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Karine DESCOINGS
FANTASMA DAMORE QUAND LA BIEN-AIMEE VIENT HANTER SON POETE
(ANTIQUITE ET RENAISSANCE)
Au premier abord, proposer une tude qui traiterait de la
phantasia, concept philosophique grec, chez des potes latins et
no-latins relevait de la gageure. Comment en effet dbusquer les
traces de cette ide, dont les traductions apparaissent dj
particulirement fluctuantes en latin classique, notamment sous la
plume de Cicron ou plus tard sous celle dAugustin, chez des auteurs
a priori trangers la langue thorique ? Si le terme grec phantasia
peut se trouver chez Cicron, traducteur des philosophes grecs, ou
chez Quintilien, propos du travail des crivains, le terme grec na
pas sa place dans les crits des potes. Il sagit donc ici de
poursuivre les traces de [Ph]antasia chez les ploucs, pour
paraphraser le titre franais du roman de Charles Williams paru en
1956. Cest donc uniquement partir des traductions, essentiellement
imago ou simulacrum, que nous essaierons dlaborer des hypothses, ou
en isolant un motif particulier, celui de lapparition fantasmatique
et obsessionnelle de laime chez le pote amoureux. Nous tenterons
ainsi de montrer comment une exprience tout fait ordinaire chez les
amoureux, celle de lhallucination cause par lattachement permanent
des penses laim(e), a pu tre explique et thorise par la
philosophie, puis reprise, avec des variations, par la posie. Il
nous appartiendra de faire apparatre que ces liens entre les deux
domaines ne sont pas quune vue de lesprit ; nous suivrons pour cela
lexemple de Pnlope, qui, du reste, a linsigne honneur dtre la
premire amoureuse de la littrature voir apparatre en songe lhomme
quelle aime1 : nous tisserons ces deux trames qui sentrelacent
nombre dendroits et se nouent notamment chez un auteur, entre
lAntiquit et la Renaissance, Franois Ptrarque. Nous commencerons
donc notre analyse par une tude de la phantasia dans la pense
philosophique antique grco-latine, de Platon aux picuriens, en
passant par Aristote. Notre analyse sera centre sur les
dysfonctionnements de cette facult, plus prcisment sur les moments
o celle-ci tourne vide , c'est--dire quand elle produit des images
en labsence de stimulation des sens, dans les rves notamment, ou
quand elle fait surgir des images diffrentes des donnes que les
sens lui proposent, en particulier lorsque le psychisme est altr
par les passions. Nous nous intresserons ensuite plus
particulirement au motif du rve, et du rve amoureux, dans la posie
rotique antique. Au terme de cette premire partie, consacre
lAntiquit, nous tudierons la rception des doctrines philosophiques
sur la phantasia dans la philosophie de lAntiquit tardive et du
Moyen-ge. Enfin, nous tudierons le motif particulier de
lhallucination amoureuse, largement amplifi et illustr par
Ptrarque, en essayant de dterminer si des lments de doctrine
philosophique ont infiltr la posie no-latine.
1 Homre, Odysse, XX, 87-90.
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LA PHANTASIA ET SES ILLUSIONS DANS LA PHILOSOPHIE ANTIQUE
Ambiguts dun terme La traduction du terme grec phantasia a pos
problme aux Romains et se rvle pareillement problmatique pour les
Modernes. J. Pigeaud, dans un excellent article synthtique sur la
question2, propose de traduire ce mot par lquivalent franais
apparition3 . De notre ct, afin dviter les confusions avec le motif
qui fait lobjet de cette tude, nous conserverons gnralement le
terme grec en italique dans notre texte, ou nous le traduirons par
le terme franais fantaisie , malgr lacception diffrente quil a
prise aujourdhui. En effet, nous considrons que notre tude ne
laisse pas de place lambigut concernant le sens spcialis que nous
donnons ce terme. Platon voque assez peu la phantasia dans ses
crits, mme sil recourt largement au verbe courant phainomai,
apparatre, sembler , ou ses drivs adjectivaux. La phantasia est
cependant voque dans le Sophiste, o elle est rattache la fois la
sensation (aisthsis) dont elle provient4, et lopinion (doxa) quelle
peut contribuer former. Ce double lien fait immdiatement peser la
suspicion sur cette facult de lesprit : il est donc invitable que,
parentes du discours, elles soient, quelques-unes et quelquefois,
fausses (pseud5) . Cette suspicion stendra dautant plus rapidement
que le philosophe oppose lart de la copie (eikastik) absolument
fidle au modle, au point de renoncer employer les artifices qui
permettront lillusion optique et la croyance la conformit du modle
lart du simulacre (phantastik), lart par excellence du sophiste,
qui imite le sage sans possder cependant nul savoir. Aristote est
la fois plus disert et plus modr envers la phantasia. Il lui
consacre de longs dveloppements, notamment dans le livre III du De
anima. Rappelant le lien tymologique entre la phantasia et la
lumire (phas6), il explique que cette dernire est, en effet, la
condition de lexercice du sens principal, la vue ; cest la raison
pour laquelle on a driv de son nom celui de la facult qui permet de
former des images mentales. Aristote en propose la dfinition
suivante : il sagit dun mouvement produit par la sensation en acte7
. Il tente de cerner plus prcisment la spcificit de cet lment qui
nonce, [qui] pense aussi et [qui] sent8 et qui pourtant nest ni
sensation quoiquil en dpende souvent ni opinion ou pense quoiquil
puisse y conduire. Comme la lumire, qui se rvle la fois elle-mme et
tous les objets qui sont autour delle, la phantasia, en mme temps
quelle apparat, fait apparatre lobjet qui la cause. Nimporte quel
objet visible dans la lumire est en quelque sorte capable
dimpressionner nos sens dabord cest la sensation puis
dimpressionner, par le mouvement dclench, notre esprit. Aristote
propose la comparaison suivante pour expliquer le phnomne : le
stimulus agit comme ceux qui
2 J. Pigeaud, Voir, imaginer, rver, tre fou. Quelques remarques
sur lhallucination et lillusion dans la philosophie stocienne,
picurienne, sceptique, et la mdecine antique , Littrature, Mdecine,
Socit, 5, Fantasmes-Folie, 1983, p. 23-53. Pour une histoire
complte du concept de phantasia dans lAntiquit, chez les
philosophes puis chez les rhteurs, voir M. Armisen-Marchetti, La
notion dimagination chez les Anciens, I. les philosophes , Pallas,
26, 1979, p. 11-51 et La notion dimagination chez les Anciens, II.
La rhtorique , Pallas, 27, 1980, p. 3-37. 3 Ibidem, p. 23. 4
Platon, Sophiste, 264a. Sauf indication contraire, les textes cits
sont ceux de la collection des Universits de France, aux ditions
Belles Lettres, et les traductions sont galement celles de cette
collection. 5 Ibidem, 264b. 6 Aristote, De anima, III, 3, 429a. 7
Ibidem. 8 Ibidem, III, 2, 426b.
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cachtent avec un anneau9 , afin que se forme une image mentale.
Aristote appelle cette image mentale le phantasma, mais reprend
parfois aussi le nom gnral de la facult. La phantasia est donc,
chez Aristote, linterface entre le sensible et lintelligible. Les
thories stociennes et picuriennes sont en grande partie semblables,
pour les principes fondamentaux, la thorie dAristote, mme si la
thorie stocienne sest davantage consacre la recherche dun critre de
vrit pour distinguer les images mentales vraies des images mentales
fausses, tandis que la thorie picurienne, considrant que toutes les
sensations sont vraies, ont ajout entre les objets et nos sens un
intermdiaire, leidlon, une pellicule atomique que dgagent les
objets et qui vient impressionner nos sens pour crer les
phantasiai10. En consquence, la phantasia remplit un rle crucial
dans lesprit humain, puisque cest partir du donn sensible et des
reprsentations qui se forment dans notre esprit que souvent nous
jugeons, que nous rflchissons, que nous connaissons, que nous
agissons. Or, Aristote, sil souligne demble quil est impossible de
penser (noein) sans images mentales (phantasmata11), constate
ailleurs que la phantasia est aussi bien trompeuse (pseuds) , alors
que les sensations sont toujours vraies12 , comme la science et
lintellection. Cest donc son niveau que sintroduisent les erreurs.
Lpicurien Lucrce sinscrit dans les traces du philosophe grec en
crivant que la plupart des erreurs sont dues aux jugements que
lesprit porte spontanment sur les faits, nous faisant voir ce quen
ralit nont pas vu nos sens. Car rien nest plus ardu que de
distinguer la vrit des hypothses que notre esprit y ajoute de son
propre fonds13. Cest en effet plus particulirement dans la
phantasia, pour Aristote, que senracinent les erreurs. Elles ont
deux causes principales : premirement, lesprit peut tre obscurci
par un tat physiologique altr maladie, ivresse ou par une passion
et est ainsi entran porter un jugement faux sur le donn des sens ;
deuximement la phantasia peut tourner vide , c'est--dire produire
des images sans stimulation sensible, comme dans le cas du rve. Les
Stociens ont donc propos dtablir une distinction supplmentaire en
appelant phantastikon la traction vide de la phantasia, qui produit
des images sans objet source, sans exprience sensorielle (le
phantaston), quils appellent alors phantasmata, des hallucinations
, labores partir de fragments dautres phantasiai conserves dans les
vastes hangars de la mmoire14. Ainsi, nous sommes capables de nous
reprsenter une sirne en soudant un torse de femme une queue de
poisson alors mme que nous nen avons jamais vu dans la ralit. Cette
distinction a permis de dlimiter un domaine pour limagination
cratrice (le phantastikon) capable de forger des reprsentations ou
des situations qui nont pas de fondement dans lexprience. La mmoire
joue alors un rle 9 Aristore, Parua naturalia, De la mmoire et de
la rminiscence , 450a. 10 Cf. J. Pigeaud, Voir, imaginer , p. 35.
11 Ibidem, 449b. 12 Aristote, De anima, III, 3, 428a. 13 Lucrce, De
rerum natura, IV, 464-468. 14 Sur ces distinctions labores par
Chrysippe et sur la qute dun critre de vrit pour distinguer
phantasiai et phantasmata, ainsi que les illusions et les
hallucinations, chez les Stociens puis les Sceptiques, voir
larticle cit de J. Pigeaud, Voir, imaginer , p. 25-35. On lira
aussi avec profit louvrage de C. Lvy, Les Scepticismes, Paris, Puf,
2008, qui expose avec une grande clart les dbats entre coles
philosophiques autour du critre de vrit des reprsentations, p. 37
puis 40 et suivantes. Dans notre tude, nous nentrerons pas dans le
dtail des doctrines et nous nous contenterons dtudier non pas les
illusions, cest--dire les interprtations fausses des donnes
sensibles, mais les hallucinations, cest--dire, la vision mentale
dobjets sans correspondants dans le monde sensible (les phantasmata
en termes stociens). Nous nentrerons pas non plus dans le dtail du
critre de vrit, puisque la plupart du temps les potes sont
parfaitement conscients dtre victimes dhallucinations.
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essentiel : elle est le lieu o sont conserves les reprsentations
mentales labores partir dobjets sources. Nous pouvons alors les
reconvoquer loisir grce au procd de la rminiscence, en leur
absence, grce limpression quils y ont laisse. Il est mme possible
de recombiner les phantasiai pour crer des phantasmata, des images
sans correspondance dans la ralit et en labsence de tout objet
source sensible. Nombre de philosophes, en particulier chez les
Stociens et chez les picuriens, considrent que ce qui distingue la
phantasia du phantasma, cest lenargeia15 (euidentia en latin), la
clart et la nettet de limage qui simpose avec une vidence absolue
dans le cas de la phantasia, lactualit de la phantasia provenant
dun objet rel par rapport celle provenant dun objet irrel.
Cependant les Sceptiques battront en brche ce critre, comme le
montre notamment la discussion entre Znon et Arcsilas dans le
Lucullus de Cicron. Quand les Romains recueillent lhritage
philosophique grec, le rapport originel du terme la lumire disparat
compltement des quivalents proposs. Cicron a traduit phantasia par
uisum dans les Acadmiques16, chose vue , reprsentation , mais il
utilise aussi uisio ou imago. Le pote picurien Lucrce ne mentionne
pas la phantasia mais seulement les simulacra, qui correspondent
aux eidla picuriens, ces pellicules atomiques trs fines dgages par
les objets qui frappent nos sens pour produire une image (imago)
dans notre esprit. Par la suite, Quintilien propose la traduction
uisio pour phantasia. Il lui donne nanmoins un sens bien diffrent
de celui des Grecs pour qui la phantasia tait lie un objet prsent,
puisquil la lie plutt au phantastikon, limagination capable de
former des images et dprouver des sensations en labsence mme de
stimulation sensible et dexprience ; cest une reprsentation en
absence . Il confre cependant ces uisiones produites par la mmoire
(parfois uniquement livresques) et donc plus proches des
phantasmata grecs, une forme denargeia/euidentia qui caractrisait
normalement les phantasiai suscites par des objets rels ; elles se
rvlent en effet capables de stimuler la uisio (ou le phantastikon)
des lecteurs/auditeurs et sont donc considres positivement par le
rhteur17. Enfin, le terme imaginatio date galement du latin imprial
; il est particulirement utilis ensuite par Augustin qui le lie la
phantasia. Ce nest pas encore une facult, mais le rsultat dune
sensation, limage forme dans lesprit. Pour conclure cette premire
approche du terme, il est intressant de voir que, ds lAntiquit, la
phantasia permet de distinguer deux formes de vision , lune
sensible, qui passe par lil, lautre intelligible, fruit dune sorte
dil intrieur, ne souvent dune premire impression sensible, mais qui
sen est progressivement dgage. Rle de la phantasia dans la passion
et dans le rve amoureux La stimulation particulire de la phantasia
dans ltat amoureux, ou plus largement, les spcificits de la
relation entretenue par les amants avec les images mentales de leur
bien-aim(e) na pas manqu dchapper aux philosophes. Platon, le
premier, dans le Phdre18
15 Cf. J. Pigeaud, Voir, imaginer , p. 35-41 et P. Galand, Les
yeux de lloquence. Potiques humanistes de lvidence, Orlans,
Paradigme, 1995, p. 123 16 Cicron, Acadmiques, I, 40. 17 Cf. P.
Galand, Les yeux de lloquence, p. 124-125. 18 Platon, Phdre, 250 d
:
Cest elle [la Beaut] encore, aprs notre retour ici-bas, que nous
saisissons par le plus clair de nos sens, brillant elle-mme de la
plus intense clart. La vue, en effet, est la plus aigu des
perceptions qui nous viennent par lentremise du corps, mais elle
natteint pas la pense pure. Celle-ci susciterait dincroyables
amours, si elle donnait delle-mme une image (eidlon) aussi claire
(enarges) que celle de la
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puis dans Le Banquet a mis en exergue le rle fondamental du sens
de la vue dans le choix de lamant en qute de beaut pour enfanter et
procrer dans le beau (206 e) afin de satisfaire le plus pressant de
ses dsirs, celui de limmortalit. Si la plupart commence par
sattacher la beaut physique, celle des beaux corps, les plus sages
seront bien vite amens dpasser ces apparences sensibles pour
chercher la beaut intelligible, celle des formes, contemples par
lme avant de sincarner19. Elle leur permettra d enfante[r] de beaux
discours sans nombre, magnifiques, des penses qui natront dans llan
gnreux de lamour du savoir, jusqu ce quenfin, affermi[s] et
grandi[s], il[s] porte[nt] les yeux vers une science unique, celle
de la beaut20. En contemplant cette beaut pure, guid par lAmour, le
sage se dtachera alors des simulacres (eidla) pour atteindre la
vertu vritable de celui qui sattache la vrit. Au long de ce
parcours idal, Diotime ne manque pas de mentionner en passant les
manifestations les plus courantes du comportement amoureux,
notamment celles rattaches ce sens primordial de la vue, quelle
soit tourne vers lextrieur et les apparences sensibles, ou vers
lintrieur et les formes intelligibles. Sadressant Socrate, elle lui
dit notamment : Si tu vois [cette beaut absolue] un jour, elle te
paratra sans rapport avec la richesse et la parure, avec les beaux
enfants et les jeunes gens dont la vue te trouble prsent et te fait
accepter, toi et bien dautres, pourvu que vous voyiez vos bien-aims
et ne cessiez dtre en leur compagnie, de ne manger ni de boire, si
la chose est possible, et de ne plus rien faire que les regarder et
rester prs deux. [] Crois-tu que la vie dun homme soit banale,
quand il a les yeux fixs l-haut, contemple cette beaut par le moyen
quil faut, et vit en union avec elle21 ? Le champ lexical de la vue
est extrmement dvelopp dans les deux traits : si lon ne peut pas
encore parler dhallucination amoureuse, puisquil y a bien prsence
relle de laim contempl avec les yeux sensibles, nanmoins, cette
contemplation sensible se prolonge souvent aprs la sparation dans
la pense : en effet, selon moi, par le contact avec la beaut, par
sa prsence assidue auprs delle, il enfante ce quil portait en lui
depuis longtemps, il le procre ; prsent ou absent, sa pense revient
vers cet tre, et il nourrit en commun avec lui ce quil a procr22.
Le terme phantasia et ses drivs ninterviennent cependant pas dans
le texte du Banquet, si ce nest quon trouve une occurrence du verbe
phantasmai (211a) pour dsigner la forme dapparition de la beaut
intelligible lindividu. Nanmoins, dans le Phdre, deux reprises
(251a et 252b), le philosophe emploie le terme agalma, la statue ,
pour dsigner limage intrieure de laim que se constitue lamant et
laquelle il rend hommage. Aristote, comme la plupart de ses
successeurs, fait des affections lune des premires causes des
perturbations du fonctionnement de la phantasia ; lamour y figure
en bonne place et le philosophe explique ainsi le phnomne courant
des hallucinations visuelles qui surgissent pendant ltat de veille
: que soit admis un seul point, que nos dclarations rendent vident,
savoir que, quand lobjet extrieur a disparu, les sensations
demeurent sensibles, quen outre nous nous trompons facilement au
sujet des sensations, plongs que nous sommes dans nos affections
(pathsin), les uns et les autres diversement, par exemple le lche
dans sa frayeur, lamoureux dans son amour ; par suite, lun croit
voir (dokein orn) des ennemis la suite dune petite ressemblance et
lautre, lobjet aim ; et la moindre
Beaut, et qui toucht la vue et il en serait de mme de tous les
objets dignes de notre amour. Or la Beaut a le privilge dtre ce
quil y a de plus clatant au regard et de plus digne dtre aim.
19 Ibidem, 249e-253c. 20 Platon, Le banquet, 210d. 21 Ibidem,
211d-212a. 22 Ibidem, 209c.
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similitude fait dautant plus apparatre ces illusions quon est
davantage sous le coup de lmotion23. La cause de cette illusion est
alors double : dune part les passions viennent altrer le jugement
que nous portons sur les donnes sensorielles, dautre part, le
mouvement caus par la sensation et transmis la phantasia (
mouvement produit par la sensation en acte ) se poursuit par
dplacement dair sous forme dune impression mme quand lobjet qui la
provoqu a disparu. Aristote utilise pour cela la comparaison avec
la course dun projectile (459a) : par suite, il est ncessaire que
cela se passe aussi dans lorgane sige de la sensibilit, puisque la
sensation en acte est une sorte daltration. Cest pourquoi
limpression nest pas seulement dans les organes siges de la
sensation, mais aussi dans les organes qui ont cess de sentir, et
elle est au fond et en surface. Cela explique pour lui notamment le
phnomne de persistance rtinienne, mais aussi celui du rve. En
effet, durant le sommeil, non seulement pense et sensation cessent
de collaborer, mais en outre les sens sont au repos et les
impressions antrieures convergent vers la sensibilit pour produire
des apparences, rsidu de la sensation en acte (461b) : lobjet
semblable parat tre lobjet vritable mme (ibidem). Prcisant sa
dfinition initiale il est vident que le rve appartient la
sensibilit (to aisthtikos), en tant quelle est doue dimagination
(phantastikon) en 459a , Aristote fait du rve une sorte dimage
(phantasma) [qui] se produit dans le sommeil . Il rappelle
cependant que toute image surgie dans le sommeil nest pas un rve
(462a). Elle ne doit pas tre suscite par un lment de lenvironnement
du dormeur (lampe ou bruit) ; il conclut ainsi que limage qui
provient du mouvement des impressions sensibles, quand on est dans
le sommeil, en tant que lon dort, voil le rve24. Or les deux
phnomnes, celui du rve et celui de la passion, peuvent souvent se
conjuguer, puisquAristote notait dj dans les Problmes : Le rve
survient quand le sommeil nous prend aprs quon a pens et quon a eu
des objets sous les yeux. Cest dailleurs pour cela que nous voyons
surtout en rve ce que nous faisons, ce que nous allons faire ou ce
que nous voulons faire. Car cest cela avant tout que sappliquent le
plus souvent raisonnements et reprsentations (logismoi kai
fantasiai25). Aristote adopte donc une attitude plus rationaliste
et physiologique dans lexplication du phnomne des songes que nombre
de ses contemporains qui y voyaient un don des dieux aux mortels
valeur davertissement ou de prsage. Cette explication physiologique
est reue par la plupart des scientifiques et des artistes, mme si
la plupart a bien du mal renoncer au caractre divinatoire des
songes. Depuis Homre qui diffrenciait les songes menteurs surgis de
la porte divoire et ceux vridiques venus de la porte de corne, les
classifications furent nombreuses ; les plus clbres sont celle de
Posidonius et celle dArtmidore. La premire est reprise par Cicron
qui identifie trois types de rves dorigine divine : celui accord
lme apparente aux dieux, celui transmis par lintermdiaire dun
fantme me dun dfunt et enfin celui dlivr par le dieu lui-mme26. La
seconde est notamment voque par Macrobe dans le Commentaire au
songe de Scipion27 : elle propose cinq catgories de rves : * trois
formes de rves divinatoires,
23 Aristote, Parua naturalia, Des rves , 460b. 24 Ibidem, 462a :
, , , . 25 Aristote, Problmes, XXX, 14-957b. 26 Cicron, De
diuinatione, I, 64. 27 Macrobe, Commentaire au songe de Scipion, I,
3, 1-11.
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l ou somnium : le songe , qui dit la vrit sous forme voile et
exige une interprtation. l ou uisio : la vision , qui reprsente au
dormeur une scne quil vivra, gnralement brve chance. le ou oraculum
: l oracle , qui voit apparatre un personnage dautorit (parent,
hros, prtre ou dieu) ayant pour mission dannoncer un vnement ou de
dlivrer un avertissement. * deux formes de rves sans aucun caractre
divinatoire : l ou insomnium : la vision interne au songe , que
Macrobe glose ainsi quand une proccupation oppressante dorigine
psychique, physique ou extrieure soffre au dormeur sous la forme
dont elle lobsdait, veill ; Macrobe prcise le cas de la
proccupation dorigine psychique en citant lexemple de lamoureux qui
rve quil jouit de ltre aim ou quil en est priv28 [] . Il souligne
encore que ce nom dinsomnium lui vient du fait quon ne lui accorde
foi que durant le temps du rve, quand on la sous les yeux, mais en
aucun cas aprs29. lappui de ses propos, il cite Virgile qui associe
les insomnia aux rves de la porte divoire30 tandis que les ombres
vritables surgissent de la porte de corne. Le Mantouan voque les
insomnia de la reine Didon,prise du hros ne31 au point de nen plus
dormir. Macrobe commente ainsi cet exemple : [Virgile] dcriv[ait]
ainsi lamour, dont le tourment est toujours suivi dinsomnia32. le
ou uisum Macrobe impute cette dernire traduction Cicron : le
fantasme , qui, selon lui,
se produit entre veille et repos profond, dans cette espce,
comme on dit, de premire brume du sommeil, quand le dormeur, qui se
croit encore veill alors quil commence tout juste sommeiller, rve
quil aperoit, fondant sur lui ou errant et l, des silhouettes qui
diffrent des cratures naturelles par la taille ou par laspect ainsi
que diverses choses confuses, plaisantes ou dsordonnes. cette
catgorie appartient aussi l33, qui selon la croyance populaire
sempare des dormeurs et, pesant sur eux de tout son poids, les
crase de faon perceptible.
Comme on le voit dans la prcdente numration, le phantasma
appartient la catgorie des rves les moins nobles, drivs de nos
impressions sensibles et de nos proccupations quotidiennes. Il est
moins noble encore que lnupnion puisquil ne prsente au dormeur que
des chimres ou monstres forgs de toute pice. Cest ces rves-l que
sattache le philosophe athe et matrialiste quest Lucrce qui
conteste toute porte divinatoire aux rves et qui sapplique plutt
exposer les mcanismes physiologiques de leur apparition. Ds le
premier livre du DRN, alors mme quil ne les traitera quau quatrime
livre, dans un expos programmatique et en prenant lexemple dEnnius,
qui relate quHomre lui apparut dans ses songes, Lucrce annonce quil
traitera des apparitions oniriques des dfunts :
[] et quae res nobis uigilantibus obuia mentes
28 Ibidem, I, 3, 4. 29 Ibidem, I, 3, 5. 30 Virgile, nide, VI,
893-896. 31 Ibidem, IV, 3-5 & 9. 32 Macrobe, Commentaire, I, 3,
6, dont sont extraites toutes les citations de la typologie qui
suit. 33 Il sagit du dmon incube qui les Anciens imputaient le
cauchemar angoissant (Dioscoride, III, 140, 3 et Artmidore, II,
32).
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terrificet morbo adfectis somnoque sepultis, cernere uti
uideamur eos audireque coram morte obita quorum tellus amplectitur
ossa34.
Il est intressant de voir que, suivant la tradition mentionne
plus haut, Lucrce situe ces apparitions de dfunts dans deux
contextes, celui de la maladie, quelle soit physique ou morale,
dans le cas de la passion, et celui du rve. Sil prend lexemple des
dfunts, cest la fois pour sinscrire dans le cadre du topos
littraire que constituent ces apparitions, ainsi que pour souligner
leur caractre impossible, plus encore que celle de gens loigns.
Dans le quatrime livre, donc, suivant Aristote, il rappelle que les
rves senracinent dans les activits quotidiennes ou dans les objets
auxquels on attache un intrt particulier :
Et quo quisque fere studio deuinctus adhaeret, aut quibus in
rebus multum sumus ante morati, atque in ea ratione fuit contenta
magis mens, in somnis eadem plerumque uidemur obire ; [] Cetera sic
studia atque artes plerumque uidentur in somnis animos hominum
frustrata tenere. Et quicumque dies multos ex ordine ludis adsiduas
dederunt operas, plerumque uidemus, cum iam destiterunt ea sensibus
usurpare, relicuas tamen esse uias in mente patentis qua possint
eadem rerum simulacra uenire. Per multos itaque illa dies eadem
obuersantur ante oculos, etiam uigilantes ut uideantur cernere
saltantis et mollia membra mouentis, et citharae liquidum carmen
chordasque loquentis auribus accipere, et consessum cernere eundem
scenaique simul uarios splendre decores : usque adeo magni refert
studium atque uoluptas, et quibus in rebus consuerint esse operati
non homines solum sed uero animalia cuncta35.
Il est intressant de relever dans cette longue citation un
lexique qui est amen connatre une grande postrit puisque nous le
retrouverons dans nombre de textes littraires par la
34 Lucrce, DRN, I, 132-135 :
[] et quels sont ces objets dont la rencontre frappe de terreur
notre esprit, veill mais affaibli par la maladie, ou encore
enseveli dans le sommeil, au point que nous croyons voir et
entendre face face des tres frapps par la mort, et dont la terre
recouvre les ossements.
35 Lucrce, DRN, IV, 962-965 & 971-986 : Et quels que soient
les objets de notre prdilection et de notre attachement, ou ceux
qui nous ont tenus longtemps occups, et qui ont exig de notre
esprit une attention particulire, ce sont ceux-l mmes que nous
croyons voir se prsenter nous dans les rves. [] Toutes les
passions, tous les sujets dtude, occupent ainsi de leurs vaines
images lesprit des hommes dans les rves. Vois tous ceux qui pendant
de nombreux jours ont t les spectateurs attentifs et fidles des
jeux du cirque ; quand ils ont cess den jouir par les sens, le plus
souvent il reste encore dans leur esprit des voies ouvertes par o
peuvent sintroduire les images de ces objets. Aussi pendant bien
des jours encore, ces mmes images rdent devant leurs yeux, et, mme
veills, ils croient voir des danseurs se mouvoir avec souplesse ;
leurs oreilles peroivent le chant limpide de la cithare et la voix
des instruments cordes, ils contemplent la mme assemble, et voient
resplendir en mme temps les dcors varis de la scne. Telle est
linfluence des gots, des plaisirs, des travaux habituels, non
seulement chez les hommes mais mme chez tous les animaux.
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suite. Le verbe inhaereo voque lattachement affectif, tandis que
lhallucination visuelle dclenche par lobsession, de jour comme de
nuit, est exprime par lexpression eadem obuersantur / ante oculos.
Il est galement intressant pour la suite de noter ici la prcision
et les dtails dans la description de la vision des divertissements
du cirque. Enfin, le terme latin employ pour dsigner lapparition
est simulacrum, quivalent latin deidlon, qui dsigne, comme nous
lavons expliqu plus haut, la pellicule atomique dgage par les
objets. Pour le philosophe latin, conformment la doctrine
picurienne formule dans la Lettre Hrodote, le rve est un cas
particulier dun phnomne gnral : la vision intrieure, ou vision en
absence des objets. Elle est provoque par le mouvement des
simulacres dans lespace, aprs quils ont t dtachs de lobjet-source
et parfois loin de lui, ou pars, ou dchirs, ou recombins. Ils
peuvent frapper nos yeux, suscitant le phnomne de la vision
sensible, ou, quand ils sont extrmement subtils (tenues), pntrer
directement travers certains accs rests ouverts jusqu atteindre
directement le sens (sensum) de notre me, sans passer par lorgane
sensible36. Cest ce qui explique, pour Lucrce, la vision des dfunts
pendant le sommeil,
[] usque adeo, certe ut uideamur cernere eum quem rellicta uita
iam mors et terra potitast37,
dont les simulacres errent encore sur terre, mme si eux ny sont
plus. Du fait de leur subtilit, ils atteignent directement notre
me, surtout pendant le sommeil, quand les organes sensoriels sont
au repos et quand la mmoire ne vient plus nous rappeler quils sont
morts (IV, 763-767). Par la suite, Lucrce traite dun certain nombre
de problmes, comme celui du mouvement des images perues en rve ou
celui du mcanisme qui nous permet de convoquer loisir les images
que lon veut voir, en labsence de lobjet-source. Lpicurien explique
ce dernier phnomne par le fait que lon ne peut distinguer avec
clart, cause leur tnuit, tous les simulacres ; aussi notre esprit
ne prte-t-il attention qu ceux auxquels il sattend (IV, 802-815).
Cest donc une forme dauto-suggestion qui permet Lucrce de rsoudre
cette difficult. Pour en revenir au sujet qui nous proccupe plus
particulirement, celui de la passion amoureuse, comme chez
Aristote, Lucrce accorde une attention particulire au lien entre
rve et passion amoureuse : la succession dexemples varis chez les
btes et chez les hommes cense illustrer la persistance des centres
dintrts principaux dans les rves est conclue par le rve rotique
adolescent, provoqu par la vision onirique des simulacres de
diverses personnes qui lui prsentent un visage charmant
(praeclari), un teint sans dfaut38 et entranant ljaculation
nocturne39. Ce cas offre au philosophe une transition parfaite pour
voquer ensuite les illusions de la passion amoureuse. Lucrce
souligne en effet le danger de la passion amoureuse qui vient
leurrer notre capacit danalyser les donnes sensibles :
Hinc illaec primum Veneris dulcedinis in cor
36 Lucrce, DRN, IV, 728-731 & 745-748. Sur ce sujet, voir J.
Pigeaud, Voir, imaginer , p. 39 sur ces deux visions, qui prcise
que la vision par les organes des sens est la plus fiable . 37
Lucrce, DRN, IV, 760-761 :
[] lllusion est telle que nous croyons rellement voir ceux que
la vie a dj quitts et que la terre et la mort tiennent en leur
pouvoir.
38 Lucrce, DRN, IV, 1032-1033. 39 Aristote, dans les Problmes,
X, 16-892a, explique que ljaculation nocturne est toujours jointe
limagination (meta phantasias).
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stillauit gutta, et successit frigida cura. Nam si abest quod
ames, praesto simulacra tamen sunt illius, et nomen dulce
obuersatur ad auris40.
Lpicurien dcrit en ces termes les illusions de la passion
amoureuse, qui sont troitement mises en lien, par la reprise du
verbe obuersatur, avec les hallucinations causes par les maladies
et le rve. LAmour est dabord affaire de visions intrieures, qui
imposent une sorte de taie (obuersatur) sur nos yeux, au point de
faire dfiler sur notre cran intrieur des images ou des sons plus
puissants que ceux que nous fournissent nos sens. J. Pigeaud41,
partir de lanalyse du rve rotique, montre que, pour Lucrce, lamour
est avant tout un besoin physiologique, caus par lhumeur (umor).
Lamour passion (amor) et obsessionnel quon a greff, grce la
rhtorique, sur ce besoin, est alors un dsir qui devient rapidement
un dlire, grce la rhtorique ; Lucrce le rappelle en montrant les
subtilits verbales avec lesquelles les hommes trompent leurs
impressions sensibles quant la beaut de leur matresse.
Et tamen implicitus quoque possis inque peditus effugere
infestum, nisi tute tibi obuius obstes, et pratermittas animi uitia
omnia primum aut quae corpori sunt eius quam praepetis a cuis. Nam
faciunt homines plerumque cupidine caeci, Et tribuunt ea quae non
sunt his commoda uere42.
Dans le passage cit, le champ lexical de laveuglement dabord
physique puis mental est mis en relief par lemploi deux reprises du
prfixe ob- qui annonce ladjectif caeci. Cest le dsir concentr sur
un seul tre et soutenu par la rhtorique, voire par la littrature,
qui vient aveugler les sens physiques des amoureux et leur
reprsente la ralit autre quelle nest. Or, J. Pigeaud dmontre
surtout que le rve rotique est lessence de lamour , car il incarne
la ralit du physiologique associe lillusion des images43 , car le
dsir se nourrit essentiellement dimages, de simulacres , que le
philosophe romain qualifiait de pabula amoris44, aliment de lamour
. Or, le drame de la passion amoureuse, cest que ces simulacres,
dont lamoureux jouit certes par les sens, et en premier lieu par
les yeux (IV, 1078), avant de goter aux plaisirs du toucher, sont
trop tnus pour constituer une nourriture de quelque consistance,
qui puisse rassasier le dsir quils ont excit :
Ex hominis uero facie pulchroque colore
40 Lucrce, DRN, IV, 1059-1062 :
Cest ainsi que Vnus distille dans notre cur les premires gouttes
de sa douceur, laquelle succde le souci glacial. Car, en labsence
de lobjet aim, toujours son image est prsente nos yeux, toujours
son doux nom obsde notre oreille.
41 J. Pigeaud, Le rve rotique dans lAntiquit grco-romaine :
loneirogmos , Littrature, Mdecine, Socit Rves et insomnies, 3,
1981, p. 10-23 et ici p. 16-19. 42 Lucrce, DRN, IV, 1149-1154 :
Et pourtant, mme engag et embarrass dans le pige, pourrait-on
chapper lennemi, si lon ne se faisait obstacle soi-mme, en fermant
les yeux sur toutes les tares morales ou physiques de celle que lon
dsire et que lon veut. Cest le dfaut le plus frquent chez tous les
hommes aveugls par la passion, dattribuer celles quils aiment des
mrites quelles nont pas.
43 J. Pigeaud, Le rve rotique , p. 19. 44 Lucrce, DRN, IV,
1063.
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nil datur in corpus praeter simulacra fruendum tenuia ; quae
uento spes raptast saepe misella. Vt bibere in somnis sitiens quom
quaerit, et umor non datur, ardorem qui membris stinguere possit,
sed laticum simulacra petit frustraque laborat, in medioque sitit
torrenti flumine potans ; sic in amore Venus simulacris ludit
amantis, nec satiare queunt spectando corpora coram, nec manibus
quicquam teneris abradere membris possunt, errantes incerti corpore
toto45.
Lucrce souligne notamment par le rejet de tenuia la frustration
contenue dans les simulacres qui ne peuvent assouvir le dsir quils
veillent. Lamoureux est ainsi condamn vivre constamment le supplice
de Tantale ou celui du rveur, dont il est rapproch, car tous deux
sont victimes des illusions causes par les images. Ce qui rapproche
aussi le rveur de lamoureux cest, pour le philosophe, que tous deux
ont leur raison suspendue. Il considre en effet que lamoureux peut
se sauver par une vritable thrapeutique mentale :
Sed fugitare decet simulacra, et pabula amoris absterrere sibi,
atque alio conuertere mentem, et iacere umorem conlectum in corpora
quaeque, nec retinere, semel conuersum unius amore, et seruare sibi
curam certumque dolorem46.
Il invite ses lecteurs, captifs de leur passion pour un tre
unique, par laquelle ils sont obnubils (conuersum et obseruatur, au
vers 106247 comportent la racine uert- employe la voix passive), en
faisant un effort de volont, dtourner (conuertere, la racine uert-
est ici active) leurs yeux intrieurs, ceux de leur esprit, vers
dautres sujets de proccupation ou mme vers la ralit et sa diversit,
pour se concentrer sur les donnes des sens. Cette thrapeutique
mentale doit tre double dune thrapeutique physique : lhomme doit se
dlester dans le premier corps venu de sa semence (umor) afin que la
pression de cette dernire, excite par les images, ne vienne pas
nourrir lamour dans un esprit qui, en se focalisant sur les
simulacres dun seul tre, se persuadera quil est le seul pouvoir le
combler. En conclusion, il semble donc que le rve et la passion
amoureuse, souvent associs, apparaissent aux yeux des philosophes
antiques comme les lieux privilgis dune
45 Lucrce, DRN, IV, 1094-1104 :
Mais dun beau visage et dun bel incarnat, rien ne pntre en nous
dont nous puissions jouir, sinon des simulacres, dimpalpables
simulacres, espoir misrable que bientt emporte le vent. Semblables
lhomme qui, dans un rve, veut apaiser sa soif, et ne trouve pas
deau pour teindre lardeur qui le consume : il slance vers des
simulacres de sources, il spuise en vains efforts, et demeure
assoiff au milieu du torrent o il sefforce de boire ; ainsi les
amoureux sont-ils les jouets des simulacres de Vnus. Ceux-ci ne
peuvent les rassasier par la vue de ltre aim ; leurs mains ne
sauraient dtacher une parcelle de ces membres dlicats sur lesquels
ils laissent errer leurs caresses incertaines.
46 Lucrce, DRN, IV, 1063-1067 : Mais il convient de fuir sans
cesse ces simulacres, de repousser ce qui peut nourrir notre amour,
de tourner notre esprit vers dautres objets ; il vaut mieux jeter
dans le premier corps venu la liqueur amasse en nous que de la
garder pour un unique amour qui nous prend tout entiers, et de nous
rserver la peine et la douleur certaines.
47 Cf. supra, p. 9.
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interprtation errone du tmoignage des sens, voire de phnomnes
dhallucination. Aristote en particulier impute ces erreurs aux
dysfonctionnements de la phantasia, soit quelle tourne vide , en
labsence de donnes sensibles, comme dans les rves, soit quelle soit
altre par une passion comme lamour. Lucrce, quant lui, la suite
dpicure, sil nvoque pas la phantasia proprement dite, mais
seulement les simulacres (eidla/simulacra) invite se dfier des
illusions de lesprit mme, aveugl par ces simulacres. Dtachs de leur
objet-source, ils assigent la conscience du dormeur ou de
lamoureux. Ils lui laissent croire alors quune personne unique peut
assouvir un besoin physiologique rcurrent, aisment mtamorphos, par
les simulacres et la rhtorique, en dsir passionnel et
inextinguible. Dans ces deux cas, il semble donc que la phantasia
chez Aristote, ou la vision intrieure et immdiate , celle de lme,
chez Lucrce, prennent le pas sur les donnes des sens, qui, elles,
ne peuvent pas tre fausses. Le point de vue du moraliste : la
phantasia dans lErtikos de Plutarque Pour conclure ce parcours
philosophique, il est intressant de voir comment le moraliste
Plutarque a pu recevoir lhritage des doctrines philosophiques
antique, avant de le transmettre son tour ses successeurs. Dans
lErtikos ou Dialogue sur lamour48 , il propose en effet une synthse
intressante des discours prcdents. Nourri essentiellement par la
philosophie de Platon, son trait fait de la beaut terrestre un
miroir (765a-b puis 765a-766b) de la beaut cleste, qui permet
lAmour den raviver la mmoire dans les mes oublieuses. Dveloppant
cette mtaphore, il fait dAmour le fils dIris, la desse de
larc-en-ciel, car il se sert, dans le domaine moral, du mme
principe physique, celui de la rfraction, qui nous f[ai]t croire
que tout ce que nous voyons (tou phantasmatos) se trouve dans le
nuage49 dans le cas de larc-en-ciel ; quant il sagit de lamour, le
nuage cest la beaut terrestre. Lamant sage, lui, ne sarrte pas au
miroir cependant, sous peine, comme Ixion, dembrasser une nue
(766a). Il dpasse les apparences terrestres qui ne servent que
daide-mmoire. Plutarque voque ainsi les trois comportements
possibles vis--vis de cette de passion. Certains tentent de
ltouffer par tous les moyens ou, linverse, de lassouvir tout prix,
tandis que quelques-uns, beaucoup plus rares, sessaient en rgler la
puissance, absolument comme on rgle un feu, de telle sorte quil nen
reste dans lme quune lumire (phs) brillante accompagne de chaleur
(765b). Rfutant alors picure et Lucrce , il conteste que cette
excitation produise du sperme, voquant au contraire lpanouissement
gnral de lme, se conformant ainsi la thorie platonicienne50. Cet
tat de bonheur permet daccder alors une vision suprieure, selon lui
:
Il ne faut que peu de temps pour dpasser le corps de ceux que
lon aime, se porter vers le fond de leur tre et sattacher leur me
(tou thous), que les yeux, soudain dessills, aperoivent ; lon entre
alors avec eux dans un troit commerce de paroles et dactions, la
condition quils retiennent dans leurs esprits (en tais dianoiais)
au moins quelque vestige (perikomma), quelque image (eidlon) de la
beaut absolue51.
Le principal intrt du trait de Plutarque rside cependant dans la
rinterprtation quil propose de la dfinition emprunte au Phdre de
lamour comme dlire (mania) non
48 Plutarque, Moralia, 47. 49 Ibidem, 765f. 50 Platon, Phdre,
251d-252b. 51 Plutarque, Mor., 765c-d.
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pathologique mais dorigine divine. Lcrivain diffrencie notamment
le dlire amoureux des dlires prophtique, bachique, potique et
martial en montrant quil ne connat ni trve ni remde52, que laim
soit prsent ou absent. Il ajoute alors, pour illustrer la
proccupation constante de lamant :
On a dit que les fictions (poiticai phantasiai) potiques, cause
de la force (energeian) avec laquelle elles simposent, sont comme
des rves (enupnia) de gens veills, mais cela est bien plus vrai de
limagination (ai [phantasiai]) des amoureux, qui se figurent parler
la personne aime, lembrasser ou lui adresser des reproches, alors
quelle est loin ! Les impressions que font les objets (phantasias)
sur notre vue, en gnral, seffacent et disparaissent vite de notre
esprit (dianoian), comme une peinture sur fond humide ; au
contraire, les yeux de lamant retiennent limage (eikones) de laim
comme si elle tait peinte lencaustique et grave avec laide du feu ;
cette image (eidla) reste dans la mmoire o elle est doue dune vie
propre, du mouvement et de la voix, et sy conserve tout jamais. Le
Romain Caton disait que lme de lamant vit dans celle de laim, ,
avec sa personnalit (to eidos), son caractre (to thos), sa conduite
(o bios) et ses actions (ai praxeis) .
Ce passage est particulirement intressant puisquil met en lien
les traditions philosophiques platonicienne mais aussi
aristotlicienne en particulier avec limage constitue dans la
phantasia avant dtre grave dans la mmoire de lamant , la thmatique
du rve qui apparat comme le meilleur comparant de cette phantasia
drgle par lamour, ainsi que chez Lucrce et enfin lactivit des
potes, dont l imagination est rapproche de celle des amoureux. Le
pote et lamoureux ont ainsi en commun une phantasia puissante, dote
notamment dune grande enargeia, comme lindiquent les dtails sur le
mouvement et sur la voix, ainsi que sur la nettet et la force
(energeian) de la reprsentation. La phantasia finit ainsi souvent,
chez lindividu amoureux, mais aussi chez les lecteurs des potes,
par substituer ses propres images, retravailles et conserves dans
la mmoire, celles fournies par les sens. Il est en outre
particulirement intressant de relever lantanaclase sur le terme
phantasia. Lors de la deuxime occurrence, en effet, il est employ
dans son acception aristotlicienne qui en fait linterface entre le
sensible et lintelligible, ltape transitoire entre limage de lobjet
forme par les sens in praesentia et celle conserve par la mmoire in
absentia. Cependant, dans la premire occurrence, phantasia prend le
sens plus moderne de cration, invention imaginaire quon trouve
illustr notamment chez Quintilien54 :
Les Grecs appellent phantasia (nous pourrions bien lappeler
uisio) la facult de nous reprsenter (repraesentantur) les images
(imagines) des choses absentes au point que nous ayons limpression
de les voir de nos propres yeux (ut eas cernere oculis [] uideamur)
et de les tenir devant nous. Quiconque aura bien pu le concevoir
sera trs efficace pour faire natre les motions (adfectibus).
Quelques auteurs appellent euphantasitos (dou dune vive
imagination), lhomme apte se reprsenter (finget) de la faon la plus
vraie les choses, les paroles, les actions ; cest vrai dire un
pouvoir quil nous sera au reste facile dacqurir, si nous le
voulons. Dans le dsuvrement (otia) de lesprit ou les espoirs
chimriques (spes inanes) et ces sortes de rves, que lon fait tout
veills (uelut somnia quaedam uigilantium), nous sommes hants par
les visions (nos [] imagines prosecuntur) dont je parle et nous
croyons (uideamur)
52 Plutarque, Mor., 758d-759b. 53 Ibidem, 759b-759d. 54 Sur le
passage de lenargeia, caractristique des reprsentations claires de
la phantasia, du lexique philosophique au lexique rhtorique, voir
P. Galand, Les yeux de lloquence, p. 99-101 & 123-126.
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voyager, naviguer, combattre, haranguer les peuples, disposer de
richesses que nous navons pas ; nous navons pas limpression que
nous rvons (cogitare), mais que nous agissons : ne pourrons-nous
pas mettre profit ce dsordre de lesprit (animi uitium)55 ?
Dans ce bref extrait, Quintilien commence par donner la
phantasia son acception traditionnelle philosophique, mme sil
inflchit dj son sens, en insistant sur son usage in absentia. Il
veut en effet se servir du pouvoir de cette facult pour convoquer
des images sur demande, capables de susciter lmotion de lartiste,
quil communiquera ensuite son public. De l, franchir le pas de la
re-prsentation (repraesentare), de la vision (cernere) la fiction
(fingere) absolue, la cration dimages, qui ne seront pas forcment
tires de lexprience directe, est relativement ais : la facult
naturelle peut tre dveloppe par lexercice du rve veill , de
lhallucination volontaire car toutes deux ont un lment commun,
lenargeia/euidentia56 qui, dans les textes homriques, qualifiait la
clart des visions dans les songes57, avant que ladjectif enargs ou
le nom enargeia ne soient repris dans le lexique philosophique.
Faire de la phantasia libre par le songe la matrice et le modle de
la phantasia potique est en quelque sorte un retour aux origines,
notamment grce la notion denargeia attache ses visions, notion qui
rapparat dans le monde littraire aprs un dtour philosophique,
entranant dans son sillage la phantasia. Il faut donc, comme lcrit,
Quintilien mettre profit les dysfonctionnements de cette facult
(animi uitium) sous linfluence du rve ou de la passion, afin de
produire une image mentale et den donner une description dtaille
(ekphrasis). Cette dernire nourrira un discours, un pome, une
interprtation et sera communique au lecteur, en mme temps que
lmotion suscite par cette image dans lesprit de lcrivain.
LHALLUCINATION AMOUREUSE CHEZ LES POETES ANTIQUES Naissance des
fantmes Nous nous intresserons donc, dsormais, aux motifs et la
potique issue de cette inspiration de la phantasia libre par le
songe, ou par la passion amoureuse puisque nous avons montr la
similitude de leurs effets, releve dj par nombre de philosophes.
Aprs avoir tudi le mcanisme de la vision intrieure dun point de vue
thorique, il convient dsormais de voir comment les auteurs
littraires, de leur ct, ont choisi de lexprimer. Nous rduirons
notre corpus essentiellement aux potes rotiques, mme si le motif se
trouve chez de nombreux autres auteurs, auxquels nous ferons
parfois rfrence. Ensuite, chez ces auteurs, nous nous proposons
dtudier plus spcifiquement le topos de lapparition hallucinatoire
de la bien-aime son pote, quil soit endormi ou veill et quelle soit
morte ou vivante quoique toujours absente. Pour commencer notre
enqute, il convient de sintresser aux thories antiques sur les
fantmes58. Nous avons dj vu dans notre premire partie que les mes
des dfunts taient
55 Quintilien, Institution Oratoire, VI, 2, 29-30. 56
Quintilien, IO, VI, 2, 32. 57 Pour des rfrences plus prcises, et en
gnral sur la potique de lenargeia inspire du songe, voir P. Galand,
Les yeux de lloquence, p. 123-134. 58 Dans son introduction son
ouvrage consacr au rve chez Augustin, M. Dulaey, Le rve dans la vie
et la pense de Saint Augustin, Turnhout, Brepols, 1973, p. 1
considre que lapparition de dfunts est un trait plus typique de la
littrature latine que de la littrature grecque et lexplique ainsi
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des protagonistes essentiels des songes divinatoires, dans la
pense cicronienne ou dans celle de Macrobe. Cicron, la suite de
Posidonius, considre en effet que les mes des morts sont nombreuses
dans les airs, particulirement auprs du lit des mourants, auxquels
elles accordent le pouvoir de prophtie59. Pour autant, comme cet
auteur le prcisait ailleurs, en particulier dans le Songe de
Scipion, les mes bonnes, cest--dire celles qui taient le moins
asservies aux dsirs du corps, sont gnralement promptes sarracher de
lespace terrestre pour se retirer dans les sphres suprieures60. Au
contraire, celles qui se sont trop abandonnes aux plaisirs sensuels
restent attaches la terre, mme aprs la disparition du corps dans
lequel elles taient encloses. La mme ide se retrouve chez
Plutarque, plus particulirement dans le domaine amoureux : ceux qui
ne sont pas parvenus sublimer leurs dsirs jusqu la contemplation
dsintresse de la beaut sont condamns sur terre un plaisir bref et
toujours insatisfait. Pire encore, la souffrance les harcle mme
aprs la mort, contrairement au vritable amant qui
ne songe pas non plus schapper [de lau-del] pour revenir ici et
rder devant les portes des chambres des jeunes maris, pareil ces
visions de cauchemars que sont les fantmes (dusoneira phantasmatia)
des hommes et des femmes pris des plaisirs du corps et que lon a
tort dappeler des amants61.
Cette dernire mention a galement une origine platonicienne :
dans le Phdon, Socrate explique en effet que lme asservie au corps
est incapable, aprs la mort, de se dtacher de llment terrestre en
elle qui lalourdit ; elle en est rduite errer prs des tombeaux o
elle demeure visible, cause de son impuret, donnant naissance des
spectres, des fantmes, images que font apparatre les mes de ce
genre62. Ces mes fantmes vagabondent ainsi jusqu ce quelles
retrouvent un corps adquat occuper, gnralement un corps adonn la
dbauche. Cette ide sera reprise ensuite par Synsios de Cyrne, dans
son Trait sur les songes, dans lequel il explique que cest mme par
les rves que l me pneumatique le vhicule de lme troitement associe
chez lui la phantasia, peut prvoir sa destine dans lau-del,
devenue
un dieu (theos), un dmon multiforme (daimon pantodapos) [ou] un
fantme (eidlon63). Si jamais elle salourdit par une vie de
dpravation, elle senfonce dans les cavits de la terre et, par
inclination naturelle, il sy tapit, repouss dans les espaces
souterrains. Cest en effet le lieu le plus appropri aux esprits
humides, et l ils tranent la vie des mauvais gnies qui leur
Lattention particulire quils portent laspect ominal du rve les
amne accorder plus dimportance aux rves o apparaissent les morts et
les dieux. Non quils aient eu plus que dautres peuples de tels
rves, mais du moins taient-ce les seuls rves qui leur paraissent
vraiment importants.
Et elle poursuit ainsi, p. 17, sur limportance des croyances sur
la vie aprs la mort : Bref, le rve tait le lieu par excellence o
apparaissaient les morts (Plaute, Most., 490 sqq), et il
entretenait dans le peuple non clair la crainte des enfers (Cic,
Tusc, 1, 48). [] Si les Romains portent une attention toute spciale
aux rves o apparaissent les morts, cest parce quils sintressent de
prfrence des rcits qui font intervenir des tres qui ne sont pas
imaginaires, et ceci dans un pass relativement proche.
59 Cicron, De diuinatione, I, 63-64. 60 Voir, par exemple, De
republica, VI, 28-29. La rflexion cicronienne est naturellement
nourrie de rfrences au mythe dEr dans la Rpublique de Platon. 61
Plutarque, Mor., 766b. 62 Platon, Phdon, 81d : , . 63 Synsios de
Cyrne, Trait sur les songes, VII, 2.
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est inflig comme chtiment. Mais il est permis limagination
purifie par le temps, la souffrance et dautres vies de
remonter64.
Si le fantme est encore appel eidlon et non phantasma chez
Synsios, cest cependant la premire fois quon voit apparatre
spcifiquement lide que ce nest pas lme divine (nous), mais sa
partie imaginative, pneumatique , le char de lme , la phantasia qui
peut, quand elle a t souille, devenir fantme . Nous pouvons donc
voir se dgager deux lignes de fantmes : *lune constitue par lme dun
dfunt illustre, personnage dautorit, qui vient dlivrer un message,
un conseil ou un avertissement au dormeur au cours dun rve
piphanique65 : ce motif est extrmement prsent notamment dans lpope
grecque et latine, cependant les apparitions de dfuntes fminines66
sont fort peu nombreuses ; *lautre forme au contraire par les mes
douteuses, gnralement anonymes, qui hantent particulirement les
individus attachs aux plaisirs physiques et qui risquent de
partager ce sort un jour, en particulier les amoureux ; * ces deux
sortes de fantme est venue sajouter une troisime sorte, nous
semble-t-il, prcisment par le lien du rve, mme si lon bascule alors
du chrmatismos/oraculum lnupnion/insomnium ou au phantasma/uisum,
le fantme amoureux, apparu lors dhallucinations visuelles, voire
auditives, qui font croire lamoureux que son aim(e) est sans cesse
devant ses yeux. Une des mentions les plus anciennes de ce phnomne
se trouve dans lOdysse dHomre o Pnlope se plaint en ces termes de
son sommeil troubl par lapparition onirique dUlysse :
Mais moi, le ciel mafflige encore de mauvais songes ! Cette
nuit, Il tait dormir prs de moi ! Je Le retrouvais tel quIl partit
pour larme ! quelle joie dans mon cur ! car je croyais Lavoir en
chair, non pas en songe67.
Les changes entre les diffrentes lignes sont particulirement
visibles chez les potes rotiques o les mentions de ces apparitions
ne consistent plus, comme chez Homre ou chez Virgile, en une brve
allusion lobsession amoureuse de Pnlope ou de Didon. Avant de
proposer quelques exemples, nous rappelons que nous avons cart de
notre corpus les songes porte oraculaire qui se trouvent par
exemple chez Lygdamus (III, 4) mme sil mentionne brivement que Nre
hante ses rves au vers 56 ou chez Ovide, (Amours, III, 5) qui
prsagent de lavenir de la relation amoureuse des potes. Nous nous
limiterons strictement aux apparitions des bien-aim(s) dans les
songes ou dans un contexte semi-onirique.
64 Ibidem, VII, 3. 65 Sur ce sujet, voir louvrage de W. V.
Harris, Dreams and experience in classical Antiquity, Cambridge, Ms
et Londres, Harvard University Press, 2009, p. 23 et suivantes. 66
Dans lOdysse, XI, 84-89 & 152-224, au cours de la nekya, Ulysse
rencontre sa mre dfunte, quil interroge longuement avant dessayer,
sans succs, de la serrer contre lui. Dans lnide, Cruse apparat ne
alors quil la cherche partout : elle lexhorte partir sans elle et
chappe ses embrassements. Dans les deux cas, il ne sagit pas
proprement parler dun rve mais les deux femmes sont dcrites comme
des ombres (skia/umbra), des images (eidlon/imago), des apparitions
(simulacrum) avant dtre finalement compares des songes senvolant
quand on essaie de les saisir. 67 Homre, Odysse, XX, 87-90 :
. . , , , .
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Le topos apparat dj, sous une forme condense, dans les pigrammes
grecques de lAnthologie palatine68 : elles voquent la satisfaction
rotique advenue ou interrompue en rve. Une variante particulirement
intressante pour notre propos venir est propose en V, 237 :
Agathias se plaint non seulement de mal dormir mais mme, le jour,
de veiller, mais sans rien voir, car le souci de Rhodanth revient
hanter son cur (vers 5-6). Les images mentales de laime sont donc
dcrites comme des hallucinations qui font obstacle au tmoignage des
sens. Il implore alors que le sommeil au moins lui soit accord pour
jouir dun rve heureux avec son aime. Enfin, trois autres pices
doivent encore retenir notre attention. Lpigramme V, 166 de Mlagre
relate les souffrances imposes au pote par sa mmoire ; il redoute
que sa bien-aime nait conserv quune froide image (psuchra ()
eikasia) de ses baisers alors quil voudrait quelle soit, comme lui,
torture par son fantme (oneiron), venant abuser son me (psuchapatn)
en se couchant sur sa poitrine et sur ses lvres (vers 3-6) ; il y a
ici une claire allusion lepialts mentionn aussi par Macrobe dans la
catgorie des phantasmata. Pour terminer, les pigrammes V, 212 et
274, attribues respectivement Mlagre et Paul le Silentiaire font
allusion une marque grave par lamour au fond du cur ou de lme des
amants : elle est appele eikn (274, 1), image , ou tupos (212, 4 et
274, 4), empreinte . Ces noyaux thmatiques ou lexicaux sont ensuite
rinvestis et amplifis dans llgie rotique latine et no-latine69.
Cest Properce qui, le premier, illustre le topos en le reprenant
dans quatre pices dont trois qui en proposent un dveloppement
au-del de quelques vers : *II, 26, 1-20 : le pote relate quil a vu
en songe Cynthie victime dun naufrage ; *IV, 6, 65-66 (mention la
plus brve) : la Vestale Tarpia implore le fantme aim (umbra
benigna) de Tatius dapparatre pendant son sommeil ; *IV, 11, 81-84
: la pice voque les consolations trouves par Paullus dans les rves
o Cornlia lui apparat. Cette dernire lexhorte sadresser son image
(simulacra) comme si elle allait lui rpondre. Lambigut, dj note par
J. Bouquet70, contenue dans lemploi de simulacrum est intressante :
il est difficile de savoir si le terme renvoie une apparition
fantasmatique ou une reprsentation figure de Cornlia. Le pote ne
tranche pas, mais ne donne pas non plus dindication sur le contexte
de la prosopope apologtique de Cornlia : elle prtend plaider sa
cause (loquor pro me, vers 27) devant les juges infernaux, tout en
commenant par sadresser son poux, au premier vers, mais en
terminant par une adresse gnrale la deuxime personne du pluriel. Il
est donc difficile dimaginer quil sagisse dune apparition onirique,
mme si le pome est assurment prononc par un fantme, comme
lindiquent les rfrences la cendre et aux ossements. *Enfin, en IV,
7, Cynthie, aprs son trpas, apparat en songe Properce. Le pote
commence par affirmer la persistance dune forme de vie aprs la
mort, prenant position dans la polmique mene par la philosophie
picurienne et par Lucrce en particulier qui contestait cette forme
dexistence, avant dannoncer que sa matresse lui est en effet
apparue au cours du demi-sommeil qui suivit ses funrailles. Le
passage est introduit,
68 Anthologie palatine, V, 2 & 243. Ces pigrammes sont cites
par V. Leroux dans son article Le sommeil, refuge ou rival ?
Sommeil lgiaque et criture du dormir-veille chez Jean Second et ses
modles , Camenae, 5, 2008, p. 4. 69 J. Bouquet, La nuit, le sommeil
et le songe chez les lgiaques latins , Revue des tudes Latines, 74,
1996, p. 182-211 et ici p. 183, explique limportance de la nuit
chez les potes lgiaques en rappelant que ce sont essentiellement
aux activits nocturnes quils sintressent au point dy faire rfrence
dans la dfinition de llgie que Calliope, par exemple, donne
Properce (lgies, III, 3, 47-48). 70 Ibid., p. 210.
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comme dans lapparition de Cruse, par lexpression uisa est
(mihi71) : ... mest apparu(e) / jai cru voir . qui donnent la
vision son caractre onirique. Comme dans le passage virgilien
encore, lapparition entame une prosopope, quoique son contenu
diffre largement des propos tenus par Cruse. Cynthie reproche en
effet au pote de ne lui avoir pas rendu suffisamment les honneurs
funbres. Lors dune brve concession, elle le remercie nanmoins pour
les pomes quil lui a consacrs. Elle lui dresse ensuite le catalogue
des hrones amoureuses aperues aux enfers avant de lui adresser
dultimes recommandations et, notamment, davoir foi en ce songe
(somnium) car la nuit libre les ombres72 , explique-t-elle. Comme
lors des apparitions oniriques traditionnelles, son ombre chappe
finalement aux tentatives de Properce pour lembrasser73. Outre le
fait quil est le premier pome faire apparatre une dfunte au
discours empreint dallusions un quotidien particulirement trivial,
le dbut de la pice prsente une originalit note par J. Bouquet74 :
elle croise deux traditions littraires dans lekphrasis du fantme.
En effet, il est dabord semblable, par son apparence, la Cynthie
dautrefois (7-8), mais, rapidement, se rvlent aux yeux du locuteur
les stigmates du bcher et de la mort (8-12) qui ne laissent aucun
doute sur son caractre spectral et ne nient nullement le caractre
prissable du corps aim. Si rien ne vient prciser au lecteur les
sentiments du pote devant le fantme, les motions de Cynthie sont
exprimes clairement : son ton est violent, lourd de reproches,
quoique lgrement adouci par les remerciements quelle adresse au
pote : mme si cela nest pas formul explicitement, elle considre
quil lui a assur limmortalit en la chantant dans ses pomes. Elle
conclut aussi par lespoir de le voir la rejoindre rapidement dans
la tombe. Il est possible de supposer que cette figure, quelque peu
menaante, inspire au pote la mme amertume mle de plaisir que lui
inspira leur liaison de son vivant. Elle trouve son pendant dans
Cornlia qui, elle, est pleine de douceur envers son poux, quelle
exhorte vivre en oubliant son chagrin, au nom de leurs enfants, mme
si elle lui accorde le moment des nuits, pour donner libre cours
ses sanglots. Elle prtend ne revenir dans ses rves que pour lui
procurer un apaisement. Comme nous le verrons par la suite, ces
deux attitudes ont produit deux lignes de fantmes. Ovide, quant
lui, ne sintresse gure ce motif dans les lgies rotiques, peut-tre
parce quil est beaucoup moins sensible que Properce la question de
lunion des amants aprs la mort75. En revanche, il dveloppe
davantage le thme dans les Hrodes, o il constitue un thme
parfaitement appropri pour les femmes dlaisses, et dans les uvres
dexil, quand il subit lui-mme lpreuve de lloignement. Dans le
recueil dptres lgiaques fictives, le thme de lobsession amoureuse
dans les songes trompeurs ,
71 M. Dulaey, Le rve, p. 18 explique que lexpression uisus est
mihi + infinitif introduit 40% des rcits de rves. Les lgiaques,
cependant, daprs ses sondages, lui prfrent lemploi direct du verbe
uideo qui permet une prsentation directe du songe, destine faire
plus dimpression sur le lecteur . Selon nous, il sagit
vraisemblablement dun procd denargeia. Elle distingue le mot latin
simulacrum, pour dsigner le contenu de la vision onirique, du terme
grec eidlon :
le mot met laccent sur le fait que ce quon voit en rve ressemble
la ralit sans ltre, tandis que le mot grec signifie seulement ce
que lon voit.
Elle explique encore, p. 20, que lexpression uisus est mihi,
lorigine du moins, aurait soulign le manque de nettet de la
perception de la scne onirique par rapport une scne relle. Nanmoins
ce sens semble stre affaibli voire avoir t perdu. 72 Properce,
lgies, IV, 7, 89. 73 Ibidem, 96. 74 J. Bouquet, La nuit, le sommeil
et le songe , p. 207. 75 Nous remercions Hlne Casanova-Robin de
cette suggestion qui nous parat extrmement convaincante.
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accueillis tantt avec joie, tantt avec douleur, apparat de
nombreuses reprises76, parfois dans des rves rotiques trs
explicites comme celui relat par Sappho77. Le recueil fait allusion
par deux fois lapparition de fantmes venant hanter les vivants
aims, celui de Phyllis, morte sans spulture (II, 136) et celui de
Protsilas, pallens imago, image blme (XIII, 107-110), dpourvue de
ralit, comme le portrait de cire qui sert, en labsence dsormais
dfinitive du jeune homme, de substitut affectif Laodamie la place
de son vritable mari (pro uero coniuge) : elle lui parle, lembrasse
et le regarde longuement (149-156). Cependant, dans ce recueil,
Ovide se contente de feindre les motions ncessaires pour crire les
lettres des hrones abandonnes, en usant, selon les principes
thoriss plus tard par Quintilien, dimages mentales qui lui
permettent dprouver sans cause relle ni exprience directe, in
absentia en quelque sorte, les souffrances dabandon des jeunes
femmes, et de les communiquer ses lecteurs. Il a mme gliss un
exemple de ces images mentales censes susciter lmotion dans une des
lettres, celle adresse par Ariane Thse :
Di facerent ut me summa de puppe uideres ; mouisset uultus
maesta figura tuos. Nunc quoque oculis, sed, qua potes, adspice
mente haerentem scopulo, quem uaga pulsat aqua. Aspice demissos
lugentis more capillos et tunicas lacrimis sicut ab imbre grauis.
Corpus, ut inpulsae segetes aquilonibus, horret, litteraque
articulo pressa tremente labat78.
Cette invitation contempler une image mentale, forge par la
phantasia cratrice du pote exige quelle comporte tous les dtails de
la description qui lui confrent son enargeia : le portrait est
bross au prsent, le corps de lhrone est situ dans lespace, ses
cheveux et sa mise sont placs sous les yeux du lecteur par lemploi
du verbe voir limpratif (adspice), par les adjectifs et les
comparaisons trs prcis79. Pour suggrer lhypotypose, le pote a mme
imagin que le mouvement et lmotion se sont transmis la graphie du
pome mme, par le biais des lettres trembles. Lekphrasis est aussi
un appel la piti espre tant du destinataire que du public pour
cette bienfaitrice abandonne par un ingrat. Or, quelques annes
aprs, lauteur des Hrodes se trouve lui-mme dans la position des
protagonistes des ptres, esprant la misricorde de lempereur qui la
exil et de ses amis. Souffrant toutes les douleurs de la drliction
et de lloignement, dans ses recueils dexil, Nason voque maintes
reprises les visions qui le hantent, dont il ne peut dtacher les
yeux, alors mme que les objets quil contemple sont absents.
Parfois, il sagit de son pouse vivante et des lieux qui lui taient
chers, mais dont il est aujourdhui spar : 76 Ovide, Hrodes, V, 35
(Didon ne) ; IX, 41 (Djanire Hercule) ; XIII, 105 (Laodamie
Protsilas) ; XVI, 101-102 (Pris Hlne). 77 Ibidem, XV, 123-136. 78
Ovide, Hrodes, X (Ariane Thse), 133-140 :
Plt aux dieux que tu meusses vue du haut de ta poupe ; ma figure
dsole et mu ton visage. Tu le peux maintenant encore, non par les
yeux, mais par lesprit ; regarde-moi cramponne un rcif que frappe
la vague inconstante. Regarde mes cheveux dnous, en signe de deuil,
et mes tuniques lourdes de larmes, comme dune pluie. Mon corps
frissonne, tels les pis au souffle de laquilon, et mes lettres
vacillent, traces par un doigt tremblant.
79 Pour un relev plus prcis des procds de lenargeia, voir P.
Galand, Les yeux de lloquence, p. 100.
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At longe patria est, longe carissima coniux, quicquid et haec
nobis post duo dulce fuit. Sic tamen haec adsunt ut, quae
contingere non est corpore, sint animo cuncta uidenda meo. Ante
oculos errant domus Vrbsque et forma locorum acceduntque suis
singula facta locis. Coniugis ante oculos sicut praesentis imago
est ; illa meos casus ingrauat, illa leuat80.
Ici, la description des lieux nest pas dtaille, mais lon voit
cependant un autre trait typique de la technique des images
mentales, le recours lassociation dides emprunte aux arts de
mmoire81. Le pote insiste davantage sur la fonction motionnelle des
images, qui se rvlent ambivalentes, puisquelles sont capables tant
de consoler le pote que dapprofondir son chagrin. Cette thmatique
se trouvait dj dans les lettres dexil adresses par Cicron sa femme
Terentia, dont il se reprsentait les souffrances lors de son
loignement, en insistant sur les notations visuelles. Il employait
cette fois non pas le verbe obuersatur, relev chez Lucrce, mais
lexpression voisine ante oculos uersaris (Fam., XIV, 2, 3) ou ante
oculos uersatur (Fam, XIV, 3, 2). Cicron souligne lui aussi le
caractre douloureux de ces visions mais aussi le rconfort quil y
puisait. Lambivalence se retrouve encore dans la remmoration par
Nason exil dun ami dfunt :
Ante meos oculos tamquam praesentis imago haeret et extinctum
uiuere fingit amor82.
Lambigut motionnelle est perceptible dans les oxymores extinctum
/ praesentis ou extinctum / uiuere, tandis que la juxtaposition
uiuere / fingit rappelle le pouvoir de la posie, et particulirement
de lamour (amor) en posie, qui cre la vie, tel celui de Pygmalion.
Le verbe haeret, dj relev chez Lucrce, qui insistait sur le lien
entre nos songes et les objets de nos attachements, sera souvent
repris par les successeurs dOvide. Lexpression ante oculos [] imago
haeret, avec ce verbe ou avec lun de ses composs est un stylme de
la posie de Nason en exil. Les images de la phantasia conserves
dans sa mmoire se substituent ainsi aux images pnibles dun
environnement dtest, avec des effets contrasts sur les sentiments
du pote. Cependant, par la grce de son talent et de la Muse, la
phantasia de Nason ne se borne pas tre reproductrice , elle devient
aussi cratrice , puisqu partir de ses souvenirs ou des rcits quil a
entendus, lcrivain peut voir et mme donner voir, mettre sous les
yeux de ses lecteurs prsents et venir le spectacle dun triomphe
auquel il na pas assist :
80 Ovide, Tristes, III, 4b, 7-14 (traduction modifie) :
En revanche, lointaine est ma patrie, lointaine mon pouse si
chre, et tout ce qui mtait doux aprs ces deux amours. Pourtant ces
choses sont ce point prsentes que, si je ne puis physiquement les
toucher, mon cur moblige les voir. Devant mes yeux dfilent ma
maison, Rome, et la configuration des lieux, et chaque lieu
sassocient les scnes dont ils furent le thtre. Jai devant mes yeux
limage de mon pouse, comme si elle tait prsente ; tantt elle
alourdit ma peine, tantt elle lallge.
81 Cf. P. Galand, Les yeux de lloquence, p. 100. 82 Ovide,
Pontiques, I, 9, 7-8 (notre traduction) :
De son image, comme sil tait prsent, je ne peux dtacher mes yeux
et bien quil soit mort, mon affection simagine quil vit encore.
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Haec ego submotus, qua possum, mente uidebo ; erepti nobis ius
habet illa loci. Illa per inmensas spatiatur libera terras, In
caelum celeri peruenit illa fuga ; illa meos oculos mediam deducit
in Vrbem Immunes tanti nec sinit esse boni ; inuenietque animus qua
currus spectet eburnos : sic certe in patria per breue tempus ero.
Vera tamen capiet populus spectacula felix Laetaque erit praesens
cum duce turba suo. At mihi fingendo tantum longeque remotis
auribus hic fructus percipiendus erit, atque procul Latio diuersum
missus in orbem qui narret cupido uix erit ista mihi. Is quoque iam
srum referet ueteremque triumphum : quo tamen audiero tempore,
laetus ero. Illa dies ueniet mea qua lugubria ponam causaque
priuata publica maior erit83.
Cest loccasion pour le pote, un brin insolent, de faire lloge de
lesprit (mens) quon ne saurait emprisonner, qui est capable de voir
sans user de la vision sensible, grce limagination (fingendo), et
de reprsenter aux yeux de ses lecteurs le triomphe imagin, grce aux
bruits recueillis (auribus () percipiendus erit), runissant in fine
le pote exil et la communaut civique dans une mme motion, la joie.
La communication de lmotion est en effet le but du recours au procd
de lenargeia/euidentia, et donc, par voie de consquence, un jalon
essentiel dans la stratgie ovidienne de maintenir par tous les
moyens le lien avec ses compatriotes, lien largement menac par la
sentence dexil. Cette runion est ainsi souligne par le polyptote
sur ladjectif laetus/laeta84. Lvocation des yeux de lesprit
rappelle les formules de Cicron et de Quintilien, qui insiste sur
la supriorit de limage, mme mentale voire fictionnelle, sur le
simple son :
Magna uirtus res de quibus loquimur clare atque ut cerni
uideantur enuntiare. Non enim satis efficit neque, ut debet, plene
dominatur oratio, si usque ad aures ualet, atque ea sibi iudex de
quibus cognoscit narrari credit, non exprimi et oculis mentis
ostendi85.
83 Ovide, Tristes, IV, 2, 57-74 (traduction modifie) :
Et moi qui en ai t cart, jassisterai cette clbration comme je le
pourrai : jy serai en esprit ; il conserve le droit de gagner les
lieux qui mont t ravis. Il sbat librement par les terres infinies
et svadant rapidement, il slve jusquau ciel ; cest lui qui dirige
mes yeux au milieu de la ville et qui ne les laisse pas ignorer un
si grand bonheur ; et mon cur dcouvrira comment contempler le char
divoire ; ainsi, je serai du moins dans ma patrie pendant un court
moment. Cependant le peuple heureux jouira rellement du spectacle,
et la foule prsente sur les lieux partagera la joie de son prince.
Mais moi, cest seulement en limaginant et en lcoutant dans mon
lointain exil que jen devrai goter le plaisir. peine se
trouvera-t-il quelquun venu du lointain Latium lautre bout du monde
pour satisfaire ma curiosit par son rcit. Encore me racontera-t-il
dj bien tard un triomphe ancien : nimporte, quelque date que je
lentende, je serai heureux. Il viendra, ce jour o je quitterai mes
habits de deuil et o la cause commune lemportera sur ma cause
particulire.
Mme ide et des expressions similaires dans les Pontiques, IV, 4,
43-46 ; IV, 9, 35-50. Limage de lme qui slve au-dessus du monde
pour le contempler se trouve aussi dans les Tusculanes, I, 44-47.
84 La mme thmatique est dveloppe propos dun autre triomphe, dans
les Pontiques, III, 4, 17-44 : le pote y dveloppe plus longuement
encore la diffrence de qualit entre linspiration veille par les
rcits entendus et celle suscite par la vision directe de pareil
spectacle. 85 Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 3, 62
(traduction modifie) :
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Quintilien tend le domaine de limagination jusqu celui de la
fiction complte :
Nec solum quae facta sint aut fiant, sed etiam quae futura sint
aut futura fuerint imaginamur. [] Sed haec quidem tralatio
temporum, quae proprie dicitur, in diatyposi uerecundior apud
priores fuit. Praeponebant enim talia : Credite uos intueri , ut
Cicero : Haec, quae non uidistis oculi, animis cernere
potestis86
Pour cette raison, il insiste sur la ncessit de multiplier les
dtails dans les ekphrasis de ces images mentales afin daccrotre
leffet de rel. Cela peut aller, pour susciter non plus la joie,
mais le chagrin et la piti, jusqu la reprsentation allgorique
dlments abstraits. La phantasia ovidienne lobsde ainsi de
reprsentations personnifies, presques denses et opaques, laveuglant
de son malheur :
Nec melius ualeo, quam corpore, mente, sed aegra est utraque
pars aeque binaque damna fero. Haeret et ante oculos ueluti
spectabile corpus astat fortunae forma legenda meae ; Cumque locum
moresque hominum cultusque sonumque cernimus, et qui sim qui
fuerimque subit87.
Le pote souligne dans ce vers le drglement de son corps et de
son esprit, source dhallucinations douloureuses, causes par la
passion nostalgique qui lui font perdre jusqu son identit. Tel est
donc le rle crucial jou par la phantasia du pote exil : elle est
une facult reproductrice mais aussi cratrice et, ce titre, chez un
crivain, elle est particulirement entrane et dveloppe pour remplir
cet emploi : tantt, il en tire du rconfort, quand elle le ramne
brivement au cur de la communaut civique, tantt, vient-elle
lattrister, comme dans le dernier exemple, mais, le plus souvent,
quand elle se donne libre cours, elle est capable de consoler en
larrachant la morne contemplation, par la vision sensible, dun
environnement dtest. Il est ainsi ais de relever dans les extraits
suivants le lexique de la vision sensible et/ou mentale, ainsi que
celui de la mmoire.
Cest une grande qualit que de prsenter les choses dont nous
parlons avec une telle clart quelles semblent tre sous nos yeux. Le
discours, en effet, ne produit pas un effet suffisant et nexerce
pas pleinement lemprise quil doit exercer, si son pouvoir se limite
aux oreilles et si le juge croit quon lui fait simplement le rcit
des faits dont il a eu vent, au lieu de les mettre en relief et de
les rendre sensibles au regard de son intelligence.
86 Quintilien, Institution Oratoire, IX, 2, 41 : Et ce nest pas
seulement ce qui sest pass ou se passe, mais ce qui se passera ou
aurait pu se passer que nous imaginons. [] Mais cette transposition
des temps, dont le nom technique est , tait plus modestement
employe par les anciens orateurs dans la diatypose (sous forme de
tableau). Ils la faisaient prcder en effet de formules comme :
Imaginez que vous voyez , ou, chez Cicron : Ce que vous navez pas
vu avec les yeux, vous pouvez vous le reprsenter en imagination
.
87 Ovide, Tristes, III, 8, 33-39 (traduction modifie). Et mon
esprit ne se porte pas mieux que mon corps : lun comme lautre sont
malades et tous les deux me font souffrir galement. Sans cesse
devant mes yeux, comme personnifie, se tient limage visible de ma
fortune ; et quand je vois le pays, les murs des habitants, leur
costume et leur langage, quand je songe ce que je suis, ce que je
fus.
Une autre personnification de la fortune du pote, exprime par le
terme species, lapparence , vient lempcher de travailler dans les
Pontiques, III, 9 ; 29-32.
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Sic animum tempusque traho, me sicque reduco a contemplatu
submoueoque mali. Carminibus quaero miserarum obliuia rerum88.
ou
Semper in obtutu mentem uetat esse malorum praesentis casus
inmemoremque facit. [] Vtque soporiferae biberem si pocula Lethes,
temporis aduersi sic mihi sensus abest89.
Les images de la phantasia stimule par le furor potique
constituent ainsi lcran le plus efficace contre les images fournies
par les sens (sensus), tandis que les images de jadis conserves
dans la mmoire empchent que ne se forment et ne se fixent celles
daujourdhui. Lactivit potique permet ainsi de stimuler la phantasia
du pote et de prenniser sa mmoire, tout en lui offrant les
consolations que le sommeil lui refuse. En effet, tourment par
linsomnie ou par les cauchemars causs par son voisinage avec les
barbares, Nason trouve peu de soulagement ses douleurs dans le
sommeil90 : il est donc condamn au rve veill, forger des images
plaisantes et dotes denargeia/euidentia pour y trouver du plaisir,
quelles soient publiques, comme celles des triomphes, ou prives,
quand il simagine ses retrouvailles avec son pouse91. Il fait quand
mme une exception dans une pice, lptre III, 3 des Pontiques, o il
rapporte une trange rencontre, faite entre le sommeil et la veille.
Le texte laisse en effet planer le doute, puisque Nason indique
quil dormait aux vers 7-8, puis que le sommeil sest enfui larrive
de lapparition au vers 12, tandis quil conclut cette visite par le
distique suivant :
Dixit et aut ille est tenues dilapsus in auras, coeperunt sensu
saut uigilare mei92.
La rfrence aux sensus endormis durant la vision intrieure montre
que Nason matrise bien une certaine vulgate philosophique, peut-tre
mme plus particulirement picurienne, si lon considre que tenues est
peut-tre employ en hypallage pour ille () tenuis, pithte donne aux
simulacres lucrtiens. Lhsitation sur le sommeil est confirme par
une hsitation sur la nature de la vision (quae uidi), ce que jai vu
:
[] seu corporis umbra seu ueri species seu fuit illa sopor93
88 Ovide, Tristes, V, 7, 65-67 :
Cest ainsi que joccupe et mon esprit et mon temps, cest ainsi
que je me soustrais et marrache la contemplation de mon malheur. Je
cherche dans la posie loubli de mes misres.
89 Ovide, Tristes, IV, 1, 39-40 & 47-48 (notre traduction) :
[La fureur potique] empche que mon esprit reste fascin par ses maux
et elle lui te tout souvenir de son malheur prsent. [] et comme si
je buvais les coupes du Lth dispensateur de sommeil, ainsi sloigne
de moi la sensation de ce prsent hostile.
90 Cf. par exemple, Ovide, Pontiques, I, 8, 21-24. 91 Cf. par
exemple, Ovide, Pontiques, I, 4, 49-58. 92 Ovide, Pontiques, III,
3, 93-94 (notre traduction) :
Il parla ainsi puis il se dissipa dans les souffles tnus, ou
bien mes sens peu peu sveillrent.
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Nason ignore sil sagit dun fantme, dune vision vritable, fournie
par les sens la phantasia, ou dune vision onirique, produite par la
phantasia sans les sens. La solution privilgie cependant parat tre
celle du rve, cause de lidentit du personnage, mais aussi parce que
lhypothse du fantme et celle du rve encadrent, et ainsi dpassent,
celle de la vision authentique, tandis que la mention du rveil des
sens conclut le passage. En outre, dans le cours du rcit, Nason
ajoute un distique qui emploie deux reprises lexpression uisus (ego
uisus eram/uisus nobis ille, vers 65-66) Le personnage dcrit par la
suite, qui le pote adresse une longue suite de rcriminations et qui
lui rpond par une prosopope, si tant est quil sagisse dune vision
onirique, nest pas une apparition ordinaire, notamment parce quelle
ne prend la parole quen second, contrairement lusage. Ensuite, si
elle ralise une prophtie lapaisement de la colre dAuguste et la
ralisation des vux de Nason , la suite du recueil ne vient pas la
confirmer ; se glisse dailleurs, sans quon puisse limputer au pur
hasard nous semble-t-il, une discrte rfrence, quelques vers aprs la
fin du rcit, livoire (vers 98), matriau dont est faite la porte des
rves trompeurs. Dailleurs, Amour, puisquil sagit de lui, est rput
pour tenir souvent ses adorateurs des paroles trompeuses, comme
Nason le rappelle ds son premier reproche :
O puer, exilii decepto causa magistro94 []. Cependant, ce qui
est particulirement intressant dans cette apparition de lAmour,
cest son apparence :
Stabat Amor, uultu non quo prius esse solebat, fulcra tenens
laeua tristis acerna manu, nec torquem collo neque habens crinale
capillo nec bene dispositas comptus ante comas. Horrida pendebant
molles super ora capilli et uisa est oculis horrida penna meis,
qualis in aeriae tergo solet esse columbae tractatam multae quam
tetigere manus95.
LAmour est, sinon malade et vieilli, du moins endeuill. Il nest
pas sans rappeler les fantmes qui ont conserv les stigmates de ce
qui causa leur mort ou du processus de dcomposition, comme Cynthie
chez Properce. Loin dtre agrable, son apparition est une souffrance
pour le pote qui commence par prendre peur (vers 11-12) puis se met
en colre. Or, si nous rapprochons les pices de Properce et dOvide,
une interprtation peut sen dgager. Le fantme de Cynthie dans le
livre IV symbolisait chez Properce la
93 Ibidem, 3-4 :
que ce ft lombre dun corps lenveloppe dun tre vritable ou le
sommeil.
94 Ibidem, 23 : Enfant qui trompas ton matre et causas son exil
[].
95 Ovide, Pontiques, III, 3, 13-20 : LAmour se tenait l, non pas
avec les traits dautrefois, mais triste, tenant de sa main gauche
le montant du lit drable, sans collier au cou, sans peigne dans les
cheveux ; sa chevelure ntait pas comme autrefois ordonne avec soin.
Ses cheveux tombaient mollement sur son visage hirsute, et ses
plumes mapparurent hirsutes, comme sur le dos dune colombe arienne
touche et caresse de bien des mains.
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conversion de linspiration lgiaque vers des sujets plus levs,
mme si celui-ci ne reniait en aucun cas cette veine rotique qui il
avait choisi daccorder la primaut, comme le rappelait la matresse
de lauteur. Lapparition dAmour en deuil, us par les mains des potes
dautrefois ou du fantme dAmour emblmatise chez Ovide la conversion
de linspiration lgiaque vers une forme damour plus grave, plus
douloureuse. Le Cupido, dsir sensuel et conqurant des annes de
jeunesse, sest enfui, mais lAmour, au temps de la vieillesse,
demeure, mais sous la forme des attachements civiques plus
traditionnels96 attachement la patrie, son pouse et ses amis dans
le cur du pote lui-mme vieilli et exil pour immoralit. Le fantme
dAmour apparat donc comme une sorte dapologie destine prouver, par
une imago fantastique , et plus efficace que nimporte quel
discours, que le genre lgiaque peut se convertir la moralit. Bilan
Nous voyons donc, dans la posie rotique antique, se dtacher une
tradition particulire, celle de lapparition fantasmatique et
hallucinatoire des tres aims, drive de plusieurs topoi : *le topos
du rve rotique. Ce motif, couramment mentionn ds les pigrammes
grecques est analys par les philosophes antiques. Ils se servent
gnralement du rve rotique pour illustrer la thorie du rve non
divinatoire, n des proccupations et des dsirs du jour. Lucrce, en
particulier, recourt lanalyse du rve rotique dans sa critique de
lamour, quil dcrit comme une illusion et une passion du dsir. Cette
conception lucrtienne de lamour sera ensuite pleinement illustre
ensuite par les potes lgiaques. Le caractre topique du motif de
lamoureux rvant de sa bien-aime est confirm par la reprise quen
fait, par exemple, le pote antique Claudien dans le pome prfaciel
du Pangyrique pour le sixime consulat dHonorius (vers 7). Le motif
connat un dveloppement majeur la Renaissance : un simple parcours
des anthologies de B. Windau97 et de F. Joukovsky98 le montrera
sans peine. *la mtaphore de lempreinte dans la cire, utilise pour
expliquer limpression produite dans la phantasia par les
sensations, en particulier celles de la vue, grave ensuite dans la
mmoire, voire dans lme. Le motif se trouve galement dans les
pigrammes grecques, aprs avoir t thoris par Aristote, puis repris
par Plutarque, qui insiste sur la persistance presque
hallucinatoire de cette impression dans lme amoureuse. Properce y
fait allusion brivement dans les lgies, en liant, de manire trs
intressante, ce thme de lempreinte dans le cur celui de lobsession
amoureuse hallucinatoire :
Nec te decipiat, quod sit satis illa parata : acrius illa subit,
Pontice, si qua tua est, quippe ubi non liceat uacuos seducere
ocellos, nec uigilare alio limine cedat Amor99.
96 Cest le vers 20 qui nous amne formuler lhypothse
dattachements traditionnels ou usuels. 97 B. Windau, Somnus.
Neulateinische Dichtung and und ber den Schlaf. Studien zur Motivik
Texte, bersetzung, Kommentar, Trier, Wissenschaftlicher Verlag,
1998, en particulier p. 144-152, anthologie de pices implorant le
sommeil de leur envoyer de doux rves, gnralement des rves de ltre
aim. 98 F. Joukovsky (d), Songes de la Renaissance, Paris, 10/18,
1991, p. 212-237. 99 Properce, lgies, I, 9, 25-28 :
Que cela ne te trompe pas quelle soit tout fait consentante ;
elle sinsinue plus profondment, Ponticus, celle qui tappartient ;
alors on ne peut dtourner les yeux disponibles et lAmour naccorde
pas dtre veill pour autre chose.
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Ce motif pourra, dans la vise syncrtique qui est parfois celle
des potes, tre rattach plus tard la thorie platonicienne de lme en
qute de la Beaut sur terre qui lui rappellera, comme un miroir, la
Beaut intelligible contemple avant lincarnation. *ce topos
senracine aussi dans lide que le fonctionnement de la phantasia
physiologique est altr au moment du sommeil ou sous leffet de la
passion, selon les philosophes. *il senracine aussi dans le terreau
des apparitions oniriques de fantmes , les mes des dfunts, qui
suscitent des jugements ambivalents chez les philosophes.
Stigmatises par Platon puis par Plutarque ou Synsios comme la trace
dun attachement trop grand de lme aux plaisirs terrestres, elles
sont mentionnes par Cicron uia Posidonius comme une source possible
de rve divinatoire. Elles constituent aussi une topique de lpope
grecque et latine. Il nous semble donc