HISTOIREDE
LINSURRECTIONDE 1871
EN ALGRIEPAR
LOUIS RINNCONSEILLER DE GOUVERNEMENT VICE-PRSIDENT DE LA SOCIT
HISTORIQUE DALGER ANCIEN CHEF DU SERVICE CENTRAL DES AFFAIRES
INDIGNES
AVEC DEUX CARTES
ALGER LIBRAIRIE ADOLPHE JOURDANIMPRIMEURLIBRAIREDITEUR 4, PLACE
DU GOUVERNEMENT, 4
1891
Livre numris en mode texte par : Alain Spenatto.1, rue du Puy
Griou. 15000 AURILLAC. [email protected] ou
[email protected] Dautres livres peuvent tre consults
ou tlchargs sur le site :
http://www.algerie-ancienne.comCe site est consacr lhistoire de
lAlgrie.
Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e sicle), tlcharger
gratuitement ou lire sur place.
PRFACE
Linsurrection de 1871, en Algrie, na t ni la rvolte de lopprim
contre loppresseur, ni la revendication dune nationalit, ni une
guerre de religion, ni une guerre de race; elle na t que le
soulvement politique de quelques nobles mcontents et dun sceptique
ambitieux que le hasard de sa naissance avait rendu le chef
effectif dune grande congrgation religieuse musulmane. Les indignes
appellent aujourdhui cette anne 1871 : lanne de Moqrani, et
lhistoire, un jour, racontant les vnements de cette poque, dira :
linsurrection de Moqrani. Ce fut, en effet, le bachagha
El-hadj-Mohammed-ben-el-hadjAhmed-el-Moqrani qui seul dchana cette
lutte formidable. Ce fut lui qui entrana les populations soumises
linuence plusieurs fois sculaire de sa famille, et aussi celles,
plus nombreuses encore, subissant alors laction politique et
religieuse des khouans Rahmanya dont il avait sollicit lalliance et
obtenu le concours en attant les vises ambitieuses
dAziz-ben-chikh-el-Haddad, le ls du grand matre de lordre. Les
nobles de la Medjana et les seigneurs religieux de Seddouq ne
combattirent que pour la conservation de privilges, dimmunits et
dabus qui pesaient lourdement sur les pauvres et les humbles enrls
sous leurs bannires. Ceux-ci, Arabes ou Qbals, comme jadis les
paysans vendens ou bretons, se rent tuer et ruiner pour une cause
qui ntait pas la leur. De cette lutte, que des reprsentants dun
autre ge dirigeaient contre le droit moderne, la colonisation et la
civilisation franaises
2
PRFACE
sont sorties triomphantes, et, avec elles, la masse des vaincus,
malgr un crasement terrible, bncie aujourdhui de notre victoire.
Les faits qui se rattachent ce soulvement ont t jusquici mal connus
et mal apprcis, car leurs causes, leur nature, comme aussi leur
connexit, ont chapp plus ou moins ceux-l mmes qui ont t les hros,
les victimes ou les justiciers de quelques-uns de ces pisodes qui,
pendant plus dun an, ont ensanglant lAlgrie. En 1871, peu de
personnes connaissaient le pass et la situation relle des chefs
indignes qui commandaient dans la province de Constantine. Les
colons, la presse, la magistrature mme(1) ne voyaient en eux que
des agents ou des fonctionnaires arrogants, avides, peu scrupuleux
et peu dvous la France, qui les avait investis, et, ajoutait-on,
combls dhonneurs et dimmunits. On les savait pleins de morgue ou
dorgueil et dtenteurs de vastes territoires en friche ou mal
cultivs dont ou rvait de faire bncier la colonisation europenne et
les proltaires indignes. Il y avait du vrai dans ces apprciations;
mais ceux qui les faisaient tout haut oubliaient, ou plutt
ignoraient, que plusieurs de ces personnalits indignes taient autre
chose que de simples fonctionnaires, et quentre la France et elles,
ou leurs ascendants immdiats, il y avait eu de vritables contrats
synallagmatiques qui nous foraient respecter des situations
acquises et tolrer des allures ou des abus en dsaccord avec notre
tat social et nos aspirations dmocratiques. Ces chefs, en effet, en
beaucoup dendroits, et notamment entre Bordj-Hamza et le Sahara,
navaient jamais t des vaincus; les pays o ils commandaient avant
nous, de pre en ls, navaient jamais t conquis par notre arme. Les
matres et seigneurs hrditaires de ces rgions, rests plus on moins
indpendants sous les Turcs, taient venus nous de leur plein gr. Ils
nous avaient offert et livr, le
plus______________________________________________________________
1. Voici en quels termes lacte daccusation, dans le procs des
grands chefs, sexprime sur le compte du bachagha Moqrani qui, tant
mort, tait hors de cause : Si-Mohammed-ben-el-hadj-Ahmed-eI-Moqrani
tait depuis plusieurs annes cad des Hachem. Pour augmenter son
prestige, et sans doute dans lespoir den faire un serviteur plus
dvou de la France, on avait nomm cet indigne bachagha de la
Medjana. Autour de lui se groupaient treize ou quatorze cadats,
remis successivement aux mains des Ouled-Moqrani, ses
parents....
PRFACE
3
souvent sans coup frir, de vastes territoires et de nombreux
contribuables ; parfois mme ils nous les avaient donns alors que
nous ntions pas encore en tat den prendre possession. Ils avaient
agi ainsi parce quils avaient cru y trouver leur intrt et parce que
nous leur avions promis, en retour, la conservation de leur
situation et le concours de notre force militaire. Quand ces
promesses avaient t faites, on tait aux premiers temps de
loccupation, on ne savait ni ce quon ferait de lAlgrie, ni mme si
on la conserverait en totalit ou en partie. Les gnraux en chef et
les gouverneurs, qui la mtropole refusait largent et les moyens
daction, avaient alors trait de puissance puissance avec les chefs
venus en allis et acceptant notre suzerainet. A ces prcieux
auxiliaires nous navions rien demand de plus que de se faire tuer
notre service et de nous payer un tribut; en retour de quoi, nous
leur avions garanti les dignits, honneurs et privilges dont ils
jouissaient en fait comme en droit. Nous avons tenu notre parole,
tant que nous avons eu besoin de nos allis pour conqurir ou
gouverner; mais, le jour o nous nous sommes crus assez forts pour
nous passer deux, nous avons trouv que nos engagements avaient t
bien imprudents, et nous navons plus vu, dans ces allis de la
premire heure, que des individualits gnant luvre de progrs et de
civilisation que la France entendait accomplir en Algrie pour
justier sa conqute. Nous avons alors essay de faire comprendre ces
gens de vieille souche, ayant conserv les murs et les prjugs du
XIIIe et du XIVe sicle, les conceptions humanitaires et politiques
des socits, modernes ; ils ne comprirent quune chose, cest que nous
voulions amoindrir leur situation et leur imposer les mmes devoirs
et les mmes obligations auxquels nous avions astreint les agents et
les collectivits vaincus les armes la main et subissant les volonts
du vainqueur. De l bien des malentendus, bien des mcontentements,
que sefforcrent dattnuer les ofciers des bureaux arabes, chargs de
la dlicate mission de contrler ces chefs et de discipliner leur
concours au mieux des intrts de notre action gouvernementale. Grce
au zle et lhabilet de ces ofciers, si souvent calomnis, grce aussi
au bon esprit et au sens politique dont ces grands chefs
4
PRFACE
faisaient preuve lorsquon ne heurtait pas violemment leurs
prjugs et leurs intrts, bien des amliorations, bien des progrs,
avaient t accomplis en un temps relativement court. Mais nos
colonies ont toujours t les victimes de nos dissentiments
politiques ou des malheurs de la mre-patrie, et lAlgrie, qui depuis
1830 a eu si souvent souffrir des attaques inconscientes diriges
contre elle dans la mtropole, devait, en 1870 et 1871, subir le
contrecoup des impatiences de lopposition, et de lignorance des
hommes que les circonstances appelrent, sans prparation aucune, la
direction souveraine de ses affaires. Lauteur a essay, sans parti
pris, sans ide prconue, de dire simplement ce quil a vu, entendu et
tudi. Ce nest ni une histoire de lAlgrie, ni une tude militaire
quil a entrepris dcrire ; cest lhistoire dune insurrection indigne,
et rien de plus. Il na donc t parl ici de nos affaires, nous
Franais, quautant quelles ont eu un effet direct sur les indignes.
Ce sont ces derniers seuls que lauteur sest efforc de faire
connatre et apprcier. Pour cela, il a dgag les individualits, prcis
les faits, publi des documents inconnus ou indits, et enn il a
complt les donnes ofcielles par ses notes, par ses souvenirs et par
les renseignements quont bien voulu lui fournir plusieurs de ses
anciens camarades ou amis. Il na pas hsit donner des dtails
circonstancis, chaque fois que ces dtails lui ont paru ncessaires
lapprciation des causes premires ou des mobiles qui ont fait agir
les chefs de linsurrection. Cest ainsi quil a cru indispensable de
faire prcder son rcit dune longue introduction rsumant lhistorique
des Moqrani avant linsurrection, et donnant des dtails indits sur
le pre du bachagha et sur le soulvement de 1864 dans le Hodna. Par
contre, lauteur sest efforc dtre bref et concis dans le rcit des
oprations militaires, oprations qui se ressemblent toutes en Algrie
et pour la russite desquelles larme dAfrique depuis longtemps na
plus rien apprendre. Mais cette concision na cependant pas t jusqu
retrancher quoi que ce soit dans la longue numration de plus de
trois cent quarante glorieux faits darmes qui nont pas toujours eu
la notorit quils mritent. Malgr la multiplicit et le synchronisme
dvnements, tantt connexes, tantt indpendants les uns des autres,
malgr lparpillement
PRFACE
5
des efforts, et malgr le dcousu forc des oprations de guerre, il
est facile de classer les faits de linsurrection de 1871, qui,
naturellement, se divise en quatre priodes bien nettes. La premire,
qui va du 14 juillet 1870 au 8 avril 1871, est lpoque des difcults
et des RVOLTES LOCALES. Les affaires de Souq-Ahras et dEl-Milia,
laventure de Mahieddine, le sige de Bordj-bou-Arreridj et les
premires oprations dans la Medjana et lOuennougha, en sont les
principaux pisodes. Pendant cette priode, et malgr la gravit des
faits, nous ne sommes pas en face dune insurrection gnrale : seuls
le bachagha et ses frres sont rvolts, mais leur rvolte est localise
sur une portion de lancien ef familial, et tous les Moqrani qui ne
sont pas du soff de la Medjana combattent dans nos rangs avec
lespoir avou de remplacer le bachagha, dont ils sont rests les
rivaux ou les ennemis. Du 8 avril au 5 mai, linsurrection est
devenue gnrale : elle stend de la mer au Sahara ; et, sous la
direction des khouans Rahmanya qui ont proclam la guerre sainte,
elle couvre lAlgrie de ruines et de sang. Cest la KHOUANNERIE qui
bat son plein, alors que nous manquons de troupes, et que nous
assistons impuissants ses dvastations. Du 5 mai, jour o le bachagha
est tu, jusquau 13 juillet, jour o Chikh-el-Haddad se constitue
prisonnier, nos colonnes ont pu tre organises; de tous cts elles
crasent les rebelles : cest la priode des CHECS DE LA COALITION.
Mais nos exigences vis--vis des vaincus et diverses circonstances
empchent la soumission de quelques-uns des chefs les plus compromis
ou permettent de nouvelles prises darmes : cest alors que souvre,
le 13 juillet, la priode des DERNIRES LUTTES, priode qui se
termine, le 20 janvier 1872, par larrestation de Boumezrag. A cette
date, linsurrection est bien nie, lordre matriel est rtabli ; mais
les poursuites ou la rpression des rebelles, lexpos des mesures
imposes par cette anne de lutte, fournissent encore matire un
chapitre complmentaire qui est lPILOGUE de cette histoire. Une
Table chronologique des principaux faits met en relief le
synchronisme des vnements qui, dans lintrt de la clart du rcit, ont
d tre exposs en des chapitres diffrents. Deux Cartes, spcialement
dresses pour lintelligence du texte,
6
PRFACE
permettent dembrasser dun seul coup dil ltendue des territoires
insurgs et de trouver sans fatigue des indications quil serait
pnible de chercher sur des cartes topographiques trs dtailles, et,
par consquent, morceles en de nombreuses feuilles. Enn un Index
bibliographique donne quelques brefs renseignements sur les rares
publications qui peuvent utilement tre consultes propos de
linsurrection de 1871.
TABLE DES MATIRES
PRFACE..........................................................................................................................1
TABLE DES
MATIRES..................................................................................................7
INTRODUCTION. LES MOQRANI AVANT
LINSURRECTION............................9 INTRODUCTION. I Les
Moqrani avant la
Conqute..................................................9
INTRODUCTION. II. Le Khalifat
Ahmed-el-Moqrani..............................................17
INTRODUCTION. III. Le Bachagha
Mohammed-el-Moqrani..................................33 TABLEAU
GNALOGIQUE DES
MOQRANI...........................................................54
TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES PRINCIPAUX FAITS DE
LINSURRECTION..............57
LIVRE PREMIERLES RVOLTES LOCALESDu dpart des troupes la
proclamation du Djehad (14 juillet 1870-8 avril 1871.) Chapitre I.
Avant la crise (14 juillet-1er dcembre
1870)...........................................79 Chapitre II. La
Crise (1er dcembre 1870-18 janvier
1871)......................................97 Chapitre III. Les
Premires Hostilits (18 janvier 1871-10 mars
1871)...................121 Chapitre IV. La Rvolte du bachagha (18
fvrier-I4 mars)......................................143 Chapitre
V. La Medjana (15 mars-12
avril)..............................................................155
Chapitre VI. LOuennougha. (16 mars-10
avril)......................................................171
Chapitre VII. Les Dceptions de Moqrani (17 mars-6
avril)....................................183
8
TABLE DES MATIRES
LIVRE DEUXIMELA KHOUANNERIEDe la proclamation du Djehad la mort
du bachagha (8 avril-5 mai 1871.) Chapitre I. Le Djehad (27 mars-8
avril)...................................................................197
Chapitre Il. Stif (13 avril-8
mai).............................................................................205
Chapitre III. Bougie (6 avril-8
mai)..........................................................................223
Chapitre IV. Les Isser et la Mitidja (8 avril-5
mai)...................................................237 Chapitre
V. Dra-el-Mizane (8 avril-5
mai)...............................................................257
Chapitre VI. Fort-National (11 avril-5
mai).............................................................267
Chapitre VII. Tizi-Ouzou (4 avril-7
mai)..................................................................275
Chapitre VIII. Dellis (17 avril-5
mai).......................................................................289
Chapitre IX. Palestro (19 avril-25
avril)...................................................................301
Chapitre X. Batna (8 mars-8
mai).............................................................................315
Chapitre XI. La Mort du bachagha (11 avril-5
niai).................................................341
LIVRE TROISIMELES CHECS DE LA COALITIONDe la mort du bachagha la
soumission de Chikh-el-Haddad (5 mai-13 juillet 1871.) Chapitre I.
Du Sbaou la mer (5 mai-5
juin).........................................................353
Chapitre II. Autour du Hamza (6 mai-18
juillet)......................................................371
Chapitre III Entre le Babor et le Boutaleb (4
mai-14juin)........................................391 Chapitre IV.
De Bougie Mila (6 mai-12
juillet).....................................................407
Chapitre V. Dans le Djurdjura (8 mai-I9
juillet).......................................................431
Chapitre VI. La Reddition de Chikh-el-Haddad (14 juin-13
juillet)........................455 Chapitre VII. Les Bandes de la
Mestaoua (8 mai-13 juillet)....................................471
Chapitre VIII. Les Soffs du Sahara (30 avril-13
juillet)...........................................483
LIVRE QUATRIMELES DERNIRES LUTTESDe la soumission de
Chikh-el-Haddad la prise de Boumezrag. (13 juillet 1871-26 janvier
1872.) Chapitre I. Malek-el-Berkani (30 avril-21
aot).......................................................507
Chapitre II. Moula-Chekfa (13 juillet-30
septembre)..............................................537
Chapitre III. Sad-ben-Boudaoud-el-Moqrani (3 juillet-30
septembre)....................551 Chapitre IV. Boumezrag-el-Moqrani
(13 juillet-20 octobre)....................................565
Chapitre V. Ahmed-Bey-ben-Chikh-Messaoud (13 juillet-29
octobre)....................589 Chapitre VI. Bouchoucha (13 juillet
1871-20 janvier 1872)....................................611
PILOGUE....................................................................................................................645
INDEX
BIBLIOGRAPHIQUE......................................................................................669
INTRODUCTION
LES MOQRANI AVANT LINSURRECTION
I AVANT LA CONQUTELes Moqrani ont des parchemins qui les font
descendre de Fatma, lle du prophte Mohammed ; mais les traditions
locales les rattachent plus volontiers, et non sans raison, aux
mirs de la Qalaa des Beni-Hammad, du Djebel-Kiana(1). Au XIe sicle
de notre re, lors de linvasion musulmane hilalienne, les mirs des
Ayad-Athbedj appartenaient aux familles des Ouled-Abdesselem et des
OuledGandouz, noms qui ont continu tre ports par les Moqrani. Quoi
quil en soit de ces origines lointaines, ce qui semble certain,
cest que, dans la seconde moiti du XVe sicle, un mir ou prince,
nomm Abderrahmane, quittait le Djebel-Ayad et venait sinstaller prs
des Bibane, dabord Mouqa, puis Chouarikh, et enn la Qalaa(2), des
Beni-Abbs.
______________________________________________________________1. Le
massif montagneux situ entre Bordj-bou-Arreridj et le Hodna tait
dnomm, au temps des Berbres, Djebel-Kiana. ou Djebel-Adjissa, du
nom de ses habitants. A partir du XIe sicle de j.-C., il est devenu
le Djebel-Ayad, nom quil porte encore aujourdhui concurremment avec
celui de Djebel-Madid. Sur les ruines de Qalaa est aujourdhui la
dechera des Ouled-Sidi-Fadel. 2. Le mot Qalaa veut dire forteresse.
La prononciation de ce mot varie suivant les localits ; de l les
diffrences dorthographe : Qalaa, Galaa, Guelaa, Queloa, El-Gola,
El-Kala, Cola, etc.
10
INTRODUCTION
Son ls, Ahmed-ben-Abderrahmane, fortia cette localit, en t la
capitale dune principaut stendant de lOued-Sahel au Hodna, et prit
le titre de sultan. Il t une guerre acharne un de ses voisins, le
sultan de Koukou(1) chef des tribus de la rive gauche de
lOued-Sahel, et, ayant appel son aide le corsaire Aroudj, alors
Djidjeli, il vainquit son ennemi, en 1515, chez les Ouled-Khiar,
grce lemploi des armes a feu dont les Turcs dAroudj taient pourvus.
Aussi fut-il un des premiers allis des frres Barberousse, devenus
la mme anne souverains dAlger, et, en avril 1542, il tait ct de
Hassan-Agha, qui, en qualit de khalifat de khireddine, tait venu
iniger un nouvel chec au sultan de Koukou, rest ennemi des Turcs.
Abdelaziz, son ls, dle lalliance turque, amena, en 1550, Alger, une
petite arme de 15,000 Qbals la tte desquels il accompagna dans
louest Hassane-Pacha, ls et khalifat du beglierbey Khireddine. Ce
fut grce aux conseils et au courage personnel du sultan des
Beni-Abbs que les Turcs battirent les Marocains sur le rio Salado
et reprirent possession de Tlemcen. Pendant cette expdition,
Abdelaziz stait attach un groupe des Hachem de Mascara et en avait,
fait sa garde particulire. Il les ramena avec lui et les installa
au pied de la montagne de Qalaa, au nord de la Medjana : ce fut le
noyau de la tribu noble des Hachem, qui, jusquen 1871, resta le
makhzne dle des Moqrani En 1552, Abdelaziz accompagna encore avec
8,000 hommes le beglierbey Salah-Res dans lexpdition contre
Tougourt et Ouargla. Mais la puissance du souverain kabyle avait
port ombrage aux Turcs ; un jour quAbdelaziz, venu sans mance
Alger, tait log au palais de la Jenina, il avait failli tre
assassin par les janissaires et navait d son salut qu lintervention
de soldats gaouaoua, originaires de Koukou. Peu aprs, et sans
dclaration de guerre, Salah-Res lanait son arme contre le sultan
des Beni-Abbs. Un combat eut lieu Boni, prs Qalaa ; El-Fadel, frre
dAbdelaziz, y fut tu, mais les Turcs ne purent aller plus loin, et
la neige les fora rentrer Alger. Au printemps suivant 1553,
Mohammed-Bey, ls de Salah-Res, revint, avec une arme plus forte, se
faire battre au mme endroit. Ne pouvant russir en pays de montagne,
les Turcs, en 1554, marchrent par le sud vers Msila, sous la
conduite des rengats grecs Sinane-Res et Ramdane : ils furent
encore battus sur lOued-el-Ham, et se rsignrent laisser en repos
pendant quelques annes le sultan des Beni-Abbs. Abdelaziz, aid par
son frre Ahmed-Amoqrane, prota de la paix pour tendre et consolider
sa puissance. Il stait procur de lartillerie et avait organis
______________________________________________________________1. Le
royaume de Koukou fut fond en 1510 par Ahmed-ben-el-Qadi, qui tait
juge la cour des derniers rois de Bougie. Lors de la prise de cette
ville, le 6 janvier 1509, il stait rfugi chez les Qbals des
At-Ghoubri, Aourir ; il tait devenu le chef dune confdration
puissante. A partir de 1618, la famille se divisa, son inuence
dclina, le nom mme dOuled-el-Qadi, port par les chefs de Koukou,
cessa dtre employ, et il fut remplac par celui dOuled-Boukhetouch.
Aujourdhui la famille a t absorbe par llment berbre et na plus
quune inuence insigniante dans le haut Sbaou. Koukou est une
taddert de 600 habitants rpartis en six hameaux ; il fait partie de
la fraction des Imessouhal des At-Yahia, aux sources du Sbaou.
INTRODUCTION
11
une solide milice chrtienne avec un millier dEspagnols chapps de
Bougie lors de la prise de cette ville en 1555(1), par Salah-Res.
Il avait form le projet de semparer de Bougie, et, en juin 1557,
tout tait prt pour celle opration, quand il apprit qu la suite de
troubles Alger son ami Hassane, ls de Khireddine, avait t nomm
beglierbey et venait de dbarquer. Abdelaziz renona son expdition,
et, sans se risquer aller lui-mme Alger, il envoya des lettres et
des prsents son ancien alli. Les relations amicales reprirent ;
Abdelaziz fournit des contingents dinfanterie kabyle, et il reut du
souverain dAlger des lettres lui conrmant la possession de Msila.
Hassane tait rest plus dun an occup par des expditions dans louest
contre les Marocains, quil avait poursuivis jusqu Fez, et contre
les Espagnols quil avait battus en aot 1558, Mazagran. Quand il
rentra Alger, en septembre, Hassane Corso, dont Abdelaziz stait
fait un ennemi mortel en 1550, Ahmed-elCadi, sultan de Koukou, et
enn quelques chefs du Hodna qui avaient t razzs par les goums de
Msila, dnoncrent au beglierbey les armements et les projets du
sultan des bni-Abbs contre Bougie. Hassane-Pacha marcha en personne
avec 3,000 Turcs contre Msila, quil reprit sans difcult (hiver de
1558-1559). Abdelaziz ne se mait pas, et il tait rest dans la
montagne. Avant quil en ft sorti, le beglierbey stait avanc jusque
dans la plaine de la Medjana, et il faisait lever la hte deux
fortins en pierres sches, lun An-bou-Arreridj, lautre Zamora. Il y
mit quatre cents hommes de garnison, dont il cona le commandement
Hassane Corso. Mais il nosa pas sengager dans la montagne et rentra
prcipitamment dans le Hamza, car sa faible colonne commenait tre
gravement inquite par Abdelaziz et Amoqrane, accourus la bte avec
leur cavalerie(2). Peu aprs son retour Alger il apprit que ses deux
fortins avaient t enlevs et dtruits, que tous les janissaires de
Bou-Arreridj avaient t massacrs, et que ceux de Zamora staient
rfugis chez des montagnards voisins et indpendants. Le beglierbey
changea alors de tactique : il t des avances au sultan de Qalaa,
invoqua danciens souvenirs, lui t entrevoir la destruction du
royaume de Koukou, et, pour cimenter lalliance quil dsirait, il
demanda la main de la lle dAbdelaziz. Celui-ci refusa net : il tait
pay pour ne pas se er aux Turcs. Hassane-Pacha sadressa alors au
sultan de Koukou, qui lui donna sa lle et
______________________________________________________________1.
Lincurie du gouvernement espagnol avait rendu la dfense de la ville
impossible : le beglierbey Salah-Res commenait le sige le 16
septembre ; le 27 il offrait une capitulation honorable, sengageant
rapatrier en Espagne la garnison entire avec armes et bagages. Le
28; il entrait en ville ; le gouverneur, Alonzo de Peralta, et cent
vingt invalides, furent embarqus et arrivrent en Espagne, o Alonzo
eut la tte tranche Valladolid. Le reste de la garnison fut dsarm et
conduit en captivit contrairement la foi jure; mais presque tous
les hommes schapprent et se rfugirent chez Abdelaziz, qui les
accueillit, leur laissa la libert et les prit son service. 2. M. de
Grammont, dans son beau livre Alger sous les Turcs, raconte un peu
diffremment les dmls entre le beglierbey Hassane-Pacha et le sultan
de Labez Abdelaziz. La version qui est donne ici est celle de
Marmol, et aussi, peu de chose prs, celle des Moqrani, et celle
reproduite dj par M. Fraud dans son Histoire des villes de la
province de Constantine.
12
INTRODUCTION
ses soldats. Leurs armes runies entrrent en campagne la bonne
saison et vinrent prendre position prs Tala-Mezida(1), o Abdelaziz
avait son camp retranch couvrant Qalaa. On se battit pendant douze
jours de suite; le huitime, Abdelaziz fut tu et eut la tte tranche.
Son frre Amoqrane continua la lutte quatre jours encore ; les
Turcs, puiss, renoncrent prendre la forteresse des Beni-Abbs et
rentrrent Alger, emportant comme trophe la tte dAbdelaziz, qui fut
expose la porte Bab-Azoun, et qui, ajoute la tradition, se mit
parler. Encore une fois les Turcs laissrent en paix les Beni-Abbs
pendant quelques annes ; Amoqrane prota de cette accalmie pour
augmenter le royaume paternel et tendre son autorit sur les hauts
plateaux et le Sahara. A la tte dune arme de 11,000 hommes, dont
3,000 chevaux, il se rendit matre de Tolga, Biskra, Tougourt, et
des pays des Ouled-Nal de Bouada Djelfa. Son administration et son
gouvernement furent remarquables, et sous son rgne le pays traversa
une re de prosprit que jamais plus il ne retrouva. En 1580, sa
puissance tait telle quil ne craignit pas denvoyer Alger un de ses
ls pour souhaiter la bienvenue Djafar-Pacha, arriv le 2 aot 1580,
en qualit de khalifat du beglierbey El-Euldj-Ali. Il lui apportait
un royal prsent estim une vingtaine de mille francs. Dix annes de
tranquillit avaient permis Amoqrane de perfectionner lorganisation
de son royaume, mais, en dcembre 1590, le pacha Khieder, qui voyait
augmenter autour des Beni-Abbs le nombre des gens refusant limpt au
beylik, se mit en marche avec une arme de 15,000 17,000 hommes pour
semparer de la Qalaa. Amoqrane lui opposa des forces non moins
considrables(2) ; lassaut de la petite place ne put pas tre tent,
et le pacha dut se borner un investissement qui dura deux mois,
pendant lesquels les Turcs mirent beaucoup souffrir des attaques de
la cavalerie dAmoqrane. Les environs de Qalaa taient ruins, les
Kabyles fatigus ; un marabout intervint entre les belligrants et
russit faire cesser les hostilits. Amoqrane paya les frais de la
guerre, soit 30,000 douros ; et les Turcs sloignrent fort prouvs.
Dix ans plus tard, en 1600, le sultan de Qalaa marchait contre les
Turcs, commands par le pacha Solimane Veneziano, qui voulait pntrer
en Kabylie ; il les battait et minait ltablissement militaire que
ceux-ci avaient lev en 1595 Hamza (Bouira) ; mais lui-mme tait tu
dans ce combat. Son rgne avait dur quarante et un ans, et son nom
devait rester comme dsignation patronymique de tous ses
descendants(3). Son ls El-Menaceur, plus connu sous le nom de
Sidi-Naceur-el-Moqrani, tait un homme dtude et de prire il sentoura
de tolba et de religieux, et fut plus tard vnr comme un saint ;
mais il laissa pricliter les affaires du royaume et mcontenta la
fois les chefs de larme et les commerants des Beni-Abbs. Ceux-ci
lattirrent dans un guet-apens et lassassinrent.
______________________________________________________________1.
Tala-Mezida est rest le meilleur camp prs de Qalaa; cest le seul
point o il y ait de leau en abondance. Boni est mal pourvu, et
Qalaa encore plus mal. 2. Jignore o a t pris par M. Berbrugger le
chiffre de 30,000 cavaliers. 3. Amoqrane signie, en berbre, grand
et an. Moqrani est lethnique arabe dAmoqrane. Les indignes disent :
un Moqrani, des Moqranya, ou encore des Ouled-Moqrane. Mais lusage
franais a conserv le mot Moqrani au singulier comme au pluriel.
INTRODUCTION
13
Il laissait trois enfants en bas ge; les deux plus jeunes furent
sauvs par leurs mres, et ils restrent ds lors trangers la fortune
des Moqrani(1). Lan, Betka, fut emport dans la Medjana par les
Hachem dles, qui llevrent et laidrent reconqurir sa situation
princire en le mariant la lle du chef des Ouled-Madi. Avec les
nobles de cette tribu, et avec ceux des Ayad, alors commands par
Slimane-el-Haddad, Betka-el-Moqrani prit part, dans la plaine de
Guidjel, la grande victoire remporte sur les Turcs, le 20 septembre
1638, par tous les seigneurs et tous les nomades de lest, runis
sous le commandement du chikh ElArab-Ahmed-ben-Sakhri-ben-Bouokkaz,
lanctre de notre agha Ali-Bey. A la suite de cette bataille de
Guidjel, il y eut dans la province de Constantine une recrudescence
dindpendance vis--vis des Turcs, et Betka-el-Moqrani ne reconnut
jamais leur autorit. Il avait renonc se parer du titre de-sultan ou
dmir, et prenait celui de chikh de la Medjana, que conservrent ses
descendants ; mais il reconstitua le royaume de son grand-pre, et
battit plusieurs reprises les Reni-Abbs, sans vouloir retourner
Qalaa. Il mourut en 1680, dans son chteau de la Medjana, laissant
quatre ls Bouzid, Abdallah, Aziz, et Mohammed-el-Gandouz(2). Lan,
Bouzid-el-Moqrani, exera le pouvoir dans les mmes conditions de
souverainet que son prdcesseur(3) ; il sut maintenir la bonne
harmonie entre tous les siens, et t rentrer dans lobissance le
dernier de ses frres, qui avait un instant cherch chapper son
autorit. Deux fois il battit les Turcs, qui avaient voulu envoyer
une colonne Constantine travers sa principaut ; puis, la suite de
ses succs, il consentit vendre, moyennant une redevance dtermine,
le passage travers ses tats. Cette redevance ou coutume (ouadia),
les Turcs ne purent jamais sen affranchir, et ils la payaient
encore en 1830. Bouzid-el-Moqrani mourut en 1734, laissant quatre
ls, dont le second, Elhadj-Bouzid, sur la renonciation volontaire
de lan, Abderrebou, prit la direction de la principaut. Mais,
quoique sage et dun caractre conciliant, il ne put ni maintenir la
paix entre ses frres Bourenane et Abdesselem, ni empcher son cousin
germain Aziz-ben-Gandouz-el-Moqrani de se mettre a la tte dun
soff(4) qui se t lalli des Turcs. Ceux-ci avaient alors prcisment
de graves griefs contre le
______________________________________________________________1.
Lun, Mohammed-Amoqrane, emport par sa mre Bougie, avait les gots
studieux de son pre. Il devint lanctre dune famille maraboutique
qui, plus tard, se xa prs de Djidjeli au milieu des Beni-Siar, qui
acceptrent sa direction politique et religieuse. Cette famille
resta toujours en bons termes avec les. Turcs, et elle nous a
fourni des cads modestes et dvous. En 1871, le chef de famille, qui
se nommait encore Mohammed-Amoqrane, tait cad des Beni-Siar ; il
senferma avec nous dans Djidjeli assig par les rebelles, et eut une
attitude trs digne et trs correcte. Le troisime,
Bou-Temzine-Amoqrane, fut emport dans louest ; il t souche dune
petite fraction dnomme Temaznia, fraction qui na jamais jou aucun
rle et est reste infode aux Bordjia de Cacherou, dpartement dOran.
2. El-Gandouz, en berbre, signie le dernier-n. 3. Cest lui que le
voyageur Franois Peyssonnel vit en 1725, en passant la Medjana avec
une colonne turque. Il lappelle le sultan Bouzit. 4. Le mot soff
veut dire, au propre, ligne, rang, le ; et, au gur, ligue, parti,
clientle politique.
14
INTRODUCTION
chikh de la Medjana qui, vers 1737, avait tratreusement fait
massacrer toute une colonne turque ; massacre qui ntait du reste
que la vengeance dun viol commis par le khalifat du bey de
Constantine El-hadj-Bakir sur la mre des Moqrani, Elhadja-Zonina.
Aids des Ouled-Gandouz, et exploitant la msintelligence qui
existait entre Bourenane et Abdesselem, les Turcs russirent battre
en dtail les diffrents groupes des Moqrani. Les choses en vinrent
ce point que ceux-ci durent abandonner la Medjana et se rfugier
dans les montagnes. El-hadj-Bouzid monta Qalaa des Beni-Abbs,
Bourenane alla dans lOuennougha, et Abdesselem, Kolla prs Satour,
au pied du Djebel-Bounda. Dj, cette poque, leur oncle Abdallah
avait quitt le groupe familial et vivait dans les steppes du Hodna
avec quelques djouads, dont la descendance devait former plus tard
une tribu distincte, les Ould-Abdallah(1), qui eurent ds lors une
existence part. Cest cette poque, vers 1740, que, pour la seconde
fois, les Turcs vinrent en matres dans la Medjana, et relevrent les
murs du fortin ou Bordj bti par eux en 1559 An-bou-Arreridj. Celte
fois ils y laissrent 300 janissaires et donnrent linvestiture du
cadat des Ouled-Madi Aziz-ben-Gandouz. Les Moqrani de la branche
ane supportaient mal cet abaissement de leur puissance; un moqaddem
des khouans Chadelya parvint rconcilier les trois frres, qui, unis,
battirent les Turcs, turent leur chef, dmolirent le fortin, et
renvoyrent les janissaires survivants Alger avec une lettre
annonant au dey que les Moqrani entendaient rester indpendants.
El-hadj-ben-Bouzid reprit ds lors, sans tre inquit par les Turcs,
la direction nominale des affaires de la famille dans la Medjana.
Les deys reconnurent implicitement celle indpendance en ne rclamant
jamais dimpts aux tribus des Hachem, Ayad et Beni-Abbs, rputes
tribus makhzne des Moqrani ; mais, tons les ans, ils envoyrent au
chikh de la Medjana un caftan dhonneur et des cadeaux ; par ce
moyen les Turcs foraient celui-ci des relations qui afrmaient leur
suzerainet et qui leur donnaient des prtextes pour intervenir dans
les affaires de la famille, ou pour rclamer lappui des contingents
de la Medjana. Si-el-hadj-ben-Bouzid-el-Moqrani mourut vers 1783,
deux ou trois ans aprs son frre Bourenane. Il avait mari au bey
Ahmed-el-Kolli une de ses lles, Dakra(2) qui devait plus tard tre
la grandmre du dernier bey de Constantine. Il ne laissait que deux
enfants ; lan, Bouzid-ben-el-Hadj, accepta la position de khalifat
de son oncle Abdesselem, rest le chef de la principaut. Mais,
partir de ce moment, lhistorique des Moqrani nest plus quune suite
de luttes fratricides entre les membres de la famille diviss en
trois soffs rivaux : les Ouled-el-Hadj, qui ont avec eux les
Ouled-Abdesselem et restent le soff
______________________________________________________________1. Ne
pas confondre cette tribu noble des Ouled-Abdallah, qui habite le
sud dAumale et qui, depuis un sicle, a cess de faire partie de la
famille des Moqrani, avec le groupe ou soff tout moderne des Ouled
Abdallah-ben-el-hadj-ben-Bouzid-el-Moqrani, que nous verrons jouer
un rle dans les vnements de 1871. 2. Cette Dakra-bent-Moqrani fut
la copouse dune lle des Bengana, dj marie au bey Ahmed-ben-Kolli,
et qui neut pas denfant. Le ls de Dakra, Chrif, pousa une autre
femme de la famille des Bengana, El-hadja-Rekia (Voir plus loin
lextrait de la gnalogie des Moqrani.)
INTRODUCTION
15
principal, le soff des Ouled-Bourenane, et enn le soff dj ancien
des Ouled-Gandouz. Les Turcs entretinrent avec soin ces divisions
qui affaiblissaient les Moqrani, et qui rendaient de courte dure
les rares rconciliations que le danger commun inspirait aux divers
membres de la famille. Seuls les Ouled-el-Hadj et les
Ouled-Abdesselem restrent toujours unis jusque vers 1826. Les Turcs
nintervinrent presque jamais par la force dans ces querelles de
famille : ils faisaient massacrer les uns par les autres, et se
bornaient reconnatre tour tour comme chikh de la Medjana le chef de
soff qui consentait percevoir pour leur compte un impt de 50,000
francs sur les tribus, entre lOued-Sahel et le Hodna. Ils
changeaient dailleurs dalli au lendemain dun service rendu, si la
prpondrance de cet alli vis--vis des autres Moqrani pouvait devenir
inquitante pour lautorit beylicale : car, loin de se montrer
hostiles aux soffs vincs, les Turcs les mnageaient et les tenaient
en baleine par des promesses et quelquefois des cadeaux. Cest dans
ces singulires conditions que les Moqrani furent, depuis la n du
XVIIIe sicle, les feudataires des Turcs, qui ne purent jamais ni
reconstruire le fort de Bou-Arreridj, ni saffranchir de louadia eux
impose par Bouzid-elMoqrani ; le chikh de la Medjana administrait
dailleurs comme il lentendait, et exerait sans contrle les droits
rgaliens de haute et de basse justice. Il serait sinon sans intrt,
du moins sans utilit, de faire ici lhistorique des luttes
familiales des Moqrani de 1785 1830 ; il suft de rappeler les trois
ou quatre grands faits dont le pays a gard un souvenir vivace(1).
En 1806, tous les Moqrani se runirent momentanment en face des
paysans des O. Derradj, Madid, Ayad, O. Khelouf, Ouled-Brahim, O.
Teben, rvolts contre leurs seigneurs la voix du chikh
Ben-el-Harche, qui, aprs avoir, en 1803, vaincu et tu le bey
Ostmane, avait tabli son camp au pied du Mgris de Stif. Aids par
les familles seigneuriales du pays, et de concert avec une colonne
turque, les Moqrani battirent successivement les rebelles Mgris et
Rabla, o le chrif fut tu. En ces deux affaires, les Moqrani
sauvrent le beylik de Constantine. En 1809, le bey Tchaker, par une
trahison longuement prmdite, massacra, dans la Medjana mme, les
chefs du soir des Ouled-Bourenane auxquels il devait eu partie son
lvation au beylik. De ce jour le soff des O. Bourenane cessa de
compter. Ses dbris se rallirent soit aux Ouled-el-Hadj, soit aux
Ouled-Gandouz. En 1819, ce sont les chefs des Ouled-Gandouz qui,
leur tour, sont traitreusement massacrs, El-Arba, au sud de
Bordj-bou-Arreridj, par les chefs du soff des Ouled-Abdesselem et
des Ouled-el-Hadj, agissant linstigation du bey Ahmedel-Mili. Leurs
dbris impuissants essayrent de se grouper avec les Ouled-Bourenane,
et se rent battre, en 1824, El-Gomiz. Par contre, ils inigrent en
1825, prs Zamora, un lger chec au bey Ahmed ; mais ce fut tout. A
cette poque, il ne restait en situation dexercer une action
politique
______________________________________________________________1. On
trouvera une monographie plus dtaille des Moqrani avant la conqute
dans le livre de M. Fraud, Histoire des villes de la province de
Constantine : Bordj-bou-Arreridj ; Revue archologique, Constantine,
1872.
16
INTRODUCTION
quelconque que le groupe des Ouled-el-Hadj et des
Ouled-Abdesselem, habilement, conduit alors par Ben-Abdallah
-ben-Bouz id-el-Moqrani, Mais, en 1825, leur parent et alli
El-hadj-Ahmed ayant t nomm bey de Constantine, la bonne harmonie
fut de nouveau trouble dans la Medjana. Sans autre motif que celui
de se dbarrasser de ceux quil croyait gnants, le bey t arrter
El-hadj-Mohammed-ben-Abdesselem, El-bey-el-Ouennoughi-benBourenane
et Salah-ben-Gandouz. Sur les instances de sa femme Aichoueh et de
BenAbdallah, il consentit relcher Ben-Abdesselem, son beau-pre,
mais il ordonna de trancher la tte aux deux autres ;
Si-el-bey-el-Ouennoughi chappa cependant. Ceux qui restaient des
Ouled-Bourenane et des Ouled-Gandouz se rassemblrent Zamora et
battirent les Turcs commands par El-hadj-Ahmed, mais ils durent se
dissminer pour chapper la vengeance du bey, et vcurent depuis en
proscrits. Ben-Abdallah, toujours chikh de la Medjana, avait alors
comme lieutenants son neveu Ahmed-ben-Mohammed-ben-Bouzid et son
parent Mohammed-Abdesselem. Il cona ce dernier, qui tait dun
caractre pos, la perception des impts dans lOuennougha, fonction
lucrative que convoitait Ahmed-ben-Mohammed. Ce dernier, trs
froiss, sollicita et obtint du bey sa nomination la tte du cadat de
Khelil. Mais Ben-Abdallah naccepta pas de voir un Moqrani dans ces
fonctions trop dpendantes, et il rappela son neveu en lui faisant
de belles promesses, que dailleurs il ne tint pas. Celle rivalit
entre les deux cousins fut le point de dpart de la formation des
deux soffs qui divisrent les Moqrani jusqu la chute de cette
famille. A quelque temps de l, Ahmed-ben-Mohammed, qui saisissait
toutes les occasions de sloigner de son oncle, accompagna Alger le
bey de Constantine. Au retour, des gens du Tittery ayant attaqu ce
bey prs de Sour-Ghozlane(1), Ahmed-el-Moqrani le dfendit avec un
courage qui lui conquit les bonnes grces dEl-hadj-Ahmed Il en prola
pour se faire charger du recouvrement des impts dans lOuennougha,
au lieu et place de Mohammed-Abdesselem, menac dune arrestation sil
nobissait pas. Celui-ci nattendit pas son rival, el il partit
rejoindre, Sour-Ghozlane, Yahia-Agha, en ce moment en tourne. Ce
haut fonctionnaire turc tait lennemi dElhadj-Ahmed ; il couta
Mohammed-Abdesselem, et, avec un petit dtachement de janissaires,
il se porta dans la Medjana pour razzer la zmala dAhmed-el-Moqrani,
mais il choua, par suite de la vigilance des Hachem. A partir de ce
premier combat, la guerre fut en permanence entre les deux cousins
; elle fut cependant interrompue bientt par la proclamation du
djehad contre les chrtiens, dont on annonait larrive Alger. A
lappel du dey, les reprsentants des grandes familles oublirent un
instant leurs rivalits pour faire leur devoir de musulman, et ils
allrent chercher, dans des combats appels un grand retentissement,
loccasion dafrmer aux yeux de tous leur valeur et leur supriorit.
Le vieil Ben-Abdallah, retenu par son ge, resta seul la Medjana ;
Ahmedel-Moqrani et Abdesselem-el-Moqrani accompagnrent le bey avec
leurs contingents. Tous deux se distingurent aux combats de
Sidi-Feruch et de
Staouli.______________________________________________________________________1.
O plus tard fut bti Aumale.
II LE KHALIFAT AHMED-EL-MOQRANILa nouvelle de lentre des Franais
a Alger fut vite connue dans toute la Rgence, et, comme loligarchie
turque, renverse avec le dernier dey, navait ni racines ni
sympathies dans le pays, le retour dans les tribus des contingents
vaincus provoqua partout des dsordres et des rvoltes. Le dey
Hussein tait peine embarqu quen dehors de ltroit espace occup par
nos troupes et des cantons jusqualors indpendants, lanarchie
menaait lexistence mme de la socit indigne ; mais, presque aussitt,
les personnalits politiques ou religieuses, en pays arabe, et les
anciens des tribus, en pays berbres, sentremirent pour reconstituer
soit les efs hrditaires, soit les confdrations dmocratiques ou
guerrires, que le despotisme et la politique des Turcs avaient
amoindris ou briss. En dehors de ces confdrations, tablies surtout
dans les massifs montagneux peu accessibles, la noblesse dpe et
llment maraboutique furent tout de suite en comptition dintrts,
chacun voulant accaparer au prot de sa caste la direction des
masses affoles qui cherchaient des matres et des protecteurs. Dans
louest, llment maraboutique triompha ; aux luttes fratricides entre
musulmans il opposa la dfense sacre de lislam, et montra le pouvoir
politique comme devant revenir de droit ceux qui se seraient le
plus distingus dans la guerre sainte contre les chrtiens
envahisseurs. Ds le dbut, les marabouts de louest entrevirent ce
quon appela plus tard lre des cherfa, et, prparant la voie
Abd-el-Kader-ben-Mahieddine encore ignor, ils nous forcrent
conqurir les armes la main, et parfois tribu par tribu, la majeure
partie du territoire louest du mridien dAlger, et cela, malgr
lappoint considrable que nous donnrent les douars et zmalas, dont
llment maraboutique navait su se concilier ni laffection ni les
services. Dans lest et dans tout le Sahara, la noblesse dpe garda
la prminence sur les marabouts. L, les djouads avaient en effet
plus quailleurs conserv leur autorit politique, leurs privilges et
leurs inuences. Par les grands efs, reconnus comme cheikhats
hrditaires, ils dtenaient en ralit tout le pays, de Mda aux
frontires tunisiennes, et la suzerainet des beys du Titteri et de
Constantine tait bien plus nominale queffective. Il y avait en
outre, en 1830, la tte du beylik de Constantine, un homme dune
relle valeur, entour de conseillers intelligents qui surent tirer
parti de la situation et furent servis par les circonstances. Au
lieu de commettre la faute, com-
18
INTRODUCTION
me ses collgues du Titteri et dOran, de demander une investiture
ou un secours aux chrtiens victorieux, ce qui heurtait le sentiment
islamique et faisait le jeu des marabouts, le bey Ahmed se posa en
dfenseur de la foi, et il utilisa les rouages existants et ses
alliances familiales avec les grands feudataires de son beylik.
Sachant bien quavec les musulmans toute innovation est dangereuse,
il ne se proclama pas indpendant et affecta dagir en qualit de
khalifat et de successeur du dey renvers, attendant, disait-il, du
sultan de Stamboul des secours et le titre de pacha. Cette attitude
la fois correcte et habile lui fut facilite par une dclaration
solennelle du chikh-el-Islam de Constantine, qui, au nom du mufti,
des imans, des jurisconsultes et des notables de la ville, publia
un fetoua ou consultation disant en substance que telle tait la
conduite que devait tenir le bey pour sauvegarder les intrts de la
religion et empcher lanarchie . Les circonstances taient graves en
effet ; la nouvelle de la prise dAlger, les janissaires de
Constantine staient retirs sur le Mansoura et avaient proclam bey
Mahmoud, ls de lancien bey Tchakeur : il tait, disaient-ils,
dshonorant que des Turcs obissent un couloughli, un sang ml.
Beaucoup dhabitants de Constantine staient tout de suite rallis au
nouveau bey et avaient ferm les portes de la ville pour empcher la
rentre dAhmed-Bey. Celui-ci avait quitt Alger accompagn
dAhmed-el-Moqrani et des contingents de la Medjana; en arrivant aux
Bibane, il avait appris quun Moqrani des Ouled-Gandouz stait mis la
tte dun mouvement insurrectionnel dirig contre lui par les grandes
tribus des Ameur(1), des Abdelnour et des Tlaghma, aids des Qbals
des montagnes voisines de Stif. A cette nouvelle, le bey sarrta,
et, en mme temps quil dpchait des missaires ses parents, les
Bengana de Biskra, pour leur demander des secours, il expdiait
Ben-Gandouz une trs longue lettre se terminant par la promesse de
le nommer chikh de la Medjana et par linvitation de venir confrer
avec lui. Ben-Gandouz se laissa prendre ces belles paroles, et il
arriva au camp de bey, qui le maintint prisonnier. Cette trahison,
excute sur le territoire de sa principaut, indisposa le vieux chikh
Ben-Abdallah-el-Moqrani el son dle lieutenant Abdesselem, qui dj
voyait dun mauvais il la faveur croissante de son rival
Ahmed-el-Moqrani ; nanmoins ils laissrent le bey traverser
tranquillement la Medjana. Celui-ci arriva sans encombre au del de
Stif; larrestation de Ben-Gandouz avait fait avorter le plan des
rebelles, qui nosrent dabord attaquer le bey. Mais
Ben-Gandouz-el-Moqrani avait sa lle marie au cad des Ameur,
Salah-benIlls, et, quand celle-ci connut laventure de son pre et
linertie des Ameur, elle se mit parcourir cheval les campements de
son mari, et, le visage
dcouvert,______________________________________________________________________1.
Le cadat des Ameur, sous les Turcs, tait compos des tribus avec
lesquelles, en 1849, nous avons form les trois cadats des
Ameur-Guebala, Ameur-Dahra et Ouled-Nabet, lesquels, est 1867, 1868
et 1870, furent rpartis en seize douars communes, devenus autant de
sections communales dans lorganisation actuelle. Les Ameur, sous
les Turcs, disposaient de mille cavaliers ; ils avaient pour cad,
sous le bey Ahmed, Salah-ben-Ills, qui descendait dun des
janissaires, chapp de Zemora en 1659. Son pre et son grand-pre
avaient t cads dans le Hodna, Nous retrouverons les Ouled-Ills en
1871.
INTRODUCTION
19
les cheveux pars, elle appelait les guerriers la dlivrance de
son pre. Cet acte insolite, lclatante beaut et lexaltation de la
jeune et noble dame, rent un tel effet que, le surlendemain, au
point du jour, le camp du bey, install Dra-el-Toubal, chez les
Ouled-Abdelnour, tait cern par plusieurs milliers de cavaliers. Le
bey Ahmed leur envoya des agents srs et discrets qui engagrent les
rebelles parlementer ; il reut des dputs quil gagna prix dargent,
et lattaque fut remise au lendemain. Dans la nuit, Ben-Gandouz tait
trangl et enterr en un endroit du camp bien eu vidence; puis le
bey, laissant ses feux allums, dcampa et arriva au point du jour
Kef-Tarzout. Quand les goums rebelles, mystis et furieux, le
rejoignirent, il leur tint tte bravement et fut secouru en temps
utile par les nomades des Bengana. Aprs quoi, ta tte des Sahariens
victorieux(1) arriva sous les murs de Constantine. Abandonn alors
par ses janissaires, qui allrent rejoindre leurs camarades rvolts,
le bey campa sur les bords du Roummel, prs de laqueduc romain. Ce
fut l que la diplomatie des Bengana, admirablement servie par
lintelligente mre du bey, El-hadja-Rekia, russit, obtenir le fetoua
dont il a t parl plus haut, ce qui ouvrit les portes de la ville
Ahmed. Le premier soin du bey, rentr dans son palais, fut de se
dbarrasser de sa milice turque et du prtendant
Mahmoud-ben-Tchakeur, ce quoi il russit par la ruse et par de
nombreuses excutions ; aprs quoi il songea rompre la ligne des
seigneurs arabes. Mais tous ces crimes, lassassinat de
Ben-Guandouz, laffaire de Kef-Tarzout, et un nouveau guet-apens
dans lequel Mohammed-ben-el-hadj-Bengana, oprant pour le compte du
bey, avait attir les Abdelnour et les Telaghma An-Soltane, avaient
eu pour effet de resserrer lunion de tous les anciens ennemis du
bey. Cette fois, le vieux chikh de la Medjana, Ben-Abdallah, ou
plus exactement son khalifat, Abdesselem-el-Moqrani, tait la tte de
la ligue avec les Ameur ou les Ouled-Ills, les Abdelnour, les
Telaghma, les Righa-Dahra de Si-Mohammed-sghirben-chikh-Saad, les
Ouled-Mosly, les Ouled-Madi du soff Ouled-Bouras, etc. Quant
Ahmed-ben-Mohammed-el-Moqrani, il resta dle au bey, et, appuy par
les Ouled-Madi de loued Chellal (soff des Bouaziz), par quelques
fractions de lOuennougha, par les Righa-Guebala de chikh Messaoud,
il vint grossir les contingents des Bengana et dAli-ben-Assa. Mais
bientt le parti hostile au bey de Constantine reut des renforts
inesprs: lancien bey Ibrahim-el-Gueritli, destitu par Hussein,
arriva un beau jour chez Salah-ben-Ills, prcd de lettres apocryphes
annonant que les Franais, dbarqus Bne, lavaient nomm bey de
Constantine. Ibrahim tait le gendre de Ferhat-ben-Sad-Bonokkaz, le
chikh-el-Arah effectif du Sahara(2) ; celui-ci arriva avec les
Arab-Cheraga (Ahl-ben-Ali, Ghamra, Cherfa), les Ouled-Sahnoun,
etc.______________________________________________________________________1.
Les Sahari et les Bouazid, Selmia, Rahmane, ou Arab-Gheraba, qui
sont rests du soff des Bengana. 2. Mohamed-ben-el-hadj-Bengana tait
titulaire nominal de cette charge, mais il navait aucune autorit au
sud dEl-Oulaa.
20
INTRODUCTION
Le quartier gnral des rebelles fut dabord An-Kareb, chez les
Ouled-Abdelnour, puis il se transporta, lautomne de 1830,
Biar-Djedid, prs Mechira. Le bey Ahmed marcha contre eux ; eu une
nuit, son argent et la diplomatie de Mohammed-ben el-hadj-Bengana
russirent semer la division entre les divers chefs et en acheter
quelques-uns, entre autres Sahli-ben-Boubegbla, qui, le lendemain,
t volte-face avec les Ouled-Sahnoun au dbut du combat. Cette
trahison entrana la droute gnrale des ennemis du bey. Aprs cette
affaire, dans laquelle il reut en pleine gure en coup de feu qui
lui brisa quatre dents, Ahmed-el-Moqrani rentra dans les environs
de la Medjana, et, pendant que le bey allait guerroyer dans le
Sahara de Biskra, il reprit, pour son compte personnel, la lutte
contre Abdesselem-el-ben-Ills, quil russit rejeter momentanment
vers le sud. Cest alors quen fvrier 1831 Abdesselem-el-Moqrani,
Salati-ben-Ills et Ferhat-ben-Sad-ben-Bouokkaz envoyrent au gnral
Berthezne, Alger, des lettres dans lesquelles ils offraient leur
concours et leur soumission la France, condition quon les aidt
dbarrasser le pays du bey Ahmed. A cette poque, nous ntions pas mme
dapprcier la valeur de ces propositions, et encore moins en tat de
les accepter ; laffaire en resta l, pour tre reprise lanne
suivante, en janvier et mars 1832, avec une nouvelle insistance,
par Ferhat-ben-Sad-ben-Bouokkaz. Quoi quil en soit, comme point de
dpart de nos relations avec les grands chefs de la province de
Constantine, cette triple dmarche de fvrier 1831 est retenir. Dus
cette poque de leurs esprances de soutien par la France,
Abdesselem-el-Moqrani et ses allis sadressrent au bey de Tunis. Le
bey de Constantine intercepta la lettre dAbdesselem, et, quelques
annes plus tard, stant empar de lui par surprise, il lemprisonna
Constantine. Cette fois encore Abdesselem ne dut la vie quaux
instances de sa lle, Achouch, femme du bey. Protant de la captivit
de son cousin, Ahmed-el-Moqrani, investi par le bey du cheikhat de
la Medjana, prit le commandement des Hachem et la direction du
pays, en remplacement du vieil Ben-Abdallah, qui venait de mourir.
En 1836 et 1837, lors des deux expditions de Constantine,
Abdesselem resta dtenu la Kasba, et Ahmed-el-Moqrani combattit
contre nous ; ses contingents eurent de nombreux blesss, notamment
dans la retraite que couvrit, en 1836, le gnral Changarnier. A la
prise de Constantine, Abdesselem put schapper la faveur, du dsordre
qui suivit notre entre en ville ; protant son tour de labsence et
de lloignement de son cousin, rest avec le bey Ahmed, il se hta de
rallier lui les contingents de la Medjana et de prendre possession
du ef hrditaire. Ahmed-el-Moqrani suivit quelque temps le bey
vaincu et fugitif; il lui offrit de le conduire la Qalaa des
Beni-Abb ou dans le Djebel-Maadid ; mais le bey prfra se coner aux
Bengana, et chercher un refuge dans le Djebel-Aors. Un peu froiss
de cette prfrence et nayant rien faire de ce ct, Ahmed-el-Moqrani
reprit le chemin de la Medjana avec ses quelques cavaliers. Il tait
trop tard, la place tait occupe, et Abdesselem en force lui
interdit lentre du pays ; il alla alors chez les Ouled-Madi de
loued Chellal, puis nit par gagner la Qalaa des Beni-Abbs, rests
dles au soff des Ouled-el-Hadj. En dcembre 1837, lmir Abd-el-Kader,
que le trait de la Tafna avait sacr,
INTRODUCTION
21
aux yeux de tous les indignes, souverain lgitime des musulmans
dAlgrie, vint dans lOuennougha organiser son nouveau royaume et
faire reconnatre ses prtentions sur les pays environnants.
Ahmed-el-Moqrani et Abdesselem allrent lui, se dclarant prts
accepter sa suzerainet si les conditions taient leur convenance.
Abdesselem-el-Moqrani tait alors bien plus en situation dte utile
que Ahmed : ce fut donc lui que Abd-el-Rader agra et investit en
qualit de khalifat de la Medjana. Les OuledGandouz reurent aussi
des cadats dans le Hodna. Ahmed-el-Moqrani, ne voulant aucun prix
accepter lautorit de son cousin, essaya de le renverser, mais il ne
put lutter avec succs, car Abdesselem tait soutenu par les Hachem,
les Ouled-Madi de Msila, et aussi par llment maraboutique, que ses
intrts ralliaient lmir et chrif Abd-el-Kader-ben-Mahieddine.
Bientt, aux Beni-Abbs mme, la position ne fut plus tenable; les
gens des villages de Tazaert, Azrou, et une partie de ceux
dIghil-Ali et de Chouarikh, lui taient hostiles, et, pour ne pas
tre bloqu Qalaa, il dut se rfugier chez les Beni-Yadel dEl-Man. Un
jour, dans une sortie contre son cousin, Ahmed-el-Moqrani fut fait
prisonnier; Abdesselem se contenta de lexiler dans le Hodna et de
lui faire jurer de ne pas rentrer dans la Medjana. Un pareil
serment ne pouvait avoir une longue dure ; Ahmed-el-Moqrani, bout
de ressources, songea alors reprendre pour son compte lalliance
franaise que son cousin avait vainement sollicite huit ans
auparavant. Il se rendit dans ce but chez le chikh hrditaire de
Fordjioua, Bouakkaz-ben-Achour, qui avait t comme lui un ami du
dernier bey, et qui depuis stait ralli aux Franais. Le chikh
Bouakkaz affermit Ahmed-el-Moqrani dans ses intentions de
soumission, et celui-ci, aprs stre mis en relation avec
Ali-ben-Baahmed, cad el Aouassi(1), se prsenta vers la n de juillet
1838 au gnral Galbois, qui commandait Constantine. Quand il arriva,
nous venions de recevoir les offres de service de
Benhenniben-Ills(2), qui protant de notre inexprience du pays,
stait fait donner le titre de chikh de la Medjana, fonctions que
dailleurs il nexera jamais. Tout ce quon put faire pour
Ahmed-el-Moqrani fut de le nommer cad des Ameur ; deux mois aprs,
en septembre, Benhenni-ben-Ills ayant t tu dans une expdition
contre les Righa-Guebala, Ahmed-el-Moqrani eut le titre quil
dsirait, ou plutt celui de khalifat, qui fut inaugur ofciellement
le 30 septembre, et confr nos principaux allis ou lieutenants
indignes venus spontanment nous. Il est important de dire ici un
mot de cet arrt du 30 septembre, aujourdhui oubli, parce quil fut,
cette poque, un acte politique dune haute porte et
le______________________________________________________________________1.
Le cad el Aouassi, ou cad des Haracta, tait, sous les Turcs, un des
membres de la famille du bey ; il avait sous ses ordres la
confdration des Haracta compose de quatre tribus makhzne :
Ouled-Sad, Ouled-Siouan, Ouled-Khaufar, Eumara, et de trente-deux
petites tribus vassales, Sellaoua-Kherareb, etc. Ctait tout le pays
entre Bordj-Sigus et Halloufa, : tout ce qui fut plus tard le
cercle dAn-Beida, divis en six cadats. Ali-ben-Baahmed tait un
couloughli investi par nous ; il fut toujours un de nos plus dles
serviteurs. 2. Ctait le frre de Salah-ben-Ills, qui venait dtre tu
accidentellement en intervenant dans une rixe des Ameur.
22
INTRODUCTION
point de dpart de nos relations avec les grandes familles de la
province de Constantine. Il contenait une sorte de contrat
synallagmatique entre la France et ses khalifats, et les clauses de
ce contrat expliquent la rsistance que plusieurs dentre eux ont
apporte plus tard des mesures qui leur parurent restrictives des
hautes fonctions dont nous les avions revtus, en change de leur
concours volontaire et spontan. Tout dabord, il convient de
remarquer que les fonctions de khalifat ne devaient tre confres que
pour le gouvernement des territoires dont la France ne se rservait
pas ladministration directe(1) . Aussi les khalifats relevaient
directement du gnral commandant la province(2), dont ils taient les
lieutenants(3) . Aux temps de la conqute, alors que tout tait
militaire en Algrie, cela les assimilait implicitement des gnraux
de brigade. Ces hauts fonctionnaires avaient droit, dans ltendue de
leur commandement, aux honneurs attribus au khalifat sous le
gouvernement du bey(4) . Ils nommaient les cheiks des tribus
soumises leur autorit et prsentaient leurs candidats pour les
emplois de cad, qui restaient la nomination du commandant de la
province(5). Ils percevaient les divers impts pour le compte de
ltat et gardaient le tiers du hokor comme traitement(6) et frais de
reprsentation . Ils devaient gouverner les musulmans suivant les
lois du prophte(7). , et, enn, ils avaient une garde particulire
dun escadron de spahis irrguliers, en partie solds sur le budget de
la France(8). Cinq indignes seulement eurent cette haute situation
dans la province de Constantine(9). Aujourdhui, il peut nous
paratre bien trange que la France ait consacr et rgularis de
pareilles situations des indignes. Mais, au lendemain de la prise
de Constantine, alors que lex-bey Ahmed tenait encore la campagne,
alors que dans louest nous avions lutter contre lmir Abd-el-Kader,
alors que dans la mtropole labsurde ide de loccupation restreinte
avait tant, de partisans et faisait refuser nos gnraux les moyens
daction ncessaires, notre intrt nous
impo______________________________________________________________________1.
Titre, prambule et article 1er de larrt. 2. Le gnral tait dit
commandant suprieur . 3 Le mot khalifat na pas, en effet, dautre
sens que celui de lieutenant ; les premiers souverains musulmans
(les khalifes) prirent ce titre de khalifat comme lieutenants du
prophte ; et le moindre agent indigne a son khalifat, cest-a-dire
son aide, son remplaant. 4. Article 3. 5. Article 4. 6. Article 5.
7. Article 8. 8. Article 7, complt par larrte du 3 juillet 1840 B.
O., qui crait des escadrons de spahis de khalifat. Chaque escadron
avait cent cavaliers et quatre sous-lieutenants indignes. Ils
squipaient et se montaient leurs frais, et navaient pour
distinctive quune amme bleue. sur la tte , dit larrt; en ralit,
leur uniforme fut le bernous bleu. 9. Ali-ben-Aissa, ancien
lieutenant du bey, khalifat du Sahel Ali-ben-Hamlaoui, khalifat du
Ferdjioua, et remplac, ds 1840, par Bouakkaz-ben-Achour, dont il
tait lhomme de paille, et qui avait prfr dabord ne pas exercer de
fonctions ofcielles.
INTRODUCTION
23
sait ces procds pratiques et peu dispendieux, Ce quil nous
fallait alors, ce ntait ni des administrateurs ni des
fonctionnaires, ctait des allis puissants et inuents, des gens dont
le nom, les antcdents, la situation familiale, nous ssent accepter
par les populations, travailles par lmir au nom de lislam. A ces
allis inesprs, qui venaient nous offrir des pays que nous ne
connaissions pas, et dans lesquels on ne nous avait jamais vus, il
et t puril de demander autre chose quun concours politique et
guerrier. Cest ce quon l; et, ds que notre autorit se fut affermie,
il ne fut plus cr de khalifat, alors mme que dautres grands
personnages vinrent se ranger spontanment, sous notre autorit, avec
les populations dont leurs familles avaient eu jusqualors le
gouvernement effectif. Ceux-l, dans la province de Constantine,
furent de simples cads; cest ce qui arriva aux anciens chikhs
hrditaires de lAors, du Bellezma, de Qsarettir, du Zouagha, du Dir
et des Guerfa(1). Leurs cadats au dbut furent immenses mais ils
entrrent, ds le premier jour, notre service comme fonctionnaires,
et non comme allis. Les deux plus grands commandements de khalifat
furent, en 1838, celui du chikh-el-Arab, qui on donna tout le
Sahara (y compris le Djerid, qui est et a toujours t tunisien), et
celui de la Medjana, qui comprenait tout le territoire stendant
entre le khalifalik du Ferdjioua lest, larrondissement du
chikh-el-Arab au sud, et la province du Tittery louest ; parmi les
principales tribus explicitement dsignes dans larrt de nomination
se trouvaient celles du Hamza, celle de Bouada et celle du Hodna.
Le double de cet arrt, qui est du 24 octobre, fut, cette mme date,
remis en grande crmonie Ahmed-el-Moqrani par le marchal Vale, dans
le palais de Constantine. Le procs-verbal de cette remise et de la
prestation de serment du khalifat fut sign par dix-sept personnes.
Moins de deux mois aprs son investiture, le khalifat Moqrani se
faisait fort de faire passer travers les Bibane deux colonnes
franaises qui seraient parties dAlger et de Constantine, opration
que le gouvernement voulait faire pour afrmer ses droits sur un
pays que lmir sattribuait, en vertu dune
interprtation______________________________________________________________________Ahmed-el-Moqrani,
khalifat de la Medjana. Ferhat-ben-Sad, et, partir du 18 janvier
1840, Bouazid-Bengana, chikh-el-Arab, (un paragraphe de larrt
disait que le chikh-el-Arab avait rang de khalifat.)
Ali-ben-Baahmed, cad el Aouassi, nomm khalifat un peu plus tard. Le
cad des Hanencha (ancien chikh hrditaire) et celui des Ameur
avaient, daprs larrt, la mme situation que les khalifats, sauf
lescadron de spahis. 1, Sous les Turcs, le beylik de Constantine se
composait de : onze grands efs hrditaires reconnus, dont les chefs
portaient le simple titre de chikh, et taient de grands vassaux
avec lesquels on comptait. Vingt cadats de tribu ; quatre cadats de
ville ; dix-huit tribus, apanages du bey ; et enn vingt-trois
tribus reconnues indpendantes, cest--dire ne relevant nominalement
daucun chef investi par les Turcs ou reconnaissant leur suzerainet.
Un certain nombre de petits efs maraboutiques, indpendants en fait,
et en bonne relation avec les Turcs, qui les dclaraient exempts
dimpts.
24
INTRODUCTION
discutable des stipulations si trangement libelles du trait de
la Tafna. La colonne de Constantine, commande par le gnral Galbois,
se mit en route par Djemila et arriva Stif, sans coup frir, le 15
dcembre 1838 ; mais, celle dAlger ayant t immobilise par les
pluies, lexpdition lut remise lanne suivante. Le khalifat prota de
ce retard pour consolider ou tendre ses alliances; et les
circonstances favorisrent ses dmarches. En effet, au commencement
de 1839, et la suite dun chec inig Abdesselem, prs le
Djebel-Youcef, par le chikh de Qsarettir, chikh Messaoud, chef
indpendant des Righa-Quebala, lmir Abdel-Kader avait rappel son
khalifat Mda, et lavait remplac par Ahmed-benOmar, le propre khodja
dAbdesselem-el-Moqrani. Ctait la mise en pratique, par lmir, de la
substitution de llment maraboutique(1) la noblesse dpe dans la
direction des affaires. Pour quelle raison Abdesselem-el-Moqrani
accepta-t-il lhumiliation davoir sincliner devant son secrtaire, on
ne le sait pas au juste, mais il est permis de penser que ce fut la
haine quil portait son cousin qui lui t dvorer cet affront, dont
son orgueil de djouad dut cruellement souffrir. Au mois de mai
1839, le gnral Galbois revint Stif, o le khalifat Ahmed-el-Moqrani
vint au-devant de la colonne avec un goum de brillants cavaliers
des Hachem, Righa-Quebala, Ameur et Eulma ; le chikh Messaoud, de
Qsarettir, laccompagnait et venait, son incitation, se mettre, avec
les Righa de son soff la disposition du gnral et au service de la
France. Abdesselem stait retir devant nos troupes et avait pris
position SidiEmbareck. Le 25 mai, an soir, le colonel Lanneau, avec
trois cents chasseurs et le goum du khalifat Moqrani, fort de mille
cavaliers, se portait dans cette direction. Le 26, au point du
jour, Abdesselem prenait la fuite, et notre cavalerie, se lanant sa
poursuite jusquau del de Zemora, lui enleva tous ses mulets et une
partie de ses troupeaux. Cette belle razzia tait le premier fait de
guerre excut une de nos colonnes par le khalifat Moqrani ; elle eut
un grand retentissement chez les indignes. Ctait du reste un acte
de vigueur remarquable, car, en vingt-neuf heures, nos chasseurs et
nos goumiers avaient parcouru, presque sans repos, plus de 100
kilomtres (aller et retour)(2). De nombreuses soumissions en furent
la consquence immdiate, et quand, au mois doctobre suivant, le
marchal Vale et le duc dOrlans arrivrent Stif, ce fut au milieu
dune vritable ovation des tribus du voisinage. Le 25 octobre 1839,
le marchal et le prince staient arrts An-Turc, quand, dans la nuit,
le khalifat Moqrani vint annoncer que la route tait libre. Le 26,
on campait Bordj-Medjana, dont on prit possession en plaant
cinquante tirailleurs dans les ruines de lancien fortin turc. Le
28, toujours sans coup frir, la division dOrlans traversait les
Bibane,______________________________________________________________________1.
Ahmed-ben-Omar tait originaire de la famille chrienne des
Ouled-Sidi-Assa Aumale. 2. Le duc dOrlans, dans son livre des
Campagnes dAfrique, page 402, a fait un rcit tris color de cette
charge fantastique, qui ne paratrait pas croyable si elle navait
pas eu autant de tmoins .
INTRODUCTION
25
que les Turcs avaient nomm les Portes de Fer, et arrivait Alger
le 2 novembre. Au point de vue de notre action politique en Algrie,
cette marche militaire avait une grande porte; la prsence la tte
des troupes dun prince cher larme dAfrique t quon donna ce fait un
norme retentissement, et notre khalifat de la Medjana fut lobjet
dune considration toute spciale. En ralit, sil avait t actif et
habile, il avait travaill surtout en vue de la restauration de son
ef hrditaire, et il avait t trs heureux de faire voir aux
populations ces brillants et nombreux soldats appuyant ses droits
et son autorit sur le pays. Ou ne sut pas non plus, et surtout on
ne raconta pas cette poque, quen diplomate prudent,
Ahmedben-el-hadj-el-Moqrani avait, de ses propres deniers, pay ses
vassaux, comme venant de nous, le fameux tribut que les colonnes
turques avaient toujours sold aux riverains des Bibane. Le 31
octobre, trois jours aprs le passage du duc dOrlans aux Bibane,
deux cavaliers, envoys par Ben-Abdesselem-el-Moqrani, arrivaient
Tagdemt(1), ayant franchi avec des relais 400 kilomtres en
trente-six heures, et ils rendaient compte lmir de cette expdition
et de laltitude des populations traverses. Le 3 novembre 1839,
Abd-el-Kader tait Mda et nous dclarait la guerre. Pour faire tomber
les oppositions de la fodalit indigne dispose se rallier nous, pour
vaincre linertie des dmocraties berbres dsireuses de sisoler de la
lutte, le 20 novembre, le jour de lAd-el-Kebir, lmir, parlant avec
le double prestige de chrif ls du prophte, et de moqaddem des
Qadria, proclamait le Djehad : la guerre sainte, qui est
dobligation troite pour tous les musulmans ds quelle est proclame.
Aussitt la Mitidja tait envahie ; et partout les lieutenants ou les
missaires de lmir semaient la trahison et la dsaffection autour de
nos meilleurs agents. En quelques jours le bnce de lexpdition des
Portes de Fer tait perdu. Entour de contingents trop nombreux,
notre khalifat avait d quitter la Medjana et regagner la Qalaa de
Beni-Abbs, et, autour de Stif, notre rayon daction diminuait
rapidement. Pour faire face cette prise darmes gnrale, nous navions
ni effectifs sufsants, ni chef hauteur des difcults. Le marchal
Vale avait toutes les qualits qui commandent lestime et le respect,
mais ce ntait ni un homme de guerre ni un homme de gouvernement. Il
connaissait, pour les avoir traverses, ces vastes plaines au sud et
louest de Stif ; il avait vu luvre nos cavaliers et nos goumiers,
et, au lieu de faire razzer tout ce qui en pays plat appartenait
aux partisans de lmir, il prescrivait, pour protger Stif et appuyer
laction de notre khalifat, la cration dun petit camp retranch
An-Turc. Le point ne commandait ni ne dfendait quoi que ce soit,
et, de plus, il tait situ quelques milliers de mtres seulement de
montagnes habites par des populations kabyles trs denses, restes
indpendantes sous les Turcs, et avec lesquelles nous navions pour
le moment rien faire. Il y eut sur ce point, contre
Abdesselem-el-Moqrani et ses contingents,
une______________________________________________________________________1.
Prs Tiaret.
26
INTRODUCTION
srie de combats trs brillants, mais absolument inutiles(1).
Pendant ce temps, nos goums fondaient, et El-hadj-Mostafa,
beau-frre de lmir, et Ahmed-Chrif-benchikh-Saad, son alli avec les
Righa-Dahra, faisaient autour de Stif, au dtriment de nos allis
indignes, une guerre de courses et de razzias qui coupaient nos
communications et nous montraient impuissants protger nos nouveaux
sujets. Le khalifat Moqrani guerroya, sans grand succs, jusquau 20
mai 1840, o une sortie du colonel Levasseur et de la garnison de
Stif amena la soumission des Righa-Quebala et de Mohammed
-Sgir-ben-chikh-Saad, frre dAhmed-Chrif, chef du soff des Quebala,
jusqu ce jour lieutenant actif dAbdesslem et de lmir. Cette
affaire, laquelle notre khalifat prit une part honorable, loigna
pour quelques semaines les contingents dAbdesselem. Mais cette
accalmie fut de courte dure; la ncessit de dmonstrations armes du
ct de Philippeville et dautres points menacs nous avait forcs
rduire la garnison de Stif et supprimer le camp dAn-Turc. Cela
ressemblait une retraite, et il nen faut jamais avec les indignes.
El-hadj-Mostafa, khalifat et beau-frre de lmir, prota de celte
diminution de nos troupes pour arriver de Msila au mois de juillet,
travers les Ayad et Bordj-Redir. Il avait avec lui, disaiton, 5,000
cavaliers et 1,500 fantassins. Devant de pareilles forces, le
khalifat Moqrani fut oblig de se replier avec sa zmala dans les
montagnes, prs de Zemora ; la garnison de Stif fut pour ainsi dire
bloque. On se battit jusque sur lemplacement du march et sur celui
du cimetire ; et, depuis les Abdelnour jusquau Sahara, les
contingents afurent autour dEl-hadj-Mostafa. La situation, au mois
daot 1840, tait devenue critique, quand le colonel Levasseur reut
enn les renforts quil sollicitait depuis quelque temps, Aussitt il
se porta sur le camp que El-hadjMostafa avait install 20 kilomtres
seulement de Stif, Merdja-Zerga, et battit compltement les
contingents du khalifat de lmir. Dans cette affaire, une poigne de
Franais(2), aids des goums bien rduits dAhmed-el-Moqrani, de
Ben-Ouari, de Chikh-Messaoud, eurent raison de 6,000 cavaliers et
de 1,200 rguliers. Ce combat, qui fut sans contredit un des plus
brillants de ceux livrs par larme dAfrique, ne t pas grand bruit
chez les Franais ; mais il produisit un grand effet sur les
indignes. El-hadj-Mostafa fut forc de se replier Bordj-Redir, et
plus tard Msila. Le khalifat Moqrani dgagea la Medjana, reprit
possession de son commandement et put ds lors afrmer notre autorit
et aider utilement nos oprations militaires. Quelque temps aprs, le
15 octobre 1840, on crait la subdivision de Stif, comprenant le
Djerid et le khalifat de la Medjana , avec extension des limites de
larrondissement jusqu la Mditerrane, entre Bougie et Djidjelli.
Larrt de cration maintenait nanmoins la situation faite au khalifat
Moqrani et au chikh-el-Arab par larrt du 30 septembre(3). Le 22
fvrier 1841, le gnral Bugeaud(4) remplaait le marchal Vale
et______________________________________________________________________1.
Notamment celui du 8 mai 1840, colonel Lafontaine; celui du 9,
commandant Richepanse ; 11 mai, lieutenant Bourbaki et commandant
Richepanse ; 15 mai, colonel Lafontaine ; 20 mai, aux
Righa-Quehala, colonel Levasseur. 2. Deux bataillons de ligne, deux
compagnies de tirailleurs, quatre escadrons de chasseurs dAfrique,
une demi-batterie, sept huit, cents goumiers. 3. Articles 3 et 4 de
larrt du 15 octobre. 4. Nomm le 29 dcembre 1840.
INTRODUCTION
27
donnait aussitt aux affaires indignes et aux oprations
militaires une direction pratique, sinspirant la fois des ncessits
du pays et des intrts de la France. Tout dabord il substitua au
systme des petits postes, dont la garde et le ravitaillement
puisaient nos troupes sans effets utiles, des colonnes lgres
sufsamment fortes et outilles pour passer partout et montrer nos
soldats dans les tribus. Ds le mois de juin, les voies ayant t
habilement prpares par le khalifat Moqrani, le gnral Ngrier arriva
sans coup frir Msila, o il fut reu comme un librateur et on toutes
les tribus du voisinage vinrent spontanment faire acte de
soumission. En revenant vers Stif, on laissa, sur la demande du
khalifat, 300 hommes An-bou-Arreridj, autour du petit rocher isol
que surmontaient les ruines du fort Turc, dj occupes un instant en
1839. Pour se mettre labri dun coup de main, ces hommes dblayrent
les ruines, et, sans outils, avec de la terre en guise de mortier,
ils rent une enceinte de 190 mtres de contour quon nomma la
Redoute. Telle fut lorigine de Bordj-bou-Arreridj. Peu de jours
aprs cette installation, en juillet 1841, El-Hocene-Benazouz,
ancien khalifat de lmir Abd-el-Kader, destitu la suite de sa dfaite
au combat de Salsou(1) et depuis cette poque rfugi auprs
dEl-hadj-Mostafa, crivit Ahmed-el-Moqrani pour le prier dtre son
intermdiaire auprs des Franais et de lui faire accorder lamane.
Moqrani lui rpondit de venir Msila, o il le verrait ; mais notre
khalifat navait point oubli le concours effectif prt en diverses
circonstances Abdesselem par Benazouz : il t dire aux gens de Msila
darrter lancien khalifat de lmir et de le lui amener. Ce qui fut
fait. Moqrani lexpdia alors Constantine, do le gnral lenvoya lle
SainteMarguerite(2). Le commandement de la petite garnison de
Bou-Arreridj avait t con au capitaine Dargent, qui avait surtout
pour mission de guider et de conseiller le khalifat Moqrani. Il
devait lui transmettre et lui expliquer les ordres de lautorit. Il
ntait lui-mme ni le chef, ni le subordonn de khalifat, et cette
situation, qui ressemblait fort celle quont nos rsidents modernes
dans les pays de protectorat, demandait beaucoup de tact et
dintelligence. Elle tait dautant plus dlicate pour le capitaine
Dargent quen sa qualit dofcier commandant la garnison il tait
le______________________________________________________________________1.
Le combat de Salsou avait t livr le 24 mars 1840, non loin
dEl-Outaa, par les nomades Gberaba remontant vers le Tell, et qui
Benazouz voulait barrer route. Les Bengana, camps El-Mader, prs
Batna, ny assistaient pas. Les cavaliers de leur zmala taient venus
jusqu El-Kantara, mais ils avaient rebrouss chemin, un apprenant
les dispositions prises par Benazouz. Les Gheraba, rent, eux seuls,
un carnage pouvantable des rguliers de lmir. Quand un courrier en
apporta la nouvelle Bou-Aziz-Bengana, chikh-el-Arab, celui-ci vint
El-Outaa, et, moyennant 5,000 francs pays aux nomades de son soff ,
il t couper sur les cadavres cinq cents paires doreilles que
Khaled-ben-Ali-el-Hanachi, parent par alliance des Bengana, porta
Constantine, avec une lettre rendant compte des dispositions
stratgiques et des prouesses des Bengana dont ce combat t la
fortune. Le gnral Galbois ne sut que beaucoup plus tard la vrit.
(Voir dans la Revue africaine, 1884, page 253, les dtails vridiques
donns par M. Fraud sur cette affaire lgendaire.) 2. Plus tard, il
fut intern Bne, o il mourut en 1841.
28
INTRODUCTION
subordonn immdiat du gnral chef de la subdivision de Stif, et
que Moqrani, prenant la lettre son titre de lieutenant du gnral
commandant la province, crivait directement celui-ci sans passer
par lintermdiaire de la subdivision. Dautre part, le gnral qui
commandait Stif tait sonnent gn par les mnagements quil lui fallait
garder vis--vis le grand personnage qui commandait plus que lui
dans la subdivision : de l des tiraillements et des froissements.
La plupart des gnraux Stif ne saccommodrent pas volontiers de celte
situation exceptionnelle, et leur grande proccupation fut, suivant
une expression toute militaire souvent employe par eux, de faire
rentrer dans le rang ce khalifat, qui navait pas au mme degr que
les autres chefs indignes le ftichisme de lautorit. A chaque
instant, le capitaine Dargent avait exercer sa patience et son
habilet pour donner satisfaction ses chefs militaires, sans heurter
les susceptibilits ombrageuses du khalifat, qui se plaignait sans
cesse de notre intervention trop directe dans les affaires de son
commandement. Du moment quil assurait la paix, la scurit, et le
recouvrement des impts dans ses territoires, et quil se tenait, lui
et ses cavaliers, notre disposition pour le service de guerre, il
ne comprenait pas que nous lui demandions des comptes ou que nous
lui imposions des mesures quelconques dans lintrt de ses tribus. Ce
qui avait surtout le don de lindisposer contre nous, ctait de nous
voir pardonner des ennemis de son soff et nommer des emplois de
cad, dans sa circonscription, des gens qui, aprs lavoir combattu,
taient venus nous demander Lamane directement sans passer par son
intermdiaire. Il y eut prcisment, au mois de septembre 1841, un
grand froissement de ce genre, propos de la nomination, aux
fonctions de cad, du chikh Boudiafben-Bouras, chef du soff des
Ouled-Madi de Msila. Boudiaf, qui tait grand(1) ami dAbdesselem,
avait servi lmir Abd-el-Kader ; mais, voyant la prdilection de
celui-ci pour llment maraboutique, il avait demand lamane au gnral
Ngrier et avait offert ses services. Ctait un homme inuent,
intelligent, et ayant une rputation mrite de loyaut et de bravoure.
Ou le nomma cad, et jamais on neut regretter cette nomination. Mais
le khalifat regarda cette mesure comme une offense personnelle ; il
nous eu garda longtemps rancune, et il mit tout en uvre pour
empcher le fonctionnement du nouveau cadat. Il ne fallait pas non
plus demander au khalifat quelque chose qui ressemblt de
ladministration(2), mot dont il ignora toujours le sens. Par
contre, comme guerrier, et mme comme ngociateur, quand cela lui
plaisait et quon sen remettait entirement son initiative, il tait
pour nous un auxiliaire prcieux. Il le prouva bien en 1843,
lorsquil conduisit Bouada la colonne du gnral Sillgue, qui fut fort
bien accueillie sur sa route et dans la
ville.______________________________________________________________________
1. Cest le pre du cad Si-Sakhri-ben-Boudiaf et du cad
Si-Mohammed-benHenni-ben-Boudiaf, que nous retrouverons dans nos
rangs en 1871. 2. Le mot administrer na du reste pas dquivalent
exact chez les indignes on est oblig de se servir dun mot voisin ;
en arabe usuel, on gouverne, on commande, on ordonne, on dirige, on
exerce lautorit, on statue, on gre, on coordonne, on juge, on
soigne, on civilise mme, etc. ; mais on nadministre jamais dans le
sens rigoureux du mot.
INTRODUCTION
29
Ds lors, Bouada, quoique non occup, resta absolument soumis, et
de nombreuses tribus dOuled-Nal nous payrent limpt. En ce moment,
Moqrani avait presque compltement repris linuence traditionnelle de
sa famille, sauf aux Beni-Adel et aux Beni-Abbs, dont les fractions
voisines de loued Sahel, et, notamment la ville dIghil-Ali,
restaient toujours infodes sonrival Abdesselem. Ds lors, et malgr
les efforts du capitaine Dargent, qui tait cependant devenu son ami
et avait toute sa conance, Moqrani gouverna son khalifalik sans se
soucier de nos admonestations, exploitant ses gens en seigneur et
en maitre, et dpouillant ses ennemis pour combler ses anciens amis
ou sen crer de nouveaux. En 1843 et 1844, les Ouled-Bourenane,
Ouled-Gaudouz et Ouled-Abdesselem ayant fait leur soumission la
France, on eut de nouvelles difcults avec le khalifat, qui ne
voulait pas leur rendre les terres quils labouraient jadis, et dont
il stait empar. Lordre formel qui lui fut donn de laisser ses
cousins labourer lui parut trange, injuste et froissant. En ce qui
concernait les deux premiers groupes, il sexcuta cependant, quoique
pas content ; mais vis--vis dAbdesselem il t si bien, par ses
procds haineux et ses tracasseries incessantes, quil le rejeta dans
linsurrection au mois daot 1845. Abdesselem se retira aux
Beni-Yadel, et, pendant un an, avec une bande de cavaliers
dtermins, il ne cessa pas de couper la route de Stif
Bordj-bou-Arreridj, et de mettre en dfaut la surveillance du
khalifat. En mme temps, il travaillait activement tous les chefs
indignes de son soff, dj rallis la France, et il les poussait non
pas la rvolte contre nous, mais des campagnes dintrigues et de
dnonciations calomnieuses contre le khalifat. Ahmed-el-Moqrani vit,
tout de suite le plan de son ennemi, et il le djoua avec une rare
habilet. Se sentant entour de comptiteurs et de rivaux indignes qui
cherchaient le provoquer des rsistances et des manquements, pour se
faire donner par nous quelques lambeaux de son commandement et mme
le supplanter tout fait, il se montra particulirement correct et
dvou, et il manuvra, au milieu des complications qui se droulaient
autour de lui, de faon se crer des titres indiscutables notre
bienveillance. Il nen fut pas rcompens son gr : ni son zle ni sa
personnalit nempchrent en effet lautorit suprieure de poursuivre
luvre dorganisation et de progrs, ce qui ne pouvait se faire, en
bien des cas, quen sacriant les intrts particuliers du khalifat
lintrt gnral. Lordonnance royale du 15 avril 1845(1) abrogea les
arrts de 1838, et t, de cet alli et de ce grand vassal de la
premire heure, un haut fonctionnaire, ofciellement plac sous les
ordres dun ofcier suprieur commandant de cercle. Nous nous sentions
dj assez forts pour gouverner nous-mmes et,
notre______________________________________________________________________1.
Promulgu le 31 aot 1845. Larticle 121 dit : Dans chaque
circonscription de commandement, ladministration des territoires
arabes est exerce, sous les ordres du lieutenant gnral, par les
ofciers investis du commandement militaire. Ces ofciers ont sous
leurs ordres : 12 les fonctionnaires et agents indignes de tout
rang, institus par nous (bey et khalifat), ou par le gouverneur
gnral (bachagha, agha).
30
INTRODUCTION
gnrosit naturelle souffrait de voir les abus de toutes sortes
qui se commettaient dans les rgions relevant de nos beys et de nos
khalifats, qui nous cotaient plus quils ne nous rapportaient ; nos
distincts dmocratiques, nos exigences administratives et notre
hirarchie militaire saccommodaient mal de ces situations
privilgies, qui faisaient revivre sous nos yeux les murs et les
ides du XIIIe et du XIVe sicle. Certes, nous avions dexcellentes
raisons pour agir ainsi, mais il tait difcile de les faire accepter
par le khalifat, qui se trouvait ls dans ses intrts et dans son
orgueil, alors quil navait pas cess de nous servir loyalement ; il
nous accusait dingratitude et ne comprenait quune chose: cest que
nous voulions amoindrir sa situation et lui imposer, lui, noble
seigneur, qui nous avait fait volontairement hommage de son ef
hrditaire, les mmes obligations et les mmes devoirs que ceux imposs
aux agents indignes que nous avions rduits par la force des armes
ou que nous avions crs de toutes pices. Le khalifat protesta par sa
mauvaise humeur et surtout par son inertie. On en prit texte pour
complter et parfaire lorganisation du pays et mettre, autant que
possible, des agents plus maniables et plus dociles. A la n de
1846, on retira du commandement de Moqrani les trois quarts de
limmense confdration des Ouled-Nal : les Ouled-Zekri passrent dans
le cercle de Biskra, et les autres tribus, lexception de celles de
Bouada, passrent dans la subdivision de Mda(1). Ce coup fut trs
sensible au khalifat, car, en temps de paix, les Ouled-Nal lui
procuraient de beaux revenus. Lanne suivante, en 1847, lors de la
soumission de Ahmed-Taieb-bensalem, ex-khalifat de lmir, on enleva
encore Moqrani, au prot dOmar-Ben-Salem, nomm Bachagha de
lOued-Sahel, dans la subdivision dAumale, les tribus kabyles
Beni-Yala, Qsar, Sebkra, Beni-Mansour, Beni-Mellikeuch, Cherfa, sur
lesquelles Moqrani navait jamais eu la moindre autorit, et celles
de lOuennougha Gherba, Ksenna, Beni-Intacne, O. Msellem, qui taient
danciens serfs (adamya) de sa famille, mais du soff Adbesselem.
Rallies lmir, ces tribus de lOuennougha occidental, ou du soff
(Oudcuou-Abiod) loreille blanche(2) avaient t razzes et soumises
par le khalifat, en 1842. Mais il avait eu la main si lourde, et
leur avait si durement fait expier leur attachement et leur
concours Abdesselem, que les malheureuses populations staient de
nouveau rejetes dans linsurrection et avaient demand assistance
Ben-Salem. A aucun prix elles ne voulaient retomber sous lautorit
de Ahmed-el-Moqrani. Celui-ci tait de plus en plus mcontent, car,
cette fois, on lui avait bel et bien enlev une partie du ef
hrditaire et incontest de sa famille. On essaya de lui faire
comprendre que, nayant pas russi afrmer dune faon srieuse son
autorit et la ntre sur ces tribus, il tait indiqu de les remettre
aux mains de gens qui y seraient accepts sans nous obliger
intervenir, et qui feraient rentrer les impts sans nous forcer de
dispendieuses expditions, Ahmed-el-Moqrani
tait_____________________________________________________________________________
1. Ce sont celles qui ont gard ofciellement le nom gnrique
dOuled-Nal, et qui ont form plus tard lannexe puis le cercle de
Djelfa. 2. LOuennougha oriental tait dit loreille noire ,
Oudenou-Kahla : ces dnominations paraissent provenir de la couleur
des montagnes de lOuennougha, vues dun peu loin.
INTRODUCTION
31
intelligent, et il comprit fort bien ; mais il ntait pas dun
caractre modier sa manire de faire vis--vis ses anciens ennemis.
Bientt, le Hodna tout entier, livr aux cratures du khalifat, fut
dans un tat danarchie et de surexcitation tel quil fallut aviser.
On cra donc, en Octobre 1849, le cercle de Bouada, la tte duquel ou
plaa un commandant suprieur, ayant directement sous ses ordres des
cads ne relevant plus du khalifat. Ctait pour Moqrani une
diminution dautorit et de revenus, et cela mit le comble son
mcontentement. Ds lors, il cessa de soccuper des affaires de son
commandement, sisola dans son Bordj, et il fut impossible de rien
tirer de lui. A toutes nos communications, ou il ne rpondait pas,
ou il nous disait, en substance, avec plus ou moins de mnagements
dans la forme : Cest vous maintenant, et non plus moi, qui tes les
matres du pays ; vous avez des agents votre dvotion, et en qui vous
avez plus conance quen moi, puisque vous avez t les choisir parmi
mes ennemis, qui sont cependant aussi les vtres. Peut-tre
sauront-ils vous contenter mieux que je ne pourrais le faire, malgr
toute mon affection pour vous. Or prcisment, cette poque, nous
aurions eu besoin du zle et de lunion de tous nos agents. Cest, en
effet, en 1849 que parut, dans la subdivision dAumale, un individu
qui devait, plus tard, jouer un grand rle dans les annales des
insurrections algriennes. Il se nommait
Si-Mohammed-Lemedjed-ben-Abdelmalek, et fut vite connu sous le
sobriquet. de Boubeghla(1) en raison dune belle mule grise quil
montait, et qui composait toute sa fortune. Cet homme, venu de
louest, se donnait comme taleb et faiseur damulettes ; il stait
mari et x aux Adaoura, et navait dabord t lobjet daucune plainte ;
cependant, on le surveillait, et, sur des dnonciations dindignes,
on avait ni par donner lordre de larrter. Prvenu temps, il avait
pris la fu