dfini par son nombre de protons, modifier le nombre de neutrons ne le change pas : il devient un isotope de 1' lment en ques-tion. Si l'isotope est stable, il en reste l. En revanche, s'il est instable, le noyau sera modifi par l'jection d'une par-ticule alpha ou bta. Dans le cas de la radioactivit bta, un neutron se transforme spontanment en proton en jectant un

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  • L' ATOME VERT

    lectron. Le nombre de protons augmente donc d'une unit, compens par la baisse d'une unit du nombre de neutrons. Ce n'est donc plus le mme lment.

    Prenons un exemple. Un noyau de thorium 232 (avec 90 protons) est bombard par un neutron. Le noyau capture ce neutron, et l'lment devient du thorium 233 (toujours 90 protons, cela reste bien du thorium). Mais le thorium 233 est radioactif, avec une demi-vie de 22 minutes et 20 secondes et se dsintgre (transmute) en protactinium 233 (avec 91 protons) en mettant une particule bta. Poussons encore un peu plus loin: le protactinium 233 est aussi radioactif par mission bta, avec une demi-vie d'environ 27 jours. Il gagne donc un proton et perd un neutron dans le processus, et se transforme en un lment comportant 92 protons: c'est l'uranium 233. Cet lment n'existe plus dans la nature depuis longtemps cause de sa demi-vie trop courte en termes gologiques.

    C'est la chane de gnration d'uranium 233 fissile partir de thorium 232 fertile. Fertile, car il ne peut pas fissionner, mais il peut se transformer en lment fissile. Le thorium 232 n'est pas le seul lment fertile: l'uranium 238 partage gale-ment cette caractristique et mne par une chane similaire la cration de plutonium 239 fissile.

    Comme l'uranium 233 est fissile, c'est--dire qu' il a la capa-cit se briser en sous-noyaux (en fragments de fission) sous l'action des neutrons, voyons ce qu'il advient dans ce cas. Le noyau dans un premier temps absorbe le neutron, atteint un degr d'instabilit tel qu'il se scinde en deux noyaux plus lgers.

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    0 Kr91 Neutron

    ! G~o Neutron e Y=o c:::> c:::> Neutron @~0 Neutron u 233

    U234 Ba140

    Les nouveaux noyaux rsultant de la fission ne sont pas tou-jours identiques, sont souvent radioactifs et se dsintgrent plus loin en d'autres lments. En bout de chane, on trouve des lments stables et non (ou trs peu) radioactifs. Il arrive galement, dans environ 10% des cas, que le neutron soit captur par l'uranium 233 sans qu'il y ait fission, et que celui-ci devienne de l'uranium 234. Dans de rares cas, l'uranium 234 peut en raction la capture jecter deux neutrons de son noyau, dans une raction parasite appele (n, 2n), pour devenir de l'uranium 232 qui, on le verra par la suite, est une des conditions permettant de rduire de manire trs convain-cante la prolifration nuclaire. Dans le cas o l'uranium 234 conserve ses neutrons, il peut encore en capturer un autre, pour devenir de l'uranium 235, fissile dans 85% des cas en met-tant des neutrons lents. Dans le 15% des cas restants, le pro-cessus continue: U 235 + neutron = U 236, non fissile. U 236 + neutron = Np 237, non fissile, mais qui peut tre extrait du combustible en continu par fiuorisation. Accessoirement, la production de neptunium est extrmement faible.

    SECTION EFFICACE

    Les probabilits de capture ou de fission sont dfinies par les sections efficaces des noyaux. Un noyau fi ssile a une

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  • L'ATOME VERT

    section efficace pour la capture et une autre section efficace, plus importante, pour la fission. Cette section n'est pas uni-quement fonction du type de noyau : il dpend en grande partie de l'nergie du neutron incident. Plus celui-ci est lent (neutrons dits thermiques), plus la probabilit qu'il intera-gisse avec le noyau est grande (section efficace importante). Cette mesure est importante et dicte le choix de certains rac-teurs pour lesquels des neutrons rapides, par exemple, sont prfrables. L'unit de surface de la section efficace est le barn, quivalent I0-28 m2

    Th-232 Pa-233 U-233 U-235 U-238 Pu-239

    Neutrons

    Lents

    lnterm,dlllres

    R1pld11

    Sections efficaces relatives de quelques lments.

    FRAGMENTS DE FISSION

    Au sein du noyau, les nuclons sont tenus ensemble par la force forte, appele aussi nergie de liaison. Cette nergie de liaison est plus intense pour les noyaux du milieu de la table priodique des lments, soit les noyaux mi -lourds, ou de numro atomique intermdiaire. Cette nergie de liaison plus intense est compense par une masse moyenne plus faible par nuclon. Cela implique que l'addition des nombres de masse des deux noyaux mi-lourds issus de la fission d'un noyau lourd est lgrement infrieure celle du

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    noyau lourd initial. La diffrence est l'nergie dgage par la fission, en vertu de l'quivalence masse-nergie exprime par l'quation d'Einstein: E = mc2 La fission du noyau de l'uranium 233 dlivre une nergie de 197,9 MeV1, une valeur trs proche de celle dgage par la fission de l'uranium 235, communment utilis dans les racteurs aujourd'hui. Quels sont les noyaux issus de la fission de l'uranium 233? Ils sont nombreux et se divisent statistiquement en deux groupes : le premier, avec un nombre de masse moyen de 90 100, comprend des lments tels que strontium, zirconium et le molybdne, et le deuxime, de nombre de masse allant de 130 140, inclut l'iode, le xnon et le csium.

    Le graphique suivant illustre la situation: l'axe horizontal indique le nombre de masse des divers fragments de fission, et 1' axe vertical la frquence relative de ces lments lors de la fission d'atomes d'U 233, d'U 235, de Pu 239 ainsi que pour un mlange d'uranium et de plutonium.

    6 96

    4 96

    296

    Masses atomiques des produits de fission de l'U233, U235, Pu239, ainsi que pour un mlange U-Pu.

    1 MeV: mgaelectron-volt (mesure d'nergie).

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  • L'ATOME VERT

    NOTIONS DE CRITICIT Les racteurs conventionnels fonctionnent un niveau dit critique. Prenons un exemple: lorsqu'un noyau lourd (qui possde davantage de neutrons que de protons), comme celui de l'uranium 235, absorbe un neutron, il fissionne en pro-duisant deux noyaux plus petits (les fragments de fission). Ceux -ci possdent trop de neutrons et vont immdiatement en jecter (en moyenne 2,4 7 neutrons par fission de noyau d'U 235). Une part de ces fragments de fission est instable et va galement mettre un petit nombre (un peu moins de 0,3 par fission) de neutrons dits retards, en moyenne 11 secondes plus tard. Une fraction de ces neutrons causera d'autres fissions, alors que les autres seront absorbs.

    En supposant que chaque fission gnre en moyenne k nouvelles fissions, nous avons les possibilits suivantes: lorsque k (appel facteur de multiplication effectif) est exactement gal un, le racteur est dit critique, et il conti-nuera fonctionner jusqu' ce que k devienne infrieur un. Ds que k est plus petit que un (sous-critique), le nombre de fissions diminue chaque cycle et le racteur s'arrte. En revanche, lorsque k est suprieur un, on peut avoir une excursion (pic temporaire de temprature dans le cur) ou, l'extrme, un accident critique ou une bombe. En thorie, k, le coefficient de criticit, devrait donc tre main-tenu prcisment un. En pratique, cela se passe un peu dif-fremment. La puissance d'un racteur dans des conditions de fonctionnement normales varie en fonction de la tempra-ture qui rgne dans son cur (liquide caloporteur 1 combus-tible): c'est le coefficient de ractivit de temprature, qui peut tre positif ou ngatif, suivant le type d racteur. Pour ceux qui sont refroidis 1' eau, le coefficient est ngatif et le

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    rythme des fissions diminue (k baisse) lorsque la tempra-ture du cur augmente, et vice versa. On voit que k oscille en ralit proximit de un (c'est sa moyenne dans la dure qui vaut prcisment un) et si k s'loigne trop de l'unit, des barres de contrle peuvent tre insres ou enleves. Les neutrons retards jouent un rle cl dans la frquence de ces oscillations. Une condition de fonctionnement est que le temps ncessaire au dplacement des barres de contrle et/ ou au changement de temprature de l'eau de refroidissement doit tre infrieur au temps moyen d'apparition des neutrons retards, soit environ 11 secondes.

    Les fragments de fission absorbent les neutrons et modifient avec le temps la criticit k du racteur. En consquence, soit les fragments de fission doivent tre extraits, soit les barres de contrle doivent tre dplaces.

    la diffrence des racteurs sels fondus, qui fonctionnent un niveau critique, on verra que les Accelerator-Driven Systems (ADS) possdent le grand avantage d'tre sous-critiques, puisque les fissions sont entretenues par une source extrieure. Un accident critique n'est donc pas possible.

    GNRATION IV Il existe plusieurs varits de racteurs fonctionnant au thorium. On peut mme adapter des racteurs existants, comme on l'a vu dans le cas de celui de Shippingport aux tats-Unis. Les racteurs existants dans le monde sont rpartis en quatre gnrations, en fonction du type et du moment de dvelop-pement de la technologie qu'ils exploitent. La vaste majorit des racteurs actuels sont de gnration II, correspondant

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  • L'ATOME VERT

    la technologie mise au point et aux centrales bties partir des annes 70 jusque dans les annes 2000. La gnration III et III+ propose des amliorations en termes de scurit et de longvit, mais c'est la gnration IV sur laquelle reposent les vrais espoirs. Six technologies ont t dfinies comme faisant partie de cette catgorie, les racteurs au thorium sels fondus inclus. Les objectifs de la gnration IV sont les suivants:

    - Amlioration de la scurit.

    Diminution des risques de prolifration.

    Minimisation de la consommation des ressources natu-relles.

    - Minimisation de la production des dchets.

    - Diminution des cots de construction.

    - Diminution des cots de fonctionnement.

    Ces objectifs ont t dfinis par le GIF (Generation IV International Forum). Le GIF est un groupe compos de 14 pays, dont la France, la Suisse, l'Angleterre, le Japon, la Russie, la Chine, les tats-Unis, l'Argentine et le Brsil. Ce livre laisse volontairement de ct cinq des six technolo-gies proposes capables d'atteindre les buts que le GIF s'est fix: cela dpasserait les buts du prsent ouvrage, consacr la description des centrales bases sur le thorium. Nous en prsentons plus loin deux types :

    La technologie des racteurs sels fondus et les racteurs pilots par acclrateurs, approche ne faisant pas officielle-ment partie de la liste gnration IV, mais qui prsente des avantages intressants.

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    PRINCIPE GNRAL DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM Le thorium n'tant pas fissile, mais fertile, il est ncessaire, quel que soit le cas de figure envisag, de le transformer en un lment fissile, soit l'uranium 233.

    Pour ce faire, il est ncessaire de bombarder le thorium 232 avec des neutrons thermiques (lents) de manire que le noyau puisse les capturer. On se rappelle que la section efficace du thorium 232, ou la probabilit d ' interaction entre le noyau du thorium et un neutron incident est d ' autant plus grande que le neutron est lent. La production des neu-trons initiaux est donc essentielle pour cette premire tape, tout comme ils seront galement essentiels pour la fission plus tard.

    Comment procder? Il y a la base deux faons : soit par spallation, opration qui ncessite un acclrateur de protons ainsi qu'une cible mtallique, en l'occurrence du plomb, soit par l'intgration dans le cur du racteur d'uranium 235 ou de plutonium 239 qui, en fissionnant, vont gnrer les neu-trons ncessaires la conversion du thorium 232 en uranium 233 puis la fission de l'uranium 233.

    La spallation utilise des protons acclrs dans un cyclotron. Ces protons sont ensuite dirigs sur une cible mtallique et vont entrer en collision avec les noyaux de mtal. Le rsultat de ces collisions est une moisson de neutrons qui viendront transformer le thorium 232 et participer la fission. C'est le principe des Accelerator-Driven Systems (ADS) tel que le Professeur Carlo Rubbia, du CERN, l'a conu. Il est gale-ment connu sous le terme d' amplificateur d'nergie.

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  • L'ATOME VERT

    Une fois le thorium 232 transform en thorium 233 par capture de neutron, on attend. Littralement. On attend que le thorium 233 se dsintgre d'abord en protactinium 233 par mission bta (comme dcrit plus haut), avec 50% du Th 233 transform en environ 22 minutes, et le 50% restant trans-form nouveau en 22 minutes, etc.

    Puis on continue attendre, cette fois pour la transformation du protactinium 233 en uranium 233, ce qui prend 27 jours pour la moiti de la masse de protactinium. L'uranium 233 est aussi radioactif, mais plus faiblement, puisque sa priode de demi-vie est de 160'000 ans en mettant du rayonnement alpha.

    Q Neutron ! Pa 233 u 233

    9 => 9 =>9 =>9 Th 232 Th 233 ~ \ ~ \

    0 0 Antineutrino Antineutrino

    Electron Electron

    Chane de transformation du thorium 232 en uranium 233.

    L'uranium 233 constitu dans le cur du racteur se fissionne alors sous l'action des bombardements de neutrons, en dga-geant de 1' nergie sous forme de chaleur, rcupre par un liquide caloporteur et transfre dans une turbine gnratrice d'lectricit via un circuit secondaire.

    Si les systmes sels fondus avaient l'origine pour objectif la gnration d'lectricit tout en diminuant les risques de prolifration, l'approche mettant en uvre un acclrateur conjointement un racteur a t conue dans le but de

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  • PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES RACTEURS AU THORIUM

    Circuit hors cur de la centrale.

    consumer les dchets radioactifs existants et les stocks de plutonium dont personne ne sait que faire. On peut dire que le dgagement d'nergie exploitable est un sous-produit de 1' incinration des dchets.

    Deux cycles de combustible sont possibles:

    - Le cycle dit ouvert, avec combustible passage unique. l'issue de la vie utile du combustible, il est retir du racteur et n'est pas retrait. Il est considr comme un dchet.

    - Le cycle dit ferm, dans lequel, au terme de son uti-lisation dans le racteur, le combustible est retir et retrait. Les lments utiles sont repris et rutiliss comme combustible.

    On a bien sr avantage crer des cycles ferms pour mini-miser la dure de vie des dchets et exploiter au mieux les ressources naturelles. Mais c'est un processus qui ncessite plus d'expriences, car les caractristiques de dissolution du thorium et du dioxyde de thorium fin de retraitement sont

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  • L'ATOME VERT

    moins favorables que celles de l'uranium. La prsence dans les barres d'uranium 232, cr partir de l'uranium 233, et prcurseur du thallium 208, fortement radioactif, ncessite des prcautions particulires lors des manipulations et, en pratique, une robotisation du travail de retraitement.

    Toujours en ce qui concerne le combustible, il convient encore de noter que dans le cur du racteur, pratiquement 100% du thorium est converti en uranium 233 fissile. Cela signifie qu'il n'est pas ncessaire de l'enrichir, et on fait l'conomie d'une opration par ailleurs trs lourde. l'oppos, seul 0,7% du minerai d'uranium est fissile. Il est donc ncessaire d'extraire du sol une quantit proportionnellement plus importante de ce minerai pour produire la mme quantit d'nergie.

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  • La technique - Les systmes pilots par acclrateurs

    (Accelerator-Driven Systems - ADS)

    Ce chapitre prsente une mthode de gnration d'nergie qui, si elle n'est pas nouvelle, possde un potentiel rvolu-tionnaire. Rvolutionnaire, en effet, sur de nombreux points: par ses caractristiques scuritaires (sous-criticit), par sa capacit incinrer les dchets existants et ne crer que des dchets dure de vie beaucoup plus courte que ce que nous connaissons aujourd'hui, et par une remarquable rsistance la prolifration.

    Le principe est illustr dans la figure suivante : un accl-rateur de particules fournit un faisceau de protons. Celui-ci va frapper une cible en plomb (ou plomb-bismuth) fondu et cre par spallation (collision des protons sur les noyaux de Pb-Bi) de nombreux neutrons, qui vont ensuite transformer le thorium 232 en uranium 233 et participer la fission de l'uranium 233. La chaleur est vacue par le plomb fondu via des changeurs de chaleur.

    Voil pour le principe gnral. On rappelle que les rac-teurs conventionnels fonctionnent un niveau dit critique (voir notions de cri ti cit au chapitre prcdent), alors que dans le cas d'un ADS, bnficiant d'un k infrieur un, les ractions de fission s' achvent d'elles-mmes aprs

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  • L'ATOME VERT

    Echangeurs de chaleur

    Barres de combustible U 233 et thorium

    Ractions de fission

    Zone de spallation

    Eutectique plomb-bismuth 1iquide caloporteur

    Aimants dflecteurs

    Focaliseur de faisceau

    un certain laps de temps en cas de coupure du faisceau de protons. Ce sont ces systmes qui nous intressent au premier chef, puisqu'en l'absence d'une source d'nergie extrieure, ils s'arrtent de fonctionner. Les racteurs conventionnels tournent dans une bande troite du coefficient de criticit se situant entre 0,994 et 1,006, paramtre contrl et ajust par des lments absorbeurs de neutrons comme des barres de graphite.

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  • LA TECHNIQUE - LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    Dans un racteur sous-critique, le nombre de neutrons prove-nant d'une fission est ajust au moyen de barres de contrle absorbantes de manire imposer au systme un coefficient de criticit situ entre 0,95 et 0,99, en fonction du type de racteur retenu. Par exemple, un coefficient de 0,95 ncessi-tera un acclrateur plus puissant, mais son niveau de scu-rit sera plus lev. On doit galement tenir compte d'effets secondaires dans la rgulation d'missions de neutrons: au fur et mesure de la transformation du matriau nuclaire au cur du racteur, certains lments crs ont la pro-prit d'absorber des neutrons sans participer la cration d'nergie. Dans ce genre de dispositif, une raction en chane auto-entretenue ne peut pas exister. Le cur ne peut donc pas s'emballer comme ceux des racteurs de la gnration II dans le cas d'un accident supercritique de type Tchernobyl.

    Afin d'assurer la raction de fission et donc la production d'nergie, le systme doit tre nourri continuellement avec des neutrons provenant d'une source extrieure.

    LA SPALLATION, SOURCE EXTRIEURE DE NEUTRONS

    Quelle est donc cette source extrieure? Les neutrons servant entretenir la raction nuclaire sont produits par spallation partir d'un bloc de mtal lourd. Plus prcisment, l'irradiation d'une cible en mtal lourd, tel que du plomb, ou du plomb-bismuth, par des protons haute nergie permet de crer un nombre important de neutrons. Ces protons haute nergie, lectriquement chargs, proviennent d'un acclrateur de par-ticules qui consomme environ 1,3% de l'nergie produite par le racteur. C'est la raison pour laquelle ce dispositif tait l'origine dsign sous le nom d' amplificateur d'nergie.

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  • L'ATOME VERT

    Prcisons, pour la clart de la description, que la cible en mtal lourd implique dans le processus de spallation ne doit pas tre confondue avec le combustible du racteur. Elle fait partie d'un processus intermdiaire permettant de crer des neutrons de manire contrle, faisant ainsi fonctionner un racteur en mode sous-critique.

    Les neutrons produits par spallation sont intressants non seulement pour 1' extraction de l'nergie du thorium, mais aussi pour la radiothrapie en mdecine, ainsi que pour la transmutation des actinides mineurs (nous y reviendrons), des produits de fission des dchets nuclaires et du plutonium militaire. C'est mme un des avantages principaux de cette technique: l'incinration des dchets.

    Le processus de spallation est un phnomne relativement complexe qui se divise en deux stades, la cascade intranu-claire et la dsexcitation. Ce dernier stade peut prendre deux voies diffrentes : 1' vaporation ou la fission.

    La cascade intranuclaire est le premier stade, caus par une particule charge (un proton) possdant une nergie leve, qui vient heurter le noyau cible de mtal lourd. Un tel proton ne transmet pas directement son nergie 1' ensemble du noyau, mais frappe une particule individuelle qui, son tour, va transmettre l'nergie cintique reue aux autres particules du noyau par collisions successives. Le noyau est alors dans . un tat d'excitation trs leve.

    La phase de dsexcitation vient immdiatement aprs. Le noyau retrouve un quilibre nergtique (perd son nergie excdentaire) par vaporation de neutrons ou de particules charges lgres (noyaux de deutrium, tritium ou particules

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  • LA TECHNIQUE - LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    alpha). Un processus concurrent de dsexcitation est la fission en deux sous-noyaux de numro atomique proches.

    1 Rsidus de spallatlon 1 ~ Particule li~ alpha ~~o--~~-; 1 Evaporation 1 ~

    Neutron

    0 Proton

    1 Cascade nuc16alre ~

    '--------' ~ ~ 0 ~ ===> 0 Neutrons -~ ,/@ -0

    1 Produits de fission

    Cascade intranuclaire.

    Le mtal cible, on le voit, est 1' objet de nombreuses ractions nuclaires. Il est donc justifi de se poser la question des sous-produits crs par les diffrentes interactions dans la cible de spallation, en particulier en considration des deux voies pos-sibles de dsexcitation. Ces sous-produits sont radioactifs et pour que la technique de spallation soit valide, il est forte-ment souhaitable que les sous-produits soient dure de vie courte.

    Le sous-produit principal dans une cible plomb-bismuth est le polonium 210, qui a une priode de demi-vie de 138 jours, en mettant de la radioactivit alpha. En 7,5 ans, la prsence de Po 210 est rduite au millionime de sa masse initiale, et la radioactivit alpha est trs peu pntrante, ne ncessitant qu'une protection lgre, de l'ordre de quelques feuilles de papter.

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  • L'ATOME VERT

    L'objectif principal de la spallation reste cependant la maxi-misation de la production de neutrons pour chaque proton frappant la cible de plomb-bismuth. Et celle-ci dpend de l'nergie du proton incident, du matriau composant la cible (le plomb-bismuth n'est pas la seule possibilit) et de la taille de la cible. En rgle gnrale, la quantit de neutrons de spal-lation est proportionnelle l'nergie du proton incident, au nombre de masse du matriau de la cible, ainsi qu' la taille de la cible. Sur ce dernier point, on constate que la produc-tion de neutrons atteint rapidement un plateau partir d'une paisseur critique de la cible. En pratique, on arrive gnrer environ 30 neutrons par proton de 1 Ge V (gigalectron-volt) mis par 1' acclrateur.

    L'acclrateur en amont de la cible mrite aussi d'tre bri-vement dcrit. En Suisse, la spallation est tudie l'Institut Paul Scherrer grce un gnrateur de protons trs rapides. Les protons sont issus d'atomes d'hydrogne (ce sont en fait les noyaux de ces atomes). Leur acclration est fournie par trois machines distinctes. La dernire, un cyclotron, les pro-pulse au moyen de champs lectriques une vitesse de 79% de celle de la lumire avant d'tre dirigs sur la cible. Si l'ac-clrateur de l'Institut Paul Scherrer est exceptionnel par le fait qu'il gnre le faisceau continu de proton le plus intense du monde, la technologie est suffisamment matrise pour envisager une application industrielle.

    La spallation a fait l'objet de nombreuses expriences depuis 1950. Le premier projet, appel projet MTA (Materials Tes ting Accelerator au Lawrence Livermore National Labo-ra tory) avait pour but d'tudier la faisabilit de conversion de matriaux fertiles en matriaux fissiles, les tats-Unis tant alors dpendants de sources trangres pour leur

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  • LA TECHNIQUE - LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    approvisiOnnement en uranium. Ce projet fut termin lors de la dcouverte d'importantes mines d'uranium dans le Colorado.

    Dans les annes 80, on ralisa l'norme potentiel de cette technologie pour 1' incinration des dchets nuclaires. La premire grande tude fut entreprise par le Japan Atomic Energy Institute. Un vaste programme pour la recherche et le dveloppement, appel OMEGA (Option Making Extra Gains from Actinides and Fission Products), fut l'origine d'un intrt global sur le sujet de la transmutation au dbut des annes 90.

    cette poque, le Los Alamos National Laboratory cra un concept dtaill d'incinration de dchets nuclaires (ATW - Accelerator Transmutation of Waste) utilisant des neutrons thermiques, plus lents et plus facilement capturs par certains noyaux.

    Toujours au dbut des annes 90, Carlo Rubbia propose le concept de base de son amplificateur d'nergie (ADEP -Accelerator Driven Energy Production). Cette ide ne se base pas en priorit sur l'incinration des dchets nuclaires, mais en conserve la possibilit. Le but de l' ADEP est la production d'nergie partir du thorium, fertile, transmut en uranium 233, fissile, par spallation. Ce systme permet de transmuter les dchets nuclaires 1' aide de neutrons rapides mieux adapts ce type d'opration que les neutrons thermiques.

    De nombreux projets, plus spcifiques, suivent dans la foule. Ces expriences sont conduites au CERN (Centre europen de recherches nuclaires) et 1' Institut Paul Scherrer, en Suisse, au GSI en Allemagne, au CEA-Caradache en France, Minsk en Bilorussie, au ENEA-Casaccia en Italie et au

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  • L'ATOME VERT

    SCK -CEN en Belgique pour ne citer qu'eux. Elles visent collecter un maximum de donnes sur la spallation, la trans-mutation des dchets, ainsi que sur le comportement de sys-tmes sous-critiques coupls un acclrateur.

    MEGAPIE (MEGAwatt Pilot Experiment) L'une de ces expriences, MEGAPIE, conduite l'Institut Paul Scherrer en partenariat international avec neuf autres instituts de recherche, s'tait fix pour objectif de dmon-trer la faisabilit de l'utilisation d'une cible de spallation liquide (un mlange eutectique) de plomb et de bismuth, avec un point de fusion de 123,5C) destin faire fonctionner un ADS (Accelerator-Driven System) de haute puissance. L'exprience se termina le 21 dcembre 2006 et fut un succs total, dpassant les attentes des scientifiques.

    Le rsultat de ce test a une porte pratique considrable. On sait aujourd'hui qu'il est possible de faire fonctionner un tel systme long terme et fonctionnant dans des conditions ra-listes, 1' enjeu tant en priorit la transmutation des dchets nuclaires.

    Avant MEGAPIE, les cibles servant la spallation taient tou-jours solides. Cette exprience a permis de montrer les avan-tages d'une cible de spallation liquide, en particulier l'aug-mentation du flux de neutrons ainsi que le refroidissement par convection. Cette dernire caractristique est importante car on peut ainsi passer des puissances plus leves com-parativement celles permises par des cibles de spallation solide, plus difficiles refroidir.

    Dans cette exprience, le choix de l' alliage liquide servant la spallation s'est port sur le plomb-bismuth pour ses trs

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  • LA TECHNIQUE- LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    bonnes qualits nuclaires et physico-chimiques. En premier lieu, du point de vue chimique, ces deux lments sont rela-tivement inertes et ne ragissent pas de manire explosive au contact de 1' air ou de 1' eau. Les caractristiques physiques, comme une densit leve et une bonne capacit calorifique sont galement des atouts. Le mlange est compos 44,5% de plomb et 55,5% de bismuth, et il est dit eutectique, car du point de vue de son point de fusion (123,5C), il se com-porte comme un seul corps pur.

    L'utilisation de cet eutectique dans la spallation procure un bon rendement, puisque pour tout proton sortant de l'accl-rateur une nergie de 1 Ge V, 28 neutrons sont crs aprs collision avec la cible. Ceci est entre autres d une section efficace de capture petite, vitant les captures indsirables des neutrons incidents. Les neutrons rapides crs ont l' avan-tage d'tre particulirement efficaces pour la transmutation des actinides mineurs indsirables tels que 1' amricium, le neptunium et le curium, que 1' on trouve dans les dchets nuclaires longue dure provenant des centrales nuclaires classiques.

    Acclrateur de l' Institut Paul Scherrer.

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  • L'ATOME VERT

    Les ractions dans le liquide plomb-bismuth, la prsence d'oxygne dans le mlange, trs faible mais non nulle, l'abondance de neutrons et la cration de sous-produits de la raction de spallation comme le polonium pose le problme de la rsistance la corrosion et la dgradation des mat-riaux de confinement du liquide eutectique, ainsi que pour la fentre de spallation, lment critique qui joue le rle d'inter-face entre le faisceau de protons et la cible de spallation.

    En ce qui concerne les risques d'oxydation, la plage de fonc-tionnement prvue d'un racteur pilot par acclrateur est de 300 600C, en dessous du seuil partir duquel le problme risquerait de se manifester de manire plus marque. En tout tat de cause, 300C, aucune oxydation n'est dtecte, et 600C, l'oxydation est trs lie la quantit d'oxygne para-site prsent dans le mlange plomb-bismuth. une valeur intermdiaire, 470C, les effets de l'oxygne sont ngligea-bles, voire contribueraient la cration d'une fine couche d'oxyde protectrice. Les ingnieurs ont tenu compte des autres risques de dgradation en utilisant des aciers aux carac-tristiques spciales, s'assurant qu'ils n'taient pas solubles dans le compos plomb-bismuth aux tempratures de fonc-tionnement. Par exemple, les alliages bass sur le nickel n'ont pas t retenus, car le nickel est prcisment soluble dans le Pb-Bi, l'oppos des alliages bass sur le fer. Ceux -ci rsis-tent bien l'irradiation et la corrosion qui peuvent se mani-fester au contact du liquide eutectique. De plus, plusieurs tudes sont actuellement menes afin de trouver le meilleur type d'oxyde protecteur (et de cramique) sous forme d'un revtement qui serait dpos en couche sur les surfaces sen-sibles des composants du racteur. Ces revtements, aiss mettre en uvre, se conforment facilement la gomtrie des pices.

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  • LA TECHNIQUE - LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    Un des composants majeurs de ce systme hybride est la fentre de spallation qui se trouve la sortie de l'acclrateur de protons. L'acclrateur fonctionnant sous vide, comment coupler cet lment avec un racteur? Deux possibilits s'of-frent aux techniciens :

    - Fermer la sortie du cyclotron avec une plaque de mtal, transparente au faisceau de protons, permettant au racteur d'oprer pression ambiante. Le choix du mtal pour cette pice est dlicat, tant soumise d'intenses stress thermi-ques et mcaniques. Elle ncessite d'tre remplace rgu-lirement, sa dure de vie, en l'tat actuel des recherches, tant de l'ordre de six mois.

    - Une sortie du cyclotron sans fentre, o l'interface est la surface libre du mtal de spallation liquide. Ceci est rendu possible grce la trs faible pression de vapeur de 1' eu-tectique plomb-bismuth la temprature de fonctionne-ment de 400C.

    SCURIT DES ADS L'intrt des Accelerator-Driven Systems, en matire de scurit, est le fait qu'ils sont sous-critiques et que le taux de fission est contrl principalement par le flux de protons en provenance de 1' acclrateur de particules. Il est donc essen-tiel de pouvoir couper ou terminer ce flux la demande; cela peut tre fait de plusieurs manires, comme en utilisant des aimants diples pour dvier le flux de protons de la cible, en dsactivant un lment essentiel de l'acclrateur (l'injec-teur), en plaant une barrire physique entre le faisceau de protons et la cible de spallation, ou encore en coupant simple-ment l'alimentation lectrique gnrale de l'acclrateur. Ces mesures de scurit peuvent chacune faire 1' objet de systmes

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  • L'ATOME VERT

    redondants destins tre activs automatiquement en cas de dviation des paramtres normaux de fonctionnement.

    La cible plomb-bismuth est normalement refroidie lors du fonctionnement du systme. En cas de coupure gnrale de courant, et en supposant que les systmes de secours auto-nomes soient galement hors d'usage, la cible de spallation peut tre refroidie sans action mcanique extrieure, par simple convection. Quantitativement, l'nergie contenue dans la cible ne reprsente qu'environ 1% de l'nergie totale dgage par le fonctionnement du racteur.

    De nombreuses recherches ont t effectues dans le domaine de la scurit passive. Ce genre de scurit repose sur les phnomnes physiques naturels intrinsques au systme et ne ncessite ni l'engagement de dispositifs lectromcani-ques, ni d'intervention humaine. Les principes de scurit passive se basent sur l'expansion thermique du combustible chauff; la gravitation ou encore l'vacuation de la chaleur par convection naturelle.

    Cela dit, si les ractions de fission tendent effectivement vers zro en cas d'arrt gnral du systme, il reste le problme de l'vacuation de la chaleur gnre par les noyaux radioac-tifs issus des ractions de fissions prcdentes dans le cur. Cette chaleur, qui correspond environ 5% de la chaleur gnre en rgime de fonctionnement normal, est vacue par les pompes de refroidissement mais pourrait potentielle-ment poser un problme de surchauffe au cas o celles-ci (et les pompes de secours) viendraient ne plus fonctionner. La rponse vient des concepts plus rcents de racteurs qui int-grent la possibilit d'vacuer la chaleur rsiduelle par convec-tion, une scurit passive efficace permettant de conserver le

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  • LA TECHNIQUE- LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    combustible intact et empchant toute fuite radioactive vers 1' extrieur.

    DCHETS ISSUS DU FONCTIONNEMENT DU RACTEUR ct du polonium 210 cr dans la cible de spallation, et qui reste en solution dans la masse de plomb ou plomb-bismuth liquide servant galement au transfert de la chaleur vers les gnratrices, les ractions de fission au sein du combustible gnrent une certaine quantit de dchets. Ils ont cependant une dure de vie beaucoup plus courte et une radiotoxicit plus faible.

    Les centrales utilisant des combustibles classiques base d'uranium 238 (naturel) ou enrichi l'uranium 235 gnrent des sous-produits de fission (iode, xnon, strontium, etc.) ainsi que du plutonium et des actinides mineurs, qui sont la source la fois des risques de prolifration et des difficults de gestion des dchets nuclaires actuels. Pour mmoire, la capture d'un neutron dans un noyau d'uranium 238 donne de l'U 239, qui, par une dsintgration bta de demi-vie de 23,45 minutes, produit du plutonium 239. Le processus est assez bref. Les actinides mineurs (amricium, curium et nep-tunium) sont radiotoxiques, produisent un niveau lev de chaleur rsiduelle aprs extraction des barres de combustible du cur, et ont des dures de demi-vies trs longues.

    L'utilisation du thorium dans les racteurs, en revanche, ne produit pas de plutonium, et pratiquement pas d'actinides mineurs. Il ne produit pas de plutonium, parce que le nombre de particules dans le noyau (nuclons) du thorium naturel est de 232, et que la quantit de captures de neutrons et de dsin-tgrations successives ncessaires la production de Pu 239

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  • L'ATOME VERT

    est simplement trop importante pour qu'elle se ralise, ceci notamment parce que la section efficace de fission de l'ura-nium 233 est plus importante que celle de l'U 235 (moins de captures, plus de fissions). Le mme raisonnement s'applique pour les actinides mineurs, dont la quantit de nuclons s'tend de 237 252. Les sous-produits de fission sont des isotopes du strontium, zirconium, baryum, lanthane et csium, dont la demi-vie, pour la plus longue d'entre eux, n'excde pas 90 ans. C'est comparer avec les produits de fission du cycle uranium/plutonium actuel, qui cre des dchets dont la demi-vie va de 200'000 16 millions d'annes.

    Il est cependant possible, et c'est un des grands avantages des ADS, d'incinrer dans le racteur le plutonium et les acti-nides mineurs provenant des dchets d'autres centrales.

    Le combustible irradi est retrait par un procd chimique appel THO REX (Thorium Extraction) dans lequel le contenu des barres extraites du racteur est dissous dans un solvant (de l'acide nitrique) contenant des ions de fluor. Plusieurs tapes permettent de sparer le thorium, l'U 233 et les diff-rents sous-produits et de purifier le thorium et l'U 233 pour un usage ultrieur. Nous ne possdons cependant qu'une exprience limite de ce processus et c'est l'Inde qui est aux avant-postes de son industrialisation.

    En rsum, les avantages de cette approche sont les suivants:

    - La sous-criticit du systme, lui confrant un lment de scurit exceptionnel.

    - Les scurits passives applicables (refroidissement par convection en cas d'urgence): pas de risque de fonte du cur du racteur;

    - Fonctionnement pression atmosphrique;

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  • LA TECHNIQUE - LES SYSTMES PILOTS PAR ACCLRATEURS

    Ne produit pas de plutonium ni d'actinides mineurs: dchets dure de vie comparativement trs courte. Aprs 300 ans, leur radiotoxicit est rduite celle du minerai d'uranium.

    - Utilisation du thorium comme combustible, plus abondant que l'uranium.

    - Utilisation du combustible des fins militaires quasiment impossible.

    - Le thorium n'a pas besoin d'tre enrichi.

    - Trs efficace pour incinrer le plutonium excdentaire ainsi que les actinides mineurs problmatiques dans la gestion des dchets.

    - Cycles de fonctionnement plus longs.

    Quelques dfis actuels de la technologie : - Amlioration du processus de retraitement (THOREX) du

    Th 232/U 233.

    - Le cumul d'expriences pratiques, l'image de MEGAPIE.

    - Approvisionnement du bismuth, dans la version Pb-Bi.

    - Minimiser les temps d'arrt pour l'entretien rgulier du racteur et de 1' acclrateur.

    L'incinration des dchets, vu l'importance de la question, fait 1' objet d'un chapitre spar.

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  • La technique Les racteurs sels fondus

    l'exemple du LFTR

    Un deuxime exemple de racteur fonctionnant au thorium est celui du LFfR (Liquid Fluoride Thorium Reactor). Il est bas sur un concept diffrent, en ce sens qu'il n'utilise pas d'acclrateur de particules et la technique de spallation pour produire des neutrons. Il fonctionne donc avec un coefficient de criticit proche de un, avec le combustible dissous dans des sels fondus. On retrouve les avantages gnraux inhrents aux systmes fonctionnant au thorium, mais chaque concept a ses caractristiques scuritaires propres.

    PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT DES LFTR

    Un LFfR est compos des lments suivants:

    - Dans 1' enceinte de confinement, la cuve du racteur conte-nant les sels fondus avec, pour certaines versions, des barres de contrle.

    - Un systme de retraitement du combustible liquide en continu.

    - Un systme d'arrt d'urgence sous la forme de rservoir sels fondus spar.

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  • L'ATOME VERT

    Le dispositif d'change de chaleur et de gnration d'lectricit.

    -

    Schma de racteur sels fondus.

    Le LFTR fait partie de la famille des MSR (Molten Salt Reactors, racteurs sels fondus). Les sels fondus ont pour fonction la fois de servir de liquide de refroidissement pri-maire et de dissolvant pour le combustible (certaines versions prvoient des barres de combustible solide). Ces racteurs fonctionnent des tempratures plus leves que les racteurs refroidis eau, et oprent pression ambiante. Cette dernire caractristique permet de diminuer les tensions mcaniques sur les diffrents composants du racteur, amliore la scu-rit et simplifie ainsi certains aspects de la conception.

    La technologie MSR est l'une des six mentionnes dans la liste gnration IV du GIF (Generation IV International Forum) et bnficie ce titre d'une visibilit accrue. C'est

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  • LA TECHNIQUE- LES RACTEURS SELS FONDUS

    d'ailleurs une approche qui a plus de quarante ans et qui a t teste au Oak Ridge National Laboratory, on le rappelle, avec succs, et dont le programme a t arrt pour des motifs lar-gement politico-militaires.

    Les MSR peuvent utiliser autant l'uranium que le thorium. Cette flexibilit provient de la composition des sels fondus utiliss, qui consistent en un mlange de fluorures de mtaux lgers et lourds. Les fluorures fondus sont compatibles avec l'utilisation de barres modratrices en graphite. Le combus-tible sous forme liquide a, en particulier, l'avantage de per-mettre l'extraction des produits de fission en cours de fonc-tionnement par retraitement chimique. Certains produits de fission peu solubles, comme le krypton ou le xnon, quittent mme le combustible automatiquement, facilitant la stabili-sation du coefficient de criticit et simplifiant les procdures d'arrt et de dmarrage.

    Le LFTR consiste en un cur contenant de l'uranium 233 en solution dans les sels de fluorures de lithium et de bryl-lium. Dans ce cur, les ractions de fission sont entretenues et peuvent tre contrles par des barres de graphite. Chaque fission de noyau d'uranium produit en moyenne 2,4 neutrons: un neutron ira fissionner un autre noyau d'uranium, un autre sortira de la zone de fission pour aller dclencher la trans-mutation du Th 232 dispos dans une couverture (toujours liquide) autour du cur, dans un volume spar, et le reste sera absorb par des produits annexes, enveloppe du cur ou par des barres de graphite. L'uranium 233 form partir du thorium de la couverture est rcupr en continu dans un sparateur chimique, purifi et rinject au fur et mesure dans le cur du racteur.

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  • Sparation chimique

    Th 232 U 233

    Couverture de thorium 232

    L'ATOME VERT

    Sparation .......

    chimique .,

    u 233

    Cur d'uranium 233 fissile

    Produits de fission

    Principe de fonctionnement du cur du LFI'R.

    Les produits de fission, dont certains seront mis part pour les besoins de la mdecine, sont galement extraits au fur et mesure.

    L'utilisation d'un combustible sous forme liquide est avanta-geuse plusieurs points de vue :

    - Le thorium et l'uranium sont constamment mlangs dans le fluide; la transmutation du thorium et la fission de l'ura-nium se passent de manire plus homogne. Les LFfR

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  • LA TECHNIQUE - LES RACTEURS SELS FONDUS

    sont capables d'utiliser quasiment 100% du thorium, alors que les racteurs eau lgre actuels ne consomment qu'environ 3% de l'uranium install dans le cur.

    - Les sels fondus sont immuniss contre tout dommage d aux radiations, la chaleur et au bombardement neutro-nique lors du fonctionnement normal du racteur, ce qui n'est pas le cas du combustible solide qui prsente fr-quemment une sorte d'usure aprs quelque temps d'irra-diation et d'exposition la chaleur du cur des microfis-sures. Ces fissures ne posent pas de problmes pratiques mais elles obligent changer les barres de combustible intervalles plus rapprochs, forant l'arrt temporaire de la centrale et ncessitant la manipulation, plus dlicate, de combustible irradi, alors que le combustible frais ne pose pas ce genre de problme.

    - Le cot de fabrication du combustible est rduit.

    L'utilisation de barres de combustible contenant de l'ura-nium 238 mne la cration, on l'a vu, d'lments indsi-rables comme le plutonium 239 par absorption de neutron et dsintgration bta. Ce plutonium et autres produits transuraniques pourraient tre rduits des lments plus lgers et moins problmatiques, par fission ou par transmu-tation en lments fissiles. Malheureusement, les barres de combustible solide ne restent pas suffisamment longtemps dans le racteur pour incinrer ces produits, 1' oppos des combustibles liquides, qui peuvent les conserver jusqu' incinration quasi complte.

    - Dans un combustible solide, les produits de fission sont pigs au sein de la structure de la matire et ne

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  • L'ATOME VERT

    peuvent s'chapper. Dans les sels fondus, des produits de fission comme le xnon, trs gros absorbeur de neu-trons et considr comme un poison en regard des rac-tions nuclaires, forme des bulles et est simplement vacu du cur par le haut. Le mme procd est utilis pour retraiter les molcules d'hexafluorure d'uranium (UF6) gazeux excdentaires pour en faire des molcules de ttrafluorure d'uranium (UF4) liquides rinjectes dans le cur du racteur. Ce processus est cl dans les considrations scuritaires des racteurs sels fondus. D'autres produits de fission, comme le molybdne ou le nodyme, sont facilement extraits en continu des sels fondus.

    Les concentrations de matire fissile et fertile dans le com-bustible liquide sont aises raliser pendant le fonction-nement du racteur.

    - Les risques de fonte du cur du racteur n'ont dans ce contexte pas de sens, puisque le combustible est dj fondu. Les systmes de scurit utilisent leur profit cette caractristique comme on le verra plus loin.

    De plus, la chimie des sels de fluorure est trs bien ma-trise. Elle est couramment utilise depuis des dcades dans les usines d'aluminium, par exemple. Au niveau mondial, des millions de tonnes de ces sels circulent dans ces usines chaque jour.

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  • LA TECHNIQUE- LES RACTEURS SELS FONDUS

    1 U-233 frais 1

    Sparateur de dchets

    Echangeur de chaleur

    Gnrat rice ...

    Schma gnral du LFTR.

    CARACTRISTIQUES DE SCURIT DES LFTR Sels fondus Les sels fondus utiliss dans un LFTR sont chimiquement stables, ragissent trs lentement avec de l' humidit ou l'air, et cette faible ractivit chimique permet d'exclure les risques de feu ou d'explosion, scurit renforce par le fait que le cur travaille pression ambiante. Les matriaux de constructions compatibles avec les sels fondus sont connus et leur utilisation vite ainsi les problmes de corrosion. Physiquement, ces sels sont stables sous haute temprature et basse pression, et l'industrie bnficie d'une ample exp-rience de leur usage notamment pour le transport de chaleur. Enfin, le combustible liquide tant en mme temps le liquide caloporteur primaire, il est possible de le refroidir 1' ext-rieur du cur.

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  • L'ATOME VERT

    Dans le cas de rupture de tuyauterie, les petites fuites ne poseraient pas de problmes particuliers car cette situation ne provoque aucune raction violente au contact de l'ext-rieur. Les sels se refroidissent en s'coulant, se solidifient sur place et peuvent tre rapidement rcuprs. Au cas o les sels contiendraient des sources de chaleur rsiduelles, leur solidi-fication serait dcale daris le temps. Les lments en solu-tion (thorium, uranium) sont ioniquement lis aux molcules de solvant, empchant ainsi leur dispersion dans l'air ou le sol.

    Scurit en cas de surchauffe du combustible Un des intrts majeurs du choix de ce type de combus-tible liquide est son coefficient de ractivit de temprature. Le coefficient de ractivit mesure la variation des activits nuclaires dans le cur du racteur en fonction de la temp-rature qui y rgne. Le coefficient est dit positif si, en cas de hausse des tempratures, le nombre de ractions de fissions augmente et il dit est ngatif si, en cas de hausse de la temp-rature, les ractions de fission diminuent. Ce dernier cas est une caractristique de scurit vidente et souhaitable et c'est prcisment ce qui se passe dans un MSR-LFfR. C'est une scurit passive, efficace, base sur un phnomne physique naturel: lorsque la chaleur du cur augmente, le combustible liquide se dilate et 1' augmentation de volume a pour cons-quence d'augmenter la distance entre les molcules, rduisant les surfaces de fission disponibles. Cela diminue les proba-bilits de fission de l'uranium 233 et le systme se rgule de lui-mme en ralentissant le rythme des fissions. Cette scurit est telle qu'il est possible, dans certaines conceptions, de se passer entirement de barres de contrle.

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  • LA TECHNIQUE - LES RACTEURS SELS FONDUS

    Les MSR n'ont pas le monopole de ce genre de scurit: d'autres types de racteurs possdent aussi un coefficient de ractivit de temprature ngatif, mais qui se base sur un autre phnomne physique autorgulateur dans le cas de combustibles solides - 1' effet doppler - que nous laisserons ici de ct, car sortant de notre champ de description. Le LFfR, et 1' ensemble des racteurs bass sur la technique MSR, possdent encore une scurit supplmentaire ori-ginale. Si, pour quelque raison que ce soit, et contre toute attente, le cur du racteur venait chauffer au-del de la temprature prvue par 1' autorgulation du systme, un dis-positif au fond de la cuve compos d'une canalisation ferme en temps normal par un bouchon de sels de fluorures solidifi (congel) se met fondre. Cette canalisation est relie des rservoirs externes capables de rceptionner, par seule gravitation, la totalit du combustible liquide. La raction nuclaire s'arrte alors, et le combustible refroidit. En fonctionnement normal, le bouchon est maintenu solide par un systme ventil sur la portion utile de la canalisation. Ce systme de refroidissement est calibr pour cder partir d'une certaine chaleur ou, alternativement, la simple coupure d'alimentation du systme de ventilation suffit faire fondre le bouchon de sels de fluorures. Mais pourquoi les ractions nuclaires diminueraient d'elles-mmes uniquement en changeant de rcipient? Aprs tout, la quantit d'U 233 n'a pas chang et, en refroidissant dans le conteneur annexe, le nombre de fissions devrait augmenter si l'on tient compte du coefficient de ractivit ngatif du combustible. La rponse tient principalement la gomtrie du ou des rcipients de secours. Pour qu'une raction nuclaire puisse

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  • L'ATOME VERT

    tre entretenue, il faut que le combustible occupe un certain volume. Si 1' on veut minimiser la masse critique (masse partir de laquelle le coefficient de criticit est suprieur ou gal un) de l'U 235 ou du Pu 239, on choisit la sphre. Un cylindre fin de masse identique ne conviendrait pas, puisque les neutrons issus des fissions ont une probabilit plus faible d'en crer des nouvelles, ayant moins de matire proximit: une part non ngligeable des nouveaux neutrons va quitter le cylindre.

    Dans un premier temps, en cas de fonte du bouchon de scu-rit, le passage du combustible surchauff dans une canalisa-tion plus fine que le cur le rend dj sous-critique: les fis-sions cessent. Le combustible arrive alors dans des rcipients dont la forme est prvue pour maintenir la sous-criticit : il est alors refroidi soit par un systme pompes, soit simple-ment par convection.

    Cette scurit n'est pas thorique: elle a t largement teste dans le racteur exprimental (MSRE d'Alvin Weinberg Oak Ridge) entre 1965 et 1969. En fait, c'tait mme la mthode prfre d'arrt du racteur pour la pause du week-end, et elle a fonctionn sans heurts pendant quatre annes. La remise en route consistait chauffer le combustible jusqu' son point de fusion et le pomper dans le cur du racteur, o les ractions de fissions recommenaient.

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  • LA TECHNIQUE- LES RACTEURS SELS FONDUS

    Ces scurits rpondent au concept qui avait t mis en place lors des tests, et rpondent l'acronyme PINT (passive, inhe-rent and non-temperable, savoir passif, propre au systme et non manipulable ).

    MSR 1 LFfR: rcupration du combustible par gravitation dans un conteneur spar.

    Mais l'lment crucial de scurit dans les MSR-LFfR reste le fait que le cur et le circuit de refroidissement primaire dans lequel circule le combustible sont sous pression atmos-phrique, vitant le risque d'expulsion de vapeur radioactive.

    Les racteurs actuels fonctionnent sous haute pression, ce qui permet de conserver l'eau vhiculant la chaleur sous forme liquide des tempratures nettement suprieures 1 00C. La pression de fonctionnement peut atteindre 160 atmosphres, pression considrable, et l'ensemble de la tuyauterie et des rservoirs mis en place forment ce qu'on appelle la fron-tire de pression. Cette frontire de pression est la frontire

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  • L'ATOME VERT

    ultime, protge par un btiment construit pour rsister des dgagements brutaux de gaz sous pression.

    Ce problme de haute pression, commun dans nos installa-tions actuelles, ne concerne donc pas les MSR-LFTR (ni les racteurs pilots par acclrateurs, d'ailleurs).

    RETRAITEMENT EN CONTINU DU COMBUSTIBLE

    On peut concevoir deux mthodes pour faire dmarrer et faire fonctionner un LFTR.

    La premire consiste introduire dans les sels fondus un mlange constitu de 20% d'uranium enrichi (20% U 235 et 80% U 238) et de 80% de thorium. L'uranium 235 a pour fonction de dmarrer les ractions de fission et de transformer le thorium en U 233. Ce mlange de dpart, malgr la pr-sence d'U 235 fissile, n'a aucun intrt militaire. En fonction-nant, la proportion d'U 235 diminue, alors que l'uranium 238 se transforme en divers isotopes de plutonium, mlange sans grand intrt militaire, seul le Pu 239 tant utile ces fins. Ce n'est toutefois pas idal, notamment en ce qui concerne la gestio