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LA QUESTION DE LA TECHNIQUE Dans ce qui suit nous questionnons au sujet de la technique. Questionner, c'est travailler à un che- min, le construire. pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin et de ne pas s'at- tacher à des propositions ou appellations particu- lières. Le chemin est un chemin de la pensée. Tous les chemins de la pensée conduisent, d'une façon plus ou moins perceptible et par des passages inha- bituels, à travers le langage. Nous questionnons au sujet de la' technique et voudrions ainsi préparer un libre rapport à elle. Le rapport est libre, quand il ouvre notre être (Dasein) à l'essence (Wesen) de la technique. Si nous répondons à cette essence, alors nous pouvons prendre conscience de la technicité dans sa limitation. La technique n'est pas la même chose que l'es- sence de la technique. Quand nous recherchons l'es- sence de l'arbre, nous devons comprendre que ce qui régit tout arbre en tant qu'arbre n'est pas lui- même un arbre qu'on puisse rencontrer parmi les autres arbres. De même l'essence de la technique n'est "absolu- ment rien de technique. Aussi ne percevrons-nous jamais notre rapport à l'essence de la technique, aussi longtemps que nous nous bornerons à nous représenter la technique et à la pratiquer, à nous en accommoder ou à la fuir. Nous demeurons par- tout enchaînés à la technique et privés de liberté, que nous l'affirmions avec passion ou que nous la
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il (Wesen) C'~st (Dasein)

Nov 22, 2021

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dariahiddleston
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Page 1: il (Wesen) C'~st (Dasein)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Dans ce qui suit nous questionnons au sujet de la technique Questionner cest travailler agrave un cheshymin le construire C~st pourquoi il est opportun de penser avant tout au chemin et de ne pas satshytacher agrave des propositions ou appellations particushyliegraveres Le chemin est un chemin de la penseacutee Tous les chemins de la penseacutee conduisent dune faccedilon plus ou moins perceptible et par des passages inhashybituels agrave travers le langage Nous questionnons au sujet de la technique et voudrions ainsi preacuteparer un libre rapport agrave elle Le rapport est libre quand il ouvre notre ecirctre (Dasein) agrave lessence (Wesen) de la technique Si nous reacutepondons agrave cette essence alors nous pouvons prendre conscience de la techniciteacute dans sa limitation

La technique nest pas la mecircme chose que lesshysence de la technique Quand nous recherchons lesshysence de larbre nous devons comprendre que ce qui reacutegit tout arbre en tant quarbre nest pas luishymecircme un arbre quon puisse rencontrer parmi les autres arbres

De mecircme lessence de la technique nest absolushyment rien de technique Aussi ne percevrons-nous jamais notre rapport agrave lessence de la technique aussi longtemps que nous nous bornerons agrave nous repreacutesenter la technique et agrave la pratiquer agrave nous en accommoder ou agrave la fuir Nous demeurons parshytout enchaicircneacutes agrave la technique et priveacutes de liberteacute que nous laffirmions avec passion ou que nous la

10 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

niions pareillement Quand cependant nous consishydeacuterons la technique comme quelque chose de neutre cest alors que nous lui sommes livreacutes de la pire faccedilon car cette conception qui jouit aujourdhui dune faveur toute particuliegravere nous rend complegraveteshyment aveugles en face de lessence de la technique

On a longtemps enseigneacute que lessence dune chose est ce que cette chose est Nous questionnons au sujet de la technique quand nous demandons ce quelle est Un chacun connaicirct les deux reacuteponses qui sont faites agrave cette question Dapregraves lune la technique est le moyen de certaines fins Suivant lautre elle est une activiteacute de lhomme Ces deux maniegraveres de caracteacuteriser la technique sont solidaires lune de lautre Car poser des fins constituer et utiliser des moyens sont des actes de lhomme La fabrication et lutilisation doutils dinstruments et de machines font partie de ce quest la technique En font partie ces choses mecircmes qui sont fabriqueacutees et utiliseacutees et aussi les besoins et les fins auxquels elles servent Lensemble de ces dispositifs est la technique Elle est elle-mecircme un dispositif (Einshyrichtung) en latin un instrumentum

La repreacutesentation courante de la technique suishyvant laquelle elle est un moyen et une activiteacute humaine peut donc ecirctre appeleacutee la conception insshytrumentale et anthropologique de la technique

Qui voudrait nier quelle soit exacte Elle se conforme visiblement agrave ce que lon a sous les yeux lorsquon parle de technique La conception insshytrumentale de la technique est mecircme exacte dune faccedilon si peu rassurante quelle est aussi applicable agrave la technique moderne dont on affirme dailleurs aVec un certain droit que par rapport agrave la techshynique artisanale anteacuterieure elle est quelque chose de tout agrave fait autre donc de nouveau Une centrale eacutelectrique elle aussi avec ses turbines et ses dynashymos e8t un moyen construit par lhomme pour

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE Il

une fin poseacutee par lhomme Lavion agrave reacuteaction la machine agrave haute freacutequence sont des moyens pour des fins Naturellement une station de radar est moins simple quune girouette Naturellement la construction dune machine agrave haute freacutequence exige le jeu combineacute de diffeacuterents proceacutedeacutes de la techshynique industrielle Naturellement une scierie trashyvaillant dans une valleacutee perdue de la Forecirct-Noire est un moyen primitif compareacutee agrave la centrale eacutelecshy

trique du Rhin II demeure exact que la technique moderne soit

elle aussi un moyen pour des fins Cest pourquoi la conception instrumentale de la technique dirige tout effort pour placer lhomme dans un rapport juste agrave la technique Le point essentiel est de manier de la bonne faccedilon la technique entendue comme moyen On veut comme on dit laquoprendre en mainraquo la technique et lorienter vers des fins laquo spirituelles raquo On veut sen rendre maicirctre Cette volonteacute decirctre le maicirctre devient dautant plus insistante que la technique menace davantage deacutechapper au controcircle de lhomme

Mais supposons maintenant que la technique ne soit pas un simple moyen quelles chances restent alors agrave la volon teacute de sen rendre maicirctre Nous disions pourtant que la conception instrumentale de la technique eacutetait exacte et elle lest bien aussi La vue exacte observe toujours dans ce qui est devant nous quelque chose de juste Mais pour ecirctre exacte lobservation na aucun besoin de deacutevoiler lessence de ce qui est devant nous Cest lagrave seulement ougrave pareil deacutevoilement a lieu que le vrai se produit 1

Cest pourquoi ce qui est simplement exact nest pas encore le vrai Ce dernier seul nous eacutetablit dans un rapport libre agrave ce qui sadresse agrave nous agrave partir de sa propre essence La conception instrumentale

1 Ereignet sich Voir N du Tr 4

13 12 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

de la technique bien quexacte ne nous reacutevegravele donc pas encore son essence Afin de parvenir jusquagrave celle-ci ou du moins de nous en approcher il nous faut chercher le vrai agrave travers lexact Il nous faut demander quest-ce que le caractegravere instrumenshytal lui-mecircme De quoi relegravevent des choses telles quun moyen et une fin Un moyen est ce par quoi quelque chose est opeacutereacute et ainsi obtenu Ce qui a un effet comme conseacutequence on lappelle cause Mais ce par le moyen de quoi une autre chose est opeacutereacutee nest pas seul agrave ecirctre une cause La fin selon laquelle la nature des moyens est deacutetermineacutee est aussi regardeacutee comme cause Lagrave ougrave des fins sont rechercheacutees et des moyens utiliseacutes ougrave linstrumenshytaliteacute est souveraine lagrave domine la causaliteacute

Depuis des siegravecles la philosophie enseigne quil y a quatre causes 10 la causa materialis la matiegravere avec laquelle par exemple on fabrique une coupe dargent 20 la causa formalis la forme dans laquelle entre la matiegravere 30 la causa finalis la fin par exemple le sacrifice par lequel sont deacutetermineacutees la forme et la matiegravere de la coupe dont on a besoin 40 la causa efficiens celle qui produit leffet la coupe reacuteelle acheveacutee lorfegravevre Ce quest la techshynique repreacutesenteacutee comme moyen se deacutevoilera lorsque nous aurons rameneacute linstrumentaliteacute agrave la quadruple causaliteacute

Mais si la causaliteacute de son cocircteacute cachait dans lobscuriteacute ce quelle est A vrai dire depuis des siegravecles on fait comme si la doctrine des quatre causes eacutetait une veacuteriteacute tombeacutee du ciel et quelle fucirct claire comme le jour Le moment toutefois pourrait ecirctre venu de demander pourquoi y a-t-il preacuteciseacutement quatre causes quand on parle delles que veut dire agrave proprement parler le mot laquo causeraquo A partir de quoi le caractegravere causal des quatre causes se deacutetermine-t-il dune faccedilon si une quelles soient solidaires les unes des autres

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Aussi longtemps que nous nattaquons pas ces questions la causaliteacute et avec elle linstrumentaliteacute et avec celle-ci la conception courante de la techshynique demeurent obscures et flottantes

La coutume depuis longtemps est de repreacutesenshyter la cause comme ce qui opegravere Opeacuterer veut dire alors obtenir des reacutesultats des effets La causa efficiens lune des quatre causes marque la causashyliteacute dune faccedilon deacuteterminante Cela va si loin que lon ne compte plus du tout la causa finalis la finaliteacute comme rentrant dans la causaliteacute Causa casus se rattachent au verbe cadere tomber et signifient ce qui fait en sorte que quelque chose dans le reacutesultat laquo eacutechoieraquo de telle ou telle maniegravere La doctrine des quatre causes remonte agrave Aristote Cependant tout ce que les eacutepoques ulteacuterieures cherchent chez les Grecs sous la repreacutesentation et lappellation de laquo causaliteacuteraquo na dans le domaine de la penseacutee grecque et pour elle rien de commun avec lopeacuterer et leffectuer Ce que nous nommons cause (Ursache) ce que les Romains appelaient causa se disait chez les Grecs cxtnov ce qui reacutepond 1 dune autre chose Les quatre causes sont les modes solidaires entre eux de l laquo acte dont on reacutepondraquo (Verschulden) Un exemple peut eacuteclairer ceci

Largent est ce de quoi la coupe dargent est faite En tant que cette matiegravere (uumlAgravef)) il est co-resshyponsable de la coupe Celle-ci doit agrave largent ce de quoi elle est faite elle la gracircce agrave lui Mais elle ne reste pas seulement redevable envers largent En tant que coupe ce qui est redevable envers largent apparaicirct sous laspect exteacuterieur dune coupe et non sous celui dune agrafe ou dun anneau Il est donc

1 VeTlchuldet est coUpable de porte la responsabiliteacute de Schuld agrave la fois faute et dette se rattache agrave $ollen (ltlt devoir raquo) qui reacuteunit originellement les deux sens de commettre (une infraction) et decirctre tenu (des conseacutequences)

15 14 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

en mecircme temps redevable agrave laspect (d8occedil) de sa forme de coupe Largent dans lequel est entreacute laspect dune coupe laspect sous lequel apparaicirct la chose dargent sont tous deux agrave leur maniegravere co-responsables de la coupe sacrificielle

Un troisiegraveme facteur cependant demeure avant tout responsable de la coupe Cest ce qui linclut au preacutealable dans le domaine de la conseacutecration et de loffrande Elle est ainsi deacutefinie comme chose sacrificielle Ce qui deacute-finit termine la chose La chose ne cesse pas avec cettelaquo fin raquo mais commence agrave partir delle comme ce quelle sera apregraves la fabrishycation Ce qui en ce sens termine et achegraveve se dit ~ en grec teacuteAgraveoccedil mot quon traduit trop freacutequemment par laquo but raquo ~t laquo fin raquo et quainsi on interpregravete mal Le teacuteAgraveoccedil est responsable de ce qui comme matiegravere et de ce qui comme aspect est co-responsable de la coupe sacrificielle

Un quatriegraveme facteur enfin reacutepond aussi de la preacutesence et de la disponibiliteacute de la coupe sacrifishycielle acheveacutee cest lorfegravevre mais nullement en ceci que par son opeacuteration il produit la coupe sacrishyficielle acheveacutee comme effet dune fabrication nullement en tant que causa efficiens

La doctrine dAristote ne connaicirct pas la cause que ce nom deacutesigne pas plus quelle nemploie un terme grec correspondant

Lorfegravevre considegravere et il rassemble les trois modes mentionneacutes de l laquo acte dont on reacutepond raquo (Vershyschulden) Consideacuterer (uumlberlegen) se dit en grec AgraveeacuteytLV Agrave6yoccedil et repose dans 1amp1tocpXtVe08XL dans le faire-apparaicirctre Lorfegravevre est co-responsable comme ce agrave partir de quoi la pro-duction et le reposer-sur-soi de la coupe sacrificielle trouvent et conservent leur premiegravere eacutemergence 1 Les trois modes preacuteciteacutes de l laquo acte dont on reacutepondraquo

1 Cest agrave partir de lorfegravevre que la coupe commence agrave apparaicirctre ugrave eacutemerger dans la non-occultation

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

doivent agrave la reacuteflexion de lorfegravevre dapparaicirctre et dentrer en jeu dans la production de la coupe ils lui doivent aussi la maniegravere dont ils le font

La coupe sacrificielle preacutesente et agrave notre disposhysition est ainsi reacutegie par les quatre modes de l laquo acte dont on reacutepond raquo Ils diffegraverent entre eux et sont pourtant solidaires les uns des autres Quest-ce qui les unit au preacutealable Dans quel milieu joue le jeu concerteacute des quatre modes de 1laquo acte dont on reacutepondraquo Dougrave provient luniteacute des quatre causes Que veut dire penseacute agrave la grecque cet laquo acte dont on reacutepondraquo

Nous autres hommes daujourdhui inclinons trop facilement agrave comprendre 1 laquo acte dont on reacutepondraquo en mode moral comme un manquement ou encore agrave linterpreacuteter comme une sorte dopeacuterashytion Dans les deux cas nous nous fermons le cheshymin conduisant vers le sens premier de ce quon a appeleacute plus tard laquo causaliteacute raquo Aussi longtemps que ce chemin ne souvre pas agrave nous nous naperceshyvons pas non plus ce quest proprement cette insshytrumentaliteacute qui repose dans la causaliteacute

Pour nous preacutemunir contre ces fausses interpreacuteshytations de l laquo acte dont on reacutepond raquo nous eacuteclaireshyrousses quatre modes en partant de ce dont ils ont agrave reacutepondre Pour reprendre notre exemple ils reacutepondent de ceci que la coupe dargent est devant DOUS et agrave notre disposition comme chose servant au sacrifice ~tre devant et agrave la disposition (unoshy)(t~cr6~L) caracteacuterisent la preacutesence dune chose preacuteshysente (das Anwesen eines Anwesendeuron) Les quatre modes de lacte dont on reacutepond conduisent quelque chose vers son laquo apparaicirctre raquo Ils le laissent adveshynir dans l laquoecirctre-pregraves-deraquo (An-wesen) Ils le libegraverent dans cette direction et le laissent savanshycer (lassen bull an) agrave savoir dans sa venue parfaite Lacte dont on reacutepond a le trait fondamental de ce laissersavancer dans la venue Au sens dun

16 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

pareil laisser-savancer lacte dont on reacutepond est le laquo faire-venirraquo (Ver-an-lassen) 1 Consideacuterant le senshytiment quavaient les Grecs de l laquoacte dont on reacutepond raquo de l~td~ nous donnons maintenant au mot ver-an-Iassen un sens plus large (que le sens habituel) de faccedilon que ce mot exprime lessence de la causaliteacute telle que les Grecs la pensaient Au contraire la signification courante et plus eacutetroite d laquo occasionnerraquo neacutevoque rien de plus quun choc initial et un deacuteclenchement et deacutesigne une sorte de cause secondaire dans lensemble de la causaliteacute

Dans quel domaine cependant joue le jeu concerteacute des quatre modes du laquo faire-venirraquo Ce qui nest pas encore preacutesent ils le laissent arriver dans la preacutesence Ainsi sont-ils reacutegis dune faccedilon une par un conduire qui conduit une chose preacutesente dans l laquo apparaicirctre raquo Dans une phrase du Banshyquet (205 b) Platon nous dit ce quest cet acte de conduire ~ (eXp rot Eacutex rOuuml l~ ()lto~ tt~ to OcircI t61n otpOUumlI ~h[~ 7tiicreX Egravecrr~ 7tOL-tjcrtc

laquo Tout faire-venir (Veranlassung) pour ce shyquel quil soit - qui passe et savance du nonshypreacutesent dans la preacutesence est 7to(Ycrtc est pro-ducshytion (Hervor-bringen) raquo

Le point essentiel est que nous prenions la pro-ducshytion dans toute sa porteacutee et en mecircme temps au sens des Grecs Une pro-duction 7tOLYcrtc nest pas seulement la fabrication artisanale elle nest pas seulement lacte poeacutetique et artistique qui fait apparaicirctre et informe en image La cpucrtC par laquelle la chose souvre delle-mecircme est aussi une pro-duction est 7tOL1JcrtC La cpucrtC est mecircme 7tOLTcrtC au sens le plus eacuteleveacute Car ce qui est preacutesent cpucret a en soi (EgraveI euro~uteacutejraquo (cette possibiliteacute de) souvrir (qui est impliqueacutee dans) la pro-duction par exemple (la possibiliteacute qua) la fleur de souvrir dans la floshy

1 laquo Ver-an-lassen est plus actif que an-Iassen (laisser savancer) Le tcr- pousse pour ainsi dire le laisser vers un faireraquo (Heid)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 17

raison Au contraire ce qui est pro-duit par lartishysan ou lartiste par exemple la coupe dargent na pas en soi (la possibiliteacute de) souvrir (impliqueacutee dans) la pro-duction mais il la dans un autre (EgraveI ~Mcp) dans lartisan ou dans lartiste

Les modes du faire-venir les quatre causes jouent donc agrave linteacuterieur de la pro-duction Cest par celle-ci que chaque fois vient au jour aussi bien ce qui croicirct dans la nature que ce qui est lœuvre du meacutetier ou des arts

Mais comment a lieu la pro-duction soit dans la nature soit dans le meacutetier ou dans lart Quest-ce que le pro-duire dans lequel joue le quadruple mode du faire-venir Le faire-venir concerne la preacutesence de tout ce qui apparaicirct au sein du pro-duire Le pro-duire fait passer de leacutetat cacheacute agrave leacutetat non cacheacute 1 il preacutesente (bringt vor) Pro-duire (her-vorshybringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de cacheacute arrive dans le non-cacheacute 2 Cette arriveacutee repose et trouve son eacutelan dans ce que nous appelons le deacutevoilement 3 Les Grecs ont pour ce dernier le nom dciAgrave~eetcx que les Romains ont trashyduit par veritas Nous autres Allemands disons Wahrheit (veacuteriteacute) et lentendons habituellement comme lexactitude de la repreacutesentation

Ougrave nous sommes-nous eacutegareacutes Nous demandions ce quest la technique et sommes maintenant arrishyveacutes devant lciAgrave~eeLcx devant le deacutevoilement En quoi lessence de la technique a-t-elle affaire avec le deacutevoilement Reacuteponse en tout Car tout laquo proshy-duireraquo se fonde dans le deacutevoilement Or celui-ci rassemble en lui les quatre modes du faire-venir - la causaliteacute - et les reacutegit Dans son domaine rentrent les fins et les moyens et aussi linstrumenshy

1 Cf N du Tr 6 2 Cf pp 55 et 190 3 Das Entbergen le deacutesabritement le fairemiddotsortirmiddotdu-retrait

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

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qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 2: il (Wesen) C'~st (Dasein)

10 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

niions pareillement Quand cependant nous consishydeacuterons la technique comme quelque chose de neutre cest alors que nous lui sommes livreacutes de la pire faccedilon car cette conception qui jouit aujourdhui dune faveur toute particuliegravere nous rend complegraveteshyment aveugles en face de lessence de la technique

On a longtemps enseigneacute que lessence dune chose est ce que cette chose est Nous questionnons au sujet de la technique quand nous demandons ce quelle est Un chacun connaicirct les deux reacuteponses qui sont faites agrave cette question Dapregraves lune la technique est le moyen de certaines fins Suivant lautre elle est une activiteacute de lhomme Ces deux maniegraveres de caracteacuteriser la technique sont solidaires lune de lautre Car poser des fins constituer et utiliser des moyens sont des actes de lhomme La fabrication et lutilisation doutils dinstruments et de machines font partie de ce quest la technique En font partie ces choses mecircmes qui sont fabriqueacutees et utiliseacutees et aussi les besoins et les fins auxquels elles servent Lensemble de ces dispositifs est la technique Elle est elle-mecircme un dispositif (Einshyrichtung) en latin un instrumentum

La repreacutesentation courante de la technique suishyvant laquelle elle est un moyen et une activiteacute humaine peut donc ecirctre appeleacutee la conception insshytrumentale et anthropologique de la technique

Qui voudrait nier quelle soit exacte Elle se conforme visiblement agrave ce que lon a sous les yeux lorsquon parle de technique La conception insshytrumentale de la technique est mecircme exacte dune faccedilon si peu rassurante quelle est aussi applicable agrave la technique moderne dont on affirme dailleurs aVec un certain droit que par rapport agrave la techshynique artisanale anteacuterieure elle est quelque chose de tout agrave fait autre donc de nouveau Une centrale eacutelectrique elle aussi avec ses turbines et ses dynashymos e8t un moyen construit par lhomme pour

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE Il

une fin poseacutee par lhomme Lavion agrave reacuteaction la machine agrave haute freacutequence sont des moyens pour des fins Naturellement une station de radar est moins simple quune girouette Naturellement la construction dune machine agrave haute freacutequence exige le jeu combineacute de diffeacuterents proceacutedeacutes de la techshynique industrielle Naturellement une scierie trashyvaillant dans une valleacutee perdue de la Forecirct-Noire est un moyen primitif compareacutee agrave la centrale eacutelecshy

trique du Rhin II demeure exact que la technique moderne soit

elle aussi un moyen pour des fins Cest pourquoi la conception instrumentale de la technique dirige tout effort pour placer lhomme dans un rapport juste agrave la technique Le point essentiel est de manier de la bonne faccedilon la technique entendue comme moyen On veut comme on dit laquoprendre en mainraquo la technique et lorienter vers des fins laquo spirituelles raquo On veut sen rendre maicirctre Cette volonteacute decirctre le maicirctre devient dautant plus insistante que la technique menace davantage deacutechapper au controcircle de lhomme

Mais supposons maintenant que la technique ne soit pas un simple moyen quelles chances restent alors agrave la volon teacute de sen rendre maicirctre Nous disions pourtant que la conception instrumentale de la technique eacutetait exacte et elle lest bien aussi La vue exacte observe toujours dans ce qui est devant nous quelque chose de juste Mais pour ecirctre exacte lobservation na aucun besoin de deacutevoiler lessence de ce qui est devant nous Cest lagrave seulement ougrave pareil deacutevoilement a lieu que le vrai se produit 1

Cest pourquoi ce qui est simplement exact nest pas encore le vrai Ce dernier seul nous eacutetablit dans un rapport libre agrave ce qui sadresse agrave nous agrave partir de sa propre essence La conception instrumentale

1 Ereignet sich Voir N du Tr 4

13 12 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

de la technique bien quexacte ne nous reacutevegravele donc pas encore son essence Afin de parvenir jusquagrave celle-ci ou du moins de nous en approcher il nous faut chercher le vrai agrave travers lexact Il nous faut demander quest-ce que le caractegravere instrumenshytal lui-mecircme De quoi relegravevent des choses telles quun moyen et une fin Un moyen est ce par quoi quelque chose est opeacutereacute et ainsi obtenu Ce qui a un effet comme conseacutequence on lappelle cause Mais ce par le moyen de quoi une autre chose est opeacutereacutee nest pas seul agrave ecirctre une cause La fin selon laquelle la nature des moyens est deacutetermineacutee est aussi regardeacutee comme cause Lagrave ougrave des fins sont rechercheacutees et des moyens utiliseacutes ougrave linstrumenshytaliteacute est souveraine lagrave domine la causaliteacute

Depuis des siegravecles la philosophie enseigne quil y a quatre causes 10 la causa materialis la matiegravere avec laquelle par exemple on fabrique une coupe dargent 20 la causa formalis la forme dans laquelle entre la matiegravere 30 la causa finalis la fin par exemple le sacrifice par lequel sont deacutetermineacutees la forme et la matiegravere de la coupe dont on a besoin 40 la causa efficiens celle qui produit leffet la coupe reacuteelle acheveacutee lorfegravevre Ce quest la techshynique repreacutesenteacutee comme moyen se deacutevoilera lorsque nous aurons rameneacute linstrumentaliteacute agrave la quadruple causaliteacute

Mais si la causaliteacute de son cocircteacute cachait dans lobscuriteacute ce quelle est A vrai dire depuis des siegravecles on fait comme si la doctrine des quatre causes eacutetait une veacuteriteacute tombeacutee du ciel et quelle fucirct claire comme le jour Le moment toutefois pourrait ecirctre venu de demander pourquoi y a-t-il preacuteciseacutement quatre causes quand on parle delles que veut dire agrave proprement parler le mot laquo causeraquo A partir de quoi le caractegravere causal des quatre causes se deacutetermine-t-il dune faccedilon si une quelles soient solidaires les unes des autres

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Aussi longtemps que nous nattaquons pas ces questions la causaliteacute et avec elle linstrumentaliteacute et avec celle-ci la conception courante de la techshynique demeurent obscures et flottantes

La coutume depuis longtemps est de repreacutesenshyter la cause comme ce qui opegravere Opeacuterer veut dire alors obtenir des reacutesultats des effets La causa efficiens lune des quatre causes marque la causashyliteacute dune faccedilon deacuteterminante Cela va si loin que lon ne compte plus du tout la causa finalis la finaliteacute comme rentrant dans la causaliteacute Causa casus se rattachent au verbe cadere tomber et signifient ce qui fait en sorte que quelque chose dans le reacutesultat laquo eacutechoieraquo de telle ou telle maniegravere La doctrine des quatre causes remonte agrave Aristote Cependant tout ce que les eacutepoques ulteacuterieures cherchent chez les Grecs sous la repreacutesentation et lappellation de laquo causaliteacuteraquo na dans le domaine de la penseacutee grecque et pour elle rien de commun avec lopeacuterer et leffectuer Ce que nous nommons cause (Ursache) ce que les Romains appelaient causa se disait chez les Grecs cxtnov ce qui reacutepond 1 dune autre chose Les quatre causes sont les modes solidaires entre eux de l laquo acte dont on reacutepondraquo (Verschulden) Un exemple peut eacuteclairer ceci

Largent est ce de quoi la coupe dargent est faite En tant que cette matiegravere (uumlAgravef)) il est co-resshyponsable de la coupe Celle-ci doit agrave largent ce de quoi elle est faite elle la gracircce agrave lui Mais elle ne reste pas seulement redevable envers largent En tant que coupe ce qui est redevable envers largent apparaicirct sous laspect exteacuterieur dune coupe et non sous celui dune agrafe ou dun anneau Il est donc

1 VeTlchuldet est coUpable de porte la responsabiliteacute de Schuld agrave la fois faute et dette se rattache agrave $ollen (ltlt devoir raquo) qui reacuteunit originellement les deux sens de commettre (une infraction) et decirctre tenu (des conseacutequences)

15 14 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

en mecircme temps redevable agrave laspect (d8occedil) de sa forme de coupe Largent dans lequel est entreacute laspect dune coupe laspect sous lequel apparaicirct la chose dargent sont tous deux agrave leur maniegravere co-responsables de la coupe sacrificielle

Un troisiegraveme facteur cependant demeure avant tout responsable de la coupe Cest ce qui linclut au preacutealable dans le domaine de la conseacutecration et de loffrande Elle est ainsi deacutefinie comme chose sacrificielle Ce qui deacute-finit termine la chose La chose ne cesse pas avec cettelaquo fin raquo mais commence agrave partir delle comme ce quelle sera apregraves la fabrishycation Ce qui en ce sens termine et achegraveve se dit ~ en grec teacuteAgraveoccedil mot quon traduit trop freacutequemment par laquo but raquo ~t laquo fin raquo et quainsi on interpregravete mal Le teacuteAgraveoccedil est responsable de ce qui comme matiegravere et de ce qui comme aspect est co-responsable de la coupe sacrificielle

Un quatriegraveme facteur enfin reacutepond aussi de la preacutesence et de la disponibiliteacute de la coupe sacrifishycielle acheveacutee cest lorfegravevre mais nullement en ceci que par son opeacuteration il produit la coupe sacrishyficielle acheveacutee comme effet dune fabrication nullement en tant que causa efficiens

La doctrine dAristote ne connaicirct pas la cause que ce nom deacutesigne pas plus quelle nemploie un terme grec correspondant

Lorfegravevre considegravere et il rassemble les trois modes mentionneacutes de l laquo acte dont on reacutepond raquo (Vershyschulden) Consideacuterer (uumlberlegen) se dit en grec AgraveeacuteytLV Agrave6yoccedil et repose dans 1amp1tocpXtVe08XL dans le faire-apparaicirctre Lorfegravevre est co-responsable comme ce agrave partir de quoi la pro-duction et le reposer-sur-soi de la coupe sacrificielle trouvent et conservent leur premiegravere eacutemergence 1 Les trois modes preacuteciteacutes de l laquo acte dont on reacutepondraquo

1 Cest agrave partir de lorfegravevre que la coupe commence agrave apparaicirctre ugrave eacutemerger dans la non-occultation

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

doivent agrave la reacuteflexion de lorfegravevre dapparaicirctre et dentrer en jeu dans la production de la coupe ils lui doivent aussi la maniegravere dont ils le font

La coupe sacrificielle preacutesente et agrave notre disposhysition est ainsi reacutegie par les quatre modes de l laquo acte dont on reacutepond raquo Ils diffegraverent entre eux et sont pourtant solidaires les uns des autres Quest-ce qui les unit au preacutealable Dans quel milieu joue le jeu concerteacute des quatre modes de 1laquo acte dont on reacutepondraquo Dougrave provient luniteacute des quatre causes Que veut dire penseacute agrave la grecque cet laquo acte dont on reacutepondraquo

Nous autres hommes daujourdhui inclinons trop facilement agrave comprendre 1 laquo acte dont on reacutepondraquo en mode moral comme un manquement ou encore agrave linterpreacuteter comme une sorte dopeacuterashytion Dans les deux cas nous nous fermons le cheshymin conduisant vers le sens premier de ce quon a appeleacute plus tard laquo causaliteacute raquo Aussi longtemps que ce chemin ne souvre pas agrave nous nous naperceshyvons pas non plus ce quest proprement cette insshytrumentaliteacute qui repose dans la causaliteacute

Pour nous preacutemunir contre ces fausses interpreacuteshytations de l laquo acte dont on reacutepond raquo nous eacuteclaireshyrousses quatre modes en partant de ce dont ils ont agrave reacutepondre Pour reprendre notre exemple ils reacutepondent de ceci que la coupe dargent est devant DOUS et agrave notre disposition comme chose servant au sacrifice ~tre devant et agrave la disposition (unoshy)(t~cr6~L) caracteacuterisent la preacutesence dune chose preacuteshysente (das Anwesen eines Anwesendeuron) Les quatre modes de lacte dont on reacutepond conduisent quelque chose vers son laquo apparaicirctre raquo Ils le laissent adveshynir dans l laquoecirctre-pregraves-deraquo (An-wesen) Ils le libegraverent dans cette direction et le laissent savanshycer (lassen bull an) agrave savoir dans sa venue parfaite Lacte dont on reacutepond a le trait fondamental de ce laissersavancer dans la venue Au sens dun

16 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

pareil laisser-savancer lacte dont on reacutepond est le laquo faire-venirraquo (Ver-an-lassen) 1 Consideacuterant le senshytiment quavaient les Grecs de l laquoacte dont on reacutepond raquo de l~td~ nous donnons maintenant au mot ver-an-Iassen un sens plus large (que le sens habituel) de faccedilon que ce mot exprime lessence de la causaliteacute telle que les Grecs la pensaient Au contraire la signification courante et plus eacutetroite d laquo occasionnerraquo neacutevoque rien de plus quun choc initial et un deacuteclenchement et deacutesigne une sorte de cause secondaire dans lensemble de la causaliteacute

Dans quel domaine cependant joue le jeu concerteacute des quatre modes du laquo faire-venirraquo Ce qui nest pas encore preacutesent ils le laissent arriver dans la preacutesence Ainsi sont-ils reacutegis dune faccedilon une par un conduire qui conduit une chose preacutesente dans l laquo apparaicirctre raquo Dans une phrase du Banshyquet (205 b) Platon nous dit ce quest cet acte de conduire ~ (eXp rot Eacutex rOuuml l~ ()lto~ tt~ to OcircI t61n otpOUumlI ~h[~ 7tiicreX Egravecrr~ 7tOL-tjcrtc

laquo Tout faire-venir (Veranlassung) pour ce shyquel quil soit - qui passe et savance du nonshypreacutesent dans la preacutesence est 7to(Ycrtc est pro-ducshytion (Hervor-bringen) raquo

Le point essentiel est que nous prenions la pro-ducshytion dans toute sa porteacutee et en mecircme temps au sens des Grecs Une pro-duction 7tOLYcrtc nest pas seulement la fabrication artisanale elle nest pas seulement lacte poeacutetique et artistique qui fait apparaicirctre et informe en image La cpucrtC par laquelle la chose souvre delle-mecircme est aussi une pro-duction est 7tOL1JcrtC La cpucrtC est mecircme 7tOLTcrtC au sens le plus eacuteleveacute Car ce qui est preacutesent cpucret a en soi (EgraveI euro~uteacutejraquo (cette possibiliteacute de) souvrir (qui est impliqueacutee dans) la pro-duction par exemple (la possibiliteacute qua) la fleur de souvrir dans la floshy

1 laquo Ver-an-lassen est plus actif que an-Iassen (laisser savancer) Le tcr- pousse pour ainsi dire le laisser vers un faireraquo (Heid)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 17

raison Au contraire ce qui est pro-duit par lartishysan ou lartiste par exemple la coupe dargent na pas en soi (la possibiliteacute de) souvrir (impliqueacutee dans) la pro-duction mais il la dans un autre (EgraveI ~Mcp) dans lartisan ou dans lartiste

Les modes du faire-venir les quatre causes jouent donc agrave linteacuterieur de la pro-duction Cest par celle-ci que chaque fois vient au jour aussi bien ce qui croicirct dans la nature que ce qui est lœuvre du meacutetier ou des arts

Mais comment a lieu la pro-duction soit dans la nature soit dans le meacutetier ou dans lart Quest-ce que le pro-duire dans lequel joue le quadruple mode du faire-venir Le faire-venir concerne la preacutesence de tout ce qui apparaicirct au sein du pro-duire Le pro-duire fait passer de leacutetat cacheacute agrave leacutetat non cacheacute 1 il preacutesente (bringt vor) Pro-duire (her-vorshybringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de cacheacute arrive dans le non-cacheacute 2 Cette arriveacutee repose et trouve son eacutelan dans ce que nous appelons le deacutevoilement 3 Les Grecs ont pour ce dernier le nom dciAgrave~eetcx que les Romains ont trashyduit par veritas Nous autres Allemands disons Wahrheit (veacuteriteacute) et lentendons habituellement comme lexactitude de la repreacutesentation

Ougrave nous sommes-nous eacutegareacutes Nous demandions ce quest la technique et sommes maintenant arrishyveacutes devant lciAgrave~eeLcx devant le deacutevoilement En quoi lessence de la technique a-t-elle affaire avec le deacutevoilement Reacuteponse en tout Car tout laquo proshy-duireraquo se fonde dans le deacutevoilement Or celui-ci rassemble en lui les quatre modes du faire-venir - la causaliteacute - et les reacutegit Dans son domaine rentrent les fins et les moyens et aussi linstrumenshy

1 Cf N du Tr 6 2 Cf pp 55 et 190 3 Das Entbergen le deacutesabritement le fairemiddotsortirmiddotdu-retrait

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

JA QUESTION DE LA TECHNIQUE 19

qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 3: il (Wesen) C'~st (Dasein)

13 12 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

de la technique bien quexacte ne nous reacutevegravele donc pas encore son essence Afin de parvenir jusquagrave celle-ci ou du moins de nous en approcher il nous faut chercher le vrai agrave travers lexact Il nous faut demander quest-ce que le caractegravere instrumenshytal lui-mecircme De quoi relegravevent des choses telles quun moyen et une fin Un moyen est ce par quoi quelque chose est opeacutereacute et ainsi obtenu Ce qui a un effet comme conseacutequence on lappelle cause Mais ce par le moyen de quoi une autre chose est opeacutereacutee nest pas seul agrave ecirctre une cause La fin selon laquelle la nature des moyens est deacutetermineacutee est aussi regardeacutee comme cause Lagrave ougrave des fins sont rechercheacutees et des moyens utiliseacutes ougrave linstrumenshytaliteacute est souveraine lagrave domine la causaliteacute

Depuis des siegravecles la philosophie enseigne quil y a quatre causes 10 la causa materialis la matiegravere avec laquelle par exemple on fabrique une coupe dargent 20 la causa formalis la forme dans laquelle entre la matiegravere 30 la causa finalis la fin par exemple le sacrifice par lequel sont deacutetermineacutees la forme et la matiegravere de la coupe dont on a besoin 40 la causa efficiens celle qui produit leffet la coupe reacuteelle acheveacutee lorfegravevre Ce quest la techshynique repreacutesenteacutee comme moyen se deacutevoilera lorsque nous aurons rameneacute linstrumentaliteacute agrave la quadruple causaliteacute

Mais si la causaliteacute de son cocircteacute cachait dans lobscuriteacute ce quelle est A vrai dire depuis des siegravecles on fait comme si la doctrine des quatre causes eacutetait une veacuteriteacute tombeacutee du ciel et quelle fucirct claire comme le jour Le moment toutefois pourrait ecirctre venu de demander pourquoi y a-t-il preacuteciseacutement quatre causes quand on parle delles que veut dire agrave proprement parler le mot laquo causeraquo A partir de quoi le caractegravere causal des quatre causes se deacutetermine-t-il dune faccedilon si une quelles soient solidaires les unes des autres

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Aussi longtemps que nous nattaquons pas ces questions la causaliteacute et avec elle linstrumentaliteacute et avec celle-ci la conception courante de la techshynique demeurent obscures et flottantes

La coutume depuis longtemps est de repreacutesenshyter la cause comme ce qui opegravere Opeacuterer veut dire alors obtenir des reacutesultats des effets La causa efficiens lune des quatre causes marque la causashyliteacute dune faccedilon deacuteterminante Cela va si loin que lon ne compte plus du tout la causa finalis la finaliteacute comme rentrant dans la causaliteacute Causa casus se rattachent au verbe cadere tomber et signifient ce qui fait en sorte que quelque chose dans le reacutesultat laquo eacutechoieraquo de telle ou telle maniegravere La doctrine des quatre causes remonte agrave Aristote Cependant tout ce que les eacutepoques ulteacuterieures cherchent chez les Grecs sous la repreacutesentation et lappellation de laquo causaliteacuteraquo na dans le domaine de la penseacutee grecque et pour elle rien de commun avec lopeacuterer et leffectuer Ce que nous nommons cause (Ursache) ce que les Romains appelaient causa se disait chez les Grecs cxtnov ce qui reacutepond 1 dune autre chose Les quatre causes sont les modes solidaires entre eux de l laquo acte dont on reacutepondraquo (Verschulden) Un exemple peut eacuteclairer ceci

Largent est ce de quoi la coupe dargent est faite En tant que cette matiegravere (uumlAgravef)) il est co-resshyponsable de la coupe Celle-ci doit agrave largent ce de quoi elle est faite elle la gracircce agrave lui Mais elle ne reste pas seulement redevable envers largent En tant que coupe ce qui est redevable envers largent apparaicirct sous laspect exteacuterieur dune coupe et non sous celui dune agrafe ou dun anneau Il est donc

1 VeTlchuldet est coUpable de porte la responsabiliteacute de Schuld agrave la fois faute et dette se rattache agrave $ollen (ltlt devoir raquo) qui reacuteunit originellement les deux sens de commettre (une infraction) et decirctre tenu (des conseacutequences)

15 14 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

en mecircme temps redevable agrave laspect (d8occedil) de sa forme de coupe Largent dans lequel est entreacute laspect dune coupe laspect sous lequel apparaicirct la chose dargent sont tous deux agrave leur maniegravere co-responsables de la coupe sacrificielle

Un troisiegraveme facteur cependant demeure avant tout responsable de la coupe Cest ce qui linclut au preacutealable dans le domaine de la conseacutecration et de loffrande Elle est ainsi deacutefinie comme chose sacrificielle Ce qui deacute-finit termine la chose La chose ne cesse pas avec cettelaquo fin raquo mais commence agrave partir delle comme ce quelle sera apregraves la fabrishycation Ce qui en ce sens termine et achegraveve se dit ~ en grec teacuteAgraveoccedil mot quon traduit trop freacutequemment par laquo but raquo ~t laquo fin raquo et quainsi on interpregravete mal Le teacuteAgraveoccedil est responsable de ce qui comme matiegravere et de ce qui comme aspect est co-responsable de la coupe sacrificielle

Un quatriegraveme facteur enfin reacutepond aussi de la preacutesence et de la disponibiliteacute de la coupe sacrifishycielle acheveacutee cest lorfegravevre mais nullement en ceci que par son opeacuteration il produit la coupe sacrishyficielle acheveacutee comme effet dune fabrication nullement en tant que causa efficiens

La doctrine dAristote ne connaicirct pas la cause que ce nom deacutesigne pas plus quelle nemploie un terme grec correspondant

Lorfegravevre considegravere et il rassemble les trois modes mentionneacutes de l laquo acte dont on reacutepond raquo (Vershyschulden) Consideacuterer (uumlberlegen) se dit en grec AgraveeacuteytLV Agrave6yoccedil et repose dans 1amp1tocpXtVe08XL dans le faire-apparaicirctre Lorfegravevre est co-responsable comme ce agrave partir de quoi la pro-duction et le reposer-sur-soi de la coupe sacrificielle trouvent et conservent leur premiegravere eacutemergence 1 Les trois modes preacuteciteacutes de l laquo acte dont on reacutepondraquo

1 Cest agrave partir de lorfegravevre que la coupe commence agrave apparaicirctre ugrave eacutemerger dans la non-occultation

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

doivent agrave la reacuteflexion de lorfegravevre dapparaicirctre et dentrer en jeu dans la production de la coupe ils lui doivent aussi la maniegravere dont ils le font

La coupe sacrificielle preacutesente et agrave notre disposhysition est ainsi reacutegie par les quatre modes de l laquo acte dont on reacutepond raquo Ils diffegraverent entre eux et sont pourtant solidaires les uns des autres Quest-ce qui les unit au preacutealable Dans quel milieu joue le jeu concerteacute des quatre modes de 1laquo acte dont on reacutepondraquo Dougrave provient luniteacute des quatre causes Que veut dire penseacute agrave la grecque cet laquo acte dont on reacutepondraquo

Nous autres hommes daujourdhui inclinons trop facilement agrave comprendre 1 laquo acte dont on reacutepondraquo en mode moral comme un manquement ou encore agrave linterpreacuteter comme une sorte dopeacuterashytion Dans les deux cas nous nous fermons le cheshymin conduisant vers le sens premier de ce quon a appeleacute plus tard laquo causaliteacute raquo Aussi longtemps que ce chemin ne souvre pas agrave nous nous naperceshyvons pas non plus ce quest proprement cette insshytrumentaliteacute qui repose dans la causaliteacute

Pour nous preacutemunir contre ces fausses interpreacuteshytations de l laquo acte dont on reacutepond raquo nous eacuteclaireshyrousses quatre modes en partant de ce dont ils ont agrave reacutepondre Pour reprendre notre exemple ils reacutepondent de ceci que la coupe dargent est devant DOUS et agrave notre disposition comme chose servant au sacrifice ~tre devant et agrave la disposition (unoshy)(t~cr6~L) caracteacuterisent la preacutesence dune chose preacuteshysente (das Anwesen eines Anwesendeuron) Les quatre modes de lacte dont on reacutepond conduisent quelque chose vers son laquo apparaicirctre raquo Ils le laissent adveshynir dans l laquoecirctre-pregraves-deraquo (An-wesen) Ils le libegraverent dans cette direction et le laissent savanshycer (lassen bull an) agrave savoir dans sa venue parfaite Lacte dont on reacutepond a le trait fondamental de ce laissersavancer dans la venue Au sens dun

16 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

pareil laisser-savancer lacte dont on reacutepond est le laquo faire-venirraquo (Ver-an-lassen) 1 Consideacuterant le senshytiment quavaient les Grecs de l laquoacte dont on reacutepond raquo de l~td~ nous donnons maintenant au mot ver-an-Iassen un sens plus large (que le sens habituel) de faccedilon que ce mot exprime lessence de la causaliteacute telle que les Grecs la pensaient Au contraire la signification courante et plus eacutetroite d laquo occasionnerraquo neacutevoque rien de plus quun choc initial et un deacuteclenchement et deacutesigne une sorte de cause secondaire dans lensemble de la causaliteacute

Dans quel domaine cependant joue le jeu concerteacute des quatre modes du laquo faire-venirraquo Ce qui nest pas encore preacutesent ils le laissent arriver dans la preacutesence Ainsi sont-ils reacutegis dune faccedilon une par un conduire qui conduit une chose preacutesente dans l laquo apparaicirctre raquo Dans une phrase du Banshyquet (205 b) Platon nous dit ce quest cet acte de conduire ~ (eXp rot Eacutex rOuuml l~ ()lto~ tt~ to OcircI t61n otpOUumlI ~h[~ 7tiicreX Egravecrr~ 7tOL-tjcrtc

laquo Tout faire-venir (Veranlassung) pour ce shyquel quil soit - qui passe et savance du nonshypreacutesent dans la preacutesence est 7to(Ycrtc est pro-ducshytion (Hervor-bringen) raquo

Le point essentiel est que nous prenions la pro-ducshytion dans toute sa porteacutee et en mecircme temps au sens des Grecs Une pro-duction 7tOLYcrtc nest pas seulement la fabrication artisanale elle nest pas seulement lacte poeacutetique et artistique qui fait apparaicirctre et informe en image La cpucrtC par laquelle la chose souvre delle-mecircme est aussi une pro-duction est 7tOL1JcrtC La cpucrtC est mecircme 7tOLTcrtC au sens le plus eacuteleveacute Car ce qui est preacutesent cpucret a en soi (EgraveI euro~uteacutejraquo (cette possibiliteacute de) souvrir (qui est impliqueacutee dans) la pro-duction par exemple (la possibiliteacute qua) la fleur de souvrir dans la floshy

1 laquo Ver-an-lassen est plus actif que an-Iassen (laisser savancer) Le tcr- pousse pour ainsi dire le laisser vers un faireraquo (Heid)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 17

raison Au contraire ce qui est pro-duit par lartishysan ou lartiste par exemple la coupe dargent na pas en soi (la possibiliteacute de) souvrir (impliqueacutee dans) la pro-duction mais il la dans un autre (EgraveI ~Mcp) dans lartisan ou dans lartiste

Les modes du faire-venir les quatre causes jouent donc agrave linteacuterieur de la pro-duction Cest par celle-ci que chaque fois vient au jour aussi bien ce qui croicirct dans la nature que ce qui est lœuvre du meacutetier ou des arts

Mais comment a lieu la pro-duction soit dans la nature soit dans le meacutetier ou dans lart Quest-ce que le pro-duire dans lequel joue le quadruple mode du faire-venir Le faire-venir concerne la preacutesence de tout ce qui apparaicirct au sein du pro-duire Le pro-duire fait passer de leacutetat cacheacute agrave leacutetat non cacheacute 1 il preacutesente (bringt vor) Pro-duire (her-vorshybringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de cacheacute arrive dans le non-cacheacute 2 Cette arriveacutee repose et trouve son eacutelan dans ce que nous appelons le deacutevoilement 3 Les Grecs ont pour ce dernier le nom dciAgrave~eetcx que les Romains ont trashyduit par veritas Nous autres Allemands disons Wahrheit (veacuteriteacute) et lentendons habituellement comme lexactitude de la repreacutesentation

Ougrave nous sommes-nous eacutegareacutes Nous demandions ce quest la technique et sommes maintenant arrishyveacutes devant lciAgrave~eeLcx devant le deacutevoilement En quoi lessence de la technique a-t-elle affaire avec le deacutevoilement Reacuteponse en tout Car tout laquo proshy-duireraquo se fonde dans le deacutevoilement Or celui-ci rassemble en lui les quatre modes du faire-venir - la causaliteacute - et les reacutegit Dans son domaine rentrent les fins et les moyens et aussi linstrumenshy

1 Cf N du Tr 6 2 Cf pp 55 et 190 3 Das Entbergen le deacutesabritement le fairemiddotsortirmiddotdu-retrait

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

JA QUESTION DE LA TECHNIQUE 19

qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 4: il (Wesen) C'~st (Dasein)

15 14 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

en mecircme temps redevable agrave laspect (d8occedil) de sa forme de coupe Largent dans lequel est entreacute laspect dune coupe laspect sous lequel apparaicirct la chose dargent sont tous deux agrave leur maniegravere co-responsables de la coupe sacrificielle

Un troisiegraveme facteur cependant demeure avant tout responsable de la coupe Cest ce qui linclut au preacutealable dans le domaine de la conseacutecration et de loffrande Elle est ainsi deacutefinie comme chose sacrificielle Ce qui deacute-finit termine la chose La chose ne cesse pas avec cettelaquo fin raquo mais commence agrave partir delle comme ce quelle sera apregraves la fabrishycation Ce qui en ce sens termine et achegraveve se dit ~ en grec teacuteAgraveoccedil mot quon traduit trop freacutequemment par laquo but raquo ~t laquo fin raquo et quainsi on interpregravete mal Le teacuteAgraveoccedil est responsable de ce qui comme matiegravere et de ce qui comme aspect est co-responsable de la coupe sacrificielle

Un quatriegraveme facteur enfin reacutepond aussi de la preacutesence et de la disponibiliteacute de la coupe sacrifishycielle acheveacutee cest lorfegravevre mais nullement en ceci que par son opeacuteration il produit la coupe sacrishyficielle acheveacutee comme effet dune fabrication nullement en tant que causa efficiens

La doctrine dAristote ne connaicirct pas la cause que ce nom deacutesigne pas plus quelle nemploie un terme grec correspondant

Lorfegravevre considegravere et il rassemble les trois modes mentionneacutes de l laquo acte dont on reacutepond raquo (Vershyschulden) Consideacuterer (uumlberlegen) se dit en grec AgraveeacuteytLV Agrave6yoccedil et repose dans 1amp1tocpXtVe08XL dans le faire-apparaicirctre Lorfegravevre est co-responsable comme ce agrave partir de quoi la pro-duction et le reposer-sur-soi de la coupe sacrificielle trouvent et conservent leur premiegravere eacutemergence 1 Les trois modes preacuteciteacutes de l laquo acte dont on reacutepondraquo

1 Cest agrave partir de lorfegravevre que la coupe commence agrave apparaicirctre ugrave eacutemerger dans la non-occultation

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

doivent agrave la reacuteflexion de lorfegravevre dapparaicirctre et dentrer en jeu dans la production de la coupe ils lui doivent aussi la maniegravere dont ils le font

La coupe sacrificielle preacutesente et agrave notre disposhysition est ainsi reacutegie par les quatre modes de l laquo acte dont on reacutepond raquo Ils diffegraverent entre eux et sont pourtant solidaires les uns des autres Quest-ce qui les unit au preacutealable Dans quel milieu joue le jeu concerteacute des quatre modes de 1laquo acte dont on reacutepondraquo Dougrave provient luniteacute des quatre causes Que veut dire penseacute agrave la grecque cet laquo acte dont on reacutepondraquo

Nous autres hommes daujourdhui inclinons trop facilement agrave comprendre 1 laquo acte dont on reacutepondraquo en mode moral comme un manquement ou encore agrave linterpreacuteter comme une sorte dopeacuterashytion Dans les deux cas nous nous fermons le cheshymin conduisant vers le sens premier de ce quon a appeleacute plus tard laquo causaliteacute raquo Aussi longtemps que ce chemin ne souvre pas agrave nous nous naperceshyvons pas non plus ce quest proprement cette insshytrumentaliteacute qui repose dans la causaliteacute

Pour nous preacutemunir contre ces fausses interpreacuteshytations de l laquo acte dont on reacutepond raquo nous eacuteclaireshyrousses quatre modes en partant de ce dont ils ont agrave reacutepondre Pour reprendre notre exemple ils reacutepondent de ceci que la coupe dargent est devant DOUS et agrave notre disposition comme chose servant au sacrifice ~tre devant et agrave la disposition (unoshy)(t~cr6~L) caracteacuterisent la preacutesence dune chose preacuteshysente (das Anwesen eines Anwesendeuron) Les quatre modes de lacte dont on reacutepond conduisent quelque chose vers son laquo apparaicirctre raquo Ils le laissent adveshynir dans l laquoecirctre-pregraves-deraquo (An-wesen) Ils le libegraverent dans cette direction et le laissent savanshycer (lassen bull an) agrave savoir dans sa venue parfaite Lacte dont on reacutepond a le trait fondamental de ce laissersavancer dans la venue Au sens dun

16 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

pareil laisser-savancer lacte dont on reacutepond est le laquo faire-venirraquo (Ver-an-lassen) 1 Consideacuterant le senshytiment quavaient les Grecs de l laquoacte dont on reacutepond raquo de l~td~ nous donnons maintenant au mot ver-an-Iassen un sens plus large (que le sens habituel) de faccedilon que ce mot exprime lessence de la causaliteacute telle que les Grecs la pensaient Au contraire la signification courante et plus eacutetroite d laquo occasionnerraquo neacutevoque rien de plus quun choc initial et un deacuteclenchement et deacutesigne une sorte de cause secondaire dans lensemble de la causaliteacute

Dans quel domaine cependant joue le jeu concerteacute des quatre modes du laquo faire-venirraquo Ce qui nest pas encore preacutesent ils le laissent arriver dans la preacutesence Ainsi sont-ils reacutegis dune faccedilon une par un conduire qui conduit une chose preacutesente dans l laquo apparaicirctre raquo Dans une phrase du Banshyquet (205 b) Platon nous dit ce quest cet acte de conduire ~ (eXp rot Eacutex rOuuml l~ ()lto~ tt~ to OcircI t61n otpOUumlI ~h[~ 7tiicreX Egravecrr~ 7tOL-tjcrtc

laquo Tout faire-venir (Veranlassung) pour ce shyquel quil soit - qui passe et savance du nonshypreacutesent dans la preacutesence est 7to(Ycrtc est pro-ducshytion (Hervor-bringen) raquo

Le point essentiel est que nous prenions la pro-ducshytion dans toute sa porteacutee et en mecircme temps au sens des Grecs Une pro-duction 7tOLYcrtc nest pas seulement la fabrication artisanale elle nest pas seulement lacte poeacutetique et artistique qui fait apparaicirctre et informe en image La cpucrtC par laquelle la chose souvre delle-mecircme est aussi une pro-duction est 7tOL1JcrtC La cpucrtC est mecircme 7tOLTcrtC au sens le plus eacuteleveacute Car ce qui est preacutesent cpucret a en soi (EgraveI euro~uteacutejraquo (cette possibiliteacute de) souvrir (qui est impliqueacutee dans) la pro-duction par exemple (la possibiliteacute qua) la fleur de souvrir dans la floshy

1 laquo Ver-an-lassen est plus actif que an-Iassen (laisser savancer) Le tcr- pousse pour ainsi dire le laisser vers un faireraquo (Heid)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 17

raison Au contraire ce qui est pro-duit par lartishysan ou lartiste par exemple la coupe dargent na pas en soi (la possibiliteacute de) souvrir (impliqueacutee dans) la pro-duction mais il la dans un autre (EgraveI ~Mcp) dans lartisan ou dans lartiste

Les modes du faire-venir les quatre causes jouent donc agrave linteacuterieur de la pro-duction Cest par celle-ci que chaque fois vient au jour aussi bien ce qui croicirct dans la nature que ce qui est lœuvre du meacutetier ou des arts

Mais comment a lieu la pro-duction soit dans la nature soit dans le meacutetier ou dans lart Quest-ce que le pro-duire dans lequel joue le quadruple mode du faire-venir Le faire-venir concerne la preacutesence de tout ce qui apparaicirct au sein du pro-duire Le pro-duire fait passer de leacutetat cacheacute agrave leacutetat non cacheacute 1 il preacutesente (bringt vor) Pro-duire (her-vorshybringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de cacheacute arrive dans le non-cacheacute 2 Cette arriveacutee repose et trouve son eacutelan dans ce que nous appelons le deacutevoilement 3 Les Grecs ont pour ce dernier le nom dciAgrave~eetcx que les Romains ont trashyduit par veritas Nous autres Allemands disons Wahrheit (veacuteriteacute) et lentendons habituellement comme lexactitude de la repreacutesentation

Ougrave nous sommes-nous eacutegareacutes Nous demandions ce quest la technique et sommes maintenant arrishyveacutes devant lciAgrave~eeLcx devant le deacutevoilement En quoi lessence de la technique a-t-elle affaire avec le deacutevoilement Reacuteponse en tout Car tout laquo proshy-duireraquo se fonde dans le deacutevoilement Or celui-ci rassemble en lui les quatre modes du faire-venir - la causaliteacute - et les reacutegit Dans son domaine rentrent les fins et les moyens et aussi linstrumenshy

1 Cf N du Tr 6 2 Cf pp 55 et 190 3 Das Entbergen le deacutesabritement le fairemiddotsortirmiddotdu-retrait

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

JA QUESTION DE LA TECHNIQUE 19

qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 5: il (Wesen) C'~st (Dasein)

16 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

pareil laisser-savancer lacte dont on reacutepond est le laquo faire-venirraquo (Ver-an-lassen) 1 Consideacuterant le senshytiment quavaient les Grecs de l laquoacte dont on reacutepond raquo de l~td~ nous donnons maintenant au mot ver-an-Iassen un sens plus large (que le sens habituel) de faccedilon que ce mot exprime lessence de la causaliteacute telle que les Grecs la pensaient Au contraire la signification courante et plus eacutetroite d laquo occasionnerraquo neacutevoque rien de plus quun choc initial et un deacuteclenchement et deacutesigne une sorte de cause secondaire dans lensemble de la causaliteacute

Dans quel domaine cependant joue le jeu concerteacute des quatre modes du laquo faire-venirraquo Ce qui nest pas encore preacutesent ils le laissent arriver dans la preacutesence Ainsi sont-ils reacutegis dune faccedilon une par un conduire qui conduit une chose preacutesente dans l laquo apparaicirctre raquo Dans une phrase du Banshyquet (205 b) Platon nous dit ce quest cet acte de conduire ~ (eXp rot Eacutex rOuuml l~ ()lto~ tt~ to OcircI t61n otpOUumlI ~h[~ 7tiicreX Egravecrr~ 7tOL-tjcrtc

laquo Tout faire-venir (Veranlassung) pour ce shyquel quil soit - qui passe et savance du nonshypreacutesent dans la preacutesence est 7to(Ycrtc est pro-ducshytion (Hervor-bringen) raquo

Le point essentiel est que nous prenions la pro-ducshytion dans toute sa porteacutee et en mecircme temps au sens des Grecs Une pro-duction 7tOLYcrtc nest pas seulement la fabrication artisanale elle nest pas seulement lacte poeacutetique et artistique qui fait apparaicirctre et informe en image La cpucrtC par laquelle la chose souvre delle-mecircme est aussi une pro-duction est 7tOL1JcrtC La cpucrtC est mecircme 7tOLTcrtC au sens le plus eacuteleveacute Car ce qui est preacutesent cpucret a en soi (EgraveI euro~uteacutejraquo (cette possibiliteacute de) souvrir (qui est impliqueacutee dans) la pro-duction par exemple (la possibiliteacute qua) la fleur de souvrir dans la floshy

1 laquo Ver-an-lassen est plus actif que an-Iassen (laisser savancer) Le tcr- pousse pour ainsi dire le laisser vers un faireraquo (Heid)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 17

raison Au contraire ce qui est pro-duit par lartishysan ou lartiste par exemple la coupe dargent na pas en soi (la possibiliteacute de) souvrir (impliqueacutee dans) la pro-duction mais il la dans un autre (EgraveI ~Mcp) dans lartisan ou dans lartiste

Les modes du faire-venir les quatre causes jouent donc agrave linteacuterieur de la pro-duction Cest par celle-ci que chaque fois vient au jour aussi bien ce qui croicirct dans la nature que ce qui est lœuvre du meacutetier ou des arts

Mais comment a lieu la pro-duction soit dans la nature soit dans le meacutetier ou dans lart Quest-ce que le pro-duire dans lequel joue le quadruple mode du faire-venir Le faire-venir concerne la preacutesence de tout ce qui apparaicirct au sein du pro-duire Le pro-duire fait passer de leacutetat cacheacute agrave leacutetat non cacheacute 1 il preacutesente (bringt vor) Pro-duire (her-vorshybringen) a lieu seulement pour autant que quelque chose de cacheacute arrive dans le non-cacheacute 2 Cette arriveacutee repose et trouve son eacutelan dans ce que nous appelons le deacutevoilement 3 Les Grecs ont pour ce dernier le nom dciAgrave~eetcx que les Romains ont trashyduit par veritas Nous autres Allemands disons Wahrheit (veacuteriteacute) et lentendons habituellement comme lexactitude de la repreacutesentation

Ougrave nous sommes-nous eacutegareacutes Nous demandions ce quest la technique et sommes maintenant arrishyveacutes devant lciAgrave~eeLcx devant le deacutevoilement En quoi lessence de la technique a-t-elle affaire avec le deacutevoilement Reacuteponse en tout Car tout laquo proshy-duireraquo se fonde dans le deacutevoilement Or celui-ci rassemble en lui les quatre modes du faire-venir - la causaliteacute - et les reacutegit Dans son domaine rentrent les fins et les moyens et aussi linstrumenshy

1 Cf N du Tr 6 2 Cf pp 55 et 190 3 Das Entbergen le deacutesabritement le fairemiddotsortirmiddotdu-retrait

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

JA QUESTION DE LA TECHNIQUE 19

qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 6: il (Wesen) C'~st (Dasein)

18 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

taliteacute Celle-ci passe pour ecirctre le trait fondamental de la technique Si preacutecisant peu agrave peu notre quesshytion nous demandons ce quest proprement la techshynique entendue comme moyen alors nous arrivons au deacutevoilement En lui reacuteside la possibiliteacute de toute fabrication productrice

Ainsi la technique nest pas seulement un moyen elle est un mode du deacutevoilement Si nous la consishydeacuterons ainsi alors souvre agrave nous pour lessence de la technique un domaine tout agrave fait diffeacuterent Cest le domaine du deacutevoilement cestagrave-dire de la veacuteri-teacute (Wahr-heit)

Cette middot perspective nous eacutetonne 11 faut aussi quelle nous eacutetonne le plus longtemps possible et dune maniegravere si pressante que nous prenions enfin au seacuterieux la simple question que dit donc le mot de laquo techniqueraquo Le mot vient de grec reuroXVLXOV deacutesigne ce qui appartient agrave la rEacuteXVY) Quant au sens de ce dernier mot nous devons tenir compte de deux points Dabord rEacuteXV1) ne deacutesigne pas seushylement le laquofaireraquo de lartisan et son art mais aussi lart au sens eacuteleveacute du mot et les beaux-arts La rEacutexv1) fait partie du pro-duire de la 7totll(n~ elle est quelque chose de laquo poieacutetique raquo

Lautre point agrave consideacuterer au sujet du mot rfXYfj est encore plus important Jusquagrave leacutel~oque de Plashyton le mot reuroXV1) est toujours associeacute au m~t Egrave7tf(1r~[lfj Tous deux sont des noms de la connaisshysance au sens le plus large Ils deacutesignent le fait middotde pouvoir se retrouver en quelque chose de sy connaicirctre La connaissance donne des ouvertures En tant que telle elle est un deacutevoilement Dans une eacutetude particuliegravere (Eacuteth Nic VI ch 3 et 4) Aristote distingue lEgrave7tt(1r~l1) et la reuroxvfj et cela sous le rapport de ce quelles deacutevoilent et de la faccedilon dont elles le deacutevoilent La reuroxv1) est un mode de lcXAgrave1l6euroUELV Elle deacutevoile ce qui ne se pro-duit pas soi-mecircme et nest pas encore devant nous ce

JA QUESTION DE LA TECHNIQUE 19

qui peut donc prendre tantocirct telle apparence telle taurnure et tantocirct telle autre Qui construit une maison ou un bateau qui faccedilonne une coupe sacrishyficielle deacutevoile la chose agrave pro-duire suivant les persshypectives des quatre modaliteacutes du laquofaire-venir raquo Ce deacutevoilement rassemble au preacutealable lapparence exteacuterieure et la matiegravere du bateau ou de la maison dans la perspective de la chose acheveacutee et complegraveteshyment vue et il arrecircte agrave partir de lagrave les modaliteacutes de la fabrication Ainsi le point deacutecisif dans la teuroXV1) ne reacuteside aucunement dans laction de faire et de manier pas davantage dans lutilisation de moyens mais dans le deacutevoilement dont nous parshyIons Cest comme deacutevoilement non comme fabrishycation que latEacuteXV1J est une pro-duction

Il suffit ainsi de montrer ce que dit le mot reuroxvll et comment les Grecs concevaient ce quil deacutesigne pour que nous soyons conduits vers la mecircme connexion qui sest reacuteveacuteleacutee agrave nous lorsqugravee nous recherchions ce queacutetait en veacuteriteacute linstrumentaliteacute en tant que telle

La technique est un mode du deacutevoilement La technique deacuteploie son ecirctre (west) dans la reacutegion ougrave le deacutevoilement et la non-occultationougrave ampAgrave~6EtlX ougrave la veacuteriteacute a lieu

A cette deacutetermination de la reacutegion ougrave doit ecirctre chercheacutee lessence de la technique on peut objecshyter quelle est certes valable pour la penseacutee grecque et quagrave mettre les choses au mieux elle convient pour la technique artisanale mais quelle nest pas applicable agrave la technique moderne qui est motorishyseacutee Or cest elle preacuteciseacutement (la technique moderne) et elle seule leacuteleacutement inquieacutetant qui nous pousse agrave demander ce quest laquo la raquo technique On dit que la teegravehnique moderne est diffeacuterente de toutes celles dautrefois au point-de ne pouvoir leur ecirctre compashyreacutee parce quelle est fondeacutee sur la science moderne exacte de la nature Entre temps on a vu claireshy

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 7: il (Wesen) C'~st (Dasein)

20 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment que linverse aussi eacutetait vrai la physique moderne en tant qucxpeacuterimcntale deacutepend dun mateacuteriel technique et est lieacutee aux progregraves de la construction dcs appareils Cette relation reacuteciproque de la technique ct de la physique est bien exacte mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation laquo historiqueraquo 1 de faits et elle ne nous dit ricn du fondcment de cette relation reacuteciproque La question deacutecisive demeure pourtant quelle est donc lessence de la technique moderne pour que celle-ci puisse saviser dutiliser les sciences exactes de la nature

Quest-ce que la technique moderne Elle aussi est un deacutevoilement Cest seulement lorsque nous arrecirctons notre regard sur ce trait fondamental que ce quil y a de nouveau dans la technique moderne se montre agrave nous

Le deacutevoilement cependant qui reacutegit la technique moderne ne se deacuteploie pas en une pro-duction au sens de la 7to(1)CjLlt Le deacutevoilement qui reacutegit la technique moderne est une pro-vocation (HerausshyJordern) par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une eacutenergie qui puisse comme telle ecirctre extraite (herausgefordert) et accumuleacutee Mais ne peut-on en dire autant du vieux moulin agrave vent Non ses ailes tournent bien au vent et sont livreacutees directement agrave son soufRe Mais si le moulin agrave vent met agrave notre disposition leacutenergie de lair en mouveshyment ce nest pas pour laccumuler

Une reacutegion au contraire est pro-voqueacutee agrave lexshytraction de charbon et de minerais Leacutecorce tershyrestre se deacutevoile aujourdhui comme bassin houiller le sol comme entrepocirct de minerais Tout autre appashyraicirct le champ que le paysan cultivait autrefois alors que cultiver (bestellen) signifiait encore entourer de haies et entourer de soins Le travail du paysan

1 Voir N du Tr 3

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 21

ne pro-voque pas 11 terre cultivahle Quand il segraveme le grain il confie fa semence aux forces de croisshysance et il veille agrave ce quelle prospegravere Dans linshytervalle la culture des champs elle aussi a eacuteteacute prise dans le mouvement aspirant dun mode de culture (Bestellen) dun autre genre qui requiert (stellt) la nature Il la requiert au sens de la proshyvocation Lagriculture est aujourdhui une indusshytrie dalimentation motoriseacutee Lair est requis pour la fourniture dazote le sol pour celle de minerais le minerai par exemple pour celle duranium celui-ci pour celle deacutenergie atomique laquelle peut ecirctre libeacutereacutee pour des fins de destruction ou pour une utilisation pacifique

Le laquo requeacuterir raquo qui pro-voque les eacutenergies natushyrelles est un laquo avancementraquo (ein Fordern) en un double sens Il fait avancer en tant quil ouvre et met au jour Cet avancement toutefois vise au preacutealable agrave faire avancer une autre chose cest-agraveshydire agrave la pousser en avant vers son utilisation maxishymum et aux moindres frais Le charbon extrait (gefordert) dans le bassin houiller nest pas laquomis lagraveraquo pour quil soit simplement lagrave et quil soit lagrave nimporte ougrave Il est stockeacute cest-agrave-dire quil est sur place pour que la chaleur solaire emmagasineacutee en lui puisse ecirctre laquocommise raquo Celle-ci est proshyvoqueacutee agrave livrer uce forte chaleur laquelle est commise (bestellt) agrave la livraison de la vapeur dont la pression actionne un meacutecanisme et par lagrave mainshytient une fabrique en activiteacute

La centrale eacutelectrique est mise en place dans le Rhin Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique qui somme agrave son tour les turbines de tourner Ce mouvement fait tourner la machine dont le meacutecanisme produit le courant eacutelectrique pour lequel la centrale reacutegionale et son reacuteseau sont commis aux fins de transmission Dans le domaine de ces conseacutequences senchaicircnant lune lautre agrave

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 8: il (Wesen) C'~st (Dasein)

23 22 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

partir de la mise en place de leacutenergie eacutelectrique le fleuve du Rhin apparaicirct lui aussi comme quelque chose de commis La centrale nest pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siegravecles unit une rive agrave lautre Cest bien plutocirct le fleuve qui est mureacute dans la cenirale Ce quil est aujourdhui comme fleuve agrave savoir fournisseur de pression hydraulique il lest de par lessence de la centrale Afin de voir et dp mesurer ne fucirct-ce que de bin leacuteleacutement monsshytrueux qui domine ici arrecirctons-nous un instant sur lopposition qui apparaicirct entre les deux intituleacutes laquo Le Rhin raquo mureacute dans lusine deacutenergie et laquo Le Rhin raquo titre de cette œuvre dart quest un hymne de Holderlin Mais le Rhin reacutepondra-t-on demeure de toute faccedilon le fleuve du paysage Soit mais comment le demeure-t-il Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (besshytellbar) lobjet dune visite organiseacutee par une agence de voyages laquelle a constitueacute (bestellt) lagrave-bas une industrie des vacances

Le deacutevoilement qui reacutegit complegravetement la techshynique moderne a le caractegravere dune interpellation (Stellen) au sens dune pro-vocation Celle-ci a lieu lorsque leacutenergie cacheacutee dans la nature est libeacutereacutee que ce qui est ainsi obtenu est transformeacute que le transformeacute est accumuleacute laccumuleacute agrave son tour reacuteparti et le reacuteparti agrave nouveau commueacute Obtenir transformer accumuler reacutepartir commuer sont des modes du deacutevoilement Mais celui-ci ne se deacuteroule pas purement et simplement Il ne se perd pas non plus dans lindeacutetermineacute Le deacutevoilement se deacutevoile agrave lui-mecircme ses propres voies enchevecirctreacutees de faccedilons multiples et il se les deacutevoile en tant quil les dirige La direction elle-mecircme de son cocircteacute est partout assureacutee Direction et assurance (de direction) sont mecircme les traits principaux du deacutevoilement qui proshyvoque

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Maintenant quelle sorte de deacutevoilement convient agrave ce qui se reacutealise par linterpellation pro-voquante Ce qui se reacutealise ainsi est partout commis agrave ecirctre sur-le-champ au lieu voulu et agrave sy trouver de telle faccedilon quil puisse ecirctre commis agrave une commission ulteacuterieure 1 Ce qui est ainsi commis a sa propre position-et-stabiliteacute (Stand) Cette position stable nous lappelons le laquo fondsraquo (Bestand) Le mot dit ici plus que stock et des choses plus essentielles Le mot laquo fondsraquo est maintenant promu agrave la digniteacute dun titre 2 Il ne caracteacuterise rien de moins que la maniegravere dont est preacutesent tout ce qui est atteint par le deacutevoilement qui pro-voque Ce qui est lagrave (steht) au sens du fonds (Bestand) nest plus en face de nous comme objet (Gegenstand)

Mais un avion commercial poseacute lur sa piste de deacutepart est pourtant un objet Certainement Nous pouvons nous repreacutesenter ainsi cet engin Mais alors il cache ce quil est et la faccedilon dont il est Sur la piste ougrave il se tient il ne se deacutevoile comme fonds que pour autant quil est commis agrave assurer la posshysibiliteacute dun transport Pour cela il faut quil soit commissible cest-agrave-dire precirct agrave senvoler et quil le soit dans toute sa construction dans chacune de ses parties (Ce serait ici le lieu dexaminer la deacutefinition que Hegel donne de la machine agrave savoir un instrument indeacutependant Du point de vue de linstrument artisanal cette caracteacuterisation est exacte Mais ainsi justement la machine nest pas penseacutee agrave partir de lessence de la technique dont pourtant elle relegraveve Du point de vue du fonds la machine est absolument deacutependante car elle tient son ecirctre uniquement dune commission donneacutee agrave du commissible)

Si en ce moment ougrave nous tentons de montrer la

1 Ueberall ist es bestellt auf der Stelle zur Stelle zu stehen und zwar zu stchen um sclbst bestellbar zu sein fuumlr ein weitercs Bestellcn

2 Dune appellation fondamentale

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 9: il (Wesen) C'~st (Dasein)

24 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

technique moderne comme le deacutevoilement qui proshyvoque les expressions laquointerpeller raquo laquocommettre raquo laquo fondsraquo simposent agrave nous et saccumulent dune maniegravere segraveche uniforme donc ennuyeuse ce fait a sa laison decirctre dans le sujet qui est en question

Qui accomplit linterpellation pro-voquante par laquelle ce quon appelle le reacuteel est deacutevoileacute comme fonds Lhomme manifestement Dans quelle mesure peut-il opeacuterer un pareil deacutevoilement Lhomme peut sans doute de telle ou telle faccedilon se repreacutesenter ou faccedilonner ceci ou cela ou sy adonner mais il ne dispose point de la non-occulshytation dans laquelle chaque fois le reacuteel se montre ou se deacuterobe Si depuis Platon le reacuteel se montre dans la lumiegravere dideacutees ce nest pas Platon qui en est cause Le penseur a seulement reacutepondu agrave ce qui se deacuteclarait agrave lui

Cest seulement pour autant que de son cocircteacute lhomme est deacutejagrave pro-voqueacute agrave libeacuterer les eacutenergies naturelles que ce deacutevoilement qui commet peut avoir lieu Lorsque lhomme y est pro-voqueacute y est commis alors lhomme ne fait-il pas aussi partie du middot fonds et dune maniegravere encore plus originelle que la nature La faccedilon dont on parle couramment de mateacuteriel humain de leffectif des malades dune clinique le laisserait penser Le garde forestier qui mesure le bois abattu et qui en ~pparence suit les mecircmes chemins et de la mecircme maniegravere que le faishysait son grand-pegravere est aujourdhui quil le sache ou non commis par lindustrie du bois Il est commis agrave faire que la cellulose puisse ecirctre commise et celle-ci de son cocircteacute est provoqueacutee par les demandes de papier pour les journaux et les magazines illustreacutes Ceux-ci agrave leur tour interpellent lopinion publique pour quelle absorbe les choses imprimeacutees afin quelle-mecircme puisse ecirctre commise agrave une formation dopinion dont on a reccedilu la commande Mais jusshytement parce que lhomme est pro-voqueacute dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 25

faccedilon plus originelle que les eacutenergies naturelles agrave savoir au laquo commettre raquo il ne devient jamais pur fonds En sadonnant agrave la technique il prend part au commettre comme agrave un mode du deacutevoilement Or la non-occultation elle-mecircme agrave linteacuterieur de laquelle le commettre se deacuteploie nest jamais le fait de lhomme aussi peu que lest le domaine que deacutejagrave lhomme traverse chaque fois que comme sujet il se rapporte agrave un objet

Ougrave et comment a lieu le deacutevoilement sil nest pas le simple fait de lhomme Nous navons pas agrave aller chercher bien loin Il est seulement neacutecesshysaire de percevoir sans preacutevention ce qui a toushyjours reacuteclameacute lhomme dans une parole agrave lui adresshyseacutee et cela dune faccedilon si deacutecideacutee quil ne peut jamais ecirctre homme si ce nest comme celui auquel une telle parole sadresse Partout ougrave lhomme ouvre son œil et son oreille deacuteverrouille son cœur se donne agrave la penseacutee et consideacuteration dun but partout ougrave il forme et œuvre demande et rend gracircces il se trouve deacutejagrave conduit dans le non-cacheacute La non-occultation de ce dernier sest deacutejagrave proshyduite aussi souvent quelle eacute-voque lhomme dans les modes du deacutevoilement qui lui sont mesureacutes et assigneacutes Quand lhomme agrave linteacuterieur de la nonshyoccultation deacutevoile agrave sa maniegravere ce qui est preacutesent il ne fait que reacutepondre agrave lappel de la non-occultashytion lagrave mecircme ougrave il le contredit Ainsi quand lhomme cherchant et consideacuterant suit agrave la trace 1 la nature comme un district de sa repreacutesentation alors il est deacutejagrave reacuteclameacute par un mode du deacutevoilement qui le pro-voque agrave aborder la nature comme un objet de recherche jusquagrave ce que lobjet lui aussi dispashyraisse dans le sans-objet du fonds

Ainsi la technique moderne en tant que deacutevoishylement qui coinmet~ nest-elle pas un acte pureshy

1 Nachstellt Lauteur reprendra ce terme pour caracteacuteriser lecirctre de la vengeance cf pp ] 30 et suiv

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 10: il (Wesen) C'~st (Dasein)

27 26 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

ment humain Cest pourquoi il nous faut prendre telle quelle se montre cette pro-vocation qui met lhomme en demeure de commettre le reacuteel comme fonds Cette pro-vocation rassemble lhomme dans le commettre Pareil laquorassemblantraquo concentre lhomme (sur la tacircche) de commettre le reacuteel comme fonds

Ce qui originellement deacuteploie les monts (Berge) en lignes et les traverse comme une reacuteunion de plis cest le laquo rassemblantraquo que nous appelons Gebirg (montagnes)

Ce qui rassemble dune faccedilon originelle et agrave parshytir de quoi se deacuteploient les modes de notre humeur nous lappelons le cœur (Gemuumlt)

Maintenant cet appel pro-voquant qui rassemble lhomme (autour de la tacircche) de commettre comme 1

fonds ce qui se deacutevoile nous lappelons - lArraishysonnement 1

Nous nous risquons agrave employer ce mot (Gestell) dans un sens qui jusquici eacutetait parfaitement insoshylite

Suivant sa signification habituelle le mot Geshystell deacutesigne un objet dutiliteacute par exemple une eacutetashygegravere pour livres Un squelette sappelle aussi un - Gestell Et lutilisation du mot Gestell quon exige

1 Ge-stell ougrave ge- comme dans Gebirg et Gemuumlt a une fonction rassemblante (cf N du Tr 2) laquo lecirctre rassembleacute des actes suU- raquo linvitation agrave ces actes On a vu ce radical figurer dans un petit groupe de verbes qui deacutesignent soit les opeacuterations fondamentales de la raison et de la science (suivre agrave la trace preacutesenter mettre en eacutevidence repreacutesenter exposer) soit les mesures dautoriteacute de la technique (interpeller requeacuterir arrecircter commettre mettre en place sassurer de ) Stellen est au centre d~ ce groupe cest ici laquo arrtshyter quelquun dans la rue pour lui demander des comptes pour lobliger agrave rationem reddere raquo (Heid) cest-agrave-dire pour lui reacuteclamer sa raison suffiante Lideacutee va ecirctre reprise et deacuteveloppeacutee oans Der Salz vom Grund (1957) La technique arraisonne la nature elle larrecircte et linspecte et elle lar-raisonne cest-agrave-dire la met agrave la raison en la mettant au reacutegime de la raison qui exige de toute chose quelle rende raison quelle donne sa raison - Au caracshytegravere impeacuterieux et conqueacuterant de la technique sopposeront la modishyciteacute et la dociliteacute de la laquo chose raquo

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maintenant de nous 1 paraicirct aussi affreuse que ce squelette pour ne rien dire de larbitraire avec lequel les mots dune langue faite sont ainsi malshytraiteacutes Peut-on pousser la bizarrerie encore plus loin Sucircrement pas Seulement cette hizarrerie est un vieil usage de la penseacutee Et les penseurs agrave vrai dire sy conforment justement lorsquil sagit de penser ce quil y a de plus eacuteleveacute Nous autres tard-venus ne pouvons plus me~urer la porteacutee de lacte par lequel Platon ose employer le mot eLoolt pour ce qui deacuteploie son ecirctre en tout ct en un chashycun Car dans la langue de tous les jours eoolt signifie laspect quune chose visible offre agrave notre œil corporel Platon exige cependant de ce mot quelque chose de tregraves insolite quil deacutesigne ce qui preacuteciseacutement nest pas nest jamais perceptible par les yeux du corps Mais mecircme ainsi on nen a pas encore fini avec lextraordinaire Car LOeuroCX ne deacutesigne pas seulement laspect non sensible de ce qui est sensiblement visible Ce qui constitue lessence dans ce quon peut entendre toucher sentir dans tout ce qui est de quelque maniegravere accessible cela est appeleacute laquo aspect raquo LOeuroCX et est aussi tel Au regard de ce que Platon ici et dans dautres cas exige de la langue et de la penseacutee lusage que nous nous permettons de faire en ce moment du mot Gestell pour deacutesigner lessence de la technique moderne est presque inoffensif Cet usage que nous demanshydons cependant demeure une exigence et precircte agrave malentendu

Arraisonnement (Ge-steU) ainsi appelons-nous le rassemblant de cette interpellation (Stellen) qui requiert lhomme cest-agrave-dire qui le pro-voque agrave deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettre raquo Ainsi appelons-nous le mode de deacutevoilement qui reacutegit lessence de la technique

1 Lauteur sunit ici aux auditeurs et parle en leur nom contre lui-mecircme

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 11: il (Wesen) C'~st (Dasein)

28 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

moderne et neet lui-mecircme rien de technique Fait en revanche partie de ce qui est technique tout ce que nous connaissons en fait de tiges de pistons deacutechafaudages tout ce qui est middot piegravece constitushytive de ce quon appelle un montage Le montage cependant avec les piegraveces constitutives mentionshyneacutees rentre dans le domaine du travail technique qui reacutepond toujours agrave la pro-vocation de lArraishysonnement mais nest jamais ce dernier ni encore moins ne le produit

Dans lappellation Ge-stell (ltlt Arraisonnement raquo) le verbe stellen ne deacutesigne pas seulement la proshyvocation il doit conserver en mecircme temps les reacutesonances dun autre stellen dont il deacuterive agrave savoir celles de cet her-stellen laquo( placer debout devant raquo laquo fabriquerraquo) qui est uni agrave dar-stellen laquo( mettre sous les yeux raquo laquo exposerraquo) et qui middotau sens de la 7tOt1)OLlt fait apparaicirctre la chose preacutesente dans la non-occulshytation Cette production qui fait apparaicirctre par exemple leacuterection dune statue dans lenceinte du temple et dautre part le commettre pro-voquant que nous consideacuterons en ce moment sont sans doute radicalement diffeacuterents et demeurent pourtant appashyrenteacutes dans leur ecirctre Tous deux sont des modes du deacutevoilement de lampAgrave~eeL(x Dans lArraisonneshyment se produit (ereignet sich) cette non-occultashytion conformeacutement agrave laquelle le travail de la techshynique moderne deacutevoile le reacuteel comme fonds Aussi nest-elle ni un acte humain ni encore moins un simple moyen inheacuterent agrave un pareil acte La concepshytion purement instrumentale purement middotanthrop~shylogique de la technique devient caduque dans son principe on ne middotsaurait la compleacuteter par une explishycation meacutetaphysique ou religieuse qui lui serait simplement annexeacutee

Il reste vrai toutefois que lhomme de lacircge techshynique est pro-voqueacute au deacutevoilement dune maniegravere

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 29

qui est particuliegraverement frappante Le deacutevoilement concerne dabord la nature comme eacutetant le princishypal reacuteservoir du fonds deacutenergie Le comportement laquo commettantraquo de lhomme dune maniegravere corresshypondante se reacutevegravele dabord dans lapparition de la science moderne exacte de la nature Le mode de repreacutesentation propre agrave cette science suit agrave la trace la nature consideacutereacutee comme un complexe calculable de forces La physique moderne nest pas une physhysique expeacuterimentale parce quelle applique agrave la nature des appareils pour linterroger mais invershysement cest parce que la physique - et deacutejagrave comme pure theacuteorie -met la nature en demeure (stellt) de se montrer comme un complexe calcushylable et preacutevisible de forces que lexpeacuterimentation est commise agrave linterroger afin quon sache si et comment la nature ainsi mise en demeure reacutepond agrave lappel

Mais la science matheacutematique de la nature a vu le jour pregraves de deux siegravecles avant la technique moderne Comment donc aurait-elle pu ecirctre alors deacutejagrave placeacutee au service de cette derniegravere Les faits teacutemoignent du contraire La technique moderne na-t-elle pas fait ses premiers pas seulement lorsshyquelle a pu sappuyer sur la science exacte de la nature Du point de vue des calculs de l laquo hisshytoire raquo lobjection demeure correcte Penseacutee au sens de lhistoire elle passe agrave cocircteacute du vrai 1

La theacuteorie de la nature eacutelaboreacutee par la physique moderne a preacutepareacute les chemins non pas agrave la techshynique en premier lieu mais agrave lessence de la techshynique moderne Car le rassemblement qui pro-voque et conduit au deacutevoilement commettant regravegne deacutejagrave dans la physique Mais en elle il narrive pas encore agrave se manifester proprement lui-mecircme La physique moderne est le preacutecurseur de lArraisonnement

1 Sur la distinction de 1laquo histoireraquo (Historie) et de lhistoire (Ge$chichte) cf N dl Tr 3

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 12: il (Wesen) C'~st (Dasein)

30 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

preacutecurseur encore inconnu dans son origine Lesshysence de la technique moderne se cache encore pour longtemps lagrave mecircme ougrave lon invente deacutejagrave desshymoteurs lagrave mecircme ougrave leacutelectrotechnique trouve sa voie ougrave la technique de latome est mise en train

Tout ce qui est essentiel (alles Wesende) et non pas seulement lessence de la technique moderne se tient partout en retrait le plus longtemps posshysible Neacuteanmoins sous le rapport de sa puissance rectrice il demeure ce qui preacutecegravede toute autre chose ce qui vient des tout premiers temps Les penseurs grecs avaient quelque connaissance de cet eacutetat de choses lorsquils disaient laquoPlus tocirct une chose souvre et exerce sa puissance et plus tard elle se manifeste agrave nous autres hommes raquo Laube originelle ne se montre agrave lhomme quen dernier lieu Aussi sefforcer dans le domaine de la penseacutee de peacuteneacutetrer dune faccedilon encore plus initiale ce qui a eacuteteacute penseacute au commencement nest pas leffet dune volonteacute absurde de ranimer le passeacute mais le fait dune disposition calme ougrave lon est precirct agrave seacutetonshyner de ce qui vient agrave nous de laube premiegravere

Pour la chronologie de l laquohistoire raquola science moderne de la nature a commenceacute au XVIIe siegravecle Au contraire la technique agrave base de moteurs ne sest pas deacuteveloppeacutee avant la seconde moitieacute du XVIIIe siegravecle Seulement ce qui est plus tardif pour la constatation laquo historique raquo la technique moderne est anteacuterieur pour lhistoire du point de vue de lessence qui est en lui et qui le reacutegit

Si de plus en plus la physique moderne doit saccommoder du fait que son domaine de repreacuteshysentation eacutechappe agrave toute intuition ce renoncement ne lui est pas dicteacute par quelque commission de savants Il est pro-voqueacute par le pouvoir de lArraishysonnement qui exige que la nature puisse ecirctre commise comme fonds Cest pourquoi quel que soit le mouvement par lequel la physique seacuteloigne

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 31

du mode de repreacutesentation exclusivement tourneacute vers les objets et qui encore reacutecemment eacutetait le seul qui comptacirct il est une chose agrave laquelle elle ne peut jamais renoncer agrave savoir que la nature reacuteponde agrave lappel dune maniegravere dailleurs quelshyconque mais saisissable par le calcul et quelle puisse demeurer commise en tant que systegraveme dinshyformations Ce systegraveme se deacutetermine alors agrave partir dune conception encore une fois modifieacutee de la causaliteacute Celle-ci ne preacutesente plus maintenant ni le caractegravere du laquo faire-venir pro-dueteur raquo 1 ni le mode de la causa efficiens encore moins celui de la causa formalis La causaliteacute paraicirct se reacutetracter et necirctre plus quune notification pro-voqueacutee de fonds agrave mettre en sucircreteacute tous agrave la fois ou les uns apregraves les autres A cette reacutetraction de la causaliteacute corshyrespondrait le processus de la modeacuteration croisshysante des preacutetentions tel que Heisenberg dans sa confeacuterence la exposeacute dune maniegravere saisissante (W Heisenberg Das Naturbild in der heutigen Physhysik (ltlt Limage de la nature dans la physique contemshyporaine raquo) dans Die Kuumlnste im technischen Zeitalshyter (ltlt Les arts agrave leacutepoque de la technique raquo) Munich 1954 pp 43 et suiv)

Cest parce que lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement que cette technique doit utiliser la science exacte de la nature Ainsi naicirct lapparence trompeuse que la technique moderne est de la science naturelle appliqueacutee Cette apparence peut se soutenir aussi longtemps que nous ne quesshytionnons pas suffisamment et quainsi nous ne deacutecoushyvrons ni lorigine essentielle de la science moderne ni encore moins lessence de la technique moderne

Nous demandons ce quest la technique afin de mettre en lumiegravere notre rapport agrave son essence Lesshy

1 lIervorbringendes Veranlasscn deacutevoilement en mode ugravee Jr(j1)0(C

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 13: il (Wesen) C'~st (Dasein)

33 32 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

sence de la technique moderne se montre dans ce que nous avons appeleacute lArraisonnement Seulement le faire observer ne reacutepond aucunement agrave la quesshytion concernant la technique si reacutepondre veut dire correspondre agrave savoir agrave lessence de ce qui est en cause

Ougrave nous voyons-nous maintenant conduits si nous avanccedilons dun pas encore dans la meacuteditation de ce quest lArraisonnement lui-mecircme comme tel II middot nest rien de technique il na rien dune machine Il est le mode suivant lequel le reacuteel se deacutevoile comme fonds Nous demandons encore ce deacutevoilement a-t-il lieu quelque part au delagrave de tout acte humain Non Mais il na pas lieu non plus dans lhomme seulement ni par lui dune faccedilon deacuteterminante

LArraisonnement est ce qui rassemble cette interpellation qui met lhomme en demeure de deacutevoiler le reacuteel comme fonds dans le mode du laquo commettreraquo En tant quil est ainsi pro-voqueacute lhomme se tient dans le domaine essentiel de lArraishysonnement Il ne pourrait aucunement assumer apregraves coup une relation avec lui Cest pourshyquoi la question de savoir comment nous pouvons entrer dans un rapport avec lessence de la techshynique une pareille question sous cette forme arrive toujours trop tard Mais il est une question qui narrive jamais trop tard cest celle qui demande si nous prenons expresseacutement conscience de nousshymecircmes comme de ceux dont le faire et le non-faire sont partout dune maniegravere ouverte ou cacheacutee pro-voqueacutes par lArraisonnement La question surshytout narrive jamais trop tard de savoir si et comment nous nous engageons proprement dans le domaine ougrave lArraisonnement lui-mecircme a son ecirctre

Lessence de la technique moderne met lhomme sur le chemin de ce deacutevoilement par lequel dune

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

maniegravere plus ou moins perceptible le reacuteel partout devient fonds Mettre sur un chemin - se dit dacircns notre langue envoyer Cet envoi (Schicken) qui rassemble et qui peut seul mettre lhomme sur un chemin du deacutevoilement nous le nommons desshytin (Geschick) Cest agrave partir de lui que la substance (Wesen) de toute histoire se deacutetermine Lhistoire nest pas seulement lobjet de l laquohistoireraquo pas plus quelle nest seulement laccomplissement de lactiviteacute humaine Celle-ci ne devient historique que lorsquelle est en rapport avec une dispensashytion du destin 1 (Cf Yom Wesen der Wahrheit 1930 1re eacuted 1943 pp 16 et suiv) Et cest seushylement lorsque le destin nous laquoenvoieraquo dans le mode objectivant de repreacutesentation quil rend ce qui relegraveve de lhistoire accessible comme objet agrave l laquo histoire raquo cest-agrave-dire agrave une science et quil rend possible agrave partir de lagrave lassimilation courante de lhistorique agrave l laquo historique raquo

En tant middotquil est la pro-vocation au commettre lArraisonnement envoie dans un mode du deacutevoileshyment LArraisonnement comme tout mode de deacutevoilement est un envoi du destin La pro-duction la 7to(1)(j~ccedil elle aussi est destin au sens indiqueacute

La non-occultation de ce qui est suit toujours un chemin de deacutevoilement Ihomme dans tout son ecirctre est toujours reacutegi par le destin du deacutevoilement Mais ce nest jamais la fataliteacute dune contrainte Car lhomme justement ne devient libre que pour autant quil est inclus dans le domaine du destin et quainsi il devient un homme qui eacutecoute non un serf que 1011 commande 2

Lessence de la liberteacute nest pas ordonneacutee origishy

1 Dieses wird eselacircehtlieh erst ais ein geschickliches Sur geshyachicklich cf p 263 n 6

2 Ein lIormdcr nie aber ein Horiger oagrave ein Hiriger (ltlt un serf raquo) est celui qui eacutecoute nimporte quoi et se laisse dominer par nimporte qui

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 14: il (Wesen) C'~st (Dasein)

34 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

nellement agrave la volonteacute encore moins agrave la seule caushysaliteacute du vouloir humain

La liberteacute reacutegit ce qui est 1ibre au sens de ce qui est eacuteclaireacute cest-agrave-dire deacutevoileacute Lacte du deacutevoileshyment cest-agrave-dire de la veacuteriteacute est ce agrave quoi la liberteacute est unie par la parenteacute la plus proche et la plus intime Tout deacutevoilement appartient agrave une mise agrave labri et agrave une occultation Mais ce qucirci libegravere le secret est cacheacute et toujours en train de se cacher Tout deacutevoilement vient de ce qui est libre va agrave ce qui est libre et conduit vers ce qlii est libre La liberteacute de ce qui est libre ne consiste ni dans la licence de larbitraire ni dans la soushymission agrave de simples lois La liberteacute est ce qui cache en eacuteclairant et dans la clarteacute duquel flotte ce voile qui cache lecirctre profond (das Wesende) de toute veacuteriteacute et fait apparaicirctre le voile comme ce qui cache La liberteacute est le domaine du destin qui chaque fois met en chemin un deacutevoilement

Lessence de la technique moderne reacuteside dans lArraisonnement et celui-ci fait partie du destin de deacutevoilement ces propositions disen t autre chose que les affirmations souvent entendues que l~ technique est la fataliteacute de notre eacutepoque ougrave fatashyliteacute signifie ce quil y a dineacutevitable -dans un proshycessus quon ne peut modifier

Quand au contraire nous consideacuteroJns lessence de la technique alors lArraisonnement nous appashyraicirct comme un destin de deacutevoilement Ainsi nous seacutejournons deacutejagrave dans leacuteleacutement libre du destin lequel ne nous enferme aucunement dans une morne contrainte qui nous forcerait agrave nous jeter tecircte baisshyseacutee dans la technique ou ce qui reviendrait au mecircme agrave nous reacutevolter inutilement contre elle et agrave la condamner comme œuvre diabolique Au contraire quand nous nous ouvrons proprement agrave lessence de la technique nous nous trouvons pris dune faccedilon inespeacutereacutee dans un appcllibeacuterateur

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 35

Lessence de la technique reacuteside dans lArraisonshynement Sa puissance fait partie du destin Parce que celui-ci met chaque fois lhomme sur un cheshymin de deacutevoilement lhomme ainsi mis en chemin avance sans cesse au bord dune possibiliteacute quil poursuive et fasse progresser seulement ce qui a eacuteteacute deacutevoileacute dans le laquo commettreraquo et quil prenne toutes mesures agrave partir de lagrave Ainsi se ferme une autre posshysibiliteacute que lhomme se dirige plutocirct et davantage et dune faccedilon toujours plus originelle vers lecirctre du non-cacheacute et sa non-occultation pour percevoir comme sa propre essence son appartenance au deacutevoilement appartenance qui est tenue en main 1

Placeacute entre ces deux possibiliteacutes lhomme est exposeacute agrave une menace partant du destin Le destin du deacutevoilement comme tel est dans chacun de ses modes donc neacutecessairement danger

De quelque maniegravere que le destin du deacutevoileshyment exerce sa puissance la non-occultation dans laquelle se montre chaque fois ce qui est recegravele le danger que lhomme se trompe au sujet du nonshycacheacute et quil linterpregravete mal Ainsi lagrave ougrave toute chose preacutesente apparaicirct dans la lumiegravere de la connexion cause-effet Dieu lui-mecircme peut perdre dans la repreacutesentation (que nous nous faisons de lui) tout ce quil a de saint et de sublime tout ce que son eacuteloignement a de mysteacuterieux Dieu vu agrave la lumiegravere de la causaliteacute peut tomber au rang dune cause de la causa efficiens Alors et mecircme agrave linteacuterieur de la theacuteologie il devient le Dieu des phishylosophes agrave savoir de ceux qui deacuteterminent le nonshycacheacute et le cacheacute suivant la causaliteacute du laquo faire raquo sans jamais consideacuterer lorigine essentielle de cette causaliteacute

De mecircme la non-occultation suivant laquelle la nature se reacutevegravele comme un effet complexe et calshy

1 Gebraucht Cf N du Tr 5 et ci-dessous pp 43 et 44

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 15: il (Wesen) C'~st (Dasein)

36 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

culahle de forces peut sans doute autoriser dcs constatations exactes mais justement en raison de ces succegraves elle peut demeurer le danger que le vrai se deacuterobe au milieu de toute cette exactitude

Le destin de deacutevoilement nest pas en lui-mecircme un danger quelconque il est le danger

Mais si le destin nous reacutegit dans le mode de lArraisonnement alors il est le danger suprecircme Le danger se montre agrave nous de deux cocircteacutes diffeacuteshyrents Aussitocirct que le noncacheacute nest mecircme plus un ohjet pour lhomme mais quil le concerne exclusishyvement comme fonds et que lhomme agrave linteacuterieur du sans-objet nest plus que le commettant du fonds - alors lhomme suit son chemin agrave lextrecircme bord du preacutecipice il va vers le point ougrave lui-mecircme ne doit plus ecirctre pris que comme fonds Cependant cest justement lhomme ainsi menaceacute qui se renshygorge et qui pose au seigneur dc la terre Ainsi seacutetend lapparence que tout ce que lon rencontre ne subsiste quen tant quil est le fait de lhomme Cette apparence nourrit agrave son tour une derniegravere illusion il nous semble que partout lhomme middotne rencontre plus que lui-mecircme Heisenberg a eu pleineshyment raison de faire remarquer quagrave lhomme daushyjourdhui le reacuteel ne peut se preacutesentcr autremmiddotent (loc cit pp 60 et suiv) Pourtant aujourdhui lhomme preacuteciseacutement ne se rencontre plus lui-mecircme en veacuteriteacute nulle part cest-agrave-dire quil ne rencontre plus nulle part son ecirctre (Wesen) Lhomme se conforme dune faccedilon si deacutecideacutee agrave la pro-vocation de lArraisonnement quil ne perccediloit pas celui-ci comme un appel exigeant quil nc se voit pas luishymecircme comme celui auquel cet appel sadresse et quainsi lui eacutechappent toutes les maniegraveres (dont il pourrait comprendre) comment en raison de SOIl

ecirctre il ek-siste dans le domaine dun appel et pourshy(Iuoi il ne peut donc jamais ne rencontrer que luishymecircme

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 3

r Mais lArraisonnement ne menace pas seulemen lhomme dans son rapport agrave lui-mecircme et agrave tout c qui est En tant que destin il renvoie agrave ce deacutevoile ment qui est de la nature du laquo commettre raquo L ougrave celui-ci domine il eacutecarte toute autre possibilit de deacutevoilement LArraisonnement cache surtout ce autre deacutevoilement qui au sens de la 1tOtllOLlt proshy-duit et fait paraicirctre la chose preacutesente Compareacutee agrave cet autre deacutevoilement la mise en demeure proshyvoquante pousse dans le rapport inverse agrave ce qui est Lagrave ougrave domine lArraisonnement direction et mise en sucircreteacute du fonds marquent tout deacutevoilement de leur empreinte Ils ne laissent mecircme plus appashyraicirctre leur propre trait fondamental agrave savoir ce deacutevoilement comme tel

Ainsi lArraisonnement pro-voquant ne se horne-t-il pas agrave occulter un mode preacuteceacutedent de deacutevoilement le pro-duire mais il occulte aussi le deacutevoilement comme tel et avec lui ce en quoi la non-occultation cest-agrave-dire la veacuteriteacute se produit (sich ereignet)

LArraisonnement nous masque leacuteclat et la puisshysance de la veacuteriteacute

Le destin qui envoie dans le commettre est ainsi lextrecircme danger La technique nest pas ce qui est dangereux Il ny a rien de deacutemoniaque dans la technique mais il yale mystegravere de son essence Cest lessence de la technique en tant quelle est un destin de deacutevoilement qui est le danger Le sens modifieacute du mot Ge-stell (ltlt lArraisonnement raquo) nous deviendra peut-ecirctre un peu plus familier si nous pensons Ge-stell au sens de Geschick (destin) et de Gefahr (danger)

La menace qui pegravese sur lhomme ne provient pas en premier lieu des machines et appareils de la techshynique dont laction peut eacuteventuellement ecirctre morshytelle La menace veacuteritable a deacutejagrave atteint lhomme dans son ecirctre Le regravegne de lArraisonnement nous

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 16: il (Wesen) C'~st (Dasein)

39 38 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

menace de leacuteventualiteacute quagrave lhomme puisse ecirctre refuseacute de revenir agrave un deacutevoilement plus originel et dentendre ainsi lappel dune veacuteriteacute plus initiale

Aussi lagrave ougrave domine lArraisonnement y a-t-il danger au sens le plus eacuteleveacute

Mais lagrave ougrave il y a danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

Consideacuterons avec soin la parole de Hocirclderlin Que veut dire laquo sauver raquoNous sommes habitueacutes agrave penser que ce mot veut dire simplement saisir encore agrave temps ce qui est menaceacute de destruction pour le meUre en sucircreteacute dans sa permanence anteacuteshyrieure Mais laquo sauverraquo veut dire davantage laquo Saushyverraquo est reconduire dans lessence afin de faire apparaicirctre celle-ci pour la premiegravere fois de la faccedilon qui lui est propre 1 Si lessence de la techshynique lArraisonnement est le peacuteril suprecircme et si en mecircme temps Hocirclderlin dit vrai alors la domishynation de lArraisonnement ne peut se borner agrave rendre meacuteconnaissable toute clarteacute de tout deacutevoishylement tout rayonnement de la veacuteriteacute Alors il faut au contraire que ce soit justement lessence de la technique qui abrite en elle la croissance de ce qui sauve Mais alors un regard suffisamment aigu poseacute sur ce quest lArraisonnement en tant quun destin de deacutevoilement ne pourrait-il faire apparaicirctre dans sa naissance mecircme ce qui sauve

Comment laquo ce qui sauveraquo croicirct-il aussi lagrave ougrave il y a danger Lagrave ougrave une chose croicirct elle prend racine cest agrave partir de lagrave quelle se deacuteveloppe Lun et lautre processus eacutechappe aux regards il a lieu dans le silence et en son temps Mais si nous nous fions agrave la parole du poegravete nous ne devons justement pas

I~ Retten sauver dun (laD~er originellement arrn(hcr enlever a eacuteteacute pris aussi dans Jc sens eacutelargi daiugraveer dassister Cf plus loin pp 177-178

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

nous attendre agrave pouvoir sans meacutediation ni preacutepashyration saisir laquo ce qui sauveraquo lagrave ougrave il y a danger Cest pourquoi il nous faut maintenant consideacuterer au preacutealable comment ce qui sauve senracine et mecircme agrave la plus grande profondeur dans ce qui est lextrecircme danger la domination de lArraisonneshyment et comment il se deacuteveloppe agrave partir de lagrave Pour consideacuterer ces points il est neacutecessaire de faire un dernier pas sur notre chemin afin de fixer sur le danger un regard encore plus clair Il nous faut donc demander agrave nouveau ce quest la technique car dapregraves ce que nous avons dit cest dans son essence que laquoce qui sauveraquo prend racine et se deacuteveloppe

Mais comment pourrions-nous dans lessence de la technique apercevoir laquo ce qui sauve raquo aussi longtemps que nous nexaminons pas dans quelle acception du mot laquo essenceraquo lArraisonnement est proprement lessence de la technique

Jusquici nous avons compris le mot laquo essenceraquo (Wesen) dans sa signification courante Dans le langage philosophique de lEacutecole laquo essenceraquo veut dire ce que quelque chose est en latin quid La quidditeacute 1 reacutepond agrave la question concernant lesshysence Ce qui par exemple convient agrave toutes middotles espegraveces darbres au checircne au hecirctre au bouleau au sapin est la mecircme laquo arboreacuteiteacute raquo Dans celle-ci entendue comme genre commun comme laquo univershysel raquo rentrent les arbres reacuteels et possibles MainteshyDant lessence de la technique lArraisonnement estil le genre commun de tout ce qui est technique Sil en eacutetait ainsi alors la turbine agrave vapeur la stashytioneacutemettrice de T S F le cyclotron seraient autant darraisonnements Mais ici le mot Gestell ne deacutesigne pas un instrument ni aucune espegravece dap pareil Encore moins deacutesigne-t-il le concept geacuteneacuteral

1 Die quidditaJ die Wasmiddotheit

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 17: il (Wesen) C'~st (Dasein)

40 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

applicable agrave de pareils laquo fonds raquo Les machines et les appareils sont aussi peu des cas particuliers ou des espegraveces de lArraisonnement que le sont lhomme au tableau de commande ou lingeacutenieur dans le bureau des constructions Tout cela sans doute chaque chose agrave sa faccedilon rentre dans lArraisonneshyment soit comme partie inteacutegrante dun fonds ou comme fonds ou comme commettant mais lArraishysonnement nest jamais lessence de la technique au sens dun genre LArraisonnement est un mode laquo destinaIraquo 1 du deacutevoilement agrave savoir le mode proshyvoquant Le deacutevoilement pro-ducteur la 7ob1O~lt est aussi un pareil modelaquo destinai raquo Mais ces modes ne sont pas des espegraveces qui ordonneacutees entre elles tomberaient sous le concept de deacutevoilement Le deacutevoilement est ce destin qui chaque fois subiteshyment et dune faccedilon inexplicable pour toute penseacutee se reacutepartit en deacutevoilement pro-ducteur et en deacutevoishylement pro-voquant et se donne agrave lhomme en parshytage Dans le deacutevoilement pro-ducteur le deacutevoileshyment pro-voquant a son origine qui est lieacutee au destin Mais en mecircme temps par leffet du destin lArraisonnement rend meacuteconnaissable la 7OLYlOtCcedil

Ainsi lArraisonnement en tant que destin de deacutevoilement est sans doute lessence de la techshynique mais il nest jamais essence au sens du genre et de lessentia Si nous faisons attention agrave ce point nous sommes frappeacutes par un fait eacutetonnant cest la technique qui exige de nous que nous pensions dans une autre acception ce que lon entend geacuteneacuteshyralement parlaquo essenceraquo (Wesen) Mais dans quelleacception

Deacutejagrave quand nous disons Hauswesen (les affaires de la maison) ou Staatswesen (les choses de leacutetat) nous ne pensons pas agrave la geacuteneacuteraliteacute dun genre mais agrave la faccedilon dont la maison ou leacutetat exercent leur

1 Geschickhaft envoyeacute par le destin

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 41

puissance sadministrent se deacuteveloppent et deacutepeacuteshyrissent Cest la faccedilon dont ils deacuteploient leur ecirctre (wie sie wesen) Dans un poegraveme que Gœthe aimait particuliegraverement et qui est intituleacute Un fantocircme rue Kanderer J P HebeI emploie le vieux mot die Weserei il signifie la mairie pour autant que la vie de la commune sy rassemble et que lexistence vilshylageoise y demeure en mouvement cest-agrave-dire sy deacuteroule (west) Cest du verbe wesen que le nom 1

deacuterive Wesen comme verbe est la mecircme chose que wiihren (durer) non seulement sous le rapport du sens mais aussi en ce qui concerne sa constitution phoneacutetique 2 Socrate et Platon pensent deacutejagrave lesshysence (Wesen) de quelque chose comme ce qui est (ais das Wesende) au sens de ce qui dure Pourshytant ils comprennent ce qui dure au sens de ce qui perdure (cld av) Mais ce qui perdure ils le trouvent dans ce qui demeure et se maintient quoi quil advienne Ce qui demeure agrave son tour ils le deacutecouvrent dans laspect (d~oc l~Eacutecx) par exemple dans lideacutee de laquo maison raquo

En celle-ci se montre ce quest toute chose du genre laquo maison raquo Au contraire les maisons partishyculiegraveres reacuteelles et possibles sont des modifications changeantes et peacuterissables de l laquo ideacuteeraquo et font donc partie de ce qui ne dure pas

Mais on ne pourra jamais eacutetablir que ce qui dure doive reacutesider uniquement et exclusivement dans ce que Platon conccediloit comme ideacutee Aristote comme to tt ~v ervcx~ (ltlt ce que toute chose eacutetait deacutejagrave raquo) et la meacutetaphysique avec les interpreacutetations les plus diverses comme essentia

1 Au sujet du verbe tvesen et du nom Wesen cf N du Tr 1 Le substantif Wesen laquo ecirctre essence raquo a des acceptions varieacutees dont celles de laquo maniegravere decirctre ou dagir) et de laquo tout ce qui concerneraquo quelque chose

2 Wiihren (vieux-ha ut-allemand tverecircn) a eacuteteacute expliqueacute comme forme laquo durativeraquo construite sur lIeSan qui deviendra wesen Cf plus bas p 55

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 18: il (Wesen) C'~st (Dasein)

43 42 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

Tout ce qui est au sens fort (alles Wesende) dure Mais ce qui dure nest-il que ce qui perdure Lesshysence de la technique dure-t-elle au sens de la pershymanence dune ideacutee planant au-dessus de tout ce qui est technique Ainsi naicirctrait lapparence que le nom de la laquo techniqueraquo deacutesigne une abstraction mythique Comment la technique est-dans-son-ecirctre cest ce quon ne peut voir si ce nest agrave partir de cette perpeacutetuation dans laquelle lArraisonnement se produit comme destin de deacutevoilement Au lieu de fortwiihren (continuer agrave durer perdurer) Gœthe utilise une fois (Les Affiniteacutes eacutelectives Ile partie ch X nouvelle Les enfants eacutetranges du voisin) le mot mysteacuterieuxfortgewiihren (continuer agrave accorder) Son oreille entend ici wiihren (durer) et gewiihren (accorder octroyer) dans une harmonie inexprimeacutee Mais si maintenant nous reacutefleacutechissons mieux que nous ne lavons fait agrave ce qui proprement dure et peut-ecirctre est seul agrave durer alors nous pouvons dire Seul dure ce qui a eacuteteacute accordeacute Ce qui dure agrave lorigine agrave partir de laube des temps cest cela mecircme qui accorde 1

En tant quil forme lessence de la technique lArraisonnement estlaquo ce qui dure raquolaquo Ce qui dureraquo domine-t-il aussi au sens de ce qui accorde La seule question semble ecirctre une meacuteprise eacutevidente Car dapregraves tout ce qui a eacuteteacute dit lArraisonnement est un destin qui rassemble en mecircme temps quil envoie dans le deacutevoilement pro-voquant laquo Proshy-voquer raquo peut tout dire mais non pas laquo accorder raquo

1 NIIT dagrave Geuiihrte wiihTt Da anfiinglich au deT Fruumlhe wiihshyTende ist das Gewiihrende - Ici comme page 299 laquo ce qui accorderaquo est identifieacute agrave laquo ce qui dure en modt rassemblf raquo le ge- de gewiihshyTen pouvant ecirctre pris comme preacutefixe significatif agrave valeur rasscmshyblante (cf N du TT 2) Seul dure - donc seul est - ce qui a eacuteteacute accordeacute Et ce qui accorde (gewuumlhrt) cest ce qui ds lori~ine e~t et dure en mode rassembleacute (ge-wiihrt) ce qui constitue ainsi pour le8 autres choses la garantie (Gewiihr) de leur ecirctre (cf pp 235 ct 301 et Der SaI vom Grund p 107)

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE

Ainsi nouS paraicirct-il aussi longtemps que nous neacuteglimiddot geons dobserver que la pro-vocation qui engage dans lacte par lequel le reacuteel est commis comme fonds demeure toujours elle aussi un envoi (du destin) qui conduit lhomme vers un des chemins du deacutevoilement En tant quelle est ce destin lesshysence de la technique engage lhomme dans ce quil ne peut de lui-mecircme ni inventer ni encore moins faire Car - un homme qui ne serait quhomme uniquement de et par lui-mecircme une telle chose middot nexiste pas

Seulement si ce destin lArraisonnement est lexshytrecircme peacuteril non seulement pour lecirctre de lhomme mais pour tout deacutevoilement comme tel alors cet acte qui envoie peut-il lui aussi ecirctre appeleacute un acte qui accorde Certainement et complegravetement si toutefois laquo ce qui sauveraquo doit croicirctre dans ce destin Tout destin de deacutevoilement se produit agrave partir de lacte qui accorde et en tant que tel Car cest seulement celui-ci qui apporte agrave lhomme cette part quil prend au deacutevoilement et que lavegravenement du deacutevoilement laisse-ecirctre-et-preacuteserve 1 En tant que celui qui est ainsi conduit agrave son ecirctre et preacuteserveacute 2

lhomme dans ce quil aen propre est assigneacute (veTeignet) agrave lavegravenement (ETeignis) de la veacuteriteacute Ce qui accorde et qui envoie de telle ou telle faccedilon 3

dans le deacutevoilement est comme tel ce qui sauve Car celui-ci permet agrave lhomme de contempler la plus haute digniteacute de son ecirctre et de sy reacutetablir Digniteacute qui consiste agrave veiller sur la non-occultation et avec elle et dabord sur loccultation de tout ecirctre qui est sur cette terre Cest justement dans lArraishysonnement qui menace dentraicircner lhomme dans le commettre comme dans le mode preacutetendument unique du deacutevoilement et qui ainsi pousse lhomme

1 Braurht Cf plus haut p 35 et n 1 2 Alamp der so Gebrauchte 3 En mode laquo poieacutetique raquo producteur ou en mode pro-voquant

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 19: il (Wesen) C'~st (Dasein)

44 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 45 avec force vers le danger quil abandonne son ecirctre Dun autre cocircteacute lArraisonnement a lieu dans laquo cclibre cest preacuteciseacutement dans cet extrecircme danger qui accorderaquo et qui deacutetermine lhomme agrave persisterque se manifeste lappartenance la plus intime (dans son rocircle) ecirctre shyindestructible de lhomme agrave laquo ce qui accorde raquo agrave

encore inexpeacuterimenteacute mais supposer que pour notre part nous nous mettions

pIns expert peut-ecirctre agrave lavenir - celui qui estmain-tenu agrave veiller sur lessence de la veacuteriteacute Ainsiagrave prendre en consideacuteration lessence de la technique apparaicirct laube de ce qui sauveAinsi - contrairement agrave toute attente shy lecirctre Lirreacutesistibiliteacute du commettre et la retenue de cede la technique recegravele en lui la possibiliteacute que ce qui sauve passent lune devant lautre comme dansqui sauve se legraveve agrave notre horizon

Cest pourquoi le point dont tout deacutepend est que le cours deR astres la trajectoire de deux eacutetoiles

nous consideacuterions ce lever possible et que nous Seulement leur eacutevitement reacuteciproque est le cocircteacute

souvenant nous veillions sur lui Comment le faire secret de leur proximiteacute

Si nous regardons bien lessence ambigueuml de laAvant tout en apercevant ce qui dans la techniqueest essentiel au lieu de nous laisser fasciner par les

technique alors nous apercevons la constellation lemouvement stellaire du secretchoses techniques Aussi longtemps que nous nous

repreacutesentons la technique comme un instrument La question de la technique est la question de la

constellation daus laquelle le deacutevoilement et locmiddotnous restons pris dans la volonteacute de la maicirctriser cultation dans laquelle lecirctre mecircme de la veacuteriteacute seNous passons agrave cocircteacute de lessence de la technique produisentSi cependant nous demandons comment linstrushymentaliteacute entendue comme une espegravece de causashy

Mais agrave quoi nous sert-il dobserver la constellamiddot liteacute est-dans-son-ecirctre (west) alors nous appreacutehenshy

tion de la veacuteriteacute Nous regardons le danger et dansce regard nous percevons la croissance de ce quidons cet ecirctre comme le destin dun deacutevoilement sauveSi nous consideacuterons enfin que lesse de lessence 1

se produit (sich ereignet) dans laquo ce qui accorderaquo Ainsi nous ne sommes pas encore sauveacutes Mais

quelque chose nous demande de rester en arrecirctet qui preacuteservant lhomme le main-tient 2 dans la surpris dans la lumiegravere croissante de ce qui sauvepart quil prend au deacutevoilement alors il nous appamiddot Comment est-ce possible Cest possible ici mainmiddotraicirct que lessence de la technique est ambigueuml en tenant et dans la souplesse de ce qui est petit 1un sens eacuteleveacute Une telle ambiguiumlteacute nous dirige vers de telle faccedilon que nouS proteacutegions ce qui sauvele secret de tout deacutevoilement cest-agrave-dire de la pendant sa croissance Ceci implique que nous neveacuteriteacute perdions jamais de vue lextrecircme dangerDun cocircteacute lArraisonnement pro-voque agrave entrer Lecirctre de la technique menace le deacutevoilement ildans le mouvement furieux du commettre qui menace de la possibiliteacute que tout deacutevoilement sebouche toute vue sur la production du deacutevoilement limite au commettre et que tout se preacutesente seuleshyet met ainsi radicalement en peacuteril notre rapport agrave ment dans la non-occultation du fonds Lactionlessence de la veacuteriteacute humaine ne peut jamais remeacutedier immeacutediatementagrave ce danger Les reacutealisations humaines ne peuvent

1 Das Wesende des Wesens sous-entendu laquode la techniqueraquo2 Braucht Cf pp 35 et 43 et lems Dotes 1 lm Geringen Cf pp 215 et 217-218

46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

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46 ESSAIS ET CONFEacutenENCES

jamais agrave elles seules eacutecarter le danger Neacuteanmoins la meacuteditation humaine peut consideacuterer que ce qUI sauve doit toujours ecirctre dune essence supeacuterieure mais en mecircme temps apparenteacutee agrave celle de lecirctre menaceacute

Peut-ecirctre alors un deacutevoilement qui serait accordeacute de plus pregraves des origines pourrait-il pour la preshymiegravere fois faire apparaicirctre ce qui sauve au milieu de ce danger qui se cache dans lacircge technique plushytocirct quil ne sy montre

Autrefois la technique neacutetait pas seule agrave porter le nom de -reacutexv1J Autrefois -reacute-X-1J deacutesignait aussi ce deacutevoilement qui pro-duit la veacuteriteacute dans leacuteclat de ce qui paraicirct

Autrefois -rEacutexv1J deacutesignait aussi la pro-duction du vrai dans le beau La 7tOL1J(nccedil des beaux-arts sapshypelait aussi -reacutelv1J

Au deacutebut des destineacutees de lOccident les arts montegraverent en Gregravece au niveau le plus eacuteleveacute du deacutevoilement qui leur eacutetait accordeacute Ils firent res~ plendir la preacutesence des dieux le dialogue des desshytineacutees divine et humaine Et lart ne sappelait pas autrement que -reacutelvy) Il eacutetait un deacutevoilement unique et multiple II eacutetait pieux cest-agrave-dire laquo en pointe raquo rrp6floccedil docile agrave la puissance egravet agrave la conservation de la veacuteriteacute

Les arts ne tiraient point leur origine du (sentishyment) artistique Les œuvres dart neacutetaient point lobjet dune jouissance estheacutetique Lart neacutetait point un secteur de la production culturelle

Queacutetait lart Peut-ecirctre seulement pour de courts moments mais de hauts moments (de lhisshytoire) Pourquoi portait-il lhumble nom de -rEacuteXvY) Parce quil eacutetait un deacutevoilement pro-ducteur et quainsi il faisait partie de la 7tOL1J(nccedil Le nom de 1tOLY)Otlt fut finalement donneacute comme son nom propre agrave ce deacutevoilement qui peacutenegravetre et reacutegit tout lart du beau la poeacutesie la chose poeacutetique

LA QUESTION DE LA TECHNIQUE 47

Le mecircme poegravete dont nous avons entendu la parole

Mais lagrave ougrave est le danger lagrave aussi Croicirct ce qui sauve

nous dit

lhomme habite en poegravete SUT cette teTTe

La poeacutesie place le vrai dans le rayonnement de ce que Platon dans le Phegravedre appelle -ro Egravex~cxJamp(jtcxtov ce qui resplendit de la faccedilon la plus pure La poeacutesie peacutenegravetre tout art tout acte par lequel lecirctre essenshytiel (das Wesende) est deacutevoileacute dans le Beau

Les beaux-arts devraient-ils ecirctre appeleacutes (agrave prendre part) au deacutevoilement poeacutetique Le deacutevoishylement devrait-il les reacuteclamer dune faccedilon plus initiale afin quainsi pour leur part ils protegravegent speacutecialement la croissance de ce qui sauve quils reacuteveillent quils fondent agrave nouveau le regard dirigeacute vers laquo ce qui accorderaquo et la confiance en ce dershynier

Cette haute possibiliteacute de son essence est-elle accordeacutee agrave lart au milieu de lextrecircme danger Personne ne peut le dire Mais nous pouvons nous eacutetonner De quoi De lautre possibiliteacute que parshytout sinstalle la freacuteneacutesie de la technique jusquau jour ougrave agrave travers toutes les choses techniques lesshysence de la technique deacuteploiera son ecirctre dans lavegraveshynement de la veacuteriteacute

Lessence de la technique nest rien de technique eest pourquoi la reacuteflexion essentielle sur la techshynique et lexplication deacutecisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui dune part soit apparenteacute agrave lessence de la technique et qui dautre part nen soit pas moins fonciegraverement diffeacuterent delle

Lart est un tel domaine A vrai dire il lest seushylement lorsque la meacuteditation de lartiste de son

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil

Page 21: il (Wesen) C'~st (Dasein)

48 ESSAIS ET CONFEacuteRENCES

cocircteacute ne se ferme pas agrave cette constellation de la veacuteriteacute que nos questions visent

Questionnant ainsi nous teacutemoignons de la situashytion critique ougrave agrave force de technique nous ne pershycevons pas encore lecirctre essentiel de la technique ougrave agrave force destheacutetique nous ne preacuteservons plus lecirctre essentiel de lart Toutefois plus nous questionnons en consideacuterant lessence de la technique et plus lesshysence de lart devient mysteacuterieuse

Plus nous nous approchons du danger et plus clairement les chemins menant verslaquo ce qui sauveraquo commencent agrave seacuteclairer Plus aussi nous interroshygeons Car linterrogation est la pieacuteteacute de la penseacutee l

1 Cette laquo pieacuteteacuteraquo (Frommigkeit) est laquo la maniegravere dont la penseacutee reacutepond-et-correspond (cnt-spricht) agrave ce quil faut penserraquo (Heid) Voir aussi plus haut p 46 lexplication du mot fromm (ltlt pieuxraquo) = 1rpdegIJoOccedil