Top Banner
Intellectualisme et judaïsme : une lecture de Difficile Liberté d’Emmanuel Lévinas Communication présentée le 5 juillet 2010 Au Colloque International sur l’œuvre de Emmanuel Lévinas Lectures de Difficile Liberté A Toulouse, du 4-9juillet 2010. Par Franklin Nyamsi Agrégé de philosophie Académie de Rouen Doctorant en philosophie Université Charles de Gaulle Lille 3 [email protected] En guise d’inauguration d’un propos qui vise une entente commune, entendons-nous sommairement sur ce que visent les mots « intellectualisme » et « judaïsme » dans notre énoncé, quitte à éclairer plus tard et progressivement les obscurités que nos définitions initiales auront laissé traîner. « Intellectualisme » dans notre propos signifie croyance en la toute-puissance de l’intellect, en sa capacité d’embrasser le réel et d’en rendre absolument compte, grâce au pouvoir de pénétration des tables des catégories de la philosophie occidentale, produites depuis l’ère des présocratiques, et notamment Parménide, jusqu’à la phénoménologie husserlienne. L’intellectualisme est la confiance exacerbée en la pensée logique, dont la discipline érigée par l’Organon d’Aristote vient trouver dans les Recherches Logiques de Husserl, une ultime barricade contre le scepticisme, la rhétorique de domination, le misonéisme, et plus amplement encore, la barbarie que féconde l’ignorance à travers les siècles. Comment contester l’importance de la science et de la technique qui en découle pour la maîtrise et la possession de l’hostilité du monde naturel par l’homme ? Le « isme » d’intellectualisme est en réalité l’indice d’une crise des valeurs. Cette confiance en la puissance de la rationalité passe de l’intellectualité à 1
24

Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Mar 31, 2023

Download

Documents

Franck Varenne
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Intellectualisme et judaïsme : une lecture de DifficileLiberté d’Emmanuel Lévinas

Communication présentée le 5 juillet 2010Au Colloque International sur l’œuvre de Emmanuel Lévinas

Lectures de Difficile LibertéA Toulouse, du 4-9juillet 2010.

Par Franklin NyamsiAgrégé de philosophie

Académie de Rouen

Doctorant en philosophieUniversité Charles de Gaulle Lille 3

[email protected]

En guise d’inauguration d’un propos qui vise une ententecommune, entendons-nous sommairement sur ce que visent les mots« intellectualisme » et « judaïsme » dans notre énoncé, quitteà éclairer plus tard et progressivement les obscurités que nosdéfinitions initiales auront laissé traîner.« Intellectualisme » dans notre propos signifie croyance en latoute-puissance de l’intellect, en sa capacité d’embrasser leréel et d’en rendre absolument compte, grâce au pouvoir depénétration des tables des catégories de la philosophieoccidentale, produites depuis l’ère des présocratiques, etnotamment Parménide, jusqu’à la phénoménologie husserlienne.L’intellectualisme est la confiance exacerbée en la penséelogique, dont la discipline érigée par l’Organon d’Aristotevient trouver dans les Recherches Logiques de Husserl, une ultimebarricade contre le scepticisme, la rhétorique de domination,le misonéisme, et plus amplement encore, la barbarie queféconde l’ignorance à travers les siècles. Comment contesterl’importance de la science et de la technique qui en découlepour la maîtrise et la possession de l’hostilité du mondenaturel par l’homme ? Le « isme » d’intellectualisme est enréalité l’indice d’une crise des valeurs. Cette confiance en lapuissance de la rationalité passe de l’intellectualité à

1

Page 2: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

l’intellectualisme, s’exacerbe donc, quand justement le savoirconquis par l’activité intellectuelle devient la source ultimedes valeurs, faisant de la logique ou science de l’intellectpur, la philosophie première. Mais un excès négatif n’enappelle t-il pas par rétroaction ou contrecoup, un excès denature opposée ?

A la métaphore de la plaine rase de l’intellect balayantet éclairant de sa lumière objectivante tous les horizons duréel ou infini quantitatif, va répondre la métaphore d’unemontagne dont les sommets se perdent dans les nuages, celle dela relation au Transcendant ou à l’Infini qualitatif. Face aucontinent de l’intellect hérité des grecs, où l’adéquationentre la pensée et l’être se donne dans le concept clair etdistinct, répond dans notre thème la tradition multimillénairedu judaïsme, que nous pouvons saisir comme religion du DieuUnique, révélée dans la Thora, reprise dans la tradition de laMichna et de la Guémarah, dans la mystique de la Kabbale etdes exégèses rabbiniques qui constituent et suivent le Talmud.Or le cœur de la Thora est la révélation du Dieu Unique, Très-Haut inaccessible au concept, dont les modalités de relationavec la subjectivité se limitent aux bornes de l’inspiration etdu commandement. La connaissance de la Thora se veut initiationà la proximité de l’Unique, alors que la philosophie grecquesemble culminer dans la consécration de l’équivalence noèse -noème dans l’évidence donatrice originaire.

Peut-on donc être à la fois grec et juif  de culture? Nousen venons peut-être ainsi à questionner proprement l’œuvre quinous réunit en ces lieux. Difficile Liberté n’est-il pas par essenceune œuvre difficile, puisque justement attachée à faire sensentre deux logiques de pensée et d’action qui semblentdichotomiques ? Comment concilier dans une seule et même œuvrel’exigence de discuter pied à pied avec tous les intellectuels-de questionner et répondre au rationalisme de toutes lesépoques- et celle de faire vibrer le souffle prophétique d’unjudaïsme – le plus ancien des monothéismes- reprenant force etvigueur aux lendemains de la Shoah ? Telle est la questiongénérale qui justifie notre tentative de lire Difficile Liberté,comme une œuvre de synthèse des deux alluvions essentiels de lapensée d’Emmanuel Lévinas : d’une part, la religion juive etpar extension la pensée juive, d’autre part la pensée

2

Page 3: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

occidentale et par extension, la philosophie grecque et lechristianisme qui la structurent. I) Il s’agit de montrercomment sans tomber dans les travers de l’intellectualismeaveugle qui aboutit à l’égologie, à l’athéisme et à l’égoïsmedu Moi connaissant, Lévinas ne quitte jamais le terrainintellectuel, alors même que paradoxalement, son geste premierfut de contester le primat du savoir dans l’ordre humain –primat que Lévinas ramène dès De l’évasion, à « l’enchaînement dumoi à soi »1. II) Il s’agit dans un second moment de montrercomment Difficile Liberté tresse ensemble l’exigence du prophétiqueet l’exigence du raisonnable, faisant justement del’intelligence, une ascension vers l’au-delà de l’être, unemarche forcée vers la sagesse de l’Infini, qui brise et dépassela totalité. III) Il s’agit enfin pour nous de nous interrogersur la signification des sacrifices que Lévinas opère d’unepart, envers les obscurités du judaïsme et d’autre part, enversles obscurités de l’intellectualisme.

On aboutit alors à quelque chose comme une intellectualitéjuive, ou pour le dire autrement, une philosophie occidentaleenfin inspirée par l’éthique, promue par la force de ladescription méta-phénoménologique lévinassienne comme étant lavéritable philosophie première. Cet exposé souhaite décrire cestrois démarches. Paradoxalement, si la religion entendue commesens éthique est l’intuition fondamentale de l’ordre humain, etsi le judaïsme est la religion qui l’exprime dans sa plusstricte radicalité d’observance, est-ce exagéré de dire que lejudaïsme est l’expérience méta-philosophique ou méta-phénoménologique dont les sociétés intelligentes de notresiècle doivent s’inspirer pour bâtir des civilisations surautre chose que l’hypocrisie et la bien-pensance ? Commentcomprendre autrement l’affirmation lévinassienne selon laquelle« L’appartenance au judaïsme suppose le rite et la science »2 ?En quelque sorte, nous voulons penser ici le « et » qui unit lerite et la science. Un « et » qui renvoie sans conteste3 chez

1 Lévinas, E., De l’évasion (1935), Paris, Fata Morgana, 1982, p.992 Idem, Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Paris, Albin Michel, 1963 et 1976, p.193 Lévinas le dit hardiment quand il indique, au sortir de son article« Hegel et les juifs » : « A moins que, devant les évidentes divagationsauxquelles, au nom de ses schémas sublimes, se livre celui qui estprobablement le plus grand penseur de tous les temps, on ne se demande sile langage n’a pas un autre secret que celui que lui apporte la tradition

3

Page 4: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Lévinas, à la hauteur irréductible de l’Infini qualitatif mimépar le rite par rapport à l’horizontalité de l’infiniquantitatif mimé par la science.

I. L’anti-intellectualisme tempéré de Lévinas

Pour comprendre ce que l’anti-intellectualisme de Lévinassignifie, il convient de nous rappeler pourquoi Lévinasécrit les textes rassemblés sous le titre Difficile Liberté.L’objectif de cette œuvre de Lévinas est de dire à quellecondition, voire dans quelle incondition une liberté proprementhumaine est possible. On sait que dès Le Temps et l’Autre, Lévinasa pris ses distances avec les définitions spontanéistes dela liberté. La liberté qui consiste à faire ce que l’on veutfaire et ce que l’on peut faire n’est qu’une libertéontologique. Le sujet y demeure enchaîné à soi. Lévinasnous y explique déjà qu’ « un être libre n’est déjà pluslibre parce qu’il est responsable de lui-même. »4 Si laliberté ontologique n’est que l’illusion de l’esclaveenchaîné dont on allonge la chaîne pour lui faire croirequ’il est libre, la véritable liberté est éthique. Ellesuppose cette sortie de soi, cette relation métaphysique ouDésir que Lévinas thématise dès Le temps et l’autre comme sortiede la prison de la matérialité du moi, à travers l’éros, leféminin, la fécondité, la paternité et la filialité quiconstituent les catégories concrètes de la fraternitéhumaine ou du rapport à l’Autre.

grecque – et une autre source de sens ; si les prétendues« représentations » - soi-disant « non pensées »- de la Bible ne comportentpas plus de possibles que la philosophie qui les « rationalise », mais nesaurait les mettre en congé ; si le sens ne tient pas aux Ecritures qui lerenouvellent ; si la pensée absolue est capable d’engendrer Moïse et lesprophètes ; c’est-à-dire s’il ne convient pas de sortir du Système, fût-ceà reculons, par la porte même par laquelle Hegel pense qu’on y entre. »Idem, op. cit., p.3574 Lévinas, E., Le temps et l’autre, Paris, P.U.F., 1983, p.36

4

Page 5: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Or très tôt, étudiant chez Husserl et chez Heidegger,Lévinas avait cerné la difficulté d’accomplir un tel projetdans une philosophie qui accorde au savoir ou à l’être leprimat dans l’ordre humain, parce que là où règne le savoir,s’opère sans fin la réduction de l’in- connu au connu, etpar extension la réduction de l’Autre au Même. De même, làoù règne l’être dont le savoir est la promesse derécapitulation, se prépare la dictature paganique del’anonyme, des dieux obscurs du Lieu. La thèse de Lévinas en1930, dans La théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, estainsi entièrement construite sur une critique du rôle queHusserl fait jouer à la représentation théorique dans laconstitution de l’objectivité, des valeurs, mais aussid’autrui. Voyons comment procède cette critique, pourcomprendre pourquoi pour Lévinas «  Le judaïsme se sent trèsproche de l’Occident, je veux dire de la philosophie ».5 Onverra alors comment la proximité du judaïsme avec l’Occidentse révèle à la fois laudative et critique, critique sanscesser d’être à certains égards laudative.

La philosophie pour Husserl commence par la suspension del’attitude naturelle, l’épochê. Or cette attitude naturelle estmalgré tout celle des intuitions sensible, catégoriale, etéidétique. Elles sont toutes marquées par le dogme del’existence présupposée du monde. La critique du naturalisme,menée contre les prétentions exorbitantes sciences de la natureet contre la psychologie naturaliste, a donc besoin d’êtreradicalisée pour que le geste philosophique husserlien nousrévèle toute sa richesse, et peut-être aussi toute saprétention. Sur la naïveté de l’attitude naturelle, on a assezmontré qu’  « elle n’est pas la suite de telle ou telleimperfection de la nature empirique de l’homme, elle estessentiellement inhérente à toute pensée se dirigeant sur lesobjets. »6L’effet de recouvrement de l’attitude naturelle surle sens d’être de la vie est tel que même dans les intuitionscatégoriale et éidétique, elle jette son ombre menteuse. Quelleattitude adopter alors envers l’être pour en révéler toute laforce de nouveauté, pour se connecter à sa source de purjaillissement ? Husserl s’attache à montrer que « l’attitude

5 Idem, Difficile liberté, op. cit. p. 336 Idem, Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, Paris, Vrin, 1930, Ed.2001, p. 175, référence aux Ideen §§ 52-53.

5

Page 6: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

première et fondamentale en face du réel, est une attitudedésintéressée, une pure contemplation, une contemplation quienvisage les choses comme simplement choses ».7Mais, est-cediable aussi simple que cela de regarder les choses avecdésintéressement ? La posture contemplative du philosophe,faite de mise en parenthèses successives et d’ampleurprogressive du monde, est-elle vraiment notre attitude premièrede sujets concrets ou est-ce le résultat d’un travail sur soi-même, où l’expérience philosophique acquiert le statut devaleur existentielle ? Et ce travail sur soi-même qui permet lapratique de l’époché et du désintéressement, n’est-il pasactivé par la médiation de l’enseignement d’autrui ?

En réalité pour Levinas, la démarche de Husserl dans lesIdeen (§§ 130, 141, 155, 37,156, 147), et dans les LogischeUntersuchungen (§§ 110, 10), consiste à attribuer à laréflexion une valeur axiologique capitale en vertu même de salégitimité logique et ontologique. Si pour Husserl, tous lesactes de l’existence portent comme présupposition une attitudethéorétique qu’il nomme thèse doxique - ou acte de poser, actequi pose l’objet comme existant-, c’est parce que la réflexionest l’œuvre même du temps immanent à la subjectivité. Laréflexion, que Husserl appelle encore l’intuition immanente estlégitime, contre le scepticisme, au nom du caractèrecontradictoire de ce dernier. Si l’on affirmait, en effet quecertains actes de la conscience échappent à la réflexion, onnierait ce qu’on affirme, puisque cette prétendue activité pré-réflexive n’est invoquée que dans et par la réflexion. Dire enoutre que la réflexion modifie la vie spontanée, c’estprétendre connaître quelque chose de cette vie, et doncréfléchir encore sur elle, attester de la prééminenceontologique de la réflexion par conséquent. La valeur même dela réflexion, comme expérience décisive de la subjectivité,s’impose dans le fait qu’elle ne peut s’empêcher de direquelque chose d’elle-même.

Mieux encore, une critique de la réflexion par elle-mêmeest bien possible, qui montrerait que ses dimensionsirréductibles sont le passé, le présent et l’avenir : « laconscience, dans la mesure où elle existe et dure, ne peut nicommencer, ni finir. Chaque instant du temps a besoin du passé

7 Idem, op. cit. p. 184.

6

Page 7: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

où il disparaît, et de l’avenir, où il émerge .»8Husserl neflaire même pas ici que la réflexion, qui se livre dans laproposition, est foncièrement la mise en œuvre de lasubjectivité comme témoignage, dans la socialité du langage. Dela sorte , nous nous trouvons avec Husserl dans une inversionde l’ordre d’exposition par rapport à celui de la découverte.L’exposition de l’expérience de la conscience va de l’attitudenaturelle à l’attitude théorétique. Mais l’ordre de ladécouverte de la subjectivité va de l’attitude théorétique, quiacquiert une dignité hiérarchique évidente sur toutes lesautres, au monde de la vie naturelle. L’intuition philosophiqueest ainsi la distinction radicale établie entre la consciencepsychologique et la conscience phénoménologique, celle-ci ayantprimauté sur celle-là, qu’elle éclaire et constitue. Laréduction phénoménologique, à distinguer de la réductionéidétique qui demeurait dans l’attitude naturelle, estprécisément ce passage du psychologique auphénoménologique : « Loin d’être une attitude provisoire, ellea une valeur absolue pour Husserl, qui veut remonter à l’êtreabsolu, à la source de tout être, qu’est la vie. »9Husserltente ainsi de livrer la vie à la contemplation d’un moi quin’y participe pas.

La vie, toute la vie, peut-elle être mise en face par lesujet ? Peut-il vraiment la suspendre et en faire un purphénomène ?La hantise de la possibilité esquissée par Husserl,d’une conscience sans monde, ne se fait-elle pas pluslancinante au cœur de la réduction phénoménologique ? Leshorizons insondables de la jouissance que signe la non-intentionnalité du sentir pur, du temps immanent, ne nousindiquent t-ils pas déjà que la vie nous vient de très loin ?Le désaccord de Levinas se fait résolument jour. Une analyse duconcept de vie chez Husserl, si récurrent dans Les LogischeUntersuchungen et les Ideen(§§279, 317), nous le montre comme uneréalité que la réflexion philosophique doit neutraliser, pourqu’elle ne parasite pas, par les interférences intéressées dela participation, de la vie pratique, l’expériencedésintéressée de l’intuition philosophique que nous proposeHusserl comme axe de l’existence humaine. La vie est saisiechez lui, mais négativement, dans un concept repoussoir. Or,

8 Idem, op. cit. p. 203.9 Idem, op .cit. p. 213.

7

Page 8: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

objection d’importance : « la vie concrète n’est pas la viesolipsiste d’une conscience enfermée sur elle-même ; l’êtreconcret n’est pas ce qui existe pour une seule conscience. Dansl’idée même d’être concret, est contenue l’idée d’un mondeintersubjectif. »10.

La pluralité des consciences vient jeter comme un pavédans la mare de la réduction phénoménologique, rendantnécessaire l’articulation de celle-ci à une réductionintersubjective. Ainsi l’ego, n’étant pas seul, étant l’alterego d’un autre ego, ne constitue le monde que dans l’inter-esse dela vie communautaire, fût-elle thématisée plus tard commeintersubjectivité monadologique, communauté a priori des sujetsqui ont en partage la conscience transcendantale. Ce problèmede l’Einfühlung occupe Husserl dès les Ideen II, et reviendra sanscesse. Car malgré les efforts de Husserl, « la philosophieparaît aussi indépendante de la situation concrète de l’homme,que la théorie cherchant à tout considérer toute chose subspecie aeternitatis ».11Husserl, selon Levinas, rate ainsi très tôt, -mais l’auscultation de son œuvre publiée à ce jour nous dira sic’est définitivement vrai- le caractère historique essentiel àla vie humaine, ce phénomène sui generis qui fait lapersonnalité dans l’unicité de son histoire. La vie se joueraiten effet entre le travail profond et immémorial du tempsimmanent de la conscience, et l’effort de l’individualité deforger son destin en destinée, dans l’histoire, c’est-à-dire lasocialité. Mieux, on peut légitimement pressentir que le sujetne peut venir à soi que sous l’interpellation langagière desautres qui l’invite à témoigner de lui-même, à prendreconscience de lui-même avec et parmi les autres, quiparticipent avec lui de la constitution même de touteobjectivité.

En définitive, la théorie de l’intuition de 1930 annonce les grandsaxes de la critique lévinassienne contre Husserl. Il y pointedu doigt, trois problèmes que l’œuvre de Husserl à cette datetraîne comme des boulets à ses pieds : le problème de lasensation, sur lequel Husserl ne se prononce pas clairement,puisqu’elle signe l’une des limites du conceptd’intentionnalité et s’enracine dans les profondeursinobjectivables de la jouissance de la vie ; le problème du

10 Idem, op. cit. p. 21511 Idem, op. cit. p. 220

8

Page 9: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

temps immanent, qui renvoie à l’œuvre d’une conscience absoluedont le mode d’être diachronique, fait de retrait derrière cequ’elle donne, n’est pas pris en charge par Husserl commealtérité12 constitutive de la conscience ; enfin, lié à cettefugacité du temps immanent, le problème de l’intersubjectivitéet de l’historicité de la vie, où la tentation solipsiste de lapensée husserlienne suscite de légitimes inquiétudes, ententant de donner via le primat de la représentation théoriquesur toutes les autres, une nouvelle version du projet detotalité exprimé dans la quête leibnizienne d’une mathèsisuniversalis qui nous serve de philosophia perennis. Dès lors donc quel’intellectualisme est égologique, s’ensuit-il par voie deconséquence que Lévinas se méfie de toute exigenceintellectuelle ? Ce serait rater le sens de Difficile Liberté que dele dire. Nous pensons bien plutôt que Lévinas va à la foisconserver la philosophie en ce qu’elle a d’effort derationalité pour la maîtrise humaine du réel, sans laquelle lamatérialité du pain, la vie ici-bas et la justice ne seraientpoint assurées ; mais aussi va s’employer à excéder ce plan oùla rationalité desséchée des sciences et de la philosophielogiciste13 pour l’inverser en philosophie dialogique, à partird’une entente du monothéisme en général et du judaïsme enparticulier comme ce qui « oblige autrui à entrer dans le discours qui val’unir à moi ».14

II L’intellectualisme sublimé par l’éthique,ou l’essence du messianisme juif : les débordementslévinassiens

12 Rudolf Bernet aborde frontalement cette question de la transcendance àsoi dans son ouvrage La vie du sujet. Recherches sur l’interprétation de Husserl dans laphénoménologie, Epiméthée, PUF, 1994. Sa thèse est que de nombreux lecteursde Husserl ont raté cette diachronie originaire du sujet husserlien, qui enferait dès l’origine, un être incurvé par la présence de la transcendancedans son immanence même. Ainsi, selon Rudolf Bernet : « Husserl a mené lamétaphysique de la présence jusqu’à son éclatement »( p. 64). Telle n’estjustement pas la conviction du jeune Levinas lisant Husserl dans sa Théoriede 1930. Pour Lévinas, c’est malgré lui, c’est-à-dire à cause despossibilités insoupçonnées de sa pensée, que Husserl a conduit lamétaphysique à son éclatement.13 La référence de Lévinas à l’ouvrage Logique de la philosophie d’Eric Weil n’estpas ici innocente14 Lévinas, E., Difficile liberté, in « Monothéisme et langage », p. 268-269

9

Page 10: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Dans trois directions convergentes et concomitantes dansDifficile Liberté, Lévinas va s’efforcer de déborderl’intellectualisme husserlien, qu’il considère du reste commeemblème de la philosophie occidentale et de l’occidentalité15 -elle-même saisie comme civilisation convaincue du rôleprépondérant de la rationalité pure et confortée dans sonaisance par la mondialisation du christianisme. Ces troisdirections sont, pour moi, la direction méthodologique, ladirection critique et la direction prophétique. Chacuneentraînant tour à tour les autres vers sa spécificité. Jamaisl’une sans les autres, car comme le dit l’auteur, il y a dansla quête de la liberté éthique qui constitue l’esse,« Subordination de toutes les relations possibles entre Dieu etles hommes : rédemption, révélation, création – à l’institutiond’une société où la justice au lieu de rester une aspiration dela piété individuelle est assez forte pour s’étendre à tous etpour se réaliser. »16

II. 1 Méthode17 : de la donation apodictique à l’excession

La première ligne de débordement est méthodologique,puisque Lévinas, par les pratiques de l’emphase, de laconcrétisation et de l’excès, va pousser la philosophieoccidentale jusqu’en sa présupposition éthique fondamentale. Lelogique que Husserl intronise après Hegel au sommet de toutesles sciences et par extension, au sommet de toutes lescultures, est avant tout Logos, Parole. Et allant plus loin,Lévinas va montrer que toute parole étant portée et transmisepar quelqu’un, rien d’humain n’échappe au face-à-face originelde l’éthique. Toute théorie de la signification aboutitnécessairement à la primauté du dialogique, car c’est quand jeparle à quelqu’un que commence l’aventure du savoir, dans la15 «  Que la vie spirituelle soit une vie sans égoïsme – l’égoïsme fût-il l’aspiration au salut – voilà d’après Brunschvicg l’enseignement de l’Occident. » Idem, op. cit., in « Etre occidental », p. 8116 Idem, op. cit., in « Une religion d’adultes », p. 4217 Rodolphe Calin insiste sur la méthode lévinassienne dans son ouvrage Lévinas et l’exception du soi, Paris, P.U.F., 2005, p. 42. Calin observe ainsi que :«  […] Lévinas […] va même jusqu’à revendiquer le privilège d’une méthodologie philosophique affranchie de la phénoménologie descriptive ». Quant à lui, Didier Franck dira qu’ « une telle méthode déborde le cadre strict de la phénoménologie descriptive tout en y prenant appui. » in Dramatique des phénomènes, Paris, P.U.F., 2001, p.93

10

Page 11: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

justice du dire à quelqu’un, dans la sincérité qui estjustement responsabilité pour autrui. Etre moi, c’est doncrépondre à quelqu’un parce qu’originellement, je réponds dequelqu’un. Et dans cette ligne de débordement méta-ontologique,toujours ce dépassement dans la reconnaissance et laconservation d’une allégeance d’étape envers la phénoménologiehusserlienne qui est traitée comme disant plus qu’elle ne veutdire :

« Husserl aura apporté à la philosophie une méthode. Elleconsiste à respecter les intentions qui animent le psychique etles modalités de l’apparaître, conformes à ces intentions, quicaractérisent les divers êtres appréhendés par l’expérience ; àdécouvrir les horizons insoupçonnés où se situe le réel ainsiappréhendé par la pensée représentative, mais aussi par la vieconcrète, pré-prédicative, à partir du corps (innocemment), àpartir de la culture (moins innocemment peut-être). Tendre lesmains, tourner la tête, parler une langue, être lasédimentation d’une histoire – tout cela conditionnetranscendantalement la contemplation et le contemplé. En montrantque la conscience et l’être représenté émergent d’un« contexte » non représentatif, Husserl aura contesté que lelieu de la Vérité soit dans la Représentation. »18

L’excession est la démarche même par laquelle Lévinasprolonge les lignes de la philosophie de Husserl – derniergrand geste totalisateur de la pensée occidentale- jusqu’àexcéder ses propres possibilités. Excession, ou processus quiavance par sublimation, par insistance sur l’anodin qui signalela proximité de l’Autre dans le silence bruissant de l’être.Excession, c’est-à-dire passage du visible de la lumière créée(lumen latine) de l’ego cogito à l’invisible de la lumièreincréée du Très-Haut (Lux latine) dont le prochain nous révèlel’étrange proximité. Et c’est ainsi de l’intérieur même de latradition occidentale que Lévinas établira le site derespectabilité de sa propre philosophie, comme s’il s’agissaitde reconquérir des droits que des siècles d’anti-sémitisme, derationalisme, de naturalisme, de nationalisme et d’arrogancechristianisante avaient provisoirement occultés.

18 Lévinas, Difficile liberté, p.434

11

Page 12: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

II. 2 Travail d’exégèse critique de la traditionoccidentale

La deuxième ligne de débordement est critique, puisqueLévinas va au ras des textes de la philosophie occidentale,mais aussi du christianisme pour y trouver des aveux d’un au-delà de l’être, d’un Bien ou d’un Infini qui échappe par sabonté première, à toute réduction au noème. Ainsi, Lévinas19

révèle t-il en relisant notamment Platon, Descartes20, Hegel21,Husserl22 et Heidegger que la philosophie occidentale elle-mêmese contredit quand d’une part elle affirme que la vérité selivre dans la correspondance égalisatrice du A=A, dans latautologie de l’évidence apodictique originaire où la noèsecorrespond au noème ; mais d’autre part la même philosophieavoue qu’il existe « Un Bien qui est au-delà de l’être »(Platon, République), une idée d’Infini que le sujet trouve enlui sans l’avoir lui-même forgée (Descartes), une Urimpression dutemps pur transcendant sensible au cœur de l’immanence du sujetégologique ( Husserl), un dialogue au cœur du penser de l’être(Heidegger), toutes excroissances où le Même s’avoue dévoué àl’Autre. L’idée d’une science de l’expérience de la consciencen’épuise pas l’hyper-expérience ou expérience de l’absolumentAutre qui instaure la conscience elle-même comme « extrêmeconscience », malgré les oublis de redevance dont elle estcapable, sous les modalités de l’athéisme. Etre moi, c’estencore ici répondre de et répondre à, avoir sa source dansl’ordre de l’éthique.

19 Dans Totalité et Infini, Lévinas tranchera que «  La compréhension de l’être engénéral ne peut pas dominer la relation avec autrui. », p. 3920 Notamment la troisième méditation métaphysique, où l’Infini conserve toute son extériorité par rapport à la pensée de l’ego cogito qui le pense.21 « Le système hégélien représente l’aboutissement de la pensée et de l’histoire de l’Occident, entendues comme retournement d’un destin en liberté, la Raison pénétrant toute réalité ou apparaissant en elle. Entreprise inouïe ! La pensée universelle ne doit plus se séparer – dans latête de quelques intellectuels- de l’individuel qu’elle rend intelligible »22 La critique de l’intellectualisme husserlien s’étant, comme on l’a vu, focalisée sur le temps, la sensibilité, la constitution de l’altérité, l’objectivité, la signification en général. Ernst Wolf donne une bonne synthèse de la lecture lévinassienne de Husserl dans son article « Lévinas lecteur de Husserl », in Studia Universitatis Babes-Bolyai, Philosophia, LI, 2, 2006, p.127-144.

12

Page 13: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

II.3 Radicalisme prophétique ou philosophie du judaïsme

La troisième ligne de débordement est prophétique, quandLévinas montre que l’essence de la religion – qu’il entendauthentiquement comme relation à l’Un qui est Unique,monothéisme- se recoupe par le sommet avec le fondement éthiquede la philosophie, et par extension, de la culture ou del’ordre symbolique de l’humain. L’essence de la religion peuts’exprimer sous sa forme la plus générale et la plus généreusede relation à Autrui, dans une communauté de vues judéo-chrétiennes, sans craindre de se dévoyer. Mais Lévinass’efforce de montrer, à la suite des grands philosophes juifsqui l’ont précédé, qu’il y a quelque chose de non-négociabledans le message d’Israël, maintenant que « l’anthroposthéoréticos », mais aussi l’homo christianus ont cessé debriller de tous les éclats du siècle, au mur de honte de lahaine de l’Autre homme en Occident. Le prophétisme, c’est unautre rapport au temps, à l’être et à l’existence que celuiinduit par les philosophies ontologiques. Le prophète annoncel’avenir, non pas comme que excroissance du présent, non pascomme une projection des possibles issus du maintenant et del’hier, mais comme un avènement qui perturbe, déchireapocalyptiquement le présent à partir du non-lieu, de l’utopiedont il provient. De telle sorte que pour comprendre laphilosophie prophétique, il faut posséder la notion du tempspropre au judaïsme, et qui consiste à penser le présent enfonction de l’avenir et non l’avenir en fonction du présent,dans une inversion qui rappelle exactement la charge qui senoue quand le moi fait face à la hauteur du visage de l’Autre.Stéphane Mosès a excellemment montré dans L’Ange de l’histoire23 laressemblance caractéristique de trois penseurs juifs qui nefurent pas sans influence sur Lévinas : Rosenzweig, Benjamin etScholem. 23 Mosès, Stéphane, L’Ange de l’Histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem, Paris,Gallimard, 2006, p.28, observe: « Il s’agit, chez tous les trois, d’unecritique radicale de la Raison historique et de ses axiomes, à savoir :l’idée de continuité, l’idée de causalité et l’idée de progrès. A la visionoptimiste d’une histoire conçue comme une marche permanente versl’accomplissement final de l’humanité, ils opposent, chacun selon samodalité propre, l’idée d’une histoire discontinue, dont les différentsmoments ne se laissent pas totaliser, et dont les crises, les ruptures etles déchirements sont plus significatifs – et sans doute plus prometteurs-que son apparente homogénéité. »

13

Page 14: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

Dans L’Etoile de la Rédemption, le premier thématise à partir dela critique de la conception moderne du temps comme suitelinéaire et ininterrompue d’événements historiques enchaînésdans une causalité, une autre entente du temps comme porteur depossibilités de rédemption, dès lors que le sujet humain qui ena compris la teneur, imite par sa créativité, la contractioncréatrice qui fut le geste même de Dieu. Ainsi est brisée latotalité du temps, par l’érection du sens de la transcendancedans la subjectivité protestante :

« A la place de la totalisation des éléments, qui seproduit sous le regard synoptique du philosophe, Rosenzweigdécouvre la mise en mouvement du temps lui-même, de la vie. […]La religion, avant d’être une confession, est la pulsation mêmede la vie où Dieu entre en rapport avec l’homme, et l’hommeavec le monde. Religion, comme la trame de l’être, antérieure àla totalité du philosophe. »24

Le même Rosenzweig propose du coup un partage des tâcheset des domaines entre le christianisme, dont l’expansionséculaire signale une religion de l’horizontalité humaine, etle judaïsme, religion de la verticalité où l’exigence desainteté conserve la radicalité de l’attente du Messie quitrace l’aire éternellement inquiète25 du temps juif. ChezWalter Benjamin, dont les écrits sur l’histoire retiennentl’attention de Moses, est analysée une possibilité decomprendre l’écriture de l’histoire comme expression destensions présentes de la subjectivité. Comment ? En posant quec’est l’attente d’un changement radical, pouvant survenir àtout moment, qui explique toute volonté sérieuse de comprendrele passé. L’histoire n’est donc jamais la reconstitution exactedu passé, mais le renouvellement de l’espérance au cœur dutemps objectif. Voilà à quel titre la notion d’utopieintéressera Benjamin, qui verra dans le concret de l’expériencesocialiste, un vécu original. Enfin Scholem s’interroge quant àlui sur le sort de la langue de la révélation, l’hébreu, dansla dynamique de sécularisation qui s’en est emparée avec lacréation de l’Etat moderne d’Israël au XXème siècle. PourScholem, une langue prophétique utilisée comme langue profane24 Lévinas, E., « Entre deux-mondes » in Difficile liberté, op. cit., p. 28425 Au sens où comme le dit Moses commentant Rosenzweig : « L’attente de la Rédemption s’opposera donc à l’utopie comme l’espoir de voir surgir soudainun monde radicalement nouveau s’oppose au lent cheminement sur la route fastidieuse du temps. » Moses, op. cit., p. 114

14

Page 15: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

demeure prophétique, en dessous, à travers et au-delà de sonusage sécularisé. Scholem craint ainsi le jour la langued’Israël réveillera les dynamites sous-jacentes à son histoiresacrée, au détriment de ceux-là même qui veulent la parler sansle souci de son enracinement dans la célébration dumonothéisme. Cette philosophie juive qui frappe si bienHillary Putnam26, se focalise donc sur un point essentiel : larelation métaphysique ou le rapport d’homme à homme :

« Car le juif, et c’est peut-être l’une de sesdéfinitions, est l’homme que les soucis et les luttes du momentlaissent à tout instant disponible pour un dialogue sur leshauteurs, c’est-à-dire pour la parole d’homme à homme. Maissurtout, le juif est celui pour qui le dialogue sur leshauteurs a au moins la même importance déterminante que lesluttes et les soucis de l’heure. »27

Mais de quel judaïsme nous parle donc Lévinas ? Tous lescourants du judaïsme peuvent-ils se reconnaître dans cetteapproche sensée du religieux comme Dire supérieur à l’être,mais en même temps Dire qui fond sur l’être pour le dire, pourrendre possible une vie raisonnable et rationnelle dansl’économie de l’être ? Il nous reste à avoir comment Lévinas sedébarrasse en réalité à la fois des excès du judaïsme et desexcès du rationalisme, pour nous proposer une intellectualitéinspirée que nous appellerons philosophie prophétique ou« éthique comme philosophie première ».

III. La philosophie prophétique ou l’intellectualitéinspirée du judaïsme

Lévinas rejette en réalité deux formes différentesd’irrationalisme. L’une est liée aux excès du rationalisme etde la philosophie de l’être en général, entendu que Lévinas lesregroupe toutes sous le thème des philosophies du Même. C’estelle qu’il a critiquée très tôt, dans sa Théorie de l’intuition de1930, dans sa lecture critique de Hegel, de Husserl, Heidegger,par plusieurs fois. Cette philosophie a tellement l’absolumentAutre en horreur qu’elle attribue – selon le geste barbare

26 Putnam, Hillary, Jewish Philosophy as a Guide to Life. Rosenzweig, Buber, Levinas, Wittgenstein, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press, 200827 Idem, p. 270, in « Monothéisme et langage ».

15

Page 16: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

qu’avait bien décrit Lévi-Strauss- l’horreur à tout ce quiconnote justement l’altérité absolue. Ainsi Lévinas sescandalise quand analysant la conception hégélienne dujudaïsme, il découvre le cynisme avec lequel le philosophe del’Absolu du Savoir décrit l’exception juive comme horreur28

résistant au procès totalisateur de la Raison universelle enmarche dans l’Histoire.

III. 1 Similarités entre philosophie grecque et judaïsme : undialogue infini des esprits29

Nous avons suffisamment insisté sur la critique del’irrationalisme du rationalisme, que Lévinas désigne comme« l’orgueil luciférien de la raison »30, dans les partiesprécédentes de la présente étude. Parlons donc à présent de lacritique lévinassienne de l’irrationalisme dans le judaïsme quipermet à Lévinas de rapprocher précisément le judaïsme de latradition philosophique occidentale, sans toutefois entièrementles confondre. Plusieurs indications de Difficile Liberté laissent àpenser en effet que Lévinas est nettement méfiant enverscertains courants de la religion juive, notamment autour dunoyau hassidique que Lévinas soupçonne et épure de toutenfermement dans le numineux, l’enthousiasme et le mysticismeobscurantiste, figures de la dérive irrationaliste dans ledomaine religieux. Ainsi Lévinas prévient-il chrétiens et juifsmystiques quand il soutient que :

« On peut être juif sans les saints. Hassidisme et kabbalen’ont droit de cité dans l’âme juive que si elle est pleine descience talmudique. […] Inévitablement un spiritualisme del’Irrationnel est une contradiction. » 31

Le culte chrétien des saints paraît constituer pourLévinas un atavisme des religions claniques et ancestrales.Cette obsession de la médiation des liens du sang et du sol28 Lévinas, op. cit., « Hegel et les Juifs », p.354-35529 Lévinas met justement en exergue à l’entrée de ses « Textes messianiques », un extrait du Traité Synhedrin, 34a qui dit : « …D’un seul verset se lèveront des sens multiples… ». Voir Difficile Liberté, op. cit., p.9330 Idem, op. cit., in « Une religion d’adultes » , p.3331 Idem, op. cit., in « Ethique et esprit », p.21-23

16

Page 17: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

dans le rapport au sacré témoigne pour le judaïsme d’undécalage par rapport à l’exigence transcendante de la relationmétaphysique ou de la proximité de l’Unique qui se rappelle ànous dans le visage d’autrui. Mais plus loin que les rémanencesidolâtriques du christianisme, Lévinas balaie à la porte dujudaïsme lui-même. Ainsi, il y a pour Lévinas certaines formesdu hassidisme et de la mystique juive qui ne devraient pasavoir accès à une âme juive authentique, puisqu’ellesreconduisent à cette idolâtrie pour laquelle le judaïsmerevendique une irréductible allergie. Lévinas adhère ainsiexplicitement à une « religion d’adultes », c’est-à-dire oùjamais ne s’abdique le sens critique et le devoir d’assumerpour soi-même avec les autres, l’autonomie de la raison. Contreune religion qui s’assiérait sur le pouvoir des miracles,Lévinas affirme clairement que la spiritualisation véritabled’une religion consiste à interpréter ses expériences comme des« rapports entre intelligences, rapports situés dans le pleinjour de la conscience et du discours. »32

Lévinas récuse ainsi toute entente de la religion juivequi exclurait l’arbitrage de la raison argumentative etcritique, vigilante et sincère, qui se déploie autant dansl’interprétation de la Thora que dans celle des doctrinesphilosophiques. On en vient ainsi à comprendre le lien intime- de véri-diction ou de juri-diction- qui lie la penséejudaïque selon Lévinas et la tradition philosophique grecquequi, dans sa signification première, des présocratiques àSocrate, est amour de la sagesse, recherche rationnelle d’uneéthique donnant sens et orientation à la vie humaine, avantmême de se définir comme passion de connaître pour connaîtresous la plume de l’encyclopédique Aristote. Dans la traditionde l’interprétation talmudique de la Thora comme enphilosophie, les questions importent davantage que lesréponses. Toute réponse n’est que l’apaisement provisoire d’unequestion, qui sans cesse rebondit dans les allées et venues dudialogue infini des intelligences. Le doute, que Lévinasdébusquera au cœur des philosophies les plus systématiques quisoient, s’autorisant ainsi à les renvoyer au Dire immémoriald’avant leur Dit, a comme écho le doute si cher aux Maîtres duTalmud, et qui fait de la Thora l’expériencetransgénérationnelle et intergénérationnelle de l’enseignement

32 Idem, p.22

17

Page 18: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

mutuel, de la transmission sans fin d’interprétations à jamaisouvertes du Dire qui précède tous les dires, le Dire divin. Onpeut donc avec raison comparer une la description de laréflexion philosophique par Jaspers et celle que donne parexemple un spécialiste du Talmud comme Adin Steinsaltz. PourKarl Jaspers, dans son Introduction à la philosophie :

« Qu’est-ce que cette philosophie, si universelle et quise manifeste sous des formes si étranges ? Le mot grec« philosophe » (philosophos) est formé par opposition à sophos.Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celuiqui, possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persisteencore aujourd’hui :l’essence de la philosophie, c’est larecherche de la vérité, non sa possession, même si elle setrahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer endogmatisme, en un savoir mis en formules, définitif, complet,transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie,c’est être en route. Les questions, en philosophie, sont plusessentielles que les réponses, et chaque réponse devient unenouvelle question. »33

Et voici comment Adin Steinsaltz décrit dans sonIntroduction au Talmud, l’incomplétude essentielle de la penséejudaïque, cristallisée autour des commentaires infinimentouverts du Talmud :

« Dans ce mode de pensée, certains éléments prennent uneforme stable, tandis que d’autres, relatifs au présent, sontflexibles et bien plus susceptibles de changement ; mais lapensée elle-même se fonde sur la croyance en la vitalité detous les éléments, si anciens soient-ils, et en l’importance deleur rôle dans une œuvre de création infinie et sans cesserenouvelée. C’est de là que découle directement la centralitédu doute dans le débat talmudique. On peut, avec un certaindegré de raison, soutenir que le Talmud tout entier estconstruit sur un système de questions et de réponses et que,même non explicitement formulées, les questions constituent lefond de tous les énoncés et de toutes les interprétations. […]Douter, dans le Talmud, n’est pas seulement légitime ; c’estune démarche essentielle à l’avancée de l’étude. […] A cet

33 Jaspers, Karl, Introduction à la philosophie, traduit de l’allemand par Jeanne Hersch, Paris, Plon, 1981, p.10

18

Page 19: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

égard, le Talmud est peut-être le seul texte sacré de toutel’histoire de la culture qui autorise, et même encourage sapropre remise en cause. »34

Entre l’essence de la philosophie grecque et celle dujudaïsme, que d’étonnantes ressemblances ! Une oppositioncommune aux sagesses toutes faites, doctrines closes et àappliquer sans questionnement, qui consacrent la rechute dansl’opinion, les préjugés, l’endoctrinement sectaire, le mensongeet la violence. Un rapport critique aux meilleurs produitsreçus des traditions antérieures, un sens de la transmissioncritique donc. Une soif éternelle de sens, qui ne se renouvellesans cesse à chaque stade atteint, comme si une renaissancespontanée résidait en chaque nouvelle réponse, en cela mêmequ’elle ouvre la Terre Promise de nouvelles questions. Un rôleessentiel du dialogue des intelligences, comme moded’attestation et de manifestation de la création continuée dusens, subjectivement et inter- subjectivement, toujours. Enfin,une valeur propédeutique accordée au doute, cet aiguillon de laphilosophie que l’on trouve des sophistes à Heidegger, enpassant par un Pascal, un Descartes, un Kierkegaard ou unJaspers, tous philosophes éternellement en chemin ! Ne serait-on pas tenté d’identifier judaïsme et philosophie, voire de lesconfondre ? Ce pas n’est toutefois pas franchi par Lévinas, quirevendique certes les points de similarités que nous avonsrelevés, mais qui par ailleurs insiste sur l’importance d’unaspect spécifique au judaïsme, aspect qui fait d’ailleurs dujudaïsme l’esthétique de l’esprit dont la philosophie a besoinpour se soumettre à l’inspiration éthique du Bien. Lévinas nousavait prévénu que s’il est bien-fondé à dénoncer « la magie etla violence », « les horreurs et les extases » des courantsobscurantistes judéo-chrétiens, ce ne serait jamais au prixd’une renonciation à la vie traditionnelle que judaïsme vécucomme esthétique de spiritualisation de l’homme parl’inspiration de la Bonté. Lévinas n’est pas dupe de l’écartrituélique du judaïsme par rapport à la philosophie grecque laplus modeste, la moins habitée par « l’orgueil luciférien de laraison » :

34 Steinsaltz, Adin, Introduction au Talmud, traduit de l’anglais par Nelly Hansson, Préface de Josy Eisenberg, Paris, Albin Michel, p. 17-18

19

Page 20: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

« La connaissance traditionnelle des textes talmudiques,dans toute leur ampleur, ne satisfera certes pas par elle-mêmeun penseur occidental. Cette connaissance est cependant lacondition nécessaire de la pensée juive. »35

Il reste donc quelque chose, par quoi le judaïsme sedistingue de la philosophie grecque, par quoi le judaïsmen’adhère pas à la conception rationaliste de l’histoire quecette philosophie impulse malgré elle ou sciemment, quand ellepromeut l’idée d’un progrès infini vers un stade toujoursasymptotiquement approché, de perfectionnement de l’humanité.Terme au nom duquel la pensée occidentale rend superfétatoireles sorts du particulier et du singulier dans l’histoireuniverselle en marche. Pourquoi la connaissance des textestalmudiques – acte hautement comparable à l’exégèse desphilosophes- est-elle donc seulement condition nécessaire etnon condition nécessaire et suffisante ? La métaphore dudéfrichage, du labour, des semailles et des récoltes peut bienillustrer notre propos ici. Point de récoltes abondantes sansles trois opérations préalables. Mais aucune certitude derécoltes abondantes, même quand les opérations préalables ontété accomplies. Le judaïsme n’est pas qu’une pratiquethéorique, il est un terreau d’expériences uniques. Unepatience et un sens de l’espérance traversent l’existenceéthique du juif, qui se vit à chaque instant à partir del’avenir, dans l’attente quotidienne du moment messianique. Laconnaissance traditionnelle du Talmud est nécessaire, mais nonsuffisante parce que la vie éthique suppose l’abnégation dusujet, son dévouement à la cause du Bien qui lui parle àtravers l’exigence transcendante du Visage d’autrui. L’éthiquen’est théorie de la pratique que si elle est aussi pratique dela théorie, jamais séparément. La connaissance des textes quiinspirent le sens de la transcendance de l’infiniment Autre estune rampe de lancement pour tous, mais c’est à chacun qu’ilappartient de se l’approprier par sa naissance à la libertééthique – différente de la liberté ontologique, nous l’avonsmontré – qui suppose le dépassement quotidien du moment athéede la séparation égologique vers l’écoute de l’Infini, oùl’humilité même. Voilà comment le cœur de ce que nous pouvonsd’ores et déjà appeler la philosophie prophétique d’EmmanuelLévinas se focalise autour d’une interprétation spéciale du

35 Lévinas, op. cit., in « Textes messianiques », p.96

20

Page 21: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

motif prophétique du messianisme,36 présent dans toutel’histoire du judaïsme, à travers le constant rappel à soi durite.

III.3 Le judaïsme comme philosophie messianique et rituelle

Théorie et praxis judaïque appellent sans cesse ladimension d’un présent inspiré par l’avènement imminent del’avenir, dans toute sa fécondité. Un présent hanté parl’irruption du Transcendant, entièrement plié et incurvé parcette attente qui n’est pas projection des possibles à partirdu passé, mais rétro- jection de l’avenir dans le présent.D’abord donc, comme pratique théorique, le judaïsme est étudedu Talmud à partir d’une projection, face au texte àinterpréter, vers l’intention morale qu’on veut le voirmanifester à travers sa cohérence. L’interprète talmudique doits’élever du sens littéral (Pchate) au sens allusif (Remèz), puisdu sens allusif au sens symbolique (Drache). Les thèsesopposées, à chacun des niveaux de sens, ne sont que les pôlesmatériel et spirituel purs entre lesquels tangueront sans finles intelligences qui interprètent. Car comme le dit Lévinas :« Ce souci de ramener les opinions et les options auxcarrefours du Problème où ils reçoivent leur dignité de penséesest le véritable esprit du Talmud. »37

Le talmudiste pense donc, non pas simplement à partir dupassé, mais plus profondément en attendant l’avenir. Sa penséeest méthodologiquement messianique, car « Le premier sens, plus« vieux » que le premier, est futur. Il faut passer parl’interprétation pour dépasser l’interprétation. »38 AinsiLévinas nous donne t-il l’exemple du conflit d’interprétationde la signification même du Messie entre Rabbi Yochanan etSchmouel. Pour le premier les temps messianiques correspondrontà la disparition de la domination économique, politique etsociale. Or, une objection ébranle cette hypothèse, car defait, le texte biblique reconnaît à la fois que « le pauvre nedisparaîtra pas » et qu’ « il ne doit pas y avoir de pauvreparmi vous. » Comment concilier ces propositions apparemment36 Lévinas nous prévient ainsi à l’entrée de son article « Textes messianiques » qu’il s’attachera à y saisir « la signification positive du messianisme37 Idem, op. cit., p. 10538 Idem, op. cit., p. 107

21

Page 22: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

antinomiques ? La posture de Schmouel, rapportée par Lévinas,montre comment à partir d’une compréhension radicale de larelation morale, le différend s’éclaire :«[…] pour lui, la vie spirituelle, comme telle, resteinséparable de la solidarité économique avec autrui – le donnerest en quelque façon le mouvement originel de la viespirituelle ; l’aboutissement messianique ne saurait lesupprimer. Il en permet seulement le plein épanouissement et laplus grande pureté et les plus hautes joies, en conjurant laviolence politique qui fausse le donner […] Il faut penser d’unefaçon plus radicale : autrui est toujours le pauvre, lapauvreté le définit en tant qu’autrui, et la relation avecautrui restera toujours offrande et don, jamais approche « lesmains vides ». La vie spirituelle est essentiellement viemorale et son lieu de prédilection est l’économique. »39

La notion du temps du messie tangue donc entre un paradispur, à jamais débarrassé des contingences de l’Histoire ( RabbiYochanan) et un monde toujours éprouvé par la misère, mais oùle juif est mis en demeure de pratiquer l’art messianique dudon de soi, créant ainsi ici et maintenant l’espace-temps oùl’avènement gracieux du Messie est possible, à travers unavènement du dehors qui bouleverserait la douloureuse donne duquotidien ( Schmuel). Selon cette seconde accentuation quin’efface pas la première, en tant que pratique du Bien enversson prochain, le judaïsme est un messianisme revendiqué parl’action quotidienne, qui se configure en habitus à partir dela vie rituélique. Les interdits, cérémonies et fêtes dujudaïsme sont donc le rappel constant de cette exigencedoublement complémentaire, à la fois « rite et générosité ducœur ».40

De telle sorte qu’on peut dire qu’après l’échec del’expérience sécularisée de la philosophie occidentale, puis duchristianisme, à canaliser l’horreur paganique et la violencequ’elle banalise, l’heure du judaïsme est toujours déjà venuede proposer à tous les sujets raisonnables de toutes lesnations et peuples de la terre, à tous ceux qui veulentradicalement penser l’humain à l’abri de l’hypocrisiecriminelle des pseudo-grandes civilisations déterminées à vivre

39 Idem, op. cit., p.10040 Idem, p.319

22

Page 23: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

sans cesse dans la logique du choc - des identités ou de laréduction au Même- , une autre inspiration pour que toutes seschances soient données au commandement immémorial qui nousvient du visage d’Autrui, par le truchement duquel la proximitéradicale du divin fonde l’éthique comme philosophie première.Le judaïsme est ainsi promu par la mise en valeur de sonintellectualité inspirée, originale et inspiratrice, au rang detradition de pensée à visiter sans complexe par tous lesspécialistes de la culture :

« La voie qui mène à Dieu mène donc ipso facto – et non parsurcroît- vers l’homme ; et la voie qui mène vers l’homme nousramène à la discipline rituelle, à l’éducation de soi. Sagrandeur est dans sa régularité quotidienne. »41

Ni irrationalisme du rationalisme, ni irrationalisme dumysticisme obscurantiste, mais désacralisation de l’Infini afind’élever l’humain à la dignité de sa tâche immémoriale et leconduire dans la proximité de l’Autre, dans cette distance quin’est ni indifférence, ni empiètement, mais qui est inspirationraisonnable pour autrui, dévouement et fraternité qui sont lespulsations critiques de la liberté éthique, de la « difficileliberté ». Lévinas revendique clairement pour la penséeoccidentale, mais aussi pour toute l’humanité, une inspirationrenouvelée aux sources de  l’humanisme hébraïque , qu’ilconsidère comme laïque par essence, puisque « le judaïsme sesitue au carrefour de la foi et de la logique »42. La vérité dumonothéisme n’est pas à trouver dans une croyance, mais dans laforce d’inspiration de la Loi révélée qui parle dès l’origineaux intelligences saines. Et dès lors, fidèle en cela àl’esprit de Mendelssohn, Spinoza et Maïmonide, Lévinassoutient que la vérité judaïsme « serait universelle comme laraison ; sa règle et ses institutions morales, apportparticulier du judaïsme, préserveraient cette vérité de lacorruption. L’excellence du judaïsme consisterait déjà à ne passe substituer à la raison, à ne pas faire violence àl’esprit. »43

41 Idem, p.31942 Idem, in « Pour un humanisme hébraïque », p.40643 Idem, p. 407

23

Page 24: Intellectualisme et Judaïsme chez Emmanuel Lévinas

24