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institut du développement durable et des relations
internationales – 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris –
France – Tél. : 01 53 70 22 35 – [email protected] –
www.iddri.org
N° 18/2004 | GOUVERNANCE MONDIALE
(ex-Les rapports de l’Iddri n°4)
Fiscalité internationale
et financement
du développement durable
Thierry Giordano (Iddri)
Thierry Giordano a rédigé ce document suite à la conférence «
Fiscalité internationale et financement du développement durable »
co-organisée par l’AfD
et l’Iddri, les 7 et 8 novembre 2002 à Paris. Ce texte n’engage
que son auteur. En mettant ce document en ligne sur son site,
l’Iddri a
pour objectif de diffuser des travaux qu’il juge intéressants
pour alimenter le débat.
Tous droits réservés
-
Fiscalité internationale
et financement
du développement durable
Thierry GiordanoIddri, France
Les rapports de l’Iddri, n° 4
-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
2 Institut du développement durable et des relations
internationales
Iddri, 2004.
Diffusion : 6, rue du Général Clergerie – 75116 Paris –
FranceTéléphone : 01 53 70 22 35 – [email protected] –
www.iddri.org
Conception : Ulys communication
Ce texte a été rédigé suite à la conférence organisée par l’AfD
et l’Iddri
les 7 et 8 novembre 2002 à Paris, intitulée « Fiscalité
internationale et financement du développement durable ».
Il a été achevé en février 2003 et révisé à l’automne de la même
année.Les interventions des participants et les travaux de
recherche
et autres références bibliographiques ont nourri ce texte. Les
opinions ou points de vue exprimés demeurent toutefois
de la responsabilité de l’auteur. Version automne 2003.
-
Institut du développement durable et des relations
internationales 3
Plus d’un siècle de rhétoriqueA l’origine, une taxe mondiale
pour un gouvernement mondialLes Nations unies, moteur des
discussionsUne défaite politique ? mais l’idée poursuit son
chemin
Un argumentaire pluriel centré sur des enjeux globauxBiens et
maux publics mondiauxFiscalité mondiale et aide au
développementVers une nouvelle légitimité ?
La nécessité d’une coopération internationale en matière
fiscaleDéveloppement des systèmes fiscaux nationauxCompétitivité
internationale et développement de la fiscalitéRenforcer le
dialogue entre les administrations fiscales
Une problématique en constructionL’absence de communauté
épistémiqueLes difficultés techniques de mise en œuvreLe taux de
taxationLa structure de la fiscalitéL’utilisation des recettes
fiscalesLes mécanismes d’observanceLes difficultés
institutionnelles d’une gouvernance fiscaleLes blocages politiques
à toute négociation
Quelques propositions de fiscalité mondialeTaxe sur les
mouvements de capitauxTaxe sur le carboneTaxe sur les
médicaments
ConclusionNotes
666788
101111111213141515161616171718181920222326
Sommaire
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La création d’une fiscalité mondiale est uneproposition qui
revient de manière récurrentesur la scène internationale. Portée
par les poli-tiques, elle ne parvient pas à s’émanciper
d’undiscours riche d’intentions mais pauvre enactions. Soutenue par
les organisations nongouvernementales, elle fait figure d’étendard
etn’arrive pas à se défaire d’un argumentaire vin-dicatif, parfois
fédérateur pour certains acteurs,mais en fin de compte peu porteur
dansl’espace politique international.
Ces dernières années, la possibilité d’intro-duire une fiscalité
environnementale mondiale,notamment au sein de la Convention cadre
surles changements climatiques avec la taxe « car-bone », et celle
de parvenir à une plus grande sta-bilité financière par une
taxation des mouve-ments de capitaux, avec la taxe Tobin
défenduepar certaines organisations de la société civile,ont
relancé les débats. Aujourd’hui, il n’existe pasde fiscalité
mondiale à proprement parler mêmesi certains mécanismes mis en
place au sein deconventions ou d’accords internationaux
s’enrapprochent. Certains pays se sont prononcés enfaveur de cette
éventualité, d’autres s’y sontopposés avec force. Par conséquent,
l’instaura-tion d’une fiscalité mondiale demeure une
idéeattrayante, source de débats et de controverseset,
paradoxalement, autant providentielle pourcertains qu’utopique pour
d’autres. Tant et sibien que la fiscalité mondiale ne parvient pas
às’imposer comme une véritable hypothèse de tra-vail ; elle est peu
discutée, jamais débattue ; elle aété jusqu’à présent trop souvent
négligée.
Ce constat est le résultat de l’avance prisepar la classe
politique et la société civile sur la
communauté scientifique : peu nombreux sontles membres de la
communauté scientifique, enparticulier les économistes, à s’être
penchés surla question ; et rares sont les études fondamen-tales et
plus encore les ouvrages de référence surcette question. Les
économistes qui s’intéressentà la fiscalité, au développement ou à
la globali-sation ont souvent des réticences à travailler surun
thème fréquemment perçu comme média-tique et polémique. On sait par
exemple avecquelle vitalité Attac1 s’est emparée de la taxeTobin et
avec quelle passion elle en a fait unsujet de société2.
Certaines évolutions récentes dans les poli-tiques nationales et
dans les négociations inter-nationales laissent à penser que la
fiscalité mon-diale pourrait être de nouveau discutée. Mais
detelles discussions ne pourraient être engagées demanière sérieuse
sans un effort important d’ins-truction et de structuration de
l’ensemble desquestions que pose l’instauration de ce type
defiscalité. Même si elle participe sans conteste aurenforcement du
discrédit qui entoure la fiscalitémondiale au sein de la communauté
scientifique,cette explication reposant sur un flou théoriquene
peut en être l’unique raison. Des obstaclespolitiques,
institutionnels et techniques existent.
Afin de dresser un panorama aussi précisque possible sur l’état
des connaissances enmatière de fiscalité internationale, nous
revien-drons sur son histoire et sur les élémentscontextuels
essentiels à la compréhension de lasituation présente et des
évolutions possibles.Ensuite, nous nous arrêterons sur les
différentsargumentaires sur lesquels s’appuient lesdéfenseurs d’une
fiscalité mondiale, et plus
Institut du développement durable et des relations
internationales 5
-
particulièrement sur la manière dont la notionde bien public
mondial peut renouveler laquestion. Nous verrons alors combien
lesbesoins de coordination des politiques fiscalessont importants,
sachant qu’une fiscalitéunique en serait le stade ultime. Enfin,
nousnous attarderons sur les difficultés présentes età venir avant
d’analyser de plus près quelquesexemples. Ce cheminement nous
conduira àélaborer quelques propositions de travail pouralimenter
les débats sur ce qui pourrait biendevenir un enjeu majeur de
futures négocia-tions internationales.
Plus d’un siècle de rhétorique
L’instauration d’une fiscalité mondiale n’estpas une idée
nouvelle. Elle revient périodique-ment sur la scène internationale
dans une rhé-torique politique paradoxalement assez peu pré-cise.
Un regard plus rigoureux sur les diversespropositions permet de
distinguer une évolutiontrès nette des raisons pour lesquelles une
fisca-lité mondiale est revendiquée : à une logique definancement
s’est superposée une logique inci-tative. Ce changement
d’argumentaire conduit àde nouvelles sources de légitimité, qui
pour-raient apparaître économiquement et, parconséquent,
politiquement plus acceptables.Cette prise en compte de plus en
plus fréquentede la logique incitative s’est traduite différem-ment
suivant les échelles de gouvernance. A l’é-chelle nationale, la
fiscalité incitative a connu defort développement notamment dans
les pays del’Organisation de coopération et de développe-ment
économique (OCDE). A l’échelle interna-tionale, un amalgame
malheureux entre logiqueincitative et logique de financement a
davantagedesservi les défenseurs d’une fiscalité mondiale.
A l’origine, une taxe mondiale pour ungouvernement mondial3
En 1884, James Lorimer, professeur dedroit public à l’université
d’Edimbourg, tra-vaille sur le système de gouvernance mondialeà
mettre en place pour assurer la cohérence desespaces juridiques
entre nations4. Il oriente sestravaux vers la création d’un
équivalent inter-national aux institutions nationales que sont
lepouvoir exécutif et le pouvoir législatif (pourtraiter des
questions commerciales, monétai-res, fiscales, de
redistribution...). Il s’interrogesur la création d’un gouvernement
mondial etsur la nécessité de lever un impôt pour le finan-cer.
Ainsi, la première référence à la fiscalitémondiale souligne la
nécessité de lever descapitaux pour alimenter le budget d’un
poten-tiel gouvernement mondial5.
La Première Guerre mondiale change lanature des débats pour
placer la préservationde la paix au centre des discussions sur la
gou-vernance mondiale : l’organisation formelle de
ce système de gouvernance monopolise lesdébats pour faire naître
des initiatives qui, tou-tes, avorteront. En aucun cas, ces
initiatives neseront suffisamment développées pour allerjusqu’à
proposer un mode de financement dusystème. Dans un tel contexte,
mettre en placeune fiscalité mondiale semble indissociable
del’instauration d’un gouvernement mondial,alors même que la
création d’un gouvernementmondial est loin de faire l’unanimité :
moinsque l’idée fiscale, c’est l’idée d’autorité supra-nationale
qui est combattue.
La Seconde Guerre mondiale est riche encontributions sur la
nécessité d’instaurer unetaxe mondiale pour financer les
organisationsinternationales — et non plus un gouvernementmondial.
De fait, les questions nécessitant uneintervention supranationale
coordonnée sem-blent, à cette date, circonscrites : chaque élé-ment
de politique nationale n’a plus son équi-valent mondial comme le
supposait Lorimer ;seules sont concernées la régulation du
com-merce, la stabilité financière et la préservationde la paix. En
conséquence, les années 40 inau-gurent la mise en place des
principales institu-tions internationales que sont les
institutionsde Bretton Woods — le Fonds monétaire inter-national
(FMI) et la Banque mondiale —, char-gées de la stabilité financière
et du développe-ment économique, l’Accord général sur lestarifs et
le commerce (GATT), ayant pourobjectif la coordination des
politiques commer-ciales, et les Nations unies auxquelles revient
lemaintien de la paix6.
Au sortir des années 40, la question de l’ar-chitecture de la
gouvernance mondiale paraîtainsi « réglée », même si cela ne sera
pas défi-nitif. Il reste alors à déterminer le financementde ces
institutions. Si la Banque mondiale et leFonds monétaire
international ne rencontrentque peu de difficultés financières, si
le GATTne nécessite quasiment aucun financement par-ticulier en
dehors de coûts administratifs rela-tivement faibles, ce n’est pas
le cas pour l’Or-ganisation des Nations unies (ONU). Et ceproblème
devient de plus en plus déterminantau fur et à mesure que les
prérogatives desNations unies s’élargissent et que leurs
pro-grammes se développent. C’est sans doutepour cette raison que
l’idée de fiscalité mon-diale se réfléchit plus précisément dans
cetteenceinte.
Les Nations unies, moteur des discussions7
Les discussions sur la fiscalité mondialesont engagées très tôt
dans l’histoire desNations unies, puisque l’instauration d’une
fis-calité mondiale pour financer l’organisation estposée dès sa
création officielle en 1945. Initia-lement, le budget de
l’organisation est consti-tué de contributions « obligatoires »
verséespar les Etats membres mais les retards de paie-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
6 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
ment soumettent l’ONU à des problèmes deliquidité quasi annuels.
Ces contributions sontindexées annuellement sur la capacité des
paysà payer. Ce budget, normalement destiné « àfavoriser le progrès
social et instaurer demeilleures conditions de vie dans une
libertéplus grande »8, se transforme en budget admi-nistratif. Les
programmes économiques etsociaux que développent les Nations
uniesdeviennent rapidement dépendants de contri-butions
complémentaires versées sur une basevolontaire par les Etats
membres. Dès lors, lesouci permanent de dégager de nouvelles
res-sources financières se fait sentir9.
Devant cette difficulté de l’ONU à remplirsa mission de
développement économique etsocial — proche du rôle de garant du bon
fonc-tionnement de la société imparti aux gouver-nements nationaux
— se développent d’autresmoyens de lever des fonds : c’est autour
decette double difficulté — dégager des fonds suf-fisants pour
permettre à l’ONU d’assurer samission et garantir le respect des
engagementsbudgétaires pris par les Etats membres — quel’idée d’une
taxe mondiale s’est progressive-ment développée, avec pour objectif
ultime,d’obtenir des moyens financiers « prévisibles,continus et de
plus en plus garantis »10.
Il serait sans aucun doute réducteur deconsidérer l’idée d’une
fiscalité mondiale ausein du système des Nations unies comme
uni-quement stimulée par des besoins de finance-ment, c’est-à-dire
ne prenant pas en compte leseffets incitatifs et redistributifs
éventuels. Ceserait oublier que le début des années 70marque un
tournant dans la perception poli-tique d’un certain nombre de
problèmes jus-qu’alors circonscrits aux territoires nationaux.De
nouvelles questions, environnementales11
mais surtout de justice sociale12, sont posées etnécessitent une
coordination internationalepour y répondre. Ceci requiert non
seulementdavantage d’argent, mais également et surtout,une
modification notable des comportementsd’acteurs très hétérogènes,
situés dans desespaces géographiques fort différents.
Cette prise de conscience progressive denouveaux enjeux globaux
conduit à introduiredans les débats de l’Assemblé générale
desNations unies de plus larges propositions surles modalités de
financement des différentsprogrammes, parmi lesquelles des taxes
sur lesdépenses militaires, sur les flux commerciauxet, surtout,
sur l’utilisation des « biens com-muns ». Ces composantes
environnementalesliées à l’utilisation des biens communs
supra-nationaux expliquent pour partie le rôle jouépar le Programme
des Nations unies pour l’en-vironnement (PNUE) dans l’introduction
et lapromotion de nouveaux modes de finance-ment, comme la
fiscalité mondiale et, ce quis’en rapproche le plus, «
l’automaticité desrevenus ». Le PNUE est un des premiers orga-
nes des Nations unies à investir substantielle-ment sur les
nouveaux modes de financement ;son apport a été important13, avant
que ses pro-positions ne soient reprises et augmentées dansd’autres
instances, rapports ou commissions,voire d’autres conférences de
l’organisation.
Ainsi, des travaux de la Commission indé-pendante sur les
problèmes de développementinternational (Commission Brandt,
1977-84) àceux de la Commission mondiale sur l’environ-nement et le
développement (CommissionBrundtland, 1983-87), les années 80 sont
lethéâtre d’une multiplication de rapports pro-posant de nouvelles
formes de financement.C’est vraisemblablement ce qui a conduit
lesecrétariat général à demander au Conseil éco-nomique et social
(ECOSOC) d’approfondir laquestion de la fiscalité mondiale puis,
par lasuite, à l’Office des études sur le développe-ment (ODS) du
Programme des Nations uniespour le développement (PNUD) à
s’intéresserplus particulièrement à la taxe Tobin14.
Une défaite politique ? mais l’idée poursuit sonchemin...
Cette prolifération de recommandationsaurait pu progressivement
paver le cheminconduisant à la concrétisation sinon de la
fisca-lité mondiale en tant que telle, tout au moinsde
l’automaticité des revenus, si une levée deboucliers, notamment de
la part des Améri-cains, n’avait stoppé net le processus. En
effet,en 1996, les diverses propositions faites par lesNations
unies sur l’éventualité d’une taxe glo-bale ont déclenché une vague
de protestationsde la part de certains sénateurs regroupés sousla
férule du Républicain Bob Dole. Le débatsénatorial a conduit à
l’adoption d’une loi en1997 subordonnant les contributions
américai-nes aux Nations unies à l’absence de taxe inter-nationale
touchant les entreprises ou lescitoyens américains15.
Si la radicalité de la réaction américaine faitforce d’exemple,
il ne faut pas oublier que lesEtats-Unis ne sont pas les seuls à
s’opposer à lafiscalité mondiale et que toutes les discussionssur
ce sujet au sein des Nations unies depuisleur création n’ont pas
manqué de mettre enévidence la réticence des Etats membres à
s’en-gager sur la voie de la fiscalité internationale.Les Etats y
sont hostiles généralement parcequ’ils refusent de déléguer une
part de leursprérogatives en matière d’impôt à une institu-tion
internationale. Leur absence de volontépolitique s’explique ainsi
par la crainte d’uneperte de souveraineté.
On aurait pu croire que l’attitude améri-caine allait marquer la
fin de toute idée de fis-calité mondiale dans les débats
internationaux,de toute proposition nouvelle. Il n’en est rien.Pour
preuve, la fiscalité mondiale de finance-ment ressurgit sous des
formes à peine dégui-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
Institut du développement durable et des relations
internationales 7
-
sées, comme dans les propositions d’une taxesur les messages
électroniques (bit tax) et sur lesbrevets mentionnées dans le
Rapport sur le déve-loppement humain de 1999 pour « mettre au
ser-vice du développement humain et de l’éradica-tion de la
pauvreté le potentiel que renfermentles nouvelles technologies »16,
voire sous des for-mes clairement exprimées comme dans le rap-port
établi sous la responsabilité de l’ancienprésident mexicain,
Ernesto Zedillo, pour laconférence des Nations unies sur le
finance-ment du développement, qui s’est tenue à Mon-terrey en mars
2002, où est fait mention de lanécessité de mettre en place d’une
fiscalitéinternationale17.
Ainsi, même au sein des Nations unies, lesujet reste
d’actualité... avec quelques nuancesfondées sur les leçons du passé
: la fiscalité mon-diale proposée par le rapport Zedillo est«
reprise » par le Secrétaire général de l’ONUdans une note technique
afférente au processuspréparatoire de Monterrey. Elle précise qu’il
s’a-git « [d’]impôts nationaux pouvant être mis enplace moyennant
des accords internationaux »18.Lors du Somment mondial du
développementdurable de Johannesburg (août-septembre2002), Jan
Pronk, envoyé spécial du Secrétairegénéral des Nations unies, Kofi
Annan, s’estdéclaré également en faveur de cette possibilité. A
cette occasion, de nouvelles contributionssur la « taxe carbone »
et la « taxe sur les trans-actions financières » (taxe Tobin) sont
apparuesdans le processus préparatoire, dans les ateliersparallèles
et dans les discours officiels. Notonsnotamment que le Président de
la Républiquefrançaise a mis l’accent sur la nécessité «
d’unprélèvement de solidarité sur les richesses consi-dérables
engendrées par la mondialisation »19,terme voisin de celui employé
par Jan Tinbergendans son rapport pour le Club de Rome en1976 : «
World Solidarity Contribution »20.
Un argumentaire pluriel centré sur des enjeux globaux
L’ambiguïté sur la justification, et donc surles objectifs
finaux, d’une fiscalité mondialeconstitue indubitablement
l’obstacle majeur àson instauration : sans consensus sur son
rôle,il paraît difficile d’en discuter les moyens demise en œuvre
ou, tout au moins, les principesde fonctionnement. Or, ce consensus
est diffi-cile à établir car la communauté internationaleen est
encore à s’interroger sur les nouveauxobjectifs mondiaux à
satisfaire, sur l’architec-ture de la gouvernance mondiale et sur
lespriorités d’action et les moyens à mettre enœuvre pour y
parvenir. Toutes ces interroga-tions sont autant de sources de
controverses aucœur desquelles la fiscalité mondiale pourraitavoir
un rôle déterminant à jouer.
A ce titre, deux éléments importants cons-tituent une base
potentielle de discussion. Le
premier est la place que pourrait tenir la four-niture des biens
publics non plus nationaux,mais régionaux, internationaux voire
mon-diaux dans les objectifs de la communautéinternationale — à
condition que soit résolue laquestion de leur définition et de leur
identifi-cation. Le second concerne les moyens d’y par-venir, avec
au centre des discussions le rôle del’aide publique au
développement, la façondont elle est légitimée, la manière dont
elle estdéfinie et utilisée. Ces éléments reflètent ensubstance les
deux justifications fondamentalesde l’action publique
internationale : les enjeuxglobaux et la solidarité mondiale.
Biens et maux publics mondiaux
La communauté internationale est particu-lièrement sensible à la
résolution des problè-mes globaux, comme le montrent les
multiplesaccords et conventions internationaux déjàsignés, voire
ratifiés. Toutes les questions glo-bales n’ont pas la même nature
et ne requiè-rent pas les mêmes moyens. Tous les pays nesont pas
sensibles à l’ensemble des problèmeset chacun les hiérarchise
différemment suivantles contingences nationales. Par
conséquent,tous réclament des approches spécifiques, à lafois dans
la manière d’agir et dans l’implicationdes différents pays pour y
parvenir.
L’instrument fiscal devient une des solu-tions envisageables
pour traiter de certainesquestions globales, parfois fort
différentes ennature, mais nécessitant toutes une
actioninternationale coordonnée : les transactionscommerciales et
financières, les compagniestransnationales, les liaisons
internationalesaériennes et fluviales ainsi que les moyens
decommunication... Ainsi, ces dernières années,de nombreux
représentants politiques, respon-sables d’organisations
internationales, porte-parole d’organisations non
gouvernementalesou scientifiques ont proposé l’instaurationd’une
fiscalité mondiale.
Chaque fois, la réalisation d’objectifs spéci-fiques et
différents était recherchée21 : taxe surles émissions de carbone
pour lutter contre leréchauffement climatique ; taxe sur les
opéra-tions de change (taxe Tobin) afin de limiter laspéculation
sur les marchés financiers ; taxe surles transports aériens
(actuellement, il n’existeaucune taxe sur le kérosène) pour réduire
l’im-pact négatif du transport aérien sur l’at-mosphère ; taxe sur
les données transférées parInternet (bit tax) pour lever des fonds
destinésau développement des nouvelles techniques decommunication
dans les pays en développe-ment ; taxe sur les exportations
d’armes...Aucune de ces propositions n’a abouti.
Plus récemment, et au-delà de ces proposi-tions, appréhender les
questions globales sui-vant un cadre conceptuel simple et
fédérateurest apparu problématique. Dans cette perspec-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
8 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
tive, l’ODS a cherché à développer ce que pou-vait représenter
l’existence de biens publics quidépasseraient l’échelle nationale
et implique-raient une action internationale coordonnéepour être
produits de manière optimale. L’ODSs’est efforcée de mieux cerner
ce que pourraitêtre une prise en charge collective de la
four-niture des biens publics mondiaux (BPM)22.
Suite au premier ouvrage de l’ODS, undébat conceptuel s’est
engagé sur la manière dedéfinir les BPM et, par conséquent, sur ce
quipouvait entrer dans cette catégorie : s’appuyantsur la dimension
supranationale d’une questionqui les préoccupe, certains auteurs en
viennentà classer l’ensemble des problèmes de la planètedans la
catégorie des BPM, ce qui a pour consé-quence directe d’affaiblir
considérablement lapertinence de la notion ; à l’inverse,
d’autres,appliquant strictement les critères économiquesacadémiques
utilisés pour définir les bienspublics23, affirment qu’il n’existe
pas de BPMpurs, ce qui retire toute utilité à la notion. Entreces
deux positions extrêmes, le débat sur la défi-nition de ce qui peut
ou non entrer dans la caté-gorie des biens publics mondiaux n’offre
guèrede perspective si ce n’est d’accepter la natureplurielle des
BPM et, par conséquent, de recon-naître qu’il existe une pluralité
des moyens àmettre en œuvre pour les fournir (l’action col-lective
étant présupposée, ce sont les formesqu’elle peut prendre qui sont
discutées). Et, enpoursuivant un peu plus ce raisonnement,
ilconvient d’admettre que plus grande est la partde la population
mondiale qui bénéficie de leurfourniture, plus l’instrument
d’intervention doitêtre mondial. Reste que, identifier une
questionglobale à un problème mondial relève davan-tage de la
volonté politique et de la perceptionque l’on a de la justice
mondiale que de l’éco-nomie. Même si, ensuite, ce sont les
critèreséconomiques qui s’appliquent.
Quel peut alors être l’apport de la notionde bien public mondial
? Est-elle à mêmed’amener des éléments nouveaux dans lamanière
d’aborder la fiscalité mondiale ? Dansquelles conditions la
fiscalité peut-elle être uti-lisée ? Selon quels critères ? Pour
financer lafourniture de BPM ? Pour créer une incitationà la
réduction des maux publics mondiaux ?Pour assurer une
redistribution des revenus ?Pour essayer de répondre à cette
question, il estnécessaire de distinguer biens publics mon-diaux et
maux publics mondiaux. De fait, s’ilest tentant de traiter les deux
thèmes demanière concomitante, en arguant que la luttecontre un mal
public n’est rien d’autre que lapromotion d’une bien public et
inversement,tous deux traitent de problèmes différents.
Les biens publics posent essentiellement desproblèmes de
fourniture sous-optimale. A l’é-chelle nationale, le premier
responsable est vrai-semblablement l’Etat, seul capable de
traduireles préférences nationales dans un système
démocratique. L’action publique est alors cen-trée sur la
manière d’assurer leur fourniture.Qu’apporte la théorie économique
dans ce cas ?L’application du critère de non-rivalité dans
lesbénéfices tirés de la fourniture des biens publicsconduit à un
comportement massif de passagerclandestin, lui-même responsable
d’une produc-tion sous-optimale du bien considéré. Dans cecas, une
des réponses avancées par l’économiepublique est l’utilisation des
budgets publics etde la fiscalité. C’est ainsi que, dans de
nombreuxpays, les biens et services publics sont financéspar
l’impôt. Il devient dès lors logique d’étendrecette application à
l’échelle internationale et dechercher à satisfaire la fourniture
du bien publicmondial considéré en instaurant une fiscalité
àcaractère universel.
Faire intervenir la notion de BPM n’apporteaucune information
sur ce qui doit être taxé, nisur les modalités d’application de la
taxe ou surla manière dont les fonds collectés doivent êtreutilisés
: ceci dépend de la nature du bien etdes préférences politiques.
D’ailleurs, y a-t-ildes sujets sur lesquels les opinions
publiquessont suffisamment mûres pour accepter à lafois une
responsabilité collective et un consen-tement individuel ?
Existe-t-il un bien publicmondial qui mérite qu’on établisse un
liendirect et symbolique entre celui qui paie l’im-pôt et l’action
qu’il finance ? Dans l’affirmative,on peut parler de fiscalité
mondiale. Reste àrépondre à la question complexe du lieu
démo-cratique où se décide ce consentement qui, entout état de
cause, n’existe pas encore à l’é-chelle mondiale24.
Les maux publics, quant à eux, font essen-tiellement référence
aux conséquences négati-ves d’une activité économique
(externalités).Ces externalités soulignent la nécessité
d’unecoordination supranationale pour atteindre unobjectif précis.
Un objectif nécessitant uneaction commune dépend lui-même de
nom-breux facteurs : identification, perception,connaissance et
dénonciation de ce que lasociété juge être une nuisance. L’Etat
étant leprincipal responsable de la traduction des pré-férences
collectives, son action doit inciter lesparties prenantes à
s’engager dans une mêmedirection. Dans le même temps, il ne peut
seulsatisfaire les préférences nationales ; il a alorsun rôle
important à jouer dans l’orientationdes activités publiques et
privées pour répon-dre à ces objectifs. A lui de mettre en place
lesmesures adéquates (réglementaires, financiè-res, incitatives...)
pour s’assurer que l’ensembledes acteurs œuvre dans la même
direction.
Dans ce cas, l’incitation peut se faire parl’intermédiaire d’un
système d’imposition.Mais ce ne peut être le seul instrument à
envi-sager : il ne s’agirait en définitive que d’uninstrument parmi
d’autres pour assurer la coor-dination des acteurs, comme le sont
les permisou les droits, la réglementation, les quotas, les
Un argumentaire pluriel centré sur des enjeux globaux
Institut du développement durable et des relations
internationales 9
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accords volontaires, les systèmes de consigne...Les fiscalistes
répètent souvent que leur arme ades effets limités, d’abord parce
que la fiscalitéest impopulaire, ensuite parce que l’efficacitéde
l’instrument fiscal est limitée25. La questionest alors de savoir
si in fine, ces différentsinstruments ne conduisent pas à instaurer
dessystèmes de régulation proches du fonctionne-ment d’un système
fiscal. Par exemple, qu’est-ce qu’un permis d’émissions sinon une
taxedéguisée sur le droit d’émettre ? Il est alors pos-sible
d’utiliser des instruments qui s’en rappro-chent mais dont
l’efficacité et l’applicabilitésont différentes26.
Le dernier élément à relever dans l’articula-tion entre bien
public et mal public a trait audouble dividende : les fonds issus
de la taxationd’un mal public (incitation) permettent definancer la
fourniture d’un bien public. Lathéorie du double dividende pose
beaucoup dequestions : bien que séduisante, elle a, en effet,un
côté paradoxal. Elle cherche à faire dispa-raître le mal public,
donc à faire disparaîtrel’assiette, et à diminuer le rendement de
la taxe(réduction des recettes fiscales). Au-delà decette
ambiguïté, l’adéquation entre la taxationdu mal public et le
financement du bien publicn’est pas claire. L’arme est-elle
toujours lamieux adaptée pour lutter contre le mal ? Com-ment
identifier les maux publics mondiaux quidevront faire l’objet d’une
action prioritaire, etencore plus d’une fiscalité incitative, dont
lesrecettes pourraient être attribuées à la fourni-ture de BPM ?
Peut-on s’affranchir de l’arbi-trage entre l’effet d’incitation et
l’effet de finan-cement d’une fiscalité mondiale ? Doit-ontraiter
les deux ensemble ou les deux élémentssont-ils indépendants ?
Finalement, la frontière semble bien minceentre financement et
incitation dans le cas desbiens publics mondiaux, surtout si
entrent danscette catégorie les problèmes environnemen-taux. Il
s’agit alors de modifier les comporte-ments des acteurs, et
l’incitation en est unmoyen. En revanche, si sont inclus dans
lesbiens publics mondiaux les grands objectifscibles du millénaire
(accès à l’eau, l’énergie, lasanté...), la question est alors
purement finan-cière. A-t-on besoin de financements pourchanger les
comportements ou de change-ments de comportement pour obtenir
desfinancements ?
Fiscalité mondiale et aide au développement
Il est extrêmement difficile de parler de fis-calité mondiale
sans aboutir à l’aide publiqueau développement (APD), notamment
parceque l’instauration d’une fiscalité mondialepour financer le
développement des pays lesplus pauvres est depuis longtemps une
propo-sition récurrente à l’échelle internationale. Lerapport
Zedillo pour reprend d’ailleurs l’idée
d’une fiscalité mondiale comme nouvellesource de financement27.
Ce lien ne semble pasusurpé et ceci pour plusieurs raisons.
La première raison est liée à l’origine bud-gétaire de l’APD,
issue de prélèvements obliga-toires, avec une partie fixe et
négociée (multi-latérale) et une partie variable et en
déclin(bilatérale). L’APD peut ainsi être apparentée àun
prélèvement non obligatoire ou, plus exac-tement, a un prélèvement
obligatoire qui n’estpas respecté. Actuellement, les pays
consacrentdes parts très inégales de leur PIB à l’aide
audéveloppement et l’objectif de 0,7 % du PIBn’est quasiment jamais
respecté : introduireune forme d’automaticité serait
indispensableet la fiscalité pourrait alors devenir le méca-nisme
d’harmonisation des efforts de chacun28.
A ce titre, l’introduction directe de lanotion de taxe mondiale
présenterait troisintérêts majeurs. Premièrement, elle demande-rait
que soit adjoint à la taxe un système desanction qui limiterait les
comportements depassager clandestin et garantirait le respect
del’objectif communément accepté de 0,7 %.Deuxièmement, elle
permettrait d’envisagerune réforme de l’assiette sur laquelle
reposentles prélèvements actuels (essentiellement issusd’une
taxation de la consommation et desrevenus du travail) pour y
inclure le capital29.Enfin, elle permettrait de redéfinir ce
quedevrait être un système d’aide au développe-ment, en
réfléchissant à un impôt mondial surle revenu, ce qui autoriserait
un niveau relati-vement stable et prévisible de fonds, tout
enfaisant porter le poids de l’aide sur l’ensembledes pays. Un tel
système imposerait égalementune coordination des contribuables (et
nonuniquement des donateurs), marquant uneévolution notable de la
conception de l’aide.Est-ce une évolution marginale par rapport àce
qui existe actuellement (contribution despays aux agences
multilatérales) ou un change-ment plus important ? Quels sont les
avantageset les inconvénients d’un tel système ?
La seconde raison de lier APD et fiscalitémondiale découle de la
référence croissante àla fourniture des BPM dans les stratégies
desagences de développement bilatérales et multi-latérales. Les
agences se sont emparées desopportunités offertes par les biens
publicsmondiaux pour donner une nouvelle légiti-mité à une aide
publique au développementfortement critiquée et — cause ou
consé-quence ? —, en baisse constante depuis quel-ques années. Dans
cette perspective, et comptetenu des remarques précédentes sur les
BPM,il est difficile d’espérer de cette approche unnouveau
paradigme pour l’aide au développe-ment. Si l’APD veut apparaître
comme un élé-ment-clé de la fonction de production desbiens publics
mondiaux, si l’on estime que lafiscalité est un moyen adapté pour
assurer lafourniture de biens publics mondiaux, alors,
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
10 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
l’objectif de 0,7 % doit devenir réalité. Dans cecas, il
conviendrait de revoir le système de pré-lèvement et le système de
redistribution pourassurer un prélèvement et une allocation
desressources compatibles avec les objectifsrecherchés. On
glisserait alors d’une approcheconjoncturelle de l’aide au
développement (àterme, l’APD n’a plus de raison d’être) à
uneapproche structurelle dans laquelle l’APD assu-rerait un certain
nombre de missions de ser-vice public mondial.
De plus, si la fiscalité est une réponse adap-tée au financement
des BPM, l’aide bilatérale,même issue de prélèvements fiscaux,
est-elleune réponse adéquate à la fourniture de cesbiens ? L’aide
multilatérale n’est-elle pas préfé-rable ? Peut-on au contraire
considérer l’aidebilatérale comme plus flexible, donc mieuxadaptée
aux demandes particulières des popu-lations ? Par exemple, le PNUD
distingue l’aideaux pays pauvres de la fourniture de BPM
dansl’intérêt de tous — séparation reprise dans lerapport
Zedillo30. Il recommande la mise enplace d’une approche duale de
l’aide au déve-loppement qui distingue l’aide destinée à unpays de
celle destinée à la fourniture des bienspublics mondiaux.
La troisième raison de relier fiscalité etAPD fait référence à
l’objectif de redistribu-tion. A l’échelle locale ou nationale, la
fiscalitéde financement est utilisée non seulementpour financer les
biens et les services publics,mais également pour redistribuer les
ressour-ces afin de réduire les inégalités à l’intérieurde la
société. Peut-on envisager une fiscalitémondiale dont l’objectif
serait la redistributionpour réduire les inégalités entre les
habitantsde différents pays ? Quelle serait alors la placeaccordée
à l’APD ? L’aide publique au dévelop-pement peut-elle être
considérée comme l’a-morce d’un système de transfert entre pays ?La
systématisation d’un tel procédé, avec lapossibilité de faire
varier les donateurs et lesbénéficiaires, pourrait conduire à
considérerle budget de l’APD comme un prélèvementobligatoire à
objectif redistributif.
Les réponses aux questions ici posées netrouvent pas de réponses
immédiates ; elles nefont que rarement l’objet de discussion.
Pour-tant, il apparaît très clairement que l’avenir del’aide au
développement doit s’appuyer sur la fis-calité mondiale si l’on
veut faire de la premièreun outil de développement plus efficace.
Parconséquent, avancer sur l’utilité de la fiscalitémondiale comme
instrument de coordinationpeut également passer par une réflexion
nou-velle sur ce que devrait être l’APD.
Vers une nouvelle légitimité ?
Il existe donc deux natures possibles de lataxe — le financement
et l’incitation — avec uncontinuum entre les deux. La nature
financière
de la taxe a longtemps prévalu ; l’objectif inci-tatif est plus
récent, mais peut renforcer l’argu-mentaire en faveur d’une
fiscalité mondiale. Enaccord avec cette dichotomie, il est possible
dedistinguer trois objectifs majeurs : le finance-ment du
développement — ce sont avant toutles aspects sociaux
(redistribution, lutte contrela pauvreté) qui sont posés — ; le
financementde la fourniture des biens publics mondiaux ; lalutte
contre les maux publics mondiaux parl’incitation31. Si les deux
premiers relèvent de lanécessité de dégager de nouvelles
ressourcesfinancières, le dernier s’appuie sur la logiqueincitative
de la taxe.
Toutefois, cette distinction ne peut plus êtreaussi nette
lorsque l’on accepte le principe dudouble dividende, avec toutes
les nuances pré-cédemment relevées. Dans ce cas, les finance-ments
retirés de la taxe incitative peuvent êtreattribués au financement
des BPM ou à celuidu développement : toute la question est
dedéterminer la forme de redistribution que l’onveut donner à la
fiscalité mondiale. Et cettequestion est loin d’être tranchée. Y
répondrepermettrait également de rendre à la fiscalitémondiale une
nouvelle forme de légitimité.
La nécessité d’une coopérationinternationale en matière
fiscale
Au-delà des arguments avancés pour justi-fier l’instauration
d’une fiscalité mondiale, l’in-tensification des interdépendances
écono-miques et le développement de la fiscalitécomme instrument de
coordination des acteursforcent les Etats à s’intéresser plus avant
auxenjeux de la coordination des politiques fisca-les. En effet,
ces évolutions posent de nomb-reux problèmes, notamment liés à la
compétiti-vité internationale fortement influencée par lessystèmes
fiscaux. Il en résulte un besoin crois-sant de coordination en
matière fiscale. Mêmesi cette coordination peine à se matérialiser,
outout au moins à déboucher sur des initiativesconcrètes, il n’est
pas interdit de penser qu’ellepourrait être le moteur d’une
réflexion plusprofonde sur la fiscalité mondiale.
Développement des systèmes fiscaux nationaux
Avec comme origine l’impôt, la fiscalité alongtemps été une
prestation pécuniaire per-çue par une autorité publique auprès de
sesmembres pour financer les charges qui lui sontimparties32. Cette
situation a conduit à l’instau-ration de prélèvements obligatoires
touchantprincipalement les moyens de production (tra-vail et/ou
capital), dans la quasi-totalité despays développés, à des degrés
divers. A leurtour, les pays en développement, même les
pluspauvres, tentent de plus en plus souvent demettre en place des
systèmes de prélèvementsobligatoires (notamment sur le revenu),
relati-
La nécessité d’une coopération internationale en matière
fiscale
Institut du développement durable et des relations
internationales 11
-
vement proches de ceux existant dans les paysdéveloppés, pour
répondre à certains objectifssociaux et permettre au plus grand
nombre deprofiter du développement économique. Ainsiconsidérée, la
fiscalité a pour objectif de déga-ger des recettes fiscales pour
alimenter le bud-get de l’institution chargée de lever
l’impôt(Etats, collectivités locales...) afin de, par exem-ple,
financer des services publics, opérer uneredistribution des
ressources, développer despolitiques sociales...
Cette fonction initiale a évolué. D’une part,la pression
croissante de la fiscalité sur lesmoyens de production, notamment
sur le tra-vail, est apparue comme pouvant à terme péna-liser
lourdement l’économie. D’autre part, faceaux préoccupations
croissantes en matièred’environnement, l’idée d’une fiscalité
environ-nementale a été perçue comme un moyen demodifier le
comportement des acteurs écono-miques, tout en dégageant des
ressources suffi-santes pour financer les services publics. Defait,
au premier objectif de financement s’estgreffé un objectif
d’incitation économique (parles prix) permettant de réduire les
externalitésnégatives issues d’une activité économique ou,à
l’inverse, de promouvoir les externalités posi-tives liées à une
autre activité.
Dans les pays développés, cette évolutiondu rôle de la fiscalité
s’est traduite par le déve-loppement progressif, depuis le début
desannées 90, de taxes liées à l’environnement, les« écotaxes ».
Cette évolution s’est visiblementdéroulée à pression fiscale
constante, indiquantpar là même que les taxes liées à
l’environne-ment se sont fondues dans une réforme fiscalede plus
grande ampleur33 : les autorités ontconsidéré comme acquis le
double dividenderésultant des écotaxes34.
Dans les deux cas, l’instrument fiscal, quellequ’en soit la
forme, répond toujours à la volontéde l’autorité compétente de
satisfaire les préfé-rences de la population, tout en tenant
comptedes contingences nationales. Cette tendanceconfirme à quel
point la fiscalité est un instru-ment privilégié pour atteindre les
objectifs éco-nomiques, environnementaux et sociaux fonda-mentaux
que se fixe une société.
Il convient néanmoins d’ajouter certainesnuances dans
l’utilisation de ces deux formesde fiscalité. Tout d’abord, il
existe quelquespays pour lesquels la fiscalité ne
représenteabsolument rien aujourd’hui, par exemplel’Arabie
Saoudite, où les recettes fiscales nereprésentent que 2 % des
recettes de l’Etat.Comment imaginer que ces pays, qui partici-pent
aux négociations internationales tant surl’aide au développement
que sur l’environne-ment, y appliqueront un raisonnement fiscal35
?
Ensuite, dans certains pays, la place prisepar la fiscalité dans
les politiques environne-mentales s’avère relativement faible, car
laréglementation (de type command and control)
continue à être préférée à l’instrument fiscalpour répondre aux
exigences environnementa-les. Elle se traduit par l’établissement
de nor-mes de pollution (standards) ou de niveauxd’utilisation
maximale des ressources (quotas etpermis) ou, plus simplement,
d’interdictions.Ceci reste vrai en dépit des préférences affi-chées
pour les instruments économiques, quipermettent de modifier le
comportement desacteurs par des signaux de prix. Dans
cettecatégorie entrent non seulement les taxes, maiségalement les
permis d’émission échangeables,les systèmes de consigne et les
subventions.
Compétitivité internationale et développementde la fiscalité
Les régimes fiscaux nationaux se dévelop-pent rapidement mais de
manière hétérogène,à la fois sur le fond (objectifs impartis) et
surla forme (modèle fiscal et taux d’imposition).Ceci n’est pas
sans poser de problèmes. Lesconséquences de ces régimes fiscaux
différen-ciés dépassent largement les espaces nationauxau fur et à
mesure que les interdépendanceséconomiques et financières entre les
pays semontrent de plus en plus sensibles.
Le premier type de problèmes que posel’introduction de
différences fiscales entrepays est lié à la compétitivité
internationale desentreprises, de secteurs économiques, voiredes
économies nationales36. Il se matérialiselorsque la taxe touche des
produits tributairesdes marchés internationaux pour lesquels
dessubstitutions ne sont pas possibles. Il se traduitpar une baisse
des exportations des produitstaxés (hausse des prix d’exportation
par la fis-calité) et une augmentation des importationsen
provenance de pays aux pressions fiscalesmoins importantes (prix
inférieurs). Cetteperte de compétitivité est d’autant plus
diffi-cile à surmonter que la capacité du secteur àmodifier son
comportement (adopter unenouvelle technologie par exemple) est
limitée.
L’ensemble des conséquences est difficile àmesurer, car il
dépend largement de la poli-tique économique globale mise en place
parles Etats. Néanmoins, l’effet sur la compétiti-vité peut
conduire les autorités à afficher unecertaine réticence à s’engager
dans uneréforme fiscale ; en conséquence de quoi, soitles pays
attendent que d’autres s’engagent surla voie de la réforme avant
d’agir, soit ils pren-nent des mesures tout en exonérant les
sec-teurs ouverts à la concurrence internationale.Dans les deux
cas, le système fiscal utilisé estsous-optimal, quel que soit
l’objectif recher-ché : moins de fonds sont collectés et/oumoins
d’incitations sont générées.
Le second type de problème provient de lasituation inverse : la
tentation pour certainspays de réduire leur pression fiscale soit
pourgarantir une meilleure compétitivité de leur
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
12 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
économie, soit pour attirer des capitaux étran-gers37. Les
effets réels de ce dumping fiscal surles investissements directs
étrangers (IDE) sontdifficiles à identifier et à mesurer. Mais il
estévident qu’une baisse des pressions fiscales surle travail, le
capital ou les exigences sociales etenvironnementales influence une
décisiond’investissement. Et cet effet est peut-êtreencore plus
notable lorsque la fiscalité se veutincitative.
Ces deux catégories de problèmes(réforme verte vs dumping
fiscal) font de lacoordination internationale des politiques
fis-cales nationales une nécessité. Comment assu-rer la
coordination des fiscalités nationales ? Siles pays ne sont pas
tenus d’adopter unmodèle unique, ils ne doivent pas s’en
éloigneret, s’ils modifient leur fiscalité, ils devraientêtre tenus
de ne le faire que dans le sens de laconvergence.
Un des moyens pour résoudre cet impactnégatif repose sur la
coordination régionale etinternationale de la fiscalité38.
Commentgarantir une coordination minimale des poli-tiques fiscales
pour limiter les effets négatifsdes interdépendances entre les
économies queles politiques fiscales influencent ? Deux hypo-thèses
diamétralement opposées sont envisa-geables. La première consiste à
créer un sys-tème fiscal supranational applicable à tous dela même
manière, ce qui règlerait tout diffé-rentiel fiscal entre nations.
Il s’agit là du stadeultime de la convergence des systèmes
fiscauxnationaux. Cette vision est clairement uto-pique et, sans
doute, peu intéressante per secomme hypothèse de travail. A
l’opposé, laseconde serait de permettre à chaque pays deconserver
sa structure d’imposition propre,tout en compensant les autres pays
pour lespréjudices qui en résultent. Là encore, l’hypo-thèse semble
peu réaliste et sans grand avenir.En revanche, ce qui est à
étudier, ce sont lesmultiples possibilités qui s’étendent entre
cesdeux extrêmes.
Les travaux sur l’harmonisation des fiscali-tés nationales et
sur le fédéralisme fiscal ali-mentent la réflexion sur ce que
serait unecoordination orientée vers un système fiscalunique à
l’échelle internationale : l’introduc-tion de taux et de bases de
prélèvements obli-gatoires compatibles, voire identiques d’unpays à
l’autre, peut très rapidement apparaître,suivant les modalités
d’application, comme lamise en œuvre d’un système fiscal universel
;le fédéralisme fiscal peut également constituerun champ
d’investigation pour renseigner lafaisabilité technique d’une
articulation entrefiscalité nationale et fiscalité
supranationale39.Seraient alors discutées les possibilités
d’exo-nération ou de réduction motivées par uneperte de
compétitivité ou instaurées pour desraisons d’équité. Dès lors,
l’aide publique audéveloppement, même si elle n’est pas envisa-
gée dans cette optique, ni justifiée de la sorte,pourrait être
considérée comme une forme decompensation pour un préjudice
commisenvers des pays qui n’ont pas les moyens d’uti-liser les
mêmes instruments que leurs parte-naires.
Peut-on alors envisager une redistributiondes revenus permettant
de compenser ces per-tes ? Doit-on, au contraire, s’orienter vers
unecoopération des Etats en matière de fiscalité ?Ou encore
envisager une imbrication complé-mentaire de ces deux systèmes ?
Les réflexionssur ces modes possibles de coordination,
soitdirectement sur le système fiscal, soit indirec-tement sur le
système de redistribution,demeurent très superficielles. Néanmoins,
ilexiste des initiatives visant à promouvoir lacoopération
internationale en matière fiscale,tant régionale
qu’internationale.
Renforcer le dialogue entre les administrationsfiscales
Il existe actuellement de nombreux lieuxrégionaux de rencontre
des administrationsfiscales. Le centre de rencontre et d’étude
desdirigeants des administrations fiscales (Cre-daf), créé en 1982
et qui regroupe essentielle-ment des pays francophones d’Afrique,
en plusde la France, de la Belgique et du Canada, enest un
exemple40. Ces organisations régionalesont essentiellement pour
objet d’échanger despoints de vue et des expériences sur le
fonc-tionnement des administrations fiscales et nonde renforcer la
coordination internationale despolitiques fiscales.
Cette tâche est partiellement assumée parle comité des affaires
fiscales de l’OCDE. Cecomité a développé un modèle type de
conven-tion fiscale bilatérale et des lignes directricessur les
prix de transfert. Par ces actions, ilexerce une influence certaine
au-delà mêmedes seuls pays de l’OCDE, même s’il repré-sente
uniquement les visions de ses membres.Une autre instance joue ici
un rôle essentiel :le groupe spécial d’experts de la coopérationen
matière fiscale réuni par les Nations unies.Il comprend des experts
et des représentantsdes administrations fiscales des pays
dévelop-pés et en développement, spécialistes des trai-tés fiscaux
entre les pays développés et endéveloppement. L’ONU dispose
égalementd’un modèle type de convention qui s’adresseaux pays
autres que ceux de l’OCDE.
Reste que ces conventions fiscales bilatéra-les et les autres
formes de coopération fondéessur l’échange d’expériences, sur la
transpa-rence et les bonnes pratiques, sur le renforce-ment des
capacités des administrations fiscalesdes pays en développement,
paraissent bieninsuffisantes pour traiter des problèmes
inter-nationaux consécutifs à l’hétérogénéité despolitiques
fiscales nationales. Pourtant, ce ne
La nécessité d’une coopération internationale en matière
fiscale
Institut du développement durable et des relations
internationales 13
-
sont pas les propositions qui font défaut. Unenote technique a
été préparée par le Secréta-riat général des Nations unies, à
l’occasion dela préparation de la conférence internationalesur le
financement du développement, pourréférencer ces propositions en
partant du cons-tat « [qu’]il n’existe pas d’instance
intergouver-nementale mondiale qui s’occupe de questionsde
politiques et d’administrations fiscales et decoopération
internationale en matière fiscalesous tous ses aspects »41.
C’est à cette conclusion d’une absence delieu de dialogue des
administrations fiscalesqu’a abouti le consensus de Monterrey et
c’estdans cette perspective que deux initiatives ontété récemment
engagées.
La première a débouché sur la création duComité des
organisations internationales desadministrations fiscales (Ciota),
regroupant laquasi-totalité des organisations régionales
decoopération des administrations fiscales. Sonobjectif est de
renforcer les collaborationsentre ces organisations, de partager
les expé-riences et d’organiser des conférences sur lesgrandes
questions fiscales internationales.
La seconde initiative, le dialogue fiscalinternational (ITD),
dont la création a été pro-posée par la Banque mondiale, le FMI
etl’OCDE lors de la conférence de Monterrey surle financement du
développement, a pourobjectif le partage des expériences, des
problè-mes et des savoirs en matière fiscale42. Le dia-logue fiscal
international peut être considérécomme une étape supplémentaire
pour aiderles pays en développement à créer ou à amé-liorer leur
système fiscal et à renforcer leurcapacité à lever l’impôt. Il agit
comme unforum d’expression et comme un lieu de coor-dination et de
partage des assistances tech-niques en matière fiscale, où la
parole est don-née aux pays en développement.
Cet élément est un point essentiel duconsensus de Monterrey où
les chefs d’Etat etde gouvernement reconnaissent « la
nécessitéd’assurer la viabilité des politiques
budgétaires,moyennant une fiscalité et une administrationfiscale
équitables et efficaces et de réaménagerles dépenses publiques sans
supplanter l’inves-tissement productif privé »43. Et pour y
parve-nir, ils recommandent de « renforcer la coopé-ration fiscale
internationale par un dialogueplus poussé entre autorités fiscales
nationaleset une plus grande coordination des travauxdes organismes
multilatéraux concernés et desorganisations régionales pertinentes,
en accor-dant une attention particulière aux besoins despays en
développement et en transition »44.
Néanmoins, cette coopération doit allerplus loin, les
concepteurs de l’ITD le recon-naissent. Il ne s’agit pas simplement
d’informeret de partager. La fiscalité pose des
questionsinternationales qui ne sont pas seulementadministratives,
mais concernent l’ensemble de
la politique fiscale : taxation des multinationa-les, des
travailleurs étrangers, du commerce —électronique plus
particulièrement —, compéti-tivité, dumping fiscal... Or, dans le
mêmetemps, l’ITD rappelle très clairement que,quelle que soit
l’étendue des questions fiscalespertinentes à l’échelle
internationale, la fisca-lité demeure nationale par nature, et
que,même dans une enceinte internationale de dia-logue comme l’ITD,
les Etats conservent leursouveraineté fiscale.
Peut-on espérer de ces enceintes un débatsur la fiscalité
mondiale ? Non, sans doute, sion espère aboutir à un projet commun.
Maisqu’elles s’engagent à reconnaître l’utilité d’undébat, voire
même à l’ouvrir, est une étapeimportante pour obtenir une réponse.
En effet,deux éléments sont à retenir. Le premier estqu’il existe
une pression structurelle de plus enplus forte s’exerçant sur les
administrations fis-cales pour que le dialogue et la
coopérations’intensifient. Cette pression aura pour consé-quences
l’ouverture de discussions avant toutsur les politiques fiscales
dont les pays ontbesoin. A terme, elle pourrait conduire à met-tre
en œuvre des systèmes d’imposition compa-rables entre différents
pays, ou tout au moinsmieux articulés. Une telle solution
s’apparente-rait à une fiscalité internationale, sans distribu-tion
transfrontalière des recettes. Le secondélément est le rôle
déterminant de coordina-tion des acteurs que peut jouer la
fiscalité etqui n’a de sens que si l’ensemble des partiesprenantes
accepte d’y participer. Ces deuxdynamiques, reposant sur des
argumentairesdifférents, pourraient converger vers une
issueidentique : une fiscalité mondiale.
Aussi, l’institutionnalisation des discussionssur les questions
fiscales entre autorités com-pétentes est fondamentale pour faire
évoluer laperception que les différents acteurs peuventavoir de
l’utilité d’une fiscalité mondiale. Car, siles propositions faites
ne vont pas jusqu’à insti-tuer l’organisation mondiale de la
taxation quecertains réclament45, elles sont un premier pasdans ce
sens, car elles s’efforcent de créer uneplate-forme de rencontre et
de discussion pourles administrations fiscales. Toutefois, commele
souligne Horner, une organisation mondialede la taxation n’est
concevable que si toutes lesquestions peuvent y être discutées, y
compriscelles sur les taxes46.
Une problématique en construction
Pourquoi un outil plébiscité par les milieuxéconomiques
(connaissant le poids qu’ils détien-nent dans l’orientation des
politiques locales,nationales et internationales) et permettant
derépondre aux préférences des populations neparvient-il pas à
s’imposer à l’échelle internatio-nale ? S’agit-il d’un problème
technique lié aupassage de l’échelle nationale à l’échelle
l’inter-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
14 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
nationale, d’une inadéquation entre objectifs etmoyens (aucune
des questions globales ne peutefficacement être traitée par la
fiscalité mon-diale), ou encore d’une absence de volonté poli-tique
? Nous allons tenter d’apporter quelqueséléments de réponse à ces
questions.
L’absence de communauté épistémique
Tout d’abord, nous avons vu l’apport subs-tantiel que représente
la nature incitative d’unetaxe pour renouveler les débats sur
l’instaura-tion d’une taxe mondiale. Elle permet notam-ment de
faire porter les discussions directe-ment sur la fiscalité et non
sur l’efficacité del’utilisation des recettes fiscales47. Ensuite,
nousavons rappelé combien la nécessité de renfor-cer la
coordination des politiques fiscalesdevient pressante, plus
particulièrement pourpermettre aux pays en développement de fairede
la fiscalité un levier pour sortir de la pauv-reté. Et, sur ce
point précis, les initiativesrécentes de construction d’un espace
interna-tional de discussion représentent une réelleinnovation.
Ces deux éléments plaident pour uneréflexion plus poussée sur
l’avenir d’une tellefiscalité, notamment parce qu’ils contribuent
àlever les obstacles les plus importants avancéspar les détracteurs
de la fiscalité mondiale. Or,jusqu’à présent, les discussions entre
les écono-mistes et les fiscalistes sur la nécessité d’instau-rer
une fiscalité mondiale ont fréquemmenttourné court. Les travaux
fondamentaux quipourraient alimenter de manière constructivele
débat politique sur cette question sontencore trop peu nombreux. De
fait, il devientdifficile de trouver un terrain politique de
dis-cussion entre les défenseurs d’une fiscalitémondiale et ses
détracteurs. Les argumentsd’apparence péremptoire reposent
uniquementsur une conception idéologique à partir delaquelle toute
discussion est impossible. Unapport substantiel de la part des
scientifiquesest nécessaire.
Or, si des réflexions se poursuivent surl’opportunité d’une
fiscalité mondiale, iln’existe pas aujourd’hui de communauté
épis-témique établie sur cette question, alors mêmeque l’on
reconnaît de plus en plus le rôle cen-tral que cette dernière
pourrait de jouer dansla vie politique tant nationale
qu’internatio-nale48. Une communauté épistémique a pourobjectif de
fournir l’information nécessaire auxpolitiques pour réduire
l’incertitude sur unsujet donné. Elle prend alors une place
impor-tante dans le processus politique, et ceci dedeux manières
différentes.
Parce qu’elle contrôle les connaissances etl’information, elle
détient un pouvoir qu’ellepeut utiliser pour orienter les décisions
poli-tiques : elle guide les débats en soulevant lesquestions
qu’elle juge cruciales, avance les solu-
tions qui lui paraissent les plus appropriées etinfluence ainsi
le résultat final des négocia-tions. Elle peut aussi et simplement
fournir desarguments permettant aux décideurs politiquesde
justifier une issue qui leur paraît favorable.Elle ne fait alors
qu’élargir l’espace de discus-sion et n’exerce aucune emprise
directe sur laposition finale des autorités compétentes.
C’estpourquoi Peter Haas précise que si les choixpolitiques sont
effectivement influencés par detels réseaux d’experts, le degré de
concordanceentre les décisions entérinées et les préférencesdes
experts demeure conditionnée par la dis-tribution des pouvoirs à
l’échelle nationale etinternationale49.
Si une coordination internationale émerge,ce sera donc le signe
que la communauté épis-témique s’est révélée suffisamment
influentepour en démontrer la nécessité aux décideurspolitiques ou
aux groupes de pression. Le seulvéritable impératif réside
finalement dans saforce de persuasion, donc pour partie, dans
ladiffusion transnationale de ses idées. Ainsi, lesscientifiques
doivent être motivés par l’in-fluence qu’ils peuvent avoir sur le
politiquepour se constituer en communauté épisté-mique50. Cette
étape semble faire défaut : lademande politique est réelle mais pas
encoreinstitutionnalisée ; si bien que les scientifiquesne sont pas
incités à produire une réflexionsuffisamment approfondie pour
enclencher unvéritable débat, tant technique que politique, àla
fois dans les espaces nationaux et dans lesenceintes
internationales.
Les difficultés techniques de mise en œuvre
Parce que les travaux fondamentaux sur lafiscalité mondiale
demeurent trop épars, lesquestions techniques restent
nombreuses,notamment sur l’adéquation de l’instrumentfiscal aux
objectifs recherchés : la fiscalité est-elle le meilleur outil pour
satisfaire les objectifsrecherchés ? La taxe est-elle suffisamment
effi-cace et équitable pour asseoir sa légitimité et saprédominance
sur d’autres instruments derégulation ? Si l’efficacité dépend du
taux detaxation et de l’utilisation des recettes, l’équitéest
assurée par des réductions de taxes, desexonérations (atténuations)
ou des compensa-tions permises par l’utilisation et la
répartitiondes recettes générées par la fiscalité (réductiondes
contributions sociales par exemple) ou parle redéploiement fiscal
(réduction d’autrestypes de prélèvements obligatoires)51.
Certes,les difficultés pratiques sont nombreuses, maisde même
nature que celles rencontrées — etsurmontées — par les fiscalités
nationales. Aussiconvient-il de bien cerner les principales
ques-tions à résoudre pour mettre en œuvre une fis-calité mondiale,
même si dans la pratique lesréponses avancées sont spécifiques à
chaqueconstruction fiscale.
Une problématique en construction
Institut du développement durable et des relations
internationales 15
-
Le taux de taxationLe taux de taxation doit permettre de
respecter un certain degré d’efficacité écono-mique. Si
l’objectif est incitatif, le taux de taxa-tion optimal est en
théorie relativement aisé àdéterminer : il doit simplement
permettre d’in-ternaliser complètement les coûts de l’externa-lité
négative considérée, avec toutes les diffi-cultés pratiques que
cela implique mais quirestent réelles quelle que soit l’échelle
d’appli-cation. Si l’objectif est financier, le taux detaxation
dépend des recettes fiscales que l’ondésire prélever. Il correspond
alors à un choixpolitique qui s’explique par les efforts de
dis-tribution recherchés. Si le but est de réaliserun double
dividende, il convient alors d’arbit-rer entre les priorités
accordées à chacun desobjectifs. Ces réflexions sont théoriques et
lesimpacts réels sur la structure économique glo-bale des taux
d’imposition particuliers doiventêtre considérés avec beaucoup de
précaution,ce qui complexifie la détermination du taux
deprélèvement.
La structure de la fiscalitéL’assiette fiscale est garante du
caractère
équitable et loyal de la fiscalité. Quels sont lesproduits, les
personnes, les revenus, les actionsqui sont taxés ? Comment définir
la nécessité,ou non, de procéder à des exonérations ?Quels
arguments invoquer pour les justifier ?Taxer un même secteur dans
deux pays diffé-rents peut avoir des conséquences positivesdans
l’un et dommageables dans l’autre. Ilconvient de définir une
structure fiscale quitienne compte des spécificités de chaque
pays,de la même manière que la fiscalité nationaleprend en compte
des spécificités sectoriellesou individuelles pour que le système
fiscal soitsuffisamment équitable. Ces dimensions nepeuvent être
omises, et ceci plus particulière-ment lorsque l’on cherche à taxer
des échan-ges internationaux, car se pose la question dela
définition des espaces géographiques, del’ampleur des échanges, de
la structure écono-mique des pays... Pour répondre à ces
ques-tions, il existe une panoplie d’instrumentsstrictement fiscaux
(taxe, impôt, redevance)qui peuvent être combinés avec d’autres
typesde mécanisme d’incitation et de redistribution.
L’utilisation des recettes fiscalesQuelle que soit la taxe mise
en place, elle
devrait engendrer des recettes fiscales, variantsuivant
l’objectif recherché, le taux imposé,l’assiette considérée...
Comment distribuer lesfonds issus d’une taxation mondiale ? Plus
queles réponses possibles, ce sont les objectionsavancées qui sont
vraisemblablement les plusconstructives, car elles permettent
d’éviter dereproduire les erreurs passées.
L’argument principal avancé par McMahonconcernant la
distribution des recettes fiscales
issues d’une taxe internationale repose sur lecaractère non
démocratique de beaucoup degouvernements des pays en développement
etde la propension des élites à détourner lesfonds d’aide à leur
profit, au détriment despopulations locales52. Cet argument
constituedavantage une excuse pour l’inaction, qu’uneincitation à
faire autrement. L’analyse ex posten économie politique
internationale fondéeuniquement sur la recherche de rente ne
per-met pas d’intégrer les mécanismes d’apprentis-sage, qui
autorisent deux systèmes en appa-rence semblables à obtenir des
résultatsdifférents en raison des connaissances passéeset de
l’introduction de nouvelles connaissan-ces. Les réflexions
conduites depuis quelquesannées sur l’efficacité de l’APD, sur sa
fongibi-lité, sur l’efficacité des conditionnalités consti-tuent
autant de connaissances qui peuvent êtremobilisées.
Certaines expériences montrent que la dis-tribution de
ressources financières est opéra-tionnelle lorsque les projets sont
bien conduits(good governance). Par exemple, alors que
laconstitution de fonds a été sévèrement criti-quée, certaines
expériences récentes montrentque bien administrés, les fonds
permettent unedistribution relativement satisfaisante des
res-sources. Ainsi, la manière dont le Fonds mon-dial pour les
vaccins est administré montre queles leçons ont été tirées du
passé53. Sans cher-cher à faire de ce fonds l’exemple à suivre,
ilfaut reconnaître que l’introduction d’uneclause liant les
subventions aux résultats, d’unmécanisme de contrôle (audit), d’une
limita-tion maximale des coûts administratifs ainsique l’exigence
de transparence assure une effi-cacité nouvelle54. La question
devient alors desavoir s’il est envisageable, techniquement
etpolitiquement, d’administrer un fonds consti-tué de prélèvements
obligatoires de la mêmemanière qu’un fonds alimenté par des
contri-butions volontaires.
Rappelons que la Banque mondiale, le FMIet, dans une moindre
mesure, le Fonds mon-dial pour l’environnement sont des
institutionsinternationales qui assurent une certaine
redis-tribution des richesses entre les pays. Maiselles ne reposent
pas sur un système fiscal.Actuellement, les services qu’elles
fournissentsont financés par les contributions des Etats,dont le
niveau est préalablement négocié. Cesfonds sont ensuite répartis
par champ d’acti-vité et par destination géographique, suivantdes
critères et des priorités préalablementidentifiées. Contrairement à
cette pratique, lamise en place d’une fiscalité
internationaledevrait davantage reposer sur l’utilité quetirent les
bénéficiaires des services fournis.Une des conséquences directe de
cette orien-tation est une nouvelle définition du bénéfi-ciaire,
privilégiant davantage les individus queles autorités
représentatives. Le bon fonction-
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
16 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
nement des institutions internationales devraitdonc se faire sur
la base de contributions indi-viduelles définies par la solvabilité
ou la capa-cité des individus à payer.
Par conséquent, sans négliger les risquesliés à la recherche de
rente de la part des gou-vernements, il convient de favoriser
lesréflexions sur la définition du système de dis-tribution des
recettes fiscales et sur la manièredont les choix publics peuvent
être réalisés àl’échelle internationale. Là encore, il seraitsans
aucun doute nécessaire de s’appuyer surles expériences passées,
tant dans la gestiondes fonds internationaux, que dans les
diffé-rents pays qui ont su mettre en place un sys-tème efficace de
redistribution.
A titre d’exemple, François Bourguignonprésente un modèle
superposant deux systè-mes redistributifs, l’un à l’échelon
national,l’autre à l’échelon mondial55. Relativement sim-ple, il
permet de raisonner la question de ladistribution mondiale, du rôle
que tout sys-tème de redistribution doit jouer dans la crois-sance
mondiale. Le modèle ici présenté mon-tre que les plus pauvres des
pays riches sont lesgrands perdants du système de taxation
natio-nale et mondiale, alors que les plus pauvresdes pays en
développement en sont les grandsgagnants.
Les mécanismes d’observanceComment garantir le respect des
obliga-
tions fiscales par l’ensemble des acteurs ? Faut-il se contenter
d’un engagement moral, établirun système de sanction ou envisager
d’autresmécanismes d’observance ? Apporter desréponses à ces
questions est déterminantcompte tenu de la palette très large des
instru-ments d’observance disponibles.
Les difficultés institutionnelles d’unegouvernance fiscale
En matière de gouvernance de la fiscalitémondiale, une autre
difficulté majeure est dedéterminer le lieu pertinent de prise de
déci-sion et sa composition. Qui doit prendre desdécisions sur
l’ensemble des interrogationstechniques (taux, structure,
distribution) et surles instances compétentes pour les
applica-tions courantes (collecte, observance) ? Autre-ment dit,
qui peut taxer ? Qui détient la légiti-mité de percevoir et de
redistribuer une taxe ?Qui peut décider de l’utilisation des fonds
col-lectés ?... Ces questions ont toutes trouvéréponse à l’échelle
locale et nationale. La miseen place d’une fiscalité mondiale
n’est-ellequ’un simple changement d’échelle ? Quellesen sont les
conséquences ?
Empiriquement, ceci ne s’est encore jamaisvu. Même à l’échelle
régionale. Néanmoins,des changements d’échelle, avec
délégationd’une capacité à prélever l’impôt à une auto-
rité supérieure, ont déjà existé : ce fut le caslorsque la
Constitution de 1787 autorisa leCongrès américain à prélever
l’impôt, ouencore, lorsqu’en 1819, quatre ans après lacréation de
la Confédération allemande, lespouvoir fiscaux ont été transférés
des localitésà l’Etat56. Par ailleurs, au sein de l’Union
euro-péenne, apparaît l’esquisse d’une fiscalitésupranationale, via
des transferts automatiquesde ressources de l’échelle nationale à
l’écheloncommunautaire.
Par conséquent, s’il existe des contraintestechniques au
changement d’échelle, elles nesemblent pas insurmontables, que cela
passepar un transfert de compétence à une autoritésupérieure ou par
la coordination de juridic-tions nationales. L’hypothèse d’une
autoritésupérieure constituée qui travaillerait en colla-boration
avec les différentes juridictions natio-nales n’est que peu
évoquée, dans la mesureoù sa création nécessiterait de s’interroger
sursa représentativité et sur son contrôle démo-cratique. Mais
surtout, l’autorité supranatio-nale chargée de collecter et de
distribuer lesrecettes se verrait dotée d’un pouvoir extrême-ment
important à l’origine de ressentimentsnationaux. Enfin, tout
transfert de compé-tence en matière d’imposition doit être
extrê-mement encadré pour éviter dérives oudétournements dans la
collecte et l’utilisationdes fonds57. Pour autant, doit-on
considérerque, sans autorité supérieure, la fiscalité mon-diale
doit être abandonnée ? Est-elle indispen-sable ? Quelles sont les
fonctions essentiellesqu’elle seule pourrait remplir ?
L’alternative à une autorité supranationaleest la coordination
internationale des adminis-trations fiscales nationales existantes.
Elleaurait pour mission la mise en place d’une taxeidentique dans
chaque pays. Beaucoup de pro-positions de taxe globale ne font
aucunementintervenir une autorité supérieure pour préle-ver
l’impôt. Mais elles supposent toutes unecoordination internationale
suffisante entreadministrations fiscales pour mettre en placeet
appliquer des règles dans l’ensemble desjuridictions. Cette
hypothèse semble plusréaliste mais pas plus simple pour autant.
Reste que ces deux solutions s’avèrent apriori délicates à
mettre en œuvre en raison,notamment, de l’absence de lieu de
concerta-tion des administrations fiscales, mais égale-ment de
l’hétérogénéité des quelque deuxcents administrations fiscales
actuelles, hétéro-généité quant aux compétences, aux procédu-res,
aux règles... Et chaque décision concer-nant la mise en œuvre
pratique d’une fiscalitémondiale devrait faire l’objet de
négociationstransparentes, efficaces et ouvertes, sans quoila
légitimité du système fiscal ne pourra êtreétablie, sans quoi le
problème de la représen-tation de la citoyenneté mondiale dans
l’élabo-ration du système fiscal ne pourra être résolu.
Une problématique en construction
Institut du développement durable et des relations
internationales 17
-
Les blocages politiques à toute négociation
Toutes les propositions de taxe internationaleont jusqu’à
présent échoué. Plusieurs explica-tions sont couramment avancées.
Les Etats-Unisrefusent de voir un citoyen américain soumis àune
autorité fiscale autre qu’américaine. Mais lesréticences de la part
des Etats sont générales ; lesparlements nationaux considèrent
l’impositioncomme l’essence même de leur pouvoir, etinstaurer une
fiscalité mondiale reviendrait àremettre en cause leurs
prérogatives. Cette situa-tion rend difficile toute avancée sur ce
sujet.
Pourtant, certaines initiatives se rappro-chent de
l’instauration d’une fiscalité mon-diale. Retenons ici deux
exemples. Le premier,sans doute le plus probant, est tiré de
laConvention des Nations unies sur le droit de lamer (1982).
L’article 13 de l’Annexe III, définis-sant les clauses financières
des contrats d’ex-ploitation passés entre l’Autorité
internationaledes fonds marins et les entreprises, instituaitune
redevance sur la production issue de l’ex-ploitation minière des
fonds marins. Cetteredevance devait être reversée à
l’Autorité.Mais, lors de l’entrée en vigueur de la conven-tion en
1994, un nouvel accord relatif à l’appli-cation de la partie XI est
intervenu : dans lasection 8 de l’annexe, la partie de l’article 13
dela Convention relatif à la redevance est dési-gnée comme non
applicable. La taxe préalable-ment instaurée devient
inapplicable58. Resteque cette disposition apparaît pour
l’instantpréventive, car il n’existe aujourd’hui aucuneexploitation
minière des fonds marins.
Le second exemple est relatif à la mise enplace des services
postaux. L’Union postale uni-verselle (UPU), créée en 1874 pour
assurer desservices postaux de qualité en tout point du ter-ritoire
et à des prix raisonnables, a longtempsfonctionné sans aucun
partage de coûts. Elleest devenue une institution spécialisée
desNations unies en 1948. En 1969, face aux désé-quilibres
enregistrés dans les flux de courrier,l’UPU a décidé d’introduire
un système derémunération applicable aux flux postaux bila-téraux
reposant sur les différences entre lescourriers reçus et envoyés59.
Cette rémunéra-tion, appelée frais terminaux, correspond
auxcompensations financières reçues par la postede destination pour
les travaux relatifs au trai-tement des flux transfrontaliers
entrants. Elle aconnu de nombreuses modifications, avant deprendre
la forme, en 1999, d’un fonds pourl’amélioration de la qualité des
services dans lespays en développement (FAQS), fonds destinéau
financement de projets spécifiques.
Ces deux exemples montrent qu’il est envi-sageable techniquement
et politiquement des’orienter vers ce qui s’apparente à une
fiscalitémondiale. Et plusieurs arguments plaidentpour cette
évolution.
Tout d’abord, un nombre croissant de
citoyens milite pour la mise en place d’une fis-calité mondiale,
alors même qu’ils en serontpeut-être les principaux
contributeurs60. Depuis1999, la monté en puissance du débat sur
lataxe Tobin leur a donné l’occasion de se faireentendre. Aux côtés
d’Attac International, denombreuses associations de la société
civile par-lent haut et fort : en Amérique du Nord, Hali-fax
Initiative et Tobin Tax Initiative, ou encoreau Royaume-Uni, War On
Want61.
Ensuite, toute volonté politique n’est pasabsente et certaines
voix en faveur d’une taxa-tion internationale commencent à se
faireentendre. A celle de la France, il faut ajoutercelle du
parlement canadien qui a invité, en1999, son gouvernement « à faire
preuve de lea-dership et à décréter une taxe sur les transac-tions
financières de concert avec tous les paysde l’OCDE »62. Au Brésil,
la chambre des dépu-tés de São Paulo s’est officiellement
prononcéeen faveur d’une réflexion approfondie sur safaisabilité.
Au sein même de l’Union euro-péenne, seules six voix ont manqué en
2000pour que le Parlement demande officiellementà la Commission
d’établir un rapport sur laquestion63.
Enfin, la position des Etats-Unis n’est pasaussi intangible
qu’elle n’y paraît. Notammentparce qu’ils participent déjà à la
fourniture debiens ou services publics mondiaux, dont lefinancement
pourrait se faire par l’intermé-diaire d’un prélèvement fiscal. Les
Etats-Unisprennent largement part au financement desBPM : au
travers du FMI, ils participent au sau-vetage financier des pays en
difficulté (bailout) ; ils financent largement la recherche
médi-cale et fondamentale ; leur action militaire etpolitique
garantit aux pays industrialisés unaccès facilité au pétrole ; ils
financent désor-mais une lutte contre le terrorisme ; ils sont
lespremiers contributeurs au Fonds mondialcontre le sida, etc. Une
puissance hégémoniquede cette taille n’a-t-elle pas intérêt à faire
parti-ciper un maximum de pays aux coûts d’unegouvernance mondiale
qu’elle financera detoutes les façons, seule ou accompagnée ?
Ildevient dès lors légitime de se demander si,demain, les
Etats-Unis ne pourraient pas esti-mer que le partage des charges
passe par cetype de fiscalité64 ?
Quelques propositions de fiscalitémondiale
Au-delà du débat théorique et parfois idéo-logique sur la
fiscalité mondiale, il est surpre-nant de constater combien les
questions demise en œuvre sont encore mal traitées. Com-ment
appliquer les taxes et selon quels critè-res ? A quel dessein
(modification des compor-tements, drainage de fonds...) ?
Commentcontrôler leur bonne application ? Qui peutgérer les fonds
collectés ? Comment assurer
Fiscalité internationale et financement du développement
durable
18 Institut du développement durable et des relations
internationales
-
une utilisation équitable de la taxe ? Quelleassiette de
répartition ? Quel peut être le rôledu secteur public et du secteur
privé dans l’his-toire de la mise en place des taxes ?
Revisiter quelques propositions de taxemondiale permet
d’illustrer l’ensemble des élé-ments évoqués jusqu’à présent.
Comment lesquestions ont-elles été posées ? Quelles répon-ses ont
été apportées ? Quels points sont restésen suspens ? Trois exemples
de taxes, quirépondent à des objectifs différents (finance-ment ou
incitation), illustrent des éléments par-ticuliers de l’analyse
précédente sur les bloca-ges possibles à la mise en œuvre d’une
fiscalitémondiale.
Taxe sur les mouvements de capitaux65
L’instauration d’une taxe mondiale sur lesmouvements de capitaux
est sans aucun doutel’exemple le plus documenté. L’idée n’est
pasnouvelle66 même si, ces dernières années, elle afait l’objet de
débats passionnés, tant sur lesmodalités que sur les objectifs
réels qui moti-vent sa mise en œuvre. Aujourd’hui coexistentdeux
conceptions de ce qu’il est convenu d’ap-peler la taxe Tobin.
La proposition initiale du professeur JamesTobin confère à la
taxe une ambition précise —réduire la volatilité des taux de change
— l’ob-jectif final étant de redonner aux politiquesmonétaires
nationales un minimum d’autono-mie, en déconnectant le taux
d’intérêt nationaldu taux d’intérêt mondial, notamment pour
sti-muler l’économie nationale sans subir unedépréciation excessive
de la monnaie67. Cetobjectif d’autonomie monétaire défendu parTobin
n’a pas changé depuis la célèbre confé-rence qu’il a donnée à
l’université de Princetonen 1972. Toutefois, James Tobin a
abandonnél’expression de « taxe internationale » pour cellede «
taxe multilatérale », convaincu que l’adop-tion d’une même mesure
par plus de cent qua-tre-vingts pays est politiquement
impossible68.
Quatre grandes critiques à cette premièreapproche sont
généralement avancées69. La pre-mière concerne la difficulté de
discriminer lesmouvements spéculatifs de ceux répondant
àl’ajustement normal du marché : toutes lestransactions seraient
taxées, les « bonnes »comme les « mauvaises ». La seconde reposesur
l’existence de produits financiers dérivésqui permettrait de
soustraire certaines transac-tions à la taxe. La troisième est
relative au tauxde taxation qui doit être suffisamment élevépour
décourager les transactions, sans l’êtretrop, pour ne pas
compromettre la liquidité dumarché. Enfin, une dernière critique
fait réfé-rence à la distribution des recettes fiscales :outre la
difficulté de déterminer le montantdes recettes générées par une
telle taxe — enraison de l’impossibilité d’anticiper le
compor-tement des acteurs sur le marché — l’allocation
des recettes demeure une question éminem-ment politique.
La seconde conception de la taxe, défenduepar le PNUD70 ou
encore, sur d’autres bases,par l’association Attac71, donne à ce
projet unevocation plus vaste, à laquelle James Tobinn’adhèrerait
pas72. Il ne s’agit plus simplementde rendre au taux d’intérêt
national une cer-taine autonomie, mais de réduire la volatilitédu
marché des changes en décourageant la spé-culation. Grâce à
l’existence d’un double divi-dende, cette fiscalité incitative
permettrait dedégager de recettes — apparentées à « un impôtmondial
de solidarité » — qu’il conviendraitensuite de redistribuer.
Quatre grandes critiques techniques sontgénéralement avancées
contre cette secondeapproche. La première est liée à
l’existenced’un double dividende : si le mécanisme incita-tif
fonctionne, alors le volume des ressourcescensées financer le
développement s’effon-drera ; comme dans toute fiscalité, les
objectifsd’incitation et de redistribution sont partielle-ment
incompatibles. Cette question va de pairavec la seconde critique
qui a trait à la déter-mination du taux de taxation : trop faible,
il nepénaliserait pas les mouvements spéculatifs ;trop fort, il
diminuerait dangereusement laliquidité du marché ; rendus
excessivement sen-sibles aux variations de l’offre et de lademande,
les cours seraient encore plus volati-les. La troisième critique
porte sur la mise enœuvre nécessairement « mondiale » de
cettetaxe73, sans quoi les risques d’évasion fiscaleseraient trop
importants (produits financiersnon assujettis, placements
offshore). Enfin, laquatrième concerne la dimension
institution-nelle de la collecte de la taxe et de la distribu-tion
des recettes, à propos de laquelle rien n’esttranché : puisqu’il
s’agit d’une taxe mondiale,une instance mondiale sera-t-elle
chargée decollecter la taxe et de distribuer son revenudans chaque
pays ? Et, dans ce cas, comment lesystème de distribution
permettra-t-il un trans-fert de recettes entre les pays ?
Les questions sur le double dividende sontcomplexes comme le
montre la diversité deschiffres avancés quant aux recettes qu’une
taxeTobin pourrait générer. L’estimation envolume dépend
étroitement des hypothèsesretenues concernant : le taux de la taxe
; levolume quotidien des transactions sur le mar-ché des changes ;
la structure de la taxation quidéfinit les catégories de flux de
court terme etles types d’instruments qui sont taxés (parexemple,
faut-il exonérer les transactions inter-bancaires qui constituent
70 % du total ?) ;l’ampleur en pourcentage de l’évasion fiscale
;les coûts de transaction avant taxe ; l’élasticité-taxe du volume
de transaction (dans quelle pro-portion les transactions
diminueront-elles enréponse à la taxe ?). En conséquence, les
esti-mations des uns et des autres divergent gran-
Quelques propositions de fiscalité mondiale
Institut du développement dur