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Mieux comprendre ce qui secoue les familles Bimensuel n°9 mars - avril 2013 Ne paraît pas en juillet et août – Prix de vente : 5 € )LSNPX\L )LSNPw 77 7) )9< ? )* n° agr. P913051 Interview d’Édith Goldbeter Merinfeld P. 06-08 Dossier : Mères porteuses Progrès social ou ventres à louer ? P. 09-13 Témoignage Dix minutes par mois P. 14-16 Actu Hébergement égalitaire : enquête au tribunal P. 20-24 Édito P. 2 Brèves d’actu P. 3 Agenda P. 4 Si la presse m’était contée P. 4 Revue de presse européenne P. 5 Interview P. 6-8 Dossier P. 9-13 Témoignage P. 14-16 Hors champ P. 17 Socio P. 18-19 Actu P. 20-24 Sexe au logis P. 25 Où sex’ a fait mal P. 26 Cinéma P. 26 Tribunalités P. 27 En lisant P. 28-31 Planche de Jannin P. 32 Retrouvez-nous sur www.filiatio.be et sur les réseaux sociaux © Le loup qui voulait être un mouton, Mario Ramos, Pastel / École des loisirs, 2008. Expéditeur : Filiatio – 53 rue de l’Été – 1050 Bruxelles
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Dec 04, 2015

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1Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Mieux comprendre ce qui secoue les famillesBimensuel n°9 mars - avril 2013

Ne paraît pas en juillet et août – Prix de vente : 5 €

n° agr. P913051

Interview d’Édith Goldbeter Merinfeld P. 06-08

Dossier : Mères porteusesProgrès social ou ventres à louer ? P. 09-13

TémoignageDix minutes par mois P. 14-16

ActuHébergement égalitaire : enquête au tribunal P. 20-24

Édito P. 2Brèves d’actu P. 3Agenda P. 4Si la presse m’était contée P. 4Revue de presse européenne P. 5Interview P. 6-8Dossier P. 9-13Témoignage P. 14-16Hors champ P. 17Socio P. 18-19Actu P. 20-24Sexe au logis P. 25Où sex’ a fait mal P. 26Cinéma P. 26Tribunalités P. 27En lisant P. 28-31Planche de Jannin P. 32

Retrouvez-nous sur www.filiatio.beet sur les réseaux sociaux©

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Débats mouvants à promouvoir !

Poussée par un enthousiasme innovant et créateur, notre équipe 2013 s’est élancée à fond les manettes. À tel point que, comme dans les mirages provoqués par la vitesse, certaines pages du précédent numéro se sont

dédoublées ou se sont glissées à des places incongrues… La rédaction de Filiatio profite de cet édito pour présenter ses excuses à celles et ceux qui, nous les espérons peu nombreux, auraient eu à pâtir de cette improbable démultiplication et pour vous informer de ce qui nous anime et agite à la rédaction tandis que « nos cœurs et le monde bougent », comme le chantait un poète.

Si, entre nous, on aura rigolé de voir qu’ils ne sont pas fanés, les stéréotypes qui suggèrent chaque quatorze février des transactions de roses à sens unique, on se sera demandé aussi, et surtout, comment face aux faits de société que surexposent continuellement les médias, éviter l’écueil des réponses par trop réflexes afin de s’offrir l’opportunité de questionner encore et toujours nos relations à l’autre.

Des questionnements qui se traduisent par : une étude ; un dossier ; un sondage ; une interview ; un témoignage ; une analyse juridique ; et plus…

Sans compter les débats annexes ou connexes, souvent passionnés, en interne, sur des sujets aussi brûlants et intemporels que l’attachement ou les liens filiaux… Sous des formes diverses et complémentaires, l’objectif majeur des membres de Filiatio est de découvrir quel serait le contexte social ou les conditions rituelles les plus adéquates pour que puisse émerger, et être perçue dans les faits cette profonde humanité qui nous caractérise tous – vous et nous, elle et il, tu et je…

En son temps, nous avons coupé la Galette des Rois et autour de celle-ci, bien que la fève n’ait échu qu’à une seule personne, chacun a partagé ses parts de rêve. Et comme ce rêve est moteur et se traduit en actions concrètes, je vous propose d’en prendre connaissance au travers des différents articles du magazine que vous tenez entre les mains.

Excellente lecture !

David Besschops

ÉDITO

Filiatio n°9 – mars / avril 20132

Au sommaire du prochain numéro ❱ Rencontre

avec Serge Hefez

❱ Dossier Le 9/5, ce grand inconnu

❱ Association Centre de Prévention du Suicide

❱ En Lisant Rencontre avec Bart Moeyaert

Filiatio est un périodique publié par Smala!*. Il est envoyé chaque mois aux parlementaires, aux avocats, aux juges et aux profession-nels en charge de la famille, des rôles parentaux, des processus d’éducation et de l’égalité hommes-femmes. Il est aussi disponible pour le grand public par abonnement. Pour plus d’infos, pour té-moigner, réagir ou agir, rendez-vous sur www.filiatio.be

❱ Ont collaboré à ce numéroSabine Panet, Céline Lefèvre, David Besschops, Éléonore Correnc, Isabelle Scrève, Nathalie Mayor, Georges Zouridakis, Pascale Soudey et Gauthier Burny.

* L’ASBL Smala! soutient la parentalité et la famille au sens large, l’égalité hommes-femmes au sein de la famille et dans la société à travers toutes activités d’éducation, d’accompa-gnement, de plaidoyer, de communication et de recherche.

❱ Éditeur responsable Dominique Brichet

❱ Adresse rue de l’Été 53 – 1050 Bruxelles – Belgique

❱ Contact [email protected] ou www.filiatio.be

Filiatio est imprimé chez JCBGAM sur Multioffset, papier blanchi sans chlore.

N° d’agr. : P913051

❱ Suivez-nous aussi sur https://www.facebook.com/Filiatio http://twitter.com/Filiatio

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❱ 02 265 43 58 ❱ www.filiatio.be/abonnez-vous

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3Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Enfants : fruits de l’amour ou pommes de discorde ?

L’ a s b l P a r o l e d’Enfants a édité les actes de sa conférence de mai 2012 sur le thème de la place des enfants dans les couples en conflit. Coordonné par Caroline Denis, ce recueil d’interven-tions est une mine d’informations et de réflexions.

Né de la difficulté des professionnels à faire face au conflit parental aigu, il est également le résultat d’une prise de conscience de l’im-portance de l’enjeu : les conflits persistants entre les parents entraînent, pour l’enfant et pour les parents, de nombreuses et graves conséquences à court, moyen et long terme. Ce constat inquiétant a encouragé l’asbl à inter-peller l’ensemble des professionnels amenés à rencontrer ces situations pour échanger des outils, des méthodes, des manières d’inter-venir plus satisfaisantes, et enfin à publier les actes du colloque Fruits de l’amour ou pommes de discorde ?

Au menu : les intérêts de l’enfant à placer au centre du procès familial ; le défi de la paren-talité dans les contextes où s’exercent des violences conjugales ; la relation père-enfant quand la paternité est précarisée ; les « belles-mères » qui sortent de l’ombre… Les auteurs : Jean-Paul Mugnier, Ursula Kodjoe, Damien d’Ursel, Martine Goffin, Virginie Plennevaux, Stéphanie Garbar, Catherine Vasselier-Novelli, Pascale Jamoulle, Diane Maters, Murielle Brees, Jean Epstein. Éditions Parole d’Enfants, 2012, 25€, à com-mander sur : www.parole.be

S.P.

Nantes, France. Du vendredi 15 au lundi 18 février, un homme s’est retranché quatre jours en haut d’une grue. Une grue jaune, bardée d’inscriptions. « Pour sauver les enfants de la justice ». Vous ne l’avez sûrement pas man-quée, elle est passée partout… la polémique. Soutenu par l’association française SVP Papa 1, l’homme expliquait vouloir obtenir un droit de visite pour voir son fils. Cette opération, préparée à l’avance, avait également pour but officiel de pousser le gouvernement à mettre la garde alternée à l’ordre du jour : la justice française privilégierait la garde des enfants chez leur mère – statistiques à l’appui.

Le problème réside non seulement dans les chiffres, mais aussi dans leur interprétation. On peut être mal à l’aise devant la rhétorique simpliste de l’association et le discours an-ti-femme et réactionnaire du principal pro-tagoniste de l’événement (« ces femmes qui nous gouvernent », a dit l’homme descendu de la grue au micro de France Inter en parlant de la société, dont il n’a pas l’air de connaître la véritable répartition des pouvoirs dans la sphère publique – ce qui a entraîné la Ministre de la Famille à déplorer la « guerre des sexes » ainsi rallumée) ; mais le débat s’est enflammé immédiatement. Est-ce parce que la « victimi-sation » des hommes est mieux couverte par les médias que les violences envers les femmes, comme a répondu immédiatement l’association

1 2BRÈVES D’ACTU

SOS les Mamans ? Ou plutôt / et parce que c’est une véritable question de société ? En France, le centre d’analyse stratégique du Premier Ministre avait déjà travaillé longuement sur la question « Désunion et Paternité ». Un rapport détaillé, précis, truffé d’outils et de propositions avait été rendu public il y a moins de six mois. Dans un silence assourdissant.

Le gouvernement français a donc déjà des outils en mains pour favoriser l’implication égale des deux parents tout au long de la vie de leurs enfants, y compris après leur séparation (il peut aussi s’inspirer de l’expérience belge en la matière, au menu de notre magazine). Comme le dit le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, joint au téléphone par Filiatio, « On peut défendre la garde alternée avec des arguments sexistes, au nom de l’importance du « paternel » pour contrebalancer un « danger de l’influence féminine ». Mais on peut aussi la dé-fendre au nom d’arguments égalitaires que l’on a peu entendus dans le débat. » Un parent vaut un parent, un parent n’est pas meilleur qu’un autre par principe, et l’intérêt de l’enfant n’est sûrement pas que l’un de ses parents ressorte d’un conflit « gagnant » ou « perdant ».

S.P.

France : du haut des grues

NOTRE hOMMAGE à MARIO RAMOS

❱ Ce numéro de Filiatio est presque intégralement illustré 2 par des images extraites d’albums de Mario Ramos, auteur et illustrateur belge décédé au mois de décembre 2012. Fans inconditionnels, nous l’avions rencontré pour préparer un « En lisant » consacré à son travail (rendez-vous en p.28). La nouvelle de sa disparition nous a pétrifiés de tristesse. Nous avons cherché un moyen de lui rendre hommage en présentant ses albums, tous parus chez Pastel – École des Loisirs. Grâce à l’autorisation de sa maison d’édition et de sa famille, que nous remercions de tout cœur, nous avons laissé ses dessins prendre leur place à travers ce numéro. Les loups, les cochons, les lions et les petits monstres montrent l’ampleur et l’humanité de l’œuvre de cet auteur sensible, indigné, drôle, bouleversant. Merci Mario.

La rédaction

1 Dernière minute : L’association nantaise SVP Papa, qui soutenait l’action au départ, s’en est désolidarisée.

2 À l’exception du dossier sur la Gestation pour autrui illustré par la talentueuse bruxelloise Aline Rolis et de la planche humoristique bimestrielle de notre ami Fred Jannin en page 32.

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4 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Telle Alice chutant dans le miroir, il faudrait lorsqu’on s’attelle à certaines lectures de la Presse traverser les frontières de la dérision pour mieux retourner à la quintessence de ses sources. Si nous nous fiions aveuglément à l’AFP nous apprendrions en ce mois de février que de très sérieuses études de sociologues américains s’intéressent aujourd’hui à l’impact des tâches ménagères sur la sexualité des hommes. Et que les résultats sont chiffrés. Et à l’instar des réactions de nombreuses femmes, nous constaterions qu’il est curieux que ne soient pas étudiées les conséquences qu’a sur leur sexualité à elles le legs des obliga-tions domestiques du traditionnel schéma des rapports hommes-femmes. Car comme le rappellent quelques-unes, il n’a jamais été question pour elles de marquer le coup de fatigue au lit. Il eût été perçu comme un putsch. Pour être sans tache, l’exemplaire femme a longtemps dû – et cela perdure trop souvent – passer sans rechigner des tâches domestiques aux preuves d’attachement amoureux. Rien

de nouveau sous la grisaille de cet hiver si ce n’est que des organes de presse se mettent soudain à titrer que faire le ménage entame la sexualité des hommes. Si, bien qu’il soit tentant de prendre un raccourci et de disserter à partir du seul titre, nous parvenions à nous demander en quoi cela est un problème et pour qui, nous découvririons que cette fa-çon de faire la lumière sur une étude recèle une iniquité. En effet, assumer tant le labeur ancillaire que le « devoir conjugal » a de tous temps été le lot des femmes. Or, cette ma-nière de mettre l’information en scène les oblitère totalement et laisse à penser que l’étude ne s’est pas intéressée au sort de leur énergie sexuelle. Ce qui est inexact. L’étude « Égalitarisme, travail ménager et fréquence des rapports sexuels dans le mariage » menée par l’université de Washington fut rigoureuse et s’est penchée sans discrimination de sexe sur bien plus d’aspects que ce que la Presse ne nous rapporte. Basée sur un questionnaire rempli par 7 002 personnes, l’étude conclut en

effet que les hommes ne doivent pas jeter le produit vaisselle avec l’eau du bain : « Refuser de participer aux tâches ménagères provoque des conflits dans le couple et l’insatisfaction des épouses », insatisfaction elle-même liée à l’ac-tivité sexuelle. Malheureusement la réduction par les médias de l’angle d’ouverture scienti-fique initial est tel qu’il devient pratiquement un angle d’hébétude pour le lecteur.

En prenant du recul, il est légitime de s’inter-roger tant sur les fondements logiques que sur les visées présidant cette manière d’informer. De fait, hormis justifier la disparité des tâches ménagères et renforcer leur répartition en fonction des sexes, il est malaisé de percevoir en quoi elle est édifiante dans l’établissement d’une égalité entre femmes et hommes dans la société actuelle.

D.B.

De cœur ou de sang ? Quand la filiation questionne l’enfant, l’adolescent, la famille, le professionnelAprès avoir lu les actes du colloque Fruits de l’amour ou pommes de discorde ?, vous pouvez assister à la prochaine conférence organisée par l’asbl liégeoise Parole d’Enfants sur le thème de l’inscription dans la filiation. Géniteur, concepteur, parent biologique, mère porteuse, donneur, parent nourricier, vrai père, maman de cœur, mère adoptive, père d’accueil, celle-que-je-considère-comme-ma-mère ou celui-qui-a-été-comme-un-père-pour-moi… une grande diversité des termes qui va de pair avec une complexification de la notion de filiation.

« Alors que les liens du sang n’apparaissent plus depuis longtemps comme une condition suffi-sante au bonheur familial (secret sur les origines, abandon, ruptures de lien à répétition, double appartenance, héritage difficile à assumer…), les liens du cœur, auxquels on accorde une grande place aujourd’hui (beau-parent, parent adoptif, famille d’accueil, éducateur…) n’échappent pas non plus aux difficultés et aux questionnements. » Deux jours de colloque pour échanger avec des professionnels et des personnes concernées, qui promettent d’être passionnants. On y sera !

Palais des congrès de Liège, 30 et 31 mai 2013.Renseignements et inscriptions : Parole d’Enfants50 rue des EburonsB-4000 Liège04 223 10 99, [email protected] et www.parole.be

S.P.

AGENDA

SI LA pRESSE M’ÉTAIT CONTÉE

David, qui aime bien l’imparfait du subjonctif, traque les stéréotypes véhiculés par les médias. Ambiance mare aux Canards.

Souvent libido varie… devant la tâche !

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5Filiatio n°9 – mars / avril 2013

REVUE DE pRESSE EUROpÉENNE

France

Le mariage pour tous !Après deux semaines de débats pour le moins tendus, les députés de l’Assemblée Nationale française ont procédé mardi 12 février au vote solennel sur le projet de loi autorisant le mariage et l’adoption des couples de même sexe. Le texte a été adopté à 329 voix pour contre 229 contre. Il sera examiné par le Sénat à partir du 2 avril. En vidéo ici :http://www.franceinfo.fr/politique/la-loi-autorisant-le-mariage-pour-tous-est-adoptee-par-l-assemblee-nationale-890481-2013-02-12

Islande

La fin du porno sur internetInterdire le porno sur internet, c’est la mesure qu’envisage l’Islande au nom de la protection des enfants. Le gouvernement a mis en place un groupe de travail sur le sujet pour plancher sur une définition pénale de la pornographie et sur son lien à la violence. L’Islande pourrait bloquer lesadresses IP des sites pornographiques et faire pression sur les four-nisseurs d’accès. « Il ne s’agit pas d’être anti-sexe, mais anti-violence », a expliqué Halla Gunnarsdóttir, du ministère de l’Intérieur.http://www.dailymail.co.uk/news/article-2277769/Icelands-bid-ban-web-porn.html

France

Un nouveau baptême pour l’école maternellePour mieux définir et rendre justice au travail qui s’y fait, une députée socialiste de Paris, Sandrine Mazetier, propose que « l’école maternelle » soit rebaptisée « petite école » ou « école première ». Selon elle, cette nouvelle dénomination aura pour effet de souligner davantage l’aspect apprentissage de cette étape éducative tout en neutralisant la charge affective contenue dans l’adjectif « maternelle ». Une réflexion à mettre en relation avec le passionnant essai de Marine et Anne Rambach Tout se joue à la maternelle, chroniqué en page 31.http://www.leparisien.fr/societe/la-deputee-socialiste-ne-veut-plus-qu-on-appelle-l-ecole-maternelle-01-02-2013-2531559.php

Grande-Bretagne

Une nouvelle étude achève de démonter le mythe de Mars et Vénus D’après une étude réalisée par l’Université de Rochester, si des ca-ractéristiques permettant de différencier les sexes existent bel et bien, elles ne sont pas nombreuses et pas nécessairement celles qui alimentent les mythes contribuant à une discrimination (voir Filiatio #1, Drôle de genre). En tant que groupe, les hommes et les femmes pos-sèderaient des caractéristiques physiques distinctes qu’ils partagent peu… tandis que sur le plan psychologique, rares seraient les traits présents uniquement dans l’un des deux groupes. Au terme de cette étude, il apparaît que le facteur sexuel n’est pas déterminant dans la distinction entre les individus. Ces recherches sur la psychologie offrent une prolongation aux travaux sur le « sexe du cerveau » de la neurobiologiste Catherine Vidal, sur lesquels nous reviendrons bientôt !http://www.huffingtonpost.fr/2013/02/08/differences-entre-hommes-femmes-peu-nombreuses-genre-science_n_2642186.html?utm_hp_ref=tw&utm_hp_ref=fb&src=sp&comm_ref=false

France

Maurice Berger questionne l’homoparentalitéLe clinicien psychiatre français, notamment connu pour son opposi-tion à l’hébergement alterné avant six ans, émet des doutes quant aux perspectives de développement affectif des enfants de couples homoparentaux (non, ce n’est pas une plaisanterie mais un article du Monde). Maurice Berger se base d’abord sur la notion d’asymétrie parentale du couple mixte sans laquelle l’enfant ne pourrait rencontrer les composantes « féminines » et « masculines » auxquelles il aurait besoin de s’identifier (quelles sont ces composantes, précisément ? Mystère et boule de gomme). Il souligne ensuite la plus grande diffi-culté de ces enfants à pouvoir se donner une explication sur l’origine de leur conception et à comprendre une filiation homoparentale. À Filiatio, on s’étonne et on se demande si ce psychiatre a vraiment rencontré des familles homoparentales. Nous, qui en connaissons de près, émettons des doutes. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/02/07/homoparenta-lite-et-risque-affectif_1828555_3232.html

France

Vers l’euthanasie dans « certains cas exceptionnels » ?Évoquant un « devoir d’humanité » le Conseil national de l’Ordre des médecins français envisage pour la première fois qu’un collège médi-cal permette une « sédation terminale » pour des patients en fin de vie ayant émis des « requêtes persistantes, lucides et réitérées ». L’objectif : prendre en compte certaines situations auxquelles ne répondraient pas la Loi Léonetti de 2005. À suivre.http://www.liberation.fr/societe/2013/02/14/l-ordre-des-medecins-ouvre-la-porte-a-l-euthanasie-dans-des-cas-exceptionnels_881757

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6 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Filiatio : À quels nouveaux enjeux sont confrontées les familles ?

Édith Goldbeter MerinFeld : les sépa-rations sont très répandues ; cette évolution date déjà de plus de dix ans. Le divorce s’est banalisé, ainsi que les séparations des couples non mariés ayant des enfants. De nouvelles configurations sont apparues, telles que les couples homosexuels, séparés ou divorcés de couples hétérosexuels ; dans certains cas, on a des familles reconstituées avec deux femmes, ou deux hommes, et des enfants des deux côtés. En France, c’est un grand débat ! Mais ici, ces cas de figure existent depuis long-temps et ce type de familles émerge depuis

Rencontre avec Édith Goldbeter MerinfeldÉdith Goldbeter Merinfeld est une grande figure de la thérapie familiale. Par une journée enneigée, elle nous a reçus en entretien et nous a livré quelques clés de réflexion sur les nouvelles configurations familiales qui traversent la société… et notre journal. Familles homo-parentales et hétéro-parentales, désir d’enfant, nid vide, séparations et disputes autour des enfants : elle-même, explique-t-elle, ne cesse de se poser des questions. C’est ainsi qu’elle conçoit son métier de thérapeute et c’est ainsi qu’elle le pratique. Mais pour une fois, c’est elle qui répond aux questions !

La question de l’attachement

n’est pas celle du sexe

mais du type de lien

quatre ou cinq ans ; non qu’elles n’existaient pas auparavant, mais elles étaient sans doute plus clandestines. Les familles reconstituées autour d’un couple homosexuel ne posent pas de problèmes dans le sens de la vie familiale : mais il arrive parfois que les enfants qui y sont élevés, en particulier les adolescents, craignent le regard de leurs pairs. Il peut leur être difficile de ramener des amis à la maison : ils sentent une forme de stigmatisation. Les problèmes viennent du regard du monde extérieur, ou de la peur de ce regard. Dans ma pratique, on se pose tout le temps des questions différentes ! Je me rappelle encore la première fois où au téléphone, un homme m’a dit : « Je viendrai avec mon mari ». En fait, les cas de figure sont

INTERVIEW

Des nouvelles configurations familiales

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7Filiatio n°9 – mars / avril 2013

1 Nous pensons notamment au témoignage de Pascale, Filiatio #4. 2 Voir dans ce numéro l’article en pages 7 à 9 sur les recherches menées dans les tribunaux de Bruxelles et Charleroi par la Ligue Francophone de Santé Mentale.

innombrables : je pense aux familles où l’on garde le lien avec les ex-beaux-parents et, à l’inverse, celles où les enfants sont soumis à des deuils multiples : d’abord le deuil de la famille initiale, puis le deuil des beaux-parents. Chaque séparation engendre un nouveau deuil : il est plus facile de garder sa mère que sa belle-mère ou son père que son beau-père. Je pense aussi aux ex-beaux-grands parents…

F. : La question du projet d’enfant se pose-t-elle différemment ?

e. G.M. : Tout à fait. Pensons au couples tren-tenaires et sans enfants. L’attente posée sur l’existence d’un enfant est différente chez ces gens plus âgés que la moyenne : parfois, le désir d’un nouveau moteur pour le couple est à l’origine du désir d’enfant. Cela peut ensuite être une mission assez lourde pour ces enfants responsables du maintien du couple. D’autres couples ont tout misé sur le développement professionnel et social, en passant le contrat quasi explicite de ne pas avoir d’enfants. Et puis, l’un des deux, souvent la femme mais parfois l’homme, sent grandir son désir d’en-fant. Des tensions dans le couple peuvent se créer et les séparations qui en résultent sont très compliquées à gérer – en particulier pour les femmes qui désirent un enfant et qui se retrouvent célibataires à 38 ou 39 ans. Les sexagénaires représentent une autre ques-tion récemment apparue. Parfois, l’un des partenaires vieillit plus vite que l’autre, mais les personnes âgées sont aujourd’hui très différentes de celles de mon enfance ! La plu-part d’entre elles restent actives et n’ont plus d’enfants à la maison, devenue un « nid vide ». Que mettre dans le couple pour combler cette absence ? Les attentes ne sont plus les mêmes qu’à vingt ans, lorsque le couple n’avait pas encore d’enfants, et l’intimité a parfois été mise à mal par l’aspect fonctionnel de la vie. Il faut alors prendre le temps de s’asseoir et de réfléchir à ce que l’on fait encore ensemble.

F. : En général, comment penser les relations entre un « jeune enfant » et ses parents séparés, dans le cadre de familles hétéros ou homoparentales ? 1

e. G.M. : Je crois qu’il faut raisonner en termes d’attachement beaucoup plus qu’en termes de ce qui serait paternelou de maternel, ainsi que la psychanalyse l’a un peu imposé avec ses stéréotypes. John Bowlby, à l’origine de la théorie de l’attachement, avait insisté sur le fait que l’enfant se développe dans un cadre relationnel. À son époque, dans les années 1970 et 1980, des féministes s’étaient insur-gées contre ce qu’elles interprétaient comme une réduction de la femme à la maternité. Ce n’était pourtant pas le point de vue de Bowlby.

Certes, dans la société au sein de laquelle il avait développé sa théorie, c’étaient habituel-lement les mères qui s’occupaient des enfants ; mais Bowlby veut surtout montrer que l’atta-chement peut aussi bien se tisser avec le père, une nounou ou un grand-parent. La question n’est pas celle du sexe mais du type de lien. Dans toute famille, des liens de toutes sortes se tissent. Chaque lien a ses ressources. Dire qu’un type de lien est préférable à un autre me paraît délicat. Le plus compliqué à gérer pour les enfants reste la séparation et la diminution du temps passé avec leurs parents. Quand ils voient l’un, ils ne voient plus l’autre : c’est là le plus difficile.

F. : Pourtant, lorsque les parents se séparent de façon conflictuelle, il est fréquent que la justice privilégie la résidence principale dans le milieu maternel en raison du « jeune âge de l’enfant ». 2

e. G.M. : Limiter les relations du père avec son enfant parce que ce dernier est « jeune » est ridicule. Dans des familles non séparées, les pères peuvent être amenés à s’occuper de leur enfant plus que la mère, et cela ne per-turbe pas spécialement l’enfant. Bien sûr, si la mère allaite ou si le père ne se sent pas prêt, la situation est différente. Certaines mères ne se sentent pas non plus compétentes. Je suis contre la rigidification. J’ai également toujours eu des réticences par rapport aux modèles analytiques duels qui ne prennent pas en compte l’idée du triangle et le fait qu’on peut être lié à plusieurs personnes à la fois. Dans les cas de couple dont les deux membres travaillent, on ne peut pas utiliser un cane-vas d’il y a cinquante ans pour organiser les règles à suivre après la séparation. Bien sûr, cela dépend des rôles que joue chacun des membres du couple. Idéalement, les parents devraient dissocier leur couple parental et leur couple conjugal, sinon les enfants sont coin-cés entre deux camps et se sentent souvent obligés de rester avec celui qui souffre le plus. Avant, on demandait à l’enfant de « choisir » ! J’ai rencontré des adultes qui portaient encore la culpabilité de ce choix déresponsabilisant les adultes. L’enfant doit être entendu mais ne doit pas porter la responsabilité de la décision.

F. : Êtes-vous, comme 7 belges sur 10, favorable à l’hébergement égalitaire ?

e. G. M. : Je crois que la loi de 2006 sur l’hé-bergement égalitaire est une bonne idée. Idéalement, l’alternance devrait se faire tous les 7 ou 8 jours, avec une semaine d’école et un week-end chez chaque parent à tour de rôle. Mais lorsque l’enfant est plus petit, le temps est plus long : au milieu de la semaine, ce serait alors bon d’avoir un moment où l’enfant voit son

BIO ExpRESS

❱ Docteure en psychologie et psychothérapeute familiale systémique, Édith Goldbeter Merinfeld est professeur à l’Université Libre de Bruxelles et chargée d’enseignement à l’Université de Paris VIII et à l’Université du Sud de Toulon-Var. Elle dirige les formations de l’Institut d’Études de la Famille et des Systèmes humains à Bruxelles. Rédactrice en chef des Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux (De Boeck), elle coordonne également la collection « Carrefour des psychothérapies » (De Boeck). Elle est membre fondatrice de l’Association Européenne de Thérapie Familiale..

autre parent. On peut aussi téléphoner. Avec ou sans téléphone, l’enfant ne doit pas être le messager, mais il doit pouvoir parler de lui. C’est important de pouvoir appeler l’autre parent pour lui dire : je suis tombée, je me suis disputée, etc. De nouveau, afin de pouvoir parler avec ses deux parents, il ne faut pas trop de tension entre eux, la séparation doit être consommée. Quand la bagarre entre les parents n’est pas terminée, c’est terrible ! Je me rappelle cet enfant que l’un des parents soignait par homéopathie pendant sa semaine : la semaine suivante, l’autre parent jetait les potions et passait à l’allopathie… D’un autre côté, à l’autre extrême, si les parents séparés sont trop proches, les enfants ne s’y retrouvent plus.

F. : Autrement dit, selon vous, le problème réside avant tout dans le conflit ?

e. G.M. : En effet. Au-delà de la fréquence d’hébergement, je trouve que le respect mu-tuel des parents est très important. Il doit toujours y avoir une possibilité de communi-quer sereinement entre parents à propos de l’enfant commun. Les choses doivent être claires. Dans le même sens, à l’adolescence, il faut pouvoir gérer les difficultés liées à cet âge sans « envoyer » l’enfant chez l’autre parent, pour en quelque sorte s’en débarrasser.>>>

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8 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

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❱ « Pour réfléchir à la façon dont l’enfant se construit dans le triangle primaire : on peut ménager les deux côtés du triangle ! »

❱ Le Triangle Primaire, par Élisabeth Fivaz-Depeursinge et Antoinette Corboz-Warnery (initialement paru chez Odile Jacob, 2001, en cours de réédition chez de Boeck).

❱ Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, de Boeck. Historiquement, les Cahiers sont la première revue internationale de thérapie familiale en langue française. Ils paraissent deux fois par an et sont à retrouver sur le portail www.cairn.info en texte intégral. Ils sont destinés aux praticiens de la santé mentale, aux enseignants, chercheurs et étudiants.

❱ Le numéro 47 de la revue, paru en janvier 2012, porte sur les « Nouvelles configurations familiales » et questionne famille, conjugalité, hétéro et homo-parentalité, interculturalité, deuil, maladies et séparations.

Idéalement, les parents ne devraient pas ha-biter trop loin l’un de l’autre ; qu’on puisse, si l’enfant va à l’école, l’y amener, que l’en-fant puisse garder ses amis d’une semaine à l’autre… Lorsqu’un parent veut partir s’ins-taller à l’étranger, c’est très difficile. Le parent du quotidien devient le parent de l’école, et l’autre, le parent des vacances. D’une manière générale, en cas de conflit, je crois qu’il ne faut pas hésiter à consulter. Toutes sortes de gens peuvent aider à chercher des solutions. Mais il est vrai que certaines guerres sont défini-tives, parce qu’un parent n’a pas envie d’en sortir. Parfois, on s’en rend compte lorsqu’on s’aperçoit que l’enfant ne va pas bien, car la guerre est passée au premier plan, avant le

bien-être de l’enfant. Pour ces parents, ce qui arrive à l’enfant leur paraît moins grave que le conflit : ce ne sont pas forcément des parents négligents mais ils banalisent l’effet que le conflit a sur l’enfant, ou pensent que c’est uniquement à cause de l’autre parent. Dans ces cas-là, pour le juge, ce n’est parfois pas simple de trancher, et c’est toujours injuste. La séparation, de fait, fait vivre des choses injustes et compliquées aux enfants, qui sont toujours déchirés – sauf dans certains cas de maltraitance extrême où leur sécurité doit primer sur leur attachement.

Propos recueillis par Sabine Panet

- Oh non ! C’est dégoûtant ça ! Je t’ai déjà dit mille fois que c’est une brosse à dents et pas une brosse à robinets.

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CONSEILS DE LECTURE

❱ « Je cite beaucoup les livres d’Eric Fottorino : L’homme qui m’aimait tout bas (Gallimard, 2009) et Questions à mon père (Gallimard, 2010). Les deux forment une très belle histoire. Mais Éric Fottorino n’a pas pu vivre une relation avec ses deux pères, son père biologique et son père adoptif. Imaginons qu’il naisse aujourd’hui : il pourrait être en garde alternée et passer une semaine sur deux avec chacun d’entre eux… À son époque, c’était impensable. »

❱ Retrouvez ces ouvrages présentés dans notre rubrique En Lisant, à la fin du journal !

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9Filiatio n°9 – mars / avril 2013

DOSSIER

Mères porteuses : progrès social ou ventres à louer ?En Belgique, une femme peut porter l’enfant d’un couple différent du sien. Devant le vide juridique qui entoure le recours aux mères porteuses, différents points de vue s’affrontent : faut-il légaliser ou bannir la gestation pour autrui ? Faut-il se contenter d’en interdire le commerce ? Décryptage avec le Docteur en médecine et gynécologue Armand Lequeux. Dossier réalisé par Sabine Panet.

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10 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Sans encadrement juridique, le recours aux mères porteuses peut être source de conflits et de violences. Dans tous les cas, tous s’accordent sur la nécessité de légiférer pour protéger celles et ceux qui en ont besoin. Différentes options sont possibles et des projets de lois ont été déposés par les principales formations politiques du pays. Comment trancher ?

Des mots qui comptent

Il existe différentes façons de décrire le fait qu’une femme porte et donne naissance à un enfant pour d’autres parents : « mères por-teuses », « maternité de substitution », « ges-tation pour autrui », « contrat de grossesse ». En Belgique, le comité d’éthique s’est rallié à l’expression « gestation pour autrui » qui signi-fie « la pratique selon laquelle une femme porte un fœtus ou un enfant, et poursuit la grossesse jusqu’à la naissance de cet enfant avec l’intention de transférer ensuite tous ses droits et devoirs parentaux aux parents demandeurs 1 ».

Il y a une différence entre la maternité pour au-trui dite « de gestation », dans laquelle l’ovule vient de la mère demandeuse et le sperme du père demandeur, et la maternité pour au-trui dite « génétique », dans laquelle la mère porteuse apporte également le patrimoine génétique maternel. Cela vous paraît simple ? Attendez un peu.

La définition dite « neutre » de « gestation pour autrui » est en soi une prise de position, et le comité le reconnaît : « cette neutralité implique déjà une perspective qui recouvre les dimensions relationnelles et émotionnelles de la maternité de substitution ». En effet « gestation pour autrui » (GPA) est un terme tout à fait clinique, factuel : il s’agirait simplement d’une « technique de lutte contre l’infertilité », comme l’explique avec des mots apparemment simples l’as-sociation française Clara, pro-GPA. D’autres préfèrent utiliser le terme « mères porteuses » pour mettre directement l’accent sur les enjeux éthiques et la personne derrière l’« utérus de substitution » : une femme, avec un vécu physique et psychique. En réalité, bien souvent ces termes sont utilisés indistinctement, sans tenir compte des valeurs qu’ils charrient. Dans cet article, nous alternons les deux usages mais… après vous avoir informé !

À travers la GPA, il s’agit donc non seulement d’adopter un enfant, mais un enfant qui soit issu du patrimoine génétique d’au moins un des deux parents demandeurs. Dans les cas où l’aide médicale est nécessaire, la gesta-tion pour autrui entre dans le champ de l’aide médicale à la procréation (AMP). Ce n’est pas anodin. Afin d’aider les couples infertiles à devenir parents, l’AMP ouvre de nouvelles

perspectives dans le champ de la filiation : intention, convention, déclarations, au-delà des réalités biologiques.

Toutefois, la gestation pour autrui n’est pas une forme d’AMP comme les autres, et c’est pourquoi elle est à ce point controversée. Dans les autres cas d’AMP, comme l’insémination artificielle du sperme d’un donneur ou bien l’implantation de l’ovule d’une donneuse dans l’utérus de la mère, la mère demandeuse de l’AMP fait l’expérience de la grossesse et des liens prénataux avec l’enfant, et accouche. Ce n’est pas le cas avec la GPA, et c’est le cœur du débat.

Bricolages belges

Chez nous, la GPA n’est pas encadrée par la loi, mais plus de cinquante couples y font appel chaque année dans des hôpitaux belges, sans compter les cas non déclarés. Certes, un vide juridique n’est pas en soi une mauvaise chose. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’une pratique se développe, même de manière sous-marine, qu’on doit la légaliser – l’argument n’est pas très convainquant. Ce qui l’est plus, c’est la né-cessité de protéger des personnes en danger. Ainsi, au nom de la protection des différentes parties (les parents demandeurs, l’enfant, la

mère porteuse, les femmes en général, l’hu-manité…) de nombreuses voix appellent à une réflexion concrète sur un encadrement légal de la GPA.

En Belgique, quelles sont les personnes qui cherchent à devenir parents en utilisant l’utérus d’une mère porteuse, et, dans cer-tains cas, son patrimoine génétique ? Tout d’abord, des femmes privées d’utérus du fait d’une pathologie et donc infertiles ou dont une grossesse mettrait la vie en péril, et leur compagnon – souvent futur père biologique de l’enfant. Autre cas de figure : des couples gays, qui ne sont pas stériles individuellement mais dont le couple est stérile. Dans leur cas, aussi bien dans le cas des couples lesbiens, la parentalité passe forcément – quelle qu’en soit la manière – par un partenaire de l’autre sexe et une équipe, médicale ou d’adoption. Contrairement aux couples lesbiens qui ont accès à la procréation médicalement assistée, les gays ont difficilement accès à la parenta-lité : avez-vous déjà rencontré des couples d’hommes qui ont adopté un enfant ? Ils sont rares ! Non que les procédures belges soient discriminantes à l’adoption par des couples gays ou lesbiens, mais parce que les procé-dures internationales le sont, et parce que les enfants à adopter ici sont rares. À ce jour, en tous les cas, ce sont ces deux profils qui sont concernés par les GPA en Belgique. Mais aux États-Unis, où certains États ont légalisé la GPA et autorisé sa « tarification », de riches couples fertiles ou des mères célibataires fertiles font appel, moyennant finances, à des mères porteuses pour d’autres raisons : la grossesse abîme, fatigue, prend du temps… Une mère porteuse pour éviter les vergetures sur les hanches la mère biologique? Si on y pense, c’est forcément que d’autres y ont pensé également. Officiellement, il n’en est rien ici de ces situations folles : pour l’instant, on « bricole », comme le remarque le docteur Armand Lequeux (voir interview). Voyez-un peu le bricolage.

En ce qui concerne les mères infertiles, cer-tains hôpitaux, dont Saint-Pierre à Bruxelles, ont mené une réflexion éthique et ont déci-dé de pratiquer des GPA strictement réser-vées aux cas où la mère porteuse n’est pas la mère génétique (c’est à dire les cas où la mère demandeuse peut donner un ovule) et

Une mère porteuse

pour éviter les vergetures sur

les hanches de la mère biologique ?

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où la mère demandeuse risque de perdre la vie pendant la grossesse. Ces GPA sont encadrées de telle sorte que la mère porteuse le fasse uniquement pour des raisons « altruistes » : les deux femmes doivent se connaître, se faire confiance. Aucune « commercialisation » ne serait ainsi en jeu. Des femmes peuvent porter l’enfant d’un couple d’amis, de parents – les services de l’hôpital étant censés s’assurer que la qualité des liens entre les acteurs de la GPA suffisent à garantir la bonne marche des différentes étapes. Pourquoi ces liens deman-dés entre la mère porteuse et le couple ? On a vu des mères porteuses refuser d’abandonner leurs droits parentaux aux parents deman-deurs ; on a aussi vu des parents demandeurs refuser d’adopter un enfant né handicapé… On comprend le principe, mais on peut aussi se demander dans quelle mesure il n’est pas pos-sible de le contourner, en inventant un lien créé pour l’occasion. On peut aussi se demander s’il n’est pas discriminant de pratiquer des GPA pour des couples hétéros, mais pas pour des couples homos… et s’il n’est pas possible de contourner cela en faisant passer sa meilleure amie pour sa compagne. Enfin bref.

Imaginons que cela se passe comme prévu par ces quelques hôpitaux. La mère porteuse est enceinte, les parents demandeurs suivent attentivement la grossesse, font ensemble un travail psychologique autour de leur expé-rience, etc. et la mère porteuse arrive à terme. À la naissance, elle est d’office reconnue mère juridiquement : elle renonce ensuite à ses droits sur l’enfant. Le père biologique étant le père officiel, la mère demandeuse pourra alors adopter l’enfant. Si la mère porteuse est mariée, c’est un peu plus compliqué, puisque son mari est d’office reconnu père de l’enfant qu’elle porte, et donc lui aussi doit renoncer à ses droits sur l’enfant pour que le père « demandeur » devienne le père légal. Dans certains cas, tout se passe bien et la mère porteuse devient une « marraine » d’un enfant qui connaît l’histoire originale de sa conception. Dans d’autres, les dégâts sont importants – comme pour Donna, petite fille que la mère porteuse avait finalement refusé de donner aux parents demandeurs et « revendue » à un couple néerlandais. Que de souffrances et de déchirements pour l’enfant, pour les parents demandeurs, pour les familles…

Pour ceux qui ne rentrent pas dans les profils des GPA pratiquées par ces quelques centres hospitaliers, des sites internet proposent des services dignes de la science-fiction. Googlez « mères porteuses », pour voir. Des associa-tions de soutien à la GPA informent, pour ne pas dire dévoilent, des « combines » mêlant l’accouchement sous X de la mère porteuse en France à la plus totale absence de protection

pour l’ensemble des parties en présence, en passant par des « plans » en Ukraine dont on sait aujourd’hui que ce sont des viviers d’exploitation de femmes pauvres. De ce cô-té-là, le bricolage semble donc ne pas faire que des heureux. Les femmes ayant « loué » leurs services, porté pendant neuf mois et accouché d’un enfant qu’elles ont « donné » à la naissance, via différentes combines pour permettre une filiation avec au moins l’un des parents demandeurs, sortent rarement indemnes de l’expérience. Les enfants nés dans ces conditions sont difficilement recon-nus par la Belgique : rappelez-vous l’histoire de Samuel, ce garçon né d’un père biologique belge et d’une mère porteuse ukrainienne, coincé pendant deux ans dans un orphelinat. Enfin, la désapprobation sociale est souvent difficile à porter pour les parents et les enfants nés d’une GPA.

Légaliser ou interdire ?

Dans tous les cas, tous s’accordent sur la nécessité de légiférer pour protéger celles et ceux qui en ont besoin. Les complications surviennent après. Deux options se présentent, voire trois : légaliser et commercialiser, léga-liser et interdire le commerce, ou interdire totalement.

Le premier argument qui revient en faveur de l’interdiction totale de la GPA et en faveur de l’interdiction d’une relation marchande à la GPA est celui du principe de non-commercialisation du corps humain. On ne loue pas un ventre, on ne vend pas un enfant, point barre. La logique du don, l’éthique du don, l’altruisme ? Tout le monde n’y croit pas, en particulier dès lors qu’il s’agit d’échanges dans une sphère économique et sociale inégale (voir encadré « Extension du domaine de l’aliénation »). Pascale Maquestiau, directrice de l’asbl Le Monde Selon les Femmes, explique : « Je ne suis pas favorable aux mères porteuses. Ce serait très difficile de mettre en place des mécanismes empêchant de profiter de la pauvreté des personnes. Nous devons lé-giférer en prenant conscience de celles et ceux qui peuvent être discriminés, des femmes qui ont vécu cela. Le risque est aussi d’avoir une mé-decine à deux vitesses, avec des professionnels entrant dans une logique de marchandisation des corps. » En politique, le CDH, par la voix de Clotilde Nyssens, a fait des propositions en

faveur de l’interdiction totale de la GPA en ce qui concerne la « maternité de substitution » (lorsque la mère porteuse n’est pas la mère gé-nétique) et le « recours aux mères porteuses » (lorsque la mère porteuse apporte aussi son patrimoine génétique).

Officiellement motivés par le principe de non-commercialisation du corps humain, quatre autres partis ont déposé des proposi-tions de loi visant à réglementer la GPA tout en interdisant sa tarification. Parmi ces proposi-tions, deux ouvrent l’accès à la GPA aux couples homosexuels : celle de Philippe Mahoux (PS) et celle de Guy Swennen et Marleen Temmerman (sp.a). Les deux autres, de Christine Defraigne (MR) et de Bart Tommelein (Open VLD) limitent l’accès aux seuls couples hétérosexuels. Au-delà de cette différence majeure, les quatre propositions varient toutes légèrement (heu-reusement, sinon on pourrait se demander à quoi sert le travail de nos législateurs!). Certaines prévoient l’accès à la GPA pour les mères célibataires : les critères de sélection et de protection des mères porteuses et des pa-rents sont également divers. La proposition du MR ne reconnaît que les GPA où la mère por-teuse est uniquement « gestationnelle » (lors-qu’elle n’apporte pas de patrimoine génétique) et les trois autres propositions demandent au moins « la moitié » du patrimoine génétique. Tant de débats, pour un temps parlementaire qui n’a pas encore mis la décision à l’ordre du jour. Il serait temps de retenir les vies en jeu. Celles des enfants tout d’abord, pas encore conçus et déjà désirés. Celles des femmes stériles qui veulent donner la vie. Celles des couples d’hommes, dont la société ne semble pas encore prête à reconnaître le désir d’enfant et qui pourtant désirent avec autant d’espoir et de désespoir que des femmes peuvent désirer un enfant. Et enfin, en jeu évidemment, la vie des femmes prêtes à porter l’enfant d’une autre, l’enfant d’autres parents, et à quel prix ?

1 Comité Consultatif de Bioéthique, avis n°30 du 5 juillet 2004.

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❱ L’avis du Comité Consultatif de Bioéthique est tellement complet qu’il fournit même des arguments favorables à la commercialisation de la GPA. On vous laisse les découvrir, ainsi qu’une mine d’informations sur les risques et les enjeux bioéthiques de la GPA. Comité Consultatif de Bioéthique, avis n°30 du 5 juillet 2004.

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LA GpA EST-ELLE UNE «ExTENSION DU DOMAINE DE L’ALIÉNATION ? »

Le collectif « NoBody for Sale », basé en France, comprend des dizaines de personnalités politiques, familialistes et médiatiques dont le Planning Familial, Sylviane Agacinski… S’il est orienté à gauche de l’échiquier politique français, les arguments présentés transcendent les divisions politiques et trouvent écho en Belgique. Extraits de plaidoyer :

« Quand certains évoquent une logique généreuse du «don», force est de constater dans la pratique que le bénévolat n’existe pas en ce domaine. Là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de « dédommagement », bien au-delà de la couverture des frais mé-dicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? Qu’une femme mette gratuitement ses organes et neuf mois de sa vie à disposition d’autrui sans contrepartie financière n’est imaginable que dans des cas tout à fait exceptionnels (comme pour les dons d’organes entre parents, et encore, pour sauver une vie). Mais la maternité pour autrui ne peut justement pas se pratiquer dans un cadre intrafamilial en raison des implications indirectement incestueuses qu’elle comporterait […]. C’est pourquoi, là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse et fixe un prix à l’enfant ainsi « produit ». L’enfantement devient alors un service social et la sphère économique s’empare de la vie la plus

privée et la plus intime d’une personne. Loin de pouvoir s’inscrire dans le registre du don gratuit, toute forme de légalisation de cette pratique engage une marchandisation du corps féminin et de l’enfant. Ce nouveau marché du corps est ainsi indissociable de toute «gestation» pour autrui et n’en constitue nullement une «dérive» que l’on pourrait éviter. Il faudrait rester aveugle au développement d’un marché procréatif mondial - sur lequel les gamètes et les ventres s’échangent, pour le plus grand profit de cliniques et d’instituts spécialisés - pour oser encore rattacher la mise à disposition du corps des femmes à un échange « altruiste ». Le marché des ventres, là où il est autorisé, constitue en fait une incitation à se vendre pour les femmes les plus vulnérables, une forme nouvelle d’exploitation et de servitude.On ne peut assimiler la grossesse, qui concerne la vie la plus intime d’une femme, à un travail social au terme duquel la « gestatrice » remettrait finalement son produit à des commanditaires. Il faut se faire une étrange idée du rapport des femmes à leur vie propre et à leur corps, pour croire qu’elles peuvent vivre neuf mois, jour et nuit, au service d’autrui sans aliéner profondément leur personne. De plus, là où la pratique a été légalisée, les contrats d’engagement d’une « mère porteuse » entraînent une véritable mise sous tutelle de sa vie la plus intime : son alimentation, son mode de vie, sa sexualité, l’obligation d’avorter dans certains cas, etc. Pour ne rien dire de l’accouchement, avec ses risques non négligeables (épisiotomie, césarienne, voire hémorragie), qui se trouve alors inclus sans scrupules dans le cadre d’un échange commercial. » (http://nonalagpa.blogspot.be/)

Filiatio : Faut-il ou non un encadrement légal à la pratique des mères porteuses en Belgique ?armand lequeux : C’est un sujet… en ges-tation. Il est complexe, et on en discute dans de multiples instances. L’avantage que nous avons en Belgique, c’est que nous avons l’ha-bitude de bricoler – au sens inventif du terme. Concernant les mères porteuses, des hôpitaux et des services universitaires entourés de comités d’éthique accompagnent déjà des « prêts d’utérus ». Ils vont être amenés à se rassembler avec des juristes, des moralistes et de nombreux autres spécialistes pour légiférer : car, à mon sens, il faut légiférer autour de ce vide juridique. Cette période de « bricolage » aura permis d’expérimenter dans un contexte sérieux, hors de tout contexte lucratif : ainsi, aux commissions parlementaires, seront au-ditionnés des personnes qui ne parleront pas en théorie, mais en pratique.

Armand Lequeux : « la gestation pour autrui peut être acceptable si elle est altruiste »Armand Lequeux est Docteur en médecine et gynécologue, professeur émérite de sexologie à l’Université catholique de Louvain et ancien président de l’Institut d’Études de la Famille et de la Sexualité de cette même université. Il est contre une interdiction absolue de la gestation pour autrui, mais pense qu’elle doit rester « altruiste » et non rémunérée, dans le cadre de balises strictes que devrait poser une future législation.

F. : Dans quel sens faut-il légiférer, à votre avis ? a. l. : Ce serait prétentieux de ma part de dire ce qu’il faut faire ! Je n’ai pas la solution, mais je crois que tout d’abord, il faut absolument éviter le contexte lucratif. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas compenser les femmes qui prêtent leur utérus. Mais il faut éviter les dérives inacceptables comme ce à quoi nous assistons en Ukraine. On peut aussi imaginer, ici, que des femmes carriéristes fassent porter leur enfant par d’autres femmes… La gestation pour autrui n’est pas un job ou une activité lucrative ! Mais elle peut être acceptable si elle est altruiste. De la même manière, on peut donner un rein à son frère et on n’est pas rémunéré pour cela. Ici, les hôpitaux n’ac-cepteraient pas de pratiquer un don d’organe vivant pour lequel le receveur aurait payé. On doit espérer qu’il se passe la même chose pour les mères porteuses. S’opposer par principe

à l’encadrement légal de la gestation pour autrui ne me paraît pas raisonnable. Il faut mettre des barrières sérieuses, mais ce n’est pas parce qu’il y a des abus qu’il ne faut pas penser, concevoir et encadrer.

En tant que gynécologue, j’ai rencontré des femmes nées sans utérus. La possibilité pour ces femmes d’être mères et de vivre leur grossesse par procuration, grâce à une sœur, une cousine, une amie, doit être envisagée. Pourquoi fermer tout à fait cette possibili-té ? Je pense que nous ne devons pas refuser au nom des principes et des dérives, mais plutôt écouter avec soin ceux qui ont vécu et accompagné ces situations dans de bonnes conditions dans des cliniques universitaires en Belgique.

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Et pendant ce temps, aux États-Unis, pour quelques dizaines de milliers de dollars…

« Trente-deux ans d’expérience, plus de 1700 enfants dans 45 pays, 40% de clients étran-gers : la société CSP vante ses spécialistes « de premier ordre » dans tous les domaines et un bilan sans faille. « Environ la moitié de nos clients sont homosexuels, explique Sherrie Smith, administratrice du centre de la côte Est, dans le Maryland. Et en ce moment, nous avons une dizaine de couples français. Quel que soit leur pays d’origine, nous avons toujours réussi à faire rentrer les bébés chez eux. »Faire un bébé avec CSP, « c’est comme un voyage en Mercedes, résume un père comblé. Calme, efficace et fiable ».http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/01/31/01016-20130131ART-FIG00749-l-incroyable-marche-americain-des-meres-porteuses.php

Et pendant ce temps, en Inde, une chaîne commerciale s’est mise en place

« Paul, un Français homosexuel, a dû attendre quatorze mois en Inde avant de régulariser les papiers de ses deux bébés. « Mon encadrement médical s’est très bien déroulé, mais j’ai pu ob-server une autre clinique où plusieurs naissances étaient prématurées, soulevant la suspicion que les accouchements des mères porteuses étaient provoqués à sept mois de grossesse.» […] Les Indiennes louent leur corps entre 1 300 euros et 7 000 euros, et la facture totale payée par les étrangers se situe entre 10 000 euros et 25 000 euros. Car toute une chaîne com-merciale s’est mise en place, avec un millier de cliniques spécialisées, des agents recruteurs, des avocats, des hôtels. » http://www.lepoint.fr/monde/en-inde-les-derives-de-la-gestation-pour-au-trui-01-02-2013-1622779_24.php

Et pendant ce temps, en Ukraine, des ventres à louer ?

« Pour subvenir à ses besoins, Tania a donc décidé de se lancer dans un commerce extrême, exploitant sa seule ressource : son corps. À dix reprises déjà, elle a vendu ses ovocytes, pour quelques centaines d’euros. […] Elle a décidé, une nouvelle fois, de porter l’enfant d’un autre couple. Sa première expérience avait mal tour-né, en 2010. Tania était tombée enceinte tout de suite. Hélas, il s’agissait d’une grossesse extra-utérine nécessitant une intervention chirurgicale d’urgence. Problème : qui devait payer ? […] Tania n’est pas découragée par cette épreuve. L’année suivante, elle se plie à nou-veau à la procédure. La grossesse se passe bien. Tania baisse la tête, gênée. «C’était une fille.» Elle n’a eu aucun contact avec les parents. »http://www.lemonde.fr/europe/ar-ticle/2013/01/04/ukraine-ventres-a-louer_1812237_3214.html

ChEz NOS VOISINS FRANçAIS, ON SE DISpUTE

En France, la GPA est interdite, mais en débat. La gauche au pouvoir est divisée.

Les lois sur la bioéthique considèrent qu’un utérus ne peut pas « se prêter » ou « se louer » et qu’un enfant ne peut pas se donner ou se vendre. Par ailleurs, la GPA remettrait en cause certains fondements du droit hexagonal et en particulier l’équation « femme qui accouche = mère ». Ainsi, en France, le Code civil institue comme « branche ma-ternelle » la famille de la femme qui a donné physiquement naissance à l’enfant. Et non pas celle qui a, le cas échéant, donné une cellule pour fabriquer l’embryon, celle (ou celui) qui a élevé l’enfant, sauf en cas d’adoption plénière. La GPA est également en contradiction avec l’anonymat du donneur. Au delà de ces aspects juridiques et de l’ordre de la filiation, s’opposent des conceptions de la société qui semblent irréductibles…La droite s’est prononcée presque unanimement contre, au nom du risque de bouleversement des repères familiaux. La gauche semble plus divisée. Certains, au nom d’une vision « progressiste », proposent de légiférer en faveur de la reconnaissance des mères porteuses tout en interdisant tout caractère commercial de la gestation pour autrui. Parmi eux : le think tank Terra Nova, Élisabeth Badinter et même Najat Vallaud-Belkacem qui depuis sa prise de position, est devenue Ministre du droit des femmes et a dû lever le pied sur son

appel à l’« éthique du don ». Du même bord politique, au PS comme chez les Verts, d’autres considèrent à l’inverse que la gestation pour autrui est par essence une aliénation et que son encadrement est une chimère. (Voir ci-contre) Parmi les signataires de tribunes anti-GPA : François Hollande (alors député et depuis, occupe la fonction que l’on sait), Marylise Lebranchu (alors députée, aujourd’hui Ministre de la Fonction publique), Élisabeth Guigou (à l’origine du « Pacs »), Danielle Bousquet (aujourd’hui à la tête de l’Observatoire de la parité).Le milieu LGBT est également divisé. Certaines associations, plutôt masculines, se disent favorables à l’encadrement de la GPA, voire à sa tarification, au nom de l’égalité d’accès à la parentalité (c’est à dire : au nom du droit d’un couple d’hommes d’accéder à la parentalité). Mais d’autres, plutôt féminines, soutenues par des organisations féministes, déplorent la « domination masculine » à l’œuvre dans ces projets et réagissent fortement contre l’assimilation faite entre leur demande d’autorisation de Procréation Médicalement Assistée (pour les couples de femmes) et la GPA. « La GPA n’est pas une forme de procréation médicalement assistée : les lobbies pro-GPA entretiennent cette confusion à dessein. Si l’insémination artificielle et la fécondation in vitro relèvent de la PMA, ce n’est pas le cas de la GPA qui correspond à une industrie de « location des ventres » et de commerce d’ovocytes. La GPA donne la possibilité aux hommes de disposer du corps des femmes pour satisfaire un « droit à l’enfant » que nous récusons *. » En France, on n’est donc pas sorti de l’auberge.

* Le Monde, 11 décembre 2012.

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TÉMOIGNAGE

« J’ai rencontré mon mari à 18 ans, alors que j’entamais ma première année d’internat à Charleroi. Nous nous sommes mariés malgré l’avis de mes parents, et puis j’ai accouché d’une fille, Mennana – en arabe, ça veut dire Espoir. Nous vivions à cette époque dans un appartement, nous n’avions pas de travail. Dans ces conditions, il était facile de prendre ses cliques et ses claques et de partir. C’est ce que nous avons fait. Nous sommes allés vivre au Maroc dans la maison des parents de mon mari, où résidaient également ses frères et sœurs. J’ai appris très vite l’arabe et j’ai pu travailler. Quelques années plus tard, mes parents sont venus me rendre visite. Mon père, en poste à la Sabena, m’a proposé de revenir en Belgique où il m’aiderait à obtenir

une place dans cette entreprise d’aviation. J’ai accepté et je suis rentrée avec eux.

Le soir même, mon mari embarquait notre fille pour le Maroc.

Si je n’ai pas décroché l’emploi que j’escomp-tais, j’ai par contre repris des études en phy-sique nucléaire. Bientôt mon mari et notre fille m’ont rejointe. Mon mari et moi avons alors vécu des difficultés relationnelles croissantes : il a commencé à me manipuler. Peu à peu, à force d’être déconsidérée et rabaissée, mon estime de moi s’est suspendue au fil de ses jugements. Il était mon unique contact avec le monde extérieur, j’étais seule, isolée. J’en suis arrivée à couper les ponts avec tout le monde, aussi bien avec mes amis qu’avec ma famille. Je ne voyais plus personne. Il en alla ainsi jusqu’à ce que je commence à travail-ler chez Mondial-Assistance. À partir de là, je fus amenée à sortir et, inévitablement, à rencontrer des gens. Peu à peu, ma situation, par comparaison aux autres femmes du bu-reau, m’est apparue comme dissonante. Et j’ai cessé de l’accepter inconditionnellement. C’est encore à cette époque que j’ai commencé à revoir mes parents en cachette et à revivre clandestinement. Après quelques mois à ce

régime, j’ai pris la décision de quitter mon mari. Pressentant que je ne pourrais le faire de façon visible, j’évacuais de notre appartement mes effets personnels en catimini : je les fourrais dans des sacs poubelles que je déposais de-hors dans les parterres de fleurs. Mon père venait ensuite les récupérer. Un jour, ayant terminé de déménager ce qui m’appartenait, j’ai quitté le travail pour ne plus y retourner et je ne suis pas rentrée chez nous. Le soir même, mon mari embarquait notre fille pour le Maroc.

Tu es ma femme, tu rentres à la maison !

Grâce à ma situation chez Mondial-Assistance, j’ai pu établir des contacts avec des collègues marocains qui m’ont confirmé que ma fille ha-bitait chez ses grands-parents. J’ai pris la dé-cision d’aller la rechercher et me suis envolée pour le Maroc. Malheureusement pour moi, le fonctionnaire marocain qui m’avait renseignée étant un parent éloigné de mon mari, il s’était senti tenu de l’avertir de ma venue. Lorsque j’ai débarqué de l’avion, le père de ma fille m’attendait à l’aéroport. Il m’a signalé qu’aux yeux de la loi de son pays, j’étais sa femme et qu’il m’incombait de rentrer à la maison. J’étais tellement anéantie qu’il m’a emmenée sans que je puisse opposer de résistance.

Dix minutes par mois

Décryptage par Georges Zouridakis

Dix minutes par mois. Pendant des années, toutes les quatre semaines, Véronique s’est rendue au Maroc pour passer avec sa fille le temps d’une récréation. « L’essentiel était de maintenir le lien », explique cette femme victime d’un rapt parental. Témoignage.

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Chez lui, j’ai retrouvé ma fille, avec qui je ne pouvais m’entretenir que sous une étroite surveillance. Nous habitions dans une pro-priété composée de deux bâtisses et entou-rée d’une enceinte se terminant par un por-tail dont seuls mon beau-père et le gardien possédaient une clef. Une des habitations abritait la famille, l’autre était celle des do-mestiques. Évidemment, je ne pouvais pas me déplacer seule ni sortir en rue. Et d’un point de vue administratif, rien n’était mis en œuvre pour que j’obtienne ma carte d’identité locale. Au bout de quelques de mois, j’ai re-commencé à travailler pour l’antenne locale de Mondial-Assistance. Je m’y rendais es-cortée par un cousin ou un frère de mon mari qui me conduisait jusqu’à l’étage précis où se trouvaient mes bureaux. Très vite a germé en moi l’idée d’éloigner mon mari du Maroc. Une domestique de la famille me donnant, sans que je sache vraiment pourquoi, des ren-seignements sur ce qui se tramait en mon absence, j’ai appris qu’il souhaitait présenter des examens universitaires en Belgique. J’ai achevé de le convaincre de mener son projet à bien en finançant son voyage. Une fois mon mari parti, j’ai commencé à dormir dans le bâtiment des domestiques. Moins contrôlée, j’avais les coudées plus franches pour agir. Peu de temps plus tard, une opportunité s’est offerte à moi : le bureau avait besoin que je me rende en mission à Toulouse. Bien entendu, j’avais besoin pour y aller du passeport que mon mari m’avait confisqué. J’ai donc insisté auprès de mon beau-père pour le récupérer. Arguant du fait que j’étais seule à subvenir aux besoins de la famille et qu’il n’était donc pas question que je ne satisfasse pas mes employeurs, il a fini par céder et m’a rendu ma pièce d’identité. J’ai pu effectuer le voyage et remplir la mission qui m’avait été confiée. À mon retour, j’ai demandé à un collègue de conserver mon passeport dans un tiroir de son bureau. En juillet suivant, mes parents sont venus en visite. Ils étaient bien sûr désireux d’aborder le sujet de ma séquestration. Il fallait s’y attendre, cela ne manqua pas de déclencher une dispute extrêmement virulente. À tel point que la sœur de mon mari elle-même déroba la clef du portail à son père et l’ouvrit afin que nous puissions nous enfuir. Après une rapide halte au bureau où j’ai repris mon passeport, nous avons filé tout droit à l’aéroport puis regagné la Belgique. Sans ma fille.

On dirait que tu l’as oubliée !

Je m’y suis réinstallée. Douloureusement. Une interminable période de rêves et d’espoirs fous. Avec la vie qui continue, inexorable. Et qui nous entraîne avec elle, qu’on le veuille ou non. Et moi, j’avais décidé de vivre, pas de dépérir. Mon attitude provoquait de l’incompréhension

dans mon entourage. Notamment chez des personnes aussi proches que mon père qui, à maintes reprises, m’a reproché d’exister comme si j’avais oublié ma fille. Peut-être eut-il été possible de lui expliquer que, pour survivre, j’avais dû mentalement enfermer ma fille dans un tiroir que j’ouvrais dans l’intimité et refermais lorsque ça devenait insupportable. Je ne suis toutefois pas certaine qu’il eut été capable de me comprendre. Il m’a fallu com-poser avec les incompréhensions des autres. Professionnellement, les auspices m’étaient plutôt favorables car j’ai retrouvé une fonction chez Mondial-Assistance. Ce soutien financier m’a permis, pendant des années et avec l’as-sentiment des directeurs des collèges français successifs dans lesquelles elle était inscrite, d’aller tous les mois au Maroc pour voir ma fille pendant dix minutes, à la faveur des récréa-tions. Ces rencontres ont souvent été difficiles, ponctuées de reproches ou de rejets de sa part. J’ai tenu bon. L’essentiel était de maintenir le lien. Bien que brèves, ces entrevues me de-mandaient une planification précise. En effet, en plus de m’organiser professionnellement pour être là-bas une fois par mois, il me fallait encore, après la rencontre, faire fissa, sauter dans un taxi et foncer vers l’aéroport car j’étais consciente que ma fille en rentrant chez son père allait tout lui raconter et il était nécessaire que lorsqu’il réagirait je sois à l’aéroport, en zone franche, prête à m’envoler. Le mot rapt est rapide, la récupération est longue…

Par ailleurs, en Belgique, j’avais rejoint l’asbl SOS Rapts Parentaux. J’ai commencé à ra-conter mon histoire. Nous avons participé à des entretiens télévisés pour attirer l’atten-tion des politiques sur des affaires de ce type. Beaucoup trop courantes. Parallèlement, j’ai rencontré une avocate marocaine avec qui la sympathie fut immédiate et qui me proposa d’intercéder en ma faveur auprès des autorités marocaines. Ce qu’elle fit brillamment, quelque peu aidée, reconnaissons-le, par la pression médiatique de mes passages à l’écran et le poids de certains acteurs politiques belges et marocains. Toujours est-il que son action

eut du succès et qu’à quatorze ans, ma fille est venue passer sa première semaine chez moi depuis ma fuite du Maroc quatre ans et demi plus tôt. Ce fut une semaine atroce mais néanmoins la première d’une série de séjours, sporadiques, chez moi, durant lesquels notre entente s’améliora de manière notable.

Lorsqu’elle a eu dix-huit ans, ma fille étant devenue trop rebelle à son goût, son père l’a renvoyée chez moi. Cela faisait huit ans moins deux mois que nous ne partagions plus le quotidien et tout à coup elle était là. Ma fille, devenue une jeune femme. Qu’elle survienne de façon aussi brusque a généré un bouleversement dans la vie que je me-nais alors et m’a demandé une réadaptation de tous les instants. Mais j’avais réussi. Ma fille était là. En dépit des obstacles et de la souffrance endurée, la relation était sauve, s’apprêtait à amorcer une nouvelle étape. Et cette force, cette rigueur qui me pousse à atteindre mes objectifs quoiqu’il m’en coûte, c’était un héritage de mon père à moi. Quant au sien, ma fille ne voulait plus en entendre parler. Comme elle ne voulut pas non plus entendre prononcer le mot rapt en ce qui la concernait lors des discussions ultérieures que nous avons eues sur le sujet. Il me faudrait vivre avec. De toute façon, le mot rapt est si court, et la récupération si longue…

Aujourd’hui, ma fille a enfanté à son tour : une fille, Liri – en albanais, ça veut dire Liberté. »

Tandis que j’observe, s’éloignant sur l’esplanade faisant face à la gare de Charleroi, sa silhouette qui penche successivement à droite puis à gauche, je repense à notre discussion à propos des forces latentes et des capacités embryonnaires que recèle l’humain et qui n’éclosent qu’en des cir-constances que la plupart des gens se gardent prudemment d’imaginer. Véronique – un prénom prédestiné puisqu’il s’agit d’une forme latinisée de Bérénice : celle qui porte la victoire – est en route vers de nouveaux projets : s’occuper de sa maman et terminer la transformation de la ferme familiale en chambres d’hôtes. Car, comme elle le disait à propos du rapt, difficile de s’arrêter quand on a été stimulée par un tel événement. Dans mon train en partance, je ne peux m’empêcher de revoir son visage qui s’illumine en m’entendant lui dire qu’Espoir avait donné naissance à Liberté.

Propos recueillis par David Besschops

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Tout à coup elle était là,

ma fille, devenue

une jeune femme

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Dans ce témoignage, je perçois un conflit entre deux façons distinctes de gérer l’estime de soi, c’est-à-dire l’évaluation que l’on fait de soi par rapport à ses propres valeurs.

D’une part une femme qui perd son estime de soi et tente de la récupérer en butant sur les frontières extrêmement marquées d’une société traditionnelle. D’autre part, un homme, issu de cette société cloisonnée, qui tente de la préserver en accord avec son schéma culturel.

En substance, nous trouvons d’un côté une culture traditionnelle où les rôles des hommes et des femmes sont prescrits préalablement à leurs naissances : la famille marocaine de l’époux de Véronique (ce qui ne veut pas dire que le Maroc a l’apanage de ces traditions : la Belgique est encore aussi un pays où les hommes et les femmes sont perçus dans des rôles sociaux différents selon leur sexe). Il y est attendu de l’homme qu’il soit le « protecteur et maître » de sa femme. Elle doit en retour accepter d’être soumise et fidèle à son mari. Ces injonctions, conscientes et inconscientes, engendrent une série de comportements sus-ceptibles d’être exportés d’un pays à l’autre.

De l’autre côté, nous avons Véronique, fragi-lisée par la confrontation avec l’interpréta-tion que son mari fait de sa propre culture : au Maroc, il agit de façon socialement légi-time avec l’appui inconditionnel de sa famille,

alors qu’en Belgique, où il se retrouve sans existence sociale signifiante, il la dévalorise et la manipule pour retrouver une certaine prééminence. Ces deux cas de figure sont d’une violence inouïe pour Véronique. Ils l’amèneront progressivement à intégrer des sentiments de dévalorisation, de peur et d’impuissance. Elle éprouvera ces sentiments à chaque fois qu’elle se retrouvera en devoir d’affronter son mari. De fait, peu à peu, elle acceptera une répres-sion de grande intensité : au point de revoir ses parents clandestinement, par exemple. Ou d’adopter une attitude de dissimulation pour s’évader en catimini de chez elle. Au point encore que, convaincue de n’avoir pas d’autre alternative et mue par un réflexe de survie, elle s’enfuira à deux reprises en laissant sa fille aux mains de son mari. Malheureusement pour elle, ces fuites auront des conséquences terribles. Tout d’abord, la première motivera son mari à rentrer au Maroc en emmenant leur fille afin d’y retrouver le soutien de sa famille. Du coup, pour récupérer Mennana, Véronique devra à nouveau être confrontée à son mari. En sa présence, elle s’effondrera, acceptant momentanément sa vision : « … j’étais sa femme et il m’incombait de rentrer à la maison. J’étais tellement anéantie qu’il m’a emmenée sans que je puisse opposer de résistance… ». Avec les ruses corollaires : position de femme sou-mise ; manipulation du mari, etc. Pour, finale-ment, fuir une seconde fois. Ses fuites auront des répercussions sur la relation avec sa fille.

En dépit de ses incursions mensuelles, le père présent au quotidien deviendra le référent pour l’enfant, et l’absente, la mère qui l’abandonne. Longtemps, sa fille lui en voudra, incapable de dépasser sa colère et sa tristesse pour envisa-ger la contrainte psychologique que sa mère subissait. Quelles que soient les épreuves que Véronique endure pour sauvegarder le lien, elles ne correspondent jamais à ses besoins réels de sécurité et d’affection. L’apparition de la pression médiatique dans l’histoire re-lationnelle des intéressés a déplacé les enjeux. Ce qui correspondait au départ à un conflit interpersonnel où des valeurs très intimes étaient engagées s’est transformé en une négociation entre pays. Dans la hiérarchie des valeurs du mari, l’honneur national pré-valant sur l’honneur de l’individu, il a pu céder et permettre à sa fille de revoir sa mère sans perdre la face. Grâce à cela, Mennana a évolué et étoffé ses manières de vivre et de voir. Je comprends néanmoins son refus de parler de rapt en ce qui la concerne. Pour elle, il n’y a pas eu de rapt. Son père s’est occupée d’elle en l’absence de sa mère. Il l’a fait à sa façon avec des moyens hérités de sa culture et de ses traditions. Il est probable qu’à un stade ultérieur de son évolution, Mennana éprouve le désir de rencontrer l’homme derrière le père. Et pourrait-on espérer augures plus favorables que l’histoire d’Espoir continuant avec Liberté…

Décryptage Témoignage

GEORGES zOURIDAkIS

❱ est écoutant et accompagnateur pour individuels et groupes, spécialiste de l’estime de soi. Il travaille régulièrement avec Filiatio et est joignable par téléphone au 0478 09 09 89 ou par mail : [email protected]

❱ www.estimedesoi.be

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hORS ChAMp

L’Espagne est en train de réviser plusieurs de ses processus institutionnels dans lesquels le sexe est considéré comme un élément d’iden-tité sociale déterminant. D’une part, désireux de s’aligner sur les pays européens de pointe dans ce domaine, le Congrès a présenté au Gouvernement un projet de réforme sociale visant à veiller à une égalité des chances face à l’emploi assorti d’une parité salariale entre les femmes et les hommes. D’autre part, les moda-lités d’hébergement concernant les enfants lors des séparations, établies jusqu’alors par la loi de 2005 – que d’aucuns ont qualifiée de « pack », c’est-à-dire, d’un côté : la garde automatique des enfants, une pension alimentaire et une exclusivité d’usage de la maison, pour la mère ; et de l’autre : un droit de visite à convenir avec la maman pour le père – se trouvent réévaluées.

Garde alternée…

Auparavant, lors d’une demande d’héberge-ment alterné par un des deux parents, leur désaccord motivait l’intervention du Ministère Fiscal 1 dont l’avis, étayé par divers rapports d’enquête de services psychosociaux, était décisif et pouvait quelquefois infléchir une dé-cision du juge lui-même. Des statistiques à ce sujet indiquent que, dans ces conditions, 95% des pères n’entretenaient plus de relation avec leurs enfants après la séparation. Désormais, l’accord des deux parents ne sera plus indis-pensable pour que l’un d’eux demande la garde alternée – et l’obtienne. En outre, le juge n’est plus tributaire d’un avis favorable du Ministère Fiscal pour prendre une décision allant dans le sens d’une garde alternée. Maintenant que de nombreux spécialistes des enfants ont démon-tré combien il était essentiel pour ceux-ci de créer des liens d’attachement avec leurs deux parents, c’est dans cette perspective-là que le juge place l’intérêt de l’enfant. Si ce chan-gement peut être considéré comme majeur, être souligné et applaudi, l’intérêt de l’enfant demeure un concept à définir. En effet, lais-ser cette notion à l’appréciation du seul juge

n’annule pas le risque de voir apparaître de nouvelles rigidités, dérives ou une gestion à deux poids deux mesures de la garde alternée. L’idéal serait-il de standardiser les procédures juridiques en mettant sur pied une grille d’in-dicateurs et de critères communs d’évaluation dudit intérêt de l’enfant ? Reste bien entendu à savoir en combien de temps l’application de cette loi modifiée va décrisper les men-talités, effacer les stigmates sociaux qu’elle a générés et atténuer le clivage père/mère qu’elle a contribué à perpétuer. Une fois cela établi et sécurisé, l’hébergement, réfléchi en adéquation avec les nécessités des différents acteurs concernés par la séparation, pourra être envisagé. Toutefois, mis conjointement et articulés entre eux, ces aspects divers d’une avancée vers l’équité pourraient bien signifier pour les Espagnols un espoir de refonder une société à l’aune des réalités individuelles et de construire un meilleur accès pour chacun, quel que soit son sexe, aux débats qui l’occupent.

… Contre violence de genre

Une série d’associations civiles 2 attirent l’at-tention sur l’existence d’une loi contre les vio-lences spécifiques envers les femmes. Cette loi de 2004, antérieure d’un an à celle régissant la garde alternée, en contrecarre visiblement la mise en œuvre optimale.

Conçue à l’origine pour appréhender des si-tuations auxquelles les femmes devaient faire face et qui n’avaient pas fait l’objet d’un traite-ment juridique spécifique 3, son application est source d’effets pervers. Un même fait porté à la connaissance d’un tribunal peut par exemple être qualifié de délit quand un homme en est responsable et n’être considéré que comme une faute dans le chef d’une femme. Si à la base de pareille configuration, on détecte de très nombreuses causes, celle qui prédomine est la tendance à faire systématiquement un amalgame entre hommes, machisme et violence. Cet amalgame est devenu un levier

d’instrumentalisation de la loi de 2004 dans le cadre des séparations conflictuelles et se trouve aujourd’hui à la source de nombreuses injustices. Comment ? Légalement, tant qu’un juge n’a pas statué sur l’accusation, la garde alternée est refusée d’office à quiconque est suspecté de violence domestique. Et comme cette loi a pour particularité de ne pas respecter la présomption d’innocence – ce qui la place en porte-à-faux vis-à-vis de la Convention Européenne des Droits Humains – cela signifie qu’un accusé de violence domestique est pré-sumé coupable tant qu’il n’a pas démontré son innocence. Par conséquent, dans l’intervalle, il ne se trouve pas en mesure de faire valoir son droit à la garde alternée.

Beaucoup observent là une espèce d’ironique retour à la case départ : si avant, le juge était tributaire d’un verdict positif du Ministère Fiscal pour éventuellement autoriser une garde alternée, à présent, la condition sine qua non pour le conjoint qui la demande est d’avoir été exonéré de tous soupçons au pénal. En synthèse, cela équivaut à dire que les nuances apportées dernièrement par le légis-lateur à la loi de 2005 risquent de rester sans effet tant que la teneur et peut-être, surtout, la manière d’appliquer la loi de 2004 ne seront pas reconsidérées en vue d’éventuelles rectifications.

David Besschops

Espagne : deux lois, un effet boomerangEn Espagne, deux lois se regardent en chiens de faïence : celle de 2004, conçue pour protéger les femmes de violences jusque là invisibles et réputées être de l’ordre de la sphère privée, et celle de 2005, concernant les modalités d’hébergement des enfants lors de la séparation. Bien que récemment modifiée en vue d’une meilleure efficacité, la seconde voit ses effets limités par la première.

1 Organe autonome émanant de l’appareillage judiciaire dont la fonction est d’assurer une fidèle application des lois. Lorsqu’il intervient dans les procédures civiles telles que des divorces, il conserve une totale indépendance vis-à-vis des juges.2 Avilegen (Association des Victimes de la Loi sur les Violences de Genre), Femii (Association Féministe pour l’égalité de Genre), Pamac (Association des Pères et Mères en Action). Contrairement à ces associations, notre propos ici n’est pas de critiquer la loi de 2004 elle-même mais bien de souligner les effets collatéraux de son application au regard de la loi de 2005 sur la garde alternée égalitaire.3 « La loi espagnole sur les violences faites aux femmes : l’instauration d’une discrimination à rebours ? », par Sophia Mansouri, Université Paris Ouest http://m2bde.u-paris10.fr/content/la-loi-espagnole-sur-les-violences-faites-aux-femmes-linstauration-dune-discrimination-%C3%A0-reb

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SOCIO

Familles d’hier et d’aujourd’huiDans nos régions et en deux siècles, la famille a bien changé ! Si jusqu’en 1960,

le mariage en était encore le ferment, les modes de vie commune se sont depuis lors diversifiés et relèvent plutôt aujourd’hui de choix individuels. Que s’est-il

passé ? Jacques Marquet, sociologue, professeur à l’Université Catholique de Louvain et président du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur

les Familles et les Sexualités, nous brosse un rapide tableau historique.

Filiatio : Au 19e siècle, dans nos contrées, la très grande majorité de la population vivait de l’agriculture. Quelles conséquences cela avait-il sur le plan de l’organisation familiale ?

Jacques Marquet : La famille de l’époque jouait un très grand rôle dans l’économie. Le cliché veut qu’elle regroupait sous un même toit plusieurs générations et un nombre im-portant d’enfants. Il semble toutefois que dès le 16e siècle, c’est la famille nucléaire, le couple et ses quelques enfants, qui domine en Europe. Quoi qu’il en soit, ses membres vivent, dorment, mangent, travaillent ensemble, sous le contrôle social fort de la communauté, du village, de la paroisse. En tant que responsable de l’entreprise familiale, le père est le chef incontesté de la famille.

Sur le plan économique, la famille du 19e remplit trois fonctions. La plus évidente est bien sûr celle de production : la famille est

en quelque sorte le lieu de production, tant agricole qu’artisanale. C’est aussi le lieu de la consommation, deuxième fonction. Elle a, troisièmement, une fonction patrimoniale. Par les règles de succession, c’est elle qui contrôle la dotation des enfants, décidant ainsi large-ment de leur avenir. Le pater familias avait intérêt à garder le plus longtemps possible la mainmise sur l’exploitation agricole et ne mariait ses enfants que relativement tard. Beaucoup restaient d’ailleurs célibataires (en 1900, 17% de la population est toujours céliba-taire à 50 ans) et donc, dans la dépendance du patriarche. Ce célibat avait l’avantage d’éviter la dispersion des terres.

F. : Et sur le plan social ?

J. M. : La famille du 19e joue là aussi un rôle primordial. En l’absence d’un système sco-laire développé, c’est elle qui assure en prio-rité la fonction de transmission des normes, des règles de comportement et des valeurs.

Cette socialisation se réalise tant de façon consciente (remarques, punitions, rappels à l’ordre…) qu’inconsciente, via l’imprégna-tion quotidienne. La famille assure aussi une fonction de protection. Si la loi de l’honneur est souvent invoquée pour couvrir les excès d’un père autoritaire ou contenir les velléités de dissensions intra-familiales, c’est aussi le fondement d’une solidarité familiale, et donc d’une protection familiale pour chacun de ses membres. Cette protection se traduit égale-ment par une solidarité intergénérationnelle. Il faut se rendre compte qu’à l’exception de quelques embryons de solidarité se déve-loppant à la fin du 19e siècle, la famille est alors le seul cadre d’une solidarité entre les générations. L’obligation d’entretenir des pa-rents devenus âgés est fondée sur base de la dette contractée à leur égard pendant la prime jeunesse. Enfin, la famille régule également la sexualité.

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F. : Que se passe-t-il lors du passage à l’époque industrielle ?

J. M. : Le recul du mode de production agricole change la donne. Le lien avec la terre s’effrite et les mariages peuvent se conclure de ma-nière plus précoce. On note par ailleurs que le taux de célibat définitif diminue (en 1947, le taux de célibat définitif chute sous les 10%). La baisse de la mortalité chez les adultes et chez les enfants et la baisse de la fécondité ont un effet sur la taille des familles. La taille plus petite du ménage lui permet plus de mobilité.

Avec l’industrialisation, l’urbanisation et la scolarisation, la famille évolue vers un modèle nouveau marqué par une distinction nette des rôles masculin et féminin. L’homme travaille à l’extérieur pour assurer le bien-être écono-mique de la famille. La femme reste quant à elle confinée dans la sphère domestique avec la tâche de veiller à la qualité de vie matérielle (cuisine, propreté, hygiène…) et relationnelle (éducation, soutien affectif…) du ménage. La mère prépare les enfants à intégrer le sys-tème de production. Ce modèle qui suppose la dépendance financière des femmes et qui fait du mariage le cœur du modèle familial et social tient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

F. : Et ensuite ?

J. M. : En 1940-45, les femmes participent massivement à la production industrielle. L’idée que la vie des femmes pourrait, tout comme celle des hommes, être régie par le marché du travail, s’étend. Il faut dire que le marché d’après guerre le réclame. Et que les femmes qui sont maintenant davantage sco-larisées, souhaitent exploiter leurs diplômes et gagner leur vie, et donc, par la même occasion, rompre leur lien de dépendance par rapport au père ou au mari. Cela a considérablement changé le rapport entre les sexes, le choix du partenaire, le nombre d’enfants et donc le mode de vie familiale dans son ensemble.

Il est très probable aussi que l’expansion de la société de consommation des ‘Golden sixties’ a créé auprès des jeunes un niveau d’aspiration à la consommation très élevé, qu’un seul salaire ne parvient plus à satisfaire. On voit ainsi de jeunes adultes rester plus longtemps chez leurs parents et des jeunes couples attendre plus longtemps avant d’avoir des enfants. Entre 1970 et 1995, l’âge moyen des femmes au premier mariage en Belgique est passé de 22,4 à 28,3 ans.

Le mariage n’apparaît plus comme le concept sur lequel reposer le modèle familial. D’après les chiffres de l’Institut National de Statistique, entre le recensement de la population de 1970

et celui de 1991, on peut estimer que le nombre de ménages composés d’une seule personne (les isolés) a connu une augmentation de 85% et que le nombre de familles monoparentales a connu une augmentation de 76%. Les couples divorcent plus et de plus en plus tôt. Les en-fants vivent de moins en moins dans des fa-milles de parents mariés et, par contre, de plus en plus dans des familles de cohabitants et des familles monoparentales. Les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses.

F. : Serait-ce le déclin de la famille ?

J. M. : Dans les travaux démographiques des années 1980, on tirait en effet ce genre de conclusion. D’autres au contraire soutiennent qu’il ne faut pas confondre la désinstitution-nalisation de la famille et la mort de la famille. Les plus optimistes font remarquer qu’au-delà des cohabitations hors mariage, des divorces et des recompositions familiales, le modèle de vie conjugale persiste bel et bien. Nombre d’entre eux expliquent d’ailleurs cette persis-tance par les fonctions que la famille, même redessinée, continue à jouer.

F. : Ne serait-ce pas l’individualisation de nos sociétés qui redessine ainsi la famille ?

J. M. : L’individualisation de nos sociétés est une tendance longue qui prend racine dès la fin du 18e siècle. Le sociologue Durkheim avait déjà décrypté cette tendance à l’individualisme et la manière dont va s’organiser le vivre en-semble social ou familial. La notion des Droits de l’homme, incontournable dans nos sociétés occidentales, est devenue la référence qui reconnaît à l’individu des droits en dehors de sa communauté. Autre tendance qui va dans le même sens : l’épanouissement personnel. Et cette autonomie lui permet justement de mettre en avant la réalisation de soi. Et on observe aujourd’hui une tension forte entre l’aspiration à la réalisation de soi et celle au vivre ensemble. Cela se traduit notamment par un refus de l’enfermement dans un mode de vie conjugal. Grâce aux progrès des mé-thodes contraceptives, les enfants naissent davantage d’un désir d’enfant. Ils sont moins nombreux que jadis. La relation parents-en-fants gagne ainsi en personnalisation. La fa-mille contemporaine est d’ailleurs résolument relationnelle.

F. : Quelle est la place de l’enfant dans ces recompositions ?

J. M. : Enfant roi… Les enfants occuperaient-ils la place laissée vacante par la perte de la toute puissante autorité paternelle? Pourquoi, ré-torque le sociologue François de Singly, pro-fesseur à la Sorbonne, directeur du Centre

de recherche sur les liens sociaux, imaginer qu’un groupe familial a toujours un « roi » et un seul? La fin du père roi n’entraîne pas obliga-toirement la suprématie des tyrans enfantins.

L’enfant a changé de statut au cours de ces dernières décennies en ce sens qu’on le recon-naît aujourd’hui comme individu. Tout comme l’évolution des couples et des modes de vie familiaux, ce nouveau statut est lui aussi un résultat de ce processus majeur de l’évolu-tion de nos sociétés, l’individualisation. Nos enfants sont donc « petits » mais également des individus comme les autres devant être traités avec le respect propre à toute personne. Cela veut aussi dire que, dès le plus jeune âge, l’enfant doit apprendre à devenir lui-même.

Jusqu’au milieu des années 1960, l’enfant devait obéir. Il était soumis à une autorité qui avait pour but de lui apprendre à obéir à la raison. L’éducation avait pour mission de séparer chacun de son être singulier afin d’in-térioriser les règles de vie en société. A partir de 1960, « Deviens qui tu es! » est le nouveau leitmotiv. Il ne s’agit plus de s’aligner sur ce qui est commun mais de développer ce qui est propre à chacun. L’éducation ne doit dès lors plus seulement imposer et transmettre, elle doit aussi créer les conditions pour que l’enfant puisse dès son jeune âge découvrir par lui-même qui il est.

Dans une famille, poursuit de Singly, chacun peut être « roi », à la condition de préciser la nature de son royaume. L’enfant d’aujourd’hui est roi de son monde, d’un monde au sein duquel ne se trouvent pas ses parents. Son père et sa mère ne sont pas ses sujets. Il ne contrôle pas le royaume de ses parents. La famille tend à avoir moins besoin d’un chef strict, mais à l’intérieur de ce groupe, chacun des membres est appelé à régner sur « son » monde. L’enfant n’est donc pas totalement roi car il n’a pas toute autorité sur son exis-tence, mais il le devient progressivement. Et cela revient aussi à poser que les parents ne peuvent pas savoir, en tant que parents et par définition, toujours mieux que leur enfant ce qui constitue son « intérêt », son « bien ».

L’avenir de la famille est ouvert. Compte-tenu de sa capacité de changement, démontrée par les 30 dernières années de ce siècle, l’évolution de la famille promet d’être passionnante.

Éléonore Correnc avec l’aide de Céline Lefèvre

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20 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Aujourd’hui, en Belgique, un mariage sur deux se termine par un divorce. Les couples non-mariés, eux aussi, se séparent… La fra-gilité du lien conjugal n’est plus à démontrer et il suffit de tourner la tête à droite ou à gauche pour illustrer très concrètement les statistiques. Pour les parents, la question de l’hébergement des enfants peut prendre des formes bien différentes selon les situations. Les ex-partenaires sont libres d’opter pour la formule qui leur convient. Encore faut-il tomber d’accord… En cas de conflit sur les modalités d’hébergement, les enfants se trouvent sou-vent au cœur d’une guerre juridique que se livrent leurs parents. L’« intérêt de l’enfant » est un enjeu incontournable qui focalise les attentions.

La Ligue Bruxelloise Francophone pour la santé mentale organisait, en novembre 2011, une journée de travail en séminaire centrée sur le thème suivant : Hébergement égalitaire : inter-rogations croisées autour de l’intérêt de l’enfant. Suite à cette journée d’étude, la Ligue a réa-lisé une enquête auprès des tribunaux avec le soutien de Melchior Wathelet, à l’époque

Secrétaire d’État à la Politique des Familles. Il a facilité l’accès aux tribunaux des arrondis-sements judiciaires de Bruxelles et Charleroi. Les résultats complets de l’enquête menée en 2011 sont publiés dans le dernier numéro de Mental’idées, au sein d’un dossier plus large-ment consacré à l’Intérêt de l’enfant lors d’une séparation parentale. L’enquête nous apporte un éclairage impartial sur la réalité des pratiques judiciaires. Basée sur 1797 jugements pronon-cés par 15 juges différents (10 à Bruxelles et 5 à Charleroi), elle nous permet de compléter le « Rapport Casman 1 », publié en 2010. Quels sont les modes d’hébergement les plus représentés ? Les juges tranchent-ils de la même manière que les parents lorsqu’ils se mettent d’accord ? Quelles sont les grandes évolutions depuis 2006 en ce qui concerne l’hébergement égalitaire ?

Nous bénéficions aujourd’hui un certain recul pour évaluer les effets de la loi. Pour rappel, elle devait poursuivre deux objectifs conjoints. Privilégier l’accord des parents et favoriser l’hébergement égalitaire en cas de désaccord :

« Lorsque les parents ne vivent pas ensemble et qu’ils saisissent le tribunal de leur litige, l’accord relatif à l’hébergement des enfants est homo-logué par le tribunal sauf s’il est manifestement contraire à l’intérêt de l’enfant. A défaut d’accord, en cas d’autorité parentale conjointe, le tribunal examine prioritairement, à la demande d’un des parents au moins, la possibilité de fixer l’héber-gement de l’enfant de manière égalitaire entre ses parents. » 2

Avant de découvrir les grandes tendances révélées par l’enquête qui nous occupe, il est important de replacer la loi de 2006 dans un contexte plus vaste avec l’éclairage du socio-logue Jacques Marquet :

« Cette loi très importante avait été précédée une dizaine d’années auparavant par une autre tout aussi capitale, la loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Relatives à la gestion de la parentalité après rupture des parents, ces deux lois constituent des repères pour penser l’évolution de ces dernières décennies. Ces deux repères dessinent trois périodes: avant 1995, entre 1995 et 2006, après 2006. 3 »

Pour les parents qui se séparent, la question de l’hébergement des enfants est cruciale. La loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire fêtera bientôt ses 7 ans. L’âge de raison? La Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale a mené l’enquête…

Hébergement égalitaire : enquête au tribunalACTU

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Garde principale = hébergement & autorité parentale Autorité parentale conjointe >< hebergement principal Hébergement égalitaire & autorité parentale conjointe

19901995 2006

2000 2010

Loi du 13 avril 1995 relative à l’exercice conjoint

de l’autorité parentale

Loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier

l’hébergement égalitaire…

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21Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Les grandes tendancesMoins d’enfants, moins de conflits après la rupture ?

Les familles à un enfant sont surreprésen-tées dans les situations de conflits concernant l’hébergement. C’est le premier grand constat révélé par l’enquête. Concrètement, les juge-ments liés à un enfant représentent 64,5% de l’ensemble des jugements alors qu’en Belgique, ces familles ne sont représentées qu’à raison de 46,5%. À l’inverse, plus le nombre d’en-fants par famille est grand, moins il y a conflit sur l’hébergement. Comment expliquer ce constat ? Les parents de plusieurs enfants seraient-ils plus aptes à gérer l’après-rupture sans conflit majeur ?

hébergement égalitaire et évolution dans le temps

L’effet de la loi 2006 est très clair si l’on ob-serve l’augmentation moyenne de l’héberge-ment égalitaire entre 2004 et 2010. Il a doublé, passant de moins de 10% en 2004 à près de 20% en 2010. Il est intéressant d’observer que les hébergements égalitaires suite à des ac-cords sont deux fois plus nombreux que ceux qui ont été obtenus par décision du juge. 14,6% des jugements étudiés ont abouti à un héber-gement égalitaire. On monte à 24,2% lorsque les parents se mettent d’accord. Lorsque c’est un juge qui décide, on chute à moins de 10%. On peut en déduire que les accords favorisent l’hébergement égalitaire. Ainsi, l’impact de la loi a sans doute été davantage facilité par l’évolution de la société vers plus d’implication des pères auprès de leurs enfants que par l’imposition d’un tel mode d’hébergement par les juges.

Le classique du « week-end sur deux »

Le « week-end sur deux chez papa » reste la formule d’hébergement la plus représentée. Qu’il s’agisse des décisions par juge ou des accords entre parents, le constat est sans appel : le grand classique des années 80 reste en tête du classement par formules d’héber-gement. Le week-end sur deux chez le père reste majoritaire, à raison de 37,7% suite à une décision définitive par juge et de 36,4% sur base d’un accord définitif entre les parents.

On remarque que les formules intermédiaires entre le week-end sur deux (chez le père ou la mère) et l’hébergement égalitaire sont peu représentées. Cette observation concerne autant les décisions par juge que les accords entre les parents. La formule du 9/5 (9 jours chez un la mère et 5 jours chez le père) n’est choisie que dans 6,4% des décisions définitives par juge et dans 7,6% des accords définitifs entre les parents. Ces formules sont peut-être encore mal connues ce qui expliquerait leurs sous-représentation. Un travail d’information

à ce sujet reste sans doute à mener. Il n’y a pas que le week-end sur deux et l’hébergement égaliatire, comme l’explique Diane Drory dans le cadre d’une interview accordée à Filiatio : Pour les très jeunes enfants, je ne préconise par la garde alternée mais plutôt un système de type 5/9, réparti en plusieurs fois et non pas strictement 5 jours/9jours. Par exemple, l’enfant peut passer deux jours chez son père en semaine 1, et trois jours en semaine 2 : c’est une forme de 5/9 qui peut convenir à un jeune enfant. 4

Hébergement égalitaire : enquête au tribunal

1 Évaluation de l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation. Sous la coordination de : Marie-Thérèse Casman, Recherche commanditée par le Secrétariat d’État Belgique à la Politique des Familles, Université de Liège, Panel Démographie Familiale, 2010.

2 Extrait de la loi du 18 JUILLET 2006. - Loi tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et réglementant l’exécution forcée en matière d’hébergement d’enfant.

3 Hébergement de l’enfant : l’intérêt égalitaire, Jacques Marquet, Mental’idées n°19 - LBFM, février 2013.

4 Il faut du lien et le lien prend du temps, Filiatio 8, p. 6-7.

Les autres formules

3 j. chez le père et 1 j. chez la mère

3 j. chez le père et 1 j. chez la mère

5 j. chez le père et 9 j. chez la mère

5 j. chez le père et 9 j. chez la mère

Un we / 2 chez la mère

Moins d’un we / 2 chez le père

Hébergement égalitaire

Un we / 2 chez la mère

Moins d’un we / 2 chez le père

Hébergement égalitaire

Un we / 2 chez le père

Un we / 2 chez le père

5,6%

5,4%

6,4%

7,6%

9,9%

9,3%

12,8%

9,3%

20,9%

28,4%

37,7%

36,4%

SUITE à UNE DÉCISION DÉFINITIVE DU jUGE

SUR BASE D’UN ACCORD DÉFINITIF

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22 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Lorsqu’un père demande l’hébergement égalitaire…

La Ligue s’est également intéressée aux situa-tions plus spécifiques des pères qui demandent l’hébergement égalitaire. Dans les contro-verses autour de l’hébergement égalitaire, il est souvent reproché aux pères de ne pas être demandeurs, ce qui témoignerait de leur manque d’implication dans le soin et l’éduca-tion des enfants. L’enquête ne révèle pas de pourcentage sur les demandes des pères mais 276 jugements ont été passés au peigne fin à Bruxelles et à Charleroi pour les années 2010 et 2011. Pour la première fois, nous pouvons nous rendre compte de ce qui se passe en terme de jugements pour ces demandes en particulier. Dans quelles proportions les juges accordent-ils l’hébergement égalitaire aux pères qui en font la demande ? Comment les jugements sont-ils motivés ?

En moyenne, l’hébergement strictement égalitaire 5 a été accordé aux pères qui le de-mandaient dans 37% des cas contre 63% de réponses négatives. Parmi ces 63% de refus, on compte 17,25% de formule de type 9/5 ou apparentée 6 et 82,75% de formules où le père obtient maximum un week-end sur deux. En cas de désaccord sur l’hébergement, un père qui demande l’hébergement égalitaire a donc une chance sur trois de l’obtenir.

La loi de 2006 laisse au juge la possibilité de trancher en faveur d’un hébergement non-éga-litaire : «…si le tribunal estime que l’hébergement égalitaire n’est pas la formule la plus appropriée, il peut décider de fixer un hébergement non-éga-litaire. Le tribunal statue en tout état de cause par un jugement spécialement motivé, en tenant compte des circonstances concrètes de la cause et de l’intérêt des enfants et des parents. » 7

Quelles sont les raisons les plus souvent invo-quées en cas de refus ? Plusieurs motivations peuvent se retrouver dans un jugement.

Celles qui reviennent le plus souvent en cas de refus concernent le jeune âge de l’enfant, le « besoin de progressivité » et le conflit entre les parents. Ces motivations sont des pistes de réflexion importantes qui seront l’enjeu des débats futurs autour de l’évaluation de la loi.

La mère est encore aujourd’hui le premier parent responsable de l’éducation et du soin des enfants après la séparation parentale : il s’agit là d’un continuum prolongeant l’état de fait d’avant la séparation 8, répondant à des normes sociales que notre société continue à véhiculer. Pourtant, dans un récent sondage effectué par Filiatio 9, nous pouvions constater que les Belges sont globalement favorables à l’hébergement égalitaire. Comment expliquer le décalage entre cette tendance et les pra-tiques réelles ? Dans certains cas (éloignement géographique en particulier), l’hébergement égalitaire est complexe à mettre en place, voire impossible. Au-delà des questions pra-tiques, en cas de séparation, la question de l’hébergement des enfants devient souvent un enjeu conjugal. Autrement dit, les couples qui se séparent ne mettent pas forcément en pratique ce qu’ils préconisent lorsqu’ils ne sont pas directement concernés.

Il serait intéressant, pour compléter l’obser-vation, de mettre les chiffres de l’enquête en relation avec les décisions prises par les pa-rents qui ne passent pas par la justice (parents non mariés qui s’accordent entre eux sur les modalités de l’hébergement).

Céline Lefèvre

5 Hébergement strictement égalitaire : 7 jours/7 jours ou autre formule égalitaire en terme de jours passés chez les deux parents.

6 Formules apparentées : intermédiaires entre l’hébergement strictement égalitaire et un week-end sur deux.

7 Extrait de la loi du 18 JUILLET 2006. – Loi tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et réglementant l’exécution forcée en matière d’hébergement d’enfant.

8 Étude « Genre et Emploi du temps », Institut pour l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, 2009.

9 Filiatio - AEGIS/DEEP BLUE : La garde des enfants après la séparation : qu’en pensent les Belges ? Sondage réalisé en mars 2012 auprès d’un échantillon représentatif de 500 Belges. Marge d’erreur : max. 4,4% – sondage par téléphone.

pOUR ALLER pLUS LOIN

❱ www.lbfsm.beLe pourcentage

moyen des hébergements

égalitaires a doublé entre 2004 et 2010…

…encore faut t-il tomber d’accord

Réponses positives Réponses négatives

63%

37%

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23Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Filatio : Le week-end sur deux reste le modèle dominant. Qu’en pensez-vous ?

Philippe béague : Cela montre que les menta-lités évoluent lentement. L’idée selon laquelle l’intérêt de l’enfant est de voir régulièrement ses deux parents n’est pas encore tout à fait rentrée dans les mœurs. On peut pourtant en-visager la maternité et la paternité autrement et sortir de cette espèce d’obsession du père « séparateur ». Les pères ne sont pas là que pour ça… D’ailleurs, ces notions de « père » et de « mère » sont en train d’évoluer. Le père est aujourd’hui aussi éducateur et les deux parents devraient être à priori considérés comme com-pétents. Dans le monde psy, certaines théories sont encore très figées à ce sujet. Pourtant, dans la plupart des cas, plus un enfant voit ses deux parents mieux c’est ! Cela suppose évidement une entente entre les parents pour privilégier, malgré leurs différends, le bien-être de leur(s) enfant(s). C’est un fameux défi de garder ce cap dans une atmosphère qui est, la plupart du temps, conflictuelle. En cas de conflit ouvert, la pré-sence du juge est alors indispensable et son métier n’est pas facile. Il devra tôt ou tard « trancher » mais je pense qu’il devrait aussi, de sa place d’autorité, interpeller les parents, leur rappeler fermement leurs responsabili-tés en tant qu’adultes dans ce qu’on appelle « l’intérêt » de l’enfant. Ce dont les enfants ont surtout besoin, c’est d’apaisement et de sentir un respect réciproque entre les parents.

F. : Pensez-vous, comme Diane Drory, que « voir son père un week-end sur deux, c’est retrouver un inconnu » ?

P. b. : Pour un enfant, c’est long, quinze jours. Mais pour le parent également. Cela nécessite un temps d’adaptation à chaque rencontre. De plus, en un week-end, c’est plus difficile d’être père dans toutes les dimensions édu-catives que cela suppose. On a envie de passer un moment agréable avec son enfant et ce n’est pas évident de dire non ou d’intervenir en éducateur : « Montre-moi un peu ton bulletin… Que s’est-il passé ? », « Débarrasse la table. » Pourtant, les pères devraient jouer ce rôle mais je peux bien comprendre que ce ne soit

pas évident dans ce type de configuration… Quand l’enfant est en hébergement égalitaire, le père peut se permettre d’être lui-même. Il peut faire la gueule de temps en temps, ce dont les enfants ont grand besoin ! Eduquer, ce n’est pas faire de ses enfants des amis. Il serait dommage d’envisager la question de l’hébergement de manière trop calculée, trop mathématique. Dans certains cas, une alternance neuf jours/cinq jours peut être une bonne solution. Dans les cinq jours, il y a tout de même aussi trois jours d’école… C’est important pour que les deux parents puissent s’investir sur le plan scolaire. Avec un week-end sur deux, cet investissement est beaucoup plus difficile.

F. : Lorsqu’un père demande l’hébergement égalitaire, il l’obtient dans environ un tiers des cas. Une des motivations le plus souvent invoquée en cas de refus est le jeune âge de l’enfant. Que vous inspire ce constat ?

P. b. : On observe encore cette réaction spon-tanée : considérer que le petit enfant doit être avec sa mère. Il est vrai que durant quelques mois, l’enfant est d’abord dans la sécurité avec sa mère. Mais passée cette période, on peut très tôt mettre en place un hébergement égalitaire de courte durée (2 jours/2 jours, par exemple) mais seulement si l’enfant « connaît » son père, c’est-à-dire que, l’ayant vu régulière-ment en présence de sa mère, et parfois seul, il se sent en confiance et en sécurité avec lui. Tenir compte de l’enfant, c’est être à l’écoute de ce qu’il ressent. Le temps psychologique du petit enfant est très différent du nôtre. On considère en général qu’une journée pour lui

équivaut à une semaine pour nous. Un rythme d’une semaine sur deux est probablement peu adapté aux petits. C’est à partir de sept ans que la notion du temps de l’enfant se rapproche de la nôtre. Avant cela, on peut imaginer des for-mules d’alternances plus rapprochées comme par exemple deux jours chez l’un, deux jours chez l’autre. Ces formules égalitaires sont plus adaptées aux jeunes enfants. Chaque situation est différente et il est important que parents et enfants y trouvent leur compte. Les parents, les juges et les avocats pourraient se montrer plus créatifs. On peut tout imaginer à conditions de prendre en compte les besoins de chacun. En grandissant, les besoins de l’enfant évoluent et les formules peuvent être adaptées. Mais attention ! Ecouter un enfant ce n’est pas lui laisser toute la responsabilité. C’est trop lourd à porter (conflit de loyauté). Il doit savoir que finalement, ce sont les parents et éventuellement le juge qui décident.

F. : Comment penser l’avenir ?

P. b. : Les mentalités bougent lentement. Dans le rapport de la journée d’étude de la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale, le sociologue Jacques Marquet a exprimé quelque chose de très juste : « Nous devons apprendre à appréhender, à penser, à organiser les relations parents-enfants en te-nant compte des mobilités temporelles et géo-graphiques. Pour les mères, plus spécifiquement, il s’agit de rompre le rapport de quasi synonymie entre amour maternel et coprésence. » Or cela fait des siècles qu’on dit aux mères le contraire et cette culpabilité est toujours présente. Il est bon pour un enfant, comme pour sa mère, d’être sous la responsabilité éducative de plu-sieurs adultes : père, familiers, professionnels (crèche, école, …). Ce rapport de quasi-syno-nymie, comme l’appelle Jacques Marquet, est fortement imposé aux mères, aux parents et aux familles par les normes sociales dans lesquelles nous évoluons. On pourrait dire l’inverse également : il s’agit sans doute aussi pour les pères et pour la société d’inverser le rapport de quasi-synonymie entre amour paternel et éloignement.

Propos recueillis par Céline Lefèvre

Sortir de l’obsession

du père « séparateur »

Décryptage avec Philippe Béague, psychologue et psychanalyste, Directeur de l’Association Françoise Dolto©

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24 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Salle des pas perdus, 1988, Bruxelles. Nous sor-tons du Palais de justice en veillant à ne pas nous croiser. Nous sommes tout deux accompagnés de notre avocat. La séance est à nouveau reportée pour des raisons qui nous échappent.

Bizarrement, nous nous retrouvons dans le par-king. Nos voitures ne sont pas loin l’une de l’autre. Nous décidons d’aller boire un café à deux pas du Palais. La tension est palpable. La tristesse aussi. Dix ans de mariage, deux garçons de deux et cinq ans. Pleins de souvenirs bons ou difficiles, nous nous retrouvons là, autour d’un café…

Nous nous séparons. C’est vrai. C’est déchirant, mais nous ne sommes pas taillés pour nous faire la guerre. Nos deux enfants sont magnifiques,

prometteurs et ils portent en eux tout notre amour. Nous nous sommes aimés et nous n’arriverons pas à nous détester.

Très vite, nous tombons d’accord sur la garde alternée des enfants : « Dimanche, ils sont chez toi puis lundi soir jusqu’au mercredi midi chez moi… » Du bricolage, en somme, adapté à l’âge des enfants et à nos occupations professionnelles respectives.

Quelques semaines plus tard, nous voici enfin devant le juge. De notre plus belle écriture, nous avons couché sur papier tous les détails de la séparation : la garde des enfants, les vacances, la pension alimentaire… Le juge est surpris, in-terloqué ! Fin des années 80 une garde alternée

Bernard et Annick, parents de deux jeunes garçons, se sont séparés dans les années 80. Ils ont tout de suite mis en place un hébergement égalitaire, pour le plus grand étonnement de leur entourage : à l’époque, ce mode de garde était pour le moins marginal.

Bricolage égalitaire avant l’heure

a quelque chose d’inédit, d’autant plus que nos enfants sont très jeunes. Le juge nous demande où sont nos avocats. Nous lui expliquons que nous avons rédigé notre accord ensemble, sans avocat. Que pouvait-il faire d’autre que d’approuver notre choix ? Il fallait tout de même mettre tout cela dans une forme juridique acceptable, ce que nous avons fait. Était-ce avec un avocat, un notaire ? Peu importe finalement, c’était juste pour la forme.

La semaine dernière, nous fêtions un anniversaire en famille avec nos deux fils, leurs amoureuses et nos partenaires de couple actuels. Une fête « recomposée » pleine de rires et de chaleur.

Bernard et Annick

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25Filiatio n°9 – mars / avril 2013

« Valérie s’ennuyait dans les bras de Nicolas… mais Nicolas, celui-là ne le savait pas. Les histoires d’a-, les histoires d’amour finissent mal… en général ! » chantaient les très clairvoyants Rita Mitsouko au milieu des années 1980 (et nous reprenions le refrain en chœur). Nous ne croyions pas si bien chanter. En effet, un mariage sur deux en France se termine par un divorce aujourd’hui et en Belgique, championne toute catégorie pour l’Union Européenne, on arrive à un rapport de trois divorces pour quatre mariages ! Pourtant, si la majorité des belges a connu au moins un échec amoureux dans sa vie, la plupart d’entre nous choisissent de retenter l’aventure avec un autre partenaire. Sommes-nous masochistes ou avons-nous envie de croire à nouveau au bonheur à deux ?

Une sexualité plus fréquente, plus motivée, plus inventive et plus amoureuse

Généralement, dans un couple de longue durée, une certaine monotonie s’installe et l’appétit sexuel diminue. Lorsqu’un nouveau couple se crée, il y a un regain d’énergie qui se traduit par une sexualité plus fréquente. Selon l’enquête IPSOS de la sexologue Marie-Hélène Colson, les couples recomposés ont des rapports sexuels plus fréquents que les autres couples. Cette différence est encore plus frappante chez les couples âgés et chez les plus de 70 ans : ils ont deux fois plus de rapports que les couples de longue durée. Certains n’hésitent pas à parler d’une « deuxième jeunesse sexuelle » qui tient compte des expériences passées, du chemi-nement sexuel de chacun, d’un savoir-faire érotique, d’une meilleure connaissance de son corps et de ses attentes, d’une plus grande franchise. Plus à l’aise et plus expérimentés, ces nouveaux couples ont des rapports plus inventifs, plus ludiques, plus amoureux. Ils accordent davantage d’importance au plaisir de l’autre et aux préliminaires.

Quand le couple ne va plus

Dans le schéma classique, deux personnes tombent amoureuses, s’installent ensemble, mènent à bien des projets à deux : ce n’est qu’ensuite qu’ils deviennent parents. On peut vraiment dire qu’il y a une vie à deux avant l’ar-rivée des enfants, ce qui n’est pas le cas pour

les couples de familles recomposées. On se retrouve parfois du jour au lendemain à quatre, cinq, six, sept. On passe de la sportive au monos-pace… voire au minibus. Ce ne sont pas seule-ment deux personnes qui vont se lier mais deux univers, peuplés d’enfants, d’un ou plusieurs ex, d’un mode de vie et d’habitudes, d’amis, de belles-familles, d’un passé conjugal, de bles-sures d’amour… Et c’est là que le bât blesse.

Nombreux sont les points de discorde : des diver-gences sur l’éducation (chacun reproche à l’autre sa façon d’élever ses enfants et veut imposer sa méthode) à l’absence de projets par peur de l’engagement (chat échaudé craint l’eau froide), en passant par la jalousie de l’un par rapport à la vie antérieure de l’autre ou au temps passé avec ses enfants… Il faut également prendre en compte l’absence d’intimité générée par la présence physique et inévitable de bambins avec lesquels il faut composer (« ils dorment à côté », « ils sont tout le temps là », « il ne sait pas dormir tout seul », « elle est tout le temps collée à son père » : bien sûr, puisque ce sont les enfants !).

Autres possibilités de tensions : la difficulté de s’imposer face à l’ex toujours considéré(e) comme légitime (pour la belle-famille, les enseignants,…), les casseroles de l’ancienne relation : pension alimentaire, enjeux de garde des enfants… Comment continuer à admirer et désirer sexuellement l’homme fort et sûr de lui dont on est amoureuse quand on le voit se faire écraser symboliquement par son ex ? On le sait, les conflits minent l’harmonie de la relation amoureuse quand ils ne mènent pas tout simplement à une nouvelle rupture. Si la communication dans le couple est dé-faillante, il vaut mieux se faire aider par un(e) professionnel(le) : sexologue, thérapeute conju-gal, médiateur familial… En attendant, voici quelques pistes : préservez l’intimité de votre couple en interdisant l’accès à la chambre pa-rentale, en vous réservant des moments à deux sans culpabiliser. En effet, certains parents se sentent coupables de la souffrance que la séparation a causée à leurs enfants et post-posent leur vie de couple à plus tard, « quand ils seront partis », comme s’ils avaient une dette à payer. Sans être exclus de cette histoire, il est important que les enfants ressentent la solidité du couple. Cela leur permet de rester à leur place d’enfant, tout simplement.

Des dysfonctionnements sexuels

Perte de désir, troubles de l’érection et/ou de l’éjaculation, anorgasmie, douleurs, etc. : ces manifestations peuvent être le révélateur de la mésentente conjugale, mais également de problèmes psychologiques personnels (« je n’arrive pas à m’abandonner après avoir vécu avec un manipulateur »…) et d’estime de soi (« je ne suis plus aussi beau que lorsque j’avais vingt ans de moins »). Les dysfonctionnements sexuels peuvent aussi être liés au vieillisse-ment : ménopause, sécheresse vaginale, libido plus paresseuse, difficultés érectiles et / ou éjaculatoire… À ces troubles, les laboratoires pharmaceutiques, flairant le marché porteur, ont développé une panoplie de produits pour permettre aux couples, même âgés, de vivre leur sexualité comme ils l’entendent et c’est très bien ! Cependant, la médication n’est pas la seule et unique ressource pour pallier les troubles sexuels, il y a bien sûr d’autres réponses. À chaque problème, sa solution ! Pour Monsieur Van de Piperseele, opéré d’un cancer de la prostate, un implant pénien sera peut-être la seule solution : mais son voisin, Monsieur Barbidur, ne résoudra ses problèmes éjaculatoires qu’avec une thérapie sexo-cor-porelle et un travail sur lui. Les couples recomposés se retrouvent donc avec des problèmes qu’on ne rencontre pas dans les premières relations. Leur chemin est parsemé d’embûches… et pourtant ! Bien placés pour savoir que le couple d’aujourd’hui est précaire, ils s’inquiètent plus encore de l’avenir. C’est peut-être l’une des raisons qui les poussent à consulter un spécialiste plus sou-vent et plus facilement que les autres couples…

Nathalie MayorSexologue clinicienne

Certificat Universitaire en Sexologie Clinique – [email protected]

SExE AU LOGIS

Sexualité et familles recomposéesLa sexualité des couples de familles recomposées pose des questions physiques et symboliques spécifiques. Nathalie Mayor, sexologue, analyse pour Filiatio les enjeux de ces nouvelles relations.

Si vous voulez vous adresser à un(e) sexo-logue, rendez-vous sur le site de SSUB qui regroupe les sexologues universitaires de Belgique : www.ssub.be

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26 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

La super machine à laver A+++ vient d’être livrée et raccordée. C’est vrai qu’elle est belle. Des économies d’eau et d’électricité en pers-pective. Moins de bruit aussi. Vraiment un bon achat. On lui donnerait même un prénom, à l’en-gin. Choisi en couple sur des critères très ration-nels (c’est un budget, tout de même). L’heure est à l’émotion. C’est alors qu’il s’exclame fiè-rement : « Alors, elle fonctionne comment, cette machine à laver ? » Elle répond, franchement agacée : « Comme une machine à laver, tiens ! ».

Il faut dire que la question étonne. En bientôt six ans de vie commune, il n’a jamais lancé le moindre programme, même pas le tout simple à 40° mix couleurs. Pas sûr qu’il sache dans quel bac on verse le produit lessiviel, comme on dit dans les pubs.

Pourtant, il participe aux tâches ménagères. C’est même l’as de l’aspirateur, des cuvettes de W-C toujours étincelantes et de la sauce tomate, sa fameuse sauce tomate… Une petite histoire très contemporaine, qui sent le vécu, sans doute.

OÙ SEx’ A FAIT MAL

❱ WadjdaWadjda, dix ans, habite dans une banlieue de Riyadh, capitale de l’Arabie Saoudite (où les salles de cinéma sont interdites). Issue d’un milieu conservateur, Wadjda est une fille pleine de vie qui cherche toujours à en faire plus que ce qui lui est permis. Après une bagarre avec son ami Abdullah, elle aperçoit un beau vélo vert à vendre. Elle le veut à tout prix, pour pouvoir battre Abdullah à la course. Mais la mère de Wadjda le lui interdit, redoutant les sanctions d’une société qui conçoit les vélos comme une menace pour la vertu d’une fille. Wadjda décide alors de trouver l’argent par ses propres moyens, déterminée à se battre pour défendre ses rêves. Un film subtil et engagé, résultat d’un pari incroyable quand on connaît la condition féminine dans ce royaume d’islam rigoriste.

Allemagne et Arabie saoudite, 2012Réalisation: Haifaa Al-MansourAvec : Waad Mohamme,d Reem Abdulla,h Abdullrahman, Al Gohani, Ahd Dana, Abdullilah Rehab, Ahmed Mariam Alghamdi1h37Sortie: 6 février 2013

❱ Goodbye MoroccoNée dans la haute bourgeoisie de Tanger, Dounia vit une liaison scandaleuse aux yeux de sa famille marocaine : divorcée d’un notable qui l’empêche de voir son jeune fils, elle vit désormais avec un architecte serbe et gère avec lui un chantier immobilier important. Au fil des travaux de terrassement du chantier, les ouvriers mettent à jour des restes de tombes chrétiennes du IV e siècle. Dounia se lance alors dans un trafic lucratif, espérant gagner très vite de quoi quitter le Maroc avec son fils et son amant. Mais le rêve devient cauchemar quand l’un des ouvriers du chantier, Ali, disparaît, et que la police intervient…

France, 2012Réalisation : Nadir MoknècheScénario : Nadir MoknècheAvec : Lubna Azabal, Rasha Bukvic et Faouzi Bensaïdi1h42 Sortie : 20 février 2013

L’épineuse question du linge

Wadjda, Goodbye Morocco : voici deux films engagés où les femmes s’impliquent dans des rôles qui leurs sont interdits, par la loi ou par le regard de leur société.

CINÉMA

Céline Lefèvre Avec la collaboration de Cinebel

www.cinebel.be

Et pour cause… les statistiques 1 sont claires : la tendance est au progrès en ce qui concerne l’implication des hommes dans les tâches dites domestiques (nettoyage, préparation des re-pas, temps passé avec les enfants…), même si l’écart est encore très important entre les hommes et les femmes. Pourtant, un domaine semble échapper à cette évolution positive : le linge et tout ce qu’il implique (tri des vêtements, lessive, repassage et rangement). En 1992 déjà, Jean-Claude Kaufmann, sociologue de la vie quotidienne, s’intéressait à la question du linge, nous livrant une Trame conjugale 2 très révélatrice des mécanismes à l’œuvre dans la gestion du linge au sein du couple. Depuis, pas beaucoup de changement. Déclarons, tambour battant, que dans le domaine du ménage, le linge est encore l’exception qui confirme la règle.

Céline Lefèvre1 Étude « Genre et emploi du temps », Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, 2009.2 La trame conjugale, Analyse du couple par son linge, Jean-Claude Kaufmann, Nathan, 1992.©

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En tant que praticienne du droit de la famille, je suis régulièrement confrontée à des sépa-rations difficiles, où il faut conseiller et agir au mieux, dans l’intérêt de l’enfant et de ses parents.

Mais comment rassurer un parent quand le lien entre son enfant et lui a été complètement rompu ? Comment l’aider à avoir foi en la justice et le convaincre de ses droits ? Souvent en effet, cette rupture du lien s’est instaurée peu à peu, presque pernicieusement, et le parent concerné finit par se dire que quoi qu’il fasse, il apparaîtra comme le mauvais aux yeux de la Justice…

Si certains parents abandonnent en se disant que leur enfant reviendra vers eux une fois majeur ou en âge de comprendre, nombreux sont ceux qui veulent continuer à assumer leur rôle de père ou de mère, malgré la séparation et sans attendre.

Mille raisons peuvent conduire à la rupture du lien, mais je me concentrerai ici sur ce que l’on nomme habituellement l’« aliénation pa-rentale », qui peut avoir des conséquences désastreuses.

On parle souvent d’un risque d’aliénation paren-tale lorsque l’un des parents prive physiquement ou/et symboliquement son enfant de son autre parent. Parmi les manifestations de l’aliénation parentale 1, un travail de sape peut se mettre en place pour abîmer l’image de l’autre et par-fois, effacer sa présence physique : il peut y avoir non-présentation d’enfant au moment où l’enfant doit changer de parent hébergeant.

Isabelle Scrève est avocate, spécialiste en droit familial. Pour ce numéro de Filiatio, où le lien est abordé de manière transversale, elle soulève la question très débattue de l’aliénation parentale. Il s’agit d’un sujet complexe et d’un concept polémique, nous ne l’ignorons pas. Au-delà des idéologies, ce qui nous intéresse est ce qui se passe concrètement lorsque la relation entre un parent et un enfant est mise à mal par une séparation conflictuelle. Isabelle Scrève témoigne de la réalité d’une praticienne du droit de la famille et délivre un message d’encouragement à des parents, femmes et hommes, qui doivent se battre pour voir leur enfant.

Quand le lien se rompt…

Il ne faut pas laisser perdurer

les choses, en se disant que ça va

se tasser

TRIBUNALITÉS

Dans ces cas-là, il y a une réelle urgence à in-tervenir et à mettre tout en œuvre pour rétablir le contact au plus vite, ne serait-ce que par la mise en place d’un centre « espace-rencontre », permettant à l’enfant de retrouver une place dans les deux cellules parentales.Pour se construire de façon complète, un en-fant a en effet besoin de ses deux parents, même séparés. Ce n’est qu’à ce prix qu’il peut se construire une identité qui lui permettra de grandir et d’avancer dans sa vie d’adulte, et ce même si ces parents ne sont pas « parfaits »…

Or souvent, le parent mis à l’écart ne repré-sente pas de réel danger pour l’enfant mais déplaît simplement à son ancien conjoint, qui peut encore éprouver de la rancœur pour lui et voir dans l’enfant commun un moyen de punir l’autre.

Cela a le plus souvent lieu de façon in-consciente mais à force d’entendre un discours dénigrant vis-à-vis de l’autre parent, l’enfant aura l’impression de ressentir et d’avoir vécu ce qu’on lui explique et être progressivement amené à se distancer de l’autre parent, voire même à le dénigrer ouvertement et ne plus accepter de le voir.

On est donc loin du simple conflit de loyauté où l’enfant se contente de dire à son parent ce que ce dernier espère entendre. Dans le cas de l’aliénation parentale, l’enfant devient acteur de la rupture puisqu’il va progressivement assimiler dans son for intérieur le ressenti, le dénigrement jusqu’à ce qu’il n’ait plus du tout envie de voir son parent et le rejette de sa vie !

Il n’existe malheureusement pas de solution miracle pour éviter ce genre de situation, si ce n’est être diligent lorsqu’il y a non-repré-sentation d’enfant et ne pas laisser perdurer les choses, en se disant que cela va se tasser.

La Justice est bien entendu là pour aider et fait souvent preuve de créativité à cet égard. Elle incite également davantage les conjoints séparés à tenter une médiation pour leur per-mettre de définitivement tourner la page et de décider ensemble d’en écrire une nouvelle, centrée cette fois sur l’intérêt de leur enfant.

Bien sûr, cela peut prendre du temps avant que les choses reviennent à la normale et il est difficile pour un parent de rester là, à attendre de pouvoir héberger à nouveau son enfant. Mais il importe de garder à l’esprit que le parent « victime » est le premier moteur de la reprise de contact, il faut donc qu’il soit proactif et patient.

Son objectif premier doit être de rétablir le lien avant tout, même si cela implique de ne voir son enfant que quelques heures par semaine dans un premier temps. Et ensuite, continuer à se battre et garder confiance coûte que coûte, même dans les pires moments !

Isabelle Scrève 1 Ce sujet sera abordé dans un prochain Filiatio sous l’angle du risque de la banalisation, ndlr.

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Difficile de s’extirper de la peine au moment d’écrire cet article. Pourtant, tourner les pages des histoires que Mario Ramos nous laisse, c’est déjà faire rebondir de la lumière dans nos cœurs chagrinés. Nous chassons d’un revers de la main les signes tristes qui nous sautent aux yeux : images de disparitions, de hauteurs. Nous écrivons au passé et cela nous coûte, car peu de temps s’est écoulé depuis que nous avons appris, un matin, la nouvelle de sa mort. L’enregistrement de notre interview est bien sonore mais restera calfeutré dans sa gangue de plastique noir, nous sommes incapables de l’écouter : le son de la voix brouille la frontière entre hier et aujourd’hui, entre présence et absence, et c’est trop de tristesse. Place à la matière vivante de ses albums.

Attention, chute d’idées géniales

Mario Ramos nous a reçues dans sa maison de Schaerbeek, dans son atelier de lumière, de bois et de volumes. Des étagères dodues débordant de livres, des images au mur, des cartes pos-tales et des reproductions, des gris-gris et du jardin derrière les fenêtres brillantes. La porte en face de son atelier, c’étaient les toilettes. Et dans ces toilettes, il y avait un bloc-notes et quelques stylos à portée de main, au cas où. Au cas où quoi ? me suis-je demandée, intriguée. Réponse de l’artiste amusé par ma curiosité : au cas où une idée tombe sur l’utilisateur des cabinets. L’idée qui choit doit être attrapée au vol, sinon le risque de fuite est grand !

Les idées, racontait-il, m’arrivent en perma-nence. Mario Ramos, capteur, récepteur, trieur, sélectionneur, metteur en scène, passeur. Vie quotidienne et familiale, rencontres : il faut imaginer flottant autour de lui des centaines de minuscules paillettes, histoires en gestation dont quelques-unes deviendront, si elles sont assez endurantes, un livre que nos enfants connaîtront bientôt par cœur, tout comme des milliers d’autres bambins, en Belgique et à travers le monde, de l’Italie jusqu’en Corée.

Mario Ramos a écrit plusieurs best-sellers des albums jeunesse. C’est moi le plus fort, évidemment, l’histoire hilarante de ce loup débordant d’estime de soi, remis à sa place par une « ridicule » petite chose verte et par la maman de cette chose, qui, elle, est la plus forte. Dans l’histoire, le plus fort n’est pas le papa de la chose, et cela a du sens pour Mario Ramos qui n’était pas un homme de stéréo-types. Il a créé des mamans indépendantes, plus grandes que leur mari (Le Roi, sa femme et le petit prince), et des pères affairés qui courent après leur fille pour la flanquer au lit (Au lit,

Petit Monstre ! ). « Dans la famille, il y a certains schémas catégoriques, comme l’homme viril ou la femme à la maison : on le voit dans les pubs ou dans les spots, et je trouve qu’on est en pleine régression ! » déplorait-il. Best-sellers aussi les déclinaisons de C’est moi le plus…, où l’incor-rigible loup se croit le plus malin, le plus beau, et vlan, s’en prend de nouveau plein la figure.

Voir le monde à l’envers

Avec Mario Ramos, en général, les puissants en prenaient pour leur grade. Le Roi est occupé : tout le pays pense qu’il travaille d’arrache-pied, mais en réalité, il lit une BD sur son… trône. Quand j’étais Petit : les adultes rabat-joie d’au-jourd’hui qui ne prennent plus le temps de rêver furent un jour des enfants joyeux et drôles, et non des humains momifiés par leurs obliga-tions sociales et par leur « réussite ». « On ne dit plus « sale bourgeois » : aujourd’hui, tout le monde veut s’enrichir ».

Indigné. C’est un adjectif qui lui convenait bien. « Je tente de rééquilibrer, de faire réfléchir. Dans Le monde à l’envers, j’exprime un malaise, un vertige. C’est ce que l’on ressent quand on ne va pas bien. On voit la même chose, mais d’une autre façon, et du coup ce n’est plus la même chose. J’essaie de réagir contre l’uniformisation de la pensée. »

Sa première réaction fut peut-être tout sim-plement le choix du livre comme support

Mario Ramos était auteur d’albums jeunesse dans lesquels les enfants du monde entier se reconnaissent. À la fois raconteur d’histoires et illustrateur, il mettait son regard « à l’envers » et son humour au service de ses jeunes lecteurs et de leurs parents. Nous l’avons rencontré juste avant sa disparition, au mois de décembre 2012. Une rencontre en images – pour que son œuvre écrabouille la tristesse de sa mort.

Rencontre avec l’auteur et illustrateur belge Mario Ramos

Pour qu’on se fasse un monde

Faire rire et faire réfléchir, ça va

ensemble.

EN LISANT

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29Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Pour qu’on se fasse un monde

d’expression. « C’est important de démonter ce que l’on voit à la télévision, ce qui est omnipré-sent. Le livre offre une autre réflexion, à un autre rythme. Contrairement à l’audiovisuel, devant le-quel on est passif et qui est addictif, le livre rend le lecteur actif. » Faire travailler l’imagination des enfants : il y parvenait en laissant les images ouvertes. « On occupe trop les enfants, on leur donne des jouets trop perfectionnés. Quand je fais un livre, j’essaie de ne pas tout dessiner, pour qu’on se fasse un monde. »

Choix du livre, mais aussi des enfants comme lecteurs. « On dit aux enfants de ne pas mentir, mais tout le monde ment ! S’ils regardent la télévi-sion, ils assistent en permanence aux mensonges des adultes. » Les enfants peuvent encore prendre les informations à contre-courant. « Les adultes sont peut être plus forts pour lire le texte, mais les enfants sont plus forts pour lire les dessins ! ». Pour les meilleurs lecteurs de ses dessins, qui ont bien compris qu’un album est fait pour être lu et relu dans des sens différents, il glisse des détails qui ne leur échappent pas : des oiseaux complices, des monstres malins… « Les personnages d’ani-maux permettent d’aller très loin, pour ce qu’ils expriment et ce que l’on peut faire passer, avec distance et humour. Faire rire et faire réfléchir, ça va ensemble. » Plus parlant en effet d’évoquer le racisme avec des loups et des cochons qu’avec des écoliers humains, dans Un monde de co-chons. Mais encore une fois, les stéréotypes prennent l’eau : ici, c’est le loup que les cochons pourchassent…

« On a tous été enfant, et on a tous ce souvenir du moment où tout est possible. Quand on est grand, ça s’accélère, on a moins de temps. » Grâce à ses livres, nous retrouvons du temps, et une certaine idée des possibles.

Sabine Panet

Tout au long de l’année, en hommage à l’œuvre de Mario Ramos, nous présente-rons des albums piochés dans nos biblio-thèques lorsque nos enfants dormaient (sinon gare à nous, car ils y tiennent beau-coup !). Dans ce numéro, trois titres intem-porels qui nous tiennent à cœur.

Parce qu’il faut choisir. Et parce qu’un invariant suppose des variations… voici trois albums de Mario Ramos très différents qui abordent, chacun à leur manière, les thèmes du sentiment d’exclusion et de différence. Un souriceau mal dans sa peau, un mouton en quête d’identité et un singe trop turbulent. Des histoires en perspective, de haut en bas, de long en large !

Dans Le Monde à l’envers, Rémi, le souriceau, se sent différent, incompris. Mal, tout sim-plement. Il voit tout à l’envers et le lecteur aussi. Rémi s’en va loin parce que, quelque part sur la terre, il y a sûrement des gens qui lui ressemblent. Un long voyage plein d’aven-tures qui prend sens lorsqu’il rencontre un improbable fakir, tête en bas, comme lui… c’est alors que son monde bascule. Pour de bon, dirait-on, et dans le bon sens. En poirier, à fond dans la « vraie vie », Rémi trouve alors sa place parmi ses pairs. Le premier album jeunesse de Mario Ramos donnait le ton : Le monde à l’envers permet au lecteur, jeune ou moins jeune, de s’identifier à Rémi. Parce qu’on est tous un peu différents, à un moment ou à un autre, d’une manière ou d’une autre. On retrouve cette idée de quête initiatique dans d’autres albums, comme Le loup qui voulait être un mouton. « Petit Loup rêve de sortir du bois et de s’élever dans le ciel »… Mais les choses dont on rêve ne sont pas toujours comme on les imagine. Petit Loup finit par regagner la terre ferme et se dit : « Bien sûr que je suis un loup. Mais pas n’importe quel loup ! Moi, j’ai touché les nuages ! » « C’est en se confrontant aux autres qu’on existe » disait Mario Ramos.

En lisant Arrête de faire le singe, à condition de terminer l’album, on se sent tout d’un coup plus léger, comme délesté du poids souvent lourd du regard parental. À la lecture de ce livre, les parents devraient se remettre sérieusement

en question. Arrête de faire le singe est écrit à la première personne et cela renforce le propos, tout comme le mode impératif utilisé par les parents : « Arrête de faire le singe ! Tu es fatiguant. Tu vas finir par avoir un accident ! » disaient mes parents. » Comment ne pas s’y retrouver ? Ici encore, il est question de voyage et d’aven-tures. Métaphore de la vie, toute en finesse. Notre singe turbulent finit par trouver sa voie comme trapéziste dans un cirque qui, un jour, passe dans sa ville natale :

« J’ai envoyé une invitation à mes parents. Ils sont venus voir le spectacle. « Arrête de faire le singe ! » a dit mon père. « Ça va mal se terminer ! » a dit ma mère. « Chut ! Silence ! » disaient les spec-tateurs. La soirée s’est terminée en triomphe. Le public s’est levé pour applaudir et crier : « Bravo, Bravo, Bravo ! » Mes parents aussi se sont levés, très fiers, en disant : « Merci, merci beaucoup ! C’est notre enfant ! »

Pour Mario Ramos, il y a deux manières de voir le monde. « C’est tartine de miel ou tartine de Nutella » nous avait-il confié. En lisant ces trois albums, on y repense et on essaie de décrypter notre petit univers autrement. Avec Rémi et les autres. Parce que, comme le chantait Allain Leprest : « Toutes les tartines du monde entier tombent toujours du mauvais côté. »

Céline Lefèvre

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30 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

pour les pitchouns

Les souliers écarlatesGaël Aymon, Illustré par Nancy RibardTalents Hauts

Un conte autour d e s v i o len ce s conjugales pro-posé par Talents Hauts, une mai-son d’édition que nous affection-nons. « Un seigneur avait épousé une jeune fi l le telle qu’il l’avait souhai-tée : aussi belle qu’il était grand, aussi

fragile qu’il était fort. » Plus la jeune fille est fragile, plus le seigneur se sent fort. Il se met donc à la malmener, de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle se transforme en une véritable poupée. Mais elle a un secret : ses souliers écarlates… Le silence de l’entourage, qui se satisfait d’ex-plications évasives ; le processus de destruc-tion physique et psychologique ; l’évasion par l’inconscient, et le réveil, la prise de conscience de sa valeur : toutes ces étapes sont décrites de manière poétique, parfois dure, par la plume puissante de Gaël Aymon, mais les contes sont durs ! Notre époque, souvent, les aseptise, mais cela ne trompe pas les enfants. Le trait délicat de Nancy Ribard, le choix des couleurs, enchevêtrent l’histoire dans un lacis d’émo-tions guidées – et heureusement, délivrées, comme dans les contes.

Chacun sa cabaneMathis Thierry Magnier

Mathis, on l’aime pour Boris – ce petit ours aussi attachant que sa mauvaise foi est crasse – et aussi pour ses textes, toujours justes. Chacun sa cabane est ainsi : il sonne juste. C’est l’his-toire de Clément, un jeune garçon

que ses parents, séparés, accueillent en al-ternance une semaine sur deux et se disputent tout le temps. Leur dernier conflit : les vacances d’été. Personne n’est d’accord sur les dates,

et Clément, qui se sent écrasé par la respon-sabilité du « choix », décide de s’en aller, de s’enfuir. Il atterrit chez son grand-père, un bonhomme un peu bourru qu’il ne connaît pas très bien. Extrait :« Le train démarre et le cœur de Clément s’em-balle dans sa poitrine. Il serre contre lui son sac à dos et regarde les façades des maisons et des immeubles défiler de plus en plus vite. Il se demande qui sont tous ces gens qui ha-bitent là. S’ils sont mariés. S’ils sont heureux. Petit à petit, les maisons laissent la place à des prés, des champs et des forêts. Le bruit et les mouvements du wagon le bercent, mais pas question de s’endormir. Il ne veut pas ra-ter son arrêt. Le contrôleur passe et Clément lui tend son billet qu’il gardait dans sa main gauche. L’espace d’un instant, il soupçonne le contrôleur de lire en lui comme dans un livre ouvert. Mais l’homme poinçonne le billet, lui rend et lui souhaite un bon voyage. »

pour les ados

Ronya fille de brigandAstrid LindgrenLe Livre de Poche

R o n y a , c ’ e s t l a c h r o n i q u e post-vacances de Noël, la chronique d e s é t a g è r e s poussiéreuses de souvenirs. Je m’explique. À Noël, on passe parfois un moment en famille, à baigner dans une atmos-phère de nostal-

gie, mâtinée d’un besoin d’oxygène proportion-nel au temps passé à baigner. Pour ma part, ce besoin d’oxygène m’a poussée à chercher, compulsivement, les mêmes issues de se-cours qu’à l’époque où je m’estimais « coincée là ». J’ai donc farfouillé dans les étagères du cellier et j’ai attrapé (froid) : Ronya. Juste à ce moment-là, un rayon de soleil a caressé la couverture de mon vieux livre de poche racorni et les oiseaux se sont mis à pépier tout autour de la maison. Ronya ! Ronya est une fille de brigand. Son père, Mattis, fait peur aux voyageurs et les détrousse sans vergogne – mais Mattis le bourru gazouille d’amour devant sa petite fille chérie. Et ainsi, Ronya grandit, entourée par l’affection de Mattis et de sa tendre mère, Lovise, dans un château perché en haut d’une montagne magique. Un jour, Ronya arrive à l’âge d’aller se promener dans la forêt de Mattis. Tout ce qu’elle doit craindre, ce sont les elfes malé-fiques, les nains gris et les pataudgrins. Mais

voilà : Roka, l’ennemi juré de Mattis, a un fils, Rik. Un jour, Ronya et Rik se croisent : ils s’in-jurient et se lancent des défis insensés ! Et puis… ils font connaissance. Et se lient. C’est le début d’un récit magnifique, poétique et terrible, raconté avec la plume tendre, drôle et terrible d’Astrid Lindgren à qui, on ne le dira jamais assez, on doit aussi Fifi Brindacier, Zozo la Tornade et moult autres merveilles. Ronya, me suis-je donc promis, je la garde sous le coude pour ma fille dans quelques années. C’est une grande histoire de famille, d’amour, d’amitié et d’elfes maléfiques.

plus jamais sans elle Mikaël OllivierLe Seuil

Alan n’a jamais connu sa mère – en revanche, ça fait bientôt dix-huit ans qu’il vit avec son père, et il se doute bien qu’il a dû, à un moment, se pas-ser quelque chose entre ses parents pour qu’il finisse par voir le jour. Mais son père a

toujours éludé la question, et Alan n’en peut plus. Enfin, lorsque son père lui demande ce qu’il veut pour sa majorité, Alan lui répond : « Ma mère. Je veux ma mère pour mes dix-huit ans. » Demande assez légitime. À travers l’alternance de points de vue dans la narration, on comprend assez vite que cette femme, Ellen, ne vit pas une existence tout à fait paisible. Elle change de pays tous les quatre matins, est armée, fait du karaté, boit des bières et collectionne les amants. Espionne ? Agent secret ? Ça sent l’embrouille. Alan ne le sait pas encore, mais lorsqu’il dé-barque dans la vie d’Ellen, son existence va prendre un tour sacrément rocambolesque… Résultat : un mélange assez rock’n’roll d’adré-naline et de secrets de famille.

EN LISANT

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31Filiatio n°9 – mars / avril 2013

Romans

L’homme qui m’aimait tout baset

Questions à mon pèreEric Fottorino Folio

« Longtemps je me suis interdit d’aimer deux pères à la fois… ». Ces deux romans, recommandés par Édith Golbeter-Merinfeld (interview en page 5), nous ont bouleversés. Éric Fottorino, directeur du journal Le Monde, y raconte ses pères. Son père adoptif, tout d’abord, dans L’homme qui m’aimait tout bas (Grand Prix des lectrices de ELLE 2010) : Michel Fottorino, l’homme qui l’a choisi, qui l’a reconnu, lui a fait porter son nom et lui a donné tout son amour. Et puis son père biologique, dans Questions à mon père. Un homme appelé Maurice Maman, qui a eu le mal-heur d’être né juif marocain, amoureux d’une jeune fille de 17 ans : elle est tombée enceinte. C’était la mère d’Éric Fottorino. Les familles du jeune couple ont tout tenté pour les séparer. À la faveur d’un emprisonnement arbitraire de Maurice, dont les titres de séjour venaient d’expirer, la famille de la jeune fille a enlevé le bébé qui venait de naître pour le faire élever en nourrice… Des histoires bouleversantes, magnifiquement écrites, infiniment délicates.

Lee, histoire d’une adoptionItalia GaetaCouleur livres – Collection Je

À 36 ans, Ida, célibataire festive, drôle et pleine d’imagination se prépare à adopter une pe-tite fille chinoise. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la famille d’origine napolitaine où les stéréotypes ne manquent pas. Pourquoi pas un enfant noir, tant qu’on y est ? La chambre de la petite, c’est en jaune qu’il faudra la peindre ! Les plaisanteries vont bon train et c’est dans un contexte familial plein de tensions, mais aussi d’amour, qu’Ida chemine vers sa maternité tant attendue. Les entraves administratives ne se font pas attendre. Adopter lorsqu’on est célibataire n’est pas chose aisée. Au-delà de la question de l’adoption, Italia Gaeta nous fait partager un univers familial plein de poésie en

revisitant les relations entre les générations. Les références à la chanson française et ita-lienne ponctuent le récit. Un roman bourré d’un humour bien dosé, subtil et sensible.

Essais

paternités ImposéesMary PlardÉditions Les Liens qui Libèrent

« Un sujet tabou », annonce le sous-titre étalé en man-chette : celui des hommes devenus pères contre leur gré. Et pour trai-ter ce sujet tabou, une avocate en-gagée. Mary Plard, auteure de ce livre et professionnelle du droit de la fa-mille en France,

se définit comme féministe. Elle le répète constamment tout au long de l’ouvrage parce que, selon elle, c’est un élément important de sa légitimité à parler de ces hommes et de leurs histoires. Mary Plard pose la question du choix, en rappelant avec fierté que les femmes ont de haute lutte obtenu le droit de maîtriser leur corps et de décider de leurs maternités. Mais « si la femme tombe enceinte, les deux n’ont plus du tout les mêmes cartes en main : la femme a la possibilité de garder l’enfant, de prendre la pilule du lendemain, d’avorter, voire même d’abandonner son enfant en accouchant sous X. L’homme, face à cela, ne peut rien. Et personne ne s’est jamais interrogé sur sa place », explique Mary Plard (Madame Figaro, 14 janvier 2013). Elle préfère ne pas parler d’inégalité mais de « vide juridique ». Les histoires des hommes qui sont venus demander son aide permettent de resituer l’enjeu de ces « paternités imposées » dans leur contexte, complexe et irréductible à l’assomption habituelle « ils n’avaient qu’à faire attention », ou « ce sont des irresponsables et ce qui leur arrive est bien fait ». En réalité les choses sont plus compliquées, le poids écrasant de la morale est écrasant, et les détresses des acteurs de ces tristes pièces, père-géniteur, mère, enfant, sont bien réelles. Si l’auteure, provocante, demande à la société de se poser la question de la « paternité sous X », question d’actualité en France où des voix s’élèvent pour remettre en question l’accouchement sous X, ainsi qu’en Belgique où des propositions parle-mentaires à ce sujet sont en cours, ce livre est avant tout une invitation à la réflexion juridique, bioéthique et humaine, autour du consentement et de la liberté. Et il se lit comme un roman.

Tout se joue à la maternelle Anne et Marine RambachThierry Magnier

Sur l’air de « Tout se joue avant six ans », Tout se joue à la maternelle est un essai passion-nant. Bien écrit (parfois même franchement drôle), précisé-ment documen-té (et pas trop), vivant, politique, engagé. Les au-teures partent d’un postulat va-

lable en France et en Belgique : la maternelle, tous nos enfants y vont (entre 95 % et 98 %). Elle est une exception qu’on nous envie, en Europe et dans le monde. Or elle reste une énigme. Qu’y apprend-on ? Pourquoi fait-elle l’objet de tensions et de vifs débats ? Est-elle en danger ? L’école maternelle, rappellent les auteures, est un enjeu pour l’égalité entre classes sociales ainsi que pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis sa créa-tion, elle tente un équilibre délicat entre deux conceptions de sa mission : une conception qui veut que « l’école s’inscrive le plus fortement possible dans la continuité du système scolaire » (en gros : former des futurs travailleurs), et une autre « qui voudrait préserver au mieux les particularités du petit âge » (en gros : former des futurs citoyens). Anne et Marine Rambach développent différents thèmes essentiels : apprentissages, âge de rentrée en maternelle, rapport avec les parents, formation des ensei-gnants, problèmes entraînés par la « culture du résultat » pour des enfants de moins de 6 ans, compétences contre connaissances, surpopu-lation dans les classes… Cependant, les diffi-cultés que rencontre la maternelle ne doivent pas faire oublier qu’elle est un formidable outil d’intégration et de socialisation, sans compter les bénéfices à long terme pour l’ensemble du pays que représente une efficace politique d’éducation. Au final, Tout se joue à la mater-nelle est un convainquant plaidoyer pour un engagement politique en faveur d’une réforme profonde de l’enseignement en maternelle et qui pourrait bien inspirer les politiques belges, à tous les niveaux de pouvoir. Car « l’idéal de justice sociale que l’école maternelle revendique n’est pas encore une réalité ».

Sabine Panet

Céline Lefèvrepour « Lee, histoire d’une adoption »

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32 Filiatio n°9 – mars / avril 2013

LA pLANChE DE FRÉDÉRIC jANNIN – MILLE ExCUSES

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