-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
1/325
Georges GUSDORFProfesseur lUniversit de Strasbourg
Professeur invit lUniversit Laval de Qubec
(1953)
MYTHEET MTAPHYSIQUE
INTRODUCTION LA PHILOSOPHIE
Avec lajout du texte Rtractation 1983, publi en 1984.
Un document produit en version numrique par Loyola Leroux,
bnvole,
professeur de philosophie retrait de lenseignementCgep de
Saint-Jrme, Qc.Page web.Courriel:[email protected]
Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"Une
bibliothque numrique fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite
web:http://classiques.uqac.ca/
Une collection dveloppe en collaboration avec la
BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi
Site web:http://bibliotheque.uqac.ca/
http://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_leroux_loyola.htmlhttp://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_leroux_loyola.htmlmailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]://classiques.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/mailto:[email protected]://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_leroux_loyola.html
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
2/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 2
Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques
Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est
interdite,mme avec la mention de leur provenance, sans
lautorisation for-melle, crite, du fondateur des Classiques des
sciences sociales,Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuventsans
autorisation formelle:
- tre hbergs (en fichier ou page web, en totalit ou en
partie)sur un serveur autre que celui des Classiques.
- servir de base de travail un autre fichier modifi ensuite
partout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits,
support,etc...),
Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles
sur le siteLes Classiques des sciences sociales sont la proprit des
Classi-ques des sciences sociales, un organisme but non lucratif
com-
pos exclusivement de bnvoles.
Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et
personnel-le et, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation des
fins com-merciales des fichiers sur ce site est strictement
interdite et touterediffusion est galement strictement
interdite.
L'accs notre travail est libre et gratuit tous les
utilisa-teurs. C'est notre mission.
Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur
gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
3/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 3
Cette dition lectronique a t ralise par Loyola Leroux, bnvole,
pro-fesseur de philosophie retrait du Cgep de Saint-Jrme, partir de
:
Georges Gusdorf
MYTHE ET MTAPHYSIQUE. INTRODUCTION LAPHILOSOPHIE.
Paris : Flammarion, diteur, 1953, 267 pp. Collection : Nouvelle
Bibliothquescientifique.
cette dition, nous avons ajout le texte de lauteur intitul
RTRACTA-TION1983 in Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie, pp. 7-49.Paris : Flammarion, 1984, 366 pp. Collection
: Champs.
[Autorisation formelle le 2 fvrier 2013 accorde par les
ayant-droit delauteur, par lentremise de Mme Anne-Lise
Volmer-Gusdorf, la fille de lauteur,de diffuser ce livre dans Les
Classiques des sciences sociales.]
Courriels : Anne-Lise Volmer-Gusdorf :
[email protected] Bergs :
[email protected], Universits Montesquieu-Bordeaux
IVet Toulouse 1 Capitole
Polices de caractres utilise :
Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas
de page : Times New Roman, 12 points.
dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft
Word2008 pour Macintosh.
Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5 x 11.
dition numrique ralise le 26 aot 2013 Chicoutimi, Villede
Saguenay, Qubec.
mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
4/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 4
Un grand merci la famille de Georges Gusdorfpour sa confiance en
nous et surtout pour nous accor-der, le 2 fvrier 2013,
lautorisation de diffuser en ac-cs ouvert et gratuit tous luvre de
cet minentpistmologue franais.
Courriel :Anne-Lise Volmer-Gusdorf :[email protected]
Un grand merci tout spcial mon ami, le Profes-seur Michel Bergs,
professeur, Universits Montes-quieu-Bordeaux IV et Toulouse I
Capitole, pour tou-tes ses dmarches auprs de la famille de lauteur
etspcialement auprs de la fille de lauteur, Mme An-ne-Lise
Volmer-Gusdorf. Ses nombreuses dmarchesauprs de la famille ont gagn
le cur des ayant-droit.
Courriel :
Michel Bergs :[email protected], Universits
Montesquieu-Bordeaux IVet Toulouse 1 Capitole
Avec toute notre reconnaissance,Jean-Marie Tremblay,
sociologueFondateur des Classiques des sciences socialesChicoutimi,
le 23 mai 2014.
mailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]://classiques.uqac.ca/contemporains/berges_michel/berges_michel.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/berges_michel/berges_michel.htmlmailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://classiques.uqac.ca/contemporains/berges_michel/berges_michel.htmlmailto:[email protected]
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
5/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 5
Georges GUSDORFProfesseur lUniversit de Strasbourg
Professeur invit lUniversit Laval de Qubec
MYTHE ET MTAPHYSIQUE.Introduction la philosophie.
Paris : Flammarion, diteur, 1953, 267 pp. Collection : Nouvelle
Bibliothquescientifique. cette dition, nous avons ajout le texte de
lauteur intitul R-TRACTATION 1983 in Mythe et mtaphysique.
Introduction la philosophie,pp. 7-49. Paris : Flammarion, 1984, 366
pp. Collection : Champs.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
6/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 6
[2]
OUVRAGES DU MME AUTEURChez d'autres diteurs :
La dcouverte de soi, 1948.L'exprience humaine du sacrifice,
1948.Trait de l'existence morale, 1949.Mmoire et personne, 1951.La
parole,1952.Trait de mtaphysique, 1956.
Science et foi, 1956.La vertu de force, 1957.Introduction aux
sciences humaines,1960.Dialogue avec le mdecin, 1962.Signification
humaine de la libert, 1962.Kierkegaard, 1963.
Pourquoi des professeurs, 1963.La boule de verre,
autobiographie.
http://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/la_parole/la_parole.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/la_parole/la_parole.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/intro_sc_hum/intro_sc_hum.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/intro_sc_hum/intro_sc_hum.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/intro_sc_hum/intro_sc_hum.htmlhttp://classiques.uqac.ca/contemporains/gusdorf_georges/la_parole/la_parole.html
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
7/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 7
[5]
la mmoire de MILE BRHIERet de
LON BRUNSCHVICG
Je dois M. Descartes ou sa manire dephilosopher les sentiments
que j'oppose auxsiens et la hardiesse de le reprendre.
MALEBRANCHE,Recherche de la Vrit.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
8/325
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
9/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 9
B) Le temps mythique.Champ temporel primitif court terme,
granulaire.Le temps communautaire. Sens et structure du calendrier
comme litur-gie. [59]
C) La fte,dbouch du grand Espace et du grand Temps dans la
ralithumaine. Paysage rituel de la fte. Re-cration. La fte est le
phnomnetotal de la communaut, la transcendance en acte. [68]
VI. KAMO.[76]
Absence du sens de l'individualit. Pas de notion du corps, ni de
la mort.La personne comme personnage dans le jeu social.
Exemplarisme hroque.
DEUXIME PARTIELA CONSCIENCE INTELLECTUELLE[85]
I. L'MANCIPATION DU RGNE HUMAIN.[87]
Naissance de l'histoire. Fin du sommeil dogmatique du mythe.
Il. DE LA PRHISTOIRE L'HISTOIRE.[92]
Anthropologie de la prhistoire et de l'histoire. Le sens du
temps hu-main. Naissance de l'univers du discours catgorial et de
l'individu.
III. LA DCOUVERTE DE L'UNIVERSALIT : L'AGE DES EMPIRES
ETL'ASTROBIOLOGIE.[100]
Pense et civilisation. La ralisation de l'universalit sur la
face de la ter-re. De la politique la technique et au savoir. La
synthse astrobiologique,premire forme d'intelligibilit radicale. La
notion de loi et le sens de l'ter-nel retour. [100]
IV. LA DCOUVERTE DE LA PERSONNALIT : LA RVOLUTION
SO-CRATIQUE.[112]
Apparition des personnages historiques. La vrit universelle est
une v-rit personnelle. Socrate liquidateur de la conscience
mythique, mais surtoutfondateur de la raison. Du sens commun au bon
sens.
V. NAISSANCE DU SAVOIR RATIONNEL.[120]
Lente liquidation des rsidus mythiques. Origine de la
littrature. D-composition de l'tre dans le monde primitif. Les
nouvelles intelligibilits etl'unification rflexive.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
10/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 10
VI. LE MOI RATIONNEL.[127]
La dcouverte du corps propre et de l'univers gographique.
L'agonie dumonde mythique. La catgorie de la personnalit. Les
progrs de la cons-cience rflexive : rejet du corps et triomphe de
l'universalit. De la dcou-verte de soi l'limination
intellectualiste de soi.
VII. LE MONDE INTELLIGIBLE.[139]
Primat du vrai sur le rel. Domestication rationnelle de l'espace
et dutemps. L'exemplarisme mathmatique. Le monde comme objet de
l'esprit.
VIII.LE DIEU DES PHILOSOPHES.[148]
L'laboration du sacr par la mdiation de l'intellect. Le mystre
dgraden problme : la thologie. La religion de la raison rduit la
rvlation et se
dnature en morale. Le Dieu Raison.
IX. LA RAISON TRIOMPHANTE.[158]
La raison mesure de toutes choses. Les rductions
intellectualistes dumythe. Une ontologie sans prsuppos est-elle
possible ?
TROISIME PARTIELA CONSCIENCE EXISTENTIELLE [165]
I LE RETOUR DE LA CONSCIENCE MYTHIQUE REFOULE.[167]
L'itinraire spirituel de Lvy-Brhl. Logique et mytique dans la
structurede la raison.
Il. LANTHROPOLOGIE CONCRTE.[177]
La redcouverte de l'incarnation. Rle de la psychologie et de la
culture.Vrit et personnalit.
III. LE MONDE VCU.[188]
Cosmologie scientifique et cosmologie vcue : l'exemple de M.
Bache-lard. Personnalit et historicit de l'image du monde. La
science ne nous
donne pas la totalit.
IV. LE DIEU VIVANT.[203]
Persistance du sens de l'incarnation et de la rvlation dans le
christia-nisme contemporain. Le sens du mystre comme fondement
d'intelligibilit.La rvlation. Thologie existentielle. 203
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
11/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 11
V. L'INTELLIGIBILIT EXISTENTIELLE DU MYTHE.[216]]
Le mythe est sens du rel. Articulations existentielles. Du mythe
au ro-man et l'histoire. Le mythe comme spcificit humaine.
VI. SCIENCE, RAISON, MYTHE.[230]
Le mythe de la science. La science est ncessaire, mais non
suffisante.Elle est tributaire d'une eschatologie. La raison
elle-mme ne peut pas fon-der absolument et garantir la science.
Ncessit d'une prise d'tre ontologi-que. Personnalit et historicit
de la raison. La conscience mythique commeeschatologie de la
raison.
VII. MYTHE ET PHILOSOPHIE.[244]
La mythologie est une premire mtaphysique, et la mtaphysique
une
mythologie seconde. La conscience mythique fait l'unit de
l'existenceconcrte. L'intention mythique dans les grandes
philosophies. Sociologiedes mythes modernes. Mythe et culture.
CONCLUSION.[257]
Il ne s'agit pas de perdre la raison, mais de la sauver. Les
mythes prsentent laraison l'tat sauvage. La critique des mythes.
Mythe et morale. L'intention my-thique comme principe de toute
transcendance et formule d'ternit.
RTRACTATION 1983.Ajout ldition de 1984. In Georges
Gusdorf,Mytheet mtaphysique. Introduction la philosophie, pp. 7-49.
Paris : Flammarion,1984, 366 pp. Collection : Champs.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
12/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 12
[7]
MYTHE ET MTAPHYSIQUE.introduction la philosophie
INTRODUCTION
Retour la table des matires
La pense philosophique, dans la mesure mme o elle s'efforcevers
la rationalit, justifie chacune de ses affirmations selon les
nor-mes de l'intelligibilit logique. Toute doctrine se prsente
ainsi comme
un corps de vrits abstraites, valables en dehors de l'espace et
dutemps. Chaque systme recommence pour son compte l'entreprise dela
raison, et prtend d'ailleurs, pour son compte, l'achever. Il
fournitun point de vue absolu sur la totalit du rel.
Il y a l une sorte de paradoxe. La rflexion philosophique -
bienqu'elle se veuille indpendante de l'histoire, ou matresse, le
caschant, d'un secret qui donne la clef de l'histoire, comme il
arrivechez Hegel ou chez Marx - apparat pourtant dans le mouvement
del'histoire. La pense la plus novatrice a des antcdents, non
seule-ment ceux qu'elle reconnat parfois, mais aussi d'autres, plus
surpre-nants, que l'on dcouvre aprs coup. Il y a un thomisme de
Descarteset un intellectualisme de Bergson. D'autre part, en dpit
de ses prten-tions, une pense n'arrte pas l'histoire. Elle est un
moment de l'histoi-re. Et le fait qu'apparaissent toujours de
nouvelles philosophies prouvebien que toute doctrine vaut dans un
certain horizon. mesure quechangent, avec le temps, les
circonstances et les situations, de nouvel-
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
13/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 13
les justifications en ide s'avrent ncessaires et de nouvelles
doctri-nes se manifestent. Aucune philosophie n'a jamais pu mettre
fin laphilosophie ; et pourtant c'est l le vu secret de toute
philosophie.
Toute philosophie a donc un pass et un avenir dont les
dimensionspsent sur sa ralit prsente. La polarit de l'avenir, bien
que trs r-elle, demeure mystrieuse et ne sera rvle qu'ensuite, dans
la pers-pective [8] d'une rtrospection, l'historien des temps
futurs. Aucontraire, l'influence du pass se lit comme en filigrane
dans le mes-sage de toute doctrine nouvelle. Nous sommes habitus,
en face d'unepense, rechercher ses origines. Seulement, d'une
manire gnrale,cette recherche procde d'une gnration la gnration
prcdente ets'arrte lorsque cesse toute filiation intelligible,
lorsque les thmes etles structures de pense paraissent ne plus
prsenter de commune me-sure.
On peut nanmoins concevoir une recherche d'un type plus
gnralqui, par del les origines de telle ou telle philosophie,
s'intresseraitaux origines de la philosophie elle-mme. Autrement
dit, le dvelop-pement de la pense doctrinale a lui-mme ses
antcdents. Il y a uneprhistoire avant cette histoire ; et l'on peut
admettre sans grand risqued'erreur que le mouvement de la raison
raisonnante porte d'une mani-re ou d'une autre la marque de son
hrdit pr-rationnelle. Nous vou-drions procder ici un examen des
origines de la pense rflchie.Notre travail se prsente donc comme
une introduction l'ontologie. Ilse donne pour tche de montrer
comment les problmes de la philoso-phie traditionnelle se sont
dgags peu peu d'une premire saisietotalitaire du monde, o l'univers
du discours adhrait encore la r-alit des choses. La conscience
philosophique est ne de la consciencemythique, dont elle s'est
dgage lentement, par l rupture d'un quili-bre o se trouvait
atteinte une harmonie dsormais perdue jamais. Laphilosophie
conservera d'ailleurs la nostalgie de ses origines. Elle vise la
restauration de l'ordre originaire. La conscience mythique,
refou-
le, n'est pas morte. Elle s'affirme chez les philosophes
eux-mmes etsa persistance secrte anime peut-tre leur entreprise
dans ce qu'elle ade meilleur. Il ne s'agit donc pas pour nous d'une
simple archologiede la raison. L'intrt pour le pass n'est ici
qu'une forme de la proc-cupation de l'actuel.
C'est pourquoi ce livre constitue en fait une critique de la loi
destrois tats, dfinie par Comte, en vertu de laquelle l'humanit
passerait
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
14/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 14
d'une manire continue de l'ge thologique l'ge mtaphysique,puis
l'ge positif. Cette philosophie de l'esprit devait se retrouverchez
Lvy-Brhl, dans la majeure partie de son uvre publie, et chez
Lon Brunschvicg, dans la doctrine des Ages de l'Intelligence. Le
butde ce travail, la lumire des dveloppements rcents de
l'ethnologieet de la pense existentielle, est de faire apparatre
l'insuffisance de ceschma - et de proposer, au lieu de la lecture
en discontinuit, une lec-ture en continuit du progrs de la pense
humaine.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
15/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 15
[9]
MYTHE ET MTAPHYSIQUE.introduction la philosophie
Premire partie
LA CONSCIENCEMYTHIQUE
Retour la table des matires
[10]
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
16/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 16
[11]
Premire partie.LA CONSCIENCE MYTHIQUE
Chapitre I
La conscience mythiquecomme structure de ltre
dans le monde
Retour la table des matires
Le temps des mythes, prhistoire de la philosophie, c'est le
tempso le mythe rgne sans partage et donc le temps o il n'est pas
reconnucomme tel. La conscience humaine s'affirme ds l'origine
structured'univers. C'est pourquoi, si nous voulons atteindre le
sens du mythe,il serait maladroit de partir d'une collection, d'une
encyclopdie my-thologique. La mythologie rassemble en effet des
mythes de tous geset de toutes origines, dtachs de leur contexte
vcu, c'est--dire dna-turs. L'entreprise mme d'une mythologie est le
fait d'une poque
postrieure. Elle traduit une initiative rflchie, un dsir de
systmati-sation auquel l'homme de l'ge mythique demeure encore
tranger.Pour lui le mythe n'est pas un mythe, il est la vrit
mme.
Le mythe est li la premire connaissance que l'homme acquiertde
lui-mme et de son environnement ; davantage encore, il est
lastructure de cette connaissance. Il n'y a pas pour le primitif
deux ima-ges du monde, l'une objective , relle et l'autre mythique
,
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
17/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 17
mais une lecture unique du paysage. L'homme s'affirme en
affirmantune dimension nouvelle du rel, un nouvel ordre manifest
par l'mer-gence de la conscience.
L'homme intervient dans la nature comme un tre qui la dpasse
etqui remet tout en question. La plante, la bte adhrent au monde
plusou moins troitement. Ils en font partie. Au contraire, pour
l'homme,le lien d'adhrence se dtend par l'lasticit de possibilits
indfinies.Dcrochage matriel amplifi encore par une possibilit de
survol etde [12] mmoire. La pense, mme rudimentaire, reprsente
pourl'homme un moyen d'action efficace : elle permet la prvision,
ellesuscite la technique. Le monde, qui jusque-l n'avait pas de
sens,prend un sens. La conscience mythique est structure de cette
distanceprise, de ce jeu, entre l'homme et le monde. Elle rpond
donc unefonction vitale au moment de cette nouvelle cration du
monde parl'homme, au moment o la gologie cde le pas l'histoire. Il
ne s'agitpas seulement de prendre les mesures en vue d'une
gographie humai-ne ; il ne s'agit pas de mettre en forme une
cosmologie dsintresse ;il s'agit d'enraciner l'homme dans la
nature, de garantir son existenceconstamment expose l'inscurit, la
souffrance et la mort.
La vie primitive en sa simplicit apparat faussement au
civiliscomme l'amiti de l'homme avec une nature prochaine, que les
techni-ques n'ont pas encore transforme en un nouvel univers
complexe etabsurde. Le bon sauvage fait rver, de Rousseau et
Diderot Melvilleet D. H. Lawrence, une sorte de retour au sein
maternel de l'univers.En fait, ds les origines humaines, l'harmonie
est dj rompue. L'actede naissance de l'humanit correspond une
rupture avec l'horizonimmdiat. L'homme n'a jamais connu l'innocence
d'une vie sans flu-re. Il y a un pch originel de l'existence.
Le mythe gardera toujours le sens d'une vise vers l'intgrit
per-due, et comme d'une intention restitutive. Il faut rsoudre des
ques-tions vitales : assurer par exemple la subsistance selon les
saisons, en
mettant daccord la bonne et la mauvaise, le beau temps et le
mauvaistemps, raliser la protection du groupe humain contre les
intempries,les btes sauvages et les autres groupes concurrents ou
ennemis. Lemaintien de l'existence exige la poursuite d'un quilibre
fragile et me-nac, dont la moindre rupture impose des pnalits
svres. Inscuritontologique, gnratrice d'angoisse, comme si la vie
mme de l'hom-me correspondait une transgression de l'ordre naturel.
Au sein de
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
18/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 18
cette premire existence en proie au monde, le mythe s'affirme
commeune conduite de retour l'ordre. Il intervient comme un
prototyped'quilibration de l'univers, comme un formulaire de
rintgration.
L'animal n'est jamais en faute. Il est l o il est. Son tre dans
lemonde demeure limit l'horizon matriel. Le rgime mme de sa vieet
de sa mort parait soud aux rythmes de la nature. L'ouverture, par
laconscience humaine, d'indfinies possibilits entrane la
dissociation,du possible et du rel, qui concidaient peu prs chez
l'animal. Chezl'homme, le possible prend le pas sur le rel ;
largissant indfiniment[13] le paysage, il maintient la nostalgie
d'une expansion suprieurede l'tre. Ainsi se ralise en permanence
une transfiguration de l'hori-zon naturel. L'habitat humain prend
forme mentale. La consciencemythique permet la constitution d'une
enveloppe protectrice l'int-rieur de laquelle l'homme trouve son
lieu dans l'univers.
Cette signification vitale du mythe, assurance sur la vie,
assurancedans la vie, conjuration de l'angoisse et de la mort,
explique sa vivecoloration affective. Sans doute la conscience
mythique se dveloppeen reprsentations, en recettes techniques. Mais
elle est d'abord uneambiance de sentiment, correspondant la
recherche des satisfactionsexiges par les besoins humains
fondamentaux. Ce sont ici les instinc-ts qui commandent : instincts
de vie, instinct alimentaire, instinctsexuel. Les structures
mythiques expriment un premier tat des va-leurs, adhrentes encore
aux vections biologiques constitutives del'tre dans le monde. Sans
doute s'bauchent dj les premires subli-mations dont le dveloppement
fera natre la civilisation ; mais ce nesont encore que rudiments et
bauches, lointaines promesses d'avenir.
Ainsi apparat d'emble l'erreur fondamentale de
l'interprtationtraditionnelle qui considre le mythe comme une sorte
de lgende, unrcit d'vnements fabuleux, reclant d'ailleurs en soi
une doctrineplus ou moins rudimentaire. Le savant de cabinet ne
pouvait en effetapprocher les mythes que sous forme de tmoignages
oraux transmis
par les enquteurs contemporains ou les annalistes anciens le
mytheapparaissait ncessairement comme une pense, dont l'intention
sem-blait lie la vie de tel ou tel groupe humain. La fonction mme
decette pense en faisait l'quivalent d'une thologie ou d'une
philoso-phie l'tat fruste. On cherchait alors l'origine de ce type
primitifd'explication selon diverses perspectives d'intelligibilit
dont chacunepermettait de rduire les mythes l'unit, de dchiffrer
leur secret.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
19/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 19
L'vhmrisme, la plus ancienne de ces interprtations, voyait dans
lemythe la transcription fabuleuse d'vnements anciens et de
personna-ges historique. La thorie naturaliste, que dfendait
brillamment Max
Mller, admettait que la mythologie doit sa naissance une
concep-tion la fois potique et philosophique de la nature et de ses
phno-mnes les, plus saillants 1
Mais ces interprtations d'ensemble, toujours soutenues par
desexemples concluants, s'avraient pourtant finalement incapables
d'as-sumer l'norme diversit des faits. J. G. Frazer, arm dune
prodigieu-se rudition, essayait de s'en tirer en admettant la fois
les thoriesconcurrentes. Les personnages qui figurent dans toutes
les merveil-leuses histoires de la mythologie, crivait-il, ont trs
bien pu tre descratures humaines, comme l'allguent les vhmristes ;
cependantils peuvent parfaitement avoir t, en mme temps, des
personnifica-tions d'objets ou de phnomnes naturels, comme le
soutiennent lesadversaires de l'vhmrisme
. Le systme des mythes solaires, qui eutson heure de succs,
retrouvait dans tous les mythes une traduction dela course
journalire et annuelle du soleil. Puis on prfra lier la my-thologie
[14] l'agriculture, et y voir l'expression et la justification
desrythmes de l'activit paysanne.
2
Max Mller lui-mme l'avait fort bien compris : toute
mythologiesystmatique suppose un contre-sens fondamental. En
essayant, no-tait-il en 1897, de dbrouiller l'norme fonds
mythologique transmisd'ge en ge par la tradition, on a souvent eu
le grand tort de le regar-der comme un systme, un ensemble ordonn,
organis, construit detoutes pices sur un plan prconu, alors qu'il
n'est qu'un concoursd'atomes, un agrgat de concepts qui s'taient
choqus en tous sens
avant de se cristalliser sous une forme quelque peu
harmonique
. Mais l'addition de deux thories in-compltes ne suffit pas
fournir une thorie vraie. L'erreur est peut-tre justement de
vouloir parvenir une thorie, de prtendre raliser
une unit en ide dans un domaine o l'initiative n'appartient pas
lapense discursive.
3
1 MaxMller,Nouvelles tudes de Mythologie, trad. Job. Alcan.
1898. p. 39.
.En fait, les thoriciens mmes qui veulent voir dans le mythe
l'uvre
2 J.-G. Frazer,L'homme, Dieu et l'immortalit, trad. Sayn,
Geuthner, 1928, p.202.
3 Max Mller, Nouvelles Etudes de Mythologie, p. 76
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
20/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 20
d'une pense unitaire sont obligs de reconnatre que cette
pensesemble chapper toute perspective d'ensemble.
Lucien Lvy-Brhl, frapp par cet aspect fluide et inconsistant
nos yeux de la pense primitive, devait dsigner ce caractre par
lemot mystique dans ses tudes sur la mentalit des primitifs,
pu-blies partir de 1910. On sait que cette pense apparaissait
Lvy-Brhl comme essentiellement prlogique, et donc diffrente, de par
saconstitution intrinsque, de la pense des hommes d'aujourd'hui.
L'ad-jectif mystique dsignait un rgime de reprsentation qui ne
sesoumet pas encore au contrle de la raison claire par la
disciplinedes sciences positives. Sans doute, il y a l un progrs,
la reconnais-sance d'une originalit radicale de la conscience
mythique, dont ondoit dsormais [15] admettre, semble-t-il,
qu'aucune lucidation intel-lectuelle ne la rendra tout fait
transparente. Mais le mythe demeureencore essentiellement une
pense, il se dploie dans l'ordre de laconnaissance discursive. Dans
son livre de 1910, Lvy-Brhl prsenteen effet l'hypothse que les
mythes seraient des produits de la men-talit primitive qui
apparaissent quand elle s'efforce de raliser uneparticipation qui
n'est plus sentie comme immdiate, quand elle a re-cours des
intermdiaires, des vhicules destins assurer unecommunion qui n'est
plus vcue 4. Le mythe tel qu'il est recueilli parl'observateur
suppose donc un dcalage entre le rcit et la ralit v-
cue. Le principal, notait dj Lvy-Brhl, ne se raconte pas : ce
quioccupe l'attention du primitif, ce qui provoque ses motions, ce
sontles lments mystiques qui enveloppent le contenu positif du
my-the 5. Au bout du compte, nous appelons mythe la carcasse
indif-frente qui subsiste, ces lments une fois vapors 6
On ne saurait mieux dire que le mythe-rcit, apparent au conte ou
la lgende, lment pour les mythologies, ne reprsente plus
qu'uneforme tardive et dgnre, comme fossilise, du mythe vivant et
effi-cace. Le moment ultrieur de la recherche consistera ds lors
s'effor-
cer de ressaisir l'actualit du mythe l'tat naissant. Tel a t le
sensdes tudes rcentes, remontant du sous-produit plus ou moins
dnatur
.
4 Lvy-Brhl,LesFonctions mentales dans les socits
infrieures,Alcan, 98d., 1928, p. 434.
5 Ibid., p. 435.6 Ibid., p. 436.
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fonhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fonhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fonhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fonhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fonhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.fon
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
21/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 21
l'activit dont il tire sa lointaine origine. Le progrs a consist
pas-ser de la conception du mythe comme contenu, comme narration
etthorie, celle du mythe comme forme, comme structure
dexistence~
L'tymologie mme du mot (muthos : parole) porte la marque
d'unepoque o l'intellectualisme grec a dj rduit la mentalit
primitive.En fait, si le mythe peut s'exprimer au niveau du
langage, il estdabord une parole qui circonscrit et fixe un vnement
7, commedit Van der Leeuw, une forme essentielle d'orientation, une
forme dela pense, mieux encore, une forme de la vie 8. M.
Leenhardt, de sonct, insiste sur la notion de comportement mythique
. Le mytheconstitue, selon lui, un lment primitif et structural de
la mentali-t 9. Et M. Leenhardt, rejetant ainsi l'intellectualisme
latent des re-cherches [16] antrieures, ajoute : le mythe est senti
et vcu avant
d'tre intellig et formul. Il est la parole, la figure, le geste,
qui cir-conscrit l'vnement au cur de l'homme, motif comme un
enfant,avant que d'tre rcit fix 10
Retrouv dans son contexte vcu, le mythe s'affirme donc commela
forme spontane de l'tre dans le monde. Non pas thorie ou doctri-ne,
mais saisie des choses, des tres et de soi, conduites et
attitudes,insertion de l'homme dans la ralit. Pour prendre un
exemple simple,le Canaque, lorsqu'il est dsireux d'un objet, dira :
cet objet me ti-re . Il agit d'ailleurs en cette circonstance comme
l'enfant, qui retrou-
ve ce comportement archaque lorsqu'il frappe le meuble contre
lequelil s'est heurt. Le geste de l'enfant, dans sa spontanit, met
en oeuvrel'affirmation : cet objet m'a fait mal . L'identit
d'attitude entre lepetit enfant et le primitif montre bien qu'on
aurait tort de supposerchez le Canaque une doctrine mise en forme
plus ou moins intelligi-ble. L'enfant qui frappe le meuble n'agit
pas en vertu d'une thorie. Ils'agit l pour lui d'une manire
d'affirmer, de jouer la ralit. La cons-cience mythique donne
directement un chiffre de la nature, elle dessi-ne le paysage dans
sa prsence la plus immdiate. M. Leenhardt a in-gnieusement relev la
persistance de cette lecture mythique du mon-de dans certains
termes de notre langage. Le seul vocabulaire monta-
.
7 Van der Leeuw, L'homme primitif et la Religion, trad.
franaise, Alcan,1940, p. 131.
8 Ibid., p. 134.9 Maurice Leenhardt,Do Kamo, N.R.F., 1947, p.
2-17.10 Ibid.,p. 248-249.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
22/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 22
gnard nous offre en effet des mots comme : tte, couronne,
dent,gorge, col, mamelon, flanc, cte, dos, croupe, cule, pied,
ossature,etc. 11
Au primitif la montagne apparat, sans allgorie, comme un
vivant.Une vision d'unit impose la forme humaine la totalit de
l'Univers,sans que l'on puisse parler ici de fabulation ou
d'anthropomorphismevolontaire. Le primitif reconnat l'environnement
la mme ralitqu'il s'accorde lui-mme. Son exprience est affrontement
vivant. Lephilosophe moderne, imaginant le primitif sur son propre
modle, luiprtera une attitude systmatique, et comme une philosophie
l'tatfruste. Le Canaque tir par l'objet obit, dira-t-on, la loi de
par-ticipation. Et l'on peut imaginer, en son nom, une logique de
la parti-cipation, caractrise par le fait qu'elle demeure
inconsciente chez ce-lui-l mme qui la [17] met en oeuvre, et que
d'ailleurs elle corres-pond l'absence totale de tout ce que nous
entendons par logique .Auparavant, on avait essay de schmatiser la
mme exprience sousles espces de la doctrine animiste : elle
supposait une cosmologie etune mtaphysique, diffusant travers
l'univers une puissance imper-sonnelle qui animerait les pierres,
les plantes, les toiles et les ani-
maux, donnant ainsi occasion aux techniques de la magie destines
capter et incliner favorablement ces forces parses. De mme le
to-tmisme, associant le groupe humain telle ou telle espce vgtaleou
animale, met en forme cette mme saisie originaire du monde
parl'homme primitif.
. Nous avons cess de voir les montagnes comme autant de
gants. Mais nos mots retiennent inconsciemment les paves
fossili-ses d'une vision du monde disparue, ou vide de sa puissance
directeet devenue simplement allgorique.
Participation, animisme, totmisme se justifient des degrs
diverscomme descriptions, comme essais de comprhension de
l'exprienceconcrte. Mais ces interprtations concurrentes prsentent
toutes ledfaut de se vouloir des rductions, des lucidations de ce
moment de
vie qu'elles dsignent. Dans le comportement du Canaque tir
parl'objet, il y a plus et moins qu'une thorie philosophique. La
conscien-ce mythique ne procde pas non plus en fonction d'un simple
ralismedu dsir, oppos tout idalisme intellectuel. L'ontologie vcue
dans
11 M. Leenhardt, La Religion des peuples archaques actuels, dans
: Histoiregnrale des Religions, Quillet, d., t. 1, p. 114.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
23/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 23
le mythe est pralable toute dissociation. L'homme moderne
voluest l'hritier d'une longue tradition qui a dsintgr pour
connatre.Pour notre esprit, la troisime personne en son objectivit
s'oppose
la seconde et la premire. Dans l'homme mme, nous savons
distin-guer des rgimes de pense et de vie, l'intelligence ayant
ralis sondivorce d'avec les instincts et les sentiments, l'homo
faber se situantpar rapport l'homo conomicus, l'homme religieux, a
l'homme po-litique ; le sujet rationnel, l'individu social prenant
ses distances enface de la personne concrte.
Pour notre pense ainsi structure, la conscience mythique
brouilletous les ordres, et l'ide mme de participation n'est
peut-tre, cetgard, qu'une raction de civilis devant cette confusion
gnralise.Nous avons peine nous dfaire de l'impression que le
primitif nejoue pas correctement le jeu de la connaissance;
exactement commel'adulte juge puriles , enfantines , avec une
nuance de condes-cendance, les penses et les conduites de l'enfant.
C'est nous, en lacirconstance, qui faisons preuve d'gocentrisme. Il
faut au contraireaccepter la conscience mythique comme une
affirmation totalitaire. Sile mythe correspond une catgorie, la
seule qui lui convienne seraitcelle de la totalit concrte, ou
encore celle de l'identit radicale, del'unit ontologique. Toute la
ralit s'inscrit dans un seul ordre, elle sedveloppe selon un
dynamisme [18] commun qui s'inscrit en elle
comme une circulation de vie et d'intelligibilit. La conscience
mythi-que affirme un monde l'tat pteux, dans sa premire cohsion et
sacoalescence. Les articulations du langage, de la technique et de
lapense n'entament pas la masse. Elles dsignent, bien plutt
qu'ellesn'analysent, cette premire image d'un monde dont la
plnitude setrouve prserve. Non que la pense ait ainsi moins de
prise sur lemonde. Au contraire, la mdiation tant peine esquisse,
la pensese trouve en prise directe avec la ralit.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
24/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 24
[19]
Premire partie.LA CONSCIENCE MYTHIQUE
Chapitre II
L'exprience mythiquecomme liturgie de rptition
Retour la table des matires
Si l'affirmation premire de l'homme le spare du monde, il
semble
donc que la conscience mythique ait pour fonction de le
rintgrerdans l'univers. Ex-sistence signifie scession. Mais la
conscience my-thique opre la runion en donnant la ralit un sens
humain. Lesmythes dessinent une image du monde en rciprocit avec
une mesurepremire de l'homme. Mesure et non pas dmesure. D'o
l'erreur decertains savants, tels Frazer ou Loisy, critiquant les
mythes et les r-prouvant au nom d'un positivisme dans la tradition
du XIXe sicle, Enfait, le mythe a pour fonction de rendre la vie
possible. Il donne auxsocits humaines leur assiette et leur permet
de durer. Un ensemblemythique incompatible avec le maintien de la
vie se condamnerait lui-mme. C'est--dire que les systmes mythiques
en apparence pournous les plus inhumains, ceux par exemple des
Mexicains avec leursrituels de sacrifice, ou ceux des tribus
cannibales d'Afrique oud'Ocanie, devaient nanmoins prserver une
possibilit d'existence etcomme un secret de vie, que nos
investigations rtrospectives teintesd'humanitarisme ne nous
permettent pas toujours de retrouver.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
25/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 25
Davantage encore, il faut reconnatre que le mythe ne constitue
pasun abandon pur et simple une pense fabulatrice et gratuite
analogue celle du rve ou de la posie. Le mythe ne se situe pas en
dehors du
rel, puisqu'il se prsente comme une forme d'tablissement dans
lerel. Il formule un ensemble de rgles prcises pour la pense et
pourl'action. Si l'observateur moderne s'y trouve souvent perdu,
l'indigne,pour sa [20] part, y est bien orient et peut y voluer
avec aisance,tandis qu'au contraire le nouveau milieu de la
technique occidentalelui est un perptuel objet de scandale.
Loin d'tre dristique, le mythe constitue un formulaire ou
unestylistique du comportement humain dans son insertion parmi les
cho-ses. La philosophie s'efforce de redoubler le monde. Elle
constitue unmonde en ide. Le mythe demeure fleur d'existence. Il
est par essen-ce une pense non dprise des choses, encore
demi-incarne. Le motadhre a la chose ; le nom ne dsigne pas
seulement, il est l'tre m-me. Ainsi le mythe ne se suffit pas, ne
se ferme pas sur soi. Il est tou-jours relatif un contexte
existentiel, troitement appuy et commeintgr au paysage qu'il a pour
fonction de mettre en place. C'estpourquoi ce rgime de pense droute
l'observateur qui s'attend trouver une dimension autonome, et se
heurte trs vite des lacunesdans l'information, des obscurits et des
contradictions, o il croitsouvent dcouvrir des rticences. En fait,
ce n'est pas le primitif inter-
rog qui se drobe, mais la matire mme de l'enqute qui se
refuse,par sa constitution, entrer dans les cadres prpars pour son
enregis-trement.
La reprise du mythe par l'intelligence, sa transcription
rflchielaisse donc chapper l'essentiel, dans la mesure o elle
dtache le my-the de la situation, lui confrant ainsi une autonomie
en pense qui lednature. La conscience mythique suscite une pense
engage, qu'onne peut dgager sans la fausser. Nous avons aujourd'hui
le sens d'une
pense pour la pense, quoi le primitif demeure compltement
tranger, Par un renversement de la perspective trop souvent
admise,on pourrait donc dire que la pense rflchie est, elle,
dristique,alors que la pense mythique est par excellence une pense
incarne.Mme, on peut estimer que notre civilisation souffre d'une
sorte dedlire technique, les dveloppements de la science rompant de
plus enplus avec les ralits et les possibilits naturelles. Il y a
un dcalagegrandissant entre la condition de l'homme et sa puissance
technique.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
26/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 26
Cette puissance finit par nous exiler d'un monde dsormais trop
res-treint. Comme si les recherches de nos savants et les crations
de nosingnieurs nous avaient fait perdre la mesure humaine. On
pourrait
parler d'une authentique fabulation matrielle, les mcanismes de
lapuissance se librant peu prs de tout contrle et vouant
l'humanitaux fantasmagories de la guerre, de l'Etat totalitaire et
du systmeconcentrationnaire.
Par ailleurs, l'adhrence au rel, caractristique du mythe,
empchede voir en lui quelque degr que ce soit une transposition ou
une al-lgorie, [21] la personnification par exemple des forces
naturelles oula parabole d'un systme du monde. L'allgorie suppose
en effet lapossibilit d'un double jeu de la conscience et comme
d'une doublelecture de l'univers. Fontenelle dnonait dans les
mythes les artificesde prtres intresss maintenir les hommes dans
l'ignorance. Lesmythologues du XIXe sicle y voyaient l'expression
consciemmentrecherche d'une conception du monde. Toutes ces
interprtationssupposent le primitif capable d'oprer la dissociation
entre un relobjectif et une surralit mythique, venant comme se
surajouter laralit brute des choses. Or le caractre essentiel de
l'exprience my-thique est de mettre en uvre une ralit
indissociable. Il n'y a pasd'opposition entre la nature et une
surnature. C'est justement ce quicondamne l'interprtation
naturaliste des mythes. En aucun cas, crit
M. Eliade, le mythe ne peut tre tenu pour la simple projection
fantas-tique d'un vnement naturel . Sur le plan de l'exprience
magico-religieuse (...), la Nature n'est jamais naturelle 12
L'imagerie mythologique est donc le fruit d'une dgradation de
laconscience mythique. Mme Marie Delcourt, spcialiste de la
religiongrecque, l'indique trs nettement : Dans les superstitions
populaires,l'activit fabulatrice augmente mesure que la conviction
diminue. On
En fait, les my-thes ne deviennent symboles que lorsque vient le
temps des potes etdes penseurs, aux yeux desquels vrit et allgorie
se trouvent disso-cies. cette poque tardive, il entre dans le mythe
une intention dejeu. L'homme se redonne le monde en pense et la
fonction fabulatricese trouve comme dcroche par rapport au rel. Au
contraire, pour leprimitif, la conscience mythique imprime
directement son sens au relvcu, sans que soit possible la moindre
ambigit.
12 Eliade, Trait d'Histoire des Religions, Payot, 1949, p.
363.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
27/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 27
justifie une pratique par un rcit partir du moment o l'esprit
est as-sez libr pour s'interroger sur elle et s'aviser qu'elle a
besoin d'uneexplication. Ds lors, on peut entrevoir le jour o la
pratique elle-
mme aura disparu, tandis qu'on se souviendra encore de
l'anecdote,laquelle, si elle a eu la chance d'tre raconte par un
grand pote, seradans l'intervalle devenue immortelle 13
Schelling avait d'ailleurs dj trs fortement senti que
l'essentiel,dans le mythe, tait le sens direct. Les reprsentations
mythologi-ques, crivait-il, n'ont t ni inventes, ni librement
acceptes. Pro-duits d'un [22] processus indpendant de la pense et
de la volont,elles taient, pour la conscience qui les subissait,
dune ralit in-contestable et irrfutable. Peuples et individus ne
sont que des instru-ments de ce processus qui dpasse leur horizon
et qu'ils servent sans lecomprendre
.
14. Schelling prconisait donc dj, dans l'tude du my-the, le
retour de l'image au sens. La signification de la
mythologie,disait-il expressment, ne peut tre que celle du
processus la suiteduquel elle nat 15. Il soutenait ainsi la ncessit
d'une interprta-tion littrale de la mythologie : il faut la
comprendre telle qu'elles'exprime, comme si rien d'autre n'avait t
sous-entendu, comme sielle ne disait que ce qu'elle dit 16
L'intuition gniale du philosophe romantique dfinit ici
parfaite-ment le caractre existentiel de la conscience mythique,
indivisible-ment prsence soi et prsence au monde, unit originaire
de la cons-cience et du monde, pralable au divorce de la rflexion
qui est d-doublement avant d'tre enrichissement. Les vues pntrantes
de
. Et Schelling oppose alors la pen-se allgorique des modernes la
pense tautgorique, celle justementqui ne renvoie pas autre chose
qu'elle mme, celle qui ne connat pas
ce jeu de miroirs o se rpercute et se multiplie la pense
dsincarneaprs son mancipation. La pense tautgorique n'a pas besoin
d'autrejustification parce qu'elle porte en soi sa fin en mme temps
que soncommencement.
13 Marie Delcourt,Lgendes et Cultes de Hros en Grce, P.U.F.,
1942, p. 4.14 Schelling,Introduction la Philosophie de la
Mythologie, VIlleleon, trad.
Janklvitch, Aubier, 1945, t. I, p. 235, Cf. p. 239 : la premire
consciencerelle tait dj, comme telle, mythologique .
15 Ibid., p. 236.16 Ibid.,p. 237-238.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
28/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 28
Schelling paraissent tout fait justifies. Elles donnent
aujourd'hui ledernier tat de la question 17
La conscience mythique oriente l'action humaine en fonction
d'un
horizon dfini une fois pour toutes. C'est au travers du mythe
quel'Ocanien apprhende le monde
.
18
On savait, en fait, depuis longtemps que le mythe se distingue
dusimple rcit ou de la lgende en ce qu'il est li une action
religieuse, un rite. Un rite, selon la formule de Van der Leeuw,
est un mythe
en action
, crit M. Leenhardt. Le mythe etle monde ne sauraient tre
dissocis. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'unesimple lecture du
paysage, d'une attitude contemplative. L'homme se[23] comprend
lui-mme dans ce paysage mythique. Il y joue son rle.Forme de la
reprsentation, le mythe est aussi rgime de l'action.
19
En mme temps, d'ailleurs, le rite fait bnficier le fidle de
l'auto-rit, de l'efficacit de l'histoire mythique. Car le rite,
d'intention, rp-te le mythe dans le prsent. Alors que le jsus de
l'historien est mortdepuis trs longtemps, le Christ du fidle
demeure tout prs de lui,
. Le geste, le mot, l'attitude rituelle ne doivent pas
treconsidrs au dtail, comme un automatisme de la pit. Le rite est
unphnomne de premier plan qui s'inscrit sur l'arrire-plan du
mythe.Le rite vise le mythe ; on pourrait mme dire qu'il a la
puissance de lesusciter, ou tout au moins de le raffirmer. Le rite
est une manire deraconter cette histoire, qui n'est pas une
histoire, avec le corps et lesmains, de s'incorporer en elle et
ensemble de la rincarner sur la terredes hommes. Le signe de la
croix prolonge et actualise pour le fidlel'histoire et le sacrifice
du Christ.
17 Dans un fragment desDisciples de Sas (1798), Novalis
esquisse, semble-t-il, une interprtation du mythe qui prfigure
celle de Schelling : Nouspouvons considrer les opinions de nos
anctres au sujet des choses naturel-les comme un produit ncessaire
, comme le reflet direct de l'tat de la Natu-re terrestre cette
poque, et c'est d'aprs eux, comme l'aide des instru-
ments les plus propres l'observation de l'univers, que nous
pourrons ddui-re avec certitude la relation fondamentale de
l'Univers, je veux dire del'Univers ses habitants et de ses
habitants lUnivers (trad. G. Bianquis,dansNovalis, Petits crits,
Aubier, 1947, p. 189-191). Le mythe est comprisici comme la formule
d'tablissement de l'tre dans le monde.
18 Maurice Leenhardt,Arts de l'Ocanie, ditions du Chne, 1947, p.
129.19 Van der Leeuw, L'homme primitif et la Religion, trad.
franaise, Alcan,
1940, p. 120.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
29/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 29
porte de cette main qui fait le signe sacr. L'action rituelle
ralisedonc, dans l'immdiat, une transcendance vcue. L'individu
quotidienaccde ainsi une surralit qui le transfigure lui-mme et
transfigure
le cadre de sa vie. Le rite prend le sens d'une action
essentielle et pri-mordiale, par la rfrence qu'il institue du
profane au sacr. Mais, ausurplus, l'homme d' prsent reconnat
implicitement la diffrence en-tre le monde quotidien, dsacralis, et
la surralit religieuse. Aucontraire la conscience mythique se situe
avant le ddoublement, elleralise sans cesse l'unit, la concidence
du rel et du vrai. La conduitedu primitif, toute entire soumise au
contrle du mythe, apparat ainsicomme un enchanement de rites. Tout
ce qui se passe est mythi-que 20
Il y a l un caractre essentiel de la conscience mythique. Le
com-portement catgorial du civilis lui permet de distribuer le rel
globaldans des cadres qui le dissocient et le rendent ainsi plus
maniable.Cette mise en forme assure la spcialisation de
l'existence, qui distin-gue entre le pass, le futur et le prsent,
entre le proche et le lointain,entre le sacr et le profane, entre
le positif et le fantastique, le rel etle dsirable, etc. [24] Il en
va autrement pour le primitif qui se situe aucur d'une ralit peu
prs indissociable. Il doit sans cesse agir enfonction de la
totalit, de l'infini donn, que, faute de structures abs-traites
appropries, il est incapable de tenir distance et d'aborder au
dtail.
, dit fortement Van der Leeuw.
Lvy-Brhl signalait cette attitude primitive propos de la
divina-tion, qui anticipe effectivement les rsultats qu'elle
escompte, alignantles pratiques rituelles et les bienfaits attendus
dans une simultanitvcue. L'action des puissances sacres parait au
primitif immdiate,au plein sens de ce mot. Elle s'exerce sans
intermdiaire, par cons-quent tout de suite, et l'vnement futur qui
sera produit par elle estdj vcu comme prsent . Le syncrtisme de la
spontanit primiti-ve nous parait ainsi confondre les perspectives
temporelles : Peu
importe, crit encore Lvy-Brhl, que l'vnement appartienne au
fu-tur ou au pass : il semble que, pour la mentalit primitive, le
champd'action des puissances mystiques constitue comme une catgorie
durel qui domine celles du temps et de l'espace, o les faits se
rangentncessairement pour nous. L'exprience primitive a des cadres
moins
20 L'homme primitif et la Religion, p. 105.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
30/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 30
rigides que la ntre, ce qui lui permet de loger dans la mme
ralitle visible et l'invisible, ce que nous appelons la nature et
le surnaturel,en un mot ce monde et l'autre 21
C'est la notion mme de ralit qui oppose l'exprience du primitif
la ntre. Le mythe dsigne un rgime de l'existence caractris par
lefait que ses structures ont une validit permanente, non pas
historique,pourrait-on dire, mais ontologique. Il ne suffit donc
pas de dire que lesmythes perptuent le souvenir d'vnements anciens,
qui se perdent,au besoin, dans la nuit des temps. Situer le mythe
dans le temps, ceserait le dpouiller de sa modalit existentielle.
Les vnements desmythes, disaient dj trs justement Hubert et Mauss,
se passent, sem-ble-t-il, hors du temps, ou, ce qui revient au mme,
dans l'tendue to-tale du temps
.
22
Le fait capital pour la comprhension de la conscience
mythiquesemble donc tre que le mythe, comme structure ontologique,
perp-tue une ralit donne. L'essentiel est dj l. Il n'y a pas besoin
del'inventer, [25] il faut et il suffit de le reprendre son compte.
Le my-the fournit le chiffre obligatoire de tout comportement. Un
mythe estun fait qui doit se rpter , note Van der Leeuw
. Il s'agit donc bien d'un temps transtemporel et quifait
autorit pour toute l'tendue du temps temporel. C'est le temps dela
prsence totale.
23. M. Mircea Eliade,qui a beaucoup insist sur ce point
essentiel, formule ainsi le principede la mtaphysique primitive :
Un objet ou un acte ne devient relque dans la mesure o il imite ou
rpte un archtype. Ainsi la ralits'acquiert exclusivement par
rptition ou participation ; tout ce quin'a pas un modle exemplaire
est dnu de sens , c'est--dire man-que de ralit 24
21 Lvy-Bruhl,
.
La Mentalit primitive,Alcan, 1922, p. 225-226.22 Hubert et
Mauss,tude sommaire sur la Reprsentation du Temps dans la
Religion et la Magie. Mlanges d'Histoire des Religions, Alcan,
1909, p.
192.23 L'homme primitif et la Religion, p. 105.24 Eliade,Le
Mythe de l'Eternel Retour,N.R.F. 1949, p. 63. Cf. Trait
d'Histoi-
re des Religions, Payot, 1949, p. 355 : Il faut s'habituer
dissocier la no-tion de mythe et celles de paroles, de fable ()
pour la rapprocherdes notions d' action sacre , de geste
significatif , d' vnement pri-mordial . Est mythique non seulement
tout ce qu'on raconte de certainsvnements qui se sont drouls et de
certains personnages qui ont vcu in
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.menhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.menhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.menhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.huh.mel4http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.men
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
31/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 31
M. Eliade ajoute que, de ce fait, l'ontologie primitive prsente
unestructure platonicienne. La formule est juste, condition de ne
jamaisoublier qu'il s'agit en fait d'une ontologie prrflexive,
beaucoup plus
radicale qu'elle ne parait dans la doctrine de Platon. Le systme
philo-sophique laisse la place libre pour la vie quotidienne. Aussi
bien, lessages seuls en ont-ils la rvlation. La masse des hommes,
demeursdans la caverne, peuvent vivre et mourir sans se douter de
ce primaten droit du vrai sur le rel, que met en lumire la doctrine
de la rmi-niscence. Le petit esclave duMnon apprend jamais que
savoir c'estse ressouvenir, mais tout le monde n'a pas, comme lui,
la chance derencontrer Socrate. Au contraire, l'ontologie primitive
est une ontolo-gie spontanment mise en action par la totalit des
individus. La doc-trine des Ides peut faire l'unit d'une socit des
sages, affranchis de
l'illusion quotidienne. L'exprience primitive de la rptition
fonde lacommunaut primitive unanime. Elle justifie l'existence de
chacun chaque moment.
Le mythe seul est principe de ralit. Seul, il autorise, il
donnel'tre. Lvy-Brhl y insiste juste titre dans sa Mythologie
primitive : Mme en dehors de tout intrt humain, les vnements de
notremonde actuel, les caractres physiques et moraux des tres qui y
vi-vent, et de ceux aussi que nous appelons inanims, comme les
pierres,les rochers, les fleuves, la mer, etc., leurs tendances,
leurs disposi-
tions , leurs modes habituels d'activit, bref tout ce qui
constituel'exprience quotidienne, doit d'tre ce qu'il est sa
participation avecles vnements et les [26] tres de la priode
mythique 25
Lvy-Brhl donne, d'aprs Williams, l'exemple des Elemas, peu-plade
du golfe de Papouasie. Bon nombre de leurs mythes ont poursujet de
longs voyages sur mer qui se sont bien termins, et ils four-
nissent ainsi des modles aux navigateurs actuels... qui eux
aussi arri-veront heureusement bon port puisqu'ils imiteront ce que
les anc-
. Le mythea formul une fois pour toutes le modle parfait de tout
tre dans lemonde. En sorte que la tche de l'homme consiste rejouer
le com-portement exemplaire des hros mythiques.
illo tempore, mais encore tout ce qui est dans un rapport direct
ou indirectavec de tels vnements et avec des personnages
primordiaux.
25 La Mythologie primitive,Alcan, 1935, p. 166.
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.mythttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.mythttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.myt
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
32/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 32
tres ont fait, d'aprs le mythe 26. Les mythes prescrivent des
proto-types de conduite efficaces non seulement pour la navigation,
maisaussi bien pour la pche, pour la guerre ou pour l'amour. On
peut dire
que la vie de la communaut dans son ensemble constitue comme une
mise en scne (la formule est de Lvy-Brhl) du mythe primordialqui a
fix une fois pour toutes les voies et moyens d'un fonctionne-ment
social bien rgl. Dans une expdition maritime, le commandant
devient, pour quelque temps, le hros mythique dont il a revtu
lecostume et les ornements, dont il a pris la coiffure, dont il
mime lesgestes. En l imitant ainsi, il participe de lui si
intimement qu'il nes'en distingue plus. Il estAori. Identification
d'autant plus compltequ'il porte le nom de ce hros, nom secret et
puissant, comme le my-the lui mme 27
On voit ici en quel sens les mythes sont bien principes de
ralitpour la vie humaine. Les mythes, note Van der Leeuw, sont la
vieprimitive mme. La vie primitive est une vie reprsentative. Agir
defaon primitive, c'est rexcuter l'acte originel
. L'homme qui fait la cour une femme reprend,
pour la conqurir, le rle et le nom de la lune, dont le mythe
fait leparadigme du sducteur. Le pcheur l'arc est le hros mythique,
sp-cialiste exemplaire de cette activit.
28
Cest pourquoi l'ge mythique de l'humanit, au moment o il r-gne
[27] sans partage, apparait comme l'ge de la Rptition. Le motde
rptition parait ici convenir mieux que celui d' ternel retour
,propos par M. Eliade dans ses belles tudes sur ce sujet. L'ide
deretour ternel implique un devenir circulaire du temps, une
successionde priodes dont l'alternance rgit la suite des ges. Le
retour ternel
suppose le temps. La pense primitive n'a pas encore pris
consciencedu temps ; elle en est comme affranchie. La rptition
signifie la raf-firmation du Mme. Le retour ternel ne peut que
viser l'identit du
. On pourrait dire,en somme, que l'essence mythique prcde
l'existence primitive, etseule la rend valable. Le groupe social
dans son ensemble se consacre
raliser une liturgie de rptition, chaque moment de chaque
exis-tence se conformant d'intention un rituel fix une fois pour
toutesdans le temps primordial.
26 Ibid.,p. 162.27 Ibid.,p. 163.28 Van der Leeuw, L'homme
primitif et la Religion, p. 124.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
33/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 33
Mme parmi la dispersion commenante de l'Autre ; l'unit y
apparaitdj menace. Historiquement d'ailleurs, la pense de l'ternel
retourapparat, dans les empires orientaux puis chez les Grecs,
comme une
systmatisation philosophique, caractristique d'une poque et
d'unecivilisation ou la mentalit prhistorique de l'ge mythique se
trouvedj dpasse.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
34/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 34
[28]
Premire partie.LA CONSCIENCE MYTHIQUE
Chapitre III
Les implications ontologiquesde la rptition
Retour la table des matires
La conduite primitive se ralise donc comme un vaste enchane-
ment de rites actualisant les mythes primordiaux. L'attitude
spontanedu primitif suppose de ce fait un certain nombre
d'implications mta-physiques. Tout d'abord il est essentiel de
noter que le monde de larptition est le monde de la cration
continue. La rptition assurela rintgration du temps humain dans le
temps primordial. C'est--dire que le temps actuel est toujours le
premier temps , le tempseschatologique o toutes choses
apparaissaient nouvelles. L'hommeprimitif est contemporain de la
cosmogonie. Il la rejoue, il contribue l'effectuer par sa
participation aux tres mythiques. L'excution cor-recte des rites
assure seule, chaque instant, la gense de l'univers etla bonne
marche des activits entreprises. Le primitif, dit Van derLeeuw, va
se promener pour que la nuit vienne. Et sa promenaden'est son tour
qu'une rplique d'une promenade originelle, que lepremier promeneur
a faite un jour dans le temps mythique 29
29 L'Homme primitif et la Religion, p. 124.
.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
35/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 35
L'apparition et la disparition de la vgtation, signale de son
ctEliade, ont toujours t senties, dans la perspective de
l'expriencemagico-religieuse, comme un signe de la cration
priodique du cos-
mos30
Il n'y a pas d'autre temps que le Grand Temps initial. Les
rituels desacrifice, en particulier, manifestent cette intention
profonde de parti-ciper la dangereuse cration mythique de
l'univers. Cette vise cos-mogonique [29] des conduites rituelles
donne l'activit humaine uncaractre ambigu. Elle n'est ni vraiment
active, ni vraiment passive, ausens o nous l'entendons. En effet,
le primitif ne peut rien ajouter deson cru la cration mythique. Le
monde est form, le monde estcomplet. Les techniques ratines sont un
don des dieux et ne laissentpas de place des inventions nouvelles.
On ne peut que refaire ce quia t fait une fois, dfinitivement, par
les tres mythiques. Mais cettepassivit totale s'accompagne pourtant
d'une efficacit relle. L'hom-me se trouve associ, par une
participation ncessaire, la liturgiecosmique. Si les rites ne sont
pas accomplis correctement, la lune nese lvera pas, il n'y aura pas
de printemps, la rcolte sera gte, lachasse infructueuse, la famine,
la maladie feront mourir les hommes etles femmes seront striles. Le
primitif ne peut rien commencer. Mais,pour lui, tout est toujours
recommencer. Il partage vraiment le poidsde la responsabilit
cosmique. Chez les Marind Anim de la Nouvelle-
Guine, selon un exemple cit par Lvy-Brhl, les cocotiers, ceque
rapporte le mythe, doivent leur origine aux crmonies majo :c'est
pourquoi aujourdhui les crmonies majo causent la fconditde ces
palmiers. Par consquent, si les crmonies majo n'ont pas
lieu,lesDema sont irrits, les palmiers et les autres arbres
fruitiers ne pro-duisent rien, les hommes tomberont malades et
mourront
.
31
Le mythe fournit donc le prototype de l'efficience humaine. Il
cor-respond un principe de causalit exemplaire, la fois technique
etspirituel. Comme le dit trs justement Van der Leeuw, la
mentalit
primitive ne dissocie pas nature et culture. Elle ne spare pas
un do-
.
30 Eliade, Trait d'Histoire des Religions, p. 363.31 Lvy-Brhl,La
Mythologie primitive,p. 160. Cf. ibid, p. 166 :pour que la
culture du tabac russisse chez les Karuks de Californie, il faut
que le Karuk soit en possession du mythe qui s'y rapporte, et qu'il
imite ce qu'a fait l'an-ctre ou le hros, en prononant les mmes
formules .
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.mythttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.mythttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.mythttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.myt
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
36/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 36
maine objectif o la ralit nous est donne telle quelle, et un
domaineo l'initiative humaine peut se manifester plus librement.
Dans l'exp-rience intgrale du primitif, le lever du soleil ou de la
lune sont des
vnements du mme ordre que le sort d'une bataille ou la
russitetechnique d'un bateau ou d'une case. Pour l'homme civilis,
la culturec'est l'homme ajout la nature, l'homme exerant un droit
de reprisesur l'univers et la faonnant son image pour mieux s'y
installer.L'homme du mythe, pour qui faire c'est toujours refaire,
ne connatqu'une ralit globale dont il n'a pas l'initiative
radicale, et en laquelles'associent troitement nature et
surnature.
[30]
On pourrait dire aussi bien que le mythe assure concurremment
des
fonctions que nous avons rparties entre des modes de pense
spcia-liss. Si le mythe ne distingue pas nature et culture, c'est
parce qu'ilcorrespond un geprhistorique de l'esprit humain. Une
socit quivit dans le Grand Espace et le Grand Temps est une socit
trangre l'histoire, dans la mesure o elle fixe son attention non
sur l'vne-ment, la nouveaut, l'indit, mais sur ce qui se rpte
toujours. Laconscience mythique aborde le rel au moyen d'un seul
systme ana-lyseur : elle ne peut accueillir la fois le stable et
l'accident. Une pen-se plus volue, au contraire, possde plusieurs
schmas de conden-sation pour mettre en forme son exprience. Elle
peut diriger l'atten-tion soit sur l'identique, sur ce qui
s'affirme toujours de mme tra-vers le temps, soit sur ce qui
change. La dtermination des ressem-blances, des constances, se
trouve, en gros, au principe de l'espritscientifique. Au contraire,
l'intrt pour les diffrences dans les hom-mes ou les vnements est le
propre de l'esprit historique, dimensionpropre de la culture, de
l'humanit, par opposition la nature.
Seulement notre pense n'est historique que dans la mesure o
ellea fix ses constances. La fonction de l'histoire, discipline du
change-ment, est en quelque sorte complmentaire de la fonction de
la scien-
ce, qui assure l'horizon, en fixant les stabilits
indispensables. Laconnaissance du devenir ainsi solidaire de la
connaissance de l'tre.Histoire et Science sont donc deux formes de
la reprsentation origi-nales qui se dveloppent toutes deux en mme
temps. Au contraire, laconscience mythique recouvre les domaines
indissocis de la scienceet de l'histoire. Il est d'ailleurs normal
que ce premier savoir anhistori-que se prsente comme une fonction
de stabilisation. L'histoire,
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
37/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 37
connaissance du devenir, nous prsente un horizon ouvert,
c'est--direinquitant. Mais l'homme recherche d'instinct des
structures fermes,qui lui soient des garanties contre l'vnement et
ses menaces. Grce
au mythe, l'insolite est ramen au coutumier : il se passe
toujours lamme chose, c'est--dire qu'il ne se passe rien. En tous
les sens dumot, le mythe est un principe de conservation pour le
groupe humain,qui ramne toute l'exprience possible un gigantesque
phnomnede dj vu. On pourrait dire, en reprenant le schma de
Meyerson,qu'il s'agit d'un principe d'identit appliqu au temps, et
qui assuredans tous les cas la prpondrance du Mme ontologique sur
l'Autrehistorique.
La mentalit mythique ainsi dfinie dpasse d'ailleurs trs
large-ment les cadres de la prhistoire au sens technique du terme.
Elle argn [31] sur l'univers entier, presque jusqu' nos jours, et
rgit enco-re l'exprience de la plus large part de l'humanit,
l'oppos de l'espritoccidental. E.-F. Gautier donne, dansMurs et
Coutumes des Musul-mans, un bon exemple de cette opposition. Les
services de propagan-de de Bonaparte en Egypte, pensant blouir des
populations arrires,imaginent un jour de lancer une montgolfire.
Certains chroniqueursarabes dalors nous apprennent que l'effet
obtenu fut peu prs nul.Les dmons trangers, rapportent-ils,
imaginrent de lancer contre leciel une sorte de monstre, qui
retomba bientt lamentablement. La
conscience mythique a facilement neutralis l'vnement insolite.
Onvoit trs bien s'affronter ici l'tat d'esprit moderne, dsireux de
jamaisvu, d'extraordinaire l'amricaine, -- et l'attitude primitive,
qui se m-fie de toute nouveaut, et l'affecte d'un jugement de
valeur dfavora-ble.
La science et l'histoire se dveloppent peu peu au dtriment
dumythe, et permettront un nouveau mode d'installation de
l'hommedans l'univers. Mais le mythe avait dj fourni une premire
solutionvalable puisqu'elle a permis l'espce humaine de subsister
pendant
des millnaires. Le mythe est une justification de l'existence ;
il fondele temporel sur l'intemporel et constitue un principe
d'intelligibilitsatisfaisant, pal le recours une priorit
ontologique, une vrit an-tcdente en valeur. Si l'on pose nos
catgories comme un absolu, onne peut que prendre sans cesse en
dfaut la mentalit primitive. Lvy-Brhl, critiquant le prjug
positiviste qui animait ses premiers tra-vaux, est parvenu la fin
de sa vie un mouvant examen de cons-
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
38/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 38
cience, consign dans ses Carnets posthumes. Le point de dpart
decette autocritique se trouve dans le fait que si invraisemblable
quecela nous paraisse, chez les primitifs , les mythes sont pris
pour des
histoires vraies 32
. Et Lvy-Brhl persiste se scandaliser de cettefacilit, si
dconcertante pour nous, admettre des ralits invraisem-blables,
absurdes, palpablement impossibles 33
On ne peut que s'tonner ici de l'tonnement du grand
espritqu'tait Lvy-Brhl, se demandant si opinitrement : Comment
peut-on tre Persan ? J'ai nglig, reconnait-il, avec une loyaut
tou-chante, de me demander si vraies du point de vue primitif
avaitbien le [32] mme sens que du ntre
.
34. Il rpond la question enaffirmant la nature bi-univoque de la
ralit primitive, la fois relle , au sens ordinaire o nous
l'entendons, et mystique .Ce double jeu de la pense primitive
expliquerait ainsi son incohren-ce. Il y aurait une sorte d'en soi
de l'exprience objective, en sa vrit,que le primitif fausserait
secondairement par sa saisie mystique del'vnement. L'exprience du
primitif, pour se produire, prsupposeun ensemble de croyances
traditionnelles qui vivent en lui 35
Mais chez nous aussi, l'ide de vrit historique recouvre en
ralitun systme complexe d'interprtation, une foule de rgles de
mthodo-logie et de critique, lentement labores travers le temps. Il
est ab-surde de prtendre, comme on l'a fait trop souvent, que le
primitif est impermable l'exprience . L'exprience n'est pas un
absolu. Elleest l'expression d'un ensemble d'ides et de jugements
de valeur. Il n'ya pas plus de fait brut dans ce domaine qu'il n'y
en a dans l'ordrescientifique, comme le montrait la critique clbre
de Duhem. Nouspensons que notre vrit est objective parce que
vrifiable. Mais lavrification s'inscrit dans le cadre d'un systme
pralablement dfini.Pour le primitif aussi, dans son systme, il y a
vrification. L'interpr-tation mythique est toujours vrifie par
l'vnement. M. Leenhardtconte par exemple l'histoire d'un lot du
Pacifique en proie une pi-
dmie ; on dcouvre un beau jour que le mal provient d'une
vieille
.
32 Carnets de Lucien Lvy-Brhl,publi par Maurice Leenhardt,
P.U.F., 1949,p. 193.
33 Ibid., p. 197.34 Ibid.,p. 193.35 Ibid.,p. 198.
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.carhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.carhttp://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.lel.car
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
39/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 39
pirogue choue sur un rocher pointu, irritant ainsi la dent d'un
dieu. La pirogue retire, l'pidmie cesse , note M. Leenhardt 36. Il
en esttoujours ainsi : l'intrieur du systme mythique considr, les
rites
sont efficaces. On n'imagine d'ailleurs pas une population, si
primi-tive soit-elle, persvrant dans l'accomplissement de pratiques
dontelle apercevrait clairement qu'elles ne servent rien. La
mdecineprimitive traite effectivement les malades et justifie les
maladies. Laviolation des tabous entrane effectivement la mort du
transgres-seur 37
Aussi bien devons-nous croire que les processions des
Rogationsne sont pas sans rsultat objectif pour les campagnes
frappes descheresse, puisqu'il s'en fait encore de nos jours. De
mme, en ce quiconcerne l'objectivit, il faudrait songer ici aux
procs de sorcellerie,[33] si nombreux au moyen ge et jusqu'au XVIIe
sicle. Pour inad-missible
.
que cela puisse nous paratre, ces procs taient parfaitement
ob-jectifs : tout le monde, accusateurs et accuss, opinion
publique, taitd'accord sur le fond de la question, et le jugement
avait lieu confor-mment aux lois. La vrit intrinsque de la ralit
mythique est don-ne dans la mentalit avant laffirmation historique
de l'vnement. Lefait s'inscrit dans le prolongement d'une
structure, et la critique d'au-thenticit se fera en fonction de
cette structure. Lorsque nous parlonsde vrit historique
aujourd'hui, nous faisons implicitement certainesdistinctions,
trangres au primitif. Mais le fond du problme demeurele mme. Soit,
par exemple, le cas de Jeanne dArc. Tout le mondeserait sans doute
d'accord sur le fait historique qu'elle a entendu desvoix. Nous
n'en sommes plus, avec les Inquisiteurs, l'accuser demensonge. Mais
chacun, une fois admise la bonne foi de Jeanne,conserve son
interprtation de l'vnement. Pour les uns, la vracit dela sainte
correspond la ralit objective : des anges lui ont effecti-vement
parl. Pour d'autres, il s'agit d'une illumine hroque, dont les
affirmations s'expliquent par les mcanismes inconscients de
l'halluci-
36 M. Leenhardt, La Religion des peuples archaques actuels, p.
115.37 Cf. sur ce point l'tude de Marcel Mauss : Effet physique
chez l'individu de
l'ide de mort suggre par la Collectivit, dans Sociologie et
Anthropolo-gie, P.U.F, 1950, p. 313 sq.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
40/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 40
nation. La question demeure entire, et ne peut tre rsolue que
selonles prsupposs implicites.
La conscience mythique fournit donc bien un domaine
d'intelligibi-
lit plus radicale que celle dont bnficie l'homme d'aujourd'hui.
Siradicale mme, que sa russite trop complte empche le progrs
del'intelligence. Le mythe rpond toute question avant mme qu'elle
nese pose. Il empche la question de se poser. L'exemplarisme
mythiquedonne au fait la caution du droit. La coutume bnficiant
ainsi de l'as-surance en valeur procure par le mythe, se trouve
immobilise ja-mais. Ainsi prvaut une structure fixiste de
l'existence, d'ailleursconfirme par l'troite adhrence du groupe son
environnement na-turel, que ne viennent pas bouleverser les
inventions techniques, cra-trices du nouveau milieu o vit l'homme
moderne, ni les contacts ext-rieurs. Cet immobilisme mtaphysique
explique sans doute la stagna-tion de la civilisation primitive
livre elle-mme : le mode de vie despygmes africains ou des
aborignes australiens semble perptuer jus-qu' nos jours l'existence
des hommes prhistoriques, premiers habi-tants du monde
occidental.
La consistance ontologique de l'univers primitif tient sans
doute aufait que le mythe projette directement et historialise en
termes hu-mains les exigences principales de l'tre dans le monde.
D'o le carac-tre [34] comme minral de la ralit humaine ainsi
articule. M.Marcel Griaule a trs bien vu que les origines de l'art
sont lies au d-sir de styliser encore davantage et de fixer
dfinitivement l'image dumonde. Le masque, la statue, la peinture
rupestre, explique-t-il, sontdes concrtions mythiques. Or le mythe
se meut dans un temps origi-nel, ternel, immuable et actuel tout la
fois ; il est d'autre part objetde foi. Il suit de l que la
sculpture ou la peinture doivent rester, aumoins thoriquement,
inchanges ; cette qualit joue dans le sens de laconservation, donc
du misonisme. Aux yeux des usagers, la valeuresthtique du matriel
religieux tient donc au premier chef son im-
mutabilit 38
38 Marcel Griaule,Arts de lAfrique Notre, ditions du Chne, 1947,
p. 108.
. L'art primitif, selon M. Griaule, est un moyen de nier,en les
dpassant l'volution des formes humaines et leur mort : dansle monde
mythique immortel, la ncessit de la reproduction des for-mes ne
pouvait se faire sentir, puisqu'elles taient ternelles.
Aucontraire, ds que la mort apparat, il devient urgent de sculpter
des
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
41/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 41
formes imprissables. L'art primitif est donc une lutte contre
lapourriture des formes 39
Ainsi donc, ce que l'on appelle l'art primitif -- statues et
masques,costumes, objets rituels, quoi s'ajouteraient musique et
danse, cor-respondants primitifs de notre art du ballet --
constitue un essai de r-alisation matrielle de la transcendance du
mythe. Mais il apparatalors qu'il ne s'agit pas l dun art au sens o
nous l'entendons, d'un artdistinct de la vie et constituant comme
une dimension contemplativeet dsintresse. L'art primitif fait corps
avec l'existence. Il en traduitles structures matresses et les
articulations essentielles. Il stylise lavie commune en fonction
des mythes et lui imprime ainsi la stabilit,l'intemporalit. La mise
en forme esthtique intervient comme le chif-fre mme de la
rptition.
, selon les exigences d'une conscience rgiepar la norme de la
Rptition. L'art permettrait ainsi de mettre en
chec l'exprience de la mort, assurant le triomphe du principe
onto-logique de conservation.
Nature, histoire, technique, religion, surnature, connaissance
posi-tive, reprsentation esthtique, - tous, les plans de clivage
qui nouspermettent de dpecer le rel pour mieux agir sur lui, n'ont
pas desens, littralement, dans la socit primitive. Ces fonctions ne
se sp-cialisent que lorsque la conscience mythique a cess de
s'imposer, etde les [35] assumer toutes conjointement. L'quilibre
du monde primi-tif se fonde ainsi sur le fait que toutes les
activits humaines obissent une mme rgulation, mise au point une
fois pour toutes - alors quele monde moderne pourrait tre caractris
par l'mancipation de cha-que fonction spcialise, chappant tout
contrle et se dveloppantpour sa part au risque de dsquilibrer
l'ensemble. L'immobilisme dumythe fournit vraiment une sorte de
carapace protectrice l'existencedu groupe, qui parvient mme
triompher des angoisses de la mort.
La conscience mythique donne ainsi validit ontologique au
genrede vie en sa totalit. Elle en assure la perptuation intgrale,
en sorte
que la civilisation traditionnelle des campagnes a pu prolonger
jus-qu'en plein xix" sicle europen les rites et coutumes des temps
pr-
39 Ibid.,p. 118. Cf. ces vers de Thophile Gautier (L'Art) :
Tout passe. LArt robusteSeul l'ternit...
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
42/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 42
historiques, ainsi que M. Varagnac l'a montr dans un livre rcent
40
Le genre de vie se prsente ainsi comme le conservatoire des
tradi-tions dont il assure l'unit. D' o l'ankylose caractristique
de la civili-sation mythique : la tradition, dit M. Varagnac,
reprsente pourl'homme, jusqu' l'avnement de l'outillage
intellectuel, logique puisscientifique, toutes les sauvegardes et
les premiers rudiments de l'in-telligibilit. On comprend ds lors
qu'une tradition ait eu d'autant plusde valeur qu'elle tait plus
ancienne, plus rigoureusement conserve.Elle constitue la premire
forme de capital, de bien prserv, et toutl'effort des civilisations
portera longtemps vers cette conservationmalgr les causes
d'altration, si puissantes et constamment l'u-vre
.Cette civilisation millnaire, troitement associe aux rythmes
natu-rels, prsente une structure mythique uniforme par del la
multiplicit
des folklores qui l'enracinent dans tel ou tel terroir.
41
Il y a donc rciprocit entre la conscience mythique et la
synth-se objective du genre de vie. Le mythe peut tre compris la
foiscomme le chiffre de la vie sociale, et peut-tre la projection
sublime,et inconsciente, des exigences constitutives de l'tre
ensemble dans laralit humaine. Le mythe donne au genre de vie la
sanction de l'ter-nit parla rptition. Le charme ne sera rompu, dans
les campagnesd'Occident, que par la rvolution industrielle,
lorsqu'elle s'imposeramme au monde paysan. La conscience mythique
en sa plnitudefournit ainsi une sorte d'abstraction du
fonctionnement social. M.Dumzil, qui s'est particulirement attach
dterminer le schma destructure de la [36] civilisation
indo-europenne, dfinit ainsi son uni-t de constitution : Le systme
religieux d'un groupe humain s'ex-prime la fois sur plusieurs plans
: dans une structure conceptuelled'abord, plus ou moins explicite,
parfois presque inconsciente, maistoujours prsente, qui est comme
le champ de force sur lequel tout lereste se dispose et s'oriente ;
puis dans des mythes qui figurent et met-
tent en scne ces rapports conceptuels fondamentaux, puis
encoredans des rites qui actualisent, mobilisent, utilisent ces
mmes rapports; enfin souvent dans une organisation sociale, ou dans
une distribu-
.
40 Varagnac, Civilisation traditionnelle et genres de vie, Albin
Michel, 1948.41 Op. cit., 355.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
43/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 43
tion du travail social, ou dans un corps sacerdotal qui
administreconcepts, mythes et rites 42
Le systme religieux tel que M. Dumzil l'envisage correspond
un moment plus avanc, plus volu de la conscience mythique.Mais
il reprsente une expression encore de cette conscience en
sonactualit, en son unit naissante, qui en fait la clef de toute
civilisa-tion. Le caractre essentiel de cette conscience serait
sans doute qu'el-le situe et oriente l'homme dans l'absolu. L'homme
d'aujourd'hui, enOccident, vit dans l'histoire, au jour le jour,
dans un temps qui disper-se la vrit. Kant nous a dj appris que le
temps mental tait l'une desdimensions de notre insuffisance. Cette
prise de conscience de notrehistoricit n'a fait que crotre depuis
Kant. Le primitif au contraire,l'homme prhistorique, est l'homme de
l'unit non encore perdue ; tousles horizons demeurent porte de la
main. Le divorce entre le rel etle vrai, qui ouvrira les aventures
de la pense et de la libert, ne s'estpas encore produit.
.
42 G. Dumzil, L'hritage indo-europen Rome, N.R.F., 1949, p.
37.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
44/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 44
[37]
Premire partie.LA CONSCIENCE MYTHIQUE
Chapitre IV
MANA
Retour la table des matires
Il est fort difficile l'Occidental moderne de se faire une ide
unpeu nette de l'ontologie primitive. Les divisions que notre
traditionphilosophique nous a rendues familires ne s'y retrouvent
pas. Une
mtaphysique, en effet, suppose une physique. Or la physique
primiti-ve est tout entire mtaphysique - comme aussi bien la
mtaphysiques'affirme immdiatement en forme de physique. Sujet et
objet ne par-viennent gure mutuellement s'opposer, immanence et
transcendan-ce paraissent perptuellement confondues. Si notre pense
rflchie,dans son tat actuel, est prise comme talon, il est clair
que la cons-cience mythique se rvlera vite comme tant en tat de
drglementsystmatique.
Cependant le concept d'ontologie dsigne une affirmation
premire
de l'tre, en fonction de laquelle se constitue et s'articule
l'existencemme de l'homme. Avant l'ontologie consciente, qui
devient une sortede programme pour l'exercice philosophique, il est
une ontologie v-cue, dploye au niveau des comportements humains et
qui se mon-naye sans cesse dans le dtail des attitudes, des gestes
et paroles dechacun. C'est cette exigence de valeur, rflchie ou
non, qui permet l'activit de prendre terre et qui l'oriente parmi
la diversit des tres et
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
45/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 45
des choses. Il y a l comme un premier sens du rel, faute de
quoil'homme se trouverait tranger dans le monde, comme dgag de
toutepesanteur matrielle et spirituelle et donc incapable de
trouver une
assiette quelconque.En ce sens, le primitif, qui a
incontestablement russi s'tablir
dans un univers sa mesure, doit se trouver titulaire d'une
mtaphysi-que originale qui fait la cohrence de son univers et
l'unit de sa [38]conduite. C'est de cette ontologie spontane que
nous voudrions main-tenant dgager les grandes lignes, en prenant
comme fil conducteur denotre recherche la division matresse de la
philosophie occidentale.Celle-ci se donne traditionnellement trois
centres d'intrt : le Moi, leMonde et Dieu. Bien que la conscience
primitive, dans son domainepropre, ne connaisse, ni de prs ni de
loin, une pareille distinction,nous tenterons de donner une
esquisse de la prhistoire mtaphysiqueen mettant en lumire les
lments qui, dans la reprsentation concrteprrflchie, peuvent
s'apparenter aux trois grandes vises de la philo-sophie classique.
Nous commencerons par l'tude du sacr, dsignpar le mot mlansien
Mana, qui nous parait se situer la lointaineorigine de la saisie
religieuse du monde.
Notre premier centre d'intrt apparat d'emble tout fait
diffrentde l'ide de Dieu telle qu'elle s'affirme dans sa spcificit
en face desautres termes de la trilogie traditionnelle. La notion
primitive de manane correspond pas une ide claire et distincte,
mais plutt une sortede matrice gnrale de la pense primitive dans
son ensemble. Exp-rience prrflchie, affirmation implicite, et non
pas concept quel-que degr que ce soit. Une dnomination occidentale
risque ici d'in-duire en erreur : nos mots s'affirment en situation
dans un certain uni-vers du discours. Ils apportent avec eux une
orientation, des opposi-tions caractristiques de notre attitude
mentale, mais trangres laconscience mythique.
Le missionnaire Codrington, qui a mis en usage la notion de
mana,
la dfinissait ainsi, en 1891, dans son ouvrage sur les Mlansiens
: puissance ou influence surnaturelle... qui entre en jeu pour
effectuertout ce qui est au del du pouvoir ordinaire de l'homme, en
dehors duprocessus commun de la nature . Des puissances analogues
ontt repres, sous d'autres noms, chez les Indiens d'Amrique duNord,
les Australiens, les Pygmes d'Afrique et ailleurs encore. Ils'agit
donc bien l d'un aspect fondamental de la conscience mythique.
-
7/23/2019 Gusdorf - Mythe Et Metaphysique
46/325
Georges Gusdorf, Mythe et mtaphysique. Introduction la
philosophie. (1953) 46
Mais la description de Codrington repose sur la distinction
entre natu-re et surnature, distinction dont on peut se demander si
elle a un senspour le primitif. Ce ddoublement suppose le divorce
entre le rel po-
sitif, qui n'est que ce qu'il est - et le monde du mystre, o se
jouentdes influences transcendantes. La mme rserve nous semble
devoirtre faite l'gard de l'expression catgorie affective du
surnaturel ,propose par Lvy-Brhl dans son livre sur Le Surnaturel
et la Naturedans la Mentalit primitive. De mme encore, l'emploi du
mot sacr,mis en avant par [39] Rudolf Otto, suppose une opposition
entre sacret profane que les religions systmatiques ont labore,
mais qui ne seprsente pas du tout de la mme faon dans la conscience
primitive,pour laquelle rien n'est proprement naturel, ni profane.
Le grandschisme est loin d'tre accompli, au terme duquel
s'opposeront science
et religion.La conscience mythique connat bien certaines
tensions, certaines
polarits intimes, mais elle est essentiellement conscience
d'unit. No-tre connaissance est articule. Nous jouons sans cesse
double, tripleou quadruple jeu en face du rel : le mme homme peut
percevoir lerel p