-
Le Je-ne-sais-qui
11 Ya quelque chose qui est pour ainsi dire la mauvaise
conscience de la bonne conscience rationaliste et le scrupule
ultime des esprits forts; quelque chose qui proteste et remurmure
en nous contre le succes des entreprises rductionnistes. Ce quelque
chose est comparable, sinon aux reproches intrieurs de la raison
devant 1'vidence bafoue, du moins aux remords du for intime,
c'est-a-dire au malaise d 'une conscience insatisfaite devant une
vrit incomplete. 11 y a quelque chose d 'invident et d
'indmontrable a quoi tient le cot inexhaustible, atmosphrique des
totalits spirituelles, quelque ChOS[) dont l'invisible prsence nous
comble, dont l'absence inexplicable nous laisse curieusement
inquiets, quelque chose qui n'existe pas qui est pourtant la chose
la plus importante entre toutes les choses importantes, la seule
qui vaille la peine d'etrejLt~se~~t~st~~ent qu'on ne puisse dire!
Comment expliquer l'ironie passablement drisoi'i1: de ce paradoxe :
que le plus important, en toutes choses, soit prcisemeilr~;'existe
pas ou dont l'existence, a tout le moins, est le plus douteuse,
amphibolique et controversable ? Quel malin gnie empeche que la
vrit des vrits soit jamais prouve sans quivoque ? Autant demander
pourquoi c'est justement le mal qui est tentant, le plaisir
nuisible qui nous attire, le devant-etre qui nous rpugne! Ce n'est
p';s i~i le lieu de nous interroger sur l'ataxie constitutionnelle
qui fait de ladonne trompeuse une vidence obvie et inambigue, de
l'unique chQse essentielle un absconditum et un mystere, qui nous
soustrait celui-en nous amusant avec celle-la... LaJ}ostalgie de
qUelquQ chose d'autr~" le sentiment qu'il ya autre chose,
le-piitnos dlmcompl--- \ ..,
11 '
- LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN tude enfin animent ~e'
~;P~'~~~d~Philosoph~~qui a toujours t en marge et parfOls aCetr~ta:
pi'TosopliTeexotrique. Platon, qui sait, quand il dit les choses
fd'iaEles,'ao3:iidonner le discours dialectique pour le rcit
mystriologique, Platon parle dans le Banquet d'un quelque chose
d'autre dont les ames des amants sont prises,
qu'"'enes"e'~peuv''irexp1'Ilner, qu'elles devinent seulement et
suggerent en nigmes : &).)..0 TL ~oUAofLv1) ;XIXTpOU Y
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET
L'OCCASION
nuances et ce ballet des ombres vaines dont le nom platonicien
tait Skiagraphia. Chrtien et surnaturaliste, Gracin ne manque pas
une occasion de prciser que la 'vrit seule importe, et il oppose
volontiers
r-J' homme substantiel 1 a l' homme d'ostentation . Il dit qu
'il 1 faut prfrer le solide de la substance au vide de
l'ostentation, la vraie j royaut a la vanit, le rel au luxe des
crmonies. Le livre du Discret, r;l t__qui raconte I'apologue du
Paon, I'oiseau d'ostentation, explique tho
logiquement comment ce primatdu substantialisme s'accorde avec
une rhabilitation relative des mod-lits:,_:J.~..,Crateur a confr a
ses cratures le:Paraitteerii~rne~ten;ps q~.:J~.fu!ii et ceei par
surer.o~'''\ car, commei'affifiCeest Une secona; nature qui double
et eorse la ! premiere, ainsi la maniere d 'etre est un second etre
ou un supplment ~
-
" "
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET
L'OCCASION
pas 1. Qmun~si! Gracin aurait pU dire : c~JJ.ui nesevoit pas
n'existe pas; oril crit: 1'invisible estautant dire';.-ne,xGt~I!1.
La-~p1edeuf ne
.'.:t'pos~'pas1avaT'r;'mls 'elre'l~r me{
'enc>WireiTLa'~p'utation ou renom, . .
't':.P~.rii!D_-~~onc l'ave~~~nt_'!Ll:~t~} un ~B ~~@. tant
entendu que le langage nous trahit encore; car le langage veut des
substantifs, et secondairement des verbes dont ces substantifs
soient les sujets. En fait, il n 'y a pas un etre avant, un etre
apres, et un soc1e
, .
;
,.1 ~ou support du changement 1, mais c'est
I)Y~Il~.Illent-!:J..:-Yt[eQ1..est t:
la ~~JIJ~,_s!!b.~J,~,2f,e; et l'autre lui-meme n'est autre que
secondairement et par la grace de I'altration. En disant que
l'altration est un passage du meme al'autre ou une transition
d'autre en autre, nous nous laissons derechef garer par le mythe
substantialiste du systeme de rfrence, par la prsance grammaticale
du statique sur le cinmatique et du cinmatique sur le cintique, et
enfin par une pente invincible a confondre le mouvement se-faisant
avec le trajet effectu. En fait l'altration prcede et pose I'altrit
comme la position elle-meme prcede et pose la positivit, laquelle,
une fois pose, dpose , refroidie, devient sance tenante un dp6t et
une ngativit. Ne disionsnous pas ici meme que le resplendissement
prcede et rayonne la splendeur? Le mode a son tour n'est un mode
que lorsqu'il est en train de remplacer le prcdent et sur le point
d 'etre refoul par le suivant : la modification est donc a la
lettr~.i~tion de modes; elle e;t un autre no~~pour""'cti~~-histoire
ou biographie de 'Ya substance dont les phmrides et les tats
successifs, immobiliss apres coup dans une chronologie, se
dtermineront pour nous les uns les autres en tant que modalits. La
modification ne dfinit pas les modes en les changeant" caril
faudrait,pouretrechangs, qu 'ils
~~i~~a:~e~:tpl:a~~:;~~\~:11~:~~~~'lt1n~ifIut~~ic~tr:n~'~ petit.
La qualit, c'est-a-dire la proprit d'etre ainsi ou autrement, se
qualifie elle-meme par rapport a des qualits dissemblables : c'est
le temps qui droule pour nous cette varit pittoresque et
dtermine
1. Bergson, La Pense el le Mouvanl, p. 144 sq. (La perception du
changement).
35
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN 1
, la spcificit qualitative de ces nuances, c'est dans le temps
que notre ' 1\ regard en parcourt la pluralit, en compare les
tonalits diffrentielles, :\ en apprcie les nouveauts. lei encore la
relation prcede et dtermine
les termes relatifs. Bergson nous a familiariss avec le paradoxe
de ce renversement qui seul permet d'opposer a la ngativit de la
positivit ~-.., i : la plnitude de la position. Comme ces
o~lger~~a- " (~:.: rl!illent gue dan~l~J!!Q!;l.~~~nt,
l'etr:....~:~~,"~E.~tr.~.9~~c!~nsle chan- l :=v 11 gement qui luj
fait quitter son etre, en soi inexistant, pour un autre,t etre qui
ne"sera' pas moins inexistant. Et pourtant, par la grace de
I'altration, ~~~te! L'etre, disions-nous, est tout entier
opration '. ,et maniere de devenir et maniere de cette maniere a
I'infini et devenir des manieres; et vice versa le devenir n'est
rien d'autre que de I'etre /toujours naissant; le devenir n'est pas
seulement ontologique, il est i ~ncore et surtout, si I'on ose
dire, ontogonique, ou plus simplement. :,,~encore : il est cration
perptuellement recommence; si humble que );oit cette cration, elle
est positiond'etreoontinue, et elle est une' thaumaturgie crative
en cela. L'ontogonie fait sans doute toute la .diffrence entre
l'Apparaitre et le Pa~1tre, celui-Ia qui a pour vo~o ,.
L!'.~PPa.EitjPQ.i~, celui-ci qui n'e~ frianp que
d'apparence(bicles.~ L'apparence, maniere a fleur de peau~pas pris
la peine de'~i effectivement ce qu'elle parait; mieux : elle s'est
dispense du devenir qui est I'effectivit par excellence, et elle
ressemble a un fruit muri
,hop vite auquel il ne manque presque rien sinon prcisment
I'essen\.!!e1, I'arme inimitable, le bouquet , le je-ne-sais-quoi;
de I'etre
, lentement et completement devenu elle n'imite, la futile, la
prmature, que les dehors et I'aspect extrieur, la suavit
superficielle, mais I'ame du je-ne-sais-quoi et la maniere de la
maniere, elle ne I'aura ;i jamais. Voila ce qui arrive quand, faute
de lenteur et de pudeur, on
\ se soustrait a la loi du temps. L'apparence fait peu de cas de
cette \, paisseur d'historicit et de tradition temporelle qui seule
prouve : et confirme les etres, elle ne sera donc jamais qu'un etre
diminu!..,~ne l mince image irise et un fantasme sans cn~.il~' Plus
encor que
; l'ppareICeaf'Ve;TrCde"par1treeStt'rapp d'irralit : car pour
celui qui a dcouvert le pouvoir de jouer et bluffer avec les
apparences, paraitre n'est pas seulement I'artifice d'une
conscience trop presse, mais la ruse d'une conscience fraudeuse;
Paraitre, mani par I'ingenium industrieux, est plutt une
escroquerie qu'un processus mta
36
.,
: " ,-(.;'):~ '
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
initiateur que l'etre imit. C'est ainsi qu'on trouve chez La
Rochefoucauld, La Bruyere, Kant, toute une thorie de la contrefa90n
morale : les"acreB conformes au devoir imitent ce qu'on peut
imiter, attrapent ce qu'on peut attraper, une ponctuation par-ci,
un pas de danse par-la, des intonations, des mines contri tes et
del> simagres; l'imposteur a cet gard n'est rien d'autre
qU'u!l'singe.':L'appropriation imitative reste donc toujours sur le
plan der' avoir le plus parcellaire... Telle n 'est pas l'
imitation de Oieu que recommandent, par mtaphore, les spirituels,
telle n'est pas l' homceose ou assimilation d'essence, ou union
fruitive, dont parlent les mystiques : celui qui ressent pour de
bon un sentiment le sent en fait comme si c'tait la premiere fois,
et de la meme fa90n (I'itration tant ici indiscernable de
l'invention et la rptition indiscernable du commencement) celui qui
revit, refait, recre effectivement est luimeme le crateur en
personne. Ce qui est vrai du remords, de la commisration et de
l'amour ne l'est pas moins de I'intuition. La vie affective, a
condition d 'etre sincere et pure de tout apocryphe, est donc une
lenteur et un attardement, une dure qui prend le temps de durer
pour s'imprgner de la saveur qualitative du vcu. Et quant au
devenir en gnral, s'il n'est pas a la lettre une cration gniale de
chaque instant, il est pourtant bien une sorte de renaissance
continue, et c'est-a-dire une naissance continueIlement
rebondissante, aussi inlassablement reconduite que les contractions
du cceur, aussi perptuellement relance que le
sang."da.Qs..!~-rteres . exist.er,.J1 'estoce pas renaitre ainsi
d'instant en instant par un mirac1e de chaque seconde? On comprend
maintenant pourquoi I'apparition se confond avec I'apparaitre dans
la coule d 'un devenir sans cesse apparaissant, au lieu que
I'apparence se dtache du paraitre par I'effet d'un subit
escamotage; c'est ainsi que la fa90n du devenir s'oppose a la
contrefa90n du sembler , que la fa90n de faire est singe par la
contrefa90n du
\'-.CLparaitre-faire . Pour tout ce qui regarde son intret, la
surconscience menteuse coincide avec soi dans une misrable
inconscience vgtative. Qui s'occupe de tromper les autres n'a pas
lui-meme le loisir de devenir effectivement un autre; qui se
compose pour jouer les roles de son etre, par dfinition meme ne se
dcolle jamais reIlement de cet etre. Bien au contraire! Plus il se
grime, plus il adhere a soi; plus il croit etre un autre, plus il
reste le meme. Le meme p~~t.-~Lnon
38
LA MANIERE ET L'OCCASION
~s lui-!.!H::m.e! Car on peut admettre que le devenir permette a
I'ipsit e se raliser en se dveloppant; tandis que la semblance et
la simu
lation sont, a la lettre, une tautousie , c'est-a-dire une
tautologie vcue; le semblant n 'est pas ce qu 'il semble, mais plus
que jamais il est ce qu'il est, et plus il semble, plus
incurablement il s'enfonce dans ce qu'il est. Ce qu 'il est, au
sens grossierement substantiel et massiLdl:l " verbe etre,
s'appelle l'Ego. L'autre du simulateur est un alibi--d I'ego" )
....... 'J.'
et un Alias Autos, comme I'altruisme du simulateur esC'ne
priphrase de I'goi"sme, comme en gnral I'altrit du simulateur est
une pseudo-altrit et un camouflage de I'identit la plus compacte,
comme l'altration simulatrice enfin n'est qu'une immutabilit truque
: le moi a beau tirer sur sa chaine pour etre un autre et ailleurs,
il reste le meme et sur place... Ailleurs en effet n 'est vraiment
ailleurs et l'Autre n'est vraiment autre que plus tard : n'est-ce
pas le mouvement qui conditionne l'alibi, I'altration qui
conditionne I'altrit L_ Le mouvement et le changement eux-memes ne
prennent-ils pas du \ temps? Or on sait que la semblance,
fabricatrice de simili ou de faux- ,~ semblants, escamote la
traverse des intermdiaires et prtend gober d'un seul coup
I'paisseur du temps :ile moi nuc1affil, prfrant la solution
expditive de la grimace a la s'(;I-utO'1-a6oru~edu devenir, reste
stupidement le meme et abonde dans son identit. Comment le moi
incapable de devenir un autre moi communierait-il extatiquement
avec le toi? Cet autre moi-meme qu'il appelle Toi est bien moimeme,
mais ce n 'est pas un autre! Le masque que l'on peut mettre,
enlever, remettre, et qu'on garde quelques heures pour s'amuser un
soir de carnaval, le masque symbolise suffisamment cette frivole
altrit a f1eur d 'piderme qui donne sr peu le change : l'altrit du
simulateur est aussi peu srieuse et aussi phmere que le dpaysement
des bals masqus. Les poques favorables a l'immutabilit de la
substance se sont amuses avec ces piquantes mtamorphoses, avec ces
prodiges plaisants et saugrenus - une nymphe change en fontaine, un
carrosse en citrouille, un dieu en nuage d'or - qui ne sont que de
petits dguisements anecdotiques a f1eur d 'etre et, en quelque
sorte, des variations pidermiques sur le theme de la substance. La
volubit, le polymorphisme et I'arbitraire de ces mtamorphoses d
'Ovide sont-ils un alibi de I'imagination friande d ''!.1.t~rations
sur le dogmatisme immobiliste ? ~reOsmiim~pp~~a t, pour une
conscience ~j
39
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
ignorante de l'volution, un moyen d'honorer I'altrit. Entre
feindrC! .et devenir la distance est aussi grande qu 'entre
I'altrit ludique dO travestissement et l'altration magique de la
rincarnation : en fai de transition, l'homme travesti n'a travers
que le laps de temp ncessaire pour se dvetir, puis se revetir,
c'est-a-dire le temps d'u
__dguisement adialectique et rversible, non mdiatis par la
douleu r des mtamorphoses et le dchirement des mtempsycoses; il
reste' L_,onc f(jJl,(;ierement ce qu'il tait - ou si I'on prfere :
ce qu'iLg(git\
iH'est enco~, son prsent substantiel et son prtrit se ressoudant
de partet~iitre de la superficielle et tres provisoire mtabole.
Comme celui qui porte illgalement des dcorations sans en avoir
acquis le droit, sans les avoir mrites par ce stage d 'preuves
auquel toute crature est soumise, sans avoir accompli ses priodes ,
ainsi l'homme qui fait la roue en prtendant esquiver le purgatoire
du devenir n'obtient qu'un renouvellement passager de son etre; et,
puisque le temps est seul fondateur, l'apparence que cet usurpateur
emprunte est une apparence infonde. Il arrive sans doute qu'il
prenne got a son plumage et acquiere peu a peu, par I'habitude,
l'etre de la neuve apparence : mais c'est qu'il a, bon gr mal gr,
obi au principe du " dlai, de la temporisation et de I'expectative.
Il est pris au piege de son' propre piege. Le devenir, qui est
apparition, c'est-a-dire,e~()Nrce des
!tapparences temporellement fondes et continuelIeme1ltremani~,
le . Udevenir qui fait surgir le phaenomenon bene fundatu~'So~tenu
par le profond pass et la profonde histoire, le devenir est la
dimension selon laquelIe I'etre se transfere lui-meme tout entier
dans une autre ralit ontique, ou mieux passe d 'etre en etre
continuellement, l'etre ~tatique n 'tant achaque moment qu 'une
coupe instantane dans ce transfert. L't~egevie}!tuI1_u.tr.e. ~tr~
P?l:lIPl;.L1. gu 'iI)II11~!!.e.l~_t~~ps. On dirait volontiers que
le devenir est palingenese continue ou, en
r-.dtournant lgerement de leur sens les mots du PhiIebe, y\iem~
d~ oucr[(X\I. i Modification et mtamorphose, transformation et meme
transfiguI ration dsignent des processus trop partitifs et
empiriques pour pouvoir L---..signer cette transmutation
thaumaturgique, cette transfusion irrversible et vraiment
ontogonique qu 'est le devenir. Peut-etre faudrait-il dire
transsubstantiation... La transsubstantiation, qui est une petite
rsurrection de chaque instant, s'oppose a la transformation
secondaire, simulacre d 'altration ou le changement n'atteint pas
I'essence de
40 '.~/ J-"', \.t
\ ~1. '/. " ' . '
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN besoin du changement comme
un symptme de notre dchance; alors que ce besoin, mme dans ses
formes les plus frivoles, annon dja la divination d'un tres
important mystere... Nous avons montrl
que le Tp:7tl\l et partant la ~()nvefsion elle~rnm~
~t~.i~~~J?!1!.~ / de mystere que les tropes de la rhtorique : a
partir d 'ici, il n 'y a plu L-gue les tropes pneumatiques et la
tournure de I'ame ; s'il n'eST .,
pas de recettes techniques du tour de main , aplus forte raison
I tournure de I'ame, qui est purement intentionnelle, chappe-t-elle
a-----;----~-._-.-_ _.~. ~., .. _.-__ .0 _" toute mensuratlOn.
Tpit~-'i"1j
- LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION
.~~:;;;iqiY1~")~c-ne:~~i~c-'~~
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
temporaire: elle justifie donc non pas l'agnosticisme, mais un
prudent relativisme qui est en quelque sorte une pudeur d'affirmer.
Temporaire' et locale, elle est par la meme inessentielle : comme
elle ne concerne pas le tout d 'une ralit, elle n 'en concerne pas
non plus la racine. On s'explique, dans ces conditions, que le
je-ne-sais-quoi puisse passer pour une illusion : c'est comme un
faiblissement de l'esprit fort, un
ti certain tat de vague a l'ame qui tient peut-etre a l'humeur
et qui nous . 11 inspire parfois des manieres de parler vasives,
approximatives et en .
quelque sorte atmosphriques; la tete la plus positive, quand
elle se trouve en humeur de capituler, devient capable de revenir
ainsi a l'age thologique et d'hypostasier son ignorance. Baptiser
je-ne-saisquoi, quand on pourrait le calculer, le dterminisme
encore inexpliqu d'une aberration astronomique, ce n'est pas de la
mtaphysique, mais . de la psychasthnie; tout mathmaticien peut etre
dmissionnaire a ses heures, et il n 'y a rien a conc1ure de
cela.
Mai~,1l;:recours au je-ne-sais-quoi peut etre aussi une
ngligence ~ou un"ddain de l'esprit fort. Le logos a ses limites, et
il faut bien en
~~enir cmr;te. Chez nos c1assiques, chez Corneille, Racine,
Bossuet, Pascal, le cardinal de Retz, Montesquieu \ le
je-ne-sais-quoi exprime
,...le premier dsarroi du rationaliste scandalis par les causes
drisoires de l'amour, par la disproportion des causes et des
effets, si injurieuse pour la raison, enfin par ces branlements
infinitsimaux et ces motivations microscopiques qui sont les seules
raisons ~--Crefr. Ici 1'esprit fort n'a pas pris le temps de
dnombrer, dbrouiller ou faire ~l apparaitre tous les lments d 'une
totalit ouverte : dsesprant d 'en ?finir, il dit et caetera
prmaturment. Tantot les lments du complexe sont si nombreux qu'on
n'a pas eu le loisir de recenser celui qui manque; tantot ils sont
si enchevetrs qu'on n'a pas les moyens de
OH.! . les dmeler ni d'isoler des autres le facteur critique;
tantot le facteur critique ou problmatique est si tnu que nous
sommes incapables d'en dpister la prsence. Impatience, paresse et
impuissance technique! C'est l'insuffisance slective et c'est le
pouvoir trop peu grossissant de l'organe et de l'instrument qui
favorisent le plus notre inca-
I. Pascal, Penses, 11, fr. 162 (Brunschvicg). Montesquieu, Essai
sur le gout: Du je-ne-sais-quoi.
46
LA MANIERE ET L'OCCASION
pacit de compter, distinguer, recenser, apercevoir. Surtout
l'homme 1/f moderne dcouvre, au XVII e siec1e, des totalits
complexes, ouvertes, I fii comme les ports de mer du Lorrain, sur
I'horizoniPfini : des lments ji . positivement innombrables, un
imbroglio inextricable, des quantits infinitsimales; de part et
d'autre l'ultra et l'infra, enserrant la zone de l'existence
moyenne; d'un cot la grandeur infinie dan~'le nombre des lments, de
l'autre la petitesse infinie de ces lments eux-memes, ceux-ci
tendant vers zro par rapport a celle-la; entre les deux une zone
intermdiaire, quivo
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
une complexit avec exposant .. on dirait volontiers que ce n'est
pas une complication simple, mais une complication el1e-meme
complique, et complique par une rciprocit d'interaction. Cette
complication de la complication est une complication infinie,
gnratrice de contradictions diaboliques autant qu 'insolubles; el1e
suscite la t!!8die, la contradiction, I'ambivalence; elle a donc,
au me~ettre que le dObi;-~fini,~p-cara~re .rntapJn:~jq.IJ.~... ou
du moins mtempirique. Qui dmelera cet embrouilIement 1 ? Des
carrefours ramifis a I'infini, des bifurcations infiniment
bifurques rendent presque inextricable le labyrinthe de la
complication complexe. Or s'il n'y a pas de clef unique pour ouvrir
tous les cadenas du mystere, et si I'indchiffrable de la conscience
menteuse, au contraire du secret d'un coffre-fort, ne se dchiffre
pas grace a un chiffre simple qu 'il suffirait d'apprendre comme on
apprend un mot de passe, mais s'interprete a l'infini, a jortiori
l'indbrouil1able des complexus de complexes ne se dbrouille pas a
I'aide d'une analyse finitiste : il y faut une analyse infinie et,
seul accord a ces complexes de complexes, un raffinement de la
finesse. Peut-etre la finesse avec exposant pourra-t-elle lire dans
la complication avec exposaI1t? La ou une grosse posologie
arithmtique ne fait qu'augmenter la confusion, une mathmatique fine
, serrant de plus pres l'impondrable de la qualit et
\'imperceptible de la fiuxion, apportera peut-etre la lumiere ?
Hlas! la crasse grossieret de nos organes, aggrave par la pesanteur
et I'hbtude d'un incurable esprit de gomtrie, prpare mal
l'entendement obtus a saisir les impondrables. L'entendement est
plutot fait pour dnouer des cables que pour trier des fils
d'araigne! Ce sont, dit Marivaux, des objets de sentiment si
compliqus, et d'une nettet si dlicate, qu'ils se brouilIent des que
ma rfiexion s'en mele 2. Un objet infiniment dlicat veut un esprit
dli infiniment. Comme on a trouv le microscope pour corriger la
myopie lamentable des hommes et allon-
I ger leur courte vue, trouverons-nous I'appareil qui aiguise
notre "-- facult de discernement si nlOuss~t1}, alfl1Je la pointe
cache de notre
pouvoir critique et discriminteur, affine notre dl ~gital,
apaise ;.\/
1. Pascal, Penses, YII, fr. 434 (Brunschvicg). 2. La Vie de
Marianne, IY partie.
48
LA MANIERE ET L'OCCASION
enfin, tel le No~ d'Anaxagore, notre perplexit devant le chaos
de la contradiction et I'entrecroisement des quivoques? - Mais il
est di~"\ que, dans notre zone mitoyenne, les complexes avec
exposant seront '[ ambigus jusqu'au bout et jusqu'au bout
entretiendronU~ion dialectique. Deux attitudes sont en effet
possible~.. devant la totalit j ouveife,l"Une qui correspon.cl~
lJqgiquefine..et a l'anaIyse.. mfiie de"U:ibniz, I'autre qui
correspond a I'irrationalisme de Pascal. Cette duplicit s'explique
elle-meme-par Prriplbotiede ..F-inani : selon qu'on la considere
comme ce qui noU;"iilfre'sallsfiii'o.tcomme ce qui nous chappe a
I'infini, I'infinit sera soll;!ti,oncontinue ou probleme ternel,
c'est-a-dire mys"ier:Voto'bord le point de vue de la pn{tude et de
la rjouissante positivit : la complexit infinie n 'est que I'aspect
problmatique d 'une intel1igibilit intelligible el1e-meme a
I'infini; I'esprit s'enfonce avec ravissement dans \'paisseur de
cette intel1igibilit, et notamment de cet infini intrinseque qui
s'appel1e continuit, et il la dcouvre ~lii}}a~-i~e signification,
comme la goutte d'eau de la Monadologie, jusqu'en ses profondeurs
les plus extremes. Dans ce vaste probleme ou le donn ne cesse de
poser de nouvel1es questions et de promettre de nouvel1es rponses,
ou I'esprit ne cesse d'apporter de nouvelles solutions et a nouveau
d'interroger, il y a en quelque sorte a penser infiniment, comme il
y aura, dans I'avenir, a dvelopper inpuisablement et a connaitre
sans fin. Un temps infini, riche en passionnantes dcouvertes, est
donc la carriere d'une science totale. Mais cet optimisme renvoie a
un pessimisme corrlatif qui en est, pour ainsi dire, le verso.
L'infini n'est pas seulement le futur toujours ouvert devant
\'effort de notre esprit et la pntration de notre pense; il est
encore, pour qui s'attendait a la perfection et a la
circonscription de la chose, I'inachevement; il est I'informe et
I'indterxpin; il n'est pas seulement une possibilit Tripuisable de
mditation, il si~nifie encore l'impossibilit d'enserrer; on n'en a
jamais fini de corr;:pI:endre'-(a~ sens ou comprhension signifie
in:teIrctin)c~q'il' est imp.ossible. decomprendre (au sens ou
comprendre signifie embrasser) : I'esprit de finesse, de plus en
plus 1 attir dans les entrailles de I'intelligible, est de plus en
plus saisi' d'angoisse devant la grandeur immense a treindre, de
plus en plus incapable de traiter le tout comme une chose. Cette
dcourageante ngativit n'est-el1e pas une positivit lue a l'envers?
Mobilis d'un
49
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
ct par 1'infinie docilit du rel qui cede sous son effort, stopp
d'autre part, comme les ma
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LE JE-NE-SAJS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
intentionnelle des procds; et comme le mouvement thique rayOnne
la valeur, ainsi le geste potique porte le sens. - Si l'indivisible
mystere est parfois un myt~ourJk.fahricant, l'atomismemet~l et
la~ur toursoot ncessairement des mtaphores gwssieres pour le
consommateur qui se place au point de vue de la qualit sentie : uel
que soit le mode de production dont ils sont la rsultante, la
saveur d' fmit, le bouquet d'un vin, le parfum d'une rose sont des
irrductibles' et cette odeur de fume et d 'herbes roties qui nous
trou e parfois si trangement a l'entre du village, elle est elle
aussi une spd:cte 'IlavSTh1e"'efin-OfiIssa~ aussi disons-nous, un
peu c~TiCe~l:fii'"elr'eslSiIgeneris : ainsi nous faisons
'. comprendre qu'on ne peut la rduire a autre chose ni la
subsumer , sous une catgorie quelconque et qu 'elle est a elle
toute seule son , propre genre; nous n 'acceptons pas de comparer
ou dfinir, et rpondons a la question par la question;
lagualit,~.,s.'~~!?~9..ue.E~)~.9.ualit, se justifie
qualitativement, comme l'amour immotiv qui, tournant dans le cercle
de sa tautolo ie incondiuq"qw:lIe, refuse de rendre des comptes et
de rpon re Parce-que aux Pourquoi. Ce qui peut bien avoir t combin
comme un amalgame est recu comme une qualit simple; et le
je-ne-sais-quoi dsigne ici non point le principe secondaire et
supplmentaire de la synthese qui a posteriori fait du tal une
totalit et de la somme une unit, mais le charme Qrigjnaire
g.rac.e auquelle percu est immdiatement un sans
.a.v.o.i.r:_J.'~.m._~~musieurs : loin que les centres nerveux
soient le creuset OU la mixture s""";ait ..eroye, la qualit
s'impose d'elle-meme comme simple de nais~~sa1~e. Et il arrive
encore, dans le cas des percep;s'les'pus'comPai
1/ s~te'saux associations et aux souvenirs, qu'un contexte idal
pour .' ainsi dire infini conditionne nn.~.E!i.~':?le de la qualit
: tout a l'heure la qualit tait indivisible parce qu'on ne pouvait
y distinguer des
\ 'j".lments; et maintenant (ce qui revient au meme)
ell~es~J~divisible T\ parce qu'on y pourrait distinguer une infinit
d'lments vir:!!Iels. La
a J
continuit,,poiii'.pa"iJef':ia-n.:liga~rgsomen,n'est-elle pas la
limite d'une disc2.n!!r.!!!!t..!Qdfiniment morceTa6D Car
l'impond
rabTe~estMTiIard, et trilliarddernTlliards, et-~ plus encore!
C'est pourquoi il n'y a ri~jL9ire, en meme temps qu'il y a
in~gjmell1.a dire
- __ o, - . __ ....., ~ ~.. - _,-~---,~~-_ ____-jusqu'a
la-cosornmation des siecles sur l'motIOn musicale, cepresquerien
que le pass personnel, la rfraction morale, i'ducation artis
52
LA MANIERE ET L'OCCASION
tique colorent de nuances imprvisibles. C'est pourquoi on peut
dire avolont que J.m!!sj~rime rien ou exprime i'inexprimable a
i'infini : l'Es.eressivo i'!.!3p'':!!.~P.st son incomprhensible
vocatJon. Et tout de mrme l'indicible n'est-il pas un mystere
dicible a l'infini ? La philosophie apophatique n 'est-elle pas une
philosophie infiniment, inpuisablement, contradictoirement
cataphatique? D'innombrables gloses et d'interminables commentaires
n'puisent donc pas le charme musical, ou i'puisent, si on peut
dire, ti la limite. COIlll2le~mextri
cable~tmYsSer~ [email protected]:.ce.cbarme fugace est a la fois profond
et superficiel: profond parce que l'interprete n'a jamais fini d'en
drou-' ler les'inpuisables richesses, et superficiel parce qu'il
tient tout entier. dans 1'inscable
ph.EQ..Ill~!!:~}~~~_~~!1J2J1.!~r.~..~~Q!Q.!~ ... Le charme n'est
pas le sens du poeme, mais il est plutot le sens de son sens, et la
quintessence de son essence : la musique rvele le sens du sens, qui
est charme, en le soustrayant a nos gloses. Telle est cette divine
ternit d'un quart d'heure qui s'appelle la Bal/ade en fa diese de
Gabriel Faur; les grammairiens, historiens, esthticiens n'en
finiraient jamais d'en commenter la syntaxe et les entours - et en
dfinitive c'est le mot de saint lean de la Croix qui convient : de
cette reuvre de charme et d 'inexistence, de ce sortilege
bergamasque qui nous persuade et endort la souffrance et inspire
l'amour et chuchote a l'oreille de notre ame, lorsque le soir
descend, les choses passes, les choses secretes, les choses amies,
de ce presque-rien on ne ,.E,~ que comme on parle du presque-rien
surfi'1urel)..s:.Q,~(l;dbutia.nt , lialbuclbil1lr:-o=-m-raintenant
on liteITog-'~ plus l'reuvre d 'art'i es toi"ailts artificiel1es,
mais les totalits organiques, totalits qui n 'ont jamais t
fabriques a partir des lments, totalits qui se totalisent jusque
dans leurs moindres parties, il faudra s'exprimer ainsi : une sorte
de charme d'indivision est l'essence meme de l'existence biologique
et la vitalit meme de la. vie; parce que 1'organisr'estorganique
aYmTJ organis jus(i~ dans 1'infinitSiial, et parce que le consensus
entier est je ne sais quoi de flou etd'inassignablegu'influence
tout vnement surveliu entout"pointd'e nfre cofps 'ol' a tel moment
du temps, la douleur apparait difficile a localiser; la maladie
cesse d 'etre une entit nosologique dfinissable et devient vasive,
plus ou moins somatique et plus ou moins psychique : de la le
caractere quivoque des signes pathognomiques et la possibilit
d.'interprter contradictoirement
53
, \ D'-'-\
... I ' ! .). .
; .~ )t'.rtP !l"~ (J {' ..~} r'
,
'.!
\ /' , )
- LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN les symptomes, de la
l'ambiguit de l'tiologie m~dicale et du dterminisme biologique, de
la enfin la natur;e-
-
'.'
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION
premier mot! Par un renversement singulier de la logique valable
pour les choses finies, c'est le presque-tout qui est comme rien,
et c'est le presque-rien qui est sinon totalit en acte, du moins
totalit naissante, exaltante promesse! Ce qui est connu n'est pas
encore connu; ce qui est connu appartient bien plutot a quelque
chose d'absolument inconnu; et vice versa ce que nous croyons, en
toute innocence, ne pas connaitre est d 'une certaine fa90n notre
seule connaissance vritable. Ne dites donc plus: celui qui sait
tout except le presquerien - non pas le presque-rien, lment
singulier entre autres, mais le presque-rien pneumatique -,
celui-Ia manque a peine la vrit; ne dites plus; tout se passe comme
s'il savait; car il s'en faut, au contraire, de I'immensit d'un
monde, car il s'en faut littralement du tout au tout! II s'en faut
certes de I'paisseur d'un cheveu, et pourtant entre ce qui est su
et ce qui resterait aconnaitre la distance est plus vaste que
)..'intervalle infini de la terre au cel. Apprcier l\mm.t
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN/ /
l'autre, les moments d 'une priode finie ? Incapables l'i
'arriver au bout d'un laps ou intervalle de temps dtermin,
d'annu)'r par la locomotion une distance finie, nous serions
condamns a1'immobilit et a l'intemporalit. Or le mouvement russit
et le temps aboutit, c'est-adire qu'ils puisent l'un le trajet et
I'autre I'intervalle sans avoir a dnombrer les innombrables
stations ni a plucher tous les instants intermdiaires. Le mouvement
et le temps parcourent a la course le continu, d'une allure simple
et spontane et comme en se jouant, c'est-a-dire sans faire
acception des arrets virtuels, sans rifier les motions, pulsions,
fiuxions qui entrent dans la masse du continuo De meme, le
processus de rgression indfinie par lequel l'intelligence
artificieuse reconstitue les totalits matrielles et organiques, ce
processus parcourt en sens inverse et dtaille l'acte simple,
centrifuge, spontan qui fait consister la matl~re et fonctionner
I'organisme. Or, qu'est-ce que I'intuition, sinon la reproduction
gnostique de l'acte drastique par lequel l'infinie complexit nous
est offerte comme indivisible simplicit? Que la totalit ait
toujours exist comme telle ou qu 'elle ait surgi d 'emble toute
adulte et complete, l'intuition dans les deux cas refait l'acte
originel qui a pos ou aurait pos ce tout. Et puisque comprendre est
colncider avec le mouvement crateur ou organisateur, et non point
imiter un dmiurge, mais reproduire et revivre pour son propre
compte le geste dmiurgique comme si c'tait la premiere fois, il
faut convenir que I'intellection est une forme
't: gnostique de cration, autrement dit une recration;
comprendre, In c'est la fa
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN itdit, depuis que le monde
est monde, sur l'amour et sur la mort;
comment l'intuition trouve-t-elle encore quelque chose a dire?
C'estl que les mysteres de l'homme sont aussi l'affaire personnelle
de chacun.~ le sujet d 'tonnement le plus ancien et le plus neuf
et, en quelque sorte~j l'ternelle jeunesse d 'une exprience
philosophique. Aussi le principei de conservation et son
corollaire, la loi d'conomie, n'ont-ils rien al voir avec un
domaine ou la gnrosit infinie, la plus folle prodigalit,' la
miraculeuse renaissance de chaque instant annoncent dja l'ordre,
des choses surnaturelles. Le minuscule, l'immense presque-rien ne
doit pas tre trait comme le charbon ou le ptrole, dont les
rserves
r /, s'puisent peu a peu sans que nulle providence les
reconstitue au fUf, 11 et a mesu~e, mais plut6t comme l'infatigable
recomm,encement de . ,. \ chaque prmtemps, de chaque aurore, de
chaque f1oralson; aucune 0 dgradation d 'nergie n 'est ici a
craindre : le presque-rien est aussi lmtaphysiquement inpuisable
que le renouveau est iJ,llassable, et
celui qui l'entrevoit dans l'merveillement d'un clai~
I'accueille comme le premier homme accueillerait le premier
printemp~ du monde: avec un creur de vingt ans et une innocence de
huit heure~ du matin.
J t"". 1, ,. f) \..)..,
5. L'ENTREVISION. - le ne sais pas quoi. Mais non point,
notez-le : je ne sais rien, purement et simplement; ni : je ne sais
pas, sans prciser et sans distinguer. le ne sais pas rien du tout,
et je ne dis pas non plus qu'il n'y a rien. Il ya quelque chose, et
c'est mon savoir seul qui r~est en dfaut; pourtant ce dficit de
savoir est mille fois plus savant que la nescience pure et simple.
Mieux encare : je ne dirais mme
pas : le ne sais quoi , si, d 'une certaine maniere, je n 'en
savais long, si je n 'tais dja en quelque mesure dans le secret. le
ne sais pas quoi, donc j'ai vent de quelque chose; donc je suis
vaguement au courant de la vrit. Nescio quid : ce qu'est ce
noumene, je ne le sais pas; mais il y a autre chose que je sais,
quelque chose que je n~_veux ou ne peuxJlas dire et a quoi je fais
indirectement allusion '.S-~~s.(;~lte ~!iYe. Le mot Encore, chez le
P. Rapin, ne signifiait pas autre' chose : attendez, je n 'ai pas
tout dit; on n'a jamais tout dit; il arrive ainsi qu'au terme de la
plus minutieuse analyse et du plus complet dnombrement, un
post-scriptum ou un post-dictum jet ngligernment et comme en
passant remette tout en question, ou bien nous suggere, sans avoir
I'air d'y toucher, quelque chose de
60
LA MANIERE ET L'OCCASION
dcisif, de suffisant et de tres essentiel qui aurait rendu les
longs discours inutiles. C'est la conscience qui dsigne a mots
couverts la terre inconnue, la terre innomme et sans doute
innommable et s'exprime, comme I'amant du Banquet, en termes
cryptiques, par sousentendus et hiroglyphes : ;'CXVTEUETCXL.. ,
xcxl CX(V(TTETCXL, L'ame,-drPlotin, asoalli'apen;u sans avoir vu
comment : dg$.~.ElI, E:~cx('Pv'1J
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET
L'OCCASION
Ji: ne sais pas et j'ignore ce que je pressens,
je_sais_f,l1.~,U:tSLS~/ 'li1comparables toutefois et dissymtriques,
le oi et le non qui s'ass cient dans cette nescience presciente;
autrem'iltail, c~ que ]'lgnofl n'est nullement du meme ordre que ce
que je sais : ceci est a ce}, comme le que est au ce-que; ce-que
rpondrait (s'il pouvait icj
i'"Tpondre) a la question quoi ?, et inversement le quod (qui
est pafa~ i doxalement ici ce que je connais) ne peut jamais etre
le complmenti J d~~5::!,_~l1a chose ~u.g_~~.?ir. On dira que cette
dispari t caractrise; ljustement le presque-rien des totalits
mineures ou closes :J.es,qi q~)
SJ!'!:L~~ygJ.':.JlJ1[li! Mais le quod en ce cas est aussi troit
que le quid, et; il reste sans rayonnement ni signification : il
concerne en effet un l- ' ment comme les autres dans la totalit
incomplete, et cet lment, seul; et, d'autre part, il ne dsigne pas
I'effectivit d'un quid inconnaissable, effectivit qui serait connue
d 'une connaissance spcifique et irrationnelle, il est simplement
le quod d'un quelque chose que par hasard on ne connait pas encore,
mais qu'on saura demain, et qui est . de l'ordre du nondum. Le quid
de cet H-y-a si banal, a son tour, cor- ' respond a un simple dtail
ou a un renseignement spcial qui s'nonce dans telle ou telle
catgorie, celle du Combien, par exemple, ou ceBe i: du Quand :
nescio quantum, nescio quando... l. C'est un nombre qui me manque!
En ralit, le presque-rien dont j'ignore ici le quid et dont je sais
le quod est une chose comme les autres, et il n 'est je-nesais-quoi
que dans le sens circonstanciel le plus trivial : je ne sais quel
age, quel poids, quelle date, quel numro... Toutes les transitions
existent entre le Nescioquid vulgaire, auquel manque telle ou telle
modalit, et le Ngscio!JYi.d mystique. Le premier est une notion
incomplete, prive des dt~imlations qui en feraient une scie~~: car
comme l'intersection des coordonnes du lieu permet leetep~ univoque
d'un objet, ainsi le recoupement des catgories de Ileu, de date, de
maniere, permet de prciser l'exprience vague , experientia vaga, c
'est-a-dire de fixer le savoir qui fiotte et qui coqnait sans
connaitre le fin mot , c'est-a-dire le mot fin et prcis, q~i ;s1.
do.p.c comme 1'(X7mpov du PhiIebe; I'esprit sait, au lieu
5t'{lvqir(,~/de
-!,j' ,.;' r ,~, \.1 ',J\ I ~
L Touda, Kouda, To, Tchto, cornrne dans la lgende ru~e
cornrnen~e-par Iouri Sokolov, le Folklore russe, p. 236. \
\. 6~
.'Jo
quelque chose. le saurai plus tardo Ou bien je ne saurai
peut-etre jamais, mais un autre sait; quelqu'un sait! ou bien, a la
limite: personne ne sait ni ne saura (bien que dans l'infini du
temps le secret tende a se divulguer), mais il ne serait pas
absurde ou contradictoire, " ou miraculeux de l'apprendre un jour.
C'est la limite ..a .E.arti!_,,de \ laquelle le secret devient
tangent au mystere~'LevraiCis"iystriolo- . . gique'srceTou non
seuTefflent la tigi1ette' dmarcation entre science .-l et nescience
spare l'effectivit et les modes d'etre, mais ou les modes d'etre
sont ignors dfinitivement, par tous et toujours, non faute
d'instruments appropris, mais pour des raisons constitutionnelles.
Dans le presque-rien des totime'Sil1tiles, le qud'inOU~;-st'p~s
simplement un je-ne-sais-combien ni simplement un je-ne-sais-ou ni
un je-ne-sais-d'ou; ce n'est pas au seul point de vue de la
quantit, ou du lieu, ou de la date que mon savoir est en dfaut :
c'est a tous les points de vue a la fois et sous toutes les
catgories; le quoi de ce je-ne-sais-quoi doit etre pris dans son
sens le plus gnral et le plus comprhensif; non seulement toutes les
dterminations du je-ne-saisquoi nous sont inconnues, mais encore
elles le resteront toujours; et non seulement elles ne peuvent pas
etre connues, mais encore cette impossibilit, qui est universalit
et ternit conjointes, tient sans doute a la nature des choses : il
ya. des myst..en~s qIlLe.x.i~.t~n.tincomprhensiblement sans nuBe
dtermination concrete; aucune, j;;tmais. Nul ne sait quoi
nr:nesaui'CJaalsquoi. Le qidinconnaissabl~du presque-rien, en tant
qu'il s'impose anou&.canunencessit,--JlrJarl; \ exprime done
une rlit(mystrieuse. La quoddit de ce mystere, a ' son tour, se
rv~le c~mme-pr fit-que : nous connaissons qlJ,'.unJe"ne~ " '
sais-quf>i-e~ns savoir en quoL.!{J_~bQse. consiste. xis,ter
san~"'" ~!1sister. ~!?:]ii9LJ?ee-sOlCr';est~ce pas le droutant,
dc~vat; i-ri:' tant paradoxe du Charme? - Donc nous connaissons le
quod du jene-sais-quoi et nous en ignorons le quid; c'est la,
semble-t-il, ne savoir la vrit qu 'a moiti! Et de fait, si le
presque-rien surnaturel consistait en quelque chose, ou en un
pluriel fini de choses, comme les composs terreux et physiques de
l'empirie, la connaissance incomplete que nous en prenons serait
une demi~ tous points comparable, a la demi-conscience. Mais la
d~mi-conscien~ mauvaise conscience et conscience malheureuse
parce-q'''e1re-~p~rait etre complete et ' totalement dtache du
sujet. Or, le je-ne-sais-quoi est une existence
63
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
qui ne consiste en rien et oil il n'y a, en un sens, rien a
savoir. Tout ,l fois, cette existence ne parait inconsistante qu'en
raison de sa riches ~ mme et de la subtilit infinie de sa
contexture : aussi gardons-.nou$' \~ le droit de parler d'une
demi-gnose. Que le Nescioquid ait un conten '
inpuisablement profond, innombrablement multiple et infinimen
complexe, ou qu 'il n'ait pas de contenu du tout, cela revient au
~"'meme : tantt nous avons de la vrit diffuse et diffluente un
senti.~
ment vague, insatisfait, nostalgique oil s'expriment, comme
l'indique: I le nom Je-ne-sais-quoi JJ, l'impuissance a connaitre
exhaustivement~,
t--etle_~ de laisser chapper des significations
vasiv~,~!~uses;'; \>'11tl'entrevision se concentre d~lIis
l'blossemen d 'une intuition, , . ma~cee-ltui~ ne dure que l'clair
d'un instant. Lorsque nous
savons d'un savoir chronique, et dan~ la continuation de
l'intervalle,: c'est que nous savons le quid sans le quod, ou
pressentons le quod sans ' le quid: ce savoir dilu obit dans les
deux cas a la loi de l'option ou de l'alternative; notionnel ou
hypothtique, il se satisfait d'une' consistance inexistante;
converti a l'effectivit, il prfere une existence inconsistante...
Le premier dit Scio quid et Nescio an, et il sait dans :. les
moindres dtails quelque chose qui peut-tre n'existe pas; le second
dit Nescio quid et Scio quod. Le premier cas est celui de
l'anti-mystere ' par excellence : les consciences sont au courant
de tous les potins de la continuation, mme si la continuation est
un long rve dont on se rveille a la mort, et elles ressemblent a
des somnambules qui se
; racontent leurs songes sans omettre aucune anecdote. Quand le
savoir trouvera-t-i1 1'existence consistante et la consistance
existante, le quid
!avec le quod, [es-incornpssi6Iesu~ui~: ~-disJo;;ction
-transcende, la vrit dans toutes ses dimensions ? Hlas! il ne
trouve tout cela
:l que pour le reperdre sur-le-champ... L'alternative vaincue
dans 1'ins, tant est-elle vraiment vaincue? En fait, l'intuition
dplace l'incompl
tude; a 1'insuffisance ee IOflgitudinale JJ d 'un savoir amput
de sa moiti quidditative (ou quodditative) se substitue
1'insuffisance ee verticale JJ d)i!le intuition privede toute
continllillion, de toute prennit, de tout le~demai~. 11 nousfaut
donc choisir entre deux dichotomies dont la premiere elle-mme se
subdivise : ou bielLl.'inreryalie-discursif sansinstant, et, en ce
cas, le quid disjoint du quod ou le quod disjoint du quid, ou bien
I'instant sans intervalle; jamais nous ne pouvons vritablement
conjoindre la plnitude ontologique a la pl
64
LA MANIERE ET L'OCCASION
nitude chronologique. Plus toutefois que l'intervalle fantomal,
l'instant, malgr son presque-rien de dure, est sur le point de
surmonter I'alternative, car en mme temps qu'il cumule le quid et
le quod il remplit une des deux conditions d'un devenir intense et
d'une vraie ferveur temporelle. Entre les deux dissymtries, plutt
celle-la.J Quoi qu'il en soit, il n'y a que la gnose divine qui
cumule au suprme degr non. seulement le quid et le quod, mais
encore, dans le miracle d'un recommencement continu, l'instant
suraigu et la chronicit de l'intervalle. C'est cette gnose qui
serait le ee G,rand Matheme JJ Ici-bas.il manque toujours quelque
chose, hlas! Ta~t6i; cOll1me dans le savoir spectral des choses
quotidiennes, nous avons la consistance subsistante sans
l'existence ni l'effectivit; tantt comme dans le pressentiment
vague du je-ne-sais-quoi, nous avons I'effectivit subsistante sans
consistance; tantt enfin, comme dans l'intuition instantane,
c'est-a-dire dans une entrevision qui est tout le contraire de la
vision chronique des visionnaires, nous avons l'existence avec la
consistance, mais sans la subsistance. On peut simplifier ces
distinctions de la maniere suivante :
QUID
" QUODDlT ESPACE/1. Inexistence Consistance 2. Existence
Inconsistance 3. Existence (In)consistance 4. Existence
Consistance
TEMPS Subsistance (Savoir discursif) Subsistance (Sentiment
vague) ID' i Insubsistanc (Entrevision) \ eml-gnose \ :Subsistance
(Gnose)
En dehors de la gnose, qui est le quatrieme cas, rien n'chappe a
la disjonction de l'alternative : tantt nous savons le quid a 1'tat
complet, mais sans la quoddit qui le fonderait; tantt nous devinons
une quoddit a demi quiddifie, c'est-a-dire avec la moiti seulement
du quid qui l'tofferait, ou, plus simplement, prive de toute
quiddit; car le quid mutil n'est plus le quid! On voit que les deux
premiers cas sont inverses l'un de I'autre et que la ngation se
dplace du premier au troisieme pour ne disparaitre qu'au niveau de
la gnose : elle nie
65
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
l'effectivit dans le savoir discursif, la rit ou consistance
archit, nique et structurale dans la divination du presque-rien, la
persista " temporeHe dans l'entrevision intuitive. Une existence
consist mais prive de persistance, redevient inconsistante a sa
maniere: . qu 'estoce qu 'une consistance mort-ne, une consistance
non viab qui ne se survit pas, fUt-ce une seconde, a elle-meme? A
vrai
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
le quid du nescioquid, ni la chose de notre nescience : le
mystere est le Nescioquid tout entier. Gardons-nous toutefois d
'hypostasier ici un concept! L'artic1e dfini, en soulignant la
positivit de la ngation, semble faire du Je-ne-sais-quoi un lment
plus distingu que les autres, mais somme toute un lment comme les
autres... Certes, nous n'avons pas pris conscience de la pure
quoddit pour faire ensuite de
"a l'effectivit sans nature une nouvelle nature, ni pour difier
autour . du Nescioquid une espece de nescioquidisme dogmatique qui
ne serait qu 'un nouveau systeme a cot des autres... Si forte
pourtant est la fascination de la chose , si irrsistible la
tentation rifiante que la philosophie du je-ne-sais-quoi devient
elle-meme une profession et une spcialit substantialiste : comme le
Cogito, en tant qu'a la fois il fonde et implique, ou meme
prsuppose I'existence de I'etre pensant, s'paissit en cogitatio
puis en res cogitans, ainsi la nonchose, en tant qu'elle est a son
tour quelque chose d'existant, se
ii dgrade en chose ou en res quodditativa. Telle est la
dgnrescence \1 qui, au sortir d 'une 1'volution embourgeoise, d
'une libration ' ji ~ avachie, laisse apres soi I'amere dception et
fait dire aux hommes : ' ,
Non, cela n'en valait pas la peine. S'il n'y a d'etre que I'etre
de la chose, alors la non-chose est ncessairement non-etre;, alors
le je-nesais-quoi est ncessairement ou quelque chose ou rien du
tout; et meme si le Nescioquid est aliquid, il est encore comme
rien, si peu que , rien, inexistence pure et mirage du sujet
visionnaire. Rn fait, le je-ne}sais-quoi n'est pas quelque chose,
et a cet gard il n' est vraiment irien, au sens copulatif du verbe
etre , puisqu 'il n 'est ni ceci ni cela \:t qu'il refuse, comme le
Dieu de la thologie ngative, toute prdication; a proprement parler
il n'est meme pas tant ; on ose a peine direqu'il est, purement et
simelement, tout court, absolument et tlgTqnffilT;mieuxerico'i"":
-{if:It etre sans etre lui-meme, tant entendu que ce qui fait etre
est bien'l'ne-certane'sorted>etreet meme
igfipil1,}.smLPlus.suLun.etre~ Sans doute la formule la mieux
adapte a ce rgime i'2~p.si~ble de la non-chose ou de I'anti-res, ce
serait
\, peut-etre:, Il ya, qui est la formule impersonnelle de la
pure auto;\j position sans sujet substantiel ni copule ni attribut
: ces trois syllabes n'impliquent-elles pas le renoncement du logos
aux noncs exprimables et discursifs ainsi qu'aux propositions
d'inhrence articules en concepts? A I'ultimatum An... Annon, a la
disjonction du
LA MANIERE ET L'OCCASION
tout-ou-rien, du oui-ou-non, Il-y-a rpond par un pari. Voici
rsum le paradoxe de ce renversement dialectique : si le
je-ne-sais-quoi est quelque chose, il n'est rien; ce qui s'appelle
: rien du tout... , pure fantasmagorie et zro de toute ralit; par
contre si le je-ne-sais-quoi n'est rien, rien de toute rit,
c'est-a-dire s'il n'a rie'n d'une chose, alors il redevient, comme
dit Leibniz de Dieu, 1' exis!~!!Jifi_I11npar excellence. Ce n'est
pas en effet I'amphibolie imolils droutante du je-ne-sais-quoi que
cette continuelle oscillation entre, rien.etquelque chose, ~ ce dfi
perptue! au principe du tiers exc1u. Osdllation
toot~-comparable a celle qui sans treve nous renvoie duCogito au
Sum et, du Sum au Cogito : par la pense nous prenons consdence de,l
'~tre,'ma.~inversement il.faCaJ~e.~i'sier.porpens~r ;'1 'existence
n'est que T5or-t~rpeiisee';"mais l pense elle-meme est pense d'un
etre pensant, c'est-a-dire de que!qu 'un qui existe se!on certaines
coordonnes de temps et de lieu. Ce qujJ5
-
LA MANIERE ET L'OCCASIONLE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE
PRESQUE-RIEN
I:cc-entrevoyons qu'il y a (quod) un nombre infini sans pouvoir
dtermi~ner combien grand (quantus) est ce nombre: au contraire des
que
nous voulons chiffrer un tel nombre, prciser le quot, dire une
quantit particuliere, le nombre devient ipso Jacto grandeur finie,
infiniment loigne de 1'infini. En ce sens, l'infini est comme Dieu
Jere
! f absconditus : car nous pressentons que Dieu est, sans savoir
s'il est Vtel ou tel, et de meme nous devinons l'infini sans
pouvoir l'valuer a
I'~ tant ou tanto En l'espece, nous ne pouvons dcider s'il est
pair ou impair, tout nombre pair renvoyant a un nombre impair plus
grand que lui et rciproquement. C'est le quantum fix, nombr, assign
qui consacre la mconnaissance de l'infini. En vertu d'un actualisme
nominaliste valable pour ce monde d'alternative et machiavlique
r-- ment appliqu au tout-autre-ordre par l'effet de notre
mauvaise foi, \ [l.a dtermination implique finitude comme la
reprsentation parti(_culiere implique un arret de la pense. Toute
rponse a la question e Combien nous condamne a la rsidence force
dans l'en-de9a...
Autant se demander si Dieu est blond ou brun! Car, comme celui
qui choisit pour Dieu la limitation unilatrale d'une figure prfere
par la meme le petit dieu palen a l'Absolu sans forme, ainsi celui
qui dit le nombre de 1'infini choisit le stationnement et la
domiciliation dans le fini. Ce je-ne-sais-combien dont on ne peut
dire s'il est pair ou impair est-il et l'un et l'autre a la fois
(utrumque) ? Ou bien n'est-il ni I'un ni l'autre (neutrum) ? 11
n'est, a vrai dire, ni un hybride ni un tiers etre. Sans doute
serait-il plus juste de reconnaitre en lui le mou-,j
?ement spirituel infini qui, en chaque point virtuel ou on
l'arrete, ( dpose ou l'un ou l'autre (alterutrum) , tant6t l'un et
tant6t l'autre, \, alterna1i'{~meLl'1.!I!...~Ll'aut[e... Mais comme
d'autre part qui veut t faire l'ange fait la bete, comme une
oscillation dialectique' infinie 1chasse l'insaisissable d'un
extreme a l'autre et le renvoie du Pour au
Contre, on ne peut s'en tenir non plus a l'alternative. De sorte
que l'infini a la fois implique la conjonction, et la neutralit, et
la disjonction, et rcuse tout cela; il n'e.s! pas moyen,
nijnterm..diaire_en1J:e les trois, mais il est justement l(~diation
infi~ie et le dmon mdiate~!. De meme le je-ne-sais-quoi
':~irpi6premehfparlerUesynthese de qualits contradictoires, a moins
quepaL .synthese on n'entende 1'incomprhensible miracle d
'unet:oincidefl~i~~p~~!!.o_.!_Y!!l~ Pas davantage il n'est neutre
entre ces quaufs, puisque d'innom
70
brables dterminations possibles sont contenues dans son
brouillard. Mais en un autre sens il est a ia fois cehe
syrithese-et.cette neutralit. On peut donc dire ensemble qu 'il nie
la neutralit et la cumulation, qu 'il cumule la cumulation et la
neutralit; qu 'il dit et non et oui et a Neutrum et a Utrumque.
Mais ce n'est pas tout : il est a la fois la ngation et
l'affirmation de ce double non et de celtouble out, et ainsi
indefiriimeriCCequ'if-l1'e'sfjamais,"c;esCli{teruirz; car il ne
deviendrait telle proprit singuliere en acte que s'il se rifiait.
11 refuse la disjonction, mais par contre la conjonction cumulative
et la ngation sont simultanment et antinomiquement vraies et
fausses a son sujeto 11 n'est rien de tout cela, et il est tout
cela ensemble. 11 est tout cela, et en plus quelque chose d'autre
qui n'a de nom dans aucune langue humaine; un peu rien, un peu
tout, et encore autre chose que nous avons a peine effleur... Dans
la mesure ou la synthese implique une conciliation dfinitive,
statique et satisfaite, elle ne vaut guere mieux que le total, et
notre je-ne-sais-quoi reste encore immensment au-dela, comme une
inapaisable aspiration. coutons ce que dit, parait-il, de lui-meme
le peintre Jacques Villon : Peut-etre' cubiste, peut-etre
impressionniste, plus je ne sais quoi, et que je cherche... Le
peintre du xxe siecle dit En plus comme le P. Rapin disait Encore !
Tous deux pensent peut-etre a un acte potique infini qui dpose sur
son passage les dterminations, figures et poemes, et qui se
dveloppe dans le temps. 11 y a autre chose! ou mieux : il y a
quelque chose qui n'est rien. Cette paradoxologie exprime sous la
forme dcevante d'une litote ce qui s'exprimerait aussi bien sous la
forme inverse, dans la surprenante dcouverte d'un rien aussi vaste
que le monde. La prdication contradictoire qui fait du rien
l'attribut de quelque chose prend un sens grace a l'impersonnel 11
y a : tandis que s'autopose l'effectivit de la pure prsence,
s'vanouit soudain la rit de la chose pose; ce quelque chose qui de
pres n'est plus rien est donc un presque-rien. Le je-ne-sais-quoi
implique bien 1'apparition disparaissante, en sorte qu'au lieu de
dire : il y a quelque chose qui n'est pas une chose, il faudrait
dire tout simplement : il advient un'presque-rien. " -
Comm~nt-i'lmpondrable,impalpable, inattingible presque-rien ne
serait-il pas merveilleusement facile amanquer? Notre amour est
chose lgere , dit le poete dmod qui inspira a Gabriel Faur
71
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
quelques-unes de ses plus exquises musiques 1. Le poete dmod ne
se doutait probablement pas qu 'il retrouvait ici les paroles de
Platon dans l'Ion: le poete est chose lgere, aile, sacre, xo
-
- ~. Lo t\!--\, , .. ,-1
" LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRES6uE-RI~ - LA MANIERE ET
L'OCCASION i'
:~ sualiste. Le presque-rien est ce qui manque lorsque, au moins
en 1\ apparence, il ne manque rien : c'est l'inexplicable,
irritante, ironique
insuffisance d'une totalit complete alaquelle on ne peut rien
reprocher et qui nous laisse curieusement insatisfaits et
perplexes. De quoi au juste ne sommes-nous pas satisfaits?
p;ourquoi ne sommes-nous pas combls? Et d'ou vient ce mcontentement
immotiv tout semblable a " celui de Mlisande heureuse-mais-trist~ ?
Or c'est justement quand la totalit est sans dfauts que
l'invidenct: d'une lacune toujours contestable, d'un manque
toujours controversable, d'une absence toujours. indmontrable pose
le vrai probleme 'mtaphysique! Quand rien ne manque, il manque
quelque chose qui n'est rien; il manque donc presque rien.
Iln~,.,~n efJe.t..s~l'essentiel! Tel est le cas d'une beaut
parfaite'et impiufate, complete et paradoxalement incomplete,
impeccable et si bizarrement insuffisant~ dont nous cherchons en
vain 7~a localiser ou assigner le point faible; en dsespoir de
cause nous fiJappelons Charme cette absence anoIlJme,.~ce KOqOV
xp'ij;.a; plus arien iqu'un poete, plus vaporeux qu'un
:(fuvet,)plus diffus que la brume }Ld'un matin de printemps, plus
imperceptible que la brise ou chuchote ')l'esprit de Dieu, plus
silencieux que l'ange de la mort dut, qui est, ala lettre, le
tout-et-rien du bienfait. La bienveilIance n 'esteIIe pasnqt~lque
sorte le (charme ~ de la bien(aisance? Entre' I'acte inspir par
l'amour et l'apparence conforme 1I peut n'y avoir aucune diffrence,
tant est douteux et ambigu le bon 'mouvement, qui est I'ame
intentionnelle de la bonne action... lei commence le domaine du
controversable, celui qu'Aristote eut appel 1i;.qcr01JT~cr;.OV et
qui est essentiellement le domaine moral; apartir d 'id la
contestation devient libre, I'impur semble aussi pur que le pur,
I'injuste ne se distingue plus du juste et les traitres rivalisent
avec les patriotes en bonne volont; apartir d'ici l'vidence thique
n'est plus index sui, n'a plus les moyens de dmontrer elle-mme sa
propre univocit aux menteurs et a la mauvaise foi. Et pourtant la
distance est infiniment infinie, a bienfait quivalent, entre une
bienfaisance sans bienveillance, ou le creur n'est pas, et une
bienfaisance bien intentionne dont toute I'ame et toute la ralit
rsident dans un insaisissable bon vouloir. Et ainsi la vertu qui
n'est, atitre d'excellence assignable, qu'un talent technique ou
une farce burlesque, la vertu retrouve comme effet d'ensemble une
certaine sorte d'vidence qui permet de diffrencier le bon et le
mauvais. C'est I'intention (rrpoa;[pecrc;), dit Aristote, qui fait
le sophiste 1. Kant allait plus loin et doutait qu 'il y eut jamais
eu dans toute l'histoire de I'homme un seul acte inspir par le
]?ursentiment du devoir; cette fine pointe adamantine du
dsintressem:eit"'pattpport a laquelle tout gauchissement
trahi(la'maXme-Slispecn~;tel1Totiftmpur; l'impratif hypothtique, le
mlange d'intrt propre, cette fine pointe exprime a sa maniere le
caractere improbable et presque irrel de la tres fugitive
intention. Comment une puret plus instable que la plus candide
blancheur ne serait-elle pas inexistante ou tout au moins
semelfactive n, semelfactive ou du moins rarissime? Dans I'quivoque
gnrale, ceux qui nient et ceux qui affirment le je-ne-sais-quoi ont
donc a la fois tort et raison : mais ceux qui nient ont
pneumatiquement tort d'avoir grammatiquement raison, et ceux qui
affirment ont en esprit raison d'avoir littralement tort! - Ainsi
s'explique enfin
1. Rhtorique, J, 1, 1355 b, 17-18.
75
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
la forme n~ative que revet pour nous le je-ne-sais-quoi. Non pas
que la 'ngatvit 'soit dans sa' miture ell-meITe:car le
je-ne-sais-quoi est avant tout mystere, et le refus, l'absence, la
froide abstraction sofle'contraire' mime dm.Ystere; par
exempf:'''c--'st pas la soUrde hstilit de notre prochain qui est un
je-ne-sais-quoi, mais c'est plut6t le manque d 'un je-ne-sais-quoi
qui explique cette hostilit. Pas davantage le je-ne-sais-quoi n'est
un concept privatif ou un simple dficit. Le positivisme de la chose
tiendrait volontiers pour ngatif i tout ce qui est non-chose; et
pour la philosophie ngative ou apopha
tique, au contraire, c.:~stce!t~ ~Y~~I.i.76
LA MANIERE ET L'OCCASION
brouillard ... La conscience nie explicitement pour affirmer
implicitem-enl;'ciif'elle ne se dirait ignorante si
~1!en~_~~"-~~!_9.uelque chose--7 d'sotrique. De la l'ambigult de
nos certitudes quant fT1tme-:-rrmt[_J donoSTeom d 'ame a ce qui est
toujours autre chose sans etre jamais chose; l'ame rsume ce
je-ne-sais=quo"(f'riparpiiDJ~-ce'iesfirouresduinvisible que le
mcanisme des esprits forts peut bi'n ngliger, mais qui manquera
toujours pour expliquer totalement la vie_~..t-Jap0nse .._..l Cette
quoddit sans contenu se fait jour d'abQr.dJia.~mphiQ9lie du temps;
et de fait le je-ne-sais-quoi n'apparait sous l'a~pect tr~rl: sitif
et'oprationnel que parce que le devenir lui-meme est le
je-ne-saisquoi par excellence. Le temps est cela mme dont je devine
le quod sans en savoir le quid; mieux encore : le temps est
l'effectivit toute pure, rduite au ~faiJ de devenir; en rapport
avec la chronologie, l'inexprimable ~ a .tlont nul ne peut rien
dire, doit etre interprt ainsi : ildevient ,-e( par consquent il
advient ou survient c'est-a-dire, en gnral, il vient . On montrera
que l'vnement ou avenement est le devenir sous l'aspect instantan,
comme le devenir est le il ya sous la forme continue. Qu'il
s'agisse de devenir ou qu'il s'agisse d'advenir et de survenir, le
temps dans les deux cas est . une sorte d'vidence, mais une vidence
fondante et qui s'vanouit pour peu qu'on la fixe directement du
regard. ros lui aussi disparait des que Psych, ou notre conscience,
notre conscience amoureuse de l'amour lui-meme, prtend savoir le
nom de cet amant divin : ~
maJhe.\lE~~!!~..!i!:,~2i~_.~U:Aim.e l! La fable de Psych, si
souvent mdite par un siecle qui chercha dans la simplicit du
je-ne-sais-quoi un contrepoids a sa super-conscience, cette fable
rejoint la parabole d'Animus et Anima; elle raconte l'innocence
tente par la curiosit; l'innocence acceptait de vivre l'vidence
quodditative de son bonheur sans en apprendre le nom ni en
apercevoir le visage a la lumiere de la raison; le pch consiste, au
mpris de l'alternative, a complter la demi-gnose, a conjoindre la
vision avec l'entrevision, a cumuler enfin ce qui n'est jamais donn
ensemble, sauf dans les instants bnis de
1. Moliere, Psych, IV, 3. Le mylhe de Psych a l lrait aussi par
Comeille el La Fonlaine. Cf. Pascal, Discours sur les passions de
l'amour: Il faul quelquefois ne pas savoir que I'on aime.
77
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
J,JJlt-Yition : I'effectivit remplie par la quiddit, la quiddit
fonde et rendue effective. Au premier regard indiscret de Psych,
Chronos I'ineffable s'annihile encore plus vite que I'ineffable
ros. C'est peutetre pourquoi Aristote crivait : le temps n'existe
qu'a grand-peine
et brumeusement, OUX i!cmv ~ flA~ XlXl etfluapw~ 1. Semblable a
bieu en 'L cela, le temps, s'il est objet, n'est que zro; s'il est
quelque chose, le!' 1\ pre~,q~;Jj~~.t.Ln'estplusrien : la rfiexion
qui pese un tant soit peu
(-lOur~~J!!.l::.I?.!-s~rfutlee6fiepfualiseet'T(g#e!:T1po~~; a la
place de la-aure, nous"n 'vons' pluseritre les doigts qu-~des
contenus immo-" biles, analogues a des choses, ou un contenant qui
est la dimension formel1e de ces choses. Personne ne peut donc
sincerement prtendre penser le temps, en ce sens que le temps
serait complment direct ou objet pensable d'une pense transitive :
comme celui qui croit
r f< penser la musique pense a des anecdotes autour du fait
musical, ~ pense a autre chose ou ne pense a rien, ainsi celui qui
croit penser le l i ,temps pense a des vnements
danS'te"""temps..peSe'iiiX"co nus qui deviennent, mais non pas a
!1'insaisissable(~~nir lui-meme, ipsum, mais non pas a I'ipsit du
t~pSTT'Iiivisible coura porel, Rui n 'est meme pas un courant, ne
se lit ni dans le vide abstrait du coMe
i . nant ni dans la morphologie des contenus, ni dans aucune
existence lijjl ~ actuelle. La mditation du temps, comme la
mditation de la I\\!) mort ou la mditation de la musique, est donc
un v~de rec1!eillement ~ \ sans matiere. Et puisqu'on ne peut dire
ce qu'est l'Etre, l'Etre tant
lui-meme I'universel attribut de tous les sujets, on ne peut
viser davan...{..tage le devenir, ni faire attention au devenir
(car a quoi l'attention i( \ pourrait-elle bien se prendre?) si le
devenir est la maniere qu 'a la \~nscience d'etre en n'tant pas; on
peut couter la mloi.!~Jl~~
vie-intrj~ure..~, mais on ne peut concevoir le devenir, et J'on
ne peut meme pas poser qu' il ya devenir - car ce serait encore
rifier le temps; on entrevoit seulement que cela devient . - Chacun
des trois moments du temps confirme a sa fa
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
une pr:~yi&io--.~g.llCt:.p.t.ueJJe qui l'ternise ou dans un
futur antrieur qui le passise. L'avenir
i;};previSit,1e''l:ttr't'aventme, 'd'o'firfiOtis savons seulirieilf
qu'il sera, de par le pur fait de la futurition, sans savoir . ce
qu'il sera, jour de fete ou jour de ~jour faste ou nfaste, cet'
avenir est amphibolique comme es{~hQli9.~,~J'~~Yi9.~}1.9.L~quivoque
du nomq~i dont nous ne pouvons dterminer s 'il est pair :
.~~i~!..9.!!L~~ttl~J~is..Il!}j!.J?J!)mpair, qui n'est ni pair ni
impair. ;' 'Cest le rgime de l'entrouverture!qui fait la
passionnante aventure. ;1 Le caraet~ieartoid'ilntii presque
cach,fere absconditus, appa- . ralt plutOt dans I'attente que dans
I'esprance : car I'esprance parie dja pour une certaine orientation
du destin, pour un certain visage du futur, pour un certain ~ode
d'etre plus spcialement souhait, pour un lendemain bienveillant; au
lieu que le temps d'expectative .
eS!.~Il~_.gl!r~,9LI.!!~'-.}ln_e,.~llI~~,OQ.vatric.~ .dont nuBe
anticipation ne vient rduir~J'inceItit~Fimprmjbilit. La quoddit
substantielle de la. futurition s'oppose ainsi a un avenir model
par nos efforts' comme la temporalit qui est le fait du temps
s'oppose au temps
q:>'~!J."iv ou comme le destin s'oppose a la carriere de la
destine. Tel est f! le cas de la mort, dont je pressens par
intuition I'effectivit quoique ;1 ~c ~ ~ je n'en sache ni le jour
ni I'heure : o,)x otBIX't"e: yocp rr-re: XIXLp~ cr't"LV... li ~
oy,/: ~ !J.e:crOVX't"LOV ~ OCAe:X't"OpOq:>WV[IX~ ~ rrpw[ 1. On
ne sait quand, dit Leonid Andreiev 2 Vous ne savez si ce sera le
soir ou a minuit, au chant du coq ou le matin. Dies certa, hora
certa : voila la science insoutenable, voila la prcision que nulle
crature ne doit savoir; et Platon dit 3 que Promthe, pour rendre
aux hommes I'esprance et le got d 'agir, leur a soustrait la
prescience de leur mort. Malheur a qui profanerait ce secret! Nous
connaitrons notre mortalit mais non pas Hora, le chiffre sur
I'horloge, la date sur le calendrier, le nombre qui dsigne I'lge...
U!le sorte de sincure mtaphysique nous protege, On dira qu 'i1 y a
symtrie:'sous~~'~~ppoii,' ;treT1afiIils:' slilile-'pass du dja-vu
et I'incertain avenir: car la vague reconnis~'
llnce"s~is'Tocafisaon-esCcoiieTa~prescience de'cet vnementsans
1. Me, xm, 33, 35. Mt, XXIV, 42 : 0,))( ttBIX't"e: rro[c:
~!J.pc: ... 2. Rcit des sept pendus, 1 : neizvestno kogda . 3.
Gorgias, 523 d.
80
LA MANIERE ET L'OCCASION
date qu'est la mort, un nescio-quando et un nescio-ubi. Mais
notre ignorance quant aux modes d'etre circonstanciels du futur a
pour cause la contingence et I'indtermination objectives de ce
futur et par consquent elle reprsente pour nous un espoir ou un
pril effectif; tandis que I'incertitude quidditative du pass, cJans
une rgion ou . t tout est fix, dtermin, rvolu, tient uniquement a
l'oubli et a notre ) mauvaise mmoire. Mais inversement aussna
deml-griosede I'avenir, dans la'rii"esurt.iii elle pressent que
demain sera, s'oppose par son caractere formel a l'intuition
qualitative et concrete de la passit. Avec cette rserve, le futur
est bien un je-ne-sais-quoi ... Et vice versa le je-ne-sais-quoi, a
son tour, est une espece de futur; autrement dit, le
je-ne-sais-quoi est aussi. un. je-ne-&ais~quand; et par exemple
le cha~me qu;~'D.' chercht.ia'd;fi1r"esi ~~~. seulement toujours
absent et toujours ailleurs, mais en outre il est perptuellement
plus tard; il n'est pas encore et devient a I'infini; il n'est pas
ce lendemain empirique qui sera Aujourd'hui dans vingt-quatre
h~uJe.,mais il est un perptuel Demain et n'a pas de Maintenant. Le
C..hafl11.estqiaqu~'ose qui seIi': donc ce n'est pas quelque chose
. - De pres le charme de I'ave'nir, comme celui du pass, n'est plus
qu'un prsent mdiocre et une banalit fort prosalque. Faudra-t-i1
admettre que le prsent seul est dnu de posie? Le souvenir et le
survenir, le souvenir et I'avenir ne nous offrent que le quid sans
le quod, ou le quod..sans,.le,.quid;,or c'est
drs'Yaaven,;~'aiitremellrrtttdansle-presi~tdu devenir, que
I'existenceet la consistance cOlncideraient : car I'advenir est du
meme" coup la limite de I'avenir imminent et du souvenir
rcentissime; car I'vnement est a la fois I'avenement en instance et
le pass prochain; ....-' ici ce qui survient et ce qui subvient ,
la plus immdiate aventure et la plus prochaine souvenance,
1~_!!.I!rJl.!lllsantet le..pas.s~ naissant i 1 ne font qu'un...
Hlas! cette cOlncidence elle-meme ne dure qu'un i \ ~ instant" mais
une dure infinitsimale est-elle encore une dure ? En Jr avante! en
arriere se continue l'intervalle qui rendrait possible un savoir
chronique ou habituel : hlas! le quid y est donn sans le quod, . ou
bien c'est le quod qui est donn a I'tat de reve diffus, dilu et
inconsistant. Sur le moment ou sur le fait, tout a I'inverse,
I'vnement est donn comme tincelle ou comme scintillement,
c'est-a-dire digno- i I tement discontinu de l'tincelle : il est
donc a la fois positif et ngatif; il possede d 'une part la ferveur
intense et la concentration de I'instant,
81
-
i LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
par opposition a ces songes douteux, dlays dans beaucoup de
dure, qui s'appellent pressentiment vague ou reconnaissance vague;
mais d'autre part l'instant exclut la persistance de quelque chose
autrement dit : le point-prsent renonce a l'paisseur
pluridimensionnelle de la dure : c'est pourquoi le vrai nom de
cette apparition dis
M.f .. p.araissante,o ~bj.et ~e..... l..'e.ntrevis.ion, es~
Presque-rieno~e~--:la, gnQ~e! lsurmontermt a.lll-01S
le~Ldex...a!.ternatIves : celle de l',~ffect~~!.!-~~ i ditative et
du \contenu quiddit~ti!. celle de 1'instantanit- fulgurante het de
la prennitsllDsistate;'ici il n'y a plus a opter entre un contenu j
!hypothtique...cl..une.J:l.ffectivit sans contenuo N'est-ce pas
cettecoYncidence incomprhensibleque-Tes-rnysrrques appellent
Aeternum Nunc ? Le tableau suivant rsumera ces diverses situations
:
'1 discours quid intervalIe pressentiment-.r~onnaissance Quod
intervalIe--
. entrevlSlon Quod Instant gnose Quod + quid Instant +
intervalIe
l..!
La libert de l'homme, a cet gard, est quivoque dans le meme sens
que le temps de l'homme; et c'est pourquoi nous sommes sans cesse
renvoys, a son sujet, de l'vidence au doute, et derechef du
pointillisme dterministe a la protestation de l'vidence; le
dterminisme a mille fois raison... dans le dtail, comme le
mcanicisme est la seule attitude srieuse et la seule mthode fconde,
positive, efficace par rapport a la vie; et toute dcision est
motive ou tiologiquement fonde; o" et pourtant je suis libre! Que
faut-il penser? Et a quoi
\ "'--uon cet obstin, ce draisonnable Pourtant? Dans ce Pourtant
parle l'irrpressible voix de notre mau~'e conscience qui plaide en
~aveur d'un je-ne-sais-quoi toujours(raill jamais annul. L'homme
entrevoit qu'il est libre, mais il ne salt as ce qu'est la libert,
ni en quoi elle consiste , ni meme si elle consiste en quelque
chose; il ne peut donc dfinir la nature, les proprits, les
caractristiques de ce qui n'a en gnral ni nature ni contenu; il ne
peut se reprsenter ce qui
82
LA MANIERE ET L'OCCASION
a proprement parlern'est pas un ceci-ou-cela. Aussi la libert ne
lui parait-elle vidente queoeloin, soit comme conditionnel pass ou
comme illusion qu'il aurait pu aire autrement, soit comme futur ou
certitude de"poU-voir jare :Utrement; mats"t' Autrement au
conditionnel pass-'"est"silsooute qu'un impuissant.regret, une
illusion rfutable et consolable au gr du dterminisme; et quant a la
libert comme pouvoir des deux ' et'devancement du choix, elle est
plutot . un souhait pieux et un indmontrable postulat, une gratuite
spculation sur l'avenir; la volont peut l'un et l'autre a condition
qu'elle ne fasse ni l'un ni l'autre, la volont peut les deux
(&[Lqui est le for intrieur et la Seconde dcisive de
l'HoriabertaFii,fi"argue de loin notre intellect. ooLabile et
fragile infiniment, la libert-'est donc ou bien un effet de masse
qui se dcompose a l'analyse en kyrielles de motifs, ou bien elle
est le presque-rien d'un vIJeInentsans contetlU, vnement dont le
message nous parvient da~s un chl1'r':= L savoir par lequel nous
savons notre libert est un cas privilgi du demi-savoir par lequel,
en gnral, nous nous savons nous-memes. maCl OTL oUx. OraCl, je sais
que je ne sais rien, dit Socrate en opposant la conscience de
sa'-nesCIenc-e-' a la science quidditative, mais ineffective et
inconsciente des politiques, poetes et chirotechniciens ; d 'autre
part la science socratique consiste a se savoir soi-meme : le
cr~Cl\)T6v qui sert de complment direct a la gnose est en quelque
sorte le contenu tout formel d'une gnose sans contenuo Et par suite
cr~Cl\)T6v, ou le Soi-meme, est le vrai nom de l'objet connu que le
OTL nous annonce; ce soi-meme n'est pas a proprement parler
1'ignorance en tant que concept, il est plutot le fait que je ne
sais rien 1. Socrate ne sait pas comment composer des poemes ni
1. Ap%, 23 b : ...~yvwx.~v OTL oua~v/~ &~L6~ icrTL TIi
&A1Jed~ 7tp/~ crO
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET
L'OCCASION
l~ comment fabriquer des objets, mais il a conscience de sa
propre
. nescience, qui est un objet parfaitement vide et ngatif; et la
chose sue est si peu un objet assignable qu 'elle renvoie
paradoxalement au sujet
,; qui la sait et qui, la sachant, se sait ipso Jacto lui-m~me.
Savoir sans 1 rien savoir en particulier, c'est la fonction meme de
1\\mcrT~f.l.7)~ :mcr~f.l.7), de la science a la deuxieme puissance
telle que la dfinira le Charmide: car si on peut aimer d'aimer, a
plus forte raison peut-on se savoir sachant et ne sachant pas!
Comment cette comprhension de notre intermdiarit, si oppose a toute
mmoire quidditative, comment .flette conscience de notre vide
prsence ne seraient-elles pas le prin/,cipe d'une sagesse? Au
clair-obscur de la nature humaine rpond ainsi ~.. la pnombre d'une
anthropologie qui est toujours anthroposophie
'~,~par quelque ct : otilcx f.l.EV 1tOAAeX, oux :1tcrTCX[i~E
CXUTWV TOV Tp61tov 1, ' je. sais bien des choses, mais je n'en
connais pas la maniere , dit lean Chrysoston: en- empfoy~if le mot
trope, comme plus loin l'adverbe ~atgoriel 1tW~, dans son sens
phnomnal; par exemple je constate :qomme un fait le vinculum de
l'ame et du corps, mais le mcanisme !de cette effectivit et le
Co~~rconstanciel de cet inesse, et les modes explicatifs de cette
(enou.~je( demeurent incomprhensibles 2; et par
consquen(J:uaion'~~meet du corps est dans son ensemble
"le mystere d 'une:btrogn~.~t d 'une symbiose inexplicables,
comme la libert est le 'mysfered'une vidence dmentie par
l'observation ps.itive : /)n f.l.EV ~crT~V v T0 crWf.l.CXT~ T0
~f.l.ETp
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET
L'OCCASION
1L'indtermination..de q;tte gnose explique pourquoi notre
carrithe " :~,lvitale ne se prete jamais a unefl.nalte anticipe et
se prete toujours >. a une finalit rtrospective; pourquoi elle
aura apres coup suivi une.
o direction dtermine bien que cette direction soit toujours
imprvi- ' sible. Vice versa lorsque I'hommesait-pad~,uy~~e qu'il
fait et ce qu'i1 est dans la continuation da.I'il?tervalle
quotii~ll1:t dans I'entredeux des extremes, il ignore par
la-m~ieI'al;ha et I'omga de sa destine; ce qu'il est, iI le serait
encore meme s'il n'existait pas et si
" son etre tait tout hypothtique, secondaire et spectral. En
possession \ de la gnose complete, I'homme saurait a la fois qu'il
est et ce qu'i1 est : d 'un mot il saurait qui il est lui-meme, si
le Quis, interrogeant
,ur I'ipsit de la personne, est bien la synthese du quid et du
quod. _ ; ,Wuisque notre destine, et la mort qui en est le profond
mystere ~hchatologique, sont I'objet d 'une science moyenne, et
puisque la "morale est le domaine privilgi de cette science
quivoque, on ne peut s'tonner si le probleme de la destine est
lui-meme un probleme moral. Nous avons, de loin et en gros, la
certitude qu'il y a une vi-
Cence morale, mais nous sommes dans la plus complete incertitude
touchant les contenus de cette vidence : I'agent se sent lui-meme
oblig a quelque chose avant de savoir a quoi, mais des qu'il faut
dire quoi, I'impratif thique devient corrimandement rituel,
prescription administrative ou ordonnance policiere, c'est-a-dire
impratif conditionnel soumis lui-meme a l'apprciation de la
conscience; I'obligation _p:~..Jes~(: donc catgorique que si nous
n'en pr~j_o.!!.s jarnais-.le_-~nu... Etiange situation que d'e1re
condamn a ne jamais savoir ce qu'il faut faire tout en comprenant
qu'il faut le faire! i~,; Le dogmatisme du Bie,n a ridiculis la
vertu et la perfection en farcis
t\ sant le devoir avec de~...c.QntenUs.quj9ditatifs : le
formalisme justifie \ l'exigence01rctt'ct" la dcision dra;tique en
faisant honneur a la quoddit anhypothtique de la loi. Comment
peu"t-on etre oblig de faire alors qu'il n'y a rien a faire de
particulier, que toute affaire est une quiddification de I'exigence
d'effectivit, et que si la bonne
.xolont de faire-etre en gnral est exigible absolument, le
compl
87
-
J. -.
:)~., LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
entre sujet et attribut, I'accent tonique, dans quid sil, est
sur le ceciou-cela qui est l'intntion memeetlav'ise d 'une
hypothtique attribution : nous ignorons les prdicats d 'une
substance qui est suppose prexister, mais dont I'existence est
laisse dans I'ombre. Employ ~bsotament,intrasiivemt;
catgoriquement, le premier Esse est
(ontOTog
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
d 'autre, une espece de lustre qui rayonne de la symtrie, T~
crufLfLE:Tplq; l:7t"LAlXfL1t6fLE:VOV 1, et qui la rend digne d
'amour (l:piXcrfLLOV); sans
\\. une circulation de grace ~ la surface de la be~ut~ (X.iXpL~
l:7t"LOioucrlX Ti;> ~iXAAE:L) 2, le beau et le lald sont
absolument mdlscernables et tous les malentendus deviennent
possibles. Ce charme ambigu en suspens autour de la forme,
habilIant la forme, explique a la fois I'vidence invidente du Bien
et du Beau. II en est des' bonnes reuvres pharisiennes conformes au
devoir comme des chefs-d'reuvre scolaires conformes aux regles:
'les uns et les autres devraient etre parfaits, et pour un peu nous
accuserions notre insatisfaction elle-meme plutot que leur
imperfection. Au fait, que lui manque-t-il, a ce studieux pensum, a
cet irrprochable theme latin sans dfauts et sans gnie ? Et
qu'est-ce qui peut manquer, s'il vous plait, a la dcourageante
perfection ? A la perfection de I'reuvre accomplie, par dfinition
meme, iI ne manque rien, comme il ne manque rien au bonheur de
Mlisande. Ou plutOt : si, il manque quelque chose... II manque
tout, puisqu 'il manque une ame! L'reuvre parfaite
n'taj.t---qu-~.J.m devoir correct, le bon mouvement n'tait qu'une
formalit(P9Iie)Cet im.palpable lment diffrentiel, ce presque-rien
pneum'a'tique, ce je-ne-sais-quoi infinitsimal est encore plus
subtil lorsqu 'il ,diffrencie entre eux non pas une reuvre d'art et
un morceau d'loq~ence, mais deux reuvres (( presque indiscernables.
OU est le critdum qui nous permettrait de distinguer entre le
mystere d 'intimit de Yermeer et celui de Pieter de Hoogh, entre la
fete galante chez Watteau et la fete galante chez ses imitateurs,
Lancret ou Pater ? C'est a peIne si, dans le second cas,
'--t}Yelque chose de vaporeux et de ngligentb je ne sais quoi d
'vasif et d 'alIusif qui rend le trait presque flou, und sorte d
'arienne fantaisie ,1 permettraient d 'authentifier le gnie
berg~masque de Watteau. Et L.__~n ce qui regarde le premier cas, il
est cer~in que I'univers domes
tique de Pieter de Hoogh est presque aussi\ mystrieux que celui
de Vermeer : mais dans ce Presque il y a un m~nde; il ne s'en faut
pas de tres peu, ni d 'une lacune assignable, ni d 't1pe diffrence
dtermine telIe que, par exemple, la diffrence entre le rauge de
Pieter de Hoogh et le bleu sui generis, I'incomparable bleu qe
Vermeer; ou plutot
1. Enn., VI, 7, 22 (tpiyyo~). 2. Cf. VI, 7, 31, I. 29; V, 3,17,
I. 21.
90 \ ...
LA MANIERE ET L'OCCASION
il s'en faut, justement, de presque rien, mais ce presque-rien
est une immensit; mais ce nescioquifL~t, CQ.nme le'(1IV'ill
fUl:'mS'me;-un 'parto-t-=-ct-nu"Tre part; seul un(saut qualita,tw
permettrait de compenser la
"~.' ,~diffrence infiniment infinie,qiiOique infinitsimale, dont
le mystere d'ubiquit est le principe. Ce saut mortel, c'est
peut-etrele pas napolonien, le (( pas hroique qu'Henri Bremond
entreprend de nous faire accomplir! vasif et prcis, lointain et
Q!.ochain,
..._. .__~_._..__ ~._ ,~ __ __mystrieuxet""h"_ __ .. '._,:>_.
__._. famili~!..L~nigmatique comme le Dleu cach mais cmir comme le
jour a mldi : tels sont les prdicats contradictoires q1Jn~ thologie
ngative du bleu de Vermeer devrait conjoindre pour
e~p;;:;':;er"Frnexprimable! C'est assez dire la misere des
localisations picturales; cornme de toute topographie occupe a
reprer l'utopie du je-ne-sais-oi!. Pas plus que l' air de famille ,
qui est une ressemblance pneumatique, le charme n'a de support
assignable. Pour fixer les ides nous concentrons cette aura de
posie, ce charme transspatial dans le bleu de Vermeer. .. ou dans
les cadences plagales de Faur, et nous nous tonnons de ne trouver a
la place dsigne qu'une couleur banale, une formule comme toutes les
formules, une chose comme toutes les choses. N ulIe part en effet
le charme n 'est plus dcevant ni la ralit de ce charme plus
indmontrable que dans le plus inexistant de tous les arts, a savoir
dans la musique. Inexistante, presque inexistant"--') musique qui
n'existe que dans I'instant d'une tr~~slouteuse et fugitive \
exaltation! Ryj~~t et dcevant mirage d'une rnmufe"oppmtonel La
musique, cette tres-vaine \limit, n'est-elIe pas tout entiere
un-------' quasi-nihil ? Une bulle de savon irise qui creve des
qu'on la touche ? La musique, qui ne consiste ni dans la seule
mlodie (car le chant nu n'est rien), ni dans I'harmonie seule (car
un accord en soi est indiffrent), ni meme dans l'harmonisation de
la mlodie, la musique a vrai dire ne consiste en rien et fuit a
l'infini nos localisations : a sa suite nous pntronsdns la-~gIon
supraspatiale et transmondaine de I'irralit, dans I~Pays des
reveset la Patrie deschoses inexistantes','celIe ou rayonne la
Jr-usalem-pneumatique du Requiem de Faur, oi! tintent les cIoches
de Kitiege, la Ville invisible de Rimski-Korsakov. L'invitation
amonter - ocAAoc 3d OCVIXO~VIXL 1 - que Plotin nous adresse
I. Enn., V, 3, 17. Cf. VI, 7, 16 : fLE:TIXOoclvE:LV ...1tpO~ TO
i.vw.
91
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIN LA MANIERE ET
L'OCCASION
ne semble-t-elle pas exprimer pour sa part la vocation dralisan
! de toute musique? En l'absence d 'une vraie critriologie, la
spci~l .. ficit irrductible du charme fauren ne se diffrencie de la
contre far;on, c'est-a-dire du simili et des procds, par aucune
marque uni voque et dcisive. A quoi tient, par exemple,
1'indfinissable, la xcip~ bn6oumx qui pnetre et imbibe l'exquise
mlodie de Faur intii tule Le plus doux chemin 1 ? L'oreille, guide
par I'analyse gramma"') tieale, hsite entre la saveur olienne de la
sensible en fa mineur: (mode de la), la quitude mlancolique des
c-d.!
-
LE JE-NE-SAlS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
. prsente.a la chose belle. "Oi.w
-
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
mais c'est une exprience que fait le patient et dont il rapporte
la cause a un autre; de meme on ne peutjamais prouver l'existence
d'une
! proprit dsignable qui serait le je-ne-sais-quoi et qui m
'appar tiendrait en propre a cette minute meme. .
~, e'est parce que le mystere du je-ne-sais-quoiest avant tout
une efncacit que son apparition chez l'artiste a toujours le
caractere irra- . ( tionnel d'une cration, que l'intellection de
cette cration chez l'in- ;
I terprete. ou l'auditeur a. toujours le.caractere drastique d
'une recra- . l...tWn. Le message que le Sanctus du Requiem nous
transmet, Faur ni le formule ni ne l'exprime, mais il le dit en
arpeges; et meme iI fait bien mieux que dire , puisqu'il fait : ces
pianissimo surnaturels et ces rsolutions simuIes et l'apaisante
cantilene des archets,
; et le serein murmure des harpes, et la stellaire effusion des
chreurs, ttout cela fait partie, sans autres commentaires, d 'une
meme opration ; potique et d'une meme suggestion captivante. Or,
c'est la musique toutentiere qui est, en ce sens,. un acte. De
cette sagesse non point gostique, mais drastique; Rimski-Korsakov
nous a lgu, en Fvronia Mouromskaia, une sublime incarnation :
Fvronia la tres sage, Fvronia la tres pure, Fvronia, la vierge de
Kitiege {'invisible, est, comme Sadko, rossignolet, Soloviouchka;
et de meme que le rossignol fait des vocalises, mais non pas des
confrences sur les vocalises, de meme Fvronia ne sait que chanter;
car son affaire est de faire, et non pas de disserter; Fvronia
chante, et les violents se convertissent a I'Harmonie, et l'ours
vient pleurer d'amour a ses pieds. Il en est
,.Ate l'interprete comme du crateur. Qui n'a pas tenu sous ses
doigts! le mystere des six dieses de la Ballade en fa diese, qui
n'a pas senti le ( prcis joint au vaporeux palpiter sur les touches
noires et sur les ~ blanches, celui-Ia ne peut comprendre Gabriel
Faur ni anticiper ce
'que/que chose de tout autre dont personne ne peut donner l'ide
a personne. A cet gard, il n'y a pas un univers, il y a plusieurs
univers
(t une infinit d'univers, il y a des univers d'univers entre la
Ballade :: qu'on disseque mentalement et celle qu'onjoue Sur le
clavier. L'audition elle-meme, par laquelle nous gofitons au
je-ne-sais-quoi, l'auditio.Il t,:t...c.Qm...Il]~exClJtjgll.,
:ecratri.ce : 1'audition nous donne 1'entrevision de 1'ineffable
Kitiege, de cette vil1e invisible mais audible qui est la Kitiege
sotrique du charme.
-
"-l._Q--J
'.LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN LA MANIERE ET L'OCCASION
S' ,-,,~'-j '~" -' '~.i..
recommencent a exister quand ils ne pensent plus a soi, ne
sont-ils pas a leur tour les tres fragiles chefs-d 'ceuvre du
presque-rien, 1~S.PLcaires etprcieuses cratures de l'amphibolie
thique? La fas"ui condarnneTe'remOfCfs: Ta
puaeur'fT:"cl1ari'teacrgnrer (in cabo i. nage insincere a l'instant
meme OU ils apprennent leur propr rite, . r-~~tte fatalit nous
rvele dans 1'innocence la condition vi tale. d.U. j.e-n.e._
sais-quoi. Montesquieu insiste fortement sur ~d.~Ja.gr!~e.LLe
charme innocent a quelque chose d'extatique en ceci que, dpourvu
lui-meme de consistance, il est tout entier extrovers dans le
non-moi et s'exhale, pour ainsi dire, comme un parfum; le charme
est l'odeur
/du je-ne-sais-quoi, et ses effluves volatils embrument la
distinction du ~. sujet et de l'objet. Tout ce qui se trouve dans
le sillage de la grace enchanteresse participe a l'enchantement :
enchanteur et enchant de~iie;t;sTresco:ri~t~iite~ha-ngeables d 'un
meme enchantement gracieux. Le charme est-il dans l'objet, comme le
suppose la ridicule philosophie des localisations objectives, ou
est-il un tat du sujet, comme le psychologisme phnomniste le
soutiendrait sans doute? On est tent de rpondre qu'il est l' acte
commun du sujet et de l'objet : cet acte par lequel les ames
resseiitnt enser5re et
Fe viorentoe concert a toujours t~_~ppel sympathie; pendant la
dure / infinitsimale d'un instant et dans l'espace infinitsimal
d'un point, le ( miracle en etfet s'accomplit : le charme charm
cOIncide avec le ~harme-agent, l'entrevision non pas seulement
gnostique, mais vcue,
de l'ame enchante ne fait plus qu'un avec l'opration
enchanteresse; pareillement on pourrait dire que 1'en1revisi~n
-
. ; r.\ ,,~. ~~ ...'l''''."u \
LE JE-NE-SAIS-QUOI ET LE PRESQUE-RIEN
\2hose .et la prsence en absence. J2.ans...l.:aQ.sence,
l'enchantement du i dobre'rega'roretriiveral~usi~.~Jp). Ayant pour
impalpable Lvhicule l'ther spirituel ou balgnent e; monades; le
captivant mys
tere atmosphrique se situe partout et ne se localise nulle parto
Plotin appelle beaut paresseuse (&pyov XtAAO~) la forme inerte
incapable d'mouvoir la vue (o,nv XLVELV),