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8/18/2019 (French Studies of the Eighteenth and Nineteenth Centuries) James Kearns, Pierre Vaisse-« Ce Salon à Quoi Tout S… http://slidepdf.com/reader/full/french-studies-of-the-eighteenth-and-nineteenth-centuries-james-kearns-pierre 1/188 26 FRENCH STUDIES Peter Lang of the Eighteenth and Nineteenth Centuries « Ce Salon à quoi tout se ramène » Le Salon de peinture et de sculpture, 1791–1890  James Kearns et Pierre Vaisse (éds)
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(French Studies of the Eighteenth and Nineteenth Centuries) James Kearns, Pierre Vaisse-« Ce Salon à Quoi Tout Se Ramène »_ Le Salon de Peinture Et de Sculpture, 1791-1890-Peter

Jul 07, 2018

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Gustavo Luna
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    FRENCH S TUD I E S

    Peter Lang

    of the Eighteenth and Nineteenth Centuries

    « Ce Salon à quoitout se ramène »

    Le Salon de peinture etde sculpture, 1791–1890

     James Kearns et Pierre Vaisse (éds)

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    Exposition organisée par l’État jusqu’en 1881, grande fête annuelleou bisannuelle de l’art, le Salon de peinture et de sculpture dominela vie artistique à Paris tout au long du dix-neuvième siècle. Dansl’historiographie de la modernité artistique, cependant, le rôle dece « Salon à quoi tout se ramène » (comme le disait Tabarant dansLa Vie artistique au temps de Baudelaire ) a trop souvent été réduit

    à celui du terrain de bataille où se sont confrontées « traditionacadémique » et « nouveauté révolutionnaire ». Les sept étudesque contient ce volume ont donc pour but de restituer au Salon savéritable dimension historique en analysant des éléments essentielsde son organisation, son fonctionnement et sa finalité, dont : sonemplacement (au Louvre jusqu’en 1848), ses artistes, ses visiteurs,sa rhétorique et son système de récompenses, pour terminer sur lesraisons et les conséquences de son abandon par l’État.

    FRENCH S TUD I E Sof the Eighteenth and Nineteenth Centuries

     James Kearns est directeur des études françaises à l’Universitéd’Exeter et auteur de nombreux travaux sur la critique d’art françaiseau dix-neuvième siècle, dont Théophile Gautier, Orator to the Artists :Art Journalism of the Second Republic  (2007) est le plus récent.

    Pierre Vaisse est professeur honoraire d’histoire de l’art contemporainà l’Université de Genève. Outre différentes études sur la Renaissanceallemande, l’architecture moderne, etc., il est l’auteur d’une thèsede doctorat d’État sur « La Troisième République et les peintres » etde nombreux articles sur la vie artistique et sur la critique d’art enFrance au dix-neuvième siècle.

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    « Ce Salon à quoi tout se ramène »

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    FRENCH STUDIESof the Eighteenth and Nineteenth Centuries

    Edited by:Professor Robin Howells, Department of French, Birkbeck College,University of London; and Dr James Kearns, Department of French,University of Exeter

    PETER LANGOxford • Bern • Berlin • Bruxelles • Frankfurt am Main • New York • Wien

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    PETER LANGOxford • Bern • Berlin • Bruxelles • Frankfurt am Main • New York • Wien

    « Ce Salon à quoi tout se ramène »

     James Kearns et Pierre Vaisse (éds)

    Le Salon de peinture et de sculpture,1791–1890

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    © Peter Lang AG, European Academic Publishers, Bern 2010Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Bern, [email protected], www.peterlang.com, www.peterlang.net

    All rights reserved.All parts of this publication are protected by copyright.Any utilisation outside the strict limits of the copyright law, withoutthe permission of the publisher, is forbidden and liable to prosecution.This applies in particular to reproductions, translations, microfilming,

    and storage and processing in electronic retrieval systems.

    Printed in Germany

    Bibliographic information published by Die Deutsche Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche National-

    bibliografie; detailed bibliographic data is available on the Internet athttp://dnb.d-nb.de.

    A catalogue record for this book is available from The British Library.

    Library of Congress Cataloging-in-Publication Data:

    “Ce Salon à quoi tout se ramène” : le Salon de peinture et de sculpture, 1791-1890/ James Kearns et Pierre Vaisse [eds.].  p. cm. -- (French studies of the eighteenth and nineteenth centuries ; 26)  Includes bibliographical references and index.  ISBN 978-3-03910-931-9 (alk. paper) 1. Salon (Exhibition : Paris, France) 2. Société des artistes français. Salon. 3. Artand state--France--History--19th century. I. Kearns, James, 1947- II. Vaisse, Pierre.N5066.C4 2009

      707.4’44361--dc22  2009033413

    ISSN 1422-7320ISBNE‐ISBN

    978-3-03910-931-9978‐3‐0353‐0220‐2

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    « Cette Exposition, ce Salon à quoi tout se ramène, satisfactionsd’amour-propre, considération, notoriété, fortune, et le painquotidien […]. » (A. Tabarant, La Vie artistique au temps de Baudelaire (Paris : Mercure de France, ), p. )

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    Table des matières

    Liste d’illustrations ix

    Liste de graphiques xi

    Introduction

    Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar -

    La fréquentation du Salon de à

    Pas de Salon sans Louvre? L’exposition quitte le musée en  

    Un art de l’éreintement

    L’impératif des récompenses : le cas spécifique de la sculpture(–)

    Le Salon de la Société nationale des beaux-arts comme lieud’épanouissement du mécénat privé dans les années

    -

    Réflexions sur la fin du Salon officiel

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    Guide bibliographique

     

    Notes biographiques

    Index

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    Liste d’illustrations

    Figure . Godefroy Engelmann,  Les jeunes Amateurs au Salon de . Oh ! cr’nom ! queux beaux cadres ! … . Paris, Le Journal illustré ,  mai . Lithographie. Cabinet des Estampes, BnF, Paris. Collection de l’auteur.

    Figure . Ducarne, Salon de . Entreront-ils n’entreront-ils pas? Grand  combat Entre le Romantique et le Classique à la porte du Musé , Paris, Ducarne éditeur, mai . Lithographie. Cabinet des Estampes, BnF, Paris. Collection de l’auteur.

    Figure . Michel Delaporte, Le Salon, Paris, Aubert éditeur, mai . Lithographie. Cabinet des Estampes, BnF, Paris. Collection de l’auteur.

    Figure . Langlumé,  Exposition de , Paris,  La Pandore, octo-bre . Lithographie. Cabinet des Estampes, BnF, Paris. Collection de l’auteur.

    Figure . Alexandre Falguière, Le Vainqueur au combat de coqs. Bronze, Salon de . Musée d’Orsay, Paris. Collection de l’auteur.

    Figure . Hector Lemaire, Samson trahi par Dalila. Plâtre, Salon de . Non localisé. Collection de l’auteur.

    Figure . Louis Albert-Lefeuvre, Adolescence. Plâtre, Salon de . Non localisé. Collection de l’auteur.

    Figure . Auguste Suchetet, Biblis changée en source. Plâtre, Salon de . Musée des Beaux-Arts, Troyes. Collection de l’auteur.

    Figure . René de Saint-Marceaux, Génie gardant le secret de la tombe. Marbre, Salon de . Musée d’Orsay, Paris. Collection de l’auteur.

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    Liste de graphiques

    Graphique : Evolution des ventes du livret de à Graphique : Evolution des ventes du livret de à Graphique : Relevé mensuel des ventes du livret au Salon de Graphique : Relevé mensuel des ventes du livret au Salon de

    Graphique : Relevé mensuel des ventes du livret au Salon de Graphique : Relevé mensuel des ventes du livret au Salon de Graphique a : Relevé mensuel des ventes du livret et des suppléments 

    au Salon de Graphique b : Relevés bimensuels des ventes du livret et des suppléments 

    au Salon de

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    Introduction

    On l’a souvent dit : le Salon domine la vie artistique à Paris, donc en France,tout au long du XIXe siècle. Annuel ou bisannuel – lorsque les circonstan-

    ces ne rendent pas sa tenue plus irrégulière –, il est la grande fête de l’art.Organisé jusqu’en par l’État, plus précisément par l’administration encharge, selon les régimes, des musées ou des beaux-arts, il tire son éclat de la présence du souverain, puis du président de la République ou de son repré-sentant à son ouverture ainsi que de la cérémonie au cours de laquelle sontdécernées les récompenses officielles. Il est, pour le public, un événementconsidérable, comme en témoignent les centaines de milliers de visiteurs àune époque où la capitale comptait beaucoup moins d’habitants et où lestransports, même après l’apparition du chemin de fer, étaient loin d’offrirles mêmes facilités qu’aujourd’hui. On a peine à imaginer son retentisse-ment : la presse parisienne, la presse provinciale, mais aussi de nombreuxorganes de presse à l’étranger en rendaient compte, et les comptes rendus

     prenaient souvent la forme d’une suite de longs articles qui, réunis, formaient parfois d’épais volumes. Son prestige assurait celui de ces comptes rendus,qui, avant de devenir une spécialité de journalistes professionnels, furentun véritable genre littéraire auquel s’essayèrent, à la suite de Diderot, denombreux écrivains tels que Stendhal, Musset, Gautier, Baudelaire, Heine,Fromentin, les Goncourt, Zola, Huysmans, et bien d’autres encore. Pourbeaucoup de gens, il offrait la seule occasion dans l’année de voir des tableauxou de lire des pages consacrées à l’art. Mais pour les artistes eux-mêmes, ilrevêtait une importance capitale. C’est là qu’ils pouvaient montrer leursœuvres, se faire connaître, acquérir la réputation qui leur permettrait dese constituer une clientèle. D’où la gravité des questions que soulevait son

    organisation : le local où il se tenait, sa fréquence, et surtout les modalitésd’admission des œuvres. C’est là la fameuse question du jury d’admission,

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    de son existence, de sa composition, qui fit couler tant d’encre et suscita

    tant de polémiques, provoquant des conflits d’une violence proportionnelleaux enjeux, surtout à partir de , lorsque l’État crut devoir confier àl’Académie des beaux-arts la fonction de jury d’admission. D’où cette visionde la vie artistique au XIXe siècle, constituée à l’époque même et repriseensuite par les historiens, comme d’une longue lutte des novateurs contreun jury qui leur fermait systématiquement les portes du Salon, puis contrele Salon lui-même, institution toute-puissante détentrice d’un monopolede fait – lutte scandée par les conquêtes ou les victoires qu’auraient été la

    tenue d’un Salon des Refusés en , la première exposition du groupedes impressionnistes en , puis la création du Salon des Indépendants,sans jury ni récompenses, en , étapes vers une liberté qui prit pourbeaucoup la forme d’une soumission au marchand.

    Que ni le Salon des Refusés, ni la première exposition du groupe desimpressionnistes, ni la fondation du Salon des Indépendants n’eurent l’im- portance et la signification qu’on leur accorda longtemps est aujourd’huiun fait bien établi. Il en va autrement du rôle du Salon officiel – qu’on

    continue à qualifier ainsi après , bien qu’il fût alors organisé par uneassociation de droit privé. Nous sommes là en présence d’un phénomèneauquel les historiens n’ont pas toujours prêté assez d’attention : l’écartentre une réalité et la représentation que les contemporains s’en font. Sansdoute constitue-t-elle, en tant que représentation, une réalité historiquequi pèse elle aussi, en retour, sur les comportements ; mais elle masque auxregards d’importants aspects de la réalité dont elle est l’image. Quel qu’aitété son prestige et quelque importance qu’on lui accordât, jamais le Salon

    ne répondît pleinement aux besoins, plus précisément aux besoins éco-nomiques des artistes – et cela, sans même parler de ceux d’entre eux qui,s’étant déjà constitué une clientèle, ne jugeaient plus utile de s’y compromet-tre, comme Ingres après , Couture après et plus tard Roybet, oucomme Galland, le grand décorateur, auquel les commandes qu’il recevaitde New York ou de Saint-Pétersbourg ne laissaient pas le temps de pein-dre des tableaux, qu’ils fussent de vente ou de Salon, pour reprendre uneopposition fréquente à l’époque.

    Les études sur l’économie de l’art au XIXe siècle se sont heureusementmultipliées depuis un certain temps. Elles dépendent cependant toujours de

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     Introduction

    l’état de conservation, très lacunaire, des archives des marchands de l’époque.

    Quant aux courtiers, il est probable qu’on ne pourra jamais reconstituer leurrôle : ainsi savons-nous très peu sur ce Tedesco par l’intermédiaire duquelDelacroix ou Meissonier vendaient une part non négligeable de leur pro-duction, et cela, bien qu’il ait peut-être servi de modèle au Salomon desScènes de la vie de bohème. Nous savons par contre que dès avant le milieudu siècle, les peintres, plus particulièrement les paysagistes, utilisèrent lestratagème de ventes à Drouot pour faire connaître et, si possible, vendreleurs tableaux. À cela s’ajoutent les expositions organisées à Paris par des

    cercles constitués de riches amateurs, comme celui de la rue Volney, ainsique celles qu’organisaient dans un certain nombre de villes de province dessociétés locales d’amis des arts, parfois très actives, comme celles de Lyonou de Bordeaux, qui ont commencé à faire l’objet d’études approfondies.Quiconque feuillette les numéros de la Chronique des arts et de la curiosité  depuis sa création en peut se persuader que les expositions étaient beau-coup plus nombreuses et fréquentes qu’on ne le croit en général. Mais toutecette activité restait sans écho dans la presse, sinon dans quelques organes

    très spécialisés, de sorte que seul un milieu restreint d’amateurs en avaitconnaissance. Les historiens de l’art, qui ne s’appuyèrent trop longtempsque sur les comptes rendus des Salons comme unique source documentaire pour reconstituer la vie artistique au XIXe siècle, en ont largement sous-estimé l’importance jusqu’à une date récente.

    Plutôt que de revenir sans cesse sur le Salon, ne feraient-ils donc pasœuvre plus utile, aujourd’hui, en se penchant sur tous ces phénomènesencore trop mal connus ? Poser la question ainsi, c’est déjà y répondre ; et

     pourtant, le Salon reste un objet légitime d’étude dans la mesure où sonhistoire a dégénéré depuis le XIXe siècle en légende et où il importe derevenir à une appréciation plus nuancée, plus critique et moins engagée dece qu’il fut et du rôle qu’il a joué. Sans doute l’entreprise n’est-elle pas tota-lement neuve : de nombreux auteurs, depuis une trentaine d’années, se sontattachés à lui restituer sa véritable dimension historique. Mais beaucoupreste encore à faire dans ce domaine. C’est à cela que voudrait contribuerle présent volume en réunissant des études très différentes entre elles parleur sujet comme par l’étendue du champ qu’elles couvrent, mais qui toutesapportent une pierre à l’édifice.

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    Le Salon n’est pas mort, comme on l’a si longtemps prétendu, par la

    révolte des réprouvés, des novateurs auxquels il fermait ses portes : il est mortd’assumer des fonctions incompatibles, de devoir satisfaire des exigencescontradictoires. Si les causes de son dysfonctionnement furent dénoncées par de nombreux auteurs dans la seconde moitié du siècle, elles étaient déjà perceptibles sous la Restauration, en particulier à travers le rapport qu’ilentretenait avec les collections d’art ancien du musée du Louvre où il étaitlogé, ainsi que le montre clairement l’analyse de Marie-Claude Chaudon-neret : l’unité de lieu censée matérialiser une continuité devait rapidement

     provoquer un conflit qui prendra fin sous la Deuxième République ; maiscontrairement à ce qu’on croyait, la séparation intervenue entre muséeet Salon s’imposa peu à peu au nouveau régime plutôt qu’il ne l’imposa,comme le montre bien James Kearns en s’appuyant sur une documenta-tion négligée jusqu’alors, l’exil du Salon ayant d’abord été conçu commeune mesure provisoire en attendant la réalisation d’un grand Louvre danslequel tradition et nouveauté se seraient fait réciproquement valoir en unecoexistence pacifique.

    À côté du problème matériel de la place nécessaire au Salon se posaitcelui de son caractère. Censé témoigner des progrès de l’École, il n’était

     plus pour beaucoup qu’un bazar . Le terme serait, selon Marie-ClaudeChaudonneret, apparu en ; il était encore courant au début de la Troi-sième République. C’est dire combien les problèmes que révèle une étudeapprofondie de la situation à un moment précis existent et ne peuventêtre vraiment compris que dans la durée de plusieurs décennies. C’est ceque confirme l’étude d’Eva Bouillo sur le public du Salon de . Il n’est

     pour s’en convaincre que de comparer la description par Jal, qu’elle citelonguement, de l’afflux du beau monde au Salon le samedi, jour réservéaux porteurs privilégiés d’une invitation, à la description qu’Edmond deGoncourt donne dans son Journal  du vernissage du Salon du Champ-de-Mars en , à une époque, pourtant, où la privatisation du Salon, puisson éclatement annonçaient son déclin :

    Une perspective de roues de voitures acculées au trottoir, dans toute l’étendue de

    l’avenue de la Bourdonnais. À l’entrée, sur les escaliers, sous le péristyle, trois ou quatrerangées d’hommes et de femmes passant tout le temps de l’exposition à regarder les

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     Introduction

    gens qui entrent. Partout, du monde demandant à être reconnu, quêtant derrièrelui le murmure de son nom. Ah ! ces messieurs et ces dames se fichent pas mal destableaux et des sculptures ! 

    Mais les jours ordinaires, le Salon attirait un public beaucoup plus varié. Si,comme le souligne l’auteur, les conflits stylistiques, l’émergence du roman-tisme alimentaient la curiosité dans les milieux qui se piquaient de questionsartistiques, il était d’abord, pour beaucoup de visiteurs, un vaste réservoird’images, l’équivalent des grandes productions d’Hollywood à l’époque oùle cinéma était devenu le loisir populaire par excellence. D’où l’attirance

    de la foule pour les grandes reconstitutions historiques, qui d’ailleurs, onle sait, inspirèrent nombre de cinéastes, de Griffith à Wajda. C’était là unedes fonctions du Salon, sans incidence directe sur les revenus des artistes,mais qui en renforçait l’importance.

    La critique a longtemps servi, nous l’avons dit, de source principale pour écrire l’histoire du Salon. Mais la façon de l’étudier s’est beaucoupmodifiée. Avant de savoir si un auteur fut ou non un grand critique selonqu’il a défendu ou dénigré les novateurs, on s’est avisé qu’il fallait prendreen compte sa formation, le milieu intellectuel dans lequel il évoluait, lesorganes de presse pour lesquels il travaillait, ses ambitions littéraires, lesrègles et contraintes du genre … . De même que les caricatures de tableauxde Courbet ne prouvent pas que le peintre ait souffert de l’incompréhen-sion des dessinateurs, qui mettaient autant de verve à tourner en ridicule la production d’un Cabanel ou d’un Jalabert parce qu’ils cherchaient surtoutà briller par leur humour, de même, nous rappelle utilement Adrien Goetz,

    l’éreintement était-il surtout, pour le critique, un prétexte à faire valoir sonesprit. À tout considérer à travers le verre déformant de la lutte entre tradi-tion académique et nouveauté révolutionnaire, on s’expose à de grossièreserreurs d’interprétation, et ces erreurs venant à l’appui du préjugé dont ellessont issues, l’historiographie s’était enfermée dans un cercle vicieux.

    C’est à briser ce cercle que s’attache Guillaume Peigné, sur un pointqui a peu requis l’attention, celui des récompenses, et à propos d’un art, la

    Edmond et Jules de Goncourt, Journal , éd. Robert Ricatte, vols (Paris: Fasquelleet Flammarion, ), IV, – (Mardi avril ).

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    sculpture, que les historiens ont longtemps négligé. Il y a quelques décen-

    nies, l’histoire de la sculpture française au XIXe

     siècle était presque terraincognita. Grâce à Horst Janson, à Jacques de Caso, June Hargrove et biend’autres encore aux États-Unis, à Anne Pingeot, Antoinette Le Normand,Catherine Chevillot … en France, nos connaissances dans ce domaine sesont considérablement accrues, mais la sculpture n’en a pas été pour autantintégrée à l’histoire générale de l’art et en particulier à l’histoire des Salonsau XIXe siècle, comme si l’évolution avait été portée par la seule peinture.En s’attachant à un problème très technique, Guillaume Peigné éclaire

    la position des sculpteurs face à l’institution, plus précisément face auxrécompenses, qui furent sans doute, après le jury d’admission, ce pour quoielle fut le plus violemment critiquée. Qu’elles accompagnèrent une rapideévolution stylistique de la sculpture à la fin du Second Empire et au débutde la Troisième République montre à quel point s’impose une révision del’historiographie traditionnelle.

    À l’origine, il était prévu d’arrêter le champ chronologique couvert parce volume en , lorsque l’État, c’est-à-dire le ministère de l’Instruction

     publique et des beaux-arts, prit la décision d’abandonner l’organisationet la gestion du Salon aux artistes regroupés en une association de droit privé. Mais il apparut rapidement qu’une juste appréhension du phéno-mène incluait ses conséquences immédiates, et plus précisément la scissionintervenue dix ans plus tard avec la fondation de la Société nationale desbeaux-arts. Cette sécession marque un moment décisif dans les rapports del’art et de l’État, mais elle révèle par ailleurs, comme le montre bien l’étuded’Olivia Tolède-Léon, la place prise à cette époque et le rôle joué dans la

     vie artistique par le mécénat privé – un phénomène qui n’avait que peu, jusqu’à présent, retenu l’attention, mais qui explique le regain de vitalitédes Salons dans les premières années du XXe siècle, alors que le déclin du Salon semblait consommé, et qui oblige à nuancer la thèse défendu par les White dans leur ouvrage par ailleurs fondamental sur le passage du systèmeacadémique au système des marchands.

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    Les artistes vivants au Louvre (–) :

    du musée au bazar-

    À partir de la Révolution, le Salon et le Musée furent intimement liés, cequi était déjà en germes à la fin de l’Ancien Régime : dès le XVIIIe siècle, lesamateurs pouvaient accéder aux collections royales présentées dans la grandeGalerie, ouverte durant une journée au moment du Salon de l’Académieroyale. Avec la nationalisation du palais royal du Louvre, le maintien duSalon et la création du Musée, l’exposition permanente des œuvres ancien-nes et l’exposition périodique des ouvrages des artistes vivants devinrent àla fois indissociables et complémentaires.

    La page de titre du livret du premier Salon « libre », celui de ,traduit bien la réappropriation de l’ancien palais royal : « Ouvrages […]exposés au Louvre ». Avec l’ouverture du Museum central en , le titrefut modifié pour souligner que l’exposition des artistes vivants se tenait dansle Salon carré, dit grand Salon, au cœur du Musée (« Ouvrages […] expo-sés dans le grand Salon du Museum »). A partir de , le titre du livretsuggérait que le Musée et le Salon étaient indissociables : « ouvrages […]exposés au Museum Central des Arts », puis « au Musée Napoléon » sous

    l’Empire et « au Musée Royal » de à . La symbiose était telle que, pour un chroniqueur du Salon de , Museum et Salon étaient devenussynonymes à partir du moment où l’exposition n’était plus ouverte au seulsmembres de l’Académie : « Depuis la Révolution, on appelle Museum ce quel’on appelait Salon ». L’idée que les deux collections (les œuvres ancienneset l’art vivant) puissent former une seule collection fut encore accentuée par les arrivages périodiques des œuvres conquises, qui étaient, à chaque

    Veillées des Muses, , vendémiaire an VIII (septembre–octobre ).

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    fois, exhibées dans le Salon carré. Ces expositions et celles des ouvrages des

    artistes vivants se succédaient, s’entrecroisaient. Ces deux événements n’enfaisaient plus qu’un, relayé par la presse : « Les chef-d’œuvres des peintresd’Italie viennent d’être déplacées du salon du museum, et l’on y a substituéles ouvrages des artistes vivants ».

    La juxtaposition périodique de l’art contemporain et d’un immenseensemble d’œuvres anciennes, antiques et peintures, fondait une histoiredes arts. Dans cette perspective, l’entreprise de Charles-Paul Landon, les Annales du Musée et de l’École moderne des beaux-arts, est significative. En

    , Landon commençait une première série des  Annales où sont cata-loguées les œuvres des artistes contemporains ayant obtenu un prix ous’étant distingués au Salon et les œuvres anciennes les plus importantes.À partir de et parallèlement à la première, il entreprit une autre sériequi, Salon après Salon, donne un choix de peintures et de sculptures pré-sentées au Salon. Landon donnait ainsi un cours d’histoire de l’art, coursqui devait démontrer la supériorité de l’École nationale. Il l’affirmait dans« l’Avertissement » de son Salon de , premier Salon après les restitu-

    tions et la réorganisation du musée : « Ces immenses galeries qui réunissentaujourd’hui l’élite des chefs-d’œuvre anciens et des productions modernes, présentent le coup d’œil le plus magnifique, et tel qu’on chercherait vaine-ment à le reproduire dans aucun autre palais du monde ». Les productionsdes artistes vivants formaient bien la suite logique des œuvres des anciensmaîtres ; l’École française recueillait un héritage, s’en nourrissait. C’estégalement ce que soulignait Jean-Baptiste Chaussard dans son analyse duSalon de quant il écrit qu’il faut traverser les « deux musées » (salles

    des antiques et galerie de peintures anciennes) pour accéder à l’expositiondes artistes vivants. Et ce parcours était, selon lui, indispensable : « Com-ment parler dignement de l’École française si on ne remonte pas jusqu’auxÉcoles-Mères ? » Egalement en , Gault de Saint-Germain publiaitune histoire de l’art de François Ier à Napoléon, de la renaissance des arts à

     Journal des arts, fructidor an VII ( août ). [ Jean-Baptiste Chaussard], Le Pausanias Français ; Salon de . Publié par unobservateur impartial  (Paris : F. Buisson, ), p.

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     Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar

    la période contemporaine. Pour ces auteurs, il s’agissait de donner un cours

    d’histoire de l’art complet, d’intégrer l’École française dans une longue tra-dition. Le public pouvait voir à la fois la production contemporaine et sessources, les grands modèles anciens dont elle était l’héritière. À partir del’Empire, bien des chroniqueurs du Salon mettaient l’accent sur ce pointquand ils font précéder leur analyse des ouvrages des artistes vivants parun résumé de l’histoire de la peinture française. C’est ce que soulignaitbien Chaussard dans le sous-titre de l’introduction de son compte-rendudu Salon de , « Considérations générales et rapides sur la marche

    des Arts du Dessin, et sur les causes de leurs progrès et de leur décadence,depuis les Grecs jusqu’à nos jours », « considérations » indispensables pour l’appréhension de l’École française contemporaine.

    Le Salon prolongeait le Musée, le musée qui était d’abord un lieud’étude, un lieu où l’artiste venait copier les antiques et les tableaux desanciens maîtres. Les deux institutions cohabitaient dans le même lieu etétaient gérées par le même personnel. L’alliance entre l’exposition perma-nente des œuvres anciennes et l’exposition périodique d’art contemporain

    fut encore accentuée, concrétisée, avec la création, par arrêté consulaire du novembre , de la direction générale des Musées. Jusque là, l’organisationmatérielle du Salon dépendait des fonctionnaires du musée sous l’autoritédu ministre de l’Intérieur qui avait la responsabilité de l’encouragement àl’art vivant. Avec une administration unique, avec une véritable direction,il s’agissait de restaurer la primauté du Salon, de donner de la cohérence ausystème des beaux-arts. La direction générale des Musées avait à sa charge leMusée, l’organisation du Salon, les acquisitions et commandes aux artistes,

    ces œuvres qui un jour, après la mort de leurs auteurs, seraient exposéesavec les ouvrages des anciens maîtres. La gestion des œuvres anciennes etl’encouragement à l’art vivant étaient devenus réellement indissociables,étroitement imbriqués. Cette administration unique contribua à donner ses

    P.-M. Gault de Saint-Germain, Les trois siècles de la peinture en France, ou galerie des

     peintres ançais depuis François I er 

     jusqu’au règne de Napoléon, empereur et roi (Paris :Belin, ). Chaussard, op. cit. à la note .

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    heures de gloire au Salon. Le premier directeur général des Musées, Vivant

    Denon, entendait donner un nouvel essor à l’exposition des artistes vivants.Préparant le Salon de , le premier qu’il organisât, Denon annonçait àNapoléon que « l’exposition de cette année sera la plus nombreuse et la plusintéressante qui ait été faite depuis l’institution des Salons de peinture », et il proposait de remplacer les prix d’encouragement par les acquisitionsde quelques-unes des meilleures œuvres du Salon, ces œuvres qui allaientenrichir les collections nationales. Comme il l’avait laissé présager cetteannée-là, le Salon fut de plus en plus important ; il devint la poutre maî-

    tresse du système des beaux-arts.Sous l’Empire, un système cohérent d’encouragement à l’art vivantfut donc mis en place : à l’issue du Salon étaient attribuées aux peintres etaux sculpteurs des commandes et des acquisitions, ainsi que des médailles.Cette action fut poursuivie, et amplifiée, sous la Restauration ; l’ordonnanceroyale du juillet confirma les liens indissolubles entre le musée et la promotion de l’art vivant par le Salon. Les commandes de décors peints pour le Louvre, décidées dès le Salon de , soulignent le lien entre le

    Musée et la création contemporaine. Ce fut en premier lieu le décor dugrand Escalier du musée, escalier qui avait été achevé en sur les plansde Percier et Fontaine ; puis ce furent la rotonde d’Apollon, les plafondsdu Musée Charles X, le décor des salles du Conseil d’État alors dans le palais du Louvre. Ces ensembles furent inaugurés au moment du Salon(les premiers en , les autres en ). Ils étaient catalogués, à part, entête du livret : ils faisaient partie du Salon, ils faisaient déjà partie du musée puisque visibles en permanence.

    Denon à l’Empereur, fructidor an XIII ( septembre ), dans Vivant Denon,directeur des musées sous le Consulat et l’Empire : correspondance, –, éd. Marie-Anne Dupuy, Isabelle Le Masne de Chermont, Elaine Williamson, vols (Paris : Éd.de la Réunion des musées nationaux, ), II, .

    Sur le Salon sous la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, nous nous

     permettons de renvoyer à notre ouvrage L’État et les artistes. De la Restauration à lamonarchie de Juillet  (Paris : Flammarion, ).  Ibid., pp. –.

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     Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar

    Ces ensembles, dont certains étaient à proximité de la galerie d’Apol-

    lon où l’on pouvait voir les compositions de Lebrun, renouaient avec lagrande époque du décor peint. Ils s’intégraient dans le parcours didactique voulu dès le Directoire (avec les premiers arrivages des œuvres conqui-ses), qui était censé démontrer à la fois une continuité de l’art françaiset la supériorité de l’École française. Ce cours d’histoire de l’art français

     prit une couleur patriotique après les restitutions de : « Le Muséesera français » affirmait l’administration des musées en ; les œuvresdes artistes contemporains allaient remplacer les chef-d’œuvres des écoles

    anciennes restituées aux pays d’origine. Dans ce contexte, le Salon, presqueentièrement dévolu aux artistes français (les étrangers exposants étaienttrès minoritaires à cette époque), prit une importance grandissante. Mais,

     pour que cette leçon fût permanente, il fallait que le public pût voir la production contemporaine constamment. Ce fut le cas, en , avec lacréation du musée du Luxembourg destiné à exhiber en permanence lesmeilleures productions des artistes vivants acquises au Salon. Non seule-ment ce musée de l’art vivant français montrait une partie de la production

    contemporaine, mais il établissait une passerelle entre les deux musées : àla mort de l’artiste, les meilleures de ses œuvres étaient retirées du Luxem-bourg pour être accrochées au musée du Louvre, près de celles des grandsaînés. Ces œuvres, ainsi que les grands décors, devaient montrer la conti-nuité du « génie français ». La majorité des critiques furent sensiblesà cette leçon d’histoire de l’art. Comme l’avait fait Chaussard quelquesannées plus tôt, nombre d’entre eux font précéder leur compte-rendu duSalon par un « Coup d’œil historique » retraçant une histoire des arts et

    introduisant l’analyse de la production contemporaine. Encore en ,lors du premier Salon de la monarchie de Juillet, Guyot de Fère notaitque « L’histoire de notre École, depuis cinquante ans, est tout entièredans celle de ses expositions publiques », que c’est au Salon que l’on peut« observer la marche de l’École ».

    F.-F. Guyot de Fère, « Productions principales des beaux-arts en », Annuairedes artistes ançais (Paris : ), p. .

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    Cette heureuse alliance engendra progressivement des problèmes, et

    des contestations. Les œuvres présentées au Salon furent de plus en plusnombreuses et empiétèrent donc de plus en plus sur le musée. La leçond’histoire de l’art que devait recevoir le visiteur devint progressivementillisible, l’art vivant écrasant l’art ancien. Dès le Salon de , René-JeanDurdent soulignait que « l’abondance » des peintures présentées pour-rait entraîner de graves inconvénients. Il comptabilisait œuvres, alorsque « la collection de tableaux, exposés dans la grande galerie du MuséeNapoléon renferme les ouvrages de toutes les écoles depuis la Renaissance

    de l’Art ; et on n’en compte qu’un peu plus de ». Le lien entre le passé et le présent devenait ténu.C’est à partir de la Restauration que des voix commencèrent à s’élever

     pour regretter que l’on ne puisse voir les peintures anciennes, qui étaient,au moment du Salon, soit décrochées, soit masquées. Aussi, pour les Salonsde et de , il fut décidé de ne pas toucher à la grande Galerie etd’exposer une partie des peintures dans des salles plus au nord du palais.Fontaine note dans son Journal  que présenter une partie des peintures dans

    des salles du palais plutôt que dans la grande Galerie « c’est les condamnerà l’oubli ». Et de conclure que l’on finira par revenir en arrière : « l’expo-sition prochaine se fera comme toutes les autres en déplaçant, enlevantet couvrant les vieux tableaux de la riche collection du Musée pour faire place aux productions des peintres vivants ». Effectivement, les peintresfurent mécontents, la présentation des peintures dans des salles éloignées duSalon carré furent perçues comme « une véritable Sibérie, un lieu d’exil ». D’autre part, cet agencement accentuait la différence entre ceux qui avaient

    droit aux honneurs du Salon carré et ceux qui en étaient privés.La nouvelle organisation du Salon en montra l’impossibilité de

    trouver une solution acceptable pour tous. Dans un premier temps, le

    R.-J. Durdent, Galerie des peintres fançais du salon de , ou Coup d’œil critique sur leurs principaux tableaux et sur les différens ouvrages de sculpture, architecture et gravure (Paris : bureau du Journal des arts, ), Introduction, p. ix.

    P.F.L. Fontaine, Journal. –, éd. Marguerite David-Roy, vols (Paris : ÉcoleNationale Supérieure des Beaux-Arts, ), I, . P.-A. Coupin dans la Revue encyclopédique, (), .

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    directeur général des Musées, Auguste de Forbin, décida de ne pas décro-

    cher les œuvres anciennes et donc d’abandonner l’accrochage dans le Saloncarré ainsi que dans la galerie d’Apollon devenue inutilisable en raison du plafond qui menaçait ruine. Il chercha également à éviter l’éparpillementdes peintures et à les rassembler dans un même endroit. La décision futdonc prise d’exposer les peintures des artistes vivants dans une autre partiedu palais, dans les salles situées après la rotonde d’Apollon, ce qui éviteraitd’une part de modifier « l’arrangement des anciennes écoles » et, d’autre part, de « lier ensemble, en les développant sur une moins grande étendue

    de terrain, les différentes parties de l’exposition ». Auguste Jal nota queles peintres exposants furent insatisfaits du nouvel emplacement, et qu’ilsavaient raison. En revanche, il apprécia que les peintures anciennes puis-sent être visibles: « On a voulu laisser dégagées les salles qui recèlent lestrésors des écoles anciennes, et l’on a bien fait ; il est bon que les étrangers,

     venant pour faire connaissance avec notre peinture moderne, apprennent un peu l’histoire de l’art en France, et voient depuis Valentin et Stella, jusqu’àM. Delacroix ». Jal mettait indirectement l’accent sur la coexistence,

    devenue très difficile, entre le musée et le Salon. La direction ne pouvaittrouver de solution satisfaisante, comme le suggère le changement d’accro-chage à la mi-décembre (six semaines après l’ouverture). Certains avaientété mécontents que le prestigieux Salon carré ne reçût plus l’art vivant, nefût plus le cœur de l’exposition. C’était rompre avec une tradition vieilled’un siècle et que la Révolution n’avait pas perturbée. Retirer du parcoursle Salon carré fut, pour beaucoup, une situation difficilement acceptable.Cette rupture inaugurait – trop tôt – une ère nouvelle. On revint donc en

    arrière en décrochant les œuvres anciennes du Salon carré pour y placerune partie de la production contemporaine, c’est-à-dire, selon l’usage, les peintures d’histoire jugées les meilleures. L’incohérence du parcours futainsi aggravée et le nombre des mécontents augmenta ; certains de ceuxqui étaient relégués dans les salles du nord contestèrent d’être si loin du

    Forbin à La Rochefoucauld, février , Archives nationales, O

     . A. Jal, Esquisses, croquis, pochades ou tout ce qu’on voudra sur le Salon de  (Paris :A. Dupont, ), p. .

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    « sanctuaire », ce « sanctuaire » que dans un premier temps on avait

    supprimé. Au Salon suivant, celui de , la grande Galerie fut de nouveauaffectée au Salon et les tableaux anciens furent masqués par une charpenterecouverte de tissu. On revenait à la solution d’avant le Salon de , maisavec deux fois plus d’œuvres.

    Avec l’accroissement considérable du nombre des œuvres présentées,l’établissement du Salon au sein du Louvre devenait difficilement gérable.L’architecte du Louvre, Fontaine, en avait très tôt contesté le fonction-nement. Membre du Conseil honoraire des Musées, et à ce titre faisant

     partie du jury d’admission, il avait stigmatisé le laxisme de ses collègues quiacceptaient beaucoup trop d’œuvres. Il fut parmi les premiers à penser quele Salon n’avait plus sa place au sein du musée ; les atermoiements du direc-teur des Musées en lui donnèrent raison. Aussi suggérait-il d’exposerhors du Louvre la production contemporaine. À la fin de la monarchiede Juillet, la solution du Salon en dehors du palais du Louvre fut de plus en plus évoquée, paraissait inéluctable. En effet, à partir de , la situations’était considérablement aggravée avec un Salon annuel. Les collections de

     peintures anciennes étaient invisibles pendant quasiment la moitié de l’an-née, ce que souligne Gustave Planche en : « Je ne veux pas m’arrêter àqualifier ni à réfuter ce ridicule entêtement, qui prive pendant six mois les jeunes gens de leur étude, les étrangers et le public de leur plaisir ».

    Le Salon au sein du Musée était de moins en moins justifié. Après lacréation du musée du Luxembourg, souvent perçu comme un Salon per-manent, l’exposition périodique des ouvrages des artistes vivants ne consti-tuait plus la suite logique du musée du Louvre. D’autre part, et surtout, le

    cours d’histoire de l’art, que devaient conjointement diffuser le musée et leSalon, était devenu progressivement moins clair. Ce cours était fondé sur lahiérarchie des genres et la notion d’École nationale ; les peintres d’histoiredevaient poursuivre l’œuvre de leurs glorieux prédécesseurs, assurer la conti-nuité de l’idéal classique, de la grande tradition nationale. Voir ensembleles tableaux anciens et des peintures d’histoire contemporaines avait donc

    Fontaine, op. cit. à la note , II, . G. Planche, « Salon de », Revue des deux mondes, e série, (), .

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     Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar

    un sens, comme l’avait souligné Chaussard. Sous la monarchie de Juillet,

    on assistait à l’éclatement de la notion d’école nationale au profit d’indivi-dualités, ce qui était déjà en germes à la fin de l’Empire. En effet, le livretdu Salon de , contrairement aux livrets des Salons antérieurs, ne donne plus, après le nom de l’artiste exposant, la mention « élève de… », ce quecontesta Gault de Saint-Germain. Selon lui, la suppression de la mentiondu maître rendait moins sensible pour « l’historien », « l’enchaînementdes progrès du goût ». Ce fut précisément lors de l’exposition de queDurdent remarqua les germes d’une possible dérive, que « l’augmentation

     progressive des productions exposées » finirait par nuire à l’existence del’École française, cette école « qui est aujourd’hui la première d’Europe ».Selon Durdent, le Salon devait montrer « un certain nombre de peintres, desculpteurs, etc., dont la réputation est établie sur les bases les plus solides ;ensuite des élèves déjà formés attirent l’attention des amateurs, et donnentl’assurance que la culture des Arts n’éprouvera point d’interruption ; c’estlà proprement ce qui constitue une École ». Le Salon s’inscrivait dansune histoire de l’École. Cette histoire reposait sur la filiation maître-élève,

    filiation que tendait à occulter le livret du Salon de . Durdent mettaiten avant une idée reprise plus tard : « l’abondance » des œuvres présentéesrisquait de mettre à mal la notion d’École. Le phénomène apparaît au grand jour lors du Salon de avec de très nombreux noms nouveaux, une mul-tiplication d’ « étendards », qui montrent la complexité du système, à ladifférence de l’exposition précédente où les choses étaient claires. LudovicVitet constatait qu’en « les deux systèmes étaient en présence », c’est-à-dire les artistes consacrés et les jeunes débutants pleins d’espérance. En

    , les jeunes étaient devenus fort nombreux et les manières très diverses.Chaque peintre avait son style, affirmait sa propre individualité ; certainscritiques employèrent le mot d’ « anarchie ». L’affirmation individuelle,latente en , commençait, en , à remplacer la notion d’École. On

    P.-M. Gault de Saint-Germain, Choix des productions de l’art les plus remarquablesexposées dans le Salon de  (Paris : l’auteur, ), pp. – (« Sur la vicieuse

    réforme de la notice du Salon »). Op. cit. à la note , pp. ix–x.  Le Globe, février .

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    assistait à l’éclatement de l’École nationale, à la naissance d’un éclectisme

    qui triompha lors de l’Exposition universelle de .En , il y avait donc les débuts d’une sorte de rupture ; la longuechaîne des temps était sur le point de se briser. Le phénomène s’amplifiasous la monarchie de Juillet ; on souligna à la fois l’absence de chefs d’école,de maîtres et la multiplication d’individualités, de styles. Le chroniqueur de L’Artiste soulignait que, face à « ce chaos de cadres exposés » il étaitbien difficile de donner un examen ; l’éclectisme mettait fin au discours pédagogique qui avait été celui de bien des critiques depuis . Aussi,

    le discours des critiques se modifia ; il n’y eut plus de débats, de polémi-ques comme lors des Salons des années , ces « disputes » dont éo- phile oré avait la nostalgie, comme il l’évoque dans son Salon de . Plus de polémiques car il n’y avait plus de débats sur la marche et les progrèsde l’École nationale, une École qui n’existait plus. Le trop grand nombrede peintures, cet immense bric-à-brac généra l’ennui. En , Vitet avaitremarqué, chose alors nouvelle, « l’indifférence du public ». Dans sonSalon de , oré lui faisait écho ; il soulignait également « l’indifférence

    du public » pour conclure : « le Salon de s’annonce donc commeles autres Salons depuis ans. Peu d’inspiration nouvelle, quelques artistesde talent, et la foule des médiocrités ». Il ajoutait que l’institution étaitmenacée de « périr de mort naturelle ». En fait, elle changeait de nature.Les craintes émises par certains, quelques années plus tôt, se concrétisaient :l’exposition des artistes vivants devenait un magasin et était donc fort éloi-gnée de la mission pédagogique du musée.

    Anonyme, « Salon de . ° article », L’Artiste, (), . . oré, Le Salon de , précédé d’une lettre à Téodore Rousseau (Paris : Masgana,

    ) pp. –. Op. cit à la note . . oré, Le Salon de , précédé d’une lettre à Béranger  (Paris : Alliance des arts,

    ), p.  Ibid., p. .  Ibid., pp. –.

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    Si le Salon évoluait, si l’exposition publique finissait par se réduire à un

    marché public, ce fut également en raison de l’accroissement considérabledes scènes de genre, ces petits tableaux qui, selon la critique, « envahis-saient » le Salon. Dès la Restauration, certains chroniqueurs du Salonavaient déploré le recul de la peinture d’histoire au profit des genres ditssecondaires. D’une certaine façon, au moment du Salon de , l’admi-nistration avait indirectement souligné ce nivellement entre genres, ou dumoins la fin de la hiérarchie des genres, quand il fut décidé de renoncer, dansun premier temps, à l’accrochage dans le Salon carré, là où étaient auparavant

     présentés les grands tableaux d’histoire et notamment ceux des maîtres, des peintres renommés. L’envahissement du Salon par la scène de genre fut de plus en plus contesté par les critiques qui en rendaient responsables les col-lectionneurs et les marchands. Si, selon ces critiques, les peintres étaient de plus en plus nombreux à s’adonner à ce genre, c’était en raison du lucre qu’ilsen retiraient ; les petits tableaux devenaient « objets de commerce ». À cela,le directeur des Musées répondait : « Pourquoi d’abord et comment ensuitearrêter [le développement de la scène de genre] ? […] laissons les peintres se

    charger de plaire au Public à sa façon et à leur manière ». Forbin acceptaitle changement de goût parce qu’inéluctable ; il mettait également un freinen refusant d’accéder à la proposition de certains artistes qui demandaientun Salon annuel. Une exposition annuelle aurait favorisé les artistes pra-tiquant les genres dits secondaires au détriment des peintres d’histoire etdes statuaires, ceux-ci pouvant difficilement produire une œuvre en uneannée. Le Salon dominé par le mercantilisme commençait à être dénoncéà la fin de la Restauration. Forbin fut toujours tiraillé entre la volonté de

    montrer la richesse, la variété de l’école française et l’inquiétude de voir legrand genre progressivement abandonné. Il avait également conscience queles artistes, notamment les peintres, étaient de plus en plus nombreux etque la majorité d’entre eux devrait pourvoir vivre de leur art: « Il y a tropd’artistes et leur avenir fait trembler ». Les œuvres présentées au Salondevenaient donc fatalement de plus en plus nombreuses et il n’était pas

     Rapport sur le Salon de , Archives des Musées Nationaux, *AA , p. . Lettre de Auguste de Forbin à Pierre Révoil, mai , archives privées.

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     possible pour celui qui se voulait le protecteur de ce que l’on commençait

    à dénommer « la classe des artistes » d’endiguer cette croissance infinie.Forbin fut de plus en plus incertain quant à la solution à adopter, commele montre les changements de lieu d’exposition en cours du Salon de .En retirant dans un premier temps le Salon carré, il avait introduit unerupture fondamentale, d’où le retour en arrière quelques semaines aprèsl’ouverture de l’exposition.

    Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le terme de bazar , employé par quelques-uns lors du Salon de , revienne de plus en plus sous la

     plume des critiques. Les peintures « à vendre » composaient l’immensemajorité des œuvres exposées et supplantaient les peintures « à voir ». L’idée du Salon devenu magasin était en germes en : l’avertissementdu livret signale que l’astérisque placé devant les notices des œuvres signi-fiait que « les objets appartiennent aux artistes » et qu’ils étaient donc à vendre. Cette mention fut conservée par la suite et, à partir de , d’autresabréviations dans le livret indiquaient les commandes officielles. Le livretétablissait bien les deux fonctions du Salon : vitrine du mécénat officiel

    (peinture à voir) et peinture à vendre. L’exposition prit de plus en plusdes allures de bazar, ce qui était inévitable, comme le notait Fontaine en: les tableaux sont avant tout « une marchandise » ; « l’argent » est« le but principal de ces sortes de merveilles ». Ce fut également sousla Restauration qu’avec l’arrivée d’une nouvelle catégorie de collection-neurs – les banquiers –, des amateurs prirent conscience que les œuvresd’art moderne avaient une valeur économique, qu’elles pouvaient être objetde spéculation.

    Patricia Mainardi, Te End o the Salon. Art and the State in the Early Tird Republic  (Cambridge University Press, ), chapitre (“Pictures to See and Pictures toSell”).

    Fontaine, op. cit. à la note , II, . Marie-Claude Chaudonneret, « Collectionner l’art contemporain (–).

    L’exemple des banquiers », dans Collections et marché de l’art en France, – ,éd. Monica Preti-Hamard et Philippe Sénéchal (Rennes : Presses universitaires deRennes, ), pp. –.

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     Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar

    Le Salon de vit le début d’une prise de conscience d’une évolution

    de l’exposition officielle, voire d’une rupture. Le livret du Salon de illustre bien son changement de statut. Lors de ce Salon furent inaugurésles plafonds peints de la deuxième partie du Musée Charles X. Les autresdécors du Musée et du palais précédemment commandés avaient été éga-lement inaugurés au moment du Salon et figuraient en tête du livret.Ces décors montraient la vitalité de la peinture d’histoire et la reprise dela grande tradition française des décors. En , contrairement à ,les notices des décors peints du Musée Charles X ne figurent pas dans le

    livret. Le lien entre le Salon et le musée n’existait plus ; la fin de la peintured’histoire, du « genre noble », était d’une certaine façon acceptée. À cetégard, l’interruption de l’entreprise de Landon est également significative :après sa mort, la série des Annales avait été poursuivie en par AntonyBéraud, puis par Ambroise Tardieu ; mais dans l’avertissement du dernier volume, celui concernant le Salon de , ce dernier constatait que, lorsqueles peintres qui faisaient « la gloire de l’École », c’est-à-dire les Gérard,Gros, Girodet, Ingres et Guérin, étaient présents à l’exposition, un seul

     volume était souvent insuffisant pour cataloguer les « œuvres capitales »,tandis qu’en , les artistes « ne produisent que très peu d’ouvrages dignesd’occuper la postérité » : un demi-volume serait trop pour un seul Salon. Tardieu mit donc fin à l’entreprise commencée avec le Salon de . Lestableaux de chevalet, les petites peintures faites rapidement pour être ven-dues, dominaient.

    Comme l’avait toujours craint Forbin, le Salon annuel contribua àtransformer l’exposition officielle en bazar ; le rapport de la direction des

    Musées sur le Salon de le dit clairement. Le rapporteur soulignaitque les inconvénients d’une exposition annuelle s’étaient encore aggra-

     vés cette année – en dehors des tableaux commandés par la liste civile(essentiellement pour le musée historique de Versailles), il y avait très peu

    Le grand escalier du musée en , la première partie du musée Charles X et les sallesdu Conseil d’État en .

    A. Tardieu,  Annales du Musée et de l’École moderne des Beaux-Arts. Salon de ,« Avertissement », pp. –. Archives des Musées Nationaux, X Salon .

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    d’ouvrages entrepris « dans l’intérêt de l’art », que l’essentiel des ouvra-

    ges exposés « appartient au domaine du commerce » et que « quelquesuns rentrent déjà dans celui de l’industrie ». Il ajoutait que l’expositionofficielle n’obéissait plus à l’une de ses missions, c’est-à-dire « attester les progrès de l’art », et qu’elle finirait « par dégénérer en bazar, plutôt au profit des marchands qu’à l’avantage des artistes ». En dix ans, le Salonavait changé de nature ; ce qui était en germes en apparaît au grand jour en . Ce changement était accepté par ceux qui avaient en chargele Salon, le mouvement étant irrésistible. La terminologie employée par

    le rapporteur officiel en n’est pas anodin : il établit une progressionentre les ouvrages qui « appartiennent au domaine du commerce » etceux qui sont du « domaine de l’industrie ». Le terme de « produitsd’industrie », employés pour définir une partie de la production pic-turale, commençait à revenir sous la plume des chroniqueurs de Salon.Ainsi, Alexandre Barbier, après avoir noté que œuvres avaient étésoumises au jury du Salon pour la seule année , notait : « Avec une

     pareille facilité de production, on se demande si l’art en France n’a pas

    aussi trouvé, comme l’industrie lyonnaise, son métier à la Jacquart ». Etil ajoutait : les artistes « ne seront plus que des ouvriers plus ou moinsconsommés, et leur atelier une boutique ». Lors du Salon de , LouisPeisse fit le même constat : « Paris est aujourd’hui la grande fabrique de peintures de l’Europe », l’art a pris « les allures d’une industrie ». Cegenre de propos sous-entend qu’il s’agissait d’une marche rétrograde. Lesartistes étaient revenus au point départ, avant la création de l’Académie,quand l’art était réduit à un savoir-faire, les artistes à des artisans tenant

    boutiques. Le Salon de l’Académie royale avait été créé pour établir unedistinction entre artistes et artisans, pour démontrer la supériorité de lacréation artistique sur le métier. À la fin de la monarchie de Juillet, l’expo-sition des artistes vivants était devenue une boutique où étaient présentéesles œuvres susceptibles d’attirer les chalands. Le Salon, qui ne présentait plus d’ « œuvres capitales », comme l’avait noté Tardieu en , n’avait

    A. Barbier, Salon de  (Paris : Joubert, ), p. et p. . L. Peisse, « Le Salon », Revue des deux mondes ( avril ), .

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     Les artistes vivants au Louvre (–) : du musée au bazar

     plus sa place dans le temple de l’art. Il était inévitable que le Salon ait lieu

    hors du musée du Louvre, et qu’il finisse par échapper à l’administrationdes Musées. Les événements de le permirent.Le lien entre les collections anciennes et l’art vivant fut tranché avec

    l’arrêté du avril , où le ministre de l’Intérieur fixe les attributions dela direction des Musées et de le direction des Beaux-Arts : « il importe dedistinguer les travaux d’avenir des réalisations du passé ». L’administrationunifiée mise en place à partir de n’existait plus. Le Salon, ouvert le mars , avait démontré l’impossibilité de la cohabitation entre le musée

    et l’art vivant : il avait accueilli toutes les œuvres, sans sélection préalable, pour satisfaire les artistes hostiles au jury. Le nombre d’œuvres à exposerfut donc énorme ; les ouvrages des artistes vivants envahirent la totalité dumusée, les œuvres anciennes furent totalement invisibles. Le chroniqueurde L’Illustration se réjouissait de la nouvelle administration mise en placeet de la liberté accordée aux artistes, mais il soulignait l’« inconvénientconsidérable » de supprimer « pendant plusieurs mois » la possibilitéde voir les chefs-d’œuvre du musée : « On se plaignait déjà de voir cette

    suppression s’étendre à la moitié du Musée. Que sera-ce donc aujourd’huiqu’elle s’étend à la totalité, et que les échafaudages et la toile verte masquent jusqu’aux derniers tableaux de l’école italienne, autrefois entièrement réser- vée à l’étude ? ».

    Pour ce critique, il n’aurait pas fallu « ouvrir les portes du temple àtous les marchands et à tous les baladins ». Il reconnaissait que l’État devait« faciliter aux artistes la libre manifestation de leurs œuvres », mais qu’ilavait également une mission « d’enseignement public ». Aussi proposait-il

    une solution qui avait peu de chance d’aboutir après la nette séparation entrela conservation de l’art ancien et la promotion de l’art vivant : une expo-sition hors du Louvre pour tous les artistes et une exposition périodiqueau Louvre qui montrerait les ouvrages d’une élite. Il affirmait la nécessité

    Voir P. Mainardi, « e Eviction of the Salon from the Louvre », Gazette des Beaux-

     Arts ( juillet–août ), –. A.J.D. [Augustin-Joseph Du Pays], « Salon de . Avant-propos », L’illustration, mars , pp. –.

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    -

    d’établir une séparation entre les œuvres objets de commerce et celles qui

    devaient « être offertes à l’admiration de la France » : « Alors le Louvrecesserait d’être un bazar et redeviendrait un Musée ».

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    La fréquentation du Salon de à

    Nombreux sont les critiques évoquant l’afflux de visiteurs à « l’expositiondes ouvrages des artistes vivants ». Le chroniqueur du Figaro, entre autres,

    relate que « la position n’est pas tenable quand il faut se hisser sur ses piedset attraper de l’œil, à travers mille chapeaux mouvants, un bras, une jambe,une tête : car il n’y a pas espoir de jouir d’une figure entière … . ». Connuet reconnu, le Salon représentait le principal espace de confrontation entrecréateurs, amateurs, marchands d’art et curieux. « Alors que le marché del’art contemporain était encore embryonnaire, les expositions non officiellesrarissimes et plus que modestes, il était le seul lieu où les artistes pouvaientmontrer leur production, se faire une réputation et trouver commanditaireset acquéreurs ». Delacroix en témoigne : « J’ai commencé un tableau. LeSalon est très voisin. Je compte là-dessus pour me faire un peu connaître etobtenir des travaux ». Le rôle du Salon comme passage incontournable pour le succès public d’un artiste est également souligné par Louis Lacazequi conseille vivement au peintre Charles-Philippe Larivière, alors en Italie,de « revenir à Paris et d’y faire aussitôt de grands tableaux, afin qu’on parlede vous comme vous le méritez à la prochaine exposition ». 

    « Figaro au Salon. Les nouvelles salles. – Exposition de la rue du Gros Chenet »,  Le Figaro, décembre , p. .

    Marie-Claude Chaudonneret, L’État et les artistes. De la Restauration à la monarchiede Juillet  (Paris : Flammarion, ), p. .

    Lettre d’Eugène Delacroix à sa sœur Mme de Verninac datée du janvier , dansCorrespondance générale d’Eugène Delacroix , éd. André Joubin, vols (Paris : Plon,–), V, .

    Lettre de Louis Lacaze à Charles-Philippe Larivière [Paris], mai , citée dansIsabelle Lodde, « Charles-Philippe Larivière, grand prix de Rome , ou les dan-gers d’un séjour en Italie », Studiolo, (), .

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    Principal événement artistique, le Salon était l’objet d’un véritable

    engouement à en croire les salonniers qui évoquaient l’affluence à l’entréede l’exposition. L’importance de cette manifestation était telle que le cri-tique Auguste Jal consacra dans son livre sur le Salon de un chapitreà « L’ouverture du Salon ». Il relatait l’ambiance de ce jour particulier etattendu. Dès la matinée, une foule d’artistes et d’amateurs assiégeaient les portes du Louvre. Pendant l’attente, il était fréquent de voir des artistesretardataires braver la foule pour apporter leurs œuvres quelques heuresavant l’inauguration. Leur présence provoquait une hilarité générale : « on

    applaudit, on siffle, on hue, il semble que ce soit des malheureux acteursqui ont manqué leurs entrées ». L’ennui du visiteur pouvait être trompé par des animations, comme celle d’un joueur de gobelets qui fut applaudiet fit une excellente recette.

    Pourtant les historiens de l’art ne se sont guère intéressés à la questioncentrale de la fréquentation du Salon. La tâche n’est certes pas aisée, car lessources d’informations manquent cruellement. L’exposition des ouvragesdes artistes vivants (pour reprendre son titre officiel) étant une manifesta-

    tion artistique gratuite, aucun registre ne comptabilisait le nombre d’entrées.Ouvert à tous, le Salon accueillait de toute évidence un large éventail declasses sociales. Gens éclairés, néophytes, mais aussi curieux et snobs s’y ren-contraient, c’était un rendez-vous à la mode. Face à l’absence de documentsofficiels, comment peut-on estimer la fréquentation du Salon et se forgerune image des publics qui parcouraient les salles de l’exposition ?

    Auguste Jal, Esquisses, croquis, pochades ou tout ce que l’on voudra sur le Salon de  (Paris : A. Dupont, ), pp. –.  Ibid. Les études sur l’estimation de la fréquentation des visiteurs au Salon sont peu nombreu-

    ses. Pour le XIXe siècle on peut se reporter au chapitre « Tous au Salon !» du livre d’EvaBouillo, Le Salon de : classique ou romantique (Rennes : Presses Universitaires deRennes, , pp. –) et à l’article de Udolpho Van de Sandt, « La fréquenta-tion des Salons sous l’Ancien Régime, la Révolution et l’Empire », Revue de l’art , (), –. Signalons également pour le XVIIIe siècle le livre de omas Crow,

     Painters and Public Lie in Eighteenth-Century Paris (New Haven et Londres: YaleUniversity Press, ) et l’article de Richard Wrigley, « Censorship and Anonymity inEighteenth-Century French Art Criticism », Oxord Art Journal , (), –.

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     La équentation du Salon de à

    Tenter de répondre à cette double question nécessite une approche

    analytique du contenu axée sur l’étude des témoignages des contemporains(correspondance et critique d’art) ainsi qu’une démarche statistique fondéesur les ventes des livrets, unique recette du Salon. La direction des Musées,organisatrice de l’exposition, avait le monopole de l’édition du livret. Ellele vendait à l’entrée du Louvre, pour un prix modique, ce qui le rendaitaisément accessible. Il constituait, en outre, un outil indispensable pourtout visiteur soucieux de connaître le nom de l’auteur et le sujet des œuvresexposées, ces dernières ne portant qu’un numéro d’identification. Cette

    donnée quantitative, bien qu’imparfaite puisque l’achat d’un livret n’impli-quait pas nécessairement qu’une seule entrée dans l’exposition, représentenéanmoins un indicateur de mesure. Cette étude, ciblée sur la secondeRestauration, sera mise en relation avec le travail d’Udolpho Van de Sandtsur la fréquentation des Salons sous l’Ancien Régime, la Révolution etl’Empire. Toutefois, il convient de ne pas se limiter à cette comparaisonet de montrer la répartition des visiteurs pendant la durée des expositionsainsi que de mettre en évidence les temps forts qui constituent une véritable

    relance des débats, comme ce fut le cas au Salon de .

    La fréquentation

    La courbe générale des ventes du livret sous l’Empire et la Restaurationest dans l’ensemble stable, oscillant entre et exemplaires,excepté pour les Salons de , et , qui semblent avoir été desexpositions remarquables (graph. ). Toutefois, la moyenne des ventes dulivret de à est largement supérieure ( ) à celle de la décennie– ( ), ce qui témoigne de l’augmentation de la fréquentationau Salon sous la seconde Restauration. Un graphique réalisé à partir de la

    Van de Sandt, op. cit . à la note . Bouillo, op. cit . à la note .

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    comptabilité des ventes du livret pour cette dernière période (graph. )

     permet de constater que leur nombre a quasiment doublé en dix ans pouratteindre un chiffre record en ( ) qui ne sera pas égalé au Salonsuivant ( exemplaires vendus en ). On remarque une corrélationentre l’augmentation des ventes du livret (près de ), celle du nombred’exposants (près de ) et celle des ouvrages exposés (plus de ). Toutefois, l’accroissement du nombre des artistes et des œuvres ne suffit

     pas à expliquer l’évolution des ventes du livret puisque le Salon de  présente plus d’œuvres que celui de (plus de ), alors que les ventes

    du livret diminuent (près de ). La courbe des ventes du livret sous la Restauration met en évidencedeux cas particuliers, les années et . La réduction des ventes en rend compte de la baisse des visiteurs au Salon. Le chroniqueur du

     Journal des Débats affirmait que « la foule ne revient pas au Salon » etqu’« une proscription a frappé l’Exposition ». La correspondance desartistes confirme son manque de popularité. Le sculpteur Lemoyne expli-quait à Granet, alors en Italie : « On s’accorde généralement à dire que

    l’exposition de cette année est inférieure de beaucoup à la précédente ». Paulin Duqueylard lui écrivait également : « Je n’ai, pour ainsi dire, pasentendu parler du Salon. […] On dit, au reste, qu’il n’est pas brillant cetteannée et qu’à l’exception d’un petit nombre d’ouvrages tout le reste n’estque portraits et remplissage ». Le critique Kératry abondait dans ce sens,

    Cette progression est établie à partir des exposants et des œuvres notées

    au livret du Salon de mentionnés par Pierre Angrand dans Le comte de Forbinet le Louvre en  (Paris : La Bibliothèque des arts, ), p. . Au Salon de on comptabilise exposants et œuvres notées au livret. Voir Eva Bouillo, LeSalon de   : classique ou romantique ?  (Rennes : Presses Universitaires de Rennes,).

    En , livrets furent vendus contenant numéros contre livrets vendus référençant œuvres, en .

     Journal des Débats, mai . Lettre de Lemoyne à Granet, alors en Italie, datée du mai , citée dans Isabelle

    Neto, Granet et son entourage (Paris : Archives de l’art français, ), pp. –. Lettre de Paulin Duqueylard à Granet datée du juillet ; voir Neto, op. cit., p. .

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     La équentation du Salon de à

    affirmant que les raisons de la désaffection du public résidaient « dans le

    choix des sujets ». Il semble en effet que les portraits avaient envahi lessalles. Landon en comptabilisait contre peintures d’histoire, œuvres de style anecdotique, scènes familières, paysages et tableaux de fleurs ou de natures mortes. Une caricature sur le Salon de (fig. ) peut être interprétée comme une ironique remise en question de la valeur des œuvres exposées, les jeunes visiteurs étant fascinés par les cadreset non par les tableaux. Les jugements négatifs sur cette exposition peuventaussi s’expliquer par l’absence de grands maîtres (Girodet, Guérin) et par la

    qualité jugée discutable des œuvres exposées. Forbin en avait conscience puisqu’il écrivait à Granet : « Tout cela fait assez bien, mais personne nedépasse son voisin ; enfin, je ne vois pas un homme dans tout cela ». A l’is-sue de l’exposition, il évoquait dans son rapport la « nouvelle marche » del’art comme une « espèce d’incertitude » et poursuivait : « l’inconvénientle plus grave de cette époque est tout entier dans l’impossibilité absolued’imprimer une direction saine et profitable à une multitude d’élèves tou- jours croissante ». La situation de l’art en amena quelques années

     plus tard le critique Arnold Scheffer à qualifier cette exposition de pausedans le progrès de la nouvelle peinture, entre l’innovation du  Radeau dela Méduse de Géricault (Louvre) en et l’audace des Massacres de Scio de Delacroix (Louvre) en .  Dante et Virgile aux eners de Delacroix

    Kératry, Le Courrier ançais, avril et La Gazette de France, mai .  Charles-Paul Landon, Annales du Musée et de l’École moderne des beaux-arts, vols

    (Paris : Pillet aîné, ), I, . « Nous avons à regretter que M. Girodet ne soit pas venu […] M. Guérin va chercherde nouvelles inspirations sous le beau ciel de Rome : il agira par ses conseils et sesexemples sur cette portion précieuse de l’école française qu’il est appelé à diriger ».

     Rapport de Forbin, juin , Arch. musées nat. : *AA , Correspondance adminis-trative du directeur du musée royal, er septembre – décembre , p. .

    Lettre de Forbin à Granet datée du décembre ; voir Neto, op. cit . à la note , p. .

     Rapport de Forbin, juin , Arch. Musées nat. : *AA , Correspondance

    administrative du directeur du musée royal, er

     septembre – décembre , pp. –. Arnold Scheffer, « Salon de », La Revue Française, (), –.

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    (Louvre), remarqué en , ne consacrait pas encore son auteur comme

    le chef de file d’une nouvelle esthétique. Les ventes exceptionnelles du livret en témoignent, au contraire,d’un véritable attrait pour l’exposition. Comment expliquer un tel succès ?Les trois ans qui séparent le Salon de de celui de avaient fait de cedernier un événement très attendu. L’exposition au profit des Grecs, orga-nisée en à la galerie Lebrun, n’avait pas eu l’ aura d’un Salon, même sil’initiative avait été applaudie. L’ouverture du musée Charles X et des sallesdu Conseil d’État durant l’exposition constituait un atout supplémentaire

    qui pouvait favoriser les visites. Mais il semble plus probable que l’enthou-siasme de la foule fut provoqué par l’essor de la peinture romantique, commel’explique le journaliste des Annales du Commerce :

    L’exposition a duré six mois pendant lesquels la foule n’a cessé de remplir les vastessolitudes du Musée. À quoi donc attribuer un aussi vif empressement ? […] c’est à lanouvelle école qu’il faut rapporter l’engouement de la foule pour l’exposition. […]C’est à la réunion des ouvrages […] que le public a trouvé un aliment si durable à sacuriosité. Oui, c’est à ce combat d’outrance qu’il a voulu assister … .

    La bataille entre classiques et romantiques, née en , était à nouveau aucentre des débats et constituait l’intérêt majeur du Salon de (fig. ). Dece fait, la répartition de la foule dans les salles était encore plus inégale qu’àl’accoutumée. La peinture retenait toute l’attention des visiteurs, chacuncherchant à défendre l’un des deux camps, alors que l’espace consacré à lasculpture était déserté. Delécluze expliquait très clairement cet état de fait :« Il arrive qu’une femme belle, mais modeste et sage, est délaissée pour une

    Sébastien Allard, « Dante et Virgile aux Enfers » d’Eugène Delacroix  (Paris : Éd. dela Réunion des musées nationaux, ).

    R., « Feuilleton des annales. Beaux-Arts. Exposition de », Annales du Commerce,

    avril , pp. –. D., « Résumé du Salon de »,  L’Observateur des Beaux-Arts, mai , pp. –.

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     La équentation du Salon de à

    coquette agaçante, qui sacrifie tout afin d’obtenir un succès passager. C’est

     précisément le cas où se trouve la sculpture du Louvre cette année ». Si la vente des livrets a permis d’affirmer l’évolution croissante de lafréquentation du Salon sous la Restauration, comment estimer l’affluencedu public parcourant les salles d’exposition ? On peut supposer que le livretfut acheté par un grand nombre de visiteurs puisque, vendu aux alentoursd’un franc, il restait un achat accessible comparé au salaire annuel d’unouvrier d’administration qui s’élevait à francs. Toutefois, il n’était cer-tainement pas acheté par tous, le pourcentage d’analphabètes étant encore

    important. Beaucoup de personnes, pour qui le livret n’était d’aucune uti-lité, pouvaient, en revanche, venir admirer les œuvres exposées. Par ailleurs,il faut aussi prendre en compte qu’un nombre non négligeable de livretsétaient gracieusement offerts à certains privilégiés : personnalités politiques,administratives, artistes, intellectuels. La comparaison, pour l’année ,entre les exemplaires vendus ( ) et ceux publiés ( ) confirmecette hypothèse. À ce nombre non quantifiable de visiteurs de marques’ajoutaient ceux qui possédaient un livret acheté par un membre de leur

    famille, ceux à qui on l’avait prêté, donné, mais encore les visites de groupesur réservation, hors des horaires d’ouverture. Il faut aussi préciser que le

    Étienne-J. Delécluze, « Beaux-Arts. Sculpture », Journal des Débats, mars , p. .

    Dans la comptabilité administrative de la direction des Musées, il est mentionné quele livret du Salon fut vendu un franc de à , puis un franc vingt-cinq en

    et enfin un franc en , somme à laquelle on devait ajouter vingt-cinq centimes par supplément, soit un coût de revient total de ,f. Arch. Musées nat., *MMet *MM, Comptabilité administrative – et –.

    Guillaume de Bertier de Sauvigny, La Restauration (Paris : Flammarion, ), p. .

     Ibid., p. . Arch. nat. : F* III et F* III , Enregistrement au dépôt légal de Paris des ouvrages

     périodiques et non périodiques pour la période du Salon de –. Précisons quel’enregistrement au dépôt légal de Paris des ouvrages périodiques et non périodiques

     pour la période de à a été perdu. À titre d’exemple, une lettre adressée au comte de Forbin le septembre solli-citait une visite réservée aux élèves de l’École polytechnique, ceux de l’École royale

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    spectateur pouvait revenir plusieurs fois et contempler les remaniements de

    l’accrochage qui rythmaient le Salon. Par conséquent, la quantité de visiteursétait inévitablement bien supérieure au nombre de livrets vendus.Dans son étude, Van de Sandt considère qu’il faut multiplier le nombre

    de catalogues vendus par un coefficient de trois. Son argumentation estconstruite à partir d’informations concernant le Salon de qui duracinq semaines. Or, les expositions sous la Restauration étaient devenuesun événement d’une tout autre envergure autant dans l’espace – elles s’éten-daient dans de nombreuses salles autour du Salon carré – que dans le temps,

     puisqu’elles duraient de trois à six mois. Si le raisonnement de Van de Sandtconvient pour la période qu’il étudie, il semble moins adapté à la Res-tauration. En effet, le contexte différait. Les années troubles passées, leclimat politique économique et social se consolidait. L’augmentation desFrançais, l’essor de la population parisienne, la montée de la bourgeoisie,le développement de l’instruction et de la presse sont autant de facteursqui permettent d’affirmer l’augmentation de la fréquentation du Salon etde mesurer son prestige. De surcroît, la prospérité de la France favorisait

    la venue des étrangers (Russes, Autrichiens, Anglais) que l’on peut comp-ter comme des visiteurs potentiels. Un des élèves de David lui écrivait à propos du Salon de : « Beaucoup d’étrangers s’y sont encore montrés ;mais on n’a remarqué que cette fois, en sortant, ils n’avaient que le livret à lamain ». Ces données prises en compte, le coefficient choisi par UdolphoVan de Sandt semble insuffisant. Si l’on adhère à son hypothèse,  visiteurs auraient parcouru le Salon de . Or le journaliste de L’Artiste 

    d’État Major, de l’École normale et du Collège de France. Arch. Musées nat. : X Salon.

    Van de Sandt, op. cit . à la note . La population française a augmenté de et la population parisienne de , en

     partie grâce à l’émigration provinciale. Ces calculs furent effectués à partir des chiffresfournis de à par Bertier de Sauvigny, op. cit . à la note , pp. –.

    On estime, en , à plus de les Anglais venus passer quelques semaines ou

    quelques mois en France; voir Bertier de Sauvigny, op. cit., p. . N., « Première lettre », Lettres à David, sur le Salon de par quelques élèves de son école (Paris : Pillet aîné, ), p. .

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     La équentation du Salon de à

    évoque « environ un million de visiteurs » en , année où l’exposition

    fut pourtant moins visitée, comme tendrait à le prouver la vente des livrets.Croire aux dires de L’Artiste reviendrait à multiplier par le nombre deslivrets vendus en . Sans doute optimiste, cette évaluation ne pouvaitcertainement pas être disproportionnée, eu égard aux lecteurs de la revue.Le fossé qui sépare les deux estimations révèle combien il est difficile detrouver un coefficient multiplicateur approchant de la réalité.

    Qui vient au Salon ? Radiographie des publics

    L’affluence grandissante au Salon durant la Restauration est un fait acquis,bien qu’elle soit difficilement quantifiable. Cependant, il reste à définirqui s’intéressait à cette manifestation et comment se répartissait le flotdes visiteurs.

    Ouverte tous les jours de h à h sauf le mardi, réservé au net-toyage et à l’entretien, l’exposition connaissait des pics de fréquentation deh à h et le dimanche. Si les critiques évoquaient systématiquementla foule, précisons qu’elle ne constituait pas un public caractérisé par uneconformité d’attitudes et d’attentes, mais un regroupement momentanéd’individus hétérogènes de par leur âge, leur profession, leur fortune, leurdegré d’instruction ou encore leur origine géographique. Cette réalitéétait perceptible dans l’organisation même du Salon puisque la directiondes Musées faisait éditer des cartes d’entrée qu’elle attribuait à certaines

    « Beaux-Arts. Notes sur le Salon de », L’Artiste,  (), . À partir de , le mardi était le jour de fermeture du Salon. Voir Richard Wrigley,

    Te Origins o French Art Criticism: fom the Ancien Régime to the Restoration (Oxford:Clarendon Press, ), p. .

    Lettre adressée à Forbin datée du mai précisant : « le dimanche est le jour

    où l’affluence du public est la plus grande à l’exposition … », Arch. Musées nat. : XSalon . Crow, op. cit . à la note .

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    catégories de personnes. C’est ainsi que chaque artiste exposant en recevait

    une, « l’égale de tous les privilèges », comme l’explique un élève de David :« J’ai mes grandes entrées […] les portes et les concierges du Musée flé-chissent à toute heure devant moi aussi poliment que devant le passeportd’un Anglais ». C’est ainsi que certains privilégiés pouvaient échapper àla cohue populaire grâce à une carte leur permettant d’entrer le matin, les vendredis et samedis. En par exemple, billets sur   grand raisin pâte vélin bleu furent imprimés pour les entrées du vendredi et billets sur   grand raisin pâte vélin vert d’eau pour les entrées du samedi. La diff�