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Les nouvelles Les nouvelles des auteurs français des auteurs français du XX siècle du XX siècle L L ivre de lecture ivre de lecture pour la III année pour la III année 3
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J'ai soif d'innocence

Jan 05, 2017

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Page 1: J'ai soif d'innocence

Les nouvelles Les nouvelles des auteurs français des auteurs français

du XX siècledu XX siècle

LLivre de lectureivre de lecture pour la III annéepour la III année 

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Page 2: J'ai soif d'innocence

Министерство образования Российской ФедерацииГосударственное образовательное учреждение

высшего профессионального образованияНижегородский государственный лингвистический

университет им. Н.А. Добролюбова

Новеллы французских авторовНовеллы французских авторов XXXX века века

Учебное пособие

I I I К У Р С

Составитель С.А.Бадянова

Рекомендованонаучно-методическим советом НГЛУ

и м .   Н . А .   Д о б р о л ю б о в а в к а ч е с т в е у ч е б н о г о п о с о б и я д л я с т у д е н т о в ф а к у л ь т е т о в

и н о с т р а н н ы х я з ы к о в

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Page 3: J'ai soif d'innocence

Нижний Новгород2003

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Page 4: J'ai soif d'innocence

Новеллы французских авторов XX века

Учебное пособиеIII КУРС

Светлана Александровна Бадянова

Компьютерный набор и макетирование: С. А. Бадянова

Редакторы: Л.П. Шахрова,

Н.И. Морозова

Лицензия ПД № 18-0062 от 20.12.2000

Подписано в печать 3.06.2003. Формат 60 84/16 Печать офсетная.Печ. л. 12,8 Тираж 500 экз. Заказ Цена договорная.

Издательство НГЛУ им. Н.А. Доролюбова. 603155 Нижний Новгород, ул. Минина,31а.

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J.-H. Rosny aînéJoseph Henri Rosny (1856-1940), aîné de deux frères-écrivains, tous

deux figurant parmi les dix premiers membres de l’Académie Goncourt,

aborda tous les genres, du roman social au récit fantastique. Ses nouvelles

dont l’action se situe le plus souvent à la fin du dix-neuvième siècle sont

dynamiques, amusantes, faciles à lire.

LA LAMPECharles Labarre allumait devant nous sa vieille lampe. Il le

faisait avec un air d'alchimiste. Barral se mit à rire .— Est-ce que ce serait par hasard la lampe d'Aladin ? Labarre

prit un air grave :—C'est un fétiche. Elle est dans la famille depuis plus de cent ans

; j'aimerais mieux donner cent mille francs que de la perdre !... Je ne la confie jamais à personne. Je l'arrange chaque jour de mes propres mains et je la répare moi-même lorsque par hasard elle se dérange, — ce qui est très rare, car son mécanisme est admirablement construit.

La lampe, pendant ce discours, avait peu à peu haussé sa flamme. Elle jetait une lueur jaune, très égale et très douée.

—Oui, répondit Labarre, j'ai pour elle une affection véritable, comme je n'en ai pas pour beaucoup de gens. Elle a éclairé mes veilles, assisté à mes douleurs et à mes joies. Et puis, elle a une histoire. Si j'étais superstitieux, je dirais qu'elle a eu une influence favorable sur ma famille. Mais je ne suis pas superstitieux, et pourtant... il y a des moments où je ne suis pas très loin de croire qu'elle a une sorte de vie... Tenez, je vais vous raconter quelques-unes des aventures où elle parut jouer un rôle.

La première date de dix-huit cent quatre. A cette époque elle n'appartenait pas encore à notre famille. C'était un soir, un soir de printemps. Mon arrière-grand-mère Julienne, toute jeune encore à cette époque, plongée dans ses rêves, était descendue par le parc, avec la servante Anastasie, et avait marché au hasard, jusqu'au bord de l'Yvelaine. La nuit était venue. C'était dans la courbe de la rivière.

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L'Yvelaine s'enflait, mais Julienne n'avait aucune inquiétude. Brusquement, une rumeur énorme se fit entendre ; elle rappelait les détonations de l'artillerie et la chute de blocs dans la montagne : c'était l'eau qui rompait ses digues et qui se précipitait sur la plaine. Julienne ne le comprit pas tout de suite, mais la vieille Anastasie, servie par sa longue expérience, dit :

—C'est l'inondation, mademoiselle... il faut nous sauver vite.Malheureusement, les deux femmes occupaient le fond de la

courbe. Deux torrents accouraient dans les ténèbres, mais elles ne pouvaient préciser leur direction. Elles étaient nerveuses, elles perdirent la tête. Tantôt elles couraient vers l'orient, tantôt vers l'occident. L'eau cependant approchait. Et, comme elle arrivait de toutes parts, il devenait impossible de deviner où étaient les voies libres encore. La vieille Anastasie, d'abord assez résolue, se découragea plus vite que Julienne.

— On va mourir ! On va mourir !Et elle s'assit, son tablier relevé sur la tête, attendant la fin.

Julienne, presque aussi désespérée que la vieille femme, jetait autour d'elle des regards éperdus. Brusquement, elle aperçut une lueur dans les ténèbres, cette lueur des contes et des légendes qui a toujours symbolisé le secours inattendu. Julienne fut saisie d'une inexprimable confiance, elle cria d'une voix assurée :

—Viens, Anastasie, j'ai retrouvé la route. Et elle entraînait la bonne, elle courait de toutes ses forces. Il y eut un moment terrible, où des vagues hurlèrent tout près des deux femmes. Mais une colline les sauva, et, toujours guidées par la lumière, elles arrivèrent enfin à une grande maison blanche sur la colline. Elles étaient hors de danger. Des braves gens les accueillirent ; elles passèrent la soirée à la lueur de la lampe, de cette lampe qui les avait sauvées et à laquelle Julienne manifestait une telle reconnaissance que ses propriétaires lui en firent cadeau.

Dans notre famille, la lampe eut une histoire non moins curieuse. Elle participa à des événements graves ou joyeux, mais presque toujours favorables, comme, par exemple, la fortune de mon père. Comme vous le savez, mon père fut un historien. Il avait la manie des

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documents. Le pays où nous vivions était riche, à cette époque, en pièces curieuses, cachées dans d'antiques châteaux dont les propriétaires étaient indulgents à la manie de mon père. Il arriva même qu'un vieux maniaque lui laissa tout son patrimoine. A la vérité c'était peu de chose ; une vieille tour, quelques murailles en ruines, quatre ou cinq acres d'une terre sauvage. Mais c'était un nid à documents, à inscriptions curieuses. Mon père s'y installa tout un été et se mit à y faire des fouilles. Il les prolongeait quelquefois très tard. Armé d'une bonne lanterne, il parcourait des chambres, visitait des cachettes, sondait des murailles.

Or, un soir, sa lanterne se brisa. Il voulut la remplacer par une lampe de cuisine, mais cette lampe était trop fumeuse. Il alla alors prendre «sa» lampe, et il s'en servit pour éclairer une chambre voûtée, où il soupçonnait des secrets. C'était au moins la vingtième fois qu'il y revenait—vainement. Il tapait sur les murailles, arrachait des pierres, sondait à l'aide de ses outils. Rien. A la fin, dans un accès de colère, il se tourna vers la lampe, et s'écria :

— Tu es entrée dans la famille en sauvant ma grand-mère... ne feras-tu rien pour moi?

Ce disant, il marchait à petits pas, la lampe tout près de la muraille. Tout à coup, la flamme fit un bond; puis elle palpita, s'allongea :

—Voilà qui est singulier! murmura mon père... on dirait que tu me réponds...

Il s'arrêta ; il vit une petite fente dans la pierre :— Eh bien ! s'écria-t-il en riant, nous allons prendre ta réponse

pour bonne... Voyons ce qu'il y a là derrière.II laissa la lampe au milieu de la pièce, et armé de tous les outils

nécessaires, il se mit au travail. Après une heure d'efforts il vit une cachette d'où venait une odeur désagréable. Il y avait des ossements, de vieilles étoffes et, tout au fond, une boîte rouillée, que mon père attira avec un cri de triomphe. Il ouvrit le couvercle et fut frappé de surprise et de joie : la boîte était remplie de bijoux : diamants, aigues-

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marines, rubis, saphirs, topazes... Une grande fortune ! Et mon père était le seul héritier de la famille qui avait caché ces richesses...

Quant à l'intervention de la lampe, un physicien vous l'expliquera en formulant l'hypothèse de gaz échappés par la petite fente. Cette explication est certes plausible... Et pourtant !

Passons au troisième événement, qui, cette fois, me concerne, et qui est de l'ordre idyllique. J'avais vingt-quatre ans alors. J'étais désespérément amoureux d'Hélène Fombreuse. La passion que j'avais pour cette jeune fille charmante était partagée par dix rivaux. Hélène, trop désirée, ne se décidait pas à choisir.

Un soir, elle assistait à une réception que donnaient mes parents, dans notre château. On dansait dans le jardin et on se promenait dans les allées du parc. Il arriva qu'Hélène se perdit dans un sentier. Des arbres lui cachèrent les lumières de la terrasse et des salons. La jeune fille, impa-tiente, marchait très vite et s'égarait davantage. A la fin, elle aperçut une lueur, la petite lueur des légendes, tout au bout d'une allée étroite. Elle marcha instinctivement vers cette lueur et se trouva enfin à l'extrémité d'une aile du château. Elle pouvait voir, à travers un rideau léger, une table, un fauteuil vaste comme un lit, une grosse lampe qui semblaient les seuls personnages. Hélène fut prise de curiosité. Elle entra et se pencha sur le livre. C'était un vieux livre mystique. Elle lut : « Toi qui es venue à travers la nuit, jusqu'à la chambre solitaire, tu entreras dans la famille de l'homme qui viendra te rejoindre... »

Tandis qu'elle lisait, des pas se firent entendre. La porte s'ouvrit ; elle vit mon père qui venait se reposer dans son cabinet de travail. Il sourit à la belle jeune fille et demanda gaiement qu'est-ce qui l'avait amenée jusque-là.

La conversation de mon père avait du charme ; Hélène, lorsqu'elle reparut sur la terrasse, gardait de sa petite aventure un souvenir attendri, et gentiment fantastique. La prophétie du vieux livre la hantait ; en même temps, elle sentait qu'il ne lui serait pas désagréable d'entrer dans notre famille. Et, petit à petit, elle me préféra à mes rivaux. Puis, un beau jour, elle me donna sa petite main devant le maire et le curé du village.

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Et j'essaye en vain de me débarrasser de cette croyance absurde et charmante que notre lampe avait attiré dans la nuit ma petite Hélène auprès du vieux livre mystique.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser: confier qqch à qqn réparer qqch hanter qqn se débarrasser de qqch, de qqn rompre qqch se servir de qqch soupçonner qqch, qqn fétiche n.m. lueur n.f.

extrémité n.f. (à l’extrémité de) superstitieux adj. désespéré adj. éperdu adj. riche en qqch adj. indulgent adj. plausible adj.

II. Dites comment on appelle : une personne bienveillante, qui excuse facilement ; une personne qui voit des signes favorables ou néfastes dans certains

faits ; une personne triste, qui n’a aucune espérance ; une personne affolée, troublée par une émotion violente.

III. Trouvez des équivalents russes des expressions ci-dessous : faire qqch avec un air d'alchimiste, prendre un air grave, marcher au hasard, se faire entendre, faire cadeau de, une terre sauvage, faire des fouilles, une explication plausible, être pris de curiosité. Faites-les entrer dans des phrases.

IV. Expliquer le procédé de formation de l’adverbe admirablement. Formez les adverbes à partir des adjectifs relevés dans le texte : égal, doux, véritable, grave, favorable, énorme, éperdu, terrible, curieux, riche.

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V. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Il allumait devant nous sa vieille lampe avec une mine d'alchimiste. 2) La lampe, c'était une amulette. 3) Je ne la remets jamais à personne. 4) Le fleuve s'enflait, mais Julienne n'avait aucune angoisse. 5) Deux torrents arrivaient dans la nuit. 6) La vieille Anastasie, d'abord assez résolue, a été abattue plus vite que Julienne. 7) Julienne, désolée, jetait autour d'elle des regards affolés. 8)Elles ne couraient plus aucun danger. 9) Julienne exprimait une grande reconnaissance à la lampe. 10) Il arriva même qu'un vieux maniaque lui laissa toute sa propriété.

VI. Conjuguez au présent le verbe rompre, nommez son participe passé. Faites-le entrer dans des phrases.

VII. Replacez les prépositions qui manquent :1) A entendre mon récit tous se sont mis ... rire . 2) Il ne confie

jamais ses affaires personnelles ... personne. 3) Ses verbes appartiennent ... troisième groupe. 4) La jeune fille fut saisie ... une inexprimable inquiétude. 5) Cette génération participa ... des événements graves décisifs de notre pays. 6) Le sol de la région est riche ... minerai de fer. 7) Il s'est servi ... une lanterne pour éclairer la cave. 8) C’était déjà fin juin, mais Hélène ne se décidait toujours pas ... choisir l’institut. 9) J'essaye en vain ... me débarrasser de vieilles choses, elle s’accumulent toujours. 10) Elle sentait qu'il ne lui serait pas désagréable ... revoir le garçon dont elle venait de faire la connaissance.

VIII. Répondez aux questions suivantes en remplaçant les mots soulignés par les pronoms qui conviennent :

1) Servez-vous d’un dictionnaire pour comprendre un texte français ? 2) Les propriétaires ont-ils fait cadeau de la lampe à Julienne ? 3) L’historien, soupçonnait-il des secrets que le patrimoine hérité pouvait cachait ? 4) Participez-vous aux fêtes organisées à la faculté ? 5) Manifestez-vous de la recon naissance aux personne qui vous rendent un service ? 6) Votre amie, a-t-elle du charme ? 7) Préférez-vous la lecture aux sorties au cinéma ? 8) Vous est-il facile de vous débarrasser de vieilles habitudes   ? 9) Vous est-il facile de vous débarrasser des amis encombrants quand vous désirez rester seul ? 10) Le père, était-il le seul héritier de la famille qui avait caché les bijoux   ?

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IX. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Вы, случайно, не знаете, где можно починить

радиоприёмник? 2) Она долго шла наугад, пока не раздался страшный шум. 3) Я никому не могу доверить эту работу. 4) Лампа бросала мягкий и ровный свет. 5) Кажется, она очень суеверна. 6) Этот амулет находится в нашей семье уже более ста лет. 7) Раздался звонок, и студенты устремились в аудитории. 8) Женщины были в отчаянии. 9) В этом доме они были в безопасности. 10) При свете лампы мы увидели на столе ржавую шкатулку, её крышка была открыта. 11) Он стал наследником древнего замка. 12) Археологи провели раскопки в окрестностях старого города. 13) Вы к нему слишком снисходительны. 14) Тропинка вела в глубь леса. 15) Элен стало любопытно узнать, что написано в старинной книге.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Présentez les personnages principaux de la nouvelle. III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Pourquoi Charles Labarre ne voulait-il pas pour rien au monde perdre sa lampe ?2. Quelle influence a-t-elle eu sur la famille de Charles ?3. Qu’est-ce qui est arrivé un soir de printemps à l’arrière-grand-mère de Charles ?4. Comment sa sevrante et elle-même, se sont-elle sauvées de l’inondation ?5. Quelle était la grande passion du père de Charles ?6. Comment le père de Charles s’est-il fait la fortune ?7. Qu’est-ce qui a influencé Hélène en faveur de Charles?

V. Racontez en détails les trois histoires liées à la lampe.VI. Commentez : « Quant à l'intervention de la lampe, un

physicien vous l'expliquera en formulant l'hypothèse de gaz échappés par la petite fente. Cette explication est certes plausible... Et pourtant ! » Comment cette remarque caractérise-t-elle le narrateur ?

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VII. Que pensez-vous des interventions magiques de la lampe, vous ?

VIII. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.

A DISCUTER, INFORMATIONS COCIAUX-CULTURELLES

Lisez un petit fragment de l’article A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU et relevez-y la confirmation de l’idée maîtresse de la nouvelle.

« La France a la réputation d'être très attachée à la conservation du passé, des traditions, de cultiver certains archaïsmes.

Les observateurs étrangers ironisent parfois sur le fait que pour beaucoup de Français tout ce qui est vieux est beau et que certains appartements privilégient le côté musée au côté confort. Les Français raffolent1 des vieilleries, meubles ou objets hérités de leur famille ou chinés2 dans les brocantes3. Ils peuvent avoir de la valeur bien sûr, mais parfois leur seul intérêt tient au fait qu'ils sont vieux... Dans la plupart des appartements, et même dans de nombreux locaux professionnels, coexistent des styles hétéroclites : mobilier moderne, meubles anciens et objets décoratifs de toutes sortes, dont certains viennent souvent de brocantes. »

Quelle est donc l’attitude des Français envers de vieux objets ? Comparez-la à celle des Russes.

Y a-t-il dans votre famille un fétiche ou quelques vieux objets auxquels vous tenez particulièrement ? Quels souvenirs ou légendes sont liés à ces objets ?

Etes-vous superstitieux ? Quels signes croit-on traditionnellement favorables ou néfastes ?

1 raffoler de qqch. — aimer à la folie.2 chiner — ici: découvrir.3 brocante f. — commerce du brocanteur.

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André Maurois (1885-1967)André Maurois, célèbre écrivain français, a créé une oeuvre

considérable par son volume et diverse par son expression. Partout dans ses

écrits se manifeste son talent de grand érudit, de psychologue, curieux de

connaître l’homme et les faits vécus de l’histoire. Loin de traiter les problèmes

sociaux qui bouleversent le monde de son époque, l’écrivain reste pourtant

un fin observateur des relations humaines.

Romancier, essayiste et historien, il est également auteur de plusieurs

recueils de nouvelles, récits romanesques fort traditionnels, au ton mesuré.

La simplicité du style, soignée avec une exigence minutieuse, n’exclut pas la

recherche subtile dans la confrontation des mots, dans le contraste. Les

nouvelles données ci-dessous en sont un excellent exemple.

Le retour du prisonnierCette histoire est une histoire vraie. Elle s'est passée en 1945,

dans un village de France que nous appellerons Chardeuil, bien que ce ne soit pas son nom réel, que nous ne pouvons donner, pour des raisons évidentes. Elle commence dans un train qui ramène d'Allemagne des prisonniers français. Ils sont douze dans un compartiment de dix, affreusement serrés, épuisés de fatigue, mais excités et heureux parce qu'ils savent qu'enfin, après cinq ans d'absence, ils vont revoir leur pays, leur maison, leur famille.

Pour presque tous, l'image qui, pendant ce voyage, domine leur pensée, c'est celle d'une femme. Tous pensent à elle avec amour, avec espoir, quelques-uns avec anxiété. La retrouveront-ils semblable, fidèle ? Qui aura-t-elle vu, qu'aura-t-elle fait pendant cette longue solitude ? La reprise de la vie en commun sera-t-elle possible ? Ceux qui ont des enfants sont les moins inquiets. Leur femme a dû surtout s'occuper de ceux-ci et leur présence, leur gaieté rendront faciles les premiers jours.

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Dans un coin du compartiment est assis un homme grand, maigre, dont le visage passionné, les yeux brillants de fièvre sont plus espagnols que français. Il se nomme Renaud Leymarie et il est originaire de Chardeuil, en Périgord. Tandis que le train roule dans la nuit et que, de temps à autre, le sifflet de la machine se détache sur la basse monotone des roues, il parle avec son voisin :

— Tu es marié, toi. Saturnin ?— Bien sûr que je suis marié... Deux ans avant la guerre, deux

gosses... Elle s'appelle Marthe ; tu veux la voir ?Saturnin, petit homme gai, visage balafré, tire de sa poche

intérieure un portefeuille usé, graisseux, et montre fièrement une photographie déchirée.

— Elle est rudement bien, dit Leymarie. Et tu n'es pas inquiet de ce retour ?

— Inquiet?... Je suis fou de joie. Pourquoi inquiet ?— Parce qu'elle est jolie, parce qu'elle était seule, parce qu'il y a

tant d'autres hommes...— Tu me fais rire ! Il n'y a jamais eu d'autres hommes pour

Marthe... On a toujours été heureux ensemble... Et si je te montrais les lettres qu'elle m'écrit depuis cinq ans...

— Oh! les lettres! Ça ne prouve rien... Moi aussi, j'ai reçu de belles lettres... Et pourtant je suis inquiet.

— T'es pas sûr de ta femme ?— Si... Du moins je l'étais... peut-être plus que personne... Nous,

on était mariés depuis six ans et il n'y avait jamais eu un nuage.— Alors?— C'est une question de nature, mon vieux... Je suis de ceux qui

ne peuvent jamais croire au bonheur. Toujours je me suis dit qu'Hélène était trop bien pour moi, trop belle, trop intelligente... C'est une femme qui est instruite, qui sait tout faire... Elle touche à un chiffon ; ça devient une robe... Elle meuble une petite maison de paysans ; ça devient le Paradis... Alors je me dis que, pendant la guerre, il y a beaucoup de réfugiés chez nous et, parmi eux, des types

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bien mieux que moi... Peut-être aussi des étrangers, des Alliés ... La plus jolie femme du village leur a certainement tiré l'œil.

— Et puis après? Si elle t'aime...— Oui, mon vieux, mais te représentes-tu ce que c'est que d'être

seule, cinq ans?... C'est pas son pays, Chardeuil, c'est le mien. Elle n'y a pas de famille. Alors la tentation a dû être forte.

— Tu me fais rire, que je te dis ! Tu as l'esprit mal fait... Et puis, suppose même qu'il y ait eu quelque chose... Qu'est-ce que ça fait, si elle l'a oublié? Si c'est toi seul qui comptes?... Tiens, moi, vois-tu on me dirait que Marthe... Eh bien ! je répondrais: «Pas un mot de plus!... Elle est ma femme ; c'était la guerre ; elle était seule ; maintenant c'est la paix... On repart à zéro. »

— Je ne suis pas comme ça, dit Leymarie. Si j'apprenais, au retour, qu'il y a eu la moindre chose...

— Qu'est-ce que tu ferais ? Tu la tuerais ? T'es tout de même pas cinglé?...

— Non, je ne lui ferais rien. Pas même un reproche. Mais je disparaîtrais. J'irais vivre ailleurs, sous un faux nom. Je lui laisserais l'argent, la maison... J'ai besoin de rien, j'ai un métier... Je me referais une vie... C'est peut-être idiot, mais je suis comme ça : tout ou rien...

La locomotive siffla ; des aiguilles ferraillèrent ; on entrait dans une gare. Les deux hommes se turent.

Le maire de Chardeuil était l'instituteur du village. C'était un brave homme, paternel et prudent. Quand il reçut du Ministère, un matin, l'avis annonçant le retour, pour le vingt août, de Renaud Leymarie, qui faisait partie d'un convoi dirigé sur le Sud-Ouest, il décida d'aller lui-même prévenir la femme. Il la trouva qui travaillait à son jardin ; c'était le plus charmant du village, avec ses rosiers grimpants des deux côtés de la porte.

— Je sais bien, madame. Leymarie, que vous n'êtes pas de ces femmes qu'il faut avertir du retour de leur mari, pour leur épargner une surprise dangereuse... Non, et même, si vous me permettez de le dire, votre conduite, votre réserve ont fait ici l'admiration de tout

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le monde... Même les commères, qui ne sont généralement pas tendres pour les autres femmes, n'ont rien trouvé à dire sur vous.

— On trouve toujours quelque chose, monsieur le maire, dit-elle en souriant.

— Je l'aurais cru, madame, je l'aurais cru... Mais vous les avez toutes désarmées... Non, la raison pour laquelle je vous préviens, c'est d'abord pour voir votre joie... et je vous assure qu'elle m'a fait plaisir, et aussi parce que vous voudrez, je pense, lui préparer un beau retour... Vous êtes comme nous tous, vous ne mangez pas bien tous les jours, mais pour une occasion comme ça...

— Vous avez eu mille fois raison, monsieur le maire. Je vais faire à Renaud un beau retour...

Vous dites le vingt ? A quelle heure pensez-vous qu'il soit là ?— Le Ministère dit : « Le convoi quittera Paris à vingt-trois

heures. » Ces trains-là marchent lentement... II faut qu'il descende à la gare de Thiviers, ce qui lui fait encore quatre kilomètres à pied. Il pourrait être ici, au plus tôt, vers midi.

— Je vous assure qu'il aura un déjeuner soigné, monsieur le maire... et je suis certaine que vous comprendrez que je ne vous invite pas à le partager... Mais je vous suis bien reconnaissante de votre visite.

— Tout le monde à Chardeuil vous aime, madame Leymarie! Vous n'êtes pas d'ici, c'est vrai, mais on vous a adoptée.

Le vingt au matin, Hélène Leymarie se leva à six heures. Elle n'avait pas dormi. La veille, elle avait fait la toilette de toute la maison, lavé les carrelages, fait briller les planchers, remplacé par des rubans frais ceux, défraîchis, qui retenaient les rideaux des fenêtres. Puis elle était allée chez Martial, le coiffeur de Chardeuil, se faire onduler et elle avait dormi avec un filet pour que ses cheveux fussent bien en plis au matin. Elle avait passé la revue de son linge et choisi avec amour celui de soie, qu'elle n'avait jamais porté pendant sa longue solitude. Quelle robe mettrait-elle ? Celle qu'il préférait jadis était une robe bleue et blanche à rayure pékinée. Mais elle l'avait essayée et avait constaté avec détresse que la ceinture flottait sur son

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corps amaigri par les restrictions. Non, elle mettrait une robe noire qu'elle s'était taillée elle-même et qu'elle égaierait par un col et une ceinture de couleur.

Avant de préparer le déjeuner, elle se rappela tout ce qu'il aimait... Dans cette France de 1945, tant de choses manquaient... Un dessert au chocolat ?... Oui, c'était ce qu'il préférait, mais il n'y avait pas de chocolat... Heureusement, elle possédait quelques œufs frais grâce à sa petite basse-cour, et il disait toujours qu'elle faisait les omelettes mieux que personne... Il aimait la viande rouge, les pommes frites, mais le boucher de Chardeuil avait fermé boutique depuis deux jours... Elle avait un poulet, tué l'avant-veille ; elle le fit rôtir. Puis comme une voisine affirmait que dans la petite ville la plus proche, un épicier vendait du chocolat «sous le comptoir», elle décida d'aller en chercher.

« En partant à huit heures, je peux être rentrée à neuf... Je préparerai tout avant de partir, de sorte qu'au retour, je n'aurai plus qu'à m'occuper de la cuisine. »

Bien que très émue, elle était merveilleusement gaie. Il faisait si beau. Jamais le soleil matinal, sur la vallée, n'avait été plus brillant. En chantant, elle commença de mettre le couvert :

«La nappe à carreaux rouges et blancs... Elle a été celle de notre premier repas pris en ménage... Les assiettes rosés dont les images l'amusaient... Une bouteille de mousseux... et surtout des fleurs... Il aimait tant les fleurs sur la table, et il disait que je les arrangeais mieux que personne. »

Elle composa un bouquet tricolore : marguerites blanches, coquelicots, bleuets, avec quelques épis d'avoine. Puis, avant de quitter la maison, appuyée sur sa bicyclette, elle regarda longuement, par la fenêtre ouverte, la petite salle. Oui, vraiment, tout semblait parfait. Après tant de malheurs, Renaud serait surpris sans doute de retrouver sa maison et sa femme peu changées... Par la fenêtre, elle se voyait dans le grand miroir. Un peu trop maigre, peut-être, mais si blanche, si jeune, et si évidemment amoureuse... Elle se sentait fondre de bonheur.

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« Allons ! » se dit-elle, « il faut y aller... Quelle heure ? Déjà neuf heures. Seigneur !... Tout cela m'a pris plus de temps que je ne pensais... Mais le maire a dit que le convoi arriverait vers midi... Je serai là bien avant. »

La petite maison des Leymarie était isolée et se trouvait tout au bout du village, de sorte que personne ne vit un soldat maigre, aux yeux ardents, se glisser dans le jardin. Il resta là un instant, ébloui par la lumière et le bonheur, enivré par la beauté des fleurs, écoutant le murmure des abeilles. Puis il appela plusieurs fois :

— Hélène!... Hélène !...Effrayé par le silence, il s'approcha et, par la fenêtre, il vit la

table préparée pour deux, les fleurs, la bouteille de mousseux. Il eut comme un coup au cœur et dut s'appuyer au mur :

« Dieu ! » pensa-t-il... « Elle ne vit pas seule 1 »Quand Hélène revint, une heure plus tard, une voisine lui dit :— Je l'ai vu, vot' Renaud ; il courait sur la route ; j'ai appelé,

mais il s'est point seulement retourné.— Il courait?... Mais dans quelle direction?— Vers Thiviers.Elle bondit chez le maire, qui ne savait rien.— J'ai peur, monsieur le maire... J'ai grand-peur... Renaud, avec

son air dur, est un homme jaloux, sensible... Il a vu deux couverts... Il n'a pas dû comprendre que c'était lui que j'attendais... Il faut le retrouver tout de suite, monsieur le maire... Il faut... Il serait capable de ne plus revenir... Et je l'aime tant !

Le maire envoya un cycliste à la gare de Thiviers, alerta les gendarmes, mais Leymarie (Renaud) avait disparu, Hélène resta toute la nuit près de la table où les fleurs, par la grande chaleur, se fanaient déjà. Elle ne mangea rien. Le maire envoya un cycliste à la gare de Thiviers, alerta les gendarmes, mais Leymarie (Renaud) avait disparu, Hélène resta toute la nuit près de la table où les fleurs, par la grande chaleur, se fanaient déjà. Elle ne mangea rien. Un jour passa, puis une semaine, puis un mois. II y a maintenant

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plus de deux ans depuis ce jour tragique et elle n'a jamais entendu parler de son mari.

J'écris cette histoire dans l'espoir qu'il la lira, et reviendra.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser :

adopter qqn avertir qqn de qqch croire à qqn dominer qqch épargner qqch à qqn faire partie de se glisser se refaire une vie se représenter qqch toucher a qqch anxiété n.f.

avis n,f. réfugié, e n.m.f. reproche n.m. réserve n.f. vallée n.f. excité, e adj. jaloux adj. orgueilleux adj. sensible adj. jadis adv.

II. Dites comment on appelle : une personne particulièrement attachée à qqn ; une personne aimante, humaine et tendre ; une personne peu bavarde, ayant de la réserve ; une personne fière, qui a un sentiment élevé de dignité ; une personne exaltée et emportée.

III. Terminez les phrases en ajoutant les contraires des mots soulignés :

Vous voyez ces deux garçons sur la photo? Ce sont des frères, mais ils sont tout à fait différants. Celui-ci est maigre et épuisé de fatigue et celui-là est ... et ... . L’un est anxieux, jaloux et orgueilleux et l’autre est ... ... et ... . Le premier est très réservé et le second est ... .

IV. Trouvez dans le texte les équivalents français des expressions ci-dessous : состоять, восхищать всех, быть совершенно правым, радовать, быть местным, бросаться в глаза, начать с нуля, прибрать, просмотреть, продавать из-под полы.

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V. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) L’intelligence et la sagesse de cette femme .... 2) Venez dimanche, votre visite me .... 3)L’air égaré de l’homme, ses vêtements tachés ... des passants. 4) L’appartement est tellement sale, il est grand temps de .... 5) Cet article est introuvable, vous ne l’achèterez que .... 6)Le garçon ... de l’équipe d’athlétisme de sa ville. 7) Vous ... de nous avertir de ses intentions : nous allons prendre nos mesures. 8) Je connais mal cette ville : je .... 9) Tu as raté ton affaire, mais tu es encore jeune et pourras .... 10) La jeune fille ... de sa garde-robe et a arrêté son choix sur un tailleur strict qui, à son avis, convenait le mieux pour la situation.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Les prisonniers français que le train ramenait d'Allemagne, étaient tout agités , mais heureux de revoir bientôt leur famille. 2) Il est parti sans en prévenir personne. 3) Ne m’imposez pas vos explications, tout est déjà décidé. 4) Autrefois , leur ménage étaient heureux. 5) L’enfant a adroitement pénétré sous la clôture du jardin. 6) Sa femme le critique souvent de ne pas s’occuper suffisamment de leurs enfants. 7) Dans le village on a traité les nouveaux arrivés comme ses proches , tant ils étaient gentils. 8) Il s’en est allé pour repartir à zéro . 9) Nous sommes membres d’une association estudiantine. 10) Le jeune employé a parlé aux visiteurs avec beaucoup de discrétion .

VII. Faites attention à l’absence de l’article dans les groupes de mots : o avec amour. Relevez dans le texte de la nouvelle les autres groupes de

mots de ce type. Formez-en d’autres.o être épuisé de fatigue. Relevez dans le texte de la nouvelle les autres

groupes de mots de ce type. Traduisez en français: дрожать от холода, умирать от голода, краснеть от стыда, страдать от жажды, бледнеть от страха, смеяться от радости, кричать от боли, не помнить себя от счастья, валиться с ног от усталости.

VIII. Conjuguez au présent et au passé simple les verbes avertir et croire, nommez leur participe passé. Faites-les entrer dans des

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phrases.IX. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur : 1)«   La retrouveront-ils semblable, fidèle ? Qui aura-t-elle vu,

qu'aura-t-elle fait pendant cette longue solitude ? La reprise de la vie en commun sera-t-elle possible ? » 2)«Et puis, suppose même qu'il y ait eu quelque chose... » 3)« Je l'aurais cru, madame, je l'aurais cru... Mais vous les avez toutes désarmées... » 4)«  Si j'apprenais, au retour, qu'il y a eu la moindre chose... — Qu'est-ce que tu ferais ? Tu la tuerais ? » 5)« Mais je disparaîtrais. J'irais vivre ailleurs, sous un faux nom. Je lui laisserais l'argent, la maison... J'ai besoin de rien... Je me referais une vie... » 6)« Quelle robe mettrait-elle ? […] elle mettrait une robe noire qu'elle s'était taillée elle-même et qu'elle égaierait par un col et une ceinture de couleur. » 7)« La petite maison des Leymarie était isolée et se trouvait tout au bout du village, de sorte que personne ne vit un soldat maigre, aux yeux ardents, se glisser dans le jardin. »

X. Rendez au discours indirecte la conversation de Renaud Leymarie et de Sturnin dans le train.

XI. Relevez dans le texte de la nouvelle les phrases contenant les pronoms démonstratifs et traduisez-les.

XII. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) С тревогой он думал о том, что его ожидает. 2) После

поездки дети были так возбуждены, что вечером их еле уложили. 3) Очевидно, этот мужчина родом из Испании. Посмотрите на эти черные, лихорадочно блестящие глаза, на его страстное лицо! 4) Упрёки жены вызывали у него тоску. 5) Ваши упрёки напрасны, нас никто не предупредил о вашем приезде. 6) Что можно сказать об этой семье? Знаю только, что их совместная жизнь была безоблачна. 7) Он вытащил из кармана потрепанный бумажник, раскрыл его и достал извещение. 8) Можешь ли ты представить себе, что он им ответил. 9) Никто не заметил, как незнакомец проскользнул в дом.10) Поскольку любимое платье мужа болталось на ней, Элен надела чёрное, которое скроила сама. 11) Это в её характере: звонить всем друзьям сына, если он чуть задержится. 12) Красота, сдержанность этой женщины покоряли всех. 13) Раньше в этом здании размещалась школа.14) Он был

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очень ревнив и часто устраивал скандалы жене, которая, между тем, была верной и любящей. 15) Гордый и чувствительный, он не мог смириться с обидой.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Présentez les personnages principaux de la nouvelle (nom,

âge, profession, état civil, résidence, portrait physique). L’auteur brosse le portrait de Renaud, mais ne dit que très peu sur l’apparence d’Hélène. Comment vous l’imaginez-vous ?

III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Quand et où se passe l'action de la nouvelle ?2. Comment est l’ambiance dans le train ramenant les prisonniers français d’Allemagne ? Par quoi peut-on expliquer l’excitation qui y règne ?3. Comment était la vie du couple Leymarie avant la guerre?4. Comment a-t-elle été pour chacun d’eux durant les années de guerre ?5. Comment expliquez-vous l'inquiétude de Renaud ? Sur quoi, selon vous, est basée la conviction de Renaud qu’il n’allait pas à la cheville de sa femme ?6. Pour quelle raison, le maire de Chardeuil, a-t-il averti Hélène du retour de son mari? Quel rôle a-t-il joué dans la vie des Leymarie ?7. Qu’est-ce que Hélène fait pour préparer un bon retour à son mari ? (Donnez une réponse détaillée.) Quelle ambiance cherchait-elle à créer et pourquoi?8. Quels sentiments Renaud, éprouve-t-il en pénétrant enfin après une longue absence dans son jardin ? Qu’est-ce qui lui a causé un grand choc ?9. Dans quel but l'auteur a-t-il écrit cette histoire?

VII. En vous basant sur le texte caractérisez les personnages principaux de la nouvelle. Quelle est l’attitude de l’auteur envers ses héros ? Dites ce que vous-même, vous pensez d’eux.

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VIII. Que pensez-vous de cette histoire ? Croyez-vous possible que Renaud revienne un jour? Si oui, comment voyez-vous cette scène? Si c'est non, parlez du sort de Renaud et de sa femme.

IX. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.

A D I S C U T E R

Lisez les propos de F. Sagan et dites ce que pour elle est l’amour, quelle est l’attitude de l’écrivain envers la jalousie, et quel seul « remède » lui trouve-t-elle.

F. Sagan “REPONSES” Si la fidélité en amour me paraît possible, bien que difficile, la jalousie

est un sentiment qui m’a toujours horrifiée.J’ai connu des gens qui étaient jaloux et cela m’a paru une chose

terrible pour eux, toujours destructrice. Ils souffrent, ils font souffrir et cela déforme tout.

Je crois que la jalousie, quant elle est acceptée par la personne qui en ressent, acceptée et défendue comme une vertu, devient un mal effrayant.

L’amour c’est la confiance. Un amour basé sur la jalousie est un amour fichu parce qu’on y fait entrer la bataille, la lutte.

Je suis pour l’amour-confiance complet. Le jaloux doit cacher sa jalousie. Sinon, il n’y a d’autre à faire que

fuir. Partir. La fuite est saine aussi pour la jalousie.Il est soulagé, car la jalousie se nourrit de la présence. Dès que l’être

qu’on aime est à côté de vous, le chercher dans la ville, partout, est un reflex. S’il est au diable et qu’on ne peut rien faire, il se produit un dessèchement de l’imagination.

Exprimez votre propre opinion sur le problème.

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LE TESTAMENTLe Château de Chardeuil ayant été acheté par un industriel que

la maladie et la vieillesse contraignaient à chercher une retraite campagnarde, tout le Périgord ne parla bientôt plus que du luxe et du goût avec lesquels cette maison avait été restaurée. Les jardins surtout, disait-on, étaient admirables. Un architecte et paysagiste, venu de Paris, avait barré la vallée de la Loue pour créer un lac artificiel, et fait de Chardeuil un second Versailles.

Les beaux jardins sont rares en cette province rustique et pauvre où la plupart des châtelains imitent les Saviniac qui font de leur parc un potager. Les parterres de Chardeuil soulevèrent jusqu'à Brive, jusqu'à Périgueux et même jusqu'à Bordeaux une intense curiosité. Pourtant, lorsque après un an de travaux les nouveaux propriétaires vinrent habiter le pays, les visiteurs furent moins nombreux que l'on aurait pu s'y attendre. Le Périgord n'accueille les nouveaux venus qu'à bon escient et nul ne savait qui était cette Mme Bernin.

Elle semblait avoir à peine trente-cinq ans, alors que son mari en portait au moins soixante-cinq. Elle était assez belle, et, jusque dans cette solitude, changeait de robe trois fois par jour. Cela ne paraissait pas naturel et d'abord les châteaux pensèrent qu’elle était, non la femme de Bernin, mais sa maîtresse. Quand Mme de la Guichardie, souveraine sociale de cette, région, et qui, bien qu'elle vécût en province depuis la guerre, connaissait à merveille son Paris, affirma que Mme Bernin était bien Mme Bernin et qu'elle descendait d'une modeste, mais décente famille bourgeoise, les châteaux acceptèrent cette version, car nul, sur un tel sujet, n'eût osé contredire une femme puissante et bien informée. Cependant beaucoup de familles continuèrent à professer en secret une doctrine hérétique et, à, penser que, si Mme Bernin s'appelait bien Mme Bernin, elle n'était pourtant qu'une maîtresse épousée sur le tard.

Gaston et Valentine Romilly, voisins les plus proches des Bernin puisque, de la colline de Preyssac, on aperçoit les tours de

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Chardeuil, estimèrent qu'ils avaient moins que personne le droit de se montrer sévères et, puisque les Bernin avaient mis des cartes à Preyssac et que Mme de La Guichardie leur donnait toute licence d'être polis, ils décidèrent de rendre la visite.

Ils furent d'autant mieux reçus qu'ils étaient parmi les premiers visiteurs. Non seulement les nouveaux châtelains les retinrent jusqu'à l'heure du thé, mais ils offrirent aux Romilly de leur faire visiter la maison, les jardins, les communs. Gaston et, Valentine Romilly sentirent que ces deux êtres commençaient à souffrir de posséder tant de perfection sans, pouvoir la communiquer.

Bernin gardait, de sa royauté de chef d'usine, un ton assez autoritaire et l'habitude d'affirmer de façon tranchante ses opinions sur les sujets les moins connus de lui, mais il semblait brave homme. Valentine fut touchée par la tendresse qu'il montrait, pour sa femme, petite blonde, grasse, douce et gaie. Mais Mme Romilly fut choquée quand, pendant la visite du premier étage, ayant loué la surprenante transformation en un temps si court de cette maison, admiré les salles de bains qui s'étaient nichées dans l'épaisseur des vieux murs et les ascenseurs logés dans les tourelles, elle s'entendit répondre par Mme Bernin:

— Oui, Adolphe a tenu à ce que tout fût parfait... Pour le moment, bien sûr, Chardeuil n'est pour nous qu'une maison de campagne, mais Adolphe sait que c'est ici que je compte vivre après sa mort, le plus tard possible, bien entendu, et il veut que j'y sois aussi confortable que dans une maison de ville. Vous savez peut-être qu'il a, d'un premier mariage, plusieurs enfants?... Aussi a-t-il pris ses précautions; Chardeuil a été mis à mon nom et m'appartient entièrement.

Dans un pré voisin de la maison, les bâtiments d'une ancienne ferme avaient été transformés en écuries. Gaston admira la beauté des chevaux, la tenue parfaite des harnais, les palefreniers impeccables.

— Les chevaux sont mon plus grand plaisir, dit Mme Bernin avec animation. Papa, qui avait fait son service dans les cuirassiers,

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mettait ses enfants en selle dès le berceau.Elle flatta de la main une croupe brillante, puis soupira: — Evidemment, dit-elle, ce sera une grande dépense que

d'entretenir cette cavalerie... Mais Adolphe y a pensé; dans le testament, il est prévu qu'une fondation spéciale s'occupera, dans le parc de Chardeuil, de l'amélioration de la race chevaline... Ce sera tout à fait hors part, n'est-ce pas, Adolphe? Et de cette manière, vous comprenez, j'échapperai,; sur ce chapitre, aux impôts.

Les jardins n'étaient pas encore achevés, mais déjà l'on pouvait deviner le dessin général des parterres. De belles statues marquaient les points vers lesquels l'architecte souhaitait, diriger les regards. Au milieu d'un long bassin rectangulaire, sur une île artificielle en ciment armé, des ouvriers dressaient des colonnes romantiques. Les promeneurs suivirent une longue allée de châtaigniers. Elle débouchait sur un groupe de maisonnettes, bâties dans le style des fermes périgourdines et couvertes de vieilles tuiles.

— Je ne connaissais pas ce village, dit Valentine.— Ce n'est pas un village, dit Mme Bernin en riant, ce sont les

communs. C'est Adolphe, qui a eu l'idée de les bâtir ainsi, par maisons séparées... Et vous allez voir comme c'est ingénieux, à mon point de vue, pour l'avenir: nous avons quelques couples de domestiques dévoués que je tiens à garder, même. quand, je serai seule... Eh bien, Adolphe léguera à chacun d'eux la maison qu'il occupe, avec une clause annulant ce legs s'il. quitte mon service... De cette façon, non seulement ils sont liés à moi, mais ils se trouvent en partie payés sans que j'aie un sou à débourser... C'est une merveilleuse garantie pour moi... Et c'est hors part, naturellement. Ses enfants ne peuvent rien dire.

— Croyez-vous, Madame? Est-ce légal? demanda Gaston Romilly.

— Ah! Monsieur; vous ne connaissez pas Adolphe... Il a cherché une rédaction convenable, avec son homme d'affaires,

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pendant des heures. Vous ne pouvez pas imaginer combien il est plein d'attentions, avec son air d'ours... N'est ce pas, Adolphe?

Elle passa son bras sous celui du vieillard, qui grogna tendrement. Cette promenade fût longue, car on ne fit grâce aux visiteurs ni de la ferme, ni de la laiterie modèle, ni du poulailler aux espèces rares où des centaines de poules merveilleusement blanches gloussaient. Quand enfin les Romilly se retrouvèrent seuls dans leur voiture, Valentine parla:

— Eh bien? demanda-t-elle. Que dis-tu de ces gens-là? — Bernin me plaît, dit Gaston, il est bourru, trop content de

lui, mais je le crois authentiquement bon... Elle est assez bizarre.— Bizarre? dit Valentine... Je la trouve effrayante... Le

testament par ci... Le testament par là... „Quand je serai seule. Le plus tard possible"... Cette conversation tenue devant un malheureux sur tout ce qui se passera au moment de sa mort!... Vraiment c'était pénible... je ne savais que dire.

Ils restèrent assez longtemps silencieux tandis que la voiture longeait les prés brumeux et les peupliers de la vallée. Gaston, qui conduisait, surveillait la route encombrée d'enfants sortant des écoles. Enfin il dit:

— Tout de même... C'est assez raisonnable, cet ensemble de précautions qu'il a prises pour que sa femme fût parfaitement tranquille après sa mort... En l'écoutant, je pensais à nous... J'ai eu tort de ne pas faire de testament; je vais m'en occuper.

— Quelle idée, chéri!... Elle me fait horreur!... D'abord c'est moi qui mourrai la première.

— Pourquoi? Tu n'en sais rien. Tu es plus jeune que moi. Tu n'as aucune maladie... Moi, au contraire...

— Tais-toi... Tu es un malade imaginaire... Tu te portes à merveille et d'ailleurs, si tu mourais, je ne voudrais pas te survivre... Que serait ma vie sans toi? Je me tuerais.

— Comment peux-tu dire de telles folies, Valentine? C'est absurde. Tu sais très bien que l'on ne meurt pas d'un deuil, si

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douloureux soit-il... Et puis tu n'as pas que moi au monde; il y a Colette, son mari... Il y a tes petits-enfants.

Colette a fait sa vie... Elle n'a plus besoin de nous... — Justement... C'est une raison pour que je prenne, moi, des

précautions en ta faveur.De nouveau ils se turent parce que la voiture traversait un

banc de brume plus épais, puis Valentine reprit, à voix très basse:— Il est certain que, si le malheur voulait que je te survive de

quelques mois, je serais plus tranquille si j'avais... oh! pas un testament... cela me paraîtrait de mauvais augure... non... Un simple papier spécifiant que Preyssac et ses terres devront, en tout cas, rester en ma possession jusqu'à ma mort. Notre gendre est très gentil, mais c'est un Saviniac... Il tient de son père... Il aime la terre... Il serait très capable de vouloir arrondir les siennes à mes dépens et de m'envoyer vivre dans une petite maison, n'importe où... Cela me serait douloureux...

— Il ne faut pas que cela soit possible, dit Gaston, un peu sombre... Je suis tout prêt à signer tous les papiers que tu voudras et même à te laisser Preyssac par testament... Seulement est-ce légal? Je veux dires est-ce que la valeur de Preyssac n'est pas plus grande que celle de ta part?

— Un peu, mais c'est facile à régler, dit Valentine... quand tu voudras.

— Comment? dit-il. Tu as déjà posé la question à Maître Passaga?

— Oh! par hasard, dit Valentine.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser : contraindre qqn à f. qqch s’attendre à qqch contredire qqn survivre à qqn oser f. qqch

estimer v. intr. tenir à faire qqch tenir de qqn léguer qqch à qqn échapper à qqch

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accueillir qqn être touché par château n.m. communs n. m. pl. testament n,m. (faire le ~, laisser le ~) propriétaire n.m.

faveur, n.f. ( en ~ de qqn) ingénieux adj. légal adj. décent adj. bourru adj. bizarre adj. hors prép.

II. Dites comment on appelle : une personne qui a un esprit inventif, adroit, habile ; une personne qui paraît étrange aux autres ; une personne qui est peu aimable, peu civile ; une personne terrible, qui inspire de l’effroi.

III. Trouvez dans le texte les  équivalents français des expressions ci-dessous : сознательно, оказать милость, принять меры предосторожности, совершенно, служить (в армии), перевести на к-л, навестить, оживлённо, частично оплаченный, железобетонный, по моему мнению.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Elle a tout fait visiter ... aux visiteurs ni de la ferme, ni du potager, ni des écuries. 2) Il a téléphoné à l’aube et a dû attendre quelques minutes que son ami soit ... réveillé pour comprendre ce qu’on voulait de lui. 3) Pour éviter les impôts sur le legs à ses enfants, il a mis il ... tous ses bien à leur ... de son vivant. 4) Les jeunes gens étaient joyeux et discutaient .... leurs projets de vacances. 5) Qu’est-ce que c’est que cette bâtisse grise en ... ? 6) Il s’est décidé à se retirer à la campagne ... . 7) Il y a une épidémie de grippe. .... .... pour l’éviter. 8) Le jeune homme ... dans l’infanterie. 9) Les travaux de reconstructions ont été ... par les sponsors. 10) ... , il ne valait pas la peine de venir au cinéma pour voir un film si ennuyeux.

V. Conjuguez au présent les verbes contraindre et survivre, nommez leur participe passé. Faites- les entrer dans des phrases.

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VI. Précisez la différence de sens des verbes tenir à qqn, à qqch et tenir de qqn, de qqch. Donnez leurs synonymes. Mettez les prépositions à ou de :

1) Je tiens ... indiquer mon sentiment sur une question qui n'aurait jamais du être posée. 2) Elle avait un charme indéniable qui tenait ... sa fraîcheur, ... un air de santé rustique. 3) II tient ... son père, comme lui, il aime la terre. 4) J’ai près de moi tout ce ... quoi je tiens. 5) Mous avons quelques couples de domestiques dévoués que je tiens ... garder. 6) Oui, Adolphe a tenu ... ce que tout soit parfait. 7) Tout le monde s'accorde à dire que je tiens beaucoup ... l'oncle Samuel. 8) David Martin sait qu'il tient physiquement ... son père: "J’ai aussi hérité de son caractère". 9) Je tiens ... vous dire ma reconnaissance pour votre aide. 10) Cette information est absurde. ... la tenez-vous ?

VII. Répondez aux questions suivantes en employant les pronoms qui conviennent :

1) Tenez-vous à vos amis? 2) Tenez-vous à ce cadeau? 3) Parle-t-on du luxe de ce château? 4) Etes-vous prêt au départ? 5)Veut-elle s'occuper de cette affaire? 6) S'attendait-elle à cette visite? 7) Pense-t-il à son avenir? 8) Renonce-t-il à son testament ? 9) Pensez-vous à vos parents? 10) Il a légué à sa femme tous ses biens.

VIII. Traduisez les groupes de mots formés à l’aide de la préposition hors : hors part, hors-la-loi, hors pair, hors-concours, hors d’usage, hors la ville (de la ville), joueur hors jeu, hors de soi, il est hors de doute que, hors de danger, hors du sujet.

IX. Replacez les groupes de mots qui conviennent :1) C’est un poète ... . 2) Il a été admis à l’université ... . 3)

L’ascenseur dans notre maison est ... depuis déjà une semaine. 4) Le vieux couple a préféré vivre au calme ... . 5) Après son terrible crime il a été mis ... . 6) ... que le temps va bientôt s’améliorer. 7) Impossible de lui parler : il est ... 8) Entre les murs de leur maison ils se sentaient ... . 9) Votre réplique est ... . 10) L’arbitre a mis le footballeur ... .

X. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

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1) M. Bernin était obligé de vivre à la campagne. 2) Le mari avait au moins soixante-cinq. 3) Personne ne risquait contredire Mme de la Guichardie, une femme puissante et bien informée. 4) Gaston et Valentine Romilly, voisins les plus proches des Bernin crurent possible de rendre la visite aux Bernin. 5) Les écuries ne seront pas inclues dans le testament, parce qu’une fondation spéciale s'en occupera, et de cette manière Mme Bernin évitera les impôts. 6) Adolphe Bernin était un homme adroit . 7) Il y avait quelques couples de domestiques fidèles que Mme Bernin tenait à garder. 8) Gaston et Valentine Romilly sentirent que leur nouveaux voisins commençaient à souffrir d’avoir tant de perfection sans pouvoir la communiquer. 9) Bernin avait l'habitude d'affirmer catégoriquement ses opinions sur les sujets les moins connus de lui. 10) Valentine Romilly prétendait qu’elle ne vivrait que quelques jours après la mort du mari. M. Romilly était prêt à laisser leur château à sa femme par testament .

XI. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1) « Mme de la Guichardie bien qu'elle vécût en province depuis

la guerre, connaissait à merveille son Paris » 2) « Nul n'eût osé contredire une femme puissante et bien informée. Adolphe a tenu à ce que tout fût parfait.» 3) «C'est ici que je compte vivre après sa mort et il veut que j'y sois aussi confortable que dans une maison de ville.» 4) «C'est assez raisonnable, cet ensemble de précautions qu'il a prises pour que sa femme fût parfaitement tranquille après sa mort.» 5) «C'est une raison pour que je prenne, moi, des précautions en ta faveur. » 7)« Il est certain que, si le malheur voulait que je te survive de quelques mois, je serais plus tranquille si j'avais... oh! pas un testament... cela me paraîtrait de mauvais augure... » 8) «  Il ne faut pas que cela soit possible. »

XII. Traduisez en français en employant le lexique étudié:I) Юноша был хорошо воспитан и из приличной семьи, и

никто не ожидал, что он оставит службу со скандалом. 2) Чтобы создать искусственное озеро, они перекрыли долину реки. 3) Я бы не осмелилась противоречить этому человеку. 4) Новый владелец дома был тронут добротой слуг. 5) Таким образом, мне удалось избежать неприятностей. 6) Мы были тронуты той нежностью, которую он проявлял к своей жене. 7) В чью пользу

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Вы сделали завещание? 8) Ожидали Вы такой теплый прием? 9) Она его не переживет. 10) Рассказ об этой семье вызвал наше любопытство, и мы решили с ними познакомиться. 11) Этот замок принадлежал королевской династии. 12) Он любит рассуждать о вещах, в которых меньше всего разбирается. 13) Все сочли, что завещание действительно законно. 14) Он принял все предосторожности, чтобы завещание было законным. 15) Владелец замка перевёл всё поместье на имя своей жены.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Décrivez en détails le château restauré. Qu’est-ce que vous

savez de Versailles avec lequel on le compare.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Pourquoi les visiteurs ne sont pas nombreux chez les Bernin malgré l’immense curiosité dans le pays suscitée par les travaux de restauration ?

2. Pourquoi les Romilly ont-ils décidé de rendre la visite aux Bernin? Comment les Romilly étaient-ils reçus?

3. Pourquoi Mme Romilly était-elle choquée pendant la visite du premier étage?

4. Pourquoi Mme Bernin en parlant de son mari emploie-t-elle le mot ingénieux ?

5. Pourquoi M. Bernin a-t-il eu l'idée de bâtir les communs par maisons séparées?

6. Les Romilly, quelles impressions ont-ils gardées de la visite et de Mme Bernin? Comment Gaston Romilly trouvait-il les précautions que M. Bernin avait prises pour assurer une vie confortable à sa femme après sa mort ?

7. A quel moment et pourquoi Gaston Romilly devient-il un peu sombre ?

V. Présentez les personnages principaux de la nouvelle. Caractérisez-les. Comparez le portrait moral de Mme Romilly avec

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celui de Mme Bernin. Quelle est votre attitude envers ces deux femmes ?

VI. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle lue.

A D I S C U T E R

Le testament, un acte unilatéral, révocable jusqu’au décès de son auteur, par lequel celui-ci dispose des biens qu’il laissera en mourant, est un fait absolument ordinaire et courant en France.

De même que le contrat de mariage, fixant le régime des biens des époux pendant le mariage. Le rôle du contrat de mariage est de répertorier les biens propres à chacun avant le mariage, de définir le sort de ceux acquis pendant la vie commune et de déterminer la part qui reviendra à chacun en cas de décès ou de divorce. Faire un contrat de mariage n’est pas considéré pas les Français comme mesquin : pour la réussite du couple, il est préférable de mettre les cartes sur la table et de se protéger au maximum. Un contrat de mariage n’est pas figé une fois pour toute, mais il faut attendre au moins deux ans avant de pouvoir le modifier.

Comment vous, considérez-vous le contrat de mariage ? Seriez-vous enclin à signer un contrat de mariage avec votre futur époux ? Quels sont vos pour et vos contre ?

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LA CARTE POSTALE— J'avais quatre ans, dit Nathalie, quand ma mère quitta mon

père pour épouser ce bel Allemand. J'aimais beaucoup papa, mais il était faible et résigné; il n'insista pas pour me garder à Moscou. Bientôt, contre mon gré, j'admirai mon beau-père. Il montrait pour moi de l'affection. Je refusais de l'appeler Père; on finit par convenir que je le nommerais Heinrich, comme faisait ma mère.

Nous restâmes trois années a Leipzig, puis maman dut revenir à Moscou pour arranger quelques affaires. Elle appela mon père au téléphone, eut avec lui une conversation assez cordiale et lui promit de m'envoyer passer une journée chez lui. J'étais émue, d'abord de le revoir, et aussi de retrouver cette maison où j'avais tant joué et dont je gardais un merveilleux souvenir.

Je ne fus pas déçue. Le suisse devant la porte , la grande cour pleine de neige ressemblaient aux images de ma mémoire... Quant à mon père, il avait fait des efforts immenses pour que cette journée fût parfaite. Il avait acheté des jouets neufs, commandé un merveilleux déjeuner et préparé pour la nuit tombante un petit feu d'artifice dans le jardin.

Papa était un homme très bon, mais d'une maladresse infinie. Tout ce qu'il avait organisé avec tant d'amour échoua. Les jouets neufs ne firent qu'aviver mes regrets de jouets anciens que je réclamai et qu'il ne put retrouver. Le beau déjeuner, mal préparé par des domestiques que ne surveillait plus aucune femme, me rendit malade. Une des fusées du feu d'artifice tomba sur le toit, dans la cheminée de mon ancienne chambre et mit le feu à un tapis. Pour éteindre ce commencement d'incendie, toute la maison dut faire la chaîne avec des seaux et mon père se brûla une main, de sorte que ce jour qu'il avait voulu si gai me laissa le souvenir de flammes terrifiantes et de l'odeur triste des pansements.

Quand le soir ma Fräulein vint me rechercher, elle me trouva en larmes. J'étais bien jeune, mais je sentais avec force les nuances de sentiments. Je savais que mon père m'aimait, qu'il avait fait de son

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mieux et qu'il n'avait pas réussi. Je le plaignais et, en même temps, j'avais un peu honte de lui. Je voulais lui cacher ces idées, j'essayais de sourire et je pleurais.

Au moment du départ, il me dit que c'était l'usage en Russie de donner à ses amis, pour Noël, des cartes ornées, qu'il en avait acheté une pour moi et qu'il espérait qu'elle me plairait. Quand je pense aujourd'hui à cette carte, je sais qu'elle était affreuse. En ce temps-là j'aimai, je crois, cette neige pailletée faite de borate de soude2, ces étoiles rouges collées derrière un transparent bleu de nuit et ce. traîneau qui, mobile sur une charnière de carton, semblait galoper hors de la carte. Je remerciai papa, je l'embrassai et nous nous séparâmes. Depuis il y a eu la Révolution et je ne l'ai jamais revu.

Ma Fräulein me ramena jusqu'à l'hôtel où étaient ma mère et mon beau-père. Ils s'habillaient pour dîner chez des amis. Maman, en robe blanche, portait un grand collier de diamants. Heinrich était en habit. Ils me demandèrent si je m'étais amusée. Je dis sur un ton de défi que j'avais passé une journée admirable et je décrivis le feu d'artifice sans dire un mot de l'incendie. Puis, sans doute comme preuve de la magnificence de mon papa, je fis voir ma carte postale.

Ma mère la prit et, tout de suite, éclata de rire:— Mon Dieu! dit-elle. Ce pauvre Pierre n'a pas changé... Quelle

pièce pour le musée des Horreurs!Heinrich, qui me regardait, se pencha vers elle, le visage fâché:— Allons, dit-il d’une voix basse, allons... Pas devant cette

petite. Il prit la carte des mains de ma mère, admira en souriant les paillettes de neige, fit jouer le traîneau sur sa charnière et dit:

— C'est la plus belle carte que j'ai jamais vue; il faudra la garder avec soin.

J'avais sept ans, mais je savais qu'il mentait, qu'il jugeait comme maman cette carte affreuse, qu'ils avaient raison tous deux et que Heinrich voulait, par pitié, protéger mon pauvre papa.

Je déchirai la carte et c'est depuis ce jour que j'ai détesté, mon beau-père.

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EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser : arranger qqch convenir v.itr. insister sur qqch, pour f. qqch échouer v.itr. refuser de f.mentir à qqn surveiller v.itr. protéger qqn

défit n.m. (un ton de défit) preuve n.f. maladresse n.f. résigné adj. cordial adj. déçu adj. affreux adj. fâché adj.

II. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : déception, maladresse, résignation, cordialité, magnificence, perfection, merveille, transparence, admiration. Faites entrer les adjectifs formés dans des phrases.

III. Trouvez dans le texte les équivalents français des expressions ci-dessous : против его воли, сердечный разговор, устроить свои дела, быть ужасно неловким, вызвать ещё большее сожаление, делать как можно лучше, встать цепочкой, стыдно за кого-либо, говорить с вызовом, в качестве доказательства, принято, с наступлением сумерек.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Cette conversation ... de l’occasion ratée. 2) On a ... avec des seaux pour éteindre l’incendie. 3) Il ... toujours au dépend des autres. 4) Elle est tout à fait charmante malgré ... . 5) Vous pouvez compter sur lui, il fera tout ... . 6) Il a été obligé de quitter sa ville ... . 7) ... de sa bonne volonté de nous aider, il a accepté toutes nos propositions. 8) Je n’aime pas cette personne ni sa manière de parler ... à tout le monde. 9) La jeune fille avait un peu ... de son petit frère et de ses bêtises. 10) Cette ... les a aidés à mieux se comprendre.

V. Précisez le sens du verbes garder dans le texte. Cherchez des équivalents russes des groupements des mots qui suivent :

garder des bestiaux, garder des enfants, garder à vue, garder un prisonnier, garder la chambre, garder son chapeau, garder qqn à dîner,

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garder son calme, garder le silence, garder rancune, garder une dent contre qqn, garder le jeûne, garder ses distances.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Elle s’est mariée l’année dernière avec un garçon de sa faculté. 2) Cet homme nous paraissait faible et soumis. 3) Il n'a pas pressé que l’enfant reste avec lui. 4) Bientôt, contre leur volonté, ils ont dû émigrer. 5) Au téléphone, nous avons eu une conversation bien amicale. 6) Tout ce qu'il avait organisé avec tant d'amour a raté. 7) Nous compatissons à ces gens malheureux. 8) C'était la tradition de se déguiser le mardi gras. 9) Nous comprenions qu'il ne disait pas la vérité. 10) Comme preuve de sa générosité, il a offert des cadeaux superbes à tous les enfants.

VII. Conjuguez au présent les verbes convenir et mentir, nommez leur participe passé. Faites-les entrer dans des phrases.

VIII. Rendez au discours indirecte la conversation de la mère de Nathalie et de son mari.

IX. Justifiez l'emploi des formes temporelles dans le fragment qui suit:

"J'avais quatre ans quand ma mère quitta mon père pour épouser ce bel Allemand. J'aimais beaucoup papa, mais il était faible et résigné; il n’insista pas pour me garder à Moscou. Bientôt, contre mon gré, j'admirai mon beau-père. Il montrait pour moi de l'affection. Je refusais de l'appeler Père; on finit par convenir que je le nommerais Heinrich, comme faisait ma mère. Nous restâmes trois années à Leipzig, puis maman dut revenir à Moscou pour arranger quelques affaires. Elle appela mon père au téléphone, eut avec lui une conversation assez cordiale et lui promit de m’envoyer passer une journée chez lui. J'étais émue, d'abord, de le revoir, et aussi de retrouver cette maison où j’avais tant joué et dont je gardais un merveilleux souvenir."

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:I) Вам следовало бы быть менее уступчивым. 2) Отчим питал к

девочке самые нежные чувства - привязанность и дружбу. 3) Мать отказалась оставить ребенка отцу, а тот и не настаивал. 4) Мне нужно уладить кое-какие дела. 5) Их разговор был очень задушевным. 6) Я разочарована: этот тип слишком неловок, чтобы понравиться. 7) Отец обожал дочь и старался все организовать как можно лучше. 8)

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Вызывающим тоном она бросила ему в лицо: "Ты лжешь! Ты не любишь его, а защищаешь только из жалости!" 9) Все его благие намерения пошли прахом. 10) Она повернула к нему свое сердитое лицо. II) В России принято посылать друзьям на Рождество нарядные открытки. 12) Он приложил огромные усилия, чтобы не провалиться на экзамене. 13) Из жалости дети подобрали собачку. 14) Он врал своим близким, чтобы их не огорчать. 15) Её часто упрекали в гордыне.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Quand et où se passe l'action de la nouvelle ?2. Pourquoi Nathalie vivait-elle en Allemagne à cette époque ?3. Quels auraient été les causes du divorce des parents de

Nathalie ?4. Comment étaient les relations de Nathalie et de son beau-père

avant leur voyage à Moscou ?5. Pourquoi Nathalie était-elle émue en apprenant qu’elle

passerait une journée chez son père ?6. Qu’est-ce que le père a organisé pour sa fille ? Pourquoi

Nathalie a-t-elle été déçue de cette journée ? Quel souvenir en a-t-elle gardé ? A-t-elle fait voir sa déception à son père ?

7. Pourquoi Nathalie a-t-elle venté à sa mère et à son beau-père la journée passée ?

8. Pourquoi leur a-t-elle fait voir la carte ornée offerte par le père ? Décrivez cette carte. Comment la fillette la trouvait-elle elle–même à cette époque ?

9. Comment la mère de Nathalie a-t-elle trouvé la carte ? Quel reproche lui a fait Heinrich ? Qu’est-ce que, lui, il a dit sur la carte ? Etait-il sincère ?

10. Quelle a été la réaction de Nathalie à la remarque du beau-père ? Interprétez sa conduite.

IV. Présentez les personnages principaux de la nouvelle. Caractérisez-les.

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V. Dites si la méthode pédagogique de Heinrich vous semble juste. Argumentez votre réponse.

VI. Que pensez-vous de la réplique de la mère à propos de la carte et de Pierre? Pourquoi Nathalie n’a-t-elle pas changer d’attitude envers la mère ?

VII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle lue.

A D I S C U T E R

Lisez les quelques chiffres, publiés par Francoscopie et dites votre opinion sur le divorce des couples ayant des enfants.

« Si le divorce est moins traumatisant pour les adultes, il reste une expérience difficile pour les enfants. Les enfants souffrent  davantage du divorce que leurs parents. 65 % des Français estiment pourtant préférable qu’un couple en difficulté ayant des enfants se sépare pour leur éviter de vivre dans un climat conflictuel. 25% seulement pensent que les enfants doivent être absolument épargnés et que c’est une raison suffisante pour ne pas divorcer.»

« 85% des enfants de divorcés connaissent l’expérience d’une nouvelle union de leur père et/ou leur mère. »

FrancoscopieDites ce que vous pensez de l’éducation des enfants dans de

nouvelles unions. Un beau-parent, doit-il y intervenir ? doit-il se substituer au parent absent ? Lisez le propos du psychiatre C. Castelain-Meunier et dites si vous partager son opinion ou en avez une autre.

« Pas facile, lorsqu’on est beau-parent, de trouver sa place par rapport à l’enfant de l’autre. Pourtant ce parent peut jouer un rôle non négligeable dans l’éducation du petit, à condition de ne jamais essayer de se substituer au vrai parent, de lui laisser toute sa place. Même si ce « vrai parent » avec qui l’enfant ne partage pas le même toit est défaillant ... Toutefois, le beau-parent participe à créer un contexte sécurisant et cela passe, forcément, par une relation basé sur la confiance, l’exercice de l’autorité, la compréhension. »

C. Castelain-Meunier « Et les beaux-parents »

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LA RENTRÉEDans la voiture, en roulant vers la gare, le petit Alain fut très gai.

Il n'avait jamais quitté la maison et l'idée d'entrer, comme interne, dans une école de montagne, ne lui déplaisait pas. Des camarades lui avaient raconté que l'on y travaillait moins qu'au lycée. Alain avait vu le directeur, M. Benzod, quand celui-ci était venu à Paris, et il l'avait trouvé doux et rassurant.

— Vous savez, papa, il a dit que, pendant l'hiver, les classes de l'après-midi sont supprimées et que les élèves patinent ou font du ski.

— J'espère que tu feras aussi un peu de latin, soupira M. Schmitt, tu en as besoin.

Sur le quai, devant un train aux voitures neuves et brillantes, Alain se mit à chanter de plaisir. Il était fier de son costume beige, de sa valise de cuir, de ses gants marron, fier surtout de partir en voyage seul avec son père.

— Qu'est-ce que nous allons faire dans le train, papa?— Pour moi, j'ai apporté du travail, mon petit... Toi? si tu veux,

je vais t'acheter des journaux illustrés... Tu n'as pas de livre?— Non, papa, mais ça ne fait rien... Je me promènerai dans le

couloir... Je regarderai la voie...Il disparut et revint, deux minutes plus tard, tout excité:— Papa! J'ai trouvé un camarade!... Jean-Louis Dujarrique... Il

est trois compartiments plus loin, avec sa mère.— Il rentre, lui aussi?— Oui, mais pas dans la même école que moi : lui, ça s'appelle le

Prieuré.— C'est dommage qu'il n'aille pas chez M. Benzod; vous auriez

été deux Français. Mais vous pourrez vous voir de temps à autre... En attendant, va le rejoindre et jouez ensemble pendant le voyage.

Bertrand Schmitt aimait les enfants, mais ne pouvait cacher son impatience quand son travail était interrompu par eux. Alain, qui connaissait l'air absent de son père, se hâta de disparaître. Le train roulait. M. Schmitt, quand il levait ses yeux distraits, voyait deux garçons de

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douze ans, passer et repasser dans le couloir, sur un fond de poteaux, de rivières, de collines. Une heure plus tard, Alain revint, très ému.

— Papa, vous savez ce qu'il m'a dit Jean-Louis? Qu'il est très malheureux dans son école... Que les grands sont cruels. Qu'on lui prend tout, ses livres, ses bonbons, et que, s'il résiste, ils le boxent ou le pressent contre un mur jusqu'à ce qu'il étouffe.

— Et pourquoi ne se défend-il pas?— Mais papa, il est le seul Français de l'école... Il a supplié sa mère

de ne pas le renvoyer au Prieuré, de le garder à la maison, à Paris, mais elle ne veut pas parce qu'elle vient de se remarier avec un Russe dont elle est amoureuse, le colonel Kiriline... et Jean-Louis la gêne.

Son père le regarda avec surprise.— Qui t'a raconté cette histoire?— Jean-Louis.— Jean-Louis a tort de parler de ses parents sur ce ton.— Sur quel ton, papa? Il m'a dit qu'il aime beaucoup sa maman,

qu'elle aussi l'aimait, que depuis la mort de son père elle s'est occupée de lui très bien... Mais maintenant elle est amoureuse.

— N'emploie pas des mots que tu ne comprends pas... Comment est-elle, cette M-me Dujarrique?

— Mais, papa, elle ne s'appelle plus M-me Dujarrique; elle s'appelle M-me Kiriline... Elle est très jolie... Voulez-vous que je vous conduise dans son compartiment? C'est tout près.

— Tout à l'heure, mon petit.— Papa, est-ce que vous croyez que, s'il y a des grands chez M.

Benzod, ils vont me battre?— J'espère bien que tu rendras les coups. D'ailleurs, M. Benzod

m'a paru être un homme énergique, qui doit maintenir la discipline dans son école... Va rejoindre ton ami.

A Dijon, M. Schmitt descendit sur le quai de la gare pour faire quelques pas et y trouva les deux enfants. Jean-Louis était un beau petit garçon, aux grands yeux tristes et profonds.

— Papa, je vous présente Jean-Louis.Bertrand Schmitt essaya de donner quelques conseils:

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— Si les grands vous persécutent, il faut aller à eux, faire amitié avec eux... Je ne pense pas qu'au fond ils soient méchants.

— Ces types-là? dit Jean-Louis... Ils se ficheraient rudement de moi... Si on ne dit pas comme eux, ils vous mettent en quarantaine...

Au départ, Alain remonta dans le compartiment de son père.— Savez-vous ce que me disait Jean-Louis, papa, au moment où

vous nous avez rejoints?... Il disait: „Je suis tellement malheureux de retourner dans cette boîte que je voudrais me jeter sous les roues, seulement je n'ose pas... Pousse-moi, Alain, tu me rendras service et je te laisserai toute ma fortune..." Parce que vous savez, comme il a perdu son papa, il a une fortune... Mais moi, je n'ai pas voulu.

— J'espère bien... Il est un peu fou, ton ami...— Non, il n'est pas fou... Vous savez, papa, il dit que si sa mère

se représentait sa vie là-bas, les batailles avec les grands et, le soir, dans son lit, quand il pleure, elle n'aurait pas le courage de le renvoyer dans cette école...

— Conduis-moi chez cette dame.M-me Kiriline était d'une beauté surprenante. Elle fit, d'une voix

douce, des remarques fines et mélancoliques sur l'enfance. Bertrand s'assit et ne quitta plus le compartiment. Quand le maître d'hôtel parut, il prit quatre tickets et les voyageurs déjeunèrent ensemble. Les enfants, silencieux, écoutaient les parents citer des titres de livres, des noms de musiciens. Ils se sentaient oubliés. De temps à autre, Jean-Louis regardait Alain et ses yeux semblaient dire: „Tu vois, c'est ainsi qu'elle est..." En sortant de table, Bertrand, sans y penser, entra dans le compartiment de M-me Kiriline et les enfants allèrent jouer dans le couloir.

— Nos fils font bon ménage, dit-elle... J'espère qu'ils pourront se voir un peu là-bas. Il hésita un instant.

— Je m'excuse, dit-il, de vous parler d'un sujet qui me regarde si peu, mais les hasards d'une confidence d'enfant m'en font presque un devoir... Vous ne vous rendez certainement pas compte de l'état d'esprit de votre fils... Savez-vous ce qu'il a dit au mien?

M-me Kiriline parut bouleversée. Par, la fenêtre on voyait les collines devenir des montagnes, les sapins succéder aux chênes, les

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chalets aux maisons, les torrents aux rivières.— Mon Dieu! dit-elle... Mais c'est affreux... Pauvre petit... Je

sentais bien qu'il n'aimait pas cette école, mais je mettais cela sur le compte de la paresse... Et surtout de la jalousie... Car il déteste mon mari, et il a tort, car que pourrais-je faire sans un homme dans la maison? Même pour lui, ce sera bientôt un précieux appui...

— Bien sûr, dit Bertrand, mais votre fils est un enfant; il ne raisonne pas.

Elle avait les yeux pleins de larmes.— Que faire? dit-elle. Pensez-vous que je devrais le ramener à

Paris et renoncer à ce projet? Mon mari serait si fâché... Il dit que je gâte Jean-Louis et que je le jetterai dans la vie très mal préparé... Je crois qu'il a raison. Jean-Louis est un petit garçon qui a trop d'imagination... Depuis ce mariage il croit qu'il est une victime... Ce n'est pas vrai, pas vrai du tout, mais quand un enfant s'est mis une idée dans la tête...

M-me Kiriline et son fils descendirent deux ou trois stations avant Bertrand. Quand ils furent partis, Alain resta quelques instants silencieux.

— Papa, dit-il enfin, si les grands sont trop méchants, je vous télégraphierai et vous viendrez me chercher, n'est-ce pas?

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots et des expressions ci-dessous, faites les entrer dans des phrases :

interne, n.m. déplaire, vi rassurant, e, adj. supprimer, vt excité, e, adj. rejoindre, vt impatience, n.f. interrompre, vt se *hâter de distrait, e, adj.

cruel, le, adj. résister à qqn boxer, vt étouffer, vi supplier qqn de faire qqch renvoyer, vt gêner, vt avoir tort énergique, adj.

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II. Dites comment on appelle : celui qui est de nature à rassurer, à redonner confiance ; celui qui est agité, énervé ; celui qui manque de patience, qui incapable de se contenir ; celui qui est dur, qui prend du plaisir à faire, à voir souffrir ; celui qui est inattentif ou étourdi.

III. Trouvez les équivalents français des expressions ci-dessous : отменить уроки, скрыть нетерпение, отсутствующий вид, поддерживать дисциплину, присоединиться к другу, выйти на перрон, ладить друг с другом, отдавать себе отчёт, принимать за (лень), вбить себе в голову, приехать за кем-либо.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Il ne pouvait pas ... de rester seul, tant ses invités l’avaient fatigué. 2) Le directeur était un homme énergique et parvenait à ... dans son établissement. 3) Pendant l’arrêt, les voyageurs ... pour faire quelques pas. 4) Le garçon cachait ses ennuies à sa mère qui ne ... même pas ... de son état d’esprit. 5) Les parants ... ... l’idée que leur enfant était prodigieux. 6) On ... pour une semaine dans les écoles, à cause de l’épidémie de la grippe. 7) Préoccupé de ses propres problèmes, il écoutait son interlocuteur avec ... . 8) Il avait hâte de ... ses amis qui l’attendaient au café. 9) Ils avaient des intérêts communs et ... . 10) La mère ... de la paresse la peur de l’enfant d’aller dans son école.

V. Précisez la différence de sens des verbes : présenter, se présenter, représenter, se représenter. Remplacez les points par un verbe convenable:

1) Pouvez-vous me ... à votre frère? 2) Les fresques de la grotte Lasqaux ... des troupeaux de chevaux, de cerfs, de bisons, de taureaux. 3) L'hôtesse de l'air nous a ... des bonbons sur un plateau. 4) Après ce brillant début, nous sommes heureux de vous ... nos félicitations sincères. 5) Le tableau de Sourikov "Menchikov en exil" ... le vieux courtisan entouré de ses enfants. 6) Les ouvriers sont en grève; aucun d'eux ne ... demain au travail. 7) Lа photo qu'il contemplait ... la maison qu'il connaissait bien. 8) II ... avec netteté 1a paya où s'était écoulée son enfance. 9) D’après votre description il est facile de ...

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cette scène. 10) La vieille femme ne ... la mer qu’à travers les photos entrevues.

VI. Conjuguez les verbes rejoindre, interrompre, se défendre au présent et au passé simple. Indiquez le participe passé des verbes donnés. Faites-les entrer dans des phrases.

VII. Justifiez l'emploi des modes et des temps dans les phrases suivantes:

1) C'est dommage qu'il n'aille pas chez M. Benzod, vous auriez été deux Français. 2) Voulez-vous que je vous conduise dans son compartiment? 3) Je ne pense pas qu'au fond ils soient méchants. 4) Si sa mère se représentait sa vie là-bas, les batailles avec les grands et, le soir, dans son lit, quand il pleure, elle n'aurait pas le courage de le renvoyer dans cette école. 5) "Que faire? dit-elle. Pensez-vous que je devrais le ramener à Paris et renoncer à ce projet? Mon mari serait si fâché". 6) "Papa, dit-il enfin, si les grands sont trop méchants, je vous télégraphierai et vous viendrez me chercher, n'est-ce pas?"

VIII. Mettez une forme d'article qui convienne : 1) Pour moi, j'ai apporté ... travail, mon petit. 2) A la maison, on a

toujours ... travail. 3) Je vous remercie pour ... travail bien fait.4) Depuis trois mois, il cherche ... travail. 5) On vous sait gré, Monsieur, de ... travail que vous avez fait. 6) Je n’ai pas ... travail, je suis chômeur. 7) On a toujours beaucoup ... travail avec ces gosses. 8) Le garçon avait trop ... imagination. 9) ... imagination déforme, colore la réalité. 10) Pour la création artistique il faut avoir ... imagination.

IX. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Le garçon disparut et revint, deux minutes plus tard, tout excité.

2)Alain, qui connaissait l'air absent de son père, se hâta de disparaître. 3) Il voyait deux garçons passer et repasser dans le couloir. 4) Les grands sont cruels. Ils lui prennent tout, ses livres, ses bonbons, et s'il résiste, ils le boxent. 5) J'espère bien que tu rendras les coups. 6) Ils se fichent de moi... 7) Si on ne dit pas comme eux, ils vous mettent en quarantaine... 8) Nos fils font bon ménage. 9) Si les grands vous persécutent, il faut aller à eux, faire amitié avec eux... 10) Si sa mère se représentait sa vie là-bas, elle n'aurait pas le courage de le renvoyer dans cette école...

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X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:I) Этот человек мне не нравится. 2) На Рождество занятия в

институте отменяются. 3) Я к вам присоединюсь после ужина. 4) Не перебивай взрослых, когда они разговаривают. 5) Мальчик был крайне рассеян. 6) Он поторопился привести в порядок свои вещи. 7) Пересядьте, пожалуйста, Вы мне мешаете. 8) Разумеется, он был не прав: нужно сопротивляться насилию, нужно учиться защи-щаться. 9) Порою дети более жестоки, чем взрослые. 10) Он долго колебался, но все-таки отважился заговорить. II) Он вбил себе в голову, что ему там плохо. 12) Мать не воспринимала всерьез неприятности ребенка в школе, относя их на счет его лени и ревности. 13) В будущем это станет хорошей поддержкой для всей семьи. 14) Ребёнок умолял родителей пустить его погулять. 15) Он слишком рассеян, ему трудно сосредоточиться на том, что он читает.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Où et quand se déroule l’action de la nouvelle ? Où se trouvent les écoles dans lesquelles vont les enfants ? Confirmez-le par le texte.

2. De quoi se réjouit Alain au début du voyage ? Qu’est-ce qui l’a affligé dans le train ?

3. Comment est la vie de Jean-Louis à l’école ? Quelles étaient les raisons pour lesquelles le garçon a été renvoyé de la maison ?

4. Quelle impression a produite sur M. Schmitt Mme Kiriline?5. Quelle explication Mme Kiriline trouve-t-elle à la mauvaise

volonté de son fils d’aller dans son école ?6. Quelle demande Alain, fait-il à son père avant l’arrivée à

l’école ?IV. En vous basant sur le texte racontez la vie de Jean-Louis,

ses ennuis, caractérisez-le. Comment imaginez-vous sa vie et son état d’esprit, si sa mère renonçait au projet de l’envoyer à son école ?

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Page 47: J'ai soif d'innocence

V. Présentez et caractérisez Mme Kiriline. Trouvez-vous plausible son raisonnement sur son fils ?

VI. Caractérisez Alain. Comment imaginez-vous sa vie en famille ? Selon vous, Alain, sera-t-il traité à l’école de la même façon que son camarade de voyage ?

VII. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.

A D I S C U T E R

Le cas de Mme Kiriline n’est pas original. De nos jours le problème devient encore plus compliqué, vu le nombre croissant de femmes qui travaillent et qui, par conséquent, consacrent moins de temps à l’éducation de leurs enfants. Voici quelques répliques des personnages du roman « Va voir maman ... papa travaille » de Françoise Dorin, auteur contemporain, qui traite ce problème :

« Je travaille aujourd’hui dimanche parce que dans douze ans, mon petit bonhomme aux yeux tristes, tu en aura seize et que tu n’aura plus besoin de moi ; parce que moi, j’en aurai quarante-quatre et que j’aurai besoin de mon métier .»

« — La société a basculé à partir du moment où les femmes se sont mises à travailler.

— Elles n’ont pas eu le temps de surveiller étroitement leurs enfants qui n’ont reçus, selon le cas, que l’éducation de la rue ou celle de la Portugaise de service. On connaît les résultats.

— Alors, que doivent faire les femmes selon vous ? Renoncer au travail ?

— Surtout pas ! C’est le retour immédiat à l’esclavage.[— Et alors, les enfants ?]— Attendre qu’ils grandissent ... et ne rien leur sacrifier d’important. »« [Pour ma soeur] la maternité est une véritable vocation. Elle ne vit que

pour et par les enfants, elle ne peut être heureuse qu’avec eux. »Ne vivre que « pour et par les enfants », « ne rien leur sacrifier

d’important » ... Comment situez-vous par rapport à ce choix ?

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Page 48: J'ai soif d'innocence

Malédiction de l’orJ’avais remarqué, dès mon entrée dans ce restaurant à New-

York dont j'étais un habitué, le petit vieillard qui, assis à la première table, mangeait un steak épais et saignant. La viande rouge avait attiré mon attention, car elle était alors très rare, mais aussi le visage lisse et fin de l'homme. Certainement je l'avais connu jadis, à Paris ou ailleurs. Dès que je fus moi-même installé, j'appelai le patron, Périgourdin actif et adroit qui avait su faire, de cette cave étroite, un repaire de gourmets :

— Dites-moi, monsieur Robert, le client à droite de la porte, c'est un Français, n'est-ce pas ?

— Lequel? Celui qui est seul à sa table?... C'est monsieur Bordacq. Il est ici tous les jours.

— Bordacq ? L'industriel ? Mais oui, je le reconnais maintenant... Je ne l'avais jamais vu chez vous.

— Parce que d'habitude il vient avant tout le monde... C'est un homme qui aime être seul.

Le patron se pencha vers ma table, puis, à mi-voix :— Ils sont bizarres, lui et sa dame, vous savez... Très bizarres.

Vous le voyez seul à déjeuner. Eh bien ! si vous veniez ce soir, à sept heures, vous trouveriez sa femme seule à dîner. On croirait qu'ils ne veulent pas se voir. Et pourtant ils sont dans les meilleurs termes ; ils vivent ensemble à l'Hôtel Delmonico... Pour moi, c'est un mystère, ce ménage.

Patron, dit un garçon, l'addition au 15. M. Robert me quitta, mais je continuai de penser à ce couple.

Bordacq... Bien sûr, je l'avais connu à Paris. Entre les deux guerres, on le voyait souvent chez Fabert, l'auteur dramatique, qui montrait pour lui un goût inattendu, né sans doute de ce qu'ils avaient la même marotte, celle des placements sûrs, et la même terreur, celle de perdre leur fortune... Bordacq... Il devait avoir près de quatre-vingts ans. Je me souvenais que, vers 1923, il venait de se retirer des affaires, avec un nombre respectable de millions. Il était alors affolé par la baisse du franc :

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— C'est insensé ! disait-il. J'aurai travaillé quarante ans pour me retrouver sur la paille. Non seulement mes rentes et mes obligations ne valent plus rien, mais les actions industrielles ne montent pas. Notre argent nous fond dans les doigts. Comment passerons-nous nos vieux jours ?

— Faites comme moi, lui disait Fabert. J'ai mis tout ce que je possède en livres sterling... Voilà une monnaie de tout repos.

Quand je les revis, trois ou quatre ans plus tard, ils étaient l'un et l'autre déconfits. Bordacq avait suivi les conseils de Fabert ; là-dessus s'était produit le relèvement du franc par Poincaré et la livre avait fortement baissé. L'idée fixe de Bordacq était maintenant d'échapper à l'impôt sur le revenu, dont le taux montait.

— Vous êtes un enfant, lui répétait Fabert. Faites donc comme moi... Il y a une valeur stable, et une seule: c'est l'or... Si vous aviez, en 1918, acheté des lingots d'or, vous n'auriez pas eu de revenus apparents, vous n'auriez jamais payé d'impôts, et vous seriez aujourd'hui beaucoup plus riche... Transformez en or tout ce que vous possédez et dormez sur les deux oreilles.

Les Bordacq avaient obéi. Ils avaient acheté de l'or, loué un coffre et goûté de vifs plaisirs à aller, de temps à autre, entrouvrir la porte du sanctuaire pour rendre hommage à leur dieu. Puis je les avais perdus de vue pendant dix ans. Fin jour de 1937, je les avais rencontrés, lui triste et distingué, elle exubérante et naïve, petite vieille bien propre en robe de soie noire à jabot de dentelles, chez un marchand de tableaux du faubourg Saint-Honoré. Timidement, Bordacq m'avait consulté :

— Vous qui êtes un artiste, croyez-vous, cher monsieur, que les Impressionnistes aient encore une chance de hausse ?... Vous ne savez pas ?... . On me dit que oui, mais ils ont déjà beaucoup monté... Il fallait se mettre dans le marché au début du siècle... Evidemment l'idéal serait de connaître la nouvelle école qui leur succédera et qu'on aurait aujourd'hui pour rien. Seulement voilà, personne ne peut là-dessus me donner de garanties... Quelle époque! Les experts eux-mêmes ne savent rien ! Enfin vous m'avouerez que c'est incroyable! Je

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leur demande : «Et qu'est-ce qui va monter maintenant ? » Ils hésitent, mon cher, ils pataugent, les uns disent Utrillo, les autres Picasso... Mais tout ça est déjà trop connu.

— Et votre lingot d'or ? lui dis-je.— Je l'ai toujours... je l'ai toujours... Et beaucoup d'autres... Mais

le gouvernement parle de réquisitionner l'or, d'ouvrir les coffres... C'est affreux... Vous me direz : La sagesse serait de tout mettre à l'étranger... Sans doute, mon cher, sans doute... Mais où ? lе gouvernement britannique est aussi dur que le nôtre ; la Hollande et la Suisse sont trop exposées en temps de guerre... Il y a bien les Etats-Unis, mais, depuis Roosevelt, le dollar lui-même... Et puis il nous faudrait y aller vivre, pour ne pas risquer d'être un jour coupés de notre ligne de retraite.

Je ne sais plus ce que j'avais alors répondu. Ils commençaient à m'irriter, ces Bordacq, accrochés à leur magot en un temps où une civilisation s'écroulait. En sortant de la galerie, j'avais pris congé d'eux et les avais regardés s'éloigner à petits pas prudents, tous deux vêtus de noir, corrects et lugubres. Et voilà que je les retrouvais dans Lexington Avenue, au Serpent d'or. Qu'étaient-ils devenus pendant la guerre ? Comment avaient-ils échoué à New York ? Je me sentais curieux de le savoir et, quand Bordacq se leva, j'allai à lui et me nommai.

— Ah ! je me souviens très bien, dit-il. Quel plaisir de vous revoir, mon cher monsieur ! J'espère bien que vous nous ferez l'honneur de venir prendre une tasse de thé. Nous sommes à l'Hôtel Delmonico. Ma femme sera si heureuse... La vie est monotone pour nous, qui ne savons l'anglais, ni l'un, ni l'autre...

— Et vous vivez en Amérique de manière permanente ?— Il faut bien, dit-il. Je vous expliquerai. Venez demain, vers

cinq heures.J'acceptai et fus fidèle au rendez-vous. Mme Bordacq portait la

même robe de soie noire, à jabot de dentelles, qu'en 1923 et, au cou, ses belles perles. Elle me parut très sombre.

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— Je m'ennuie tant ! dit-elle. Nous n'avons que ces deux pièces, pas un ami... Ah ! je n'aurais pas cru terminer ma vie dans cet exil.

— Mais, madame, dis-je, qui vous y a contrainte ? Vous n'aviez, que je sache, aucune raison particulière de craindre les Allemands. Naturellement, je comprends que vous ayez souhaité ne pas vivre près d'eux ; pourtant de là à vous exiler volontairement dans un pays dont vous ne parlez pas la langue...

— Oh ! dit-elle, les Allemands n'y sont pour rien. Nous sommes venus ici bien avant la guerre.

Son mari se leva, alla ouvrir la porte du couloir pour s'assurer que nul n'écoutait, la ferma au verrou, puis, revenant s'asseoir, me dit à voix basse :

— Je vais tout vous expliquer. Nous savons que vous êtes discret et nous ne serons pas mécontents d'avoir votre conseil. J'ai bien mon avocat américain. Mais vous me comprendrez mieux... Voici... Je ne sais pas si vous vous souvenez qu'après l'arrivée au pouvoir du Front Populaire, nous avons considéré comme dangereux de conserver nos lingots d'or dans une banque française. Nous avons donc trouvé le moyen de les faire transporter, de manière clandestine mais sûre, aux Etats-Unis. Naturellement, nous avions décidé de nous y fixer. Il n'était pas question de nous séparer de notre or... Ca va de soi... A New York, nous l'avons pourtant, dès 1938, transformé en dollars parce que nous ne croyions pas (et nous avions raison) que l'Amérique ferait une nouvelle dévaluation, et parce que des gens que nous savions bien informés nous disaient que la Russie allait faire baisser l'or par ses nouvelles prospections... Mais le problème était : sous quelle forme conserver nos dollars ? Compte en banque ? Dollars-papier? Actions?... Si nous avions acheté des valeurs américaines, nous aurions dû payer l'impôt sur le revenu américain, qui est très élevé... Nous avons donc tout laissé en dollars-papier.

Je ne pus m'empêcher d'interrompre :— En d'autres termes, pour ne pas payer un impôt de cinquante

pour-cent, vous vous êtes frappés volontairement d'un impôt de cent pour-cent ?

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— Il y avait une autre raison, dit-il de plus en plus mystérieusement, nous voyions venir la guerre et nous pensions que les comptes en banque pourraient être gelés, les coffres ouverts, et cela d'autant plus que nous ne sommes pas citoyens américains... Nous avons donc décidé de conserver notre argent toujours avec nous.

— Avec vous, m'écriai-je, que voulez-vous dire?... Ici, à l'hôtel?Tous deux inclinèrent la tête avec une ombre de sourire, puis ils

échangèrent un regard de malice et de fierté :— Oui, continua-t-il d'une voix à peine perceptible. Oui, ici, à

l'hôtel. Nous avons tout mis, un peu d'or et les dollars, dans une grande malle. Elle est là, dans notre chambre à coucher. II se leva, ouvrit la porte de communication et, me prenant le bras, me fit voir une malle noire d'aspect fort ordinaire :

— C'est celle-ci, murmura-t-il, et il referma la porte avec une sorte de génuflexion.

— Ne craignez-vous pas, demandai-je, que cette histoire de malle au trésor ne vienne à se répandre ? Quelle tentation pour des voleurs !

— Non, dit-il. D'abord parce que personne au monde ne la connaît que notre avocat... et vous, en qui j'ai pleine confiance... Tout est bien calculé, je vous assure. Une malle n'attire pas l'attention comme ferait un coffre. Nul ne penserait qu'il y a là-dedans une fortune. Et surtout, nous montons la garde dans cette chambre à toute heure du jour et de la nuit.

— Vous ne sortez jamais ?— Jamais ensemble ! Nous avons un revolver, qui est dans le

tiroir le plus voisin de la malle, et il y a toujours l'un de nous deux dans l'appartement... Moi, je vais déjeuner dans ce restaurant français où vous m'avez rencontré. Ma femme y va prendre son dîner. Ainsi la malle n'est jamais seule. Vous comprenez?

— Non, cher monsieur Bordacq, je ne comprends pas pourquoi vous vous condamnez à une vie cloîtrée, misérable... Les impôts ? Eh! que vous importe ! N'avez-vous pas largement ce qu'il vous faut pour vivre jusqu'à la fin de vos jours ?

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— Là n'est pas la question, dit-il. Je ne veux pas leur donner un argent que j'ai eu tant de mal à gagner.

J'essayai de changer le thème de la conversation. Bordacq était cultivé ; il savait de l'histoire ; je tentai de le faire parler des collections d'autographes qu'il avait possédées jadis, mais sa femme, encore plus obsédée que lui, nous ramena au seul sujet qui l'intéressât:

— Il y a un homme que je crains, dit-elle à voix basse. C'est le maître d'hôtel allemand qui nous apporte notre petit déjeuner. Il jette parfois vers cette porte des coups d'œil que je n'aime pas. Mais à cette heure-là, nous sommes tous deux présents. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir un danger.

Un autre problème était le chien. Ils avaient un beau caniche, d'une sagesse surprenante, toujours couché dans un coin du salon, mais qu'il fallait promener trois fois par jour. Pour cela encore, ils alternaient. Quand je les quittai, j'étais à la fois exaspéré par cette folie maniaque et fasciné par ces personnages extraordinaires.

Après cette visite, je fis souvent effort pour quitter mon bureau plus tôt et venir dîner au Serpent d'or à sept heures précises. Ainsi je pouvais m'asseoir à la table de Mme Bordacq. Elle était plus communicative que lui et me découvrait plus naïvement leurs angoisses et leurs projets :

— Eugène, me dit-elle un soir, est d'une intelligence admirable. Il pense à tout. Cette nuit, il a tout d'un coup eu l'idée qu'ils pourraient, pour empêcher la thésaurisation des billets, les rappeler tous et les échanger. En ce cas, nous serions forcés de les déclarer.

— En effet, dis-je, mais où serait le mal ?— Ce serait très grave, dit-elle. Nous n'avons rien déclaré quand

la Trésorerie Américaine a fait, en 1943, le recensement des biens des réfugiés... Nous aurions de terribles ennuis... Mais Eugène a un nouveau plan. Il paraît que, dans certaines républiques de l'Amérique du Sud, l'impôt sur le revenu n'existe pas. Si nous pouvions y transférer notre capital...

— Comment le transférer sans le déclarer à la douane ?

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— Eugène pense, dit-elle, qu'il faudrait d'abord devenir citoyens de l'Etat que nous choisirions. Si nous étions, par exemple, Uru-guayens, le transfert serait de droit.

Cela me parut si beau, que le lendemain, je vins déjeuner avec Bordacq. Il m'accueillait toujours avec joie.

— Ah ! dit-il, je suis d'autant plus content de vous voir que j'ai un renseignement à vous demander. Savez-vous quelles sont les formalités à remplir pour devenir Vénézuélien ?

— Ma foi non, lui dis-je.— Et Colombien ?— Pas davantage. Vous devriez poser cette question aux consuls

respectifs de ces pays.— Aux consuls! dit-il. Etes-vous fou?... Pour attirer l'attention!Il repoussa son poulet rôti avec dégoût et soupira :— Quelle époque ! Dire que nous aurions pu naître en 1830 et

passer notre vie tout entière sans inquisition fiscale, sans crainte de spoliation ! Aujourd'hui, tous les pays se font brigands de grand chemin... L'Angleterre elle-même... J'y avais caché quelques tableaux et tapisseries, que je voudrais maintenant amener ici. Savez-vous ce qu'ils me demandent? Un droit de sortie de cent pour-cent, ce qui équivaut à une confiscation... Nous sommes volés comme au coin d'un bois, mon cher monsieur, comme au coin d'un bois.

Après cela mes affaires m'entraînèrent en Californie et je ne sus pas si les Bordacq étaient devenus Uruguayens, Vénézuéliens ou Colombiens. Quand je revins à New York, un an plus tard, j'interrogeai sur eux M. Robert, le patron du Serpent d'or:

— Et les Bordacq ? Vous les voyez toujours ?— Mais non ! me dit-il. Comment ? Vous ne savez pas ? Elle est

morte le mois dernier, d'une maladie de cœur, je crois, et depuis ce jour-là, je n'ai plus revu le mari. Je pense que ça lui a porté un coup et qu'il est malade.

Je pensai, moi, que l'explication était toute différente. J'écrivis un mot de condoléances à M. Bordacq et lui demandai si je pouvais aller le voir. Dès le lendemain, il me téléphona de venir.

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Je le trouvai pâle, très amaigri, les lèvres blanches, la voix mourante.

— Je n'ai appris qu'hier votre malheur, lui dis-je, et tout de suite j'ai voulu me mettre à votre disposition, car en dehors de la douleur que doit vous causer une telle perte, j'imagine que votre vie a dû devenir impossible.

— Mais non, dit-il, mais non... J'ai pris le parti de ne plus sortir du tout... C'était la seule chose à faire, n'est-ce pas ? Je ne pouvais pas quitter la malle et je n'avais personne à qui la confier... J'ai donc donné l'ordre que tous mes repas fussent montés dans ma chambre...

— Et cette claustration totale ne vous est pas insupportable ?— Mais non, mais non... On s'y habitue... Je vois de ma fenêtre

les passants, les voitures... Et puis je vais vous dire : ce type de vie me donne enfin un merveilleux sentiment de sécurité. Autrefois, quand je sortais pour déjeuner, je passais toujours une heure pénible ; je me demandais ce qui était arrivé en mon absence... Je sais bien, il y avait ma pauvre femme, mais je ne la voyais guère manier un revolver, surtout avec son cœur dans l'état où il était... Maintenant, en laissant la porte ouverte, j'ai toujours l'oeil sur la malle... J'ai près de moi tout ce à quoi je tiens... Cela paie de bien des peines... La seule difficulté, c'est le pauvre Ferdinand.

Le caniche, entendant son nom, se leva et vint s'asseoir aux pieds de son maître en le regardant d'un air interrogateur.

— Oui, naturellement, je ne peux plus le promener moi-même, mais j'ai trouvé un des chasseurs, un bell-boy comme ils disent ici... Je vous demande un peu, pourquoi ne peuvent-ils pas dire : chasseur comme tout le monde ?... Ah ! ils me font rire avec leur anglais ! Enfin j'ai trouvé un jeune garçon qui accepte, moyennant une modeste rétribution, de sortir Ferdinand et de lui faire faire ses petits besoins... De sorte qu'il n'y a plus vraiment aucune question grave à résoudre... Vous êtes tout à fait gentil, cher monsieur, de m'offrir votre appui, mais ça va, je vous assure, ça va.

— Et vous ne souhaitez plus aller vivre en Amérique du Sud ?

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— Non, mon cher monsieur, non... Qu'irais-je y faire ? Washington ne parle plus de l'échange des billets et, à mon âge...

Il paraissait en effet fort vieux et le régime qu'il s'était imposé ne semblait pas lui convenir. Il avait perdu son teint rosé et il parlait avec peine. —Peut-on même dire, pensai-je, qu'il soit encore en vie ?

Voyant que je ne pouvais rien pour lui, je pris congé. J'avais l'intention d'aller lui rendre visite de temps à autre, mais, quelques jours plus tard, en ouvrant le New York Times, mon attention fut tout de suite attiré par un titre : RÉFUGIÉ FRANÇAIS MEURT, MALLE PLEINE DE DOLLARS. Je lus l'entrefilet : il s'agissait bien de mon Bordacq. On l'avait trouvé mort, le matin, couché sur sa malle noire et enveloppé dans une couverture. La mort était naturelle, le trésor intact. Je passai au Delmonico, pour savoir quand et où aurait lieu l'enterrement. Je demandai aussi à l'employé du front desk des nouvelles de Ferdinand :

— Et que va devenir le chien de M. Bordacq ?— Personne ne le réclamait, dit-il. Nous l'avons donné à la

fourrière.— Et l'argent ?— S'il n'y a pas d'héritiers, il deviendra la propriété du

gouvernement américain.— C'est une belle fin, dis-je.Mais je pensais seulement à la fin de l'histoire.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots et des expressions ci-dessous, faites les entrer dans des phrases :

se retirer de valoir qqch se condamner à qqch causer qqch irriter qqn habitué n.f. ménage n.m. compte n.m.

angoisse n.f. héritier n.m. distingué adj. intact adj. cultivé adj. obsédé adj. prudent adj. exubérant adj.

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lugubre adj. volontairement adv.

davantage adv.

II. Dites comment on appelle : une personne qui est d’une politesse élégante, remarquable par son rang ; une personne qui agit à éviter les dangers ; une personne qui est la proie d’une idée fixe ; une personne expansive qui se comporte sans retenue ; une personne triste qui marque un sombre accablement.

III. Trouvez des équivalents russes des expressions ci-dessous : se retirer des affaires, dormir sur les deux oreilles, prendre congé de qqn, monter la garde, prendre le parti de faire qqch, avoir la même marotte, se retrouver sur la paille, fondre dans les doigts, de vifs plaisirs, se mettre à la disposition de qqn.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Sa femme est tellement dépensière, l’argent lui ... . 2) Les examens sont passés et je peux enfin ... . 3) Nous sommes allés voir l’exposition des Impressionnistes et nous y avons éprouvé ... . 4) Il a trop de problèmes avec son entreprise, ne pense-t-il pas ... ? 5) La menace du cambriolage est assez grande, je vous conseille de ... , monsieur. 6) Attendez que je finisse ce travail et je ... . 7) Enfin, il a ... de ses hôtes et il est parti. 8) Craignant une nouvelle dévaluation, ils ... de mettre tout ce qu’ils possédaient en dollars. 9) Les deux amis avaient ... : ils s’intéressaient à la musique folk. 10) Il a raté sa nouvelle affaire et finalement ... .

V. Relevez dans le texte de la nouvelle les mots et les groupes de mots ayant le rapport à la finance, traduisez en français: налоги, налог на вывоз, стабильная валюта, доход, налоговая полиция, валюта, падение (повышение) курса, обесценивание, счёт в банке, сейф, перевести в доллары, конфискация.

VI. Complétez les phrases qui suivent en employant l'un des mots donnés :salaire - paye - arrhes - amende - don - impôt - prime - cotisation - soldes - taxe1. Le ... de cet ouvrier est de 600 E par mois pour 39 heures de travail par semaine.2. Pour les fêtes de la fin de l'année, les employés ont touché une ... de 100 E.

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3. Beaucoup de gens généreux font des ... à des associations qui viennent en aide aux gens dans le besoin.4. Pour stationner pendant toute une journée, il faut payer une ... de 8 E. Mais le parc à autos n'est pas gardé.5. Dans certaines entreprises, les ouvriers touchaient leur ... tous les quinze jours. La plupart des gens sont maintenant payés au mois.6. Association de défense et de mise en valeur de la forêt de Fontainebleau. ... annuelle : 5 E.7. J'ai versé 50 E d'... et je reviendrai prendre mon tailleur la semaine prochaine.8. Depuis plusieurs années, les Français peuvent payer leurs ... soit en trois fois, soit tous les mois.9. J'achète toujours mes vêtements au moment des .... On peut faire de très bonnes affaires.10. Comme je stationnais sur un emplacement interdit, l'agent de police m'a infligé (plus familièrement : collé) une... de 20 E.

VII. Quel est le sens du substantif ménage dans le texte ? Quelles autres significations du mot connaissez-vous ? Traduisez en russe : jambon de ménage, scène de ménage, faire des ménages, faire le ménage, faire bon (mauvais) ménage, le jeune ménage, le remue-ménage.

VIII. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Je fréquentais ce restaurant New-York, cette cave étroite, un refuge de gourmets. 2) Ce couple semble au patron du Serpent d’or très étrange. 3) Les deux hommes avaient la même manie, celle des placements sûrs. 4) Bordacq avait peur de se retrouver pauvre dans sa vieillesse. 5) L'idée fixe de Bordacq était d’éviter l'impôt sur le revenu. 6) Les Bordacq, accrochés à leurs économies en un temps où une civilisation s'écroulait, agaçaient leur ami. 7) Personne ne les a forcés à s’installer volontairement dans un pays dont ils ne parlent même pas la langue. 8) L’isolement totale ne semblait point insupportable à Bordacq. 9) Quand il sortait pour déjeuner, il passait toujours une heure désagréable. 10) Enfin il a trouvé un jeune garçon qui a accepté, pour un modeste paiement, de sortir le chien.

IX. Conjuguez au présent le verbe valoir, nommez son participe passé. Faites-le entrer dans des phrases.

X. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :

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1) « Si vous veniez ce soir, à sept heures, vous trouveriez sa femme seule à dîner. On croirait qu'ils ne veulent pas se voir. » 2)« Croyez-vous, cher monsieur, que les Impressionnistes aient encore une chance de hausse? Evidemment l'idéal serait de connaître la nouvelle école qui leur succédera et qu'on aurait aujourd'hui pour rien. » 3)« Vous n'aviez, que je sache, aucune raison particulière de craindre les Allemands. » 4)« Naturellement, je comprends que vous ayez souhaité ne pas vivre près d'eux » 5)« Ah ! je n'aurais pas cru terminer ma vie dans cet exil. » 6)« A New York, nous l'avons pourtant, dès 1938, transformé en dollars parce que nous ne croyions pas que l'Amérique ferait une nouvelle dévaluation. » 7)« J'essayai de changer le thème de la conversation, mais sa femme, encore plus obsédée que lui, nous ramena au seul sujet qui l'intéressât. » 8)« Je ne crois pas qu'il puisse y avoir un danger. » 9)« Il avait perdu son teint rosé et il parlait avec peine. Peut-on même dire, pensai-je, qu'il soit encore en vie ? »

XI. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Отчего вы отказываетесь от своих планов? 2) Я давно потерял из виду своих школьных товарищей. 3) Не стоит ему верить: его обещания ничего не стоят. 4) Эта потеря причинила ему много горя. 5) Он добровольно отказался от своих привилегий. 6) Он стал наследником предприятия своего дяди. 7) Она никому не хотела рассказывать о своих тревогах. 8) Его родители очень образованные люди. 9) Мы расспросили его об этой странной семье. 10) Чтобы добиться хороших успехов, вам надо больше работать. 11) Будь осторожен, на улице гололёд. 12) Они добровольно обрекли себя на затворничество. 13) Он помешан на идее быстрого обогащения. 14) Должно быть сын проспал, приготовленный ему завтрак остался нетронутым. 15) Посчитайте все расходы за месяц доложите шефу.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Où et quand se déroule l’action de la nouvelle ? Relevez-en des preuves dans le texte.

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2. A quelle époque le narrateur a-t-il connu M. Bordacq ? Par quoi celui-ci était déjà préoccupé ?

3. Où a eu lieu leur rencontre dix ans plus tard ? Qu’est-ce qui y avait ramené les Bordacq ? Qu’est-ce que la peinture était pour eux ? Finalement, quel a été le destin des quelques tableaux acquis par le couple ?

4. Comment le narrateur a-t-il rencontré les Bordacq à New-York ? Quand et pourquoi s’y sont trouvés ? Pourquoi venaient-il séparément au restaurant ? Quels projets faisaient-ils ?

5. Comment est devenue la vie de M. Bordacq après la mort de sa femme ? Soufrait-il de sa claustration complète ?

6. Comment est-il mort ? Qu’est-ce qui adviendrait au trésor de Bordacq ?

IV. Présentez les personnages principaux de la nouvelle. En vous basant sur le texte caractérisez-les. Quelle est l’attitude de l’auteur envers ses héros. Commentez : « C'est une belle fin, dis-je. Mais je pensais seulement à la fin de l'histoire. »

V. Rédigez un petit article posthume de l’auteur sur Bordacq  pour la presse française. Veillez à sa forme et au style.

VI. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle. Justifiez le rôle du titre dans l’explication de l’idée principale de nouvelle.

VII. Dites ce que vous-même, vous pensez des Bordacq et de cette histoire.

A D I S C U T E R

L’avarice, la punition de l’avare, est-ce un thème répandu dans la littérature ? Citez-en des exemples.

Traditionnellement les Français sont considérés comme accordant une grande importance à l’épargne. Lisez un extrait du roman « L’autre personne » de L.Faure et dites l’attitude du personnage à la question de finance.

« Il ne s’intéresse pas vraiment à son existence – hormis ce qui leur est commun. Toutefois, si elle évoque quelque souci financier, il change immédiatement de ton, prend un air grave. Il s’agit là de questions d’importance. Il écoute avec attention et donne un conseil utile. Il juge

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Geneviève dépensière, non parce qu’elle se livre à des achats inconsidérés mais parce qu’elle ne respecte pas l’argent. Crime impardonnable !

Le budget de Serge ne peut se mesurer à celui de cette femme seule, et cependant ses caprices dispendieux sont domestiqués. Comme tous ceux qui sont riches, il paie chaque chose moins cher que les autres car, sans être avare, il est attentif. »

Et nous autres, les Russes, sommes nous avares ou prodigues ? Quel rôle devrait, selon vous, jouer l’argent dans la vie d’une personne ?

Bonsoir, chérieOù vas-tu, Antoine? dit Françoise Quesnay à son mari.— ]e vais jusqu'à la poste, pour faire recommander cette lettre

et pour promener Mowgli... la pluie a cessé ; le ciel se découvre au-dessus de Menton : ça va s'arranger.

— Oh! Françoise... Pourquoi?... La politique de son mari me fait horreur et elle...

— Ne grogne pas, Antoine... Tu ne vas pas me dire que Sabine te déplaît !... Au temps où je t'ai connu, elle était à peu près fiancée avec toi.

— Justement... Je ne pense pas qu'elle m'ait jamais pardonné de t'avoir préférée... Et puis je ne l'ai pas vue depuis quinze ans ; elle doit être une matrone mûrissante...

— Sabine n'est pas une matrone, dit Françoise, elle a exactement trois ans de plus que moi... Et, en tout cas, les regrets sont vains... Sabine et son mari seront ici à huit heures.

— Tu aurais pu me consulter... Pourquoi as-tu fait ça ?... Tu sais que ça m'est désagréable.

— Bonne promenade ! dit-elle gaiement, et elle sortit très vite de la chambre.

Antoine se sentit frustré de sa querelle. C'était la tactique habituelle de sa femme que de fuir devant les discussions. Marchant dans les allées du Cap, entre les pins obliques et anguleux, il médita :

— Françoise devient insupportable... Elle savait très bien que je ne désirais pas voir ce couple... Aussi s'est-elle gardée de me parler de

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son projet... De plus en plus, elle recourt à la tactique du fait accompli... Et pourquoi invite-t-elle Sabine Lambert-Lederc ? Parce que, seule avec moi et les enfants, elle s'ennuie... Mais qui a voulu vivre dans ce pays? Qui m'a contraint à quitter Pont-de-l'Eure, mes affaires, ma famille et à prendre, tout jeune, une retraite que je ne souhaitais pas?...

Quand il commençait la revue de ses griefs, elle durait longtemps. Antoine avait aimé sa femme avec passion ; il l'aimait encore sensuellement et, aurait-on pu dire, esthétiquement. Il pouvait regarder sans lassitude, pendant toute une soirée, ce nez fin, ces yeux clairs et moqueurs, ce visage aux traits purs. Mais comme elle l'irritait parfois ! Pour choisir des meubles, des robes, des fleurs, Françoise avait un goût exquis. Envers les êtres humains, elle manquait de tact. Antoine éprouvait des sentiments douloureux quand Françoise blessait un de leurs amis. Il se sentait à la fois responsable et impuissant. Longtemps il lui avait fait des reproches, qu'elle supportait mal et auxquels elle ne prêtait guère attention, sûre d'être pardonnée le soir, quand il aurait envie d'elle. Puis il l'avait acceptée telle qu'elle était. Après dix ans de mariage, il savait qu'elle ne changerait plus.

— Mowgli, ici !...Il entra dans le bureau de poste. Au retour, sa méditation sur

Françoise devint plus sombre. Etait-elle même fidèle ? Il le croyait, mais qu'elle eût été plusieurs fois coquette, et même imprudente, cela était trop certain. Aurait-il été plus heureux avec Sabine Lambert-Leclerc ? Il revit ce jardin de Pont-de-l'Eure où Sabine le recevait, adolescent. Toute la ville les disait fiancés et eux-mêmes, sans en avoir jamais parlé entre eux, étaient convaincus que ce mariage se ferait.

— Elle avait un tempérament de feu, pensa-t-il, se souvenant de la façon dont elle se serrait contre lui quand ils dansaient ensemble.

Elle était la première jeune fille avec laquelle il se fût montré hardi, sans doute parce qu'il la devinait consentante. II l'avait beaucoup désirée. Puis Françoise avait paru et, soudain, toutes les autres avaient pour lui cessé d'exister... Maintenant il était lié à

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Françoise. Dix ans de vie commune. Trois enfants. La course était courue.

Quand il la retrouva dans le salon, si fraîche dans une robe de mousseline à fleurs vives, il oublia sa rancune. C'était Françoise qui avait fait cette maison, ce jardin que les visiteurs admiraient. C'était Françoise qui l'avait obligé à quitter Pont-de-l'Eure et l'usine, quelques années avant la crise de 1929. Si l'on pesait équitablement toutes choses, elle lui avait plutôt porté bonheur.

— Est-ce que Micheline et Bacot dînent à table ? demanda-t-il.Il le souhaitait, préférant la conversation de ses enfants à celle

des étrangers.— Non, dit-elle, j'ai pensé que ce serait plus gentil d'être nous

quatre... Arrange ta cravate, Antoine...Gentil, encore un mot qu'il détestait. « Non, ce ne sera pas

gentil», se dit-il en renouant sa cravate devant la glace. Sabine allait être pointue ; Françoise, coquette avec Lambert-Leclerc ; le ministre autoritaire et dogmatique ; lui-même, Antoine, silencieux et sombre.

— Gentil!...On entendit la voiture dont les roues, au coup de frein, patinaient

dans le gravier. Les Quesnay prirent un air négligemment actif. Une minute plus tard, un couple entra. Sabine avait des cheveux noirs, un peu crépus, des épaules grasses, de beaux yeux. Lambert-LecIerc devenait très chauve ; trois cheveux barraient son crâne, comme des obstacles une piste ; il semblait de mauvaise humeur. A lui aussi sans doute, ce dîner avait été imposé.

— Bonsoir, chérie, dit Françoise en embrassant Sabine. Bonsoir, monsieur le ministre...

— Ah ! non, chérie ! dit Sabine, tu ne vas pas « ministrer » mon mari... Tu m'appelles Sabine ; appelle-le Alfred... Bonsoir, Antoine.

La soirée fut si tiède et si limpide que Françoise fit servir le café sur la terrasse. La conversation, pendant le dîner, n'avait pas été facile. Les femmes s'ennuyaient. Antoine têtu, mécontent de lui-même, contredisait imprudemment Lambert-Leclerc qui, mieux informé, mar-quait tous les points.

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— Vous êtes optimiste parce que vous êtes au pouvoir, disait Antoine... En fait la situation de la France est tragique...

— Mais non, mon cher, mais non... Les questions d'argent ne sont jamais tragiques... Les budgets de la France sont en déficit depuis six siècles et il est bon qu'il en soit ainsi... Il faut bien ruiner, de temps à autre, les rentiers... Sans cela, où irions-nous ?... Imaginez des fortunes placées à intérêts composés depuis Richelieu ...

— Le budget de l'Angleterre est, lui, en équilibre, grommela Antoine. Il présente même des excédents et les Anglais, que je sache, ne s'en portent pas plus mal...

— Cher ami, dit Lambert-Leclerc, je n'ai jamais compris cette rage qu'ont les Français de comparer deux pays qui n'ont ni la même histoire, ni les mêmes moeurs, ni les mêmes besoins... Si la France souhaitait réellement un budget en équilibre, nous le lui donnerions demain... Elle ne le veut pas... Ou, si vous préférez cette formule, elle ne le veut pas assez pour en vouloir aussi les moyens... Préparer un budget, ce n'est pas une question financière, c'est une question politique... Dites-moi avec quelle majorité vous voulez gouverner ; je vous dirai, moi, quel budget vous pouvez bâtir... Les services du Ministère des Finances sont prêts à vous faire un budget socialiste, un budget radical, un budget réactionnaire... Il suffit de parler !... Tout cela est tellement plus simple que ne le croient les profanes.

— Est-ce si simple ?... Et oseriez-vous dire de telles choses à vos électeurs ?

Françoise savait reconnaître à des signes imperceptibles, à un durcissement soudain des yeux, la montée des colères de son mari. Elle intervint :

— Antoine, dit-elle, tu devrais descendre avec Sabine jusqu'au cloître, pour lui montrer la vue...

— Allons-y tous les quatre, dit Antoine.— Non, non, dit Sabine. Françoise a raison... Il faut séparer les

ménages... C'est tellement plus amusant.Elle se leva. Antoine dut l'imiter et la suivre, non sans jeter à

Françoise un regard furieux qu'elle ne voulut pas voir.

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— Tout ce que je craignais ! pensa-t-il. Me voici, pour une demi-heure, seul avec cette femme... Va-t-elle en profiter pour me demander une explication qu'elle attend depuis dix ans ?... Ce sera gai !... Quant à Françoise, souhaite-t-elle que ce ministre, si content de soi, lui fasse la cour ?

— Quelle est cette odeur divine ? demanda Sabine Lambert-LecIerc.

— Celle des orangers. La pergola sous laquelle nous étions assis est faite d'orangers, de citronniers, de glycines et de rosiers... Mais nos rosés deviennent sauvages ; il faudra les regreffer... Suivez la petite allée qui descend...

— Est-ce que vous ne devenez pas sauvage, vous aussi, Antoine, dans votre solitude ?

— Moi ?... J'ai toujours été sauvage... Est-ce que vous voyez un peu, malgré l'obscurité ? Des deux côtés de ce bassin de faïence, ce sont des massifs de cinéraires... Le thème de tout le jardin est l'opposition de fleurs sombres, violettes ou bleues, avec des notes très vives de jaune... Du moins telle était l'idée de Françoise... Ici, sur la pente, elle a voulu créer une sorte de maquis : genêts, lentisques, cystes, asphodèles...

— Je suis contente de vous revoir seul, Antoine... J'aime tendrement votre femme mais tout de même, nous avons été de grands amis, vous et moi, avant que vous la connaissiez... Vous en souvenez-vous encore ?

Prudemment, il ralentit le pas pour ne pas se trouver trop près d'elle.

— Mais naturellement, Sabine... Comment ne m'en souviendrais-je pas?... Non, allez droit devant vous ; traversez le petit pont ; voici le cloître... Ces fleurs entre les dalles ? Ce sont des pensées, tout simplement...

— Vous rappelez-vous ce bal du Cercle qui fut mon premier bal?... Vous m'aviez ramenée chez moi, dans la voiture de votre grand-père... Mes parents étaient déjà couchés ; nous sommes entrés

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ensemble dans le petit salon ; sans dire un mot, vous m'avez enlacée et nous nous sommes remis à danser, gravement.

— Est-ce que je ne vous ai pas un peu embrassée ce soir-là ?— Un peu !... Nous nous sommes embrassés pendant une

heure!... C'était bien agréable... Vous étiez mon héros.— Comme j'ai dû vous décevoir !— Au début de la guerre, vous m'avez au contraire éblouie...

Vous étiez merveilleux... Je savais vos citations par cœur... Je les sais encore : je pourrais vous les réciter... Ensuite, lorsque vous avez été blessé et que, pendant votre convalescence, vous vous êtes fiancé avec Françoise Pascal-Bouchet, oui, très franchement, j'ai été déçue !... Que voulez-vous ? Je vous admirais tant... Lorsque je vous ai vu épouser cette jeune fille que je connaissais bien, qui avait été ma camarade de classe à Saint-Jean, qui était charmante mais un peu so-sotte (je vous demande pardon, Antoine), j'ai été surprise, attristée... Et pas seulement moi: toute la ville...

— Mais pourquoi ?... Nous étions du même monde, Françoise et moi, et parfaitement assortis... Regardez, Sabine : cette muraille semée de lumières, c'est le rocher de Monaco... Ne vous penchez pas trop ; la terrasse est à pic sur la mer... Attention, Sabine!...

D'un mouvement involontaire, il la retint par la taille ; avec une surprenante rapidité, elle se retourna et lui planta, en pleines lèvres, un baiser.

— Tant pis, Antoine... J'en avais trop envie... Il est plus difficile de se tenir à distance d'une chair déjà familière... Vous souvenez-vous de nos baisers, au tennis ?... Oh ! je vois que je vous choque! Vous êtes resté très Quesnay... Je suis sûre que vous avez été un mari fidèle?

— Prodigieusement fidèle... Immaculé...— Pendant dix ans? Pauvre Antoine!... Et vous avez été

heureux?— Très heureux.— Alors tout est pour le mieux, mon petit Antoine... Ce qui est

curieux, c'est que vous n'avez pas l'air heureux.— A quoi voyez-vous cela ?

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— Je ne sais pas... Quelque chose en vous d'impatient, d'irritable, de désœuvré... Tout de même, Antoine, vous étiez un Quesnay de Pont-de-l'Eure, c'est-à-dire un être actif, un chef... Et vous vivez ici, loin de votre métier, de vos amis... Je sais bien que vous avez tout sacrifié aux goûts de votre femme... Mais il n'est pas possible que vous ne le regrettiez pas ?

— Peut-être, au début, ai-je souffert de ce départ. Mais j'ai trouvé ici d'autres moyens de m'occuper. J'ai toujours beaucoup aimé l'histoi-re... Je travaille... J'ai même publié quelques livres, qui ont eu un certain succès.

— Un certain succès ? Mais ils ont eu beaucoup de succès, Antoine, et ils sont remarquables... Surtout votre Louis XI...

— Vous les avez lus ?— Si je les ai lus ? Cent fois !... D'abord parce que, moi aussi,

j'adore l'histoire... Et puis aussi parce que je vous y cherchais. Je suis restée très curieuse de vous, Antoine... Et je vous tiens pour un excellent écrivain... Non, je n'exagère pas. J'ai même été frappée, je vous l'avoue, pendant tout le dîner, par le silence de Françoise sur ce côté de votre vie... A deux on trois reprises, mon mari a essayé de vous parler de vos livres ; chaque fois, Françoise a coupé... Elle devrait, semble-t-il, être fière...

— Oh ! il n'y a là aucun sujet de fierté... Seulement c'est vrai que Françoise ne s'intéresse pas du tout à ce genre de travaux. Elle lit plutôt des romans... Et surtout elle est artiste à sa manière : elle l'est pour ses robes, pour l'ordonnance de son jardin... Pensez que с’est elle qui a réglé ici la place de la moindre touffe de fleurs... Depuis que la crise a touché Pont-de-l'Eure, nos revenus ont baissé. Françoise fait tout elle-même.

— Françoise fait tout ! Françoise a tant de goût ! Ce qui est amusant, c'est qu'il le croit!... Mais vous êtes trop modeste, Antoine... Moi, j'ai connu Françoise jeune fille... Elle avait beaucoup moins de goût qu'aujourd'hui, ou du moins elle avait ce goût excessif des Pascal-Bouchet, pour les bibelots, pour les ornements... Quelque chose de mièvre... C'est vous qui l'avez formée et qui lui avez

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enseigné la beauté des lignes simples, de l'ordre... Et surtout c'est vous qui lui avez donné les moyens de mener ce train... La robe qu'elle porte ce soir est jolie, parfaitement choisie, mais n'oubliez pas, mon cher, que c'est une robe de Schiaparelli... Cela rend le goût assez facile.

— Détrompez-vous, Sabine... C'est une robe que Françoise a faite, avec sa femme de chambre.

— Ah ! ça non ! Mon petit Antoine, il ne faut pas raconter ces choses-là à une femme... Il y a une technique du biais, une perfection des nervures... Et d'ailleurs Schiaparelli se réserve l'exclusivité de ses imprimés : ce mélange de boutons d'or et de pervenches n'existe que chez elle... Peu importe d'ailleurs...

— Cela importe malheureusement plus que vous ne pensez... Je vous ai dit que nous n'avions plus les mêmes revenus que jadis... Nous en sommes même très loin ! Pont-de-l'Eure ne me donne plus rien et Bernard écrit que cela peut durer ainsi plusieurs années... Mes livres se vendent assez bien... J'écris quelques articles... Tout de même, la pauvre Françoise n'aurait guère les moyens de s'habiller dans les grandes maisons.

— Alors, c'est prodigieux, mon petit Antoine... Incroyable, mais prodigieux... Il faut que je m'incline... D'ailleurs j'ai toujours eu, moi aussi, une sorte de faiblesse pour Françoise... Et je n'ai jamais compris pourquoi les gens ne l'aiment pas.

— Est-ce que les gens ne l'aiment pas ?— Ils la détestent... Vous ne le saviez pas?... J'ai été frappée de

retrouver, à Nice, les mêmes jugements sur elle qu'à Pont-de-l'Eure.— Que lui reproche-t-on ?— Oh! Toujours les mêmes choses... D'être égoïste, coquette avec

les hommes, un peu perfide avec les femmes... Très dissimulée... Et puis de manquer de tact... Moi, je l'ai toujours défendue. Déjà au temps où nous étions ensemble internes à Saint-Jean, je disais : Françoise Pascal-Bouchet vaut beaucoup mieux qu'elle n'en a l'air... C'est ce ton factice et cette voix désagréable qui vous hérissent contre elle...

— Vous trouvez qu'elle a une voix désagréable ?

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— Antoine!... C'est vrai qu'après dix ans, vous ne devez plus l'entendre... D'ailleurs ce n'est pas sa faute ; je ne lui en veux pas... Non, ce que je lui pardonne plus difficilement, c'est d'avoir un mari tel que vous et...

— Et quoi ?— Non, rien...— Vous n'avez pas le droit, Sabine, de commencer une phrase

qui paraît chargée de sous-entendus et de vous arrêter... Vos informa-teurs disent-ils aussi que Françoise a eu des amants ?

— Vous parlez sérieusement, Antoine ?— Avec un terrible sérieux, je vous assure...— Vous savez bien, mon cher, qu'on en dit autant de toute jolie

femme... Mais qui sait?... Il peut y avoir fumée sans feu... Françoise est imprudente... Quand je pense qu'à Pont-de-l'Eure, elles ont été jusqu'à l'accuser d'être la maîtresse de votre frère !

— De Bernard ?— Oui, de Bernard.— C'est complètement idiot... Bernard est la loyauté même.— C'est ce que je n'ai cessé de répondre... Françoise ne sait pas

quelle bonne avocate elle a en moi. Qu'est-ce que cette touffe blanche qui brille au clair de lune ?

— Des liserons.— C'est ravissant. Ce sont les lys des champs de l'Evangile,

n'est-ce pas ?— Non, je ne crois pas... Voulez-vous que nous allions rejoindre

les autres ?— Vous êtes bien pressé, Antoine... Moi, je resterais volontiers

avec vous toute la nuit, dans ce jardin.— J'ai un peu froid.— Donnez votre main... Mais c'est vrai qu'elle est glacée!...

Voulez-vous la moitié de ma cape ?... Dire que nous avons failli vivre ainsi, serrés l'un contre l'autre... Vous ne l'avez jamais regretté, Antoine ?

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— Que voulez-vous que je réponde, Sabine ?... Et vous ? Etes-vous heureuse ?

— Très heureuse... Comme vous, mon pauvre Antoine, c'est-à-dire avec un fond de désespoir... Je prends le sentier qui monte, n'est-ce pas ?... Je peux être franche avec vous... J'ai longtemps souhaité mourir... Maintenant cela va mieux... Je m'apaise... Vous aussi.

— Comme vous êtes perspicace, Sabine...— N'oubliez pas que je vous ai jadis aimé, Antoine. Cela donne

beaucoup de lucidité... Soutenez-moi, voulez-vous ? Cette pente est raide... Dites-moi, Antoine, quand avez-vous découvert ce qu'était Françoise ?... Quand l'avez-vous vue telle qu'elle est?... Car, au moment de votre mariage, vous étiez fou d'elle.

— Je crains qu'il n'y ait en ce moment un malentendu entre nous, Sabine... Je voudrais que vous compreniez... J'ai, aujourd'hui encore, beaucoup d'affection pour Françoise... Et même affection est un mot ridicule et faible : j'aime Françoise... Mais, comme vous le disiez, les deux premières années de notre mariage ont été des années de véritable adoration et d'un amour que j'avais toutes raisons de croire mutuel.

— Ça!...— Quoi, ça?... Ah, non, Sabine, vous allez trop loin... Vous ne

me priverez pas de mes souvenirs... Françoise m'a donné alors des preuves d'amour auxquelles l'homme le plus aveugle ne se trompe pas... Nous vivions l'un pour l'autre... Nous n'étions heureux que dans la solitude... Vous ne me croyez pas?... Mais enfin, Sabine, je sais ce que je dis : j'y étais... Et vous n'y étiez pas.

— J'y étais avant vous, mon pauvre ami... Je connais votre femme depuis son enfance. Sa soeur Hélène et elle-même ont été élevées avec moi... Je vois encore Françoise, dans la cour de Saint-Jean, une raquette à la main, nous disant, à Hélène et à moi : " II faut que j'épouse l'aîné des Quesnay et je l'épouserai. »

— Ce n'est pas possible, Sabine. La famille Pascal-Bouchet et la mienne avaient toujours été brouillées; Françoise ne me connaissait

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pas... Nous nous sommes rencontrés par hasard, en 1917, pendant mon congé de convalescence.

— Par hasard ?... C'était, en effet, ce que vous deviez croire... Mais j'entends encore Hélène m'expliquer la situation... La vérité est qu'au moment où la guerre a éclaté, leur père, monsieur Pascal-Bouchet, était ruiné... C'était un noceur et un collectionneur, deux plaisirs coûteux... Ses filles l'appelaient toujours : le Pacha, et il méritait le surnom en plus d'une manière... La restauration du château de Fleuré l'avait achevé... « Mes petites filles », avait-il dit à Hélène et à Françoise, « il n'y a que deux alliances, dans ce pays, qui puissent nous sauver : celle des Thianges et celle des Quesnay ». Les petites ont réussi le doublé.

— Qui vous a raconté cette histoire ?— Je vous l'ai dit : les deux sœurs elles-mêmes.— Et vous ne m'avez pas averti?— Je ne pouvais pas dénoncer une amie... Et puis, je ne voulais pas

lui gâter sa seule chance... Parce que Françoise, personne à Louvifrs, ni a Pont-de-1'Eure, à part un Don Quichotte naïf comme vous, ne l'eût épousée... Les familles normandes n'aimaient pas les faillites.

— Mais jamais monsieur Pascal-Bouchet n'a fait faillite...— C'est vrai, mais pourquoi ?... Pendant la guerre, le

gouvernement l'a soutenu, grâce à son autre gendre, Maurice de Thianges, qui était député... Après la guerre, vous savez mieux que personne que votre grand-père a fini par l'aider... C'était bien ce qu'il avait espéré... Ah ! voici de nouveau cette odeur divine... Nous devons approcher de la terrasse... Arrêtez un instant, Antoine, je suis tout essoufflée.

— C'est que vous avez parlé en montant la côte.— Touchez mon cœur, Antoine... Il bat à se rompre... Tenez...

passez mon mouchoir sur vos lèvres... Les femmes sont terribles ; elles découvrent tout de suite une trace de rouge... Non, pas votre mouchoir voyons! Ça se verrait... Si vous étiez un mari moins exemplaire, vous sauriez cela depuis longtemps... Et puis époussetez

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votre épaule gauche ; je vous ai peut-être laissé un peu de poudre... Bien... Nous voici dignes de reparaître à la lumière.

Quelques instants plus tard, les visiteurs partirent et les deux femmes se firent des adieux tendres.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

déplaire v. intr. irriter qqn manquer de qqch supporter qqch imposer qqch contredire qqn profiter de qqch décevoir qqn reprocher qqch à qqn en vouloir à qqn pardonner à qqn

dénoncer qqn gâter qqch querelle n. f. affection n. f. vain adj. exquis adj. gras adj. furieux adj. merveilleux adj. dissimulé adj. insupportable adj

II. Dites comment on appelle : celui qui manque à sa parole, trahit celui qui lui faisait

confiance ; celui qui est aventureux, qui manque de prudence ; celui qui est droit, qui s’exprime ouvertement en toute

clarté ; celui qui a un esprit pénétrant, qui est capable

d’apercevoir ce qui échappe à la plupart des gens ; celui qui mène de manière habituelle une vie de débauche

(mot familier). III. Formez les adverbes à partir des adjectifs suivants : naturel,

franc, imprudent, exact, négligent, désagréable, gentil, incroyable, furieux, terrible.

IV. Replacez les adverbes formés :1) Sa femme était ... jalouse. 2) Elle a ... trois ans de plus que moi. 3)

Je vous le dis ... , sans rien dissimuler. 4) Ses cheveux, ... peignés,

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pendaient par mèches. 5) Elle lui a ... donné son numéro et depuis, il l’accable de ses coups de téléphone. 6) Vous devriez l’accueillir ... . 7) Souvenez-vous de vos promesses d’hier ? – Mais ..., et je les tiendrai. 8) Elle a été ... surprise d’apprendre la nouvelle fâcheuse. 9) Elle paraissait ... belle ce soir-là. 10) Il a dis ... qu’on le laisse tranquille.

V. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français des expressions ci-dessus  et faites les entrer dans des phrases : ужасать кого-либо, остерегаться что-л. делать, прибегать к ..., обзор, избегать споров, почувствовать себя обманутым, иметь изысканный вкус, упрекать кого-либо, беспристрастно судить, приносить счастье, ухаживать за кем-либо, держаться на расстоянии, иметь слабость к…, полный недомолвок, нет дыма без огня, попрощаться.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes: 1) Antoine se sentit frustré de sa querelle avec sa femme. 2) Elle

l’avait contraint à quitter ses affaires, à prendre, tout jeune, une retraite 3) Quand il commençait la revue de ses griefs, elle durait longtemps. 4) Antoine têtu contredisait son invité qui, mieux informé, marquait tous les points. 5) Françoise savait reconnaître à des signes imperceptibles la montée des colères de son mari. 6) Lorsque Sabine a vu Antoine épouser une autre jeune fille elle a été surprise et attristée... 7) Elle a été frappée par le silence de Françoise sur les livres de son mari. 8) Sabine trouvait incroyable, mais prodigieux que Françoise fasse ses robes elle-même. 9) C'est ce ton factice et cette voix désagréable qui vous hérissent contre elle... 10) On lui reprochait d'être égoïste, très dissimulée, coquette avec les hommes, un peu perfide avec les femmes.

VII. Relevez dans le texte de la nouvelle les noms des plantes qui font le jardin des Quesnay admirable. Quels plantes - arbres, arbustes et fleurs – peut-on cultivez dans votre région ? Faites-en la liste.

VIII. Conjuguez au présent et au passé simple le verbe décevoir, nommez son participe passé. Trouvez les mots de la même famille que le verbe décevoir.

IX. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1)« Je ne pense pas qu'elle m'ait jamais pardonné de t'avoir

préférée... » 2)« Il le croyait, mais qu'elle eût été plusieurs fois coquette, et

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même imprudente, cela était trop certain. » 3)« Elle était la première jeune fille avec laquelle il se fût montré hardi, sans doute parce qu'il la devinait consentante. » 4)« Quant à Françoise, souhaite-t-elle que ce ministre, si content de soi, lui fasse la cour ? » 5)« Mais il n'est pas possible que vous ne le regrettiez pas ? » 6)« Que voulez-vous que je réponde, Sabine ?... Je crains qu'il n'y ait en ce moment un malentendu entre nous, Sabine.. ».

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié: 1) У этой женщины изысканный вкус. 2) Нам не в чем упрекнуть

этого человека. 3) Она бестактна по отношению к людям. 4) Он опасался, что министр воспользуется его отсутствием и назначит другого на его пост. 5) Фильм его разочаровал. 6) Он с нежностью относился к жене и прощал ей её резкость. 7) Мы сохранили чудесные воспоминания об этой поездке. 8) Эта толстая, болтливая женщина его бесконечно раздражала. 9) Эта ссора мне очень неприятна; остается только надеяться, что все уладится. 10) Он не терпел, чтобы ему возражали. 11) На кого вы сердитесь? 12) Ваши усилия утихомирить его бесплодны, он зол на весь мир. 13) Насколько мне известно, он живет один и нисколько этим не огорчен. 14) Его махинации в конце концов разоблачили. 15) Этот политик прекрасный оратор и легко заставляет слушателей принять свою точку зрения.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Quand se passe l’action de la nouvelle ? Dans quelle région vivent les Quesnay? Décrivez leur maison et le jardin ? Relevez les noms de plantes qui poussent dans le jardin ?

II. Dressez le plan de la nouvelle.III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Pourquoi Antoine a-t-il failli se quereller avec Françoise? Pourquoi, cependant, ne s’est-il pas querellé avec elle ? Est-ce une question de nature, de caractère résigné, d’éducation ou de tactique ?

2. Quels souvenirs de Sabine Lambert-Leclerc ont envahi Antoine? Qu'est-ce qui a fait Antoine oublier sa rancune contre

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Françoise?3. Quel air avait le couple de Lambert-Leclerc? Quelle

conversation tenaient les deux couples pendant le dîner?4. Pourquoi Antoine craignait-il de rester seul avec Sabine?5. Pourquoi et quand Antoine s'était-il fiancé avec Françoise?

Qu'avait-il sacrifié aux goûts de sa femme? Françoise s'intéressait-elle aux travaux de son mari?

6. Sabine partageait-elle l'avis d'Antoine au sujet de Françoise? Selon Sabine, les gens aimaient-ils Françoise? Quels défaut lui trouvait Sabine ?

7. Sabine avait-elle vraiment beaucoup d'affection pour Françoise comme elle le prétendait? Pourquoi, d'après Sabine, Françoise avait-elle épousé Antoine?

8. Les deux femmes quels adieux se sont-elles faits?V. En vous basant sur le texte, faites le portrait physique et

moral de Françoise Quesnay. Décrivez le plus près du texte les occupations de Françoise Quesnay.

VI. Brossez le portrait moral d'Antoine Quesnay. Parlez des occupations d'Antoine Quesnay avant et après le mariage. Quelle idée vous êtes-vous faite d’Antoine ?

VII. Parlez de la vie en commun des Quesnay.VIII. Faites le portrait physique et moral de Sabine Lambert-

Leclerc Exposez votre point de vue sur la vie conjugale des Lambert-Leclerc.

IX. Faites part des impressions que vous ont laissées les personnages féminins de la nouvelle.

X. Qu'en pensez-vous, pourquoi Françoise a-t-elle invité les Lambert-Leclerc? Antoine était-il heureux avec Françoise? Françoise aimait-elle, d'après vous, son mari? Antoine aurait-il été heureux s'il avait épousé Sabine?

XI. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle. Commentez le titre de la nouvelle.

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A D I S C U T E R • «80% des Français considèrent que la meilleure façon de

vivre en couple est de partager le maximum de choses (loisirs, sor-ties, revenus, relations, logement...). Ils ne sont que 16% à considérer que chacun doit conserver, s'il le veut, une large autonomie» (Francoscopie).

Comment vous situez-vous par rapport à ce choix ?

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IRÈNE— Je suis contente de sortir avec vous ce soir, dit-elle. La semaine

a été dure. Tant de travail et tant de déceptions... Mais vous êtes là, je n'y pense plus... Ecoutez... Nous allons voir un merveilleux film...

— Ne croyez pas, dit-il d'un air boudeur, que vous me traînerez ce soir au cinéma.

— C'est dommage, dit-elle... Je me réjouissais de voir ce film avec vous... Mais cela ne fait rien... Je connais à Montparnasse une boîte nouvelle où dansent de merveilleux Martiniquais...

— Ah! non, dit-il avec force... Pas de musique noire, Irène... J'en suis saturé.

— Et que voulez-vous faire? dit-elle.— Vous le savez bien, dit-il... Dîner dans un petit restaurant

tranquille, parler, rentrer chez vous, m'étendre sur un divan et rêver...— Eh bien! non! dit-elle à son tour... Non...! Vous êtes vraiment

trop égoïste, mon cher... Vous semblez tout surpris?... C'est que personne ne vous dit jamais la vérité... Personne... Vous avez pris l'habitude de voir les femmes accepter vos désirs comme des lois... Vous êtes une sorte de sultan moderne... Votre harem est ouvert... Il s'étend sur dix pays... Mais c'est un harem... Les femmes sont vos esclaves... Et la vôtre plus que toutes les autres... Si vous avez envie de rêver, elles doivent vous regarder rêver. Si vous avez envie de danser, elles doivent s'agiter. Si vous avez écrit quatre lignes, elles doivent les écouter. Si vous avez envie d'être amusé, elles doivent se changer en Schéhérazade... Encore une fois, non, mon cher!... Il y aura au moins une femme au monde qui ne se pliera pas à vos caprices...

Elle s'arrêta et reprit, d'un ton plus doux:— Quelle tristesse, Bernard!... Je me réjouissais tant de vous

voir... Je pensais que vous m'aideriez à oublier mes ennuis... Et vous arrivez, ne pensant qu'à vous... Allez-vous-en... Vous reviendrez quand vous aurez appris à tenir compte de l'existence des autres...

* * *

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Toute la nuit, étendu sans dormir, Bernard médita tristement. Irène avait raison. Il était odieux. Non seulement il trompait et abandonnait Alice, qui était douce, fidèle et résignée, mais il la trompait sans amour. Pourquoi était-il ainsi fait? Pourquoi ce besoin de conquête et de domination? Pourquoi cette impuissance à "tenir compte de l'existence des autres"? Méditant sur son passé, il revit une jeunesse difficile, des femmes inaccessibles. Il y avait de la revanche dans son égoïsme, de la timidité dans son cynisme. Ce n'était pas un sentiment très noble.

„Noble? pensa-t-il... Je tombe dans les platitudes". Il fallait être dur. En amour, qui ne dévore pas est dévoré. Tout de même, ce devait être une délivrance parfois que de céder, d'être enfin le plus faible, de chercher son bonheur dans celui d'un autre.

Isolées, séparées par des silences de plus en plus longs, les dernières voitures regagnaient les garages... Chercher son bonheur dans celui d'une autre? Ne le pouvait-il pas? Qui l'avait condamné à la cruauté? Tout homme n'a-t-il pas le droit, à chaque moment, de recommencer sa vie? Et pouvait-il, pour ce rôle nouveau, trouver meilleur partenaire qu'Irène? Irène si touchante, avec son unique robe du soir, ses bas reprisés, son manteau râpé. Irène si belle et si pauvre. Si généreuse dans sa pauvreté. Dix fois il l'avait surprise secourant des étudiants russes, plus pauvres qu'elle, et qui, sans elle, seraient morts de faim. Elle travaillait six jours par semaine dans un magasin, elle qui, avant la Révolution, avait été élevée en fille princière. Elle n'en parlait jamais... Irène... Comment avait-il pu lui marchander les plaisirs naïfs d'un soir de liberté?

Bruyant, faisant trembler les vitres, le dernier autobus passa. Maintenant aucun bruit ne couperait plus le trait continu de la nuit. Las de lui-même, Bernard chercha le sommeil. Soudain une grande paix le baigna. Il avait pris une résolution. Il se consacrerait au bonheur d'Irène. Il serait pour elle un ami tendre, prévenant, soumis. Oui, soumis. Cette décision le calma si bien qu'il s'endormit presque tout de suite.

* * *Le lendemain matin, quand il se réveilla, il était encore tout

heureux. Il se leva et s'habilla en chantant, ce qui ne lui était pas arrivé

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depuis son adolescence. „Ce soir, pensa-t-il, j'irai voir Irène, lui demander mon pardon".

Comme il nouait sa cravate, le téléphone sonna.— Allô! dit la voix chantante d'Irène... C'est vous, Bernard?...

Ecoutez... Je n'ai pas pu dormir. J'étais pleine de remords... Comme je vous ai traité, hier soir... Il faut me pardonner... Je ne sais ce que j'avais...

— Au contraire, c'est moi, dit-il... Irène, toute la nuit, je me suis juré de changer.

— Quelle folie, dit-elle, surtout ne changez pas... Ah! Non! Ce qu'on aime en vous Bernard, c'est justement ces caprices, ces exigences, ce caractère d'enfant gâté... C'est si agréable, un homme qui vous oblige à faire des sacrifices... Je voulais vous dire que je suis libre ce soir et que je ne vous imposerai aucun programme... Disposez de moi...

Bernard, en raccrochant le récepteur, secoua la tête avec tristesse.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

se réjouir de accepter qqch céder à qqn condamner à qqch se consacrer à imposer qqch à qqn se plier à qqn (à qqch) s’agiter v.intr. obliger qqn à faire qqch délivrance n.f. cruauté n.f. remords n.m.pl. sacrifice n.m.

timidité n.f. ennui n.m. odieux adj. prévenant adj. doux adj. soumis adj. généreux adj. touchant adj doux adj inaccessible adj tendre adj noble adj. saturé adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui est dégoûté d’avoir quelque chose en surabondance ; celui qui accepte tout avec soumission ; celui qui ne pense qu’à soi-même ;

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celui qui est immoral, qui exprime sans ménagement des opinions contraires à la morale reçue ;

celui qui est impitoyable, qui prend plaisir à faire, à voir souffrir ; celui qui est attentionné, qui va au-devant des désirs d’autrui.III. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents

français: заштопанные чулки, потёртое пальто, с недовольным видом, мне это надоело, уступать капризам, считаться с существованием, пытаться заснуть, принять решение, воспитываться как княжеская дочь, начать жизнь заново, повесить трубку, испытывать угрызения совести, выставить за дверь.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Elle s’est hâtée de mettre les chaussures pour ne pas faire voir ses ... . 2) Faible et résigné il ... ... de sa femme. 3) Après la soirée trop agité, elle ... longtemps ... et ne s’est endormie que vers le matin. 4) Nous pouvions à peine le reconnaître dans son ... , lui, autrefois si Dandy. 5) La jeune fille, bien qu’élevée ...., acceptait avec beaucoup de courage les privations actuelles. 6) Après la nuit de réflexion, Bernard ... ... de changer son comportement. 7) Il se sentait ... de la musique trop bruyante. 8) Enfin, j’ai réussi à attirer l’attention de l’employée qui, … …, a demandé ce que je voulais. 9) Dans les relations, Irène croyait important de ... ... des autres. 10) Malgré tant d’échecs qui mettait fin à sa carrière il s’est pas découragé et ... ... .

V. Précisez la différence de sens des verbes changer et se changer. Traduisez :

1) За те годы, что мы не виделись, она сильно изменилась. 2) Он обменял доллары на рубли. 3) Он всё переделал в квартире, переставил мебель. 4) Съездите на море, вы отдохнёте. 5) Он легко переубедил своих оппонентов. 6) О, вы изменили причёску, она вам идёт. 7) Мне нужно зайти домой, чтобы переодеться. 8) За годы его отсутствия город сильно изменился. 9) Мать переодела ребёнка во всё чистое. 10) В Москве он пересел на другой поезд.

VI. Relevez dans la lecture tous les adjectifs au sens approbatif et désapprobatif. Ecrivez-les en deux colonnes.

VII. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : ennui, timidité, cynisme, délivrance, cruauté, résolution, générosité, liberté, lassitude, soumission, tranquillité, platitude..

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VIII. Terminez les phrases en ajoutant les contraires des mots soulignés :

Bernard a médité tristement sur ses relations avec les femmes. Il était coureur de jupon et avait un caractère révolté, pourtant sa femme était ... et .... Il était même odieux et cynique avec les femmes ... et ... . Il s’est montré égoïste avec Irène qu’il savait vraiment ... , secourant par exemple ses compatriotes pauvres. Il se sentait cruel et comprenait combien Irène était ... .

IX. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Je me réjouissais de voir ce film avec vous. 2) Vous avez pris

l’habitude de voir les femmes accepter vos désirs comme des lois. 3) Si vous avez envie de rêver, elles doivent vous regarder rêver. 4) II y aura au moins une femme au monde qui ne se pliera pas à vos caprices... 5) II avait pris une décision. 6) II serait pour elle un ami tendre prévenant et soumis. 7) Ne croyez pas, dit-il d'un air boudeur, que vous me traînerez ce soir au cinéma. 8) Toute la nuit, étendu sans dormir, Bernard médita tristement. 9) Dix fois il l'avait surprise secourant des étudiants russes... 10) Je voulais vous dire que je suis libre ce soir et que je ne vous imposerai aucun programme.

X. Complétez chacune des phrases proposées en utilisant les mots donnés. l'amabilité - un fiancé - un amant - amoureusement - amoureux - une maîtresse - une petite amie - aimable - une amourette - l'amour-propre - aimablement - une liaison - un coup de foudre - une rupture

1. Jean est très ... de Paule. Il ne la considère pas comme sa ... . C'est beaucoup plus fort qu'une simple ... . Ils ne se quittent plus. C'est un vrai ... !

2. Tu sais comment il s'est comporté avec moi! Mais j'ai fait taire mon ... et je lui ai répondu ... .

3. Elle trompe son mari. C'est Albert qui est son .... Elle est sa ... depuis deux ans.

4. Elle m'a dit : «Je vous présente mon ... . Nous devons nous marier le mois prochain » et elle le regardait ….

5. Leur ... durait depuis un an. Leur ... date d'hier.6. Ce commerçant est toujours très .... Il a raison. Il faut savoir

accueillir les clients avec ... .XI. Conjuguez au présent le verbe se réjouir, nommez son

participe passé. Formez des groupes de mots avec ce verbe.

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XII. Replacez les préposition ou des articles contractés qui conviennent :

1) Je me réjouissais ... voir ce film avec mes amis. 2) Il se sentait saturé ... des blagues de son copain. 3) Vous avez pris la mauvaise habitude ... venir en retard. 4) Si vous avez envie ... vous amuser, allez voir cette comédie. 5) La mère ne voulait pas se plier ... caprices de sa fille. 6) Je pensais que vous m'aideriez ... oublier mes ennuis. 7) Il a pris la résolution ... se consacrer ... bonheur d'Irène. 8) Il s’est juré ... changer. 9) Irène trouvait agréable qu’un homme l’oblige ... faire des sacrifices. 10) On a condamné le criminel ... deux ans de prison.

XIII. Répondez, aux questions ci-dessous en remplaçant les mots soulignés par les pronoms qui conviennent:1) Irène parle-t-elle d'aller au cinéma? 2) Bernard, est-il saturé de la musique noire? 3) Bernard, est-il prêt à devenir un ami tendre et soumis d'Irène? 4) Bernard, est-il content de la proposition d'Irène? 5) Irène, se réjouissait-elle d'aller au cinéma avec son ami? 6) Est-elle satisfaite de la conduite de Bernard? 7) Etait-elle pleine de remords? 6) Bernard, est-il déçu d'Irène? 9) Est-ce qu'il a pensé à leur vie future? 10) A-t-il pensé à Irène? 11) Etait-il prêt à se consacrer au bonheur d'Irène? 12) Se serait-il consacré à Irène?

XIV.Traduisez en français en employant le lexique étudié:I) У меня нет желания идти вечером в театр. 2) Я не могу принять Вашей жертвы. 3) Его разочарование было полным. 4) Почему я должен подчиняться всем вашим капризам? 5) Он привык прочиты-вать 3-4 страницы хорошей прозы перед сном. 6) Вы знаете, у него большие неприятности. 7) До чего же он гнусный, этот господин! 8) Она заранее радовалась предстоящим выходным. 9) В юности все женщины казались ему недоступными. 10) Застенчивость была основной чертой его характера. II) Не навязывайте мне своих идей - я вправе иметь собственное суждение. 12) Вы сами заставляете быть жестокой. 13) Он решил всего себя посвятить Ирэн, стать ей настоящим другом, предупредительным и безропотным. 13) Мне нравится служащие этого магазина: они такие предупредительные. 14) Рассердившись, она обозвала его эгоистом. 15) Он с грустью её выслушал и повесил трубку.

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E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Quels projets de la soirée propose Irène ? Comment sont-ils acceptés par Bernard ?

2. Que reproche-t-elle à Bernard ? Quelle serait la condition de son retour ?

3. Comment Bernard, a-t-il passé la nuit ? A quoi a-t-il réfléchi ? Quelle explication trouve-t-il à son besoin de conquête et de domination ?

4. Quelle résolution prend-il et pourquoi en éprouve-t-il du soulagement ?

5. Pourquoi le coup de téléphone d’Irène, le déçoit-il ?6. Quelle nuit, selon vous, a passé Irène ? Rétablissez le fil de

ses pensées à elle qui l’ont ramenée à la conclusion prise ? IV. Commentez :"II y avait de la revanche dans son égoïsme, de la timidité dans son

cynisme. Ce n'était pas un sentiment très noble"."Tout de même, ce devait être une délivrance parfois que de céder,

d'être enfin le plus faible, de chercher son bonheur dans celui d'un autre. ""En amour qui ne dévore pas est dévoré"."C'est si agréable, un homme qui vous oblige à faire des sacrifices... "V.Relevez dans le texte de la nouvelle toute l’information

concernant les personnages principaux (origine, situation, état civile, occupations, passe-temps favori, caractère). Caractérisez les deux personnages. Quels sentiments Irène, évoque-t-elle en vous? Sympathisez-vous avec Bernard?

VI. Comment imaginez-vous la suite des relations de Bernard et d’Irène ?

VII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle.

A D I S C U T E R

"En amour qui ne dévore pas est dévoré". Partagez-vous l’opinion de Bernard sur les rapports dans un couple ?

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Naissance d’un maîtreLe peintre Pierre Douche achevait une nature morte, fleurs dans

un pot de pharmacie, aubergines dans une assiette, quand le romancier Paul-Emile Glaise entra dans l'atelier. Glaise observa pendant quelques minutes son ami qui travaillait, puis dit fortement :

— Non. L'autre, surpris, leva la tête, et s'arrêta de polir une aubergine.— Non ! reprit Glaise. Non ! Tu n'arriveras jamais. Tu as du

métier, tu as du talent, tu es honnête. Mais ta peinture est plate, mon bonhomme. Ça n'éclate pas, ça ne gueule pas. Dans un salon de cinq mille toiles, rien n'arrête devant les tiennes le promeneur endormi... Non, Pierre Douche, tu n'arriveras jamais. Et c'est dommage.

— Pourquoi ? soupira l'honnête Douche. Je fais ce que je vois : j'essaie d'exprimer ce que je sens.

— Il s'agit bien de ça, mon pauvre ami. Tu as une femme, mon bonhomme, une femme et trois enfants. Chacun d'eux a besoin de trois mille calories par jour. Il y a plus de tableaux que d'acheteurs, et plus d'imbéciles que de connaisseurs. Or quel est le moyen, Pierre Douche, d'émerger de la foule des inconnus et des ratés ?

— Le travail, dit Pierre Douche, la sincérité.— Sois sérieux. Le seul moyen, Pierre Douche, de réveiller les

imbéciles, c'est de faire des choses énormes. Annonce que tu vas peindre au Pôle Nord. Promène-toi vêtu en roi égyptien. Fonde une école. Mélange dans un chapeau des mots savants : extériorisation, dynamisme, subconscient, non figuratif et compose des manifestes. Nie le mouvement, ou le repos ; le blanc, ou le noir ; le cercle, ou le carré. Invente la peinture néo-homérique qui ne connaîtra que le rouge et le jaune, la peinture cylindrique, la peinture octaédrique, la peinture à quatre dimensions...

A ce moment, un parfum étrange et doux annonça l'entrée de Mme Kosnevska. C'était une belle Polonaise dont Pierre Douche admirait les yeux violets. Abonnée à des revues coûteuses qui reproduisaient à grands frais des chefs-d'œuvre d'enfants de trois ans,

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elle n'y trouvait pas le nom de l'honnête Douche et méprisait sa peinture. S'allongeant sur un divan, elle regarda la toile commencée, secoua ses cheveux blonds, et sourit avec un peu de dépit :

— J'ai été hier, dit-elle de son accent roulant et chantant, voir une exposition d'art nègre de la bonne époque. Ah ! la sensibilité, le modelé, la force de ça !

Le peintre apporta, pour le lui montrer, un portrait dont il était content.

— Gentil, dit-elle du bout des lèvres. Puis déçue, roulante, chantante, parfumée, elle disparut.

Pierre Douche jeta sa palette dans un coin et se laissa tomber sur le divan : « Je vais, dit-il, me faire inspecteur d'assurances, employé de banque, agent de police. La peinture est le dernier des métiers. Le succès, fait par des badauds, ne va qu'à des faiseurs. Au lieu de respecter les maîtres, les critiques encouragent les barbares. J'en ai assez ; je renonce. »

Paul-Emile, ayant écouté, alluma une cigarette et réfléchit assez longuement.

— Te sens-tu capable, dit-il enfin, d'annoncer avec un sérieux pontifical à la Kosnevska, et à quelques autres, que tu prépares depuis dix ans un renouvellement de ta manière ?

— Moi?— Ecoute... Je vais informer nos «élites», en deux articles bien

placés, que tu fondes l'école idéo-analytique Jusqu'à toi, les portraitistes, dans leur ignorance, ont étudié le visage humain. Sottise ! Non, ce qui représente vraiment l'homme, ce sont les idées qu'il évoque en nous. Ainsi le portrait d'un colonel, c'est un fond bleu et or que barrent cinq énormes galons, un cheval dans un coin, des croix dans l'autre. Le portrait d'un industriel, c'est une cheminée d'usine, un poing fermé sur une table. Comprends-tu, Pierre Douche, ce que tu apportes au monde, et peux-tu me peindre en un mois vingt portraits idéo-analytiques ?

Le peintre sourit tristement.— En une heure, dit-il, et ce qui est triste, Glaise, c'est que, si

j'étais un autre homme, cela pourrait réussir.

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— Essayons.— Je manque de bagout.— Alors, mon bonhomme, à toute demande d'explication, tu

prendras un temps, tu allumeras ta pipe, tu lanceras une bouffée au nez du questionneur, et tu diras ces simples mots :

« Avez-vous jamais regardé un fleuve ? »—— Et qu'est-ce que cela veut dire ?— Rien, dit Glaise, aussi te trouveront-ils très fort, et quand ils

t'auront découvert, expliqué, exalté, nous raconterons l'aventure et jouirons de leur confusion.

Deux mois plus tard, le vernissage de l'Exposition Douche s'achevait en triomphe. Chantante, roulante, parfumée, la belle Mme Kosnevska ne quittait plus son nouveau grand homme.

— Ah ! répétait-elle, la sensibilité ! le modelé ! la force de ça ! Et comment, cher, êtes-vous parvenu à ces synthèses étonnantes ?

Le peintre prit .un temps, ralluma sa pipe, lança une forte bouffée et dit : « Avez-vous jamais, madame, regardé un fleuve ? »

Les lèvres de la belle Polonaise, émues, promirent des bonheurs roulants et chantants.

En pardessus à col de lapin, le jeune et brillant Strunski discutait au milieu d'un groupe : « Très fort! disait-il. Très fort! Mais, dites-moi, Douche, la révélation ? D'où vous vint-elle ? De mes articles ? »

Pierre Douche prit un temps considérable, lui souffla au nez une bouffée triomphante et dit :

« Avez-vous jamais, mon cher, regardé un fleuve ?»— Admirable ! approuva l'autre ; admirable ! A ce moment, un

célèbre marchand de tableaux, ayant achevé le tour de Râtelier, prit le peintre par la manche et l'entraîna dans un coin.

— Douche, mon ami, dit-il, vous êtes un malin. On peut faire un lancement de ceci. Réservez-moi votre production. Ne changez pas de manière avant que je ne vous le dise, et je vous achète cinquante tableaux par an... Ça va ? Douche, énigmatique, fuma sans répondre. Lentement l'atelier se vida. Paul-Emile Glaise alla fermer la porte derrière le dernier visiteur. On entendit dans l'escalier un murmure

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admiratif qui s'éloignait. Puis, resté seul avec le peintre, le romancier mit joyeusement les mains dans ses poches.

— Eh bien ! mon bonhomme, dit-il, crois-tu que nous les avons eus ? As-tu entendu le petit au col de lapin ? Et la belle Polonaise ? Et les trois jolies jeunes filles qui répétaient : « Si neuf ! Si neuf ! » Ah ! Pierre Douche, je croyais la bêtise humaine insondable, mais ceci passe mes espérances.

Il fut pris d'une crise de rire inextinguible. Le peintre fronça le sourcil et, comme des hoquets convulsifs secouaient l'autre, dit brusquement :

— Imbécile !— Imbécile ? cria le romancier furieux. Quand je viens de réussir

la plus belle charge que depuis Bixiou...Le peintre parcourut des yeux avec orgueil les vingt portraits

analytiques et dit avec la force que donne la certitude :— Oui, Glaise, tu es un imbécile. Il y a quelque chose dans cette

peinture...Le romancier contempla son ami avec stupeur.— Celle-là est forte ! hurla-t-il. Douche» souviens-toi. Qui t'a

suggéré cette manière nouvelle ?Alors Pierre Douche prit un temps, et, tirant de sa pipe une

énorme bouffée :— As-tu jamais, dit-il, regardé un fleuve ?

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots et des expressions ci-dessous, faites les entrer dans des phrases :

approuver qqn, qqch contempler qqn, qqch émerger v.intr. encourager qqn, qqch évoquer qqch. fonder qqch mépriser qqn, qqch observer qqch

parvenir à faire qqch renoncer à qqch suggérer qqch malin n.m. sincérité n.f. vernissage, n.m plat adj.

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II. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : sincérité, travail, talent, sensibilité, force, confusion, admiration, bêtise, élite, ignorance, sottise, aventure, triomphe, orgueil, certitude, stupeur.

III. Trouvez des équivalents russes des expressions ci-dessous : faire des choses énormes, à grand frais, avec un sérieux pontifical, manquer de bagout, prendre un temps, s’achever en triomphe, achever le tour de l’atelier, la bêtise insondable, celle-là est forte. Faites-les entrer dans des phrases.

IV. Relevez dans la lecture les genres dans lesquels travaille Pierre Douche. Nommez d’autres genres de la peinture.

V. Relisez le fragment à partir de  Sois sérieux... jusqu’à la peinture à quatre dimension. Devinez le sens des mots savants dont il est question. Dites ce qui vous a suggéré le sens des mots nouveaux : extériorisation, dynamisme, subconscient, non figuratif, néo-homérique, cylindrique, octaédrique, à quatre dimensions.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Ce roman est médiocre, mais les critiques étaient favorables. 2) II n'a pas réussi sa carrière de journaliste. 3) II est un homme franc . 4) Lés caprices de sa femme lui coûtaient cher. 5) Regardez ce tableau! Le paysage est de toute beauté 6) Qui est cet homme à l'air mystérieux . 7) Avec ta paresse tu ne parviendras jamais. 8) Sa peinture était dépourvue de force . 9) Le peintre a réussi à organiser en dépensant beaucoup son exposition. 10) Il n’acceptera pas votre proposition : c’est trop risqué, et lui, il manque de courage.

VII. Expliquez la différence entre les verbes refuser et renoncer. Replacez le verbe qui convient :

1) Le jeune homme lui a offert de l’accompagner, mais elle ... cette offre. 2) On m’a demandé de participer à ce concert, mais j’ai dû ... faute de temps. 3) D’abord, il voulait passer son congé dans le Midi, mais il ... à ce projet, car les médecins le lui déconseillaient. 4) Depuis son enfance, il rêvait de devenir musicien, mais après ce

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terrible accident, il a dû ... la carrière musicale. 5) La tentation de passer une journée en plein air était grande, mais à la réflexion j’y ...  : j’avais un examen le lendemain. 6) Cet enfant est insupportable  : il ... obéir à ses parents. 7) Après sa chute, le sportif ... participer à l’épreuve. 8) Cette femme a adopté les idées de son mari en ... les siennes. 9) Le peintre avait assez de l’indifférence du publique et était prêt à ... la peinture. 10) En fin de compte, il ne pas ... de réaliser le projet de son ami.

VIII. Conjuguez au présent les verbes peindre et parvenir, formez leur passé composé.

IX. Précisez le sens du verbe parvenir dans le texte. Trouvez d'autres significations de ce verbe. Traduisez:

I) Нам удалось добраться до театра вовремя. 2) Он добился боль-шого успеха. 3) Ему удалось убедить коллег в правильности своего решения. 4) Он дожил до старости. 5) Моё письмо не дошло до них вовремя.

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1)Некоторое время он наблюдал за работой друга. 2)Он так

и не смог выделиться из толпы неудачников. 3)Они его презирали за трусость. 4)Я вынужден отказаться от своих планов. 5)Он основал свое предприятие в тридцать лет. 6)Этот роман вызывает мысль о красоте бытия. 7)Я одобряю ваше желание уехать на некоторое время. 8)Они с восхищением рассматривали полотно. 9)Он подсказал ему мысль основать свою школу. 10)Шедевры французской живописи можно увидеть в Пушкинском музее. 11)Искренность этого человека обескураживала. 12)Руководитель одобрил его выступление. 13)Его стиль напоминал передвижников. 14)На всякого мудреца довольно простоты. 15)Меценат поддержал начинающего художника.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.

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III. Répondez aux questions suivantes :1. Où et quand se passe l’action de la nouvelle ? Quelles

nouvelles écoles de peinture se fondent à cette époque qui suggère à A. Maurois l’idée de la nouvelle ?

2. Pourquoi Paul-Emile Glaise, en constatant que Pierre Douche n’arrivera jamais, en exprime son regret ?

3. Quel est le moyen, selon Paul-Emile Glaise et Pierre Douche « d’émerger de la foule » ?

4. Pierre Douche, prend-il au sérieux l’entreprise de son ami lorsqu’il l’accepte ? Expliquez pourquoi.

5. Sur quoi est basé le succès de l’exposition Douche ? Paul-Emile Glaise, en est-il satisfait ? Décrivez le public qui vient au vernissage. Lequel des spectateur, excepté Paul-Emile Glaise, est, selon vous, le plus intelligent et le plus raisonnable ?

6. De quoi témoigne la réplique de Pierre Douche « Oui, Glaise, tu es un imbécile. Il y a quelque chose dans cette peinture... » Paul-Emile Glaise, s’attendait-il à un dénouement pareil ? Expliquez pourquoi.

IV. Présentez et caractérisez Pierre Douche. Avec la manière de peindre comment change-t-il lui-même ? Avec quel Pierre Douche sympathise l’auteur, avec celui du début de la nouvelle ou celui du vernissage ?

V. Présentez et caractérisez Paul-Emile Glaise. Quelle idée vous êtes-vous faite du romancier ? Quelle carrière pourrait-il faire aujourd’hui ?

VI. Commentez :« Or quel est le moyen, Pierre Douche, d'émerger de la foule des

inconnus et des ratés ?— Le travail, dit Pierre Douche, la sincérité.— Sois sérieux. Le seul moyen, Pierre Douche, de réveiller les

imbéciles, c'est de faire des choses énormes. Annonce que tu vas peindre au Pôle Nord. Promène-toi vêtu en roi égyptien. Fonde une école... »

« Le succès, fait par des badauds, ne va qu'à des faiseurs. Au lieu de respecter les maîtres, les critiques encouragent les barbares. »

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Page 91: J'ai soif d'innocence

« Je croyais la bêtise humaine insondable, mais ceci passe mes espérances. »

VII. Paul-Emile Glaise a suggéré à Pierre Douche la phrase : « Avez-vous jamais regardé un fleuve ? » Pourquoi notamment cette phrase et pas une autre ? Quelle phrase auriez-vous donnée à sa place ?

VIII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle lue. Interprétez le titre de la nouvelle.

IX. Dramatisez la scène du vernissage. X. Faites un petit article sur le vernissage de la part du « jeune

et brillant » M. Strunski.XI. Comment serait, selon vous, l’avenir de Pierre Douche ?

A D I S C U T E R

a. G.L.Buffon qui prônait une parfaite adaptation de l’expression au sujet a dit : « Le style est l’homme même. » Commentez la parole de Buffon. Interprétez-la dans le cadre de la nouvelle.

b. Par quelles nouvelles écoles de peinture a dû être inspiré André Maurois pour écrire la nouvelle ? Quels en sont les plus célèbres peintres ? Quelle est votre attitude envers la peinture non-figurative ?

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L’ange gardienQuand Jeanne Bertaut mourut, à trente ans, nous pensâmes

tous que la carrière de Victor Bertaut était finie. Garçon travailleur, impérieux, et l'un des meilleurs orateur de sa génération, Victor, par beaucoup de traits, semblait fait pour réussir dans la vie politique. Mais ceux qui, comme moi-même avaient été avec lui au lycée, au régiment, connaissaient trop bien ses faiblesses pour penser qu’il eût l’étoffe d'un homme d'Etat. Se faire élire député, étonner la Chambre par son bagout, de cela certes nous le savions capable. Nous ne pouvions l'imaginer dirigeant un ministère, collaborant avec des collègues, se faisant respecter par le pays. Ses erreurs n'étaient pas moins éclatantes que ses succès. Il aimait trop les femmes et avait en son pouvoir de séduction une si naïve confiance qu'il ne doutait pas assez des sentiments qu'il leur inspirait. Dans un débat, toujours sûr d'avoir raison, il se montrait incapable de tenir compte des arguments et des chances de l'adversaire. Enfin il était sujet à des accès de colère au cours desquels la violence de ses propos dépassait celle de sa pensée ce qui, plus d'une fois, l'avait brouillé sans remède avec des hommes dont il avait besoin.

Pour toutes ces raisons je l'avais cru, malgré sa merveilleuse intelligence, destiné à l'échec jusqu'au jour où, à ma grande surprise, il avait épousé Jeanne. Comment l'avait-il connue ? Je ne l'ai jamais su. L'étonnant n'était pas qu'il l'eût rencontrée, mais qu'il l'eût appréciée. A la vérité je crois que, bien avant lui, elle comprit ce qu'elle pouvait lui apporter et la force que représenterait leur couple. Sur quoi elle s'attacha à le conquérir, puis à le fixer, et dans cette double entreprise réussite Elle était aussi différente de lui que possible, aussi calme qu'il était brutal, aussi modérée qu'il était fanatique, aussi indulgente qu'il était sévère, aussi réservée qu'il était bavard. Beaucoup moins belle que d'autres femmes qu'il avait aimées, elle avait un charme indéniable qui tenait à sa fraîcheur, à un air de santé rustique, à la droiture de son regard et à la gaieté de son sourire. Elle était prodigieusement française. J'ai connu jadis un Américain qui

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souhaitait épouser une Française pour l'amour de l'Henriette des Femmes Savantes. Il aurait dû épouser Jeanne Bertaut, qui incarnait très exactement l'Henriette de Molière, avec sa saine et franche sensualité, sa simplicité, sa force.

Que Bertaut fut capable de découvrir tant de vertus si bien cachées, et surtout capable de s'y attacher de manière durable et passionnée, j'avoue que je ne l'aurais pas prévu. Mais j'aurais eu tort, car jamais un ménage ne fut plus constamment uni. Dès que Jeanne eut ferré, puis épousé son grand homme, ils ne se quittèrent plus. Elle travaillait avec lui, allait à la Chambre chaque jour, le suivait dans sa circonscription et très finement, sans qu'il en pût prendre ombrage, le conseillait. A la voir vivre et agir, j'ai compris pourquoi les femmes françaises ont attendu avec tant de patience leur droit de vote. En fait Jeanne Bertaut disposait d'un siège au Parlement et je commençais à penser que bientôt elle entrerait dans un cabinet ministériel, sous le nom de son époux.

La situation de Bertaut dans son parti avait en effet été transformée par ce mariage. Les vieillards puissants, les personnages consulaires ne disaient plus: «Bertaut?... Très intelligent, et bon orateur, mais cerveau brûlé... » Maintenant, quand on nommait Victor, ils hochaient la tête avec approbation : « Bertaut ?... Oui... Un peu jeune, mais un de nos espoirs... Mûr pour un sous-secrétariat d'Etat... » Le plus remarquable était que ce résultat avait été obtenu sans perdre les bonnes grâces de l'aile gauche du parti, plus agressive. De temps à autre un mouvement de rage amenait encore, sur les lèvres de Bertaut, quelque injuste et dangereuse invective contre un ami, mais aussitôt Jeanne intervenait pour obtenir un mot d'excuses, une main tendue, et tout s'arrangeait. Quant aux aventures amoureuses, les salons de Paris eux-mêmes n'en trouvaient plus trace dans la vie de Bertaut, ou du moins il n'était amoureux que d'une femme, la sienne, amoureux comme un collégien, et qui ne rougissait pas de l'avouer.

Tels étaient le grand succès et le charmant bonheur qui furent coupés net par la mort de Jeanne Bertaut. Je me souviens qu'en

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revenant du cimetière Montmartre avec Bertrand Schmitt, le romancier, qui avait été l'un des meilleurs amis du ménage, je lui dis :

— Pauvre Victor!... Son désespoir semble encore plus pathétique que ne serait celui d'un autre... Il est à l'ordinaire si sûr de lui, si naturellement triomphant et tonitruant, que le voir ainsi effondré, en larmes, surprend et attendrit.

— Oui, dit Bertrand. Elle l'avait rebâti de fond en comble... Elle le défendait contre lui-même. Privé d'elle, il va revenir à sa première nature qui n'est pas de tout repos... Je le vois assez bien tombant dans la débauche. Recours à l'Abîme... Nous lui avons offert, Isabelle et moi, de venir se cacher à la campagne, dans notre Périgord, mais il en est encore à cette période où l'on refuse de quitter la maison qui a été celle du bonheur... Il faut attendre.

Je m'abstins, pendant quelques mois, de troubler la douleur de Bertaut et me bornai à lui écrire que, si jamais il souhaitait revoir d'anciens amis, j'étais à sa disposition. Sa secrétaire me répondit par un mot courtois et vague. A la rentrée d'octobre, on le revit au Palais-Bourbon. Il y fut accueilli avec les sympathies qui allaient tout naturellement à son deuil, mais ses collègues le trouvèrent bientôt aussi difficile à vivre que par le passé. Plus difficile même, car à ses colères se mêlait maintenant une glaciale amertume qui était chez lui nouvelle et pénible. Pour moi, je n'avais pas à me plaindre de lui. Nous dînions ensemble une ou deux fois par mois ; il me traitait avec une amitié bourrue qui ne me déplaisait pas. Mais il ne parlait jamais de sa femme et affectait, sur les questions sentimentales, un cynisme qui me parut être une réaction de défense contre l'émotion.

Vers la fin de décembre, le ministère tomba comme il arrivait alors trois ou quatre fois par an, et les journaux annoncèrent que Briand, chargé de former le nouveau cabinet, avait offert le Ministère des Postes à Victor Bertaut, député de la Drôme. Un peu plus tard la liste officielle des ministres fut publiée ; Bertaut en était et j'allai le féliciter. Je le trouvai dans un de ses mauvais jours.

— Oh ! Je t'en supplie ! Pas de phrases ! me dit-il. Si tu savais ce que c'est !... Je n'ai encore pris part qu'à deux réunions du Conseil et

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déjà il est probable que je vais donner ma démission... Je me suis querellé, très violemment, avec les Finances et les Travaux Publics. En outre ce ministère des P.T.T. est une pétaudière... Tout le monde y commande, sauf le ministre... Le syndicat des agents est tout-puissant... Non, vraiment, ça ne mérite pas de compliments !

Pendant quelques jours, en ouvrant chaque matin le journal, je m'attendais à y trouver la démission de Bertaut. Elle ne vint pas. La semaine suivante, comme je sortais un jour de chez moi, je rencontrai Bertrand Schmitt et, faisant route ensemble, tout naturellement nous parlâmes de notre ami.

— Vous avez su, dit Bertrand Schmitt, sa curieuse aventure ?— Vous parlez de son portefeuille ?— Pas exactement, dit Schmitt. Je parle de la lettre.— Quelle lettre?... Je ne connais pas cette histoire.— Ah ! ce serait un beau sujet de nouvelle, dit Schmitt avec cette

gourmandise heureuse de l'écrivain qui flaire un thème... Je ne sais si on vous a dit que Bertaut, à peine arrivé au pouvoir, avait fait des siennes, cassé quelques vitres, et s'était rendu insupportable à ses collègues...

— Oui, dis-je. Il me l'a lui-même avoué.— Briand est indulgent, bon enfant, mais tout de même sa

patience a des limites... Après une scène en plein Conseil des Ministres, où Bertaut avait dépassé les bornes et insulté le pauvre Chéron, le Président allait demander à notre ami sa démission quand un coup de théâtre s'est produit... A la surprise de tous ses collègues, Victor, notre intransigeant Victor, s'est rendu spontanément au Ministère des Finances pour y faire à Chéron une visite d'excuses au cours de laquelle il s'est montré si caressant, si repentant et si franc, que Chéron lui-même est allé plaider sa cause auprès de Briand... De sorte que tout s'est arrangé et que Victor reste aux P.T.T.

— Et comment, demandai-je, expliquez-vous ce revirement ?... Il n'est guère dans la nature de Bertaut.

— Je n'ai aucun mérite à l'expliquer, dit Schmitt, car Victor m'a lui-même donné la clef de ce mystère... Et c'est là que commence

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l'aventure... Le lendemain de l'accrochage avec Chéron, comme il allait sortir de chez lui, sa secrétaire lui a remis une lettre qui portait la mention : Personnelle et qui venait d'arriver. Avec surprise, avec émotion, puis avec terreur, il a cru reconnaître l'écriture de Jeanne. Il a déchiré l'enveloppe. La lettre était de sa femme, à n'en pas douter. Il m'en a lu des passages ; naturellement je ne la sais pas par cœur ; mais c'est mon métier de romancier que de reconstituer de tels documents... En substance, Jeanne avait écrit:

« Mon chéri, tu vas être d'abord bien troublé en recevant une lettre de moi. Rassure-toi, ce n'est pas une lettre d'outre-tombe et ce message n'a rien d'infernal. Avant de partir pour la clinique, me sentant très faible et ne sachant pas si l'opération réussirait, j'ai, comme il est naturel, surtout pensé à toi. J'ai essayé d'imaginer ce que tu deviendrais si je ne sortais pas vivante de cette épreuve... Je te connais bien, mon chéri, mieux que tu ne te connais toi-même et j'ai un peu peur de toi, pour toi... Je suis loin de te valoir, chéri, mais j'étais à tes côtés comme un frein. C'est très utile, un frein, sur une voiture de course. Est-ce que je ne te manquerai pas un peu ? Je ne puis m'empêcher de le croire, de l'espérer...Alors je me suis dit qu'en somme rien ne m'empêcherait de rester près de toi en esprit et j'ai écrit pour toi cette lettre. Je vais la confier à un ami discret en lui demandant de ne te l'envoyer que si certains événements, que je prévois, arrivent réellement un jour. En ce cas, et si je ne me suis pas trompée, tu trouveras ici les choses que je t'aurais dites si j'avais été présente... Puisque aujourd'hui la lettre est entre tes mains, c'est la preuve que mes petites prophéties ont été exactes. Etends-toi près de moi, chéri ; prends ma main, mets ta tête sur mon épaule et écoute, comme tu écoutais jadis... »

— Vous inventez, Bertrand, ou vous citez?— Je fais de mon mieux pour citer et, si les mots sont peut-être

différents, la pensée est bien celle de Jeanne Bertaut.— Etes-vous sûr, mon cher, que vous n'êtes pas vous-même l'ami

discret?

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— Ne dites jamais cela, je vous en prie ! s'écria vivement Schmitt. Bref, Jeanne avait prévu, pour son mari, et les honneurs, et les querelles. Elle lui conseillait générosité, modération et franchise.

— D'où la visite à Chéron ?— D'où en effet la visite d'excuses qui a été, pour la pauvre

femme, un plein succès posthume.— Quelle belle histoire, Bertrand ! J'espère que vous l'écrirez.— Je l'écrirai peut-être un jour... En ce moment, je n'en ai pas le

droit.Quand je vis Bertaut, la semaine suivante, il me confirma le récit

de Bertrand Schmitt. Cet ange gardien, venant l'effleurer de son aile, l'avait à coup sûr beaucoup ému et il me sembla que le dur cynisme dont il avait fait preuve depuis un an tendait à se dissiper... Je ne me trompais pas. Plusieurs de ses collègues me confirmèrent l'heureux effet produit sur notre ami par le message de la morte.

Tout alla donc bien pour Bertaut pendant quelques mois. Il remettait de l'ordre dans l'administration des Postes. Toute la France le louait. Son étoile montait. Puis le ministère Briand tomba, comme il fallait bien s'y attendre, et Bertaut alla prendre des vacances au Maroc, sous prétexte d'un voyage d'études. Là, il s'amouracha de cette étrange personne. Dora Bergmann, exploratrice et poétesse, qui voyageait parmi les tribus de l'Atlas, déguisée en goumier, et dont on parlait alors beaucoup. Que notre ami fût capable d'aimer de nouveau, d'oublier son chagrin et peut-être un jour de se remarier, nous étions prêts à nous en réjouir. Jamais nous n'avions souhaité, pour cet homme jeune, une impossible fidélité à une ombre. Pourtant il faut dire que son choix nous inquiéta. Dora Bergmann était belle, à son étrange manière ; elle avait du talent (ses vers ressemblent à ceux de Mme de Noailles si l'on substitue des paysages africains à ceux de l’Ile-de-France) ; mais son passé, sa réputation n'inspiraient aucune confiance. Elle avait eu des liaisons multiples et, détail suspect, toujours avec des officiers ou de hauts fonctionnaires coloniaux ; certains pensaient qu'elle était un agent étranger. C'était peut-être faux ; je n'ai là-dessus aucun renseignement sérieux ; en tout cas rien

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n'était mieux fait pour détruire le prestige et les chances d'avancement d'un homme politique qu'une intimité avec cette aventurière.

Quand Bertaut revint à Paris, ramenant avec lui Dora Bergmann, quelques-uns d'entre nous essayèrent de l'éclairer. Nous n'avions pas d'illusions sur l'effet de nos conseils. La règle est, hélas, sans exception : Qui met en garde un ami contre la femme qu'il aime perd l'ami sans nuire à la femme. Victor accueillit nos objections avec fureur et il écarta successivement de sa vie Bertrand Schmitt, moi-même, quelques autres. On commençait à parler, à Paris, dans les milieux parlementaires, de sa liaison et elle lui faisait le plus grand tort.

— Il ne reste, dis-je un soir à Bertrand, qu'un seul espoir... C'est que Jeanne ait prévu cet accident-là comme le précédent et qu'un jour arrive chez Bertaut un avertissement signé d'elle... Je crois qu'elle seule garde assez d'autorité sur Victor pour lui ouvrir les yeux.

— Je suis convaincu, dit Betrand, que l'avertissement viendra.— Bertrand, vous souriez !... Vous savez quelque chose ?— Je vous assure que non... Mais j'avais la plus haute estime

pour les intuitions de Jeanne et il me paraîtrait naturel...— Vous ne croyez tout de même pas qu'elle avait prévu jusqu'à

cette Bergmann ?— Non, bien sûr... Mais elle a pu, sans grand effort, deviner que

Victor, demeurant seul et étant ce qu'il est, une femme d'un certain type, peu souhaitable, s'emparerait un jour de lui en flattant son orgueil. Elle a donc pu laisser une lettre destinée à lui être envoyé dans un cas comme celui-ci.

— La laisser à qui?...— A qui avait-elle confié la première ? A un ami capable, sans

doute, de mesurer l'urgence de l'intervention et de lancer l'attaque au moment le plus opportun.

— 0 romancier ! lui dis-je. Que de romans vous construisez !Les faits prouvèrent bientôt que le romancier avait vu juste. Nous

ne sûmes pas tout de suite que Victor avait reçu une lettre de Jeanne. Mais nous le vîmes avec joie, un beau matin, partir brusquement pour

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sa circonscription. Il n'avait prévenu personne, laissé aucune explication. Il alla s'enterrer dans sa petite maison des champs, près de Montélimar. Dora Bergmann l'y poursuivit ; il refusa de la voir. Elle s'obstina, tempêta, échoua, renonça. Les journaux annoncèrent qu'elle allait faire un nouveau voyage dans le Rio del Oro. Victor était sauvé. Quand il revint à Paris, j'allai sonner à sa porte. Il me reçut bien.

— Oui, me dit-il en riant, oui, imbécile, tu avais raison, une fois par hasard...

— Et comment sais-tu maintenant que j'avais raison alors qu'il y a trois mois, tu m'as injurié quand j'ai voulu te crier casse-cou ?

Ce fut alors qu'il me raconta l'histoire de la seconde lettre d'outre-tombe. Il l'avait trouvée un matin dans son courrier. Jeanne lui conseillait, si quelque imprudente aventure amoureuse le mettait en réel danger, de s'éloigner le jour même où il recevrait cet avis. « Je te connais, mon chéri », disait-elle... « Si tu restes, si tu revois cette femme, le point d'honneur jouera, et le désir, et l'orgueil. A distance, ton intelligence qui, elle, est infaillible, reprendra le dessus. Soudain tu verras en pleine lumière ce qui, de trop près, t'échappait... Donc, n'hésite pas, ne réfléchis pas. Replie à l'instant cette lettre, mets-la dans ta poche, fais ta valise, prends le volant avant une heure, sans voir personne, et pars pour la Drôme... » II avait obéi.

— J'avais en la sagesse de ma femme tant de confiance ! me dit-il.

J'aimai le ton de soumission de cet aveu.— Sera-t-il ainsi, toute sa vie, protégé par cette morte? pensai-je.Toute sa vie ? Non. Mais deux ans plus tard, au moment où il

hésitait à se remarier, Bertaut reçut une troisième lettre qui approuvait ce projet et détermina la décision. Jeanne en avait-elle laissé d'autres ? Ou la première femme avait-elle, dans cette curieuse préfiguration de la vie de son mari, abdiqué par avance devant la seconde ? Nous ne le saurons jamais.

Bertrand Schmitt raconte qu'en 1936, quand Bertaut, ministre, se trouva en présence d'un cas de conscience douloureux, il attendit avec espoir un conseil de son ange gardien. Bertrand le trouva, cet athée,

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comme en prière devant un portrait de Jeanne. Cette fois le message d’outre-tombe ne vint pas. Bertaut prit sa décision seul et se trompa. Ce fut la fin de sa vie politique.

Mais dans sa retraite campagnarde, gouvernant son petit domaine de famille avec sa seconde femme qui lui donne chaque année un enfant, il ne semble pas malheureux. Et c'est peut-être en somme ce bonheur-là qu'avait souhaité pour lui sa conseillère posthume.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

collaborer avec qqn intervenir v.intr. s’arranger v.intr. se quereller avec qqn s’attendre a f. qqch inspirer qqch, qqn protéger qqn élire qqn erreur n.f.

adversaire n.m. vertu n.f. approbation n.f. frein n.m. modération n.f. avertissement n.m. brutal adj. modéré adj. indulgent adj.

II. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : générosité, modération, franchise, confiance, patience, gourmandise, émotion, terreur, vertus, sensualité, grâce.

III. Dites comment on appelle : celui qui est exigent, prompt à punir ou à blâmer ; celui qui est bienveillant, qui excuse, pardonne facilement ; celui qui est bruyant ; celui qui est intolérant, qui n’admet aucun compromis ; celui qui sait garder les secrets qu’on lui confie ; celui qui se repent de ses fautes, de ses pêchers.

IV. Terminez les phrases en ajoutant les contraires des mots soulignés : Elle était aussi différente de lui que possible, aussi calme qu'il était ... , aussi modérée qu'il était ... , aussi indul gente qu'il était ... , aussi réservée qu'il était ... , aussi douce qu’il était ... , aussi patiente qu'il était ....

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V. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français: вызывать чувство, быть уверенным в своей правоте, безвозвратно, обречённый на неудачу, резко оборвать, притворяться циничным, защитная реакция, уйти в отставку, перейти границы, выдвигать защиту, приняться за старое, приносить вред, предупреждать об опасности, одержать верх.

VI. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Ne tâchez pas de me dissuader, je suis ... . 2) Ses projets éphémères étaient ... . 3) Après le malheur, il a ... avec ses anciens camarades. 4) Déjà à l’âge de 45 ans, les militaires peuvent ... . 5) Son cynisme est ... contre l’émotion. 6) Il a passé 5 ans dans la prison, mais à son retour, il ... . 7) Les catastrophes écologiques s’accumulent et les écologistes ... . 8) Sa modération et sa réserve ... de confiance. 9) Aux élections parlementaires, l’aile gauche ... . 10) Sa brutalité ... , et finalement il a perdu son poste .

VII. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes: 1) Ses erreurs étaient éclatantes. 2) Il était sujet à des accès de

colère, et il s’est querellé avec des hommes dont il avait besoin. 3) Malgré sa merveilleuse intelligence, cet homme était destiné à l'échec. 4) Bertaut a découvert tant de vertus à sa femme. 5) Bertaut, à peine arrivé au pouvoir, avait fait des siennes, cassé quelques vitres, et s'était rendu insupportable à ses collègues. 6) Le ministre est indulgent, bon enfant, mais tout de même sa patience a des limites. 7) Les meilleurs avocats ont plaidé sa cause auprès du tribunal. 8) On commençait à parler, à Paris, dans les milieux parlementaires, de sa liaison et elle lui faisait le plus grand tort. 9) Quand j'ai voulu lui crier casse-cou, il était déjà trop tard. 10) Il s’est pris à l’affaire avec beaucoup de maladresse, et, finalement, a échoué.

VIII. Conjuguez au présent et au passé simple le verbe élire, nommez son participe passé. Trouvez les mots de la même famille que le verbe élire.

IX. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1)« L'étonnant n'était pas qu'il l'eût rencontrée, mais qu'il l'eût appréciée. » 2) « Mais j'aurais eu tort, car jamais un ménage ne fut plus constamment uni. » 3)« Dès que Jeanne eut ferré, puis épousé son grand homme , ils ne

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se quittèrent plus. » 4)« Elle travaillait avec lui, allait à la Chambre chaque jour, le suivait dans sa circonscription et très finement, sans qu'il en pût prendre ombrage, le conseillait. » 5) « Il ne reste, dis-je un soir à Bertrand, qu'un seul espoir... C'est que Jeanne ait prévu cet accident-là comme le précédent et qu'un jour arrive chez Bertaut un avertissement signé d'elle... » 6)« Mais j'avais la plus haute estime pour les intuitions de Jeanne et il me paraîtrait naturel... » 7)« Que notre ami fût capable d'aimer de nouveau, d'oublier son chagrin et peut-être un jour de se remarier, nous étions prêts à nous en réjouir. »

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Её муж был похож на машину, которая мчится без тормозов. 2)

Заядлые курильщики вредят не только себе, но и здоровью окружающих. 3) Оба верно предвидели исход спора: в любом случае, ссора была неизбежна. 4) Он, конечно, снисходителен к подчинённым, но и его терпение не беспредельно. 5) После долгого обсуждения, проект закона был отклонён. 6) Ему поручено сформировать новый кабинет министров. 7) Во Франции, женщины имеют право голоса с1947 года. 8) Это последнее предупреждение. 9) Сотрудничать с таким грубым человеком невозможно, он перессорился со всеми. 10) Обычно воздержанный, он был подвержен необъяснимым приступам гнева. 11) Не вмешивайтесь в его дела. 12) Даже его противники не ожидали от него таких ошибок. 13) После скандала некоторые депутаты были вынуждены подать в отставку. 14) Добродетель этой женщины вызывала уважение. 15) Президент избирается на срок в 5 лет.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Quand et où se passe l’action de la nouvelle ? II. Dressez le plan de la nouvelle.III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Quel milieux est décrit dans la nouvelle ?2. Quelle opinion avaient de Victor Bertaut ses collaborateurs et

ses amis ?3. Pourquoi son mariage avec Jeanne a-t-il étonné tout le monde ?4. Comment était la vie conjugale des époux ?5. Quel était le rôle de Jeanne dans la réussite de son mari ?

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Comment y a-t-elle procédé ?6. Pourquoi, après la mort de Jeanne tout le monde pensait que la

carrière de Victor Bertaut était fini ? Comment est-il devenu après la perte de sa femme ?

7. Comment, à quel moment et pourquoi lui sont parvenues les trois lettres de Jeanne ? Quel en était l’effet?

8. Pourquoi tout le monde était contre le mariage de Victor et de Dora Bergmann ? Caractérisez Dora Bergmann.

9. Quand est arrivée la dernière lettre et de quoi selon vous témoigne-t-elle ?

V. Présentez Victor Bertaut. Racontez sa carrière. En vous basant sur le texte caractérisez-le.

VI. Présentez Jeanne. En vous basant sur le texte, brossez son portrait et caractérisez-la. André Maurois la perçoit comme une femme idéale.  Correspond-elle à votre image d’une femme accomplie ?

VII. Commentez : « La règle est, hélas, sans exception : Qui met en garde un ami contre la femme qu'il aime perd l'ami sans nuire à la femme. »

VIII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle lue. Interprétez le titre de la nouvelle.

A D I S C U T E R

a. Lisez un article de Francoscopie et dites si la situation qui y est décrite n’est propre qu’à la France ?

« La politesse est un des moyens inventés par la société pour réduire les conflits latents entre ses membres. Mais la démocratisation à entraîné un décloisonnement des groupes sociaux et la disparition ou la transformation des bonnes manières. Ce qui est sensible partout. Le monde politique a donné l’exemple par ses discours dans lesquels la grossièreté et injure sont de plus en plus fréquentes. »

Quelles qualités devrait avoir, selon vous, un homme politique ? Attribuez-vous de l’importance à sa politesse et les bonnes manières ?

B. Commentez : « A la voir vivre et agir, j'ai compris pourquoi les femmes françaises ont attendu avec tant de patience leur droit de vote. En fait Jeanne Bertaut disposait d'un siège au Parlement et je commençais à penser que bientôt elle entrerait dans un cabinet ministériel, sous le nom de son époux. »

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La place de la femme dans la société, qu’en pensez-vous ? La femme, devrait-elle être l’ombre de son mari ou faire sa propre carrière ?

Thanatos Palace Hotel— Combien, Steel ? demanda Jean Monnier.— 59 1/4 répondit une des douze dactylographes.Les cliquetis de leurs machines esquissaient un rythme de jazz.

Par la fenêtre, on apercevait les immeubles géants de Manhattan. Les téléphones ronflaient et les rubans de papier, en se déroulant emplissaient le bureau, avec une incroyable rapidité, de leurs sinistres serpentins couverts de lettres et de chiffres.

— Combien. Steel? dit encore Jean Monnier.— 59, répondit Gertrude Owen.Elle s'arrêta un instant pour regarder le jeune Français. Prostré

dans un fauteuil, la tête dans les mains, il semblait anéanti.« Encore un qui a joué, pensa-t-elle. Tant pis pour lui!... Et tant

pis pour Fanny... »Car Jean Monnier, attaché au bureau de New-York de la Banque

Holmann, avait épousé, deux ans plus tôt, sa secrétaire américaine.— Combien, Kennecott ? dit encore Jean Monnier.— 28, répondit Gertrude Owen. Une voix, derrière la porte, cria.

Harry Cooper entra. Jean Monnier se leva.— Quelle séance ! dit Harry Cooper. Vingt pour-cent de baisse

sur toute la cote. Et il se trouve encore des imbéciles pour dire que ceci n'est pas une crise !

— C'est une crise, dit Jean Monnier, et il sortit.— Celui-là est touché, dit Harry Cooper.— Oui, dit Gertrude Owen. Il a joué sa chemise. Fanny me l'a

dit. Elle va le quitter ce soir.— Qu'est-ce qu'on y peut ? dit Harry Cooper. C'est la crise.Les belles portes de bronze de l'ascenseur glissèrent.— Down, dit Jean Monnier.

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— Combien, Steel? demanda le garçon de l'ascenseur.— 59, dit Jean Monnier.Il avait acheté à 112. Perte: cinquante-trois dollars par titre.

Et ses autres achats ne valaient pas mieux. Toute la petite fortune jadis gagnée dans l'Arizona avait été versée pour marge de ces opérations. Fanny n'avait jamais eut un cent. C'était fini. Quand il fut dans la rue, se hâtant vers son train, il essaya d'imaginer l'avenir. Recommencer? Si Fanny montrait du courage, ce n'était pas impossible. Il se souvint de ses premières luttes, des troupeaux gardés dans le désert, de sa rapide ascension. Après tout, il avait à peine trente ans. Mais il savait que Fanny serait impitoyable.

Elle le fut.Lorsque, le lendemain matin, Jean Monnier se réveilla seul, il se

sentit sans courage. Malgré la sécheresse de Fanny, il l'avait aimée. La négresse lui servit sa tranche de melon, sa bouillie de céréales, et demanda de l'argent.

— Où la maîtresse. Mister ?— En voyage.Il donna quinze dollars, puis fit sa caisse. Il lui restait un peu

moins de six cents dollars. C'était de quoi vivre deux mois, trois peut-être... Ensuite? Il regarda par la fenêtre. Presque chaque jour, depuis une semaine, on lisait dans les journaux des récits de suicides. Banquiers, commis, spéculateurs préféraient la mort à une bataille déjà perdue. Une chute de vingt étages ? Combien de secondes ? Trois ? Quatre ? Puis cet écrasement... Mais si le choc ne tuait pas ? Il imagina des souffrances atroces, des membres brisés, des chairs anéanties. Il soupira, puis, un journal sous le bras, alla déjeuner au restaurant et s'étonna de trouver encore bon goût à des crêpes arrosées de sirop d'érable.

— « Thanatos Palace Hotel, New Mexico... » Qui m'écrit de cette adresse bizarre?

Il y avait aussi une lettre de Harry Cooper, qu'il lut la première. Le patron demandait pourquoi il n'avait pas reparu au bureau. Son compte était débiteur de huit cent quatre-vingt-treize

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dollars ($893)... Que comptait-il faire à ce sujet?... Question cruelle, ou naïve. Mais la naïveté n'était pas l'un des vices de Harry Cooper.

L'autre lettre. Au-dessous de trois cyprès gravés, on lisait :THANATOS PALACE HOTEL Directeur : Henry Boerstecher.

« Cher Mr. Monnier :«Si nous nous adressons à vous aujourd'hui, ce n'est pas au

hasard, mais parce que nous possédons sur vous des renseignements oui nous permettent d'espérer que nos services pourront vous être utiles.

« Vous n'êtes certainement pas sans avoir remarqué que, dans la vie de l'homme le plus courageux, peuvent surgir des circonstances si complètement hostiles que la lutte devient impossible et que l'idée de la mort apparaît alors comme une délivrance.

«Fermer les yeux, s'endormir, ne plus se réveiller, ne plus entendre les questions, les reproches... Beaucoup d'entre nous ont fait ce rêve, formulé ce vœu... Pourtant, hors quelques cas très rares, les hommes n'osent pas s'affranchir de leurs maux, et on le comprend lorsqu'on observe ceux d'entre eux qui ont essayé de le faire. Car la plupart des suicides sont d'affreux échecs. Tel qui a voulu se tirer une balle dans le crâne n'a réussi qu'à se couper le nerf optique et à se rendre aveugle. Tel autre qui a cru s'endormir et s'empoisonner au moyen de quelque composé barbiturique, s'est trompé de dose et se réveille, trois jours plus tard, le cerveau liquéfié, la mémoire abolie, les membres paralysés. Le suicide est un art qui n'admet ni la médiocrité, ni l'amateurisme, et qui pourtant par sa nature même, ne permet pas d'acquérir une expérience.

Cette expérience, cher Mr. Monnier, si, comme nous le croyons, le problème vous intéresse, nous sommes prêts à vous l'apporter. Propriétaires d'un hôtel situé à la frontière des Etats- Unis et du Mexique, affranchis de tout contrôle gênant par le caractère désertique de la région, nous avons pensé que notre devoir était d'offrir à ceux de nos frères humains qui, pour des raisons sérieuses, irréfutables,

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souhaiteraient quitter cette vie, les moyens de le faire sans souffrance et, oserions-nous presque écrire, sans danger.

«Au Thanatos Palace Hotel la mort vous atteindra dans votre sommeil et sous la forme la plus douce. Notre habileté technique, acquise au cours de quinze années de succès ininterrompus (nous avons reçu. l'an dernier, plus de deux mille clients), nous permet de garantir un dosage minutieux et des résultats immédiats. Ajoutons que, pour les visiteurs que tourmenteraient de légitimes scrupules religieux, nous supprimons, par une méthode ingénieuse, toute responsabilité morale.

« Nous savons très bien que la plupart de nos clients disposent de peu d’argent, et que la fréquence des suicides est inversement proportionnelle aux soldes créditeurs des comptes en banque. Aussi nous sommes-nous efforcés, sans jamais sacrifier le confort, de ramener les prix du Thanatos au plus bas niveau possible. Il vous suffira de déposer, en arrivant, trois cents dollars. Cette somme vous défraiera de toute dépense pendant votre séjour chez nous, séjour dont la durée doit demeurer pour vous inconnue, paiera les frais de l’opération, ceux des funérailles, et enfin l’entretien de la tombe. Pour des raisons évidentes, le service est compris dans ce forfait et aucun pourboire ne vous sera réclamé.

Il importe d’ajouter que le Thanatos est situé dans une région naturelle de grande beauté, qu’il possède quatre tennis, un golf de dix-huit trous et une piscine olympique. Sa clientèle étant composée des deux sexes, et qui appartiennent presque toutes à un milieu social raffiné, l'agrément social du séjour, rendu particulièrement piquant par l'étrangeté de la situation, est incomparable. Les voyageurs sont priés de descendre à la gare de Deeming, où l'autocar de l'hôtel viendra les chercher. Ils sont priés d'annoncer leur arrivée, par lettre ou câble, au moins deux jours à l'avance. Adresse télégraphique:

THANATOS, CORONADO, NEW MEXICO. »Jean Monnier prit un jeu de cartes et les disposa pour une

réussite que lui avait enseignée Fanny.

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Le voyage fut très long. Pendant des heures, le train traversa des champs de coton où, émergeant d'une mousse blanche, travaillaient des nègres. Puis des alternances de sommeil et de lecture remplirent deux jours et deux nuits. Enfin le paysage devint rocheux, titanesque et féerique. Le wagon roulait au fond d'un ravin, entre des rochers d'une prodigieuse hauteur. D'immenses bandes violettes, jaunes et rouges, rayaient transversalement les montagnes. A mi-hauteur flottait une longue écharpe de nuages. Dans les petites gares où s'arrêtait le train, on entrevoyait des Mexicains aux larges feutres, aux vestes de cuir brodé.

Prochaine station: Deeming, dit à Jean Monnier le nègre du Pullman... Faire vos chaussures. Massa ?

Le Français rangea ses livres et ferma ses valises. La simplicité de son dernier voyage l'étonnait. Il perçut le bruit d'un torrent. Les freins grincèrent. Le train stoppa.

— Thanatos, Sir? demanda le porteur indien qui courait le long des wagons.

Déjà cet homme avait, sur sa charrette, les bagages de deux jeunes filles blondes qui le suivaient.

« Est-il possible, pensa Jean Monnier, que ces filles charmantes viennent ici pour mourir ? »

Elles aussi le regardaient, très graves, et murmuraient des mots qu'il n'entendait pas.

L'omnibus du Thanatos n'avait pas, comme on aurait pu le craindre, l'aspect d'un corbillard. Peint en bleu vif, capitonné bleu et orange, il brillait au soleil, parmi les voitures délabrées qui donnaient à cette cour, où juraient des Espagnols et des Indiens, un aspect de foire à ferraille. Les rochers qui bordaient la voie étaient couverts de lichens qui enveloppaient la pierre d'un voile gris bleu. Plus haut brillaient les teintes vives des roches métalliques. Le chauffeur, qui portait un uniforme gris, était un gros homme aux yeux exorbités. Jean Monnier s'assit à côté de lui, par discrétion, et pour laisser seules ses compagnes ; puis tandis que, par des tournants en épingle à cheveux,

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la voiture partait à l'assaut de la montagne, le Français essaya de faire parler son voisin :

— Il y a longtemps que vous êtes le chauffeur du Thanatos ?— Trois ans, grommela l'homme.— Cela doit être une étrange place.— Etrange? dit l'autre. Pourquoi étrange? ]e conduis ma voiture.

Qu'y a-t-il là d'étrange?— Les voyageurs que vous amenez redescendent-ils jamais ?— Pas souvent, dit l'homme avec un peu de gêne. Pas souvent...

Mais cela arrive. J'en suis un exemple.— Vous? Vraiment?... Vous étiez venu ici comme... client ?— Monsieur, dit le chauffeur, j'ai accepté ce métier pour ne plus

parler de moi et ces tournants sont difficiles. Vous ne voulez tout de même pas que je vous tue, vous et ces deux jeunes filles ?

— Evidemment non, dit Jean Monnier. Puis il pensa que sa réponse était drôle et il sourit.

Deux heures plus tard, le chauffeur, sans un mot, lui montra du doigt, sur le plateau, la silhouette du Thanatos.

L'hôtel était bâti dans le style hispano-indien, très bas, avec des toits en terrasses et des murs rouges dont le ciment imitait assez grossièrement l'argile. Les chambres s'ouvraient au midi, sur des porches ensoleillés. Un portier italien accueillit les voyageurs. Son visage rasé évoqua tout de suite, pour Jean Monnier, un autre pays, les rues d'une grande ville, des boulevards fleuris.

— Où diable vous ai-je vu, demanda-t-il au portier tandis qu'un page-boy prenait sa valise.

— Au Ritz de Barcelone, monsieur... Mon nom est Sarconi... J'ai quitté au moment de la révolution ...

— De Barcelone au Nouveau-Mexique ! Quel voyage !— Oh ! monsieur, le rôle du concierge est le même partout...

Seulement les papiers que je dois vous demander de remplir sont un peu plus compliqués ici qu'ailleurs... Monsieur m'excusera.

Les imprimés qui furent tendus aux trois arrivants étaient en effet chargés de cases, de questions et de notes explicatives. Il était recom-

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mandé d'indiquer avec une grande précision la date et le lieu de naissance, les personnes à prévenir en cas d'accident :

« Prière de donner au moins deux adresses de parents ou d'amis, et surtout de recopier à la main, dans votre langue usuelles, la formule A' ci-dessous :

Je, soussigné, , sain de corps et d'esprit, certifie que c'est volontairement que je renonce à la vie et décharge de toute responsabilité, en cas d'accident, la direction et le personnel du Thanatos Palace Hotel...»

Assises l'une en face de l'autre à une table voisine, les deux jolies filles recopiaient avec soin la formule A' et Jean Monnier remarqua qu'elles avaient choisi le texte allemand.

Henry M. Boerstecher, directeur, était un homme tranquille, aux lunettes d'or, très fier de son établissement.

— L'hôtel est à vous ? demanda Jean Monnier.— Non, monsieur, l'hôtel appartient à une Société Anonyme,

mais c'est moi qui en ai eu l'idée et qui en suis directeur à vie.— Et comment n'avez-vous pas les plus graves ennuis avec les

autorités locales ?— Des ennuis ? dit Mr. Boerstecher, surpris et choqué. Mais

nous ne faisons rien, monsieur, qui soit contraire à nos devoirs d'hôteliers. Nous donnons à nos clients ce qu'ils désirent, tout ce qu'ils désirent, rien de plus... D'ailleurs, monsieur, il n'y a pas ici d'autorités locales. Ce territoire est si mal délimité que nul ne sait exactement s'il fait partie du Mexique ou des Etats-Unis. Longtemps ce plateau a passé pour être inaccessible. Une légende voulait qu'une bande d'Indiens s'y fût réunie, il y a quelques centaines d'années, pour mourir ensemble et pour échapper aux Européens, et les gens du pays prétendaient que les âmes de ces morts interdisaient l'accès de la montagne. C'est la raison pour laquelle nous avons pu acquérir le terrain pour un prix tout à fait raisonnable et y mener une existence indépendante.

— Et jamais les familles de vos clients ne vous poursuivent ?

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— Nous poursuivre ! s'écria Mr. Boerstecher, indigné, et pourquoi, grand Dieu ? Devant quels tribunaux ? Les familles de nos clients sont trop heureuses, monsieur, de voir se dénouer sans publicité des affaires qui sont délicates et même, presque toujours, pénibles... Non, non, monsieur, tout se passe ici gentiment, correctement, et nos clients sont pour nous des amis... Vous plairait-il de voir votre chambre?... Ce sera, si vous le voulez bien, le 113... Vous n'êtes pas superstitieux ?

— Pas du tout, dit Jean Monnier. Mais j'ai été élevé religieusement et je vous avoue que l'idée d'un suicide me déplaît...

— Mais il n'est pas et ne sera pas question de suicide, monsieur ! dit Mr. Boerstecher d'un ton si péremptoire que son interlocuteur n'insista pas. Sarconi, vous montrerez le 113 à monsieur Monnier. Pour les trois cents dollars, monsieur, vous aurez l'obligeance de les verser en passant, au caissier dont le bureau est voisin du mien.

Ce fut en vain que, dans la chambre 113, qu'illuminait un admirable coucher de soleil, Jean Monnier chercha trace d'engins mortels.

— A quelle heure est le dîner?— A huit heures trente. Sir, dit le valet.— Faut-il s'habiller ?— La plupart des gentlemen le font. Sir.— Bien ! Je m'habillerai... préparez-moi une cravate noire et une

chemise blanche.Lorsqu'il descendit dans le hall, il ne vit en effet que femmes en

robes décolletées, hommes en smoking. Mr. Boerstecher vint au-devant de lui, officieux et déférent.

— Ah! Monsieur Monnier... Je vous cherchais... Puisque vous êtes seul, j'ai pensé que peut-être il vous serait agréable de partager votre table avec une de nos clientes, Mrs. Kirby-Shaw.

Monnier fit un geste d'ennui :— Je ne suis pas venu ici, dit-il, pour mener une vie mondaine...

Pourtant... Pouvez-vous me montrer cette dame sans me présenter ?

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— Certainement, monsieur Monnier... Mrs. Kirby-Shaw est la jeune femme en robe de crêpe-satin blanc qui est assise près du piano et feuillette un magazine... Je ne crois pas que son aspect physique puisse déplaire... Loin de là... Et c'est une dame bien agréable, de bonnes manières, intelligente, artiste...

A coup sûr, Mrs. Kirby-Shaw était une très jolie femme. Des cheveux bruns, coiffés en petites boucles, tombaient en chignon bas jusqu'à la nuque et dégageaient un front haut et vigoureux. Les yeux étaient tendres, spirituels.

Pourquoi diable un être aussi plaisant voulait-il mourir ?— Est-ce que Mrs. Kirby-Shaw... ? Enfin cette dame est-elle une

de vos clientes au même titre et pour les mêmes raisons que moi ?— Certainement, dit Mr. Boerstecher, qui sembla charger cet

adverbe d'un sens lourd. Cer-tai-ne-ment.— Alors, présentez-moi.Quand le dîner, simple mais excellent et bien servi, se termina,

Jean Monnier connaissait déjà, au moins dans ses traits essentiels, la vie de Clara Kirby-Shaw. Mariée avec un homme riche, d'une grande bonté, mais qu'elle n'avait jamais aimé, elle l'avait quitté, six mois plus tôt, pour suivre en Europe un jeune écrivain, séduisant et cynique, qu'elle avait rencontré à New York. Ce garçon, qu'elle avait cru prêt à l'épouser dès qu'elle aurait obtenu son divorce, s'était montré, dès leur arrivée en Angleterre, décidé à se débarrasser d'elle le plus rapidement possible. Surprise et blessée par sa dureté, elle avait tenté de lui faire comprendre tout ce qu'elle avait abandonné pour lui, et l'affreuse situation où elle allait se trouver. Il avait beaucoup ri :

« Clara, en vérité, lui avait-il dit, vous êtes une femme d'un autre temps !... Si je vous avais sue à ce point victorienne *, je vous aurais laissée à votre époux, à vos enfants... Il faut les rejoindre, ma chère... Vous êtes faite pour élever sagement une famille nombreuse. »

Elle avait alors conçu un dernier espoir, celui d'amener son mari, Norman Kirby-Shaw, à la reprendre. Elle était certaine que, si elle avait pu le revoir seul, elle l'eût aisément reconquis. Entouré de sa famille, de ses associés, qui avaient exercé sur lui une pression

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constante et hostile à Clara, Norman s'était montré inflexible. Après plusieurs tentatives humiliantes et vaines, elle avait, un matin, trouvé dans son courrier le prospectus du Thanatos et compris que là était la seule solution, immédiate et facile, de son douloureux problème.

— Et vous ne craignez pas la' mort ? avait demandé Jean Monnier.

— Si, bien sûr... Mais moins que je ne crains la vie...— C'est une belle réplique, dit Jean Monnier.— Je n'ai pas voulu qu'elle fût belle, dit Clara. Et maintenant,

racontez-moi pourquoi vous êtes ici.Quand elle eut entendu le récit de Jean Monnier, elle le blâma

beaucoup.— Mais c'est presque incroyable ! dit-elle. Comment ?... Vous

voulez mourir parce que vos valeurs ont baissé ?... Ne voyez-vous pas que dans un an, deux ans, trois ans ou plus, si vous avez le courage de vivre, vous aurez oublié, et peut-être réparé vos pertes?...

— Mes pertes ne sont qu'un prétexte. Elles ne seraient rien, en effet, s'il me restait quelque raison de vivre... Mais je vous ai dit aussi que ma

femme m'a renié... Je n'ai, en France, aucune famille proche ; je n'y ai laissé aucune amie... Et puis, pour être tout à fait sincère, j'avais déjà quitté mon pays à la suite d'une déception sentimentale... Pour qui lutterais-je maintenant ?

— Mais pour vous-même... Pour les êtres qui vous aimeront... et que vous ne pouvez manquer de rencontrer... Parce que vous avez constaté, en des circonstances pénibles, l'indignité de quelques femmes, ne jugez pas injustement toutes les autres...

— Vous croyez vraiment qu'il existe des femmes... je veux dire des femmes que je puisse aimer... et qui soient capables d'accepter, au moins pendant quelques années, une vie de pauvreté, de combat... ?

— J'en suis certaine, dit-elle. Il y a des femmes qui aiment la lutte et qui trouvent à la pauvreté je ne sais quel attrait romanesque... Moi, par exemple.

— Vous?

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Page 114: J'ai soif d'innocence

— Oh, je voulais seulement dire... Elle s'arrêta, hésita, puis reprit :

— Je crois qu'il nous faudrait regagner le hall... Nous restons seuls dans la salle à manger et le maître d'hôtel rôde autour de nous avec désespoir.

— Vous ne croyez pas, dit-il, comme il plaçait sur les épaules de Clara Kirby-Shaw une cape d'hermine, vous ne croyez pas que... dès cette nuit... ?

— Oh non! dit-elle. Vous venez d'arriver...— Et vous ?— Je suis ici depuis deux jours. Quand ils se séparèrent, ils

étaient convenus de faire ensemble, le lendemain matin, une promenade en montagne.

Un soleil matinal baignait le porche d'une nappe oblique de lumière et de tiédeur. Jean Monnier, qui venait de prendre une douche glacée, se surprit à penser: «Qu'il fait bon vivre !... » Puis il se dit qu'il n'avait plus devant lui que quelques dollars et quelques jours. Il soupira :

«Dix heures!... Clara va m'attendre.» Il s'habilla en hâte et, dans un costume de lin blanc, se sentit léger. Quand il rejoignit près du tennis Clara Kirby-Shaw, elle était, elle aussi, vêtue de blanc et se promenait, encadrée de petites Autrichiennes, qui s'enfuirent en apercevant le Français.

— Je leur fais peur ?— Vous les intimidez... Elles me racontaient leur histoire.— Intéressante?... Vous allez me la dire... Avez-vous pu dormir

un peu ?— Oui, admirablement. Je soupçonne l'inquiétant Boerstecher de

mêler du chloral à nos breuvages.— Je ne crois pas, dit-il. J'ai dormi comme une souche, mais d'un

sommeil naturel, et je me sens ce matin parfaitement lucide.Après un instant, il ajouta:— Et parfaitement heureux.Elle le regarda en souriant et ne répondit pas.

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— Prenons ce sentier, dit-il, et contez-moi les petites Autrichiennes... Vous serez ici ma Shéhérazade ...

— Mais nos nuits ne seront pas mille et une...— Hélas!... Nos nuits... ? Elle l'interrompit :— Ces enfants sont deux sœurs jumelles. Elles ont été élevées

ensemble, d'abord à Vienne, puis à Budapest, et n'ont jamais eu d'autres amies intimes. A dix-huit ans, elles ont rencontré un Hongrois, de noble et ancienne famille, beau comme un demi-dieu, musicien comme un Tzigane et sont toutes deux, le même jour, devenues follement amoureuses de lui. Après quelques mois, il a demandé en mariage l'une des sœurs. L'autre, désespérée, a tenté, mais en vain, de se noyer. Alors celle qui avait été choisie a pris la résolution de renoncer, elle aussi, au comte Nicky et elles ont formé le projet de mourir ensemble... C'est le moment où, comme vous, comme moi, elles ont reçu le prospectus du Thanatos.

— Quelle folie ! dit Jean Monnier. Elles sont jeunes et ravissantes... Que ne vivent-elles en Amérique, où d'autres hommes les aimeront?... Quelques semaines de patience...

— C'est toujours, dit-elle mélancoliquement, faute de patience que l'on est ici... Mais chacun

de nous est sage pour tous les autres... Qui donc a dit que l'on a toujours assez de courage pour supporter les maux d'autrui ?

Pendant tout le jour, les hôtes du Thanatos virent un couple vêtu de blanc errer dans les allées du parc, au flanc des rochers, le long du ravin. L'homme et la femme discutaient avec passion. Quand la nuit tomba, ils revinrent vers l'hôtel et le jardinier mexicain, les voyant enlacés, détourna la tête.

Après le dîner, Jean Monnier, toute la soirée, chuchota dans un petit salon désert, près de Clara Kirby-Shaw, des phrases qui semblaient toucher celle-ci. Puis, avant de remonter dans sa chambre, il chercha Mr. Boerstecher. Il trouva le directeur assis devant un grand registre noir. Mr. Boerstecher vérifiait des additions et, de temps à autre, d'un coup de crayon rouge, barrait une ligne.

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— Bonsoir, monsieur Monnier!... Je puis faire quelque chose pour vous ?

— Oui, Mr. Boerstecher... Du moins je l'espère... Ce que j'ai à vous dire vous surprendra... Un changement si soudain... Mais la vie est ainsi... Bref, je viens vous annoncer que j'ai changé d'avis... Je ne veux plus mourir.

Mr. Boerstecher, surpris, leva les yeux :— Parlez-vous sérieusement, monsieur Monnier ?— Je sais bien, dit le Français, que je vais vous paraître

incohérent, indécis... Mais n'est-il pas naturel, si les circonstances sont nouvelles, que changent aussi nos volontés ?... Il y a huit jours, quand j'ai reçu votre lettre, je me sentais désespéré, seul au monde... Je ne pensais pas que la lutte valût la peine d'être entreprise... Aujourd'hui tout est transformé... Et au fond, c'est grâce à vous, Mr. Boerstecher.

— Grâce à moi, monsieur Monnier ?— Oui, car cette jeune femme en face de laquelle vous m'avez

assis à table est celle qui a fait ce miracle... Mrs. Kirby-Shaw est une femme délicieuse, Mr. Boerstecher.

— Je vous l'avais dit, monsieur Monnier.— Délicieuse et héroïque... Mise au courant par moi de ma

misérable situation, elle a bien voulu accepter de la partager... Cela vous surprend ?

— Point du tout... Nous avons, ici, l'habitude de ces coups de théâtre... Et je m'en réjouis, monsieur Monnier... Vous êtes jeune, très jeune...

— Donc, si vous n'y voyez point d'inconvénient, nous partirons demain, Mrs. Kirby-Shaw et moi-même, pour Deeming.

— Ainsi Mrs. Kirby-Shaw, comme vous, renonce à... ?— Oui, naturellement... D'ailleurs elle vous le confirmera tout à

l'heure... Reste à régler une question assez délicate... Les trois cents dollars que je vous ai versés, et qui constituaient à peu près tout mon avoir, sont-ils irrémédiablement acquis au Thanatos ou puis-je, pour prendre nos billets, en récupérer une partie ?

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— Nous sommes d'honnêtes gens, monsieur Monnier... Nous ne faisons jamais payer des services qui n'ont pas été réellement rendus par nous. Dès demain matin, la caisse établira votre compte à raison de vingt dollars par jour de pension, plus le service, et le solde vous sera remboursé.

— Vous êtes tout à fait courtois et généreux... Ah ! Mr. Boerstecher, quelle reconnaissance ne vous dois-je point! Un bonheur retrouvé... Une nouvelle vie...

— A votre service, dit Mr. Boerstecher. Il regarda Jean Monnier sortir et s'éloigner. Puis il appuya sur un bouton et dit :

— Envoyez-moi Sarconi.Au bout de quelques minutes, le concierge parut.— Vous m'avez demandé, Signor Directeur ?— Oui, Sarconi... Il faudra, dès ce soir, mettre le gaz au 113...

Vers deux heures du matin.— Faut-il, Signor Directeur, envoyer du Somnial avant le

Léthal?— Je ne crois pas que ce soit nécessaire... Il dormira très bien.

C'est tout pour ce soir, Sarconi... Et demain les deux petites du 17, comme il était convenu.

Comme le concierge sortait, Mrs. Kirby-Shaw parut à la porte du bureau.

— Entre, dit Mr. Boerstecher. Justement j'allais te taire appeler. Ton client est venu m'annoncer son départ.

— Il me semble, dit-elle, que je mérite des compliments... C'est du travail bien fait.

— Très vite... J'en tiendrai compte.— Alors c'est pour cette nuit ?— C'est pour cette nuit.— Pauvre garçon ! dit-elle. Il était gentil, romanesque...— Ils sont tous romanesques, dit Mr. Boerstecher.— Tu es tout de même cruel, dit-elle. C'est au moment précis où

ils reprennent goût à la vie que tu les fais disparaître.

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— Cruel ? C'est en cela au contraire que consiste toute l'humanité de notre méthode... Celui-ci avait des scrupules religieux... Je les apaise.

Il consulta son registre :— Demain, repos... Mais après-demain, j'ai de nouveau une

arrivée pour toi... C'est encore un banquier, mais Suédois cette fois... Et celui-là n'est plus très jeune.

— J'aimais bien le petit Français, fit-elle, rêveuse.— On ne choisit pas le travail, dit sévèrement le Directeur.

Tiens, voici tes dix dollars, plus dix de prime.— Merci, dit Clara Kirby-Shaw. Et comme elle plaçait les billets

dans son sac, elle soupira.Quand elle fut sortie, Mr. Boerstecher chercha son crayon rouge,

puis, avec soin, en se servant d'une petite règle de métal, il raya de son registre un nom.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots et des expressions ci-dessous, faites les entrer dans des phrases :

compter faire s’ouvrir sur renoncer à qqch faire partie de acquérir qqch blâmer qqn mériter qqch consister en

rayer qqch cas n.f. ennui n.f. addition n.f. incohérent adj. indécis adj. anéanti adj. impitoyable adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui voit des signes favorables ou néfastes dans

certains faits ; celui qui est sans pitié, insensible ; celui qui est à la fois stupéfait et consterné ; celui qui ne sait pas prendre une résolution ; celui qui parle et agit avec une civilité raffinée.

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III. Trouvez les équivalents français des expressions ci-dessous : всё потерять, подсчитать свои деньги, неблагоприятные обстоятельства, ошибиться дозой, уложить книги, полуразвалившаяся машина, колода карт, в несчастном случае, местные власти, серьёзные неприятности, говорить безапелляционным тоном, оказывать давление на, поспешно что-либо сделать.

IV. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Comme le garçon était pressé, il a pris ... son déjeuner et a quitté la maison. 2) Le directeur parlait ... et son interlocuteur n’osait pas le contredire. 3) J’étais sûr qu’... je pourrai toujours compter sur mes amis. 4) Et tu crois que cette ... puisse se mettre en marche ? 5) Lisez bien le mode d’emploi du médicament, évitez de ... , ça peut être dangereux. 6) Avant de faire son achat coûteux, il ... . 7) Il a analysé la situation économique et comme ... étaient ... , il ne s’est pas décidé à commencer une nouvelle affaire. 8) Le travail fini, il ... sur l’étagère. 9) Ses affaires douteuses lui ont causé ... . 10) Les parents ... sur leur fils pour qu’il choisisse le métier d’ingénieur.

V. Traduisez les groupes de mots formés à l’aide du substantif cas m : дело было ясное; это не тот случай; если представится случай; в таком случае; в противном случае; в подобном случае и случае, если; чрезвычайное обстоятельство (форс-мажор); теперь или никогда; это мелочь, это не бог весть что.

VI. Formez les substantifs à partir des adjectifs ci-dessous et expliquez le procédé de formation : cruel, hostile, naïf, rapide, étrange, médiocre, simple, courtois, généreux . Donnez les contraires des adjectifs ci-dessus.

VII. Conjuguez les verbes interrompre et acquérir au présent et au passé simple, dites leur participe passé. Faites entrer les deux verbes dans des phrases au temps différents.

VIII.Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1)« Mais il savait que Fanny serait impitoyable. Elle le fut. »

2)« Si je vous avais sue à ce point victorienne, je vous aurais laissée

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à votre époux, à vos enfants... » 2)« Quand elle eut entendu le récit de Jean Monnier, elle le blâma beaucoup. » 3)« Ne voyez-vous pas que dans un an, deux ans, trois ans ou plus, si vous avez le courage de vivre, vous aurez oublié, et peut-être réparé vos pertes?... » 4)« Je n'ai pas voulu qu'elle fût belle, dit Clara. » 5)« Mais n'est-il pas naturel, si les circonstances sont nouvelles, que changent aussi nos volontés ?... Je ne pensais pas que la lutte valût la peine d'être entreprise... »

IX. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Jean Monnier a perdu toute sa fortune . 2) Il semblait accablé par sa faillite. 3) Etonnant qu’il ait épousé une femme manquant à ce point de douceur et de tendresse . 4) Cet homme dur n’a jamais pitié de ses adversaires. 5) Klara désapprouvait le désir de Jean de finir ses jours à l’Hôtel. 6) Le portier recevait les voyageurs dans le hall de l’hôtel. 7) Pour éviter l’explication avec les proches, le jeune homme préféra rentrer quand tout le monde dormait déjà. 8) Il se demandait pourquoi une femme aussi agréable voulait mourir. 9) Elle était certaine de pouvoir facilement regagner la confiance de son mari. 10) Son argent était définitivement perdu.

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) К концу своего пребывания во Франции, он приобрёл

красивый французский акцент. 2) Трудно отказаться от своих планов. 3) Каково ваше последнее желание? 4) Его бессвязный рассказ вызвал удивление. 5) Он вычеркнул из списка несколько имён. 6) В случае болезни, обратитесь к врачу. 7) Что вы рассчитываете делать сегодня вечером? 8) В чём заключается наша задача? 9) Ваша работа достойна всяческих похвал. 10) Комната выходила на море. 11) Он очень нерешительный человек. 12) Мы были подавлены услышанной новостью. 13) Не осуждайте его, он ни в чём не виновен. 14) Принесите нам счёт! 15) Ваши слова слишком жестоки.

XI. Reconstituez les temps des verbes : Quand le dîner, simple mais excellent et bien servi, se termina,

Jean Monnier (connaître) déjà, au moins dans ses traits essentiels, la vie de Clara Kirby-Shaw. Mariée avec un homme riche, d'une grande

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bonté, mais qu'elle ne jamais (aimer), elle le (quitter), six mois plus tôt, pour suivre en Europe un jeune écrivain, séduisant et cynique, qu'elle (rencontrer) à New York. Ce garçon, qu'elle (croire) prêt à l'épouser dès qu'elle (obtenir) son divorce, (se montrer), dès leur arrivée en Angleterre, décidé à se débarrasser d'elle le plus rapidement possible. Surprise et blessée par sa dureté, elle (tenter) de lui faire comprendre tout ce qu'elle (abandonner) pour lui, et l'affreuse situation où elle (aller) se trouver. Il (rire) beaucoup :

« Clara, en vérité, lui (dire) il, vous (être) une femme d'un autre temps !... Si je vous (savoir) à ce point victorienne, je vous (laisser) à votre époux, à vos enfants... Il faut les rejoindre, ma chère... Vous êtes faite pour élever sagement une famille nombreuse. »

Elle (concevoir) alors un dernier espoir, celui d'amener son mari, Norman Kirby-Shaw, à la reprendre. Elle (être) certaine que, si elle (pouvoir) le revoir seul, elle le (reconquérir) aisément. Entouré de sa famille, de ses associés, qui (exercer) sur lui une pression constante et hostile à Clara, Norman (se montrer) inflexible. Après plusieurs tentatives humiliantes et vaines, elle (trouver), un matin, dans son courrier le prospectus du Thanatos et (comprendre) que là (être) la seule solution, immédiate et facile, de son douloureux problème.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Décrivez en détails le Thanatos Palace Hôtel, sa situation,

sa fondation et son fonctionnement. En quoi consiste, selon le directeur, « l’humanité » de la méthode de l’Hôtel ?

III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Où et quand se déroule l’action de la nouvelle ? Confirmez-le par le texte.

2. Pourquoi Jean Monnier reçoit-il la lettre du Thanatos Palace Hôtel et pourquoi accepte-t-il l’invitation ?

3. Croyez-vous que le chauffeur de l’omnibus du Thanatos a été un de ses clients comme il l’affirme ? Argumentez votre réponse.

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Page 122: J'ai soif d'innocence

4. Dans quelles circonstances font leur connaissance Jean Monnier et Klara Kirby-Shaw ? Quel sujet touchent-ils pendant la promenade en montagne?

5. Pourquoi Klara arrive-t-elle à faire vite renoncer Jean Monnier  à la mort?

6. Pourquoi J. Monnier vient-il dans le bureau du directeur?7. Le directeur quel ordre donne-t-il à Sarconi?

V. Analysez le style de la lettre publicitaire et dites si le directeur de l’Hôtel, est-il un grand spécialiste de publicité et un fin psychologue ?

VI. En vous basant sur le texte présentez et caractérisez les personnages principaux de la nouvelle : Jean Monnier, Klara Kirby-Shaw (parlez du rôle que celle-ci joue dans l’Hôtel ) et  Boerstecher. Faites part des impressions que vous laissent les personnages de la nouvelle.

VII. Commentez : « Chacun de nous est sage pour tous les autres ... [...] on a toujours assez de courage pour supporter les maux d'autrui ? »

VIII. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle. IX. Dites ce que vous-même, vous pensez de cette histoire, de

Boerstecher et de la société anonyme qui ont fondé l’établissement ? Quel but, selon vous, poursuivait-on ? Entreprise de ce type, peut-elle être humaine ? Si c’est oui, dites à quelle condition ? Si c’est non, expliquez pourquoi.

A D I S C U T E R « Le plus souvent, la vie n’est pas du tout ce qu’elle devrait être. Les

gens se cassent où quelque chose se casse en eux. Je ne sais si c’est une question d’âge, de fatigue, de caractère ou de mode de vie. Il y a des périodes où les choses s’accumulent et, on ne sait pourquoi, on ressent cette accumulation comme une offense. » 

F. SaganSelon vous, pourquoi les gens se cassent ? Est-ce « une question

d’âge, de fatigue, de caractère, de mode de vie » ou encore d’autre chose ?

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Page 123: J'ai soif d'innocence

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Page 124: J'ai soif d'innocence

Maurice DruonMaurice Druon (1918-19..), a fait ses études supérieures de lettre à la

Sorbonne, puis à l’Ecole des Science Politiques. Pendant la guerre il participe

à la fameuse bataille des ponts de la Loire, lutte contre les fascistes en

Espagne, s’engage comme volontaire dans les Forces Françaises Libres en

Angleterre. Il est auteur des romans Grandes familles (prix Goncourt en

1943), de la fresque de romans historiques sue le XIVe siècle : Les Rois

maudits, du roman La volupté d’être, des recueilles de nouvelles.  Maurice

Druon est attiré par les personnalités fortes, débordante de vie. Mon

commandant, la dernière nouvelle de Druon est tout à fait à part et ne se

rattache à aucune tradition littéraire. « C’est une étude psychologique

saisissante et subtile qui entrouvre discrètement les replis d’une âme

délicate et sensible chez un être réduit à l’abaissement le plus pitoyable » (L.

Vindt). Maurice Druon a été élu à l’Académie française.

Mon commandant Cheveux blancs aux ondulations bleutées, manteau de vison,

chaussures de ville d'un cuir roux bien ciré, solides et fines, et à quoi l'on reconnaissait l'élégance étrangère, la dame se tenait immobile sur le trottoir du boulevard.

Derrière elle, dans la vitrine du grand magasin, les trains électriques se croisaient sous des tunnels herbus, le chameau des Rois mages levait et abaissait ses longues paupières méprisantes, un pompier escaladait, sans presque en toucher les barreaux, une échelle d'incendie. Mais la dame au beau visage décidé ne se souciait pas de la vitrine. Ce qui l'intéressait, c'était le camelot qui, sa vieille valise de fibre posée à même le sol, vendait un appareil à faire des bulles de savon.

— Un jeu qui amuse les petits et les grands, une distraction pour toute l'année!... Un jeu artistique, pas bruyant, pas salissant... et pas

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Page 125: J'ai soif d'innocence

cher...Trottoirs gris, ciel gris; le jour d'hiver mourait; mais pas encore

assez pour que les réverbères et les devantures pussent vraiment briller; et même les bulles étaient grises que le camelot faisait surgir d'un chalumeau de démonstration, pour appuyer son boniment.

— Et en prime, je donne un peigne de poche. L'homme, maigre et d'âge mal discernable, n'avait pas de manteau mais seulement une vieille veste marron aux revers froissés, plissés dans le sens de la longueur, des revers trop souvent croisés sur la poitrine. On se demandait comment il pouvait tirer, de dessous cet étroit veston, tout l'air qu'il employait, le souffle de son bagou, l'haleine dont il gonflait les bulles irisées qui s'échappaient du chalumeau, grosses, petites, en grappes pareilles aux ovaires d'une poularde, en chapelet comme des colliers de perles fausses, et puis une très grosse, si grosse que les rois mages, l'échelle d'incendie, les trains électriques un instant s'y reflétèrent, et qui soudain éclata avant d'être devenue montgolfière.

— Un jeu artistique... Pressons-nous, il n'y en aura pas pour tout le monde.

Il y en avait assez pour que la valise, raccommodée avec des ficelles, fut encore aux trois quarts pleine.

Quelques passants ralentissaient, suivaient du regard l'envol d'un chapelet nacré, s'éloignaient. Seule la dame en manteau de vison demeurait arrêtée, observant le camelot avec une attention insistante, mais sans donner toutefois aucun signe de vouloir acheter. La présence de cette richesse insolite, devant lui plantée, finit par troubler le vendeur à la sauvette, au point de lui faire rater une nouvelle grappe de bulles dont la mousse avortée vint se nicher sous la visière de sa casquette.

Lorsqu'il eut nettoyé ses sourcils, trop épais et trop drus pour son visage pointu, qu'il se fut, d'un mouchoir crasseux, essuyé les paupières et qu'il eut grommelé: «Ah! m... quelle saleté!» le camelot réaperçut, toujours immobile devant lui, la dame au beau manteau de fourrure. El seulement alors il s'écria:

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Page 126: J'ai soif d'innocence

— Mon commandant! ... Non! C'est vous, mon commandant? Oh! c'est pas possible, c'est pas possible!

La dame avait souri sous sa voilette, un sourire blanc, un sourire qu'elle eut pour prononcer d'une voix un peu haute peut-être pour le lieu et la circonstance, une voix de femme riche:

— Je me disait aussi, depuis un petit moment! «Mais c'est Marceau?»

— Oui, oui, mon commandant, oui, c'est moi. Eh bien, vrai, alors, eh bien si je m'attendait... C'est pas possible!

— Mais qu'est-ce que vous êtes devenu, Marceau?— Ce que vous voyez, mon commandant... Ah! ce n'est pas

brillant... je ne me fais pas honneur... Ah! là là, si on m'avait dit?.. Ça fait combien? Près de vingt ans. Mais qu'est-ce que je dis? Plus que ça. Vingt-trois ans!... Ah! je revois tout ça...

Ils revoyaient, tous deux, les mêmes paysages, les mêmes heures, les mêmes craintes, mais pas tout à fait de la même manière. Ils revoyaient la terre normande, mais lui à ras de sol, au milieu des prés, le nez levé vers les nuages, et elle depuis le ciel nocturne, pendue aux bretelles de son parachute et regardant approcher à une vitesse angoissante ces forêts, ces herbages, et le va-et-vient des lampes-tempêtes.

Car c'est ainsi que «mon commandant» était arrivée en France, une belle jeune femme solide, active, compétente, ignorant la peur, et «dropée» d'un avion solitaire, avec mission d'organiser un hôpital clandestin pour les équipages abattus de l'U.S. Air Force. Et Marceau l'avait «réceptionnée», Marceau, un gars pas très gros, pas très grand, mais décidé, qui avait son monde en main depuis Conches jusqu'à Beaumont-le-Roger, et même plus loin, jusqu'à Evreux et Bernay, et à qui chacun disait «chef», et qui comptait plus d'ennemis par lui mis hors de combat ou de vie qu'il ne comptait de doigts aux deux mains...

Dans la vitrine, le long du grand boulevard, le pompier casqué d'or entamait sa millième escalade sous l'œil méprisant du chameau des Rois mages.

— Allez, Marceau, venez prendre un verre avec moi.

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Page 127: J'ai soif d'innocence

— Oh non, mon commandant! Pas comme je suis, pas comme vous êtes!

— Mais qu'est ce que cela fait? Venez donc... Vous allez me raconter.

Le temps de fermer la valise aux bulles, de l'entourer d'une courroie. Marceau et «mon commandant» entrèrent dans un bistrot au coin d'une rue voisine.

— Un petit blanc, comme autrefois? dit «mon commandant» avec son doux accent d'Amérique.

— Bien volontiers, un petit blanc... Ah! là, là, si on m'avait dit...Un petit blanc, deux petits blancs, trois petits blancs. Le

muscadet était un peu râpeux; mais «mon commandant» avait l'estomac solide, plus solide sans doute, parce que mieux nourri, que celui de Marceau.

Une roseur inhabituelle montait aux joues creusées du petit homme, et des picotements lui venaient dans les doigts, sous ses ongles sales. Et il parlait. Il parlait du temps de la guerre, du temps de la peur et de l'oppression, du temps du malheur, et le rire le secouait par instants.

— Et vous vous rappelez, mon commandant, quand le gros Loubet est arrivé avec un jambon et trois chopines et qu'on a descendu tout ça au bord d'une mare? Ah! c'est pas pour vous le reprocher, mon commandant, mais vous aviez bon appétit... Nous, on se disait: «Une Amerloque, qu'est-ce qu'elle vient fiche ici... C'est vrai, quoi! Les pilotes, on peut bien s'en occuper. Et puis une bonne femme... — je vous demande pardon, mon commandant — mais une bonne femme, elle va foutre la pagaïe.» Eh bien, ça n'a pas traîné. Huit jours après, c'est vous qui commandiez tout le monde!

Et un tel, et un tel... et le matin où... et la fameuse nuit... et le coup de téléphone à la feidgendarmerie, pendant qu'on leur piquait leurs bicyclettes, à ces salauds... et le fardier chargé de troncs d'arbres laissé en travers de la voie, devant le train de munitions; oh! Seigneur! quel feu d'artifice!... et le jour de la libération de Beaumont...

— Cette cuite qu'on a prise, mon commandant; ah! cette cuite!

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Page 128: J'ai soif d'innocence

— Et votre femme?Les pommettes de Marceau devinrent brusquement plus rouges. — Ça, mon commandant, c'est une autre histoire. J'aime mieux

rien en dire.Mais si; il fallait tout de même en dire quelque chose... Et 1a

ferme des beaux-parents? Car il appartenait à une famille riche, Marceau, en tout cas aisée, avec des carrioles à haute bâche ronde pour transporter sur les marchés les œufs, les volailles, les mottes de beurre, quand les Allemands n'avaient pas tout raflé. Comment en était-il arrivé à vendre des bulles sur un trottoir de Paris?

— C'est la vie, mon commandant; c'est la vie qui s'est mal arrangée.

— Moi je pensais que vous alliez être maire, député...— Ah, ouiche! Si vous saviez qui c'est qui est devenu maire!...— Mais enfin, on vous a donné une pension, une médaille?— Rien, mon commandant, rien du tout. Parce qu'elle avait un cœur généreux, fidèle aux souvenirs et

soutenu aussi par le cinquième petit blanc, «mon commandant» s'écria, indignée:

— Pas de médaille, pas de croix? Eh bien, je vais vous en faire obtenir une... de l'Amérique, puisque ce sont des compatriotes à moi que vous m'avez aidée à sauver. Je vais écrire à Washington...

Au ton dont elle affirmait cela, en rejetant son vison en arrière des épaules, on pouvait bien croire que ce n'était pas à un sous-chef de bureau qu'elle se proposait d'écrire.

— Mon gouvernement va vous donner une décoration. Comme cela, le vôtre sera obligé de penser à vous.

— Faut pas, mon commandant, faut pas; c'est trop tard. A quoi ça servirait? Quand je pense qu'il y a plus d'années écoulées depuis ce temps-là que je n'en avais alors ! Je ne peux pas y croire. Oui, peut-être bien que j'aurais dû avoir une médaille; mais ça encore, c'est à cause de ma femme... et puis de celui qui m'a remplacé. C'était un copain; vous ne l'avez pas connu; je ne crois pas. C'est lui qui a eu les médailles... Ne parlons donc pas de ce qui s'est passé depuis. Quand

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on a eu les jours qu'on a eus, mon commandant, et puis qu'on a travaillé avec vous...

Dans les yeux de Marceau, dans la voix de Marceau, dans le cœur de Marceau montait ce bonheur qui est comme la liqueur distillée du risque, de l'angoisse, de l'amitié des combats. I1 y avait la jeunesse resurgie, la vie et son prix merveilleux lorsqu'on la retrouve intacte après qu'aventurée. Il y avait l'amour aussi, un amour qui ne s'était jamais avoué, un amour qui ne pensait à être rien d'autre qu'amour pour la belle jeune femme chataîne, au large sourire blanc, émouvante de posséder tant d'autorité dans la voix et tant de tendresse dans les mains pour les corps blessés.

— Je n'avais jamais osé vous demander, mon commandant... A l'époque, vous aviez quel âge?

— Trente-neuf ans.— Ah! ça vraiment, vous ne les paraissiez pas. Maintenant non

plus, d'ailleurs, vous ne paraissez pas...— Vous êtes galant, Marceau.Un petit soupir suivit ces derniers mots. Pour avoir un visage

encore exceptionnellement frais sous ses cheveux à reflets bleus, et des mains restées déliées, et des jambes minces, «mon commandant» n'en savait pas moins, lorsqu'elle ôtait son soutien-gorge, qu'elle était une femme de soixante-deux ans. Et cette pensée lui rappela qu'elle devait se changer avant d'aller dîner chez des amis. Elle jeta un regard sur sa montre-bracelet.

— Mon Dieu! Déjà huit heures?... Marceau, laissez-moi votre adresse. J'irai vous voir.

— Ah! non, mon commandant; ce n'est pas possible.— Et pourquoi?— Oh! C'est une trop mauvaise adresse; un vrai galetas. Non,

c'est pas possible qu'une femme comme vous... j'aurais trop honte.— Allons, Marceau, ne soyez pas bête. On est des amis de

guerre! Des amis de guerre... Dans la même phrase, les deux plus beaux mots du monde, pour Marceau: ami et guerre...

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«Mon commandant» attendait, le porte-mine d'or aux doigts, au-dessus d'un calepin ouvert. Le camelot se décida:

— Alors voilà: Desfourneaux, Etienne... parce que Marceau, vous vous rappelez, mon commandant, c'était le nom que j'avais seulement pour ce temps-là. J'habite au 5 impasse Truchot. Ça donne dans la rue Mouffetard. Mais je n'y suis guère, vous savez; juste la nuit pour dormir. C'est même pas une chambre: un coin de garage...

Marceau s'interrompit, parce que «mon commandant» lui tendait sa propre adresse qu'elle avait inscrite en capitales sur sa carte de visite: 27 bis, avenue Foch. Une adresse qui le fit sourire, gentiment, poliment, et sur laquelle il referma les doigts avec une vénération prudente, non comme sur une indication utile, mais comme sur une image pieuse.

De son sac de crocodile, «mon commandant» tirait un billet, ce qui créa, pendant un dixième de seconde, une gêne, aussitôt dissipée par deux regards échangés. Marceau avait cru... et «mon commandant» comprit qu'il avait cru... Mais non, pas ici, pas de cette sorte, et dans le moment qui restituait à Marceau une chose entre toutes précieuses parce que, précisément, tout l'argent du monde ne peut l'acheter: l'honneur. «Mon commandant» se hâta de frapper sur la table, du bout des ongles, en appelant:

— Mademoiselle!— Laissez, mon commandant... dit Marceau qui esquissa un

geste vers sa poche.— Non, non, Marceau, c'est ma tournée. D'abord, vous devez

obéir à votre chef.— Ah ! alors, si c'est un ordre...La serveuse rapporta la monnaie, le fermoir du sac claqua, le

vison fut remonté, contre le cou. «Mon commandant» était debout. De ses belles mains qui savaient si bien soigner, elle prit Marceau aux épaules et l'embrassa sur les deux joues, tandis qu'il agitait son bras droit, bêtement, parce qu'il s'était aperçu soudain que pendant tout l'entretien il avait oublié d'ôter sa casquette.

— A bientôt, Marceau.

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Page 131: J'ai soif d'innocence

— A bientôt, mon commandant. Ah! J'ai été...Il ne pouvait pas dire ce qu'il avait été... Mieux qu'heureux. Plus

que cela. Est-ce qu'on appelle bonheur un instant où l'on retrouve les mesures de la vie?

La dame en beau manteau était sortie du café, et Desfourneaux Etienne restait debout devant la fin de son petit blanc. La joie, le passé, l'amitié, et le vin pris à jeun, tout cela lui éclatait ainsi que des bulles devant les yeux et dans la tête.

— Des moments comme ça, il n'y en a pas pour tout le monde, murmura-t-il devant la serveuse qui essuyait la table par rite plutôt que par nécessité.

Cheveux bleutés, vison roux, chaussures brillantes, Mrs. Hornby, «mayor» honoraire de l'armée américaine, section des services secrets, et qui avait choisi de vivre en ce Paris qu'elle aimait plus qu'aucune ville au monde, cognait, d'une main décidée, à la vitre embuée. Marceau ne l'avait pas trompée; l'endroit était épouvantable de tristesse, de saleté et de puanteur. Mais Mrs. Hornby se sentait contente. D'abord une promenade à travers «la Mouffe», par le petit froid piquant de janvier, est toujours pittoresque; et puis surtout Mrs. Hornby avait dans son sac le télégramme de Washington l'informant qu'une décoration était attribuée à Desfourneaux Etienne, dit Marceau, au titre de la citation rédigée par elle. Mission accomplie... et cela valait bien de séjourner un peu dans ce couloir aux murs gluants, encombré de poussettes de chiffonniers. C'étaient ces poussettes, sûrement, qui répandaient pareille infection. De beaux petits enfants, jadis, avaient respiré leur premier printemps, aux Champs-Elysées ou au Luxembourg, dans ces landaus démantibulés.

La portière enfin apparut, mi-concierge, mi-logeuse, oscillant sur des jambes énormes dont la cheville débordait de la pantoufle.

— Desfourneaux? Ah oui, il habitait ici, mais il n'y est plus.— Et savez-vous où il habite maintenant? Vous avez nouvelle

adresse? La logeuse eut un regard choqué, hostile. — Mais, Madame... il est mort.

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Page 132: J'ai soif d'innocence

— Qu'est-ce que vous me dites? s'écria «mon commandant». Etienne Desfourneaux... il s'appelait aussi Marceau pendant la guerre?

— Ah ça, je ne sais pas comment il se faisait appeler autrefois. Mais de Desfourneaux, il n'y en avait pas d'autre ici.

— Mais je l'ai vu il y a trois semaines à peine, avant les fêtes!— Eh bien, c'est cela, Madame; juste avant les fêtes, il y a trois

semaines. Il est rentré un soir. Il ne m'a même pas dit bonne nuit. Il est allé s'enfermer dans la remise; et puis cette nuit-là il s'est pendu. On ne sait pas pourquoi.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser :

osciller v.intr. se soucier de qqch se hâter v.intr. grommeler qqch entamer qqch dissiper qqch restituer qqch

cogner à qqch camelot n.m. vénération n.f. méprisant adj. embué adj. épouvantable adj. discernable adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui est dynamique, qui agit ; celui qui fort et massif ; celui qui est capable de bien juger d’une chose en

vertu de sa connaissance approfondie en la matière ; celui qui est circonspect, qui réfléchit à la porté et

aux conséquences de ses actes ; celui qui est plein d’une respectueuse affection ; celui qui se conduit en ennemi.

III. Terminez les phrases en ajoutant les contraires des mots soulignés :

Le couple produisait une impression bizarre par leur contraste. La dame portait un neuf manteau de vison, l’homme une veste ... . Elle avait des chaussures d’un cuir véritable, bien ciré, solides et fines, lui des chaussures ..., ... et ... . Le visage de la dame était frais et lisse, les doigts déliés, par contre le visage de l’homme était ... et ... , ses mains ... . Elle

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Page 133: J'ai soif d'innocence

avait une voix haute et autoritaire, tandis que son compagnon parlait d’une voix ... et ... . Celui qui les observerait, pourrait facilement imaginer que la dame vivait dans un quartier cher et chic, dans un immeuble tout propre, sa demeure à lui devait se trouver dans une rue ... et ... , dans une maison aux murs ... .

IV. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français: стоять неподвижно, дать в подарок (при покупке), неопределённый возраст, презрительный взгляд, намереваться писать, боевая дружба, с осторожным почтением, сделать едва уловимый жест, как ритуал, по необходимости, запотевшее окно, выполненная задача, заставленный детскими колясками, распространять зловоние.

V. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) La poubelle qui n’a pas été vidée depuis quelques jours ... . 2) Il est difficile aux enfants de ... durant toute la leçon. 3) La femme était ... , elle pouvait avoir 30 ans aussi bien que 60. 4) Pour tout achat de plus de mille francs, le magasin ... un article de ménage. 5) Indignés par l’ouverture d’un casino à côté de l’école, les parents ... à l’administration régionale. 6) Il s’est approché de la star et s’est adressé à elle avec ... . 7) Elle restait près de la fenêtre, bien qu’on ne pouvait rien voir à travers ... . 8) Les amis se sont souvenus des mois passés dans les tranchées, de ... . 9) Ils ont eu de la difficulté à traverser le hall, ... . 10) Le dîneur ... , et la serveuse s’est approchée de la table.

VI. Précisez le sens du verbe appuyer dans le texte. Trouvez d'autres significations de ce verbe. Traduisez:

I) Il a appuyé l’échelle contre le mur. 2) La réunion a appuyé à l’unanimité l’initiatives des syndicats. 3) Les avions ont appuyé l’attaque de l’infanterie. 4) Vous en appuyez trop ! 5) L’enfant écrivait en appuyant avec application sur la plume. 6) Appuyez sur la droite, on tourne au premier carrefour. 7) Dans son discours, l’orateur appuyait sur les faits qu’il croyait les plus importants. 8) Le vieil homme a ressenti un léger malaise et s’est appuyé contre un arbre. 9) Sur quoi vous appuyez-vous dans vos conclusions ? 10) Dans cette affaire je ne peux m’appuyer que sur moi-même.

VII. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:

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Page 134: J'ai soif d'innocence

1) La dame au beau visage décidé ne se souciait pas de la vitrine. 2) Le camelot faisait surgir des bulles d'un chalumeau de démonstration, pour appuyer son boniment. 3) C’était un homme maigre et d'âge mal discernable. 4) Seule la dame en manteau de vison demeurait arrêtée, observant le camelot avec une attention insistante. 5) La présence de cette richesse insolite, devant lui plantée, finit par trou bler le vendeur à la sauvette.6) Il a gromme lé : «Ah! quelle conduite épouvantable!» 7) Pour ma vie, je ne me fais pas honneur... 8) C'est une trop mauvaise adresse; un vrai galetas. 9) Il referma les doigts sur l’adresse avec une vénération prudente. 10) Elle se hâta de frapper sur la table, du bout des ongles, en appelant la serveuse.

VIII. Rendez au discours indirecte la conversation de Mrs. Hornby avec la concierge.

IX. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Он стоял неподвижно, в ужасе от увиденной сцены. 2)

Покачиваясь, он продолжил путь.3) Её мало заботили чужие проблемы. 4) Чтобы рассеять скуку, он завёл разговор с соседями по купе. 5) Больной что-то бормотал во сне. 6) Утраченные документы будет трудно восстановить. 7) Он протёр запотевшее окно и увидел, что ночью выпал снег. 8) Эту страшную историю мне рассказала бабушка. 9) Торговец всячески расхваливал сой товар. 10) Услышав голоса друзей, мальчик поспешил на улицу. 11) Элегантно одетая дама бросила презрительный взгляд на дешёвые украшения, прелагаемые уличным торговцем. 12) Он относится к своему старому учителю с большим почтением. 13) Он стучал во все двери, но ему никто не открыл. 14) Мой дом? Мне нечем гордиться, это настоящая лачуга.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Comment était la dame qui s’est arrêtée devant la vitrine de jouets du grand magasin ? Qui a attiré son attention et pourquoi ?

2. Comment était le camelot et que vendait-il ?

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Page 135: J'ai soif d'innocence

3. Qui était la dame qu’il a enfin reconnue ? En quelles circonstances Marceau l’avait-il connue ?

4. Quels souvenirs communs avaient tous deux ? Leurs souvenirs du temps du malheur étaient-ils tristes ? Expliquez pourquoi. Qu’est-ce que Marceau  ressentait?

5. Comment s’étaient arrangée la vie des deux après la guerre ? A propos de quoi Mrs. Hornby se proposait-elle d’écrire à Washington ?

6. Sa démarche, a-t-elle réussi ? Combien de temps a passé avant qu’elle ne vienne chercher Marceau dans sa demeure ? Comment était l’endroit ?

7. Quelle nouvelle lui a appris la mi-concierge, la mi-logeuse ? Quand s’était suicidé Marceau ?

IV. En vous basant sur le texte décrivez et caractérisez les personnages principaux de la nouvelle. Tâchez de reconstituer la vie de chacun. Tâchez d’expliquer comment Marceau à qui on prédisait une carrière de député a abouti à sa vie misérable.

V. A votre avis, pourquoi Marceau s’est- il suicidé ? VI. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.

A D I S C U T E R

Chaque société, menant une guerre se heurte, tôt ou tard, aux difficultés, le plus souvent d’ordre psychologique, mais aussi économique de la réintégrations des anciens combattants.

Quels seraient selon vous les conditions et les moyens d’une réelle réintégration sociale des anciens combattants, surtout des plus démunis ? Illustrez votre argumentation d’exemples précis tirés de vos lectures, de votre connaissance du passé et de l’actualité.

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Page 136: J'ai soif d'innocence

Romain GaryRomain Gary, romancier français d’origine russe, né en 1914, a fait la

guerre, puis est entré dans la carrière diplomatique en 1945. dès

l’adolescence, la littérature va toujours tenir la première place dans la vie de

Romain Gary. Il est auteur de plus de vingt-six romans dont Education

européenne (prix des Critiques), Les Couleurs du jour, Les racines du ciel

(prix Goncourt), essais, nouvelles et souvenirs. Dans son oeuvre s’exprime

un « grand besoin de croire à quelque chose ». Une condamnation de tout ce

qui est « ruse, mensonge, déguisement » est notoire dans ses romans et

nouvelles, dont les héros sont habités d’un ardent « besoin d’amitié... de

fraternité ». Romain Gary s’est donné la mort, à Paris, le 2 décembre 1980.

Un humanisteAu moment de l'arrivée au pouvoir en Allemagne du Fûhrer

Adolf Hitler, il y avait à Munich un certain Karl Lœwy, fabricant de jouets de son métier, un homme jovial, optimiste, qui croyait à la nature humaine, aux bons cigares, à la démocratie, et, bien qu'assez peu aryen, ne prenait pas trop au sérieux les proclamations antisémites du nouveau chancelier, persuadé que la raison, la mesure et un certain sens inné de la justice, si répandu malgré tout dans le cœur des hommes, allaient l'emporter sur leurs aberrations passagères.

Aux avertissements que lui prodiguaient ses frères de race, qui l'invitaient à les suivre dans l'émigration, Herr Lœwy répondait par un bon rire et, bien carré dans son fauteuil, un cigare aux lèvres, il évoquait les amitiés solides qu'il avait nouées dans les tranchées pendant la guerre de 1914-18, amitiés dont certaines, aujourd'hui fort haut placées, n'allaient pas manquer de jouer en sa faveur, le cas échéant. Il offrait à ses visiteurs inquiets un verre de liqueur, levait le sien « à la nature humaine », à laquelle, disait-il, il faisait, entièrement confiance, qu'elle fût revêtue d'un uniforme nazi ou prussien, coiffée

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d'un chapeau tyrolien ou d'une casquette d'ouvrier. Et le fait est que les premières années du régime ne furent pour l'ami Karl ni trop périlleuses, ni même pénibles. Il y eut, certes, quelques vexations, quelques brimades, mais, soit que les « amitiés des tranchées » eussent en effet joué discrètement en sa faveur, soit que sa jovialité bien allemande, son air de confiance eussent, pendant quelque temps, retardé les enquêtes à son sujet, alors que tous ceux dont l'extrait de naissance laissait à désirer prenaient le chemin de l'exil, notre ami continua à vivre paisiblement entre sa fabrique de jouets et sa bibliothèque, ses cigares et sa bonne cave, soutenu par son optimisme inébranlable et la confiance qu'il avait dans l'espèce humaine. Puis vint la guerre, et les choses se gâtèrent quelque peu. Un beau jour, l'accès de sa fabrique lui fut brutalement interdit et, le lendemain, des jeunes gens en uniforme se jetèrent sur lui et le malmenèrent sérieusement. M. Karl donna quelques coups de fil à droite et à gauche, mais les « amitiés du front » ne répondaient plus au téléphone. Pour la première fois, il se sentit un peu inquiet. Il entra dans sa bibliothèque et promena un long regard sur les livres qui couvraient les murs. Il les regarda longuement, gravement : ces trésors accumulés parlaient tous en faveur des hommes, ils les défendaient, plaidaient en leur faveur et suppliaient M. Karl de ne pas perdre courage, de ne pas désespérer. Platon, Montaigne, Érasme, Descartes, Heine... Il fallait faire confiance à ces illustres pionniers ; il fallait patienter, laisser à l'humain le temps de se manifester, de s'orienter dans le désordre et le malentendu, et de reprendre le dessus. Les Français avaient même trouvé une bonne expression pour cela ; ils disaient : Chassez le naturel, il revient au galop. Et la générosité, la justice, la raison allaient triompher cette fois encore, mais il était évident que cela risquait de prendre quelque temps. Il ne fallait ni perdre confiance ni se décourager; cependant, il était tout de même bon de prendre quelques précautions.

M. Karl s'assit dans un fauteuil et se mit à réfléchir.C'était un homme rond, au teint rosé, aux lunettes malicieuses,

aux lèvres fines dont les contours paraissaient avoir gardé la trace de

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tous les bons mots qu'elles avaient lancés.Il contempla longuement ses livres, ses boîtes de cigares, ses

bonnes bouteilles, ses objets familiers, comme pour leur demander conseil, et peu à peu son œil s'anima, un bon sourire astucieux se répandit sur sa figure, et il leva son verre de fine vers les milliers de volumes de la bibliothèque, comme pour les assurer de sa fidélité.

M. Karl avait à son service un couple de braves Munichois qui s'occupaient de lui depuis quinze ans. La femme servait d'économe et de cuisinière, préparait ses plats favoris ; l'homme était chauffeur, jardinier et gardien de la maison. Herr Schutz avait une seule passion : la lecture. Souvent, après le travail, alors que sa femme tricotait, il restait pendant des heures penché sur un livre que Herr Karl lui avait prêté. Ses auteurs favoris étaient Gœthe, Schiller, Heine, Érasme ; il lisait à haute voix à sa femme les passages les plus nobles et inspirés, dans la petite maison qu'ils occupaient au bout du jardin. Souvent, lorsque M. Karl se sentait un peu seul, il faisait venir l'ami Schutz dans sa bibliothèque, et là, un cigare aux lèvres, ils s'entretenaient longuement de l'immortalité de l'âme, de l'existence de Dieu, de l'humanisme, de la liberté et de toutes ces belles choses que l'on trouvait dans les livres qui les entouraient et sur lesquels ils promenaient leurs regards reconnaissants.

Ce fut donc vers l'ami Schutz et sa femme que Herr Karl se tourna en cette heure de péril. Il prit une boîte de cigares et une bouteille de schnaps, se rendit dans la petite maison au bout du jardin et exposa son projet à ses amis.

Dès le lendemain, Herr et Frau Schutz se mirent au travail.Le tapis de la bibliothèque fut roulé, le plancher percé et une

échelle installée pour descendre dans la cave. L'ancienne entrée de la cave fut murée. Une bonne partie de la bibliothèque y fut transportée, suivie par les boîtes de cigares ; le vin et les liqueurs s'y trouvaient déjà. Frau Schutz aménagea la cachette avec tout le confort possible et, en quelques jours, avec ce sens bien allemand du gemütlich, la cave devint une petite pièce agréable, bien arrangée. Le trou dans le parquet fut soigneusement dissimulé par un carreau bien ajusté et recouvert

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par le tapis. Puis Herr Karl sortit pour la dernière fois dans la rue, en compagnie de Herr Schutz, signa certains papiers, effectua une vente fictive pour mettre son usine et sa maison à l'abri d'une confiscation ; Herr Schutz insista d'ailleurs pour lui remettre des contre-lettres et des documents qui allaient permettre au propriétaire légitime de rentrer en possession de ses biens, le moment venu. Puis les deux complices revinrent à la maison et Herr Karl, un sourire malin aux lèvres, descendit dans sa cachette pour y attendre, bien à l'abri, le retour de la bonne saison.

Deux fois par jour, à midi et à sept heures, Herr Schutz soulevait le tapis, retirait le carreau, et sa femme descendait dans la cave des petits plats bien cuisinés, accompagnés d'une bouteille de bon vin, et, le soir, Herr Schutz venait régulièrement s'entretenir avec son employeur et ami de quelque sujet élevé, des droits de l'homme, de la tolérance, de l'éternité de l'âme, des bienfaits de la lecture et de l'éducation, et la petite cave paraissait tout illuminée par ces vues généreuses et inspirées.

Au début, M. Karl se faisait également descendre des journaux, et il avait son poste de radio à côté de lui, mais, au bout de six mois, comme les nouvelles devenaient de plus en plus décourageantes et que le monde semblait aller vraiment à sa perdition, il fit enlever la radio, pour qu'aucun écho d'une actualité passagère ne vînt entamer la confiance inébranlable qu'il entendait conserver dans la nature humaine, et, les bras croisés sur la poitrine, un sourire aux lèvres, il demeura ferme dans ses convictions, au fond de sa cave, refusant tout contact avec une réalité accidentelle et sans lendemain. Il finit même par refuser de lire les journaux, par trop déprimants, et se contenta de relire les chefs-d'œuvre de sa bibliothèque, puisant au contact de ces démentis que le permanent infligeait au temporaire la force qu'il fallait pour conserver sa foi.

Herr Schutz s'installa avec sa femme dans la maison, qui fut miraculeusement épargnée par les bombardements. A l'usine, il avait d'abord eu quelques difficultés, mais les papiers étaient là pour

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prouver qu'il était devenu le propriétaire légitime de l'affaire, après la fuite de Herr Karl à l'étranger.

La vie à la lumière artificielle et le manque d'air frais ont augmenté encore l'embonpoint de Herr Karl, et ses joues, avec le passage des années, ont perdu depuis longtemps leur teint rosé, mais son optimisme et sa confiance dans l'humanité sont demeurés intacts. Il tient bon dans sa cave, en attendant que la générosité et la justice triomphent sur la terre, et, bien que les nouvelles que l'ami Schutz lui apporte du monde extérieur soient fort mauvaises, il refuse de désespérer.

Quelques années après la chute du régime hitlérien, un ami de Herr Karl, revenu d’émigration, vint frapper à la porte de l'hôtel particulier de la Schillerstrasse.

Un homme grand et grisonnant, un peu voûté, d'aspect studieux, vint lui ouvrir. Il tenait encore un ouvrage de Gœthe à la main. Non, Herr Lœwy n'habitait plus ici. Non, on ne savait pas ce qu'il était devenu. Il n'avait laissé aucune trace, et toutes les enquêtes faites depuis la fin de la guerre n'avaient donné aucun résultat. Gruss Gott! La porte se referma. Herr Schutz rentra dans la maison et se dirigea vers la bibliothèque. Sa femme avait déjà préparé le plateau. Maintenant que l'Allemagne connaissait à nouveau l'abondance, elle gâtait Herr Karl et lui cuisinait les mets les plus délicieux. Le tapis fut roulé et le carreau retiré du plancher. Herr Schutz posa le volume de Gœthe sur la table et descendit avec le plateau.

Herr Karl est bien affaibli, maintenant, et il souffre d'une phlébite. De plus, son cœur commence à flancher. Il faudrait un médecin, mais il ne peut pas exposer les Schutz à ce risque ; ils seraient perdus si on savait qu'ils cachent un Juif humaniste dans leur cave depuis des années. II faut patienter, se garder du doute ; la justice, la raison et la générosité naturelle reprendront bientôt le dessus. Il ne faut surtout pas se décourager. M. Karl, bien que très diminué, conserve tout son optimisme, et sa foi humaine est entière. Chaque jour, lorsque Herr Schutz descend dans la cave avec les mauvaises nouvelles — l'occupation de l'Angleterre par Hitler fut un choc particulièrement dur

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— c'est Herr Karl qui l'encourage et le dirige par quelque bon mot. Il lui montre les livres sur les murs et il lui rappelle que l'humain finit toujours par triompher et que c'est ainsi que les plus grands chefs-d'œuvre ont pu naître, dans cette confiance et dans cette foi. Herr Schutz ressort toujours de la cave fortement rasséréné.

La fabrique de jouets marche admirablement ; en 1950, Herr Schutz a pu l'agrandir et doubler le chiffre des ventes ; il s'occupe avec compétence de l'affaire.

Chaque matin, Frau Schutz descend un bouquet de fleurs fraîches qu'elle place au chevet de Herr Karl. Elle lui arrange ses oreillers, l'aide à changer de position et le nourrit à la cuiller, car il n'a plus la force de s'alimenter lui-même. Il peut à peine parler, à présent ; mais parfois ses yeux s'emplissent de larmes, son regard reconnaissant se pose sur les visages des braves gens qui ont su si bien soutenir la confiance qu'il avait placée en eux et dans l'humanité en général ; on sent qu'il mourra heureux, en tenant dans chacune de ses mains la main de ses fidèles amis, et avec la satisfaction d'avoir vu juste.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

malmener qqn se décourager v.intr. prodiguer qqch se contenter de qqch se répandre v.intr. complice n.m. tolérance n.f.

jovial adj. périlleux adj. astucieux adj. inspiré adj. rasséréné adj. déprimant adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui est plein de gaieté franche, simple et communicative ; celui qui est malin, qui a une habilité fine ; celui qui commence à devenir gris, à avoir le poil gris par l’effet

de l’âge ; celui dont le dos est courbé (notamment du fait de l’âge), ne peut

plus se redresser ;

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celui qui est redevenu calme et serein.III. Trouvez dans le texte les équivalents français des

expressions ci-dessous : временное заблуждение, в случае необходимости, оставлять желать лучшего, человеческий род, выступать в защиту, одержать верх, бессмертие души, благодарный взгляд, час опасности, законный владелец, совершить покупку, беседовать на возвышенные темы, благотворность чтения, непоколебимое доверие, сохранить веру, подвергать риску.

IV. Replacez les expressions ci-dessus :1) Cet homme cynique n’a aucune confiance en ... . 2) Tous ceux

qui le connaissent ... , le sachant honnête et incapable à une action déloyale. 3) Lors des élections les forces démocratiques ont ... , ne laissant aux adversaires qu’un nombre réduit de sièges au parlement. 4) Le docteur s’est penché au-dessus de l’opéré, tout faible encore et ne pouvant pas parler, et a vu son ... . 5) A ... , le peuple a su résister à l’ennemi. 6) Le nouveau ... de l’entreprise rentrera en possession de ses biens le moment venu. 7) Il ... des actions et pense en tirer du profit. 8) Qu’est-ce qu’il est bon de s’installer près de la cheminé et de ... sur ... . 9) ... , téléphonez-moi et je viendrai. 10) Sa prononciation ... à ... , il doit encore beaucoup travailler.

V. Trouves des équivalents russes aux locutions formées avec le mot jour: quinze jours, jour ouvrable, un jour, dans un jour, il y a un jour, en un jour, du jour au lendemain, de jour en jour, un de ces jours, de nos jours, sauver les jours à qqn, mettre au jour, voir le jour, il fait grand jour, présenter sous un jour favorable.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Il était persuadé que la raison, la mesure et un certain sens inné de

la justice, allaient l'emporter sur leurs aberrations passagères. 2) Il contempla longuement ses livres, ses boîtes de cigares, ses bonnes bouteilles, ses objets familiers. 3) Un sourire astu cieux se répandit sur sa figure. 4) Il se tourna en cette heure de péril vers ses amis. 5) Le trou dans le parquet fut soigneusement dissimulé par un carreau bien ajusté et recouvert par le tapis. 6) Herr Schutz venait régulièrement s'entretenir avec son employeur et ami de quelque sujet élevé. 7) Le couple s'est installé dans la maison, qui a été miraculeusement épargnée par les

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bombardements. 8) Un homme grand et grisonnant, un peu voûté, d'aspect studieux, vint ouvrir la porte. 9) II faut se garder du doute ; la justice, la raison et la générosité naturelle reprendront bientôt le dessus. 10) Herr Schutz ressort toujours de la cave fortement rasséréné.

VII. Replacez les prépositions qui manquent :1) Karl Lœwy, fabricant de jouets ... son métier, était un homme

jovial, optimiste, qui croyait ... la nature humaine, aux bons cigares, à la démocratie. 2) Il offrait ... ses visiteurs inquiets un verre de liqueur, levait le sien « à la nature humaine », à laquelle, disait-il, il faisait, entièrement confiance 3) Les amis le suppliaient... ne pas perdre courage, ... ne pas désespérer. 4) Il est venu voir son ami pour l’assurer ... sa fidélité. 5) Ils s'entretenaient longuement ... l'immor-talité de l'âme, de l'existence de Dieu, de l'humanisme, de la liberté et de toutes ces belles choses que l'on trouvait dans les livres. 6) On a signé les documents qui allaient permettre au propriétaire légitime ... rentrer ... possession de ses biens. 7) Il finit par refuser ... lire les journaux, par trop déprimants.8) II faut patienter, se garder ... doute. 9) Frau Schutz lui arrange ses oreillers, l'aide ... changer ... position et le nourrit à la cuiller, car il n'a plus la force ... s'alimenter lui-même. 10) Ses amis n'allaient pas manquer ... jouer ... sa faveur, le cas échéant.

VIII. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur et leur formation :

1)« Il offrait à ses visiteurs inquiets un verre de liqueur, levait le sien « à la nature humaine », à laquelle, disait-il, il faisait, entièrement confiance, qu'elle fût revêtue d'un uniforme nazi ou prussien, coiffée d'un chapeau tyrolien ou d'une casquette d'ouvrier. » 2) « Il y eut, certes, quelques vexations, quelques brimades, mais, soit que les « amitiés des tranchées » eussent en effet joué discrètement en sa faveur, soit que sa jovialité bien allemande, son air de confiance eussent, pendant quelque temps, retardé les enquêtes à son sujet.  » 3) « Il fit enlever la radio, pour qu'aucun écho d'une actualité passagère ne vînt entamer la confiance inébranlable qu'il entendait conserver dans la nature humaine. » 4) « Il tient bon dans sa cave, en attendant que la générosité et la justice triomphent sur la terre, et, bien que les nouvelles que l'ami Schutz lui apporte du monde extérieur soient fort mauvaises, il refuse de désespérer. »

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IX. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Она оставила мужа, поскольку он грубо с ней обращался. 2) Не

отчаивайтесь, всё пройдет. 3) Он щедро раздаёт советы, но не рассчитывайте на его помощь. 4) Он довольствуется малым. 5) Его сообщник уже арестован. 6) Он оставался жизнерадостным даже в минуты опасности. 7) На его лице появилась добрая, лукавая улыбка. 8) Он завязал дружбу с нужными людьми. 9) Новости становятся всё более обескураживающие, и кажется, что мир рушится. 10) В случае необходимости, обратитесь к хорошему специалисту. 11) Вдохновлённая речь защитника поколебала уверенность в виновности подсудимого. 12) Несмотря ни на что, он сохранил непоколебимую веру в доброту и человечность. 13) Начинается эпидемия гриппа, примите меры предосторожности. 14) Я не хочу подвергать риску своих близких. 15) Не злоупотребляй его терпением, оно не безгранично.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Où et quand se déroule l’action de la nouvelle ?2. Sur quoi se basait l’optimisme inébranlable de Karl Lœwy,

même à une heure de péril ?3. Comment étaient les gens qui étaient au service de Karl

Lœwy ? Quelles étaient leurs fonctions ? Comment étaient les relations entre le maître et Herr Schutz ?

4. Quel projet astucieux a-t-il ébauché pour attendre que l’humain reprenne le dessus ? Quels papiers a-t-il signés ? Comment a-t-il aménagé la cave ?

5. Comment Karl Lœwy se sentait-il dans la cave ? Quels sentiment éprouvait-il envers ses serviteurs ?

6. Pourquoi ignorait-il complètement les événements extérieurs ? Pourquoi Herr Schutz les lui cachait-il ?

IV. Présentez et caractérisez Karl Lœwy. Racontez ses occupations, intérêts et principes. Quels sentiments évoque-t-il en vous?

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V. Présentez et caractérisez Herr Schutz et sa femme. Quels sentiments évoquent-t-ils en vous? Comment expliqueriez-vous leur abominable tricherie ?

VI. Comment imaginez-vous la fin de l’histoire ? Karl Lœwy, sortira-il un jour de sa cave ?

VII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle. VIII. Relevez dans le texte les noms des philosophes et poètes

que Karl Lœwy cite et donnez une brève information sur eux et leurs idées.

A D I S C U T E R

Commentez : « Platon, Montaigne, Érasme, Descartes, Heine... Il fallait faire confiance à ces illustres pionniers ; il fallait patienter, laisser à l'humain le temps de se manifester, de s'orienter dans le désordre et le malentendu, et de reprendre le dessus. Les Français avaient même trouvé une bonne expression pour cela ; ils disaient : Chassez le naturel, il revient au galop. Et la générosité, la justice, la raison allaient triompher cette fois encore. » « Il lui rappelle que l'humain finit toujours par triompher et que c'est ainsi que les plus grands chefs-d'œuvre ont pu naître, dans cette confiance et dans cette foi. »

Romain Gary, se montre-t-il aussi confiant en l’humanisme que son personnage ? Et vous, partagez-vous la conviction des philosophes cités que l'humain reprendra le dessus malgré le désordre et le malentendu ?

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J’ai soif d’innocence

Lorsque je décidai enfin de quitter la civilisation et ses fausses valeurs et de me retirer dans une île du Pacifique, sur un récif de corail, au bord d'une lagune bleue, le plus loin possible d'un monde mercantile entièrement tourné vers les biens matériels, je le fis pour des raisons qui ne surprendront que les natures vraiment endurcies.

J'avais soif d'innocence. J'éprouvais le besoin de m'évader de cette atmosphère de compétition frénétique et de lutte pour le profit où l'absence de tout scrupule était devenue la règle et où, pour une nature un peu délicate et une âme d'artiste comme la mienne, il devenait de plus en plus difficile de se procurer ces quelques facilités matérielles indispensables à la paix de l'esprit.

Oui, c'est surtout de désintéressement que j'avais besoin. Tous ceux qui me connaissent savent le prix que j'attache à cette qualité, la première et peut-être même la seule que j'exige de mes amis. Je rêvais de me sentir entouré d'êtres simples et serviables, au cœur entièrement incapable de calculs sordides, auxquels je pourrais tout demander, leur accordant mon amitié en échange, sans craindre que quelque mesquine considération d'intérêt ne vînt ternir nos rapports.

Je liquidai donc les quelques affaires personnelles dont je m'occupais et arrivai à Tahiti au début de l'été.

Je fus déçu par Papeete.La ville est charmante, mais la civilisation y montre partout le

bout de l'oreille, tout y a un prix, un salaire, un domestique y est un salarié et non un ami et s'attend à être payé au bout du mois, l'expression « gagner sa vie » y revient avec une insistance pénible et, ainsi que je l'ai dit, l'argent était une des choses que j'étais décidé à fuir le plus loin possible.

Je résolus donc d'aller vivre dans une petite île perdue des Marquises, Taratora, que je choisis au hasard sur la carte, et où le bateau du Comptoir Perlier d'Océanie jetait l’ancre trois fois par an.

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Dès que je pris pied sur l'île, je sentis que mes rêves étaient enfin sur le point de se réaliser.

Toute la beauté mille fois décrite, mais toujours bouleversante, lorsqu'on la voit enfin de ses propres yeux, du paysage polynésien, s'offrit à moi au premier pas que je fis sur la plage : la chute vertigi-neuse des palmiers de la montagne à la mer, la paix indolente d'une lagune que les récifs entouraient de leur protection, le petit village aux paillotes dont la légèreté même semblait indiquer une absence de tout souci et d'où courait déjà vers moi, les bras ouverts, une population dont, je le sentis immédiatement, on pouvait tout obtenir par la gentillesse et l'amitié. Car, comme toujours avec moi, c'est surtout à la qualité des êtres humains que je fus le plus sensible.

Je trouvai là sur pied une population de quelques centaines de têtes qu'aucune des considérations de notre capitalisme mesquin ne paraissait avoir touchée et qui était à ce point indifférente au lucre que je pus m'installer dans la meilleure paillote du village et m'entourer de toutes les nécessités immédiates de l’existence, avoir mon pêcheur, mon jardinier, mon cuisinier, tout cela sans bourse délier, sur la base de l'amitié et de la fraternité la plus simple et la plus touchante et dans le respect mutuel.

Je devais cela à la pureté d'âme des habitants, à leur merveilleuse candeur, mais aussi à la bienveillance particulière à mon égard de Taratonga,

Taratonga était une femme âgée d'une cinquantaine d'années, fille d'un chef dont l'autorité s'était étendue autrefois sur plus de vingt îles de l'archipel. Elle était entourée d'un amour filial par la population de l'île et, dès mon arrivée, je déployai tous mes efforts pour m'assurer son amitié. Je le fis tout naturellement, sans essayer de me montrer différent de ce que j'étais, mais, au contraire, en lui ouvrant mon âme. Je lui exposai les raisons qui m'avaient poussé à venir dans son île, mon horreur du vil mercantilisme et du matérialisme sordide, mon besoin déchirant de redécouvrir ces qualités de désintéressement et d'innocence hors desquelles il n'est point de survie pour l'humain, et je lui confiai ma joie et ma gratitude d'avoir enfin trouvé tout cela auprès

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de son peuple. Taratonga me dit qu'elle me comprenait parfaitement et qu'elle n'avait elle-même qu'un but dans la vie : empêcher que l'argent ne vînt souiller l'âme des siens. Je compris l'allusion et l'assurai solennellement que pas un sou n'allait sortir de ma poche pendant tout mon séjour à Taratora. Je rentrai chez moi et, pendant les semaines qui suivirent, je fis de mon mieux pour observer la consigne qui m'avait été donnée si discrètement. Je pris même tout l'argent que j'avais et l'enterrai dans un coin de ma case.

J'étais dans l'île depuis trois mois, lorsqu'un jour un gamin m'apporta un cadeau de celle que je pouvais désormais appeler mon amie Taratonga.

C'était un gâteau de noix, qu'elle avait préparé elle-même à mon intention, mais ce qui me frappa immédiatement ce fut la toile dans laquelle le gâteau était enveloppé.

C'était une grossière toile à sac, mais peinte de couleurs étranges, qui me rappelaient vaguement quelque chose ; et, au premier abord, je ne sus quoi.

J'examinai la toile plus attentivement et mon cœur fît un bond prodigieux dans ma poitrine.

Je dus m'asseoir.Je pris la toile sur mes genoux et la déroulai soigneusement.

C'était un rectangle de cinquante centimètres sur trente et la peinture était craquelée et à demi effacée par endroits.

Je restai là un moment, fixant la toile d'un œil incrédule.Mais il n'y avait pas de doute possible. J'avais devant moi un

tableau de Gauguin. Je ne suis pas grand connaisseur en matière de peinture, mais il y a aujourd'hui des noms dont chacun sait reconnaître sans hésiter la manière. Je déployai encore une fois la toile d'une main tremblante et me penchai sur elle. Elle représentait un petit coin de la montagne tahitienne et des baigneuses au bord d'une source, et les couleurs, les silhouettes, le motif lui-même étaient à ce point reconnaissables que, malgré le mauvais état de la toile, il était impossible de s'y tromper.

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J'eus, à droite, du côté du foie, ce pincement douloureux qui, chez moi, accompagne toujours les grands élans du cœur.

Une œuvre de Gauguin, dans cette petite île perdue! Et Taratonga qui s'en était servie pour envelopper son gâteau! Une peinture qui, vendue à Paris, devait valoir cinq millions ! Combien d'autres toiles avait-elle utilisées ainsi pour faire des paquets ou pour boucher des trous ? Quelle perte prodigieuse pour l'humanité !

Je me levai d'un bond et me précipitai chez Taratonga pour la remercier de son gâteau.

Je la trouvai en train de fumer sa pipe devant sa maison, face à la lagune. C'était une forte femme, aux cheveux grisonnants, et malgré ses seins nus, elle conservait, même dans cette attitude, une dignité admirable.

— Taratonga, lui dis-je, j'ai mangé ton gâteau. Il était excellent. Merci.

Elle parut contente.— Je t'en ferai un autre aujourd'hui. J'ouvris la bouche, mais ne dis rien. C'était le moment de faire

preuve de tact. Je n'avais pas le droit de donner à cette femme majestueuse l'impression qu'elle était une sauvage qui se servait des œuvres d'un des plus grands génies du monde pour faire des paquets. J'avoue que je souffre d'une sensibilité excessive, mais je tenais à éviter cela à tout prix.

Quitte à recevoir un autre gâteau enveloppé dans une toile de Gauguin, je devais me taire. La seule chose qui n'a pas de prix, c'est l'amitié. Je revins donc dans ma case et attendis. L'après-midi, le gâteau arriva, enveloppé dans une autre toile de Gauguin. Elle était dans un état encore plus piteux que la précédente. Quelqu'un semblait même avoir gratté la toile avec un couteau. Je faillis me précipiter chez Taratonga. Mais je me retins. Il fallait procéder avec prudence. Le lendemain, j'allai la voir et lui dis avec simplicité que son gâteau était la meilleure chose que j'eusse jamais mangée.

Elle sourit avec indulgence et bourra sa pipe. Au cours des huit jours suivants, je reçus de Taratonga trois gâteaux enveloppés dans

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trois toiles de Gauguin. Je vivais des heures extraordinaires. Mon âme chantait — il n'y a pas d'autre mot pour décrire les heures d'intense émotion artistique que j'étais en train de vivre. Puis le gâteau continua à arriver, mais sans enveloppe. Je perdis complètement le sommeil. Ne restait-il plus d'autres toiles, ou bien Taratonga avait-elle simplement oublié d'envelopper le gâteau ? Je me sentais vexé et même légèrement indigné. Il faut bien reconnaître que malgré toutes leurs qualités, les indigènes de Taratora ont également quelques graves défauts dont une certaine légèreté, qui fait qu'on ne peut jamais compter sur eux complètement. Je pris quelques pilules pour me calmer et essayai de trouver un moyen de parler à Taratonga sans attirer son attention sur son ignorance. Finalement, j'optai pour la franchise. Je retournai chez mon amie.

— Taratonga, lui dis-je, tu m'as envoyé à plusieurs reprises des gâteaux. Ils étaient excellents. Ils étaient, de plus, enveloppés dans des toiles de sacs peintes qui m'ont vivement intéressé. J'aime les couleurs gaies. D'où les as-tu ? En as-tu d'autres ?

— Oh! ça... dit Taratonga avec indifférence. Mon grand-père en avait tout un tas.

— Tout... un tas? bégayai-je.— Oui, il les avait reçues d'un Français qui habitait l'île et qui

s'amusait comme ça, à couvrir des toiles de sacs avec des couleurs. Il doit m'en rester encore.

— Beaucoup? murmurai-je.— Oh! je ne sais pas. Tu peux les voir. Viens. Elle me conduisit

dans une grange pleine de poissons secs et de coprah. Par terre, couvertes de sable, il y avait une douzaine de toiles de Gauguin. Elles étaient toutes peintes sur des sacs et avaient beaucoup souffert, mais il y en avait plusieurs qui étaient encore en assez bon état. J'étais pâle et tenais à peine sur mes jambes. « Mon Dieu, pensai-je encore, quelle perte irréparable pour l'humanité, si je n'étais pas passé par là! » Cela devait aller chercher dans les trente millions...

— Tu peux les prendre, si tu veux, dit Taratonga.

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Un combat terrible se livra alors dans mon âme. Je connaissais le désintéressement de ces êtres merveilleux et ne voulais pas introduire dans l'île, dans l'esprit de ses habitants, ces notions mercantiles de prix et de valeur qui ont déjà sonné le glas de tant de paradis terrestres. Mais tous les préjugés de notre civilisation, que je tenais malgré tout bien ancrés en moi, m'empêchaient d'accepter un tel cadeau sans rien offrir en échange. D'un geste, j'arrachai de mon poignet la superbe montre en or que je possédais et la tendis à Taratonga. .

— Laisse-moi t'offrir à mon tour un cadeau, la priai-je.— Nous n'avons pas besoin de ça ici pour savoir l'heure, dit-elle.

Nous n'avons qu'à regarder le soleil.Je pris alors une décision pénible.Taratonga, lui dis-je, je suis malheureusement obligé de rentrer

en France. Des raisons humanitaires me l'ordonnent. Justement, le bateau arrive dans huit jours et je vais vous quitter. J'accepte ton cadeau. Mais à condition que tu me permettes de faire quelque chose pour toi et les tiens. J'ai un peu d'argent. Oh! très peu. Permets-moi de te le laisser. Vous avez tout de même besoin d'outils et de médicaments.

Comme tu voudras, dit-elle avec indifférence. Je remis sept cent mille francs à mon amie. Puis Je saisis les toiles et courus vers ma paillote. Je passai une semaine d'inquiétude en attendant le bateau. Je ne savais pas ce que je craignais au juste. Mais j'avais hâte de partir de là. Ce qui caractérise certaines natures artistiques, c'est que la contemplation égoïste de la beauté ne leur suffit pas, elles éprouvent au plus haut point le besoin de partager cette joie avec leurs semblables. J'étais pressé de rentrer en France, d'aller chez les mar-chands de tableaux leur offrir mes trésors. Il y en avait pour une centaine de millions. La seule chose qui m'irritait, c'était que l'État allait sûrement prélever trente à quarante pour cent du prix obtenu. Car tel est l'envahissement par notre civilisation du domaine le plus privé du monde, celui de la beauté.

A Tahiti, je dus attendre quinze jours un bateau pour la France. Je parlai aussi peu que possible de mon atoll et de Taratonga. Je ne

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voulais pas que l'ombre de quelque main commerçante vînt se jeter sur mon paradis. Mais le propriétaire de l'hôte où j'étais descendu connaissait bien l'île et Taratonga.

— C'est une fille assez sensationnelle, me dit-il un soir.Je gardai le silence. Je trouvai le mot « fille », appliqué à un des

êtres les plus nobles que je connaisse, parfaitement outrageant.— Elle vous a naturellement fait voir ses peintures? demanda

mon hôte.Je me redressai.— Pardon?— Elle fait de la peinture et assez bien, ma parole. Elle a passé

trois ans aux Arts décoratifs à Paris, il y a une vingtaine d'années. Et lorsque les cours du coprah sont devenus ce que vous savez, avec les synthétiques, elle est revenue dans l'île. Elle fait des espèces d'imitations de Gauguin assez étonnantes. Elle a un contrat régulier avec l'Australie. Ils lui paient ses toiles vingt mille francs la pièce. Elle vit de ça... Qu'est-ce qu'il y a, mon vieux? Ça ne va pas?

— Ce n'est rien, bafouillai-je;Je ne sais pas où je trouvai la force de me lever, de monter dans

ma chambre et de me jeter sur le lit. Je demeurai là, prostré, saisi par un profond, un invincible dégoût. Une fois de plus, le monde m'avait trahi. Dans les grandes capitales comme dans le plus petit atoll du Pacifique, les calculs les plus sordides avilissent les âmes humaines. Il ne me restait vraiment qu'à me retirer dans une île déserte et à vivre seul avec moi-même si je voulais satisfaire mon lancinant besoin de pureté.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

se retirer v.intr. s’évader v.intr. se procurer qqch accorder qqch à qqn déployer qqch

souiller qqch opter pour qqch prélever qqch bafouiller qqch valeur n.f.

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innocence n.f. indigène n.f.m. outragent adj. serviable adj. mesquin adj.

vil adj. sordide adj. incrédule adj. piteux adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui ne porte aucun intérêt matériel ; celui qui est toujours prêt à rendre service ; celui qui est bassement intéressé, qui est d’une

mesquinerie ignoble ; celui qui est sceptique, qui se laisse difficilement

convaincre ; celui qui est blessé dans son amour propre ; celui qui est remarquable, qui produit une vive

impression.III. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants :

innocence, scrupule, désintéressement, calcul, gentillesse, amitié, franchise, candeur, lucre.

IV. Relevez dans la lecture tous les adjectifs au sens approbatif et désapprobatif. Ecrivez-les en deux colonnes.

V. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français: ложные ценности, материальные блага, придавать значение, выбрать наугад, равнодушный к наживе, не открывая кошелька, рискуя, по отношению к, соблюдать правило (приказание), петь отходную, специально для, необходимый для душевного покоя, знаток в какой-либо области, действовать осторожно, проявить такт.

VI. Replacez les groupes des mots ci-dessus dans des phrases qui suivent :

1) Il est étonnant à quel point cet homme ne ... pas aux ... et se contente de peu, pourvu que rien n’empêche ses recherches. 2) La jeune femme s’arrangeait à avoir, grâce à ses amis, une vie confortable sans ... . 3) Comme tous les plats dans le menu lui était inconnus, il en a choisi un ... . 4) Il a beaucoup apprécié la bienveillance des aborigènes à ... . 5) Lors de l’envol et l’atterrissage de l’avion vous devez ... de ne pas quitter son siège et d’attacher la ceinture. 6) Pour

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faire plaisir à son mari, pour son retour, Hélène a préparé à ... ses plats préférés. 7) Même n’étant pas ... en ... de la peinture, il a reconnu le style de Van Gog. 8) Paul comprenait qu’il fallait ... dans cette situation délicate pour ne pas tout perdre. 9) A table, la conversation a touché les divorces, mais voyant l’embarrât et la confusion de leur invité, la maîtresse de la maison ... et a changé de sujet. 10) Tous les projets de Romain de s’enrichir en vendant les tableaux ... .

VII. Précisez le sens du verbe tourner dans le texte. Trouvez d'autres significations de ce verbe. Traduisez: tourner la tête, tourner la tête à qqn, tourner ses pas vers qqn, tourner la loi, tourner en ridicule, tourner tout au tragique, tourner un film, tourner dans un film.

VIII. Trouvez dans le texte les mots qui désignent une habitation sommaire dans les civilisations dites primitives. Faites la liste des noms désignant un bâtiment d’habitation.

IX. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Elle éprouvait parfois le besoin de fuir la vie frénétique et la

lutte pour le pain quotidien. 2) Il n’était pas difficile d’acquérir ces dictionnaires. 3) Il rêvait d’être entouré d'êtres simples et complaisants , entièrement incapables de sales combinaisons . 4) Dès qu’il est descendu sur l'île, il a senti que ses rêves de calme et de beauté étaient enfin sur le point de se réaliser. 5) Toute la beauté mille fois décrite, mais toujours émouvante , l’a saisi d’emblée. 6) Ils ont passé une semaine de vacances chez des amis sans rien payer. 7) Vous pouvez dorénavant disposer de toute la maisonnette . 8) Il a pris le tableau sur ses genoux et l’a déroulé soigneusement. 9) Le tableau était dans un état lamentable . 10) Il avait l’idée fixe que les âmes humaines étaient complètement avilies.

X. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur : 1) «Je rêvais de me sentir entouré d'êtres simples et serviables, au

cœur entièrement incapable de calculs sordides, auxquels je pourrais tout demander, leur accordant mon amitié en échange, sans craindre que quelque mesquine considération d'intérêt ne vînt ternir nos rapports.» 2) «Je ne voulais pas que l'ombre de quelque main commerçante vînt se jeter sur mon paradis. 3) «Le lendemain, j' allai la voir et lui dis avec simplicité que son gâteau était la meilleure chose que j'eusse jamais

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mangée.» 4) «Je trouvai le mot « fille », appliqué à un des êtres les plus nobles que je connaisse, parfaitement outrageant.»

XI. Replacez les préposition ou des articles contractés qui conviennent :

1) Il ne reste que de se retirer ... île déserte. 2) Enfin, le bateau a jeté l’encre, et nous avons pris pied ... cette île fantastique. 3) Il s’est fait construire une cabane ... bord d’un lac. 4) L’île, ...un récif de corail bouleversait par sa beauté. 5) Le bateau jette l’ancre ... l’île trois fois par an. 6) L’autorité du chef de la tribu s’étendait ... une dizaine d’îles. 7) Gauguin habitait ... l’île et peignait des paysages polynésiens. 8) Le bateau ... cette île ne partiras que le matin. 9) Après le déjeuné nous irons ... plage. 10) J’ai fait quelques pas ... la plage et j’ai sursauté : le sable était brûlant.

XII. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Только совершенно чёрствый человек не поймёт его

страданий. 2) Он никогда не был затоком живописи. 3) Нам понравились эти люди: они услужливы, бескорыстны и доброжелательны. 4) Коллеги всегда испытывали ужас от его назойливого желания вмешиваться во все дала. 5) Её раздражали жадные и недоверчивые люди. 6) Рискуя нажить себе врагов, он предпочёл откровенность. 7) Он не хотел пачкать свою репутацию конфликтом с этими жалкими людьми. 8) Он пробормотал, что для душевного покоя ему необходимы материальные блага, а не разговоры об истинных и ложных ценностях. 9) Он устроился в лучшей хижине, имел своего рыбака, повара и садовника не открывая кошелька, и всё это благодаря искренности и наивности аборигенов. 10) Она бережно развернула подарок, это был шарф, расписанный вручную. 11) Следовало проявить такт и не произносить эти оскорбительные слова. 12) Специально для гостя, она приготовила пирог. 13) Он считал, что его друг, равнодушный к наживе, не сможет стать предпринимателем. 14) Государство взимает налог с крупных продаж. 15) Пешехода оштрафовали, поскольку он не соблюдал правила и перешёл улицу на красный свет.

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E T U D E D U S T Y L E

I. Où se passe l’action de la nouvelle ? Décrivez Papeete et Taratora.

II. Dressez le plan de la nouvelle.III. Faites le sujet bref de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Pour quelles raisons le héros de la nouvelle, a-t-il décédé de fuir la civilisation? De quoi éprouve-t-il besoin ? Qu’est-ce qu’il exige des gens ?

2. Où se rend-il ? Décrivez cette île. 3. Comment sont ses relation avec les habitant de l’île de

Taratora? Pourquoi s’y est-il tant plu ?4. Qui est Taratonga ? Quelle promesse lui a donné le héros ?5. Dans quoi ont été enveloppés les gâteaux que Taratonga lui

envoyait ? La manière de quel peintre a-t-il reconnu ? Pourquoi n’a-t-il pas avoué à Taratonga qu’il avait reconnu les oeuvres de Guauguin ? Pourquoi a-t-il donné tout son argent à Taratonga  tandis qu’elle ne lui demandait rien en échange des toiles peintes ?

6. Pour quelle raison voulait-il regagner la France ? Quelle explication a-t-il donnée à Taratonga ?

7. Qu’a-t-il appris à Tahiti sur Taratonga et comment a-t-il supporté cette information ?

V. Trouvez dans la nouvelle les caractéristiques que le héros emploie :

pour décrire le monde qui l’entoure ; pour faire part de ses exigences ; en parlant de lui-même.VI. Caractérisez le personnage principal de la nouvelle.

Correspond-il à l’image d’un être désintéressé ?VII. En vous basant sur le texte, caractérisez Taratonga. Quelle

est votre attitude envers elle ?VIII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle lue.

Interprétez le titre de la nouvelle.

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IX. Partagez-vous l’opinion du personnage sur le monde qui nous entoure ? Avez-vous les mêmes exigences que lui au monde et aux gens qui vous entourent ? Argumentez votre réponse.

A D I S C U T E R

« Système de valeursL'analyse statistique de la société française a permis d'identifier cinq

systèmes de valeurs. Trois systèmes de valeurs restent majoritairement partagés par les Français. Ce sont eux qui assuraient et assurent encore la cohésion sociale : la Communauté (valeurs regroupant le sentiment d'appartenance, un fort attachement aux êtres, au noyau familial, la possession matérielle), l'Autorité (qui est caractérisée par le besoin d'ordre), l'Action (se traduisant par des attitudes de pragmatisme, de volonté, de puissance). Deux autres systèmes de valeurs, même s'ils touchent plutôt des minorités, s'inscrivent dans un courant très fort, dans l'ensemble du monde occidental, de désir d'épanouissement personnel : la Singularité (ouverture d'esprit, tolérance et originalité), le Plaisir ( une aspiration à la liberté naturelle et à l'harmonie entre les êtres et avec le monde). »

M. Verdié L’état de la FranceQuel système de valeurs partagez-vous ? Donnez une réponse

développée. Faites l’analyse statistique des réponses dans le groupe.

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Henri TroyatNé à Moscou en 1911, il est arrivé en France en 1920 et est devenu

l’un des plus grand écrivain français. Élu à l’Académie française en 1959, il a

publié, entre autres, plusieurs romans-cycles : La lumière des justes, Les

Eygletière... , où il est resté attaché au réalisme du XIXe siècle. Dans ses

romans aussi bien que dans les nouvelles, s’effaçant devant ses

personnages, dont il décrit le comportement par petites touches minutieuses,

habile à évoquer le déroulement quotidien d’une vie, il mêle le vrai et

l’invraisemblable, fascinant et captivant le lecteur.

Vue imprenableErnest Lebeauju n'aimait pas ses semblables. Or, par une ironie

du destin, il était chef de bureau de première classe au Ministère de la Repopulation. Ses supérieurs, qui appréciaient son zèle, ne se doutaient pas de l'effort qu'il s'imposait pour tenir son emploi avec dignité. La misanthropie était dans son sang comme un virus. Il détestait les enfants parce qu'ils allaient devenir de grandes personnes, et les grandes personnes parce qu'elles fabriquaient des enfants. Bien entendu, il était seul au monde : fils unique, orphelin de père et de mère, sans proches parents, sans femme, sans amis, sans liaison. Petit, sec, musclé, l'œil vif, la moustache filiforme, il jouissait d'une santé de fer et ne savait même pas de quel côté était son foie ni s'il avait un cœur dans la poitrine.

Cependant, si son corps le laissait en paix, son esprit le tourmentait pour deux. Il n'était tranquille que dans la solitude. Condition difficile à réaliser lorsqu'on est fonctionnaire. Au ministère, il avait un bureau bien à lui, mais, à tout moment, ses collaborateurs venaient le déranger. Dès qu'il apercevait un visage humain, ses nerfs se rétractaient et il commençait à souffrir. Même le bruit que faisaient les rédacteurs dans le bureau voisin lui était pénible. Et, comme il avait beaucoup d'imagination, il lui suffisait de jeter les yeux sur un tableau de statistiques pour voir les chiffres s'animer. Les colonnes de

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la natalité révélaient un salmigondis de bébés vagissants. A la rubrique du recensement des jeunes ménages piétinaient des régiments de mères aux ventres rebondis. Les équations compliquées résumant la répartition des sexes dans les familles nombreuses se transformaient en immeubles pleins de ménages en pavoisements de lessives familiales, en interminables tablées, où filles et garçons de tous âges lapaient la soupe, sous l'œil fatigué de leurs procréateurs. Assis parmi, ses paperasses, Emest Lebeauju sentait s'épaissir autour de lui cette matière humaine. Sur le point de céder à l'écœurement, il refermait le dossier d'un geste violent, comme il eût écrasé une fourmilière sous une dalle.

Mais, supprimée sur le papier, l'affreuse foule reprenait vie, autour de lui, dans le métro. Dans le wagon, il considérait ses semblables comme des flacons de mauvaises odeurs dont les bouchons étaient des têtes mal vissées. Il avait hâte, la journée finie, de retrouver son appartement de deux pièces, de clore les volets, de tirer les rideaux, de verrouiller la porte de bois plein qui le séparait de l'escalier où montait et descendait la race lamentable des locataires. Pour mieux préserver son repos, il avait fait « insonoriser » sa chambre et son « living-room » par un procédé nouveau, à base de liège, de laine de nylon et de coquille d'œuf. L'entrepreneur lui avait garanti 77 % de bruit en moins. L'erreur de calcul était manifeste. Malgré les doubles cloisons et les boules de cire dans les oreilles, Ernest Lebeauju avait l'impression de vivre chez les autres. Les enfants du dessus galopaient sur sa tête, la radio d'en bas lui envoyait des airs d'opéra dans les jambes, le vieux ménage de gauche se souffletait sur sa joue et le jeune ménage de droite se lutinait dans son lit. La cervelle envahie, surpeuplée, il rêvait d'une île déserte. Etre Robinson Crusoé, sans Vendredi !

II décida de chercher un coin isolé où il pût camper, le dimanche, pour se délasser des promiscuités quotidiennes. Comme il n'avait ni passion ni vice d'aucune sorte, il avait su mettre assez d'argent de côté pour s'acheter une voiture d'occasion. Il la sortait rarement, parce que c'est encore sur les routes qu'on rencontre le plus de monde. Cette

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fois-ci, pourtant, il prit avec fermeté le volant en main. D'une semaine à l'autre il poussa plus loin la prospection immobilière. La chance le favorisa. Il découvrit, aux confins de la forêt de Fontainebleau, un petit terrain à vendre, perdu dans les rochers et les arbres, une retraite, un repaire, un nid d'aigle. Personne n'en voulait. Il l'eut pour une bouchée de pain.

Aussitôt, sa vie changea. De taciturne et nonchalant, il devint optimiste et actif. Le but qu'il s'était assigné l'aidait à supporter avec le sourire les heures de bureau, le métro bondé, l'appartement assiégé par les voisins. Il avait résolu de bâtir, de ses propres mains, sur son , propre sol, sa propre cabane. Ne disposant que de ses samedis, de ses dimanches et de ses jours de congé, il savait bien que cette entreprise le tiendrait pendant des années. Mais, loin de le décourager, la perspective d'un si long travail lui donnait du ressort. Il apprit le métier de maçon dans un livre et, comme il était d'un naturel bricoleur, l'adaptation de la théorie à la pratique lui parut facile. Tous ses loisirs, dorénavant, il les consacra à la mise en état du Pignelet — c'était le nom de l'endroit —, creusant les fondations, gâchant du mortier, transportant des pierres. Il dut élargir le chemin pour arriver au chantier en auto. Sa guimbarde malmenée gémissait sous le poids des matériaux de construction. Il lui avait retiré sa banquette arrière et la conduisait avec violence. Sur la grande route, elle inquiétait les autres voitures qui s'écartaient d'elle. Lui-même revenait de ses travaux de fin de semaine harassé, poudré de plâtre, des écorchures sur les mains. Ses collègues lui trouvaient l'air bizarre et comme inspiré. On chuchotait qu'enfin il avait une aventure. Mais, étant donné ses ongles cassés, on se demandait avec qui ?

Lui, cependant, vivait sous la lumière de son idée fixe. La maison de ses rêves sortait peu à peu de terre. Basse, cubique, avec de très gros murs percés de meurtrières, elle semblait destinée à la défense plutôt qu'à l'habitation. La porte était si étroite, qu'il valait mieux se présenter de profil pour la franchir. A l'intérieur, une seule pièce servait de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher. Des meubles de bois blanc, un lit de sangles, mais pas de glace. Emest

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Lebeauju n'aimait pas rencontrer son reflet. Trop souvent, il s'était détesté en se prenant pour un autre.

Lorsque l'aménagement fut terminé, il contempla son œuvre avec orgueil. Trois ans d'efforts surhumains et pas une minute de regret. Cette demeure lui convenait comme à un escargot sa coquille. Dans une armoire, des livres, des boîtes de conserve, des biscuits — de quoi soutenir un siège de plusieurs mois !

La première nuit qu'il passa au Pignelet fut un enchantement. C'était au début du mois de juin. Assis sur le pas de sa porte, il écoutait le silence de la forêt, il humait le parfum profond de la terre, il s'emplissait les yeux de la palpitation minuscule des feuilles dans la pénombre. Ce qui le charmait, ce n'était pas à proprement parler la beauté de la nature, mais la pureté d'une atmosphère qu'aucun souffle humain ne polluait, hormis le sien. Vue imprenable ! Des bêtes nocturnes tournaient, voletaient, à distance respectueuse. Ernest Lebeauju se barricada dans sa maison et y dormit au centre d'un univers tout neuf.

Son réveil, dans la brume de l'aube et la bénédiction de la rosée, fut une réussite de plus. Le dimanche soir, il regagna Paris en vainqueur.

Désormais, chaque « week-end » lui réserva la même récompense. Soleil ou ciel gris, tout lui était bon. Par mauvais temps, sa thébaïde , lui paraissait même plus attrayante, car il se disait que la pluie éloignait davantage les importuns. Tapi dans sa tanière sous le ruissellement de l'averse, il se sentait Noé dans son arche, à la différence qu'il n'avait pas de femme et qu'il avait laissé les animaux dehors. A longueur de journée, il fignolait son installation avec amour. Sa vie ne lui suffirait pas, pensait-il, pour prendre ses aises.

Un samedi, comme il arrivait au Pignelet après une dure semaine administrative, il remarqua quelque chose d'insolite dans le décor. La porte n'avait pas été fracturée, tout à l'intérieur semblait intact, mais Ernest Lebeauju avait un flair trop développé pour ne pas déceler avec certitude que quelqu'un était entré dans la maison en son absence. D'ailleurs, il découvrit bientôt des traces de chaussures boueuses

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devant le garde-manger. Il lui manquait une boîte de conserve de cassoulet toulousain et une bouteille de vin rouge. Pour le reste, on n'avait rien volé, rien dérangé. Dévoré de colère, Ernest Lebeauju passa deux jours et deux nuits à l'affût, derrière la fenêtre. Il repartit pour Paris, le lundi, à l'aurore, sans que l'intrus se fût représenté.

A la fin de la semaine, ce fut dans un sentiment d'angoisse qu'il reprit la route de Fontainebleau. La maison était là, sous les arbres, avec l'air faussement innocent d'une femme qui a un écart de conduite à se reprocher. Ernest Lebeauju devina la vérité en un clin d'œil et, mordu par la jalousie, se précipita en avant.

Comme l'autre fois, malgré la porte fermée à double tour et les volets fixés de l'intérieur, une présence étrangère flottait dans l'atmos-phère de la chambre. Sur la table, un verre sale et, à côté, le journal de la veille. Ernest Lebeauju considérait ces indices avec horreur et rêvait de vengeance. Prévenir la police ? A la seule idée de recevoir des inspecteurs chez lui, le cœur lui manquait. Il résolut d'agir par lui-même. Sa première idée fut de changer toutes les serrures et de planter un écriteau : « Défense absolue d'entrer. » II n'avait pas de chien, mais la menace pouvait suffire.

C'était mal connaître le visiteur. Il revint, malgré les pancartes et les verrous. Alors, Ernest Lebeauju entoura son terrain de fils de fer barbelés et disposa, de cinq mètres en cinq mètres, des chausse-trapes masquées de branchages. Dans les trous, il accumula des ronces et des tessons de bouteille. Ses ressources de méchanceté l'étonnaient lui-même.

La semaine suivante, il trouva un lapin pris au piège et, dans la maison, un cendrier débordant de mégots. Le sang au visage, il comprit que, désormais, la guerre était déclarée entre lui et l'inconnu. Ce fut pour lui le début d'une existence toute pimentée de passion policière. Au bureau, il négligeait ses dossiers pour tracer, avec un sourire maniaque, des plans d'engins à ressorts sur le papier de l'administration. Mais il avait affaire à forte partie et, chaque fois qu'il expérimentait un nouveau dispositif sur le terrain, il pouvait être sûr que le traquenard serait déjoué. Il se surpassa dans l'invention de différentes embûches, tandis

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que son adversaire perfectionnait, dans le même temps, ses talents de détection et d'esquive. Tout fut essayé, rien ne réussit.

Bien qu'il eût juré la perte de cet homme insaisissable, Ernest Lebeauju ne pouvait se défendre, à son égard, d'une certaine estime. Quand il tentait de l'imaginer, il le voyait sous les traits d'une sorte de braconnier verdâtre. Malin comme un renard, léger comme un oiseau, souple comme une couleuvre. Avec ça, une forte connaissance des serrures. Aucune ne lui résistait. Pourtant, ce n'était pas un voleur. Il était même, dans l'ensemble, assez soigneux des affaires d'autrui. Tout au plus se permettait-il d'entamer les provisions, de feuilleter un livre et de se coucher sur le lit avec ses souliers. Or, justement, cette retenue dans le forfait était insupportable. Il semblait à Emest Lebeauju qu'il eût préféré une franche violation de domicile à cette prise de possession feutrée, à cette location sournoise, à ce partage... Car il s'agissait bien d'un partage entre lui et le visiteur ! Et, pour comble d'injustice, si lui, le vrai propriétaire, ne profitait du refuge que pendant deux jours consécutifs, l'intrus s'y prélassait pendant les cinq jours suivants.

Exaspéré par cette constatation, Emest Lebeauju prétexta une maladie pour manquer le ministère en semaine. Il arriva un mercredi au Pignelet, arrêta sa voiture au bord de la route et rampa vers la maison, sur les coudes et sur les genoux, comme il l'avait vu faire aux parachutistes, dans les films de guerre. Ses mains serraient un fusil chargé de chevrotines. A la première ombre suspecte, il épaulerait, il tirerait. Le sang ne lui faisait pas peur.

Il parvint, sur le ventre, jusqu'au seuil. Tout était silencieux. Il se redressa, dégagea son trousseau de clefs, ouvrit les trois serrures de la porte et pénétra dans un intérieur sombre, où régnait une odeur de poisson. Il n'y avait personne dans la pièce, mais quelqu'un s'était fait cuire un merlan sur le fourneau. La plaque était encore chaude. Dix minutes plus tôt, le misérable eût été pris sur le fait !

Ernest Lebeauju repartit, et, le mardi suivant, annonça à son directeur qu'il devait se rendre à Orléans pour affaires de famille. C'était son deuxième mensonge à l'administration. Mais la honte qu'il en éprouvait n'était rien auprès de son impatience à reprendre la lutte.

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Un instinct de chasseur le jeta sur la route de Fontainebleau. Il revint de nouveau bredouille. A croire que l'inconnu avait été averti par transmission de pensée. Désespéré, Ernest Lebeauju se mit à multiplier les fausses excuses, manquant le ministère un après-midi sur deux pour courir au Pignelet. En pure perte. Ou il arrivait trop tard, ou il arrivait trop tôt.

Il passait des heures entières à l'affût, dans un fossé, le fusil entre les genoux, et rentrait à Paris grelottant, exténué, avec des yeux d'assassin. La nuit, il avait des cauchemars et se réveillait en sueur, persuadé qu'un double de lui-même s'installait partout dans les lieux qu'il venait de quitter. Peut-être ce mystérieux parasite logeait-il dans son appartement de Paris, en son absence. Il se demandait même si, parfois, l'insolent n'allait pas au bureau à sa place !

Ces réflexions l'amenèrent à un tel désintéressement des réalités administratives, qu'il en négligea tout à fait son travail au ministère. Le directeur convoqua le chef de bureau et, comme un père, le confessa. Celui-ci, âme fière, résista longtemps à la tentation de l'aveu. Mais enfin, son secret lui jaillit des lèvres. Le directeur lui dit :

— L'incertitude vous tuera. Il faut en finir. Prévenez la police.Cette solution, qu'Ernest Lebeauju avait toujours refusée, il

l'accepta comme un pis-aller. En fait, il était persuadé que la police ne serait pas plus habile que lui.

Or, huit jours après avoir déposé sa plainte, il fut avisé que le coupable était sous les verrous. Fou de joie, il se précipita à la gendar-merie. On lui montra un simple d'esprit, au visage pâle et maigre, aux yeux bleus délavés et au sourire idiot. C'était son habitude, paraît-il, de coucher dans les maisons vides. Il avait été serrurier dans son jeune temps. Il ne volait pas; il mangeait et dormait sur place, c'était tout. Il se nommait Jérôme Cloué. Il répétait en pleurant :

— J'ai rien fait de mal!... J'ai rien fait de mal !...Ernest Lebeauju était déçu par ce piètre ennemi, qui lui avait

donné tant de fil à retordre. Un certain discrédit en rejaillissait sur lui-même. Mais ces petites considérations d'amour-propre ne tinrent pas

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longtemps devant la certitude que plus personne, désormais, ne le dérangerait dans sa solitude.

Le samedi suivant, il s'enferma, avec une joie tranquille, dans sa bicoque. Très vite, il ne douta plus d'avoir trouvé une paix inébranla-ble. Sa méfiance s'engourdit dans le bien-être. Il démonta les pièges qu'il avait dressés. Il laissa son fusil pendu dans l'entrée. Il prit l’habitude de dormir la fenêtre ouverte. Puis un beau jour, au moment de quitter Paris, il se demanda ce qu'il allait faire au Pignelet Assis au volant de son auto, il évoquait les heures creuses à venir et un immense ennui l'étouffait. A croire que le principal attrait de sa maison avait disparu depuis qu'il ne devait plus la défendre contre les incursions de Jérôme Cloué. Etait-il possible que la perte d'un adversaire fût parfois plus grave que celle d'un ami ?

Arrivé au Pignelet, il descendit de voiture pesamment et alla inspecter la cabane. Pas de chance. Tout était en ordre. Nul n'était venu, nul ne viendrait. Et, pourtant, il n'avait laissé qu'une serrure facile à crocheter, sur la porte !

Quand Jérôme Cloué passa en justice, Ernest Lebeauju, qui haïssait la foule, dut prendre sur lui pour répondre à la convocation du tribunal. Il se montra si réservé dans ses griefs, que le juge, agacé, lui demanda pourquoi, dans ces conditions, il avait porté plainte. Dans son box, l'accusé se curait le nez, parfaitement inconscient de la gravité de l'affaire. Emest Lebeauju le considérait avec chagrin, avec tendresse, avec rancune, le cœur déchiré. Jérôme Cloué fut reconnu irresponsable et dirigé sur un hôpital psychiatrique.

Emest Lebeauju rentra chez lui dans un état de grande mélancolie. A quelque temps de là, il publia une annonce dans le journal : « A vendre, maison une pièce, bien située, grand calme, vue imprenable. »

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

assigner qqch contempler qqch

fignoler qqch humer qqch

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Page 166: J'ai soif d'innocence

polluer qqch s'imposer v.intr. tourmenter qqn zèle n.m. promiscuité n.f.

attrayant adj. nonchalant adj. tapi adj. dorénavant adv.

II. Dites comment on appelle : celui qui est dynamique et interprenant ; celui qui manque d’ardeur par insouciance, indifférence ; celui qui est naturellement disposé à voir tout en beau, à être

toujours content de son sort ; celui qui par nature parle peu ; celui qui est agile, qui se plie et se meut avec aisance ; celui qui est illuminé, mystique ; celui qui manifeste de l’aversion pour le genre humain.III. On compare souvent les hommes à des animaux. Relevez

dans la lecture les comparaisons de ce type. Formez des comparaisons en reliant les mots des deux colonnes et trouvez leurs équivalents russes:

prestehardi

bavardbêtegras

heureuxmalin léger

souplefort

fidèleaffamé

coq sur son fumierune piepoisson dans l’eaucochonun lézardun âneune couleuvreun renardun loup un oiseauun boeufun chien

IV. Trouvez des équivalents russes des expressions ci-dessous : tenir son emploi, un tableau de statistiques, reprendre vie, avoir hâte, mettre de l'argent de côté, une voiture d'occasion, donner du ressort, la mise en état, prendre ses aises, porté plainte.

V. Replacez les expressions ci-dessus :

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Page 167: J'ai soif d'innocence

1) ... nous fait voir la répartition des sexes dans des familles nombreuses. 2) Après la dure journée il ... de se retrouver chez lui. 3) Pour le moment je ne pourrai acheter que ... . 4) ... de l’usine exige encore quelques mois de travail sans relais. 5) Mes voisins font trop de bruit, je vais ... . 6) D’une naturelle sociabilité, il n’avait pas à faire de grands efforts pour ... . 7) Après des mois de l’hôpital, il commence à ... . 8) De nature économe, elle arrivait à ... . 9) La présence de ses amis lui ... dans son malheur. 10) Enfin, pendant les vacances, il pouvait se permettre de ... et se prélasser au soleil.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Il jouissait d'une santé de fer. 2) Il n’aimait pas que ses

collaborateurs viennent le déranger. 3) Même le bruit que faisaient les rédacteurs dans le bureau voisin lui était péni ble . 4) Supprimée sur le papier, l'affreuse foule reprenait vie, autour de lui, dans le métro. 5) Il avait hâte, la journée finie, de retrouver son appartement. 6) Il avait su met tre assez d'argent de côté pour s'acheter une vieille guimbarde. 7) Lorsque l'aménagement fut terminé, il con templa son œuvre avec orgueil. 8) Ce qui le charmait dans cet endroit, c’était la pureté d'une atmosphère qu'aucun souffle humain ne polluait, hormis le sien. 9) Les enfants mangeaient sous l'œil fatigué de leurs procréateurs. 10)A la porte il a planté un écriteau : « Défense absolue d'entrer. »

VII. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1) « Sur le point de céder à l'écœurement, il refermait le dossier d'un

geste violent, comme il eût écrasé une fourmilière sous une dalle. » 2) « II décida de chercher un coin isolé où il pût camper, le dimanche, pour se délasser des promiscuités quotidiennes. »

VIII. Replacez les prépositions qui manquent :1) Personne ne se doutait... l'effort que leur collègue s'imposait pour

tenir son emploi avec dignité. 2) Il lui suffisait ... de voir les traces de l’intrus pour s’emporter . 3) Pour construire sa maison il ne disposait que ... ses samedis, ... ses dimanches et ... ses jours de congé. 4) Il consacrait tous ses loisirs ... la lecture. 5) Dans le métro il s'écartait ... autres voyageurs. 6) Nous avons trouvé ... ce monsieur l'air bizarre. 7) Les villes gauloises semblaient être destinées ... la défense plutôt que ... l'habitation. 8) Nous avons remarqué que quelqu'un était entré dans la maison ... notre absence. 9) Il ne pouvait pas oublier l’insulte porté et

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Page 168: J'ai soif d'innocence

rêvait ... vengeance. 10) Dans cette affaire délicate il a résolu ... agir ... lui-même.

IX. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Руководство оценило усердие чиновника: его повысили. 2) По

статистическим данным, рождаемость в стане упала. 3) Что тебя беспокоит, ты не находишь себе места. 4) Он смог накопить денег, чтобы купить подержанную машину. 5) Ему повезло: он купил участок за сущие гроши. 6) Всё свободное время отныне семья проводила на даче. 7) Эта семья живёт в ужасной тесноте. 8) Летом, даже этот жалкий домик выглядит привлекательно. 9) Молчаливый по натуре, он должен был прилагать невероятное усилие, чтобы поддерживать беседу. 10) Он поставил себе задачу выкопать фундамент за неделю. 11) Рабочие тщательно отделали фасад дома. 12) Забившись в угол, ребёнок плакал. 13) Гости с удивлением рассматривали постройку. 14) Он вдыхал горный воздух, созерцал прекрасный пейзаж и чувствовал, что покой и беззаботность возвращаются к нему. 15) Это производство загрязняет окружающую среду.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Où travaille Ernest Lebeauju et en quoi consistent ses fonctions ?

2. Comment Ernest Lebeauju considérait-il ses semblables ? Qu’est-ce qu’il s’imaginait en analysant les statistiques ?

3. Qu’est-ce qu’il faisait dans son appartement pour préserver son repos ? Quels travaux avait-il entrepris pour « insonoriser » les pièces ? Comment en était-il le résultat ?

4. Qu’a-t-il cherché pour fuir la foule et le bruit ? Décrivez le terrain qu’il a acheté.

5. Comment a changé sa vie ? Décrivez ses travaux de bâtiment ? Que pensaient les collègues de Ernest Lebeauju de son air bizarre et inspiré ?

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Page 169: J'ai soif d'innocence

6. A-t-il réussi à élever la maison de ses rêves ? Décrivez cette maison en détails. Comment s’y sentait-il ? Qu’est-ce qui a mis fin à son bonheur ?

7. Comment a agi Ernest Lebeauju pour se débarrasser de l’intrus ?

8. A qui a-t-il dû faire recourt pour attraper le coupable ? Pourquoi a-t-il été déçu en le voyant ?

9. Pourquoi a-t-il perdu le goût à la solitude dans sa maison après l’arrestation de Jérôme Cloué ?

IV. Présentez et caractérisez Ernest Lebeauju. Quels sentiments évoque-t-il en vous?

V. Commentez : « A croire que le principal attrait de sa maison avait disparu depuis qu'il ne devait plus la défendre contre les incursions de Jérôme Cloué. Etait-il possible que la perte d'un adversaire fût parfois plus grave que celle d'un ami ? »

VI. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle. VII. Avez-vous des misanthropes dans votre entourage ? Vous

est-il arrivé de vous heurter à un fonctionnaire qui semblait avoir le même dégoût pour ses semblables ?

A D I S C U T E R « La France détient le record du monde des résidences secondaires :

13%. Ce nombre est en augmentation constante. La plupart des ménages concernés en sont propriétaires. Il s’agit dans 80% des cas d’une maison, presque toujours pourvue d’un jardin. » Francoscopie

A votre avis, qu’est-ce qui pousse les gens à s’acquérir d’une résidence secondaire ?

Votre famille en possède-t-elle une ? Aimez-vous  y passez le temps ? Expliquez pourquoi ?

Ernest Lebeauju a publié une annonce dans le journal : « A vendre, maison une pièce, bien située, grand calme, vue imprenable. » Seriez-vous tenté de l’acheter ? Argumentez votre consentement ou votre refus.

Si vous aviez une maison de campagne à construire, comment serait-elle? Dans quel endroit aimeriez-vous qu’elle soit placée ?

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Page 170: J'ai soif d'innocence

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Page 171: J'ai soif d'innocence

Françoise SaganFrançoise Sagan (1935-199. ) est née, a fait ses études et a vécu à

Paris. Son premier roman, Bonjour tristesse, obtient le prix des Critiques et

connaît auprès du publique une fortune exceptionnelle. Son succès se

maintient avec les romans Un sertain sourir, Dans un mois, dans un an,

Aimez-vous Brahms..., Les Merveilleux Nuages, Le cheval évanoui et

d’autres, le recueil de nouvelles Des yeux de soie dont est tirée la nouvelle

Une nuit de chien. Il y a dans les romans de Françoise Sagan, ainsi que

dans ses nouvelles une douceur amère qui prend au coeur. Douceur d’autant

plus angoissante que les personnages mis en cause sont presque tous des

gens comblés, apparemment heureux. D’un doigt léger, sans avoir l’air d’y

toucher, Françoise Sagan gratte cette apparence, et , voici devant nous,

fragiles, inquiets, des gens comme tout le monde, et si seuls.

UNE NUIT DE CHIENM. XIMENESTRE ressemblait beaucoup à un dessin de Chaval.

Corpulent, l'air hébété, sympathique au demeurant. Mais, en ce début du mois de décembre, il arborait une expression chagrine qui donnait à tout passant muni d'un cœur l'envie folle de l'aborder. Ce souci était dû à l'approche des fêtes que M. Ximenestre, d'ailleurs bon chrétien, voyait arriver cette année-là avec répulsion, n'ayant pas un centime pour fêter Mme Ximenestre, pourtant avide de présents, son fils Charles, bon à rien, et sa fille Augusta, excellente danseuse de calypso. Pas un centime, telle était l'exacte situation. Et il n'était pas question d'augmentation ni d'emprunts. Les deux avaient été obtenus déjà, à l'insu de Mme Ximenestre et de ses enfants, pour satisfaire le nouveau vice de celui qui eût dû être leur soutien, pour satisfaire enfin la funeste passion de M. Ximenestre : le jeu.

Non point le jeu banal, où l'or ruisselle sur le tapis vert, ni celui où des chevaux s'essoufflent sur un autre tapis vert, mais un jeu

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Page 172: J'ai soif d'innocence

inconnu encore en France, malheureusement en vogue dans un café du XVIIe où M. Ximenestre prenait un Martini rouge avant de rentrer chez lui tous les soirs : le jeu des fléchettes, pratiqué avec une sarbacane et des billets de mille francs. Tous les habitués en étaient fous, sauf l'un d’eux qui avait dû s'arrêter, ayant un souffle au cœur. Importé par un Australien inconnu au quartier, ce jeu palpitant avait vite formé une sorte de club très fermé, sis dans l'arrière-salle, où le petit billard avait été sacrifié par le patron enthousiaste.

Bref, M. Ximenestre s'y était ruiné, bien qu'ayant fait des débuts prometteurs. Que faire ? A qui emprunter encore de quoi payer le sac à main, le demi-scooter et le pick-up qu'il se savait tenu d'offrir à la suite de quelques allusions très précises à table ? Les jours passaient autour de lui, les yeux s'allumaient de plaisir anticipé, et la neige se mit gaiement à tomber. Le teint de M. Ximenestre devint jaune et il souhaita tomber malade. En vain.

Le 24 au matin, M. Ximenestre sortit de chez lui, suivi par trois regards approbateurs, la fouille quotidienne effectuée par Mme Xi-menestre n'ayant pas encore amené la découverte des précieux paquets attendus. « II s'y prend à temps », pensait-elle avec quelque aigreur mais sans la moindre inquiétude.

Dans la rue, M. Ximenestre entortilla trois fois son foulard autour de son visage et ce geste lui fit un instant envisager un hold-up. Idée qu'il repoussa vite, heureusement. Il se mit à marcher de son pas d'ours, traînard et débonnaire, et vint échouer sur un banc où la neige eut vite fait de le transformer en iceberg. L'idée de la pipe, de la serviette de cuir et de la cravate rouge (par ailleurs importable) qu'il savait l'attendre chez lui mettait le comble à sa désolation.

Quelques passants rubiconds, sautillants, des ficelles et des paquets à chaque doigt, des pères de famille enfin, dignes de ce nom, passèrent. Une limousine s'arrêta à deux pas de M. Ximenestre; une créature de rêve, suivie de deux loulous en laisse, en descendit. M. Ximenestre, pourtant amateur de beau sexe, la regarda sans la moindre pensée. Puis ses yeux errèrent sur les chiens et une vive lueur y ap-parut soudainement. Se débarrassant du tas de neige accumulé sur ses

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Page 173: J'ai soif d'innocence

genoux, il se dressa prestement en poussant une exclamation étouffée par la neige qui lui dégringola de son chapeau dans les yeux et le cou.

« A la fourrière ! » cria-t-il.La fourrière était un endroit assez lugubre, plein de chiens tristes

ou agités, qui effrayèrent un peu M. Ximenestre. Il fixa enfin son choix sur une bête assez indéfinie quant à la race et à la couleur mais qui, selon l'expression, avait de bons yeux. Et M. Ximenestre se doutait qu'il faut d'infiniment bons yeux pour remplacer un sac, un pick-up et un scooter. Il baptisa immédiatement sa trouvaille Médor, et, le tenant au bout d'une ficelle, sortit dans la rue.

La joie de Médor se traduisit immédiatement par une frénésie qui se communiqua malgré lui à M. Ximenestre, surpris par la vigueur canine. Il se vit traîner quelques centaines de mètres au grand trot (car il y avait longtemps que l'expression galoper ne pouvait plus s'appliquer à M. Ximenestre) et finit par atterrir dans un passant qui grommela quelque chose sur « les sales bêtes ». Comme un skieur nautique, M. Ximenestre pensa qu'il vaudrait peut-être mieux lâcher la ficelle et rentrer chez lui. Mais Médor, jappant, sautait sur lui avec entrain, son poil jaunâtre et sale plein de neige, et un instant M. Ximenestre pensa qu'on ne l'avait pas regardé ainsi depuis longtemps. Son cœur se fendit. Il plongea ses yeux bleus dans les yeux marron de Médor et ils eurent une seconde d'une douceur indicible.

Médor se secoua le premier. Il repartit et la course continua. M. Ximenestre pensait vaguement au basset anémique qui voisinait avec Médor, et qu'il n'avait même pas regardé, considérant qu'un chien doit être gros. A présent, il volait littéralement vers sa maison. Ils ne s'arrêtèrent qu'une minute dans un café où M. Ximenestre prit trois grogs et Médor trois sucres, ces derniers offerts par la patronne compatissante : « Et par ce temps, la pauvre bête qui n'a même pas un petit manteau ! » M. Ximenestre, ahanant, ne répondit pas.

Le sucre eut un effet revigorant sur Médor mais ce fut un fantôme qui sonna chez les Ximenestre. Mme Ximenestre ouvrit, Médor s'engouffra et M. Ximenestre, sanglotant de fatigue, tomba dans les bras de sa femme.

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Page 174: J'ai soif d'innocence

« Mais, qu'est-ce que c'est ?»Ce cri jaillit de la poitrine de Mme Ximenestre.« C'est Médor, dit M. Ximenestre et, dans un effort désespéré, il

ajouta : Joyeux Noël, ma chérie !— Joyeux Noël ? Joyeux Noël ? s'étrangla Mme Ximenestre.

Mais que veux-tu dire ?— Nous sommes bien le 24 décembre ? cria M. Ximenestre que

la chaleur et la sécurité rendaient à lui-même. Eh bien, pour Noël, je t'offre, je vous offre, se reprit-il, car ses enfants sortaient de la cuisine les yeux écarquillés, je vous offre Médor. Voilà ! »

Et il gagna sa chambre d'un pas décidé. Mais il s'effondra aussitôt sur son lit et prit sa pipe, une pipe de la guerre 14-18 dont il avait coutume de dire qu'elle en avait vu d'autres ». Les mains tremblantes, il la bourra, l'alluma, mit ses jambes sous la courtepointe et attendit l'assaut.

Mme Ximenestre, blême, blême à faire peur, pensa M. Ximenestre in petto, entra presque aussitôt dans sa chambre. Le рrеmier réflexe de M. Ximenestre fut un réflexe de tranchées : il essaya de s'enfouir complètement sous la courtepointe... Il ne dépassa lui qu'une de ses rares mèches de cheveux et la fumée de sa pipe. Mais cela suffit à l'ire Mme Ximenestre :

« Peux-tu me dire ce que c'est que chien ?— C'est un genre de Bouvier des Flandres, je crois, dit

faiblement la voix de M. Ximenestre.— Un genre de Bouvier des Flandres ? (La fureur de Mme

Ximenestre monta d'un ton.) Et sais-tu ce qu'attend ton fils pour Noël ? Et ta fille ? Moi, je sais bien que je ne compte pas... Mais eux ? Et tu leur rapportes cette affreuse bête ?»

Médor rentrait précisément. Il sauta sur lit de M. Ximenestre, se coucha près de lui posa sa tête sur la sienne. Des larmes de tendresse, heureusement cachées par la courtepointe, vinrent aux yeux de son ami.

" C'est trop fort, dit Mme Ximenestre, es-tu sûr seulement que cette bête n'est pas enragée ?

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Page 175: J'ai soif d'innocence

— Auquel cas, vous seriez deux », dit froidement M. Ximenestre.

Cette réplique affreuse amena la disparition de Mme Ximenestre. Médor, lécha son maître et s'endormit. A minuit, l'épouse et les en-fants de M. Ximenestre partirent sans le prévenir pour la messe de minuit. Un léger malaise l'envahit et, à une heure moins le quart, il décida de sortir Médor cinq minutes. Il mit son gros cache-nez et à pas lents se dirigea vers l'église, Médor reniflant toutes les portes cochères.

L'église était comble et M. Ximenestre essaya en vain d'en pousser la porte. Il attendit donc devant le porche, sous la neige, son foulard remonté sous les yeux tandis que les cantiques des bons chrétiens retentissaient à ses oreilles. Médor tirait si fort sur sa ficelle qu'il finit par s'asseoir et attacher la ficelle à son pied. Le froid, les émotions avaient peu à peu engourdi l'esprit déjà perturbé de M. Ximenestre, si bien qu'il ne savait plus très bien ce qu'il faisait là. Aussi fut-il surpris par le flot des fidèles affamés qui sortit précipitamment de l'église. Il n'avait pas eu le temps de se relever, de dénouer la ficelle, que déjà une voix jeune s'écriait :

« Oh ! le joli chien ! Oh ! le pauvre homme !... Attends, Jean-Claude. »

Et une pièce de cinq francs tomba sur les genoux de M. Ximenestre hébété. Il se releva en balbutiant et le nommé Jean-Claude, ému, lui donna une autre pièce en lui conseillant de passer un joyeux Noël.

« Mais, balbutia M. Ximenestre, mais voyons... »On sait à quel point la charité peut être une chose contagieuse.

Tous les fidèles ou presque qui sortirent par l'aile droite de l'église donnèrent leur obole à M. Ximenestre et à Médor. Couvert dé neige, hébété, M. Ximenestre essayait en vain de les en dissuader.

Etant sortis par l'aile gauche, Mme Ximenestre et ses enfants rentrèrent au foyer. M. Ximenestre survint peu après, s'excusa pour sa blague de l'après-midi, et remit à chacun la somme équivalente à son cadeau. Le réveillon fut très gai. Puis M. Ximenestre alla se coucher

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Page 176: J'ai soif d'innocence

près de Médor gavé de dinde, et ils s'endormirent tous deux du sommeil des justes.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

aborder qqch, qqn s'effondre v.intr. dissuader qqn charité n.f. frénésie n.f.

juste n.m. hébété adj. corpulent adj. lugubre adj. engourdi adj.

II. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : frénésie, passion, désolation, émotion, blague, aigreur, vigueur, charité.

III. Dites comment on appelle : celui qui a le visage rouge, celui qui est d’une tristesse accablante ; celui qui est extrêmement pâle ; celui qui est trop lente.

IV. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français: в конечном счёте, выставлять напоказ, ни на что не годный, без ведома, пагубная страсть, захватывающая игра, обещающее начало, в результате намёков, довести до полного уныния, остановить свой выбор, крупной рысью, с вытаращенными глазами, подать милостыню, извиниться за шутку, заснуть сном праведника.

V. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Les enfants ... si joyeuse que les passants commençaient à leur sourire. 2) Elle a fait de achats coûteux ... . 3) Malgré ... le jeune homme a raté la carrière de musicien. 4) Chagriné déjà, l’ire de sa femme ... . 5) Le cheval est parti ... . 6) L’aire du mendiant était si malheureux que les passants lui ... . 7) Après la dure journée de travail, le père ... . 8) Le jeu était si ... qu’il n’a pas pu résister à ... . 9) ... faites par les hôtes, le visiteur a compris qu’il était temps de se retirer. 10) Le choix des sacs était grand, mais elle ... sur une serviette en cuir. 11) ... , nous observions le comportement frénétique de l’homme que nous n’avions vu que sobre et

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Page 177: J'ai soif d'innocence

impassible. 12) Il a plaisanté, mais voyant que ses paroles choquaient les collègues, il ... .

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs equivalents: 1) Bien qu’un peu brusque le garçon était fort sympathique au

demeurant. 2) Il arborait une expression chagrine aux premier mot de reproche. 3) La femme, craignant la solitude après le départ des enfants, attendait arriver des fêtes cette année-là avec répulsion. 4) Le fils, bon à rien, décevait beaucoup ses parents. 5) Il a fait des emprunts à l'insu de sa femme. 6) Quelles danses sont maintenant en vogue ? 7) Envahi par un léger malaise il vint échouer sur un banc. 8) Il fixa enfin son choix sur une bête assez indéfinie quant à la race et à la couleur mais qui, selon l'expression, avait de bons yeux. 9) Il baptisa immédiatement sa trouvaille Médor. 10) Il se releva en balbutiant des excuses.

VII. Quelles races de chiens sont mentionnées dans la nouvelles ? En connaissez-vous d’autres ? Faites-en la liste.

VIII. Replacez les préposition ou les articles contractés qui conviennent :

1) Le bruit des voix retentissaient encore ... ses oreilles. 2) Il a eu l'envie folle ... aborder cet homme. 3) Ces soucis étaient dus ... l'approche des fêtes. 4) Tous les habitués étaient fous ... ce jeu au point d’oublier l’heure. 5) La neige eut vite fait de le transformer ... un bonhomme de neige. 6) Le chien sautait avec une frénésie qui se communiqua malgré lui ... son maître. 7) La femme était blême ... faire peur. 8) A minuit, l'épouse et les enfants de M. Ximenestre partirent sans le prévenir ... la messe de minuit. 9) Il mit son gros cache-nez et à pas lents se dirigea ... l'église. 10) L'église était comble et M. Ximenestre es-saya en vain ... en pousser la porte.

IX. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Она подошла к тучному, глуповатого вида полицейскому,

чтобы уточнить дорогу. 2) У него на лице было написано уныние. 3) Все дети были без ума от этой захватывающей игры. 4) Ему нужны были деньги, чтобы предаться своей пагубной страсти: игре. 5) На сцене, молодой актёр подавал надежды, но он вскоре оставил театр. 6) Нас подкупил его добродушный вид. 7) Что привело его в это мрачное место? 8) Она не любила ажиотаж в магазинах накануне праздников. 9) Он с воодушевлением взялся за дело. 10)

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Page 178: J'ai soif d'innocence

Тяжело дыша, старик рухнул на скамью. 10) Собака спряталась под диван, выглядывал лишь кончик её хвоста. 11) Хозяин развязал

верёвку, и собака, тявкая, с воодушевлением прыгала вокруг него. 12) Лекарства несколько притупили боль. 13) Извините за опоздание. 14) Он бесконечно повторял: «Имейте милосердие к бедному калеке.» 15) Мрачный, он с отвращением наблюдал предпраздничную суету.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Quand se passe l’action de la nouvelle ? Comment sont les passants ces jours-ci ?

II. Dressez le plan de la nouvelle.III. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.IV. Répondez aux questions suivantes :

1. Pourquoi M. Ximenestre, est-il chagriné ? Pourquoi n’a-t-il pas un centime ?

2. Comment a passé le réveillon dans la famille des Ximenestre ? Expliquez pourquoi.

3. Quels cadeaux désirent avoir ses proches pour la fête ? Que recevra-t-il à son tour ?

4. Qu’est-ce qui l’a fait penser à prendre un chien à la fourrière ? Quel chien et pourquoi a-t-il choisi ? Décrivez leur chemin à la maison ? Pourquoi M. Ximenestre, malgré ses hésitations, n’a-t-il pas lâché la ficelle ?

5. Comment son arrivée avec le chien, a-t-elle été appréciée ? Comment Mme Ximenestre, traite-t-elle le chien ?

6. Pourquoi M. Ximenestre, a-t-il décidé de sortir la nuit? Où étaient sa femme et ses enfants ?

7. Où M. Ximenestre, a-t-il dirigé ses pas ? Pourquoi ?8. Pourquoi M. Ximenestre, s’est-il assis par terre ayant attaché la

ficelle de Médor à son pied ? Pour qui l’ont pris les fidèles sortant de l’église ?

V. En vous basant sur le texte, présentez le personnage principal. Brossez son portrait et caractérisez-le. Dites ce que vous-même, vous pensez de lui.

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Page 179: J'ai soif d'innocence

VI. Quelle idée vous êtes-vous faites de Mme Ximenestre et des enfants. Comment imaginez-vous la vie familiale de M. Ximenestre ?

VII. Commentez : « On sait à quel point la charité peut être une chose contagieuse. » La charité, plus fréquente les jours des fêtes religieuses, n’est-elle pas due à ce que les gens se souviennent du sermon de Jésus Christ : « Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu’ils obtiendrons eux-mêmes miséricorde ». Vous considérez-vous comme une personne charitable ?

Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.

A D I S C U T E R

Lisez le petit article de G. Mermet sur la place que les animaux familiers tiennent dans la vie des Français. Dites où vont les préférences des Français, comment l’auteur explique leur attachement à l’animal et quel rôle les animaux jouent auprès des enfants et des adultes.

« En France 58 % des foyers possèdent un animal familier (record d’Europe). 69% d’entre eux ont un chien. Le plus grand nombre en sont les bâtards, les bergers et les caniches les suivent.

Bien que la majorité des Français habitent aujourd’hui dans les villes, leurs racines rurales restent fortes. Avec elles se sont maintenues les traditions d’amitié entre deux espèces liées par une longue histoire commune. Le cheval et le chien ont été de tout temps des auxiliaires de l’homme, en même temps que les amis. [...]

 Les animaux jouent un rôle affectif auprès des enfants et des adultes. Chez les enfants, les animaux sont le moyen de faire éclore des sentiments de tendresse qui pourraient autrement être refoulés. Pour les adultes, les animaux sont des compagnons avec lesquels ils peuvent communiquer sans crainte et partager parfois leur solitude. »

Gérard MermetPossédez ou avez-vous possédé un chien ? Qu’est-ce qu’un

animal familier est pour vous ?

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L'ÉTANG DE SOLITUDEPRUDENCE — c'était son prénom, hélas! et il lui allait au

demeurant fort mal — Prudence Delveau avait arrêté sa voiture dans une allée forestière, près de Trappes, et elle marchait nonchalamment, au hasard, dans le vent humide et glacé de novembre. Il était cinq heures et la nuit tombait. C'était une heure triste, dans un mois triste, dans un paysage triste, mais elle sifflotait quand même et de temps en temps se baissait pour ramasser un marron, ou une feuille rousse, dont la couleur lui plaisait; et elle se demandait avec une sorte d'ironie ce qu’elle faisait là : et pourquoi, en rentrant d'un week-end charmant, chez des amis charmants, avec son amant charmant, elle s'était senti le besoin subit et presque irrésistible d'arrêter sa Fiât et de partir à pied, dans cet automne déchirant et roux, et de succomber tout à coup à l'envie d'être seule et de marcher.

Elle portait un manteau en loden fort élégant, de la couleur des feuilles; elle avait un foulard de soie, elle avait trente ans, et des bottes bien équilibrées qui lui permettaient de trouver un vrai plaisir à sa propre démarche. Un corbeau traversa le ciel dans un cri rauque et, aussitôt, une bande d'amis corbeaux le rejoignit et sembla déborder l'horizon. Et bizarrement, ce cri, pourtant bien connu, et ce vol lui firent battre le cœur comme sous l'impulsion d'une terreur injustifiée. Prudence n'avait peur ni des rôdeurs, ni du froid, ni du vent, ni de la vie elle-même. Ses amis s'esclaffaient, même, en prononçant son prénom. Ils disaient que ce prénom était, par rapport à son existence, un pur paradoxe. Seulement, elle détestait ce qu’elle ne comprenait pas et c'était sans doute la seule chose qui lui fasse peur : ne pas comprendre ce qui lui arrivait. Et là, elle dut, soudain, s'arrêter pour reprendre son souffle.

Ce paysage ressemblait à un Breughel; et elle aimait Breughel; elle aimait la voiture chaude qui l'attendait et la musique

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qu'elle allait déclencher dans cette voiture; elle aimait l'idée de retrouver, vers huit heures, un homme qui l'aimait et qu'elle aimait, et qui se prénommait Jean-François. Elle aimait aussi l'idée qu'après leur nuit d'amour elle se lèverait en bâillant, boirait très vite un café que lui, ou elle, aurait confectionné pour « l'autre »; et l'idée aussi de se retrouver demain dans son bureau, parlant de publicité avec Marc, Marc qui était un excellent ami et avec lequel elle travaillait depuis plus de cinq ans. Ils se diraient, en riant, que le meilleur moyen de vendre telle lessive était de démontrer que, finalement, cette lessive lavait plus gris; et que les gens avaient plus besoin de gris que de blanc, de terne que d'étincelant, de fatigué que d'inusable.

Elle aimait tout ça, en fait, elle aimait bien sa vie : beaucoup d'amis, un métier drôle, un enfant même, et du goût pour la musique, les livres, les fleurs et les feux de bois. Mais ce corbeau était passé, suivi de sa folle équipe, et quelque chose lui déchirait le cœur, quelque chose qu'elle n'arrivait pas à cerner, ni à expliquer à qui que ce soit, ni (et là, c'était grave) à s'expliquer à elle-même.

Le chemin bifurquait vers la droite. Il y avait un panneau annonçant, promettant : « Etangs de Hollande. » L'idée de ces étangs, dans le soleil couchant, avec des roseaux, des ajoncs, des canards peut-être, la séduisit immédiatement et elle accéléra le pas. Effective-ment, l'étang fut là, très vite. Il était bleu et gris, et, s'il n'était pas couvert de canards (il n'y en avait pas l'ombre d'un, même), il était néanmoins jonché de feuilles mortes qui s'enfonçaient lentement, les unes après les autres, dans une dernière spirale; et qui, toutes, sem-blaient demander aide et protection. Toutes ces feuilles mortes avaient des airs d'Ophélie. Elle avisa un tronc d'arbre, sans doute abandonné par un bûcheron peu consciencieux, et s'y assit. De plus en plus, elle se demandait ce qu’elle faisait là. Elle finirait peut-être par être en retard, Jean-François serait inquiet, Jean-François serait furieux et Jean-François aurait raison. Quand on est heureux, qu'on fait ce qu'il vous plaît — et qu'on plaît aux autres — on ne doit pas traîner sur un tronc d'arbre, seule, dans le froid, au bord d'un étang dont on n'avait jamais entendu parler auparavant. Elle n'avait vraiment rien de

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«neurotic», comme ils disaient, les autres, en parlant de gens malheureux (en tout cas de ces gens qui ont du mal à vivre).

Comme pour se rassurer, elle prit une cigarette dans la poche de son manteau, découvrit avec soulagement un « Cricket » dans l'autre poche et alluma sa cigarette. La fumée était chaude et âcre, et le goût de la cigarette lui sembla inconnu. Et il y avait pourtant dix ans qu'elle fumait la même marque.

« Vraiment, se dit-elle, peut-être avais-je simplement besoin d'être un peu seule ? Peut-être n'ai-je jamais été seule depuis trop longtemps ? Peut-être cet étang a-t-il un charme maléfique ? Peut-être n'est-ce pas le hasard mais la fatalité qui ma menée à ses bords ? Peut-être est-ce une longue suite d'enchantements et de maléfices qui entoure les étangs de Hollande... Puisque tel est leur nom... »

Elle mit la main sur ce tronc d'arbre, contre sa hanche, et éprouva le contact du bois rugueux, usé, patiné, sans doute par la pluie et par la solitude (car enfin, qu'y a-t-il de plus seul et de plus triste qu'un arbre mort, coupé, abandonné; et ne servant à rien : ni à faire du feu, ni à faire des planches, ni à faire un banc d'amoureux ?). Le contact de ce bois donc lui inspira une sorte de tendresse, d'affection, et à sa grande stupeur, elle sentit des larmes monter à ses yeux. Elle considéra le bois, les veines du bois, encore qu’elles fussent très difficiles à voir : grises, presque blanches dans ce bois déjà gris et déjà blanc (semblables, se dit-elle, aux veines des vieillards : on n'y voit pas le sang couler, on sait qu'il y coule mais on ne l'entend pas, et on ne le voit pas). Et pour cet arbre, c'était presque pareil : la sève n'était plus là; la sève, l'impulsion, la fièvre, l'envie de faire, de faire des bêtises, de faire l'amour, de faire des travaux, d'agir, quoi...

Toutes ces idées lui passaient par la tête à une vitesse extravagante; et, à la fois, résignée, elle ne savait plus très bien qui elle était. Elle avait brusquement une idée d'elle-même, elle qui ne se voyait jamais, qui ne cherchait même jamais à se voir, elle que la vie comblait. Elle se voyait brusquement comme une femme, dans un manteau de loden, fumant une cigarette sur un

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tronc d'arbre mort, au bord d'un étang d'eau croupie. Il y avait quelqu'un en elle qui voulait absolument fuir cet endroit, retrouver la voiture, la musique dans la voiture, la route, et les mille moyens d'éviter la mort, les mille ruses que doivent utiliser les automobilistes adroits pour éviter l'accident, quelqu'un qui voulait retrouver les bras de Jean-François, les cafés de Paris, « le gin, les tziganes, les siphons et l'électricité » chers à Guillaume Apollinaire. Mais il y avait quelqu'un d'autre en elle, qu'elle ne connaissait pas, — enfin dont elle n'avait jamais fait la connaissance jusque-là — et qui voulait regarder la nuit tomber, l'étang s'installer dans le noir et le bois devenir froid sous sa main. Et peut-être, et pourquoi pas... ce quelqu'un voudrait-il, plus tard, marcher vers cette eau, avoir froid d'abord, et puis s'y enfouir, s'y perdre et aller retrouver tout au fond, sur un sable doré et bleu, les feuilles mortes qui y avaient été happées tout au long du jour. Et là, allongé sur ces feuilles, entouré de poissons fous et tendres, ce quelqu'un serait enfin parfaitement à l'aise, retourné au berceau, retourné à la vraie vie, c'est-à-dire à la mort.

«Je deviens dingue », pensa-t-elle, et une voix lui susurrait : « Je t'assure que c'est la vérité, ta vérité », et c'était, semblait-il, la voix de l'enfance. Et une autre voix, acquise, celle-là, à travers trente années de bonheurs divers, cette autre voix lui disait : « Ma petite fille, il faut rentrer et prendre des vitamines В et С. Il y a, en toi, quelque chose qui cloche. »

Bien entendu, ce fut la deuxième voix qui l'emporta. Prudence Delveau se releva, abandonna le tronc d'arbre, l'étang, les feuilles et la vie. Elle revint vers Paris, ses divans, ses bars, ce qu'on appelle l'existence. Elle revint vers son amour qui s'appelait Jean-François.

Et elle mit la musique dans la voiture et elle conduisit très attentivement et elle sourit même de cette demi-heure d'égarement. Mais il lui fallut deux mois pour oublier les étangs de Hollande. Pas moins. En tout cas, elle n'en parla jamais à Jean-François.

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EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser :

succomber à qqch rejoindre qqn s'esclaffer v.intr. emporter qqch aviser qqch rôdeur n.m.

ruse n.f. irrésistible adj. rauque adj. subit adj. étincelant adj. terne adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui est honnête, qui accomplit ses devoirs avec

conscience ; celui qui est anxieux, agité par la crainte ; celui qui est en proie à une folle colère ; celui qui est fou (mot argotique).

III. Formez les adjectifs à partir des substantifs suivants : bêtise, maléfice, enchantement, charme, solitude, stupeur, tendresse, affection.

IV. Trouvez dans le texte de la nouvelle les équivalents français: идти наудачу, непреодолимое желание, поддаться желанию, необоснованный страх, перевести дух, ускорить шаг, усыпанный опавшими листьями, ствол дерева, чтобы успокоиться, потемневший от дождя, стоячая вода.

V. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Elle avait ... de tout abandonner. 2) ... du lac était verdâtre. 3) Il s’est égaré et ... en espérant parvenir à une demeure. 4) Ayant vu au loin les contours d’un clocher, il ... . 5) Les amis se sont installés sur un banc ... . 6) La nuit, restée seule dans sa trop grande maison, elle ... . 7) ... , elle a allumé toutes les lampes et a déclenché la musique. 8) Les promeneurs se sont arrêtés pour ... après la longue marche, et comme il n’y avait pas de bancs, se sont assis sur ... arraché sans doute par la tempête. 9) La grosse dame suivait le régime depuis une semaine, mais, finalement, elle n’a pas pu ... de manger un gâteau. 10) L’allée ... ressemblait à un tapis dans les couleurs d’automne.

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VI. Précisez le sens de l’adjectif fatigué dans le texte. Trouvez d'autres significations de cet adjectif. Trouvez des synonymes de l’adjectif fatigué dans des groupes de mots qui suivent: une personne fatiguée, une figure fatiguée, avoir le foie fatigué, des vêtements fatigués, être fatigué de qqn.

VII. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes: 1) Son prénom, hélas! lui allait au demeurant fort mal — Prudence.

2) Ses amis s'esclaffaient en prononçant son prénom. 3) Elle s'était senti le besoin subit d'arrêter sa Fiât et de partir à pied, et de succomber tout à coup à l'envie d'être seule et de marcher. 4) Les cris des corbeaux lui firent battre le cœur comme sous l'impulsion d'une terreur injusti fiée . 5) Comme pour se rassurer, elle alluma une cigarette. 6) A sa grande stupeur, elle sentit des larmes monter à ses yeux. 7) Les automobilistes adroits doivent utiliser mille ruses pour éviter l'accident. 8) On pouvait dire que la vie la comblait. 9) «Je deviens dingue », pensa-t-elle. 10) L'étang était jonché de feuilles mortes.

VIII. Conjuguez le verbe rejoindre au présent et au passé simple, formez son participe passé. Faites-le entrer dans des phrases.

IX. Précisez le sens du verbe emporter dans le texte. Trouvez d'autres significations de ce verbe. Traduisez: emporter ses affaires, emporter une place d’assaut, l’emporter, se laisser emporter à la colère, emporter de gros problèmes, s’emporter pour rien.

X. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur :1) « Seulement, elle détestait ce qu’elle ne comprenait pas et c'était

sans doute la seule chose qui lui fasse peur : ne pas comprendre ce qui lui arrivait. » 2) « Quelque chose lui déchirait le cœur, quelque chose qu'elle n'arrivait pas à cerner, ni à expliquer à qui que ce soit, ni (et là, c'était grave) à s'expliquer à elle-même. » 3) « Elle considéra le bois, les veines du bois, encore qu’elles fussent très difficiles à voir. »

XI. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) На какие только уловки она не шла, чтобы добиться

своего. 2) В толпе она усмотрела знакомые лица. 3) После занятий он присоединился к своим друзьям, которые уже ждали его в кафе. 4) Она не смогла устоять от соблазна купить

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понравившийся ей пейзаж, изображавший лесную просеку. 5) Друзья рассмеялись на его шутку. 6) Послышались глухие раскаты грома. 7) Голос разума одержал верх. 8) Внезапный отъезд сына огорчил её. 9) Бродяга к Байкалу подходит. 10) Она почувствовала непреодолимое желание вновь увидеть город своего детства. 11) Ребёнок с восторгом смотрел на игрушки в сверкающей витрине. 12) Ваши страхи не обоснованны, постарайтесь успокоиться. 13) Они медленно шли по усыпанный опавшими листьями аллее. 14) На мужчине был поношенный, хотя и тщательно отглаженный костюм. 15) Фильм показался нам слишком тусклым.

E T U D U D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Répondez aux questions suivantes :

1. Par quelle saison et où se retrouve Prudence ?2. D’où rentre-t-elle ? Y a-t-il quelques raisons pour qu’elle arrête

sa Fiât et parte à pied à travers la forêt ?3. Plutôt gaie au début de la promenade, pourquoi son humeur

change-t-elle ?4. Pourquoi se dirige-t-elle vers l’étang ? Décrivez l’étang de

Hollande. 5. Quelle pensées et associations lui inspire l’arbre coupé ? 6. Quel dédoublement ressent Prudence ? Qu’est-ce qui l’emporte

finalement ?7. Pourquoi décide-t-elle ne rien dire ni de sa promenade, ni de la

demi-heure d’égarement à Jean-François ?III. Décrivez en détails la forêt et l’étang où Prudence se

promène. Relevez dans le texte le lexique que l’auteur utilise pour transmettre l’état de tristesse d’un paysage automnale.

IV. En vous basant sur le texte, décrivez Prudence, sa vie et son travail. Caractérisez-la. Tâchez d’expliquer les raisons de son « égarement ».

V. Commentez : « Quand on est heureux, qu'on fait ce qu'il vous plaît — et qu'on plaît aux autres — on ne doit pas traîner sur un tronc d'arbre, seule, dans le froid, au bord d'un étang dont on n'avait

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jamais entendu parler auparavant. Elle n'avait vraiment rien de « neurotic », comme ils disaient, les autres, en parlant de gens malheureux (en tout cas de ces gens qui ont du mal à vivre). »

VI. Expliquez comment vous comprenez : « les gens qui ont du mal à vivre ».

VII. Formulez le thème et l’idée maîtresse de la nouvelle.VIII. Dites ce que vous savez du peintre flamand Breughel.

Quels autres peintres connaissez-vous qui ont peint un paysage d’automne. Décrivez-en un.

A D I S C U T E R

Toute saison évoque des sentiments particuliers. Quelles associations et sensations évoque en vous l’automne ?

L’auteur de la nouvelle, dans un interview dit que la solitude est un grand luxe aujourd’hui. « On ne l’a jamais : bureau-famille, famille-bureau ... Il y a des personnes qui se plaignent de la solitude ... Celles qui n’ont rien dans la tête. Pour moi, je l’ai apprise et je l’apprécie. C’est cette conscience d’un soi immuable, incommunicable et assez perdu à la fois, presque biologique en somme. »

Qu’est-ce que la solitude est pour vous ? Vous pèse-t-elle ou vous la souhaitez (souvent, parfois) ?

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P. Bost Un billet de troisième

En ce temps-là je n'habitais pas encore un hôtel à Neuilly, je n'avais pas encore une belle voiture, ni une villa à Sainte-Maxime. (Je ne les ai pas davantage aujourd'hui, mais cela n'empêche pas que je ne les avais pas encore en ce temps-là). Je cherchais du travail.

Depuis trois mois j'avais frappé à toutes les portes, mis en mouvement tous les amis, demi-amis et quart-d'amis imaginables. Rien ne venait.

Enfin, je reçus le télégramme qui disait: « Affaire arrangée avec Fechsen stop t'attends Grenoble dès demain stop viens di-rectement studio Besace ». Besace, c'est celui de mes amis qui a réussi. Il est dans le cinéma. C'est un personnage, et il gagne énormément d'argent. En ce temps-là, il était assistant de Fechsen, l'illustre metteur en scène danois. Je lui avais bien demandé de me « trouver quelque chose là-dedans », mais je pensais qu'il m'avait oublié, ou qu'il n'avait pu rien faire, et son télégramme me surprit presque autant qu'il me fit plaisir. Cette fois, ça y était! J'entrais dans le cinéma! Pour faire quoi? C'était une question accessoire ; je serais probablement assistant de mon ami assistant, je me promènerais dans les studios en tutoyant les actrices, j'enverrais moi aussi, des télégrammes avec le mot « stop » et je garderais mon taxi toute la journée ; ce serait merveilleux !

Après une heure de ces réflexions, j'eus des pensées un peu plus sages, et un peu moins glorieuses. Je compris que, si je voulais arriver à quelque chose chez Fechsen, je devais reconstituer ma garde-robe tout entière, des souliers à la cravate. Je connaissais déjà assez la technique cinématographique pour savoir qu'on ne peut se présenter dans un studio que revêtu d'une tenue au moins un tout petit peu extravagante. Mon pardessus, mon complet veston, mes chaussures auraient fait pouffer jusqu'aux électriciens. II fallait absolument qu'avant de partir je me mise en uniforme. Alors, je

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sortis pour chercher de l'argent, et, avant de me mettre en chasse, je télégraphiai à Besace que j'accourais, et j'envoyai même un télégramme à Fechsen, directement : « Entendu stop arrive demain matin stop cordialement ». Je savais qu'il ne faut pas avoir peur de parler net et de s'imposer. Et puis, je me sentais déjà quelque chose comme le maître du monde.

Je commençai à me promener dans Paris, le télégramme dans ma poche, et le montrant à tout le monde. Le nom de Fechsen faisait chaque fois son effet, on me félicitait, c'était magnifique. Si magnifique qu'avant trois heures de l'après-midi j'avais trouvé à emprunter dix-huit cents francs, rien qu'en disant que j'en avais besoin . A sept heures du soir, j'étais méconnaissables. A la main une valise de cuir presque blanc, j'étais revêtu d'un magnifique costume de golf, mon torse se moulait dans un pull-over gris et bleu, j'avais aux pieds des souliers énormes, confortables et rouges, une casquette sur les yeux, bref, j'étais en tenue de cinéma. Je regrettais de n'avoir pu caser nulle part dans mon habillement une fermeture-éclair mais ce serait pour bientôt. Dans le hall de la gare de Lyon, à neuf heures du soir, plusieurs jeunes femmes se retournèrent sur mon passage ....

Un seul point noir. Tant d'achats indispensables avaient réduit à peu de chose les dix-huit cents francs que j'avais empruntés.

Je m'en aperçus en arrivant au guichet. Grenoble est plus loin de Paris qu'on ne le croit communément. L'employé me demanda froidement deux cents quatre-vingt cinq francs quinze, pour un billet de première. Je lui demandai donc le prix de voyage en seconde classe. Il me le dit. Je repris la parole pour demander à combien il me laisserait le billet de troisième. «Cent vingt-cinq francs cinquante», me dit cet homme. Ça pouvait aller.

Je pris le billet, extrêmement ennuyé à l'idée de débarquer sur le quai de Grenoble d'un wagon de troisième. Si jamais Fechsen ou n'importe qui pouvait s'en douter, c'était un truc à me faire rater toute ma carrière. J'en avais froid dans le dos. Je n'étais pas fier. D'autant plus que mon entrée dans le compartiment, avec une valise

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neuve, mes gants neufs et mon complet neuf fut un peu gênante. Un militaire ivre et un jeune couple d'ouvriers qui mangeaient au couteau me regardèrent comme si j'étais responsable du régime capitaliste et des lois militaires.

J'étais si découragé dans mes beaux habits que je faillis re-noncer à tout et sauter sur le quai. Un dernier mouvement d'espoir me retint. Il fallait risquer le coup.

Mа foi, le voyage commença assez bien. Enfoncé dans mon coin en face du militaire ivre je me laissais aller à des imaginations agréables. Je repassais dans mon esprit tout ce que je savais du cinéma. Fechsen s'était installé à Grenoble, depuis deux mois, avec sa troupe, son personnel et six cents figurants, pour tourner les extérieurs de son grand film «Mer Blanche», que l'on annonçait comme l'événement de la saison. C'était une histoire de sports d’hiver, et Fechsen avait choisi Grenoble. Mais, comme il y était arrivé en octobre, il avait dû, faute de neige, construire des studios où avaient été reconstitués avec du bicarbonate apporté de Bavière par avion des champs de ski suffisants. L'hiver enfin venu, Fechsen s'était aperçu que sa neige à lui était bien meilleure que la vraie neige du bon Dieu, et il avait continué à tourner en studio. « Mer Blanche » avait déjà coûté six millions et trente-huit mille mètres de pellicule, sans qu'on eût atteint la moitié du travail. Fechsen était vraiment, à cette époque, l'un des maîtres du cinéma européen.

Je rêvais en somnolant un peu. Mes trois compagnons dormaient bouches ouvertes. Je sortis un moment, examinai le couloir, étudiai me penchant à la fenêtre les dispositions des marchepieds, pour savoir si je ne pourrais pas, en cachette, pénétrer par l'extérieur dans un wagon de première. Le contrôleur qui me surprit dans cet examen parut intrigué et me demanda mon billet comme on le demande à quelqu'un qui n'en a pas. Je regagnai mon compartiment et m'endormis pour de bon.

Quand je me réveillai, le train était à dix minutes de Grenoble. Il n'y avait plus personne dans mon compartiment. Je me dirigeai

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vers la toilette pour me refaire une beauté. En longeant le couloir, je vis que j'étais seul dans tout le wagon. Non, pourtant ... Un curé occupait l'un des compartiments, et...

Et je fus tout à coup saisi d'horreur. Dans le dernier compar-timent, une femme était étendue sur la banquette, bâillonnée, les yeux blancs, le visage très rouge, une main pendant vers la sol. Je perdis un peu la tête. J'entrai dans le compartiment, me penchai vers le corps et dénouai le ballon ; la femme n'était pas morte, son cœur battait. J'eus peur. Quand on découvrirait l'attentat, pensais-je, on ne manquerait pas de m'interroger. Les journaux parleraient. Tout le monde pourrait savoir que j'avais voyagé en troisième classe... Besace l'apprendrait, et Fechsen avec lui. Et pourtant, Bon Dieu ! et pourtant j'avais bien besoin de gagner ma vie ! Je ne pouvais pas la manquer, cette chance qui s'offrait à moi. Non, je ne le pouvais pas ... Ma tête tournait.

... La femme n'était pas morte; c'était l'essentiel. Elle se dé-brouillerait. Le train, déjà, ralentissait. C'était Grenoble.

Je revins vite dans mon compartiment, saisis ma belle valise presque blanche, rabattis ma casquette sur les yeux, et, de couloir en couloir, m'avançai à travers des wagons de troisième jusqu'à la portière la plus éloignée. Le train entrait en gare. Il n'était pas arrêté que je sautais sur le quai, où je faillis me rompre le cou, pour le plus grand plaisir d'un employé qui me regarda en riant. Je sortis très vite, sans regarder autour de moi, et me fis conduire en taxi (il me restait vingt-trois francs trente) aux studios de Fechsen. Je ne fus tranquille que quand je me trouvai en présence de Besace.

Besace fut très gentil, quoique fort occupé, et me dit qu'il ne pourrait me présenter à Fechsen avant six heures du soir. Mais il était content de me voir (ma tenue de cinéaste avait semblé lui plaire) et, quand je lui eus raconté les péripéties de mon départ, il m'offrit très gentiment de m'avancer cinq cents francs. J'acceptai. Il me conseilla alors de retourner à Grenoble et de prendre une chambre au Grand-Hôtel, où la troupe était installée. Il remit à plus tard de m'expliquer ce qu'on attendait de moi, mais me dit que je

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serais content. Je pris un des taxis qui attendaient en permanence devant le studio, et me fis conduire en ville. Je me sentais heureux, léger, bien vêtu, et déjà dans le cinéma jusqu'au cou. Une heure plus tard, après un bon bain, j'étais remis à neuf ; content, rasé de, frais, je prenais devant ma glace des poses de monsieur considérable, et je me préparais à faire la conquête du nommé Fechsen. On allait voir ce qu'on allait voir ...

Ce qu'on vit, ce fut un inspecteur, qui se présenta à l'hôtel vers deux heures... Pan! pan! pan! Ça n'avait pas été très long! Oh! La police est bien faite! On avait découvert la femme, dès l'arrivée du train à Grenoble, et l'on s'était mis en chasse tout de suite; on avait trouvé le chauffeur qui m'avait conduit au studio, celui qui m'en avait ramené. Le curé m'avait vu passer dans le couloir, l'employé m'avait vu sauter du train, le contrôleur « avait eu son attention attirée » par mon attitude louché... On me conduisit au commissariat. J'étais si bouleversé que, naturellement, je paraissais coupable ; les explications que je donnais semblaient la plus imbécile des défenses ; pourquoi n'avais-je pas donné l'alarme en découvrant la femme ? pourquoi étais-je allé chercher dans le train la sortie la plus lointaine ? Pourquoi m'étais-je enfui ? Pourquoi, avec de si beaux habits, avais-je voyagé en troisième ? J'avais beau donner les vraies explications de tout cela, le commissaire n'en croyait, bien sûr, pas un mot... A six heures du soir, Besace devait m'attendre avec Fechsen... tout était fini, je n'avais plus qu'à renoncer, adieu cinéma...

Je passai la nuit au violon. Vraiment, l'abîme s'ouvrait sous mes pieds, sous mes beaux souliers rouges qui avaient bien leur part de responsabilité dans tout ce qui m'arrivait ... J'étais au désespoir, attendant, sans avoir le courage de rien faire, que mon innocence éclatât....

Elle éclata enfin, comme on pouvait le prévoir, mais le mal était fait. Le soir du second jour on me relâcha avec des excuses.

Besace fut très correct, mais il me laissa entendre que mon arrivée à Grenoble avait été marquée d'incidents un peu trop

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visibles, que Fechsen, mis au courant, était entré dans « une vraie colère de grand metteur en scène », et qu'il avait dit : « Vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler avec un garçon qui voyage chez les bestiaux »... Bref, Besace me fit comprendre que mieux valait pour tout le monde que je rentre à Paris.

Mais, comprenant quand même que j'étais bien malheureux Besace ajouta :

—On va pouvoir s'arranger quoi? Veux-tu deux mille francs ? Je trouverai un truc pour faire passer ça à la caisse...

Le lendemain j'étais à Paris. Les deux mille francs me servirent a payer mes dettes ; mes amis se moquèrent de moi.

Quant aux cinq cents francs que m'avait prêtés Besace le premier jour, on pense bien que je ne les lui ai jamais rendus. L'industrie cinématographique me devait bien ça !..

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots ci-dessous, apprenez-les et sachez les utiliser:

arranger qqch réussir v. intr. accourir v. intr. s'imposer v. intr. emprunter qqch réduire a qqch faillir f. qqch

pouffer v. intr. caser qqn pellicule n. f. indispensable adj. accessoire adj. découragé adj.

II. Dites comment on appelle : celui qui est raisonnable, qui est réfléchi et modéré ; celui qui éprouve un grand trouble, une émotion violente et pénible ; celui qui est conforme aux usages, à la morale, à la justice.

III. Trouvez dans le texte les équivalents français des expressions ci-dessous :  тем не менее, уладить дело, говорить прямо, свести почти на нет, испытывать досаду, что; по правде сказать, событие года, тайком, вернуться в, наводить красоту,

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прийти в ужас, не упустить случай, дать понять, напрасно, быть в отчаянии.

IV. Replacez les expressions ci-dessus : 1) Malgré toutes les difficultés qui sont survenues dans cette affaire,

il a pu l’... . 2) En s’emportant, il ... ses efforts d’établir de bonnes relations avec ses collègues. 3) Il ... de ne pas avoir assez d’argent pour le voyage en première classe. 4) On prédit à ce film un grand succès et même on l’annonce comme ... . 5) Après le voyage, ils avaient hâte de ... leur ville, leurs maison. 6) Les jeunes filles se sont précipité vers les glaces pour ... . 7) A la vue de la catastrophe, tout le monde était ... . 8) Il ne pouvait pas ... qui s’offrait à lui. 9) Sans le dire directement, le chef ... à son employé qu’il aurait une augmentation. 10) Il a ... donner les vrais explications de son absence, personne n’y a cru.

V. Trouvez des équivalents russes aux locutions formées : avec le mot de base arranger : ~ les cheveux, ~ ses idées, ~ une

affaire, cela m’ ~ ; ~ une table pour le dîner, ~ une voiture, ~ des papiers.

avec le mot de base garder : ~ des moutons, ~ un malade, ~ la chambre, ~ des enfants, ~ le lit, ~ son chapeau, ~ son sang-froid, ~ un secret, ~ la mesure, ~ rancune à qqn, ~ son taxi, ~ qqn à dîner, ~ les apparences.

VI. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes:1) Je reçus le télégramme qui disait que l’affaire était arrangée

avec le metteur en scène. 2) C'était une question accessoire . 3) Mon pardessus, mon complet veston, mes chaussures auraient fait pouffer jusqu'aux électriciens. 4) Je télégraphiai à mon ami que j'accourais . 5) Tant d'achats indispensables avaient réduit à peu de chose les dix-huit cents francs que j'avais empruntés.6) Si jamais quelqu’un pouvait se douter, que j’ai voyagé en troisième, c'était un truc à me faire rater toute ma carrière. 7) Je pris un des taxis qui attendaient en perma nence devant le studio, et me fis conduire en ville. 8) J'étais si bouleversé en apprenant la nouvelle. 9) J'avais beau donner les vraies explications de ma conduite, le commissaire n'en croyait pas un mot. 10) J’ai passé la nuit au violon , mais le lendemain on me relâcha avec des excuses.

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VII. Conjuguez le verbe accourir au présent et au passé simple. Nommez son participe passé. Faites entrez le verbe dans des phrases.

VIII. Replacez les prépositions qui manquent :1) Pour obtenir la place désiré, il a mis ... mouvement tous ses amis.

2) Cet homme a réussi. Il est ... la finance. 3) Si vous voulez arriver ... quelque chose, vous devrez travailler davantage. 4) Il faudra se présenter pour la première revêtu ... une tenue de soirée. 5) Je regrette ... n'avoir pu assister a cette conférence. 6) Plusieurs jeunes femmes se retournèrent ... son passage. 7) Quel est le prix du voyage jusqu’à votre ville ... seconde classe ? 8) Il est dangereux ... se pencher ... la fenêtre, le train va se mettre ... marche. 9) Lors de mon prochain voyage, je ne manquerai pas ... visiter ce fameux musée. 10) Il s’est préparé ... faire une belle carrière dans le cinéma.

IX. Identifiez les formes verbales et expliquez leur valeur et leur formation :

1) « « Mer Blanche » avait déjà coûté six millions et trente-huit mille mètres de pellicule, sans qu'on eût atteint la moitié du travail. Fechsen était vraiment, à cette époque, l'un des maîtres du cinéma européen. » 2) « Quand on découvrirait l'attentat, pensais-je, on ne manquerait pas de m'interroger. Les journaux parleraient. Tout le monde pourrait savoir que j'avais voyagé en troisième classe... » 3) « Mais il était content de me voir (ma tenue de cinéaste avait semblé lui plaire) et, quand je lui eus raconté les péripéties de mon départ, il m'offrit très gentiment de m'avancer cinq cents francs.  » 4) « J'étais au désespoir, attendant, sans avoir le courage de rien faire, que mon innocence éclatât.... » 5) « Bref, Besace me fit comprendre que mieux valait pour tout le monde que je rentre à Paris. »

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Я обещаю привести в порядок дела до отъезда. 2) Его друг

преуспел в бизнесе. 3) Как вы будете одеты - это не самое важное, главное – внушить уважение. 4) Он занял денег у своих друзей. 5) Инцидент свёл на нет его усилия предстать перед режиссёром в выгодном свете. 6) Мы едва не опоздали на поезд. 7) Я должен зайти в магазин, чтобы купить плёнку. 8) Он получил телеграмму и поспешил в Гренобль. 9) Слушая его рассказ, слушатели прыскали со

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смеху. 10) Ему удалось пристроить сына на хорошее место. 11) Вам надо обязательно показаться доктору. 12) Поговорите с ним, он совсем пал духом. 13) Напрасно он оправдывался, ему никто не поверил. 14) Он испытывал досаду, что не смог отказаться от приглашения.15) Он пришёл в ужас, представив последствия своего поведения.

E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Comment était la situation matériel de Pierre ? Qui était Besace et quelle proposition a-t-il fait à Pierre ? Qu’est-ce qui a surtout épaté Pierre dans son télégramme ?2. Comment Pierre imaginait-il sa vie future dans le cinéma ? Pourquoi rêvait-il d’envoyer des télégrammes avec le mot « stop » et à garder son taxi toute la journée ?3. Comment a-t-il trouvé l’argent pour reconstituer sa garde-robe ? Quelle tenue s’est-il créée ?4. Quel billet a-t-il été obligé d’acheter pour se rendre à Grenoble ? Pourquoi sa tenue a-t-elle choqué ses compagnons de voyage ? Dans quel but a-t-il examiné le couloir, la disposition des marchepieds ?5. Dans quel état était la femme qu’il avait découverte dans un compartiment ? Comment a-t-il agi ? Pourquoi n’a-t-il pas donné l’alarme en découvrant la femme bâillonnée ?6. Pourquoi à l’hôtel s’est-il senti heureux et léger ? Pour quelle heure avait-il rendez-vous avec Fechsen ? Quels projets faisait-il ? 7. Qui a brisé tous ses rêves ? Racontez en détails l’arrestation de Pierre. Quand et pourquoi la police l’a-t-elle relâché ?8. Pourquoi Fechsen a-t-il refusé d’embaucher Pierre ?9. Pourquoi Pierre n’a-t-il jamais rendu l’argent avancé par Besace ?

IV. Présentez et caractérisez le personnage principal de la nouvelle. Quelle est la tonalité de son récit sur le début raté dans le

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cinéma ? De quoi prouve-t-elle ? V. Comment le héros, se représentait-il la vie des gens de

cinéma ? Comment vous imaginez-vous le monde du cinéma ?VI. Comment imaginez-vous la vie du héros à Paris après le

retour de Grenoble ? Quelle carrière a-t-il pu faire, selon vous ?VII. Parlez du type de cinéaste qu’est Fechsen ? Commentez son

jugement: « Vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler avec un garçon qui voyage chez les bestiaux ».

VIII. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle.

A D I S C U T E R

Trouvez la définition des mots snob, snobisme. Le snobisme, vous est-il propre, à vous ? Avez-vous des snobs

dans votre entourage ? Comment se manifeste ce trait ? Comment considérez-vous ce trait de caractère ?

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Page 198: J'ai soif d'innocence

Marie PageAvec un pied sur chaque rive de l'Atlantique, Marie Page a le cœur qui

balance. Née en France, elle vit au bord du petit lac Magog, au Québec,

depuis deux décennies. Elle a publié, tantôt au Canada tantôt en France, des

romans (Poupées gigognes, L'idole, Le gratte-mots, Hot dog ou petit pain au

chocolat...), des contes et des nouvelles (Caramel le petit chat, Où est passé

le Père Noël ?, Patte blanche, Drôle d'école...). Ses œuvres, pour la plupart

destinées aux adolescents, voire aux adultes, ont remporté plusieurs prix lit-

téraires, français et canadien.

Hel lo , le so le i l br i l le , br i l le , br i l le !

Elle avait seize ans. Ils étaient à table tous les quatre. A sa gauche, son petit frère construisait un château avec sa purée. Sa mère découpait sa côtelette d'un air absent. Le père leur racontait ses histoires de guerre.

Cette guerre, si lointaine, si ancienne, bien antérieure à sa naissance, s'était déroulée dans un autre pays : son pays à lui.

Il s'agissait toujours des mêmes récits qu'elle connaissait déjà. Des heures durant, il avait fallu les écouter sans broncher. Son père semblait obsédé par le besoin de se vider le cœur, de se prouver qu'il avait eu raison, que le reste du monde s'était trompé, n'avait rien compris.

Elle avait déjeuné avec les souvenirs de guerre et dîné avec eux. Encore et encore et encore... Cette semaine-là, le professeur d'histoire leur avait parlé de cette guerre, il avait décrit les horreurs commises par des gens pourtant civilisés. La patrie de la musique et de la philosophie avait abrité ce que l'humanité avait accompli de plus odieux.

Pour la première fois, elle avait pris conscience que son père s'était trouvé dans le mauvais camp. Elle avait eu envie d'inter-rompre le cours, de crier : « Attendez, vous n'avez rien compris, ce

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n'était pas comme ça ! » Car, elle aussi, après toutes ces années, était devenue un peu spécialiste. Mais elle s'était tue. Elle avait craint de se dévoiler et redoutait la réaction de ses camarades de classe. Pour elle, ce fut une expérience étrange d'entendre cette autre version. Douleur d'un monde qui bascule... Un brouillard se lève et dévoile d'un coup un paysage nouveau de l'existence. C'était un paysage sombre, grotesque, inquiétant, hors nature, qui flottait sur un vide, en tout cas, qui avoisinait des précipices. Une blessure qui s'ouvre. Une irrépressible envie de vomir, un goût de mensonge dans la bouche.

Qui était l'homme à qui elle devait la vie ?Est-ce que lui aussi avait... ? Non, cette pensée lui était

insupportable. Mais connaît-on vraiment ceux qui vous élèvent ? Une lutte s'engageait désormais entre son amour pour son père et autre chose. Le doute ? La réprobation ? Comment nommer ce sentiment né de la découverte que son père n'était pas cet être irréprochable et parfait qu'elle avait imaginé.

Dans son esprit, au mot guerre, il s'était creusé une tranchée qui la séparait de lui : elle avait rejoint le maquis, elle était entrée en résistance.

Son père essayait de leur décrire la couleur de l'uniforme allemand :

— Il était du même vert que celui des rideaux. Vous voyez, là, au centre des feuilles ! Elle avait regardé les rideaux fleuris et s'était exclamé :

— Tiens, les Allemands portaient un uniforme à fleurs !Maintenant qu'elle savait, elle était incapable de l'entendre

ajouter un mot de plus sur cette fichue guerre. Elle protégeait sa blessure. Vite, faire diversion. Changer de sujet. Et puis, ça l'amusait d'imaginer un uniforme fleuri, une vareuse avec une rose à l'emplacement du cœur.

Bien sûr, il avait mal pris sa remarque. Il lui en fallait si peu pour réagir ! Au moindre petit aiguillon, il explosait. Car il était sérieux, lui. C'était un épisode important de sa vie qu'il évoquait. Il avait vu

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rouge. On se moquait de lui ! On se moquait de l'uniforme allemand, de l'armée allemande, du II Reich !

Il avait aboyé :« Fiche le camp d'ici ! Monte dans ta chambre ! »Dans l'escalier, elle s'était mise à chanter :« Hello, le soleil brille, brille, brille ! » L'air du film Le pont

de la rivière Kwai. Comme ça parce qu'elle avait trouvé la situation absurde et que chanter l'empêchait de penser. Chanter, c'était crier sa volonté de vivre, vivre dans la lumière, alors que lui, par ses récits, il la dirigeait vers le chemin de la mort. Il l'avait rappelée en hurlant :

« Viens ici ! »Le visage défiguré par la colère, il lui avait lancé :« Ça, c'est pour t'apprendre à te moquer de moi ! »La gifle avait failli la déséquilibrer. Elle l'avait fixé de ses

yeux noirs, de ses yeux qui disaient ce que sa bouche n'osait prononcer :

« Tu te crois fort, n'est-ce pas, parce que tu me frappes, mais tu es si faible que même l'idée que l'on puisse se moquer de toi t'atteint. Tu veux me faire souffrir comme tu souffres, mais tu ne m'auras pas!»

Son regard avait-il été trop éloquent ? Il n'avait pu le soutenir.

Elle était repartie dans l'escalier. Sans savoir pourquoi, un besoin plus impérieux que sa peur, plus puissant que sa raison, la poussa à reprendre son refrain. « Hello, le soleil brille, brille, brille ! » Elle savait qu'elle jouait à un jeu dangereux, qu'il la giflerait de nouveau. Elle se surprenait elle-même, mais elle était incapable de se taire, incapable de lui laisser penser qu'il avait gagné.

Il avait foncé sur elle pour la rattraper. Il l'avait frappée une fois de plus. Il ne supportait pas l'insolence, il ne supportait pas la provocation ! Dans le IIIe Reich, on matait les fortes têtes et lui, il en avait cassé plusieurs. Il faut commencer par casser pour que ça

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entre dans le moule ! Et puis, il faut que ça marche au pas, le pas des autres, le pas du plus brutal ! Elle avait fini par pleurer, non pas à cause des coups, mais parce qu'elle avait compris. Oui, lui aussi, peut-être, il avait... En tout cas, il aurait pu. Quelqu'un qui réagit de cette manière, quelqu'un qui ne différencie pas sa fille d'un soldat mal dégrossi, quelqu'un qui voit dans l'humiliation une forme d'éducation est capable du pire.

Il paraissait content de lui ; il lui avait bien enseigné la leçon : « Ne jamais s'opposer à plus puissant que soi. » II avait prouvé qu'il demeurait le maître et qu'il ne permettrait à personne de se moquer de lui.

C'est important dans la vie de s'assurer que personne ne se moque de vous ! C'est important de s'assurer — se rassurer — que l'on est le plus fort !

Elle avait monté l'escalier mâchoires et poings crispés. Seule dans sa chambre, une fois la porte close, elle s'était accroupie dans un coin. Tout bas, dans un murmure, d'une voix triomphante, elle fredonnait : « Hello, le soleil brille, brille, brille ! »

Car la guerre entre eux était déclarée, mais elle savait qu'elle serait longue et cruelle. C'est dur de se battre lorsque l'ennemi campe dans votre cœur.

EXERCICES DE GRAMMAIRE ET DE VOCABULAIRE

I. Trouvez des équivalents russes des mots et des expressions ci-dessous, faites les entrer dans des phrases :

être obsédé par qqch vider qqch (se vider qqch.) redouter qqch, qqn avoisiner qqch s’accroupir v.intr. foncer sur qqch, sur qqn

fredonner qqch précipice n.m. irrépressible adj. impérieux adj. insolence adj. crispé, e adj.

II. Trouvez les équivalents français des expressions ci-dessous : с отсутствующим видом, невозмутимо, осознать, отвлечь (заняться для разнообразия ч.-л. другим), плохо принять ч.-л., прийти в ярость, прийти в норму, идти в ногу, неотёсанный.

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III. Replacez les expressions ci-dessus dans les phrases suivantes :

1) Il a écouté le verdict du tribunal …, aucun muscle de son visage n’a bougé. 2) La fillette écoutait le récit mille fois entendu … . 3) Pour … , cette fois Bernard a invité son amie non pas au cinéma, mais au concert. 4) Elle ... de sa faute et s’est promis de ne plus en faire. 5) Leur chef ... toujours ..., quand on le contredit. 6) La proposition de venir travailler dimanche ... par les employés. 7) Après l’accident il lui faut du temps pour ... . 8) Les soldats ... devant la tribune. 9) Les parents étaient contre le mariage de leur fille avec ce garçon qu’ils trouvait ... , mais leur union s’est avérée heureuse.

IV. Dites comment on appelle : celui qui a de l’éloquence ; celui qui commande d’une façon absolue, qui est autoritaire ; ce qui caricatural, extravagant ; ce qui provoque de l’inquiétude ; ce qu’on ne peut pas réprimer, contenir, ce qui est irrésistible.

V. Remplacez les mots soulignés par leurs synonymes relevés dans le texte :

1) Sa mère découpait sa côtelette d'un air absent. 2) Des heures durant, il avait fallu les écouter sans broncher. 3) Son père semblait obsédé par le besoin de se vider le cœur. 4) Pour la première fois, elle avait pris conscience que son père s'était trouvé dans le mauvais camp. 5) Elle avait craint de se dévoiler et redoutait la réaction de ses camarades de classe. 6) Maintenant qu'elle savait, elle était incapable de l'entendre ajouter un mot de plus sur cette fichue guerre. 7) Il l'avait rappelée en hurlant :« Viens ici ! » 8) Son regard avait-il été trop éloquent ? 9) Il avait foncé sur elle pour la rattraper. 10) Dans le IIIe Reich, on matait les fortes têtes et lui, il en avait cassé plusieurs. 11) Seule dans sa chambre, une fois la porte close, elle s'était accroupie dans un coin.

VI. Trouvez toutes les acceptions du substantif esprit. Trouvez les équivalents russes des groupes de mots formés à la base du nom : homme d’esprit, avoir l’esprit lent, ôter qqch de son esprit, faire de l’esprit, esprit d’équipe, esprit d’épargne, esprit de contradiction, rendre l’esprit, perdre ses esprits, reprendre ses esprits, un esprit malin.

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Page 203: J'ai soif d'innocence

VII. Conjuguez les verbes interrompre et se taire au présent et au passé simple, nommez leur participe passé. Faites entrer les verbes dans des phrases dans des temps différents.

VIII. Relevez dans le texte de la nouvelle tous les verbes pronominaux.

IX. Mettez les verbes entre parenthèses au passé composé. Veillez à l’accord du participe passé.

1) La femme (se vider) le coeur et (se calmer) un peu. 2) Toute sa vie (se dérouler) devant ses yeux, et elle (se promettre) que si elle guérissait, elle changerait beaucoup dans son existence. 3) Ils (se prouver) qu’ils avaient raison pour ne pas se faire de scrupules de conscience. 4) Depuis ce jour, une lutte (s’engager) dans son coeur entre l’amour pour son père et la réprobation. 5) La fillette (s’accroupir) dans un coin. 6) Aux premiers sons de la musique les conversations (se taire). 7) Il a fait un geste trop brusque, et (s’ouvrir) la blessure. 8) Cette fois encore il (se moquer) de tout et de tous.9) Dans la colonie de vacances les enfants (se trouver) vite des amis. 10) Elle a regardé les rideaux fleuris et (s'exclamer): « Tiens, les Allemands portaient un uniforme à fleurs ! »

X. Traduisez en français en employant le lexique étudié:1) Его неотступно преследовала мысль, что он должен,

наконец, признаться в своём проступке. 2) Девочка опасалась реакции своих школьных друзей на свои слова. 3) Дома, расположенные по соседству, ещё пустовали. 4) Санитар присел возле раненого, тот был без сознания. 5) Женщина убирала квартиру, что-то напевая. 6) Глубокая пропасть преградила дорогу путникам. 7) Под покровом ночи, отряд бросился на траншеи противника. 8) Отец не выносил дерзости и дал дочери пощечину. 9) При виде забавной уличной сценки, им овладел непреодолимый приступ смеха. 10) Для разнообразия, родители повели детей в цирк. 11) Взгляд дочери был красноречив, и отец понял, что не сможет сломить её волю. 12) Закрыв дверь за последними гостями, хозяева вздохнули с облегчением. 13) Пережитые ужасы лишили его сна. 14) Трудно бороться, когда враг живёт в твоём сердце. 15) Властным тоном, он попросил, чтобы его не перебивали.

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E T U D E D U C O N T E N U

I. Dressez le plan de la nouvelle.II. Racontez brièvement le sujet de la nouvelle.III. Répondez aux questions suivantes :

1. Où et quand se déroule l’action de la nouvelle ? Confirmez-le par le texte.

2. Quelle est la nationalité du père ? De quelle guerre s’agit-il ?3. Quelle est l’attitude dans la famille envers les histoires de

guerre racontées par le père ?4. Comment l’auteur, explique-t-il son besoin de parler ?5. Quelle version de la guerre suggère-t-il à ses proches ?6. Qu’est-ce qui a fait découvrir à la fillette la vérité sur cette

guerre ? Quelle a été sa réaction ?IV. En vous basant sur le texte présentez les personnages

principaux de la nouvelle et caractérisez-les. V. Formulez le thème et l’idée principale de la nouvelle.

Trouvez dans la nouvelle la phrase qui traduit le mieux son idée.VI. Dites ce que vous-même, vous pensez des relations dans

cette famille et de cette histoire.

A DISCUTER, INFORMATIONS COCIAUX-CULTURELLES

Prenez connaissance de l’article qui suit et relevez-y le problème que l’auteur traite :

Enfants, comment concilier autorité et complicité

Fini le temps où chacun tenait son rôle dans la structure familiale bien définie. Aujourd’hui chacun tente de trouver ses propres règles dans une société dont les repères sont devenus plus flous. Entre la complicité et sévérité, le coeur des pères et des mères balance. Pendant que les jeunes manifestent plus ou moins violemment leurs besoins de limites.

Evidemment, il y a eu mai 68 et « interdiction d’interdire » et cette révolution de la pédopsychiatrie qui, enfin, a fait de l’enfant une

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personne è part entière. Un être à écouter, à accompagner, à qui expliquer les choses, la vie, les obstacles.

Pourtant – et tout le monde semble d’accord – il s’agirait probablement de réinjecter un peu d’autorité là où on a peut-être trop versé dans la seule complicité. L’adulte doit conduire le navire. C’est ce qui permet d’ailleurs à l’enfant de se sentir en sécurité. «  Certains parents ont peur de ne plus être aimés s’ils contrarient leur enfant, constate C. Olivier, psychanalyste. Or, c’est une erreur fondamentale et il faudra que les parents comprennent que l’amour comporte une part positive et une autre négative. Lorsque l’agressivité de l’enfant s’exprime, cela ne signifie pas qu’il va se mettre à détester ses parents.

N. DoulvoExprimez votre prise de position sur le problème traité par

N.Douvo. Dites si dans notre société ce problème est aussi actuel qu’en France ?

Dites si, selon vous, l’agressivité de la fillette de la nouvelle tournerait en haine contre son père ? Si c’est oui, à qui serait la faute ?

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TABLE DES MATIÈRESJ.-H. ROSNY AÎNÉ.......................................................................................3

LA LAMPE.................................................................................................3ANDRÉ MAUROIS.......................................................................................11

LE RETOUR DU PRISONNIER...................................................................11LE TESTAMENT.......................................................................................22LA CARTE POSTALE................................................................................32LA RENTRÉE...........................................................................................38MALÉDICTION DE L’OR..........................................................................46BONSOIR, CHÉRIE...................................................................................59IRÈNE......................................................................................................74NAISSANCE D’UN MAÎTRE......................................................................81L’ANGE GARDIEN...................................................................................89THANATOS PALACE HOTEL..................................................................101

MAURICE DRUON.....................................................................................120MON COMMANDANT.............................................................................120

ROMAIN GARY.........................................................................................132UN HUMANISTE.....................................................................................132J’AI SOIF D’INNOCENCE.......................................................................142

HENRI TROYAT..........................................................................................154VUE IMPRENABLE.................................................................................154

FRANÇOISE SAGAN..................................................................................166UNE NUIT DE CHIEN..............................................................................166L'ÉTANG DE SOLITUDE.........................................................................175

P. BOST....................................................................................................183UN BILLET DE TROISIÈME....................................................................183

MARIE PAGE.............................................................................................193HELLO, LE SOLEIL BRILLE, BRILLE, BRILLE!.....................................193

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