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HAL Id: hal-01338557 https://hal-ensta-paris.archives-ouvertes.fr//hal-01338557 Submitted on 30 Jun 2016 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Idiophones à plaques et coques. Partie II. Instruments fortement non linéaires : cymbales, tam-tams et plaques tonnerre Cyril Touzé, Olivier Thomas To cite this version: Cyril Touzé, Olivier Thomas. Idiophones à plaques et coques. Partie II. Instruments fortement non linéaires: cymbales, tam-tams et plaques tonnerre. Musique & Technique, ITEMM, 2016, 6, pp.51-63. hal-01338557
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Idiophones à plaques et coques. Partie II. Instruments ...

Dec 20, 2021

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HAL Id: hal-01338557https://hal-ensta-paris.archives-ouvertes.fr//hal-01338557

Submitted on 30 Jun 2016

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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Idiophones à plaques et coques. Partie II. Instrumentsfortement non linéaires : cymbales, tam-tams et plaques

tonnerreCyril Touzé, Olivier Thomas

To cite this version:Cyril Touzé, Olivier Thomas. Idiophones à plaques et coques. Partie II. Instruments fortement nonlinéaires : cymbales, tam-tams et plaques tonnerre. Musique & Technique, ITEMM, 2016, 6, pp.51-63.�hal-01338557�

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Idiophones à plaques et coques.Deuxième partie, non-linéarité forte :cymbales, tam-tams et plaque tonnerreCyril Touzé, Enseignant-chercheur, Unité de Mécanique (UME), ENSTA-ParisTech, PalaiseauOlivier Thomas, Enseignant-chercheur, Laboratoire de Mécanique des Structures et Systèmes Couplés(LMSSC), CNAM, Paris

Dans cet article nous nous intéressons aux idio-phones à plaques et coques dont le comportement estfortement non linéaire. Nous traiterons du cas descymbales, des gongs – et plus particulièrement destam-tams – ainsi que de la plaque tonnerre. Ces ins-truments sont distingués des précédents, dits « à faiblenon-linéarité », car la physique vibratoire mise en jeuest radicalement différente, beaucoup plus complexeet très fortement non linéaire. Au niveau perceptif,cette distinction est immédiatement notable à l’oreillecar les instruments que nous considérons dans cet ar-ticle n’ont pas de hauteur définie. Leur son caractéris-tique est décrit comme très brillant : le contenu fré-quentiel est tellement riche qu’on ne peut leur attri-buer une hauteur précise, on observe plutôt un conti-nuum de fréquences.

1 Cymbales, Tam-tams et plaquestonnerre

Dans la culture occidentale, les cymbales sont uti-lisées principalement dans l’orchestre symphonique,où elles sont dénommées cymbales françaises, vien-noises et germaniques, par ordre croissant d’épais-seur. Dans le jazz et la musique pop, elles sont l’élé-ment brillant de base de la batterie, constituée au mi-nimum d’un charleston (2 cymbales montées hori-zontalement l’une sur l’autre et actionnées au pied,servant à marquer le rythme) et d’un jeu plus ou moinscomplet de cymbales posées sur pied, dénommées pardes onomatopées mimant le son qu’elles produisent :crash (diamètre de 30 à 50 cm, son très riche pourmarquer les accents), ride (diamètre de 45 à 55 cm,pour marquer le rythme), splash (diamètre de 15 à30 cm, petite crash au son explosif et plus bref), etchinoise (diamètre de 25 à 55 cm et possèdant unbord incurvé vers l’extérieur, son soutenu et puissant

s’éteignant au bout de plusieurs secondes).La géométrie des cymbales est circulaire, et pos-

sède en général un dôme central protubérant appelé« cloche ». Celle-ci est particulièrement marquée dansle cas de la ride. L’épaisseur est variable, le centreétant plus épais que le bord. Selon les cymbales, lesépaisseurs au bord sont généralement inférieures aumillimètre. L’épaisseur plus importante au centre ainsique la protubérance permet d’avoir, lorsqu’on les frappeà cet endroit, une hauteur tonale distincte, ce qui estsurtout utilisé pour la cymbale ride qui sert à marquerle rythme par des frappes régulières sur sa cloche. Latrès fine épaisseur au bord permet quant à elle d’ob-tenir rapidement des sons riches et saturés, ce quiest surtout recherché pour les crashs et les splashs.Toutes les cymbales sont percées en leur centre, cequi sert à les fixer sur des pieds.

600 mm

Ride

Cymbale chinoise600 mm

200 mm

Splash

Crash460 mm

FIGURE 1 – Profils des cymbales typiques : ride,crash, splash et chinoise.

Bien que gardée secrète par les fabricants, la com-position des métaux utilisés est du bronze composésoit de 80% de cuivre et 20% d’étain, soit de 92%de cuivre et 8% d’étain, avec bien souvent des ajouts(traces) de métaux plus rares tels que l’argent. Auniveau de la fabrication, on distingue les cymbalesnon moulées des cymbales moulées. Les non mou-lées sont fabriquées à partir d’un disque de bronzemis en forme puis martelé ; elles constituent le bas degamme des fabricants. Les moulées sont emboutiesen presse à chaud puis refroidies rapidement, pro-

1

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cédé qui est répété plusieurs fois. Ensuite le marte-lage est effectué, soit automatiquement soit manuel-lement avec un marteau pneumatique, enfin le tour-nage et le polissage déterminent l’aspect final de l’ins-trument [16].

Les gongs que nous retenons dans cet article sonten fait appelés tam-tams. En effet, alors que les gongssont généralement épais et possèdent une hauteur to-nale distincte (entrant donc dans la catégorie des idio-phones faiblement non linéaires), les tam-tams n’ontpas de hauteur précise mais sont caractérisés, commeles cymbales, par un son d’une extrême richesse fré-quentielle et d’une puissance suggestive. Ils sont uti-lisés dans l’orchestre symphonique, leurs diamètrespouvant varier de 40 cm jusqu’à 1 mètre 50. La sur-face centrale (de frappe) est aplatie, tandis que lesbords sont recourbés (cf. figure 4), ce qui empêchede les attaquer par la tranche comme les cymbales.De fait, alors que les maximas de vibrations pour unecymbale sont situés au bord, la condition aux limitesdonné par cette collerette très rigidifiante des tam-tams s’approche plus d’un bord encastré, si bien queles maximas de vibration ont plutôt lieu dans la ré-gion centrale. Au niveau de la fabrication, les tam-tams subissent une succession de chauffage et de trempe.On distingue aussi, selon les fabricants, une partiefortement martelée et une partie tournée sur le disquecentral. De par sa taille imposante, la profondeur et larichesse du son qu’il produit, il est utilisé pour mar-quer les tensions dramatiques. Comme les cymbales,les tam-tams sont fabriqués en bronze.

Enfin, le dernier instrument retenu dans cet ar-ticle est la plaque tonnerre (ou lame à tonnerre). Ils’agit d’un grande plaque métallique de 1 mètre par 2mètres et d’une épaisseur inférieure au millimètre (del’ordre de 0.5 mm). La plaque tonnerre était utiliséeautrefois dans les théâtres ; secouée violemment elleproduit un son dense et chatoyant qui mime le sondu tonnerre. Elle est encore utilisée pour produire ceteffet très spécifique dans des représentations fantas-magoriques ou des orchestres symphoniques.

2 Mode de jeu usuel

Les cymbales sont mises en vibration soit en lesfrappant l’une contre l’autre, soit en utilisant une ba-guette de bois. D’un point de vue physique, il s’agit àchaque fois d’une excitation impulsionnelle, l’instru-ment vibrant ensuite seul jusqu’à extinction du son,on parle de vibrations libres. Lors d’un contact avec

une baguette, les deux matériaux (bronze et bois) sontrigides et l’interaction est très brève, si bien que lecontenu fréquentiel envoyé à la cymbale lors de l’im-pact est riche. Les tam-tams sont quant à eux mis envibration à l’aide d’une mailloche, dont l’extrémitéest recouverte de feutre. Dans ce cas, le matériau del’excitateur est mou, si bien que le temps d’interac-tion est plus long et le contenu fréquentiel plus limitéen hautes fréquences que dans le cas de la cymbalefrappée par une baguette.

0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2−1

0

1

temps [s]

FIGURE 2 – Vibrations libres d’une cymbale splashfrappée par une baguette. Signal temporal (en unitéarbitraire, en haut), et spectrogramme.

Les figures 2 et 3 permettent de comprendre unpeu plus quantitativement les différences engendréespar ces deux excitateurs. Pour le cas de la cymbale,fig. 2, l’impression auditive est d’une très grande ri-chesse spectrale dès l’attaque par la baguette, ce quiest confirmé par le spectrogramme. Le contenu fré-quentiel de l’excitation contient déjà beaucoup de hautesfréquences, le spectrogramme, aux toutes premièresmillisecondes, contient en effet de l’énergie jusque15 kHz. Lors de la vibration libre, toute cette énergieest ensuite dissipée et le spectre évolue doucement,les hautes fréquences étant amorties plus vite que lesbasses fréquences. Le spectrogramme confirme les

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affirmations introductives : on ne remarque pas defréquences particulières qui ressortent, mais bien plu-tôt un continuum de fréquences équiréparties entre 0et 15 kHz.

Dans le cas du tam-tam, l’impression auditive lorsdes tout premiers instants est complètement différente :on entend clairement un enrichissement spectral quidonne la sensation d’une explosion par ajout de fré-quences, jusqu’à saturation. L’analyse du signal confirmeces impressions. Sur la figure 3 (haut) représentant lesignal temporel de pression enregistré à un mètre dutam-tam, on observe nettement que le maximum del’amplitude du signal est atteint au bout d’une demi-seconde, alors que dans le cas de la cymbale le maxi-mum est atteint au moment de l’attaque1. A cetteaugmentation d’amplitude est associé un enrichisse-ment spectral très net sur le spectrogramme. Aux toutespremières millisecondes, on observe de l’énergie uni-quement sur la bande [0, 2000] Hz, ce qui corres-pond à peu près à la bande fréquentielle transmise parl’excitateur. Puis, pendant un peu plus d’une demi-seconde, on voit très clairement de plus en plus defréquences venir s’ajouter aux premières, avec de l’éner-gie qui est transmise jusqu’à 4500 Hz. Pendant cettedemi-seconde, le son s’enrichit, ce qui donne cetteimpression auditive si particulière au tam-tam. Cetenrichissement est proportionnel à l’intensité de lafrappe. Pour des frappes très douces, les vibrationsresteront de petite amplitude et le spectre ne sera pasmodifié. Par contre, plus l’amplitude de frappe seragrande, plus la fréquence maximale atteinte sera éle-vée, et plus le son sera riche.

La plaque tonnerre est mise en vibration soit parune mailloche, si bien que ce cas diffère peu du cas dutam-tam, soit elle est secouée vigoureusement. Dansce dernier cas, l’excitation est très basse fréquencepuisque l’on peut dire en première approximation qu’unepersonne secouant une telle plaque va bouger ses brasà une fréquence de quelques Hz. Malgré cela, le sonarrive, de la même manière que dans le cas du tam-tam, à engendrer énormément de hautes fréquences.De nouveau, plus l’opérateur secouera fortement laplaque et plus il créera de hautes fréquences.

1. Une observation attentive pour la cymbale montre que lemaximum est atteint au bout d’une vingtaine de millisecondes.De même, un très léger enrichissement spectral sur les premièresmillisecondes est observable, avec une fréquence maximaleduspectre passant d’environ 13 kHz à 15kHz. Cependant, comparéau cas du tam-tam, cet enrichissement est bref et peu marquéfréquentiellement, et à peine audible.

0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5

−0.2

0

0.2

temps [s]

FIGURE 3 – Vibrations libres d’un tam-tam frappéepar une mailloche. Signal temporal (en unité arbi-traire, en haut), et spectrogramme.

Si l’on essaye de résumer les considérations rela-tives au mode de jeu de ces instruments, le point ca-ractéristique pour le cas des tam-tams et de la plaquetonnerre est l’enrichissement spectral observé. Ce der-nier n’est pas immédiat, ce qui montre que le systèmephysique est dans un état vibratoire qui favorise lacréation de ces hautes fréquences ; mais que ceci sefait sur une échelle de temps donnée. Ce phénomèneest typiquement non linéaire. En effet, une des ca-ractéristiques d’un système linéaire est de répondreaux fréquences auxquelles il a été excité. La créa-tion de nouvelles fréquences ne peut être que le faitde la non-linéarité, qui ici provient du rapport entrel’amplitude de vibration et l’épaisseur. Ainsi plus lesamplitudes de vibrations seront grandes, plus la non-linéarité s’exprimera, ce qui est cohérent avec les ré-ponses différentes observées pour les tam-tams. Pourles cymbales, il n’est pas rare d’observer au bord desamplitudes de l’ordre du centimètre pour une épais-seur d’un millimètre.

Le cas de la cymbale frappée vigoureusement parune baguette ne montre quasiment pas cet enrichisse-ment spectral typique. Cela est lié au fait que l’excita-

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tion contient déjà tellement de hautes fréquences quele système n’en crée que peu de nouvelles. Par contre,on peut aisément se convaincre que la vibration esttrès fortement non linéaire, d’une part par l’ampli-tude des vibrations au bord, d’autre part parce quele spectre est beaucoup plus riche que la somme desraies spectrales correspondant aux modes de la struc-ture.

Afin de mieux comprendre la physique mise enjeu pour expliquer ce transfert d’énergie vers les hautesfréquences, nous allons nous intéresser à une expé-rience plus contrôlée et plus aisément reproductible.L’idée, en nous éloignant du mode de jeu usuel, est demettre au jour les mécanismes physiques principauxde cette vibration fortement non linéaire.

3 Expérience contrôlée

Au lieu d’exciter la cymbale ou le tam-tam parune force impulsionnelle puis laisser le système vi-brer en régime d’oscillations libres, regardons ce qu’iladvient lorsque celui-ci est excité de manière conti-nue, en régime de vibration forcée, par une force mo-nofréquentielle d’amplitude croissante. Alors qu’enmode de jeu usuel, lors de la frappe excitatrice, oncommunique toute une bande de fréquences à la cym-bale, l’idée est ici de n’envoyer qu’une seule fréquenceà l’instrument et de regarder comment il réagit. Sil’amplitude de cette force imposée est très petite, alorsles vibrations seront aussi très petites. On est alorsen régime linéaire et la cymbale vibre à la fréquenceimposée. Par contre, lorsque l’on va augmenter l’am-plitude de la force graduellement, l’amplitude de laréponse va augmenter, jusqu’à dépasser l’épaisseur.Ainsi, augmentant continuellement l’amplitude du for-çage, on va passer petit à petit du régime de vibrationslinéaires au régime fortement non linéaire. Ce faisanton contrôle beaucoup mieux les transitions et les dif-férents régimes de vibrations possibles, ce qui au finalnous permettra de mieux comprendre ce qui se passelorsque l’on frappe vigoureusement une cymbale ouun tam-tam.

Une photographie d’un tam-tam lors d’une telleexpérience est montré figure 4. Dans ce cas-là, l’exci-tation est réalisée par un système bobine-aimant. Unpetit aimant est collé à la structure, une bobine dis-posée autour de lui. En contrôlant le courant imposéà la bobine, on assure une force externe sans contactde la nature souhaitée. Une autre solution consiste àutiliser unpot vibrant, dispositif classique en études

de vibrations expérimentales, qui impose une forcevia un contact mécanique. Ce genre de dispositif aété utilisé plus particulièrement pour les cymbales enfixant le pot vibrant dans le trou central. La mesurevibratoire est ensuite réalisée soit à l’aide d’un vibro-mètre laser (à droite de la photo), qui mesure la vi-tesse en un point, soit par un accéléromètre, que l’oncolle sur la structure et qui mesure l’accélération à cepoint.

FIGURE 4 – Photographie du montage expérimental,ou comment les physiciens jouent du tam-tam ! Aucentre du tam-tam, le dispositif d’excitation constituéd’une bobine et d’un aimant.

La figure 5 montre le résultat d’une telle expé-rience, menée sur un tam-tam de 60 centimètres dediamètre, excité en son centre par une force ponc-tuelle, monofréquentielle, d’amplitude croissante [1,2,3].La figure du haut montre l’enveloppe du forçage im-posé : son amplitude va croissante puis finit par satu-rer. En dessous, la réponse temporelle (la vibration),mesurée en un point par un accéléromètre, est mon-trée. Enfin, le spectrogramme du signal d’accéléra-tion dévoile le contenu fréquentiel de la vibration aucours de l’expérience. La fréquence imposée est de556 Hz, elle correspond à une fréquence propre dela structure, plus précisément à celle du mode com-portant 3 cercles nodaux de vibration et aucun dia-mètre. Comme expliqué dans l’article précédent, lesmodes propres d’une structure plane circulaire (quecela soit une plaque ou un tam-tam) sont classifiés parle nombre de diamètres et de cercles nodaux qu’ilscomportent. Un mode est donc numéroté par un dou-blet d’entiers,(k, n), oùk est le nombre de diamètresnodaux etn le nombre de cercles nodaux. Ici le modeexcité du gong est donc le mode axisymétrique (0,3).

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Temps (s) − ∆ t = 0.372 s

Fré

quen

ce (

Hz)

− ∆

f =

1.3

5 H

z

0 10 20 30 40 50 60 70 800

500

1000

1500

0 10 20 30 40 50 60 70 80−0.5

0

0.5E

xcita

tion

0 10 20 30 40 50 60 70 80−1

−0.5

0

0.5

1

Acc

élér

atio

n du

gon

g

Régime Régime chaotique

Régimepériodique quasi-périodique

Bifurcations

FIGURE 5 – Vibrations forcées d’un tam-tam, ex-cité par une force sinusoidale de fréquence 556 Hzet d’intensité croissante. haut : signal temporel de laforce au cours du temps de l’expérience. Milieu : ré-ponse du tam-tam : accélération mesurée en un point.Bas : spectrogramme de l’accélération.

L’examen de la réponse et en particulier du spec-trogramme montre clairement 3 régimes de vibrationdisctincts. Le premier correspond au régime faible-ment non linéaire. L’amplitude de la force et de la ré-ponse étant très petite, le régime vibratoire est quasi-linéaire. Plus précisément, on remarque qu’il est pré-cisément déjà faiblement non-linéaire, puisque dansla réponse fréquentielle au cours des 15 premièressecondes de l’expérience, on observe non seulementla fréquence imposée par la forçage, 556 Hz, maisaussi son harmonique à 1112 Hz. Le troisième har-monique à 1668 Hz est aussi présent dans la réponsemais non représenté car l’echelle fréquentielle rete-nue s’arrête à 1500 Hz. Même si l’on est déjà en ré-gime faiblement non linéaire (présence de distorsionharmonique, cf. article précédent), la réponse restepériodique, et la vibration s’organise autour du modepropre directement excité. Une analyse spatiale de la

vibration montre en effet que seul le mode excité estprésent dans la réponse –on parle alors de vibrationunimodale– mais à une amplitude telle qu’il vibredéjà en non linéaire et créé des harmoniques. Autourde la 17èmeseconde, la nature du régime vibratoirese modifie brusquement, comme en atteste la tracetemporelle du signal d’accélération ainsi que le spec-trogramme. En physique, on dit qu’unebifurcation aeu lieu : pour un petit changement du paramètre decontrôle de l’expérience (ici l’amplitude de la forceimposée), un changement de nature de la réponse estobservé. Une bifurcation va de pair avec uneinsta-bilité, c’est un phénomène typiquement non linéaire.En d’autres termes, le régime vibratoire périodiqueobservé jusque là n’est plus, pour cette amplitude cri-tique du forçage, une solution stable du système, maisune solution instable. La réponse du système va doncêtre de devoir trouver la nouvelle solution stable exis-tante pour cette amplitude. Celle-ci se caractérise parl’apparition de nombreux sous-harmoniques dans laréponse qui, au niveau fréquentiel, s’enrichit et secomplexifie.

En observant finement le spectre vibratoire de cesecond régime, nous constatons qu’il est composé d’unnombre donné de pics fréquentiels biens distincts lesuns des autres. Ce régime est appelé quasi-périodiquecar les rapports entre les fréquences du spectre nesont plus entiers. Il en résulte un son modulé, riche,mais qui toutefois ne ressemble toujours pas au sondu tam-tam en mode de jeu usuel. Les sous-harmoniquesapparus à la bifurcation peuvent de plus être groupéesdeux à deux, et ils vérifient des relations dites de ré-sonance interne :

fi + fj = Fexc,

où (fi, fj) sont deux fréquences du spectre, etFexc=556 Hz la fréquence d’excitation.

La figure 6 montre le contenu fréquentiel de lavibration à deux instants différents du régime quasi-périodique : à son activation, puis quelques secondesplus tard lorsqu’il est bien établi. Sur le premier spectre,trois pics principaux émergent. Tout d’abord le picfréquentiel de l’excitation, à 556 Hz. Cette fréquencea été choisie proche de la fréquence propre du mode(0,3), qui est représenté schématiquement sur la fi-gure, au-dessus du pic. Deux autres pics principauxsont clairement visibles, respectivement à 235 et 321Hz. Comme annoncé, on vérifie bien 235 + 321 = 556Hz = Fexc. De plus, il est remarquable de constater,en croisant ces résultats avec ceux d’une analyse mo-

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dale préalablement effectuée, que chacune des fré-quences(fi, fj) qui sont apparues correspondent àdes modes propres du tam-tam. Ainsi, on peut identi-fier les deux pics comme les contributions des modes(2,1) et (3,1), ces deux derniers étant représentés sché-matiquement sur la figure. Lorsque le régime quasi-périodique est bien établi, 4 autres pics principauxémergent, respectivement aux fréquences 87, 147, 409et 469 Hz. Une fois de plus, ces fréquences sont re-groupables deux à deux, et correspondent à des modespropres de la structure, représentés sur la figure (res-pectivement les modes (0,1), (1,1), (4,1) et (5,0)).

Ainsi l’explication du mécanisme physique est lasuivante. Avant la bifurcation, le mode de fréquencepropre 556 Hz était excitée et participait seul à la vi-bration. Pour une amplitude de forçage donné, la so-lution où seul ce mode excité vibre est devenue in-stable. La solution stable qui en émerge correspond àune solution multi-modale, où l’énergie a été échan-gée entre plusieurs modes propres de la structure. Larègle de sélection pour cet échange d’énergie est donnépar la relation fréquentiellefi + fj = Fexc. Dès quedeux modes présentent cette relation, dite deréso-nance interne, alors ils vont pouvoir participer à lavibration et de l’énergie va leur être échangée. Onest donc passé d’une situation simple, faiblement nonlinéaire, à une réponse beaucoup plus complexe oùl’énergie est partagée entre 7 modes [1,2,3].

Enfin, continuant à augmenter l’amplitude du for-çage, une seconde bifurcation apparait. Au niveau del’effet auditif produit lors de cette expérience, il estextrêmement frappant de constater la proximité, entermes de timbre et de richesse spectrale, entre le sonproduit par le tam-tam en régime de vibration forcéaprès cette seconde bifurcation, et le son produit enmode de jeu usuel. Tout indique que l’on est arrivéau même état vibratoire par un chemin différent. Enobservant le contenu fréquentiel de la vibration aprèscette seconde bifurcation, on constate son extrême ri-chesse puisque le spectre ne peut plus être qualifiéde spectre de raies bien distinctes, mais il possède uncontinuum de fréquences, comme en régime libre. Cerégime est qualifié de chaotique en référence au chaostemporel que l’on trouve en théorie des systèmes dy-namiques, et qui décrit des réponses apériodiques etcomportant un spectre de Fourier à bande large, cequi est exactement ce qui est observé ici.

Avant d’entrer plus en détail dans la descriptionphysique de ce dernier régime, qui caractérise l’étatvibratoire des instruments de percussion fortement

556

235 321

87 147409

469

ampl

itude

[dB

]am

plitu

de [d

B]

FIGURE 6 – Contenu fréquentiel du régime quasipé-riodique pour un tam-tam excité par une force sinu-soidale à 556 Hz, au temps t=18 secondes de l’ex-périence montré figure 5 (haut), et t=40 secondes(bas) ; correspondant respectivement à l’activation etau régime établi. Les fréquences principales sont in-diquées en Hz ainsi que le schéma de la déforméemodale correspondant à la fréquence identifiée.

non linéaires, résumons les idées principales que cetteexpérience contrôlée ont mises en évidence. Tout d’abordil convient de préciser que ce type d’expérience esttypique en physique afin de dévoiler les mécanismesde transition que l’on observe dans les systèmes non

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linéaires, car ceux-ci répondent à des lois universellesque l’on peut mettre ainsi en évidence expérimentale-ment. L’expérience montrée ici sur un tam-tam a étéreproduite au laboratoire sur de très nombreux instru-ments : cymbales de divers types, tam-tams, plaquesplanes, coques de courbure et d’épaisseur contrôlée,plaques tonnerre. Le schéma de transition expliquédans cet article a été systématiquement observé, sibien qu’on le considère comme générique aux plaqueset coques minces. Augmentant l’amplitude des vibra-tions graduellement, des phénomènes typiquement nonlinéaires ont été observés : bifurcations, instabilités,couplages de modes, vibrations chaotiques. Après lapremière bifurcation, nous avons montré l’importancedu concept derésonance interne, qui permet de ci-bler les modes entre lesquels de l’énergie va pouvoirêtre échangée afin de complexifier le régime. Pour lescymbales, on peut en déduire, en particulier, qu’uninstrument montrera plus facilement un son chatoyantavec un spectre riche si les transitions vers les ré-gimes fortement non linéaires sont favorisées, et doncsi l’instrument présente un nombre important de ré-sonances internes. Cependant un autre facteur est àprendre en compte pour faciliter les échanges : la den-sité modale. Plus le système aura de modes par bandesde fréquences et plus il augmentera aussi ses chancesd’avoir des résonances internes.

Nous allons désormais procéder à la descriptiondu dernier régime vibratoire. Ce que l’on cherche enparticulier à comprendre, c’est le phénomène qui per-met d’engendrer un spectre de plus en plus riche, avecde plus en plus de hautes fréquences, lorsque l’onaugmente l’intensité de la frappe (ou l’intensité duforçage sinusoidale imposé en vibrations forcées). Laclé de la solution va nous être fournie en faisant undétour par un problème classique mais difficile de dy-namique des fluides : la turbulence.

4 Turbulence dans une plaque

Les mouvements désordonnés des fluides en écou-lements turbulents, que l’on peut observer dans lescascades, les rivières et beaucoup d’autres situations,ont toujours fasciné par leurs côtés désordonnés, brusqueset imprédictibles. On peut remonter à Léonard de Vinci(1452-1519) pour trouver des esquisses de travauxd’analyse des écoulements turbulents, comme le montrela figure 7 (haut) représentant l’un de ses croquis,montrant un écoulement se jeter dans un bassin deplus grande dimension. Ce qui frappe le regard est

la très grande variété des échelles spatiales mises enjeu dans cet écoulement. Au grand tourbillon princi-pal représenté à la périphérie du bassin, succède unnombre incroyable de tourbillons de plus en plus pe-tits dont la complexité est la nature même de la tur-bulence. Le cliché montré figure 7 (bas), réalisé àl’Unité de Mécanique de l’ENSTA-ParisTech, montreun sillage turbulent dans un écoulement derrière uncylindre fixe. Là encore, on peut observer de grandesstructures tourbillonaires ainsi que de nombreuses autresde plus petites tailles.

FIGURE 7 – Haut : dessin de Leonard de Vinci re-présentant les mouvements turbulents tridimension-nels d’une conduite d’eau débouchant dans un bassin.Bas : photographie d’un sillage turbulent derrière unobstacle cylindrique (cliché réalisé par Olivier Cadotà l’UME de l’ENSTA-ParisTech).

En dynamique des fluides, c’est en augmentant lavitesse du fluide que l’on observe des transitions derégimes d’écoulements simples, que l’on appelle la-minaires, où les lignes de courant restent parallèles

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entre elles et épousent la géométrie du contenant, auxrégimes turbulents, caractérisés par cette profusionde structures de tailles différentes et le côté appa-remment aléatoire de l’écoulement. Plus précisément,c’est le rapport entre la vitesse et la viscosité du fluide,donnant un nombre sans dimension appelénombrede Reynolds2, qui gouverne les transitions. OsborneReynolds, physicien irlandais (1842-1912), introdui-sit ce nombre sans dimension dans un article célèbredatant de 1883 [4], où il décrivait une expérience trèssimple consistant à observer les mouvements d’unfluide (l’eau) en écoulement dans une conduite cir-culaire, à l’aide d’un jet de colorant injecté au centre.Pour les petites vitesses d’écoulement, le filet coloréreste stable, l’écoulement est laminaire. Au-delà d’unevaleur critique, le filet se déforme et s’enroule, l’écou-lement est devenu turbulent.

Un pas important a été fait avec les travaux de Le-wis Fry Richardson, mathématicien et météorologueanglais (1881-1953), lorsqu’il émit pour la premièrefois l’idée d’une cascade d’énergie des grandes versles petites structures [5]. L’image de la cascade de Ri-chardson est la suivante : les grands tourbillons d’unécoulement sont engendrés par les forces externes quileur fournissent une certaine vitesse et donc un ni-veau d’énergie donné. Puis ceux-ci transmettent in-tégralement cette énergie à des tourbillons de tailleplus petites et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrive àdes tourbillons si petits que ceux-ci sont à l’échellede la dissipation intrinsèque du fluide, qui ne joueque sur les petites structures. On a ainsi une imagequi permet de comprendre la formation de toutes cespetites structures désordonnées, le point clé en étantle concept decascadequi explique la génération dehautes fréquences, puisque celles-ci sont liées aux pe-tites longueurs d’ondes et donc aux petits tourbillons.

Qu’en est-il alors des vibrations de plaques et decoques minces, et quel est le rapport entre la turbu-lence et les cymbales ? Alors qu’il pourrait à premièrevue sembler saugrenu de penser trouver de la tur-bulence dans un solide, tel est pourtant bien le cas.Récemment, une étude théorique de Gustavo Düring,

2. Le nombre de ReynoldsRe est défini par

Re =

UL

ν,

oùU est la vitesse du fluide (enm.s−1),L une grandeur caracté-ristique de l’écoulement (enm) et ν la viscosité cinématique dufluide (enm2s−1), il fait le rapport entre les forces inertielles etles forces visqueuses.

Christophe Josserand et Sergio Rica [6] a montré quepour les plaques minces modélisées par l’équation devon Kármán3, un régime de turbulence faible exis-tait. Leur étude a prédit des lois d’échelles pour la ré-partition spectrale de la puissance, pour une plaqueparfaite et sans amortissement. La turbulence exis-tant pour les plaques est ditefaible, ou encoreturbu-lence d’ondes; elle se distingue de la turbulence hy-drodynamique pleinement développée par la persis-tence des ondes et l’absence d’évènements très raresmais de très forte intensité.

Des études expérimentales ont été menées de ma-nière indépendante sur deux systèmes mettant en vi-bration une grande plaque de deux mètres par un mètre,pour un épaisseur de 0.5mm, soit une plaque ton-nerre reconvertie pour les besoins de la science fon-damentale [7,8]. Ces deux études ont montré l’exis-tence d’une régime de cascade : plus l’amplitude duforçage est grande, et plus la fréquence maximale ob-servée dans la vibration est grande. Ce point est en ac-cord complet avec l’expérience du joueur de tam-tamqui, frappant de plus en plus vigoureusement son ins-trument, entend un son de plus en plus riche en hautesfréquences. De plus, des lois d’échelles ont aussi puêtre trouvées sur les spectres expérimentaux, mon-trant que ceux-ci se développent selon une courbeuniverselle. Par contre, des désaccords ont été rele-vées entre la prédiction théorique de la répartitionfréquentielle des spectres de turbulence et les me-sures. A l’heure actuelle, des recherches sont encoreen cours pour comprendre l’origine de ces différences.

En conclusion de cette partie, le régime fortementnon linéaire caractérisant le son des cymbales, destam-tams et des plaques tonnerre, a été analysé sousl’angle de la turbulence d’ondes. Le phénomène decascade d’énergie permet de comprendre la richessefréquentielle du son de ces instruments et leur rela-tion avec l’amplitude de la frappe initiale, ainsi quela fréquence. En effet, dans le cas de la plaque ton-nerre, lorsque celle-ci est secouée par un opérateur,elle subit un forçage très basse fréquence de l’ordredu Hz, ce qui ne l’empêche, par ce transfert d’éner-gie, de produire des fréquences allant jusqu’à 2000ou 3000 Hz ! D’autres conséquences peuvent en êtretirées, comme par exemple le délai audible (de l’ordrede la demi-seconde), pour les tam-tams, entre la frapped’excitation et le moment où le spectre a développé saplus haute fréquence : cela correspond exactement au

3. cf article précédent

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temps qu’il faut pour que l’énergie cascade de la fré-quence maximale transmise par la mailloche à cellequi sera créée par l’état vibratoire turbulent.

5 Simulation numérique

Les simulations numériques permettant de rendrecompte du son des cymbales, tam-tams ou encore plaquetonnerre, au moyen d’un calcul sur ordinateur, sontdifficiles de par la nature même de l’état vibratoirequ’il faut simuler. L’état turbulent demande en ef-fet une discrétisation spatiale et temporelle très fineafin de garantir la stabilité des résultats et leur accordavec la réalité. Les temps de calculs sont encore trèsgrands et l’on est bien loin de la simulation en tempsréel ! Cependant les mécanismes principaux en sontmaintenant compris et des schémas stables existentqui permettent de simuler la turbulence d’ondes dansles plaques minces, et donc d’avoir accès à des sonsde synthèse se rapprochant de la réalité. D’ici quelquesannées, avec le progrès des ordinateurs et du calculparallèle, le temps réel sera sans aucun doute acces-sible...

Afin de mieux se rendre compte de la complexitéde l’état vibratoire turbulent, la figure 8 montre dessorties de simulation pour une plaque plane parfaite.Le déplacement en tout point de la plaque, ainsi quela vitesse sont représentés. Alors que le déplacementmontre une forme relativement douce et peu chahu-tée, la vitesse en tout point de la plaque est plus com-plexe avec des hautes fréquences beaucoup plus pré-sentes. Ce régime vibratoire correspond à celui me-suré sur les plaques tonnerre [9]. Bien qu’aucune me-sure n’ait encore été faite pour des cymbales ou destam-tams, on peut supposer que leur état vibratoiresoit très ressemblant à ces observations.

Récemment, de nombreuses simulations ont étéréalisées dans le but de reproduire l’expérience contrô-lée décrite à la section 3 [10,11]. La figure 9 montreun exemple typique pour une plaque plane rectan-gulaire excitée à 195 Hz. Le schéma de transition àla turbulence est correctement simulé, avec l’appa-rition successive des 3 régimes (périodiques, quasi-périodique et turbulent) délimités par deux bifurca-tions. L’étude des propriétés statistiques de la turbu-lence d’ondes simulée montre un très bon accord avecles prédictions théoriques de Düringet coll. [6], tantque l’on considère une plaque parfaite et sans amor-tissement. Cependant dans la réalité la dissipation esttoujours présente, et sa prise en compte est surement

FIGURE 8 – Simulations numériques des vibrationsd’une plaque mince en régime de turbulence d’ondes,plaque rectangulaire de 60×40cm et d’épaisseur1mm. En haut, le déplacement (enm) est de l’ordrede l’épaisseur. En bas, la vitesse montre beaucoupplus de hautes fréquences.

le point clé permettant de lever les différences entrethéorie et expériences.

Des simulations ont aussi été réalisées en régimeimpulsionnel et oscillations libres [12,13]. Elles montrentqu’auditivement l’effet principal, dû au régime forte-ment non linéaire de turbulence d’ondes, est bien re-produit, si bien que l’identification à un son de cym-bale est immédiat. Le décalage temporel pour le casdu tam-tam est plus difficlement reproductible maisapparait sur certaines simulations. Cependant, bienque ces sons de synthèse reproduisent correctementl’effet principal, ils sonnent encore comme des sonssynthétiques et non des vrais sons de cymbale. Leprochain défi consiste donc, au niveau de la synthèse,à rajouter à ces modèles de plaques et de coques tousles effets qui pour l’instant ont été négligés, et dequantifier leur importance perceptive. Il est clair que

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0 5 10 15 20 25 30

−1

0

1

x 10−3

temps [secondes]

dé

plac

emen

t [m

m]

FIGURE 9 – Simulation numérique de la transitionà la turbulence pour une plaque de 60×40cm etd’épaisseur 1mm. En haut, le déplacement (en m), enbas, spectrogramme du déplacement. La force d’ex-citation est sinusoidale de fréquence 195 Hz. Son am-plitude est augmentée linéairement de 0 à 35N sur letemps de la simulation (30 secondes).

le paramètre crucial qu’il faudra correctement réglerest l’amortissement. Même si celui-ci ne gouverneque la décroissance spectrale une fois le régime tur-bulent établi, l’oreille y est extrêmement sensible. Oron sait par ailleurs, pour des études déjà menées surles plaques [14,15], que des modèles d’amortissementstructuraux fins et qui reproduisent correctement lesprocessus de dissipation à l’œuvre dans les plaquesmétalliques (amortissements thermoélastiques et vis-coélastiques en particulier) peuvent être difficiles àexprimer et à mettre en place. Cependant des mo-dèles existent, les prochaines études sur les sons desynthèse des cymbales et des tam-tams se penche-ront donc prioritairement sur l’amortissement afin deproposer des sons de synthèse extrêmement réalistes.Pour le cas du tam-tams, la modélisation du contactavec la mailloche au moment de la frappe doit êtreaussi étudiée le plus proprement possible afin de rendre

au mieux compte de l’effet d’enrichissement spec-tral. Enfin, à plus long terme, la modélisation devra sepencher sur toutes les imperfections géométriques etmatérielles qui sont dues aux processus complexes defabrication de ces instruments ; afin de quantifier leurimportance dans le son produit. L’effet des cuissonset trempes successives doit être prise en compte dansle comportement du matériau. L’effet des martelages,ainsi que de toutes les irrégularités de surface (imper-fections géométriques) et variations d’épaisseur, doitêtre finement quantifié : les fabricants y attachent tel-lement d’importance que ces processus ne sont certai-nement pas sans conséquence sur le son magnifiquedes cymbales et des tam-tams.

6 Conclusion

Les instruments étudiés dans cet article : cym-bales, tam-tams et plaque tonnerre, ont ainsi été re-groupés car ils se caractérisent par un régime vibra-toire fortement non linéaire, de telle sorte qu’on nepeut leur attribuer de hauteur tonale précise. Ce qu’onobserve au niveau spectral est un continuum de fré-quences, l’impression qu’il en résulte est celle d’unson extrêmement riche, puissant, parfois qualifié d’ex-plosif ou de saturé. Pour accéder à ce régime, uneexpérience contrôlée où l’on excite l’instrument parune fréquence pure avec une intensité croissante, a ré-vélé l’importance desrésonances internesentre fré-quences propres. Favoriser un grand nombre de ré-sonances internes est donc un facteur permettant detransiter plus vite vers le régime turbulent. Pour cefaire, un moyen simple consiste à augmenter la den-sité modale : plus on aura de modes par bande de fré-quences et plus on aura de chances d’avoir de telsrésonances. Ceci est facilement atteignable soit enaugmentant la taille des instruments (cas de la plaquetonnerre), soit en diminuant l’épaisseur (cas des cym-bales splash ainsi que d’une gamme de cymbales crashdénommées justement par les fabricants « extra thincrash » et ayant un son très explosif). La mise au jourd’un régime de turbulence d’ondes a permis de com-prendre l’émergence de ce spectre continu ainsi quede sa fréquence maximale, dépendant de l’intensitéde la frappe. L’existence d’un régime de turbulenceà l’intérieur d’un solide est à première vue inattendu,on peut d’ailleurs constater que les travaux théoriquessur ce sujet sont très récents, et certains points sonttoujours le sujet de recherches actuelles. Le point clépour la perception auditive et le son de ces instru-

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ments est en tout cas le concept de cascade d’énergie,qui explique le délai entre la frappe du tam-tam etle son pleinement développé, ainsi que la fréquencemaximale produite.

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