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En décembre 1999, une forte tempête provoquait l’effondrement de maçonneries situées à l’aplomb de la cour de l’ancienne école primaire du Mont Saint-Michel 1 . En vue de la consolidation et de la restauration de ces murs, attribuables à la fin de la période médiévale, deux sondages sous surveillance archéologique ont été prati- qués par les Monuments Historiques, afin d’évaluer l’état général des parements et la nature des remblais à maintenir. Sous une première épaisseur de remblais mo- dernes, sont apparus des niveaux structurés dont les plus anciens sont datés des XIII e -XIV e siècles. Parmi le mobilier associé, figuraient différents moules destinés à la production d’objets en plomb 2 . Face à l’ampleur et à l’intérêt de ces découvertes, le service régional de l’archéologie de Normandie a décidé la prescription d’une fouille, dont nous vous présentons les premiers résultats aujourd’hui 3 . Les résultats de la fouille La parcelle est située au nord du village actuel (fig. 1), à proximité de la rue principale et de l’entrée de l’abbaye. D’une emprise de quatre-vingt mètres carrés, elle est délimitée par des maçonneries dessinant un espace trapézoïdal d’environ quatre mètres (d’Est en Ouest) et sept mètres (du Nord au Sud). Après un terrasse- ment manuel des remblais supérieurs du terrain, inaccessible aux engins méca- niques, une équipe de six archéologues de l’INRAP a assuré la fouille à partir de novembre 2004, sous la direction de François Delahaye, puis de Serge Mentelé 4 . En 1 F. Delahaye, Mont-Saint-Michel. Cour des écoles. Rapport de diagnostic archéologique, Caen, SRA Basse Normandie 2001. 2 Une partie de ces pièces a été présentée lors d’une exposition au musée de Caen et publiée dans le catalogue de l’exposition (juin 2002-octobre 2003) au musée de Normandie de Caen, Vivre au Moyen-Age. Archéologie du quotidien en Normandie, XIII e -XV e siècles, Caen 2002. 3 Une sélection de moules de la fouille a été présentée dans plusieurs articles ; voir F. Labaune- Jean, Un atelier de fabrication d’enseignes de pèlerinage au Mont-Saint-Michel, Cour des écoles, Rapport d’activité INRAP 2005, Paris 2006, pp.78-79 ; F. Labaune-Jean et S. Mentelé, Une production d’en- seignes de pèlerins au Mont-Saint-Michel, in : www.inrap.fr/archeologie préventive/Découvrir/Mul- timédias/Dossiers thématiques. 4 S. Mentelé (a cura di), Le Mont-Saint-Michel, cour des écoles (Manche, Basse Normandie). Un atelier de fabrication et de conception d’enseignes de pèlerinage de la fin du Moyen-Âge. Rapport final de fouille, Rennes, SRA Basse Normandie 2005. IMAGES DE L’ARCHANGE SAINT MICHEL DANS LES MOULES A ENSEIGNES DE PELERINAGE RECEMMENT DECOUVERTS AU MONT-SAINT-MICHEL Denis Bruna*, Françoise Labaune-Jean** * Université de Bourgogne ** INRAP Bretagne
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Images de l'archange Saint MIchel dans les moules à enseignes de pèlerinage récemment découverts au Mont-Saint-Michel

Jan 19, 2023

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En décembre 1999, une forte tempête provoquait l’effondrement de maçonneriessituées à l’aplomb de la cour de l’ancienne école primaire du Mont Saint-Michel 1.En vue de la consolidation et de la restauration de ces murs, attribuables à la fin dela période médiévale, deux sondages sous surveillance archéologique ont été prati-qués par les Monuments Historiques, afin d’évaluer l’état général des parements etla nature des remblais à maintenir. Sous une première épaisseur de remblais mo-dernes, sont apparus des niveaux structurés dont les plus anciens sont datés desXIIIe-XIVe siècles. Parmi le mobilier associé, figuraient différents moules destinés àla production d’objets en plomb 2. Face à l’ampleur et à l’intérêt de ces découvertes,le service régional de l’archéologie de Normandie a décidé la prescription d’unefouille, dont nous vous présentons les premiers résultats aujourd’hui 3.

Les résultats de la fouille

La parcelle est située au nord du village actuel (fig. 1), à proximité de la rueprincipale et de l’entrée de l’abbaye. D’une emprise de quatre-vingt mètres carrés,elle est délimitée par des maçonneries dessinant un espace trapézoïdal d’environquatre mètres (d’Est en Ouest) et sept mètres (du Nord au Sud). Après un terrasse-ment manuel des remblais supérieurs du terrain, inaccessible aux engins méca-niques, une équipe de six archéologues de l’INRAP a assuré la fouille à partir denovembre 2004, sous la direction de François Delahaye, puis de Serge Mentelé 4. En

1 F. Delahaye, Mont-Saint-Michel. Cour des écoles. Rapport de diagnostic archéologique, Caen, SRABasse Normandie 2001.

2 Une partie de ces pièces a été présentée lors d’une exposition au musée de Caen et publiéedans le catalogue de l’exposition (juin 2002-octobre 2003) au musée de Normandie de Caen, Vivreau Moyen-Age. Archéologie du quotidien en Normandie, XIIIe-XVe siècles, Caen 2002.

3 Une sélection de moules de la fouille a été présentée dans plusieurs articles ; voir F. Labaune-Jean, Un atelier de fabrication d’enseignes de pèlerinage au Mont-Saint-Michel, Cour des écoles, Rapportd’activité INRAP 2005, Paris 2006, pp.78-79 ; F. Labaune-Jean et S. Mentelé, Une production d’en-seignes de pèlerins au Mont-Saint-Michel, in : www.inrap.fr/archeologie préventive/Découvrir/Mul-timédias/Dossiers thématiques.

4 S. Mentelé (a cura di), Le Mont-Saint-Michel, cour des écoles (Manche, Basse Normandie). Un atelierde fabrication et de conception d’enseignes de pèlerinage de la fin du Moyen-Âge. Rapport final de fouille,Rennes, SRA Basse Normandie 2005.

IMAGES DE L’ARCHANGE SAINT MICHEL DANS LES MOULES A ENSEIGNES DE PELERINAGE RECEMMENT DECOUVERTS AU MONT-SAINT-MICHEL

Denis Bruna*, Françoise Labaune-Jean** * Université de Bourgogne** INRAP Bretagne

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raison de l’exiguïté de la parcelle, de la présence des étais de consolidation des ma-çonneries effondrées et de l’obligation d’installer des rampes d’accès et d’un sys-tème d’évacuation des déblais, la surface réelle étudiée s’est réduite à environ cin-quante huit mètres carrés. Ces différentes contraintes n’ont pas permis d’avoir unevision d’ensemble correcte de l’organisation et de la structuration de l’espace.

La fouille a permis de recenser trois phases d’occupation entre le XIVe siècle et leXVe siècle. Dans un premier temps, on a pu déterminer l’installation d’un premieratelier de production de moules et d’enseignes, matérialisé par une succession deniveaux de sol et d’espace de circulation en mortier, complétés par des zones rubé-fiées, des fosses et des trous de poteaux de structures légères (fig. 2). La durée del’activité se traduit sur le terrain par les différentes recharges de sols, superposéesen différentes strates, alternant couche rubéfiée, épandage cendreux et nivellementargileux. Cet espace d’atelier fortement perturbé par les installations postérieures,est daté de la fin du XIVe siècle -premier quart du XVe siècle. Les structures pren-nent place à l’intérieur des maçonneries du bâtiment antérieur édifié au cours duXIIIe siècle. Leur conservation partielle ne permet pas de restituer l’organisation decette occupation et son interaction avec le bâtiment. Ensuite, l’intensification dusiège du Mont par les Anglais engendre la transformation de cet espace en zone destockage (de type grenier), comme en témoignent un important niveau de grainescarbonisées et deux murs en bois effondrés qui viennent sceller les structures fos-

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1. - Plan de localisation du site de la cour des écoles, Infographie : S. Mentelé et A. Desfond /INRAP.

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soyées de l’atelier. Enfin, à la fin du XVe siècle, on observe une reprise de l’activitéde travail du métal avec de la forge et à nouveau une production d’objet en alliageplomb/étain. Ce travail est lié à des structures ténues de trous de poteaux, de zonesde foyers et de sols avec de nombreuses recharges. L’ensemble de ces aménage-ments légers est tout à fait cohérent avec ce type d’activité, comme le montrent lesexpérimentations de Nicolas Méreau 5. Un simple appentis protégeant un petit foyerconvient tout à fait à la mise en place de ces fabrications.

Ces traces archéologiques sont complétées par la découverte d’une fosse dépotoirayant livré dix-neuf moules, servant à la fabrication de vingt-sept objets différents (fig.3). Fonctionnant avec le premier état d’atelier, elle est calée chronologiquement par un

5 Nous tenons ici à le remercier vivement pour son aide importante dans le travail sur la miseen œuvre de la gravure des moules et sur les systèmes de coulée.

2. - Disposition des structures liées à la première phase de fabrication de moules d’enseigne, Info-graphie : S. Mentelé / INRAP.

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lot de treize monnaiesdécouvertes avec lesmoules, qui couvrentla fourchette chronolo-gique de 1386 à 1435 6.L’ensemble des objetsmis au jour sur la tota-lité de l’opération(diagnostic et fouille)comprend vingt-cinqkilogrammes de sco-ries, quatre creusets etdeux cent soixante ob-jets lithiques, compre-nant : cent vingt huitéléments de moulesfragmentaires ou com-plets, quarante et un

contre-moules, quatre-vingt onze éléments d’artisanat et déchets de taille, auxquels ilfaut ajouter des fragments d’outils liés à la fabrication (polissoirs, poids de foret…) etseulement deux éclats de plomb !

Les techniques de fabrication des moules et des enseignes

Ces découvertes ont permis d’aborder les différentes étapes de la fabrication desenseignes et des autres objets en plomb, tant pour la réalisation des moules quepour les étapes de leur utilisation, permettant d’enrichir et de valider les connais-sances dans ce domaine.

La réalisation des différents moules montre une bonne connaissance des maté-riaux et une maîtrise parfaite de leur composition et de leur réaction aux différentescontraintes (telles que les chocs thermiques). Les pierres retenues sont des grèsschisteux pour les moules et du calcaire (de Caen ?) pour les contre-moules. Aufinal, ce sont sept types de schiste qui ont pu être individualisés. Les différencescorrespondent à des variations dans les filons de roche-mère exploités. Les grès ar-moricains sont constitués par succession de couches sédimentaires détritiques, d’oùune matrice feuilletée. Une prospection géologique menée sur place a montré queles grès montrent une forte similitude de composition avec celle de filons situésdans le bassin de Pontorson 7. L’approvisionnement à proximité du Mont semble

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6 P.-A. Besombes, Étude des monnaies, in Mentelé (a cura di), Le Mont-Saint-Michel, cour des écolescit. p. 241 et suivantes.

7 L’étude géologique a été réalisée en 2006 par S. Pauly, dans le cadre d’un mémoire de master àl’université de Rennes II, sous la direction de M. Ponce de Léon : S. Pauly, Étude et classification pé-trologiques du mobilier de la fouille INRAP 2004-2005 au Mont-Saint-Michel, Mémoire de Master I Ar-chéologie et histoire. Rennes, Université de Rennes II, année 2005/2006.

3. - Vue de la fosse dépotoir en cours de dégagement, cl. S. Mentelé /INRAP.

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donc être privilégié dans le choix des matériaux. L’étude géologique n’est pas en-core aboutie, mais il apparaît que la nature de la roche employée est étroitement liéeà l’usage que l’on veut en faire. Pour l’outillage et les moules, il semble que ce sontles seules qualités mécaniques du matériau qui priment : il faut que la pierre ré-ponde, entre autres, à des contraintes d’abrasion et de résistance aux chocs ther-miques. La texture de la pierre tient donc une place dans la technique de réalisa-tion, ainsi que dans le type de pièce à couler. Les différentes qualités de grains sontadaptées à la finesse des détails gravés, les plus belles enseignes travaillées corres-pondant aux pierres les plus fines. Les caractéristiques techniques montrent unebonne résistance du matériau à la chaleur et un bon équilibre pour la taille et la gra-vure avec une pierre ni trop dure ni trop tendre. En l’absence de données spéci-fiques sur ce domaine, on peut penser qu’il s’agit d’une connaissance acquise, sui-vant les usages de l’époque, par la formation en apprentissage et la transmissiond’un savoir oral (sur le principe du compagnonnage).

Grâce à la présence des nombreux déchets de taille et à des éléments inachevés,il a également été possible de recueillir des informations sur la technique de mise enœuvre des pièces 8. Taillés de forme trapézoïdale dans des plaques de petites dimen-sions (une dizaine de centimètres de côté en moyenne), les objets conservent lestraces des outils de sciage sur les tranches et montrent un travail préparatoire im-portant avec des surfaces polies avec soin. Le bon ajustage des différentes valves re-pose entièrement sur la planéité pour l’équilibrage des surfaces.

Les techniques de gravure apparaissent sur des pièces inachevées conservant lestracés préparatoires. Ils sont réalisés à l’aide de pointes sèches de différentes tailles,compas, gouges, ciseaux et autres riflards. La marque d’un compas sous forme d’uncreux central pointé montre que le cercle semble servir de base à la réalisation d’unebonne partie des enseignes isolées. De plus, quelques pièces lithiques présentesdans le mobilier possèdent la forme caractéristique des molettes de lest des forets àarchet utilisés par les graveurs. L’examen de ces pièces et des moules livre des in-dices quant à la mise en œuvre, mais également sur l’environnement et le fonction-nement de l’atelier. Ainsi la finesse des détails indique le recours à des outils degrande précision, engendrant l’idée qu’un tel atelier ne peut fonctionner qu’avec laproximité d’un forgeron pour assurer leur remise à neuf et leur entretien quotidien.La dureté de la pierre occasionne une usure continuelle des pointes, nécessitantalors un suivi constant qui ne peut être effectué que par un professionnel.

Quant à l’iconographie, la disparité entre les gravures montre la présence de plu-sieurs « mains », mais aussi un traitement différent suivant les pièces coulées. Cer-tains moules correspondent à des pièces exceptionnelles par leurs détails alors qued’autres sont plus esquissés. Les différents spécialistes considèrent souvent que cetravail était confié à des orfèvres ou des graveurs de sceaux, mais cette interprétationne fait pas l’unanimité et le lot découvert ici ne permet toujours pas de trancher.

8 F. Labaune-Jean, Le mobilier lithique, in Mentelé (a cura di), Le Mont-Saint-Michel, cour des écolescit., p. 155 et suivantes.

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Par contre, cet ensemble permet de faire évoluer les connaissances sur la pra-tique de mise en œuvre des moules (fig. 4), grâce aux informations fournies sur laconception et la fonte des pièces au travers de la disposition des canaux de coulée,des trous d’évent, des tenons d’alignement et de calage des valves. Le cône de cou-lée est toujours placé sur un des petits côtés des moules et présente la forme d’undemi-cône faisant office d’entonnoir quand il est accolé avec l’encoche similairegravé sur la seconde valve. Dans son prolongement, les canaux de coulée sont dis-posés sur la surface de manière à alimenter rapidement et à combler la totalité del’espace gravé en creux de la pièce à façonner. Enfin, pour permettre au surplus demétal fondu de s’évacuer, des petits trous d’évent sont disposés de manière straté-gique sur toute la surface gravée, sur les zones en relief du moule, correspondant àdes vides de la pièce achevée. Suivant les moules, ils transpercent l’épaisseur de lapierre ou rejoignent des canaux coudés permettant d’acheminer le surplus vers l’ex-térieur par les tranches du moule. Des cônes de calage servent de repère de manièreà obtenir un ajustage parfait des éléments du moule.

La plupart des moules témoigne d’une volonté de produire en grande quantitéavec une utilisation maximale de la surface de chaque pierre. Seules les enseignesles plus complexes sont isolées, les autres objets montrent une disposition de couléeen grappe, en chapelet ou linéaire. Dans bien des cas, la coulée d’un objet est asso-ciée à celles d’autres éléments complémentaires, pas nécessairement liés dans leurusage. Une fois l’opération terminée, il suffit ensuite de sectionner les grappes obte-nues à l’amorce du canal de coulée. La disposition des secteurs gravés et l’organisa-tion du système de coulée semble dépendre de l’appréciation de l’artisan. Il doit à

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4. - Terminologie des différents aménagements de coulée visibles sur les valves de moule, Infogra-phie : F. Labaune-Jean /INRAP.

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la fois produire le plus de pièces possibles en une seule coulée, tout en tenantcompte de la rapidité de refroidissement de l’alliage utilisé une fois en contact avecla pierre, afin d’éviter des risques de manque. Cela sous-entend une étroite collabo-ration entre le graveur et le fondeur.

Si les pièces réalisées en plomb-étain n’ont pas été découvertes lors de la fouille,les indices archéologiques de terrain associés aux différentes traces de chauffe lais-sées par le métal en fusion sur la surface de la pierre témoignent indirectement deces productions sur place. Il convient aussi de signaler les nombreuses striesobliques visibles sur la plupart des moules et situées de part et d’autre des canauxde coulée. D’abord énigmatiques, elles ont pu être identifiées comme des marqueslaissées par les outils ayant servi à décoller les deux valves des moules après lafonte de l’objet, d’où leur présence systématique dans la zone des canaux, là où lemétal est le plus épais et où le risque d’abîmer l’objet coulé est réduit.

Les différentes formes de moules rencontrés ont permis d’observer la mise enœuvre des systèmes de coulée plus ou moins complexes suivant le volume de lapièce à obtenir. La disposition des différentes valves des moules est conçue pourpermettre la réalisation de pièces les plus complètes possibles. Par exemple, pourcertaines enseignes, la pièce est moulée en une seule fois, épingle de fixation com-prise. C’est le cas, notamment, de celles à l’effigie de la Vierge sous un édicule ouencore de Saint Michel à coquille. Le mobilier recueilli permet de restituer l’agence-ment nécessaire pour la réalisation de différents types d’objets. On obtient les as-semblages suivants :

- Pour une enseigne de pèlerinage ou un fermail, il faut un moule à deux valves fonc-tionnant selon deux systèmes : face gravée et contre-moule lisse ou deux faces gra-vées pour avoir un objet avec plus de relief.

- Pour une enseigne avec fixation intégrée, trois valves avec la plus grande gravée ducorps de l’enseigne, alors que la tranche des deux valves arrière comporte le tracé del’épingle.

- Pour une figurine en relief, il faut quatre pièces. La première est gravée en creuxavec le personnage. Elle est associée à un contre-moule pour lequel nous n’avonsaucune information (en creux ou plat ? gravé ou non ?). La base est comblée par unélément en forme de bouchon à tête plate, alors que le sommet de la pièce est oc-cupé par une petite pièce tronconique creuse. C’est par cet orifice que le métal en fu-sion est coulé.

- La réalisation des grelots demande, quant à elle, deux moules respectivement dedeux et trois pièces. Le premier permet de réaliser la moitié inférieure du grelot,alors que l’autre sert à créer la partie supérieure avec l’anneau de suspension.

- Enfin, les bagues requièrent des moules en trois pièces, associés à un contre-mouleen forme de tube tronconique. Ce dernier permet d’obtenir des bagues de différentsdiamètres (fig. 5).

La restitution 9 de ces assemblages au moyen de la 3D permet de mieux appré-cier ces dispositions et l’aspect des pièces obtenues à la coulée.

9 Travail réalisé bénévolement par Ph. Labaune.

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Les modèles iconographiques

D’un point de vue iconogra-phique, les moules fournissent destypes d’enseignes, avec des va-riantes de modèles connus enplomb et des nouveautés. Pour lemoment, aucun des moules mis aujour ne semble correspondre direc-tement à une enseigne connue. Laproduction en grande série et la ré-pétition de certaines dispositions in-diquent la popularité de certainsmotifs.

Il est important d’insister sur lefait qu’il s’agit du seul atelier de fa-brication d’enseignes découvert enEurope. On avait jusque-là mis aujour quelques rares moules à proxi-mité d’un sanctuaire, mais jamais unatelier proprement dit. De même, auMont-saint-Michel, avant la fouilleentamée en 2004, quelques moulesservant à fabriquer des enseignes àl’image de l’archange avaient étémis au jour lors de diverses décou-vertes fortuites 10. Ces objets ve-naient confirmer la célèbre lettre de

Charles VI, datée du 15 février 1393 et adressée aux habitants du Mont-Saint-Michelqui réalisaient et vendaient des « enseignes de Monseigneur saint Michel » 11.

Les fouilles récentes sur le site révèlent d’emblée, par le nombre de pièces misesau jour – 128 moules et 41 contre-moules –, l’ampleur de l’atelier et de sa supposéeactivité. De plus, tous ces moules qui servaient à réaliser des enseignes diffuséespar le Mont entre la fin du XIVe et celle du XVe siècle sont autant de documents ex-ceptionnels sur l’iconographie de saint Michel à travers les souvenirs de pèlerinagedu Mont. Ce point est important parce que nous connaissons plus d’une centained’enseignes de plomb à l’image de saint Michel découvertes dans plusieurs sites enEurope 12. La plupart montre l’archange terrassant le dragon, c’est-à-dire l’iconogra-

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10 Sur des moules découverts au Mont-Saint-Michel, voir D. Bruna Deux moules pour enseignes depèlerinage du Mont-Saint-Michel, Bulletin de la Société française de numismatique, 1990, n° 4, pp.790-794 et Insignes et souvenirs de pèlerins et autres « menues choseites » de plomb trouvées dans la Seine,Le Petit Journal des grandes expositions (Hors-série, Musée national du Moyen Âge), 1997, p. 11.

11 Secousse (a cura di), Ordonnance des rois de la troisième race, VII, Paris 1745, p. 590.12 C. Lamy-Lassalle, Les enseignes de pèlerinage du Mont-Saint-Michel, in M. Baudot (a cura di),

5. - Assemblage en 3D des valves servant à la fabri-cation de bagues, Infographie : Ph. Labaune.

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phie la plus courante du saint au Moyen Âge, mais aucune légende, aucun détailiconographique caractéristique ne précise, sur ces enseignes, le sanctuaire d’origine.Serait-ce le Mont-Saint-Michel ? le Monte Gargano ? l’église Saint-Michel d’Aiguilheau Puy – dont nous savons par des textes du XVe siècle et probablement quelquespièces, que cette église a diffusé des souvenirs à ses pèlerins 13 – ou serait-ce encoreun de ces très nombreux sanctuaires de la chrétienté occidentale voués à Michel etqui a voulu, lui aussi, tirer profit de leurs pèlerins en leur vendant des enseignes.L’abbaye de Glastonbury en Angleterre est de ceux là ; d’ailleurs, une enseigne dé-couverte à Londres en 1989 a été rapprochée de ce lieu 14. Par conséquent, lesmoules découverts au Mont-Saint-Michel servaient très vraisemblablement– soyons prudent – à réaliser des enseignes et autres souvenirs pour le Mont-Saint-Michel.

En ce qui concerne précisément les représentations du Mont et de l’archangesaint Michel, pour reprendre l’intitulé exact du colloque, il convient d’évoquer cequi est très rare, pour ne pas dire inexistant sur les scènes gravées des moules : lareprésentation du Mont-Saint-Michel à proprement parler. A part quelques repré-sentations de tourelles et autres éléments d’architecture sur les parties hautes dequelques broches de plomb qui évoquent plus une église en général que le sanc-tuaire lui-même, les images de sanctuaires sont particulièrement rares sur les en-seignes et les souvenirs de pèlerinage médiévaux. A titre d’exception, une ampoulede pèlerinage, à l’effigie de saint Thomas de Cantorbéry, datée vers 1200, montre auniveau du col des pèlerins s’aidant de béquilles et avançant vers la cathédrale deCantorbéry 15.

Si les moules découverts ne présentent pas l’abbaye montoise aussi précisémentdessinée que la cathédrale anglaise, il est fort probable que deux moules – completsavec leurs contre-moules et portant chacun d’eux deux creux – montrent, certesd’une manière très sommaire, un site voué à la Vierge sur le Mont ou plus encore leprieuré de Notre Dame de Tombelaine qui était un lieu de pèlerinage important etqui est vite apparu comme un complément au pèlerinage montois (fig. 6 et 7). Nousavons là l’image d’une Vierge portant l’Enfant au centre d’une porte, flanquée dedeux tours. Il peut s’agir d’une représentation sommaire de l’église de l’ancienprieuré de Tombelaine ou celle des fortifications de la petite île, telles qu’elles exis-

Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, III, Culte de saint Michel et pèlerinage au Mont, Paris 1971,pp. 271-286 ; D. Bruna, Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint Michel, in P. Bouet, G. Otranto,A. Vauchez a cura di), Culto e santuari di san Michele nell’Europa medievale, Bari 2007, pp. 367-384.

13 E. Cohen, In Haec Signa: Pilgrim-Badge trade in Southern France, Journal of Medieval History 2,1976, p. 196 ; Bruna, Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint Michel cit, p. 370.

14 B. Spencer, Pilgrim Souvenirs and Secular Badges. Medieval Finds from Excavations in London,Londres 1998, pp. 231-232.

15 L’une d’elle, découverte à Paris dans la Seine, est conservée au musée national du MoyenÂge, inv. Cl. 18063.; voir B. Spencer, The Ampullae from Cuckoo Lane, Excavations in Medieval Sou-thampton 1953-1969, Leicester 1975, II, pp. 245-246 ; Age of Chivalry, Art in Plantagenet England1200-1400, Catalogue d’exposition, Londres, Royal Academy of Arts, p. 219 et D. Bruna, Les En-seignes de pèlerinage et les enseignes profanes au musée national du Moyen Âge, catalogue de la collection,Paris 1996, n° 327.

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taient avant les destructions ordonnées parLouis XIV. Il est certes difficile de se pronon-cer, car il ne faut sans doute pas chercher unmodèle d’architecture précis à ce portique. Ils’agit vraisemblablement d’une image type si-gnifiant une porte ou une église. Plusieurs en-seignes, dont certaines originaires de Saint-Denis, reproduisent ce motif 16. Pour le cas dessouvenirs dionysiens, on peut voir dansquelques éléments d’architecture une évoca-tion de la porte de Saint-Denis qui était unehalte pour les pèlerins entre Paris et la cité deSaint-Denis ou une représentation sommairede l’abbaye avec ses deux tours, depuis la re-construction de la façade par Suger au milieudu XIIe siècle.

Si, au Moyen Âge, les images des sanctuairessont rares, celles du saint, de ses miracles, de sesreliques et plus encore de la présentation des re-liques sont très privilégiées. Là, le Mont-Saint-Michel, au regard des moules découverts, fait fi-gure d’exception puisque la plupart de sesenseignes ne portent pas les reliques fondatricesdu lieu. Nous savons que les reliques du Montn’étaient pas visibles ; c’est pourquoi, il étaitsans doute peu utile de les représenter sur lessouvenirs de pèlerinage. De plus, quelques-unesdes prestigieuses reliques du Mont étaient, pour-

rait-on dire, « abs-traites ». En effet, lemanteau de l’ar-change et le fragmentde marbre provenantdu Monte Garganosur lequel il était ap-paru étaient difficile-ment représentables.La seule relique mon-trée aux pèlerins etqui est d’ailleursl’unique représentée

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16 Bruna, Les Enseignes de pèlerinage et les enseignes profanes cit, n° 170.

7. - Moule similaire, cl. H. Paitier / INRAP.

6. - Valve de moule à enseignes : Vierge àl’Enfant, Notre-Dame de Tombelaine (?),cl. H. Paitier /INRAP.

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sur les enseignes de pèlerinage est l’épée.Un moule de pierre découvert au Mont dansles fouilles de l’atelier servait à couler de pe-tites épées de l’archange 17 (fig. 8). Les objetsobtenus (de huit centimètres de haut envi-ron) étaient de véritables enseignespuisqu’une épingle, prévue au revers, per-mettait de les fixer sur le vêtement.

La « personnalité » de saint Michel étaittelle qu’il n’était sans doute pas nécessairenon plus de montrer ses reliques sur lesenseignes. D’ailleurs, il semble s’agird’une particularité de quelques très grandssanctuaires, tels que Rome, Saint-Jacques-de-Compostelle, etc. Les enseignes de ceslieux ne portent pas les reliques conser-vées mais bel et bien la figure du saint oude son attribut. Saint Michel ne sembledonc pas déroger à ce qui semble être unecaractéristique des lieux saints de certainesgrandes figures de l’Église, puisqu’il estreprésenté le plus souvent en pied ou parla coquille.

Par conséquent, les enseignes du Mont-Saint-Michel ne présentent pas une icono-graphie exceptionnelle ou de nouveautésiconographiques. Cela est dû, rappelons-le, à la nature même de l’objet : les en-seignes sont des insignes, des objets de pe-tite taille (environ entre trois et sixcentimètres de haut ; les plus grands auMont-Saint-Michel mesurent huit ou neufcentimètres de haut). Sur une aussi petitesurface, on ne peut s’étendre : il faut allerà l’essentiel, c’est-à-dire, saint Michel. Plus encore, l’enseigne doit être lisible, sim-ple, comprise par tous sans pour autant être un objet « populaire » bien que les en-seignes soient cantonnées dans la catégorie d’objets d’ « art populaire » ou d’objettémoignant d’une religion ou d’une dévotion « populaire ». Ce qui est tout à faitinexact, car elles étaient destinées à tous les groupes de la société médiévale : du

17 Sur les reliques du Mont, voir dom J. Dubois, Le trésor des reliques de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, in J. Laporte (a cura di), Millénaire monastique du Mont-Saint-Michel, I, Histoire et vie monas-tique à l’abbaye, Paris 1967, pp. 501-592 (sur l’épée, voir pp. 569-570) ; F. Neveux, Les reliques duMont-Saint-Michel, in P. Bouet, G. Otranto, A. Vauchez (a cura di), Culte et pèlerinages à saint Michelen Occident. Les trois monts dédiés à l’archange, Rome 2003, pp. 245-269.

8. - Valve de moule à enseignes : épée desaint Michel, cl. H. Paitier / INRAP.

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plus modeste des pèlerins au plus il-lustre. Les scènes sont donc « clas-siques » comme celles de saint Mi-chel pesant les âmes ou terrassant ledragon. Ces deux rôles essentiels del’archange sont parfois associés surune seule et même enseigne. Deuxmoules présentent cette double scène(fig. 9 et 10). D’emblée, il est surpre-nant de voir qu’il s’agit, pour le casde ces deux moules et de tous ceuxmis au jour au Mont-Saint-Michel, detrès belles pièces lithiques, remarqua-blement travaillées, aux angles polis.On mesure le soin apporté à la pièce.Plus encore, les gravures des diversesfigures taillées en creux sont d’unequalité exceptionnelle et révèlentl’œuvre d’artistes au talent affirmé.Là encore, il s’agit d’un savoir-fairedigne d’un grand sanctuaire qui a sus’entourer d’hommes doués, de véri-tables graveurs professionnels. Cescaractères apparaissent aussi sur lesenseignes diffusées par d’autres pres-tigieux lieux de pèlerinage commeSaint-Denis, Cantorbéry, Walsingham,Rome, Saint-Jacques-de-Compostelleetc. Sur les moules, l’archange est ha-billé d’une tunique, ce qui sembleêtre une permanence, ici au XVe siè-cle, d’un détail ancien. En effet, à lafin du Moyen Âge, saint Michel aban-donne souvent sa tunique au profitd’une armure. Cette figure militairede l’archange est sans doute à asso-cier à l’actualité du Mont au début duXVe siècle : le site était devenu un lieupatriotique puisqu’il n’avait pas étépris par les Anglais. Saint Michel, lepatron du lieu, fait alors figure decombattant. Sur le cadre polylobé del’autre moule, des annelets et de pe-tites languettes ont été gravés. Les

Denis Bruna, Françoise Labaune-Jean

9. - Valve de moule à enseignes : saint Michel ter-rassant le dragon et pesant les âmes, cl. H. Paitier/ INRAP.

10. - Valve de moule à enseignes : saint Michel ter-rassant le dragon et pesant les âmes, cl. H. Paitier/ INRAP.

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Images de l’archange saint Michel dans les moules à enseignes de pèlerinage 195

premiers servaient à coudrel’enseigne sur le vêtement, lesautres – lorsqu’elles étaient re-pliées – maintenaient une piècede parchemin, de papier ou detissu coloré sous la scène ajou-rée pour en faire ressortir lesdétails.

Cependant, l’iconographiela plus courante reste, on l’adit, celle de l’archange terras-sant le dragon. Le thème estdécliné sur plusieurs moules(fig. 11). Saint Michel en ar-mure, debout, transperçant desa lance le dragon. Ce dernierest parfois montré menacé parl’épée de saint Michel. Lascène apparaît aussi sur unmoule, malheureusement in-complet, qui servait à obtenir

des cornets de plomb et d’étain destinés aux pèlerins (fig. 12). Un cornet de ce typeavait été découvert dans les fouilles de la Seine à Paris au XIXe siècle : l’archange yest montré debout, transperçant le démon de sa lance, sous un écu aux armes deFrance 18. Les fouilles de l’atelier du Mont-Saint-Michel ont également livré une

18 É. Corroyer, Guide descriptif du Mont-Saint-Michel, Paris 1883, p. 363.

11. - Valve de moule à enseignes : saint Michel terrassant le dragon, cl. H. Paitier / INRAP.

12. - Valve de moule à cornets (fragment) : saint Michelterrassant le dragon, cl. H. Paitier / INRAP.

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grande quantité de tessons de cornets en terre cuite. Malgré cette fréquence de cor-nets sur le Mont, il ne faudrait pas croire que ces objets étaient une spécificité dusanctuaire normand. Des objets faits d’un alliage de plomb ou d’étain ou façonnésen terre cuite étaient également vendus dans plusieurs autres sanctuaires à la fin duMoyen Âge et même jusqu’au XXe siècle 19. Des textes précisent que les pèlerins uti-lisaient des cornets, mais aussi des sifflets et des clochettes pour exprimer leur joie àleur arrivée dans les sanctuaires ou plus encore lors des présentations des reliques.

Comme la plupart des grands sanctuaires de la fin du Moyen Âge, le Mont-Saint-Michel fabriquait une grande variété de broches aux figures et aux significa-tions les plus diverses. Nous avons évoqué ci-dessus les moules servant probable-ment à couler des enseignes à l’image de la Vierge de Tombelaine, les cornets et lesépées. D’autres servaient à couler des coquilles. Nous trouvons trace de ces co-quilles, cornets et autres objets de saint Michel dans l’ordonnance de Charles VIévoquée plus haut. Le texte fait allusion aux pauvres gens du Mont, occupés à faireet à vendre diverses enseignes. Ces petits artisans devaient posséder leurs moulesou avoir reçu en prêt un ou plusieurs moules de l’abbaye. Vraisemblablement, surle Mont, il y avait un ou plusieurs grands ateliers qui dépendaient très certainement

Denis Bruna, Françoise Labaune-Jean196

19 Bruna, Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint Michel cit, pp. 372-373.

13. - Valve de moule à enseignes : coquilles surmontées de saint Michel tenant un écu, cl. H. Paitier/ INRAP.

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Images de l’archange saint Michel dans les moules à enseignes de pèlerinage 197

de l’abbaye et parallèlement, depetits marchands, parfois auto-risés par l’abbaye à vendre desenseignes. Les coquilles sont desobjets de plomb qui reprodui-sent des coquilles naturelles quel’on ramassait dans la baie duMont et que l’on vendait perfo-rées aux pèlerins depuis le XIe

siècle. Elles ont peut-être été lespremiers objets témoins diffusésau Mont avant que les ouvriersde plomb s’emparent de la fa-brication et du commerce desenseignes 20. Sur des moules dé-couverts au Mont, l’archange,couronné et nimbé, fait corpsavec la coquille et tient un écusur lequel on trouve tantôt uneVierge à l’Enfant flanquée defleurs de lys, tantôt l’écu auxarmes de France (fig. 13 et 14).

Tous ces objets obtenus parles nombreux moules décou-verts confirment la grande diversité des souvenirs rapportés par les visiteurs d’ungrand sanctuaire à la fin du Moyen Âge. Les fouilles de l’atelier du Mont-Saint-Mi-chel et leur étude scientifique en cours apportent aussi des informations sur l’uni-vers qui a présidé à la création de ces objets. Avec ces 128 moules et 41 contre-moules, l’ensemble mis au jour est exceptionnel. En effet, si l’on avait découvert desmoules à enseignes de pèlerinage à proximité des églises qui diffusaient ce type desouvenirs, on n’avait jamais mis au jour autant d’objets sur un seul et même lieu.Cette découverte n’est pas seulement celle d’un mobilier important, mais plus en-core d’un site, un atelier de fabrication d’enseignes. Ce point est essentiel puisqu’ils’agit d’une découverte sans précédent dont l’étude scientifique viendra sans doutecombler nos lacunes sur le réel fonctionnement d’un atelier à l’ombre d’un des plusgrands sanctuaires de l’Occident médiéval.

20 Bruna, Enseignes de plomb et autres souvenirs de saint Michel cit, p. 372

14. - Valve de moule à enseignes (fragment) : coquillesurmontée de saint Michel tenant un écu, cl. H. Paitier /INRAP.

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