Page 1
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 1/664
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilEtudes et préludes / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétique complètede Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulter lapremière version du recueil "Etudes et préludes / 1901" sur le site de laBibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique"Recherche".
Etudes et préludes
A la Femme aimée
Bacchante triste
Sonnet : L'orgueil des lourds anneaux...
Chanson : Ta voix est un savant poème...
Chanson : Le couchant adoucit...
Sonnet : Parle-moi...
Ta forme est un éclair...
Soir
Aurore sur la Mer
Chanson : Le vol...
Ondine
Page 2
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 2/664
Victoire
À l'amie
Chanson : De ta robe...
L'Eternelle Vengeance
Nudité
Aube incertaine
Chanson : Comment oublier...
Lucidité
L'Odeur des Vignes
Elle écarte...
Sourire dans la Mort
Sonnet : O forme...
Chanson : Le soir verse...
Chanson : J'ai l'âme lasse...
Les Yeux gris
Naïade moderne
Sonnet : Tes cheveux irréels...
Cri
Chanson : Ta chevelure...
Sonnet : Ecoutez...
Morts inquiets
Sommeil
Sonnets : L'ombre assourdit... Sous un ciel ambigu...
Amazone
Nocturne
Page 3
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 3/664
À la Femme aiméee
Lorsque tu vins, à pas réfléchis, dans la brume,
Le ciel mêlait aux ors le cristal et l’airain.
Ton corps se devinait, ondoiement incertain,
Plus souple que la vague et plus frais que l’écume.
Le soir d’été semblait un rêve oriental
De rose et de santal.
Je tremblais. De longs lys religieux et blêmes
Se mouraient dans tes mains, comme des cierges froids.
Leurs parfums expirants s’échappaient de tes doigts
En le souffle pâmé des angoisses suprêmes.
De tes clairs vêtements s’exhalaient tour à tour
L’agonie et l’amour.
Je sentis frissonner sur mes lèvres muettes
La douceur et l’effroi de ton premier baiser.
Sous tes pas, j’entendis les lyres se briser
En criant vers le ciel l’ennui fier des poètes
Parmi des flots de sons languissamment décrus,
Blonde, tu m’apparus.
Page 4
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 4/664
Et l’esprit assoiffé d’éternel, d’impossible,
D’infini, je voulus moduler largement
Un hymne de magie et d’émerveillement.
Mais la strophe monta bégayante et pénible,
Reflet naïf, écho puéril, vol heurté,
Vers ta Divinité.
Bacchante triste
Le jour ne perce plus de flèches arrogantes
Les bois émerveillés de la beauté des nuits,
Et c'est l'heure troublée où dansent les Bacchantes
Parmi l'accablement des rythmes alanguis.
Leurs cheveux emmêlés pleurent le sang des vignes,
Leurs pieds vifs sont légers comme l'aile des vents,
Et le rose des chairs, la souplesse des lignes,
Ont peuplé la forêt de sourires mouvants.
La plus jeune a des chants qui rappellent le râle:
Sa gorge d'amoureuse est lourde de sanglots.
Elle n'est point pareille aux autres, - elle est pâle;
Page 5
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 5/664
Son front a l'amertume et l'orage des flots.
Le vin où le soleil des vendanges persiste
Ne lui ramène plus le généreux oubli;
Elle est ivre à demi, mais son ivresse est triste,
Et les feuillages noirs ceignent son front pâli.
Tout en elle est lassé des fausses allégresses.
Et le pressentiment des froids et durs matins
Vient corrompre la flamme et le miel des caresses.
Elle songe, parmi les roses des festins.
Celle-là se souvient des baisers qu'on oublie...
Elle n'apprendra pas le désir sans douleur,
Celle qui voit toujours avec mélancolie
Au fond des soirs d'orgie agoniser les fleurs.
Sonnet
L'orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l'éclat de l'art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.
Page 6
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 6/664
Ta bouche délicate aux fines ciselures
Excelle à moduler l'artifice des vers:
Sous les flots de satin savamment entr'ouverts,
Ton sein s'épanouit en de pâles luxures.
Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l'incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d'or au milieu des lumières.
Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et nu.
Chanson
Ta voix est un savant poème...
Charme fragile de l'esprit,
Désespoir de l'âme, je t'aime
Comme une douleur qu'on chérit.
Dans ta grâce longue et blémie,
Tu revins du fond de jadis...
Page 7
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 7/664
O ma blanche et lointaine amie,
Je t'adore comme les lys!
On dit qu'un souvenir s'émousse,
Mais comment oublier jamais
Que ta voix se faisait très douce
Pour me dire que tu m'aimais?
Chanson
Le couchant adoucit le sourire du ciel.
La nuit vient gravement, ainsi qu'une prêtresse.
La brise a déroulé, d'un geste de caresse,
Tes cheveux aux blondeurs de maïs et de miel.
Tes lèvres ont gardé le pli de la parole
Dont mon rêve attentif s'est longtemps enchanté.
Une voix de souffrance a longtemps sangloté
Dans l'ombre d'où l'encens des fleurs blanches s'envole.
Ta robe a des frissons de festins somptueux,
Et, sous la majesté de la noble parure,
Fleurit, enveloppé d'haleines de luxure,
Page 8
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 8/664
Lys profane, ton corps pâle et voluptueux.
Ta prunelle aux bleus frais s'alanguit et se pâme.
Je vois, dans tes regards pareils aux tristes cieux,
Dans cette pureté dernière de tes yeux,
La forme endolorie et lasse de ton âme.
Là-bas s'apaise enfin l'essaim d'or des guêpiers...
Parmi les chants vaincus et les splendeurs éteintes,
Tu frôles sans les voir les frêles hyacinthes
Qui se meurent d'amour, ayant touché tes pieds.
Sonnet
Parle-moi, de ta voix pareille à l'eau courante,
Lorsque s'est ralenti le souffle des aveux.
Dis-moi des mots railleurs et cruels si tu veux,
Mais berce-moi de la mélopée enivrante.
De ce timbre voilé qui m'attriste et m'enchante,
Lorsque mon front s'égare en tes vagues cheveux,
Exprime tes espoirs, tes regrets et tes voeux,
O mon harmonieuse et musicale amante!
Page 9
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 9/664
Et moi, j'écouterai ta voix et son doux chant.
Je ne comprendrai plus, j'écouterai, cherchant,
Sinon l'entier oubli, du moins la somnolence.
Car si tu t'arrêtais, ne fût-ce qu'un moment,
J'entendrais... j'entendrais au profond du silence
Quelque chose d'affreux qui pleure horriblement.
Sonnet
Ta forme est un éclair qui laisse les bras vides,
Ton sourire est l'instant que l'on ne peut saisir...
Tu fuis, lorsque l'appel de mes lèvres avides
T'implore, ô mon Désir !
Plus froide que l'Espoir, ta caresse cruelle
Passe comme un parfum et meurt comme un reflet.
Ah! l'éternelle faim et la soif éternelle
Et l'éternel regret !
Tu frôles sans étreindre, ainsi que la Chimère
Vers qui tendent toujours les voeux inapaisés...
Page 10
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 10/664
Rien ne vaut ce tourment ni cette extase amère
De tes rares baisers !
Soir
La lumière agonise et meurt à tes genoux.
Viens, ô toi dont le front impénétrable et doux
Porte l'accablement des pesantes années:
Douloureuse et les traits mortellement pâlis,
Viens, sans autre parfum dans ta robe à longs plis
Que le souffle des fleurs depuis longtemps fanées.
Viens, sans fard à ta lèvre où brûle mon désir,
Sans anneaux, - le rubis, l'opale et le saphir
Déshonorent tes doigts laiteux comme la lune, -
Et bannis de tes yeux les reflets du miroir...
Voici l'heure très simple et très chaste du soir
Où la couleur oppresse, où le luxe importune.
Délivre ton chagrin du sourire éternel,
Exhale ta souffrance en un sincère appel:
Les choses d'autrefois, si cruelles et folles,
Laissons-les au silence, au lointain, à la mort...
Page 11
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 11/664
Dans le rêve qui sait consoler de l'effort,
Oublions cette fièvre ancienne des paroles.
Je baiserai tes mains et tes divins pieds nus,
Et nos coeurs pleureront de s'être méconnus,
Pleureront les mots vils et les gestes infâmes.
Des vols s'attarderont dans la paix des chemins...
Tu joindras la blancheur mystique de tes mains,
Et je t'adorerai, dans l'ombre où sont les âmes.
Aurore sur la Mer
... quand à mon sanglot: et que
les vents orageux l'emporte
pour les souffrances!
Psappha
Je te méprise enfin, souffrance passagère !
J'ai relevé mon front. J'ai fini de pleurer.
Mon âme est affranchie, et ton ombre légère
Dans les nuits sans repos ne vient plus l'effleurer.
Aujourd'hui je souris à l'aube qui nous blesse.
Page 12
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 12/664
O vent des vastes mers, qui, sans parfum de fleurs,
D'une âcre odeur de sel ranimes ma faiblesse,
O vent du large! emporte à jamais les douleurs !
Emporte les douleurs au loin, d'un grand coup d'aile,
Afin que le bonheur éclate, triomphal,
Dans nos coeurs où l'orgueil divin se renouvelle,
Tournés vers le soleil, les chants et l'idéal !
Chanson
Le vol de la chauve-souris,
Tortueux, angoissé, bizarre,
Aux battements d'ailes meurtris,
Revient et s'éloigne et s'égare.
N'as-tu pas senti qu'un moment,
Ivre de ses souffrances vaines,
Mon âme allait éperdument
Vers tes chères lèvres lointaines ?
Page 13
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 13/664
Ondine
Ton rire est clair, ta caresse est profonde,
Tes froids baisers aiment le mal qu'ils font;
Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l'onde,
Et les lys d'eau sont moins purs que ton front.
Ta forme fuit, ta démarche est fluide,
Et tes cheveux sont de légers réseaux;
Ta voix ruiselle ainsi qu'un flot perfide;
Tes souples bras sont pareils aux roseaux,
Aux longs roseaux des fleuves, dont l'étreinte
Enlace, étouffe, étrangle savamment,
Au fond des flots, une agonie éteinte
Dans un nocturne évanouissement.
Victoire
Donne-moi tes baisers amers comme des larmes,
Le soir, quand les oiseaux s'attardent dans leurs vols.
Nos longs accouplements sans amour ont les charmes
Des rapines, l'attrait farouche des viols.
Page 14
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 14/664
Tes yeux ont reflété la splendeur de l'orage...
Exhale ton mépris jusqu'en ta pâmoison,
O très chère! - Ouvre-moi tes lèvres avec rage:
J'en boirai lentement le fiel et le poison.
J'ai l'émoi du pilleur devant un butin rare,
Pendant la nuit de fièvre où ton regard pâlit...
L'âme des conquérants, éclatante et barbare,
Chante dans mon triomphe au sortir de ton lit !
À l'amie
Dans tes yeux les clartés trop brutales s'émoussent.
Ton front lisse, pareil à l'éclatant vélin
Que l'écarlate et l'or de l'image éclaboussent,
Brûle de reflets roux ton regard opalin.
Ton visage a pour moi le charme des fleurs mortes,
Et le souffle appauvri des lys que tu m'apportes
Monte vers les langueurs du soleil au déclin.
Fuyons, Sérénité de mes heures meurtries,
Au fond du crépuscule infructueux et las.
Page 15
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 15/664
Dans l'enveloppement des vapeurs attendries,
Dans le soir fraternel, je te dirai très bas
Ce que fut la beauté de la Maîtresse unique...
Ah! cet âpre parfum, cette amère musique
Des bonheurs accablés qui ne reviendront pas !
Ainsi nous troublerons longtemps la paix des cendres.
Je te dirai des mots de passion, et toi,
Le rêve ailleurs et les yeux lointainement tendres,
Tu suivras ton passé de souffrance et d'effroi.
Ta voix aura le chant des lentes litanies
Où sanglote l'écho des plaintes infinies,
Et ton âme, l'essor douloureux de la Foi.
Chanson
De ta robe à longs plis flottants
Ruissellent toutes les chimères,
Et tu m'apportes le printemps
Dans tes mains blondes et légères.
J'ai peur de ce frisson nacré
De tes frêles seins, je ne touche
Page 16
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 16/664
Qu'en tremblant à ton corps sacré,
J'ai peur du charme de ta bouche.
Je me sens grandir jusqu'aux Dieux
Quand, sous mon orgueilleuse étreinte,
Le doux bleu meurtri de tes yeux
S'évanouit, fraîcheur éteinte.
Mais quand, si blanche entre mes bras,
A mon cri d'amour qui se pâme
Tu souris et ne réponds pas,
Tes yeux fermés me glacent l'âme...
J'ai peur, - c'est le remords spectral
Que l'extase ne saurait taire, -
De t'avoirpeut-être fait mal
D'une caresse involontaire.
L'Eternelle Vengeance
Dalila, courtisane au front mystérieux,
Aux mains de sortilège et de ruse, aux longs yeux
Où luttaient le soleil, l'orage et la nuée,
Page 17
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 17/664
Rêvait:
"Je suis l'esclave et la prostituée,
La fleur que l'on effeuille au festin du désir,
La musique d'une heure et le chant d'un loisir,
Ce qui charme, ce qu'on enlace et qu'on oublie.
Mon corps sans volupté se pâme et ploie et plie
Au signe impérieux des passagers amants.
Parmi ces inconnus qui, repus et dormants,
Après la laide nuit dont l'ombre pleure encore,
De leur souffle lascif souillent l'air de l'aurore,
C'est toi le plus haï, Samson, fils d'Israël !
Mon sourire passif répond à ton appel,
Mon corps, divin éclair et baiser sans empreinte,
A rempli de parfums ta détestable étreinte:
Mais, malgré les aveux et les sanglots surpris,
Ne crois pas que ma haine ait moins d'âpres mépris,
Car, dans le lit léger des feintes allégresses,
Dans l'amère moiteur des cruelles caresses,
J'ai préparé le piège où tu succomberas,
Moi, le contentement bestial de tes bras !"
Elle le supplia sur la couche d'ivoire:
"Astre sanglant, dis-moi le secret de ta gloire."
Mais l'amant de ses nuits sans amour lui mentit.
Page 18
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 18/664
Et la soif des vaincus la brûla sans répit.
Elle fut le regard et l'ouïe et l'attente,
La chaude obsession qui ravit et tourmente,
Et, patient péril aux froids destins pareils,
Sa vengence épia le souffle du sommeil.
Un soir que la Beauté brillait plus claire en elle,
Par l'enveloppement de l'humide prunelle,
Par le geste des bras défaillant et livré
Torturé tendrement, - savamment enivré
De souples seins, de flancs fiévreux, de lèvres lasses,
De murmures mourants et de musiques basses,
Sous les yeux de la femme, implacablement doux,
Dans l'ombre et dans l'odeur de ses ardents genoux,
Sans souvenir, cédant à l'éternelle amorce,
L'homme lui soupira le secret de sa force.
Nudité
L'ombre jetait vers toi des effluves d'angoisse:
Page 19
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 19/664
Le silence devint amoureux et troublant.
J'entendis un soupir de pétales qu'on froisse,
Puis, lys entre les lys, m'apparut ton corps blanc.
J'eus soudain le mépris de ma lèvre grossière...
Mon âme fit ce rêve attendri de poser
Sur ta grâce où longtemps s'attardait la lumière
Le souffle frissonnant d'un mystique baiser.
Dédaignant l'univers que le désir enchaîne,
Tu gardas froidement ton sourire immortel,
Car la Beauté demeure étrange et surhumaine
Et veut l'éloignement splendide de l'autel.
Éparse autour de toi pleurait la tubéreuse,
Tes seins se dressaient fiers de leur virginité...
Dans mes regards brûlait l'extase douloureuse
Qui nous étreint au seuil de la divinité.
Aube incertaine
Comme les courtisans près d'un nouveau destin,
Nous attendions l'éveil propice de l'aurore.
Page 20
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 20/664
Les songes attardés se poursuivaient encore,
Et tes yeux étaient bleus, - bleus comme le matin.
Tandis que je songeais à la douceur passé,
Tes cheveux répandaient une odeur de sommeil.
Dans la crainte de voir éclater le soleil,
Notre nuit s'éloignait, souriante et lassée.
Tel un léger linceul de spectre, le brouillard
Matinal s'allongeait avant de disparaître,
Et le monde était plein d'un immense "peut-être".
L'aube était incertaine ainsi que ton regard.
Tu semblais deviner mes extases troublées.
Dans l'ombre je croyais te voir enfin pâlir,
Et j'espérais qu'enfin jaillirait le soupir
De nos coeurs confondus, de nos âmes mêlées.
Nos êtres frémissaient de tressaillements sourds.
Nous espérions avoir atteint l'amour lui-même,
Sa très terrible ardeur et son éclair suprême...
Et le jour s'est levé, comme les autres jours !
Page 21
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 21/664
Chanson
Comment oublier le pli lourd
De tes belles hanches se,
L'ivoire de ta chair où court
Un frémissement bleu de veines ?
N'as-tu pas senti qu'un moment,
Ivre de ses angoisses vaines,
Mon âme allait éperdument
Vers tes chères lèvres lointaines ?
Et comment jamais retrouver
L'identique extase farouche,
T'oublier, revivre et rêver
Comme j'ai rêvé sur ta bouche ?
Lucidité
L'art délicat du vice occupe tes loisirs,
Et tu sais réveiller la chaleur des désirs
Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.
L'odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.
Page 22
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 22/664
Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.
Tu n'aimes que le faux et l'artificiel,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.
Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.
Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.
Ton corps s'est amolli sous des baisers sans nombre,
Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.
Languissant et lascif, ton frôlement rusé
Ignore la beauté loyale de l'étreinte.
Tu mens comme l'on aime, et, sous ta douceur feinte,
On sent le rampement du reptile attentif.
Au fond de l'ombre, telle une mer sans récif,
Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche...
O femme! je le sais, mais j'ai soif de ta bouche !
L'Odeur des Vignes
L'odeur des vignes monte en un souffle d'ivresse:
La pesante douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
Page 23
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 23/664
L'enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l'ambre de ses deux seins.
Un spectre de Bacchante erre parmi les treilles.
Sa rouge chevelure et ses lèvres vermeilles,
Ses paupières de pourpre aux replis somptueux,
Brûlent du flamboiement des anciennes luxures,
Et, dévoilant sa chair aux sanglantes morsures,
Elle chante à grands cris le vin voluptueux.
Les baisers sans amour sur les lèvres stupides,
Les regards vacillants dans le fond des yeux vides
Sortiront, enfiévrés, de l'effort du pressoir.
L'air se peuple déjà de visions profanes,
De festins où fleurit le front des courtisanes...
Les effluves du vin futur troublent le soir...
L'odeur des vignes monte en un souffle d'ivresse:
La pesante douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
L'enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l'ambre de ses deux seins.
Page 24
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 24/664
Elle écarte
"Her gentle feet tread down the weeds
"And give more place to flowers.
Elle écarte en passant les ronces des chemins.
Au geste langoureux et frôleur de sa main
Eclosent blanchement les frêles églantines...
Mais sa chair s'est blessée à tant d'âpres épines !
J'ai vu saigner ses pieds aux buissons du chemin.
Son lent sourire tombe au sein d'or des corolles.
L'évanouissement de ses vagues paroles
Remplit de bleus échos les jardins d'aconit
Sous les rayons cruels de la lune au zénith.
Son lent sourire tombe au sein d'or des corolles.
Dans l'ombre de ses pas pleurent les liserons...
Le jasmin, diadème aux délicats fleurons,
Cet astre atténué, la chaste primevère,
Parent son front de vierge à la beauté sévère...
Là-bas pleurent d'amour les simples liserons.
Son être, où brûle encor l'ardeur des soifs divines,
Page 25
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 25/664
S'est blessé trop souvent aux sauvages épines, -
J'ai vu saigner son coeur aux buissons du chemin.
Elle va gravement vers le lourd lendemain,
Inlassable et gardant l'ardeur des soifs divines...
J'ai vu saigner son coeur aux buissons du chemin.
Sourire dans la Mort
Car il n'est pas juste que la lamentation
soit dans la maison des serviteurs des Muses :
cela est indigne de nous.
Psappha.
Le charme maladif des musiques moroses
Ici ne convient point à l'auguste trépas.
Venez, il faut couvrir de rythmes et de roses
La maison de l'Aède, où le deuil n'entre pas !
Que, parmi le reflux des clartés, se déploie
La pompe des parfums, des chants et des couleurs:
Avec des cris d'orgueil, d'espérance et de joie,
Jetez à pleines mains les fleurs, les fleurs, les fleurs !
Page 26
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 26/664
Sonnet
O forme que les mains ne sauraient retenir!
Comme au ciel l'élusif arc-en-ciel s'évapore,
Ton sourire, en fuyant, laisse plus vide encore
Le coeur endolori d'un trop doux souvenir.
Ton caprice lassé, comment le rajeunir,
Afin qu'il refleurisse aux fraîcheurs d'une aurore ?
Quels mots te murmurer, et quel lys faire éclore
Pour enchanter l'ennui de l'heure et du loisir ?
De quels baisers charmer la langueur de ton âme,
Afin qu'exaspéré d'extase, pleure et pâme
Ton être suppliant, avide et contenté ?
De quels rythmes d'amour, de quel fervent poème
Honorer dignement Celle dont la beauté
Porte au front le Désir ainsi qu'un diadème ?
Page 27
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 27/664
Chanson
Le soir verse les demi-teintes
Et favorise les hymens
Des véroniques, des jacinthes,
Des iris et des cyclamens.
Charmant mes gravités meurtries
De tes baisers légers et froids,
Tu mêles à mes rêveries
L'effleurement blanc de tes doigts.
Chanson
J'ai l'âme lasse du destin
Et je ne veux plus voir le monde
Qu'à travers le voile divin
De tes pâles cheveux de blonde.
Sur mon front, haï des sommeils
Et que le délire importune,
Répands tes doux cheveux, pareils
A des rayons de clair de lune.
Page 28
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 28/664
Puisque le passé pleure seul
Parmi les félicités brèves,
Fais de tes cheveux le linceul
Afin d'ensevelir mes rêves.
Les Yeux gris
Le charme de tes yeux sans couleur ni lumière
Me prend étrangement; il se fait triste et tard,
Et, perdu sous le pli de ta pâle paupière,
Dans l'ombre de tes cils sommeille ton regard.
J'interroge longtemps tes stagnantes prunelles.
Elles ont le néant du soir et de l'hiver
Et des tombeaux: j'y vois les limbes éternelles,
L'infini lamentable et terne de la mer.
Rien ne survit en toi, pas même un rêve tendre.
Tout s'éteint dans tes yeux sans âme et sans reflet,
Comme dans un foyer de silence et de cendre...
Et l'heure est monotone ainsi qu'un chapelet.
Page 29
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 29/664
Parmi l'accablement du morne paysage,
Un froid mépris me prend des vivants et des forts...
J'ai trouvé dans tes yeux la paix sinistre et sage
Et la mort qu'on respire à rêver près des morts.
Naïade moderne
Les remous de la mer miroitaient dans ta robe.
Ton corps semblait le flot traître qui se dérobe.
Tu m'attirais vers toi comme l'abîme et l'eau;
Tes souples mains avaient le charme du réseau,
Et tes vagues cheveux flottaient sur ta poitrine,
Fluides et subtils comme l'algue marine.
Cet attrait décevant qui pare le danger
Rendait encor plus doux ton sourire léger;
Ton front me rappelait les profondeurs sereines,
Et tes yeux me chantaient la chanson des sirènes.
Sonnet
Tes cheveux irréels, aux reflets clairs et froids,
Page 30
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 30/664
Ont de pâles lueurs et des matités blondes;
Tes regards ont l'azur des éthers et des ondes;
Ta robe a le frisson des brises et des bois.
Je brûle de baisers la blancheur de tes doigts.
L'air nocturne répand la poussière des mondes.
Pourtant je ne sais plus, au sein des nuits profondes,
Te comtempler avec l'extase d'autrefois.
La lune t'effleura d'une lueur oblique...
Ce fut terrible autant qu'un éclair prophétique
Révélant la hideur au fond de ta beauté.
Je vis - comme l'on voit une fleur qui se fane -
Sur ta bouche, pareille aux aurores d'été,
Un sourire flétri de vieille courtisane.
Cri
Tes yeux bleus, à travers leurs paupières mi-closes,
Recèlent la lueur des vagues trahisons.
Le souffle violent et fourbe de ces roses
M'enivre comme un vin où dorment les poisons...
Page 31
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 31/664
Vers l'heure où follement dansent les lucioles,
L'heure où brille à nos yeux le désir du moment,
Tu me redis en vains les flatteuses paroles...
Je te hais et je t'aime abominablement.
Chanson
Ta chevelure d'un blond rose
A l'opulence du couchant,
Ton silence semble une pause
Adorable au milieu d'un chant.
Et tu passes, ô Bien-Aimée,
Dans le frémissement de l'air...
Mon âme est toute parfumée
Des roses blanches de ta chair.
Lorsque tu lèves les paupières,
Tes yeux pâles, d'un bleu subtil,
Reflètent les larges lumières,
Et les fleurs t'appellent: Avril !
Page 32
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 32/664
Sonnet
Écoutez... Celles-là sont les Musiciennes.
Leur présence est pareille à l'écho d'une voix,
Et leur souffle est dans l'air plein de légers émois,
Plein de très lents accords aux langueurs lesbiennes.
Et les voici passer, formes aériennes,
Se mêlant au silence harmonieux des bois,
Et redisant en choeur leurs amours d'autrefois,
Aux sons luxurieux de leurs lyres anciennes.
Ces choeurs, se lamentant, pleurent au fond des nuits
Et mêlent des essors, des frissons et des bruits
Aux forêts de silence et d'ombre recouvertes.
Comme pour exhaler le chant ou le soupir
On les sent hésiter, les lèvres entr'ouvertes,
Et le poète seul les entend revenir.
Morts inquiets
Page 33
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 33/664
L'éclat de la fanfare et l'orgueil des cymbales,
Réveillant les échos, se prolongent là-bas,
Et, sous l'herbe sans fleurs des fosses martiales,
Les guerriers assoupis rêvent d'anciens combats.
Ils ne s'enivrent point des moiteurs de la terre
Tiède de baisers las et de souffles enfuis...
Seuls, ils ne goûtent point l'enveloppant mystère,
La paix et le parfum des immuables nuits.
Car leur sépulcre est plein de cris et de fumée
Et, devant leurs yeux clos en de pâles torpeurs,
Passe la vision de la plaine embrumée
D'haleines, de poussière et de rouges vapeurs.
Ils attendent, tout prêts à se lever encore,
Les premières lueurs, le clairon du réveil,
Le lourd piétinement des chevaux à l'aurore,
Les chansons du départ... et la marche au soleil !
Que le ciel triomphal du couchant leur rappelle
Les vieux champs de bataille et de gloire, en versant
L'écarlate sinistre et la pourpre cruelle
De ses reflets, pareils aux larges flots de sang !
Page 34
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 34/664
Que le vent, aux clameurs de victoire et de rage,
Le vent qui dispersait la cendre des foyers,
Mêle à leur tombe ardente, avec un bruit d'orage,
Le superbe frisson des drapeaux déployés !
Sommeil
Ton sommeil m'épouvante, il est froid et profond
Ainsi que le Sommeil aux langueurs éternelles.
J'ai peur de tes yeux clos, du calme de ton front.
Je guette - et le silence inquiet me confond -
Un mouvement des cils sur la nuit des prunelles.
Je ne sais, présageant les mortelles douleurs,
Si, dans la nuit lointaine où l'aurore succombe,
Ton souffle n'a pas fui comme un souffle de fleurs,
Sans effort d'agonie et sans râle et sans pleurs,
Et si ton lit d'amour n'est pas déjà la tombe.
Sonnet
Page 35
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 35/664
I
L'ombre assourdit le flux et le reflux des choses.
Parmi l'accablement des parfums et des fleurs,
Tes lèvres ont pleuré leurs rythmiques douleurs
Dans un refrain mêlé de sanglots et de pauses.
Et la langueur des lits, la paix des portes closes,
Entourent nos désirs et nos âpres pâleurs...
Dédaignant la lumière et le fard des couleurs,
Nous mêlons aux baisers le soir lassé de roses.
Tes yeux aux bleus aigus d'acier et de crystal
S'entr'ouvre froidement, ternis comme un métal;
Le ciel s'est recouvert d'une brume blafarde.
Effleurant ton sommeil opprimé sous le faix
Des ivresses, la lune aux rayons verts s'attarde
Sur la ruine d'or de tes cheveux défaits.
II
Sous un ciel ambigu, l'olivier et l'acanthe
Mêlent subtilement leurs frissons bleus et verts,
Page 36
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 36/664
Et dans l'ombre fleurit, comme un songe pervers,
L'harmonieux baiser de l'amante à l'amante.
Les cheveux aux bruns roux d'automne et d'amarante
Et les pâles cheveux plus blonds que les hivers
Confondent leurs reflets. Sur les yeux entr'ouverts
Passe une joie aiguë ainsi qu'une épouvante.
Le crépuscule rose a baigné l'horizon.
Les désirs attardés craignent la trahison
Et le rire sournois de l'aurore importune.
Les doigts ont effeuillé les lotos du sommeil,
Et la virginité farouche de la lune
A préféré la mort au viol du soleil.
Amazone
LorL'Amazone sourit au dessus des ruines,
Tandis que le soleil, las de luttes, s'endort.
La volupté du meurtre a gonflé ses narines:
Elle exulte, amoureuse étrange de la mort.
Page 37
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 37/664
Elle aime les amants qui lui donnent l'ivresse
De leur fauve agonie et de leur fier trépas,
Et, méprisant le miel de la mièvre caresse,
Les coupes sans horreur ne la contentent pas.
Son désir, défaillant sur quelque bouche blème
Dont il sait arracher le baiser sans retour,
Se penche avec ardeur sur le spasme suprême,
Plus terrible et plus beau que le spasme d'amour.
Nocturne
J'adore la langueur de ta lèvre charnelle
Où persiste le pli des baisers d'autrefois.
Ta démarche ensorcelle,
Et la perversité calme de ta prunelle
A pris au ciel du nord ses bleus traîtres et froids.
Tes cheveux, répandus ainsi qu'une fumée,
Clairement vaporeux, presque immatériels,
Semblent, ô Bien-Aimée,
Page 38
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 38/664
Recéler les rayons d'une lune embrumée,
D'une lune d'hiver dans le cristal des ciels.
Le soir voluptueux a des moiteurs d'alcôve;
Les astres sont comme des regards sensuels
Dans l'éther d'un gris mauve,
Et je vois s'allonger, inquiétant et fauve,
Le lumineux reflet de tes ongles cruels.
Sous ta robe, qui glisse en un frôlement d'aile,
Je devine ton corps, - les lys ardents des seins,
L'or blème de l'aisselle,
Les flancs doux et fleuris, les jambes d'Immortelle,
Le velouté du ventre et la rondeur des reins.
La terre s'alanguit, énervée, et la brise,
Chaude encore des lits lointains, vient assouplir
La mer enfin soumise...
Voici la nuit d'amour depuis longtemps promise...
Dans l'ombre je te vois divinement pâlir.
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique complète
Page 39
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 39/664
Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilCendres et Poussières / 1909 et figurant dans "L'oeuvre poétiquecomplète de Renée Vivien" de Jean-Paul Goujon. Vous pouvez consulterla première version du recueil "Cendres et poussières / 1902" sur le sitede la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ - Rubrique"Recherche".
Cendres et Poussières
Invocation
Let the dead bury their dead
Les Amazones
Sommeil
L'automne
Sonnet
Chanson
Prophétie
DésirChanson
La pleureuse
Fleurs de Séléné
Ressemblance inquiétante
Page 40
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 40/664
Velléité
Le Sang des Fleurs
Ton Ame
Sur le Rythme saphique
Locusta
Lucidité
Lassitude
Devant la mort d'une amie
Les Arbres
"I've been a ranger"
Sonnet féminin
Epitaphe
Invocation
Les yeux tournés sans fin vers les splendeurs éteintes,
Nous évoquons l'effroi, l'angoisse et le tourment
De te baisers, plus doux que le miel d'hyacinthes,
Amante qui versas impérieusement,
Comme on verse le nard et le baume et la myrrhe,
Devant l'Aphrodita, Maîtresse de l'Erôs,
Page 41
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 41/664
L'orage et l'éclair de ta lyre,
O Psappha de Lesbôs !
Les siècles attentifs se penchent pour entendre
Les lambeaux de tes chants. Ton visage est pareil
A des roses d'hiver recourvertes de cendre,
Et ton lit nuptial ignore le soleil.
Ta chevelure ondoie au reflux des marées
Comme l'algue marine et les sombres coraux,
Et tes lèvres désespérées
Boivent la paix des eaux.
Que t'importe l'éloge éloquent des Poètes,
A Toi dont le front large est las d'éternités?
Que t'importent l'écho des strophes inquiètes,
Les éblouissements et les sonorités?
La musique des flots a rempli ton oreille,
Ce remous de la mer qui murmure à ses morts
Des mots dont le rythme ensommeille
Tels de graves accords.
O parfum de Paphôs! ô Poète! ô Prêtresse !
Apprends-nous le secret des divines douleurs,
Apprends-nous les soupirs, l'implacable caresse
Où pleure le plaisir, flétri parmi les fleurs!
Page 42
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 42/664
O langueurs de Lesbôs! Charme de Mytilène!
Apprends-nous le vers d'or que ton râle étouffa,
De ton harmonieuse haleine
Inspires-nous, Psappha !
Let the dead bury their dead
Voici la nuit: je vais ensevelir mes morts,
Mes songes, mes désirs, mes douleurs, mes remords,
Tout le passé... Je vais ensevelir mes morts.
J'ensevelis, parmis les sombres violettes,
Tes yeux, tes mains, ton front et tes lèvres muettes,
O toi qui dors parmi les sombres violettes !
J'emporte cet éclair dernier de ton regard...
Dans le choc de la vie et le heurt du hasard,
J'emporte ainsi la paix de ton dernier regard.
Je couvrirai d'encens, de roses et de roses,
La pâle chevelure et les paupières closes
D'un amour dont l'ardeur mourut parmi les roses.
Page 43
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 43/664
Que s'élève vers moi l'âme froide des morts,
Abolissant en moi les craintes, les remords,
Et m'apportant la paix souriante des morts !
Que j'obtienne, dans un grand lit de violettes,
Cette immuable paix d'éternités muettes
Où meurt jusqu'à l'odeur des douces violettes !
Que se reflète, au fond de mon calme regard,
Un vaste crépuscule immobile et blafard !
Que diminue enfin l'ardeur de mon regard !
Mais que j'emporte aussi le souvenir des roses,
Lorsqu'on viendra poser sur mes paupières closes
Les Lotus et le lys, les roses et les roses !...
Les Amazones
On voit errer au loin les yeux d'or des lionnes...
L'Artémis, à qui plait l'orgueil des célibats,
Qui sourit aux fronts purs sous les pures couronnes,
Contemple cependant sans colère, là-bas,
S'accomplir dans la nuit l'hymen des Amazones,
Page 44
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 44/664
Fier, et semblable au choc souverain des combats.
Leur regard de dégoût enveloppe les mâles
Engloutis sous les flots nocturnes du sommeil.
L'ombre est lourdes d'échos, de tièdeurs et de râles...
Elles semblent attendre un frisson de réveil.
La clarté se rapproche, et leurs prunelles pâles
Victorieusement reflètent le soleil.
Elles gardent une âme éclatante et sonore
Où le rêve s'émousse, où l'amour s'abolit,
Et ressentent, dans l'air affranchi de l'aurore,
Le mépris du baiser et le dédain du lit.
Leur chasteté tragique et sans faiblesse abhorre
Les époux de hasard que le rut avilit.
"Nous ne souffrirons pas que nos baisers sublimes
Et l'éblouissement de nos bras glorieux
Soient oubliés demain dans les lâches abîmes
Où tombent les vaincus et les luxurieux.
Nous vous immolerons ainsi que des victimes
Des autels d'Artémis au geste impérieux.
"Parmi les rayons morts et les cendres éteintes,
Vos lèvres et vos yeux ne profaneront pas
Page 45
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 45/664
L'immortel souvenir d'héroïques étreintes.
Loin de la couche obscène et de l'impur repas,
Vous garderez au coeur nos tenaces empreintes
Et nos soupirs mêlés aux soupirs du trépas !"
Sommeil
O Sommeil, ô Mort tiède, ô musique muette!
Ton visage s'incline éternellement las,
Et le songe fleurit à l'ombre de tes pas,
Ainsi qu'une nocturne et sombre violette.
Les parfums affaiblis et les astres décrus
Revivent dans tes mains aux pâles transparences,
Evocateur d'espoirs et vainqueur de souffrances
Qui nous rends la beauté des êtres disparus.
L'Automne
L'Automne s'exaspère ainsi qu'une Bacchante
Ivre du sang des fruits et du sang des baisers
Page 46
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 46/664
Et dont on voit frémir les seins inapaisés...
L'Automne s'assombrit ainsi qu'une Bacchante
Au sortir des festins éclatants et qui chante
La moite lassitude et l'oubli des baisers.
Les yeux à demi clos, l'Automne se réveille
Et voit l'éclat perdu des clartés et des fleurs
Dont le soir appauvrit les anciennes couleurs...
Les yeux à demi clos, l'Automne se réveille:
Ses membres sont meurtris et son âme est pareille
A la coupe sans joie où s'effeuillent les fleurs.
Ayant bu l'amertume et la haine de vivre
Dans le flot triomphal des vignes de l'été,
Elle a connu le goût de la satiété.
L'amertume latente et la haine de vivre
Corrompent le festin dont le monde s'enivre,
Etendu sur le lit nuptial de l'été.
L'Automne, ouvrant ses mains d'appel et de faiblesse,
Se meurt du souvenir accablant de l'amour
Et n'ose en espérer l'impossible retour.
Sa chair de volupté, de langueur, de faiblesse,
Implore le venin de la bouche qui blesse
Et qui sait recueillir les sanglots de l'amour.
Page 47
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 47/664
Le coeur à moitié mort, L'Automne se réveille
Et contemple l'amour à travers le passé...
Le feu vacille au fond de son regard lassé.
Dans son verger flétri l'Automne se réveille.
La vigne se dessèche et périt sur la treille,
Dans le lointain pâlit la rive du passé...
Sonnet
Les algues entr'ouvraient leurs âpres cassolettes
D'où montait une odeur de phosphore et de sel,
Et, jetant leurs reflets empourprés vers le ciel,
Semblaient, au fond des eaux, un lit de violettes.
La blancheur d'un essor palpitant de mouettes
Mêlait au frais nuage un frisson fraternel;
Les vagues prolongeaient leur rêve et leur appel
Vers l'angoisse de l'air et ses langueurs muettes.
Les flots très purs brillaient d'une reflet de miroir...
La sirène aux cheveux rouges comme le soir
Chantait la volupté d'une mort amoureuse.
Page 48
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 48/664
Dans la nuit, sanglotait et s'agitait encor
Un soupir de la vie inquiète et fiévreuse...
Les étoiles pleuraient de longues larmes d'or.
Chanson
Il se fait tard... tu vas dormir,
Les paupières déjà mi-closes.
Au fond de l'ombre on sent frémir
L'agonie ardente des roses.
Car la Déesse du Sommeil,
De ses mains lentes, fait éclore
Des fleurs qui craignent le soleil
Et qui meurent avant l'aurore.
Prophétie
Tes cheveux aux blonds verts s'imprègnent d'émeraude
Sous le ciel pareil aux feuillage clairs.
Page 49
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 49/664
L'odeur des pavots se répand et rôde
Ainsi qu'un soupir mourant dans les airs.
Les yeux attachés sur ton fin sourire,
J'admire son art et sa cruauté,
Mais la vision des ans me déchire,
Et, prophétiquement, je pleure ta beauté !
Puisque telle est la loi lamentable et stupide,
Tu te flétriras un jour, ah! mon lys !
Et le déshonneur public de la ride
Marquera ton front de ce mot: Jadis!
Tes pas oublieront ce rythme de l'onde;
Ta chair sans désir, tes membres perclus
Ne frémiront plus dans l'ardeur profonde:
L'amour désenchanté ne te connaîtra plus.
Ton sein ne battra plus comme l'essor de l'aile
Sous l'oppression du coeur généreux,
Et tu fuiras l'heure exquise et cruelle
Où l'ombre pâlit le front des heureux.
Ton sommeil craindra l'aurore où persiste
Le dernier rayon des derniers flambeaux:
Ton âme de vierge amoureuse et triste
S'éteindra dans tes yeux plus froids que les tombeaux.
Page 50
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 50/664
Désir
Elle est lasse, après tant d'épuisantes luxures.
Le parfum émané de ses membres meurtris
Est plein du souvenir des lentes meurtrissures.
La débauche a creusé ses yeux bleus assombris.
Et la fièvre des nuits avidement rêvées
Rend plus pâles encor ses pâles cheveux blonds.
Ses attitudes ont des langueurs énervées.
Mais voici que l'Amante aux cruels ongles longs
Soudain la ressaisit, et l'étreint, et l'embrasse
D'une ardeur si sauvage et si douce à la fois,
Que le beau corps brisé s'offre, en demandant grâce,
Dans un râle d'amour, de désirs et d'effrois.
Et le sanglot qui monte avec monotonie,
S'exaspérant enfin de trop de volupté,
Hurle comme l'on hurle aux moments d'agonie,
Sans espoir d'attendrir l'immense surdité.
Puis, l'atroce silence, et l'horreur qu'il apporte,
Page 51
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 51/664
Le brusque étouffement de la plaintive voix,
Et sur le cou, pareil à quelque tige morte,
Blêmit la marque verte et sinistre des doigts.
Chanson
La mer murmure une musique
Aux gémissements continus;
Le sable met, sous les pieds nus,
Son tapis de velours magique.
Et les algues, soeurs des coraux,
Semblent, à demi découvertes,
D'étranges chevelures vertes
De sirènes au fond des eaux.
Le vent rude des mers rugueuses
Ne souffle point la guérison...
Ah! le parfum... ah! le poison
De tes lèvres, fleurs vénéneuses !
Tu viens troubler les fiers desseins
Par des effluves de caresses
Page 52
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 52/664
Et l'enchevêtrement des tresses
Sur les frissons ailés des seins.
Ta beauté veut l'attrait factice
Des attitudes et du fard:
Tes yeux recèlent le regard.
La Pleureuse
Elle vend aux passants ses larmes mercenaires,
Comme d'autres l'encens et l'odeur des baisers.
L'amour ne brûle plus dans ses yeux apaisés
Et sa robe a le pli rigide des suaires.
Son deuil impartial, à l'heure des sommeils,
Gémit sur les anciens aux paupières blêmies
Et sur le blanc repos des vierges endormies,
Avec la même angoisse et des gestes pareils.
Le vent des nuits d'hiver se lamente comme elle,
Pleurant sur les pervers et les purs tour à tour,
Car elle les confond dans un unique amour
Et verse à leur néant la douleur fraternelle.
Page 53
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 53/664
Les jours n'apportent plus, dans leurs reflets mouvants,
Qu'un instant de parfum, de beauté, d'allégresse,
A son âme qu'un râle inexorable oppresse,
Lasse de la souffrance ardente des vivants.
Vers le soir, quand décroit l'odeur des ancolies
Et quand la luciole illumine les prés,
Elle s'étend parmi les morts qu'elle a pleurés,
Parmi les rois sanglants et les vierges pâlies.
Sous les cyprès qui semblent des flambeaux éteints,
Elle vient partager leur couche désirable,
Et l'ombre sans regrets des sépulcres l'accable
De sanglots oubliés et de désirs atteints.
Elle y vient prolonger son rêve solitaire,
Ivre de vénustés et de vagues chaleurs,
Et sentir, le visage enfiévré par les fleurs,
D'anciennes voluptés sommeiller dans la terre.
Fleurs de Séléné
Page 54
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 54/664
Elles ont des cheveux pâles comme la lune,
Et leurs yeux sans amour s'ouvrent pâles et bleus,
Leurs yeux que la couleur de l'aurore importune.
Elles ont des regards pâles comme la lune,
Qui semblent refléter les astres nébuleux.
Leurs paupières d'argent, qu'un baiser importune,
Recèlent des rayons langoureusement bleus.
Elles viennent charmer leur âme solitaire
De l'ensorcellement des sombres chastetés,
De l'haleine des cieux, des souffles de la terre.
Nul parfum n'a troublé leur âme solitaire.
L'ivoire des hivers, la pourpre de l'été
Ne les effleurent point des reflets de la terre:
Elles gardent l'amour des sombres chastetés.
Leur robe a la lourdeur du linceul qu'on déploie,
Grise sous le regard nocturne des hiboux,
Et leur sourire éteint la caresse et la joie.
Leur robe a la lourdeur du linceul qu'on déploie.
Elles penchent leurs fronts et leurs gestes sont doux
Vers les agonisants du songe et de la joie
Qui râlent sous les yeux nocturnes des hiboux.
Elles aiment la mort et la blancheur des larmes...
Page 55
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 55/664
Ces vierges d'azur sont les fleurs de Séléné.
Possédant le secret des philtres et des charmes,
Elles aiment la mort et la lenteur des larmes,
Et la fleur vénéneuse au calice fané.
Leurs mains ont distillé les philtres et les charmes,
Et leurs yeux pâles sont les fleurs de Séléné.
Ressemblance inquiétante
J'ai vu dans ton front bas le charme du serpent.
Tes lèvres ont humé le sang d'une blessure,
Et quelque chose en moi s'écoeure et se repent
Lorsque ton froid baiser me darde sa morsure.
Un regard de vipère est dans tes yeux mi-clos,
Et ta tête furtive et plate se redresse
Plus menaçante après la langueur du repos.
J'ai senti le venin au fond de ta caresse.
Pendant les jours d'hiver aux carillons frileux,
Tu rêves aux tiédeurs qui montent des vallées,
Et l'on songe, en voyant ton long corps onduleux,
A des écailles d'or lentement déroulées.
Page 56
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 56/664
Je te hais, mais la souplesse de ta beauté
Me prend et me fascine et m'attire sans cesse,
Et mon coeur, plein d'effroi devant ta cruauté,
Te méprise et t'adore, ô Reptile et Déesse !
Velléité
Dénoue enfin tes bras fiévreux, ô ma Maîtresse!
Délivre-moi du joug de ton baiser amer,
Et, loin de ton parfum dont l'impudeur m'oppresse,
Laisse-moi respirer les souffles de la mer.
Loin des langueurs du lit, de l'ombre et de l'alcôve,
J'aspirerai le sel du vent et l'âcreté
Des algues, et j'irai vers la profondeur fauve,
Pâle de solitude, ivre de chasteté !
Le Sang des Fleurs
Ainsi que, sur les montagnes, les pâtres
Page 57
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 57/664
foulent aux pieds l'hyacinthe, et la fleur
s'empourpre sur la terre.
Psappha
Le soir s'attriste encor de ses clartés éteintes.
Des rêves ont troublé l'air pâle et languissant,
Et, chantant leurs amours, les pâtres, en passant,
Ecrasent lourdement les frêles hyacinthes.
L'herbe est pourpre et semblable à des champs de combats,
Sous le rouge d'un ciel aux tons de cornalines,
Et le sang de la fleur assombrit les collines.
Le soleil pitoyable agonise là-bas.
Sans goûter pleinement la paix de la campagne,
Je songe avec ferveur, et mon coeur inquiet
Porte le léger deuil et le léger regret
De la muette mort des fleurs sur la montagne.
Ton Ame
Page 58
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 58/664
Pour une amie solitaire et triste.
Ton âme, c'est la chose exquise et parfumée
Qui s'ouvre avec lenteur, en silence, en tremblant,
Et qui, pleine d'amour, s'étonne d'être aimée.
Ton âme, c'est le lys, le lys divin et blanc.
Comme un souffle des bois remplis de violettes,
Ton souffle rafraîchit le front du désespoir,
Et l'on apprend de toi les bravoures muettes.
Ton âme est le poème, et le chant, et le soir.
Ton âme est la fraîcheur, ton âme est la rosée,
Ton âme est ce regard bienveillant du matin
Qui ranime d'un mot l'espérance brisée...
Ton âme est la pitié finale du destin.
Sur le Rythme saphique
La lune s'est couchée, ainsi que les Pléiades ;
il est minuit, l'heure passe, et je dors solitaire.
Psappha
Page 59
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 59/664
L'ombre se drapait en des voiles de veuves,
La mer aspirait le sang tiède des fleuves,
L'Aphrodita blonde au regard décevant
Riait en rêvant.
J'entendis gémir, au profond de l'espace,
Celle qui versa la strophe ardente et lasse,
Et dont le laurier fleurit et triompha,
La pâle Psappha.
"Le rossignol râle et frémit par saccades,
Et l'ombre engloutit la lune et les Pléiades:
L'heure sans espoir et sans extase fuit
Au sein de la nuit.
"Parmi les parfums glorieux de la terre,
Je rêve d'amour et je dors solitaire,
O vierge au beau front pétri d'ivoire et d'or
Que je pleure encor !
Locusta
Page 60
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 60/664
Nul n'a mêlé ses pleurs au souffle de ma bouche,
Nul sanglot n'a troublé l'ivresse de ma couche,
J'épargne à mes amants les rancoeurs de l'amour.
J'écarte de leur front la brûlure du jour,
J'éloigne le matin de leurs paupières closes,
Ils ne contemplent pas l'accablement des roses.
Seule je sais donner des nuits sans lendemains.
Je sais les strophes d'or sur le mode saphique,
J'enivre de regards pervers et de musique
La langueur qui sommeille à l'ombre de mes mains.
Je distille les chants, l'énervante caresse
Et les mots d'impudeur murmurés dans la nuit.
J'estompe les rayons, les senteurs et le bruit.
Je suis la tendre et la pitoyable Maîtresse.
Car je possède l'art des merveilleux poisons,
Insinuants et doux comme les trahisons
Et plus voluptueux que l'éloquent mensonge.
Lorsque, au fond de la nuit, un râle se prolonge
Page 61
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 61/664
Et se mêle à la fuite heureuse d'un accord,
J'effeuille une couronne et souris à la Mort.
Je l'ai domptée ainsi qu'une amoureuse esclave.
Elle me suit, passive, impénétrable et grave,
Et je sais la mêler aux effluves des fleurs
Et la verser dans l'or des coupes des Bacchantes.
J'éteins le souvenir importun du soleil
Dans les yeux alourdis qui craignent le réveil
Sous le regard perfide et cruel des amantes.
J'apporte le sommeil dans le creux de mes mains.
Seule je sais donner des nuits sans lendemains.
Lucidité
Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t'aime,
Tu fais de l'attitude un règne de poème,
O femme dont la grâce enfantine et suprême
Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang !
Page 62
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 62/664
Tu n'aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,
La parole qui trompe et le baiser qui blesse,
L'antique préjugé qui ment avec noblesse
Et le désir d'un jour qui sourit en passant.
Férocité passive, hypocritement douce,
Pour t'attirer, il faut que le geste repousse:
Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse.
Tu n'as que le respect du geste triomphant.
Esclave du hasard, des choses et de l'heure,
Etre ondoyant en qui rien de vrai ne demeure,
Tu n'accueilles jamais la passion qui pleure
Ni l'amour qui languit sous ton regard d'enfant.
Le baume du banal et le fard du factice,
Créature d'un jour! contentent ton caprice,
Et ton corps se dérobe entre les mains et glisse...
Jamais tu n'entendis le cri du désespoir.
Jamais tu ne compris la gravité d'un songe,
D'un reflet dont le charme expirant se prolonge,
D'un écho dans lequel le souvenir se plonge,
Jamais tu ne pâlis à l'approche du soir.
Page 63
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 63/664
Lassitude
Je dormirai ce soir d'un large et doux sommeil.
Fermez les lourds rideaux, tenez les portes closes,
Surtout ne laissez pas pénétrer le soleil.
Mettez autour de moi le soir trempé de roses.
Posez, sur la blancheur d'un oreiller profond,
Ces mortuaires fleurs dont le parfum obsède.
Posez-les dans mes mains, sur mon coeur, sur mon front,
Ces fleurs pâles, qui sont comme une cire tiède.
Et je dirai très bas: "Rien de moi n'est resté.
Mon âme enfin repose. Ayez donc pitié d'elle!
Respectez son repos pendant l'éternité."
Je dormirai ce soir de la mort la plus belle.
Que s'effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,
Et que se taise, enfin, au seuil des portes closes,
Le persistant écho des sanglots de jadis...
Ah! le soir infini! le soir trempé de roses !
Page 64
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 64/664
Devant la mort d'une amie
véritablement aimée
Ils me disent, tandis que je sanglote encore:
"Dans l'ombre du sépulcre où sa grâce pâlit,
Elle goûte la paix passagère du lit,
Les ténèbres au front, et dans les yeux l'aurore.
"Mais elle a la splendeur de l'Esprit délivré,
Rêve, haleine, harmonie, éclat, parfum, lumière!
Le cercueil ne la peut contenir tout entière,
Ni le sol de chair morte et de pleurs enivré.
"Les larmes d'or du cierge et le cri du cantique,
Les lys fanés, ne sont qu'un symbole menteur:
Dans une aube d'avril qui vient avec lenteur,
Elle refleurira, violette mystique."
Moi, j'écoute parmi les temples de la mort
Et sens monter vers moi la chaleur de la terre.
Cette accablante odeur recèle le mystère
De l'ombre où l'on repose et du lit où l'on dort.
J'écoute, mais le vent des espaces emporte
Page 65
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 65/664
L'audacieux espoir des infinis sereins.
Je sais qu'elle n'est plus dans l'heure que j'étreins,
L'heure unique et certaine, et moi, je la crois morte.
Les Arbres
Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.
Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s'incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne.
Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,
S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.
Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.
Page 66
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 66/664
"I've been a ranger"
J. Keats
Tu gardes dans tes yeux la volupté des nuits,
O joie inespérée au fond des solitudes!
Ton baiser est pareil à la saveur des fruits
Et ta voix fait songer aux merveilleux préludes
Murmurés par la mer à la beauté des nuits.
Tu portes sur ton front la langueur et l'ivresse,
Les serments éternels et les aveux d'amour;
Tu sembles évoquer la fragile caresse
Dont l'ardeur se dérobe à la clarté du jour
Et qui te laisse au front la langueur et l'ivresse.
Sonnet féminin
Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L'anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d'accablantes musiques
Page 67
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 67/664
Où pleure le soupir d'unions anciennes.
Les Aèdes fervents et le Musiciennes
T'enseignèrent l'ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.
Tu sembles écouter l'écho des harmonies
Mortes; bleus de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du ciel de Mytilène.
Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu'une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.
Epitaphe
Doucement tu passas du sommeil à la mort,
De la nuit à la tombe et du rêve au silence,
Comme s'évanouit le sanglot d'un accord
Dans l'air d'un soir d'été qui meurt de somnolence.
Au fond du Crépuscule où sombrent les couleurs,
Où le monde pâlit sous les cendres du rêve,
Page 68
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 68/664
Tu sembles écouter le reflux de la sève
Et l'avril musical qui fait chanter les fleurs.
Le velour de la terre aux caresses muettes
T'enserre, et sur ton front pleurent les violettes.
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Évocations,
1903
Douceur de mes chants...
Page 69
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 69/664
Les Solitaires
Feuilles sur l'Eau
Prolonge la Nuit
Le Toucher
La Mort d'une Bacchante
La Rançon
Sonnet
Atthis
Chanson norvégienne
L'Aurore triste
Violettes d'Automne
L'Odeur de la Montagne
La Conque
Water Liliess
La Fleur du Sorbier
La Mort de Pasppha
Lamentation
Départ
Les Chardons
Violettes blanches
Viviane
Gellô
Sonnets
Souveraines
La nuit est à nous
Page 70
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 70/664
Les ébauches
Gorgô
Vers le Nord
Chanson
Victoire funèbre
Twilight
Velléda
Soir
Aigue-marines
La Fusée
Elle habite les Ruines...
La Satyresse
Danses sacrées
Les Revenants
Atthis délaissée
Les Couleurs de la Nuit
Hiver
Vers les Sirènes
Sonnet
Korinna triomphante
To the Sunset Goddess
La Faunesse
Les Noyées
Les Couleurs
Le Bloc de Marbre
Page 71
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 71/664
Ressouvenir
A la Divinité inconnue
Mort matinime
Paysage mystique
Timas
À Venise
Douceur de mes chants...
Douceur de mes chants, allons vers Mytilène.
Voici que mon âme a repris son essor,
Nocturne et craintive ainsi qu'une phalène
Aux prunelles d'or.
Allons vers l'accueil des vierges adorées:
Nos yeux connaîtront les larmes des retours:
Nous verrons enfin s'éloigner les contrées
Des ternes amours.
L'ombre de Psappha, tissant les violettes
Et portant au front de fébriles pâleurs,
Page 72
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 72/664
Sourira là-bas de ses lèvres muettes
Lasse de douleurs.
Là-bas gémira Gorgô la délaissée,
Là-bas fleuriront les paupières d'Atthis
Qui garde en sa chair, savamment caressée,
L'ardeur de jadis.
Elle chanteront les Grâces solennelles,
Les sandales d'or de l'Aube au frais miroir,
Les roses d'une heure et les mers éternelles,
L'étoile du Soir.
Nous verrons Timas, la vierge tant pleurée,
Qui ne subit point les tourments de l'Erôs,
Et nous redirons à la terre enivrée
L'hymne de Lesbôs.
Les Solitaires
Ceux-là dont les manteaux ont des plis de linceuls
Page 73
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 73/664
Goûtent la volupté divine d'être seuls.
Leur sagesse a pitié de l'ivresse des couples,
De l'étreinte des mains, des pas aux rythmes souples.
Ceux dont le front se cache en l'ombre des linceuls
Savent la volupté divine d'être seuls.
Ils contemplent l'aurore et l'aspect de la vie
Sans horreur, et plus d'un qui les plaint les envie.
Ceux qui cherchent la paix du soir et des linceuls
Connaissent la terrible ivresse d'être seuls.
Ce sont les bien-aimés du soir et du mystère.
Ils écoutent germer les roses sous la terre
Et perçoivent l'écho des couleurs, le reflet
Des sons... Leur atmosphère est d'un gris violet.
Ils goûtent la saveur du vent et des ténèbres,
Et leurs yeux sont plus beaux que des torches funèbres.
Page 74
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 74/664
Feuilles sur l'Eau
... S'il fut permis à Psappha de Lesbôs
de demander dans ses prières "que la nuit
fût doublée pour elle", qu'à mon tour j'ose
implorer une faveur pareille...
Libanios.
Prolonge la nuit, Déesse qui nous brûles!
Eloigne de nous l'aube aux sandales d'or!
Déjà, sur la mer, les premiers crépuscules
Ont pris leur essor.
Garde-nous pourtant, dormantes sous tes voiles,
Ayant oublié la cruauté du jour!
Que le vin de l'ombre et le vin des étoiles
Nous comblent d'amour !
Puisque nul ne sait quelle aurore se lève
Apportant le gris avenir dans ses mains,
Nous tremblons devant le grand jour, notre rêve
Craint les lendemains.
Page 75
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 75/664
Ah! gardant la main sur nos paupières closes,
Rappelons en vain la douceur qui nous fuit!
Déesse à qui plaît la ruine des roses,
Prolonge la nuit !
Le Toucher
Les arbres ont gardé du soleil dans leurs branches.
Voilé comme une femme, évoquant l'autrefois,
Le crépuscule passe en pleurant... Et me doigts
Suivent en frémissant la ligne de tes hanches.
Mes doigts ingénieux s'attardent aux frissons
De ta chair sous la robe aux douceurs de pétale...
L'art du toucher, complexe et curieux, égale
Le rêve des parfums, le miracle des sons.
Je suis avec lenteur le contour de tes hanches,
Tes épaules, ton col, tes seins inapaisés.
Mon désir délicat se refuse aux baisers :
Il effleure et se pâme en des voluptés blanches.
Page 76
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 76/664
La Mort d'une Bacchante
Nous ne tisserons pas les graves violettes.
Nous ferons retentir le paktis vaste et doux
A travers les forêts et les plaines muettes,
E nous arracherons les grands feuillages roux.
- Mes compagnes, la voix large des lyres chante
La mort d'une Bacchante.
La solitude a moins de regrets que l'amour,
Et le sanglot est moins déchirant que le rire.
Nous mêlerons nos bras jusqu'au déclin du jour,
Et nous parfumerons de roses et de myrrhe
Nos corps, où brûlera, comme un ferment divin,
La colère du vin.
Contemple sur ton seuil de pierre, ô sombre proie
De l'Hadès et du Styx, ô silence, ô paleur !
Notre douleur, pareille à l'éclat de la joie,
Notre joie aux yeux fous, pareille à la douleur !
Car la foule, cueillant la fleur des vignes, chante
La mort d'une Bacchante.
Vois toute la lumière, entends l'éclat du bruit !...
Page 77
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 77/664
Plus tard, nous couperons nos cheveux de prêtresses,
Dorés comme la lune, épais comme la nuit,
Ardents comme le soir, imprégnés de caresses;
Plus tard, nous éteindrons le suprême flambeau
Sur ton calme tombeau.
Et nous te laisserons à l'ombre pacifique,
Toi dont la lassitude envia le sommeil
Du faune et du satyre accablés de musique,
Rassasiés de fruits et repus de soleil...
Compagnes, écoutez la pleureuse qui chante
La mort d'une Bacchante.
La Rançon
Viens, nous pénétrerons le secret du flot clair,
Et je t'adorerai, comme un noyé la mer.
Les crabes dont la faim se repaît de chair morte
Nous ferons avec joie une amicale escorte.
Reine, je t'élevai ce palais qui reluit,
Du débris d'un vaisseau naufragé dans la nuit...
Page 78
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 78/664
Les jardins de coraux, d'algues et d'anémones,
N'y défleurissent point au soufle des automnes.
Burlesquement, avec des rires d'arlequins,
à cheval sur le dos des requins.
Tes yeux ressembleront aux torches de phosphore
A travers la pénombre où ne rit point l'aurore.
Je suis l'être qu'hier ton sein nu vint charmer,
Qui ne sut point asses te haïr ni t'aimer,
Que tu mangeas, ainsi que mange ton escorte,
Les crabes dont la faim se repaît de chair morte...
Viens, je t'entraînerai vers l'océan amer
Et j'aimerai ta mort dans la nuit de la mer.
Sonnet
Page 79
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 79/664
Ta royale jeunesse a la mélancolie
Du Nord où le brouillard efface les couleurs.
Tu mêles la discorde et le désir aux pleurs,
Grave comme Hamlet, pâle comme Ophélie.
Tu passes, dans l'éclair d'une belle folie,
Comme Elle, prodiguant les chansons et les fleurs,
Comme Lui, sous l'orgueil dérobant tes douleurs,
Sans que la fixité de ton regard oublie.
Souris, amante blonde, ou rêve, sombre amant.
Ton être double attire ainsi qu'un double aimant,
Et ta chair brûle avec l'ardeur froide d'un cierge.
Mon coeur déconcerté se trouble quand je vois
Ton front pensif de prince et tes yeux bleus de vierge,
Tantôt l'Un, tantôt l'Autre, et les Deux à la fois.
Atthis
Je t'aimais, Atthis, autrefois...
Psappha
Page 80
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 80/664
Je reviens chercher l'illusion des choses
D'autrefois, afin de gémir en secret
Et d'ensevelir notre amour sous les roses
Blanches du regret.
Car je me souviens des divines attentes,
De l'ombre et des soirs fébriles de jadis...
Parmi les soupirs et les larmes ardentes,
Je t'aimais, Atthis!
J'aimais tes cheveux tramés de clairs de lune,
Ton corps ondoyant qui se dérobe et fuit,
Tes yeux que l'éclat de l'aurore importune,
Bleus comme la nuit.
J'aimais le baiser de tes lèvres amères,
J'aimais ton baiser aux merveilleux poisons,
Jadis! Et j'aimais tes injustes colères
Et tes trahisons...
Atthis, aujourd'hui tu pâlis, et je passe
Tel un exilé sans désir de retour,
Toi, moins souriante, et moi, l'âme plus lasse,
Page 81
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 81/664
Plus loin de l'amour.
Voici que s'exhale et monte, avec la flamme
Et l'essor des chants et l'haleine des lys,
L'intime sanglot de l'âme de mon âme:
Je t'aimais, Atthis.
Chanson norvégienne
Récit :
Le soir a déchaîné des sanglots de victimes.
Le fuyant crépuscule a la couleur du sang.
Le Vent du Nord s'enfuit vers le large...
Choeur :
O passant,
Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.
Récit :
Semblable au vague essor des oiseaux de la nuit,
Une forme apparaît en traînant ses longs voiles.
Dans ses regards se meurt le reflet des étoiles.
Le pâtre a vu briller le fantôme qui fuit
Page 82
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 82/664
En murmurant: "Allons vers la gloire des cimes,
Je te révélerai mon front éblouissant.
Les glaciers sont moins purs que mes yeux."
Choeur :
O passant,
Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.
Récit :
"Homme, je suis pareille au plus cher de tes voeux.
Autour de ma beauté flottent des soupirs d'âmes,
Et mon corps est pétri de parfums et de flammes.
La lune sur les fjords ressemble à mes cheveux.
Ma voix garde l'écho des voluptés intimes
Qui traversent les soirs d'automne en frémissant,
Et la neige est mon lit virginal..."
Choeur :
O passant,
Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.
Récit :
La Vision blanchit le sentier triste et nu,
Et le fervent désir du pâtre l'accompagne.
Il foule, sans les voir, les fleurs de la montagne,
Page 83
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 83/664
Afin de contempler le visage inconnu.
Aveugle, les regards brûlés d'éclairs sublimes,
L'Amant a poursuivi son Rêve en pâlissant...
Tous deux ont disparu dans la brume...
Choeur :
O passant,
Ne suis pas le chemin qui longe les abîmes.
L'Aurore triste
L'aurore a la pâleur verdâtre d'une morte,
Elle semble une frêle et tremblante Alkestis
Qui, les pas vacillants, vient frapper à la porte
Où l'amour l'accueillait en souriant, jadis.
Elle a quitté les flots qui roulent des étoiles,
Les jardins nébuleux où dort Perséphoné,
Ceinte de pavots blancs et vierge sous les voiles,
Et le doux crépuscule au sourire fané.
Elle a quitté l'Hadès et l'éternel automne,
Le reflet des roseaux et l'ombre des iris
Page 84
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 84/664
Sur l'onde sans reflux qui jamais ne frissonne.
L'aube semble une frêle et tremblante Alkestis.
Longtemps elle s'attarde au seuil de la demeure
Dont hier elle fut la parure et l'espoir,
Et contemple le monde où la volupté pleure,
Avec des yeux nouveaux qui s'attristent de voir.
Violettes d'Automne
L'air pleure le printemps fervent...
Les arbres souffrent dans le vent,
Sans opulence et sans couronne...
Ah! les violettes d'automne !
Tu viens, toit que je n'aime plus,
Portant les regrets superflus,
Et plus pâle qu'une madone...
Ah! les violettes d'automne !
Je songe à nos mauvais adieux.
Nos souvenirs sont dans tes yeux
Que la fraîcheur du jour étonne...
Page 85
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 85/664
Ah! les violettes d'automne !
J'ai vu, sous des midis plus beaux,
Des roses jaillir des tombeaux
Où l'aube de l'espoir rayonne...
Ah! les violettes d'automne !
Mais notre désastreux amour
N'aura ni réveil ni retour,
Ni sanglots dans sa voix atone...
Ah! les violettes d'automne !
Toi qui fus, par les soirs d'été,
Ma Maîtresse et ma Volupté,
L'ardeur du baiser t'abandonne...
Ah! les violettes d'automne !
L'Odeur de la Montagne
"Lo giorno se n'andava, e l'aer bruno
Toglieva gli animai che sono in terra
Dalle fatiche loro..."
Dante, Inferno, canto secondo
Page 86
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 86/664
Le soir, désaltérant la soif de la campagne,
Coule, froidement vert comme un fleuve du Nord,
Et voici que descend l'odeur de la montagne.
Consolant la tristesse et ranimant l'effort,
La fraîcheur des sommets se répand dans la plaine.
On voit de loin, jetant des flammes sur les fleurs,
Le ver luisant et la luciole incertaine...
Et la brune déferle, éteignant les couleurs
Et noyant d'infini les pâles paysages...
L'or du couchant jaillit, tel le vin du pressoir,
Et s'attarde, empourpré, sur les divins visages
De l'ombre et de la mort, qui passent dans le soir...
La Conque
Passant, je me souviens du crépuscule vert
Où glissent lentement les ombres sous-marines,
Où les algues, offrant leur calice entr'ouvert,
Page 87
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 87/664
Etreignent de leurs bras fluides les ruines
Des vaisseaux autrefois pesants d'ivoire et d'or.
Je me souviens de l'ombre où la nacre s'irise,
Où dorment les anneaux, étincelants encor,
Que donnaient à la mer ses époux de Venise.
Passant, je me souviens du patient travail
De ces vivants jardins aux plantes animales,
Et, parmi tant de fleurs, du vivace corail,
Dont l'heure et le courant disposent les pétales,
Rose animale et rouge éclose dans la nuit.
Je mpe souviens d'avoir bu l'odeur de la brume
Et d'voir admiré le sillage qui fuit
En laissant sur les flots une neige d'écume.
Je voyais chaque soir, parmi l'azur changeant
Des vagues, refleurir les astres du phosphore.
Mon lit d'amour était le doux sable d'argent.
J'ai vu s'épanouir le nombreux médrapore
Qui bâtissait parmi de gris lambeaux empreints
De sel... Ce furent les bannières déployées.
J'ai pleuré les beaux yeux et les cheveux éteints
Et les membres meurtris des amantes noyées
Gardant encore au bras un bracelet de fer.
Dans mon coeur chante encor la musique illusoire
De l'Océan. Je garde en ma frêle mémoire
Le murmure et l'haleine et l'âme de la mer.
Page 88
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 88/664
Water Lilies
Parmi les ondoiements et les éclairs douteux,
Les langoureux lys d'eau lèvent leur front laiteux.
La rivière aux flots lourds berce leur somnolence...
Ce sont d'étranges fleurs de mort et de silence.
Leur fraîcheur refroidit les flammes du soleil,
Et leur souffle répand une odeur de sommeil.
Ce sont les fleurs de mort et de mélancolie;
Elles ont caressé les bras nus d'Ophélie.
Elles aiment le saule et les roseaux, le bruit
Des feuillages, les soirs d'émeraude et la nuit.
L'accablante splendeur du jour les importune:
Elles dorment sur l'eau, pâles comme la lune.
Page 89
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 89/664
Aucun souffle d'amour n'atteint leur pureté.
Elles furent jadis les lotus du Léthé.
Perséphoné, tressant des couronnes de rêve,
Les cueillit, quand ses pas errèrent sur la grève
Des morts, où les reflets plus beaux que les couleurs,
Et les échos plus doux que les sons, où les fleurs
Sans parfum, sont tissés dans la trame du songe,
Où l'ivresse qui sourd des pavots se prolonge...
Et les lys ont gardé le pieux souvenir
Du pays tiède où tous les chocs vont s'amortir,
De la Déesse aux yeux de crépuscule tendre,
Dénouant ses cheveux de poussière et de cendre.
La Fleur du Sorbier
Paré d'aigue-marine et d'onyx et d'opale,
Le soir prestigieux sourit bizarrement,
Et, goûtant à demi la saveur du moment,
Page 90
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 90/664
Nous regrettons tout bas une joie idéale.
Le couchant qui blêmit et rougit tour à tour,
La campagne morbide et l'heure de tristesse
Semblent nous reprocher d'avoir, ô ma Maîtresse,
Accompli sans désir les gestes de l'amour.
Vois là-bas, tel un vol de blanches Valkyries,
Les nuages suivant leurs chemins inconnus...
Les grappes de glycine encadrent tes bras nus
Et baignent de parfums tes paupières meurtries.
Ton regard sans lueurs paraît agoniser...
Une phalène, errant dans le jardin, se pose
Sur la fleur du sorbier, d'un or pâlement rose
Comme la fleur secrète où j'ai mis mon baiser...
La Mort de Pasppha
Poème dramatique en un acte
Scène I
L'école de poésie fondée par Psappha. Une statue de
Page 91
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 91/664
l'Aphrodita enguirlandée de roses. Par la porte ouverte,
on voit l'Egée, les jardins et les maisons de Mytilène. Le
soleil, pendant l'acte, décline et disparaît dans la mer.
Eranna de Télos chante :
"Lasse du jardin où je me souviens d'elle,
J'écoute mon coeur appressé d'un parfum.
Pourquoi m'obséder de ton vol importun,
Divine hirondelle ?
"Tu rôdes, ainsi qu'un désir obstiné,
Réveillant en moi l'éternelle amoureuse,
Douloureuse amante, épouse douloureuse,
O pâle Prokné.
"Tu fuis tristement vers la rive qui t'aime,
Vers la mer aux pieds d'argent, vers le soleil...
Je hais le printemps, qui vient, toujours pareil
Et jamais le même !
"Ah! me rendra-t-il les langueurs de jadis,
Le fiévreux tourment des trahisons apprises,
L'attente et l'espoir des caresses promises,
Les lèvres d'Atthis ?
Page 92
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 92/664
"J'évoque le pli de ses paupières closes,
La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,
Et je pleure Atthis que j'aimais autrefois,
Sous l'ombre des roses..."
Scène II
L'Etrangère entre, hésitante. Elle est blonde. Ses regards
incertains errent autour d'elle.
Damophyla :
Vierge, que cherches-tu parmi nous?
L'Etrangère :
La Beauté.
Je cherche la colère et la stupeur des lyres,
L'âpreté du mélos, parmi la cruauté
Des regards sans éclairs et des mornes sourires.
Damophyla :
Viens cueillir avec nous les roses de Psappha:
Elle enseigne les chants qui plaisent aux Déesses.
Page 93
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 93/664
Atthis :
Viens, tu verras, parmi ses ferventes prêtresses,
Celle dont le laurier grandit et triompha.
Eranna :
Ses cheveux sont pareils aux sombres violettes.
Gorgô :
Seule, elle sait tramer les musiques muettes
Des gestes et des pas.
Dika :
Son baiser est amer
Et mord, comme le sel violent de la mer.
Gurinnô :
Elle est triste ce soir. Son regard inquiète...
L'Etrangère :
Quelle angoisse l'étreint ?
Dika :
Un songe de poète...
Eranna :
Page 94
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 94/664
Non... Car elle est sauvage et triste tout à tour,
Et se lamente, en proie aux affres de l'amour.
Scène III
Psappha entre voilée. Pendant tout l'acte, elle ne
découvre point son visage. Elle s'arrête devant la
statue de la Déesse, en une attitude de désespoir.
Choeur :
Aphrodita changeante, implacable Immortelle,
Tu jaillis de la mer, périlleuse comme elle.
La vague sous tes pas se brisait en sanglots.
Amère, tu surgis des profondeurs amères,
Apportant dans tes mains l'angoisse et les chimères,
Ondoyante, insondable et perfide. Et le flots
Désirèrent tes pieds, plus pâles que l'écume.
Atthis :
Ta lumière ravage et ta douceur consume.
Psappha, sans entendre, noyée dans son rêve.
Fille de Kupros, je t'ai jadis parlé
A travers un songe.
Page 95
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 95/664
Eranna :
Comme un son de paktis indécis et voilé,
L'incertaine douceur de sa voix se prolonge...
Psappha :
Tu m'as répondu, toi dont la cruauté
Pèse sur mon âme immuablement triste:
"Pourquoi sangloter mon nom! Quelle Beauté,
Psappha, te résiste ?
"Moi, fille de Zeus, je frapperai l'orgueil
De celle qui fuit ton baiser, ô poète!
Tu verras errer vainement sur ton seuil
Son ombre inquiète."
Ton venin corrompt le sourire des jours,
Déesse, et flétrit ma chair humiliée,
Toi qui fut jadis mon rayonnant secours,
Ma prompte alliée.
Damophyla :
Le soir tombe... Déjà, vers le flambeau mouvant,
S'élance l'agonie ardente des phalènes...
Psappha :
L'amour a ployé mon âme, comme un vent
Page 96
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 96/664
Des montagnes tord et brise les grands chênes...
Gorgô :
Rien ne brûle en ses yeux des poèmes vécus...
Atthis :
Son regard se dérobe et pa^lit sous les voiles... Psappha.
Je n'espère point éteindre les étoiles
De mes bras vaincus.
Elle sort lentement.
Scène IV
L'Etrangère :
Oh! vers quel lointain, vers quel mystère va-t-elle?
Gurinnô :
Le soir tombe... Elle va vers l'oubli de l'amour,
Vers la mort...
Eranna :
Sans espoir, sans désir de retour,
Elle atteint lentement le rocher de Leucade...
Page 97
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 97/664
Atthis, écoutant :
Sa voix fiévreuse pleure et râle par saccade...
Damophyla :
Vierge, la volupté de la mort est dans l'air...
Eranna :
Psappha vient de s'éteindre ainsi qu'une harmonie...
Atthis :
J'entends, comme un écho, son appel d'agonie.
Gorgô :
Et je vois son cadavre emporté par la mer...
L'Etrangère :
O compagnes, les pleurs sont de légères choses
Qui ne conviennent point au glorieux trépas...
Chantez ! il faut remplir de rythmes et de roses
La maison du poète où le deuil n'entre pas !
Elles répandent des roses sur le seuil de Pasppha.
Leurs gémissements se mêlent à l'accord victorieux
des lyres.
Page 98
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 98/664
Lamentation
L'été brûle, la voix des fleuves se lamente,
La voix des sources pleure, et la voix des torrents
Gémit, car le soleil boit les flots transparents
Et tarit la fraîcheur, de sa bouche fervente.
Le voile virginal des neiges sur les monts
Se déchire, et, là-bas, dans les forêts muettes,
Le soleil a pâli les pâles violettes,
Les narcisses tournant vers l'onde leurs yeux blonds.
L'implacable soleil, qui dessèche et tourmente,
A flétri d'un baiser, parmi les longs iris,
Le printemps expirant, l'éternel Adônis...
L'été brûle, la voix des fleuves se lamente.
Départ
J'ai vu s'éteindre en moi le brûlant désespoir...
Page 99
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 99/664
Ma bouche cessera de ravager ta bouche,
Je ne connaîtrai plus les veilles sur la couche
De la moite Insomnie et du Désir farouche,
Car le Mer et la Mort me rappellent, ce soir...
La nuit vient assombrir tes cheveux d'asphodèle,
Et les chauves-souris ont frappé de leur aile
Bleue et longue ma porte où l'ombre vient pleuvoir...
J'ai fait taire mon coeur que l'angoisse martèle,
Car le Mer et la Mort me rappellent, ce soir...
Les Chardons
Ne dissimule pas ton sourire qui tremble,
Lève sur moi tes yeux sans trouble et sans regret,
Et nous irons cueillir la fleur qui te ressemble,
Dans le champ nébuleux qui longe la forêt,
Les mystiques chardons dédaignés du profane.
Page 100
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 100/664
Je préfère aux langueurs ta rigide beauté.
Car l'Epouse souillée aux yeux de courtisane
Ne doit plus asservir mon être tourmenté.
Viens, très blanche à travers la brume diaphane,
Droite dans la raideur de ta virginité.
Tu ne seras jamais la fiévreuse captive
Qu'enchaîne le baiser, qu'emprisonne le lit,
Tu ne seras jamais la compagne lascive
Dont la chair se consume et dont le front pâlit.
- Garde ton blanc parfum qui dédaigne le faste.
Tu ne connaîtras point les lâches abandons
Les sanglots partagés qui font l'âme plus vaste,
Le doute et la faiblesse ardente des pardons...
Et, puisque c'est ainsi que je t'aime, ô très Chaste!
Nous cueillerons ce soir les mystiques chardons.
Violettes blanches
Elles sont le souvenir clair
De Celle qui mourut hier
Et qui dort entre quatre planches,
Page 101
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 101/664
Les violettes blanches.
Car elle les aimait jadis,
Et moi, je les préfère aux lys...
J'éclairerai les tristes planches
De violettes blanches.
Vierges entre toutes les fleurs,
Elles ont d'intenses pâleurs...
Parez la nuit des mornes planches
De violettes blanches.
Ainsi fut Celle que j'aimais,
Qui ne refleurira jamais...
Un peu de cendre et quatre planches,
Des violettes blanches.
Viviane
Les yeux fixes et las devant l'éternité,
Blème d'avoir connu l'épouvante des mondes,
Merwynn songe... Un visage aux paupières profondes
Le contemple à travers les feuillages d'été.
Page 102
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 102/664
L'amour, comme un parfum plein de poisons, émane
Du corps de Viviane.
Des marbres violets et des infinis bleus
Ruissellent la tiédeur, et l'ombre et l'harmonie.
La lumière se meurt dans l'étreinte infinie
D'un lascif crépuscule aux reflets onduleux.
Voici que se rapproche, à pas lents, diaphane
Et longue, Viviane.
"Je te plains, ô Penseur dont le regard me fuit,
Car tu n'as point connu, toi qui vois toutes choses,
La pâleur des pavots et le rire des roses,
L'ardeur et la langueur des lèvres dans la nuit.
Pourquoi railler et fuir la volupté profane,
L'appel de Viviane ?"
Et Merwynn répondit: "Ma passive raison
Subit le charme aigu du mensonge et l'ivresse
Du péril. Ton accent persuade et caresse,
Modulant avec art l'exquise trahison.
Entre tes doigts cruels un lys meurtri se fane,
Perfide Viviane.
"Que le soleil d'amour qui ressemble au trépas
Page 103
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 103/664
M'emprisonne à jamais sous le réseau du rêve,
Esclave du baiser à la blessure brève,
Du frôlement des mains, de l'étreinte des bras
Insinuants et frais ainsi qu'une liane,
Des bras de Viviane !"
Le soir et la forêt recueillent le soupir
De l'Enchanteur vaincu par l'appel de l'Amante.
Il voit, tandis qu'au loin le fleuve se lamente,
Les yeux d'or des oiseaux nocturnes refleurir...
Et, triomphal parmi les astres, brûle et plane
L'astre de Viviane.
Gellô
Gellô fut autrefois une vierge aux cheveux
Plus doux que le reflet de la lune sur l'onde,
Et mourut sans frémir de l'angoisse profonde,
Sans avoir connu le mensonge des aveux.
Elle hait le désir qui profane l'Epouse,
Elle erre dans la nuit, inquiète et jalouse.
Page 104
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 104/664
Elle cueille la fleur des bouches sans baisers,
Car elle aime d'amour les vierges aux seins frêles
Et les emporte au loin sur un lit d'asphodèles
Où traînent longuement les sanglots apaisés.
Tu ne connaîtras point les effrois de l'Epouse,
O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse.
Bacchante de la Mort ivre de chasteté,
Elle te parera de violettes blanches,
Des jeunes frondaisons et des premières branches.
Elle t'entourera d'un printemps sans été...
Tu ne connaîtras point les réveils de l'Epouse,
O vierge! car voici Gellô pâle et jalouse...
Sonnet
J'aime la boue humide et triste où se reflète
Le merveilleux frisson des astres, où le soir
Revient se contempler ainsi qu'en un miroir
Qui découvre à demi son image incomplète.
Page 105
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 105/664
J'aime la boue humide où la Ville inquiète
Détache ses lueurs, blondes sur un fond noir,
La Ville qui gémit sous un masque d'espoir
Parmi le vin, les chants et les cris de la fète.
Elle endure la foule aux pieds traînant et las.
Elle subit l'empreinte anonyme des pas:
Saignante, elle croupit sur la route inféconde.
Mais elle est l'Avenir des moissons, et les pleurs
Du printemps en feraient une terre profonde,
D'où jaillirait la grâce irréelle des fleurs.
Souveraines
Lilith.
D'ombres et de démons je peuplai l'univers.
Avant Eve, je fus la lumière du monde
Et j'aimai le Serpent tentateur et pervers.
Je conçus l'Irréel dans mon âme profonde.
La Terre s'inclina devant ma royauté.
Page 106
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 106/664
Jéhovat fit éclore à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Cassiopée.
Ma jeunesse, pareille aux flambeaux de l'autel,
Brûlait mystérieuse et chaste sous les voiles.
Les Dieux m'ont épargné le sépulcre mortel,
Mon trône éblouissant étonne les étoiles.
Dans la pourpre du ciel brille ma royauté.
L'éternité fixa sur mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Rhodopis
Mon visage de rose ardente triompha,
Moins glorieux d'avoir créé les Pyramides
Que d'avoir attiré les lèvres de Psappha.
Mes yeux égyptiens nageaient, longs et limpides.
Page 107
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 107/664
La Lyre de Lesbôs chanta ma royauté.
L'Aphrodita cueillit à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse..
Bethsabée.
De mon corps s'exhalaient le nard et le santal.
La splendeur d'Israël éclairait mon visage.
J'ai vécu la langueur d'un rêve oriental,
Le meurtre et le désir riaient sur mon passage.
Le péril consacra ma blanche royauté.
La Mort fit resplendir à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Campaspe
Alexandre, frappé de l'orgueil de ma chair,
Voua mes seins de flamme à la gloire d'Apelle,
Afin que mon été ne connût point l'hiver
Page 108
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 108/664
Et que l'Art me vêtît de candeur solennelle.
L'Astarté consacra ma jeune royauté,
L'Astarté fit brûler à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Cléopatre.
Je rayonnai. Je fus le sourire d'Isis,
Insondable, illusoire et terrible comme elle.
J'ai gardé mes parfums et mes fards de jadis,
Mes parures et l'or de ma large prunelle.
Le monde, que séduit encor ma royauté
Immuable, scella sur mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Paulina.
J'emprisonnai les pleurs des perles sur mon sein.
Les perles ondoyaient parmi ma chevelure,
Page 109
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 109/664
J'aimais la pureté de leur regard serein,
La mer les entourait de l'écho d'un murmure.
Les perles sur mon sein firent ma royauté.
Elles ont réfléchi sur mon sein d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Poppée.
Je courbai l'élément et je domptai l'éclair.
Le tonnerre à mes pieds, je régnai sur l'orage.
J'ai connu la Luxure et son relent amer.
- Oh! les nuits que l'horreur des voluptés ravage! -
Vénus me couronna d'une âpre royauté,
Vénus fit rayonner à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Eléonore de Guyenne.
Moi, dont le nom d'amour dissimule un parfum,
Page 110
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 110/664
J'allais, parmi les fleurs et les douces paroles,
Deux bandeaux constellés sur mes cheveux d'or brun.
Sous mes pas sanglotaient les luths et les violes.
Les troubadours chantaient ma douce royauté,
Et leur lais ont posé sur mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Elisabeth Woodville.
Mon regard fut plus frais que la lune du Nord,
D'un vert froid et voilé comme les mers anglaises.
J'appris le goût, l'odeur, le désir de la Mort,
La fuite, l'exil gris sur les grises falaises.
La défaite insulta ma pâle royauté.
Le combat fit jaillir à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
Lady Jane Grey.
Page 111
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 111/664
Les roses et le miel des vieux livres, l'assaut
Des chants m'ont fait aimer le studieux automne.
Mon sourire d'enfant éclaira l'échafaud.
Sur ma douleur pesa l'accablante couronne.
J'espiai dans le sang l'heure de royauté.
Le Destin éteignit à mon front d'amoureuse
L'astre fatal de la Beauté.
Je ne fus pas heureuse.
La Nuit est à nous...
C'est l'heure du réveil... Soulève tes paupières...
Au loin la luciole aiguise ses lumières,
Et le blême asphodèle a des souffles d'amour.
La nuit vient: hâte-toi, mon étrange compagne,
Car la lune a verdi le bleu de la montagne,
Car la nuit est à nous comme à d'autres le jour.
Je n'entends, au milieu des forêts taciturnes,
Que le bruit de ta robe et des ailes nocturnes,
Et la fleur d'aconit, aux blancs mornes et froids,
Exhale ses parfums et ses poisons intimes...
Un arbre, traversé du souffle des abîmes,
Page 112
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 112/664
Tend vers nous ses rameaux, crochus comme des doigts.
Le bleu nocturne coule et s'épand... A cette heure,
La joie est plus ardente et l'angoisse meilleure,
Le souvenir est beau comme un palais détruit...
Des feux follets courront le long de nos vertèbres,
Car l'âme ressuscite au profond des ténèbres,
Et l'on ne redevient soi-même que la nuit.
Les Ebauches
Le charme douloureux des ébauches m'attire,
Telles les frêles fleurs qu'une haleine meurtrit,
Car la beauté jadis entrevue y sourit,
Harmonieusement, de son demi-sourire.
Ces visages fuyants, ces fragiles contours,
S'estompant sur la toile irréelle du rêve,
Ne laissent au regard qu'une vision brève
Dont la divinité se dérobe toujours,
L'ébauche étant la soeur fragile des ruines
Qui mêlent leur tristesse et leur hantise au soir,
Page 113
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 113/664
Evoquant la splendeur ancienne d'un pouvoir
Sombré dans le palais que voilent les bruines.
On sent l'accablement du vouloir entravé
Dans la ténuité morbide de l'esquisse
Dont la grâce furtive, où le regret se glisse,
A l'infini du vague et de l'inachevé.
Gorgô
De Gorgô pleinement rassasiée...
Psappha.
Pourquoi revenir, les seins encore avides,
Tournant vers mon seuil tes pas irrésolus?
Pourquoi m'implorer, Gorgô? J'ai les mains vides
Et je n'aime plus.
Je n'ai plus de chants, ni d'amour ni de haine,
Je n'ai plus de fleurs à semer sous tes pas,
Et j'entends l'appel de ta douleur lointaine
Sans ouvrir les bras.
Page 114
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 114/664
Tes yeux étaient verts comme l'eau de l'Egée,
J'ai chanté le pli de tes lèvres, jadis...
D'où vient qu'aujourd'hui tu m'apparais changée,
Moins belle qu'Atthis?
Telle une Ménade aux lendemains d'orgie,
Gorgô, je suis lasse à la lueur du jour.
Et je cherche l'ombre où l'on se réfugie,
Sans désir d'amour...
Vers le Nord
Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord,
Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort.
L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes...
Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord...
L'air du large frissonne et souffle dans leurs ailes,
Elles vont vers le nord aux neiges éternelles,
L'ondoyant infini ruisselle sous leurs yeux...
Page 115
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 115/664
Elles vont vers le nord aux neiges éternelles...
Elles vont vers le rêve et le charme des cieux
Délicats et changeants comme une âme d'opale...
Ah! les lointains voilés, la neige virginale
Qui réfléchit l'azur atténué des cieux !
Elles vont vers la brume où flottent les fantômes,
Les pâles arc-en-ciel, les glaciers et les dômes
Des montagnes, les fiords aux eaux froides, l'hiver,
Les roches et la brume où flottent les fantômes...
Le vent du nord s'élève au profond de l'éther:
L'odeur de l'océan est son baiser amer.
Voici que s'affranchit et roule dans l'espace
Le vent du nord, l'esprit glorieux de l'hiver...
Et, magnifiquement ivres de l'air qui passe,
Affermissant leur vol pour la lutte et l'effort,
Les mouettes s'en vont vers la mer, vers le nord...
Chanson
Page 116
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 116/664
Du ciel poli comme un miroir
Pleuvent les langueurs enflammées,
Et nous suivons, au coeur du soir,
L'irréel essor des fumées.
J'adore tes gestes meurtris
Et tes prunelles embrumées...
Tu regrettes... Dans tes yeux gris
Victoire funèbre
Dans le mystique soir d'avril j'ai triomphé.
J'ai crié d'une voix de victoire: Elle est morte,
Et le tombeau sur Elle a refermé sa porte.
La nuit garde l'écho de son râle étouffé.
- Quel sourire de paix sur tes lèvres muettes,
O soeur des violettes !
J'ai brûlé de baisers les pieds blancs de la Mort,
Car elle t'épargna la souillure et l'empreinte,
Page 117
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 117/664
L'angoisse du désir, les affres de l'étreinte,
Les ardeurs du vouloir, l'âpreté de l'effort.
- L'amour s'est éloigné de tes lèvres muettes,
O soeur des violettes !
La Mort a désarmé les désespoirs futurs,
Elle a mêlé la nuit à tes paupières closes,
La lumière des lys à la flamme des roses,
Et les baumes très blancs et les parfums très purs
A la virginité de tes lèvres muettes,
O soeur des violettes !
La Mort qui réunit les êtres transformés,
Redevenus nouveaux et brillants d'allégresse,
Vêtus de visions, de charme et de jeunesse,
Et tels que les ont vus ceux qui les ont aimés,
Sauvera la beauté de tes lèvres muettes,
O soeur des violettes !
Twilight
O mes rêves, voici l'heure équivoque et tendre
Du crépuscule, éclos telle une fleur de cendre.
Page 118
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 118/664
Les clartés de la nuit, les ténèbres du jour,
Ont la complexité de mon étrange amour.
Sous le charme pervers de la lumière double,
Le regard de mon âme interroge et se trouble.
Je contemple, tandis que l'énigme me fuit,
Les ténèbres du jour, les clartés de la nuit...
L'ambigu de ton corps s'alambique et s'affine
Dans son ardeur stérile et sa grâce androgyne.
Les clartés de la nuit, les ténèbres du jour,
Ont la comlexité de mon étrange amour…
Velléda
Son pas a la douceur des brises sous les branches,
Et les perles de gui, les violettes blanches
Parent suavement ses cheveux aux blonds verts.
Les roses, découvrant leurs rires entr'ouverts,
Page 119
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 119/664
Effleurent Velléda, la jeune Druidesse.
Les chênes éternels, dont elle est la Prêtresse,
Lui dirent autrefois, d'un murmure lassé,
Ce qu'ils ont recueilli de l'ombre et du passé.
La sagesse et la paix des arbres sont en elle.
L'hiver l'ensevelit, l'été la renouvelle.
Vierge, elle aime d'amour la neige sur les bois,
Et le chant des oiseaux ruisselle dans sa voix.
Ses yeux verts ont gardé la fraîcheur des feuillages.
Sa grave solitude ignore les visages.
Les arbres seuls ont appris ses rêves fervents.
Par les terribles nuits où s'acharnent les vents,
Son être se déchire en des clameurs hautaines,
Tordu comme le corps tourmenté des grands chênes
Que brise aveuglement le souffle des hivers,
Et ses regards d'effroi reflètent les éclairs.
D'incohérents sanglots et d'étrenges paroles
Se heurtent, sourdement, entre ses lèvres folles,
Les cris de l'ouragan se mêlent à ses cris.
Page 120
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 120/664
La foule écoute, avec des regards assombris,
La pâle Prophétesse aux colères divines.
La Prophétesse voit des meurtres, des ruines,
Dans le sang de l'automne et la pourpre du soir,
Des empires brisés, des temples sans espoir,
Des fuites de vaincus au profond des vallées,
Et des voiles de deuil de femmes exilées.
Sa chair froide est en proie aux livides sueurs...
A l'aube de sa mort, d'incertaines lueurs
De soleil brilleront sur l'immense détresse
De la forêt et sur la blême Druidesse,
Ceinte de lys des bois que l'orage a broyés,
Expirante, parmi les chênes foudroyés.
Soir
O soir, toi qui ramènes tout ce que le lumineux
matin a dispersé, tu ramènes la brebis, tu
ramènes la chèvre...
Psappha.
D'un geste très doux qui rassemble et ramène
Page 121
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 121/664
Les brebis le long des chemins traversés,
L'ombre réunit les troupeaux dispersés,
Là-bas, dans la plaine.
Ceux que le matin aux mille voix a fait
Errer vers la grève où le flot clair palpite
Reviennent à pas lents et sûrs vers le gîte
Où l'on dort en paix.
Auprès du foyer où se tordent les flammes,
Le soir s'est assis comme un hôte lassé...
Ah! que ne peut-il, au delà du passé,
Réunir les âmes !
J'évoque ton front virginal et ta voix,
Eranna; tes yeux, Gurinnô triste et tendre;
Tes cheveux, Gorgô; tes seins, Atthis... la cendre
Des nuits d'autrefois.
Tu sais ramener les brebis et les chèvres,
O soir vigilant! Mais sauras-tu jamais
Me ramener vers la femme que j'aimais,
Vers ses douces lèvres ?
Que de souvenirs à la chute du jour!
Page 122
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 122/664
Et moi, dont les pieds errent depuis l'aurore,
Comment ai-je pu garder vivant encore
L'amour de l'amour ?
Aigues-marines
Des gouttes d'eau - de l'eau de mer -
Mêlent leur lumière fluide,
Glauque et pareille aux flots d'hiver,
A tes longs doigts d'Océanide.
Comment décrire le secret
De leurs pâleurs froides et fines?
Ton regard vert semble un reflet
Des cruelles aigues-marines.
Ton corps a l'imprécis contour
Des flots souples aux remous vagues,
Et tes attitudes d'amour
Se déroulent, comme les vagues.
Page 123
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 123/664
La Fusée
Vertigineusement, j'allais vers les Etoiles...
Mon orgueil savourait le triomphe des dieux,
Et mon vol déchirait, nuptial et joyeux,
Les ténèbres d'été, comme de légers voiles...
Dans un fuyant baiser d'hymen, je fus l'amant
De la Nuit aux cheveux mêlés de violettes,
Et les fleurs de tabac m'ouvraient leurs cassolettes
D'ivoire, où tiédissait un souvenir dormant.
Et je voyais plus haut la divine Pléiade...
Je montais... J'atteignais le Silence Eternel...
Lorsque je me brisai, comme un fauve arc-en-ciel,
Jetant des lueurs d'or et d'onyx et de jade...
J'étais l'éclair éteint et le rêve détruit...
Ayant connu l'ardeur et l'effort de la lutte,
La victoire et l'effroi monstrueux de la chute,
J'étais l'astre tombé qui sombre dans la nuit.
Page 124
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 124/664
Elle habite les Ruines...
Ma Fée et ma Princesse aux paupières divines
Habite les ruines.
Elle aime les lointains, les crépuscules gris
Et les chauves-souris.
Elle va, toujours lente et toujours solitaire,
Se voilant de mystère.
Elle a l'accablement des lys qui vont mourir,
Les yeux du souvenir.
Doucement, elle frappe aux somnolentes portes
Où s'attardent les mortes.
Elle écoute, le soir, hululer les hiboux
Aux chants rares et doux...
Ma Fée et ma Princesse aux paupières divines
Habite les ruines.
Page 125
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 125/664
Roses du Soir
Des roses sur la mer, des roses dans le soir,
Et toi qui vient de loin, les mains lourdes de roses!
J'aspire ta beauté. Le couchant fait pleuvoir
Ses fines cendres d'or et ses poussières roses...
Des roses sur la mer, des roses dans le soir.
Un songe évocateur tient mes paupières closes.
J'attends, ne sachant trop ce que j'attends en vain,
Devant la mer pareille aux boucliers d'airain,
Et te voici venue en m'apportant des roses...
O roses dans le ciel et le soir! O mes roses !
La Satyresse
O vierges qui goûtez la fraîcheur des fontaines,
Etres de solitude avides d'infini,
Fuyez la Satyresse aux prunelles hautaines,
Page 126
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 126/664
Au regard que l'éclat du soleil a terni.
Sa fauve chevelure est semblable aux crinières
Et son pas est le pas nocturne des lions.
Sa couche a le parfum du thym et des bruyères.
Elle veut l'heure intense où sombrent les rayons:
C'est l'heure qu'elle attend pour emporter sa proie,
Les seins inviolés, les fronts et les yeux purs,
Qu'elle aime et qu'elle immole à l'excès de sa joie,
Qu'elle imprègne à jamais de ses désirs obscurs.
Son passage flétrit la fraîcheur des fontaines,
Son haleine corrompt les songes d'infini
Et verse le regret des luxures hautaines
Au rêve que l'odeur des baisers a terni.
Danses sacrées
De leurs tendres pieds les femmes de la Crète
Ont pressé la fleur de l'herbe du printemps...
Je les vis livrer à la brise inquiète
Leurs cheveux flottants.
Leurs robes avaient l'ondoiement des marées.
Elles ont mêlé leurs chants de clairs appels
Page 127
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 127/664
En rythmant le rire et les danses sacrées
Autour des autels.
Les Revenants
Dans les miroirs j'ai vu des reflets de visages,
Un vent mystérieux a gonflé les rideaux,
Le soir frémit encor de tragiques passages,
L'horreur de l'Invisible a pénétré mes os.
La mémoire de l'ombre évoque une Etranglée
Aux yeux d'effroi, qui porte, ainsi que des rougeurs
De baisers trop fervents sur la chair martelée,
L'empreinte sans pitié de cruels doigts vengeurs.
Une Noyée attend le reflux, et j'écoute,
Tandis que se prolonge un patient travail
De remous, l'eau de mer qui pleure goutte à goutte
De ses cheveux mêlés d'écume et de corail.
Oh! la beauté funèbre aux visages des Mortes!
Elles glissent, ainsi qu'un rayon nébuleux,
Sous leurs voiles légers, laissant au seuil des portes
Page 128
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 128/664
D'irréelles lueurs de clairs de lune bleus.
L'heure des Revenants fait tressaillir les cloches.
Ils songent tristement, leurs sanglots ont le bruit
D'une vague tardive expirant sur les roches.
Ils souffrent de passer inconnus dans la nuit.
Leurs impuissantes mains ont de vagues caresses.
A travers l'Autrefois, ils reviennent, liés
Par le ressouvenir des anciennes tendresses,
Et frôlent les vivants qui les ont oubliés.
Atthis délaissée
Poème dramatique en un acte
Une maison à Mytilène
Atthis, seule, déroulant un papyrus.
"Celle qui te fuit te suivra pas à pas,
Tu verras venir la Beauté qui refuse
Tes dons, apportant des présents délicats,
Page 129
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 129/664
Furtive et confuse.
"Celle dont l'orgueil repousse ton amour
Subira la crainte et l'angoisse brûlante,
Et tu connaîtras, dans l'ardeur du retour,
Ses lèvres d'amante."
Elle ne sème plus les roses sur mon seuil...
Qu'importe maintenant à Psappha la promesse
De l'Aphrodita douce et terrible? Mon seuil
A perdu le parfum des roses, et je tresse
De mes mains sans ferveur des guirlandes de deuil.
Car, seuls, les iris noirs, les violettes noires
Se fanent à mon front dépouilléde ses gloires...
Psappha ne sème plus les roses sur mon seuil.
Elle tresse des fleurs.
L'ingénieux Erôs, le tisseur de chimères,
Brode les souvenirs dans une trame d'or...
Tel qu'un amer baiser sur des lèvres amères,
Le passé me possède et me meurtrit encor.
Page 130
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 130/664
Oppressée, elle ouvre la porte, et le verger apparaît.
Voici l'ancien verger que le pommier ombrage
Comme hier, où le vent console des chaleurs,
Murmurant à travers les branches et les fleurs,
Où le sommeil descend et coule du feuillage.
Elle contemple un instant les arbres en fleurs,
puis se détourne avec une mélancolie croissante.
Tu me brûles, Erôs... Mon coeur est lourd du poids
Des sons évanouis et des splendeurs fanées.
On entend la voix de Psappha qui chante :
"Je t'aimais, au long des lointaines années,
Atthis, autrefois..."
Le chant s'éloigne et meurt peu à peu.
Atthis, comme en rêve.
Page 131
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 131/664
"Je t'aimais au long des lointaines années..."
Je mourrai d'une mort éternelle, et demain
La tombe pèsera sur mes paupières closes.
Comme l'essor des voix et la pourpre des roses,
Je périrai, - j'irai par les portes d'airain...
La maison de l'Hadès me recevra demain,
Car je n'ai point cueilli les immortelles roses
De Piéria, - je fus la volupté d'un jour.
Mon âme aura le sort des choses passagères...
Obscure, j'errerai sans fleurs et sans amour
Parmi les Morts pareils à des ombres légères...
Mais toi, qui ne crains pas le silence et la nuit,
Psappha! tu cueilleras les flammes des étoiles.
Le temps t'épparaîtra comme l'eau qui s'enfuit
Sous l'éclair de la rame et sous l'éclair des voiles...
De myrte et de laurier Phoibos te couronna...
Des voix confuses s'élèvent au dehors.
... La voix de Gurinnô, le rire d'Eranna...
Page 132
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 132/664
Choeur des vierges :
"Va vers le jardin clair où tu reposes,
Pare tes cheveux de verdure et de fleurs,
Choisis les parfums, Dika, tisse les roses,
Mêle les couleurs.
"Et, si tu veux plaire aux sereines Déesses,
Apporte aux autels les souffles de l'été...
Elles souriront, ainsi que leurs prêtresse,
A ta piété.
"Offre à l'Artémis les sombres violettes,
A l'Aphrodita la pourpre des iris,
A Perséphoné, vierge aux lèvres muettes,
La langueur des lys."
Atthis.
Voici l'ode nouvelle à sa nouvelle amante...
C'est Dika, dont les mains sont douces, qu'elle chante,
Dika, dont les cheveux ont la rougeur du soir...
Aède aux rythmes d'or, divine Disparue,
Tes vers ont réfléchi, tel un ardent miroir,
Ma jeunesse oubliée et ma beauté décrue...
Page 133
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 133/664
Certes, mon amour fut étrangement amer
Sur tes lèvres, Psappha, car tu chantas hier :
"Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image...
Cet autre baiser, qui te persuada,
Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage,
Vers Androméda."
Et moi qui fus jadis la lumière et la flamme,
Je ne suis aujourd'hui qu'un reflet de ton âme...
La voix de Psappha dans le lointain :
"Je ne trahis point l'invariable amour...
Mon coeur identique et mon âme pareille
Savent retrouver, dans la clarté du jour,
L'ardeur de la veille.
"Car j'étreins Atthis sur les seins de Dika,
Et, dans le parfum que l'air d'automne emporte,
L'âme, que longtemps ma douleur invoqua,
De Timas la morte.
Page 134
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 134/664
"Pour l'Aphrodita j'ai dédaigné l'Erôs,
Car je n'ai de joie et d'angoise qu'en elle.
Je ne change point, ô vierges de Lesbôs,
Je suis éternelle."
Les Couleurs de la Nuit
Contemple les couleurs des ténèbres... Tes yeux
Sauront, mieux que les miens, interpréter les cieux.
J'ai vu le violet des nuits graves et douces,
Le vert des nuits de paix, la flamme des nuits rousses.
J'ai vu s'épanouir, rose comme une fleur,
La lune qui sourit aux rêves sans douleur.
J'ai vu s'hypnotiser, à des milliers de lieues,
La méditation subtile des nuits bleues.
En écoutant pleurer les hiboux à l'essor
Mystérieux, j'ai vu ruisseler les nuits d'or.
Page 135
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 135/664
Hiver
Les pampres du printemps et le vin de l'automne
Ont perdu le parfum qui jadis me fut cher:
Je veux l'haleine chaste et le silence amer,
Les brumes et la glace et l'ombre de l'hiver.
Je ne tresserai plus l'irréelle anémone,
Je n'écouterai plus le rythme monotone
Des oiseaux dans les bois que l'octobre couronne
D'opales, de rubis et de l'or souverain.
Mais je m'inspirerai du tragique refrain
Du vent qui jette au ciel ses révoltes d'airain,
Qui rôde en sanglotant près de l'âtre serein,
Comme Dante implorant la paix du monastère.
O neiges où la soif du blanc se désaltère !
Toute virginité recèle le mystère,
La crainte, et l'infini du rêve solitaire.
J'écarterai les fruits des jardins de l'été,
Car l'incomplète ivresse au regard hébété
Ne verse point l'oubli comme le pur Léthé,
Page 136
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 136/664
Car la neige où la soif du blanc se désaltère
Seule éteindra l'ardeur de mon anxiété...
Dans le noble infini du rêve solitaire,
J'oublirai la ferveur des amours de l'été...
Vers les Sirènes
Vous craignez le désir, ô compagnons d'Ulysse !
Aveugles et muets, l'âme close au péril
De la voix qui ruisselle et du rire subtil,
Vous rêvez des foyers qui recueillent l'exil
Aux pieds lassés. Moi seul, ô compagnons d'Ulysse,
Moi seul ai dédaigné la fraude et l'artifice,
Moi seul ose l'amour et le divin péril.
Dénouant leurs cheveux fluides, les Sirènes,
Ceintes de la langueur et du regret des morts,
S'approchent, un reflet de perles sur leurs corps.
Elles chantent... Leux voix se mêle aux clairs accords
Des vagues et du vent... J'entrevois les Sirènes...
Elles chantent l'amour qui corrode les veines
Comme un venin, et fait pleurer les yeux des morts...
Page 137
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 137/664
O lâches compagnons d'Ulysse! Pour une heure
Je donne l'existence humaine! Pour un chant
Vaguement répété par la mer au couchant,
Pour un visage à peine entrevu, se penchant
Sur le miroir brisé des ondes, - pour une heure,
J'accepte le silence où le néant demeure,
Le silence où périt la mémoire du chant...
Sonnet
Sur les marbres massifs plane la paix de l'air.
La nature, qui hait la fièvre et le factice,
Décore les tombeaux, passive protectrice,
De rosée au printemps et de neige en hiver.
Le souffle égal des Morts s'en va vers le ciel clair.
Ils rêvent gravement: leur sottise et leur vice
Sont devenus de l'herbe et des fleurs sans malice;
Le lys pur a puisé ses parfums dans leur chair.
Une chauve-souris parfois rôde et s'égare
D'un vol supplicié, tortueux et bizarre,
Page 138
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 138/664
Ainsi qu'une âme en peine errant près des autels.
Ayant seuls la pudeur et l'orgueil de se taire,
Ces vivants de la veille, inquiets et cruels,
Sont devenus sereins et bon comme la terre.
Korinna triomphante
Ivre du vin des chants ainsi qu'une Bacchante,
Elle a loué la terre et les Dieux tour à tour,
La femme aux yeux d'amant, Korinna triomphante.
Sa voix a déchaîné les angoisses d'amour:
Les flammes du soleil ont brûlé dans ses veines.
Elle a chanté les jours aux rayons fabuleux,
L'écume de la mer où flottent les sirènes,
Et le lit de Léda parsemé d'iris bleus,
L'Ouranos aux palais d'opales et de jades
Où le soir vit fleurir les divines Pléiades.
Elle a chanté l'Hadès au fleuve illuminé
D'étoiles, et la paix des demeures funèbres
Où, lune de l'hiver, règne Perséphoné,
Page 139
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 139/664
Elle a chanté l'Hadès où languissent les fleurs,
Elle a chanté l'effroi des êtres et des choses
Devant l'Aphrodita qui verse les douleurs
Et mêle le poison au coeur simple des roses,
L'Aphrodita, multiple ainsi que l'arc-en-ciel,
Vers qui monte l'essor des lyres inquiètes...
Elle a chanté Daphné dont les blondeurs de miel
Parfument le silence où rêvent les Poètes,
Fugitive éternelle aux lèvres sans amour !
- Ivre du vin des chants ainsi qu'une Bacchante,
Elle a loué la terre et les Dieux tour à tour,
La femme aux yeux d'amant, Korinna triomphante.
To the Sunset Goddess
Tes cheveux sont pareils aux feuillages d'automne,
Déesse du couchant, des ruines, du soir!
Le sang du crépuscule est ta rouge couronne,
Tu choisi les marais stagnants pour ton miroir.
L'odeur des lys fanés et des branches pourries
S'exhale de ta robe aux plis lassés: tes yeux
Page 140
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 140/664
Suivent avec langueur de pâles rêveries:
Dans ta voix pleure encor le sanglot des adieux.
Tu ressembles à tout ce qui penche et décline.
Passive, et comprimant la douleur sans appel
Dont ton corps a gardé l'attitude divine,
Tu parais te mouvoir dans un souffle irréel.
Ah ! l'ardeur brisée, ah! la savante agonie
De ton être expirant dans l'amour, ah! l'effort
De tes râles! - Au fond de la joie infinie,
Je savoure le goût violent de la mort...
La Faunesse
Ses lèvres ont ravagé les grappes meurtries
Et bu le baiser rouge et cruel du Désir.
Elle ne connaît point les blanches rêveries,
Ni l'amour que les bras ne sauraient point saisir.
Ses regards ont fané la volupté des lignes,
Page 141
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 141/664
Les roses de la chair, le marbre des contours.
Ses pas ont saccagé les vergers et les vignes,
Et les vierges ont fui devant ses yeux d'amour.
Erôs l'agite, et Pan la sert et la protège.
Parfois, elle s'éloigne, et, lasse de l'Eté,
Elle appelle les vents sans parfum et la Neige.
Les Noyées
Voici l'heure de brume où flottent les noyées,
Comme des nénuphars aux pétales flétris.
Leurs robes ont l'ampleur des voiles déployées
Qui ne connaîtront plus la douceur des abris.
D'étranges fleurs de mer étrangement parées,
Elles ont de longs bras de pieuvres, et leur corps
Se meut selon le rythme indolent des marées;
Les remous de la vague animent leurs yeux morts.
Semblable aux algues d'ambre et d'or, leur chevelure
Fluide se répand en délicats réseaux,
Et leur âme est pareille aux conques où murmure
Page 142
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 142/664
L'harmonie indécise et mouvante des eaux.
Elles aiment les nuits d'agonie et d'orage
Dont l'haleine engloutit les vaisseaux, et celui
Qui va mourir les voit à l'heure du naufrage,
Quand le dernier rayon de lune s'est enfui.
Elles tendent leurs mains fébriles d'amoureuses,
Elles tendent leurs mains en un geste d'appel,
Et leur lit nuptial aux profondeurs heureuses
S'entr'ouvre, parfumé d'un clair parfum de sel.
Elles aiment les nuits où persistent encore
L'ivresse et la langueur du jour, les nuits d'été
Brûlantes de senteurs, d'astres et de phosphore,
Où le rêve s'enfuit vers l'âpre volupté,
Où Psappha de Lesbôs, leur pâle souveraine,
Chante l'Aphrodita qui corrompt les baisers
Et qui mêle au désir la stupeur et la haine
L'Aphrodita qui vient des flots inapaisés,
L'Aphrodita puissante, aux colères divines,
Dont elle apprit jadis les solennels accents,
L'insatiable amour des lèvres féminines,
Page 143
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 143/664
Des seins nus et des corps vierges et frémissants...
Les Couleurs
Eloignez de mes yeux les flamboiements barbares
Du Rouge, cri de sang que jettent les fanfares.
Eteignez la splendeur de Jaune, cri de l'or,
Où le soleil persiste et ressurgit encor.
Ecartez le sourire invincible du Rose,
Qui jaillit de la fleur ingénument déclose,
Et le regard serein et limpide du Bleu, -
Car mon âme est, ce soir, triste comme un adieu.
Elle adore le charme atténué du Mauve,
Pareil aux songes purs qui parfument l'alcôve,
Et la mysticité du profond Violet,
Plus grave qu'un chant d'orgue et plus doux qu'un reflet.
Page 144
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 144/664
Versez-lui l'eau du Vert, qui calme le supplice
Des paupières, fraîcheur des yeux de Béatrice.
Entourez-la du rêve et de la paix du Gris,
Crépuscule de l'âme et des chauves-souris.
Le Brun des bois anciens, favorable à l'étude,
Sait encadrer mon silence et ma solitude.
Venez ensevelir mon ancien désespoir
Sous la neige du Blanc et dans la nuit du Noir.
Le Bloc de Marbre
Je dormais dans le flanc massif de la montagne...
Ses tiédeurs m'enivraient. Auprès de mon sommeil
Sourdait l'ardent effort des fleurs vers le soleil.
Je dormais. Je semblais un astre dans la nuit,
Et l'ondoyant avril que l'amour accompagne
Tremblait divinement sur l'or de la campagne,
Sans rompre mon attente obscure dans la nuit.
Page 145
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 145/664
Blancheur inviolée au fond de l'ombre éteinte,
J'ignorais le frisson du nuage, et le bruit
Des branches et des blés sous le vent qui s'enfuit
En sifflant... Je dormais au fond de l'ombre éteinte,
Lorsque tu m'arrachas à mon calme éternel,
O mon maître! ô bourreau dont je porte l'empreinte!
Dans la douleur et dans l'effroi de ton étreinte,
Je vécus, je perdis le repos éternel...
Je devins la Statue au front las, et la foule
Insulte d'un regard imbécile et cruel
Ma froide identité sans geste et sans appel,
Pâture du regard passager de la foule.
Et je suis la victime orgueilleuse du temps,
Car je souffre au delà de l'heure qui s'écoule.
Mon angoisse domine altièrement la houle
Gémissante qui meurt dans l'infini du temps.
Je te hais, créateur dont la pensée austère
A fait jaillir mon corps en de fiévreux instants,
Et dont je garde au coeur les rêves sanglotants...
Je connais les douleurs profondes de la terre,
Page 146
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 146/664
Moi qui suis la victime orgueilleuse du temps.
Ressouvenir
J'ai bu le vin brûlant de tes lèvres, Atthis...
Ah! l'enveloppement tenace des étreintes,
Et la complicité des lumières éteintes,
Les rougeurs de la robe et les langueurs du lys !
Dans ta robe ondoyante, imprécise et fluide,
Tu me parais une algue, et ton parfum amer
Evoque savamment ta nudité d'hier
Où ruisselaient tes blonds cheveux de Néréide.
A la Divinité inconnue
J'aspire auprès de toi le silence et le charme
Des nuits où la douleur se plaît à demeurer,
Page 147
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 147/664
Toi qu'on ne voit jamais essuyer une larme,
Mais dont parfois j'entends la grande âme pleurer.
Le miroir réfléchit tes chastes attitudes,
Et tu fuis le factice et le faste et le fard.
Tes lèvres ont gardé le pli des solitudes
Et l'accent des bonheurs qui nous viennent trop tard.
Le décor de ton deuil est la chambre sereine
Où meurt languissamment le bruit lointain des eaux.
Les souffles de la mer n'ont soulevé qu'à peine
Le soir perpétuel sous l'ombre des rideaux.
Vers toi le songe pur de mon âme s'élève,
Mon angoisse ne cherche point à s'apaiser,
Car tu m'es inconnue et n'existes qu'en rêve.
C'est pourquoi je t'adore au-dessus du baiser.
Mort maritime
Placez le filet et la rame et les voiles,
Pêcheurs, au-dessus de ce tombeau marin
Où dort Pélagôn, fils errant des étoiles
Page 148
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 148/664
Et fils du Destin.
Ce Mort a connu les hasards de l'orage,
Le tourment des flots, les monstres de la mer,
La faim qui déchire et la soif qui ravage
Et le pain amer.
Mais le vent du large a gonflé sa poitrine
D'un souffle pareil à l'haleine des Dieux,
Et les pieds d'argent de Téthys la Divine
Ont ravi ses yeux.
Il a bu l'odeur et la couleur des vagues,
Le baiser du sel qui ranime et qui mord;
Il a vu flotter, ondoyantes et vagues,
Les brumes du Nord.
Placez le filet et la rame et les voiles,
Pêcheurs, au-dessus de ce tombeau marin
Où dort Pélagôn, fils errant des étoiles
Et fils du Destin.
Paysage mystique
Page 149
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 149/664
Il est un ciel limpide où s'éteint le zéphyr,
Où la clarté se meurt sur les champs d'asphodèles,
Et là-bas, dans le vol de leur dernier soupir,
Vient l'âme sans espoir des Amantes fidèles.
Là-bas, la rose même a d'étranges pâleurs,
Les oiseaux n'ont qu'un chant égal et monotone,
Les terrestres parfums ont délaissé les fleurs,
Le soleil a toujours un sourire d'automne.
Elles passent, les yeux vaguement azurés,
Dans l'azur virginal de leur beauté première,
Effleurant de leur pas harmonieux les prés
Que leurs blancs vêtements parsèment de lumière.
Et le mouvant miroir de la source confond
Dans un même reflet les larges chevelures...
Les lueurs du couchant se mêlent à leur front :
Mais les baisers sont morts sur leurs lèvres très pures.
Elle ont recueilli la flamme de l'autel
Qui brûle sous les yeux de la chaste Déesse,
Et gardé de l'Amour ce qu'il a d'éternel:
Le divin souvenir, le rêve et la tristesse.
Page 150
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 150/664
Timas
Déesse de la Mort, pâle Perséphoné,
Dont l'Hadès recueillit les langueurs léthéennes,
Déesse dont le front semble un printemps fané,
Dont la voix est l'écho des voix élyséennes,
Déesse de la Mort, pâle Perséphoné,
Ouvre d'un geste lent ta chambre nuptiale,
Où l'éternel soupir des Morts vient s'apaiser,
A l'ombre de Timas, la vierge liliale
Qui n'a jamais connu le désir du baiser:
O Déesse, ouvre-lui ta chambre nuptiale!
Vois son manteau tissé d'étrange pourpre et d'or.
Sa parure dépasse en beauté les parures
Des reines de l'Egypte au fabuleux trésor...
Les vierges ont coupé leurs belles chevelures
Pour lui faire un manteau d'étrange pourpre et d'or.
A Venise
Page 151
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 151/664
Tout s'élargit. Le soir qui tombe est magnifique
Et vaste. Comme un Doge amoureux de la mer,
Parmi l'effeuillement des roses, la musique
Des luths, l'or qui flamboie ainsi qu'un rouge éclair,
Moi, j'irai, dominant le cortège mystique,
Et, somptueusement, j'épouserai la mer.
J'épouserai la mer, la souveraine amante.
Le parfum et le sel de son royal baiser
Irriteront la soif de ma bouche brûlante,
Et, tel un souvenir qui ne peut s'apaiser,
S'élèvera le vent des espaces qui chante
Je verrai tressaillir l'ombre des hippocampes.
Les algues s'ouvriront comme s'ouvrent les fleurs,
Et le phosphore, aux bleus rayonnements de lampes,
Allumera pour moi de vivantes pâleurs :
Afin de couronner mes cheveux et mes tempes,
Les algues flotteront, plus belles que les fleurs.
Ainsi, laissant flotter mon corps à la dérive,
Je mêlerai mon âme à l'âme de la mer,
Je mêlerai mon souffle à la brise furtive.
Se dissolvant, légère et fluide, ma chair
Ne sera plus qu'un peu d'écume fugitive.
Page 152
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 152/664
Dans la pourpre du soir j'épouserai la mer.
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvre
poétique
Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueilSapho publiée chez A. Lemerre en 1909. Cette version revue et corrigéepar Renée Vivien figure dans "L'oeuvre poétique complète de Renée
Vivien" éd. Albin Michel.
Vous pouvez consulter la première version du recueil "Sapho/1903" surle site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/
*
Sapho
Ode à l’Aphrodita
Page 153
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 153/664
Ode à une Femme aimée
Je t’aimais, Atthis
Tu m’oublies…
Tu hais ma pensée
Pour Androméda
Tout est blanc
Atthis aux cheveux de crépuscule
Mes yeux ont vu fuïr
Dors entre les seins
Je ne change point
Que le vent du soir emporte mon sanglot
Je t’ai possédée
La lune parut
Ainsi qu’une pomme
Lasse du jardin
Jamais une vierge
A qui m’interroge
L’automne est pareil
Demain tu mourras
Et blessée
Mes lèvres ont soif de ton baiser amer
La vierge Timas
O toi le plus beau des astres
Gurinnôes
Va jusqu'au jardin
Page 154
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 154/664
Dans les lendemains
La fraîcheur se glisse
Le grave couchant
Persuasion
J’écoute en rêvant
J’enseignai les chants
Je te vis cueillir
Je demeurerai vierge
Lyre
Nuit de pourpre
Eros, de tes mains prodigue
Ode à l’Aphrodita
Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse,
Tisseuse de ruse à l’âme d’arc-en-ciel,
Le frémissement, l’orage et la détresse
De mon long appel.
Page 155
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 155/664
J’ai longtemps rêvé : ne brise pas mon âme
Parmi la stupeur et l’effroi de l’éveil,
Blanche Bienheureuse aux paupières de flamme,
Aux yeux de soleil.
Jadis, entendant ma triste voix lointaine,
Tu vins l’écouter dans la paix des couchants
Où songe la mer, car la faveur hautaine
Couronne les chants.
Je vis le reflet de tes cheveux splendides
Sur l’or du nuage et la pourpre des eaux,
Ton char attelé de colombes rapides
Et de passereaux.
Et le battement lumineux de leurs ailes
Jetait des clartés sur le sombre univers,
Qui resplendissait de lueurs d’asphodèles
Et de roux éclairs.
Déchaînant les pleurs et l’angoisse des rires,
Tu quittas l’aurore immuable des cieux.
Là-bas surgissait la tempête des lyres
Aux sanglots joyeux.
Page 156
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 156/664
Et toi, souriant de ton divin visage,
Tu me demandas : « D’où vient l’anxiété
A ton grave front, et quel désir ravage
Ton corps tourmenté ?
« Qui te fait souffrir de l’âpre convoitise ?
Et quelle Peithô, plus blonde que le jour
Aux cheveux d’argent, te trahit et méprise,
Psappha, ton amour ?
« Tu ne sauras plus les langueurs de l’attente.
Celle qui te fuit te suivra pas à pas.
Elle t’ouvrira, comme la Nuit ardente,
L’ombre de ses bras.
« Et tremblante ainsi qu’une esclave confuse
Offrant des parfums, des présents et des pleurs,
Elle ira vers toi, la vierge qui refuse
Tes fruits et tes fleurs.
« Par un soir brûlant de rubis et d’opales
Elle te dira des mots las et brisés,
Et tu connaîtras ses lèvres nuptiales,
Pâles de baisers. »
Page 157
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 157/664
Ode à une Femme aimée
L’homme fortuné qu’enivre ta présence
Me semble l’égal des Dieux, car il entend
Ruisseler ton rire et rêver ton silence,
Et moi, sanglotant,
Je frissonne toute, et ma langue est brisée :
Subtile, une flamme a traversé ma chair,
Et ma sueur coule ainsi que la rosée
Apre de la mer ;
Un bourdonnement remplit de bruits d’orage
Mes oreilles, car je sombre sous l’effort,
Plus pâle que l’herbe, et je vois ton visage
A travers la mort.
***
Page 158
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 158/664
Je t’aimais, Atthis, autrefois
Le soir fait fleurir les voluptés fanées,
Le reflet des yeux et l’écho de la voix…
Je t’aimais, au long des lointaines années,
Atthis, autrefois.
… Tu m’oublies…
L’eau trouble reflète, ainsi qu’un vain miroir,
Mes yeux sans lueurs, mes paupières pâlies.
J’écoute ton rire et ta vox dans le soir…
Atthis, tu m’oublies.
Tu n’as point connu la stupeur de l’amour,
L’effroi du baiser et l’orgueil de la haine ;
Tu n’as désiré que les roses d’un jour,
Amante incertaine.
Atthis, ma pensée t’est haïssable, et tu fuis vers Androméda.
Page 159
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 159/664
Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image.
Cet autre baiser, qui te persuada,
Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage
Vers Androméda.
Pour Androméda, elle a une belle récompense
Pour Androméda, l’éclair de tes baisers,
Tes voiles de vierges et tes langueurs d’amante
Et le lent soupir de tes seins apaisés,
Atthis inconstante !
Pour Androméda, les chants, les soirs d’or brun,
Et l’ombres des cils sur l’ombre des prunelles,
Les nuits de Lesbos, où s’exalte un parfum
De fleurs éternelles.
Pour moi, le sommeil enfiévré sous les cieux
Où meurt la Pléiade, et les graves cadences,
L’hiver de ta voix, le néant de tes yeux,
Tes pâles silences.
Page 160
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 160/664
Les étoiles autour de la belle lune voilent
aussitôt leur clair visage lorsque, dans son
plein, elle illumine la terre de leurs d’argent.
Tout est blanc, la lune ouvre sa plénitude,
A ses pieds gémit l’Océan tourmenté :
Sereine, elle voit fleurir la solitude
Et la chasteté.
Les astres devant la Séléné divine,
Ont voilé leur face, et la clarté, neigeant
Du ciel virginal et candide, illumine
La terre d’argent.
Voici maintenant ce que je chanterai bel-
lement afin de plaire à mes maîtresses
Atthis aux cheveux de crépuscule, blonde
Et lasse, Eranna, qui dans l’or des couchants
Ranimes l’ardeur de la lyre profonde
Page 161
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 161/664
Et des nobles chants,
Euneika trop belle et Gurinnô trop tendre,
Anectoria, qui passais autrefois,
Lorsque je mourais de te voir et d’entendre
Ton rire et ta voix,
Dika, dont les mains souples tissent les roses,
Et qui viens offrir aux Déesses les fleurs
Neigeant du pommier, ingénument décloses,
Parfums et pâleurs,
Pour vous j’ai rythmé les sons et les paroles,
Pour vous j’ai pleuré les larmes du désir,
J’ai vu près de vous les ardentes corolles
Du soir défleurir.
Triste, j’ai blâmé l’importune hirondelle ;
Par vous j’ai connu l’amer et doux Eros,
Par votre beauté je deviens immortelle,
Vierges de Lesbos.
Page 162
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 162/664
(Vers) moi tout récemment l’Aube aux sandales d’or…
Mes yeux ont vu fuir l’Aube aux sandales d’or :
Ses pieds ont brillé sur le mont taciturne
Et sur la forêt où se recueille encor
Le rêve nocturne.
Dors sur le sein de ta tendre maîtresse
Dors entre les seins de l’amante soumise,
O vierge au regard d’éphèbe valeureux,
Et que l’Hespérôs nuptial te conduise
Vers le rêve heureux !
Envers vous, belles, ma pensée n’est point
changeante
Page 163
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 163/664
Je ne change point, ô vierges de Lesbos !
Lorsque je poursuis la Beauté fugitive,
Tel le Dieu chassant une vierge au peplos
Très blanc sur la rive.
Je n’ai point trahi l’invariable amour.
Mon cœur identique et mon âme pareille
Savent retrouver, dans le baiser d’un jour,
Celui de la veille.
Et j’étreins Atthis sur les seins de Dika.
J’appelle en pleurant, sur le seuil de sa porte,
L’ombre, que longtemps ma douleur invoqua,
De Timas la morte.
Pour l’Aphrodita j’ai dédaigné l’Eros,
Et je n’ai de joie et d’angoisse qu’en elle :
Je ne change point, ô vierges de Lesbos,
Je suis éternelle.
Viens, Déesse de Kuprôs, et verse délicatement dans
les coupes d’or le nectar mêlé de joies
Page 164
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 164/664
Fille de Kuprôs, dont le regard foudroie,
Délicatement de tes mains verse encor
Le nectar mêlé d’amertume et de joies
Dans les coupes d’or.
… quant à mon sanglot : et que les vents
orageux l’emportent pour les souffrances
Que le vent du soir emporte mon sanglot
Vers l’accablement des cités et des plaines ;
Qu’il l’emporte, afin de la mêler au flot
Des douleurs lointaines.
Qu’il l’emporte, ainsi qu’un pitoyable appel,
Plus grave et plus doux que la vaine parole…
Que, dans l’infini, mon sanglot fraternel
Apaise et console.
Et certes j’ai couché dans un songe avec la fille de Kuprôs
Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs !
Page 165
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 165/664
Pâle, je servis ta volupté cruelle…
Je pris, aux lueurs du flambeau d’Hespérôs,
Ton corps d’Immortelle.
Et ma chair connut le soleil de ta chair…
J’étreignais la flamme et l’ombre et la rosée,
Ton gémissement mourrait comme la mer
Lascive et brisée.
Mortelle, je bus dans la coupe des Dieux,
J’écartai l’azur ondoyant de tes voiles…
Ma caresse fit agoniser tes yeux
Sur ton lit d’étoiles…
Depuis, c’est en vain que la nuit de Lesbos
M’appelle, et que l’or du paktis se prolonge…
Je t’ai possédée, ô fille de Kuprôs,
Dans l’ardeur d’un songe.
Et certes j’ai parlé en songe avec la fille de Kuprôs
Un clair souvenir se rythme et se prolonge
Comme un son de lyre indécis et voilé…
Page 166
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 166/664
Fille de Kuprôs, je t’ai jadis parlé
A travers un songe.
La lune paraissait dans son plein, et les
femmes se tinrent debout, comme autour
D’un autel
La lune parut dans son plein, et les femmes
Se tinrent debout, comme autour d’un autel :
Les rayons étaient fervents comme des flammes
Au reflet cruel.
Elles attendaient… Et, rompant le silence,
La voix d’une vierge amoureuse chanta,
Et toutes sentaient la mystique présence
De l’Aphrodita.
Telle une douce pomme rougit à l’extrémité
de la branche, à l’extrémité lointaine :
Page 167
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 167/664
les cueilleurs de fruits l’ont oubliée ou, plutôt,
ils ne l'ont pas oubliée, mais ils n’ont pu l’atteindre
Ainsi qu’une pomme aux chairs d’or se balance,
Parmi la verdure et les eaux du verger,
A l’extrémité de l’arbre où se cadence
Un frisson léger,
Ainsi qu’une pomme, au gré changeant des brises,
Se balance et rit dans les soirs frémissants,
Tu t’épanouis, raillant les convoitises
Vaines des passants.
La savante ardeur de l’automne recèle
Dans ta nudité les ambres et les ors.
Tu gardes, ô vierge inaccessible et belle,
Le fruit de ton corps.
Pourquoi, fille de Pandion, aimable hirondelle, me … ?
Lasse du jardin où je me souviens d’Elle,
J’écoute mon cœur oppressé de parfum.
Pourquoi m’obséder de ton vol importun,
Divine hirondelle ?
Page 168
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 168/664
Tu rôdes, ainsi qu’un désir obstiné,
Réveillant en moi l’éternelle amoureuse,
Douloureuse amante, épouse douloureuse,
O pâle Procné !
Tu fuis sans espoir vers la rive qui t’aime,
Vers la mer aux pieds d’argent, vers le soleil.
Je hais le Printemps qui vient, toujours pareil
Et jamais le même !
Ah ! me rendra-t-il les langueurs de jadis,
L’ardente douleur des trahisons apprises,
L’attente et l’espoir des caresses promises,
Les lèvres d’Atthis ?
J’évoque le pli de ses paupières closes,
La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,
Et je pleure Atthis que j’aimais autrefois,
Sous l’ombre des roses.
Je crois qu’une vierge aussi sage que toi ne
verra dans aucun temps la lumière du soleil..
Jamais une vierge aussi sage que toi
Ne verra fleurir la lumière éternelle
Page 169
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 169/664
Contemplant sans fin la nature et la Loi
Qui pèse sur elle.
Tu sais le secret de l’accord et du chant,
Tes yeux ont sondé la mer d’or des étoiles,
Sur ton front bleuit, comme au front du couchant,
La brume des voiles.
Pallas Athéné, dont la divine loi
Règne en souriant sur l’aurore éternelle,
Ne vit point de vierge aussi sage que toi
Rêver devant elle…
Inscription à la base d’une statue
Vierges, quoique muette, je réponds…
A qui m’interroge, ô vierges, je réponds
D’une voix de pierre à l’accent inlassable :
« Mon éternité, sous les astres profonds,
M’attriste et m’accable.
« Sereine, je vois ce qui change et qui fuit.
Je fus consacrée à la vierge brûlante,
Page 170
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 170/664
Aithopia, sœur de l’amoureuse nuit,
Par sa tendre amante,
« Arista. J’ouis l’ardeur de leur soupir,
Par les nuits d’été dont le souffle m’effleure
De regrets… Je suis l’immortel souvenir
Des baisers d’une heure. »
… Toi et l’Eros, mon serviteur…
O toi dont le trône aux lueurs d’arc-en-ciel
Brille sur l’Hadès et sur la Terre sombre,
Aphrodita pâle au sourire cruel,
Resplendis sur l’ombre.
L’Eros qui t’implore et te suis pas à pas
Elève vers toi son regard doux et grave :
Il pleure en t’ouvrant vainement ses deux bras,
L’Eros, ton esclave.
Page 171
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 171/664
Je n’espère point toucher le ciel de mes bras étendus.
Je n’espère point toucher de mes deux bras
Etendus le ciel où s’amassent des voiles ;
La nuit pourpre vient et je n’espère pas
Cueillir les étoiles.
Psappha, pourquoi la bienheureuse Aphrodita… ?
L’automne est pareil aux étés où ta lyre
S’éveilla, tremblante, et frémit, et chanta…
O Psappha, dis-nous pourquoi jaillit le rire
De l’Aphrodita.
Quel sombre dessein réjouis la Déesse
A qui plaît l’effroi des cri inapaisés,
Qui répand sur nous la farouche détresse,
L’horreur des baisers ?
Les rayons maudits d’une fatale aurore
Virent autrefois l’implacable Beauté
Fleurir dans sa force inexorable, éclore
Dans sa cruauté.
Page 172
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 172/664
O Psappha, voici que s’éteint la Pléiade.
Le vent clame, ainsi qu’une lyre de fer,
Un chant prophétique et sinistre, et Leucade
Assombrit la mer.
Morte, un jour tu demeureras couchée [dans la tombe],
et nul souvenir de toi ne persistera ni alors ni plus tard :
car tu ne cueilles point les roses de Piéria, mais, obscure,
tu erreras dans la maison de l’Hadès, inconnue parmi les Mortsaveugles.
Demain tu mourras d’une mort sans étoiles.
La nuit cachera ton rire d’autrefois
Sous l’azur et sous la pourpre de ses voiles,
Sous les linceuls froids.
Tu n’as point cueilli les roses immortelles
De Piéria, Gorgô, charme d’un jour !
Jamais ne brûla dans tes pâles prunelles
L’éclair de l’amour.
Page 173
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 173/664
L’Hadès te prendra dans sa vague demeure,
Le chant de ta voix ne persistera pas,
Ni le souvenir de ton parfum d’une heure.
Demain tu mourras.
Et tu passeras ombre parmi les ombres,
Tu ne sauras point l’orgueil des lendemains,
Sans rayons de gloire à tes paupières sombres,
Sans fleurs dans tes mains.
Tes pas erreront faiblement sur la rive
Des femmes sans fards et des passants obscurs,
La Maison des Morts sur ta forme plaintive
Fermera ses murs.
Sous l’azur et sous la pourpre de ses voiles,
La Nuit cachera ton rire d’autrefois…
Demain tu mourras d’une mort sans étoiles
Sous les linceuls froids.
Ainsi que, sur les montagnes, les pâtres foulent aux
pieds l’hyacinthe, et la fleur s’empourpre sur la terre
Page 174
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 174/664
… Et blessée ainsi qu’une frêle hyacinthe,
Douloureuse Atthis, tu te souviens encor.
Tes tristes cheveux pleurent, dans l’ombre éteinte,
Une cendre d’or.
Les pâtres, chantant sur le mont solitaire,
Jettent vers le soir leurs rythmes frémissants,
Et la pourpre fleur ensanglante la terre,
Aux pieds des passants.
Tu nous brûles
Mes lèvres ont soif de ton baiser amer,
Et la sombre ardeur qu’en vain tu dissimules
Déchire mon âme et ravage ma chair :
Eros, tu nous brûles…
C’est ici la poussière de Timas que l’azur sombre
du lit nuptial de Perséphona reçut,
m orte avant l’hymen. Lorsqu’elle périt,
toutes ses compagnes, d’un fer fraîchement aiguisé,
Page 175
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 175/664
coupèrent la force de leurs désirables chevelures
La vierge Timas au printemps sans été
Mourut dans l’orgueil de sa blancheur première.
Parfumons de fleurs, de chants, de piété,
Sa douce poussière.
Oh ! le souvenir de ce corps lilial
Que Perséphona, voluptueuse et sombre,
Reçut dans l’azur de son lit nuptial
Paré de fleurs d’ombre !
Lorsqu’elle périt, ses compagnes d’hier
Coupèrent là-bas leurs cheveux désirables,
Bleus comme la nuit et blonds comme l’hiver,
Roux comme les sables.
De tous les astres le plus beau…
O toi le plus beau des astres, Hespéros,
Fleur nocturne éclose au verger des étoiles,
Page 176
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 176/664
Tu viens ranimer les ardeurs de Lesbos
Sous l’azur des voiles.
Tu jettes le trouble aux espaces sereins.
Le Désir renaît aux yeux las des Amantes,
Il meurtrit leurs flancs, il ravage leurs seins,
Leurs lèvres brûlantes.
Verse tes lueurs sur l’ombre des baisers…
Par les longs étés, l’âmes de Mytilène
Exhale vers toi ses cris inapaisés,
Sa fervente haleine.
Dans la pourpre et l’or sombres du firmament,
Ecoute la mer amoureuse et stérile
Qui, le soir, endort de son gémissement
La langueur de l’Ile.
Mnasidika est plus belle que la tendre Gurinnô
Gurinnô qui pleure à l’ombre de mon seuil
Page 177
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 177/664
N’a point tes accents où l’Eros passe et chante,
O Mnasidika ! ni le splendide orgueil
De tes seins d’amante.
Elle n’a point l’or fondu de ton regard,
Ni la pourpre fleur de tes paupières closes,
Ni ta chair où l’ambre et la myrrhe et le nard
Parfument les roses.
Mais elle a connue la grave volupté,
L’effroi de l’amour et l’effort des chimères…
Une nuit, j’ai bu, d’un baiser irrité,
Ses lèvres amères.
Et toi, ô Dika ! ceins de guirlandes ta
chevelure aimable, tresse les tiges de
fenouil de tes tendres mains, car les
vierges aux belles fleurs sont de beaucoup
les premières dans la ferveur des
Bienheureuses : celles-ci se détournent
des jeunes filles qui ne sont point couronnées
Va jusqu’au jardin clair où tu te reposes,
Page 178
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 178/664
Pare tes cheveux de verdure et de fleurs,
Choisis les parfums, Dika, tisse les roses,
Mêle les couleurs.
Et si tu veux plaire aux sereines Déesses,
Entoure l’autel des souffles de l’été…
Elles souriront, ainsi que leurs prêtresses,
A ta piété.
Porte à L’Artémis les sombres violettes,
A l’Aphrodita la pourpre des iris.
A Perséphona, vierge aux lèvres muettes,
La langueur des lys.
Quelqu’un, je crois, se souviendra dans
l’avenir de nous
Dans les lendemains que le sort file et tresse,
Les êtres futurs ne nous oublieront pas…
Nous ne craignons point, Atthis, ô ma Maîtresses !
L’ombre du trépas.
Page 179
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 179/664
Car ceux qui naîtrons après nous dans ce monde
Où râlent les chants jetteront leur soupir
Vers moi, qui t’aimais d’une angoisse profonde,
Vers toi, mon Désir.
Les jours ondoyants que la clarté nuance,
Les nuit de parfums viendront éterniser
Nos frémissements, notre ardente souffrance
Et notre baiser.
L’Eros qui délie mes membres aujourd’hui
me dompte, être fatal, amer et doux
Aujourd’hui l’Eros fatal, amer et doux
L’Eros qui ressemble à la Mort, me tourmente,
Maîtrise mes flancs et brise mes genoux
Dans l’angoisse ardente.
Page 180
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 180/664
L’or est fils de Zeus ; ni la mite ni le ver
ne le peuvent détruire
L’or est fils de Zeus, cruel comme les Dieux.
Il épanouit sa puissance fatale,
Frère du soleil qui dévore les cieux
De gloire brutale.
L’aurore Vénérable…
Vois se rapprocher l’Aurore Vénérable,
Apportant l’effroi, la souffrance et l’effort,
Et le souvenir dont la langueur accable,
La vie et la mort.
Alentour la brise murmure fraîchement
à travers les branches des pommiers, et des
Page 181
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 181/664
feuillages frissonnants coule le sommeil
La fraîcheur se glisse à travers les pommiers,
Le ruisseau bourdonne au profond des verdures,
Tel le chant confus qui remplit les guêpiers
Aux légers murmures.
L’herbe de l’été pâlit sous le soleil.
La rose, expirant sous les âpres ravages
Des chaleurs, languit vers l’ombre, et le sommeil
Coule des feuillages.
Et le sommeil aux yeux noirs, enfant de la nuit
Le grave couchant éteint l’or des lumières…
Le Sommeil aux yeux noirs, enfant de la Nuit,
De la verte Nuit pitoyable aux paupières,
Apaise le bruit.
Et l’âme des lys erre dans son haleine…
Mais il ne sait point contenter le soupir
Page 182
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 182/664
De l’ardent mer aux pieds de Mytilène,
Lasse de désir.
…la servante de l’Aphrodita, lumineuse comme l’or
Persuasion, Peithô, blonde suivante
De l’Aphrodita, viens dans le pâle essor
Des colombes, viens, lascive et suppliante,
Claire comme l’or.
Ta voix éloquente a l’accent d’une lyre
Implorant en vain l’ardeur et le retour
D’un fiévreux Passé… Ta voix qui pleure attire
Vers le grave Amour.
Pures Kharites aux bras de rose, venez filles de Zeus.
O filles de Zeus, Grâces aux bras de rose,
Venez, apportant les parfums de jadis,
Page 183
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 183/664
Le frisson des voix, du rythme et de la pause,
Et l’or du paktis.
Vous dont la langueur divine se repose
Dans l’éclair de l’aube et la flamme du jour,
Venez en dansant, Grâces aux bras de rose,
Riant à l’amour.
…une vierge à la voix douce
J’écoute en rêvant… La fraîcheur de ta voix
Coule, comme l’eau du verger sur la mousse
Et vient apaiser mes douleurs d’autrefois,
Vierge à la voix douce.
L’Eros aujourd’hui a déchiré mon âme, vent qui dans la montagne s’abatsur les chênes
L’Eros a ployé mon âme, comme un vent
Page 184
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 184/664
Des montagne tord et brise les grands chênes…
Et je vois périr, dans le flambeau mouvant,
L’essor des phalènes.
J’instruisis Hérô de Guara la [vierge] légère à la course.
J’enseignai les chants à la vierge aux pieds d’or
Dont les voix ressemble à la voix de la source,
Et dont les beaux pieds semblent prendre l’essor,
Légers à la course.
J’enseignai les chants où brûlent les parfums,
Où pleurent l’angoisse et l’effroi des attentes,
Quand le crépuscule assombrit les ors bruns
Des rives ardentes.
J’enseignai les chants qui montent vers l’autel
D’où l’Aphrodita tourmente l’amoureuse
Et qui font pâlir le sourire cruel
De la Bienheureuse.
Page 185
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 185/664
… une vierge très délicate cueillant des fleurs
Je te vis cueillir le fenouil et le thym
Et la fleur du vent, la légère anémone,
O vierge ! et je vis ton sourire enfantin
Où l’aube frissonne.
Mon corps vigoureux comme un jeune arbrisseau
Frôla longuement ta chair tendre et brisée…
Tu levas sur moi tes yeux plus frais que l’eau
Et que la rosée.
Le fatal Eros et l’amoureux Destin
Et l’Aphrodita dont je suis la prêtresse
Nous virent cueillir le fenouil et le thym,
Atthis, ma Maîtresse.
Page 186
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 186/664
Je serai toujours vierge
Je demeurerai vierge comme la neige
Sereine, qui dort là-bas d’un blanc sommeil,
Qui dort pâlement, et que l’hiver protège
Du brutal soleil.
Et j’ignorerai la souillure et l’empreinte
Comme l’eau du fleuve et l’haleine du nord.
Je fuirai l’horreur sanglante de l’étreinte,
Du baiser qui mord.
Je demeurerai vierge comme la lune
Qui se réfléchit dans le miroir du flot,
Et que le désir de la mer importune
De son long sanglot.
Dominant, comme lorsque l’aède de Lesbos domine les étrangers…
Dominant la Terre où résonne ta lyre,
Dresse-toi, splendide Aède de Lesbos
Page 187
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 187/664
Qui seule as connu la lumière et le rire
Divin de Paphôs.
Psappha, verse-nous au profond de l’espace,
Dédaignant le sort des êtres passagers,
Le frémissement de ton chant qui surpasse
Les chants étrangers.
… car il n’est pas juste que la lamentation
soit dans la maison des serviteurs des
Muses : cela est indigne de nous.
Compagnes, voici la Maison du Poète
Où la Mort se tait, où le deuil n’entre pas ;
Na gémissez plus dans l’angoisse inquiète
Du commun trépas.
Parsemez de fleurs aux haleines légères
Le seuil où pleuraient les chants graves et doux ;
Arrêtez le flot des larmes passagères
Indignes de nous.
Page 188
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 188/664
La lumière… qui ne détruit point la vue…
Pareille à une fleur d’hyacinthe
Nuit de pourpre, ainsi qu’une fleur d’hyacinthe,
Ta lumière éclôt dans le verger des cieux.
Ton parfum est chaste, et ta douceur éteinte
Console les yeux.
…Psappha… appelle l’amour doux et amer
et qui donne la douleur… [Elle] le
nomme le tisseur de chimères
Eros, de tes mains prodigues de douleurs
Tu répands l’angoisse, et tes lèvres amères
Ont le goût du sel et le parfum des fleurs,
Tisseur de chimères.
Page 189
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 189/664
----------------------------------------------------------------------------------------------------
*
En effet, comme l'indique Jean-Paul Goujon dans la biographie:"Tesblessures sont plus douces que leurs caresses" éd. Albin Michel, RenéeVivien remaniait régulièrement ses textes. Je cite :"Renée Vivien nous
montre qu'elle est une femme de lettre accomplie. Faut-il ajouter uneépigraphe ? modifier un vers ?... Lettres, billets, télégrammes et notesse multiplient et s'entrecroisent. ... Vallée, qui éprouvait de la sympathiepour Vivien, accueillait sans mauvaise grâce le déluge d'instructions,parfois contradictoires, dont il était accablé pour chaque édition ouréédition. Après la mort de Vivien, il entretint le souvenir de l'écrivain...renseignant Le Dantec et devenant entin le maître d'oeuvre des deuxéditions des poésies complètes publiées par Lemerre en 1923-1924 eten 1934."
Page 190
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 190/664
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
La Vénus des Aveugles,
1904
Incipit Liber Veneris Caecorum
La Fourrure
Arums de Palestine
Reflets d’Ardoise
After Glow
L’Aurore vengeresse
Donna m’apparve
Page 191
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 191/664
Péché des Musiques
A la perverse Ophélie
Chanson pour Elle
La Nuit latente
Sonnet de Porcelaine
Les Succubes disent...
Céres Eleusine
Sonnet à une Enfant
Treize
Naples
Telle que Viviane
La Vierge au Tapis
Chanson pour mon Ombre
La Madone aux Lys
Les Emmurées
Les VdAs
Les Mangeurs d’herbe
A la Florentine
Le Dédain de Psappha
Paysage d’après El Greco
Le Labyrinthe
Les Oripeaux
Les Lèvres pareilles
Page 192
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 192/664
Faste des Tissus
Litanie de la Haine
Virgo Hebraïca
Pour Une
Intervalle crépusculaire
Chevauchée
La Dogaresse
Les cygnes sauvages
Les Morts aveugles
Les Vendeuses de Fleurs
La Douve
Explicit Liber Veneris Caecorum
Incipit Liber Veneris Caecorum
Le feuillage s’écarte en des plis de rideaux
Devant la Vénus des Aveugles, noire
Sous la majesté de ses noirs bandeaux.
Le temple a des murs d’ébène et d’ivoire
Page 193
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 193/664
Et le sanctuaire est la nuit des nuits.
Il n’est plus d’odeurs, il n’est plus de bruits
Autour de cet autel dans la nuit la plus noire.
Nul n’ose imaginer le visage inconnu.
La Déesse règne en l’ombre éternelle
Où les murs sont nu, où l’autel est nu,
Où rien de vivant ne s’approche d’Elle.
Dans un temple vaste autant que les cieux
La Déesse Noire, interdite aux yeux,
Se retire et se plaît dans la nuit éternelle.
Les Aveugles se sont traînés à ses genoux
Pourtant, et, levant leur paupière rouge,
Semblent adorer un dieu sans courroux,
Et nul ne gémit et nulle ne bouge,
Mais, dans cette extase où meurt le désir,
Où la main se tend et n’ose saisir,
Une larme a coulé sous la paupière rouge.
La Fourrure
Page 194
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 194/664
Je hume en frémissant la tiédeur animale
D’une fourrure aux bleus d’argent, aux bleus d’opale ;
J’en goûte le parfum plus fort qu’une saveur,
Plus large qu’une voix de rut et de blasphème,
Et je respire avec ne égale ferveur,
La Femme que je crains et les Fauves que j’aime.
Mes mains de volupté glissent, en un frisson,
Sur la douceur de la Fourrure, et le soupçon
De la bête traquée aiguise ma prunelle.
Mon rêve septentrional cherche les cieux
Dont la frigidité m’attire et me rappelle,
Et la forêt où dort la neige des adieux.
Car je suis de ceux-là que la froideur enivre.
Mon enfance riait aux lumières de givre.
Je triomphe dans l’air, j’exulte dans le vent,
Et j’aime à contempler l’ouragan face à face.
Je suis une file du Nord et des Neiges, -- souvent
J’ai rêvé de dormir sous un linceul de glace.
Ah ! la Fourrure où se complaît ta nudité,
Où s’exaspérera mon désir irrité ! –
De ta chair qui détend ses impudeurs meurtries
Page 195
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 195/664
Montent obscurément les chaudes trahisons,
Et mon âme d’hiver aux graves rêveries
S’abîme dans l’odeur perfide des Toisons.
Arums de Palestine
O ma Maîtresse, je t’apporte,
Funèbres comme un requiem,
Lys noirs sur le front d’une morte,
Les arums de Jérusalem.
Ils éclosent parmi les râles
De l’amour que l’aube détruit,
Et les succubes aux doigts pâles
Ont respiré leur chair de nuit.
Seule, ton âme ténébreuse
Sut les aimer et les choisir,
Etrange et stérile amoureuse
Qui t’abandonnes sans désir.
Page 196
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 196/664
O ma Maîtresse, je t’apporte,
Funèbres comme un requiem,
Lys noirs sur le front d’une morte,
Les arums de Jérusalem.
Reflets d’Ardoise
Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,
Les nuages pareils à des chauves-souris,
Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris
S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.
Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,
Ont pour les lys fanés un geste de mépris.
La clarté du couchant prestigieux pavoise
La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
Page 197
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 197/664
Le flux et le reflux du soir déferlent, gris
Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.
Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise
Avec le Souvenir, près des ifs assombris.
Jamais, nous défendant de la foule narquoise,
Un toit n’abritera nos soupirs incompris…
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
After Glow
Je poursuis mon chemin vers le havre inconnu.
Les Femmes de Désir ont blessé mon cœur nu.
Dans la perversité de leur inquiétude
Elles ont outragé ma calme solitude.
Elles n’ont respecté ni l’ordre ni la loi
Que j’observais, avec un très exact effroi.
Page 198
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 198/664
Obéissant au cri de leurs aigres colères,
Elles ont arraché mes prunelles trop claires.
Et, voyant que j’étais debout en mon orgueil,
Elles ont déchiré mes vêtements de deuil
**
Entrelaçant pour moi les lys de la vallée,
Les Femmes de Douceur m’ont enfin consolée.
Elles m’ont rapporté la ferveur et l’espoir
Dans leur robe, pareille à la robe du soir.
Je sens mourir en moi la tristesse et la haine,
En écoutant leur voix murmurante et lointaine.
Voyant planer sur moi l’azur des jours meilleurs,
Je les suivrai, j’irai selon leurs vœux, ailleurs.
Puisque ces femmes-là sont la rançon des autres,
Quels jours dorés et quels soirs divins seront nôtres !…
Page 199
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 199/664
L’Aurore vengeresse
L’Aube, dont le glaive reluit,
Venge, comme une blanche Electre,
La fiévreuse aux regards de spectre,
Dupe et victime de la nuit…
Vers l’horreur des étoiles noires
Montent les funèbres accords…
Sur la rigidité des morts
Veillent les lys expiatoires.
L’ombre aux métalliques reflets
Engourdit les marais d’eau brune,
Et voici que s’éteint la lune
Dans le rire des feux follets.
Ta chevelure est une pluie
D’or et de parfums sur mes mains.
Page 200
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 200/664
Tu m’entraînes par les chemins
Où la perversité s’ennuie.
J’ai choisi, pour ceindre ton front,
La pierre de lune et l’opale,
L’aconit et la digitale,
Et l’iris noir d’un lac profond.
Volupté d’entendre les gouttes
De ton sang perler sur les fleurs !…
Les lys ont perdu leurs pâleurs
Et les routes s’empourprent toutes…
Donna m’apparve
Sopra candido vel cinta d’oliva
Donna m’apparve, sotto verde manto,
Vestita di color di fiamma viva.
Dante, Purgatorio, canto trentesimo.
Page 201
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 201/664
Lève nonchalamment tes paupières d’onyx.
Verte apparition qui fus ma Béatrix.
Vois les pontificats étendre, sur l’opprobre
Des noces, leur chasuble aux violets d’octobre.
Les cieux clament les De Profundis irrités
Et les Dies irae sur les Nativités.
Les seins qu’ont ravagés les maternités lourdes
Ont la difformité des outres et des gourdes.
Voici, parmi l’effroi des clameurs d’olifants,
Des faces et des yeux simiesques d’enfants,
Et le repas du soir sous l’ombre des charmille
Réunit le troupeau stupide des familles.
Une rébellion d’archanges triompha
Pourtant, lorsque frémit le paktis de Psappha.
Vois ! l’ambiguïté des ténèbres évoque
Le sourire pervers d’un Saint Jean équivoque.
Page 202
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 202/664
Péché des Musiques
Je n’ai point contemplé le mirage des formes,
Je n’ai point désiré l’oasis des couleurs,
J’ai su me détourner de la saveur des cormes
Et des mûres de pourpre et des figues en fleurs.
Mes doigts n’ont point pétri le moelleux des étoffes.
J’ai fui, comme devant un reptile couché,
Devant les sinuux discours des philosophes.
Mais, ô ma conscience obscure ! j’ai péché.
Je me suis égarée en la vaste Musique,
Lupanar aussi beau que peut l’être l’enfer ;
Des vierges m’imploraient sur la couce lubrique
Où les sons effleuraient lascivement leur chair.
Tandis que les chanteurs, tel un Hindou qui jongle,
Balançaient en riant l’orage et le repos,
Plus cruels que la dent et plus aigus que l’ongle,
Les luths ont lacéré mes fibres et mes os.
Page 203
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 203/664
Tordus par le délire impétueux du spasme,
Les instruments râlaient leur plaisir guttural,
Et les accords hurlaient le noir enthousiasme
Des prêtres érigeant les bûchers de santal ;
Des clochettes troublaient le sommeil des pagodes,
Et des roses flamants poursuivaient les ibis...
Je rêvais, à travers le murmure des odes,
Les soirs égyptiens aux pieds de Rhodopis.
Au profond des palais où meurt la lune jaune,
Les cithares et les harpes ont retenti...
Je voyais s’empourprer les murs de Babylone
Et mes mains soulevaient le voile de Vashti.
Eranna de Télos m’a vanté Mytilène.
Comme un blond corps de femme indolemment couché,
L’Ile imprégnait la mer de sa divine haleine...
Voici, ma conscience obscure ! j’ai péché...
A la perverse Ophélie
Les évocations de ma froide folie
Page 204
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 204/664
Raniment les reflets sur le marais stagnant
Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie !
C’est là que mes désirs te retrouvent, ceignant
D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,
c’est là que les échos raillent en s’éloignant.
L’eau morte a, dans la nuit, les langueurs des lagunes,
Et voici, dispensant l’agonie et l’amour,
L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes.
L’ombre suit lentement le lent départ du jour.
Comme un ressouvenir d’antiques infortunes,
Le vent râle, et la nuit prépare son retour.
Je sonde le néant de ma froide folie.
T’ai-je noyée hier dans le marais stagnant
Où flotte ton regard, ô perverse Ophélie ?
Ai-je erré, vers le soir, douloureuse, et ceignant
D’iris bleus ton silence et ta mélancolie,
Tandis que les échos raillent en s’éloignant ?
L’eau calme a-t-elle encor les lueurs des lagunes,
Et vois-tu s’incliner sut ton défunt amour
Page 205
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 205/664
L’automne aux cheveux roux mêlés de feuilles brunes ?
Ai-je pleuré ta mort dans l’énigme du jour
Qui disparaît, chargé d’espoirs et d’infortunes ?...
-- O rythme sans réveil, ô rire sans retour !
Chanson pour Elle
L’orgueil, endolori s’obstine
A travestir ton coeur lassé,
Ténébreux comme la morphine
Et le mystère du passé.
Tu récites les beaux mensonges
Comme on récite les beaux vers.
L’ombre répand de mauvais songes
Sur tes yeux d’archange pervers.
Tes joyaux sont des orchidées
Qui se fanent sous tes regards
Et les miroitantes idées
Page 206
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 206/664
Plus hypocrites que les fards.
Tes prunelles inextinguibles
Bravent la flamme et le soleil...
Et les Présences Invisibles
Rôdent autour de ton sommeil.
La Nuit latente
Le soir, doux berger, développe
Son rustique solo...
Je mâche un brin d’héliotrope
Comme Fra Diavolo.
La nuit latente fume, et cuve
Des cendres, tel un noir Vésuve,
Voilant d’une vapeur d’étuve
La lune au blanc halo.
Je suis la fervente disciple
De la mer et du soir.
La luxure unique et multiple
Page 207
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 207/664
Se mire à mon miroir...
Mon visage de clown me navre.
Je cherche ton lit de adavre
Ainsi que le calme d’un havre,
O mon beau Désespoir !
Ah ! la froideur de tes mains jointes
Sous le marbre et le stuc
Et sous le poids des terres ointes
De parfum et de suc !
Mon âme, que l’angoisse exalte,
Vient, en pleurant, faire une halte
Devant ces parois de basalte
Aux bleus de viaduc.
Lorsque l’analyse compulse
Les nuits, gouffre béant,
Dans ma révolte se convulse
La fureur d’un géant.
Et, lasse de la beauté fourbe,
De la joie où l’esprit s’embourbe,
Je me détourne et je me courbe
Sur ton vitreux néant.
Page 208
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 208/664
Sonnet de Porcelaine
Le soir, ouvrant au vent ses ailes de phalène,
Evoque un souvenir fragilement rosé,
Le souvenir, touchant comme un Saxe brisé,
De ta naïveté fraîche de porcelaine.
Notre chambre d’hier, où meurt la marjolaine,
N’aura plus ton regard plein de ciel ardoisé,
Ni ton étonnement puéril et rusé...
O frisson de ta nuque où brûlait mon haleine !
Et mon coeur, dont la paix ne craint plus ton retour,
Ne sanglotera plus son misérable amour,
Frêle apparition que le silence éveille !
Loin du sincère avril de venins et de miels,
Tu souris, m’apportant les fleurs de ta corbeille,
Fleurs précieuses des champs artificiels.
Page 209
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 209/664
Les Succubes disent...
Quittons la léthargie heureuse des maisons,
Le carmin des rosiers et le parfum des pommes
Et les vergers où meurt l’ondoiement des saisons,
Car nous ne sommes plus de la race des hommes.
Nous irons sous les ifs où s’attarde la nuit,
Où le souffle des Morts vole, comme une flamme,
Nous cueillerons les fleurs qui se fanent sans fruit,
Et les âcres printemps nous mordront jusqu’à l’âme.
Viens : nous écouterons, dans un silence amer,
Parmi les chuchotis du vêpre à l’aile brune,
Le rire de la Lune éprise de la Mer,
Le sanglot de la Mer éprise de la Lune.
Tes cheveux livreront leurs éclairs bleus et roux
Au râle impérieux qui sourd de la tourmente,
Mais l’horreur d’être ne ploiera point nos genoux
Dans nos yeux le regard des Succubes fermente.
Les hommes ne verront nos ombres sur leurs seuils
Qu’aux heures où, mêlant l’ardeur denos deux haines,
Page 210
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 210/664
Nous serons les Banshees qui présagent les deuils
Et les Jettatori des naissances prochaines.
Nos corps insexués s’uniront dans l’effort
Des soupirs, et les pleurs brûleront nos prunelles.
Nous considérerons la splendeur de la Mort
Et la stérilité des choses éternelles.
Céres Eleusine
La nuit des vergers bleus d’acanthes,
Des jardins pourpres d’aloès,
Attend l’Evohé des Bacchantes
Et les mystères de Cérès.
Dans le temple aux flammes païennes,
Le soir, accroupi comme un sphinx,
Contemple les Musiciennes,
Evocatrices de Syrinx.
Une étrange et pâle prêtresse,
Page 211
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 211/664
Délaissant l’autel de Vénus,
Apporte à la Bonne Déesse
Les daturas et les lotus.
Car la blonde enlace la brune,
Et les servantes d’Ashtaroth,
Aux vêtements de clair de lune,
Te narguent, Deus Sabaoth.
Les nonnes et les courtisanes,
Mêlant la belladone au lys,
Chantent les Te Deum profanes
Et les joyeux De profundis.
Sonnet à une Enfant
Tes yeux verts comme l’aube et bleus comme la brume
Ne rencontreront pas mes yeux noirs de tourment,
Puisque ma douleur t’aime harmonieusement,
O lys vierge, ô blancheur de nuage et d’écume !
Page 212
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 212/664
Tu ne connaîtras point l’effroi qui me consume,
Car je sais épargner au corps frêle et dormant
La curiosité de mes lèvres d’amant,
Mes lèvres que l’Hier imprégna d’amertume.
Seule, lorsque l’azur de l’heure coule et fuit,
Je te respireri dans l’odeur de la nuit
Et je t reverrai sous mes paupières closes.
Portant, comme un remords, mon orgueil étouffant,
J’irai vers le Martyre ensanglanté de roses,
Car mon coeur est trop lourd pour une main d’enfant.
Treize
Ashtaroth, Belzébuth, Bélial et Moloch
Fendent la nuit d’hiver, massive comme un roc,
De leurs iles et de leur souffle de fournaise,
Et, sur les murs lépreux de Suburra, Moloch
De son pouce sanglant trace le nombre : treize.
Page 213
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 213/664
Ashtaroth, Belzébuth, Bélial et Moloch
Ont tracé sur les murs lépreux le nombre : treize.
Ashtaroth, Bélial, Moloch et Belzébuth,
Protecteurs souriants des hyènes en rut,
Vantent aux Khéroubim la majesté du spasme.
Ainsi qu’un alchimiste anxieux, Belzébuth
Mélange savamment le parfum au miasme.
Ashtaroth, Bélial, Moloch et Belzébuth
Hument, comme un parfum délicat, le miasme.
Ashtaroth, Belzébuth, Moloch et Bélial
Versent le vin fumeux du festin nuptial.
Ils ont paré le front de l’Epouse niaise…
Archange ennemi des naissances, Bélial
Sur les ventres féconds trace le nombre : treize.
Ashtaroth, Belzébuth, Moloch et Bélial
Sur les ventres gonflés tracent le nombre : treize.
Car Bélial, Moloch, Belzébuth, Ashtaroth
Font surgir, sous les yeux scandalisés de Loth,
Les marbres de Sodome et les fleurs de Gomorrhe.
Et mariant l’amante à la vierge, Ashtaroth
Page 214
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 214/664
Ressuscite les nuits qui font haïr l’aurore.
Car Bélial, Moloch, Belzébuth, Ashtaroth
Font triompher Sodome et claironner Gomorrhe.
Naples
Le temple abandonné de la Vénus latine
Se recule et s’estompe à travers les embruns,
Et le déroulement rituel des parfums
Ne tourbillonne plus vers l’Image Divine.
Les roses, sur le marbre enfiévré par leur sang,
N’ont plus leur rouge ardeur de rire et de rapine :
Le souffle violent de la Vénus latine
Ne traversera plus les soirs en frémissant.
Par les fentes d’azur de ces mur en ruine,
Je contemple les prés, le soleil et la mer.
Les algues ont rempli de leur idole amer
Page 215
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 215/664
Le temple abandonné de la Vénus latine.
Les patientes mains du soir ont lamé d’or
Les bleus italiens de la chaude colline,
Où, délaissant l’autel de la Vénus latine,
Les mouettes ont pris leur lumineux essor.
De ses yeux éternels, la Déesse illumine,
Comme autrefois, la terre et l’infini des flots.
La mer salue encore de chants et de sanglots
Le temple abandonné de la Vénus latine.
Telle que Viviane
Le blond zodiaque détruit
Ses énigmatiques algèbres,
Et les cygnes noirs de la nuit
Glissent sur un lac de ténèbres.
Page 216
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 216/664
Tu me tends, d’un geste onduleux,
Tes mains où le lotus se fane.
A travers les feuillages bleus
Tu souris, comme Viviane.
Je retrouve les chers poissons
Sous la langueur de ta parole,
Et les anciennes trahisons
Te nimbent, comme une auréole.
L’éclair des astres vient dorer
Le gris pervers de ta prunelle.
Ah ! comment ne point t’adorer
D’être perfide et d’être belle ?
Les Iles
La mer porte le poids voluptueux des Iles…
Le lapis lazuli des ondes infertiles
Sollicite le frais recueillement des Iles.
Iles d’hiver, ô fleurs de la nacre et du nord !
Lorsque l’ombre a tressé les roses de la mort,
Page 217
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 217/664
Les Iles ont jailli de la nacre et du nord.
Elles flottent ainsi que des perles d’écume…
Des blancheurs de bouleaux, des bleuités de brume
Se balancent, parmi les perles de l’écume.
Et voici, sous les violettes du couchant,
Lesbos, regret des Dieux, exil sacré du chant,
Lesbos, où fleurit la gloire du couchant.
Les parfums ténébreux qui font mourir les vierges
Montent de ses jardins et de l’or de ses berges
Où s’éteignent les voix amoureuses des vierges.
Leucade se souvient, et les fleurs d’oranger
Mêlent leur blanc frisson aux tiédeurs du verger…
Psappha pleurait Atthis sous les fleurs d’oranger…
Les âmes sans espoir sont pareilles aux Iles,
Et, malgré les langueurs de leurs armes fébriles,
Elles gardent l’orgueil solitaires des Iles.
Elles ont l’horizon, les algues et les fleurs.
L’isolement divin rafraîchit leurs douleurs
Et leur verse la paix des algues et des fleurs.
Page 218
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 218/664
La Vierge au Tapis
Pâle et mélancolique ainsi qu’une malade,
Un tapis fondu languit sous tes pieds.
Plus majestueux qu’un temple de jade,
Les magnolias et les tulipiers
Ont laissé pleuvoir la nuit de leur voûte.
Tramé dans un soir aux bleus inconnus
Par de brunes mains que l’été veloute,
Un fragile tapis languit sous tes pieds nus.
Le tapis déployé sous tes pieds de malade
Déroule ses plis fanés, mariant
L’ombre d’une rose ou d’une grenade
Sanglante, à des blancs lépreux d’Orient.
Et ses verts d’eau morte et de pré funèbre
S’éteignent, plus doux qu’un rêve terni,
Tandis que l’automne exalte et célèbre
Monna Lisa souriant à San Giovanni.
Page 219
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 219/664
Chanson pour mon Ombre
Droite et longue comme un cyprès,
Mon ombre suit, à pas de louve,
Mes pas que l’aube désapprouve.
Mon ombre marche à pas de louve,
Droite et longue comme un cyprès.
Elle me suit, comme un reproche,
Dans la lumière du matin.
Je vois en elle mon destin
Qui se resserre et se rapproche.
A travers champs, par les matins,
Mon ombre suit, comme un reproche.
Mon ombre suit, comme un remords,
La trace de mes pas sur l’herbe
Lorsque je vais, portant ma gerbe,
Vers l’allée où gîtent les morts.
Mon ombre suit mes pas sur l’herbe,
Implacable comme un remords.
Page 220
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 220/664
La Madone aux Lys
J’ai bu, tel un poison, vos souffles éplorés,
Vos sanglots de parfums, lys fauves, lys tigrés !
Dédiez au matin votre rose sourire,
Lys du Japon, éclos aux pays de porphyre.
Ténèbres, répandez vos torpeurs d’opiums,
Vos sommeils de tombeaux sur les chastes arums.
Lys purs qui fleurissez les mystiques images,
Sanctifiez les pelouses et feuillages.
Lys de Jérusalem, lys noirs où la nuit dort,
Exhalez froidement vos souvenirs de mort.
Vastes lys des autels où l’orgue tonne et prie,
Page 221
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 221/664
Brûlez dans la clarté des cierges de Marie.
Sollicitez l’avril, ses pipeaux et ses voix,
O muguets, lys de la vallée et des grands bois.
O lys d’eau, nymphéas des amantes maudites,
Anémones, lys roux des champs israélites,
Soyez la floraison des douleurs de jadis
Pour la vierge aux yeux faux que j’appelai mon Lys.
Les Emmurées
L’ombre étouffe le rire étroit des Emmurées.
Leur illusoire appel s’étrangle dans la nuit.
Leur front implore en vain la brise qui s’enfuit
Vers l’Ouest, où les mers sommeillent, azurées.
Leur cécité profonde ignore les marées
Des couleurs, les reflux de la fleur et du fruit ;
Leur surdité n’a plus le souvenir du bruit,
Page 222
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 222/664
Et la soif a noirci leurs lèvres altérées.
Leur chair ne blondit point sous l’ambre des soleils,
Lourde comme la pierre aux éternels sommeils,
Que la neige console et que frôlent les brises.
S’éteignant dans l’oubli du silence vainqueur,
Leur mort vivante a pris des attitudes grises…
La rouille des lichens a dévoré leur cœur.
Les Oliviers
Et je regrette et je cherche…
Psappha
Les oliviers, changeants et frais comme les vagues,
Recueillent gravement tes murmures légers,
Psappha, Divinité des temples d’orangers,
Page 223
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 223/664
Dont le chant surpassa le chant des étrangers…
La montagne a des plis musicalement vagues…
Tes lèvres ont l’inflexion d’un rire amer.
Lasse d’éloges faux, lasse de calomnies,
Tu te hâtes vers l’ombre aux roses infinies ;
Sous tes doigts doriens pleurent les harmonies ;
Tes regards ont le bleu complexe de la mer.
Les vierges se reflètent, tiédeur parfumée,
L’une dans l’autre, ainsi qu’en un vivant miroir.
Tu regrettes et tu cherches, parmi l’or noir,
Des yeux et des cheveux assombris par le soir,
Atthis, la moins fervente, Atthis, la plus aimée…
Les Mangeurs d’herbe
C’est l’heure où l’âme famélique des repus
Agonise, parmi les festins corrompus.
Et les Mangeurs d’herbe ont aiguisé leurs dents vertes
Page 224
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 224/664
Sur les prés d’octobre aux corolles larges ouvertes,
Les prés d’un ton de bois où se rouillent les clous…
Ils boivent la rosée avec de longs glouglous.
L’été brun s’abandonne en des langueurs jalouses,
Et les Mangeurs d’herbe ont défleuri les pelouses.
Ils mastiquent le trèfle à la saveur du miel
Et les bleuets des champs plus profonds que le ciel.
Innocents, et pareils à la brebis naïve,
Ils ruminent, en des sifflements de salive.
Indifférents au vol serré des hannetons,
Nul ne les vit jamais lever leurs yeux gloutons.
Et, plus dominateur qu’un fracas de victoires,
S’élève grassement le bruit de leurs mâchoires.
A la Florentine
Page 225
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 225/664
Entre tes seins blêmit une perle bizarre.
Tu rêves, et ta main curieuse s’égare
Sur les algues de soie et les fleurs de satin.
J’aime, comme un péril, ton sourire latin,
Tes prunelles de ruse où l’ombre se consume
Et ton col sinueux de page florentin.
Tes yeux sont verts et gris comme le crépuscule.
Insidieusement ton rire dissimule
La haine délicate et le subtil courroux.
Tes cheveux ont les bruns ardents des rosiers roux,
Et ta robe au tissu mélodieux ondule
Ainsi qu’une eau perfide où chantent les remous.
Les pieuvres du printemps guettent les solitudes ;
Le musical avril prépare ses préludes ;
Le gouffre des matin et l’abîme des soirs
S’entrouvrent ; les désirs, pareils aux désespoirs,
M’entraînent vers les sanglotantes lassitudes
Que la perversité parsème d’iris noirs.
Page 226
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 226/664
Le Dédain de Psappha
Vous n’êtes rien pour moi.
Pour moi, je n’ai point de ressentiment,
mais j’ai l’âme sereine.
Psappha
Vous qui me jugez, vous n’êtes rien pour moi.
J’ai trop contemplé les ombres infinies.
Je n’ai point de l’orgueil de vos fleurs, ni l’effroi
De vos calomnies.
Vous ne saurez point ternir la piété
De ma passion pour la beauté des femmes,
Changeantes ainsi que les couchants d’été,
Les flots et les flammes.
Rien ne souillera les fonts éblouissants
Que frôlent mes chants brisés et mon haleine.
Comme une Statue au milieu des passants,
J’ai l’âme sereine.
Page 227
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 227/664
Paysage d’après El Greco
Parmi le boréal silence, le zénith
Irradie âprement aux jardins d’aconit.
Enigmes et remords, les yeux des Nyctalopes
Reflètent la perplexité des horoscopes,
Et les musiciens, frères des Séraphim,
Ecoutent murmurer la harpe d’Eloïm.
De glauques nénuphars charment le regard fixe
D’une perverse Ondine éprise d’une Nixe.
Et l’écho jette au vent le rire des sabbats,
L’effroi des lits pareils à des champs de combats.
Les tentes d’écarlate où dorment les bourrasques
Crèvent sur le repos seigneurial des vasques.
Trouant l’opacité démente, le zénith
Irradie âprement aux jardins d’aconit.
Page 228
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 228/664
Le Labyrinthe
J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe…
Je n’ai pour mon salut qu’un douloureux orgueil.
Voici que vient la Nuit aux cheveux d’hyacinthe,
Et je m’égare au fond du cruel labyrinthe,
O Maîtresse qui fus ma ruine et mon deuil.
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres qui vont, ivres de désespoir ;
Leurs lèvres ont ce pli que le rictus complique :
Mon amour hypocrite et ma haine cynique
Sont deux spectres damnés qui rôdent dans le soir.
J’erre au fond d’un savant et cruel labyrinthe,
Et mes pieds, las d’errer, s’éloignent de ton seuil.
Sur mon front brûle encor la fièvre mal éteinte…
Dans l’ambiguïté grise du Labyrinthe,
J’emporte mon remords, ma ruine et mon deuil.
Page 229
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 229/664
Les Oripeaux
Je ne danserai pas sur ton tréteau banal,
Avec tes histrions et tes prostituées.
Lorsque fermente en moi la tristesse du vin,
J’erre, exagérant mon verbe de pitre,
Mentant comme un prêtre et comme un devin
Ma loquacité pérore et chapitre
Devant la foule aux remous de troupeau
Que le sifflement des fifres taquine.
De mes vers, pareils à des oripeaux,
J’ai drapé follement tes membres d’arlequine.
Découvre à l’air des nuits tes seins prostitués.
Sur les murs la foule a groupé ses fresques.
Mes gestes fiévreux sont accentués
Par l’explosion des tambours burlesques.
Je tourne mes yeux sottement épris
Vers ton corps lascif, que l’amour efflanque.
Car nous endurons un égal mépris,
O toi la danseuse ivre, ô moi la saltimbanque.
Page 230
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 230/664
Des souffles cauteleux éteignent les quinquets…
Tels des haillons, sous leur clinquant de rimes,
Puant la sueur et les vieux bouquets,
Mes vers ont gardé tes chaleurs intimes.
Mes vers sont pareils à des oripeaux.
Ah ! ce beuglement d’affreuses musiques
D’orgues, cette odeur de crasse et de peaux !
Ce spectacle effronté de nos âmes publiques !
Les Lèvres pareilles
L’odeur des frézias s’enfuit
Vers les cyprès aux noirs murmures…
La brune amoureuse et la nuit
Ont confondu leurs chevelures.
J’ai vu se mêler, lorsque luit
Le datura baigné de lune,
Les cheveux sombres de la nuit
Aux cheveux pâles de la brune.
Page 231
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 231/664
La fin balsamique du jour,
Blonde de frelons et d’abeilles,
Perçoit, dans un baiser d’amour,
La beauté des lèvres pareilles.
L’odeur des frézias s’enfuit
Vers les cyprès aux noirs murmures…
La brune amoureuse et la nuit
Ont confondu leurs chevelures.
Faste des Tissus
Estompe ta beauté sous le poids des étoffes,
Plus souples que les flots, plus graves que les strophes.
Elles ont la caresse et le rythme des mers,
Et leur frisson s’accorde au blanc frisson des chairs.
Revêts le violet des antiques chasubles,
Parsemé de l’éclair des ors indissolubles.
Page 232
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 232/664
L’encens apaise encor leurs plis religieux ;
Elles aiment les Purs et les Silencieux.
Evoque, Océanide aux changeantes prunelles,
Le vert glauque où frémit l’écume des dentelles.
Jadis la gravité du velours se plia
Sur les seins de pavot et de magnolia.
Le satin froid, où la ligne se dissimule,
Gris comme l’olivier fleuri du crépuscule,
Et la moire, pareille au sommeil de l’étang,
Où stagnent les lys verts et les reflets de sang,
Le givre et le brouillard des pâles broderies,
Où les tisseuses ont tramé leurs rêveries,
Parèrent savamment ta savante impudeur
Et ton corps où le rut a laissé sa tiédeur.
Ressuscite pour moi le lumineux cortège
De visions, et sois l’arc-en-ciel et la neige,
Page 233
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 233/664
Sois la vague, ou la fleur des bocages moussus,
O Loreley, selon la couleur des tissus.
Mes rêves chanteront dans l’ombre des étoffes,
Plus souples que les flots, plus graves que les strophes.
Litanie de la Haine
La Haine nous unit, plus forte que l’Amour.
Nous haïssons le rire et le rythme du jour,
Le regard du printemps au néfaste retour.
Nous haïssons la face agressive des mâles.
Nos cœurs ont recueilli les regrets et les râles
Des Femmes aux fronts lourds, des Femmes aux fronts pâles.
Nous haïssons le rut qui souille le désir.
Nous jetons l’anathème à l’immonde soupir
D’où naîtront les douleurs des êtres à venir.
Nous haïssons la Foule et les Lois et le Monde.
Page 234
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 234/664
Comme une voix de fauve à la rumeur profonde,
Notre rébellion se répercute et gronde.
Amantes sans amant, épouses sans époux,
Le souffle ténébreux de Lilith est en nous,
Et le baiser d’Eblis nous fut terrible et doux.
Plus belle que l’Amour, la Haine est ma maîtresse,
Et je convoite en toi la cruelle prêtresse
Dont mes lividités aiguiseront l’ivresse.
Mêlant l’or des genêts à la nuit des iris,
Nous renierons les pleurs mystiques de jadis
Et l’expiations des cierges et des lys.
Je ne frapperai plus aux somnolentes portes.
Les odeurs monteront vers moi, sombres et fortes,
Avec le souvenir diaphane des Mortes.
Virgo Hebraïca
Page 235
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 235/664
Tu m’apportes l’ardeur des nuits de Palestine.
Sur ton front, serein comme un feu d’autel,
Brûle, sceau mystique, empreinte divine,
La gloire de ta race, ô fille d’Israël !
Ton corps a les parfums du corps de Bethsabée,
Pâleur de lotus et de nénuphar.
Un saphir frémit, tel un scarabée,
Sur tes cheveux pareils aux cheveux de Tamar.
Et tes bras arrondis semblent porter l’amphore,
Ainsi que les bras nus de Rébecca.
Devant l’ennemi que ton peuple abhorre
Ta bouche a proféré le cri mortel : raca.
La soif d’Agar a fait trembler tes lèvres noires.
Debout, et bravant la lune au zénith,
Tu m’appris le chant rouge des victoires,
Le rire de Jahel, les baisers de Judith.
Tu m’apportes l’ardeur des nuits de Palestine.
Sur ton front, serein comme un feu d’autel,
Brûle, sceau mystique, empreinte divine,
La gloire de ta race, ô fille d’Israël !
Page 236
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 236/664
Pour Une
Quelqu’un, je crois, se souviendra dans
L’avenir de nous.
Mon souci.
Psappha
Dans l’avenir gris comme une aube incertaine,
Quelqu’un, je le crois, se souviendra de nous,
En voyant brûler sur l’ambre de la plaine
L’automne aux yeux roux.
Un être parmi les êtres de la terre,
O ma Volupté ! se souviendra de nous,
Une femme, ayant à son front le mystère
Violent et doux.
Elle chérira l’embrun léger qui fume
Et les oliviers aussi beaux que la mer,
La fleur de la neige et la fleur de l’écume,
Le soir et l’hiver.
Attristant d’adieux les rives et les berges,
Page 237
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 237/664
Sous les gravités d’un soleil obscurci,
Elle connaîtra l’amour sacré des vierges,
Atthis, mon Souci.
Intervalle crépusculaire
Tes yeux sous tes cheveux sont comme des poignées
De rayons à travers des toiles d’araignées.
Ton sourire d’été, que l’aube colora,
Est pareil au sourire orgueilleux de Sara.
Mon regard s’hypnotise à cette fauve boucle
Où le divin saphir épouse l’escarboucle.
Tes parfums indiens, tes onguents et tes fards
Etonnent la candeur simple des nénuphars.
La haine de l’amour et l’amour de la haine
Se partagent mon cœur et mon âme incertaine.
La bienfaisante Mort montre d’un pâle index
La colline lunaire où blondit le silex.
Page 238
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 238/664
Au lointain s’exaspère et s’exalte un arpège.
Je veux purifier mon âme dans la neige…
Vois, plus belle que le puéril Adonis,
Mourir Adonéa dans un linceul de lys.
Chevauchée
Les Ondines, ceignant les roseaux bleus du fleuve,
Ont des chansons de vierge et des sanglots de veuve.
Leurs gemmes sont les pleurs lumineux du passé.
Le Griffon s’alanguit en un songe lassé ;
Sur ses paupières a pesé la somnolence,
Et ses ongles d’onyx ont rayé le silence.
Ouvre tes ailes, prends l’essor, ivre du vin
Des automnes et des couchants, Monstre divin,
Sombre lion ailé, plus beau que la Chimère !
Chastement dédaigneux de la grâce éphémère,
Tu flattes ta hideur orgueilleuse, qui dort
D’un noir sommeil parmi les neiges de la Mort.
Page 239
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 239/664
Tes regards jaunes ont défié la lumière,
Et sur ton col, où ne fume point de crinière,
Une glauque nageoire ondule vers les flots.
Fuyant la lâcheté des antiques sanglots,
Je tresserai les fleurs vertes du sycomore…
Emporte-moi jusqu’aux limites de l’aurore !
La Dogaresse
UN ACTE EN VERS
SCENE PREMIERE
Le palais des Doges. Fenêtres ouvertes sur la lagune. On entend delointains accords de luths et de mandolines.
GEMMA
O Venise ! J’ai l’âme ivre des sérénades :
La musique a brûlé mes lèvres et mon front.
Les barques où, parmi la pourpre des grenades,
Page 240
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 240/664
Rougit le rose frais des pastèques, s’en vont
Sous la brise du soir ivre de sérénades.
VIOLA
Le crépuscule, las de regrets et d’espoir,
Mire ses roux cheveux et ses yeux d’un bleu noir…
Il m’apparaît ainsi qu’une femme fantasque,
Une femme voilée et riant sous le masque,
Que tente l’amoureuse aventure du soir.GEMMA
Mon cœur se ralentit, obscurément fantasque,
Selon le glissement des gondoles… Le soir
S’approche, souriant à demi sous son masque.
Les luths s’interrompent brusquement
VIOLA
Ah ! les luths se sont tus !GEMMA, écoutant
Voici, dans le couloir,
Un bruit de soie et d’or…On entend un frisson de robe. Voici laDogaresse…
L’ombre de son regard mystérieux m’oppresse
Comme l’eau morte aux pieds rayonnants de la mer.VIOLA, comme ensonge
L’eau morte aux plis dormants…GEMMA, la rappelant à la réalité
Voici la Dogaresse…VIOLA, comme en songe
La contemplation des lagunes l’oppresse.
Page 241
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 241/664
Je redoute la froideur pâle de sa chair
Et de ses yeux…Elle recule comme saisie par un pressentiment.
SCENE II
La Dogaresse entre. Elle va vers la fenêtre. Pendant tout l’acte, ses yeux
restent fixés sur l’eau du canal.
LA DOGARESSE
J’ai trop contemplé des lagunes.
J’ai trop aimé leurs eaux sans remous, leurs eaux brunes ;
Elles m’attirent comme un désastreux appel…
Je ne défaille plus sous le charme cruel
Des accords et des chants… L’eau morte a pris mon âme.
GEMMA
Les luths qui suppliaient, ainsi qu’un vaste appel,
Les voix qui s’exaltaient, plus vives qu’une flamme,
Ne font plus tressaillir le palais, telle une âme.
Page 242
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 242/664
LA DOGARESSE
J’ai fait taire les luths… Le silence des eaux
A plus de volupté que les sons les plus beaux…
Ah ! silence éternel où s’enlise mon âme !…
VIOLA, dans un cri d’effroi :
Oh ! ne contemplez pas les lagunes !
LA DOGARESSE, à Viola :
Dis-moi,
N’as-tu point vu, sur l’eau sans clartés et sans voiles,
Un mystère d’azur et d’étranges étoiles ?
Vers la nuit, n’as-tu point frissonné, comme moi,
D’un immense désir dans un immense effroi ?
GEMMA, s’approchant de la fenêtre :
Le ciel bariolé détruit ses mosaïques,
Il s’effrite, il s’effondre…
LA DOGARESSE
O graveViola,
N’as-tu point frissonné quand le soir révéla
Les verts hallucinants et les bleus magnétiques
De l’eau morte, les bleus d’abîmes et les verts
Page 243
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 243/664
S’insinuant en nous comme un songe pervers ?…
Ah ! l’eau morte !…
VIOLA
Mais la stupeur de l’automne ivre !
Le couchant qui s’affirme en des clameurs de cuivre
Et qui s’éteint, plus doux qu’un musical soupir !
Les murs où, comme un sphinx, le soir vient s’accroupir…
Les vignes de la nuit, fiévreuses et funèbres,
Où sourd confusément le vin noir des ténèbres !GEMMA
On croit voir refluer votre ondoyant manteau
Sur un rythme pareil au roulis d’un bateau.
LA DOGARESSE, comme hallucinée
L’onde nocturne m’a dévoilé ce mystère :
Une mort amoureuse et pourtant solitaire,
Un silence oublieux où dorment les sanglots,
Un sommeil violet dans la pourpre des flots…
GEMMA
Détournez vos regards fébriles !…
LA DOGARESSE
L’eau m’appelle…
L’eau m’attire…
Page 244
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 244/664
GEMMA, suppliante
Madone…
VIOLA
Oh ! vous êtes plus belle
Qu’au matin nuptial et bleu de Séraphim
Où riaient, à travers l’encens de la nef grise,
La harpe d’Azraël et le luth d’Eloïm,
Où les cloches jetaient leurs lys d’or sur Venise !La Dogaresse sortlentement
GEMMA
La lumière qui meurt à l’Occident se brise,
Et le soir s’engourdit en son verger d’azur.
VIOLA
Au fond de ma tristesse il sommeille une joie.
UNE VOIX DE FEMME, du dehors
Elle se noie !
VOIX DE LA FOULE.
Elle se noie !
Page 245
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 245/664
VIOLA, dans un grand cri
Elle se noie !
Mon âme se débat comme en un rêve obscur…
GEMMA
Comme elle, qui s’en va vers la mer, j’agonise…
L’eau replie en rampant ses mille anneaux d’azur
Sur celle que j’aimais…
VIOLA
Les lagunes l’ont prise.
Les cygnes sauvages
CHANSON NORVEGIENNE
CHŒUR
Comme un vol de cygnes sauvages,
Battements d’ailes vers le Nord,
Passe le vol des blancs nuages,
Chassés par la bise qui mord.
Page 246
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 246/664
RECIT
Viens, nous respirerons les parfums de la neige.
Les brumes auront le bleu de tes regards froids.
Tes cheveux sont la nuit des sapins, et ta voix
Est l’écho des sommets que la tempête assiège.
CHŒUR
Comme un vol de cygnes sauvages,
Battements d’ailes vers le Nord,
Passe le vol des blancs nuages,
Chassés par la bise qui mord.
RECIT
Les yeux lointains des loups guetteront ton sommeil.
Le vent victorieux et la mer magnanime
Rafraîchiront ton front où l’espoir se ranime :
Tu te réjouiras de la mort du soleil.
CHŒUR
Comme un vol de cygnes sauvages,
Battements d’ailes vers le Nord,
Passe le vol des blancs nuages,
Chassés par la bise qui mord.
Page 247
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 247/664
RECIT
Viens, l’écho des sommet que la tempête assiège
Vibre dans la candeur farouche de ta voix…
Viens, nous effeuillerons les rires d’autrefois,
Viens, nous respirerons les parfums de la neige.
CHŒUR
Comme un vol de cygnes sauvages,
Battements d’ailes vers le Nord,
Passe le vol des blancs nuages,
Chassés par la bise qui mord.
RECIT
A travers une nuit plus sainte que la mort,
Tu glisses pâlement, tel un cygne sauvage,
O Svanhild ! et l’on voit sur on profond visage
L’héroïque blancheur des Neiges et du Nord.
CHŒUR
Je prendrai comme les nuages
Chassés par la bise qui mord,
Et comme les cygnes sauvages,
Mon élan vers le ciel du Nord.
Page 248
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 248/664
Les Morts aveugles
Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux,
Ils ouvrent leurs yeux larges et stupides
Devant la lueur rouge des flambeaux,
Et leurs yeux béants sont des gouffres vides…
Dardant vers la nuit leurs regards stupides,
Les Morts aveugles sont assis dans les tombeaux.
Je viendrai m’accroupir sur la pierre lépreuse
Où la fièvre suinte en âcres moiteurs.
Tel qu’un faux soupir de fausse amoureuse,
Le jour éteindra ses rayons menteurs.
Dans l’ombre exhalant ses lourdes moiteurs,
Je viendrai m’accroupir sur la pierre lépreuse.
Mais je retrouverai mes regards d’autrefois,
Je te reverrai de mes yeux d’aveugle.
Comme un mâle en rut qui brame et qui beugle,
Page 249
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 249/664
Je ferai crier tes os sous mon poids…
Et, tournant vers toi ma prunelle aveugle,
L’amour rallumera mes regards d’autrefois.
Tu viendras t’accroupir sur la pierre lépreuse
Et geindre parmi les âcres moiteurs,
Et tes faux soupirs de fausse amoureuse
Ressusciteront nos baisers menteurs.
Dans l’ombre exhalant de lourdes moiteurs,
Nous nous accroupirons sur la pierre lépreuse.
Les Vendeuses de Fleurs
Elles attendent, dans l’or bleu d’un réverbère,
Quand la nuit des cités tragiques délibère
Au pied d’un réverbère.
Elles attendent… Et, frissonnant de dégoût,
Les Fleurs, sous leurs doigts gris, leur haleine d’égout,
Ont blêmi de dégoût.
L’âpre fraternité de leurs petites haines
Epie en frémissant les Vendeuses obscènes
Page 250
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 250/664
Que menacent leurs haines.
Les violettes ont une âme de venin…
Les lilas, affectant un sourire bénin,
Composent leur venin.
Les Vendeuses, mâchant des relents de rogommes,
Roulent leurs yeux pareils aux yeux rouges des hommes
Où luisent les rogommes.
Maléfiques, les Fleurs distillent l’opium
Et le haschisch de leurs parfums… Le simple rhum
S’aiguise d’opium.
Les Fleurs font miroiter leurs gloires orgiaques
Dans la boue, et font rire, au creux sombre des flaques,
Les rêves orgiaques.
Les Fleurs ont recueilli les miasmes du Sud.
Leur mémoire, profonde ainsi qu’un soir Talmud,
Sait les poisons du Sud.
Les Vendeuses, avec des rires d’hystériques,
Jettent, en éructant leurs impudents cantiques,
Des appels d’hystériques,
Page 251
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 251/664
Et leur bave sanglante a souillé le trottoir…
Les Vendeuses, avec des clameurs d’abattoir,
Roulent sur le trottoir.
La Douve
L’aube a des pas furtifs de louve
Et des yeux de chacal…
De mes mains j’ai creusé la douve ;
J’ai bâti, sans vassal,
La tour aux murs noirs qui t’encloître.
Ton épouvante voit s’accroître,
Pareil à l’enflure d’un goitre,
Mon amour féodal.
Que m’importe ton regard triste,
Moiré, tel un pigeon ?
Qu’importe à mon trouble égoïste
Le rosier sans bourgeon ?
Je suis aussi lâche qu’un homme
Page 252
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 252/664
Et je t’ordonne et je te somme
De languir en mes baisers comme
En un étroit donjon.
Et je maintiendrai sur ton sexe
Mon droit de suzerain :
Tu briseras ton front complexe
Contre mon front d’airain.
Lasse de voir tomber la brume
D’un ciel malade d’amertume,
Dans l’ombre où l’espoir se consume,
Tu périras de faim.
Explicit Liber Veneris Caecorum
Dans le frais clair-obscur bleuissent des lumières :
Viens rêver de la Mort… J’adore tes paupières.
Les siècles ont glissé sur nos fronts endormis,
Plus légers et plus doux que des rires amis…
Page 253
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 253/664
Et le ruissellement des feuilles de pivoine
Pleut dans notre cercueil d’onyx et de sardoine.
Large comme l’amphore aux mains de Rébecca,
Ton flanc pâlit parmi les pleurs d’harmonica.
Autour de nous s’attarde un souffle de miracles :
C’est l’heure où se répand la paix des tabernacles.
Les cyprès et les ifs aux silences dévots
Gardant l’urne d grès où dorment les pavots.
Chère, la mort aux mains ouvertes et prodigues
Accueille indulgemment le poids de nos fatigues,
La Mort qui se détache, ainsi qu’un bas-relief,
Aux murs de ce tombeau plus vaste qu’une nef.
Dans la bénignité du soir et des lumières,
Viens rêver de la Mort aux divines paupières.
Accueil
Page 254
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 254/664
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Kitharèdes,
1904
Korinna
Myrtis
Télésilla
Eranna
Ode à la Force
Damophyla de Pamphylie
Telesippa
Nossis
A Eros
Epitaphe sur Rhinthon
A Héra
Sur l’image de Sabaithis
Page 255
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 255/664
Sur le réseau de Samytha
Sur une image d’Aphrodita
Praxilla
Poème d’Amour
Anyta de Tegee
Anyta de Mytilène
Sur un dauphin
Moiro
Sur les Nymphes de l’Anigros
Charixéna
Kléobulina
Korinna
Pour tes… Hermès lutte un jour contre Arès.
Grondant à la vérité fortement de colère…
Et lui, s’étant montré, à la vérité détruisit la ville
Page 256
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 256/664
… est battu par des haches
Grondant en vérité d’une forte colère,
L’Arès un jour lutta contre l’Hermès ailé,
Pour ton rire, Aphrodite immortellement claire
Qui disposais ton corps sur le lit étoilé.
Les héros combattaient auprès des héroïnes,
Une pourpre de meurtre embrasait le Levant :
Mais toi, tu fis chanter les écailles divines,
Indifférence au choc des haches, et rêvant.
Les glorieux vaincus ensanglantaient l’argile :
La lance de l’Arès brûla, comme un éclair.
S’étant montré, terrible, il détruisit la ville.
Et toi, tu souriais de voir briller la mer.
Et quelqu’un chantant de façon douce…
La terre est comme un vase étrusque,
Fond rouge et dessin noir :
Dans la plaine où l’ombre s’embusque,
Déméter vient s’asseoir ;
Page 257
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 257/664
La flèche du couchant s’émousse
Sur les lichens et sur la mousse.
Quelqu’un, chantant de façon douce,
A traversé le soir.
La nuit hésite sur le porche
D’onyx et de lapis,
Et la résine de sa torche
A des parfums d’iris.
Du crépuscule vert émerge
Quelqu’un chantant comme une vierge,
Et le mélilot de la berge
Connaît ton pas, Myrtis.
Tes doigts caressent le kithare,
Cherchant le rythme exact :
Sous la langueur du toucher rare
Surgit l’hymne compact.
Tu te plais au beau simulacre
De la victoire et du massacre,
Et, plus rayonnant que la nacre,
Brille ton corps intact.
La terre est comme un vase étrusque,
Fond rouge et dessin noir :
Page 258
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 258/664
Dans la plaine où l’ombre s’embusque,
Déméter vient s’asseoir ;
La flèche du couchant s’émousse
Sur les lichens et sur la mousse.
Quelqu’un, chantant de façon douce,
A traversé le soir.
Est-ce que tu dors sans interruption ?
En vérité, tu n’étais point avant, Korinna…
Dors-tu docilement dans le lit des années,
Musicienne dont la harpe résonna
Jusqu’au Temple très noir des sombres Destinées ?
N’étais-tu pas, avant, l’ardente Korinna ?
Se peut-il que l’Hadès aveugle te possède,
Et dont les yeux riaient du rire des bluets
Et des blés mûrs ?… O toi qui fus la Kitharède,
Dors-tu parmi les morts et leurs paktis muets ?
Les champs, que le soleil d’été martèle et frappe,
Te virent cependant, dans ta jeune beauté,
Dénouer tes cheveux où saignait une grappe
Page 259
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 259/664
Et célébrer la vigne où s’empourpre l’été !
Un souffle olympien soulevait ta poitrine,
Tu chantais, et l’ardeur de ton vers étonna
La Parthène rigide et chryséléphantine…
En vérité, dors-tu, toi qui fus Korinna ?
… devant chanter de belles récompenses pour
les femmes de Tanagra aux blancs péplos : et ma
ville s’est grandement réjouie de mes chants au
babil harmonieux.
Des roses ont neigé sur la plaine éblouie.
Dans l’air résonne encore un triomphe subtil ;
Ma ville s’est hier grandement réjouie
De mes chants de femme à l’harmonieux babil.
Les échos de ma lyre animaient les silences
J’étais déjà pareille aux rigides Paros,
Et mes strophes étaient vos belles récompenses,
Vierges ceintes de fleurs, femmes aux blancs péplos.
J’ai loué la valeur des graves héroïnes
Page 260
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 260/664
Que l’immortelle main de Pallas consacra.
La foule aimait en moi les Piérides divines,
Et ma gloire épousait ta gloire, ô Tanagra.
Thespia, de belle race, hospitalière, aimée des Muses…
Effeuillons les lauriers noirs comme tes prunelles,
Thespia ! moissonnons le myrte et le cerfeuil,
Car, pour glorifier tes paupières très belles,
Les Piérides tressaient leurs roses sur ton seuil.
Les pâtres te louaient, femme de belle race,
Et t’apportaient les fruits dorés de la saison.
Les étoiles brillaient, moins claires que ta face :
Tu fus hospitalière en ta noble maison.
Dans tout le glorieux pays, depuis l’aurore,
Les Aèdes ont célébré tes sourcils bruns.
La phorminx aux mains des Kitharèdes t’honore
Pour ta sagesse et ton sourire et tes parfums.
Page 261
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 261/664
… Et je blâme aussi la mélodieuse Myrtis
de ce que, étant femme, elle entra en rivalités avec Pindare.
Oh ! les flots empourprés que frappent les rameurs,
Et la Mort qui grimace à travers les murailles !
Pourquoi, Myrtis, jeter les sanglantes clameurs
Des buccins dominant le fracas des batailles ?
La gloire est un flambeau que le silence éteint.
O Myrtis, la victoire est une courtisane,
Et celui qui la frappe est celui qui l’étreint.
Le sage a le dégoût de son baiser profane.
Chante le soir, l’ampleur des collines et l’air
Pacifique, le temple où pâlit la pensée,
Et le flot qui frémit, plus troublant que la chair…
Ta voix consolera l’Aphrodite blessée.
Car la voix d’une femme, ô Myrtis, doit savoir
Moduler lentement ses langueurs incertaines,
Elle doit s’allier au silence du soir
Et se mêler au frais murmure des fontaines.
Page 262
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 262/664
Myrtis
Le soir nuançait l’or d’Hellas
De pourpre égyptienne :
J’offris la coupe d’Hypocras
A la Musicienne…
Elle errait en riant, auprès
Des aloès et des cyprès
Et des roches aux bleus de grès,
Myrtis l’Ionienne.
Elle évoquait les bords du Styx,
Les asphodèles jaunes,
Où les sphinx aux ongles d’onyx
S’étirent près des Faunes,
Et dans la strophe, comme un choc
De boucliers d’or contre un roc
Où le marbre sommeille en bloc,
Luttaient les Amazones.
La mélodieuse Myrtis
Page 263
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 263/664
Aux paupières divines,
Livre ses cheveux de maïs
Aux brises des collines.
Elle ressuscite, à travers
La blancheur de ses nobles vers,
Vigoureux comme les hivers,
L’âme des héroïnes.
J’offris la coupe d’hypocras
A la Musicienne,
Dont le vers mêle aux ors d’Hellas
La pourpre égyptienne,
A la vierge qui passe auprès
Des aloès et des cyprès
Et des roches aux bleus de grès,
Myrtis l’Ionienne.
Télésilla
Cette Artémis, ô vierges, fuyant Alphéos…
Page 264
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 264/664
Cette Artémis, fuyant le désir mâle, ô vierges,
Tourna vers le lointain du sud ses yeux lassés.
Et ses pieds fugitifs illuminaient les berges,
Foulant avec dégoût les couples enlacés.
Ses longs rayons aigus perçaient l’ombre des rives
Et dardaient les venins, les terreurs et les maux,
Sur les hommes en rut et les femmes passives,
Luttant et se mêlant comme les animaux.
Car son orgueil se plaît aux jeux chastes et rudes
De la course à travers le ravin et le pré ;
Elle cherche l’effroi des larges solitudes
Où nul souffle mortel ne trouble l’air sacré.
Eranna
Pompilos, poisson qui envoies aux matelots
une heureuse navigation, puisses-tu escorter du
côté de la poupe ma tendre Maîtresse !
Page 265
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 265/664
Pour que le vent soit doux comme ma caresse,
O poisson de bon augure, Pompilos,
Escorte la nef de ma tendre maîtresse,
Orgueil de Lesbos.
Nage assidûment du côté de la poupe,
Et vois rayonner son visage divin…
Ses yeux sont des fleurs, ses lèvres, une coupe
De miel et de vin…
Escorte, jusqu’à la rive de Phocée,
Ma Maîtresse au front couronnée de cerfeuil…
Les thrènes, devant sa maison délaissée,
Gémissent leur deuil…
Pour que le vent soit doux comme ma caresse,
O poisson de bon augure, Pompilos,
Escorte la nef de ma tendre maîtresse,
Orgueil de Lesbos.
De tes enfantines mains, ces traits
Ces dessins, labeur de tes mains enfantines,
Page 266
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 266/664
Evoquent le seuil fleuri de mélilot,
Où les chants venus des lointaines collines
Traînaient leurs sanglots.
Les vierges d’Hellas cachent leur clair visage,
Etoiles devant la lune dans son plein,
Devant tes pieds nus, devant ton doux langage,
Ton rire serein.
Ces lettres, labeur de tes mains enfantines,
Ont le charme vain et tendre d’un écho…
Dans l’ample Lydie aux limpides collines
S’attarde Myrô.
Excellent Prométhée, il y a aussi des humains qui t’égalent en habileté :qui que ce soit qui véritablement ait dessiné cette vierge, si l’on eûtajouté aussi la voix, c’était Agatharchis tout entière.
Celle qui grava ces paupières décloses
Ainsi que des fleurs, ces beaux doigts sans anneau,Ce corps puéril, plus tendre que les roses,
Plus souples que l’eau,
Eût-elle ajouté la voix qui sollicite
Page 267
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 267/664
Et qui persuade, ainsi que le paktis,
Elle eût évoqué la splendeur d’Aphrodite
Et d’Agatharchis.
Vous qui parlez peu, femmes aux cheveux
blancs, vous, fleurs de la vieillesse pour les mortels…
Femmes aux cheveux blancs que l’hiver caresse,
Vous que réjouit l’intimité du feu
Et du crépuscule, ô fleurs de la vieillesse,
Vous qui parlez peu,
Vous avez la paix candide des années,
Vous êtes le chœur des vivants souvenirs :
Douces, vous tressez les couronnes fanées
Des anciens désirs.
Vous vous attardez, comme autrefois, aux porches
Où Phoibos blondit la mousse et les lichens,
Et vous allumez en souriant les torches
Rouges des hymens.
Vous aimez l’automne aux yeux bruns et la rouille
Page 268
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 268/664
Des portes où le vent laisse un parfum salin :
Vous filez, au chant de votre humble quenouille,
La neige du lin.
La vierge respecte et craint votre sagesse,
Et votre saut est lent comme un adieu,
Femmes aux cheveux blancs, fleurs de la vieillesse,
Vous qui parlez peu…
De ce côté, le vain écho traverse à la nage (le
fleuve) vers l’Hadès ; le silence (demeure) chez
les morts, et l’ombre s’empare des yeux.
Le vain écho nage aveuglément vers l’ombre
Où les plus beaux chœurs ne sont qu’un remous bref,
Où le souvenir le plus cher plonge et sombre
Ainsi qu’une nef.
Lasse, la pleureuse, ivre de somnolence,
Auprès d’une stèle épuise ses transports ;
La cruche de deuil est vide, et le silence
Règne chez les morts.
Page 269
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 269/664
La myrrhe, fumant dans l’or des cassolettes,
Ne réjouit plus les jardins d’aloès ;
Les vierges sans voix tressent les violettes
Blanches de l’Hadès.
Les baromos se sont tus sous les acanthes…
Rouillés et pareils à des miroirs ternis,
Les flots du Léthé reflètent les Amantes
Aux bras désunis.
Perséphoné tisse en des trames funèbres
Les fils brisés des espoirs et des adieux.
Elle seule veille et songe, et les ténèbres
S’emparent des yeux.
Doux fut ce labeur d’Erinna…
Le couchant rougit, de son faste
Cruel, ton bleu péplos,
Qui, dans ses plis, à l’ampleur chaste
Et simple du Paros,
Et tes cheveux de Néréide,
Dont Psappha chantait l’or fluide,
Page 270
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 270/664
Tremblent sous le vent qui les ride,
Eranna de Télos.
Les nefs aux frissons de fantômes
Dardent leurs mâts pointus ;
Les aromates et les baumes
Concentrent leurs vertus ;
Tandis que s’empourpre la plaine,
Pâle, tu suspends ton haleine,
Et tes yeux cherchent Mytilène
Dont les chœurs e sont tus.
Au-delà des rouges collines
S’irisent les embruns :
Tu souris aux mains enfantines
Que baignent les parfums,
Aux mains qui, par les soirs d’opales,
Gravaient ces lettres musicales,
Gazouillant comme les cigales
Ivres de verts parfums.
Les pipeaux qu’un satyre affûte
S’argentent, et le bruit
D’eaux et de feuilles de la flûte
Susurre et coule et fuit.
Page 271
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 271/664
Ton âme d’amoureuse écoute
Les voix errantes sur la route,
Et, prophétique, elle redoute
L’approche de la nuit.
Cependant elle n’est point perdue pour la
mémoire des hommes, ni cachée sous
l’aile ombreuse de la nuit noire.
L’heure ardente et solennelle,
Et Psappha, se penchant
Vers Eranna, pleure comme elle
L’Adonis du couchant.
Parmi l’éclair des bandelettes
Et les tiédeurs des cassolettes,
La Tisseuse de Violettes
Trame les fleurs du chant.
Au lointain, l’aimable hirondelle
Pointe et darde son vol,
Et les prés ont la sauterelle
Pour humble rossignol.
La vague meurt dans une étreinte ;
Page 272
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 272/664
Sur la montagne, l’hyacinthe
Ensanglante de pourpre éteinte
La matité du sol.
Psappha tourne vers sa disciple
Son regard vaste et doux,
Profond comme le soir multiple
Sur l’onde sans remous.
Elle parle, et l’ombre révère
La beauté de son front sévère :
Quelqu’un, dans l’avenir larvaire,
Se souviendra de nous.
Ode à la Force
Fille de l’Arès, Constance belle et rude,
Tes yeux, où l’effroi du passé brûle encor,
Sont pareils aux yeux noirs de la solitude
Sous ton réseau d’or.
Dans un ciel massif tu demeures, mortelle,
Page 273
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 273/664
L’infini dans tes regards extasiés,
Que Sélanna règne ou que Phoibos attelle
Ses fougueux coursiers.
Un pâle troupeau d’âmes crépusculaires,
Réprimant les pleurs et les lâches sanglots,
T’obéit, ô toi qui brises les colères
Lascives des flots.
Tu vois sans terreur la tempête qui fume
Et le sang futur empourprer le Levant,
Toi qui sais dompter le tonnerre et l’écume
Et le cri du vent.
Le Temps détruira les Dieux, mais le Temps même
Ne changera pas ton sourire d’airain :
Tu sais opposer à l’Ananké suprême
Ton mépris serein.
O toi l’Invaincue, ô toi l’Inaccessible,
Tes paupières ont le doux pli de la mort ;
Tu sembles rêver, telle en son lit paisible
La vierge qui dort.
Tes Tempes sans fleurs ont dédaigné la palme.
Page 274
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 274/664
Le couchant a moins de paix que ton orgueil,
Et le rocher moins de grandeur et de calme
Que ton grave seuil.
Semblable à la nuit où s’éteignent les flammes
Et les roux éclairs de l’astre révolté,
Enseigne aux héros l’endurance des femmes
Et leur loyauté.
Damoyla de Pamphylie
L’ombre bleuit les monts sacrés
D’où Phoibé, lente, émerge.
Ses rayons coulent sur les prés
Comme l’eau sur la berge.
Pareil aux Pommes d’Or, le fruit
Du clair verger frissonne et luit ;
Damophyla parle à la nuit :
« Je serai toujours vierge.
« Psappha me brûle de ses yeux.
Page 275
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 275/664
Je toucherai, comme elle,
De mes bras étendus, les cieux
Que l’or des nuits constelle.
Je verrai l’avant des vaisseaux
Sillonner la pourpre des eaux,
Et les Muses aux beaux travaux
Me rendront Immortelle. »
Elle dit, le front détourné,
Car l’être solitaire
Garde en son cœur prédestiné
Le songe et le mystère ;
L’herbe a des bleus froids de lapis
Que percent des éclairs d’iris,
Et, triomphante, l’Artémis
Illumine la terre.
Télèsippa
Télésippa à Anagoras
Page 276
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 276/664
Tissons l’hyacinthe et l’iris
En des trames confuses ;
Je chanterai, sur le paktis,
L’Aphrodite et ses ruses.
Lève tes paupières sans fard
D’où coule un limpide regard :
Nous avons une bonne part
Dans les présents des Muses.
Ceins ton front chaste de lotos,
Ainsi qu’une danseuse
Tanagréenne au blanc péplos.
De ta voix d’amoureuse
Chante le mélos, de ta voix
Défaillante comme autrefois…
Divine écaille, sous nos doigts
Deviens harmonieuse.
Nossis
Nossis à l’Etrangère
Page 277
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 277/664
Etranger, si tu navigues vers Mytilène aux
beaux chœurs pour y cueillir la fleur des
grâces de Sappho, dis-lui qu’une femme de
Locres, chère aux Muses et à elle aussi,
Enfanta d’autre (chants) pareils et que mon
Nom est Nossis. Va.
Etrangère aux yeux noirs qui vas vers Mytilène
Où l’on cueille la fleur des grâces de Sappho,
Ecoute ! je te parle et suis à bout d’haleine…
Lorsque tu reviendras, fidèle comme Echo,
Parle-nous de la ville indolemment couchée,
Telle une courtisane aux voiles de byssus,
Qui s’allonge sur la couche molle, jonchée
De roses, de fenouil, d’iris et de crocus.
Vierge, dis à Sappho qu’une femme répète
Les odes où s’attarde un sourire d’Atthis,
Qu’elle a chanté les vers du souverain Poète :
Etrangère, apprends-lui que mon nom est Nossis.
Dis-lui qu’en appelant sa caresse inconnue,
Page 278
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 278/664
J’ai sangloté d’amour sous mes cheveux épars,
Que je la vois, pareille à l’Aphrodite nue,
Dis-lui que je l’attends et que je l’aime… Pars !
Epitaphe sur Rhinthon
Rien n’est plus doux qu’Eros, et tout ce qui
est heureux vient après. J’ai craché de ma
bouche même le miel. Et voici ce que dit
Nossis ; Celle que Kupris n’a point aimée
ne sait pas quelles fleurs sont les roses.
Vierges et femmes, rien n’est plus doux que l’amour.
Les Kharites aux bras blancs, et les jeunes Heures,
Les Piérides au front ardent comme le jour,
Et l’Aurore aux pieds nus, lui sont inférieures.
Page 279
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 279/664
Je dédaigne le vin, je méprise le miel,
Je ne veux que le goût des baisers à ma bouche ;
Ni les frissons de l’eau ni les remous du ciel
N’égalent l’ondoiement de ta chair sur ma couche.
Celle qui dédaigna le rire de Kupris
Et qui n’a point connu son lit de Violettes
A le front gris des Mots. Ainsi parle Nossis
Dont l’Eros enduisit de cire les tablettes.
Celle qui ne craint point à l’égal du trépas
Les aubes sans caresse et les nuits ans murmure,
O Déesse aux yeux bleus ! celle-là ne sait pas
Quelles fleurs sont les roses de ta chevelure !
Epitaphe sur Rhinthon
Et, ayant ri aux éclats, tourne-toi vers moi et
dis-moi une parole amicale. Je suis Rhinthon
Page 280
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 280/664
de Syracuse, chétif rossignol des Muses, mais
des bouffonneries tragiques nous avons cueilli
notre lierre personnel.
J’ai ployé sous le poids accablant de la lyre,
Et j’ai pleuré jadis des vers sans lendemain :
Murmure une parole amicale, et d’un rire
Réjouis mon silence, et passe ton chemin.
Moi, qui fus un chétif rossignol des Piérides,
J’ai chanté le printemps au lumineux retour ;
La lune me baigna de ses remous limpides,
J’ai vécu fervemment mes bleus minuits d’amour.
Je vis blondir Phoibé radieusement nue…
Aujourd’hui je sommeille au pied des aloès
Et des rudes cactus : et mon ombre inconnue
Erre dans la forêt muette de l’Hadès.
J’allumai pour l’hymen la torche qui flamboie,
Mes pampres ont orné le glorieux autel…
Un peu de cendre obscure… et pourtant de ma joie
Tragique je cueillis mon lierre personnel…
Page 281
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 281/664
A Héra
Déesse vénérable, toi qui souvent descendant
du haut du ciel, contemples le sanctuaire
parfumé de Lacinium, reçois le vêtement du
lin le plus fin que, avec son illustre fille Nossis
tissa pour toi Theuphilis, fille de Kléocha.
Bienheureuse Héra, la Très-Belle et l’Auguste,
Qui daignes contempler de tes regards puissants
Le glorieux naos que parfumes l’encens,
Levant ton front d’ivoire où le béryl s’incruste,
Accepte en souriant cette robe de lin
Que les mains de Nossis tissèrent sous l’acanthe,
Nossis aux beaux sourcils, dont les cheveux d’amante
S’empourprent à l’égal du couchant et du vin.
Page 282
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 282/664
Sur l’image de Sabaithis
Elle est reconnaissable même d’ici. Voyez
de Sabaithis c’est l’image par le corps et
l’âme magnanime. Regarde cette sérénité ;
je crois voir aussi sa douceur. Réjouis-toi
beaucoup, femme heureuse.
Ceux qui ne l’ont point vue admirent Sabaithis.
Lointaine, on la contemple en sa beauté présente :
Voici ses bras de rose et ses yeux de lapis
Et ses cheveux dorés que la brise tourmente.
Passant, arrête-toi devant ce frais regard
Que la claire sagesse anime de sa flamme,
Et dans ces traits, plus doux que le miel et le nard,
Reconnais la splendeur visible de son âme.
Garde la douce paix sur ton front, et souris
En ta double splendeur de vierge et d’amoureuse,
Immortelle au milieu des rosiers défleuris…
Salut à ton triomphe, ô femme bienheureuse !
Page 283
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 283/664
Sur le réseau de Samytha
Il a paru qu’Aphrodite avait reçu avec joie,
en offrande ce réseau de cheveux de Samytha.
car il est ingénieusement travaillé, et a une
douce odeur de nectar, de ce (nectar) dont elle
oint aussi le bel Adonis.
Dans l’ombre, d’où l’autel paré de flamme émerge
L’offrande a réjoui la blanche Aphrodita :
Ce réseau, parfumé des cheveux d’une vierge,
Ce réseau qui ceignit le front de Samytha.
Le filet, savamment tissé par ses compagnes,
A l’odeur du nectar que tu versas jadis,
O Déesse ! en l’azur des célestes montagnes,
Sur le corps puéril et souple d’Adonis.
Comme le mélilot et l’iris de la berge,
Ce filet réjouis la claire Aphrodita,
Page 284
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 284/664
Car il est parfumé des cheveux d’une vierge,
Car il ceignit le front doré de Samytha.
Sur une image d’Aphrodita
Kallo, ayant dessiné une image sur cette
planche, l’a offerte à la demeure de la blonde
Aphrodita, que cette image représente.
Combien elle est doucement figurée ! Vois
comme y fleurit la grâce. Réjouis-toi : car elle
n’a aucun reproche dans sa vie.
La Déesse a jaillit des mains de la mortelle,
Ressuscitant son rire immortellement clair,
Plus blanche que l’écume et les embruns, et telle
Que la virent jadis le soleil et la mer…
La Déesse a jailli des mains de la mortelle.
Car ainsi la voulut et la rêva Kallo,
Qui jadis vit monter jusqu’à son apogée
Page 285
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 285/664
Hespéros, et plus tard, dans un tremblant halo,
Le char de Sélanna descendre vers l’Egée ;
La Déesse a fleuri le songe de Kallo.
Les patientes mains qui pétrirent l’argile
Achevèrent enfin leur labeur triomphal.
Tu t’échappas, Kupris, dont l’haleine distille
L’ambre artificiel et le miel végétal,
Des patientes mains qui pétrirent l’argile.
La statue a surgi de l’ivoire et de l’or…
Et frissonnants, autour de ta forme divine,
Les passereaux, de l’aube ont pris leur prompt essor.
L’Aphrodita, debout et chryséléphantine,
Illumine les flots gris de ses cheveux d’or.
Et les regards levés sur la Déesse nue,
La vierge est morte, ayant accompli son désir,
Car les penseurs brûlés de la fièvre inconnue
Qui réclament le songe impossible à saisir,
Meurent, les yeux levés sur la Déesse nue.
… une femme de Locres… enfanta
Page 286
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 286/664
d’autres (chants) pareils…
CeMoi, la Kitharède de Locres
Dont la voix triompha,
Dans le jour de safrans et d’ocres
Qui trace son alpha,
Et dans le couchant d’écarlate
Où l’âme des oeillets éclate
En véhémences d’aromate,
Je suis chère à Psappha.
La Prêtresse unique et multiple
Vint hier me choisir
Pour amoureuse et pour disciple
D’angoisse et de plaisir,
En me disant : « Vers les soirs tièdes,
Chante à la façon des Aèdes
La compagne que tu possèdes
Et qui fut ton désir.
« Dors sur le sein de ta maîtresse,
Comme moi près d’Atthis,
Lorsque la Nuit aux yeux bleus tresse
Ses couronnes d’iris… »
Par les tremblantes accalmies,
Ma voix aux craintes raffermies
Reprend les beaux chœurs des Amies,
Page 287
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 287/664
Et mon nom est Nossis.
… chère aux Muses et à elle aussi…
O Lesbos, je suis chère à Psappha l’Immortelle.
Elle entend, dans l’Hadès, mes fugaces accords
Et la vierge de mon désir lui semble belle.
Elle sourit parmi le nuage des Morts,
Quand je viens, attisant les tièdes cassolettes,
Cueillir ses violettes.
Je t’ai cherchée, ô fleur des Kharites ! ô toi
Qu’on désire à travers les formes adorées,
Dans le mélos ployé sous une exacte loi
Et dans les flots sereins d’une mer sans marées,
Dans le rêve des gris oliviers, dans le chant
Funèbre du couchant.
Je n’ai point écouté les faiseurs de mensonges
Dont le souffle a terni la clarté de ton nom :
Je suis venue avec mes parfums et mes songes,
En répandant le lait de la libation,
Et je t’ai dit : « Voici les roses que je tresse,
Page 288
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 288/664
Et voici ma jeunesse. »
Seule dans mon orgueil d’amour, j’ai méprisé
Les silences amers, les rires et les blâmes,
Et, pieuse disciple, à ton autel brisé,
J’ai rallumé l’ardeur expirante des flammes :
J’ai tissé le fenouil, la rose et le cerfeuil
En guirlandes de deuil.
N’as-tu point dit, jadis, devant les cieux d’opale,
Caressant Eranna courbée à tes genoux,
Et mêlant tes cheveux noirs à ses cheveux pâles :
« Quelqu’un, dans l’avenir, se souviendra de nous.
Les Muses, à qui plaît la voix des amoureuses,
Nous firent glorieuses. »
… mon nom est Nossis.
Que mon salut te suive au-delà de la mer
Et des couchant de pourpre, ô femme qui navigues
Vers Mytilène aux murs vivants comme une chair,
Vers la Rive couchée en ses roses prodigues,
Qui recueille les noms jeunes et le printemps.
Des hymnes consentants.
Page 289
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 289/664
Eranna de Télos s’attarde dans la ligne
Féminine de la crique, sa brève voix
Chante plaintivement le petit chant du cygne.
Parfois, ressuscitant les baisers d’autrefois,
Elle erre, les cheveux défaits, sous l’aile ombreuse
De sa nuit d’amoureuse.
Pars, Etrangère, annonce à l’ardente Sappho
Qui jaillit des Temps bleus, unique Fleur des Grâces,
Que, lente, j’ai tissé des strophes sans défaut
Lorsque sur le métier retombaient mes mains lasses,
Et dis, en apportant les couronnes d’iris,
Que mon nom est Nossis.
Praxilla
Adonis
J’abandonne à la vérité la lumière très
belle du soleil, ensuite les astres brillants et
le visage de la lune, et aussi les concombres
Page 290
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 290/664
de la saison et les pommes et les poires.
Je quitte en gémissant la lumière très belle
Du soleil, et la grotte où l’azur vient pleuvoir,
Les prés où la cigale attend la sauterelle,
Les pipeaux de l’aurore et les flûtes du soir.
J’abandonne le rire attentif de la Lune,
L’éloge de la foule et l’accueil des amis,
Des vierges dénouant leur chevelure brune
Dans le jardin nocturne aux parfums endormis.
Les fils enchevêtrés des lueurs et des ombres
Ne m’enlaceront plus de leurs tissus légers,
L’ardeur des grappes et la fraîcheur des concombres
Ne m’attireront plus vers les brillants vergers.
Je ne cueillerai plus les pommes ni les poires,
Je ne mirerai plus mes yeux noirs dans le flot
Qui me taquine avec des appels illusoires,
Je ne m’étendrai plus parmi le mélilot…
Mais dites : « Praxilla ne meurt pas tout entière,
Car ses chants font s’unir les lèvres et les mains,
Et son âme s’attarde en un peu de poussière
Page 291
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 291/664
Sous les beaux oliviers qui bordent les chemins. »
Poème d’Amour
O toi qui jettes un beau regard à
travers les fenêtres, vierge par la
tête, femme par en bas…
O toi qui savamment jettes un beau regard,
Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres,
Je te vis sur la route où j’errais au hasard
Des parfums et de l’heure et des rires champêtres.
Le soleil blondissait tes cheveux d’un long rai,
Tes prunelles sur moi dardaient leur double flamme ;
Tu m’apparus, ô nymphe ! et je considérai
Ton visage de vierge et tes hanches de femme.
Je te vis sur la route où j’errai au hasard
Des ombres et de l’heure et des rires champêtres,
Page 292
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 292/664
O toi qui longuement jettes un beau regard,
Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres.
Anyta de Tégée
Sur une offrande d’Echécratidas
Reste ici, homicide (lance) de bois de
cornouiller, et ne répands plus le triste
meurtre des ennemis autour de ton ongle
d’airain : mais fixée dans la haute demeure
en marbre de l’Athéna, dis la bravoure du
Crétois Echécratidas.
Quittant l’air troublé que laboure
Le glaive aux éclairs froids,
Redis au peuple la bravoure
Du valeureux Crétois.
Repose en paix, ô rouge lance !
Evoque, dans la somnolence
Page 293
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 293/664
De ces murs au grave silence,
Les combats d’autrefois.
Dans l’ombre que l’encens parfume,
Près de l’autel serein,
Tu regrettes le sang qui fume,
Et le choc souverain ;
Sur la plaine où le jour s’efface,
Mélancoliquement tenace,
Tu ne dresses plus la menace
De son ongle d’airain.
Ici, le soir fumeux attriste
De son rire fané
Le sanctuaire d’améthyste
Et de jaspe veiné.
Repose dans la ténèbre ample
Et pacifique de ce temple,
Où la vierge aux bras blancs contemple
L’image d’Athéné.
Page 294
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 294/664
Anyta de Mytilène
A Pan aux cheveux hérissés et aux nymphes
protectrices des bergeries, Theudotos, qui
fait paître les brebis, offrit ce présent sous son
lieu d’observation. C’est parce que, un jour
qu’il était grandement fatigué par l’été
desséchant, elles le reposèrent, lui ayant
présenté dans leurs mains une eau douce
comme le miel.
D’invisibles pipeaux charment ma solitude.
Le soir voit défleurir le mélilot des prés.
O nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude,
Je vous offre ces fruits que l’automne a dorés.
Lorsque j’ai convoité la fraîcheur des fontaines,
Etendu sur la roche et las des longs chemins,
Vous m’avez apporté l’eau des sources lointaines,
O nymphes ! dans le creux frissonnant de vos mains.
Je n’ai plus redouté l’aridité des sables,
Bouclier d’or où se double l’airain du ciel,
Car j’ai bu longuement, dans vos mains pitoyables,
Page 295
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 295/664
L’eau claire qui me fut plus douce que le miel.
Moi, Hermès, j’étais debout près du jardin
ouvert aux vents, au croisement de trois
chemins, près de la mer blanchissante,
offrant aux hommes fatigués une halte
dans leur route : et une source pure leur
verse une eau fraîche.
Ici, dans le verger où se croisent les vents,
Près du sable blanchi par le sel et l’écume,
J’accorde le repos, loin des étés fervents,
Sur l’herbe aux frissons doux que le cerfeuil parfume.
Nul vent ne fait trembler les beaux pommiers fleuris,
La charmante langueur du mélilot s’exhale,
Et, baignant l’aloès et le vert tamaris,
La fontaine jaillit, riante et virginale.
Moi, l’Hermès dont les yeux suivent les flots d’étain,
Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j’écoute
Le chant de l’eau plus clair que le pipeau lointain,
Page 296
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 296/664
Et les pâtres lassés font halte dans leur route.
Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours
cher de voir du continent la mer brillante,
afin qu’elle puisse accorder une navigation
heureuse aux matelots ; et tout autour, la mer
tremble, voyant la radieuse statue.
Sur les rocs ont erré les pieds nus de Kupris.
Elle aime à contempler, du haut de la falaise,
Les ondes déployant leurs violets d’iris
Dont l’immortel ennui s’exaspère et s’apaise.
Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris.
La vague a reconnu la voix de la Déesse
Qui jaillit autrefois du délicat embrun,
Blonde sous le jour blond que la tiédeur oppresse,
Et respirant l’iode ainsi qu’un frais parfum.
La vague a reconnu la voix de la Déesse.
Son image a dompté le courroux de la mer.
Elle accorde la paix et le soleil aux voiles,
Et, souriant aux nefs de son visage clair,
Page 297
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 297/664
Elle fait resplendir les nuits belles d’étoiles.
Son image a dompté le courroux de la mer.
… appelant l’âme chère de Philainis, qui
avant le mariage, marcha vers l’onde verte
du fleuve de l’Achéron.
La vierge Philainis traversa les Eaux vertes
De l’Achéron, sans voir les flambeaux de l’hymen,
Et les lys sont tombés d’entre ses mains ouvertes.
Sur la stèle de deuil pleure le cyclamen.
Avant de voir brûler les flambeaux de l’hymen,
La vierge Philainis traversa les Eaux vertes.
Dans les prés où la lune efface le soleil,
La vierge Philainis tresse les asphodèles.
Perséphona, fermant les yeux noirs du sommeil,
Rouit le lin parmi ses compagnes fidèles,
Et parfois, en rêvant, cueille les asphodèles
Dans les prés où la lune efface le soleil.
Page 298
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 298/664
A. - Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la
fontaine où vont les brebis, joues-tu de
ce chalumeau harmonieux ?
B. - Afin que sur ces monts couverts de rosée
les génisses paissent, broutant les épis à
la belle chevelure
A
Tu respires l’odeur de l’herbe et de la terre,
Et ta flûte s’exhale en des frisons légers…
Pan rustique, pourquoi demeurer solitaire,
Assis dans le bois sombre à l’écart des bergers ?
B
Je taille les pipeaux où traîneront mes lèvres,
Moi, dieu de l’hyacinthe et de l’épi barbu…
Et mes simples chansons attireront les chèvres
Vers l’ombre et la rosée où les Nymphes ont bu.
Page 299
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 299/664
Sur un dauphin
Jamais plus réjoui des ondes propres à la
navigation, je ne lancerai mon cou, bondissant
du fond de l’eau, ni je ne soufflerai avec force
de mes belles lèvres le long des tolets du
navire, charmé de mon torse. Mais la fraîcheur
empourprée de la mer m’a poussé sur la terre
ferme, et je gis sur ce rivage délicat.
Le souffle de la mer, adouci par le soir,
Ne réjouira plus mes lèvres et mes joues,
Et je ne verrai plus, le long des belles proues,
Mon image, comme en le métal d’un miroir.
Je ne monterai plus des profondeurs marines,
Je ne m’ébrouerai plus au soleil du matin,
Je ne me plairai plus au sourire enfantin
De l’aurore, jouant avec ses cornalines.
Page 300
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 300/664
O passant, j’ai quitté le transparent émail
Des flots, où le vent pleure en d’étranges syllabes,
Où grouille obscurément la détresse de crabes,
A travers le soir gris que bleuit le corail.
Car le bondissement des courants implacables
M’a jeté sur la rive aux longs varechs flottants.
voici la Mort au front paré d’algues, - j’attends,
Hors d’haleine et couché sur le velours des sables.
Moiro
Offrandes à l’Aphrodite
Sois placée sous le portique d’or de
l’Aphrodita, ô grappe, pleine de la sève de
Dionysos : ta mère, t’ayant fait naître sur
le sarment aimable, ne produira plus sur ta
tête sa feuille de nectar.
Page 301
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 301/664
O grappe, que l’ardeur des soirs ensanglanta
De chauds reflets, repose en ta pourpre moiré
Sous le portique d’or de la Maison sacrée
Où, les yeux triomphants, règne l’Aphrodita.
Tu bleuissais parmi les fauves chevelure
Des Bacchantes, ô grappe à l’haleine de miel,
Par les soirs opulents, où la terre et le ciel
N’étaient plus qu’un verger bourdonnant de murmures.
La vigne, qui berçait ton odorant sommeil,
Ne te courbera plus sous l’étreinte des vrilles,
Et tu n’offriras plus aux brunes jeunes filles
Ta coupe où débordait la sève du soleil.
Sur les Nymphes de l’Anigros
Nymphes de l’Anigros, vierges du fleuve,
qui, divines, foulez constamment ces
profondeurs de vos pieds de rose,
Page 302
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 302/664
réjouissez-vous et soyez favorables à
Kléonumos, qui vous éleva sous les pins,
ô Déesses, ces belles statues de bois.
Vierges de l’Anigros, nymphes aux pieds de rose,
Vous, dont la forme ondoie au gré du flot changeant,
Et qui faites briller les écailles d’argent
Des lumineux poissons, nymphes aux pieds de rose,
Venez, vous qui riez à travers les roseaux !
Car, sous les pins taillés comme une vigne enclose,
Votre image sculptée a réjoui les eaux.
O nymphes qui riez à travers les roseaux !
Charixéna
Tu goûtas l’amour sous l’érable
Qu’un soir fana,
O très antique, ô vénérable
Charixéna.
Page 303
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 303/664
Ta flûte murmura ses peines,
Et résonna
Comme la brise dans les chênes,
Charixéna.
L’ombre, sur ton épaule nue
Qui frissonna,
Apportait la fièvre inconnue,
Charixéna.
Ta bouche de Musicienne
S’abandonna
Dans l’ardeur d’une nuit ancienne,
Charixéna.
Kléobulina
Quand, d’un geste, le soir fait taire
La flûte et la syrinx,
Tu sais embrumer de mystère
Tes prunelles de lynx.
Page 304
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 304/664
Tandis que la ténèbre englobe
Les plis fugitifs de ta robe,
L’énigme prompte se dérobe
Sur tes lèvres de sphinx.
L’ombre fait vaciller la flamme
De tes yeux d’un bleu noir.
Ta voix où s’attendrit ton âme,
Vague comme l’espoir,
Et qui pactise avec la rude
Et pitoyable solitude,
Sait imiter l’incertitude
De la mer et du soir.
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Page 305
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 305/664
Les poèmes ci-dessous correspondent à dernière édition du recueil Àl'heure des mains jointes publié chez A. Lemerre en 1909 et figurantdans "L'oeuvre poétique complète de Renée Vivien" de Jean-PaulGoujon.
Vous pouvez consulter la première version du recueil "A l'heure desmains jointes" / 1906 sur le site de la Bibliothèque Nationale de France:http://gallica.bnf.fr/
À l'heure des mains jointes
À l’Heure des Mains jointes
Psappha revit
Ainsi je parlerai…
Supplication
Nous irons vers les Poètes
Paroles à l’Amie
Qu’une vague l’emporte
Jardin abandonné
Confidence devant le soir
Sur la Place publique
Je t’aime d’être faible…D’après Swinburne
Je connais un étang
En débarquant à Mytilène
Mon Ami le Vent
Page 306
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 306/664
Mes Victoires
Où donc irai-je ?…
Refrain
A la Bien-Aimée
L’offrande
Sans Fleurs à votre Front
Sous la Rafale
Je pleure sur Toi…
Le jardin matinal
Au Dieu pauvre
Eminé
L’Amour borgne
Ils pleurent vers le Soir…
Viviane
Elle passe
Bonheur crépusculaire
Pénitentes Espagnoles
Dans le Havre
La Soif impérieuse
Je fus un Page épris
La Palme
Le Ténébreux Jardin
Nous nous sommes assises
Départ
Mensonge du Soir
Page 307
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 307/664
Vers Lesbos
Viens, Déesse de Kupros
Nuit Mauresque
Attente
Les Souvenirs sont des Grappes…
Vous pour qui j’écrivis
Par les Soirs futurs
Pilori
Vaincue
Intérieur
Voici mon Mal
Toi, notre Père Odin
À l’Heure des Mains jointes
J’ai puérilisé mon cœur dans l’innocence
De notre amour, éveil de calice enchanté.
Dans les jardins où se parfume le silence,
Où le rire fêlé retrouve l’innocence,
Page 308
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 308/664
Ma Douce ! je t’adore avec simplicité.
Tes doigts se sont noués autour de mon cœur rude.
Et un balbutiement pareil au cri naïf
De l’inexpérience et de la gratitude,
Je te dirai comment, lasse de la mer rude,
Je bénis l’ancre au port où s’amarre l’esquif.
Tes cheveux et ta voix et tes bras m’ont guérie.
J’ai dépouillé la crainte et le furtif soupçon
Et l’artificiel et la bizarrerie.
J’abrite ainsi mon cœur de malade guérie
Sous le toit amical de la bonne maison.
J’ai la sécurité pourtant un peu tremblante
De celle dont les yeux, d’avoir pleuré, sont lourds,
Et je me réjouis de l’herbe et de la plante
Dans ces jardins aux bleus midis, - un peu tremblante
D’avoir trop redouté l’aspect des mauvais jours.
A l’heure sororale et douce des mains jointes,
J’ai contemplé, sereine, un visage effacé,
Tels les convalescents aux fraîches courtepointes,
La fièvre disparue… A l’heure des mains jointes,
Je t’ai donné les derniers lys de mon passé.
Page 309
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 309/664
Psappha revit
La lune se levait autrefois à Lesbos
Sur le verger nocturne où veillaient les amantes.
L’amour rassasié montait des eaux dormantes
Et sanglotait au cœur profond des sarbitos.
Psappha ceignait son front d’auguste violettes
Et célébrait l’Eros qui s’abat comme un vent
Sur les chênes… Atthis l’écoutait en rêvant,
Et la torche avivait l’éclat des bandelettes.
Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d’or…
Les vierges enseignaient aux belles étrangères
Combien l’ombre est propice aux caresses légères,
Et le ciel et la mer déployaient leur décor.
… Certaines d’entre nous ont conservé les rites
De ce brûlant Lesbos doré comme un autel.
Nous savons que l’amour est puissant et cruel,
Page 310
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 310/664
Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites.
Nos corps sont pour leur corps un fraternel miroir.
Nos compagnes, aux seins de neige printanière,
Savent de quelle étrange et suave manière
Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir.
Nous adorons avec des candeurs infinies,
En l’émerveillement d’un enfant étonné
A qui l’or éternel des mondes fut donné…
Psappha revit, par la vertu des harmonies.
Nous savons effleurer d’un baiser de velours,
Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes ;
Nos caresses sont nos mélodieux poèmes…
Notre amour est plus grand que toutes les amours.
Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes
Rêveuses sous un ciel illuminé d’argent :
« O belles, envers vous mon cœur n’est point changeant »
Celles que nous aimons ont méprisé les hommes.
Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,
Nos doigts ne froissent point le duvet d’une joue,
Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,
Page 311
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 311/664
Etre tout à la fois des amants et des sœurs.
Le désir est en nous moins fort que la tendresse.
Et cependant l’amour d’une enfant nous dompta
Selon la volonté de l’âpre Aphrodita,
Et chacune de nous demeure sa prêtresse.
Psappha revit et règne en nos corps frémissants ;
Comme elle, nous avons écouté la sirène,
Comme elle encore, nous avons l’âme sereine,
Nous qui n’entendons point l’insulte des passants.
Ferventes, nous prions : « Que la nuit oit doublée
Pour nous dont le baiser craint l’aurore, pour nous
Dont l’Eros mortel a délié les genoux,
Qui sommes une chair éblouie et troublée… »
Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir,
Puisque c’est l’infini que nous aimons en elles…
Et puisque leurs baisers nous rendent éternelles,
Nous ne redoutons point l’oubli dans l’Hadès noir.
Ainsi, nous les chantons, l’âme sonore et pleine.
Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,
Se déroulent, ainsi que de larges accords,
Page 312
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 312/664
Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.
Ainsi je parlerai…
O Si le Seigneur penchait son front sur mon trépas,
Je lui dirais : « O Christ, je ne te connais pas.
« Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne,
Et je vécus ainsi qu’une simple païenne.
« Vois l’ingénuité de mon cœur pauvre et nu.
Je ne te connais point. Je ne t’ai point connu.
« J’ai passé comme l’eau, j’ai fui comme le sable.
Si j’ai péché, jamais je ne fus responsable.
« Le monde était autour de moi, tel un jardin.
Je buvais l’aube claire et le soir cristallin.
« Le soleil me ceignait de ses plus vives flammes,
Et l’amour m’inclina vers la beauté des femmes.
Page 313
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 313/664
« Voici, le large ciel s’étalait comme un dais.
Une vierge parut sur mon seuil. J’attendais.
« La nuit tomba… Puis le matin nous a surprises
Maussadement, de ses maussades lueurs grises.
« Et dans mes bras qui la pressaient elle a dormi
Ainsi que dort l’amante aux bras de son ami.
« Depuis lors j’ai vécu dans le trouble du rêve,
Cherchant l’éternité dans la minute brève.
« Je ne vis point combien ces yeux clairs restaient froids,
Et j’aimai cette femme, au mépris de tes lois.
« Comme je ne cherchais que l’amour, obsédée
Par un regard, les gens de bien m’ont lapidée.
« Moi, je n’écoutai plus que la voix que j’aimais,
Ayant compris que nul ne comprendrait jamais.
« Pourtant, la nuit approche, et mon nom périssable
S’efface, tel un mot qu’on écrit sur le sable.
Page 314
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 314/664
« L’ardeur des lendemains sait aussi décevoir :
Nul ne murmurera mes strophes, vers le soir.
« Vois, maintenant, Seigneur, juge-moi. Car nous sommes
Face à face, devant le silence des hommes.
« Autant que doux, l’amour me fut jadis amer,
Et je n’ai mérité ni le ciel ni l’enfer.
« Je n’ai point recueilli les cantiques des anges,
pour avoir entendu jadis des chants étranges,
« Les chants de ce Lesbos dont les chants se sont tus.
Je n’ai point célébré comme il sied tes vertus.
« Mais je ne tentai point de révolte farouche :
Le baiser fut le seul blasphème de ma bouche.
« Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu,
Rejoindre celles-la qui ne t’ont point connu !
« Psappha, les doigts errants sur la lyre endormie,
S’étonnerait de la beauté de mon amie,
« Et la vierge de mon désir, pareille aux lys,
Page 315
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 315/664
Lui semblerai plus belle et plus blanche qu’Atthis.
« Nous, le chœur, retenant notre commune haleine,
Ecouterions la voix qu’entendit Mytilène,
« Et nous préparerions les fleurs et le flambeau,
Nous qui l’avons aimée en un siècle moins beau.
« Celle-là sut verser, parmi l’or et les soies
Des couches molles, le nectar rempli de joies.
« Elle nous chanterait, dans son langage clair,
Ce verger lesbien qui s’ouvre sur la mer,
« Ce doux verger plein de cigales, d’où s’échappe,
Vibrant comme une voix, le parfum de la grappe.
« Nos robes ondoieraient parmi les blancs péplos
D’Atthis et de Timas, d’Eranna de Télos,
« Et toutes celles-là dont le nom seul enchante
S’assembleraient autour de l’Aède qui chante !
« Voici, me sentant près de l’heure du trépas,
J’ose ainsi te parler, Toi qu’on ne connaît pas.
Page 316
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 316/664
« Pardonne-moi, qui fus une simple païenne !
Laisse-moi retourner vers la splendeur ancienne
« Et, puisque enfin l’instant éternel est venu,
Rejoindre celles-là qui ne t’ont point connu. »
Supplication
Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,
Les nuages pareils à des chauves-souris,
Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris
S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.
Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,
Ont pour les lys fanés un geste de mépris.
La clarté du couchant prestigieux pavoise
La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…
Page 317
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 317/664
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
Le flux et le reflux du soir déferlent, gris
Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.
Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise
Avec le Souvenir, près des ifs assombris.
Jamais, nous défendant de la foule narquoise,
Un toit n’abritera nos soupirs incompris…
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
Nous irons vers les Poètes
L’ombre nous semble une ennemie en embuscade…
Viens, je t’emporterai comme une enfant malade,
Comme une enfant plaintive et craintive et malade.
Page 318
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 318/664
Entre mes bras nerveux j’étreins ton corps léger.
Tu verras que je sais guérir et protéger,
Et que mes bras sont forts pour mieux te protéger.
Les bois sacrés n’ont plus d’efficaces dictames,
Et le monde a toujours été cruel aux femmes.
Nous le savons, le monde est cruel pour les femmes.
Les blâmes des humains ont pesé sur nos fronts,
Mais nous irons plus loin. Là-bas, nous oublierons…
Sous un ciel plus clément, plus doux, nous oublierons…
Nous souvenant qu’il est de plus larges planètes,
Nous entrerons dans le royaume des poètes,
Ce merveilleux royaume où chantent les poètes.
La lumière s’y meut sur un rythme divin.
On n’a point de soucis et l’on est libre enfin.
On s’étonne de vivre et d’être heureux enfin.
Vois, élevés pour toi, ces palais d’émeraude
Où le parfum s’égare, où la musique rôde,
Où pleure un souvenir qui s’attarde et qui rôde.
Mon amour, qui s’élève à la hauteur du chant,
Page 319
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 319/664
Louera tes cheveux roux plus beaux que le couchant…
Ah ! ces cheveux, plus beaux que le plus beau couchant !
Les douleurs se feront exquises et lointaines,
Au milieu des jardins et du bruit des fontaines,
O mauresques jardins où dorment les fontaines.
Nous bénirons les doux poètes fraternels
En errant au milieu des jardins éternels,
Dans l’harmonie et le clair de lune éternels…
Paroles à l’Amie
Tu me comprends : je suis un être médiocre,
Ni bon, ni très mauvais, paisible, un peu sournois.
Je hais les lourds parfums et les éclats de voix,
Et le gris m’est plus cher que l’écarlate ou l’ocre.
J’aime le jour mourant qui s’éteint par degrés,
Le feu, l’intimité claustrale d’une chambre
Où les lampes, voilant leurs transparences d’ambre,
Page 320
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 320/664
Rougissent le vieux bronze et bleuissent le grès.
Les yeux sur le tapis plus lisse que le sable,
J’évoque indolemment les rives aux pois d’or
Où la clarté des beaux autrefois flotte encor…
Et cependant je suis une grande coupable.
Voici : j’ai l’âge où la vierge abandonne sa main
A l’homme que sa faiblesse cherche et redoute,
Et je n’ai point choisi le compagnon de route,
Parce que tu parus au tournant du chemin.
L’hyacinthe saignait sur les rouges collines,
Tu rêvais et l’Eros marchait à ton côté…
Je suis femme, je n’ai point droit à la beauté.
On m’avait condamnée aux laideurs masculines.
Et j’eus l’inexcusable audace de vouloir
Le sororal amour fait de blancheurs légères,
Le pas furtif qui ne meurtrit point les fougères
Et la voix douce qui vient s’allier au soir.
On m’avait interdit tes cheveux, tes prunelles,
Parce que tes cheveux sont longs et pleins d’odeurs
Et parce que tes yeux ont d’étranges ardeurs.
Page 321
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 321/664
Et se troublent ainsi que les ondes rebelles.
On m’a montrée du doigt en un geste irrité,
Parce que mon regard cherchait ton regard tendre…
En nous voyant passer, nul n’a voulu comprendre
Que je t’avais choisie avec simplicité.
Considère la loi vile que je transgresse
Et juge mon amour, qui ne sait point le mal,
Aussi candide, aussi nécessaire et fatal
Que le désir qui joint l’amant à la maîtresse.
On n’a point lu combien mon regard était clair
Sur le chemin où me conduit ma destinée,
Et l’on a dit : « Quelle est cette femme damnée
Que ronge sourdement la flamme de l’enfer ? »
Laissons-les au souci de leur morale impure,
Et songeons que l’aurore a des blondeurs de miel,
Que le jour sans aigreur et que la nuit sans fiel
Viennent, tels des amis dont la bonté rassure…
Nous irons voir le clair d’étoiles sur les monts…
Que nous importe, à nous, le jugement des hommes ?
Et qu’avons-nous à redouter, puisque nous sommes
Page 322
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 322/664
Pures devant la vie et qu nous nous aimons ?…
Qu’une vague l’emporte
La marée, en dormant, prolonge un souffle égal,
L’âme des conques flotte et bruit sur les rives…
Tout m’est hostiles, et ma jeunesse me fait mal.
Je suis lasse d’aimer les formes fugitives.
Debout, je prends mon cœur où l’amour fut hier
Si puissant, et voici : je te jette à la mer.
Qu’une vague légère et dansante l’emporte,
Que la mer l’associe à son profond travail
Et l’entraîne à son gré, comme une chose morte,
Qu’un remous le suspende aux branches de corail,
Que le vouloir des vents contraires le soulève
Et qu’il roule, parmi les galets, sur la grève.
Qu’il hésite et qu’il flotte, un soir, emprisonné
Page 323
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 323/664
Par la longue chevelure des algues blondes,
Que le songe de l’eau calme lui soit donné
Dans le fallacieux crépuscule des ondes…
Et que mon cœur, soumis enfin, tranquille et doux,
Obéisse au vouloir du vent et des remous.
Je le jette à la mer, comme l’anneau des Doges,
L’anneau d’or que les flots oublieux ont terni,
Et qui tomba, parmi les chants et les éloges,
Dans le bleu transparent, dans le vert infini…
L’heure est vaste, les morts charmantes sont en elles,
Et je donne mon cœur à la mer éternelle.
Jardin abandonné
Ma douce, entrons dans le jardin abandonné,
Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire
Où l’autrefois se plaît à roder, solitaire
Et farouche, tel un vieux roi découronné.
Page 324
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 324/664
Entrons dans le jardin qu’un vent d’automne accable,
Où le silence est lent comme une femme en deuil,
Où les ronces d’hier font un mauvais accueil
A qui n’apporte point le regret adorable.
Dans le jardin où nul ne promène jamais
Son importun loisir et sa mélancolie,
Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu’on oublie,
Taisons-nous, comme au temps lointain où je t’aimais.
Assises toutes deux, amèrement lassées,
Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,
Et n’ayant plus en nous l’espoir ni le désir,
Evoquons la douceur des tristesses passées.
Ici, les jeunes pas se font irrésolus,
Ici, l’on marche avec des fatigues d’esclave
En goûtant ce qu’il est de tristement suave
A sourire en passant à ce qu’on n’aime plus.
Puisque ici l’herbe seule est folle et vigoureuse,
Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.
Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,
Et des contentements de ton cœur d’amoureuse ?
Page 325
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 325/664
O mon amour ! quel beau passé nous fut donné
Cependant ! Respirons sa bonne odeur de rose
Dans ce jardin où le souvenir se repose,
Dans le calme du beau jardin abandonné…
Confidence devant le soir
Oui, je le crois, je suis calme, je suis heureuse.
L’aube a dû rafraîchir mes tempes de fiévreuse.
Viens, je te conterai mon passé, si tu veux.
Et je te parlerai d’abord de ses cheveux.
Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole.
Elle ne savait pas que la douceur console.
Ses cheveux blonds étaient plus pâles qu’un reflet,
Et je l’ai poursuivie ainsi qu’un feu follet.
Page 326
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 326/664
Ecoute.. Tu le sais, ô charme de mes heures !
Les premières amours ne sont pas les meilleures.
Cet irritant baiser qui me rongeait la chair
Mordait plus âprement que le sel de la mer.
Ton rêve se marie au mien lorsque je pense,
Et jamais je ne fus tranquille en sa présence.
Flatteuse, elle savait m’entourer de ses bras,
Mais bientôt je compris qu’elle ne m’aimait pas.
Et je sus m’arracher au piège de sa grâce.
J’ai pleuré très longtemps… Malgré soi l’on se lasse.
Ma vie était pareille au printemps défleuris.
Je me suis dit un soir : « Mes yeux se sont taris. »
Ainsi, je reconnus que son cœur était double,
Si bien qu’enfin je pus la contempler sans trouble.
J’évoque sans regret ces beaux jours très anciens,
Plus menteurs et plus doux que les songes païens.
Page 327
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 327/664
Car ici je me crée une âme nonchalante,
Et l’instant fuit, ayant les pieds blancs d’Atalante.
Avec un langoureux bonheur je me détends…
O charme de tes yeux, des parfums et du temps !
Il me semble que j’ai parlé dans le délire
Tout à l’heure… Oublions ce que je viens de dire.
Sur la Place publique
Les nuages flottants déroulaient leur écharpe
Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin.
J’étais fervente et jeune et j’avais une harpe.
Le monde se paraît, suave et féminin.
Dans la forêt, des gris violets d’amarante
Réjouissaient mes yeux larges ouverts. J’entendais
Rire en moi, comme au fond d’un passé, l’âme errante
Page 328
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 328/664
Et le cœur musical des pâtres irlandais.
La sève m’emplissait d’une multiple ivresse
Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits.
Ainsi j’errais, portant ma harpe et sa promesse,
Et je ne savais pas quel trésor je portais.
Un matin, je suivis des hommes et des femmes
Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J’ai quitté
Pour les suivre les bois pleins d’ombres et de flammes
Et j’ai porté ma harpe à travers la cité.
Puis, j’ai chanté debout sur la place publique
D’où montait une odeur de poisson desséché,
Mais, dans l’enivrement de ma propre musique,
Je ne percevais point la rumeur du marché.
Car je me souvenais que les arbres très sages
M’avaient parlé, dans le silence des grands bois.
A mon entour sifflaient les âpres marchandages
Mêlés aux quolibets des compères sournois.
Dans la foule criant son aigre convoitise
Une femme me vit et me tendit la main,
Mais, emportée ailleurs par l’appel d’une brise,
Page 329
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 329/664
Celle-là disparut au tournant du chemin.
Je chantais franchement : ainsi chantent les pâtres.
Autour de moi, le bruit de la vile cessait,
Et, comme le couchant jetait ses lueurs d’âtres,
Je vis que j’étais seule et que le jour baissait.
Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie
De chanter, comme on fait lorsque l’amour vous fuit,
Lorsque l’espoir vous raille et que l’oubli vous broie.
La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit.
Je t’aime d’être faible…
Je t’aime d’être faible et câline en mes bras
Et de cherche le sûr refuge de mes bras
Ainsi qu’un berceau tiède où tu reposeras.
Je t’aime d’être rousse et pareille à l’automne,
Page 330
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 330/664
Frêle image de la Déesse de l’automne
Que le soleil couchant illumine et couronne.
Je t’aime d’être lente et de marcher sans bruit
Et de parler très bas et de haïr le bruit,
Comme l’on fait dans la présence de la nuit.
Et je t’aime surtout d’être pâle et mourante,
Et de gémir avec des sanglots de mourante,
Dans le cruel plaisir qui s’acharne et tourmente.
Je t’aime d’être, ô sœur des reines de jadis,
Exilée au milieu des splendeurs de jadis,
Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys…
Je t’aime de ne point t’émouvoir, lorsque blême
Et tremblante je ne puis cacher mon front blême,
O toi qui ne sauras jamais combien je t’aime !
Page 331
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 331/664
D’après Swinburne
A Paule Riversdale,
En souvenir d’une épigraphe de « l’Etre Double ».
Le Sweet for a little even to fear, and sweet,
O love, to lay sown fear at love’s fair feet,
Shall not some fiery memory of his breath
Lie sweet on lips that touch the lips of death ?
Yet leave me not ; yet, if thou wilt, be free.
Love me no more, but love my love of thee;
Love where thou wilt, and live thy life, and I,
One thing I can end, one love cannot – die.
… Yet once more ere thou hate me, one full kiss ;
Keep other hours for others, save me this…
… Why am I fair at all before thee, why
At all desired ? Seeing thou art fair, not, I.
I shall be glad of thee, O fairest head,
Alive, alone, without thee, living, dead…
Swinburne, Poems and Ballads, Erotion
Page 332
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 332/664
Se peut-il que je sois chérie et désirée,
Douce, puisque toi seule es belle et non point moi ?
Je te supplie, avec les ferveurs de ma foi,
Les bras chargés de fleurs que ton sourire agrée…
Oui, pourquoi suis-je belle à tes yeux ? Et pourtant
Ne m’abandonne point… Si tu le veux, sois libre,
Mais garde-moi ce rire où l’âme flotte et vibre,
Ce regard, et ce geste à demi consentant…
Ne me contemple point, puisque toi seule es belle.
Douce, ne m’aime point, mais aime mon amour
Impétueux et sombre ainsi qu’au premier jour
Où je m’abîmai toute en l’extase cruelle.
Cependant, une fois encore, comme hier,
Maîtresse, accorde-moi le baiser de ta bouche.
Je me réjouirai de toi dans un farouche
Cri nuptial, dans un chant de triomphe amer.
Je ne saurai me taire, ô le plus beau des visages !
Je ne pleurerai point, si tel est ton vouloir.
Nous marcherons, les pas accordés vers le soir,
Plus graves au milieu des monts tristes et sages.
Page 333
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 333/664
Vivante ou morte, je me souviendrai de toi,
De tes lèvres et du clair dessin de tes joues,
Du mouvement suave et lent dont tu dénoues
Tes cheveux, de ton col, de tes seins en émoi.
Si tu le veux, prodigue à d’autres d’autres heures,
Ma Maîtresse ! mais garde-moi cette heure-ci,
Epanouie ainsi qu’une grenade, ainsi
Qu’une rose, quand de ton souffle tu l’effleures.
Il est doux, pour un peu de temps, avant la mort,
O chère ! de trembler, d’espérer et de craindre ;
Il est doux, ayant bu l’extase, de s’éteindre
Avec lenteur, ainsi qu’un automnal accord…
Je connais un étang
… il est, au cœur de la vallée, un étang que
Page 334
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 334/664
l’on nomme l’Etang mystérieux.
Je connais un étang qui somnole, blêmi
Par l’aube blême et par le clair de lune ami.
Un iris y fleurit, hardi comme une lance,
Et le songe de l’eau s’y marie au silence.
Aucun souffle ne fait balancer les roseaux.
Le ciel qui s’y reflète a la couleur des eaux.
Le flot recèle un long regret lascif et tendre,
Et le silence et l’eau trouble semblent attendre,
Là, les larges lys d’eau lèvent leur front laiteux.
Les éphémères d’or y meurent, deux à deux…
Je choisirai, pour te louanger, les paroles
Qui coulent comme l’eau parmi les herbes folles.
Les lys semblent offrir leur coupe bleue au jour :
C’est l’élévation des calices d’amour.
Les éphémères font songer, tournant par couples,
Page 335
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 335/664
A des femmes valsant, ondoyantes et souples.
Les lotus léthéens lèvent leur front pâli…
Ma Loreley, glissons lentement vers l’oubli.
Dans un royal adieu, tenons-nous enlacées
Et mourons, comme les libellules lassées.
Je te dirai : « Voici l’Etang mystérieux
Que ne connaîtront point les hommes curieux.
« Viens dormir au milieu des lys d’eau… L’iris tremble,
Et nous nous étreignons, nous qui mourrons ensemble… »
… Je connais un étang qui somnole, blêmi
Par l’aube blême et par le clair de lune ami.
Et, sous l’eau de l’étang, qui mire les chimères,
Des femmes vont mourir, comme des éphémères…
Page 336
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 336/664
En débarquant à Mytilène
Au fond de mon passé, je retourne vers toi,
Mytilène, à travers les siècles disparates,
T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi,
Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates…
Mytilène, à travers les siècles disparates,
Du fond de mon passé, je retourne vers toi.
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes,
Et ton azur où je me fonds et me dissous,
Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes,
Tes cigales aux cris exaspérés et fous…
Sous ton azur, où je me fonds et me dissous,
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes
Reçois dans tes vergers en couple féminin,
Ile mélodieuse et propice aux caresses…
Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin,
Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses…
Ile mélodieuse et propice aux caresses,
Reçois dans tes vergers un couple féminin…
Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique …
Page 337
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 337/664
Ressuscite pour nous les lyres et les voix,
Et les rires anciens, et l’ancienne musique
Qui les rendit si poignants les baisers d’autrefois…
Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix,
Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique…
Evoque les péplos ondoyants dans le soir,
Les lueurs blondes et rousses des chevelures,
La coupe d’or et les colliers dans le miroir,
Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures…
Evoque la clarté des belles chevelures
Et des légers péplos qui passaient, dans le soir…
Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches,
Les amantes jetaient des mots las et brisés,
Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches
Aux longs chuchotements qui suivent les baisers…
A notre jour, jetant des mots las et brisés,
Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches…
Mytilène, parure et splendeur de la mer,
Comme elle versatile et comme elle éternelle,
Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier…
Puis Psappha couchait avec une Immortelle,
Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle,
Page 338
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 338/664
Mytilène, parure et splendeur de la me .
Mon Ami le Vent
Je t’aime et te salue, ô mon ami le vent
Qui rôdes à travers les champs gras où l’on sème,
Et qui viens te pencher sur la mer, en buvant
Les flots dont l’âcreté ravive ta soif blême…
Rien ne saurait combler le vide de mes bras,
Et mes jours impuissants ont des torpeurs mauvaises…
J’aspire aux infinis que l’on n’atteindra pas…
Quand m’emporteras-tu vers les rudes falaises ?
Quand m’emporteras-tu vers les gris horizons,
Vers les récifs et vers les îles désolées
Où les plantes n’ont point les magiques poisons ?
Que cherchent en vain les princesses exilées ?…
Page 339
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 339/664
Quand m’emporteras-tu vers l’éternel hiver
Où nul essor de blancs goélands ne s’élance,
Où les soirs ont glacé le tourment de la mer,
Où rien d’humain ne vit au milieu du silence ?
Mes Victoires
I
Tel un arc triomphal, plein d’ocres et d’azurs,
Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs.
Quand passerai-je, avec mes Victoires dans l’âme,
Sous l’arc édifié pour celui qu’on acclame ?
L’arc mémorable et vaste enferme le couchant
En sa courbe pareille au rythme fier d’un chant.
Page 340
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 340/664
Quand passerai-je, ayant sur moi comme un bruit d’ailes
Que font, dans l’air sacré, mes Victoires fidèles ?
Certes, l’heure n’est point aux poètes, et moi
Je n’ai que ma jeunesse et ma force et ma foi.
L’arc triomphal est là, clair parmi les nuits noires.
Quand passerai-je, sous l’aile de mes Victoires ?
II
Je le sais, - aujourd’hui cela fait moins de mal, -
Je ne passerai point sous un arc triomphal.
Et je n’entendrai point la voix ivre des femmes
Qui sanglotent : « Voici l’offrande de nos âmes… »
Résignée, et songeant aux défaites passées,
J’aurai sur moi le bruit de leurs ailes lassées…
Comme un arc triomphal plein d’ocres et d’azurs,
Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs…
Page 341
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 341/664
Où donc irai-je ?…
Nul flot ne bouge, nul rameau ne se balance…
Le gris se fait plus gris, le noir se fait plus noir,
Et le chant des oiseaux ne vaut pas le silence…
Où donc irai-je, avec mon cœur, par ce beau soir ?
Dans le ciel du couchant triomphal, les nuages
Roulent, lourds et dorés comme des chariots…
Je suis lasse des jours, des voix et des visages
Et des pleurs refoulés et des muets sanglots…
Toi qui ressembles aux royales amoureuses,
Revis auprès de moi les bonheurs effacés…
A l’avenir chargé de ses roses fiévreuses
Je préfère la pourpre et l’or des temps passés…
Soyons lentes, parmi les choses trop hâtives…
Page 342
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 342/664
Il ne faut rien chercher… Il ne faut rien vouloir…
Allons en pleine mer, sans aborder aux rives…
Me suivras-tu, vers l’infini, par ce beau soir ?…
Refrain
Des parfums de cytise ont amolli la brise
Et l’on s’attriste, errant sous le ciel transparent…
Le soleil agonise… Et voici l’heure exquise…
Dans le soir odorant, l’on s’attarde en pleurant…
Tu reviens, frêle et rousse, ô ma belle ! ô ma douce !…
Comme en rêve, je vois tes yeux lointains et froids,
Telle une eau sans secousse où le regret s’émousse…
Sous leur regard je crois revivre l’autrefois.
O chère ombre ! moi-même ai brisé mon poème…
Je ne dois plus te voir, dans le calme du soir…
Regarde mon front blême et sens combien je t’aime…
Page 343
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 343/664
L’ombre, doux voile noir, couvre mon désespoir…
Une rose inexprimable a fleuri sur le sable,
Et tandis qu’alentour se fane le beau jour
Je pleurerai, semblable à ceux que l’heure accable :
« Seul n’a point de retour l’impatient amour… »
A la Bien-Aimée
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys,
Ma cassolette d’or et ma blanche colonne,
Mon par cet mon étang de roseaux et d’iris.
Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma plume,
Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air,
Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme,
Et mes algues et mes paysages de mer.
Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone,
Mon île fraîche et ma secourable oasis…
Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne,
Et ma voile de soie et mon jardin de lys.
Page 344
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 344/664
L’offrande
Pour lui prouver que je l’aime plus que moi-même,
Je donnerai mes yeux à la femme que j’aime.
Je lui dirai d’un ton humble, tendre et joyeux :
« Ma très chère, voici l’offrande de mes yeux. »
Je donnerai mes yeux qui virent tant de choses.
Tant de couchants et tant de mers et tant de roses.
Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis
Sur le terrible autel de l’antique Eleusis,
Sur Séville aux beautés pieuses et profanes,
Sur la lente Arabie avec ses caravanes.
J’ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs
Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs.
Page 345
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 345/664
Venise qui pâlit, Dogaresse mourante,
Et Florence qui fut la maîtresse de Dante.
J’ai vu l’Hellade où pleure un écho de Syrinx,
Et l’Egypte accroupie en face du grand Sphinx,
J’ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène,
Ces lourds vergers qui sont l’orgueil de Mytilène.
J’ai vu des îles d’or aux temples parfumés,
Et ce Yeddo, plein de vox frêles de mousmés.
Au hasard des climats, des courants et des zones,
J’ai vu la Chine même avec ses faces jaunes…
J’ai vu les îles d’or où l’air se fait plus doux,
Et les étangs sacrés près des temples hindous.
Ces temples où survit l’inutile sagesse…
Je te donne tout ce que j’ai vu, ma maîtresse !
Je reviens, t’apportant mes ciels gris ou joyeux.
Toi que j’aime, voici l’offrande de mes yeux.
Page 346
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 346/664
Sans Fleurs à votre Front
Vous n’avez point voulu m’écouter… mais qu’importe ?
O vous dont le courroux vertueux s’échauffa
Lorsque j’osai venir frapper à votre porte,
Vous ne cueillerez point les roses de Psappha.
Vous ne verrez jamais les jardins et les berges
Où résonna l’accord puissant de son paktis,
Et vous n’entendrez point le chœur sacré des vierges,
Ni l’hymne d’Eranna ni le sanglot d’Atthis.
Quant à moi, j’ai chanté… Nul écho ne s’éveille
Dans vos maisons aux murs chaudement endormis.
Je m’en vais sans colère et sans haine, pareille
A ceux-là qui n’ont point de parents ni d’amis,
Je ne suis point de ceux que la foule renomme,
Mais de ceux qu’elle hait… Car j’osai concevoir
Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme,
Page 347
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 347/664
Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir.
O mes chants ! nous n’aurons ni honte ni tristesse
De voir nous mépriser ceux que nous méprisons…
Et ce n’est plus à la foule que je m’adresse…
Je n’ai jamais compris les lois ni les raisons…
Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même…
Que nous importent ceux qui n’ont point écouté ?
Allons vers le silence et vers l’ombre que j’aime,
Et que l’oubli nous garde en son éternité…
Sous la Rafale
De la nuit chaotique un cri d’horreur s’exhale.
Venez, nous errerons tous trois sous la rafale…
Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels.
Nous passerons, ô mes compagnons éternels !
Page 348
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 348/664
L’éclair nous épouvante et la nuit nous désole…
O vieux Lear, comme toi je suis errante et folle,
Et ceux de ma famille et ceux de mes amis
M’ont repoussée avec des outrages vomis.
Comme toi, Dante, épris d’une douleur hautaine,
Je suis une exilée au cœur gonflé de haine.
En dépit du tonnerre et du froid et du vent,
Nul n’a voulu m’ouvrir les portes du couvent…
Mon père, le roi fou, mon frère, le poète,
Voyez mes yeux et ma chevelure défaite.
Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois,
Se signeront avec d’inconscients effrois.
Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne,
Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne !
Malgré la pauvreté de mon obscur destin
Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin !
Page 349
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 349/664
Ecoutez le tonnerre aux éclats de cymbale…
Nous errerons jusqu’à l’aube sous la rafale.
Je pleure sur Toi…
A Madame M…
Le soir s’est refermé, telle une sombre porte,
Sur mes ravissements, sur mes élans d’hier…
Je t’évoque, ô splendide ! ô fille de la mer !
Et je viens te pleurer, comme on pleure une morte.
L’air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins,
Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues ;
N’as-tu point chevauché sur la crête des vagues,
Toi qui dors aujourd’hui dans l’ombre des coussins ?
Page 350
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 350/664
L’orage et l’infini qui te charmaient naguère
N’étaient-ils point parfaits, et ne valaient-ils pas
Le calme conjugal de l’âtre et du repas
Et la sécurité près de l’époux vulgaire ?
Tes yeux ont appris l’art du regard chaud et mol
Et la soumission des paupières baissées.
Je te vois, alanguie au fond des gynécées,
Les cils fardés, le cerne agrandi par le kohl.
Tes paresses et tes attitudes meurtries
Ont enchanté le rêve épais et le loisir
De celui qui t’apprit le stupide plaisir.
O toi qui fus hier la sœur des Valkyries !
L’époux montre aujourd’hui tes yeux, si méprisants
Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne,
Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne
Aux admirations des amis complaisants.
Abdique ton royaume et sois la faible épouse
Sans volonté devant le vouloir de l’époux…
Livre ton corps fluide aux multiples remous,
Sois plus docile encore à son ardeur jalouse.
Page 351
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 351/664
Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir
Ton esprit autrefois possédé par les rêves…
Mais ne reprends jamais l’âpre chemin des grèves,
Où les algues ont des rythmes lents d’encensoir.
N’écoute plus la voix de la mer, entendue
Comme en songe à travers le soir aux voiles d’or…
Car le soir et la mer te parleraient encor
De ta virginité glorieuse et perdue.
Le jardin matinal
Viens, les heures d’amour sont furtives et rares…
Le jardin matinal est plein d’oiseaux bizarres.
Chère, je te convie à ce royal festin.
Je ne veux pas jouir seule de ce matin.
L’aube heurte le ciel comme une porte close.
Page 352
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 352/664
Viens boire la rosée au cœur blond de la rose.
Bois la rosée ainsi qu’une fraîche liqueur.
Mon cœur est une rose et je t’offre mon cœur…
L’aube a des tons de nacre et des reflets de perle.
La joie est simple et rien n’est aussi beau qu’un merle.
Savourons cette ardeur un peu triste et pleurons
De sentir la clarté première sur nos fronts.
Viens, ma très chère… A l’est le ciel fardé chatoie,
L’herbe est douce aux pieds nus comme un tapis de soie…
Sans nous préoccuper de l’hostile destin,
Rendons grâces au ciel clément pour ce matin.
Au Dieu pauvre
Page 353
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 353/664
Je t’adore, Dieu pauvre entre les Immortels,
Et j’ai tressé pour toi ces roses purpurines,
Parce que tu n’as point de temples ni d’autels,
Et que nul tiède encens ne flatte tes narines.
Nul ne te craint et nul n’implore ta bonté…
Ceux qui t’honorent sont pauvres, car tu leur donnes,
Ayant ouvert tes mains vides, la pauvreté ;
Et ton souffle est plus froid que celui des automnes.
Moi qui subis l’affront et le courroux des forts,
Je t’apporte, Dieu pauvre et triste, ces offrandes :
Des violettes que je cueillis chez les morts
Et des fleurs de tabac, qui s’ouvraient toutes grandes…
Dans un coffret de jade aux fermoirs de cristal,
Dieu pauvre, je t’apporte humblement mon cœur sombre,
Car je ne sais aimer que ce qui me fait mal,
Eprise, d’un fantôme et le l’ombre d’une ombre…
Je ne demande rien à ta Divinité
Sans parfums et que nul prêtre n’a reconnue…
Nul roi n’a jamais craint de t’avoir irrité
Et n’a pleuré devant ta châsse froide et nue.
Page 354
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 354/664
Mais moi qui hais la foule à l’entour des autels,
Moi qui raille l’espoir cupide des prières,
Je te consacre, ô le plus doux des Immortels,
Ce chant pieux fleuri sur mes lèvres amères.
Eminé
Le couchant répandra la neige des opales,
Et l’air sera chargé d’odeurs orientales.
Les caïques furtifs jetteront leur éclair
De poissons argentins qui traversent la mer.
Ce sera le hasard qu’on aime et qu’on redoute…
A pas lents, mon destin marchera sur la route.
Je le reconnaîtrai parmi les inconnus
Malgré les ciels changés et les temps survenus…
Page 355
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 355/664
Mon cœur palpitera, comme vibre une flamme…
Et mon destin aura la forme d’une femme,
Et mon destin aura de profonds cheveux bleus…
Il sera le fantasque et le miraculeux.
Involontairement, comme lorsque l’on pleure,
Je me répéterai : « Toute femme a son heure :
« Aucune ne sera pareille à celle-ci :
Nul être n’attendra ce que j’attends ici. »
Celle qui brillera dans l’ombre solitaire
M’emmènera vers le domaine du mystère.
Près d’elle, j’entrerai, pâle autant qu’Aladin,
Dans un prestigieux et terrible jardin.
Mon cher destin, avec des lenteurs attendries,
Détachera pour moi des fruits de pierreries.
Je passerai, parmi le féerique décor,
Impassible devant des arbres aux troncs d’or.
Et je mépriserai le soleil et la lune
Page 356
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 356/664
Et les astres en fleur, pour cette femme brune.
Ses yeux seront l’abîme où sombre l’univers
Et ses cheveux seront la nuit où je me perds.
A ses pieds nus, pleurant d’extases infinies,
Je laisserai tomber la lampe des génies…
L’Amour borgne
Je t’aime de mon œil unique, je te lorgne
Ainsi qu’un Chinois l’opium :
Je t’aime aussi de mon amour borgne,
Fille aussi blanche qu’un arum.
Je veux tes paupières de bistre,
Et ta voix plus lente qu’un sistre ;
Je t’aime de mon œil sinistre
Où luit la colère du rhum.
Page 357
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 357/664
Je te suis du regard, lubrique comme un singe,
Ivre comme un ballon sans lest.
Ton âme incertaine de Sphinge
Flotte entre le zist et le zest.
Et je halète vers l’amorce
Des seins vibrants, du souple torse
Où la grâce épouse la force,
Et des yeux verts comme l’ouest.
Ton visage s’estompe à travers les courtines ;
Et tu médites, un fruit sec
Entre tes lèvres florentines
Où s’apaise un sourire grec.
Je meurs de tes paroles brèves…
Je veux que de tes dents tu crèves
Mon œil où se brouillent les rêves,
Comme un ara, d’un coup de bec.
Ils pleurent vers le Soir…
Le jardin et le calme et la lumière basse,
Page 358
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 358/664
Et tous mes souvenirs qui pleurent vers le soir…
La douceur d’être seule et triste et de m’asseoir
Dans l’ombre, de ne plus sourire et d’être lasse…
Parmi les frondaisons rôdent d’anciens soupirs,
Et le bonheur lui-même est incertain et tremble.
Je suis une qui se recueille et je rassemble
Mes souvenirs, mes souvenirs, mes souvenirs…
Ils se glissent, ainsi que des ombres furtives,
Les mains vides et les yeux éteints, en des prés
Sans odeurs et que nul printemps n’a diaprés.
Leurs pas ne laissent point d’empreinte sur les rives.
Ils ne contiennent plus leurs sanglots étouffants.
D’aucuns, aux yeux ternis, telles de vieilles lames,
Pleurent en se voilant, comme pleurent les femmes ;
D’autres pleurent sans honte, ainsi que les enfants.
Je suis seule, je ne suis plus une amoureuse,
Et je n’adore plus un sourire enchâssé
Par le couchant : je me cherche dans mon passé,
Et j’évoque le temps où j’étais moins heureuse.
… Plus légers qu’un oiseau, plus frêles qu’un hochet,
Page 359
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 359/664
Voici les souvenirs lointains de mon enfance.
Ils courent, leurs rubans sont couleur d’espérance,
Leurs jupes ont encore une odeur de sachet.
Et maintenant, voici les souvenirs funèbres,
Ils passent, dédaigneux du rêve et de l’effort
Et couronnés es violettes de la mort ;
Leurs vêtements de deuil se mêlent aux ténèbres.
Je rêve sans ardeur, tels les pâles reclus…
La Loreley que j’ai cruellement aimée
S’évanouit ainsi qu’une blonde fumée
Et je sens aujourd’hui que je ne l’aime plus.
Puis, un souvenir rit, et son rire chevrote…
Ce rire de vieille où se fêle la gaîté !..
Dans le jardin, que baigne un silence attristé,
L’ombre verte se creuse à l’égal d’une grotte.
Je n’ai plus de ferveur, je n’ai plus de désirs,
Je ne veux que la paix du jardin et de l’heure…
Il me semble qu’hier j’étais un peu meilleure…
Qu’on me laisse pleurer avec mes souvenirs…
Page 360
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 360/664
Viviane
Une odeur fraîche, un bruit de musique étouffée
Sous les feuilles, et c’est Viviane la fée.
Elle imite, cachée en un fouillis de fleurs,
Le rire suraigu des oiseaux persifleurs.
Souveraine fantasque, elle s’attarde et rôde
Dans la forêt, comme en un palais d’émeraude.
L’eau qui miroite a la couleur de son regard.
Elle se voile des dentelles du brouillard.
Parfois, une langueur monte de l’herbe et plane :
Les violettes ont salué Viviane.
Sa robe a des lueurs de perles et d’argent,
Son front est variable et son cœur est changeant.
Son pouvoir féminin s’insinue à la brune :
Elle devient irrésistible au clair de lune.
Page 361
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 361/664
Des pâtres ont cru voir, de leurs yeux ingénus,
Des serpents verts glisser le long de ses bras nus.
A minuit, la plus belle étoile la couronne ;
Parfois elle est cruelle et parfois elle est bonne.
Et Viviane est plus puissante que le sort ;
Elle porte en ses mains le sommeil et la mort.
Plus que l’espoir et plus que le songe, elle est belle.
Les plus grands enchanteurs sont des enfants près d’elle.
Près d’elle, la mémoire est un rêve aboli.
Son magique baiser est plus froid que l’oubli.
Ses cheveux sont défaits et le soleil les dore.
Chaque matin, elle est plus blonde que l’aurore.
Ondoyante, elle sait promettre et décevoir.
Vers le couchant, elle est rousse comme le soir.
A l’heure vague où le regret se dissimule,
Elle a les yeux lointains et gris du crépuscule.
Page 362
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 362/664
Lorsque le fil ambré du croissant tremble et luit
Sur les chênes, elle est brune comme la nuit.
Des rois ont partagé son palais et sa table,
Mais nul n’a jamais vu sa face véritable.
Elle renaît, elle est plus belle chaque jour,
Et ses illusions trompent le simple amour.
Elle erre, comme un vent d’avril, sous la ramée,
Et vous reconnaissez en elle votre aimée.
Elle est celle qu’on ne rencontre qu’une fois.
Ecoutez… Nulle voix n’est pareille à sa voix.
Elle approche, et ses doigts effeuillent des corolles.
Vous tremblez… Vous avez oublié les paroles…
Mais vous savez – le bois merveilleux l’a chanté –
Qu’elle vous appartient depuis l’éternité.
Elle a changé de nom, de voix et de visage ;
Malgré tout, vous l’ave reconnue au passage.
Elle réveille en vous tous les anciens désirs.
Page 363
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 363/664
A l’ombre de ses pas brillent des souvenirs.
Vous l’avez pressentie et vous l’avez rêvée
Longuement, et surtout vous l’avez retrouvée.
Elle trame pour vous des jardins et des ciels,
Et vous vous endormez en ses bras éternels.
Elle passe
Le ciel l’encadre ainsi que ferait une châsse,
Et je vivrais cent ans sans jamais la revoir.
Elle est soudaine : elle est le miracle du soir.
L’instant religieux brille et tinte. Elle passe…
Je suis venue avec la foule des lépreux
Page 364
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 364/664
Dès l’aurore, ayant su que je serais guérie.
Ils regardent vers elle avec l’idolâtrie
En pleurant à voix basse. Et je pleure avec eux.
Un rayon d’espérance illumine l’espace,
Car ses pieds nus ont sanctifié le chemin.
Voyez ! un grand lys blanc est tombé de sa main…
Les sanglots se sont tus brusquement. Elle passe.
De nous tous qui pleurions elle a fait ses élus,
Et parmi nous aucun ne pleure ni ne doute.
Elle ne reviendra plus jamais sur la route,
Mais je la vis passer et je ne souffre plus.
Bonheur crépusculaire
Tes sombres anneaux d’améthyste
S’animent et tremblent un peu
Sous la jaune lueur du feu…
Au-dehors la clarté persiste.
Page 365
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 365/664
Accueillons le songe, donneur
D’enchantements et de féeries…
Mêlons nos âmes attendries
Et parlons de notre bonheur.
Parlons du bonheur, ma très chère,
Comme l’on parle d’un ami,
Evoquant, en l’âtre endormi,
Sa ressemblance familière…
Les choses semblent nous servie
Dans un empressement docile…
Chuchotons : « Mon âme tranquille
N’a plus de rêves d’avenir. »
Le bonheur se fait mieux comprendre
Par les intimités d’hiver,
Lorsque flotte et pleure dans l’air
L’âme du crépuscule tendre.
Le bonheur est tissé d’oubli ;
Il ne connaît pas l’espérance ;
Il ressemble à la délivrance
Après le labeur accompli.
Page 366
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 366/664
Et c’est le bonheur d’être assises
Toutes deux, auprès du foyer,
Et de voir le feu rougeoyer
En tes calmes prunelles grises.
C’est de taire les vains aveux
Et d’oublier les autres femmes,
En regardant luire les flammes
A travers tes profonds cheveux.
C’est de voir s’embraser l’automne
Dans l’âtre aux multiples reflets
Où croulent des tours, des palais,
Des façades et des colonnes…
Dans mon cœur qui frissonne un peu,
Un sanglot d’autrefois persiste…
Vois comme le bonheur est triste,
Les soirs d’hiver, auprès du feu…
Pénitentes Espagnoles
Page 367
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 367/664
Le repentir songeur n’use plus leurs genoux.
Parmi les champs malsains et les villes malades
Elles dansent, ainsi que de noires Ménades.
Parfois le vent du soir éteint leurs cierges roux.
Elles ont coupé leurs chevelures altières ;
Le cilice a mordu leurs seins endoloris
Leurs psaumes, soupirés ou jetés à grands cris,
S’accompagnent du son rauque des grelottières.
Pourtant, il dort au fond de leurs yeux espagnols
Des souvenirs qui sont comme un jardin mauresque
Où le jet d’eau retrace une blanche arabesque,
Où s’exaltent les voix de mille rossignols.
Et c’est en vain que ces lascives pénitentes
Lancent publiquement leurs clameurs de remords…
Jusqu’au jour où les vers rongeront leurs yeux morts,
Leur chair n’oubliera pas ses langueurs consentantes.
Leurs flancs meurtris sont prêts encore aux pâmoisons,
Et leur bouche d’amante ouvre sa rose tiède,
Car le vent de Grenade et le vent de Tolède
Mêlent leurs sourds parfums au bruit des oraisons.
Page 368
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 368/664
Elles ne verront point, de leurs yeux de fiévreuses,
Le ciel où l’on n’a plus de souvenirs d’amour,
D’où, froide en sa blancheur, l’éternité du jour
Chasse les voluptés aux ferveurs ténébreuses.
Elles n’entreront point au ciel limpide et clair,
Mais, dans la nuit ardente où pleurent les damnées,
L’amour, ressuscitant du tombeau des années,
Saura leur alléger les tourments de l’enfer.
Dans le Havre
Lasse comme les flot, lasse comme les voiles,
J’entre dans le doux port plein d’embruns et d’étoiles.
Depuis des temps j’ai vu les plus divins climats
Et je dors en ce havre où sommeillent des mâts.
Mon esprit s’est tourné vers des rêves plus sages,
Je désapprends enfin l’ardeur des longs voyages.
Page 369
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 369/664
Tant de rires dorés viennent vous décevoir
Que l’on se sent moins de jeunesse vers le soir…
En vain j’ai côtoyé les terres trop charmantes
Qui déçoivent, ainsi que le font les amantes.
J’y croyais découvrir des océans d’or bleu,
Des fleuves d’escarboucle et des roses de feu,
Mais je sus que d’aucuns mentaient en parlant d’elles,
Et que le rêve seul les rendait aussi belles…
Donc je reviens trouver la bonne paix. Ici,
Le soleil est moins vif, le ciel s’est adouci.
Dans le doux havre où se reflètent les étoiles,
Je verrai sans regret partir les autres voiles.
Page 370
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 370/664
La Soif impérieuse
J’étais hier la voyageuse solitaire.
J’allais, portant au cœur une âpre anxiété…
J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été,
D’un flot purifiant où l’on se désaltère.
Aujourd’hui, mon silence a des bonheurs pensifs.
O très chère ! et mon âme est une coupe pleine,
Le monde est beau comme un verger de Mytilène :
Je ne crains plus le soir qui pleure sous les ifs.
J’avais besoin de toi comme d’une eau courante
Que l’on écoute et qui berce votre chagrin
Dans un ruissellement musical et serein…
J’entendis ta voix claire ainsi qu’une eau qui chante.
Ta voix coulait, murmure et cadence à la fois,
Chère, et ce fut dans mon être le bleu nocturne,
Et, je sentis alors mon chagrin taciturne
S’attendrir… J’écoutais l’eau pure de ta voix.
Depuis lors, la lourdeur des blancs midis m’enchante,
Et ma soif ne craint plus le soleil irrité…
J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été,
Page 371
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 371/664
J’avais besoin de toi comme d’une eau qui chante…
Je fus un Page épris
C’est l’heure où le désir implore et persuade…
Le monde est amoureux comme une sérénade,
Et l’air nocturne a des langueurs de sérénade.
Les ouvriers du soir, tes magiques amis,
Ont tissé d’or léger ta robe de samis
Et semé d’iris bleus la trame du samis.
Il me semble que nous venons l’une vers l’autre
Du fond d’un autrefois inconnu qui fut nôtre,
D’un pompeux et tragique autrefois qui fut nôtre.
Sur mes lèvres persiste un souvenir charmant.
Qui peut savoir ? Je fus peut-être ton amant…
O ma splendeur ! Je fus naguère ton amant…
Une ombre de chagrin un peu cruel s’obstine,
Page 372
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 372/664
Amenuisant encor ta bouche florentine…
Ah ! ton sourire aigu de Dame florentine !
Mon souvenir est plus tenace qu’un espoir…
L’âme d’un page épris revit en moi ce soir,
D’un page qui chantait sous ton balcon, le soir…
La Palme
A mon réveil, ce fut le miracle du monde,
Le ciel aux bleus de songe et les flots d’or vivant,
La Méditerranée… Et j’allais en rêvant,
Tant la paix de l’aurore était sage et profonde,
Que pour nous seules l’univers était vivant,
Et que nous étions l’âme et le centre du monde.
M’étant perdue au fond du jardin matinal,
Je détachai pour toi du palmier cette palme
Que la terre nourrit de sève forte et calme.
Là-bas, où l’air sonore est un vibrant cristal,
Très chère, tu prendras entre tes mains la palme
Page 373
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 373/664
Que j’ai rompue, en le mystère matinal.
Car j’ai choisi, pour t’encadrer, ô la plus belle !
La volupté de ce décor italien,
De ce ciel dont le rire est moins doux que le tien,
De cette mer qui voit la lune émerger d’elle…
Vois, le prestigieux décor italien
Est seul digne de t’encadrer, ô la plus belle !
Et toi, sachant que rien n’égale la beauté,
Ni la puissance, ni la foi, ni le génie,
Souris, victorieuse, inconnue, infinie,
Parfaite en ta douceur comme en ta cruauté,
Plus grande que l’effort le plus fier du génie,
O femme pâle en qui triomphe la beauté !
Le Ténébreux Jardin
Les heures ont éteint le feu de mes vertèbres,
Et leur morne lourdeur a pesé sur mon front…
Voici que les lointains trop clairs s’attendriront
Et la nuit m’ouvrira son jardin de ténèbres.
Page 374
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 374/664
Solitaire, tandis que le temps coule et fuit,
Je cueillerai les fleurs du regret et du songe.
Reconnaissante au doux charme qui se prolonge,
J’offrirai le parfum de mon âme à la nuit.
Les poèmes ont des lignes trop régulières,
Les musiques, un son trop clair, trop cristallin…
Je frapperai bientôt aux portes du jardin
Qui s’ouvriront pour moi, larges et familières.
Car la nuit m’aime : elle a compris que je l’aimais…
Et, sachant que je suis résignée et lointaine,
Elle m’apporte, ainsi qu’en un coffret d’ébène,
La tristesse des autrefois et des jamais…
La nuit me livrera ses lys noirs et ses roses
Noires et ses violettes aux bleus obscurs,
Et je m’attarderai dans l’angle de ses murs
Tels que ceux des cités royalement encloses…
Peu m’importe aujourd’hui le caprice du sort…
La nuit s’ouvre pour moi comme un jardin de reine
Où je promènerai ma volupté sereine
Et mon indifférence à l’égard de la mort.
Page 375
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 375/664
Nous nous sommes assises
Ma douce, nous étions comme deux exilées,
Et nous portions en nous nos âmes désolées.
L’air de l’aurore était plus lancinant qu’un mal…
Nul ne savait parler le langage natal…
Alors que nous errions parmi les étrangères,
Les odeurs du matin ne semblaient plus légères.
…Lorsque tu te levas sur moi, tel un espoir,
Ta robe triste était de la couleur du soir.
Voyant tomber la nuit, nous nous sommes assises,
Pour sentir la fraîcheur amical des bises.
Puisque nous n’étions plus seules dans l’univers,
Nous goûtions avec plus de langueur les beaux vers.
Chère, nous hésitions, sans oser croire encore,
Et je te dis : « Le soir est plus beau que l’aurore. »
Page 376
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 376/664
Tu me donnas ton front, tu me donnas tes mains,
Et je ne craignis plus les mauvais lendemains.
Les couleurs éteignaient leurs splendide insolence ;
Nulle voix ne venait troubler notre silence…
J’oubliai les maisons et leur mauvais accueil…
Le couchant empourprait mes vêtements de deuil.
Et je te dis, fermant tes paupières mi-closes :
« Les violettes sont plus belles que les roses. »
Les ténèbres gagnaient l’horizon, flot à flot…
Ce fut autour de nous l’harmonieux sanglot…
Une langueur noyait la cité forte et rude,
Nous savourions ainsi l’heure en sa plénitude.
La mort lente effaçait la lumière et le bruit…
Je connus le visage auguste de la nuit.
Et tu laissas glisser à tes pieds nus tes voiles…
Ton corps m’apparut, plus noble sous les étoiles.
C’était l’apaisement, le repos, le retour…
Page 377
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 377/664
Et je te dis : « Voici le comble de l’amour… »
Jadis, portant en nous nos âmes désolées,
Ma Douce, nous étions comme deux exilées…
Départ
La lampe des longs soirs projette un rayon d’ambre
Sur les cadres dont elle estompe les vieux ors.
L’heure de mon départ a sonné dans la chambre…
La nuit est noire et je ne vois rien au-dehors.
Je ne reconnais plus le visage des choses
Qui furent les témoins des jours bons et mauvais…
Voici que meurt l’odeur familière des roses…
La nuit est noire, et je ne sais pas où je vais.
Devrais-je regretter cet autrefois ?… Peut-être…
Mais je n’appartiens point aux regrets superflus…
Je marche devant moi, l’avenir est mon maître,
Page 378
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 378/664
Et, quel que soit mon sort, je ne reviendrai plus.
Mensonge du Soir
Or, par un soir pareil, je crus être poète…
J’avais rêvé, dans le silence trop exquis,
De soleils possédés et de lauriers conquis…
Et ma vie est semblable aux lendemains de fête.
Tout me fait mal, l’été, le rayon d’un fanal
Rouge sur l’eau nocturne, et le rythme des rames,
Les rosiers d’un jardin et les cheveux des femmes
Et leur regard, tout me fait mal, tout me fait mal.
Venez à moi, mes deux amours, mes bien-aimées…
Je vous entourerai de vos anciens décors,
Je vous rendrai vos fleurs, vos gemmes et vos ors,
Et je rallumerai vos torches consumées.
Vous fûtes ma splendeur et ma gloire et mon chant,
Toi, Loreley, clair de lune, rire d’opale
Page 379
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 379/664
Et toi dont la présence est calme et vespérale,
Et l’amour plus pensif que le soleil couchant.
O vous que mes désirs et mes pleurs ont parées,
Toi que j’aimais hier, toi que j’aime aujourd’hui,
Allons vers les palais d’où les reines ont fui,
Et vers les faibles mers qui n’ont point de marées.
Le dernier frisson d’or s’est tu dans les guêpiers…
Toi, pâle comme Atthis, et toi, ceinte de roses
Comme Dika, marchons sur les routes moroses
Qui n’ont point su arder l’empreinte de nos pieds.
Le présent despotique est comme un maître rude
Qui tourmente l’esclave au sommeil harassé…
Mes chères, descendons la pente du passé
En sentant que le soir est plein de lassitude.
Je songe à l fatigue, à l’ennui des retours
Qui suivent les départs vers les terres charmantes…
Allons ainsi jusqu’au futur, ô mes amante !
Sachant que nous avons vécu nos plus beaux jours.
Page 380
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 380/664
Vers Lesbos
ElTu viendras, les yeux pleins du soir et de l’hier…
Et ce sera par un beau couchant sur la mer.
Frêle comme un berceau posé sur les flots lisses,
Notre barques sera pleine d’ambre et d’épices.
Les vents s’inclineront, soumis à mon vouloir.
Je te dirai : « La mer nous appartient, ce soir. »
Tes doigts ressembleront aux longs doigts des noyées.
Nous irons au hasard, les voiles déployées.
Levant tes yeux surpris, tu me demanderas :
« Dans quel lit inconnu dormirai-je en tes bras ? »
Des oiseaux chanteront, cachés parmi les voiles.
Nous verrons se lever les premières étoiles.
Tu me diras : « Les flots se courbent sous ma main…
Et quel est ce pays où nous vivrons demain ? »
Page 381
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 381/664
Mais je te répondrai : « L’onde nocturne est blême,
Et nous sommes encor loin de l’île que j’aime.
« Ferme tes yeux lassés par le voyage et dors
Comme en ta chambre close aux rumeurs du dehors…
« Telle, dans un verger, une femme qui chante,
Le bonheur nous attend dans cette île odorante.
« Couvre ta face pâle avec tes cheveux roux.
L’heure est calme et la paix de la mer est sur nous.
« Ne t’inquiète point… Je suis accoutumée
Aux risques de la mer et des vents, Bien-Aimée… »
Sous la protection du croissant argentin,
Tu dormiras jusqu’à l’approche du matin.
Les plages traceront au loin la grise marge
De leurs sables… Tes yeux s’ouvriront sur le large.
Tu m’interrogeras, non sans un peu d’effroi.
Des chants mystérieux parviendront jusqu’à toi…
Page 382
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 382/664
Tu me diras, avec des rougeurs ingénues :
« Rien n’est aussi troublant que ces voix inconnues.
« Leur souffle harmonieux évente mon front las :
Mais l’aube est sombre encore et je ne comprend pas.
« Notre mauvais destin saura-t-il nous rejoindre
Au fond de ce matin craintif que je vois poindre ? »
Je te dirai, fermant tes lèvres d’un baiser :
« Le bonheur est là-bas… Car il faut tout oser…
« Là-bas, nous entendrons la suprême musique…
Et, vois, nous abordons à l’île chimérique… »
Viens, Déesse de Kupros
Viens, Déesse de Kupros, et verse
délicatement dans les coupes d’or le
Page 383
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 383/664
nectar mêlé de joies.
Psappha
Mon orgueil n’a connu que le blâme et l’affront,
Et l’impossible gloire au loin rit et chatoie…
Puisque le noir laurier ne ceindra point mon front,
Remplis la coupe d’or et verse-moi la joie !
Je me couronnerai de pampre, vers le soir.
Grâce au vin bienfaisant qui chante dans les moelles,
Je me verrai marcher vers l’azur et m’asseoir
Parmi les Dieux, devant le festin des étoiles.
Verse le vin de Chypre et le vin de Lesbos,
Dont la chaude langueur sourit et s’insinue,
Et, l’heure étant sacrée au roux Dionysos,
Prends le thyrse odorant et danse, ardente et nue.
Je bois l’été, le chant des cigales, les fruits,
Les fleurs et le soleil dans le creux de l’amphore ;
Car la nuit du festin est brève entre les nuits
Et le pampre divin se flétrit dès l’aurore.
Page 384
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 384/664
Nuit Mauresque
La nuit est façonnée avec un art subtil
Ainsi qu’un merveilleux palais de Boabdil.
La fontaine redit ses rythmes monotones
Et les ifs argentés sont de blanches colonnes.
Dans le jardin, roi morne et conquérant lassé.
Se recueille et s’attarde et veille le passé.
Le ciel, où la lumière est éclatante et noire,
Est un plafond de cèdre et de nacre et d’ivoire.
Par cette nuit d’amour, mon désir est moins près
Des jets d’eau radieux et purs que des cyprès.
Pourtant j’aime l’élan des rossignols, et j’aime
Ces fontaines qui sont plus belles qu’un poème.
Viens dans ces murs, où ton caprice me céda,
Page 385
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 385/664
Ma maîtresse de tous les temps, Zoraïda !
Faisons revivre, au fond de ces tièdes allées,
Les languides ghuzlas et les femmes voilées.
Et rêvons un amour insensé, frémissant
De victoire fatale et de fièvre et de sang.
Ma maîtresse ! tandis que l’instant se prolonge,
Errons, les doigts unis, dans l’Alhambra du songe.
Attente
En cette chambre où meurt un souvenir d’aveux,
L’odeur de nos jasmins d’hier s’est égarée…
Pour toi seule je me suis vêtue et parée,
Et pour toi seule j’ai dénoué mes cheveux.
J’ai choisi des joyaux… Ont-ils l’heur de te plaire ?
Dans mon cœur anxieux quelque chose s’est tu…
Comment t’apparaîtrai-je et que me diras-tu,
Page 386
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 386/664
Amie, en franchissant mon seuil crépusculaire ?
Des violettes et des algues vont pleuvoir
A travers le vitrail violet et vert tendre…
Je savoure l’angoisse idéale d’attendre
Le bonheur qui ne vient qu’à l’approche du soir.
En silence, j’attends l’heure que j’ai rêvée…
La nuit passe, traînant son manteau sombre et clair…
Mon âme illimitée est éparse dans l’air…
Il fait tiède et voici : la lune s’est levée.
Les Souvenirs sont des Grappes…
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…
Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.
Le silence est pareil à l’écho d’une voix,
Et je me tourne, avec les regards d’autrefois,
Vers celles qu’aujourd’hui mon baiser importune,
Page 387
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 387/664
Celle qui fut ma Loreley, ma fleur de lune.
Pendant le jour je puis l’oublier, mais la nuit,
Très blonde, elle se lève et son visage luit…
Et je me sens alors moins forte, moins sereine…
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène...
Ses yeux changeants et frais sont le reflet de l’eau…
Quand je rêve, tout le passé me semble plus beau.
Quand je rêve, tout le passé se transfigure…
Je la vois dénouant sa froide chevelure.
Lorsque mon cœur est plein de l’ardeur du couchant,
Je ne sais plus combien son rire fut méchant.
Le croissant fend l’éther ainsi qu’une carène…
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène.
Lorsque l’ombre montante emplit mon cœur lassé,
Je sens que nul bonheur ne vaut l’amer passé,
Je sais combien sont faux les baisers que tu donnes,
O chère ! mais je sais que les larmes sont bonnes.
Page 388
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 388/664
Le passé rare est un trésor enseveli..
Parfois, je ne crains rien au monde sauf l’oubli.
Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène.
Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène…
Vous pour qui j’écrivis
Vous pour qui j’écrivis, ô belles jeunes femmes !
Vous que, seules, j’aimais, relirez-vous mes vers
Par les futurs matins neigeant sur l’univers,
Et par les soirs futurs de roses et de flammes ?
Songerez-vous, parmi le désordre charmant
De vos cheveux épars, de vos robes défaites :
« Cette femme, à travers les sanglots et les fêtes,
A porté ses regards et ses lèvres d’amant. »
Page 389
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 389/664
Pâles et respirant votre chair embaumée,
Dans l’évocation magique de la nuit,
Direz-vous : « Cette femme eut l’ardeur qui me fuit…
Que n’est-elle vivante ! Elle m’aurait aimée… »
Par les Soirs futurs
Non ! par les soirs futurs de roses et de flammes,
Mystérieux ainsi que les temples hindous,
Nul ne saura mon nom et nulle d’entre vous
Ne redira mes vers, ô belles jeunes femmes !
Nulle de vous n’aura le caprice charmant
De regretter l’amour d’une impossible amie,
Et d’appeler tout bas, désireuse et blêmie,
L’impérieux baiser de mes lèvres d’amant.
Vous chercherez l’amour, fraîches et parfumées,
Tournant vers l’avenir vos pas irrésolus,
Page 390
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 390/664
Et nulle d’entre vous ne se souviendra plus
De moi, qui vous aurais si gravement aimées…
Le pilori
Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,
Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.
Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue
Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.
Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,
Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.
Je les voyais ainsi, comme à travers un songe
Affreux et dont l’horreur s’irrite et se prolonge.
La place était publique et tous étaient venus,
Et les femmes jetaient des rires ingénus.
Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,
Page 391
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 391/664
Et le vent m’apportait le bruit de leurs paroles.
J’ai senti la colère et l’horreur m’envahir.
Silencieusement, j’appris à les haïr.
Les insultes cinglaient, comme des fouets d’ortie.
Lorsqu’ils m’ont détachée enfin, je suis partie.
Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors
Mon visage est pareil à la face des morts.
Vaincue
Le couchant est semblable à la mort d’un poète…
Ah ! pesanteur des ans et des songes vécus !
Ici, je goûte en paix l’heure de la défaite,
Car le soir pitoyable est l’ami des vaincus.
Mes vers n’ont pas atteint à la calme excellence,
Je l’ai compris, et nul ne les lira jamais…
Page 392
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 392/664
Il me reste la lune et le proche silence,
Et les lys, et surtout la femme que j’aimais…
Du moins, j’aurai connu la splendeur sans limite
De la couleur, de la ligne, de la senteur…
J’aurai vécu ma vie ainsi que l’on récite
Un poème, avec art et tendresse et lenteur.
Mes mains gardent l’odeur des belles chevelures.
Que l’on m’enterre avec mes souvenirs, ainsi
Qu’on enterrait avec les reines leurs parures…
J’emporterai là-bas ma joie et mon souci…
Isis, j’ai préparé la barque funéraire
Que l’on remplit de fleurs, d’épices et de nard,
E dont la voile flotte en des plis de suaire…
Les rituels rameurs sont prêts… Il se fait tard…
Sous la protection auguste de tes ailes,
O Déesse ! j’irai vers les prés sans avril…
Je partirai, parmi les odes fraternelles,
Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil.
Et que mon cœur soit lourd dans ta juste balance,
Lorsque j’arriverai près du trône fatal
Où le silence noir est plein de vigilance
Page 393
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 393/664
Et que servent les Dieux à têtes de chacal.
Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues,
Les poètes obscurs qui savent les affronts
Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues
Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts…
Le Monde est un Jardin
Le monde est un jardin de plaisir et de mort,
Où l’ombre sous les bleus feuillages semble attendre,
Où la rose s’effeuille avec un bruit de cendre,
Où le parfum des lys est volontaire et fort ?
Parmi les lys nouveaux et les roses suprêmes,
Nous mêlons nos aveux à d’antiques sanglots…
Le monde est le jardin où tout meurt, les pavots
Et les sauges et les romarins et nous-mêmes.
Page 394
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 394/664
Des rires sont cachés partout ; l’on sent courir
Au ras du sol les pieds invisibles des brises,
Et nous nous promènerons dans ce jardin, éprises
Et ferventes, sachant que nous devons mourir…
Nous allons au hasard de nos rêves, j’effleure
Ton col, et tes yeux sont comme un lac endormi.
Le soleil nous regarde avec des yeux d’ami,
Et nous ne songeons point à la fuite de l’heure.
Nous marchons lentement et notre ombre nous suit…
Le vent bruit avec un long frisson de traîne…
Nous qui ne parlons pas de notre mort certaine,
Avons-nous oublié l’approche de la nuit ?…
Intérieur
Dans mon âme a fleuri le miracle des roses.
Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes.
Je défends mon bonheur, comme on fait des trésors,
Page 395
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 395/664
Contre les regards durs et les bruits du dehors.
Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence,
Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance.
Aucun souffle ne fait trembler le mimosa
Sur lequel, en chantant, un vol d’oiseaux pesa.
Notre chambre paraît un jardin immobile
Où des parfums errants viennent trouver asile.
Mon existence est comme un voyage accompli.
C’est le calme, c’est le refuge, c’est l’oubli.
Pour garder cette paix faite de lueurs roses,
O ma Sérénité ! tenons les portes closes.
La lampe veille sur les livres endormis,
Et le feu danse, et les meubles sont nos amis.
Je ne sais plus l’aspect glacial de la rue
Où chacun passe, avec une hâte recrue.
Je ne sais plus si l’on médit de nous, ni si
L’on parle encor… Les mots ne font plus mal ici.
Page 396
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 396/664
Tes cheveux sont plus beaux qu’une forêt d’automne,
Et ton art soucieux les tresse et les ordonne.
Oui, les chuchotements ont perdu leur venin,
Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin.
Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages,
Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages.
Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin
Des hommes ? Deux enfants oubliés dans un coin ?
Loin des pavés houleux où se fanent les roses,
Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes…
Voici mon Mal
Parmi mes lys fanés je songe que c’est toi
Page 397
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 397/664
Qui me fis le plus grand chagrin d’amour, Venise !
Tu m’as trahie autant qu’une femme et conquise
En me prenant ma force, et mon rêve et ma foi.
… Je ne cherche plus rien dans Venise : l’ivresse
Des beaux palais n’est plus en moi ; le chant banal
Des gondoliers me fait haïr le Grand Canal,
Et je n’espère plus aimer la Dogaresse.
Voici mon mal : il est négligeable et profond.
Rendue indifférente à la beauté que j’aime,
J’erre, portant le deuil éternel de moi-même,
Parce que je n’ai pas de lauriers à mon front.
Toi, notre Père Odin
Le vent d’hiver s’élance, audacieux et fort,
Ainsi que les Vikings aux splendides colères.
La tempête a soufflé sur les pins séculaires,
Et les flots ont bondi… Venez, mes Dieux du Nord !
Page 398
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 398/664
Vos yeux ont le reflet des lames boréales,
Les abîmes vous sont de faciles chemins,
Et vous êtes grands et sveltes comme les pins,
O maîtres des cieux froids et des races loyales !
Mes Dieux du Nord, hardis et blonds, réveillez-vous
De votre long sommeil dans les neiges hautaines,
Et faites retentir vos appels sur les plaines
Où se prolonge au soir le hurlement des loups !
Venez, mes Dieux du Nord aux faces aguerries,
Toi, notre père Odin, toi dont les cheveux d’or,
Freya, sont pleins d’odeurs, et toi, valeureux Thor,
Toi, Fricka volontaire, et vous, mes Valkyries !
Ecoutez-moi, mes Dieux, pareils aux clairs matins !
Je suis la fille de vos Skaldes vénérables,
De ceux qui vous louaient, debout auprès des tables
Où les héros buvaient l’hydromel des festins.
Venez, mes Dieux puissants ! car notre hiver est proche,
Nous allons rire avec les joyeux ouragans,
Nous abattrons le chêne épargné par les ans,
Et les monts trembleront jusqu’en leur cœur de roche !
Page 399
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 399/664
Nous poserons nos pieds triomphants sur les mers,
Et nous réjouirons de la danse des vagues ;
Pour nous s’animeront les brumes, formes vagues,
Et pour nous nous brilleront les sillons de l’éclair.
Les mouettes crieront vers nous et vers l’otage
Que nous apporterons dans le creux de nos mains.
Nous entendrons le choc des combats surhumains
Et le cri des vaincus sur le blême rivage.
Voici, mes Dieux, que vous riez comme autrefois
Et que l’aigle tournoie au-dessus de son aire !
Nous avons déchaîné la meute du tonnerre,
Ce terrible troupeau qui reconnaît vos voix !
La terre écoutera nos farouches musiques,
Et les cieux révoltés ploieront sous notre effort.
Venez à moi qui vous attends, mes Dieux du Nord !
Je suis la fille de vos Skaldes héroïques.
Accueil
Page 400
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 400/664
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Flambeaux éteints,
1907
Flambeaux éteints
Voici ce que je chanterai
Les Roses sont entrées
Paroles soupirées
Sois Femme…
La Lune s’est noyée
Elle demeure en son palais
La Flûte qui s’est tue
Caravanes
Les Etres de la Nuit
Fête d’Automne
A mon Amie H.L.C.B.
Page 401
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 401/664
Flambeaux éteints
Les êtres de la nuit et les êtres du jour
Ont longtemps partagé mon âme, tour à tour.
Les êtres de la nuit m’ont fait craindre le jour.
Car les êtres du jour sont triomphants et libres,
Nulle secrète horreur ne fait vibrer leurs fibres,
Ils ont le regard clair de ceux qui naissent libres.
Les êtres de la nuit sont lents, passifs et doux,
Leur âme est comme un fleuve obscur et sans remous,
Leurs gestes sont furtifs et leurs rires sont doux.
Mais les êtres du jour ont des prunelles claires,
De ce bleu que voient seuls les aigles dans leurs aires.
Le jour fait resplendir ces prunelles trop claires.
Ce sont les yeux aigus des héros et des rois
Du Nord qu’on entend rire au fond des palais froids,
Et des reines dont l’âme a dominé les rois.
Page 402
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 402/664
Les êtres de la nuit sont craintifs, mais dans l’ombre
Un phosphore inconnu luit en leur regard sombre :
Les êtres de la nuit ne vivent que par l’ombre.
Les êtres de la nuit sont faibles et charmants :
Ils trompent, et ce sont les fugitifs amants,
Les amantes aux cœurs perfides et charmants.
Ils détournent, dans le baiser, leur froide bouche,
Et leur pas se dérobe ainsi qu’un vol farouche.
On ne boit qu’un baiser décevant sur leur bouche.
Il faut craindre l’attrait des êtres de la nuit,
Car leur corps souple glisse entre les bras et fuit,
Et leur amour n’est qu’un mensonge de la nuit.
Fête d’Automne
L’adorable repos, les brèves accalmies,
Vous seules me les donnâtes, ô mes amies !
Page 403
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 403/664
Voyant paraître enfin la lune à l’arc d’argent,
Je me repose et me désennuie, en songeant…
Vous fûtes la douceur de mes heures mauvaises,
Le baume oriental qui trompe les malaises,
Et vous m’avez conduite en un verger païen
Où l’âme ne regrette et ne désire rien.
Vos fûtes le parfum du soir sur mon visage,
Et la volupté triste, et la tristesse sage.
Au hasard du Destin, vous fûtes tour à tour
La sereine tendresse et le mauvais amour.
Je vous prends et je vous respire, mes aimées,
Ainsi qu’une guirlande aux fraîcheurs embaumées.
Page 404
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 404/664
Vus avez su tourner vers vous tous mes désirs,
Et vous avez rempli mes mains de souvenirs ;
Je vous le dis, à vous qui m’avez couronnée :
« Qu’importent les demains ? Cette nuit m’est donnée !
« Qu’importe désormais ce qui passe et qui fuit ?
Nul vent n’emportera l’odeur de cette nuit. »
Vous avez dénoué mes cheveux, ô maîtresses
Qui mêliez en riant des roses à mes tresses !
Si bien que je n’ai plus sangloté de ne voir
A mon front ni léger pampre ni laurier noir.
La gloire m’a souri dans les aubes dorées
Puisque ma gloire est de vous avoir adorées.
Vous m’avez enseigné dans les jardins, sachant
Qu’ainsi je vous louerais, l’amertume du chant.
Page 405
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 405/664
Et d’une voix parfois troublée et parfois claire,
O femmes ! j’ai chanté dans l’espoir de vous plaire.
Les Roses sont entrées
Ma brune aux yeux dorés, ton corps d’ivoire et d’ambre
A laissé des reflets lumineux dans la chambre
Au-dessus du jardin.
Le ciel clair de minuit, sous mes paupières closes,
Rayonne encor… Je suis ivre de tant de roses
Plus rouges que le vin.
Délaissant leur jardin, les roses m’ont suivie…
Je bois leur souffle bref, je respire leur vie.
Toutes, elles sont là.
C’est le miracle… Les étoiles sont entrées,
Hâtives, à travers les vitres éventrées
Page 406
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 406/664
Dont l’or fondu coula.
Maintenant, parmi les roses et les étoiles,
Te voici dans ma chambre, abandonnant tes voiles,
Et ta nudité luit.
Sur mes yeux s’est posé ton regard indicible…
Sans astres et sans fleurs, je rêve l’impossible
Dans le froid de la nuit.
Paroles soupirées
Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise,
Les nuages pareils à des chauves-souris,
Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris
S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise.
Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise,
Ont pour les lys fanés un geste de mépris.
Page 407
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 407/664
La clarté du couchant prestigieux pavoise
La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris…
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
Le flux et le reflux du soir déferlent, gris
Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise.
Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise
Avec le Souvenir, près des ifs assombris.
Jamais, nous défendant de la foule narquoise,
Un toit n’abritera nos soupirs incompris…
Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris,
Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise.
Sois Femme…
Très chère, sois plus femme encore, si tu veux
Page 408
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 408/664
Me plaire davantage et sois faible et sois tendre,
Mêle avec art les fleurs qui parent tes cheveux,
Et sache t’incliner au balcon pour attendre.
Ce qu’il est de plus grave en un monde futile,
C’est d’être belle et c’est de plaire aux yeux surpris,
D’être la cime pure, et l’oasis, et l’île,
Et la vague musique au langage incompris.
Qu’un changeant univers se transforme en ta face,
Que ta robe s’allie à la couleur du jour,
Et choisis tes parfums avec un art sagace,
Puisqu’un léger parfum sait attirer l’amour.
Immobile au milieu des jours, sois attentive
Comme si tu suivais les méandres d’un chant,
Allonge ta paresses à l’ombre d’une rive,
Etre sous les cyprès à l’ombre du couchant.
Sois lointaine, sois la Présence des ruines
Dans les palais détruits où frissonne l’hiver,
Dans les temples croulants aux ombres sibyllines,
Et souffre de la mort du soleil et de la mort.
Page 409
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 409/664
Comme une dont on hait la race et qu’on exile,
Sois faible et parle bas, et marche avec lenteur.
Expire chaque soir avec le jour fébrile,
Agonise d’un bruit et meurs d’une senteur.
Etant ainsi ce que mon rêve t’aurait faite,
Reçois de mon amour un hommage fervent,
O toi qui sais combien le ciel est décevant
Aux curiosités fébriles du poète!
Et je retrouverai dans ton unique voix,
Dans le rayonnement de ton visage unique,
Toute l’ancienne pompe et l’ancienne musique
Et le tragique amour des reines d’autrefois.
Tes beaux cheveux seront mon royal diadème,
Mes sirènes d’hier chanteront dans ta voix.
Tu seras tout ce que j’adorais autrefois,
Toi seule incarneras l’amour divers que j’aime.
La Lune s’est noyée
Page 410
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 410/664
Seule, je sais la mort de Madonna la Lune,
De la Lune aux cheveux si blonds et si légers,
Aux yeux furtifs et dont les voiles ouvragés
Glissaient avec un si doux frisson dans la brume…
Hier soir, quand j’errais au loin, je l’aperçus.
Je l’aperçus penchée et pleurant, sous l’yeuse,
Ainsi qu’une fantasque et plaintive amoureuse
Se lamentant des chers baisers trop tôt déçus.
Comme pour un festin, elle s’était parée,
Elle s’était parée avec ses colliers d’or.
Un hibou, s’élevant dans un craintif essor,
La frôla doucement de son aile égarée.
La Lune s’inclina. Telle aux soirs de jadis,
Aux longs soirs de jadis tremblants sur l’eau dormante
Elle mirait son front capricieux d’amante…
Et soudain j’entendis un froissement d’iris.
Page 411
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 411/664
J’écartai les roseaux frémissants et tenaces,
Tenaces à l’égal de frêles bras liés.
La Lune reposait, avec ses beaux colliers.
Au loin se répandait un thrène de voix basses.
La Lune diffusait une faible splendeur,
Une splendeur mourante, au fond des herbes glauques.
Et voici que, soudain, ayant tu ses chants rauques,
Un crapaud se posa froidement sur son cœur.
Je vais pleurant la mort de la Lune, ma Dame,
De ma Dame qui gît au fond des nénuphars.
Il n’est plus de clarté dans ses cheveux épars,
Et ses yeux ont perdu l’azur vert de leur flamme.
Quel lit recueillera mon frileux désespoir,
Mon désespoir d’amant fidèle et de poète ?
O vous tous que le bruit de mes pleurs inquiète,
La Lune s’est noyée au fond de l’étang noir !
Page 412
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 412/664
Elle demeure en son palais
LElle demeure en son palais, près du Bosphore,
Où la lune s’étend comme en un lit nacré…
Sa bouche est interdite et son corps est sacré,
Et nul être, sauf moi, n’osa l’étreindre encore.
Des nègres cauteleux la servent à genoux…
Humbles, ils ont pourtant des regards de menace
Fugitifs à l’égal d’un éclair roux qui passe…
Leur sourire est très blanc et leurs gestes sont doux…
Ils sont ainsi mauvais parce qu’ils sont eunuques
Et que celles que j’aime a des yeux sans pareils,
Pleins d’abîmes, de mers, de déserts, de soleil,
Qui font vibrer d’amour les moelles et les nuques.
Leur colère est le cri haineux de la douleur…
Page 413
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 413/664
Et moi, je les excuse en la sentant si belle,
Si loin d’eux à jamais, si près de moi… Pour elle,
Elle les voit souffrir en mordant une fleur.
J’entre dans le palais baigné par l’eau charmante,
Où l’ombre est calme, où le silence est infini,
Où, sur les tapis frais plus qu’un herbage uni,
Glissent avec lenteur les pas de mon amante.
Ma sultane aux yeux noirs m’attends, comme autrefois.
Des jasmins enlaceurs voilent les jalousies…
J’admire, en l’admirant, ses parures choisies,
Et mon âme s’accroche aux bagues de ses doigts.
Nos caresses ont de cruels enthousiasmes
Et des effrois et des rires de désespoir…
Plus tard une douceur tombe, semblable au soir,
Et ce sont des baisers de sœur, après les spasmes.
Elle redresse un pli de sa robe, en riant…
Et j’évoque son corps mûri par la lumière
Page 414
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 414/664
Auprès du mien, dans quelque inégal cimetière,
Sous l’ombre sans terreur des cyprès d’orient.
La Flûte qui s’est tue
MJe m’écoute, avec des frissons ardents,
Moi, le petit faune au regard farouche.
L’âme des forêts vit entre mes dents
Et le dieu du rythme habite ma bouche.
Dans ce bois, loin des aegipans rôdeurs,
Mon cœur est plus doux qu’une rose ouverte ;
Les rayons, chargés d’heureuses odeurs,
Dansent au son frais de la flûte verte.
Mêlez vos cheveux et joignez vos bras
Tandis qu’à vos pieds le bélier s’ébroue,
Page 415
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 415/664
Nymphes des halliers ! Ne m’approchez pas !
Allez rire ailleurs pendant que je joue !
Car j’ai la pudeur de mon art sacré,
Et, pour honorer la Muse hautaine,
Je chercherai l’ombre et je cacherai
Mes pipeaux vibrants dans le creux d’un chêne.
Je jouerai, parmi l’ombre et les parfums,
Tout le long du jour, en attendant l’heure
Des chœurs turbulents et des jeux communs
Et des seins offerts que la brise effleure…
Mais je tais mon chant pieux et loyal
Lorsque le festin d’exalte et flamboie.
Seul le vent du soir apprendra mon mal,
Et les arbres seuls connaîtront ma joie.
Je défends ainsi mes instants meilleurs.
Vous qui m’épiez de vos yeux de chèvres,
O mes compagnons ! allez rire ailleurs
Page 416
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 416/664
Pendant que le chant fleurit sur mes lèvres !
Sinon, je suis faune après tout, si beau
Que soit mon hymne, et bouc qui se rebiffe,
Je me vengerai d’un coup de sabot
Et d’un coup de corne et d’un coup de griffe !
Caravanes
C’est le soir. On entend passer les caravanes.
Rythmiques, les chameaux allongent leurs pas lourds.
La clochette à leur cou jette des refrains sourds.
Smyrne dort, du sommeil repu des courtisanes.
Dans un jardin créé par les mains de la nuit
De fabuleux jasmins déroulent leurs lianes,
Et mes rêves s’en vont, comme des caravanes,
Page 417
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 417/664
Vers l’inconnu charmant où l’amour les conduit.
Mes rêves, défilant en lentes caravanes,
Mes grands rêves chargés du poids de tant d’espoirs,
S’en vont, au bruit lointain des cloches, dans les soirs,
Vers la maîtresse brune aux voiles diaphanes.
Orientalement immuable, elle attend
Sans rêve et sans désir, comme font les sultanes,
Et peut-être, entendant passer mes caravanes,
Ses yeux les suivront-ils dans leur marche, un instant.
Des palmiers surchargés de dattes, de bananes,
M’attendent en l’espace aux rares tamaris.
J’y connaîtrai l’espoir déçu de l’oasis
Que cherche vainement la soif des caravanes.
Mais je sais que là-bas, loin des ferveurs profanes,
Beauté captive aux longs loisirs pleins de regret,
Ma Sultane repose en ce palais sacré
Où mes rêves s’en vont, comme des caravanes.
Page 418
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 418/664
Les Etres de la Nuit
L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne
Et je célèbre ici la fête de l’automne.
Au-dessus de ma porte, avec un regret doux
Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux
Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne
Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…
Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais
Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais..
Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne
L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,
L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur
De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…
Page 419
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 419/664
Seule dans mon jardin fané je me couronne
De feuillages et de violettes d’automne…
Fête d’Automne
L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne
Et je célèbre ici la fête de l’automne.
Au-dessus de ma porte, avec un regret doux
Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux
Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne
Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…
Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais
Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais...
Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne
L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,
L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur
Page 420
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 420/664
De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…
Seule dans mon jardin fané je me couronne
De feuillages et de violettes d’automne…
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Sillages,
1908
Invocation
Page 421
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 421/664
Malédiction sur un Jardin
Sonnet pour la Lune
Amata
Vêtue
Dans un Verger
J’ai jeté mes Fleurs…
Elle passa
Regard en arrière
Devant l'été
Dans un Chemin de Violettes
A une Ombre aimée
En jetant l'Ancre
Hymne à la Lenteur
Réconciliées
Chair des Choses
Glas
Pour l’une, en songeant à l’autre
Enseignement
Petit Poème érotique
Elle règne
Union
Devant le couchant
Pareilles
Ami le Vent
Pendant qu’elle dormait
Page 422
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 422/664
Revenue
Profession de Foi
Mon Cœur est lourd
La Maison du Passé
Allons dans le soir
Sur le rythme saphique
Entre dans mon Royaume
Thrène
Nuptiale
Conte de Fée
Quelques Sonnets imitant les Sonnets de Shakespeare
A mon Amie H.L.C.B.
Invocation
Dans l’Hadès souterrain où la nuit est parfaite
Te souviens-tu de l’île odorante, ô Psappha ?
Du verger où l’élan des lyres triompha,
Et des pommiers fleuris où la brise s’arrête ?
Page 423
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 423/664
Toi qui fus à la fois l’amoureuse et l’amant,
Te souviens-tu d’Atthis, parmi les ombres pâles,
De ses refus et de ses rires, de ses râles,
De son corps étendu, virginal et dormant ?
Te souviens-tu des hauts trépieds et de leurs flammes ?
De la voix d’Eranna, s’élevant vers la nuit,
Pour l’hymne plus léger qu’une aile qui s’enfuit,
Mais que ne perdra point la mémoire des femmes ?
Ouvre ta bouche ardente et musicale… Dis !
Te souviens-tu de ta maison de Mytilène,
Des cris mélodieux, des baisers dont fut pleine
Cette demeure où tu parus et resplendis ?
Revois la mer, et ces côtes asiatiques
Si proches dans le beau violet du couchant,
Que, toi, tu contemplais, en méditant un chant
Sans faute, mais tiré des barbares musiques !
Le Léthé peut-il faire oublier ces vergers
Qui dorment à l’abri des coups et des vents maussades,
Et leurs pommes, et leurs figues, et leurs grenades,
Et le doux tremblement des oliviers légers ?
Page 424
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 424/664
Peut-il faire oublier le pas lassé des chèvres
Vers l’étable, et l’odeur des vignes de l’été ?
Dors-tu tranquillement là-bas, en vérité,
Toi dont le nom divin est toujours sur nos lèvres ?
Toi qui fus la prêtresse et l’égale des Dieux,
Toi que vint écouter l’Aphrodite elle-même,
Dis-nous que ton regard est demeuré suprême,
Que le sommeil n’a pu s’emparer de tes yeux !
Parmi les flots pesants et les ombres dormantes,
Toi qui servis l’Eros cruel, l’Eros vainqueur,
L’Eros au feu subtil qui fait battre le cœur,
As-tu donc oublié le baiser des amantes ?
Les vierges de nos jours égalent en douceur
Celles-là que tes chants rendirent éternelles,
Les vignes de Lesbos sont toujours aussi belles,
La mer n’a point changé son murmure berceur.
Ah ! rejette en riants tes couronnes fanées !
Et, si jamais l’amour te fut amer et doux,
Ecoute maintenant et reviens parmi nous
Qui t’aimons à travers l’espace et les années !
Page 425
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 425/664
Malédiction sur un Jardin
Fane-toi, beau jardin dont j’aimais les odeurs,
Où s’attardaient, plaintifs et las, les vents rôdeurs.
Que périssent demain tes miels et tes odeurs !
Et que d’infâmes vers rongent le cœur des roses !
Que penchent les pavots et les pivoines closes !
O jardin, que le soir fasse mourir tes roses !
Vienne le vent mauvais qui tuera ces jasmins
Qu’elle cueillit hier, en passant, de ses mains
Qui restaient pâles dans la pâleur des jasmins !
Voici que monte et que s’accroît le flot des herbes
Furieuses autant que les vagues acerbes…
Que monte la marée invincible des herbes !
Et que ce flot tenace étrangle les grands lys
Pareils à sa blancheur et qu’elle aimait jadis !
Que soit anéanti le dernier de ces lys !
Que le passant dénonce et détruise ces ronces,
Page 426
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 426/664
Dont l’accueil est pareil aux plus rudes semonces,
En maudissant le mal infligé par ces ronces !
Jardin, pourquoi serais-tu beau, jeune et charmant,
Toi qui ne reçois plus mes pas fiévreux d’amant
Et qui n’abrites plus son jeune corps charmant ?
Je t’abandonne aux yeux futurs, je te délaisse !
Puisque tu ne plais plus à la belle maîtresse
Qui t’aimait, à mon tour, jardin, je te délaisse…
Beau jardin où nos pas ne s’égareront plus,
Reçois des étrangers les longs soins superflus !
Fane-toi, beau jardin ! Elle ne m’aime plus.
Sonnet pour la Lune
Protectrice de ce qui s’efface et qui fuit,
Souveraine des bois, des sommets et des rives,
Toi qui prêtes un songe illusoire aux captives
Que le malheur inné de leur race poursuit,
Toi dont le regard froid et mystique traduit
Page 427
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 427/664
Le pâle amour de nos âmes contemplatives,
Toi qui fais miroiter l’argent vert des olives,
Toi qui daignes sourire aux filles de la nuit,
Toi qui règnes sur les grenouilles, sur les lièvres,
Sur les eaux, les marais où sommeillent les fièvres,
Les fleuves et les mers que tu sais engourdir,
Lève-toi ! Je t’épie à l’ombre d’une berge !…
Mon cœur n’a plus que le vide de son désir,
Et j’aime vainement l’étoile la plus vierge !
Amata
« Je ne veux que le sourire de ta bouche… »
Dis, que veux-tu de moi qui t’aime, ô mon souci
Et comment retenir ton caprice de femme ?
Prends mes anneaux… Prends mes colliers… Et prends aussi
Ce que j’ai de plus rare et de plus beau : mon âme.
Si mon très grand désir t’importune, ce soir
Je me refuserai la douceur de ta couche
Page 428
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 428/664
Et je dissimulerai mon fiévreux désespoir,
Car je ne veux que le sourire de ta bouche.
Ton vouloir est mon vœu, mon désir est ma loi,
Et si quelque étrangère apparaît plus aimable
A tes regards changeants, prends-la, réjouis-toi !
Moi-même dresserai le lit doux et la table…
O toi que je verrai dans les yeux de la mort !
Que ne peux-tu me demander, à moi qui t’aime ?
Je mets entre tes doigts insouciants mon sort,
O toi, douceur finale, ô toi, douleur suprême !
Vêtue
I
Ta robe participe à ton être enchanté,
O ma très chère !… Elle est un peu de ta beauté.
La respirer, c’est ton odeur que l’on dérobe.
Ton cœur intime vit dans les plis de ta robe,
Page 429
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 429/664
L’odeur de nos baisers anciens est dans ses plis…
Elle se ressouvient de nos divins oublis.
En mon être secret je suis presque jalouse
De l’étoffe qui suit ton corps et qui l’épouse.
J’ose te l’avouer, en un soir hasardeux
Où l’on s’exprime enfin… Nous t’aimons toutes deux.
D’avoir été si près de ta douceur suprême,
Ta robe est ma rivale, et cependant je l’aime…
II
Tu n’aimes déjà plus ta robe de jadis,
Soyeuse et longue ainsi qu’un irréel iris.
Mais moi je l’aime et je la veux et je la garde.
Pour moi, le passé reste et l’autrefois s’attarde.
J’adore ces chers plis du voile transparent
Qui n’enveloppe plus ton corps indifférent.
Page 430
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 430/664
Garde-moi, parfumée ainsi qu’une momie,
Ta robe des beaux jours passés, ô mon amie !
Dans un Verger
PERSONNAGES
PSAPPHA -- ERANNA -- L’ETRANGERE -- ATTHIS -- DIKA -- DAMOPHYLA
CHOEUR DES VIERGES
GURINNO -- GORGO -- EUNEIKA -- MEGARA -- ANAGORA -- TELESIPPA
Un verger de Mytilène, vers la fin d’un après-midi d’été.
Les vignes, chargées de grappes, se déroulent jusqu’à la mer. Le soleilbrûle.
Au lever du rideau, Eranna tire quelques sons du paktis, mais ses mainsretombent. Epuisée par la chaleur, elle parle d’une voix faible.
SCENE PREMIERE
Page 431
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 431/664
Eranna, reposant le paktis contre un tronc d’olivier.
O vierges, le soleil est à son apogée.
Maître implacable, il règne et pèse sur l’Egée.
Je suis lasse et ne sais plus tirer du paktis
L’ode à l’Aphrodita ni l’hymne à l’Adonis.
Atthis, s’éventant avec effort
Tu nous brûles, soleil !
Dika
O soleil, tu nous brûles !
Damophyla
Vers le soir tombera la paix des crépuscules,
Il le faut espérer enfin, car nous souffrons
De ce pesant soleil abattu sur nos fronts.
Euneika
Voici que monte, ainsi qu’un éclat de cymbales,
Infatigablement le long cri des cigales.
Page 432
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 432/664
Gurinno
Grandement fatigués par l’été desséchant,
Les bergers sur la route ont suspendu leur chant.
Eranna
Puisque le dur soleil est le maître des choses,
Se tournant vers Dika
Tissons, Dika, les brins de fenouil et les roses,
Toi qui seule entre nous sais parer les autels…
Atthis
L’Aphrodita sourit aux fleurs que tu lui donnes
Et tes guirlandes sont chères aux Immortels.
Eranna
De tes très tendres mains tresse-leur des couronnes,
Dans ce verger, si doux à l’abri du soleil,
Où des feuillages tombe et coule le sommeil.
Page 433
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 433/664
Au loin se répandait un thrène de voix basses.
SCENE II
Une voyageuse, les vêtements couverts de poussière entre, timide,hésitante et regardant autour d’elle.
Atthis
Une étrangère approche à pas lents.
Eranna
Elle est belle.
Dika
Ses yeux ont le regard jeune et fier des vainqueurs.
Damophyla
La nouvelle venue est digne de nos chœurs…
Page 434
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 434/664
Atthis
Elle s’approche, lente et lasse.
Eranna
Allons vers elle.
Se levant et s’approchant de l’étrangère
Toi qui viens à travers les vignes de l’été,
Réjouis-toi de ta jeunesse et ta beauté !
Et que, reconnaissant le rythme aux strictes lois,
Le sarbitos docile obéisse à tes doigts
Imprégnés de fenouil, de roses et de menthe.
Avec un intérêt croissant
Tes voiles sont de pourpre et tes parfums sont doux.
Vierge pareille aux fleurs, que cherches-tu de nous ?
L’étrangère
Page 435
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 435/664
Je porte le salut de ma ville natale
A Psappha de Lesbos, illustre par ses chants.
Eranna
Salut ! Ici le cri strident de la cigale
S’adoucit, plus lointain, sous les rameaux penchants,
Et le repos est doux sur une couche molle.
Nos chœurs alterneront le chant et la parole
Pour te plaire et la brise est plus aimable ici.
Dika, apportant à la voyageuse une amphore et une coupe
Il n’est rien de plus doux que l’eau fraîche. Voici
L’eau de la source pure au flanc de la montagne.
Gurinno
Je t’apporte un rayon de miel, ô ma compagne !
Plus frais que le nectar et plus doré que l’or.
Damophyla
Console ta fatigue, allonge ta paresse
Dans ce verger où de beaux chants ont pris l’essor
Page 436
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 436/664
Plus rapides que les oiseaux de la Déesse.
Mégara
Veux-tu, pour rafraîchir ton front las, un coussin
D’un travail de Lydie aux couleurs délicates ?
Dika
Et veux-tu des iris plus beaux sur un beau sein ?
Télésippa
Voici du mélilot.
Euneika
Voici des aromates.
Voici des fruits dorés ;
Eranna, détachant le paktis d’un geste solennel
Et voici le paktis
Qui célèbre l’hymen et pleure l’Adonis.
On le suspend devant l’autel aux jours de fête.
Page 437
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 437/664
Plus doux que le sommeil, plus fort que la tempête,
Lui seul calme le front de l’Eros irrité.
Il se répand sur la montagne et sur la berge
Et fait frémir de joie et d’orgueil la cité.
Le voici… Chante-nous avec son aide, ô vierge !
Les hymnes rituels de ton pays lointain
Qui pleurent une mort ou comblent un festin.
L’étrangère
Plus tard je chanterai pour vous plaire, ô très belles !…
Je suis lasse d’avoir erré… Mais grâce aux Dieux
Je me repose enfin parmi vos chœurs heureux.
Une pause
Parlez-moi de Psappha, mes compagnes nouvelles ;
Dites-moi ce que sont ses cheveux et ses yeux,
Afin qu’en vieillissant je bénisse les Dieux
D’avoir cueilli la fleur de ses grâces… J’écoute,
Tel un pâtre lassé par l’ardeur de la route
Se réjouit du bruit des feuilles et de l’eau.
Avec une curiosité brûlante
Page 438
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 438/664
Elle est ardente et jeune et son visage est beau ?
Dika
Ses cheveux sont plus noirs encore que l’aile ombreuse
De la nuit noire.
Atthis
Et son langage est lent et doux,
Car elle parle ainsi qu’une triste amoureuse.
Gurinno, interrompant
Tout ce qui l’environne est lumineux et doux,
Les étoiles, autour de la lune divine,
Voilent leur clair visage alors qu’elle illumine
La terre… Ainsi paraît celle-là parmi nous.
Son front est couronné de graves violettes.
Gorgo
Elle prête sa voix aux Déesses muettes.
Dika
Page 439
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 439/664
Je dirai ses yeux bleus, comparables à l’eau.
Mégara
Moi je comparerai très bien à l’arbrisseau
Jeune et souple son corps virginal…
Eranna
A quoi puis-je
Comparer cette voix très glorieuse, orgueil
De Piéria dont le doux Lesbos est le seuil,
Et qui charme le cœur de ceux qu’Eros afflige ?
Beaucoup plus mélodieuse que ce paktis
Qu’Hermès tira de la tortue au temps jadis,
Et que le messager du printemps, immortelle
Comme eux-mêmes, elle a chanté devant les Dieux.
La persuasion s’étonne devant elle…
Après une légère pause
Page 440
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 440/664
Et que dirai-je encor de la voix éternelle ?
Divine et s’élevant à la hauteur des cieux,
Dédaignant la louange ou le blâme des hommes,
Elle résonne, et nous, les chants jeunes, nous sommes,
Selon sa volonté, tourmentés ou joyeux.
Parfois elle caresse, et parfois se courrouce,
Et parfois se lamente, au hasard du mélos.
Elle est incomparable…
L’étrangère, se tournant vers Eranna
O vierge à la voix douce,
Quel est ton nom ?
Eranna
Je suis Eranna de Télos.
L’étrangère
O toi dans ses beaux chœurs l’unique et la première !
« Désormais une vierge aussi sage que toi,
Dit-elle, en aucun cas ne verra la lumière… »
Et ces mots très lointains sont venus jusqu’à moi…
Page 441
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 441/664
Se rapprochant d’Eranna
Vierge, demeure ainsi, debout et face à face,
Dévoilant la douceur qui sourit dans tes yeux.
Chère à Psappha, chère à Lesbos et chère aux Dieux,
Fleuris dans ta splendeur, ô gloire de ta race !
Eranna
Les mots que tu me dis sont bienveillants et doux…
Avec une humilité altière
Le désir de Psappha me rendit glorieuse.
Quelqu’un, dans l’avenir, se souviendra de nous,
Je le crois…
L’Etrangère
Réjouis ton cher cœur d’orgueilleuse !
Car ton nom sera grand dans l’avenir lointain,
Puisque tu t’es mêlée aux chœurs blonds des Piérides.
Tu joignis au laurier le fenouil et le thym
Et doux est ton labeur, ô vierge aux yeux limpides !
Ce très noble labeur, noblement accompli !
Page 442
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 442/664
Le sort des chants obscurs entassés dans l’oubli
N’est pas le tien. Salut !
Eranna
Si je suis éternelle,
Si mon laurier naissant grandit et triompha,
C’est qu’il fleurit à l’ombre illustre de Psappha
Et mon éternité splendide me vient d’elle.
Mais, vous toutes sur qui tomba son beau regard,
Dites à l’étrangère, ô belles ! votre part
Dans la gloire de la Poétesse divine
Et vos beaux noms.
Euneika
Je vins jadis de Salamine
Et je suis Euneika.
Gorgo
Moi, Gorgo.
Dika
Page 443
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 443/664
Moi, Dika.
Atthis
Je suis la bienheureuse Atthis qu’elle invoqua
Lorsque la douce lune illuminait la terre.
Se tournant vers l’Etrangère
Te souvient-il, toi que l’amour d’elle conduit
Vers nous ? Elle chantait : « Il est plus de minuit,
O belle ! l’heure passe et je dors solitaire… »
Eranna
Très désirable Atthis, vierge à la douce voix
Qu’Apollon attentif a lui-même écoutée !
Redis avec orgueil que Psappha t’a chantée
Alors qu’elle t’aimait aux longs jours d’autrefois.
Gurinno, pâle encor de ta vaine tendresse,
Et Gorgo, qui la rassasias pleinement,
Toi dont elle vanta le savoir et l’adresse,
Louez les Dieux de ce qu’elle fut votre amant !
Dites que ses beaux chants vous firent éternelles,
Que celle qui chanta votre aimable pâleur,
Page 444
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 444/664
Votre forme pareille aux lys d’or, ô très belles !
Ayant conne le lit d’azur des Immortelles
Le quitta pour l’amour de vos bouches en leur,
Qu’elle chanta ses chants pareils à la colère
Du vent sur la montagne en l’espoir de vous plaire.
Se tournant vers Damophyla
Damophyla, dis à celle qui vient vers nous
Apportant le salut de sa ville avec elle,
Que ton chant, composé sur le divin modèle,
Honora l’Artémis aux traits cruels et doux,
Et que tu célébras ses flèches sur les berges,
L’ombre de ses forêts, le beau chœur de ses vierges,
Toi-même étant promise à la virginité.
Damophyla, se tournant vers l’Etrangère
Salut !
L’étrangère
Réjouis-toi jusqu’à l’éternité,
O gracieuse, et que ton doux nom soit chanté !
Que ta gloire traverse, à la nage, l’espace
Page 445
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 445/664
Du Fleuve, traversant le vaste flot des morts !
Car toujours tu gardas le souci des accords,
Des choses nobles et belles, et de ta race.
Se tournant vers le chœur
Vierges, grâce à l’Eros et grâce aux beaux travaux
Que fit pour vous Psappha, vous êtes glorieuses.
Eranna
Voyez, ô chœur sacré des belles amoureuses !
Le soir descend sur les oliviers et les eaux.
L’étrangère
Salut au soir, dont la lumière d’hyacinthe
Ne blesse point les yeux !…
Eranna
Vers la montagne éteinte
S’entoure d’ombre ainsi que d’un long voile noir.
Damophyla
Page 446
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 446/664
C’est l’heure où les troupeaux retournent vers l’étable
Et les bergers vers le foyer et vers la table.
Mégara
L’enfant lasse revient vers la mère.
L’étrangère
O doux soir,
Tendre soir, fils de Zeus !
Eranna
O soir, ô vénérable !
Toi qui fais oublier le dur labeur du jour,
Ramène-nous vers le festin et vers l’amour
Et rallume la torche et prépare la table !
Gurinno
Voici que se prépare enfin la belle nuit,
Entre des bras très blancs qu’elle nous soit doublée !
Page 447
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 447/664
Eranna, se tournant vers l’autel de l’Aphrodita
J’invoque la Déesse en mon âme troublée,
Celle qui triomphe à l’approche de la nuit,
Celle qui sait tisser les trames de la ruse !
Damophyla
Qu’elle amène vers moi la belle qui me fuit,
Que je veux attirer, qui raille et qui refuse
Mes présents… Qu’elle vienne encore maintenant
Vers mon constant amour ! Que je sois délivrée
De mes cruels soucis !
Atthis
Qu’elle me soit livrée
Cœur et corps, celle qui me traite injustement,
Celle qui me trahit et me dompte, qui brise
Mon âme même par la détresse et méprise
Ma beauté pour un être inférieur et vil !
Eranna
Reçois, fille de Zeus, Déesse au cœur subtil,
Page 448
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 448/664
Répandu sur ton cher autel, ce lait de chèvres,
Et ce miel, et ce vin qui ressemble au nectar.
Si jamais ton doux nom a fleuri sur nos lèvres,
Viens parmi nous, ayant attelé ton beau char !
On entend au dehors une lamentation orientale, terrible et prolongée
C’est la voix de Psappha, qui pleure et lamente…
Se tournant vers l’autel
Déesse, souviens-toi de Psappha
Gorgo
Sois clémente !
La terrible lamentation se prolonge
Eranna
O vierges, déchirez vos tuniques de lin.
Page 449
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 449/664
Car Psappha meurt… L’Eros a fondu sur son âme.
Atthis
Comparable au tonnerre est le courroux divin.
Eranna
Comparable à l’éclair est sa terrible flamme.
Atthis
L’amour parle à travers un songe.
Gurinno
L’amour ment.
Gorgo, sans l’entendre
L’amour n’est pas heureux.
Dika
L’amour n’est pas clément.
Page 450
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 450/664
Eranna
Prends pitié de nos cœurs tourmentés, ô Déesse !
Lesbos est le plus beau d’entre les beaux autels
Et Psappha t’a louée en des chants éternels.
Kupris, ne courbe point son front sous la détresse !
SCENE III
Psappha entre. Elle est voilée de voiles noirs très épais.
Psappha
L’Eros a brisé mon âme, comme un vent
Des montagnes tord et brise les grands chênes.
Eranna
Ton cœur n’a point pitié des maux que tu déchaînes !
Eros, être fatal, amer et décevant !
Le Chœur
Page 451
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 451/664
Eros, suprême Eros !
Eranna
De vos lèvres amères,
Amantes, célébrez le tisseur de chimères !
Je maudis ta douceur, Eros cruel et beau !
Le chœur
Eros !
Eranna
Soudain un feu subtil court sur ma peau,
Je voudrais te louer, mais ma langue est brisée.
Le Chœur
Eros !
Eranna
Un tremblement m’agite toute…
Page 452
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 452/664
Le Chœur
Eros !
Psappha sort lentement
L’étrangère
Elle s’en va vers toi qui guéris et consoles,
Pâle Perséphona !
Eranna
Je n’ai plus de paroles.
L’ombre de la douleur s’empare de mes yeux.
Hadès est fort, et vous êtes jaloux, ô Dieux !
Damophyla
Vierges, n’invoquons plus l’irritable Déesse
Qui se plaît à dompter nos cœurs par la détresse.
Elle est différente, aveugle, ingrate…
Page 453
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 453/664
Eranna, se relevant
O toi
Qui railles la pitié, la justice et la foi,
Aphrodita changeante, implacable Immortelle
Tu jaillis de la mer, périlleuse comme elle.
La vague sous tes pas se brisait en sanglots.
Amère, tu surgis des profondeurs amères,
Apportant dans tes mains l’angoisse et les chimères,
Ondoyante et perfide, en tout semblable aux flots.
Sur ces dernières paroles, une messagère entre, essoufflée, très pâle
La messagère
O vierges, elle expire à l’ombre de Leucade !
Réunissez vos chœurs… O lamentation
Sur Psappha, sur Lesbos, sur nous et sur Leucade !
Chantant avec fureur son invocation,
Et sanglotant ainsi que rit une Ménade,
Elle atteignit la roche et se précipita.
Le Chœur
Page 454
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 454/664
O lamentation !
Quelques-unes, très bas
Eros !
D’autres, plus bas encore
Aphrodita !
Elles se prosternent, le front dans la poussière
Damophyla
Psappha la délicate a subi la colère
Des Dieux qui, souriants, poursuivent leur dessein.
Déchirez vos péplos et frappez votre sein,
O vierges !
Eranna
Elle expire et que pouvons-nous faire ?
Coupez vos beaux cheveux en leur force…
Page 455
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 455/664
Le Chœur
O Psappha !
Damophyla
O toi dont le laurier grandit et triompha
Parmi nous, se peut-il que tu meures, Psappha !
O toi que nous aimions, ô l’illustre, ô Psappha !
L’étrangère
Se levant soudain au milieu du chœur prosterné
Vierges, souvenez-vous, en vos âmes confuses !
La commune douleur sur le commun trépas
Respecte la maison des serviteurs des Muses,
Cette auguste maison où le deuil n’entre pas.
Ne pleurez plus ! Ceignez vos jeunes fronts de roses,
De celles-là qui sont heureusement écloses,
Et la douleur n’ayant point fait baisser vos yeux,
Chantez comme l’on chante en la maison des Dieux !
Les vierges, obéissant à l’ordre, ceignent leurs fronts de roses
Page 456
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 456/664
tressées,de laurier et de thym et ressaisissent leurs paktis. Le rideautombe.
J’ai jeté mes Fleurs…
C’est en vain que, pour moi, ma raison s’évertue,
Car je n’aime que ce qui me raille et me tue…
Et ma grande douleur terrible, la voici :
Partout je redirai : Je ne suis pas d’ici.
Je n’ai rien calculé, je suis née ivre et folle.
Au hasard, j’ai semé mon âme et ma parole.
J’ai donné mes baisers et mes fleurs et mes lais,
Et je n’ai point compris que je me dépouillais…
J’aime le vent qui fait les pires catastrophes,
L’encens mortel, les soirs fiévreux, le vin des strophes.
Si je ne puis mourir d’une très douce mort
Page 457
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 457/664
Où je m’exhalerais sans cris et sans effort,
Que retombe sur moi l’effroi d’un beau désastre,
L’écroulement d’un temple ou la chute d’un astre !
Et que je disparaisse au regard des humains,
Ayant jeté mes fleurs au hasard des chemins.
Que, si la Destinée est à ce point clémente,
La nuit m’ensevelisse et le vent me lamente !
Et dans ce long repos qu’aucun mot ne traduit,
Que je dorme parmi les choses de la nuit.
Elle passa
J’étais pareille à la voyageuse recrue,
Lasse enfin des courants et des vents et du sort
Et qui n’aspire plus qu’au bon sommeil du port…
Miraculeusement vous m’êtes apparue…
Page 458
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 458/664
Et vous ressembliez à tout ce qui m’est cher,
Aux jardins de juillet dans leur douceur croissante,
Aux parfums respirés au détour d’une sente,
Aux lys graves, aux clairs de lune sur la mer.
Semblable à celles-là qu’une langueur accable,
Sachant que vous étiez mon fragile avenir,
Je vous regardais vivre et briller et fleurir.
O lys parfait, ô clair de lune irréprochable !
J’oubliai que je viens d’errer sur des chemins
Trop rudes… Malgré moi je me suis arrêtée…
Et cependant, ô belle à la voix enchantée !
Je pleure de sentir mon cœur entre vos mains.
Regard en arrière
J’admirais autrefois les splendides vainqueurs
Vers qui monte la flamme extatique des cœurs.
Mais je n’aime aujourd’hui que les vaincues très calmes
Dont le sang fier ternit la verdure des palmes.
Page 459
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 459/664
Moi qui compte à pas lents le chemin du retour,
J’aimais hier la gloire évidente du jour.
Mais je sers aujourd’hui la nuit, ma souveraine,
Qui seule inspire une âme orgueilleuse et sereine.
Parmi le peuple, hier encor je contemplais
D’un regard ébahi le fronton des palais.
Je n’aime maintenant que les grandes ruines
Où tardent, en pleurant, les présences divines.
Je me tais, je m’enfuis et d’un geste lassé
Je drape sur mon cœur la pourpre du passé.
Qu’un hasard guide enfin mon désespoir tranquille
Vers l’eau d’une oasis ou les berges d’une île,
Où je puisse dormir, mon voyage accompli,
Dans la sécurité profonde de l’oubli.
Page 460
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 460/664
Devant l’été
Voici l’été… Les jours sont trop longs, mon amie,
L’ombre tarde… On attend l’heure du grand repos,
Des lys plus odorants, de la cloche endormie,
De la grande fraîcheur des feuilles et des eaux.
Je m’attriste de la clarté qui se prolonge.
Mon cœur est l’ennemi des midis éclatants,
Et malgré que les jours soient beaux comme un beau songe,
Cette heure qui me plaît, je l’attends trop longtemps.
Je le sais, le beau jour dore ta chevelure
Large et blonde et qui se réjouit du soleil,
Mais je préfère à tout cette tristesse pure
Et cet ennui final qui mènent au sommeil.
J’adore ton visage et je préfère l’ombre
Mystérieuse où je ne puis que l’entrevoir…
Je préfère à ton clair regard ton regard sombre.
Belle, tu m’apparais plus belle vers le soir.
Dans l’espoir de cette heure où tout désir s’émousse,
Page 461
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 461/664
Oublions la splendeur dure des jours trop longs.
Dans le désir et le regret de la nuit douce
Par ces longs soirs d’été trop lumineux, allons...
Moi, je me baignerai dans cette ombre illusoire
De tes cheveux et de tes seins et de tes bras
En songeant à la paix, la douceur et la gloire
D’un beau soir violet qui ne s’achève pas.
Dans un Chemin de Violettes
Dans l’air la merveilleuse odeur de violettes,
Nos doigts entrelacés et nos lèvres muettes.
Les rosiers roux ont la couleur de tes cheveux
Et nos cœur sont pareils… Je veux ce que tu veux.
Tout le jardin autour de nous, ma bien-aimée,
Et la brise embaumant ta face parfumée.
Nulle n’a la splendeur de tes cheveux flottants
Page 462
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 462/664
Ni le charme de ton sourire, ô mon printemps !
De tout mon cœur avide et chantant je te loue.
Nulle n’a le contour précieux de ta joue,
Nulle n’a ce regard incertain qui me plaît,
Mêlé de gris aigu, de vert, de violet.
Dans l’énorme univers nulle ne te ressemble,
C’est pourquoi près de toi mon désir brûle et tremble.
Je le sais, ton regard n’a pas de loyauté
Et ta bouche a menti… Que j’aime ta beauté !
Règne sur moi toujours, préférée et suprême…
Que tes plus petits pas sont charmants… Que je t’aime !
A une Ombre aimée
L’espoir de vivre ailleurs des jours clairs m’abandonne
Et je célèbre ici la fête de l’automne.
Page 463
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 463/664
Au-dessus de ma porte, avec un regret doux
Et chantant, je suspends les guirlandes d’or roux
Qu’une femme au regard que nulle mort n’étonne
Vint tresser, en pleurant sur la mort de l’automne…
Ma maîtresse d’hier, nous ne fûmes jamais
Un couple harmonieux… Autrefois, je t’aimais..
Je goûte en ce baiser que ta bouche me donne
L’odeur de l’herbe humide et des feuilles d’automne,
L’odeur lourde des lourds raisins, et cette odeur
De pavots morts que jette au loin le vent rôdeur…
Seule dans mon jardin fané je me couronne
De feuillages et de violettes d’automne…
En jetant l'Ancre
Page 464
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 464/664
I
Sur le Mode majeur
Je sens croître l’ennui des livres vieux et sages,
Donnez-moi, donnez-moi des mâts et de codages !
Je ris en jetant l’ancre ! Au hasard du vent fou,
Du flot capricieux, j’irai je ne sais où.
Mon corps est moins pesant et mon âme s’allège,
Car je ne reviendrai jamais… Où donc irai-je ?
Puisqu’on y voit des ciels et des aspects nouveaux,
Tous les pays que l’on ne connaît pas sont beaux.
Les paysages sont changeants comme les nues.
Qui dira le splendeur des terres inconnues ?
Je me souviens qu’au fond des soirs longs et songeurs
Je lisais les très beaux récits des voyageurs.
Ils avaient vu là-bas tant d’admirables choses !
Leurs morts s’illuminaient, rouges apothéoses.
Page 465
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 465/664
Je les envie. Et je m’abandonne, comme eux,
Aux perfides courants des fleuves hasardeux.
Qu’on détache l’amarre et qu’on hisse les voiles
Dès que s’allumeront les premières étoiles !
Le ciel est doux, l’heure est favorable. A mon tour,
J’irai vers ces pays de terreur et d’amour.
Et je dis mes adieux aux choses familières,
Aux doux prés, aux maisons, à leurs bonnes lumières.
Je m’en vais sans pleurer, pour ne plus revenir.
Mais j’emporte avec moi le latent souvenir.
Dans le fond ténébreux et dormant de mon âme
S’élève, chaque nuit, un visage de femme.
II
Sur le Mode mineur
J’ai vu trop d’océans. J’ai trop vu de pays.
Le regard s’éteint presque en mes yeux éblouis.
Page 466
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 466/664
Sachant que la bonté du sort m’est enfin due,
Je retournerai vers celle que j’ai perdue.
Toute autre forme n’est qu’un remous de la mer,
Et je ne me souviens de rien qui me fut cher.
Ces autres ont passé sur mon chemin, mais elle !
De mon âme elle a fait sa maison éternelle.
Nul bonheur de là-bas ne m’a fait oublier
Qu’entre ses frêles bras elle a su me lier.
*
**
Unique, elle demeure en mon âme éternelle.
C’est pourquoi, malgré moi, je retourne près d’elle.
Je la verrai toujours ainsi que je la vis,
Avec les mêmes yeux ignorants et ravis.
A travers les hasards des courants et de l’heure
Et des vents et des ciels, elle existe et demeure…
Page 467
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 467/664
Hymne à la Lenteur
Parmi les thyms chauffés et leur bonne senteur
Et le bourdonnement d’abeilles inquiètes,
J’élève en autel d’or à la bonne Lenteur
Amie et protectrice auguste des poètes.
Elle enseigne l’oubli des heures et des jours
Et donne, avec le doux mépris de ce qui presse,
Le sens oriental de ces belles amours
Dont le songe parfait naquit dans la paresse.
Daigne nous inspirer le distique touchant
Qui réveille en pleurant la mémoire dormante,
O Lenteur ! toi qui rends plus suave un beau chant
Mélancolique et noble et digne de l’amante !
Inspire les amours, toi qui sais apaiser,
Retenir plus longtemps et rendre plus vivace
Et plus suave encore un suave baiser,
Page 468
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 468/664
Et révèles la gloire entière de la face.
Nous ployons devant toi nos dociles genoux,
La contemplation nous étant chère encore…
Puisque nous t’honorons, demeure parmi nous,
Toi que nous adorons, ô Lenteur que j’adore !
Réconciliées
Mon éternel amour, te voici revenue.
Voici contre ma chair, ta chair brûlante et nue.
Et je t’aime, et j’ai tout pardonné, tout compris ;
Tu m’as enfin rendu ce que tu m’avais pris.
Je puis enfin dormir, dans l’ombre de ta couche,
Puisque j’ai reconquis ton regard et ta bouche.
J’oublie en tes doux bras qu’il fut des jours haïs,
Que tu m’abandonnas et que tu me trahis.
Page 469
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 469/664
Qu’importe si jadis le caprice des heures
Sut t’entraîner vers des amours inférieures ?
Qu’importe un être vil ? Son nom soit effacé !…
Je ne me souviens plus de ce mauvais passé.
Je ne m souviens plus que de ta face pâle
Lorsque tu fis le don suprême, dans un râle…
Et voici, comme hier, ton corps entre mes bras…
Ordonne, je ferai tout ce que tu voudras.
Comment ne point bannir toute ancienne querelle
Et ne point pardonner, en te voyant si belle ?
Comment ne pas t’étreindre et ne pas abolir
Le souci, l’amertume et le long souvenir,
Et n’aimer point la nuit qui voit nos chairs liées,
Et mourantes d’amour et réconciliées ?…
Page 470
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 470/664
Chair des Choses
Je possède, en mes doigts subtils, le sens du monde,
Car le toucher pénètre ainsi que fait la voix.
L’harmonie et le songe et la douleur profonde
Frémissent longuement sur le bout de mes doigts.
Je comprends mieux, en les frôlant, les choses belles,
Je partage leur vie intense en les touchant.
C’est alors que je sais ce qu’elles ont en elles
De noble, de très doux et de pareil au chant.
Car mes doigts ont connu la chair des poteries,
La chair lisse du marbre aux féminins contours
Que la main qui les sait modeler a meurtris
Et celle de la perle et celle du velours.
Ils ont connu la vie intime des fourrures,
Toison chaude et superbe où l’on plonge les mains,
Et l’odorant secret des belles chevelures
Où la brise du soir effeuilla des jasmins.
Semblables à ceux-là qui viennent des voyages,
Mes doigts ont parcouru d’infinis horizons,
Ils ont éclairé, mieux que mes yeux, des visages
Page 471
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 471/664
Et m’ont prophétisé d’obscures trahisons.
Ils ont connu la peau subtile de la femme,
Et ses frissons cruels et ses parfums sournois…
Chair des choses ! j’ai cru parfois étreindre une âme
Avec le frôlement prolongé de mes doigts…
Glas
Dans la pourpre et dans l’or d’un silence hautain,
J’entends sonner ici l’heure de mon destin.
Sa lamentation traverse la lumière,
Elle sonne en pleurant, exacte et régulière.
Avec la voix des sorts qui ne pardonnent pas,
Elle annonce, elle dit et redit : Tu mourras.
O routes sans raisins et sans roses suivies !
Page 472
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 472/664
O décombres brumeux du palais de nos vies !
Moi, j’ai vécu les yeux aveuglément ouverts
Dans l’incompréhensible et terribles univers.
J’ai porté la douleur des autres et la mienne,
J’ai revêtu le deuil et chanté l’antienne,
Je fus humiliée à la face des cieux,
J’ai vu m’abandonner ce que j’aimais le mieux,
Et j’ai vu m’échapper l’amour comme la gloire.
Tout s’accomplit enfin… Sonne, ô mon heure noire !
Sonne, dans un ciel gris et dans un vent mauvais,
Et proclame d’en haut que j’ai trouvé la paix.
Pour l’une, en songeant à l’autre
Je vous admire et je vous sais indiscutable
Autant qu’une statue en face de la mer.
Page 473
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 473/664
Vos regards ont ce bleu périlleux qui m’est cher,
Vos cheveux d’or brûlé sont plus doux que le sable
Vous éclatez ainsi qu’un hymne triomphal.
L’eurythmie elle-même a décidé vos poses.
J’aime, pour vos cheveux, ces rubis et ces roses
Rouges, pour votre corps ce lourd manteau ducal.
Maintes et maintes fois, relisant votre face,
Je vous admire, ainsi qu’un poème éternel.
Vous êtes évidente à la façon du ciel,
Gloire de votre terre et fleur de votre race.
Oui, vous êtes pareille, avec la cruauté
De vos regards d’azur, de vos hanches profondes,
A celle qui posa ses pieds nus sur les ondes,
Et je célèbre en vous l’implacable beauté.
Vous êtes despotique, invincible, éternelle,
Et vous caprices ont l’autorité du vent.
Jamais nul ne dira trop haut ni trop souvent :
Elle est belle ! Car vous êtes belle, très belle.
Je vous sais belle ainsi. Pourquoi faut-il alors,
O parfaite ! qu’auprès de vous je me souvienne
Page 474
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 474/664
D’un visage blêmi comme une image ancienne,
Et de pâles cheveux sans rayons et sans ors ?
Pourquoi faut-il que ce chant d’éloges alterne
Avec un long sanglot sur le mode mineur,
Qui célèbre sans fin – ainsi le veut mon cœur –
Les yeux moins lumineux, la chevelure terne ?
Mes jours auprès de vous sont plus clairs et meilleurs.
Vous n’avez jamais eu le geste qui repousse,
Et vous êtes plus belle et vous êtes plus douce…
Pourquoi faut-il qu’on aime ailleurs ? Toujours ailleurs ?
Enseignement
Tu veux savoir de moi le secret des sorcières ?
J’allumerai pour toi leurs nocturnes lumières,
Et je t’apprendrai l’art très simple des sorcières.
Les sorcières ne sont vivantes que la nuit.
Elles dorment pendant le jour. Leur regard fuit.
Page 475
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 475/664
N’étant habitué qu’à l’ombre de la nuit.
Les sorcières ont des âmes calmes et noires,
Les astres leur sont moins étranges que les foires.
Le feu des mondes luit en leurs prunelles noires.
On les craint, on les chasse, on ne les aime pas.
Elles ont fui l’auberge et le commun repas.
Elles n’ont point compris, on ne les comprend pas.
Cependant elles sont très simples… On doit naître…
Pour les comprendre, il faut quelque peu les connaître
Et savoir qu’elles ont le droit d’être et de naître…
Chacun parle très haut du bien et du mal.
L’on sait que c’est un tort grave d’être anormal,
Leur cœur inoffensif n’a point conçu le mal.
Mais ces femmes sont les maudites étrangères.
Car dans un monde épais leurs âmes sont légères,
Et ses lois leurs seront à jamais étrangères.
Elles touchent à peine, - et si peu ! le sol franc.
Elles n’aiment que le tout noir ou le tout blanc
Ou la nuance dont le reflet n’est pas franc.
Page 476
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 476/664
Par leurs regards, par leurs sourires équivoques,
La pourpre sombre et l’or terne des vieilles loques
Revêtent, sur leur corps, des splendeurs équivoques.
Elles savent cacher au dur regard du jour
Leur cœur, leur haine triste et leur si triste amour,
Leur âme indifférente à la beauté du jour.
Peu leur importe si, plus tard, enfin vaincues
Par les pouvoirs du jour, leurs musiques vécues
S’éteignent, ainsi qu’un faible appel des vaincues…
Peu leur importe, - tout leur est indifférent
Car l’univers n’est qu’un luth docile qui rend,
Selon la main, un doux sanglot indifférent.
Elles vivent dans un songe las, solitaires
Comme la lune, ayant choisi, parmi les terres,
Celles où meurent le mieux les âmes solitaires.
Page 477
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 477/664
Petit Poème érotique
Et je regrette et je cherche Psappha
Et je regrette et je cherche ton doux baiser.
Quelle femme saurait me plaire et m’apaiser ?
Laquelle apporterait les voluptés anciennes
Sur des lèvres sans fard et pareilles aux tiennes ?
Je le sais, tu mentais, ton rire sonnait creux
Mais ton baiser fut lent, étroit et savoureux,
Il s’attardait, et ce baiser atteignait l’âme,
Car tu fus à la fois le serpent et la femme.
Mais souviens-toi de la façon dont je t’aimais…
Moi, ne suis-je plus rien dans ta chair ? Si jamais
Tu sanglotas mon nom dans l’instant sans défense,
Souviens-toi de ce cri suivi d’un grand silence.
Je ne sais plus aimer les beaux chants ni les lys
Et ma maison ressemble aux grands nécropolis.
Moi qui voudrais chanter, je demeure muette.
Je désire et je cherche et surtout je regrette…
Page 478
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 478/664
Elle règne
SONNET
Le soir était plus doux que l’ombre d’une fleur.
J’entrai dans l’ombre ainsi qu’en un parfait asile.
La Voix, récompensant mon attente docile,
Me chuchota : «Vois le palais de la Douleur.»
Mes yeux las s’enchantaient du violet, couleur
Unique, car le noir dominait. Immobile,
La Douleur demeurait assise, très tranquille.
J’admirais l’unité de sa grande pâleur.
Mon cœur se resserrait dans un étau funeste,
Et j’allai m’éloigner, lorsqu’elle me dit : Reste,
Aussitôt j’entendis prolonger une sanglot.
Dans la salle du trône, un clair de lune blême
Envahissait la nuit, comme un rocher le flot,
Page 479
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 479/664
Et la Douleur régnait, implacable et suprême.
Union
Notre cœur est semblable en notre sein de femme,
Très chère ! Notre corps est pareillement fait.
Un même destin lourd a pesé sur notre âme,
Nous nous aimons et nous sommes l’hymne parfait.
Je traduis ton sourire et l’ombre sur ta face.
Ma douceur est égale à ta grande douceur,
Parfois même il nous semble être de même race…
J’aime en toi mon enfant, mon amie et ma sœur.
Comme toi j’aime l’eau solitaire, la brise,
Les lointains, le silence et le beau violet…
Par la force de mon amour, je t’ai comprise :
Je sais exactement quelle chose te plaît.
Voici, je ne suis plus que tienne, je suis toi-même.
Tu n’as point de tourment qui ne soit mon souci…
Page 480
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 480/664
Et que pourrais-tu donc aimer que je n’aime ?
Et que penserais-tu que je ne pense aussi ?
Notre amour participe aux choses infinies,
Absolu comme sont la mort et la beauté…
Voici, nos cœurs sont joints et nos mains sont unies
Fermement dans l’espace et dans l’éternité.
Devant le couchant
Je subis la langueur du jour déjà pâli…
Je suis très lasse, et je ne veux plus que l’oubli.
Si l’on parle de moi, l’on mentira sans doute.
Et mes pieds ont été déchirés par la route.
Certes, on doit trouver plus loin des cieux meilleurs,
Des visages plus doux… Je veux aller ailleurs…
Page 481
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 481/664
Je vous l’ai dit, je suis affaiblie et très lasse…
Tel, le dernier rayon du soir dernier s’efface…
Ma douleur m’apparaît très lourde et très légère
Oubliez-moi qui suis une âme passagère.
Je suis venue ici, je ne sais pas pourquoi,
Et j’ai vu des passants se détourner de moi.
Sans vous comprendre et sans que vous m’ayez comprise,
J’ai passé parmi vous, noire dans l’ombre grise.
Sans hâte et sans effroi, je rentre dans la nuit…
Avec tout ce qui glisse, avec tout ce qui fuit,
Je pars comme on retourne, allégée et ravie
De pardonner enfin à l’amour et la vie.
Pareilles
Page 482
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 482/664
Le regard clair et la voix limpide, j’entame
Un hymne triomphal à ma Divinité,
A l’Amour parfois doux et souvent irrité,
Car, en ce jour, je me réjouis d’être femme !
Et loué soit le sort en ses obscurs desseins
De ceci : que nos cœurs sont pareils, ma maîtresse !
Car nous aimons la grâce et la délicatesse,
Et ma possession ne meurtrit pas tes seins…
Malgré la véhémence agressive et farouche
De tout désir, et sa latente cruauté
Qui m’attire vers les replis de la beauté,
Ma bouche ne saurait mordre âprement ta bouche.
Je crois n’avoir jamais pu te blesser, ainsi
T’aimant, ni dans ton cœur ni même en mes pensées,
Moi qui n’ai su rythmer les strophes cadencées
Que pour te plaire, ô mon cher et cruel souci !
Page 483
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 483/664
Mon Ami le Vent…
Mon vieil ami le vent, entre dans ma demeure
Et joins ta voix à ma voix lamentable et pleure…
Pleurons le jour, pleurons le soir, pleurons la nuit.
Pleurons avec la voix des femmes malheureuses
Sur la jeunesse morte et sur l’amour qui fuit
Malgré les bras tendu des tristes amoureuses.
Pleurons les jougs mauvais qui pèsent sur les fronts
Et sur tous et sur tout, ô mon ami, pleurons !
Pleurons sur le sort mauvais des âtres et des choses.
Plaignons les yeux que nul rayon d’or ne ravit,
Les vieux livres brûlés, la lente mort des roses…
O vent, mon ami cher, plaignons tout ce qui vit !
Qu’on s’éloigne de la grand’salle où l’ombre flotte,
Et que nul ne m’entende, alors que je sanglote
Ainsi que fait le vent, dans les coins endormis.
Et le chêne s’écroule au loin, la vitre tremble…
Page 484
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 484/664
Nous nous aimons et nous sommes de vieux amis
Car nous pleurons ensemble.
Pendant qu’elle dormait
Vous avez entr’ouvert vos lèvres cette nuit
Et j’ai cru que c’était pour des paroles basses,
Mais vous avez laissé retomber vos mains lasses…
Vous avez soupiré, c’était à peine un bruit.
Moi je vous regardais, je regardais cet ambre
Rouge et or profond que sont vous doux cheveux…
Je tenais dans mes mains le plus cher de mes vœux,
L’Amour lui-même était présent dans notre chambre.
Je ne m’endormirais plus pour voir votre sommeil
Semblable au rocher calme où le vent dur s’émousse…
Dans l’émerveillement d’une nuit aussi douce,
J’ai cru que jamais ne renaîtrait le soleil.
Jamais parlé, mais vous vous êtes retournée,
Page 485
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 485/664
Car le sommeil s’était emparé de vos yeux,
Vous dormiez, bienheureuse à la façon des Dieux,
Et vous ne m’aimiez plus… j’étais abandonnée…
Revenue
Voici, je t’ai reprise et je t’ai reconquise…
J’attendais ici, pour le fêter, ton retour…
Que tu parais exquise, en ce fauteuil assise !
Je t’aime mieux qu’au jour premier de notre amour.
Tu n’as pas su comprendre et j’ai paru moins tendre.
Ce fut l’éloignement de moi, de ton amant !
Je suis lasse d’attendre et je viens te reprendre,
Et c’est l’enivrement de l’unique moment.
Irréelle et suprême à l’égal d’un poème,
La splendeur du revoir a dépassé l’espoir…
Et te voici toi-même, ô la femme que j’aime !
Et tu reviens t’asseoir près de moi dans le soir…
Page 486
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 486/664
Profession de Foi
J’aime l’avril et l’eau, l’arc-en-ciel et la lune,
J’aime tout ce qui change et qui trompe et qui fuit.
Mon rire est inconstant autant que la fortune,
Et je mens, car je suis la fille de la nuit.
Et la nuit reconnaît en moi sa fille tendre.
Elle me fait venir dans les bois endormis
Et me donne l’ouïe exquise pour entendre,
Comme en un songe aigu, les pas des ennemis.
La nuit me fut toujours magnifique et clémente,
J’appris d’elle les noirs chemins où l’on peut fuir,
Elle amortit le bruit de mes pas sur la menthe
Où l’ombre est douce autant qu’un léger souvenir.
J’obtins d’elle le doux mépris de ce qui presse,
Le regard détourné, la sainte horreur du bruit…
Page 487
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 487/664
Etant comblée ainsi, j’adore ma Déesse
Inconnaissable et noire et parfaite, la Nuit.
Mon Cœur est lourd
Mon cœur est lourd, mon cœur est lourd dans ma poitrine.
Le soir tombe… Que l’on m’enterre avec mon cœur.
L’amour me fut celui qui dompte et qui domine,
Il parut dans ma vie en ennemi vainqueur.
Moi, j’attendais de lui la concorde divine,
L’hymne parfait chanté par les astres en chœur.
O mon palais détruit et mon temple en ruine !…
Femmes, je n’ai pas su triompher de mon cœur.
Car toujours, en vivant, un destin nous domine,
Et mon destin, ce fut ce dur amour vainqueur.
Page 488
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 488/664
Voici pourquoi mon cœur est lourd dans ma poitrine…
Que l’on m’enterre avec tout le poids de mon cœur…
La Maison du Passé
I
Sur le Mode majeur
Toi qui m’as oubliée aujourd’hui, qui fus mienne
Cependant, viens dans la maison aérienne
Du songe et du passé.
Il y demeure un soir doux au regard lassé.
Les chambres aux plafonds creusés comme les dômes
S’y peuplent de fantômes.
J’y retrouve là-bas des livres oubliés
Page 489
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 489/664
Les sachets odorants encore et les colliers,
Les choses familières.
Je ne sais quoi de triste obscurcit les lumières
Pourtant… Et dans l’air traîne en funèbre parfum,
Car on attend quelqu’un.
Reviens dans la maison du passé, mon amie !
Cette chambre, qui fut si longtemps endormie,
S’éveillera pour toi.
Et l’on n’y reconnaît que ton ordre, ta loi
Que nul ne contredit et que nul ne transgresse,
Mon maître et ma maîtresse !
Reconnais ton odeur d’ambre mêlé d’iris.
Toute chose dans la demeure de jadis
Porte la chère empreinte…
Le foyer s’est éteint, la lampe s’est éteinte
Dans la chambre sans fleurs où je t’ouvre les bras,
Toi qui ne viendra pas !
II
Page 490
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 490/664
Sur le Mode mineur
Miraculeusement, te voici revenue,
En cherchant, à travers la bleuâtre avenue,
La maison du passé.
Entre dans la maison chère au désir lassé
Et vois, sous les plafonds creusés comme des dômes,
Son peuple de fantômes.
Rentre dans la maison qui t’accueille, où j’attends…
Rien n’est changé, sauf les tons d’or moins éclatants
Et les roses fanées.
Et me voici, pareille à travers les années
Pour t’accueillir, en ce dur instant de retour
Avec le même amour.
Page 491
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 491/664
Allons dans le soir
Le soir ranime un peu le parfum de ces fleurs.
Si vous voulez bien, admirons-les ensemble.
Mon cœur est affranchi de ses vieilles douleurs
Et ma sérénité ne veille, ni ne tremble.
Il est tant de beauté sur la terre. Voyez,
Elle est belle, comme en sa naissance première.
Voici que, sous nos pas, des astres dévoyés
Jettent, superbement, leurs éclats de lumière.
Voici descendre enfin sur nous la belle nuit
Si douce à qui se meurt, à qui se désespère,
Où notre âme, fluide ainsi qu’une eau, s’enfuit
Sans ancres et sans mâts et sans points de repère.
Pour ceux qui sont lassés de l’azur et du jour,
Le soir est un asile, un sanctuaire, un temple.
… Pourquoi me parlez-vous d’amour, toujours d’amour ?
Page 492
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 492/664
Je suis tranquille et suis assise et je contemple.
Sur le rythme saphique
Pour moi ce qu’on désire
Je l’ai méprisé.
Sappho
Pour moi, ni l’amour triomphant, ni la gloire,
Ni le souffle vain d’hommages superflus.
Mais la paix d’un coin dans une maison noire
Où l’on n’aime plus.
Je sais qu’ici-bas jamais rien ne fut juste,
Je fus patiente en attendant la mort.
J’ai tu ma douleur, et quoiqu’il fût injuste
J’ai subi mon sort.
Page 493
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 493/664
Pour moi, ni l’accueil bienveillant ni les fêtes,
Mais l’apaisement d’un très profond soupir,
Le silence noir qui succède au défaites
Et le souvenir.
Entre dans mon Royaume
Entre dans mon royaume, envahis mon empire.
La grande salle a des colonnes de porphyre…
Nous y célébrerons les lumineux festins
Et nous réjouirons avec les morts hautains
Et les mortes charmantes.
Les princesses et les reines et les amantes,
Paradant et riant comme en leurs plus beaux jours,
Revêtiront pour nous leurs glorieux atours.
Regarde, les voici, très grandes, très sereines,
Celles qui furent Reines.
Le long cortège des sibylles et des rois
Se déroule, portant la pourpre d’autrefois.
Page 494
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 494/664
N’as-tu point reconnu, fantômes sous la lune,
Rosemonde très blonde, Anne Boleyn très brune
Et Bess aux cheveux roux ?
Vois, devant ton regard orgueilleusement doux,
Passer, chantant, pleurant ou riant, toutes celles
Qui régnèrent, que l’on aima, qui furent belles.
Les fontaines ont des flammes parmi leurs jets
Pour charmer tes sujets.
Un grand prêtre ceindra ton front de la couronne.
Devant cette assemblée illustre, entends : j’ordonne
Qu’ici tout, désormais, te demeure soumis,
Que tes vœux soient mes vœux, mes amis tes amis,
O volonté royale !
Franchis le seuil de cette ancienne cathédrale
Que j’ai bâtie avec mes songes dans le soir.
On a paré la nef pour mieux te recevoir.
Entre nous, sous le plafond semblable au creux d’un dôme,
Reine dans mon royaume.
Page 495
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 495/664
Thrène
A.
Femmes, pour revêtir ce corps dans le tombeau
Avez-vous su tisser un linceul assez beau ?
B.
Avec un soin pieux nous l’avons embaumée,
Cette morte qui fut pour nous la sœur aimée.
A.
Joignez les mains, priez pour l’âme qui s’enfuit,
Et s’éloigne, très triste et seule, dans la nuit…
B.
Nous pleurons sur la mort de celle qui fut belle
Et pour qui nous tramons ce linceul de dentelle…
A.
Prouvez-lui votre amour et votre loyauté
En servant dans la mort sa dernière beauté !
Page 496
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 496/664
B.
Tissons pour cette morte adorable et chérie
Un voile comparable au voile de Marie…
A.
Disposez avec art ses cheveux sur son front,
Sachant qu’à votre tour d’autres vous pareront.
B.
Nous cueillons, en pleurant, les tristes asphodèles…
Dieu bienfaisant, donnez à cette âme des ailes !
Nuptiale
Elle viendra tantôt, cette femme que j’aime !
Son voile aux plis flottants a de nobles ampleurs…
Vous qui savez chanter, chantez un beau poème…
Et parsemez de fleurs et de fleurs et de fleurs
Le chemin lumineux de la femme que j’aime.
Elle viendra vers moi, très blanche dans le soir,
Page 497
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 497/664
Cette femme que j’aime entre toutes les femmes !
Elle a le don de se vêtir et se mouvoir
Et de marcher sans brui ainsi que font les âmes..
Combien son pas léger est charmant dans le soir !
Qui dira la beauté de Celle qui s’approche
Et m’apporte son cœur entre ses tendres mains ?
Son visage est parfait, son corps est sans reproche,
Son regard ne craint pas l’ombre des lendemains.
Elle sait que je l’aime, elle vient et s’approche…
Vierges qui l’attendez, éteignez les flambeaux,
Disposez autour d’elle ainsi qu’une parure
L’ombre douce qui rend les visages plus beaux,
Le regard plus profond et la ligne plus pure…
Je l’entends… Elle vient… Eteignez les flambeaux.
Conte de Fée
Une princesse attend, dans un cachot sans jour.
Elle expie on ne sait quel criminel amour.
Page 498
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 498/664
On sait uniquement qu’elle est prédestinée.
Elle est belle… Elle est jeune… Elle est l’infortunée.
Cependant le malheur n’a point courbé son front.
La nuit se fait… Bientôt les bourreaux entreront.
Elle n’écoute pas alors que le glas pleure,
Elle sait pourtant qu’ils entreront tout à l’heure.
Elle se voilera des ses profonds cheveux.
Et les bourreaux diront simplement : Je le veux.
Mais elle, détournant ses regards et sa bouche,
Demeurera sous leurs baisers, calme et farouche.
L’amour et les tourments la briseront en vain.
Elle mourra, dans la hauteur de son dédain.
Elle fut la puissante et très adorée
Et nul ne pleurera sur sa tombe ignorée.
On l’ensevelira dans la nuit. En tremblant,
Une femme mettra sur son cœur un lys blanc.
Page 499
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 499/664
Quelques Sonnets imitant les Sonnets de Shakespeare
I
Sonnet irrégulier
No, Time, thou shalt not boast that I do change.
Shakespeare, sonnet CXXIII
O temps ! ô conquérant ! te voici vaincu, toi
L’invincible, toi qui gardes un front tranquille !
Tu te vantes que tout change. Certes. Mais moi
Pourtant, dans l’univers mouvant, reste immobile.
Fais en vain écrouler sous mon regard tranquille
Tes beaux temples bâtis selon l’exacte loi
Et montre, dans un soir de flammes et d’effroi,
Ton cortège de roi détrônés qui défile !
Page 500
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 500/664
O temps mauvais, redis en vain les serments faux,
Erige vainement les pompeux échafauds
Des tout-puissants d’hier ! Car mon âme demeure.
Donc, je célèbre ici mon éternel amour.
J’ai dominé l’espace et la durée et l’heure,
O temps vaincu ! Je l’aime autant qu’au premier jour.
II
Sonnet irrégulier
Or on my frailties why are frailer spies ?
Shakespeare, Sonnet CXXI
Il vaut mieux être vil que d’être estimé vil.
Quels sont ces espion de ma pauvre nature
Dont je suis à la fois la dupe et la pâture
Et dont l’arrêt prescrit l’irrévocable exil ?
Quels sont ces espions en effet ? Que faut-il
Page 501
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 501/664
Faire pour contenter ceux-là ? Quelle pâture
Leur jeter ? Quels sont-ils ? Et de quelle nature,
Ceux-là qui m’ont jugé, disant que je suis vil ?
Pour moi je ne connais ni leurs noms ni leurs faces,
Mais je les sais petits et trompeurs et voraces
Et n’ayant que l’amour des gloires et du bien.
Moi qui vis au milieu des hommes et des femmes
Pourtant, et ne devrais plus m’ébahir de rien,
Je demeure étonné devant ces pauvres âmes.
III
Sonnet
Ne m’accuse jamais de mensonge, ô ma Douce !
Je ne t’ai pas menti. Je ne te mens jamais.
Je ne fus point toujours irréprochable, mais
Ce blâme immérité de toi, je le repousse.
Certes, je crains ta voix lorsqu’elle se courrouce,
Je crains mortellement cette voix que j’aimais,
Page 502
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 502/664
La voix à qui je dois obéir désormais,
Et, lorsqu’elle a dicté, mon courage s’émousse.
Mais, sous ton regard clair qui pénètre mes reins,
Plutôt que de mentir, ô l’être que je crains !
Lorsqu’il fallait parler, je me suis abstenue.
Je dis la vérité, comme au temps du trépas ;
Et devant ton regard voici mon âme nue,
Devant ce regard clair qui ne pardonne pas.
IV
Sonnet irrégulier
To me, fair friend yon never can be old.
Shakespeare, sonnet CIV
Tu ne vieilliras point à mes yeux, ô très belle !
Jamais tu ne perdras ce rythme de ton corps
Parfait et ressemblant aux plus nobles accords,
Et tu demeureras dans mes yeux, éternelle.
Page 503
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 503/664
En ce temps si lointain de ta beauté décrue,
Je te verrai toujours comme aux temps de jadis,
Virginalement blonde et longue autant qu’un lys,
Telle qu’au soir lointain où tu m’es apparue.
Toi que j’aime, ne crains donc plus le temps futur,
Ni le front moins laiteux, ni le regard moins pur,
Ni, dans le sablier, le glissement des sables.
Malgré l’aspect futur que tu revêtiras
Et les rides, et les rides inévitables !
Dans mes fidèles yeux tu ne vieilliras pas…
V
Pendant qu’Elle chantait en s’accompagnant
Sonnet précieux
How oft, when thou, my music, music sweetly play’st…
Shakespeare, sonnet CXXVIII
Page 504
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 504/664
Sous tes doigts lents et doux naît la lente musique
Et mon cœur est pareil aux cordes sous tes doigts.
Soumis, il accompagne et commente ta voix
Et comme eux il subit le servage rythmique.
En esclave, je sers le vouloir despotique
De tes accents réglés selon les justes lois,
Et je pleure, à ton gré, les baisers d’autrefois,
A ton gré, je gémis et supplie et réplique.
Instrument dont l’écho se prolonge et ravit,
O bois mort, plus heureux que la bouche qui vit,
Toi le confident cher des soucis et des fièvres !
Obéis comme moi, le serviteur, l’amant.
Pourquoi préfères-tu ces cordes à mes lèvres,
Puisque aussi bien tu les fais vivre infiniment ?
VI
Sonnet
Page 505
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 505/664
O, for my sake do you with Fortune chide,
The guilty goddess of my harmful deeds.
Shakespeare, sonnet CXI
Ah ! ne me blâme plus, mais blâme mon destin
De tout ce que je fis de laid et de coupable !
Car lui seul enfonça mes pieds nus dans le sable
Où je m’abîme, avec un appel au lointain.
Ne me blâme donc plus de ce regard hautain
Qui pèse ma pensée et me juge et m’accable !
On a menti… Je suis le jouet de la fable,
Et l’on raille en parlant de moi dans un festin.
Ton regard clair me trouble et me décontenance…
Oui, je le sais, j’eus tort en mainte circonstance,
Et, très pieusement, je rougis devant toi.
Mais partout la douleur m’a traquée et suivie.
Ne me blâme donc plus ! Plutôt, console-moi
D’avoir si mal vécu ma lamentable vie.
Page 506
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 506/664
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Pour ma soeur,
1909
Invocation
Je te dédie avec mes pleurs ce lourd poème
O ma petite sœur, ô sœurette que j’aime !
Je te le donne avec les larmes de ce cœur
Qui fut mien, et qu’emplit maintenant la rancœur…
Page 507
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 507/664
Je te le donne, avec les larmes de mon âme
Avec le souvenir de mon cœur d’enfant, femme…
Toi seule en l’autrefois fus ce que plus j’aimais…
Et c’est pourquoi mon cœur t’appartient à jamais !
Moi qui gardais en moi la solitude amère,
Lorsqu’on parlait de toi, c’est pour ton bien…
Si je détourne ainsi de toi ma face blême
Si je m’éloigne ainsi de toi, c’est que je t’aime.
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
DANS UN COIN DE VIOLETTES,
Page 508
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 508/664
1910
Sous la Protection des Violettes
Amour
Inspiration
Les Sept Lys de Marie
Mon Paradis
Ressouvenir
Invocation à la Lune
La Promesse des Fées
Présence
Résurrection
Oiseaux dans la Nuit
Notre Heure
Etonnement devant le jour
La Lune consolatrice
Absence
A l’Ennemie aimée
Terreur du mensonge
Sanctuaire d’Asie
L’Aile brisée
Mains sur un Front de Malade
Page 509
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 509/664
Pour mon Cœur
Pour le Lys
Emerveillement
Amour méprisable
Amour, toi le Larron…
Veillée heureuse
Prière aux Violettes
Sous la Protection des Violettes
Je place sous la protection des violettes
Mes adorations très humblement muettes…
O vous les violettes !
Vous qui savez, par la puissance du parfum,
Evoquer telle voix, et tel long regard brun…
Puissance du parfum !
Exaucez le grand cri de celle qui vous aime
Page 510
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 510/664
Et sachez parfumer ma vie et mon poème
Sachant que je vous aime.
Je suis lasse des lys, je suis lasse des roses,
De leur haute splendeur, de leurs fraîcheurs écloses,
De toute la beauté de grands lys et des roses.
Votre odeur s’exaspère en l’ombre et dans le soir,
Violettes, ô fleurs douces au désespoir,
Violettes du soir !
Amour
Mirage de la mer sous la lune, ô l’Amour !
Toi qui déçois, toi qui parais pour disparaître
Et pour mentir et pour mourir et pour renaître,
Toi qui crains le regard juste et sage du jour !
Toi qu’on nourrit de songe et de mélancolie,
Page 511
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 511/664
Inexplicable autant que le souffle du vent
Et toujours inégal, injuste trop souvent,
Je te crains à l’égal de ta sœur la folie !
Je te crains, je te hais et pourtant tu m’attires
Puisque aussi le fatal est proche du divin.
Voici qu’il m’est donnée de te connaître enfin,
Et je mourrais pour l’un de tes moindres sourires !
Inspiration
L’esprit souffle… Et le vent emporte les paroles
Qui vacillent ainsi que les musiques folles.
Inexplicable autant que l’amour et la foi,
O l’Inspiration ! reviens bientôt vers moi !
Reviens comme le vent qui chante et se lamente,
Reviens comme une haleine implacable ou démente !
Page 512
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 512/664
Reviens comme le vent qui m’inspira l’amour,
Et je t’accueillerai, dans l’instant du retour,
Avec l’emportement et l’angoisse démente
Qu’inspire le retour d’une infidèle amante !
Les Sept Lys de Marie
Le Sept Lys ont fleuri devant l’antique porche.
Chacun d’entre eux est plus long et plus droit qu’une torche,
Leurs pistils sont pareils à des flammes de torche.
Les Sept Lys ont fleuri miraculeusement
Dans le silence auguste et dans l’ombre, au moment
Où s’élève le Christ, miraculeusement…
Sous l’imposition des mains saintes du prêtre
Dans l’ombre et dans l’encens on les vit apparaître…
Page 513
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 513/664
Le peuple vit alors sourire le vieux prêtre…
Et tous les contemplaient avec des yeux d’amour.
Le prêtre dit, portant ses regards à l’entour :
« Mes frères, contemplons les fleurs du Saint-Amour ! »
Leur parfum s’exhalait vers la Divine Image.
Tous ont compris le sens du glorieux Message
Sur l’autel où Marie écoute le Message
Et les Lys répandaient une paix autour d’eux
Et l’Hostie avait moins de rayonnement qu’eux,
La transparente Hostie était moins blanche qu’eux…
Apparaissez encore, ô Sept Lys de Marie,
Au moment où la foule à genoux pleure et prie !
Apparaissez encore en l’honneur de Marie !
Mon Paradis
Page 514
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 514/664
Mon Paradis est un doux pré de violettes
Où le chant régnera sur des âmes muettes.
Mon ciel est un beau chant parmi les violettes.
Mon Ciel est la très calme éternité du soir
Où le regard se fait plus profond pour mieux voir
Et c’est l’Eternité dans le ciel d’un beau soir…
Mon Paradis est une éternelle musique.
Qui s’exhale divine allégresse rythmique…
Mon Paradis est le règne de la musique…
Car ce sera, là-haut, le triomphe du chant,
Le règne de la paix dans le Ciel du couchant,
Où rien ne survit plus que l’amour et le chant.
Ressouvenir
Page 515
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 515/664
O passé des chants doux ! ô l’autrefois des fleurs !…
Je chante ici le chant des anciennes douleurs.
Je le chante, sans pleurs et sans haine à voix basse,
Comme on se bercerait d’une musique lasse…
Profond, irrépressible, autant que le soupir,
S’échappe de mon cœur le mauvais souvenir…
Je vois s’abandonner mon âme lente et lasse
Au charme des bruits doux, de la lumière basse.
Que vont envelopper les anciennes douleurs ?…
O l’autrefois des chants ! ô le passé des fleurs !
Invocation à la Lune
O Lune chasseresse aux flèches très légères,
Viens détruire d’un trait mes amours mensongères !
Page 516
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 516/664
Viens détruire les faux baisers, les faux espoirs,
Toi dont les traits ont su percer les troupeaux noirs !
Toi qui fus autrefois l’Amie et la Maîtresse,
Incline-toi vers moi, dans ma grande détresse !…
Dis-moi que nul regard n’est divinement beau
Pour qui sait contempler le grand regard de l’eau i...
O Lune, toi qui sais disperser les mensonges,
Eloigne le troupeau serré des mauvais songes !
Et, daignant aiguiser l’arc d’argent bleu qui luit,
Accorde-moi l’espoir d’un rayon dans la nuit !
O Lune, toi qui sait rendre l’âme à soi-même
Dans sa vérité froide, indifférente et blême !
O toi, victorieuse adversaire du jour,
Accorde-moi le don d’échapper à l’amour !
La Promesse des Fées
Page 517
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 517/664
Le vent du soir portait des chansons par bouffées,
Et, par lui, je reçus la promesse des Fées…
Avec des mots très doux, les elfes m’ont promis
D’être immanquablement mes fidèles amis.
Mais n’attachez jamais votre âme à leurs paroles,
Un Elfe est tôt enfui, souffle vif d’ailes folles !...
Leur vol tourbillonnait, vague comme un parfum.
Cependant tous semblaient obéir à quelqu’un.
La première portait sur son front découvert
Une couronne d’or… Son manteau semblait vert.
Et la couronne d’or, brûlant comme la flamme,
Rayonnait au-dessus d’un visage de femme.
Malgré l’étonnement d’un cœur audacieux,
Je ne pus endurer la splendeur de ses yeux…
Car j’entendais un bruit d’étreintes étouffées…
Page 518
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 518/664
Aussi j’ai voulu fuir l’amour fatal des Fées…
Mais, devant ce bonheur mêlé d’un si grand mal,
Ne regrettais-je pas un peu l’amour fatal !
Présence
Ta présence me donne une heure de jeunesse,
Il me semble que mon mal se ralentit, puis cesse,
Car c’est toi mon bonheur et c’est toi ma jeunesse !
O parfum de ta robe ! O fraîcheur de ton front !
Jamais les cruels temps futurs n’obscurciront
Cette douce clarté de tes yeux, de ton front !
Tu m’apportes ta voix, ta présence et ton rire,
Et je t’attends, je te contemple, et je t’admire.
En moi rayonne encor la splendeur de ton rire !
Page 519
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 519/664
Sous le rayonnement solaire de tes yeux,
O jeune et belle autant que le furent les dieux !
Il me semble oublier mon cœur qui se fait vieux !
Résurrection
Et je t’aime ! Et voici que s’épand dans mes moelles
Miraculeusement la clarté des étoiles,
Belle que je choisis pour Reine des étoiles !
Me voici revenue à la vie, à l’amour
Qui transfigure en or les choses d’alentour,
Au charme du poème, au rire de l’amour.
Tantôt je m’enfonçais dans l’horreur des ténèbres
Et je portais en moi des visions funèbres
Ah ! l’horreur, ah ! l’horreur tenace des ténèbres !
Mais voici le matin… Nous voici toutes deux
Page 520
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 520/664
Vivantes… C’en est fait de mes songes hideux.
Comme par le passé, Chère, nous sommes deux.
O bonheur de me voir revenue à la vie !
Car l’aurore s’est faite en mon âme ravie ;
Miraculeusement, je vois rire la vie !…
Voici que l’univers me donne moins d’effroi,
Très chère, puisque enfin me voici près de toi,
Et je n’ai plus d’angoisse et je n’ai plus d’effroi !
Oiseaux dans la Nuit
Cette nuit, des oiseaux ont chanté dans mon cœur..
C’était la bonne fin de l’ancienne rancœur…
J’écoutais ces oiseaux qui chantaient dans mon cœur.
Dans ma grande douleur, la nuit me fut clémente
Et tendre autant que peur se montrer une amante.
Page 521
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 521/664
Ce fut la rare nuit qui se montra clémente.
Dans ton ombre, j’ouïs le chant de ses oiseaux.
Et je dormis enfin… Mes songes furent beaux
Pour avoir entendu le chant de ces oiseaux…
Notre Heure
Ecoute le doux bruit de cette heure que j’aime
Et qui passe et qui fuit et meurt en un poème !
Ecoute ce doux bruit tranquille et passager
Des ailes de l’Instant qui d’envole, léger !
Je crois que ma douleur n’est que celle d’un autre…
Et cette heure est à nous comme une chose nôtre…
Car cette heure ne peut être à d’autres qu’à nous,
Avec son doux parfum et son glissement doux…
Page 522
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 522/664
Elle est pareille à la chanson basse qui leurre
Et qui vient de la mer… Ah ! retenir notre heure !
O triste enchantement de se dire : Jamais
Je ne retrouverai cette heure que j’aimais !
Etonnement devant le jour
Mes yeux sont éblouis du jour que je revois !
L’ayant cru défier pour la dernière fois.
Mes yeux sont étonnés de revoir cette aurore,
Ainsi, moi qui souffris autant, je vis encore !
Je vis encor, je souffre et peux encor souffrir…
Sans exhaler mon cœur dans un dernier soupir !
Mais comment puis-je ainsi voir la lumière en face,
Page 523
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 523/664
Moi dont le cœur est lourd et dont l’âme est si lasse ?
O mon destin mauvais… Je suis devant l’amour
Un adversaire nu… Voici venir le jour !…
Moi donc l’être est plus las que le dernier automne
Qui se meurt sur les lacs, je vis… Et je m’étonne !
La Lune consolatrice
Et voici que mon cœur s’épanouit et rit…
Moi qui longtemps souffris, me voici consolée
Par ce noir violet d’une nuit étoilée,
Moi qui ne savais point que la lune guérit !
Moi qui ne savais point que la lune console
De tout le chagrin lourd, de toute la rancœur !
Sa consolation illumine le cœur
D’un rayon éloquent autant qu’une parole.
Page 524
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 524/664
Et d’un rayon furtif comme un furtif bienfait
Elle se glisse au fond torturé de mon âme,
Elle se glisse avec une douceur de femme.
Et c’est insinuant comme un obscur bienfait.
Comme un obscur bienfait s’insinue, elle glisse…
Tout le ciel émergeant de l’ombre est radieux.
Eternellement chère à mon cœur, à mes yeux,
Sois louée à jamais, Lune consolatrice !
Absence
O Femme au cœur de qui mon triste cœur a cru,
Je te convoite, ainsi qu’un trésor disparu.
Je te maudis, mais en t’aimant… Mon cœur bizarre
Te cherche, Emeraude admirablement rare !
Page 525
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 525/664
Que je suis exilée ! Et que pèse le temps,
Malgré le beau soleil des midis éclatants !
Retombant chaque soir dans un amer silence,
Je pleure sur le plus grand des maux : sur l’absence !…
A l’ennemie aimée
Ses mains ont saccagé mes trésors les plus rares,
Et mon cœur est captif entre tes mains barbares.
Tu secouas au vent du nord tes longs cheveux
Et j’ai dit aussitôt : Je veux ce que tu veux.
Mais je te hais pourtant d’être ainsi ton domaine,
Ta serve… Mais je sens que ma révolte est vaine.
Je te hais cependant d’avoir subi tes lois,
D’avoir senti mon cœur près de ton cœur sournois…
Page 526
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 526/664
Et parfois je regrette, en cette splendeur rare
Qu’est pour moi ton amour, la liberté barbare…
Essentielle
Ainsi, l’on se contemple avec des yeux sacrés
Devant l’autel des mers et sur l’autel des prés…
Toi dont la chevelure en plis d’or illumine,
Tu m’as fait partager ton essence divine…
Et tu m’as emportée au fond même du ciel,
O toi que l’on adore, ô l’Etre Essentiel !
Tes yeux ont le regard que n’ont point d’autres femmes…
Et ce fut, pour nous, comme une rencontre d’âmes.
Mon cœur nouveau renaît de mon cœur d’autrefois…
Page 527
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 527/664
Que dire de tes yeux ? Que dire de ta voix ?
O ma splendeur parfaite, ô ma Toute Adorée !
La mer était en nous, unie à l’empyrée !
Terreur du mensonge
Oui, j’endure aujourd’hui le pire des tourments,
Tu m’as menti… Tu m’as trompé… Et tu me mens !…
Mensonge caressant qui glisse de ta bouche !
O serment que l’on croit, ô parole qui touche !
O multiples douleurs qui s’abattent sur vous
Ainsi qu’un petit vent pluvieusement doux !…
Comme un lilas ne peut devenir asphodèle,
Jamais tu ne seras ni franche ni fidèle.
Tu seras celle-là qui se dérobe et fuit
Plus sinueusement qu’un démon dans la nuit.
Page 528
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 528/664
O toi que j’aime encor ! L’horreur de ton mensonge
Est dans mon cœur amer… Il me mord, il me ronge…
Je suis lasse d’avoir suivi les noirs chemins…
Col frêle qu’on voudrait prendre entre ses deux mains !
Sanctuaire d’Asie
J’abriterai dans mon sanctuaire d’Asie
Mon éternel besoin d’ombre et de poésie.
Là-bas, guettant les mille et trois Dieux aux pieds d’or,
Des prêtres, jour et nuit, veillent sur leur trésor.
Oui, désespérément, je fixe mon exode
Vers ce refuge énorme et sombre de pagode,
Où, dressant vers le ciel les lotus léthéens,
Page 529
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 529/664
Les étangs dorment leurs sommeils paludéens.
L’Aile brisée
Elles est venue avec ses cheveux et sa robe,
Sa robe de beau pourpre et ses beaux cheveux d’or !
Et mon âme aussitôt a pris un prompt essor
Dans l’ivresse du cher instant que l’on dérobe !..
Mon cœur lourd est léger comme une bulle d’or,
Puisque je la revois près de moi revenue !
Et comme en un miracle, apparue, advenue,
Une aile de chimère a repris son essor !
Page 530
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 530/664
Mains sur un Front de Malade
C’est l’imposition fraîche et lente des mains
Sur mon front que remplit l’horreur des lendemains,
O bénédiction suave de ses mains !
Les douces mains de femmes ont des gestes de prêtre
Et répandent en vous la paix et le bien-être,
La consolation que vient donner le prêtre !
Elles n’apprennent point le geste qui guérit,
Elles l’ont toujours su… Dans l’horreur de la nuit
Cette imposition très calme nous guérit…
Apaise mon grand mal, de tes mains secourables,
Tandis que l’heur glisse aux sabliers des sables,
Car le bienfait me vient de tes mains secourables !
Donne-moi ta fraîcheur et donne-moi ta paix !
Et calme le démon qui sur moi se repaît,
En signant sur mon front le geste de la paix !
Page 531
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 531/664
Pour mon Cœur
Mystérieux, amer et terrible, ô mon cœur,
Eloigne enfin de toi la haine et la rancœur !
Sache combien est grand ce bienfait qu’on te donne
De pouvoir pardonner, ô mon cœur ! et pardonne !
Ne garde plus l’amer souvenir des joies dues !
Et qu’il soit comme un mot effacé sur les nues !
Sois léger et sous doux comme l’ombre d’une aile,
O mauvais cœur, tenace et méchant et fidèle !
O mon cœur ! exhalant, dans un vaste soupir,
Le pardon retenu, sache enfin t’attendrir !…
Page 532
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 532/664
Pour le Lys
O Toi, Femme que j’aime ! O Lys irréprochable !
Très chère qu’on ne peut approcher qu’à genoux,
Lève sur moi tes yeux si doux et ton front doux !
Et que le repas soit comme la Sainte Table.
Réveille, avec ta voix, mes rêves somnolents.
Voyant mon front fiévreux, accablé par les rêves,
Toute droite, dans la pourpre et l’or tu te lèves,
Toujours silencieuse, ave tes gestes lents.
O l’Image divine ! O la Femme que j’aime !
Qui fais que je m’éveille avec la face au jour
Et qui, par le pouvoir immense de l’amour,
As fait que le matin m’est apparu moins blême.
O puissance ! ô beauté de la Femme que j’aime !
Page 533
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 533/664
Emerveillement
Avec l’étonnement de mes regards, je vis
Le chœur des beaux rayons de lune aux tons bleuis.
Et mes regards étaient stupéfaits et ravis…
Avec mes yeux ouverts grandement je les vis.
C’est pourquoi maintes fois, au hasard d’une veille,
Ouvert sur l’infini, mon regard s’émerveille.
Amour méprisable
L’Amour dont je subis l’abominable loi
Page 534
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 534/664
M’attire vers ce que je crains le plus, vers Toi !
Tu fus et tu seras l’Inconnue ennemie…
Je t’adore en pleurant, ô si mauvaise amie !
Car voici la raison de mon tourment infâme :
Je ne surprendrai pas le regard de ton âme.
C’est pourquoi je te hais, c’est pourquoi je te crains…
J’appelle un autre amour, d’autres yeux, d’autres mains,
Et surtout, pour calmer la plainte qui s’élève
Du fond de mon cœur las, un rêve, un divin rêve !
Amour, toi le Larron…
Amour, toi, le larron éternel, qui dérobes
Les lourds trésors des cœurs et le secret des robes !
Page 535
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 535/664
Tu te glisses et te dissimules la nuit,
Et ton pas est le pas du traître qui s’enfuit…
Ton pas est plus léger que le doux pas du Songe !
Et l’on n’entend jamais ce bruit sournois qui ronge.
N’as-tu point d’amitié ? N’as-tu point de raison ?
Voici que s’insinue en mon cœur ton poison.
Epargne-moi ! Vois mon visage et mon front blême…
Mon ennemi l’Amour, je te hais et je t’aime.
Veillée heureuse
J’épie, avec amour, ton sommeil dans la nuit :
Ton front a revêtu la majesté de l’ombre,
Tout sont enchantement et son prestige sombre…
Et l’heure, comme une eau nocturne, coule et fuit !
Page 536
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 536/664
Tu dors auprès de moi, comme un enfant… J’écoute
Ton souffle doux et faible et presque musical
S’élevant, s’abaissant, selon un rythme égal…
Ton âme, loin de moi, suit une longue route…
Tes yeux lassés sont clos, ô visage parfait !
Te contemplant ainsi, j’écoute, ô mon amante !
Comme un chant très lointain ton haleine dormante,
Je l’entends, et mon cœur est doux et satisfait.
Prière aux Violettes
Sous la protection humble des violettes
Je remets les soupirs et les douleurs muettes
Qui viennent m’assiéger ce soir… Ce trop beau soir !…
Dans cet effondrement du final désespoir
Leur parfum est semblable aux prières des Saintes…
O fleur entre les fleurs ! O violettes saintes !
Page 537
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 537/664
Lorsque enfin, en un temps, s’arrêtera mon cœur
Las de larmes, et tout enivré de rancœur,
Qu’une pieuse main les pose sur mon cœur !
Vous me ferez alors oublier, Violettes !
Le long mal qui sévit dans le cœur des poètes…
Je dormirai dans la douceur des violettes !
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Les poèmes ci-dessous correspondent à l'édition du recueil Le vent desvaisseaux publiée chez A. Lemerre en 1910. Cette version revue etcorrigée par Renée Vivien figure dans "L'oeuvre poétique complète deRenée Vivien" éd. Albin Michel.
Page 538
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 538/664
Vous pouvez consulter la dernière édition "Le vent des vaisseaux", 1921sur le site de la Bibliothèque Nationale de France: http://gallica.bnf.fr/ -rubrique Recherche
LE VENT DES VAISSEAUX,
1910
Les Quatre Vents
Le Rire des Vents
Les Dieux Lares s’irritent…
Le Palais du Poète
Une Chapelle
Chapelle de MarinsEssor d’une Mouette
Aux Mouettes
La Mauvaise Auberge
Péché d’orgueil
Venue du Jour
A mon Démon familierAube
Le Dernier Dieu
Domination du Poème
Orgueil de Poète
Page 539
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 539/664
Aveu dans le Silence
Défaite
Traîtrise du Regard
Le Poète
Palais sous la Mer
Intangible
Voile impatiente
La Mouette qui s’éleva
Les Quatre Vents
Les quatre Vents se sont réunis sous mon toit.
Voici le Vent du Nord revêtu de blanc froid…
Voici le Vent du Sud portant les odeurs chaudes
Et toi, Vent de l’Ouest, qui pleures et qui rôdes !…
Te voici, Vent de l’Est amer et bienfaisant,
Toi dont les larges cris font trembler les cœurs lâches,
Toi qui grondes, toi qui domines, qui te fâches,
Page 540
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 540/664
Toi qui donnes la force et la gloire du sang !
Vous voici réunis, ô quatre Vents que j’aime !
Et vous chantez, et vous criez tous réunis
Avec la joie et de désespoir infinis
Que ressent le poète en face du poème.
Tous vous obéissez au signe de mon doigt.
Mais, ô Vent de l’Ouest, qui rôdes et qui pleures,
C’est vers toi que s’en vont les songes de mes heures !…
Les quatre Vents se sont réunis sous mon toit.
Le Rire des Vents
Les quatre Vents ont ri dans le ciel du matin,
Puis leur humeur étant changeante, une querelle
S’est élevée entre eux. Et la femme autour d’elle
Vit s’abattre en riant le courroux du destin.
Page 541
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 541/664
Les quatre Vents on ri dans le ciel de l’aurore
D’un grand rire pareil aux désespoirs fervents.
Avez-vous entendu le bruit des quatre Vents
Qui détruisent, riant, et détruisent encore ?
Et comme l’on soufflette en la force des mains,
Comme l’on rit en chœur, comme l’on chante et danse,
Les quatre Vents ont ri de savoir leur puissance
Sur le troupeau soumis et triste des humains.
Les Dieux Lares s’irritent…
Mon cœur n’est rassuré qu’à demi… Mes Dieux lares
Revêtent, ce jour-ci, des formes très bizarres.
Leur regard est comme un poignard mal émoussé…
Et je tremble, craignant leur aspect courroucé…
C’est toi qui me maudis et c’est toi qui me damnes…
Page 542
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 542/664
Et cependant je vous servis bien, ô les Manes !…
Le Palais du Poète
Les murs de ce palais sont d’ébène et d’ivoire
Et les plafonds gemmés d’astres comme les cieux.
Les esclaves y vont à pas silencieux
Avec leurs pas très doux et leur face très noire.
Et les cyprès aigus s’y dorent au couchant…
On n’entend jamais plus la fuite d’or du sable
Dans le lent sablier… car l’instant adorable
Y demeure, attiré par le pouvoir du chant…
Et le repos, semblable à l’écho, se prolonge
Infiniment suave et tendre et musical,
Comme un chant murmuré selon un rythme égal…
Ici l’on goûte en paix l’éternité du songe…
Page 543
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 543/664
Comme un serpent couché, le lent chagrin s’endort…
Le cœur tranquille enfin, et l’âme enfin ravie,
Le Poète s’attarde en oubliant la vie
Et croit goûter déjà la douceur de la Mort.
En attendant la paix de cet instant unique,
Les parfums sont très doux que brûlent les flambeaux…
Et dans les vases d’or que les grands lys sont beaux !
Car le Poète écoute, en pleurant, Sa Musique !…
Une Chapelle
Le grand vent de la mer a quitté la chapelle.
C’est pourquoi notre voix commune le rappelle.
Le grand vent de la mer est las de la chapelle
Et la détruit tout en se lamentant sur elle…
Car il subit la loi de sa rude nature
Page 544
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 544/664
En la reconnaissant si terrible et si dure !
Et voici ce que fut la chapelle où l’on prie,
Celle où pieusement on célèbre Marie.
Chapelle de Marins
Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers,
Et la foule s’assemble au fond de la chapelle
Où l’on cherche Marie et n’espère qu’en Elle.
O vaisseau qui se noie en l’abîme des mers,
O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle,
Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers.
Et dans mon cœur sévit la tempête des mers !
O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle.
Marie ! – O lys très blanc, qui règnes sur la mer !
Page 545
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 545/664
Essor d’une Mouette
Aidez-moi dans ma fuite, ô les beaux vents fidèles !
Car je sens remuer en moi mes longues ailes !
Et sans craindre l’effroi des espaces amers,
J’obéis à l’appel impérieux des mers !
Je ne sais où j’irai, ni quel souffle m’emporte…
Mais je ne reviendrai que triomphante ou morte,
Je n’obéis qu’à vous, à votre étrange loi.
Me voici prête pour la fuite… Portez-moi !
J’ignore où j’errerai, mais j’ai l’amour de vous,
O despotiques vents divinement jaloux !
Je n’ai pu qu’entrevoir la lueur de vos faces,
Mais mon cœur est saisi par vos griffes tenaces.
O vous qui demeurez mon amour éternel,
Emportez-moi dans le ciel ouvert ! Dans le ciel !
Page 546
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 546/664
Aux Mouettes
Je vous envie autant que je vous aime, oiseaux
Qui traversez sans moi tout l’infini des eaux.
Vous qui passez battant tout l’infini des ailes,
Rendez-moi, rendez-moi comme vous infidèles !
Que je sois libre ainsi que vous dans le ciel clair,
Que mon domaine soit le règne de la mer !
Et partout subissant l’éternelle infortune,
J’obéirai, muette, à l’ordre de la lune.
Dans une obéissance au regard somnolent
J’endurerai son règne intermittent et lent.
Mais mon sort est parmi les choses méprisées,
Et pourtant ! Et pourtant ! – O mes ailes brisées !
Page 547
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 547/664
La Mauvaise Auberge
Le monde inhospitable est pareil à l’auberge
Où l’on vit mal, où tout est mal, où l’on dort mal…
Et, pendant que le cri des femmes se prolonge,
Je cherche le Palais Impossible du Songe.
Je fais, dans cette auberge, un modeste repas…
En songeant à ce qui pourrait être… Et n’est pas…
Péché d’orgueil
Page 548
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 548/664
Le mensonge de ces gloires immédiates
Vers qui monte l’encens de vaines aromates !
O mensonge de ces paroles que l’on dit
Et que pleure un poète, en un beau soir maudit !
Je porte dans mon cœur et dans mon âme nue
L’orgueil d’être farouche, et d’être méconnue !
Et je garde, malgré les deuils, mon cœur hautain
Ainsi qu’un solitaire en un pays lointain…
Venue du Jour
Le jour se glisse tel qu’un mauvais animal
A travers mes vitraux pour surprendre mon mal !
Le jour se glisse, ainsi qu’un serpent s’insinue,
Dans mes regards… Il entre et voit mon âme nue.
Page 549
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 549/664
Il voit la vérité de mon trop grand amour,
O jour maudit parmi tous les jours… Mauvais jour !
Maudit sois-tu jusqu’à la limite lointaine
Des temps, toi qui surpris ma colère et ma haine !
Maudit, toi qui sus voir, de tes yeux clairs, ô Jour,
L’affreuse immensité de mon terrible amour !
A mon Démon familier
Toi qui hantes mes nuits cruelles, ô Démon !
Qui vient ouvrir sur moi tes prunelles hagardes
Et qui te tiens debout dans la chambre et regardes,
Emporte-moi sur tes ailes de goémon !
Tu règnes sur mon cœur implacable et suprême !
Que le vent de la mer nous emporte tous deux
Page 550
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 550/664
Dans le divin mépris des courants hasardeux,
O toi que je redoute et cherche, ô Toi que j’aime !…
Les peuples sont petits et laids. Allons loin d’eux,
De leurs propos mesquins, de leurs cœurs infidèles.
Envolons-nous au bruit puissant des larges ailes
Que tu sais déployer dans le vent orageux !
Malgré le temps mauvais, debout dans la défaite,
Me voici faisant face à l’orage, à la mer…
O mon Démon, accours à ma voix, comme hier,
Et reconnais en moi ton Maître le Poète !…
Aube
Voici le matin clair… Mon âme ouvre les yeux.
De ses nocturnes yeux ouverts, elle regarde…
Avec cette stupeur tragiquement hagarde,
Redoutant la lumière évidente des cieux.
Page 551
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 551/664
C’est l’heure que je crains, celle où s’ouvrent les yeux.
Vient-il donc m’apporter quelque douleur nouvelle,
Ce matin dont m’atteint la première stupeur ?
Je les referme en vain dans l’instant anxieux…
Voici, j’ai trop ployé sous le poids du destin
Pour ne point redouter l’inconnu de l’aurore.
Dois-je donc m’éveiller ? Dois-je souffrir encore ?…
Que vient-tu m’apporter, ô le nouveau matin ?
Le Dernier Dieu
Cruel, impérieux, malveillant et funeste,
Seul, entre les Dieux morts, il ressurgit et reste
Le Dernier Dieu, de Dieu trois fois maudit, l’Amour !
Pourquoi s’attarde-t-il en ce nouveau séjour
Et n’a-t-il point suivi les Divinités mortes
Page 552
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 552/664
Qu’on vénérait jadis, belles, grandes et fortes ?
Pourquoi ne suivit-il, vers l’ombre de l’oubli,
Aphrodite impuissante et Zeus au front pâli ?
Pourquoi ce dernier Dieu survit-il sur la terre ?
Son visage entrevu dans l’ombre est un mystère,
Dans cette ombre du temple où brûle un feu latent.
Autour de lui la foule implore, prie, attend…
Ah ! détourne de moi ta colère et ta haine,
O Dieu ! dont on subi la rancune lointaine
Qui s’éveille ou s’endort au hasard de ta haine !
Ne me hait point, ô Dieu ! mais prends pitié de moi,
Car je te dédierai mon ardeur et ma foi.
O dernier Dieu ! le plus puissant ! Pardonne-moi !…
Domination du Poème
Page 553
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 553/664
Je subis tout mon sot… L’impérieux poème
Me domine à l’égal de la femme qu’on aime.
Amèrement jaloux, despotique et méchant,
Voici que vient régner, sur mon âme, le chant.
Servilement je sers l’impérieux poème,
Mille fois plus aimé que la femme qu’on aime.
Qu’il soit méchant, qu’il soit tyrannique et jaloux,
On ne l’en sert que plus promptement, à genoux !…
Orgueil de Poète
Je voile avec dédain e trésor qui me reste…
Mon orgueil de poète est en moi comme un mal
Tenace, suraigu, dominant, animal…
Car l’orgueil du poète est terrible et funeste…
Page 554
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 554/664
Quand la foule amassait la farine et le mil,
Mon orgueil m’enjoignit de m’astreindre et me taire,
Inexorable autant que le lointain tonnerre
Et l’orgueil de celui qui chante dans l’exil…
Qu’ailleurs l’aube de gloire irradie et rougeoie !
Que m’importe le vent qui disperse mes vers
Dans les replis obscurs de l’obscur univers,
Puisque je n’ai chanté que pour ma seule joie ?
Aveu dans le Silence
Dans l’orage secret, dans le désordre extrême
Je n’ose avouer à moi-même que j’aime !
Cela m’est trop cruel, trop terrible… Mais j’aime !
Pourquoi je l’aime ainsi ? L’éclat de ses cheveux…
Sa bouche… Son regard !… Ce qu’elle veut, je veux.
Page 555
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 555/664
Je ne vis que de la clarté de ses cheveux…
Et je ne vis que du rayon de ce sourire
Qui m’attendrit, et que j’appelle et je désire…
O miracle de ce miraculeux sourire !…
Sa robe a des plis doux qui chantent… Et ses yeux
Gris-verts ont un regard presque… miraculeux…
j’adore ses cheveux et son front et ses yeux.
Elle ne saura point, jamais, combien je l’aime
Cependant ! – Car jamais ma jalousie extrême
Ne lui laissera voir, jamais, combien je l’aime !
Défaite
Dans un silence obscur, j’apprends la patience,
Moi dont l’orgueil fut grand, même dans le silence…
Page 556
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 556/664
Car mon plus grand péché fut celui de l’orgueil
Et de cela je garde en moi l’immense deuil…
Malgré tous mes efforts la défaite est certaine…
Et ta grande douceur, ô mon Amie ! est vaine !
Puisqu’elle n’a point su m’épargner un des pleurs
Que j’ai versés… Mais le couchant est plein de fleurs…
Traîtrise du Regard
Ton regard embusqué sous tes paupières sombres
Guette… Ton faux regard est là, traîtreusement…
Il épie, en secret, le passage des ombres
Dans mes yeux… Il me guette, inexorablement.
J’ai peur de ce regard sournois… O perfidie
De ton regard profond et brun, de ton regard !
Je te vois maintenant différente, étourdie,
Oublieuse… Et je t’aime… Il est trop tard… Trop tard !
Page 557
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 557/664
Le Poète
Il porte obscurément la pourpre du poète,
Ce passant qu’on rencontre au détour du chemin,
Vers lequel nul ne tend sa secourable main
Et qui lève vers l’aube un front large d’ascète.
Mais sous le grand manteau percé de mille trous,
Si vieux qu’il est pareil aux innombrables toiles
Que l’araignée a su tramer sous les étoiles,
S’ouvrent ses yeux divins, prophétiques et fous.
Cet inconnu c’est le poète en son passage,
Et le vent du chemin lui dicte, ainsi qu’un dieu
Dicte un ordre divin, son chant impérieux…
… Mais, hélas ! nul n’entend le merveilleux message.
Toi, dont le vent clément rafraîchit le front nu,
Tu n’oses même pas solliciter l’Aumône,
Page 558
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 558/664
Mais les siècles futurs te verront sur un trône,
Couronné de rayons, ô divin Inconnu !
Palais sous la Mer
Puisque tu sus surprendre enfin mon cœur amer,
Je te découvrirai mon palais sous la mer !
Tu verras, comme on voit en des visions rares,
Les étranges corails, les éponges bizarres !
Je te découvrirai mes jardins, loin des vents,
Où chaque fleur respire, où les fruits sont vivants.
Puis tu verras les beaux poissons dont l’aile vole
Aussi légèrement que se dit la parole.
Tu verras le soir glauque et fuyant sous les eaux,
Et nous regarderons ainsi que des oiseaux
Passer la mouette ivre et des voiles sereines,
Et parfois chanteront, pour nous deux, les Sirènes !
Page 559
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 559/664
Intangible
Nul n’oserait frôler l’effilement des doigts
Que je tends en un geste indifférent et triste.
L’amour n’a point d’écho pour répondre à ma voix,
Nul n’ose interroger mes regards d’améthyste…
Car moi, fille royale, ainsi je l’ai voulu,
Sachant que mon bonheur était dans le silence…
Seuls, les beaux chants lointains de l’autrefois m’ont plu,
Car c’est vers l’autrefois que mon âme s’élance…
Et nul n’ose troubler la sombre paix d’un seuil
Que garde l’inconnu. Mais j’y règne, impassible…
J’y sers obscurément le Dieu de mon long deuil…
Page 560
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 560/664
Nul n’ose m’approcher… Car je suis l’Intangible…
Voile impatiente
La voile est lente et lourde, attardée en ce port.
Elle qui sut braver les plus fortes tempêtes,
Et qui connaît leurs cris et leurs plaintes secrètes,
Pour elle, le repos est pareil à la mort…
La voile est lente et lourde, attardée en ce port…
O le charmant péril du magnifique orage,
De son retentissant tonnerre, de l’éclair
Qui déchire la nuit en un rayon trop clair…
Défiant la folie ou l’effort du courage…
Vieux marins, veillez… Le temps est à l’orage !
Mais la voile s’agite, au fond morne du port…
Page 561
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 561/664
Elle appelle le vent des plus grandes tempêtes,
Car les mâts sont hissés… Toutes ses sœurs sont prêtes…
Nulle ne craint le vent qui menace la mort…
Mais la voile pourrit dans la vase du port…
La Mouette qui s’éleva
Oh ! soyez-moi cléments, mes espaces fidèles !
Car je sens remuer en moi mes grandes ailes !
Et je subis ici la volupté du vent,
Moi qui sus l’affronter et le braver souvent.
Vent qui fais s’élever en moi mes larges ailes,
Vent qui sait dominer les vagues infidèles,
Viens vers moi ! Porte-moi, comme tu fis souvent,
Toi qui sais dominer la mer immense, ô vent !
Page 562
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 562/664
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
POEMES RETROUVES
POEMES DE JEUNESSE :
Souvenir de jeunesse de Coblentz
Page 563
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 563/664
A l’Ami
Dernier Rêve du Cœur
Les Musiciennes mortes
A mon ami M. Moullé
La chanson d’Ophélie
Automne
A un ami qui m’est cher
A mon Poète et Ami
A ma mère chérie
AUTRES POEMES :
Amazone
Sourire dans la mort
Sonnet à Alice Barney
Vertige
A mon Avril
A l’absente
Le Miroir
Remords tendre
Par-Delà la Mort persiste le Désir
Blonde au froid coloris…
Des refrains de simples couplets…
Page 564
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 564/664
Le lys noir
Michel-Ange à Vittoria Colonna
Les fruits
Chauve-Souris
Violon
Corinne Triomphante
La Coupe de Cléopâtre
Chanson
Poème
Perle abandonnée
Dans la Mort
Le Palais
Le Soir est glorieux
Notre-Dame des Fièvres
Désir d'amour
Adieu à la Sirène
A Cécile
Noir et Gris
Poème
(Bribes)
POEMES SIGNES PAULE RIVERSDALE
Page 565
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 565/664
Vers l’Amour
Divinité
Désir
Enterrée vivante
La Sirène
Souvenir de jeunesse de Coblentz
Là-bas sur le champ de manœuvre
Là-bas su le terrain prussien
On peut voir la douloureuse œuvre
D’un combat qui n’est pas ancien.
Là-bas tout près du bruit des armes
Du piétinement des chevaux
Est un pauvre tombeau sans larmes
Le plus douloureux des tombeaux
Ce n’est qu’une petite pierre
Là sont les prisonniers français
Page 566
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 566/664
Morts pendant la cruelle guerre
Dormant dans la suprême paix
Sans doute morts sur cette plaine
Morts comment ? Dieu seul le sait
Leur coupe d’amertume pleine
Tels sont morts ces soldats français
Morts, morts en la terre ennemie
Morts sans le suprême secours
D’une voix, d’une main amie
Voilà qu’ils dorment pour toujours
Ils n’ont point revu la patrie
Jamais ils ne la reverront,
Et près d’eux, personne ne prie
Hélas on passe indifférent
Comme si c’était peu de chose :
Ce sont des prisonniers français
Dit-on. L’on regarde, morose,
Ce tombeau d’ennemis défaits
Morts de douleur ou de famine
De froid ou bien de désespoir
Page 567
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 567/664
De la honte qui creuse et mine
Le courage… qui peut savoir ?
O mes frères hélas, mes frères
Tout ce que vous avez souffert
Les pleurs, les hontes, les misères
Enfouis toujours sous ce sol vert
O lâche et dernière vengeance
Que le lieu de votre tombeau
Pour vous, ô pauvres fils de France
Le cimetière était trop beau.
Il fallait le champ de manœuvre
Avec ses hauts bruits de clairon
Nobles vainqueurs ! Voici leur œuvre
Et voici votre humiliation
Et nul ne vient à votre pierre
Pleurer en silence un moment
Vous avez pour tombe la terre
Dont le seul nom est un affront
Quelqu’un vous pleure dans la France
Les cœurs qui vous ont bien aimés
Page 568
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 568/664
Sont déchirés par la souffrance
O pauvres morts inanimés
O mes frères, Hélas ! Mes frères
Tout ce que vous avez souffert
Les pleurs, les hontes, les misères
Toujours, toujours sous ce sol vert.
A l'Ami
O la triste douceur des tendresses lointaines
Séparés, ô mon cher amour
Savons-nous si nos cœurs pleins d’espérances vaines
Doivent se retrouver un jour ?
Pourtant, nous nous aimons d’une longue amitié
Notre histoire fut un poème
Toute une poésie achevée à moitié
Pourtant, ô mon amour, je t’aime.
Pourtant, matin et soir, comme un vol d’hirondelles
Page 569
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 569/664
Mes pensées s’en vont vers toi
Mes pensées d’amour, mes pensées fidèles
Et ton souvenir n’est qu’à moi.
Pourtant, ô mon amour, j’ai le rêve et l’espoir
Que rien n’efface ni n’enlève
J’ai le constant désir d’un suprême au revoir
Laisse-moi le garder, ce rêve.
Oui, laissez-moi rêver ! Tu viens à mes prières
Et tu m’ouvres tes bras tendus
Et, suaves, je sens errer sur mes paupières
Tes baisers longtemps attendus.
Tes baisers, je les sens dans un trouble profond
Oubliant alors toutes choses
Odorants et légers qui tombent sur mon front
Ainsi qu’une pluie de roses.
Tes bras autour de moi m’entourent avec tendresse
Je sens, perdue dans tes bras,
Je sens de toutes parts une grande caresse
Et ta voix me parle tout bas.
Une fièvre est en moi, toi seul peux l’apaiser
Page 570
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 570/664
Je défaille et je n’ai plus d’haleine
Que juste ce qu’il faut pour mettre en un baiser
L’âme trop heureuse et trop pleine !
Je parle sans penser – comme dans la fièvre –
L’air est doux et chaud alentour
Je n’ai plus qu’un désir, ton baiser sur mes lèvres
Et je t’aime, et je suis l’amour.
Dernier Rêve du Cœur
Oui, je voudrais mourir par une jour de printemps
Parfumé de violettes et vigoureux de sève
Comme un premier amour avec un premier rêve,
Et c’est le seul moment de bonheur que j’attends
Par un jour blond et jeune aux rayons éclatants
Une heure de printemps aussi douce que brève
Et je veux bien alors que ma vie s’achève
Page 571
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 571/664
Car ils seront très doux mes derniers instants
Rêvant mon dernier rêve ô la douceur des cieux
Je mourrai sans regret, le soleil dans les yeux
Dans l’âme les parfums des naissantes violettes
J’aurai tout oublié, la passé détesté
Mes désillusions et mes douleurs muettes
Et rien que l’amour ne me sera resté.
Les Musiciennes mortes
J’entends passer tout près l’essaim des musiciennes.
C’est le groupe sacré des âmes d’autrefois
Dont l’harmonie intime éclatait dans la voix,
Dans le clavier sonore où les lyres anciennes.
Leurs pas font murmurer les harpes éoliennes.
Leurs esprits harmonieux hantent l’ombre des bois
Page 572
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 572/664
Pour enseigner leur art et leurs divines lois
Aux jeunes rossignols, muses aériennes
Où leur vol passe, l’air a de légers frissons.
Elles viennent mêler leurs antiques chansons
Aux forêts, de mystère et d’ombre recouvertes.
Comme pour exhaler le chant ou le soupir,
Je les vois hésiter, les lèvres entrouvertes,
Et le poète seul les entend revenir.
A mon ami M. Moullé
Vous qui savez aimer, vous qui savez comprendre,
Oh ! Ne vous laissez pas décourager en vain,
Poète dont le cœur, à la fois triste et tendre,
Vibre à chaque émotion du vaste cœur humain !
Gardez toujours en vous la frêle poésie,
Page 573
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 573/664
Gardez toujours en vous son doux rythme touchant,
Ecoutez bien la voix, âme qu’elle a choisie ;
Gardez toujours en vous la lumière et le chant !
Gardez toujours en vous cet idéal suprême,
La noblesse de l’âme avec celle du cœur ;
Que votre vie soit la poésie même !
Et soyez de vous-même et du monde vainqueur !
Que rien ne vous attriste et ne vous décourage.
Sachant que vous avez l’harmonie et l’amour ;
Persévérez toujours ! – Ayant le grand message
Que chantait autrefois le moindre troubadour.
Oh ! Le monde a toujours été dur aux poètes !
Car la réalité tuait leur idéal,
Mais vous, Ah ! Soyez grand ! Que tout ce que vous faites
Ait l’élan victorieux d’un hymne triomphal !
Et songez, quand parfois vous êtes seul et triste,
Que votre vie, hélas ! comprime votre cœur,
Ce cœur plein d’harmonie et de rêves d’artiste,
Songez que tout cela doit vous rendre meilleur !
Songez que cette vie ennoblit, ô poète !
Page 574
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 574/664
Songez que chaque épreuve est un progrès de fait ;
Que c’est un pas de plus vers le sublime faîte ;
Songez que tout cela tend à rendre parfait.
Si votre force, hélas ! parfois s’est endormie,
Qu’à peine vous pouvez rester fier et debout,
Souvenez-vous alors d’une petite amie
Qui saura vous comprendre et souffrir avec vous !
La chanson d’Ophélie
Elle chante Ophélie, en tressant des couronnes
De ces petites fleurs que les champs verts nous donnent
Tout parfum, toute fraîcheur, en leur simplicité
Et le soleil sourit à sa jeune beauté.
Elle chante, inconsciente en sa douce folie,
L’âme ne sourit plus dans les yeux d’Ophélie
Elle chante, inconsciente, une étrange chanson
Page 575
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 575/664
Son léger pas paraît la fuite d’un rayon
Tandis que le printemps autour d’elle rayonne
Elle chante en tressant sa dernière couronne
Et la blonde Ophélie errante au bord de l’eau
Ne sait pas que son pied effleure son tombeau
Près d’un fleuve, se penche en pleurant un vieux saule.
Comme un petit enfant qui monte sur l’épaule
De son aïeul souriant, ne craignant nul danger,
Elle monte sur l’arbre – un corps souple et léger.
Capricieuse elle veut, sur la branche ployante,
Suspendre sa couronne humble mais odorante
Et toujours en chantant sur les rameaux pleureurs
Elle monte, elle veut y suspendre ses fleurs
Mais un rameau se brise… Hélas la vierge tombe
L’eau souriante devient un instant sa tombe
Mais ses blancs vêtements la soutiennent encor
Comme le cygne après son dernier essor
A l’heure de sa mort chante son chant suprême,
Avant de disparaître, Ophélie de même
Flottante encore sur l’eau, chante son dernier chant.
Page 576
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 576/664
Et nul ne voit sa mort sauf le saule penchant
Hélas ! Bientôt finit cette chanson étrange,
En un long dernier râle étouffé sous la fange.
Puissé-je ainsi mourir, les mains pleines de fleurs
En chantant jusqu’au bout, sans larmes, sans terreur
Chantant jusqu’à ma mort, entraînée quand même
Par le fleuve inconnu, mystérieux et suprême
Par le fleuve funèbre où va l’homme banni
Par le fleuve profond qui mène à l’infini.
Automne
Ne me parle donc jamais plus
O l’amour de toute mon âme
D’un regard ayant moins de flamme
Et du poids des ans superflus
Que m’importent, auprès de toi,
Page 577
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 577/664
Et les quelques roses fanées
Et les quelques brèves années
Que tu vécus jadis sans moi
Tout mon être, je te le donne !
Tu me l’as dit voici longtemps,
Puisque j’ai l’âge du printemps,
C’est toi le tendre et triste Automne.
Tes soucis, mon cœur les prévient
Et j’aime, puisqu’il faut tout dire
La tristesse de ton sourire
Ton sourire qui se souvient
Le printemps, c’est la jeune fille
C’est en elle le premier amour
Dans ses yeux d’Avril tour à tour,
Le long regard se mouille ou brille
L’Automne est l’homme déjà mûr
Qui se souvient de sa jeunesse
Et son regard a la tendresse
D’un cœur souffrant, profond et sûr.
C’est un été plus tendre encore
Page 578
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 578/664
C’est un printemps toujours plus beau
C’est un suprême renouveau
Un couchant qui serait l’aurore
Pour te parler à cœur ouvert
Oui, c’est bien ainsi que je t’aime.
A toi, le sourire suprême,
De ceux qui jadis ont souffert
Je t’apporte un cœur entier
Brûlant des premières fièvres
Et la virginité des lèvres
Que tu baiseras le premier.
Et je te donne ma jeunesse
Je te donne mes dix-huit ans
Et le baiser de mon printemps
O ma première tendresse !
La passion porte avec elle
Le renouveau du cœur viril
Aime, c’est l’éternel Avril
Et c’est la jeunesse éternelle
Et moi, je demande à mon tour
Page 579
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 579/664
En échange d’un cœur de femme
Le dernier printemps de ton âme
Et d’être ton dernier amour !
A un ami qui m’est cher
Lorsque je vous ai vu pour la première fois,
Je n’ai vu qu’un passante, qu’une ombre parisienne,
Dont la voix répondait par hasard à ma voix,
Dont la main effleurait par hasard la mienne.
J’étais comme un rêveur attardé sur la grève,
Qui voit venir vers lui les vagues de la mer
Et qui les voit s’enfuir, en poursuivant son rêve,
Qui les voit retomber dans le néant d’hier.
Je ne voyais qu’un flot de l’océan humain,
A peine s’attardait ma pensée fuyante,
Rien qu’un adieu banal, un serrement de main,
Page 580
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 580/664
Et je vous ai quitté, vous passant, moi passante.
Quand vos vers ont chanté tendrement à mon âme,
Je n’ai vu qu’un poète, un esprit mélodieux,
Qui chantait en tissant le fil d’or de la trame
Faite d’illusions et de rêves radieux.
J’écoutais en rêvant les chants de votre cœur,
J’écoutais en rêvant l’harmonie secrète
Toute pleine d’amour, de joie ou de douleur
Que soupirait tout bas votre âme de poète.
J’étais comme un passant qui dans la nuit écoute
Un chant de rossignol, harmonieux et touchant,
Et qui, tout attendri, reprend après sa route
Emportant avec lui la mémoire d’un chant.
Enfin quand votre cœur au mien s’est révélé,
Quand j’ai vu sa grandeur, son intime noblesse,
Ami, le moindre doute alors s’en est allé,
Je pouvais me confier sans crainte à sa tendresse.
Alors j’ai vu l’ami, cet ami de mes songes,
Cet ami tendre et doux, dont j’avais tant besoin,
Hélas ! Et maintenant les heures se prolongent
Page 581
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 581/664
En nuits, en jours, en mois, et vous êtes si loin !
Mais vous êtes toujours présent à ma pensée,
Mais vous êtes toujours présent à mon esprit..
Ami, votre tendresse, ainsi que la rosée,
Pénètre dans mon cœur, et ranime et guérit…
A mon Poète et Ami
Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent sur leurs ailes
Des paroles de votre cœur,
Ils viennent, comme un vol de blanches tourterelles
A travers la mer en fureur.
Ils viennent de bien loin, pour chanter à mon cœur
Tout ce qu’a murmuré le vôtre,
Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent le bonheur
En passant d’un rivage à l’autre.
Page 582
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 582/664
Vos vers, ces doux oiseaux, m’apportent sur leurs ailes
Des paroles de mon ami,
De mon ami lointain aux pensées fidèles,
Et joyeux, mon cœur a frémi.
Leur essor a toujours un frisson de tendresse
Quand ils se posent sur mon cœur,
Ils viennent vos doux vers, me répéter sans cesse
Des mots d’ami pleins de douceur.
Alors, je ne suis plus tellement isolée,
Et mon cœur de joie a frémi,
Vos vers, ces doux oiseaux, m’ont souvent consolée,
O mon poète et ami.
( 5 mai 1894)
A ma Mère Chérie
Page 583
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 583/664
Elle ressemble aux blancs lilas
Lorsqu’avril tout en fleurs succombe,
Si léger, si doux est son pas
Qu’on dirait une fleur qui tombe.
Elle est plutôt ma grande sœur
Toujours si blonde et si jolie,
Ses yeux souriant avec douceur
Sa charmante mélancolie.
C’est elle ! la fée aux yeux bleus
Qu’on voit passer mignonne et fière,
Le soleil, sur ses blonds cheveux
Les transforme en fils de lumière.
Et quoiqu’elle ait souffert longtemps,
Elle a gardé dans la tristesse
Au cœur, un éternel printemps,
Au front, l’éternelle jeunesse.
Ses yeux, aux ombres de velours,
Consolent souvent sans rien dire,
Et l’on se souviendra toujours
De la beauté de son sourire.
Page 584
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 584/664
Quand on souffre d’un mal profond,
Elle vient poser, la première,
Sa main fraîche sur votre front,
Comme l’ange de la prière.
( 1898 )
AUTRES POEMES
Amazone
L’amazone contemple à ses pieds des ruines,
Tandis que le soleil, las des luttes, s’endort ;
La volupté du meurtre a gonflé ses narines ;
Elle exulte, amoureuse étrange de la Mort.
Elle veut les baisers des lèvres expirantes
Page 585
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 585/664
Qui laissent à sa bouche en feu le goût du sang ;
Sur le champ de bataille aux odeurs enivrantes,
Son orgueilleux désir se vautre en pâlissant.
Elle aime les amants qui lui donnent l’ivresse
De leur fauve agonie et de leur fier trépas,
Et, méprisant le miel de la fade caresse,
Les coupes sans horreur ne lui suffisent pas.
Le râle la remplit d’une ivresse sauvage ;
Au milieu des combats son cœur s’épanouit
Et, lionne aux yeux d’or éprise de carnage
La livide sueur des fonts la réjouit.
Elle rit et se pâme auprès du vaincu blême ;
Son corps, vêtu de pourpre, aux derniers feux du jour
Se penche avec ardeur sur le spasme suprême,
Plus terrible et plus beau que le spasme d’amour.
Page 586
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 586/664
Sourire dans la mort
Le charme maladif des musiques moroses
Ici ne convient point à l’auguste trépas ;
Venez ! Il faut couvrir de rythmes et de roses
La maison du poète, où le deuil n’entre pas.
Rien que l’éclat des chants : pas de vain verbiage,
Ni le sanglot banal d’importunes douleurs ;
Comme pour un splendide et joyeux mariage,
Il lui faut avant tout des fleurs, des fleurs, des fleurs !
Il épouse la gloire au sourire de femme
Et l’ombre est nuptiale autour de son cercueil ;
Les cierges enfiévrés sont des souffles de flamme
Qui veillent ardemment et longuement au seuil.
Dans le sublime oubli de sa vie ancienne,
Son front large sourit avec sérénité…
Il dort visiblement sa nuit olympienne,
Et son baiser d’amour étreint l’éternité.
Page 587
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 587/664
Sonnet à Alice Barney
Le mystère de ta beauté meurtrie
N’a rien de la froideur de notre ciel natal,
Et tes yeux où languit le rêve oriental
Semblent chercher toujours la lointaine Patrie.
Ton pas semble fouler les sables de Syrie,
La flamme du désert brûlé à ton front fatal,
Il se mêle une odeur de rose et de santal
A l’étrange ferveur de ta lèvre qui prie.
Devant ton long regard l’horizon s’élargit.
Quelque chose d’ardent et de fauve rugit
Sous le chant de ta voix savamment modulée.
Et l’on sent rayonner en ton esprit vivant,
Aube d’un nouveau jour, lumière révélée,
Le mystique soleil qui nous vient du Levant.
Page 588
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 588/664
A mon Avril
Répands sur mon front d’insomnie
Tes cheveux d’aurore et de joie,
O toi, ma tendresse infinie,
Avril, mon printemps, mon amour !
Quoi de plus tendre et de plus beau
Que de voir, miracle suprême !
Des roses naître du tombeau !
Cela s’est fait, puisque je t’aime.
Dans mon âme, où l’angoisse est morte,
Le souvenir est effacé…
Donne-moi tes lèvres ! qu’importe
La douleur que fut le passé !
L’oubli me sourit dans tes yeux
Et je dis à la vie en larmes
Un grand hommage silencieux
Car elle a de suprêmes charmes.
Page 589
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 589/664
Car j’ai, dans ma pauvre existence,
Parmi les jours où j’ai pleuré,
Quelque chose de doux, d’immense,
De lumineux et de sacré !
C’est pour cela que je bénis
Non seulement toi, ma très blonde,
Mais aussi les temps infinis,
L’espace et les cieux et le monde !
J’ai compris qu’elle aube suprême
Se lève sur le grand néant,
Et qu’on espère, et que l’on aime
Et que l’on meurt en souriant !
A l’absente
Oui, c’est toi mon rêve suprême
Page 590
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 590/664
Pendant ces longs, ces mornes jours
Où je pleure au fond de moi-même
L’exil triste de nos amours !-
N’as-tu pas senti qu’un moment
Lasse de ses souffrances vaines
Mon âme allait éperdument
Vers tes chères lèvres lointaines ?-
N’as-tu pas entendu, ma blonde,
Le bruit d’un sanglot qui revient
Dans le cœur de la nuit profonde ?-
C’est mon amour qui se souvient.-
Le Miroir
Je t’admire, et ne suis que ton miroir fidèle
Car je m’abîme en toi pour t’aimer un peu mieux ;
Je rêve ta beauté, je me confonds en elle,
Page 591
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 591/664
Et j’ai fait de mes yeux le miroir de tes yeux.
Je t’adore, et mon cœur est le profond miroir
Où ton humeur d’avril se reflète sans cesse.
Tout entier, il s’éclaire à tes moments d’espoir
Et se meurt lentement à ta moindre tristesse.
O toujours la plus douce, ô blonde entre les blondes,
Je t’adore, et mon corps est l’amoureux miroir
Où tu verras tes seins et tes hanches profondes,
Tes seins pâles qui font si lumineux le soir !
Penche-toi, tu verras ton miroir tour à tour
Pâlir ou te sourire avec tes mêmes lèvres
Où trembleront encor tes mêmes mots d’amour ;
Tu le verras frémir des mêmes longues fièvres.
Contemple ton miroir de chair tendre et nacrée
Car il s’est fait très pur afin de recevoir
Le reflet immortel de la Beauté sacrée…
Penche-toi longuement sur l’amoureux Miroir !
Page 592
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 592/664
Remords tendre
Je n’ai pas su t’aimer, ma divine et ma blonde,
Blonde aux baisers de fleur, bien souvent, en secret
J’ai dû faire pleurer les plus beaux yeux du monde,
Je n’ai pas toujours eu la bonté qu’il faudrait.
J’ai vécu trop de deuils, de douleurs, de mensonges,
J’ai passé mon chemin, mon cœur est devenu
L’incrédule de rêve et l’ennui des songes ?…
Lorsqu’il était trop tard, ton sourire est venu.
Je trouvais à souffrir Dieu sait quels sombres charmes,
Tu me disais : Toujours ! Je répondais : Jamais !
Je doutais âprement ; même devant tes larmes,
J’étais triste et méchante ; et pourtant tu m’aimais !
Je n’ai pas su garder intacte et parfumée
Une heure unique et tendre, au fond de mon destin…
O ma douceur ! Pourquoi t’ai-je si mal aimée ?
L’espérance ne peut épouser le chagrin.
Page 593
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 593/664
Quelque chose de frais, quelque chose d’immense,
Quelque chose de blanc comme l’éclat du jour
Avait paru pourtant dans ma terne existence,
Ce miracle : t’avoir inspiré de l’amour !
Une larme à tes yeux ressemble à la rosée ;
Pour me la donner, pleure une dernière fois !
Ce sera le pardon sur mon âme brisée
Et l’effacement pur du mauvais autrefois !
Par-Delà la Mort persiste le Désir
O ma Maîtresse morte, aux yeux de pâle azur,
Je te vois dans ton lit que lave la rosée,
Dans ton cercueil fétide où coule un flot impur,
Et sans fin je t’adore, ô chair décomposée.
La nacre des baisers, des longs baisers d’hier,
Donne à ton corps brisé ce bleu de meurtrissure,
Page 594
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 594/664
Ce vert, ce violet voluptueux et clair.
J’aspire ton parfum d’ombre et de moisissure.
Je te convoite avec des râles et des cris,
Moi qui reviens cueillir sur tes lèvres livides
Ces baisers d’autrefois, empestés et pourris,
T’étreindre et regarder sous tes paupières vides.
Tu m’attends, allongée au fond du soir troublant,
Et je viens m’enivrer de ton affreuse haleine
En me disant : « C’est elle, et voici son cou blanc,
Voici ses clairs cheveux, ses mains de reine.
« Que notre solitude est douce, ô mon Désir !
« Quel merveilleux silence où mon sanglot se brise !
« C’est elle que je vois divinement pâlir…
« Voici la nuit d’amour si tendrement promise.
« Quelle nuit de caresse et de fièvre ! Oh ! les seins
« Frais et fleuris, les flancs d’une forme suprême !
« Le velouté du ventre et la rondeur des reins !
« La voici tout entière, et telle que je l’aime ! »
« Je suis le Ver qui vit de ton corps bien-aimé,
Qui dans l’ombre a rampé jusqu’à ta froide porte,
Page 595
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 595/664
Le Ver toujours tenace et toujours affamé,
Dont l’éternel désir se repaît de chair morte.
Blonde au froid coloris…
Blonde au froid coloris, perverse et virginale,
Toi qui, dans la moiteur des nuits de bacchanale,
Mêles des lys meurtris à tes cheveux défaits,
Tu n’aimes que les lits de paresse et de paix,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Et j’ignore pourquoi, dans un silence amer,
Tu me livres l’ennui languissant de ta chair.
Compagne au front distrait de ma lugubre couche,
Tu me livres l’ennui languissant de ta bouche,
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés…
La neige qui fleurit les monts immaculés
Est moins froide à frôler que ta pâle luxure.
Oh ! Le charme et l’horreur de ta blancheur impure !
Page 596
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 596/664
Des refrains de simples couplets…
Des refrains de simples couplets
Flottent là-bas, à la dérive…
Délicatement sensitive
Ton âme est pleine de reflets.
Dans l’ombre, parmi les accords
Et les souffles de tubéreuse,
Resplendit, ô vierge amoureuse !
La flamme blanche de ton corps…
Page 597
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 597/664
Le lys noir
L’inquiétant Lys noir, large ouvert, semble offrir
Dans sa coupe de deuil un ivresse infernale.
Il a le fier mépris de la beauté banale
Qu’un rayon de soleil trop fervent peut flétrir.
Et la sinistre fleur du vice sans désir
Se fane dans l’ardeur de l’âpre bacchanale
S’effeuillant aux cheveux d’une femme vénale
Dont le cœur ennuyé dédaigne de choisir.
Sachant combien le rire est énervant et triste
Elle exhale en mourant son parfum où persiste
Un relent affadi de festins et d’amour
Et l’aube vient brûler la paupière rougie
De la Douleur souillée essuyant au grand jour
Parmi les pleurs sacrés les sueurs de l’orgie.
Page 598
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 598/664
Michel-Ange à Vittoria Colonna
Je goûte de toi le silence et le charme
Des nuits où la douleur se plaît à demeurer,
Toi qu’on ne voit jamais essuyer une larme
Mais dont j’entends souvent la grande âme pleurer.
Je suis déjà si las des baisers de la terre
O femme au noble front par les chagrins terni,
Je ne trouve un peu d’ombre et de divin mystère
Que dans la profondeur de ton deuil infini !
Comment auprès de toi tenter la vaine épreuve
Des aveux dédaignés, des soupirs superflus ?
Toi si haute et si sombre en tes robes de veuves,
Toi dont l’espoir brisé ne s’éveillera plus ?
O ma nuit ! ô ma paix ! calme où se fortifie
Le magnanime élan, le généreux effort,
Je mets à tes pieds saints mon cœur que purifie
La blancheur d’un amour qui ressemble à la mort.
Page 599
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 599/664
Les fruits
(sonnet)
Je hais les fruits, splendeurs par le soleil mûries,
Prunes de pourpre et d’or, dont l’odorant sommeil
Dans l’aube fut troublé par un baiser vermeil,
Mystique Orange, éclose au pays des féeries,
Pomme fraîche exhalant le parfum des prairies,
Cerise folle, offrant ses lèvres au soleil,
Abricot à la joue espagnole pareil,
Et pêche aux chairs de femme exquises et meurtries.
Les fruits, réalités des rêves du printemps
Dans l’ostentation de leurs corps éclatants,
M’attristent à l’égal des choses accomplies.
Leur saveur sensuelle et leur lourde couleur
Ne fait frémir en moi que des mélancolies,
Car j’y vois l’agonie et la mort d’une fleur.
Page 600
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 600/664
Chauve-Souris
Vampire sans horreur et Monstre sans effroi,
Chimère sans beauté, Chauve-Souris, ô toi
Qui va heurtant du front les ténèbres divines,
Ivre d’ombre et d’horreur, de nuit et de ruines,
Comment ne pas t’aimer en pleurant, ô ma sœur ?
Ta laideur de sabbat éloigne la douceur,
Ton pitoyable élan se brise dans le vide
Tant l’effort maladroit de ton lourd vol stupide
T’affole et te tourmente, et ne t’élève pas !
Et tes regards meurtris sont aveugles et las
D’avoir trop adoré les astres et la lune…
Tu sembles apporter la sinistre infortune
Et les pressentiments du danger et de la mort
Tandis que l’univers se délasse et s’endort.
Ta muette souffrance erre et rôde et s’égare.
Pleins de tâtonnements, ton passage bizarre
Page 601
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 601/664
Mêle l’inquiétude et la fièvre aux beaux soirs.
C’est toi le frôlement d’étranges désespoirs,
Furtifs, enveloppés de terreur et de haine.
Passe, spectre éperdu, pareil à l’âme humaine
Dans ce qu’elle a de triste et d’ignoble et de beau,
Avec ton corps de bête et tes ailes d’oiseau !
Le Violon
Le Musicien mire un visage hagard
Et des yeux d’où l’éclair des triomphes s’envole.
Le soir tombe, apportant une fatigue molle,
Et le vieil homme dit : Il se fait déjà tard.
L’amant peut oublier le plus divin regard
Et le son de la plus enivrante parole,
Mais rien ne peut guérir, rien jamais ne console
Page 602
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 602/664
L’artiste défaillant de la mort de son art.
Le violon se tait. Comme par ironie,
L’immortel instrument garde son harmonie
Et, matière, a vaincu l’esprit humilié.
Il attend un Elu, qui, dans un prochain âge,
Viendra, sans plus songer au vieux Maître oublié,
Recueillir largement le divin héritage.
Corinne Triomphante
Tous deux ont noblement chanté, mais vers Corinne
Se portent l’éclat et l’hommage des yeux ;
Elle a fait murmurer et sangloter le mieux
La lyre, et l’Hellas devant elle s’incline.
Et des vierges ont mis à sa tempe
L’orgueil des lauriers, les feuillages du symbole ;
Page 603
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 603/664
Ses lèvres ont gardé le pli de la parole
Où le rythme savant éclate avec splendeur.
Corinne a triomphé, car la gloire ancienne
Des chanteurs refleurit au printemps de son front,
On la nomme divine et la foule répond
Par un élan d’amour vers la Musicienne.
Des roses et des lys, et des roses encor
S’effeuillent en parfum à ses pieds que l’on baise.
Elle ne sourit plus, son regard qui s’apaise
Semble celui d’un aigle arrêtant son essor.
A celui que son ode a frappé du silence
Elle va lentement, sans joie et sans orgueil,
Puis élève la voix, et des accents de deuil
Traînent obscurément dans l’or de sa cadence.
Elle dit : « O Pindare ! ô frère ! n’est-ce pas
« Que les lauriers sont lourds sur le front d’un poète,
« Et que le doute en nous tressaille et s’inquiète
« De les ceindre avant la majesté du trépas ?-
« Jadis, la nymphe aux yeux pareils à la rosée
« Fuyait devant le Dieu des chants et du soleil ;
Page 604
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 604/664
« Lui, saisissant enfin les cheveux de vermeil,
« Ne garda plus aux doigts qu’une tige brisée.
« Et l’Immortel, pleurant son Immortalité,
« Fut ta proie, ô Désir qui toujours te refuses !
« En cueillant le lauriers des Héros et des Muses
« Apollon l’a maudit pour sa stérilité.
« Depuis lors, les amants de l’alme poésie
« Sont brûlés d’un souci plus amer que la mort :
« La forme de leur rêve échappe à leur effort,
« Fugitive éternelle aux lèvres d’ambroisie.
« Ils y laissent leur vie et leurs cœurs tout entiers
« Et s’attristent souvent aux heures de victoire :
« La Déesse les fuit, en leur laissant la gloire…
« Et leurs pleurs ont coulé sur les pâles lauriers ! »
La Coupe de Cléopâtre
Page 605
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 605/664
( A Alice Barney, qui un soir incarna Cléopâtre )
Dans la coupe profonde où rit la liqueur d’or,
Débordante, éclatante en fauves étincelles,
Parmi l’effeuillement des fleurs et d’un trésor,
Cléopâtre a trempé ses lèvres immortelles.
Comme de la lumière étincellent ses dents,
Ses paupières de pourpre ont de lourdes paresses,
Elle songe, à travers un nuage d’encens,
La royale Assoiffée aux étranges ivresses.
De sa voix langoureuse et fatale aux amants
Elle murmure : Assez des vains fruits de la terre !
Il me faut l’âpre vin aux lourds parfums fumants
Dont la terrible soif des Dieux se désaltère.
Pour que je puisse enfin, songe qui m’éblouit,
Boire superbement dans la coupe des Reines
Du Vin qui seul enivre et qui seul réjouit,
Verse-moi largement le flot pur de tes veines !
Comme un astre levant son visage divin
Que, dompté, l’univers en tremblant idolâtre,
Page 606
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 606/664
Dans cet enivrement superbe du festin,
La bouche humide et rouge, elle boit Cléopâtre !
Chanson
Lorsque la lune vient pleurer
Sur les tombes des fleurs fidèles
Mon souvenir vient t’effleurer
Dans un enveloppement d’ailes.
Il se fait tard, tu vas dormir
Les paupières déjà mi-closes…
Dans l’air des nuits on sent frémir
L’agonie ardente des roses.
Sur ton front lourd d’accablement
Tes cheveux font de légers voiles…
Dans le ciel brûle infiniment
La flamme blanche des étoiles
Page 607
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 607/664
Et la Déesse du Sommeil
De ses mains lentes fait éclore
Des fleurs qui craignent le soleil
Et qui meurent avant l’aurore.
Poème
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme
Et je suis aujourd’hui le mendiant d’amour :
Des souvenirs, pareils à la vermine infâme,
Me rongent à la face implacable du jour.
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme,
Et je viens lâchement implorer du destin
Un reflet de tes yeux au caprice divin,
O tombe fugitive, ô pâleur parfumée
Si prodigalement, si largement aimée !
J’ai cherché ton regard dans les yeux étrangers,
Page 608
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 608/664
J’ai cherché ton baiser sur des lèvres fuyantes ;
La vigne qui rougit au soleil des vergers
M’a versé dans ses flots le rire des Bacchantes ;
J’ai cherché ton parfum sur les lits étrangers
Sans libérer mon cœur de tes âpres caresses.
Et, comme les soupirs des plaintives maîtresses
Qui pleurent dans la nuit un été sans retour,
J’entends gémir l’écho des paroles d’amour.
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Incertaine douceur arrachée au destin,
Si prodigalement, si largement aimée,
J’ai perdu ton sourire au caprice divin ;
O forme fugitive, ô pâleur parfumée,
Tu m’as fait aujourd’hui le mendiant d’amour
Etalant à la face implacable du jour
La douleur sans beauté d’une misère infâme…
J’ai ruiné mon cœur, j’ai dévasté mon âme.
Page 609
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 609/664
Perle abandonnée
Je rends comme l’on jette une perle à la mer,
Au néant cet amour qui me fut rare et cher…
Le voici rejeté dans le lit de la mer,
Car rien de toi jamais ne me sera plus cher…
S’échappant de mes mains, il s’en retourne aux ondes
Dont ma main le reçut… Perfides et profondes,
O vagues, qui roulez, comme roulent les mondes,
Toujours elle fut vôtre, ô cauteleuses ondes !
Reprenez le présent refusé, traîtres flots !
Avec le calme oubli des antiques sanglots,
J’ai jeté mon amour au plus profond des flots !
Qu’il devienne la proie insensible des flots…
J’ai repris mon regret et ma mélancolie.
Cet amour qui ne fut qu’un songe de folie,
Que je le lance loin de moi, que je l’oublie !
Ah ! que j’oublie, et que j’oublie, et que j’oublie…
Page 610
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 610/664
Dans la Mort
Dans le frais clair-obscur bleuissant des lumières
Viens rêver de la Mort.. J’adore tes paupières
Les siècles ont glissé sur nos fronts endormis
Plus légers et plus doux que des rires amis…
Et le ruissellement des feuilles de pivoine,
Pleut dans notre cercueil d’onyx et de sardoine.
Large comme l’amphore aux mains de Rébecca
Ton flanc pâlit parmi les pleurs d’harmonica.
Vient reposer dans l’ombre où dorment les lumières,
Où j’adore la fleur de tes paupières.
Le Palais
Page 611
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 611/664
« Tu ne construiras point sur le sable. »
Evangile.
J’élevai ce palais où dort l’âme des rois,
Où l’air chargé de myrrhe et de nard s’alambique,
Où j’évoque le rire ardent de la musique,
Et la liquidité des lyres et des voix.
J’entourai de l’azur ténébreux des grands bois
Où dorment les serpents, sa façade héroïque,
Je parfumai d’un bleu parfum de véronique
Les murs enorgueillis des échos d’autrefois.
Mais sous votre ombre, ô fleurs vertes du sycomore !
Mon palais assailli par le vent de l’aurore
Ne sera plus qu’un peu de gris désenchanté…
Car je suis de ceux-là que la lumière accable,
Et, tenant par la main la froide Eternité,
L’aube me confondra : j’ai bâti sur le sable.
Page 612
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 612/664
Le Soir est glorieux
Le soir est glorieux ainsi qu’un hosanna…
Jadis, il me comprit et me rasséréna.
Je pleure, en contemplant le ciel roux comme l’ocre,
Sur mon esprit flottant et mon cœur médiocre.
Le fiévreux souvenir d’une Amie est dans l’air…
L’Arc-en-ciel de la Mort se lève sur la mer.
Et vers toi la Prêtresse, et vers moi la disciple,
Montre la Nuit unique et diverse et multiple.
La couleur de mes jours, tel un prisme incomplet,
S’assombrit gravement du vert au violet.
Sans révolte, j’attends le crépuscule neutre,
Sable, gris où le pas se veloute et se feutre.
Plus roue que le vin aux Noces de Cana,
Page 613
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 613/664
Voici venir le soir qui me rasséréna
Jadis, et qui versa ses ors de soufre et d’ocre
Sur mon esprit flottant et mon cœur médiocre.
Notre-Dame des Fièvres
(Tolède)
Ton haleine fétide a corrompu la ville…
Un vert de gangrène, un vert de poison
Grouille, et la nuit rampe ainsi qu’un reptile.
La foule redit en chœur l’oraison,
Délire fervent qui brûle les lèvres,
Frisson glacial parmi les sueurs,
Vers ta lividité, Notre-Dame des Fièvres !
L’ombre t’a consacré ses mauvaises lueurs.
Les phosphores bleus sont tes frêles cierges,
Page 614
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 614/664
Et les feux follets dorent ton autel,
Vierge qui souris à la mort des vierges,
Qui demeures sourde à l’obscur appel,
Madone vers qui matines et vêpres
Montent en grelottant, Notre-Dame des Lèpres !
Ta cathédrale, aux murs rongés par les lichens
Ecœure le soir par sa tiédeur fade.
Sur les lits souillés de hideux hymens,
Suinte la moiteur des mains de malade.
Les ladres squameux et les moribonds
Mêlent leur soupir au cri des orfraies
Et baisent tes genoux, Notre-Dame des Plaies !
Tes tragiques élus ont incliné leurs fronts
Sous le vent divin de tes litanies.
Et, parmi l’encens et les chants sacrés
Et l’écoulement des âcres sanies,
S’exhale en relent de pestiférés.
Le pus et le sang et les larmes pâles
Ont béni tes pieds nus, Notre-Dame des Râles !
Page 615
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 615/664
Désir d’Amour
A mon amie S. B.
Je voudrais te dire des choses
Que nulle oreille n’entendit
Et sur ton sein cueillir les roses
Que nul encore ne cueillit
Pour tes yeux pleins de lueurs chaudes
Pour ton corps aux parfums subtils
Je voudrais trouver dans mes rôdes
Parmi la nuit d’autres myrtils
Car je sais qu’aucun homme encore
N’a goûté ton hautain baiser
O ton baiser ! le faire éclore
Su tes lèvres, ô me griser !
Page 616
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 616/664
Adieux à la Sirène
Je t’ai gardée, auprès de moi, toute une nuit…
Et maintenant retourne à la mer, ma Sirène !
Vers la mer, tour à tour menaçante ou sereine,
Car ton front se détourne et mon regard te fuit…
Retourne à cette mer toujours renouvelée,
Vers laquelle en secret ton songe amer revient,
Qui t’a bercée, et qui t’appelle et te retient,
Grande comme les cieux, et, comme eux, étoilée !
Toi que mes yeux en pleurs ne reverront jamais,
Qui ne peux habiter la maison chaude e tendre
Où fut notre bonheur, qui ne peux plus m’entendre,
Va, plonge dans les flots, Sirène que j’aimais !
(Sans titire)
Page 617
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 617/664
Viviane, Gellô, Madeleine ou Cécile,
Dans ma bouche sans cris ta plainte s’étouffa ;
Et nous avons connu qu’il n’est pas si facile
De suivre hautement les routes de Psappha.
4 janvier 1909
A Cécile
Cette ville, où j’ai défait tes bandelettes,
A jamais retiendra mon cœur orageux.
Garde bien les roses mortes de nos jeux
Et ces violettes.
Mercredi.
Page 618
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 618/664
Noir et gris
Tout, dans ma vie intime, est noir et fris, gris noir
Et mon âme est pareille au ciel gris dans la brume…
Ce ne sont que regrets et ce n’est qu’amertume.
Sur moi ne reluit plus l’arc-en-ciel de l’espoir.
Autour de moi le ciel est gris et l’air grisâtre…
Et, tendant vers le feu le frisson de mes mains,
Dans l’horreur des pareils (illisibles) lendemains
Je cherche la chaleur bienfaisante de l’âtre.
Car nul enchantement, sous forme d’une femme,
Ne surprendra jamais enfin mes yeux ravis…
Voici : je n’attends plus que la mort, notre Dame…
Portant un vêtement gris et noir, noir et gris…
Page 619
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 619/664
( Bribes )
Dès ce beau soir, l’on me nomme l’Indifférente-
Par ce soir triste et froid, je ressemble à la lune-
Je porte froidement ma si froide infortune.-
Mon âme est morte en moi, morte comme la lune-
Et ma bouche n’a plus de baisers, ni, mes mains
Des caresses, ............ étrangère aux humains-
Je suis chaste comme la lune
Je m’éloigne à jamais chastement de
.............................................
Désabusée, et pâle, indifférente et lasse
Autant qu’un roi d’Espagne au fond de son palais
Je vais m’asseoir parmi les choses de la nuit
Et me voici dans la forêt de Brocéliande
N’as-tu point entendu le pas de Viviane ?
Page 620
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 620/664
Le roi d’Espagne est triste au fond de son palais
Car le temps est [un dieu ?] et les hommes sont laids.
-----------------------------------------------
Voici que l’Implacable elle-même,
elle-même
Pleura,-
Et la mer qui lui fut lieu de naissance hier
S’étonna
Donne à d’autres ta bouche et garde-moi tes yeux,
Garde-moi
Car e veux ton regard, profond comme ton âme,
Où demeure en beauté ta misère de femme.
POEMES SIGNES PAULE RIVERSDALE
Page 621
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 621/664
Vers l’Amour (1903)
Portraits
J’aime la beauté de tes yeux étincelant,
Le ton de tes cheveux dorés et chatoyants,
Ton petit nez mutin, ton front de tubéreuse,
Ton profil gracieux, ta sveltesse onduleuse.
La blancheur de tes seins pareils aux monts neigeux
Se dresse fièrement pour provoquer les cieux,
Et tes mains aux longs doigts, savants en caresses,
Laborieusement prodiguent les ivresses.
Le rythme de ta voix me cajole et me plaît,
Ton esprit si divers m’amuse et me distrait.
L’ombre du duvet blond reflété sur tes lèvres
Brûle mon jeune sang d’intolérables fièvres ;
Ta grâce d’amoureuse inlassable pâlit,
Dans l’ardeur de l’alcôve et dans l’ombre du lit,
Ton corps voluptueux sous mes baisers tressaille.
Oh ! les coups de ton cœur dans la belle bataille !
Page 622
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 622/664
Divinité
Déesse aux yeux d’or brun, clos ta paupière rose,
Fais des songes d’amour ; que ton sommeil soit doux ;
Que le rêve lointain comme un rayon se pose
Sur ton front languissant et sur tes cheveux flous.
Je voudrais être la nuit, afin de t’étreindre,
Je voudrais te presser sur mon cœur frémissant,
Entendre ton sanglot voluptueux se plaindre
Et retenir l’amour qui sourit en passant.
Désir
O toi dont le beau corps est fait de volupté,
Page 623
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 623/664
Toi, dont le clair regard séduit, affole et grise,
J’aime frôler et voir ta pâle nudité,
Et cueillir sur ta bouche une douceur promise ;
Me pâmer de bonheur et n’entendre aucun bruit ;
Oublier que j’existe et vivre dans un songe ;
Fermer les yeux, rêver, me perdre dans la nuit,
Quand l’écho des aveux ardemment se prolonge.
Enterrée vivante
L’effroyable réveil de se voir sous la terre,
Essayant d’ébranler les murs de sa prison.
Et sachant que bientôt cette lugubre bière,
Impitoyablement, lui prend sa raison.
…Elle pousse des cris, des sanglots de détresse,
S’arrachant les cheveux, elle tremble d’horreur,
Pensant à son aimé qui pleure avec tendresse
Celle qui fut la joie et la fleur du bonheur.
Elle crispe ses mains, repoussant le suaire
Page 624
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 624/664
Qui paralyse son effort épouvanté,
Dans ce sépulcre froid, tristement solitaire
Dont aucun mot ne peut dire l’atrocité.
Elle entend des pas sourds. Est-ce la délivrance ?
Dans un dernier sursaut, appelant le sauveur,
Qui s’éloigne en chantant sa placide ignorance.
Ce passant ne sait point ce qui le rend rêveur ;
C’est un écho lointain, une légère plainte,
Venant d’un être humain, qui là, tout près de lui,
Se sent mourir d’effroi dans le noir labyrinthe,
D’une livide enfant dont l’espérance a fui.
La Sirène
Sirène au corps d’argent, dont le regard fascine,
Tu glisses comme un rets sur l’immense océan,
Attirant par ta voix, ô néfaste androgyne,
Le crédule pêcheur vers le gouffre béant.
Tes chants mélodieux, dans la nuit étoilée,
Page 625
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 625/664
Dans le calme divin, font tressaillir d’émoi,
Et de loin on entend cette harmonie ailée
Qui glace l’homme plein de désir et d’effroi.
Tu t’approches de lui, les lèvres souriantes ;
De ta chair parfumée émane le péril ;
Tu l’appelles encor de tes mains suppliantes ;
Il est sous le pouvoir de ton charme subtil.
Inconscient, il suit la forme enchanteresse,
Oubliant son foyer, le bonheur du retour,
Et les serments qu’il fit à sa jeune maîtresse :
Tu le tiens désormais dans tes filets d’amour ;
Mais il s’abîme au fond de l’onde impitoyable,
Il voit confusément l’épouvante des mers,
Des cadavres meurtris sur leur couche de sable,
Les crabes jaillissant de crânes entrouverts.
Il veut se libérer de sa prison mouvante,
Il tend ses bras vaincus vers l’horizon d’airain,
Puis meurt dans un sanglot. Et la douce voix chante,
Car une autre victime éclaire le lointain.
Page 626
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 626/664
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
ECHOS ET REFLETS,
1903
Les Yeux
L’Anxiété des Lèvres
La Double Ambiguïté
L’Automne
Couchant sur l’Hellas
A une Poétesse
L'Iris noir
Page 627
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 627/664
Marine
Colobra
L’œillet mauve
L’Oranger
Chanson Mystique
Créoles
Fleurs orgiaques
Au Pays des Miracles
A une Amie
Dryade
Floréal
Sonnet vénitien
Rythme dans la Forêt
Chanson nocturne
Nacre sur fond d’or
Pressentiment
Etoiles sur le Navire
Départ trouble
Baiser païen
Gravités de la Solitude
Page 628
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 628/664
Les Yeux
Les yeux noirs, où l’éclair des ténèbres reluit
Et s’éteint, les yeux noirs sont plus beaux que la nuit.
Les yeux gris, où l’ardeur des étés passe et brûle,
Les yeux gris sont plus beaux que le doux crépuscule.
Les yeux bleus, clairs miroirs de rêve et de l’amour,
Rayons frais, les yeux bleus sont plus beaux que le jour.
Les yeux verts, où l’azur des feuilles tremble encore,
Lueurs d’eau, les yeux verts sont plus beaux que l’aurore.
Angoissants comme l’abîme et le désespoir,
Ombres d’or, les yeux bruns sont plus beaux que le soir.
Page 629
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 629/664
L’Anxiété des Lèvres
Donne-moi les mauvais baisers
Qui frémissent, inapaisés,
Parmi les lents sanglots brisés.
Lorsque tu seras endormie,
Je contemplerai l’infamie
De tes fausses lèvres d’amie.
La lumière de ton miroir
A reflété mon désespoir
Et les glauques frissons du soir.
Redis-moi le divin mensonge
Où chaque soir mon être plonge
Comme en l’abîme d’or du songe.
Ah ! rends-moi les mauvais baisers
Qui frémissent, inapaisés,
Parmi les lents sanglots brisés !
Page 630
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 630/664
La Double Ambiguïté
J’écoute avidement tes paroles dans l’ombre…
Je goûte les langueurs et les parfums du lit
Et la complicité des ténèbres, où sombre
La Pléiade d’or que Sélanna pâlit.
Tu souris, déployant ta chevelure blonde,
Et le sommeil répand des pétales d’azur.
La musique s’éteint. La nuit glisse sur l’onde
Harmonieusement, ainsi qu’un cygne obscur.
Ma bouche a possédé ta bouche féminine
Et mon être a frémi sous tes baisers d’amant,
Car je suis l’Etre Double, et mon âme androgyne
Adore en toi la vierge et le prince charmant.
Page 631
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 631/664
L’Automne
Avec des ardeurs de lionne,
La forêt vibre et s’abandonne
Aux baisers rouges de l’automne,
Et ta chevelure jauni
Pleure sur la lente agonie
Des solitudes d’Ionie.
La feuille vole et tourbillonne :
Le rythme du vent monotone
Gémit sur la mort de l’automne.
La forêt jette un cri fantasque,
Comme une plainte qui se masque
Sous le rire de la bourrasque.
Dans l’ombre au parfum d’anémone,
La nuit glorifie et couronne
La mort divine de l’automne.
Page 632
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 632/664
Couchant sur l’Hellas
Tes pas mystérieux d’amante virginale
Erraient près de l’étang que l’Artémis créa.
Le couchant, glorieux comme un cri de cymbale,
Ensanglantaient les flots où dort le nymphéa.
Mon rêve rayonna d’une extase inconnue,
Autour de toi rôda mon désir obstiné…
Tu souriais debout et divinement nue,
Plus blanche que Léda, plus blonde que Daphné.
Le soleil, rougissant les cheveux de prêtresses,
Exaspérait l’ardeur de leur corps irrité…
Au lointain hennissaient les noires Centauresses
Dont le rut saccageait les herbes de l’été.
Page 633
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 633/664
A une Poétesse
Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers,
Et la foule s’assemble au fond de la chapelle
Où l’on cherche Marie et n’espère qu’en Elle.
O vaisseau qui se noie en l’abîme des mers,
O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle,
Voici le soir… Voici l’orage aux cris amers.
Et dans mon cœur sévit la tempête des mers !
O Dieu ! je cherche en vain l’ombre de la chapelle.
Marie ! – O lys très blanc, qui règnes sur la mer !
L’Iris noir
Dans tes pétales de ténèbres
Page 634
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 634/664
S’attristent les songes funèbres
Et les pressentiments du soir,
Long iris noir.
La Nuit aux mains prodigues verse
Des lueurs de lune perverse
Sur ton calice d’encensoir,
Long iris noir.
Tu fleuris à l’ombre rougie
D’une mélancolique orgie
Que l’aurore vient décevoir,
Long iris noir.
Tu meurs parmi les lassitudes
Abandonnant aux solitudes
Leurs frêles mains de désespoir,
Long iris noir.
Page 635
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 635/664
Marine
O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,
O mouettes, blancheurs de voiles, votre essor
A travers les maëlstroms et le vent et la brume
Est plus impérial que l’orgueilleux essor,
Brûlé par le soleil, de l’aigle aux ailes d’or.
Fuyez sous les yeux verts de l’aube maritime,
Jetez vos cris aigus vers l’angoisse des flots,
Plongez votre regard enfiévré par l’abîme
Jusqu’au sein irrité de l’orage et des flots
Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.
A travers les maëlstroms et le vent et la brume
Charriant le phosphore et l’iode des flots,
O sœurs de la tempête, ô filles de l’écume,
O mouettes, planez sur l’orage des flots
Dont l’éternel désir déferle en lourds sanglots.
Page 636
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 636/664
Colobra
Voici la nuit lente, rampant
Vers l’opale de la colline..
Et, sinueux comme un serpent,
Ton charme pervers me fascine.
Au fond de tes yeux ardoisés
Errent des éclairs et des ombres.
Oh ! le venin de tes baisers !
Le péril de tes regards sombres !
Jamais ta ruse ne s’endort
Sous ton illusoire paresse.
Un goût de menace et de mort
Corrompt ta subtile caresse.
Voici la nuit souple, rampant
Vers l’opale de la colline…
Et, sinueux comme un serpent,
Ton charme étrange me fascine.
Page 637
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 637/664
L’œillet mauve
Fleur qui décores le printemps,
Fleur qui t’effeuilles dans l’automne,
Tu répands les parfums flottants
Où l’âme des jardins frissonne.
Et tu fanes lentement
Dans ta mauve mélancolie,
Triste fragance d’un moment,
Pourpre délavée et pâlie.
Enfant d’un maladif soleil,
Tu réjouis de ta préférence
Les vergers d’ombre et de sommeil
Où l’été verse le silence.
Le désir te cueille le soir,
Pour parer le sein de l’aimée
Qui reflète dans le miroir
Le pli de sa lèvre embaumée.
O charme triste d’un moment !
Penche ta corolle pâlie
Avant de mourir doucement
Page 638
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 638/664
Dans ta mauve mélancolie.
L’Oranger
L’air méridional a des langueurs d’amante ;
Le soleil, qui s’éteint parmi les orangers,
Attriste obliquement leurs feuillages légers ;
La vigne a recueilli des rires de Bacchante.
La mer vient exhaler sous le myrte et l’acanthe
Ses longs gémissements et ses chants passagers.
L’or vert du crépuscule estompe les vergers
Et le soir a versé sa torpeur enivrante.
L’âme grave en qui sourd le sanglot du désir
Et qui sait l’anxiété lourde e choisir,
Recèle le poison des coupes de Locuste.
Le fondu vespéral apaise les couleurs
Et s’attarde, pareil aux regrets, sur l’arbuste
Qui porte altièrement les fruits blonds et les fleurs.
Page 639
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 639/664
Chanson Mystique
Ton âme a les feux de l’opale
Et de l’arc-en-ciel incertain,
Elle a l’ombre du bleu Lointain,
La candeur de la source pâle.
Ton âme est pareille au cristal
Qui réfléchit les clairs de lune,
Aux lys exhalant vers la brune
Leur grave parfum virginal.
Ton âme est le ruisseau qui chante
Les chansons de l’aube à la nuit…
Le rêve que le jour détruit,
Le luth murmurant sous l’acanthe.
Page 640
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 640/664
Créoles
Le soir frémit encor de nos anciens aveux
Sur les pics foudroyés que l’ouragan ravage…
Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux.
Sous tes pas de créole enfant, traîne un sillage
D’échos et de reflets, d’angoisses et de vœux ;
Tes seins ont la fraîcheur d’une rose sauvage.
Une vapeur légère estompe le contour
Des montagnes d’azur, et l’eau semble se taire
Pour recueillir le souffle agonisant du jour.
Mon être émerveillé contemple ce mystère,
Ce miracle : t’avoir inspiré de l’amour !
Et je plains le néant de l’être solitaire.
Dans le soir où languit un rêve oriental,
Tes paupières de pourpre ont de lourdes paresses :
L’air est chargé de nard, de myrrhe et de santal.
Page 641
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 641/664
Et, comme un défilé de funèbres prêtresses,
Baissant leurs fronts gemmés d’argent et de cristal,
Les étoiles du Sud consacrent nos ivresses.
Les longs pressentiments, les lueurs et les vœux
T’auréolent ainsi qu’une rouge couronne :
Sous tes pas se déroule un sillage d’aveux.
Vois flamber le minuit que la fièvre aiguillonne :
Laisse-moi respirer l’odeur de tes cheveux
Et te soumettre enfin à mes ruts de lionne.
Fleurs orgiaques
Tes doigts frais effeuillent les fleurs
Qui parsèment de leurs pâleurs
Les tapis aux rudes couleurs.
Page 642
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 642/664
Vois mourir les roses païennes
Que les mains des Musiciennes
Mêlent aux lyres doriennes.
Aux soirs de voluptés, les fleurs
Neigent, ineffables pâleurs,
Parmi les sons et les couleurs.
Et leurs fébriles agonies
Ensanglantent les harmonies
Des corruptions infinies.
Les femmes masquent leurs pâleurs
Dans le soir ivre de couleurs
Qu’hallucine la mort des fleurs.
Au Pays des Miracles
Impérieusement je prendrai mon essor
Page 643
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 643/664
Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.
Je ferai ruisseler, fluidités sereines,
Entre mes doigts ardents les cheveux des Sirènes.
Je verrai, dans un halo de parfums flottants,
Les fantômes errer sous le bleu du printemps.
J’entendrai les chasseurs étranges des ténèbres,
Les frissons noirs des ifs, le son des cors funèbres.
Auprès de moi, blancheurs de nuage et de jour,
Luiront les visions mortelles de l’amour.
Je pencherai mon cœur sur l’eau de la lagune,
Lorsque s’attendrira le rire de la Lune…
Impérieusement je prendrai mon essor
Cette nuit : je fuirai vers les espaces d’or.
Page 644
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 644/664
A une Amie
Je m’abîmai dans tes yeux
Où la tristesse s’extasie,
Où s’attarde un reflet d’adieux,
O fleur d’ombre et de poésie !
Tu fais gémir, en tes accords,
Les divines inquiétudes ;
La flamme blanche de ton corps
Brûle au fond de mes solitudes.
Un rêve d’automne et d’hiver
Filtre sous tes paupières closes,
Tandis qu’émane de ta chair
L’exaspération des roses.
La Dryade
Page 645
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 645/664
La Dryade se berce au rythme des feuillages.
L’or vert de ses cheveux palpite dans le vent,
Et la précocité de l’avril décevant
Emplit de floraisons fragiles les bocages.
La Dryade se berce au rythme des feuillages.
La Dryade pensive écoute les oiseaux…
Ses membres ont frémi d’une extase inconnue.
Les lianes ont fait un lacis de réseaux
Autour es blancs frissons de la volupté nue…
La Dryade pensive écoute les oiseaux.
La Dryade se meurt de la mort de l’automne ;
Le soir tombe, et l’amour a tu son rire amer…
Le monde ensanglanté de vendanges s’étonne
A voir naître et grandir l’angoisse de l’hiver…
La Dryade se meurt de la mort de l’automne.
Page 646
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 646/664
Floréal
Je t’aime dans l’odeur des roses
Mourantes, quand il se fait tard,
Quand, sous tes paupières mi-closes,
S’alanguit ton pâle regard.
Mon âme tendrement troublée
T’aime dans l’odeur des lilas,
Lorsque ruisselle la coulée
Du clair midi sur les fronts las.
O ma Maîtresse, ô mon Amie,
Je t’aime en l’odeur des œillets…
Le bleu de ta chambre endormie
S’attendrit parmi les regrets…
Dans l’odeur de la violette,
J’aime la grâce de ton corps,
Tandis que le miroir reflète
L’éclat des ambres et des ors.
Dans l’odeur de ta tubéreuse,
Je t’aime d’un mauvais désir,
A l’heure où l’aurore amoureuse
Se pâme avec un frais soupir.
Et, dans l’odeur de l’aubépine,
J’aime tes yeux pleins d’éclairs bruns…
Page 647
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 647/664
O ma Maîtresse, ô ma Divine !
Je te mêle à tous les parfums.
Sonnet vénitien
Le soir est imprégné de nard et de santal.
Lève sur moi tes yeux stagnants de Dogaresse,
Tes yeux qu l’ennui vert des lagunes oppresse,
Las d’avoir contemplé la moire du canal.
Autour de toi s’affirme un silence automnal ;
Le dangereux parfum des daturas caresse
Ton front sans véhémence, ô fragile Maîtresse,
Dont le souffle ternit à peine le cristal.
Le roux vénitien de tes cheveux anime
La solitude où traîne un sanglot de victime.
Tragique, le couchant te prête son décor.
Page 648
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 648/664
Tu portes le fardeau d’une antique infortune,
Quand tu fuis vers le sable où la Mer aux pieds d’or
Pleure sous le baiser stérile de la Lune.
Rythme dans la Forêt
Viens, nous irons vers la Nature,
Les abîmes et les forêts
Dont se crispe la chevelure,
Et vers l’automne aux longs regrets.
L’ombre, qui voit les lourdes fièvres
Se ralentir et s’apaiser,
Me verra boire sur tes lèvres
Le soupir profond du baiser.
Pour mes voluptés de poète,
J’amalgamerai les couleurs,
Je tresserai les chants de fête
Page 649
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 649/664
Et je ferai jaillir les fleurs.
Chanson nocturne
Un flot d’étoiles coule et fuit
Vers l’énigme des portes closes.
L’ombre fébrile de la nuit
Brûle d’une flamme de roses.
La lune dérobe au soleil
Le souvenir d’une heure aimée,
Et le parfum de ton sommeil
S’échappe ainsi qu’une fumée.
Il est si divin dans la nuit
Qu’il semble une flamme de roses…
Le flot des astres coule et fuit
Vers l’énigme des portes closes.
Page 650
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 650/664
Nacre sur fond d’or
La forêt s’attendrit à l’écho de ta voix ;
Les lucioles d’or aiguisent leurs lumières ;
Je ceins d’iris ton front de vierge, et je revois
Le frisson blanc de tes paupières.
Mon cœur a réfléchi ton cœur pervers et pur :
Je cueillerai pour toi les roses des allées
Où le couchant s’attarde, ivre d’antique azur
Et de poussières étoilées.
Le nacre mêle à l’or ses reflets irisés.
Au loin l’âcre sanglot de la mer s’atténue
Et, sous l’acharnement tiède de mes baisers,
Jaillit la fleur de ta chair nue.
Page 651
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 651/664
Pressentiment
Pareille à ceux-là que la paix
Encloître dans l’ombre endormie,
Pâle sous te cheveux défaits,
Tu m’apparus, ô mon Amie !
Il me semblait que les tombeaux
Ouvraient pour toi leurs larges portes,
Parmi les chants et les flambeaux
Et les violettes des Mortes.
L’air de l’aurore s’affligea
De ton renoncement austère.
Tes épaules portaient déjà
Le poids funèbre de la terre.
Page 652
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 652/664
------------------------------------------------------------------
Etoiles sur le Navire
Tristement je rêvais en regardant les flots…
Le vent occidental portait ma rêverie
Vers des cieux inconnus, et les anciens sanglots
Sourdaient confusément dans mon âme meurtrie.
Sur les embruns, fleuris de sillages légers,
Se mirait le reflet orangé d’une voile,
Et, fraternel parmi les astres étrangers,
Souriait le regard attendri d’une étoile.
Tristement je rêvais en regardant les flots
Que fendait le passage orangé d’une voile ;
Dans mon âme, où somnolaient d’antiques sanglots,
Souriait le regard attendri d’une étoile.
Page 653
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 653/664
Départ trouble
Des arbres déchus de leurs gloires
S’exhalent les regrets tardifs,
Et les roses rouges et noires
Dardent leurs parfums sous les ifs.
Voici l’heure des adieux mornes,
O mon Désir ! O mon Souci !
Je vais par les chemins sans bornes,
Car les lys se meurent ici.
Tes seins livrent à l’air nocturne
Leurs dangereuses floraisons :
Accorde à mon vœu taciturne
Tes mains qui filtrent les poisons.
Les oiseaux que le jour accable
Prennent leur ténébreux essor,
Et tes longs pieds creux sur le sable
Ont laissé leur empreinte d’or.
Page 654
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 654/664
La luciole tremble et brûle
Moins que ton incertain regard…
J’entends au fond du crépuscule
Le divin sanglot du départ.
Gravités de la Solitude
Je vis dans le farouche exil
De la volupté qui s’isole,
Et le rythme de ta parole
Fait rire en moi les chants d’avril.
J’aspire les fraîcheurs nocturnes
Et la langueur de ton repos,
Dans l’ombre de tes yeux mi-clos
Et sur tes lèvres taciturnes.
Le sanglot lointain des douleurs
Page 655
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 655/664
Ne trouble plus la quiétude
De notre étrange solitude,
Ivre de musique et de fleurs.
Ah ! les soirs de fauve agonie,
Versant les rayons violets !
Ah ! les échos et les reflets
Des temples lascifs d’Ionie !
Accueil
http://www.reneevivien.com/images/page%27poemes%27_01.gif Oeuvrepoétique
Accueil
Page 656
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 656/664
POEMES SIGNES HELENE DE ZUYLEN
Effeuillements
1904
Tours de Burgos
Le Voile du Silence
Jardin gré des Saisons
Pavot noir
Le Promontoire d’or
Palette automnale
Tours de Burgos
Se drapant, comme d’un linceul,
Page 657
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 657/664
D’ombres et de douleurs fortes,
Plus graves qu’un portrait d’aïeul,
Les tours séculaires sont mortes.
Les ruelles et les calles
Fourmillent d’âpres épouvantes,
Et les maisons aux toits grêlés
Sont sépulcralement vivantes.
On y sent un confus effort
Dont l’incertitude dévie :
La fécondité dans la mort,
La pourriture dans la vie.
Le Voile du Silence
Tandis que le remous des bruns varechs s’endort,
Le silence a posé deux longs doigts sur ses lèvres.
La Dame de l’Automne et la Dame des Fièvres,
Page 658
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 658/664
Les bras liés, ont pris le chemin de la mort.
Et voici, sous les étoiles qui se sont tues.
Les pasteurs d4ionie et des Iduménéens.
La baie a des repos méditerranéens,
Et les arbres ont des fixités de statues,
Le silence est vêtu d’une robe gris-bleu.
Ses yeux sont une nuit smaragdine et sereine…
C’est l’heure où les douleurs retiennent leur haleine,
N’osant plus sangloter leur déchirant aveu.
L’ombre, ayant répandu l’azur vert de ses urnes,
S’abandonne aux douceurs lasses du souvenir,
Et, parmi l’or des cieux que l soir vient ternir,
Le voile du silence a des plis taciturnes.
Jardin gré des Saisons
Page 659
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 659/664
Au printemps, les Jardins livrent leur langueur moite
Tandis que l’aconit distille son poison,
L’arc-en-ciel de l’avril se brise à l’horizon
Comme un frêle bonheur que le Néant convoite…
En été, les Jardins luisent, tel un miroir
Juillet vide en riant sa corbeille de roses
Où sommeillent les ors des abeilles encloses,
Les opales de l’aube et les berges du soir…
Mélancoliquement attardé sur les mousses,
L’automne s’est vêtu de son rouge manteau…
Oranges des lointains ! Violets du coteau !
Sapins brûlés hérissant leurs aiguilles rousses !
Grappes au suc amer d’un soir désenchanté !
Lassitudes, en proie aux hantises cruelles,
Détournant loin des sphinx leurs errantes prunelles,
Et se réfugiant dans la simplicité !
Elles portent l’Ennui comme un lourd diadème,
Et leurs bouches sans joie ont méprisé le fard…
L’Automne aux doigts trempés de cinabre et de nard
Agonise sous les funèbres chrysanthèmes…
Page 660
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 660/664
L’Hiver, dont les savants et logiques dessins
Ont la complexité rigoureuse des lemmes
Enchevêtre un lacis vivifié de gemmes,
Perles du Gui, corail du houx, bloc des fusains.
Les nuages ont le prisme aigu des banquises,
Promontoires flottants sur l’azur d’un détroit,
Et, dans les clairs jardins où miroite le Froid,
Le regret des senteurs monte des roses grises.
Pavot noir
Fleur des mauvais jardins aux vénéneux sommeil,
Les servantes de l’Ombre et les Magiciennes,
Dont les nocturnes yeux redoutent le soleil,
Respirent âprement tes langueurs léthéennes.
Fleur des mauvais jardins au vénéneux sommeil.
Page 661
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 661/664
Tu te fanes parmi les âcres chevelures,
Et tu connais le rêve ardent des fronts maudits
Que jamais n’effleura, dans un bruit de ramures,
Le souffle des matins et des simples midis :
Tu te fanes parmi les âcres chevelures.
Tu t’effeuilles auprès des femmes sans désir
Dont les prunelles sont froidement endormies,
Dont le cœur ennuyé dédaigne de choisir,
Et dont l’âme est pareille à l’âme des momies :
Tu t’effeuilles auprès des femmes sans désir.
Ennui de l’aconit et de la belladone
Dans le soir où la voix des vieilles trahisons
Fait traîner, à l’égal d’un refrain monotone,
La fadeur et la fragilité des poisons !
Ennui de l’aconit et de la belladone !
Page 662
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 662/664
Le Promontoire d’or
Complexe et curieux en l’éther d’un bleu noir,
Je vois s’enchevêtrer l’étrange zodiaque.
Sans flux et sans reflux, la mer est une plaque
De saphir dans le bloc d’émeraude du soir.
Les vêtements de fête ont pris des plis funèbres ;
Les nuages, pareils à de longs spectres gris,
Traînent obscurément leurs linceuls défleuris :
Des Etres inconnus ont peuplé les ténèbres.
Tout est vague… Voici l’heure de l’Incertain.
Le ciel semble une ébauche et la terre une esquisse ;
La barque de la Nuit aventureuse glisse
Avec lenteur vers un promontoire lointain.
Page 663
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 663/664
Palette automnale
Le couchant a rougi les arbres violets.
Un blond duvet de lièvre adoucit et veloute
Les champs où l’ombre lente a jeté ses filets,
L’azur des frondaisons et l’ocre de la route.
C’est une symphonie en carmin dégradé
Où chante sourdement l’âme de la palette,
Et l’arbre que la brise en passant a ridé
Dresse son délicat et frissonnant squelette.
La rouille des marais aux luisances d’étain
S’assombrit. Déroulant de cendreuses étapes,
L’étroit sentier se perd dans un verger lointain
Où sommeille la pourpre extatique des grappes.
La gouache du vert et le pastel du bleu
Se fondent en un ciel dont la tiédeur frissonne ;
Les soufres, les safrans et les cuivres du Feu
S’attisent sur la toile ardente de l’automne.
Page 664
5/14/2018 Etudes et préludes - Renée Vivien - slidepdf.com
http://slidepdf.com/reader/full/etudes-et-preludes-renee-vivien 664/664
Accueil