Almeras, Henri d'. Henri d'Almeras. Le Marquis de Sade, l'homme
et l'crivain, d'aprs des documents indits. Avec une bibliographie
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HENRI
D'ALMERAS
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Le
Vlarquis
de
Sade
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L'HOMME KT L'eRIYHIN des {D'aprs documents indits.)
l'NK AVEC HIBUOGRAPIIIB DESESOEUVRES 16 HORS TEXTE *
PARIS ALBIN DITEUR MICHEL, des 5!) 59, Rue Mathnrins,
LE
MARQUIS
DE
SADE
DU
MME
AUTEUR et de Librairie
A la Socit Franaise
d'Imprimerie
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LES ROMANS
DE L'HISTOIRE ...
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Cagliostro Emilie de Sainte-Amarantlie Les Dvotes de Robespierre
Fabre d'glantine
HENRI
D'ALMERAS
Le
MARQUIS L'HOMME (D'aprs ET
DE
SADE
L'CRIVAIN indits) DE SES OEUVRES
des documents
AVEC UNE BIBLIOGRAPHIE
PARIS ALBIN 59, DITEUR MICHEL, RUE DES MA.THURINS,5o,'
LE
MARQUIS
DE
SADE
UN OFFICIER
DU ROI
Au mois de mai de l'anne 1754, Nicolas-Pasneveu et successeur de
son cal de Clairambault, homme de Clairambault, vers oncle, Pierre
dans la connaissance des gnalogies, attesta par l'acte qu'on va
lire la noblesse d'un jeune gentilhomme provenal demand entrer qui
avait dans le corps trs aristocratique des Chevau-lgers de la garde
du roi : Nous, gnalogiste des Ordres du Roy, certifions Monseigneur
le Duc de Ghaulnes, Pair d et Commandeur des Ordres du Chevalier
France, de la Compagnie ds ChevauRoy et Lieutenant ordinre de Sa
Majest, lgers de la Garde que de Sade, n le 2 juin
Donatien-lfonse-Franois I7/4O et batis le lendemain dans l'glise
Parroissialle de S'-Sulpice Paris, est fils de Messire 1.
2 -"'-.
LE MARQUIS E SADE D
de Sade, apell le comte Jean-Batiste-Franois de Sade, chevalier
seigr de Mazan et Lieutenant de Bresse, Bugey, Valrognerai des
Provinces et Gex, capitaine ou Gouv 1' hrditaire des mey Yille et
Chteau de Vaison, cy devant Ambassadeur en Russie, et Ministre du
Roy auprs de l'Electeur de Cologne, et de Dc Marie-Eleonor de Maill
de Carman, son pouse, Dame d'accompade Bourgnement de feue Madame
la Duchesse bon ; que sa Maison dont le surnom se trouve galement
crit de Sade et de Sado dans les litres est divise en plusieurs
branoriginaire d'Avignon, ches tant en Provence qu'au Comt
Yenaissin ; que leur filiation remonte plus de /|00 ans ; qu'on des
emplois distingus y trouve anciennement dans les cours des Papes et
des Comtes de Proun vence, des services militaires de considration,
Evque de Marseille en iliOh, un autre de Vaison l'an 17i:5-, et
deux autres de Cavaillon en 1660 et 1665, huit Chevaliers de
l'ordre de S1 Jean de Jrusalem, dit de Malte, depuis environ 1/|50
jusqu'en 1716, dont un est mort Grand Prieur de alliances S' Gilles
en 1719. Et que les principales do cette Maison sont avec celles de
Forbin, de de Simiane de la. Coste, d'AsCambis-d'Orsan, de
Grimaldi-d'Antibe, de BertonIraud-de-Murs, Grillon, de Porcelet,
etc. D'o il resuite que mond:. Sr dc Sade prsent pour tre receu
dans la d.
UN 0FEICIER DU ROI, des Chevaulegers de la Garde ordir Compagnie
naire de Sa Majest a toutes les qualits requise s pour y tre admis
: En foy de quoy nous avons et avons apos le cachet sign le prsent
certificat de nos armes. A Paris, le 24 jour du mois de May, mil
sept cent cinquante quatre (1). La famille, du marquis de Sade (2),
dont les. taient de gueules une toile d'or armes et couroncharge
d'une aigle de sable becque ne de gueules , passait pour une des
plus ande la Provence ciennes et des plus illustres (3). dit-on, du
petit village de Saze, prs Originaire, elle avait form plusieurs
branches d'Avignon, de Saumane, de Poil, d'Aiguires, de Mazan, de
de Romanil, de la Goy, de Goult, de Bracis, de Yauredonnc, etc. et
s'tait Beauchamps, allie aux plus grandes familles de la rgion, les
(i) Archiues adminislr. du Ministre de la Guerre. (2) C'est le
litre qu'il portait comme fils an (quoique son pre et celui de
comte). Nous le lui conserverons, pour simplifier, dans tout le
cours de celle lude. (3) Le premier membre de celte famille dont
l'hisloire fasse mention est Bertrand dc Sade, dont parle Csar de
Noslre dame dans son Hisloirc el Chronique de Provence, cl qui, en
1216, assista une assemble tenue dans la ville d'Arles. Bertrand de
Sade cul pour fds Hugues dc Sade, (lui pousa Raymonde Garnie!'. Un
des fils dc Hugues Ier, Paul de Sade eut, dc sa premire femme,
Jeanne Larlissal (qui appartenait, dit-on, la famille desMdicis),
Hugues II, surnomm le vieux, pour l distinguer de son fils Hugues
III, et qui pousa Laure de Noves.
4
L MARQUIS E SADE D
les les Fortin, les Barbentane, Remond-Modene, Simiarie, les
Causatis, les Grimaldi sans compter les Mdicis et les Doria.
d'insister un peu sur ces dIl est ncessaire en apparence, car assez
tails, insignifiants l'homme dont nous allons raconter l'histoire
ne les et ils eurent considra jamais comme ngligeables, une
influence sur sa destine, sur son caractre, dcisive, prpondrante,
que nous aurons plus Ses fautes vind'une fois l'occasion de
constater. rent en grande partie de son orgueil, et cet orfut celui
d'un fodal qui ne vougueil intraitable des lait subii aucun joug et
se croyait au-dessus cl Vallois. Il a crit dans son roman Aline
cour (1), qui peut passer pour une auto-biographie et auquel nous
ferons de nombreux emprunts : de Alli par ma mre tout ce que la
province ; n Languedoc pouvait avoir de plus distingu Paris, dans
le sein du luxe et.de l'abondance, je crus, ds que je pus
raisonner, que la nature et la fortune se runissaient pour me
combler de leurs dons ; je le crus parce qu'on avait la sottise de
me le dire, et ce prjug ridicule me rendit hautain, que tout dut me
despote et colre ; il semblait (1) Aline el Valcourl (sic) ou le
Iloman philosophique, crit la Bastille un an avant la
Rvolution.Paris, Girouard, 1798. 8 vol. in-18. Nous nous sommes
servi de la rimpression -faite Bruxelles en i833. .
UN OFFICIER DU ROI
5
entier dt flatter mes caprices cder, que l'univers et qu'il
n'appartenait qu' moi seul d'en former et de les satisfaire. comte
Son pre, Jean-Baptiste-Franois-Joseph, de Saumane et de la Coste,
ande Sade, seigneur de Cond, de dragons au rgiment cien capitaine
de Maill-CarMarie-Elonore avait pous de dame de comman (1), qui
obtint la charge de Cond, charge qui suppagnie de la princesse
posait une trs haute noblesse. auSur une partie de l'emplacement
qu'occupe et qui fut jadis le Clos Brul'Odon jourd'hui de Pari., du
parlement neau, un premier prsident au avait fait de Corbie, Arnaud
construire, un htel qui, en 1610, passa sicle, quinzime du marchal
Jrme de Gondi, entre les mains de duc de Retz. Henri 11 de Bourbon,
prince et il le paya l'acheta deux ans aprs, Cond, (1) C'est elle
probablement que fui adresse, le 25 dcembre 17G2(quoiqu'elle porte
pour subscriplion : Mme la marquise de Sade), celte lettre du
ministre de la maison du roi dont la copie se trouve aux Archives
(o'/Jo/i) : Les loueurs de carrosses de remise n'ignorent pas,
madame^ qu'il leur est deffendu de venir Versailles sans en avoir
obtenu l'autorisation des fermiers des voilures de la cour, ainsi,
la saisie a cl faite en rgle, et c'est un article qui ne doit
regarder que le cocher. Cependant, je verrai si ces fermiers
voudront se prter quelque arrangement. Je proffilerai toujours
avec" beaucoup de plaisir des occasions o je pourrai vous marquer
le respect avec lequel j'ai l'honneur d'tre, etc..
G
LE MARQUIS SADE DE
quarante mille cus, somme norme pour l'poque. t agrandi L'htel,
qui avait dj par le marchal de Retz, fut restaur, rebti en grande
et ses sucpartie par son nouveau propritaire leur nom deux voies
cesseurs, qui donnrent nouvellement ouvertes dans les environs, la
rue de Cond et la rue des Fosss-M.-le-Prince. De trs-belles ftes
furent clbres dans cette demeure. A l'occasion du mariage du
somptueuse duc d'Enghien avec la princesse Mopalatine, lire et sa
troupe y jourent, le 11 dcembre 1663, sur une scne improvise,
devant le Roi, la et Madame, deux de ses plus Reine, Monsieur
rcentes des de l'Ecole oeuvres, la Critique Femmes et VImpromptu de
Versailles. Jusque de dans les dernires du rgne, annes annes revers
et de misre, les Cond se signalrent par : Il y eut hier soir,
l'clat de leurs rceptions crivait le 16 fvrier 1680 Mme de Svign,
une fte extrmement enchante l'htel de Cond. Un thtre bti par les
fes, des enfoncements, des orangers tout chargs de fleurs et de
fruits, des pilastres des festons, des perspectives, ; enfin toute
cette petite soire cote plus de deux mille louis. C'est dans ce
palais, qui avait t si long-temps consacr au plaisir, que naquit le
marquis de Sade, le 2 juin 1740. Pour se rendre compte de ce
qu'tait
UN OFFICIER DU ROI cette poque l'htel Cond, il suffit de se
reporde Germain ter la description Brice, quoiqu'elle d'une
trentaine d'annes : Le soit antrieure dit de quelque ct que Ton
considre, btiment, n'a rien ce guide 1res sr dans son naf langage,
ni qui puisse satisfaire la du tout d'extraordinaire curiosit il y
a quelques moindre ; cependant, assez propres et assez rgulirement
appartements distribus pour les dedans o il parat qu'on a fait Le
plafond de la chambre et du de la dpense. ont t peints par cabinet
de Madame la Princesse de Sve : mais en rcompense pour des meubles,
il est difficile d'en voir dans aucun autre palais de On-y trouplus
riches et en plus grande quantit. vera aussi des tableaux des
matres du premier entre un Baptme de Notre-Seiautres, rang; au
gneur, de l'Albano, qui a longtemps appartenu duc de Lesdiguirs,
des tapisseries extraordide l'illustre maison de Montnaires, qui
viennent morency, et des pierreries plus qu'en aucun autre endroit.
On y conserve aussi une nombreuse de livres curieux et de
bibliothque, compose cartes la main des plus rares. Il faut voir le
jardin, lequel dans une tendue assez mdiocre, fait remarquer que
l'art et la .nature joints ensemble de >trs produisent toujours
"Il y a des cabinets de treillage grands agrments. a la manire
d'Hollande, faits aveclieauGoup d'in-
8
LE MARQUIS E SADE D
dustrie. Il parat l'extrmit de chaque alle un petit arc de
triomphe du mme ouvrage. En t ce jardin est rempli d'orangers et
d'arbustes, qui en rendent la promenade agrable (1). L'htel Cond
appartenait alors au fils du vainde Bourbon, qui queur de Rocroy,
Henri-Jules mourut quelques annes plus tard, en 1709. Son le
premier ministre de Louis-Henri, petit-fils, Louis XV aprs l rgence
du duc d'Orlans, et l'ami de la marquise de Prie, laissait sa mort,
en 1740 l'anne mme de la naissance du marde Sade comme hritier de
son nom et de quis ses richesses assez mal acquises un enfant dc de
Bourbon, n le ans, Louis-Joseph quatre 9 mars 1736. Le caractre du
futur prince de Cond (2) se par bien des cts de celui du jeune
rapprochait marquis de Sade. Ils taient, l'un et l'autre, vifs, Ils
se ressemhautains, emports, querelleurs. blaient trop pour s'aimer
beaucoup, mais le petit (i) Description nouvelle de la ville de
Paris et Recherche des singularits les plus remarquables qui se
trouvent prsent dans celle grande ville... 5 dition, Paris, 1706,t.
II, p. 291. Les Princes de Cond occuprent cet htel jusqu'en 1778,
poque o ils le vendirent 3.156.107livres, i5 sols pour servir de
nouvelle saljc la Comdie-Franaise. Ils allrent alors habiter le
Palais-Bourbon, qui tait situ l'extrmit du faubourg SainUGermain et
qui estaujourd'hui laChambrc ; des dputs. (2) Le principal chef des
armes migres en 1793.
UN OFFICIER DU ROI force de paserait arriv, peut-tre marquis
s'attirer et de flatteries, tience, de concessions de jeux qui les
bonnes grces de son compagnon et qui ne Toutait en mme temps son
matre... mme pas, malgr les Il ne l'essaya illait jamais. Traitant
en gal celui maternelles. exhortations se faire un dont on avait
espr qu'il saurait au rle il ne voulut pas se rsigner protecteur,
et dans les docile et de souffre-douleur, d'amuseur fois que se
prbatailles chaque quotidiennes, il rendit coup pour coup. senta
l'occasion, sur cette Bien des annes plus tard, en revenant qu'il
avait t priode de sa vie, il reconnaissait fort peu habile, mais il
ne le regrettait pas. N le palais du prince dans et lev,
crivait-il, illustre auquel sa mre avait l'honneur d'appartenir peu
prs de mon ge, on s'emet qui se trouvait de me runir lui, afin
qu'en tant connu pressait son appui dans ds mon enfance je pusse
retrouver du tous les instants de ma vie ; mais ma vanit encore
rien ce calcul, moment qui n'entendait de s'offensant un jour dans
nos jeux enfantins ce qu'il voulait chose et me disputer quelque
titres, sans plus encore de ce qu' de trs grands autoris doute, il
s'y croyait par son rang, je me de ses rsistances trs vengeais par
des coups sans qu'aucune considration m'arrtt multiplis, et sans
qu'autre chose que la force et la violence
10
LE MARQUIS SADE DE
me sparer de, mon adverpussent parvenir ' ' saire^). Pour l'en
sparer plus srement et d'une manire dfinitive, puisqu'il ne savait
pas s'accommoder son humeur et se plier ses caprices, on l'expdia
en province, Avignon. a Je fus, dont la tenenvoy, dit-il, chez une
grand'mre, dresse trop aveugle nourrit en moi tous les dfauts que
je viens d'avouer la co(2) (l'orgueil, lre, etc.). Son pre avait t
nomm, en 1774, ministre do France Cologne et ne pouvait plus de son
ducation. gure s'occuper Aprs avoir annes chez sa grand'mre, dont
pass quelques la faiblesse finit par paratre excessive, il fut
confi un de ses oncles, l'abb de Sade, qui prparait alors, dans son
abbaye en Au d'Ebreuil, 11 vergne, ses Mmoires sur la vie de
Ptrarque. entra ensuite au collge Louis-le-Grand, o il se comme
beaucoup de ses condisciples distingua, bien titrs, par une trs
aristocratique 11 paresse. se jugeait de trop bonne famille pour
faire avec les livres une connaissance srieuse. Cependant, ;il
quand il quitta le collge, aprs sa troisime, savait un peu de
latin, et son orthographe s'levait sensiblement au-dessus de la
moyenne. (i) Aline et Valcour, t. I, p. 26. {2) Aline et Valcour,
t. .1, p. 27.
UN OFFICIER DU ROI
_
11
au rudiEn 1754, lorsqu'il dit adieu, sansregret, aux Comptes
faits de Barment de Despautre, ruslicum du pre Vaincre, et rme, au
Prsedium du pre Juvenc3r, le au trait De Ds et Hcroibus marquis
de;Sade avait quatorze ans. Sa famille le destinait la carrire
militaire, la seule o il pt aussi jeune, avec quelque chance dbuter
d'y russir. On demanda pour lui une place dans un et par consdes
corps les plus aristocratiques de la quent les plus envis, les
Chevau-lgers fut appuye, du roi. La requte garde ordinaire suivant
l'usage, par le certificat du gnalogiste certificat officiel,
Clairambault, que nous avons au commencement de ce chapitre.
reproduit En 1498, Louis XII avait cr plusieurs compaon avait lgre
gnies de cavalerie auxquelles donn le titre de Chevau-lgers. Un
sicle plus les tard, en 1599, Henri IV, pour rcompenser du courage
dont ils avaient fait Chevau-lgers preuve pendant les guerres
d'Italie et les guerres de religion, les mit au nombre de ses
gardes. Ils sous le rgne de Louis XIII, une comformaient, : le
.plaspagnie qui avait pour armes dfensives tron, la calotte, et
pour armes offensives : Tpe ou le sabre et les:pistolets. Jjouis XV
leur.donna le fusil en 1745. dix-huitime Leur.uniforme.,.au sicle,
tait .un et =un des plus des=plus riches de ^toute l'arme
12
_
LE MARQUIS SADE DE
carrs lgants (1). Ils avaient quatre tendards de talFetas blanc
brod d'or et d'argent, et dont la hampe se terminait par une fleur
de lis d'or. A chaque coin tait brode une foudre, et au centre on
lisait cette fire devise : Sensere gigantes. Etendards et timbales,
en dehors des prises d'armes et des parades ou revues, restaient
dans la chambre du roi. Darts ce corps, comme dans tous ceux de la
maison du roi, la prsentation des nouveaux officiers se faisait
avec un crmonial o se particulier, combinaient l'esprit militaire
et l'esprit de camaraderie. La compagnie sous les armes, le
capitaine-lieutenant allait prendre les ordres du roi, qui
assistait presque toujours cette prsentation, et se tournant
ensuite vers les officiers et les soldats : Mes compagnons,
disait-il, le roi vous donne Monsieur un tel. La compagnie des
Chevau-lgers comprenait, en 1754, 19 officiers et 200 gardes (2).
Leur ca(i) Habit carlale bord de soie blanche, avec parements
blancs, poches en travers, boutonnires d'argent, boulons or et
argent, galons en plein et brandebourgs d'or, ceinturon blanc brod
d'or ; veste blanche avec galons et bordure d'or; culotte de soie
blanche avec boutons d'argent et jarretire d'or ; chapeau galonn
d'or, plumet et cocarde blancs ; bottes fortes. (2) Depuis Louis
XIII, tout soldat qui avait servi pendant vingt ans dans les
Chevau-lgers avait droit, lui et ses
UN OFFICIERDU ROI
13
tait Versailles, serne, l'Htel des Chevau-lgers, avenue de
Sceaux (1). Le 24 niai 1754, le marquis de Sade fut admis dans ce
corps d'lite (2). Il avait quinze ans, lorsque, le 14 dcembre 1755,
il fut nomm, non pas cause de sa valeur militaire, mais cause de la
prjuger ou de son nom, qui permettait sans appointequi en tenait
lieu, sous-lieutenant du roi. (infanterie) ments au rgiment (3). Ce
n'tait pas une exception que ce grade d'officier donn un enfant. On
pourrait en citer d'assez nombreux exemples. Le vicomte de Noailles
dbutait douze ans comme garde de corps dans la treize ans, tait
compagnie cossaise. Wimpfen, en second. Saint-Maurin-Montbarey,
lieutenant une illustre simplement parce qu'il appartenait ligne,
recevait douze ans un brevet d'enseigne la compagnie colonnelle du
rgiment de Lorraine. Pour qu'il pt terminer ses tudes-, son l'avait
suivi l'arme. Il n'est que gouverneur juste d'ajouter que ces
enfants avaient dans les descendants, au titre d'euyer. Les
officiers appartenaient tous la plus haute noblesse. () Ils y
avaient adjoint, depuis 1701,l'cole militaire des Chevau-lgers
(dirige par M. Bongars), o la pension cotait 3.ooo livres par an et
qui fut l'origine de l'cole militaire dc Paris. (2) Archives
adminislr. du Ministre de la Guerre (dossier du marquis de Sade).
(3) Id.
1-1: veines
LE MARQUIS E SADE D
du sang de soldat et qu'ils savaient, au se battre comme des
hommes. De cela besoin, aussi on pourrait citer de nombreux
exemples. En 1757, dans les premiers jours de janvier, Louis XV
rtablit le grade de cornette (officier Un des premiers qui bnficia
de porte-drapeau). cette mesure fut le marquis de Sade. Le 14
janvier, il obtint une commission de cornette au rgiment ds
carabiniers. Les carabiniers formaient, on peut le dire sans aucune
exagration, une lite dans l'lite (!). Nul corps, avant comme aprs
la Rvolution, ne fournit autant de traits de bravoure ou de
rsistance. Lancs d'un imptueux lan sur l'ennemi, ou ses chocs rpts,
boulet rsistant, immobiles, vivant, fait de mille poitrines, dans
l'offensive, et, ces gants (2), dans la dfensive, mur d'airain,
plus d'une fois, dcidrent du sort des batailles. Louis XIV qui les
jugeait leur valeur voulut tre leur premier mestre de camp.
11'dsigna enle duc du Maine, son suite, pour les commander, fils.
En 1758, ils eurent encore comme chef un (i) En 1763,ils vinrent
lenir garnison Saumur et s'y montrrent de si admirables soldais,
que, de 1763 1771, chaque rgiment de cavalerie envoya Saumur, pour
prendre modle sur eux, quelques-uns de ses hommes. (2) L'ordonnance
du 20 mars 1751 prescrivait que, pour entrer dans ce corps, il
fallait avoir au moins cinq pieds quatre pouces.
UN OFFICIERDU ROI membre de la famille royale;le comte de ' un
et ils devinrent alors, c'est--dire l'entre du marquis de Sade dans
leur le de Monsieur le Royal Carabiniers
15 Provence, an aprs rgiment, comte de
Provence. de soie bleue, qui portaient Sur leurs tendards au
centre un Soleil d'or, ils avaient obtenu le glodevise du rieux
privilge de broder la glorieuse impur. Ils la gardrent grand Roi :
Necpluribus 17 septembre 1782. A cette poque, les jusqu'au des
porter, au-dessous tendards commencrent armes de Monsieur, cette
nouvelle devise, aussi au chemin digne d'eux que l'ancienne :
Toujours de Vhonneur. Le marquis de Sade servit deux ans dans les
Le 21 avril 1759 il fut propos comme carabiniers. de Bourgogne
capitaine au rgiment (cavalerie), par cette note qui fait partie de
son dossier et du roi : qui obtint l'approbation 21 avril 1759.
Rgiment de cavalerie de
Bourgogne. Il y a une compagnie vacante par le changement du S.
M's de Tocqueville a une dans le rgiment de cavalerie de Luzignem
(1). Le prix'est de 10.000 fr. On propose au Roy (i) Luzignan.
1(5
LE MARQUIS SADE DE
d'en disposer en faveur du S. Ctu de Sade, cornette dans le
brigade de Malvoisin (1) du rgiment des carabiniers de M. le C,c de
Provence. Il a t fait sous-lieutenant dans le rg. d'infric du Roy
le 5 Xro 1755, cornette dans la Brigade de carabiniers de S1 Andr
du 14 janvier 1757, a pass dans celle cy par ordre du pr avril
suivant. M. le M's de Poyaniie s'y intresse particulirement, et il
observe qu'il a t trois ans l'cole et du des chx lgers, qu'il joint
de la naissance bien beaucoup et qu'il a l'honneur d'esprit M. le
Pcc de Cond par Madc sa d'apartenir mre qui est Maill-Brz (2). Fond
en 1666, le rgiment de Bourgogne (cavalerie) avait d'abord port le
nom de rgiment de et Bretagne (3). Les soldats qui le composaient,
de l'arme, qui comptaient parmi les meilleurs l'habit bleu avec
revers et parements portaient rouges, boutons blancs unis trois
filets et galons mouchets de blanc. (i) Le corps des carabiniers
formait cinq brigades. Chaque brigade tait compose dc qualre
escadrons, cl chaque escadron dc cinq compagnies. La compagnie
comprenait i.3oo hommes sur pied dc paix et .Go hommes sur pied de
guerre. (2) Archives adminislr. du Ministre de la Guerre. (3'j Le
rgiment dc Bourgogne linfcuUcrie) fut form deux ans plus tard.
UN OFFICIER DU ROI
17
a dix-neuf ans, c'tait pour le marCapitaine de Sade un assez bel
avancement. Je ne sais quis pour quelle raison il ne s'en contenta
pas. Il avait, et difficile sans doute, dj le caractre inquiet
garda toute sa vie, et qui fut une des princiqu'il On peut supposer
pales causes de ses malheurs. parmi ses camaqu'il s'tait fait son
rgiment, Il essaya rades, un assez grand nombre d'ennemis. de
corps, mme avec un grade bientt de changer infrieur : 11 avait
obtenu en 1762, dit une note d'un guidon de gendarde son dossier,
l'agrment le grade de porte-drapeau), merie (c'est--dire mais son
peu dc fortune l'a empch de payer. En somme, sur sa carrire
militaire nous ne connaissons La gure que ses tats de services.
classe sociale laquelle il appartenait permet de croire et c'est
d'ailleurs, dfaut de tmoidont on doit tenir gnages prcis, une
tradition Bon soldat, compte qu'il se battit vaillamment. il dut
tre un assez mauvais officier. Il exagra les dfauts dont il voyait
autour de probablement lui tant d'exemples du mtier mili:
l'ignorance des troupes, taire, l'indiffrence pour l'instruction le
ddain de la hirarchie, la tendance l'indiscipline. On pensait alors
que le courag-e, un courage hroque, pouvait avantageusement y supo
les nobles, pler, et c'tait l'poque trop influencs de Franais et
lev.r par leur vanit 2
18
LE MARQUIS E SADE D
orgueil d'aristocrates, croyaient tout savoir sans avoir rien
appris. Frdric II, en plus d'une occasion, leur prouva qu'ils se
trompaient.Officier de cour, le marquis de Sade dut mener, avec
cette fougue et cet emballement qui toujours le caractrisrent,
cette vie agite et un peu folle de trs qui faisait de la plupart
des garnisons Il frquenta les assembles, agrables rsidences. les
spectacles, o ses camarades et lui avaient des bien en vue, et des
prix de places rserves, faveur. Il brilla dans les bals, o se
donnait rendez-vous toute la noblesse de la ville, et parada dans
les carrousels. Il joua la comdie et envoya dc France, sans les de
petits vers au Mercure signer, pour ne pas avoir l'air d'un cuistre
du Il eut et sans y attacher d'importance. Parnasse, des duels et
s'en tira le mieux du monde. Il fit des dettes et ne paya pas son
tailleur, car c'est a cela un vrai'gentilhomme. Favart, qu'on
reconnaissait avait indiqu les deux dans un de ses refrains,
principaux devoirs d'un bon officier. Servir le roi, servir les
dames, Voil l'esprit du rgiment El r'ii et r'iaii Comme les autres,
plus que les autres, le marquis de Sade dut servir les dames, au'
moins autant que le roi. Il se vanta de ses bonnes for-
UN OFFICIER DU ROI
19
Il accrocha imaginaires. plus tunes, quelquefois d'un coeur la
pointe de son pe. Les, coeurs de ne parle pas du ntre ne faice
temps-l je saient pas grande rsistance quand un jeune offiIls se
rendaient la premire cier les attaquait. et quelquefois avant.
sommation, de Sade, pour suivre la mode, Le marquis et eut trs
vite, sans doute, la s'effora d'avoir d'un mauvais sujet . Il la
conserva rputation il a racont toute sa vie. Dans Aline et Valcour
amours un de ses amours de garnison, qu'un bal ; et voyait natre,
qu'un autre bal voyait mourir, sauf quand qui allaient trs vite au
dnouement, tait le mariage. ce dnouement la plume et coutons ses
confidences. Cdons-lui 11 n'est pas incapable de dire la vrit,
quand elle ne le gne pas, et personne ne pourrait le peindre aussi
bien que lui-mme : Notre rgiment, dit-il (1), fut envoy dans une ;
c'est l que commence garnison en Normandie la premire partie de mes
malheurs. Je venais d'atteindre ma vingt-deuxime anne ; entran
jusqu'alors perptuellement par les travaux de~ mars, je n'avais ni
connu mon coeur, ni (i) Aline cl Valcour, t. I, p. 28. Cet pisode,
d'aprs ce que dit, quelques lignes plus loin, le marquis de Sade,
doit se passer en 1762. Celui qui en fut le hros avait t iomm
depuis trois ans capitaine du rgiment de Bourgogne.
20
LE MARQUIS E SADE D
de souponn qu'il pt tre sensible. Adlade Sainval, fille d'un
ancien officier retir dans la ville o nous sjournions, sut bientt
me convaincre embraser que tous les feux de l'amour devaient
aisment une me telle que la mienne ; et que, s'ils c'est qu'aucun
n'y avaient pas clat jusqu'alors, Je ne vous objet n'avait su fixer
mes regards. peindrai point Adlade ; ce n'tait qu'un seul genre de
beaut qui devait veiller l'amour en moi, c'tait toujours sous les
mmes traits qu'il devait pntrer mon me, et ce qui m'enivra dans
elle tait l'bauche des beauts et des vertus que en vous. Je
l'aimai, parce que je devais j'idoltrai ncessairement adorer tout
ce qui a des rapports avec vous ; mais cette raison qui lgitime ma
dfaite, va faire le crime de mon inconstance. L'usage est assez
dans les garnisons de se choisir chacun une matresse et de ne la
regarder malheureusement que comme une divinit qu'on difie par
dsoeuvrement, qu'on cultive par air, et qui se quitte ds que les
drapeaux se dploient. Je crus, d'abord, de bonne foi que ce ne
pourrait Adlade; la majamais tre ainsi que j'aimerais nire dont je
l'en assurai la persuada ; elle exigea des serments, je lui.en fis
; elle voulait des crits, et je ne croyais pas la -tromper. j'en
signai, A l'abri des reproches de son coeur, se croyant mme
innocente, parce qu'elle couvrait peut-tre
UN OFFICIER DU ROI sa faiblesse
21
fait pour la' de tout ce qui semblait Adlade cda, et j'osai la
rendre coulgitimer, pable, ne voulant que la trouver sensible. dans
cette illusion, sans Six mois se passrent eussent altr notre amour
; que nos plaisirs de nos transports, un moment dans l'ivresse fuir
; incertains de la libert mme nous voulmes nous voulmes aller les
former nos chanes, La raison serrer ensemble au bout de
l'univers... et ds ce moAdlade, triompha ; je dterminai clair que
je l'aimais ment fatal il tait moins. Adlade avait un frre
capitaine d'infanterie, que mettre dans nos. intrts... nous
esprions On il ne vint point. Le rgiment l'attendait, partit, nous
nous finies nos adieux, des flots de larmes coulrent ; Adlade me
rappela mes serments, je les renouvelai dans ses bras... et nous
nous sparmes. Mon pre m'appela cet hiver Paris, j'y volai : il
s'agissait d'un mariage ; sa sant chancelait, il dsirait me voir
tabli avant de fermer les yeux ; ce projet, les plaisirs, enfin !
que vous dirai-je cette force irrsistible de la main du sort qui
nous nous o ses lois veulent porte toujours malgr que nous soyons :
tout effaa peu peu Adlade de mon coeur. Je parlai pourtant de cet
arrangement ma famille ; l'honneur je le m'y engageait, fis ; mais
les refus de mon pre lgitimrent bien-
22
LE MARQUIS E SADE D
tt mon inconstance ; mon coeur ne me fournit aucune objection,
et je cdai, sans combattre, en touffant tous nies remords. Adlade
ne fut pas 11 est difficile d'exprilongtemps l'apprendre... mer son
chagrin ; son amour, sa sensibilit, sa grandeur, son innocence,
tous ces sentiments qui venaient de faire mes dlices, arrivaient
moi en traits de flamme, sans qu'aucun parvint mon coeur. Deux ans
se passrent ainsi, fils pour moi par les mains des plaisirs, et
marqus pour Adlade par le repentir et le dsespoir. Elle m'crivit un
jour qu'elle me demandait pour unique faveur de lui assurer une
place aux Carmlites ; de lui mander aussitt que j'aurais russi ;
qu'elle s'chapperait de la maison de son toute vivante dans pre, et
viendrait s'ensevelir ce cercueil qu'elle me priait de lui prparer.
Parfaitement calme alors, j'osai rpondre cet affreux projet de la
quelques plaisanteries douleur, et rompant enfin toutes mesures,
j'exhortai Adlade oublier dans le sein de l'hymen les dlires de
l'amour. Adlade ne m'crivit plus. Mais j'appris trois mois aprs
qu'elle tait marie ; et dgag par l de tous mes liens, je ne songeai
plus qu' l'imiter. Le trait de Paris, sign le 10 fvrier 1763,
avait
UN OFFICIER DU ROI
23
la peu glorieusement de termin guerre de Sade fut Sept Ans. Le
15 mars, le marquis en profita pour le.marier. rform (1).
Sa.famille lui donnerait le got Elle esprait que le mariage d'une
vie plus rgulire. Elle devait et le besoin tre bien due. (i) Celle
mesure lail prise aprs chaque trait de paix l'gard d'un assez grand
nombre d'officiers cl de s'oldats Les rforms ne perdaient pas la
qualit d'officier et leur carrire ne se trouvait pas absolument
brise. Par la suite, ceux susceptibles de servir rentraient soit
dans leur corps d'origine, soit dans d'autres rgiments, enfin les
emplois dans la Milice leur taient presque exclusivement rservs. On
les employait aussi dans des postes sdentaires : gouvernement des
places, juridiction du poinl d'honneur, clc. Il n'y avait donc que
ceux qui ne voulaient plus servir, qui demeuraient dfinitivement
rforms ou ceux qu'une infirmit rendait impropres tout service.
Intermdiaire des Chercheurs et des Curieux, N du 3o' novembre
190a(article dc M. Collrcau).
Il LE MARIAGE DU MARQUIS DE SADE LES DEUX FILLES DE M. DE
MONTREUIL UN AMOUR CONTRARI
En 1763, M. Claude-Ren Cordier de Montreuil de la troisime tait,
depuis vingt ans, prsident Chambre de la Cour des aides Paris. Il
habitait rue Neuve-du-Luxembourg, dans un des quartiers les plus
lgants de Paris. Il avait pous Marie-Madeleine de Masson Plissay,
et il laissait cette femme nergique et autoritaire le gouvernement
du mnage. 11 ne prsidait qu' la Cour des aides, chez lui il n'avait
mme pas les pouvoirs d'un juge. Mme Cordier de Montreuil rendait
des sentences, et le mari, dsireux avant tout d'tre tranquille, se
contentait, dans la plupart des cas, d'opiner du bonnet.
LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE De leur
25
taient nes deux filles. mariage en 1763, vingtavait, L'ane,
Rene-Plagie, trois ans. Elle n'tait pas jolie, o du moins elle ne
le paraissait pas au premier abord. La beaut, chez elle, s'tait
rfugie dans les yeux, des yeux un peu voils de mlancolie, tendres,
expressifs, comme si elle et devin sa destine, et qui caau repos,
sous les paupires demi chaient, dans une attitude baisses, gauche
et timide, la ferveur invincible d'une me. passionne. Cette mais
d'un charme indcis jeune fille charmante, et un peu teint, n'avait
et pas cette confiance cette vanit que la Providence, qui sait bien
ce aux femmes, pour qu'elle fait, accorda largement leur permettre
de ne pas trop souffrir de leurs ou mme de ne pas s'en apercevoir.
imperfections Elle ne se croyait pas digne d'tre aime, d'inspirer
une passion sincre et, dans le mari, de trouver l'amant. Son miroir
ne lui disait pas ce qu'il dit tant d'autres. Elle n'y voyait pas
la douceur de ses yeux et la grce de son sourire. Il la dcourageait
d'esprer (1). Cette modestie excessive, cette dfiance de soi
devaient avoir pour Rene-Plagie de Montreuil les plus funestes
consquences. Au premier qui (0 II ne faut pas trop la juger par son
portrait, singulirement embelli comme la plupart des portraits de
femmes.
26
D LE MARQUIS E SADE
avait fait battre son coeur, elle allait, pleine de se livrer
tout entire, corps et me, gratitude, sans dfense, sans recours. La
plus jeune des filles de M. Cordier de Montreuil, Louise, ne
ressemblait gure l'ane. Elle avait cet ge dlicieux, seize ans, qui
de l'enfant fait natre la femme comme du bouton la fleur. Elle
avait l'ge de Juliette et attendait Romo. C'tait dj, en 1763, une
amoureuse latente, coquette, ardente, prise de tous les plaiSon
caracsirs, plus sensuelle que sentimentale. troutre se lisait dans
ses yeux singulirement blants, dans sa physionomie mutine et
piquante, et de rouerie fmidans le mlange de candeur nine qui se
dgageait de toute sa personne. Le marquis de Sade, qui tenait ne
pas se laisser trop oublier par ses matresses, passait Paris la
plus grande partie de ses congs. Les taient des amis de sa Cordier
de Montreuil famille. Il allait souvent leur rendre visite. De plus
en plus il tait attir chez eux par la beaut clatante de Louise, et
ce blas prcoce s'tonnait avec tant de navet et d'ardeur, celle
d'aimer, qu'il prenait pour une ingnue. l'emSa passion, qui chaque
jour grandissait, pchait de voir celle qu'il avait inspire Reneil
ne l'encourageait Il l'ignorait, en auPlagie. ce qui don-. cune
manire et voil prcisment
LE MARIAGE MARQUIS SADE DE DU
27
nait plus d force cette inquite sitendresse, mconnue, toujours
menace. Les deux soeurs taient mais l'une rivales, aimait plus que
l'autre et c'tait celle qu'on ddaignait. Elle en prouvait un
chagrin profond, mais n'en prouvait aucune surprise. Elle ne se
plaignait pas. Elle ne croyait pas avoir le droit de se plaindre.
Les quelques petites joies que lui laissait sa triste passion, elle
les savourait avec dlices.' Un mot prononc avec plus de douceur, un
regard moins indiffrent la rendaient heureuse toute une avoir
confiance, et, du journe. Elle se reprenait fond de l'me, elle
pardonnait sa soeur d'tre plus jeune qu'elle et plus belle. De la
moindre marque de sympathie, du plus de courtoisie o elle
vouinsignifiant tmoignage lait voir un peu d'amour, tait
Rene-Plagie reconnaissante ce bel officier du roi, mince, dans
aimable, et si irrsistible lgant, spirituel, son brillant uniforme
de capitaine du rgiment de Il avait la rputation d'un homme
Bourgogne. bonnes fortunes. C'est, de toutes les rputations, celle
que les femmes apprcient le plus. autour de ces dsirs et de ces
espCependant de ces amoureuses autour les . rances, intrigues,
tissaient la toile matriparents prcautionmieux moniale. Ils avaient
dcid, dans de mystrieux conciliabules, que le marquis de Sade
pouserait
28
LE MARQUIS SADE DE
- .
Il ne semblait l'aimer qu'avec modRene-Plagie. ration,
mais'c'tait suffisant pour en faire sa femme. On attendait et sans
inquitude tranquillement qu'il se dclart, et le petit mange des
tendres des furtives confidences, continuait. regards, Lorsque le
fringant officier avoua officiellement que la plus jeune des deux
filles avait fix son du ct des de Sade comme coeur, la stupfaction,
du ct des Montreuil, fut grande. Cette fantaisie toutes les
combinaisons. On imprvue drangeait rsolut de n'en pas tenir compte.
La femme du prsident affirma qu'elle ne se rsignerait jamais marier
la cadette avant l'ane. Il ne fallait pas esprer qu'elle changet
d'avis. Le marquis de Sade rsista quelque temps, puis il s'inclina
devant la volont de sa famille. C'tait un beau mariage qu'on lui
imposait ainsi, un mariage riche. N'tait-ce pas agir trs sagement ?
Dans les derniers jours du mois de mai 1763, le porte-claquette
dposait chez tous les amis des deux familles ce billet imprim : M.
le comte et Mme la comtesse de Sade sont venus pour avoir l'honneur
de vous voir et vous faire part du mariage de M. le marquis de
Sade, leur fils, avec Mlle de Montreuil (1). vi) Ce document a t
reproduit par M. Paul Ginisly dans son intressant ouvrage la
Marquise de Sade (Paris, Charpend tier, 1901), ont je me suis
beaucoup servi dans ce chapitre.
LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE
29
Le mariage avait t clbr le 17 mai, dans la l'glise Saint-Roch. A
dplus stricte intimit, faut de beaut, Rene-Plagie celui apportait
qu'elle pousait, avec une joie mle" d'angoisse, forun coeur tout
plein de lui et une assez grosse tune. Le marquis de Sade tait
beaucoup moins riche. Il n'avait gure que ses appointements de de
la haute et basse Bresse, lieutenant-gnral Bugey, Valromey et Gex.
11 tait devenu titulaire de cette charge le 4 mars 1760, la suite
de la dmission de son pre en sa faveur. Le jeune mnage, si l'argent
autant comptait aurait pu trs facilequ'on le dit dans le bonheur,
ment tre heureux. La marquise, enivre par la ralisation de son rve,
oubliait les heures de det se montrait aussi confiante couragement
que dvoue. L'homme aimait lui appartequ'elle nait de par la loi.
Elle saurait force de tendresse dsarmer ses prventions ou ses
rancunes. Ce coeur qui s'tait vendu et non donn, et qu'elle sentait
encore si loin du sien, elle esprait le conqurir, le garder pour
toujours. Les affections les plus ardentes sont aussi les La
marquise de Sade ne voulait plus aveugles. et pas ou ne pouvait pas
se douter de l'irritation de l'amertume que laissait au fond de
l'me de son mari cette union qu'il dtestait et laquelle on l'avait
contraint. Entre sa femme et lui il voyait
30
LE MARQUIS SADE DE
le fin. visage, l'amoureux sourire de Louise. Le souvenir, le
regret de l'absente lui rendait odieux la prsence et l'attachement,
pourtant si humble, si soumis, si prt tous les sacrifices, de celle
qui restait ses yeux l'intruse. Pour la fuir et pour la braver,
pour oublier il se rejeta, avec une sorte de fureur, peut-tre, dans
cette vie de plaisir qui lui semblait, dans la dtresse morale o il
se trouvait, une vengeance Il se remit faire trs lgitime et une
revanche. des dettes. Il eut des matresses et il les afficha Il
essaya de s'tourdir et n'y russit ouvertement. pas. Ces amours de
rencontre, qui ne lui laissaient que de l'ennui ou du dgot, il
voulut les punir d leur sottise et de leur banalit. Il eut non
seulement, comme les autres, du mpris, mais une vriniaisetable,
haine. pour ces femmes vulgaires, ment vicieuses, incapables de
gurir la plaie qu'il avait au coeur, courtisanes ou actrices qui
taient souvent jolies, quelquefois aimables, mais qui il ne
pardonna jamais de n'tre pas Louise de Montreuil. Ce qu'on a appel
son sadisme n'a pas eu d'autre origine. Il se vengea sur l'amour du
mal crue l'amour lui avait fait. Les souffrances qu'il imposa aux
autres furent, au moins au dbut, un soulagement pour la sienne. Il
avait gard, aprs son mariage, sa petite mai-
DE LE MARIAGEDU MARQUIS SADE Il y conduisait son d'Arcueil.
dames de l'Opra orandes
31
non seulement ces et de la Comdie l'aristocratie du Franaise qui
appartenaient moins lA'ice, mais des femmes moins clbres, dsireuses
parisiennes gantes, petites bourgeoises de goter, tine fois par
hasard, au fruit dfendu, dans la carrire de ou filles du monde qui
dbutaient et n'y avaient encore aucun grade. la galanterie Ce
furent les simples prostitues, celles qui le le client au coin des
rues, qui sersoir attendaient sans l'avoir dsir, aux expriences
virent, pasdu marquis sionnelles de Sade. Peu connues et aussi
mprises trs mprises qu'elles taient difmprisables pour la plupart
elles devaient intresser la police leurs' ficilement, croyait-il,
En quoi consistaient les mauvais,traiteplaintes. ments qu'elles
eurent subir dans la petite maison en 1763, aucun document ne nous
l'apd'Arcueil, prend. On peut admettre qu'ils ressemblaient ceux,
qui, quelques annes plus tard, en 1768, comme nous le verrons au
chapitre excisuivant, teront tant de scandale. Sur les premires
manifestations de cette folie erotique, le silence a t fait, trs
rigoureusement. La plupart des victimes recevaient de leur bourreau
une srieuse indemnit et s'en allaient trs consoles, heureuses. Ce
singulier presque amoureux ne: les changeait des pas beaucoup
32 autres. traites
LE MARQUIS E SADE D
Quelques femmes cependant, trop malou d'un caractre moins
conciliant, se du marquis, et, la grande surprise plaignirent,
leurs plaintes furent entendues. Trs indulgent pour ses propres
vices, Louis XV se montrait volontiers svre pour les vices de son
prochain. Il fut avis des singuliers divertissements auxquels se
livrait Arcueil, loin des profanes, le marquis de Sade, et, le 29
octobre, il donna l'ordre de conduire le coupable au chteau royal
de Vincennes (1). A peine enferm Vincennes pour quelques sans
importance peccadilles qui lui semblaient comme d'ailleurs toutes
celles qu'il commit dans le cours de sa carrire monomane le marquis
de Sade se hta de rclamer sa libert par cette lettre de police,
adresse, le 2 novembre, au lieutenant et dans laquelle le jeune
diable, pour apitoyer ses se fait ermite. geliers, Monsieur ". Dans
trouve, (2),
la malheureuse situation o je me l'unique grce et la seule
consolation que
(i) II y avait alors 1res peu dc prisonniers au chteau dc
Vincennes.Le plus important lail le suisse Thorin,enferm en
1757pour avoir mal parl du roi, et qui fut transfr Charenlon en
177S.En 176/,,on y emprisonna l'aventurier Douceur, qui se disait
comte de Saint-Ange, duc dc Jusliniani. (2) Cette lettre, adresse,
'croyons-nous, au lieutenant
DE LE MARIAGE MARQUIS SADE DU
33
ma j'ose demander est de vous supplier d'instruire femme de mon
triste sort. Rien ne peut galer dans laquelle elle va tre, ne rer
l'inquitude si A'OUS n'avez cevant plus de mes nouvelles; pas eu la
bont de faire passer la lettre que pour ma j'eus l'honneur de vous
faire remettre belle-mre, qu'elle en reoive au moins une de o vous
ne vous, je vous en supplie, Monsieur, propos, marquerez que ce que
vous jugerez qu'elle sache au moins que je suis arrt et que vous
savez de mes nouvelles. Voil tout ce que je dsire-, en fesant
partir la lettre demain jeudi, elle la recevra dimanche, et elles
seront srement toutes deux plus tranquilles que ne sachant
absolument ce que je suis devenu. Permettez que j'ai (sic)
l'honneur de vous donner ici son adresse, en cas que vous soyez
assez bon que de m'accorder cette grce : Mme la prsidente de
Montreuil, au chteau d'Echaufour prs Cigai, par VAigle. A VAigle,
en Normandie. Tout malheureux que je me trouve ici, Monsieur, je ne
me plains point de mon sort; je mritais la vengeance de Dieu, je
l'prouve ; pleurer mes fautes, dtester mes erreurs, est mon unique
de police de Sartine, a t publie dans VAmateur d'Autographes, en
1866. Elle fit ensuite partie de la collection Emile Michelot, et
la vente de celte collection, qui eut lieu les 7 et 8 mai 1SS0,un
amateur la paya. 120,francs,: ' 3
31
D LE MARQUIS E SADE
Hlas! Dieu pouvait m'anantir proccupation. sans me donner le
temps de ls reconnatre et de les sentir; que d'actions de gi*ce ne
dois-je pas lui rendre de me permettre de rentrer en moi-mme, donns
m'en les moyens, je vous en prie, Monsieur, en me permettant de
voir un prtre. Par ses bonnes instructions et mon sincre repentir,
j'espre tre mme bientt de m'approcher des sacrements divins, dont
l'entire nodio-ence estait devenue la premire cause de ma perte.
Quant un domestique, si vous avs la bont avs bien de m'en accorder
un, ainsi que ATOUS voulu me le faire esprer, j'ose vous prier de
permettre que ce soit mon valet de chambre, vous pouvez vous
informer de ses moeurs, toute ma famille vous en rendra srement de
bons tmoignages. Je puis d'ailleurs avoir l'honneur de vous assurer
qu'il ne participait pour rien dans tout dans la conficeci ; aucun
de mes gens n'estait dence, aucun n'a jamais su ni vu ce dont il
taitcelui que je dsire question, et personnellement avoir n'a
jamais mis les pieds dans la petite maison qu'une, fois depuis
qu'elle estait meuble et encore n'est-ce que le jour, et aprs que
tout fut entre vos mains. J'espre aussi, Monsieur, que vous voudrez
bien ne point instruire ma famille du vritable sujet de ma
dtention, je serais perdu sans ressources dans leur esprit.
LE MARIAGE MARQUIS SADE DU DE
35
J'ose encore vous faire une remarque, monlivre n'est que du
sieur : la date du malheureux mois de juin, je me suis mari le 17
mai et je puis vous assurer que je n'ai mis les pieds dans la dite
maison que dans le mois de juin. Sur cela j'ai t Il y a huit jours
que trois mois la campagne. j'en estais arriv quand j'ai t arrest.
Quelque court qu'ait t le temps de mes erreurs, je n'en suis pas
moins coupable ; elles ont toujours t l'tre suprme assez longues
dont^ pour irriter la juste colre ; je me repens presque j'prouve
de vous avoir fait ces remarques, devrais-je songer m'excuser,
quand je ne devrais plus m'occuper qu' me repentir. M. le
commandant me dit de m'adresser de vous, Monsieur, pour obtenir la
permission prendre l'air quelquefois ; si vous le jugez compatible
avec ma punition, je la crois absolument ncessaire ma sant. J'ose
esprer que vous . voudrez bien faire dire M. le commandant quoi je
dois m'en tenir sur les articles de cette lettre (1). J'ai
l'honneur d'tre, avec respect, monsieur, votre trs humble et trs
obissant serviteur. Ce 2 novembre 1763. DE SADE.
(i) A celte pice lail jointe la minute ci-dessous d'une' lettre
crite par le pre Griffet, et dont le destinataire nous est inconnu.
Nous avons, M..., un nouveau prisonnier Vincennes
3G
LE MARQUIS E SADE D
Pendant ce temps, les familles de Sade et de Montreuil
multipliaient les dmarches pour obtenir la mise en libert. Vivement
sollicit, le lieuet reut du tenant gnral de police s'entremit
ministre de la maison du roi-cette rponse peu : encourageante
Monsieur, Les raisons qui ont dtermin le Roy donner des ordres pour
mettre M. de Sades au chteau de Vincennes sont trop graves pour
qu'il doive y avoir un traitement distingu ; aussi vous pouvez
mander M. Guyonnet qu'il n'y sera qu' la pension ordinaire. A
l'gard d'un domestique, il peut lui en donner un pour le servir, ne
paraissant pas convenable de lui permettre d'avoir le sien prs de
lui. D'ailleurs, de Sa Majest est l'intention qu'il ne reste pas
longtemps Vincennes. Il faut mme que sa famille voye plus tt que
plus tard o on pourra le faire transfrer pour y vivre ses qui
demande parler au confesseur, et cerles il a grand besoin dc votre
ministre quoi qu'il ne soit pas malade. C'est M.le marquis dc Sade,
jeune homme dc vingt deux ans. Je vous prie dc l'aller voir le
plutt que vous le pourrez, et lorsque vous lui aurez parl vous nie
feres plaisir dc passer chez moi. Je suis, etc.. L. P. GRIFFET. 4
novembre1763.
DE LE MARIAGE MARQUIS SADE DU dpens, ne devant pas rester jest.
Je suis, etc.. (1). la charge
37de Sa Ma-
Celte lettre est du 4 novembre. Quelques jours aprs, un ordre du
roi, arrache par de pressantes de sa les portes ouvrait au marquis
dmarches, prison. Il tait mis en libert, mais on l'obligeait aller
se faire un peu oublier en province (2). 11 pendant pour Echauffour
(3), o rsidait partit une grande partie de l'anne la famille de sa
femme On esprait Louise de Montreuil. et o il retrouva par le
mariage et aussi par la prison, il qu'assagi avait renonc son
amour. C'tait bien mal le connatre. de sa jeune belle-soeur et son
indifLa rsistance bientt frence plus apparente que relle rendirent
au marquis de Sade ce chteau d'aspect intolrable de Mme o, sous la
surveillance peu engageant, Cordier de Montreuil, plus dfiante
encore que les il tait oblig de vivre de Vincennes, geliers comme
un reclus. Paris lui manquait et il aspirait (i) Arch. Nal. o'/|05.
(2) M. Paul Ginisty assure qu'on l'obligea rejoindre son rgiment.
Son dossier militaire n'en fait aucune mention. ' (3) Echauffour,
ainsi nomm des fours chaux qui y abondaient, est un village de
l'Orne, arrondissement d'Ar- _' _ gentan.
38
LE MARQUIS SADE DE
y revenir. Il avait su persuader sa femme que son plus ardent
dsir tait de venir vivre prs d'elle. Avec des phrases mues, il
voquait cette existence familiale et ces joies de l'intimit dont le
privait un cruel exil. En ralit, ce n'tait pas sa maison qu'il
regrettait, mais sa petite maison. La marquise de Sade s'obstinait
ne voir dans son mari qu'une victime. Il tait jeune et elle
l'aimait. Elle croyait aux protestations dont il se . Son
loignement la dsespmontrait prodigue. rait. Elle remuait ciel et
terre pour faire cesser son exil. Pouss par ses plaintes
continuelles, le prsident Cordier de Montreuil, qui tait un bon
homme, rclama, en invoquant je ne sais quel du mari prtexte, le
retour de l'enfant prodigue, in parlibus. Le gouvernement hsitait,
il se dfiait du prtendu du marquis de Sade; 11 repentir n'avait que
trop raison. Ce qu'on lui demandait, il ne l'accordait et le qu' la
dernire extrmit moins possible. Le 3 avril 1764, le ministre de la
Maison du roi crivait M. de Montreuil : Jay, Monsieur, reu les
ordres du Roy, par rapport M. le comte de Sades et des motifs qui
vous font dsirer qu'il puisse venir passer quelque tems Paris, o
vous jugs que sa prsence est ncessaire. Sa Majest a bien voulu lui
permettre d'y venir et d'y rester trois mois, mais seu-
LE MARIAGE DU MARQUIS. SADE DE
39
du 15 de celui-ci, aprs lement partir lequel o il est,
conformment aux tems il retournera Ainsi vous vouordres de Sa
Majest. premiers drs bien lui dire qu'il peut partir quand il le
(1). jugera propos... On faisait intervenir Mme de Marsan, dont les
sollicitations n'obtenaient trs mdiocre qu'un comme on pourra en
juger par cette lettre" rsultat, de la Maison du roi la marquise du
ministre de Sade (le 20 mai) : de Marsan a dj, Madame, prsent
mmoires elle demande le plusieurs par lesquels rapel Paris de son
mary. Il faut qu'il commence par prouver qui il est, ce qu'il n'a
point fait jusqu' n'tant connu que par des traits qui conprsent,
viennent trs peu aux qualits qu'il prend et au nom sous lequel il
s'annonce... (2). (i) Arch.Nal. oV|oG.Le 4 ruai, le marquis
obtenait l'autorisation d'aller Dijon : Sur ce que vous me faites
l'honneur, Monsieur, de me communiquer qu'il est indispensable que
M. de Sade set rende Dijon pour s'y faire recevoir au Parlement
dans la charge de lieutenant gnral du dpartement dc Bresse, Bagey,
etc., il pourra s'y rendre quand il voudra et revenir tout de
suite, en ne restant Dijon que le temps indispensable pour sa
rception. Ce n'est mme qu'avec beaucoup dc peine que Sa Majest se
port lui accorder celte permission... Lettre du Ministre de la
Maison du roi au prsident de Monlreud. , (2) Arch. Nal. 01406.
Mme
40
DE LE MARQUIS SADE
Enfin le roi se laissa flchir. Il comprit qu'il ne pouA'ait
continuer se montrer rigoureux pour un homme que rclamait cor et
cri sa femme, et dont sa belle-mre elle-mme plaidait la cause. Le
11 septembre 1764, la prsidente de Montreuil qu'on avait fait
donner la fin, comme dans les batailles de l'Empire la vieille
garde, reut du ministre ce billet qui combla de joie, d'une joie
qui ne devait pas durer longtemps, toute la famille : J'ay, Madame,
l'honneur de vous envoyer l'ordre du Roy qui rvoque entirement
celui que Sa Majest avait donn M. de Sades de se retirer au chteau
de Chauflour (1)... Le marquis, dport pendant un an clans un chteau
de Normandie, tait libre dsormais de venir vivre, comme il l'avait
demand, prs de sa femme. Quel usage fit-il de cette libert rclame
avec tant d'obstination et si difficilement obtenue? C'est un
rapport de l'inspecteur de police Marais qui va nous rpondre : - 30
novembre 1674. M. le comte de Sade que, j j'ai conduit Vincennes,
de l'ordre du Roi, il y a un an, a obtenu.la de venir cet t
permission Paris o il est encore. J'ai trs fort recommand la
Brissaut (2), sans m'expliquer daArantag, de (i) Arch. Nat. oi4oG.
(2) Les Brissault (ou Brissaut) eurent, vers 1760,unegrande vogue
dans le monde galant : car ils taient mari
LE MARIAGEDU MARQUIS DE SADE
41
de filles pour aller avec lui en ne pas lui fournir petites
maisons (1). Si le bon Marais, ce jour-l, c'est tout simplene
s'expliqua pas davantage, ment parce que son ancien client avait
repris ses d'autrefois. Il continuait ensanglanter habitudes ses
amours. Les dix ou douze mois qu'il venait de passer en province
lui avaient permis de faire des conomies suiou plutt l'y avaient
oblig. 11les dpensait, vant les jours et les occasions, en parties
fines ou en g'rossires orgies. de ses faits L'opinion publique, qui
s'occupait et gestes plus qu'il n'aurait voulu, lui attribuait cl
femme pour diriger deux maisons : l'une la BarrireBlanche cl
l'autre d'abord rue Tire-Boudin, puis rue Franaise. Brissault avait
la rputation d'tre insinuant et d'une loquence persuasive auprs des
jolies femmes ; il veillait aussi avec soin la sant dc ses
pensionnaires, mme de passage, qu'il taisait toujours visiter par
un mdecin attach rtablissement. Sa femme lui faisait honneur,
puisqu'elle avait reu dc ses clientes le surnom de prsidente cl
qu'elle tait, au dire dc Marais, une des femmes les plus dlies cl
qui mil dans son mtier le plus do dcence. Trs apprci parmi les
viveurs dc l'poque, le mnage Brissaull donnait frquemment des
petits soupers,^auxquels assistaient le baron de "Wangen, M. de
Villemur, M. de Bauze, M. de Clau/.el, le comte dc Charollais, le
duede Grammont, la fleur de la noblesse. Raoul Vze, La Galanterie
parisienne auXVHI^sicle.Paris, Daragon, 1905,p. 272. (1) V. L.i de
Rochcforl, Souvenirs et Mlanges, Paris, 1826, t. II, p. 333. Les
rapports de poUcc de l'inspecteur Marais ont t publis par M. Paul
d'Estre dans la Revue (numro du 1" juillet 1900).
42
LE MARQUIS E SADE D
comme matresse Mlle Colette, vaguement attache la Comdie
Italienne pour avoir un titre un peu moins humiliant que celui de
courtisane. Il eut sans doute cette poque une intrigue pasmais sa
matresse sagre avec cette demi-actrice, en titre tait une danseuse
de l'Opra, la BeauVoisin, clbre par le cynisme de sa vie amoureuse.
Il l'avait choisie comme professeur de vice, .-quoique, dans cet
ordre d'ides, il fut beaucoup plus capable de donner des leons que
d'en recevoir. La Beauvoisin a t souvent cite dans la chrodu
dix-huitime sicle. Les Mnique galante moires secrets la reprsentent
comme assez jolie mais sans taille, courte et ramasse . Elle
commenait ne plus tre trs jeune, en 1764, et quelques annes plus
tard un libelle dirig, sous ce titre anodin Annonces, A [fiches et
Avis divers, contre les principales courtisanes du temps et
recueilli par les continuateurs de soigneusement Bachumont lui
consacrera cet article peu flatteur : Modle d'antique d'aprs MlleB.
(Beauvoisin)... Cette figure a pu reprsenter autrefois une assez
jolie nymphe, mais les outrages du temps et les pltres l'ont
presque dfig-ure. La Beauvoisin qui connaissait les hommes, poulies
avoir beaucoup frquents, remplaait avantageusement son dfaut de
jeunesse par un excs de dpravation.
LE MARIAGE DU MARQUISDE SADE
43'
dcouverte Elle avait t lance et peut-tre ; par le marquis trs
dlicat, du Barry, un amateur du Barry l rou. Puis, tombe dans le
domaine public, elle avait-eu de nombreux amants, traitants ou
commis, auxquels ou gentilshommes, princes en femme bien avise,
elle ne demandait, que d'tre riches. Le rve de toutes ces
marchandes d'amour tait au thtre, d'entrer leur pour mieux
achalander avait pris des leons du commerce. La Beauvoisin danseur
Lany (1) et peu de temps aprs elle avait de hautes protections, se
faire russi, grce admettre comme danseuse surnumraire l'Opra. C'est
ainsi qu'elle put figurer en mme temps, mais avec des titres bien
ingaux, sur le Calendrier des et sur celui de Cythre. Elle dansait
spectacles mais elle aimait beaucoup quelquefois, plus souvent. On
se lasse de tout, mme d'tre danseuse surnumraire l'Opra. Un peu
alourdie par l'ge et dgote des jets-battus et des entrechats,
l'actrice intermittente changea de gots et de passions. Elle joua
ou plutt elle fit jouer. Elle eut deux tripots dans ses deux
maisons de la rue (1) Jean-Barthlmy Lany Matre et compositeur des
Ballets de l'Acadmie Royale de . Musique et l'un des grands
danseurs de l'opra pour la danse forte et lgre. Anecdotes
dramaliqus: 1775, t. III.
44 Saint-IIonor
LE MARQUIS SADE DE et de la rue des Deux-cus ou apvisiteurs
parfois, importuns qu'on avec politesse et qu'on voyait partir avec
inspecteurs de police de M. de Sartine. d'ajouter que dans ces
tripots on ne l, fournissait pas jouer. L'htesse, tout prt, tous
les prix. Secourabl d'autrui, la catin vieillie se faisait
entre-
paraissaient accueillait plaisir, les Il convient se bornait de
l'amour aux vices metteuse. La Beauvoisin
pouvait tre utile au marquis de de ses dbauches, Sade, et, par
l'exagration par son got trs connu pour les raffinements erotiques,
elle lui plaisait, s'imposait sa sympathie. Ces deux mes choisies
taient destines, de toute ternit, s'entendre et s'accoupler. Le
marquis ne se contente pas d'exhiber Paris cette matresse un peu
mre mais encore trs cote. Il l'emmena en Provence et lui fit les
honneurs de son chteau de la Coste, prs de Marseille. Invits de la
rgion par lui, la plupart des hobereaux vinrent avec empressement.
Ils furent vite conet le bagout de cette Pariquis par l'enjouement
sienne, qui apportait dans ce coin de province les modes de la
veille et celles du lendemain. Ils la trouvrent un peu vapore, mais
elle n'en avait leurs yeux que plus de charme. Le marquis recevait
trs aimablement. 11 donnait des bals et des spectacles. Sous sa
direction
DU DE LE MARIAGE MARQUIS SADE
45
o le moindre bout de rle une troupe d'amateurs, tait fort
recherch, jouait la comdie d'aprs les Cet rotoman bonnes
traditions. tait, faiblesses part, un gentilhomme trs lgant,
passionnelles et ses brillantes quaplein de got, plein d'esprit,
lits ne le rendaient que plus redoutable. se au plaisir, consacre
.Sa A'ie, entirement tantt en Provence, tantt Paris, o passait Mme
de Sade l'accueillait toujours avec la mme avec la mme indulgence.
La ardente affection, : de Montreuil se montrait de moins prsidente
Elle trouvait ce gendre un bonne composition. sans' doute et
regrettait peu trop compromettant Pour la seconde de l'avoir fait
sortir de Vincennes. et la suite de ses fois elle se dcida
intervenir, le marquis fut rintgr dans l'arme. dmarches Le 16 avril
1767, il reut, avec l'ordre de partir de sans dlai, le grade de
capitaine commandant la compagnie du Mestre de camp (1). Les
officiers, au dix-huitime sicle, abusaient, hors de leur garnison
des congs. Ils passaient (1) Archives adminislr. du Ministre de la
Guerre. Il y avait deux rgiments du Mestre dc camp gnral, un de
cavalerie, fond en i635, l'autre de dragons, corps mixte comme on
sait, fond en 1674. Le rgiment Mestre de camp cavalerie (celui dont
fit partie le marquis dc Sade) avait t form lors du premier essai
d'organisation dc la cavalerie, sous Richelieu. Son premier chef
fut le marquis de Sourdis, cause de sa charge dc mestre de camp
gnral dc la cavalerie lgre. Il eut pour successeur le marquis de
'
46 quatre venait
LE. MARQUISDE SADE
de Sade ou cinq mois par an. Le marquis Dans trs souvent un de
ces ; Paris. il fit sa femme un entre deux parades, voyages, Il lui
cadeau elle dut tre trs sensible. auquel donna un fils, qui ne fut
pas, on peut le croire, un Le 27 aot 1767 naquit enfant de l'amour
partag. Louis-Marie de Sade, qui eut un illustre parrain illustre
le prince de et une non moins marraine, de.Conti. Cond et la
princesse trs sujet L'ancien amant de la Beauvoisin, sous la
surveilsans s'en douter, vivait, caution, lance de la police.
Marais crivait dans son rapport du 16 octobre 1767 : On ne tardera
pas entendre des horreurs de M. le comte de encore parler dterminer
la 11 fait l'impossible Sades. pour vivre avec lui et de l'Opra,
demoiselle Rivire, lui a offert vingt-cinq louis par mois,
condition ne serait pas au spectacle, que les jours qu'elle avec
lui sa petite maison elle irait les passer Cette demoiselle l
refuse. d'Arcueil. ne se trompait Marais bientt pas. On entendit
parler, comme nous allons le voir dans le chapitre des horreurs de
Sade. du marquis suivant, Praslin, qui prit le commandement dc ce
corps, lorsqu'on l'organisa dfinitivement en i038. Le grade dc
capitaine commandant d'une compagnie du Mestre de camp gnral
quivalait au grade dc colonel. C'tait un joli avancement, et aussi
flatteur que peu mrit, pour un officier de vingtsept ans.
C Jardin de ond dvhotel
III LA PETITE MAISON D'ARCUEIL
L'AFFAIRE
ROSE KELLER
ARAMINTE Bonjour, mon cher ; n'est-ce appelle une Petite Maison
? MATIIUIUN C'est une maison qui n'est pas bien grande. ARAMINTE Oh
! non, je m'entends bien... Je me sens dans une joie d'tre dans une
Petite Maison, et puis en mme temps j'ai une frayeur... On dit...
MATIIURIN Et d.e quoi, diantre, vez-vous peur ? . pas ici ce
qu'on
48
LE MARQUIS SADE DE ARAMINTE
tant entendu J'avais donc, m'y voil... Mais je parler de cela M.
de la Grivoisire... de tous cts, il me parait que cela resregarde
semble toutce que je connais : j'avais imagin... Enfin MATIIimiN
Quoi ? qu'on y entrait par les fentres ?
ARAMINTE Je ne sais, mais je me figurais que ce devait de ces
inventions tre toutes choses singulires, des des emblmes, l, des
devises, galantes; des comme dans l'ancienne chevalerie, nains,
fausses portes, des trapes, des guirlandes. MATIIURIN Eh! mon Dieu,
.tout cela tiendrait? misricorde! Et o est-ce que
ARAMINTE Enfin, reuse. tout ce qui annonce la galanterie
amou-
MATIIURIN Je ne sais pas comme cela tait du temps de feu M. de
la Grivoisire; mais pour ce qui est quant prsent, je puis vous
assurer qu'il n'y a pas plus de galanterie ici que dans mon
oeil.
LA'PETITE MAISON D'ARCUEIL ARAMINTE
43-
Comment ! ce n'est point l'amour qui conduit ici de jeunes
amants, que les recherches importunes des jaloux... MATIIURIN Si
c'est l'amour qui les y conduit, remment qu'il les laisse la porte.
ARAMINTE Vous m'tonnez. Et pourquoi MATIIURIN Pour voir si le
changement de lieu ne remettra pas quelque petit grain d'amiti ; et
je ne sais comment cela se fait, mais il arrive toujours tout le
contraire. Tenez, Madame, depuis que je suis ici, je n'ai pas pass
un jour sans entendre des cris et des querelles, comme si on
s'gorgeait. Moi, j'tais comme vous d'abord et j'avais mme pour que
cela ne donnt mauvais exemple notre mnagre; mais, tatigu, que j'ai
t bien rassur ; je pourrions y envoyer Javotte l'cole. On prpare un
bon souper et on n'y mange rien ; quelquefois mme le souper reste,
et il n'en vient qu'un qui s'arrache les cheveux de ce que l'autre
y manque. Ordinairement c'est la dame qui arrive la premire. Voyez
quoi contre-pied. Et puis, quand le 4 donc y venir? il faut
appa-
50 monsieur arrive,
LE MARQUISDE SADE
quelquefois je les claire ; je au col. Bon! sauter m'imaginais
qu'ils s'allaient Ah ! Monsieur, vous voil ? Je ne croyais pas que
vous vinssiez. Madame, voil vos fantaisies ; si mal propos, il n'y
a qu' dire, je m'en j'arrive irai. Vous tes bien le matre. Hol, ho!
que Non, Monsieur, l'on ti 1 mes chevaux! lepoint vous resterez
Puis, aprs cela, ils pour enrager. ils marchent, entrentdansla
chambre, ils marchent, ils marchent tous deux jusqu' ce qu'on
apporte le qui sers ; ils souper ; c'est moi pour l'ordinaire sont
plus tristes, plus tristes : ils m'adressions si c'tait la parole
tous deux, comme toujours (1) . pour moi qu'ils fussions venus...
ce comdie nous fait connatre Mail'envers des Petites qu'on pourrait
appeler sons. 11 est certain que plus d'une fois un jeune se vit
oblig trs pris de changement, seigneur, une matresse dont il tait
excd et d'y recevoir le Cependant qui ne l'en aimait que davantage.
me Malhurin tableau que nous en fait le jardinier au noir. Cet
honnte servisemble un peu pouss teur n'a pas tout vu et ne dit pas
tout. vint souvent s'abriter et replier ses L'Amour Cette scne de
(i) La Petite Maison, comdie en trois actes, par le prsident
llnault, 1770. Je ne crois pas que celle pice ail jamais cl
reprsente sur un thtre public.
D LA PETITE MAISON ARCUEIL ailes
51
dans ces asiles discrets o rien n'avait t ne ft-ce qu'une nuit,
de ce qui pouvait, nglig et le retenir. On ne ft-ce qu'une heure,
l'attirer des charmilles, construisait pour lui, l'ombre Il dt en
profiter des nids de verdure et de marbre. largement. Les Petites
Maisons sont nes de la corruption raffine et lgante du dix-huitime
sicle. Sous le grand roi, amants et amantes du beau monde, allaient
quand ils avaient envie de s'encanailler, tout simplement dans
quelque guinguette ctoye par la Seine et loigne du centre, au
Moulin de ou au Gros-Caillou. Javelle, au Port l'Anglais des
cabaretiers Ils trouvaient l de vrais paysans, sans faon, des
cabinets le vin du cru rustiques, et d'excellentes fritures. Le
voisinage, le savoureux argot d'un garde franaise, d'une grisette
ou d'un clerc de procureur, les amusaient, les chandes attitudes et
geaient agrablement gourmes des exigences de l'tiquette. Ils
s'vertuaient eux paratre nafs et simples mmes, bien dguiss, et
parler la langue du peuple. On affectait de les en bonne forprendre
pour de petits bourgeois tout le tune, mais sous leur costume
d'emprunt monde les devinait. Pour plus de sret, un grand seigneur,
un riche de la ville ou financier, louait parfois l'extrmit dans
les faubourgs, la Grange-Batelire, la
52
LE MARQUISDE SADE
une maison de paysan, dont on Ville-l'Evque, tant bien que mal
deux ou trois pices. meublait Tant que durait leur passion pour la
femme, titre avoir sans ou non, riche ou pauvre, qu'ils voulaient
cette maison ils gardaient trop la compromettre, cache aux regards
Il leur arrivait rareprofanes. ment de la garder plus de six mois.
et Ces logis provisoires d'lgance manquaient au dix-huitime de
confortable. L'amour, sicle, trs cher voulut tre chez lui. Ceux qui
payaient d'incommodes cabanes, pour ne les avoir que peu intrt
faire de temps, comprirent qu'ils auraient btir ou acheter toutes
prtes de jolies maisons qui seraient bien eux. Quelques grands
seigneurs, le duc dc Richelieu, le prince le comte d'Evreux, de
Soubise, le comte de Noce, donnrent l'exemple. Il fut bientt suivi
par tout ce qui avait un nom ou et robins adoptrent de l'argent.
Nobles, financiers amoucette mode si favorable leurs intrigues
reuses. dans les quartiers Un peu partout, peu frl'aspect dc la
camquents et qui avaient conserve s'levrent des Folies. On les
dsigna pagne, ainsi parce qu'elles se cachaient sous les d'abord ou
plutt parce que le luxe qui. sub foliis, arbres, ruina plus d'une
fois leur propriy tait dploy taire. Plus tard on les appela des
Petites Maisons. Maisons On avait des Petites pour y donner
D LA PETITE MAISON ARCUEIL
53
d'un jour, pour se drober asile des matresses d'un mari jaloux,
on en aux curiosits indiscrtes avait aussi par vanit et elles
taient alors aussi Dans la comdie que possible. peu mystrieuses que
je citais tout l'heure, le laquais La Montagne, valet dc confiance
de Yalre, la souexplique bien brette Frozine le rle jou par
l'amour-propre dans l'achat de ces volupplus que par l'amour
tueuses retraites trs coteuses, mais qui craient d'aimable rou : ou
maintenaient une rputation FROZINE ( LA MONTAGNE) Il est vrai que
ton mtier exige une grande et que discrtion ; que tu us beaucoup
t'observer, cela ne laisse pas dc gner. Par exemple, quand tu viens
dans cette Petite Maison, il faut prendre pour qu'on ne garde qu'on
ne t'y A'oie entrer, sache pas dans le quartier qu'elle appartient
ton matre. LA MONTAGNE Je Que veux-tu donc dire avec ta discrtion?
crois que tu le moqius de nous. Ah ! ma pauvre Frozine, tu t'es
bien rouille pendant deux ans de province. Et pourquoi du mystre?
FROZINE Apparemment bonnes fortunes que ? ton matre en met ses
54
LE MARQUIS DE SADE LA MONTAGNE Lui ? Point du tout. FROZINE
Et son?
quoi lui sert-il donc Il me semble qu'elles la drobe pour y
venir sonnes l'on ne pourrait que consquence. Cela
d'avoir une Petite Main'ont t inventes que et y attendre les
pervoir chez elles sans
LA MONTAGNE tait du temps bon du roi Guillemot. Auune Petite
Maison n'est indiscrjourd'hui qu'une tion de plus : on sait qui
elle appartient, ce qui les comme s'y passe, personnes qui y
viennent, dans une maison de ville a ; et except qu'il n'y la
porte, en lettres Htel de Valre, d'or, pas sur d'ailleurs c'est
tout la mme chose. Encore je ne n'en vienne dsespre point que la
mode (1). aux Consacres vices coteux d'un arand seid'un traitant de
haut vol , beaucoup de gneur, ces Petites modestes et rustiques,
Maisons, quand on les voyait du dehors, taient l'intrieur des
merveilles de luxe et d'lgance. Une barrire claire une porte voie,
vermoulue, donnait accs une entre deux murs mal alle, (1) La Petite
Maison, scne I.
LA PETITE
MAISON D ARGUEIL
55
murs on apercevait un de ces Au-dessus crpis. d'une ferme
habtiment propre l'aspect qui avait leur aise. des paysans bien On
entrait bite par un de ces palais dans et on se trouvait transport
d'un enchanteur faisait de rve que la baguette sortir du sol. les
plus clbres archiCes palais minuscules, les avaient construits ou
amnags. Pour tectes les orner, on s'adressait aux artistes les plus
connus. Boucher, ou Fragonard Pierre, Halle, Doyen des nymphes et
des amours. Pirot, y dessinaient l'infini le caprice sur les
lambris, variait de ses du plafond, Sur les corniches
Bachearabesques. lier ses et ses de semait bouquets guirlandes
fleurs. Les pices taient mais admirablement petites, elles
diIntimes, confortables, proportionnes. saient le plaisir de vivre
et invitaient l'amour. Elles consemblaient faites pour les
mystrieuses les Elles mois les fidences, passionns. pour et les
rendaient durables et provoquaient plus doux. plus Les sous toutes
les formes, tasujets erotiques bronzes ou porcelaines, dans
abondaient bleaux, le salon lumicirculaire tendu d'toffes fraches,
ou bleu souffre tendre neuses, lilas, turquoise, le jardin, Sur de
larges fentres, jonquille. par s'ouvrait la salle manger, avec ses
murs rev-
56 tus de
LE MARQUIS
DE SADE
de stuc ornes de toiles ou par Clrici, d'Oudry des tableaux des
fruits, reprsentaient qui des parties dc chasse. Elle tait ileurs,
soigneusement la curiosit des valets interdite qui aurait les
inscrits dans prvus, pu gner panchements de ces l'tes Par une oule
programme galantes. dans le descendait verture plancher pratique
dans les cuisines et remontait la table charge avec en bois Le
boudoir, son parquet d'argenterie. de dans une fine de rose, tait
tapiss glaces, en bordure d'or. ottomane Une occupait large tout un
ct. de marbre Un revtement augmenla salle de la tait la fracheur dc
bain, o, dans sur un rocher facpose baignoire, conque d'onyx tte de
cygne versaient une eau des robinets tice, La chambre toile de soie
drape'd'une inpuisable. le dans une rose cachait, alcve, d'argent
glace de glaces lit monumental entour mouvantes. tables
d'aventurinc ou vernies Fauteuils dors, consoles sur lesquelles par
Martin, marquetteries, de Caffieri un bronze ou une terre cuite
reposaient Gerde Clodion, toilettes ciseles par d'argent contourns
avec une escadres dlicatement main, ou de clavecin de Gravelot
Cochin, peint tampe lustres de cristal ou de Walteau, cuivre, par
des satyres et des sur lesquelles jouaient pendules si souvent et
qui sonnrent l'heure du berdryades et ou chiffonniers guridons,
ger, girandoles
LA PETITE chaises Allantes, semblaient tous
MAISON D ARCUEIL les meubles, avaient
-
57
sourire, mants, de l'esprit. la maison d'amour. Un petit jardin
ombrageait les bosquets, les berceaux On y avait prodigu de marbre,
Des statues et les grottes. nymphes des corbeilles de fleurs,
Cupidons qui portaient toutes blanches de carquois, arms
s'rigeaient ternellement le sur le vertdes rptaient pelouses, et ne
s'animaient mme geste qu' la nuit tombante de lune. Une eau limpide
sous un rayon jaillissait un Apollon. D'une casdominait du bassin
que de lierre un ruisseau cade s'chappait tapisse mlait murmure
bruit des son baisers, qui, au ironique. de Sade n'tait assez Le
marquis riche, pas de tout son entourer mme aprs mariage, pour
maice luxe ses amours Sur sa petite passagres. nous On sait son les
renseignements manquent. tait Arcueil et s'apsitue qu'elle
simplement sauf le nom, n'en a surVA timonerie. Rien, pelait tre
trs et dissimule vcu. Elle devait simple le plus possible aux car
celui regards, qui en faidc ses orgies intrt sait le thtre n'avait
aucun veiller l'attention. dans ses gots, le marquis de Trs
clectique Sade des grandes des actrices dames, y amenait au hasard
et de vulgaires ramasses courtisanes,
charlgers, de la grce et
5S
LE MARQUIS DE SADE
des rencontres, sur le pav de Paris. 11 tait de ceux qui
neselaissentpas blouir, dans leurs poursuites amoureuses, d'un
titre ou par l'importance l'clat d'une toilette, et pour qui toute
femme est femme. Il aimait ce brusquer le dnouement, se prtaient de
de ses conqutes quoi la plupart la meilleure et ne demandait grce
du monde, celles qu'il avait remarques et choisies que la la beaut,
et un caractre trs accommojeunesse, dant. Tous les gibiers taient
bons ce chasseur, qui une grande passait partie de son temps
poursuivre, avec une bourse bien pleine en guise de la taille fine
et au frais fusil, quelque grisette minois. Le 3 avril 1768, qui
tait le samedi saint, il se trouvait sur la place des Victoires,
dans la femme lui demanda l'aumne. soire, lorsqu'une Elle tait
jeune, jolie. 11 l'interrogea. Elle lui apRose Relier et qu'elle
tait prit qu'elle s'appelait la veuve d'un garon ptissier, nomm
Yalentin, qui l'avait laisse sans un sou. mais la femme tait
L'histoire tait banale, charmante. Son motion, sa voix douce et un
peu plaintive, pour un blas et un rou comme le marOn lui donnaient
quis de Sade, plus de piquant. aurait pu croire que sa pudeur,
soumise de trop rudes preuves, et qui avait d'abord hsit devant une
profession coradshonorante mais lucrative,
LA PETITE MAISON DARCUEIL
59
la metmenait se lasser. La misre, semblait-il, tait sur le
chemin du vice o d'autres taient alles tout naturellement, et,
pousse par la ncessit,elle se rsignait faire de l'amour, tantt
offert, tantt subi, son gagne-pain. Toutcela,le marquis de Sade le
crut ou feignit de" le croire. Cette comdie l'amusait. Apitoy et
souriant,il affecta de s'tonner qu'avec de si beaux yeux une femme
qui n'avait qu' le vouloir pour tre heureuse fit un aussi triste
mtier. Il lui parlait avec Elle l'coutait, convaindouceur, avec
tendresse. cue d'avance. Quand il lui parla de sa petite maison
d'Arcueil, o elle trouverait un bon souper, un peu d'amour et
quelques louis, dont elle aArait si grand besoin, quand il lui
offrit de l'y conduire, elle accepta sans hsiter. Un fiacre qui les
guettait s'approcha sur un signe du marquis, et ils partirent.
Voil, je crois, comment les choses durent se passer, parce que le
plus souvent elles se passaient ainsi; mais, avant de continuer
notre rcit, il faut recueillir les bruits qui coururent sur cet
pisode de bouche en bouche. grossi dmesurment coiitons d'abord la
marquise du Deffant. Elle crivait le 12 avril Horace Walpole, en
racontant sa manire l'histoire de Rose Keller, dont s'entretenaient
les salons du beau monde mous: 11 (le martills par un scandale
retentissant
co
LE MARQUIS SADE DE
d'abord dans toutes les quis de. Sade) la conduisit chambres de
la maison, puis il la mena dans le avec elle, lui orArriv l, il
s'enferma grenier. donna, le pistolet sur la gorge, de se mettre
toute cruellement. nue, lui -lia les mains et la fustigea Quand
elle fut toute en sang, il tira un pot d'onguent de sa poche, en
pansa ses plaies et la laissa. Je ne sais s'il la fit boire et
manger ; mais il ne la revit que le lendemain. Ce jour-l, ajoute
la. du Deffant, aprs avoir donn quelques marquise dtails
manifestement errons, cette femme dses sespre se dmena tellement
qu'elle rompit liens et se jeta par la fentre qui donnait sur la
rue... Tout le peuple s'attroupa autour d'elle. Le de police (1) a
t inform de ce fait. lieutenant On a arrt M. de Sade. Il est,
dit-on, dans le chteau de Saumur. On ne sait ce que deviendra cette
affaire, et si l'on se bornera cette punition ; ce qui pourrait tre
parce qu'il appartient des srens assez considrables en crdit. Dans
une lettre crite le lendemain, la marquise du Deffant Horace
Walpole de nouenvoyait Areaux renseignements : Depuis hier j'ai
appris la suite de M. de Sade. Le village o est sa petite maison
est Arcueil ; il fouetta et dchiqueta la malheureuse le mme jour
(le 3 avril) et tout de ~(i) De Sarline.
LA PETITE MAISON ARCUEIL D
Cl
suite il lui versa du baume dans ses plaies et sur ses corchures
; il lui dlia les mains, l'enveloppa dans beaucoup de linges et la
coucha dans un bon lit. A peine fut-elle seule qu'elle se servit de
ses bas et de ses couvertures pour se sauver par la fentre ; le
juge d'Arcueil lui dit d porter plainte au procureur et au
lieutenant de police. gnral Ce dernier envoya chercher M. de Sade,
qui, loin de dsavouer et de rougir de son crime, prtendit avoir
fait une trs belle action et avoir rendu un d'un grand service au
public par la dcouverte baume qui gurissait sur le champ les
blessures ; il est vrai qu'il a produit cet effet sur cette femme.
Elle s'est dsiste de poursuivre son assassin, moyennant quelque
argent ; ainsi il apparemment y a tout lieu dc croire qu'il en sera
quitte pour la prison. Restif de la Bretonne, un des tmoins charge
du marquis de Sade dans cette affaire, tait un de ses ennemis
personnels. Tout ce qui pouvait lui sans exanuire, il devait, ce
titre, l'accueillir men et l'exagrer de son mieux. Sa relation,
donne dans la 194 des Nuits de Paris, fourmille des erreurs
vod'erreurs, qui sont probablement lontaires. Il raconte que le
marquis avait propos Rose Relier de devenir concierge de sa maison
d'Arcueil. Elle avait avec reconnaisaccept sance. C'tait pour la
pauvre femme, sur laquelle
62
LE MARQUIS SADE DE
le vertueux la Aie assure. romancier, s'apitoie A peine arriArs
destination, de Sade a\'ait conduit sa victime dans une salle
d'anatomi , comme on ne devait pas en trouver souvent dans les
Petites Maisons. L se tenaient plusieurs personnes qui paraissaient
attendre le marquis. 11 leur aArait prsent la jeune femme, louant
sa beaut, la finesse de ses traits, la perfection de ses formes, au
nom de la science laet, trs srieusement, il sacrifiait il l'amour,
quelle, sans hsitation, aA'ait manifest l'intention de la dissquer
Ayante. Les assistants Rose Relier, terril'approuvaient. fie par la
grande table de marbre bianc, par les de chirurgie tals deA^ant
elle, treminstruments blait comme une feuille. Heureusement le
marA'oulu sans doute que l'efquis de Sade n'avait lise contenta del
taillader . coups de frayer, canif. Un rcit du temps, 5 reproduit
(et arrang') par \ Brierre de Boismont, mais dont il n'indique pas
11 l'origine (1), est particulirement dramatique. i mane d'un
metteur en scne de premier ordre : Peu d'annes avant la Rvolution,
raconte ce (i) Gazelle mdicale de Paris, numro du 21 juillet
iS/|> DUSAULX, De l'insurrection parisienne el de la prise de la
Bastille. Paris, ^go, p. 99.
212
LE MARQUIS SADE DE
effets, doit en brler quelqu'un, qu'il est, d'aprs cela,
superflu de dcrire il ne s'agit pas d'un il n'est question que
d'une remise. inventaire, Au reste, vous tes bon et sage, Monsieur,
et je suis bien sr que vous 'vous conduirez sur cet objet avec
toute la prudence qu'exige votre place, et les recommandations
faites par particulires ceux pour lesquels vous allez oprer. Je
joins cette lettre, Monsieur, un crit important de ma part, qui
trouvera sa place en temps et lieu et que je vous prie de
conserver, attendu dans qu'il viendra une poque o je le rclamerai
vos mains, et o je relaterai juridiquement l'instant o il fut
consign. J'ai sieur , l'honneur d'tre trs sincrement, Mon-
. Votre trs humble
et trs obissant
serviteur,
LE COMTEDE SADE. Ce 9 juillet Je vous178 (9).
donne galement avis, Monsieur, et porte plainte envers vous
qu'un des alguasils - envoys de la violence qui vepour l'excution
vous nait de m'tre faite la Bastille quand partes dans la nuit du 3
au 4 juillet 1789 m'a vol deux louis dans ma poche; vous voudrez
bien les faire rendre Mme de Sade et assurer
LE MARQUIS DE SADEA LA BASTILLE ledit exempt qu'il sera
poursuivi minel aussitt que je serai libre.
213
par moi au cri, .'
DE SADE (1).
La marquise de Sade dut probablement craindre de dplaire son
mari, ou de se compromettre, ou de faire quelque pnible dcouverte;
en se charcar elle crivit, le 19 juillet, geant de ces papiers, ' .
au commissaire Chnon : J'ai rflchi, Monsieur, la lettre que j'ai eu
l'honneur de vous crire dans un moment o j'tais Si trop trouble
pour en peser les consquences. vous n'aArez pas encore fait usage
de ma lettre pour retirer del Bastille les effets de M. de.Sade,
sans observer les formalits usites en pareil cas, je vous prie de
disposer les choses de manire que je ne puisse pas tre regarde
comme responsable des papiers et effets de M. de Sade, ayant des
raisons de n'en tre personnelles pour dsirer pas charge. J'entends
trop peu les affaires pour vous proposer cet gard un parti que
votre prudence vous suggrera mieux qu' moy, mais il me semble qu'un
moyen qui concilierait tout, et qui en mme (1) Arch. Nal., ol5g6.
Au dos de cette lettre le marquis a crit : Mme de Sade voudra bien
faire remettre les papiers ci-joints M. le commissaire Chnon.
214 temps serait effets
DE LE MARQUIS SADE
avec le dsir de mon mary. s'accorderait bien en retirant ces que
vous voulussiez le souhaite, les sans description, puisqu'il dposer
sous cachet dans un autre dpt sur, o il ce qu'il ait dtermin
resterait l'usage jusqu' qu'il en veut faire. Tout ce que je
demande encore une fois est de et c'est pour cela, n'en pas
demeurer charge, Monsieur, que je vous demande vos bons offices. Je
suis, Monsieur, avec autant de considration que de confiance, votre
trs humble et trs obissante servante. MONTUEUIL DE SADE. Ce 19
juillet 1789, des Dames de Sainte-Aure, Communaut rue
Neuve-Sainle-Genevive (1).
la
avaient t trs Les vainqueurs de la Bastille surpris d'y trouver
si peu de dtenus (2). Le peuple, qui aime se sentir mu, supposait
qu'il en restait dans de mystrieux enferms cachots, plusieurs (i)
Arch. Nal., o'5gG. En tte celle annotation : 19juillet 1789. Rep.
le 27. (2) Ces prisonniers taient au nombre de sept : La Barle,
Bernard Laroche, Jean La Corrze et Jean Antoine Pujade, enferms en
1787,pour avoir fabriqu de fausses lettres de change ; Claude
Tavernier, pour complot contre la vie du roi. Devenu fou, il fut
conduit Charenton; le comte de With de Maleville, fou galement ; le
comte de Solange, emprisonn sur la demande de son pre pour
dissipation.
LE MARQUIS DE SADEA LA BASTILLE ,.
215
d'affreuses lis par des chanes de fer, condamns Le petit nombre
tortures. de ces prtendues vicet le droutait. times l'humiliait Il
ne voulait pas ^ du district de Saint-Louisv croire; Neuf habitants
s'tait mis un certain en-1'Isle, la tte desquels rsolurent de tirer
la chose au clair* M. Lamarre, Ils se dlgurent eux-mmes comit
auprs.du du district (1) et lui exposrent leurs soupons. Cerdes
malheureux restaient tainement, emprisonns la Bastille dans des
oubliettes que seuls connaissaient les geliers. Avec quelle
impatience et quelle angoisse ils devaient attendre qu'on les
dlivrt ! 11 fallait, pour ne pas les exposer mourir de faim ou de
dsespoir, se hter, ne pas perdre un instant. Ainsi parla la
dlgation des neuf citoyens, conduits et elle se retira, aussi par
M. Lamarre, gravement qu'elle tait venue, convaincue qu'une fois de
plus, elle avait sauv la patrie. Le comit envoya un de ses membres,
escort de quelques notables du district, pour visiter, trs toutes
les chambres et tous les soigneusement, cachots. On ne trouva rien.
Pour plus de sret, le comit manda les quatre (1) Les comits de
district, qui sigaient jour et nuit, recevraient les plaintes ou
les dnonciations des citoyens, faisaient la police du quartier,
ouvraient les ordres adresss par le maire ou le commandant gnral de
la garde nationale et veillaient leur excution.
216
*:':-
: LE' MARQUIS SADE" " DE
del Bastille, Trcourf, Lossinole (1), porte-clefs Ils se
prsentrent le 17 juillet Gyon et Fnfart. onze heures d matiu. ils
donnrent, Interrogs sparment, aprs avoir jur de dire foute la vrit,
les renseignements les plus prcis sur les tours, les chambres, les
cachots et les prisonniers qui y avaient t en--ferms. Trcourt
dclara qu'il y avait un cachot la un la Comt," un la Bertaudire,
-Basinire, deux la Libert, un au Coin, un au Puits ; mais que
depuis plus de quinze ans aucun dtenu n'y avait t mis. sur les deux
tours Lossinote, qu'on interrogea dont il avait la garde, rpondit
entre autres choses que le dernier prisonnier qui a t dans la tour
de la Libert a t le comte de Sade, transfr dedans la maison des
puis environ trois semaines de Charenton; religieux que lors de la
translation, il a t appos des scells par le commissaire Chnon, sur
la porte de la chambre, pour la conservation des diffrents objets
qui y ont t lais. ss (2) . . (i) Pierre Lossinote, porte-clefs
depuis 1781, tait charg de la tour de la Libert et de celle de la
Chapelle. Il logeait, en 1789,aprs la prise de la Bastile, rue
Saint-Antoine, chez le sieur Pstien, marchand papetier. (2) Arh.
Nat., C. i34, doss. 5. Ce procs-verbal fut imprim et envoy tous les
districts de Paris. ;
DE SADE.A LA BASTILLE LE" MARQUIS
217
ainsi de-lui, indirecteTaudis qu'on s'occupait de Sade faisait
ses dbuts dans ment, l marquis o sa place tait de Charenton cet
asile-prison le les immenses caves, tout indique. Malgr vaste
jardin et la charmante vue, signals et admirs par tous les guides
de Paris (1), il n'apprciait dont le rsidence pas sa valeur cette
nouvelle bien plus rgime et la discipline taient cependant faciles
supporter que ceux de la Bastille. Latude n'hqui y avait vcu
quelques annes auparavant dans ses MIl racon