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François-Xavier Fabre Un peintre imprégné de son époque Après une formation académique rigoureuse, lente et méticuleuse à Montpellier, François-Xavier Fabre entre dans l’atelier de David en 1783. Obtenant le prix de Rome en 1787 devant Girodet, il se rend à Rome et ne tarde pas à s’imposer comme l’un des meilleurs espoirs français et l’héritier de la grande tradition de Raphaël, Poussin et David. Ancré dans un contexte social en pleine évolution au tournant de la révolution, où le goût grandissant de l’antique sert à incarner les idéaux nobles de cette pensée en mouvement, Fabre se démarque de ses contemporains par une pratique non linéaire en décalage avec la production artistique de son temps: avec lui les genres et les tentatives stylistiques se côtoient, l’interprétation de thèmes bibliques et mythologiques montrent une telle érudition dans leur illustration qu'ils semblent l'essentiel de son propos. Est-ce par conviction, par goût, ou plutôt pour répondre à une clientèle cosmopolite, européenne mais conservatrice qu’il choisit de tourner le dos à la fois au classicisme trop poussé d’Ingres et au romantisme naissant de Gros ? C’est en tout cas pour prendre du recul qu’il choisit de s’installer à Florence, où son amitié avec la comtesse d’Albany et le poète Alfieri lui ouvre les portes de la reconnaissance d’une pratique certes inscrite inconditionnellement dans le rapport constant aux maîtres, à une certaine tradition, mais qui a montré qu’elle n’était pas exempte d’une forte personnalité et sensibilité. L’art ça s’apprend ! La formation académique Depuis sa création en 1667, l’académie royale de peinture et de sculpture 1 règlemente de façon rationnelle tout dessein de création, établissant une hiérarchie de genres dont le plus grand et noble est la peinture d’histoire comprenant des sujets religieux, mythologiques et historiques, incarnant un message moral, des vertus. Suivent ensuite les scènes de la vie quotidienne (scènes de genre), les portraits, les paysages et les natures mortes. C’est par l’enseignement du dessin que chaque artiste aspirant à devenir académicien, - après avoir obtenu le prix de Rome, s’être rendu en Italie pour parfaire sa formation, avoir présenté son « morceau de réception »-, reçoit une formation intellectuelle complète qui aborde autant l’art de peindre que la rhétorique, la poésie et l’histoire, enseignements indispensables pour l’incarnation d’une idée supérieure traduite par la forme. 1. Cf. (Re)-découvrir les collections du musée Fabre, l’idéal Classique Toutes les oeuvres reproduites sont de François-Xavier Fabre sauf annotation particulière Autoportrait jeune 1783-1786
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François-Xavier Fabre Un peintre imprégné de son époque Après une formation académique rigoureuse, lente et méticuleuse à Montpellier, François-Xavier.

Apr 03, 2015

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Danièle Baudry
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Page 1: François-Xavier Fabre Un peintre imprégné de son époque Après une formation académique rigoureuse, lente et méticuleuse à Montpellier, François-Xavier.

François-Xavier Fabre

Un peintre imprégné de son époque

Après une formation académique rigoureuse, lente et méticuleuse à Montpellier, François-Xavier Fabre entre dans l’atelier de David en 1783. Obtenant le prix de Rome en 1787 devant Girodet, il se rend à Rome et ne tarde pas à s’imposer comme l’un des meilleurs espoirs français et l’héritier de la grande tradition de Raphaël, Poussin et David. Ancré dans un contexte social en pleine évolution au tournant de la révolution, où le goût grandissant de l’antique sert à incarner les idéaux nobles de cette pensée en mouvement, Fabre se démarque de ses contemporains par une pratique non linéaire en décalage avec la production artistique de son temps: avec lui les genres et les tentatives stylistiques se côtoient, l’interprétation de thèmes bibliques et mythologiques montrent une telle érudition dans leur illustration qu'ils semblent l'essentiel de son propos. Est-ce par conviction, par goût, ou plutôt pour répondre à une clientèle cosmopolite, européenne mais conservatrice qu’il choisit de tourner le dos à la fois au classicisme trop poussé d’Ingres et au romantisme naissant de Gros ? C’est en tout cas pour prendre du recul qu’il choisit de s’installer à Florence, où son amitié avec la comtesse d’Albany et le poète Alfieri lui ouvre les portes de la reconnaissance d’une pratique certes inscrite inconditionnellement dans le rapport constant aux maîtres, à une certaine tradition, mais qui a montré qu’elle n’était pas exempte d’une forte personnalité et sensibilité.

L’art ça s’apprend !La formation académique 

Depuis sa création en 1667, l’académie royale de peinture et de sculpture1 règlemente de façon rationnelle tout dessein de création, établissant une hiérarchie de genres dont le plus grand et noble est la peinture d’histoire comprenant des sujets religieux, mythologiques et historiques, incarnant un message moral, des vertus. Suivent ensuite les scènes de la vie quotidienne (scènes de genre), les portraits, les paysages et les natures mortes.C’est par l’enseignement du dessin que chaque artiste aspirant à devenir académicien, - après avoir obtenu le prix de Rome, s’être rendu en Italie pour parfaire sa formation, avoir présenté son « morceau de réception »-, reçoit une formation intellectuelle complète qui aborde autant l’art de peindre que la rhétorique, la poésie et l’histoire, enseignements indispensables pour l’incarnation d’une idée supérieure traduite par la forme.

1. Cf. (Re)-découvrir les collections du musée Fabre, l’idéal ClassiqueToutes les oeuvres reproduites sont de François-Xavier Fabre sauf annotation particulière

Autoportrait jeune 1783-1786

Page 2: François-Xavier Fabre Un peintre imprégné de son époque Après une formation académique rigoureuse, lente et méticuleuse à Montpellier, François-Xavier.

De l’étude anatomique au corps dans l’œuvreLa représentation du corps : Un prétexte à l'incarnation de sujets « nobles »

Au cœur de l’enseignement du dessin à l’académie et ensuite dans l’atelier du peintre David dont l’« Hector » de 1778 servit de modèle pour ses élèves, incarnation du héros, représenté de préférence nu pour approcher la beauté naturelle et idéale, illustration d’un épisode mythologique ou antique, il s’adapte au sujet traité épousant alors des styles différents.L’usage étant que l’artiste accepté à l’annexe de l’académie royale, l’académie de France à Rome, devait exécuter des travaux attestant de ses progrès, F-X. Fabre réalise durant sa période romaine (1787-1792) de nombreuses toiles qu’il envoie à l’administration parisienne dont le Saint Sébastien expirant (3) de 1789, le Soldat romain au repos de 1788, le Repos du gladiateur de 1789 (1) et Abel expirant de 1790 (2) qui fut exposé au salon de 1791 et dont on a loué la régularité du dessin, le choix des plus heureuses formes, le style grave et noble, etc.….…L' école de David, qui influença ses choix plastiques – style résolument antiquisant, sévère et réaliste – transparait à travers ces commentaires. F-X Fabre ne reconnaissait de qualité qu’au genre de peinture apprise chez son maître, refusant avec véhémence aussi bien l’Ingrisme que le romantisme.Il en adopta la méthode rigoureuse qui veut que chaque composition soit le fruit de nombreuses esquisses, dessins, études préliminaires, recherches de composition à tous les stades d’achèvement avec divers outils : de la mine de plomb, à la plume, au dessin modelé au lavis….ne laissant que peu de place à la spontanéité dans le but suprême d’atteindre l’idéal de beauté et de vérité de l’œuvre.

Corps dans l’œuvre ou corps de l’œuvre.

Il diffèrent selon le sujet traité : les corps romains se montrent virils, robustes, sculpturaux prêts à l’action alors que les corps des Saint Sébastien, des Adonis, des Narcisse s’assouplissent, se courbent, chutent avec une plus grande sensualité.L’abandon est sensible dans La descente de croix de 1809, la résistance de Philoctète dans Ulysse et Neptolème enlèvent à Philoctète les flèches d’Hercule en 1800, l’assurance dans Le Jugement de Pâris de 1808. Si les études de corps constituent une référence et un répertoire de formes à disposition, il faut noter avec quelle aisance F-X. Fabre leur donne une existence propre, de plus en plus sensible avec le temps où l’exactitude côtoie l’expression associée à une grande théâtralité.

Décalque de la mort d’Adonis, 1792 ,détail

1 2 3Saint Sébastien, 1791

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Le peintre d’histoire

Notons que le point de tension crée par David à l’entrecroisement des pieds est repris par Fabre dans de nombreuses compositions, comme par exemple:

-dans « Marius et le Gaulois », esquisse, 1796, qui renvoie également à Drouais.

-«  Nabuchodonosor fait tuer les enfants de Sédécias sous les yeux de leur père », 1787 où l’ évidement plus large enferme un autre groupe.

François-Xavier Fabre se destinant à la peinture d’histoire se plie, comme tout artiste de cette époque à la règlementation sévère de l’académie dans laquelle il se reconnaît parce qu’elle répond à son goût personnel pour l’antique et les textes classiques – il parle le grec et le latin, se constitue une admirable bibliothèque - et parce qu’elle incarne aussi le dogme de la supériorité absolue de la civilisation et de l’art de l’antiquité en ce qu’ils sont le seul moyen « d’être grands, et si possible, inimitables »1, chère à son époque suivant les pensées de Winckelmann.2

Toutefois, bien que son œuvre soit encore partiellement inconnue du fait d’une clientèle essentiellement étrangère à Florence, sa production semble avoir été peu abondante du fait de multiples occupations et de problèmes de santé. Certains projets sont d’ailleurs restés à l’état d’esquisse (c’est malheureusement par des œuvres préparatoires que l’on connaît sa période la plus féconde) et ce n’est pas cette partie de son œuvre qui assura sa notoriété.

Le choix des sujetsLes sujets traités par F- X Fabre sont essentiellement inspirés de l’histoire antique: textes d’Ovide, d’Homère et tragiques grecs; dans les tragiques modernes, il ne s’inspirera que des textes d’Alfieri, se détournant totalement et malgré certaines suggestions de ses commanditaires (dont son ami Clarke), de l’histoire nationale ayant inspiré Ossian, Atala, Corinne dont l’ engouement naissant pour la veine troubadour s’accentue depuis le consulat. Son répertoire extrêmement conformiste, reprend donc des thèmes traités par ses contemporains et ses prédécesseurs immédiats. Mais le choix des compositions, l’ajout de détails significatifs exacts, en accord avec les textes qu’il fréquente quotidiennement affirment sa singularité.

Des références multiples

Au début, il partage les recherches de ses confrères:Par exemple, le thème des Horaces dont « Le serment sur le corps de Lucrèce » (1) esquisse au crayon noir, est traité par Desmarais (Horace tue sa sœur Camille 1785) mais renvoie au « Serment des Horaces » de David de 1784 (2) : on peut rapprocher la composition des deux groupes distincts, le sol en perspective, l’arrière plan tripartite, et en apprécier les différences, inversion de la disposition des groupes, recouvrement du fond avec un voile-rideau souvent employé à l’époque pour fermer la composition etc.

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1. François-Xavier Fabre, peintre et collectionneur, l’objet d’art, Laure Pellicier2. "Beauty is one of the greatest mysteries of nature." (Winckelmann in The History of Ancient Art, 1764)

Puis, des sujets plus originaux se rapprochent du répertoire des amours mythiques ou au cycle homérique que nous connaissonspar plusieurs dessins des années 1797-1798. Durant cette période, il montre un style empreint de « l’antique aimable de Vien » et de l’élégance de son ami Gauffier. Les femmes sont généralement inquiètes et éplorées, les hommes incarnent la force et la détermination.

Flaxman, Ulysse et Circé 1810 Léandre retiré des eaux ,1797

Détail illustrant la théâtralité

On retrouve la ligne sobre, pure et élégante de Flaxman dans les esquisses et peintures de cette époque illustrant les textes antiques grecs, (ou les textes sacrés) dont il s’applique à rendre la grâce et l’élégance, avec un traitement du visage plus ou moins stéréotypé (nez grec, arcades sourcilières tombantes), les plis des vêtements accentués, une émotion contenue, des attitudes mondaines, des mouvements théâtraux, une universalité des concepts….une composition en frise et des poses contrastées (tête de profil, corps de face, ou l’inverse). Il n’en est pas de même pour le traitement de thèmes relatant les épisodes romains où le goût pour les corps hyperréalistes, dont la musculature, la robustesse, la détermination, la sévérité sont mis en avant par le jeu des ombres et des lumières, où les muscles souples d’un Abel ou d’un Pâris se transforment en muscles noueux d’un Marius et où l’expression appuyée des visages accentue le caractère dramatique de l’action figée dans l’instant.Généralement, peu de figures, des groupes différenciés sont placées dans un décor sobre, intelligible, où quelques détails raffinés informent sur le moment historique choisi de l’action représentée.Avant tout peintre réaliste (son Abel expirant fut très apprécié pour son intense présence physique, une certaine dimension érotique et sa précision incongrue du détail), ses tentatives stylistiques s’entremêlent, se croisent, grâce ou force, l’un et l’autre servent la représentation pour un peintre accompli.

Le jugement de Pâris, 1808Composition en frise, raideur des personnages.

Marius et le gaulois,1796Force et dramatisation

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Nicolas Poussin, Le jugement de Salomon, dessin et

lavis, 1648/49François-Xavier Fabre Nabuchodonosor fait tuer les enfants de Sédécias sous les yeux de leur père, esquisse,1787

Peintre classique plus que néo-classique

Parmi d’autres sources classiques, il s’inspire de Raphaël pour Le jugement de Pâris (entre autre), et de Poussin pour de nombreux thèmes1 la richesse de ses compositions et la beauté de ses expressions qu’il s’emploie à mieux différencier à partir de 1800.

Réinterprétation d’une compositionde Poussin pour l’illustration de cette scène dont le protagoniste fut un roi Babylonien vers 600 av JC et détruisit le temple de Salomon.2 La référence à l’histoire, Composition de Poussin est ici intéressante pour le renversement de situation proposé…

Les renvois divers donnent à penser qu’il manqua peut-être d’audace et pourtant les emprunts ne sont jamais littéraux. Il puise durant toute sa vie dans un répertoire de motifs et de figures qu’il transforme, transfigure selon le propos qu’il choisit de servir. Il a parfois montré une veine fantasque, sombre, comme dans Œdipe et le sphinx, ou La vision de Saül mais en collectionneur averti c’est par goût personnel qu’il se tourna de plus en plus vers l’art classique de Raphaël et de Poussin, tournant le dos aux nouvelles tendances stylistiques en cours.

1. Voir les textes du service éducatif du musée, l ’Idéal Classique Vénus et Adonis de Poussin2. Dès la première année de son règne il soumit Jérusalem et y établit un protectorat. Le roi de Juda, Joachim ne supportant pas la situation, complota avec les Egyptiens.

Nabochodonosor réagit en soumettant de nouveau Jérusalem le 16 mars 597 av. J.-C.,en déportant la famille royale et une partie de la population, et en installant sur le trône Sédécias. Mais ce dernier complota à son tour contre Nabuchodonosor qui dut revenir une troisième fois Jérusalem, en 586 av. J.-C. pour soumettre la ville. Le temple de Salomon fut détruit et toute la population juive fut déportée, formant ainsi la première diaspora.

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Le peintre religieux

A l’instar des artistes de son temps marqués par l’esthétique néo-classique, F6X Fabre s’intéresse à tous les genres de la peinture, dont la peinture religieuse. Là encore sa pratique n’est pas linéaire, et plutôt réservée. S’il la pratique durant toute sa vie, il l’ alterne avec les autres genres.

Ses premières tentatives datent de la période romaine et concernent surtout des exercices touchant à sa formation, comme c’est le cas pour le Saint Sébastien de 1789. Il copie entre autre le Crucifiement de Saint-Pierre de Guido Reni pour le roi, La vierge à la chaise de Raphaël, qui confirment son goût classique.

Une commande pour les Pénitents Bleus de Montpellier

C’est en 1790 que le mécène Philippe-Laurent de Joubert lui propose cette commande d’un tableau dont le sujet est au choix du peintre. F-X Fabre s’arrête finalement sur le thème de La prédication de Saint jean- Baptiste. Comme pour les autres œuvres, un nombre important d’esquisses, d’études de poses, de draperies, de composition se succèdent passant d’un schéma baroque et dynamique à un schéma sur deux registres, plus clair où Saint Jean-Baptiste harangue la foule.

Prédication de Saint Jean – Baptiste- Esquisse -1790 – 1792Huile sur Toile

Prédication de Saint Jean-Baptiste- Esquisse -1790Huile sur Toile, papier marouflé sur toile

Personnage nu, barbu, de profil à droite, les bras levés;Une étude de tête1790 – 1792Sanguine, mis au carreau

Personnage nu et barbu, drapé1790 – 1792Crayon noir et craie blanche sur papier bistre

Prédication de Saint Jean-Baptiste1790 – 1792Plume et lavis de sépia, rehauts de blanc sur papier bleuté

Personnage drapé, barbu, assis de profil à droite, lisant un parchemin, mine de plomb, crayon noir et craie blanche sur papier bistre

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Les études préparatoires présentées pour cette exposition sont d’un grand intérêt montrant les recherches de F- X Fabre passant du nu, au nu habillé, à la recherche de composition, de la sanguine au crayon noir, à la mine de plomb, au lavis de sépia… pour aboutir à « La » composition parfaite, que la dernière esquisse laisse augurer, l’abandon du projet du fait de la dissolution de la compagnie en 1791 et de la mort de Joubert en 1792, n’ayant permis sa réalisation.De la même époque date Suzanne et les vieillards (1791) où la composition à mi-corps à la fois monumentale et dynamique renvoie à la fois au modèles des peintres bolonais du XVII éme siècle (Reni, Guerchin) et à David pour l’étude du vieillard barbu et le visage de Suzanne (Andromaque)

Toutefois, sa peinture se fait ici plus émotionnelle jouant déjà sur une lumière en clair-obscur plus apte à illustrer le thème biblique, la pureté de Suzanne rendue par la blancheur de sa chair opposée aux teintes rouges-bruns sombres des deux hommes dont les visages très expressifs, déterminés s’opposent là encore à sa crainte et candeur. Clair-obscur encore plus poussé quelques années plus tard avec la délivrance de Saint Pierre de 1802 et d’autres études peintes incarnant le thème de la passion. La descente de croix de 1809 joue aussi de cette lumière qui différencie les plans et appelle le regard sur le christ dont le corps est encore en proie à l’abandon.Pourtant, vers 1800 il faut noter l’importance d’un traitement classique dans la tête de Christ, ou la Sainte Famille de 1801.Dans cette œuvre la composition équilibrée, statique où la pyramide créée par la vierge, l’enfant et Saint Jean Baptiste, se superpose à celle formée par Joseph, Marie et la base du groupe, isole le groupe du paysage classique composé de façon idéale (ruines gréco romaines, paysage italianisant renvoyant aux peintres français du XVII éme siècle…).

1. Susanne et les vieillards 17912. Délivrance de Saint Pierre 1802 Plume et lavis de sépia, rehauts de blanc3. Descente de Croixvers 1809

4. La Sainte Famille 1801

Considérée comme su capo d’opéra cette œuvre marque son intérêt croissant pour les thèmes religieux à cette époque et surtout l’influence de Raphaël, Poussin et de Dolci qu’il fera entrer dans sa collection. Il montre une grande maturité dans la composition, où les formes se répondent, la noblesse et le réalisme adouci des expressions.

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1- Pastorales : cf lexique

Art et littérature Si son célèbre Abel expirant de 1791 renvoie plus à un poème de Salomon Gessner « La mort d’Abel » écrit en 1758 1 qu’à l’épisode biblique affirmant à la fois son érudition et son choix philosophique et esthétique (les divers dessins préparatoires montrent cette recherche de beauté constante chez F. X. Fabre), la toile intitulée La vision de Saül de 1803 qui fit son triomphe, lui est directement commandée par son ami Alfieri et s’inspire d’une de ses tragédies datant de 1784. F-X Fabre nous en donne une version littérale, le texte étant lui-même inspiré du livre de Samuel.

Ancrée dans la contemporanéité par Alfieri qui a souvent joué le rôle de Saül, elle est le fruit de sources artistiques diverses:

-Frise des personnages, expression des passions, clair-obscur du paysage: Poussin

-Minutie de la facture, goût du détail précis: David

-Raffinement de la palette colorée, fines ciselures du drapé: certains maîtres du XVIIème siècle comme La Hyre, Le Sueur…

Dans cette œuvre, Samuel et Alchimelech semblent flotter sur des nuages célestes, entre deux mondes, alors que deux romains s’approchent en second plan. En arrière plan, des femmes éplorées, et au loin, une ville en flamme fait directement écho à Abel expirant où le feu du premier plan renvoie à celui du fond. Toile de fond à droite, bâche arrêtant la composition…corps à l'abandon, têtes renversées, vide entre les deux groupes opposés, paysage poussinesque…un répertoire de formes et de composition réinterprétés pour une œuvre déconcertante, presque préromantique, où le geste théâtral est mis en avant.

Le renouveau religieuxCe fut sa dernière grande œuvre, même s’il revient régulièrement aux thèmes religieux. Les Trois maries au tombeau (1808-1809), La descente de croix de 1803 montrent son goût croissant pour un certain primitivisme, (remarquable également dans sa peinture d’histoire) avec des gestes pathétiques hérités de la contre–réforme. Notons qu’il illustre souvent le thème religieux dans les paysages composés, comme c’est le cas pour La Madeleine en extase ou Le saint François en prière, tous deux de 1805-1806. Les événements politiques français mirent un frein à une grande peinture religieuse et dans ce contexte, loin de Paris, F. X. Fabre a participé au renouement religieux amorcé par l’engouement pour le passé médiéval…

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Le paysage

Le paysage comme sujetDès ses années romaines, Fabre réalise des études sur le motif dont il se sert pour enrichir le fond de ses tableaux. C’est surtout en Toscane qu’il se tourne vers le paysage, genre considéré comme mineur malgré les efforts de P.H. Valenciennes; il explore volontiers les environs de la ville, sur les traces de Gauffier, « dans l’espoir d’y trouver de nouveaux sujets d’étude ». Bien vite Fabre s’intéresse aux grands paysagistes classiques, notamment Dughet, qui jouit alors d’une grande renommée et qu’il copie et imite pour satisfaire une clientèle d’amateurs, comme nous l’apprend une lettre de la comtesse d’Albany datée de 1798. Dans un souci de probité et de réalisme, Fabre multiplie les études sur le motif, dans le vaste parc des Cascines aménagé au XVIIIème siècle à l’ouest de Florence, sur la rive droite de l’Arno. La peinture de ce lieu est inédite en ce temps. Le thème, très banal pour l’époque, loin d’idéaliser la nature, les abords de Florence se présentent ici tel que F. X. Fabre a pu les voir, déjeuner sur l’herbe au premier plan, scène de jeu en second plan et devant le pont, scène de pêche. Ces scènes de genre, le point de vue, la dilution du lointain dans une brume amenant de l’imprécision montre en Fabre une grande modernité qui laisse présager les thèmes et le traitement des peintres réalistes et même des impressionnistes quelque un siècle plus tard. C’est plus l’exigence du réalisme qui le poussent dans cette recherche car Fabre n’ a cessé d’être fidèle au classicisme.

1/ Vue de Florence du nord de l’Arno

2/ vue d’une colline florentine

3 /construction d’un édifice

4/ vue du lac Léman, esquisse 1821

Fabre a vite été contraint à Florence à diversifier ses sujets. A l’ instar de son ami Gauffier, il se tourne vers le portrait mondain et le paysage.

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La sensation renforce l’idéalisation

Le petit paysage avec un moine en prière, est un témoignage précoce et précieux de ce goût de Fabre pour la nature qui l’accompagna toute sa carrière. Fabre, sans surprise, se réfère à la tradition du paysage anachorétique du XVIIème siècle – notamment Dughet, Claude Lorrain, ou encore Salvator Rosa – et puise directement sa source dans deux petits paysages de sujet identique de l’Allemand Dietrich (1712 – 1774) présents dans sa collection. Comme chez son modèle, il bouche sa composition par l’emploi d’une masse rocheuse envahie de végétation et ménage une trouée vers le ciel dans l’angle supérieur du tableau. L’artiste, cherche avant tout, à recréer un climat de solitude et d’éloignement du monde propice à la méditation du moine en prière devant le crucifix de bois juché en terre. Par la nature environnante, c’est tout le monde intérieur, la dévotion, la foi en Dieu de ce moine que Fabre dépeint. Ce petit tableau empreint d’un charme pré-romantique, s’inscrit dans un courant plus vaste de renouveau pour la religion, à la fois passéiste et sentimental.

1/ Paysage avec moine en prière, huile sur bois2/ Dietrich, Scène d’ermitage, huile sur toile

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Le paysage

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L’exigence jusque dans le détailF. X . Fabre, très soucieux de réalisme et de justesse dans le traitement de la végétation, prend un grand soin à l’observation et à la représentation des paysages qu’il étudie par le croquis rapide ou l’esquisse sur le vif. Dans sa peinture, la végétation rampante, l’écorce des arbres, le feuillage très détaillé, la claire répartition des ombres et des lumières sont le reflet des études dessinées en extérieur que Fabre conservait dans ses portefeuilles. Revenu à l’atelier, comme Gauffier, son ami, F. X . Fabre par souci de réalisme toujours poussé plus loin, étendu jusque dans les moindres recoins de la toile, recherche une facture picturale personnelle et innovante, faite de petites touches décrivant brins d’herbes, feuillages dans les plus petits détails.

1/ Un arbre, plume et lavis de sépia2/ Gauffier, Etude d’un arbre au bord du Tibre3/ Détail de Paysage avec moine en prière

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Le paysage

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Le portrait, nous l’avons évoqué plus haut, n’est pas la vocation première de F. X. Fabre. Il y vient et poursuit par nécessité – ce genre de peinture représente un tiers de sa production à l’époque la plus faste de sa vie. Florence, où il vit, alors carrefour commercial et culturel européen, lui offre de nombreuses occasions de faire le portrait de personnalités de passage. Ce corpus de figures de l’aristocratie cosmopolite représente indéniablement un intérêt documentaire utile à l’histoire d’une société et d’un temps, comme on l’a considéré aux alentours de 1900. Mais, bien au delà, il se dégage des portraits de Fabre, une atmosphère propre, une poésie et une richesse d’expression qui s’étoffe encore aujourd’hui, grâce à la redécouverte de nombreux portraits issus de collections privées, tableaux éparpillés dans toute l’Europe.

Le portrait

Peindre son entourageSes camarades et ses proches sont les premiers modèles de ses portraits. Il se représente aussi au travers d’autoportraits. Il ne déroge, en cela, pas à la règle des peintres de son temps: son premier portrait, 1783-1786 (1), ainsi que son dernier tableau, de 1835 (2), sont des autoportraits. Dans ce dernier, on voit des collines bleutées dans le fond qui évoquent aussi bien Montpellier que Florence. Ce tableau peut être vu comme un résumé de sa vie finissante.

C’est aux portraits masculins que F. X. Fabre réserve les études de caractère qui font vibrer d’une fougue les visages. Avec le portrait de Canova de 1812(3), Fabre réussis particulièrement à saisir l’expression de son ami. Tant dans la vivacité du regard, la virevolte de ses boucles, que dans le rendu des belles matières tactiles. Fabre se souvient à l’évidence des portraits de son maître David, notamment dans l’utilisation du fond neutre et matièré. Il se montre également un coloriste brillant. particulièrement raffiné.

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Peindre des célébrités en vueTous ces étrangers, que F. X. Fabre, comme son ami Gauffier, peint à la période florentine, sont des « oiseaux de passage » qui ont la volonté de rapporter une peinture, témoin de leur séjour à Florence, vite exécutée, point trop encombrante. Des portraits plus que des peintures d’Histoire sont commandées à Fabre. Ces touristes restent un hiver puis partent à Rome ou à Naples et ne reviennent plus à Florence. Plus tard, tous les grands voyageurs s’efforcent de passer chez lui faire exécuter leur portrait et se glorifier à leur retour, tant le succès du peintre est devenu grand.

En 1796, Lady Charlemont (1) qu’il peint sous les traits de Psychée, illustre les débuts de son succès de portraitiste à Florence. Cette jeune aristocrate irlandaise dont les traits sont méticuleusement représentés est encore, d’après le goût de F. X. Fabre pour les genres nobles, prétexte à la représentation d’une figure mythologique. Le soin dévolu aux boucles, au drapé, à l’expression du regard, de la tendre mélancolie sont autant d’éléments maîtrisés qui laissent à voir se profiler un grand portraitiste qui s’affirmera par la suite.

Le choix de ces sujets est orienté par ses convictions monarchistes, qui rompent avec l’époque troublée qui voit se succéder les différents régimes qui suivent la révolution française jusqu’au premier Empire. Nous pouvons trouver de nombreux portraits représentant la famille royale :Charles Louis 1er, agé de trois ans (2), Marie Louise de Bourbon, reine D’Etrurie (3), Napoléone Baciocchi (4), Lucien Bonaparte (5), Louis XVIII (6).

Le portrait

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Une peinture faite d’une plus grande douceur

De ses sujets de prédilection nous dénombrons ses amis, protecteurs la comtesse d’Albany et le poète Vittorio d’Alfieri de 1796 (1) qu’il dépeint plusieurs fois avec une grande attention. Notamment ce, portrait de la comtesse d’Albany de 1812 (2) cadrée à mi-corps, où Fabre emploi un fond neutre dans les gris et une palette restreinte à des valeurs tranchées qui s’opposent pour mieux mettre en valeur le visage. Il soigne particulièrement les détails de la parure, enlevés avec un soin extrême et une gamme de couleurs forte et resserrée: rouge du châle, bleu de la robe, blanc lumineux de la gorgerette et des manches. L’attention particulièrement portée à l’expression du visage montre la grande tendresse du peintre envers son modèle, leur complicité ressort du regard que le modèle porte au peintre retranscrit dans le tableau.Pour le poète et ami Alfieri le portrait de F. X. Fabre est le « sublime miroir qui dit la vérité…  » 1 qui poursuit, à propos d’un portrait de lui de 1797, « on aurait dit qu’on avait fait un trou dans la toile et que j’y avais passé la tête ». Cette impression de toile percée très significative dans Tête de jeune fille de trois quarts, esquisse de 1814-15 (4) mais où malgré tout, la douceur et rondeur du visage sont traités avec beaucoup de finesse. Le clair obscur sert ici à renforcer l’expression, à valoriser le beau teint rosé de la peau.

Le réalisme qu’a décrit le poète V. Alfieri est loin de l’idéalisme grandiloquent des sujets d’Histoire. La sensibilité immanente des portraits de ses proches montre une grande sensibilité du peintre, une acuité extrême à observer ses modèles en détail et à percer la personnalité qui les caractérisent   «  tel qu’il est en son corps et son âme » 1 .

1. Vittorio Alfieri

Le portrait

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3, détail

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Quelques repères chronologiques dans la vie de François-Xavier Fabre

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