Santé 6 www.lesnouvelles.fr TOUTES LES NOUVELLES Mercredi 11 juin 2014 Lire les prématurés - - “Naît re prém aturé : le bébé, son médecin et son psychana- lyste”, de Catherine Vanier, éd. Bayard, 2013, 19,90 euros Un témoignage fascinant sur 27 ans de pratique psycha- nalytique en néonatologie. - - “Tu étais si petite… 750g !”, de Martine Pelletier, éd. asso- ciation “Sparadrap”, 2008 Le témoignage d’une maman de prématurée, illustré par des photos. Le document s’adresse aux parents et aux professionnels de santé. Téléchargeable sur www.spa radrap.asso.fr - - “Le petit frère de Lola est arrivé en avance”, de Charlotte Bouvard et Alexandra Brijatoff, éd. asso- ciation “SOS préma”, 15 euros. Un album illustré pour expli- quer la prématurité à la fratrie et à l’ancien bébé prématuré. De 3 à 7 ans. Commander sur www.sosprema.com L E BI P DE S MACHINES rythme le silence. Dans les couveuses, on distingue à peine des bébés minuscules. Seul un mou- vement dans leur sommeil indi- que que quelqu’un vit dans ces langes. L’uni té de réanimation néonatale du centre hospitalier intercom- munal de Poissy-Saint-Germain- en-Laye, unique dans les Yvelines, soigne des prématurés nés à par- tir de 24 semaines de grossesse. Hospitalisés de deux à six mois, les plus petits peuvent peser 500 grammes. Des vies ténues. «L’angoisse de la mort y est très présente», confie Caroline Zenou, la psychologue du ser- vice. «Ils réagissent à la voix» Les chambres sont plongées dans la pénombre, les enfants, enve- loppés de l’odeur de leur mère. «La maman porte d’abord les langes sous son tee-shirt», explique le docteur Mathilde Le Touzey. Dans ce cheminement périlleux vers la vie, tout est conçu pour restituer l’atmosphère du cocon maternel. Ménager des sensorialités exacerbées. Et les voix sont là, rassurantes. «Nous leur parlons continuel- lement quand on les examine, les infirmières leur expliquent ce qu’elles font. Nous leur chantons des berceuses.» Alors ces bébés remuent, ouvrent les yeux, i ndique Caroli ne Ze nou : «Ils réagissent à la présence de la voix». Auprès de ces enfants pas tota- lement venus au monde, la nais- sance de parents prématurés est elle aussi délicate. «Nous devons restaurer leur confiance en eux et en leur bébé, estime le professeur Pascal Boileau, res- ponsable de l’unité de médecine néonatale. Cette arrivée trop tôt ne doit pas briser leur rêve d’un enfant parfait..» Mais il y a la barrière de la cou- veuse. Des bébés intubés, bran- ché s: «Les parents se retrou- vent confrontés à la toute puissance médicale. Je les aide à trouver leur place, à pren- dre conscience de ce qu’ils peuvent apporter par leur présence, leur parole. Je les encourage à verbaliser ce qu’ils ressentent. Il faut aussi permettre le "peau à peau" dès que possible, insiste Caroline Zenou. Et accompa- gner la fratrie.» Cependant, «la place des parents dans la prise en charge est probablement insuffisante», songe Pascal Boileau. L’ensemble de l’unité de médecine néonatale compte six chambres mère-bébé, sur un total de 48 lits. Et l’éloignement géo- graphique s’avère fréquent. «Nous manquons de lits de réanima tion : 40% des grands prématurés yvelinois naissent hors du départe- ment.» Un nouveau bip retentit. De la réanimation aux soins intensifs, le couloir s’écoule vers la sortie. La lumière entre dans les chambres, les couveuses s’ouvrent. Des liens se sont créés entre soignants et familles. Et malgré des moments difficiles, «quoi de mieux pour votre journée que d’avoir contribué à aider un enfant à vivr e ?» Emilie Lay Être prématuré : une naissance si longue et si fragile L ’Organisation mondiale de la santé a délimité la viabilité des nouveau-nés à au moins 22 semaines de grossesse et 500 grammes. Parfois extr ême, la prématurité recèle d’importants enjeux éthiques. Rencontre avec ces vies en équilibre. «C A, C’EST MOI !», s’écrie Madeleine, trois ans, devant les photos d’un bébé frêle, raccordé à une machine. La fillette vive est une ancienne prématurée. Née à 33 semaines de grossesse, elle pesait 1,8 kg. «La sage-femme l’a emmenée tout de suite. Puis j’ai vu que dix médecins attendaient ma fille», raconte sa mère, Claire. «On espère qu’elle passera la nuit…» Le nouveau-né souffre de septi- cémie, une grave infection géné- ralisée. Pourtant infirmière, Claire flotte dans un sentiment d’irréa- lité, ou de «naïveté. Le premier jour, les médecins nous ont dit : "On e spère qu’elle pas- sera la nuit". Je comprenais, mais je n’intégrais pas. On ne conçoit pas que ce bébé puisse nous lâcher.» Dans le service de néonatologie où Madeleine demeurera trois semaines, le temps s’égraine au jour le jour , ca dencé par les résul - tats d’examens. «Cela empêche de se projeter dans la vie, d’imaginer que notre enfant boira normalement, mar- chera…» La situation est insensée. Devenir parents mais sortir de la maternité sans enfant, en être dépossédé. «Madeleine ne dépendait pas de nous, ce n’était pas tou- jours nous qui répondions à ses pleurs. Elle était tellement branchée partout qu’il me fal- lait de l’aide pour la prendre.» Et puis il faut sonner pour entrer dans le service. «Sonner pour aller voir son bébé, c’est absur de !» Cette venue au monde chaoti- que laisse des séquelles. Madeleine est malvoyante. Egalement victime d’ulcères digestifs, elle est réhospitalisée un mois plus tard. «Plusieurs fois, nous avons cru la per- dre.» Pour donner un sens à «cette épreuve», cette Versaillaise est devenue correspondante locale pour l’association "SOS préma"*. Elle aide d’autres parents à «mieux vivre cette période. Il devrait y avoir des correspondants dans tous les services de néona- tologie.» La jeune femme insiste aussi sur la présence de la famille comme des amis, qui doivent «nous reconnaî- tre en ta nt que parent s : on a besoin que l’on nous questionne sur notre enfant, pas qu’on nous change le s idées !» Claire sera à nouveau mère en juillet et Madeleine entrera à l’école dès septembre. Elle est devenue «une petite fille douce… et qui aime faire des blagues». Emilie Lay SITE INTERNET * www.sosprema.com Claire : «Plusieurs fois, nous avons cru perdre Madeleine» Ici dans les bras de Claire, sa maman, Madeleine, ancienne prématurée, a d'abord frôlé la mort. Caroline Zenou (à g.), psychologue, intervient dans l'unité de réanimation néonatale de Poissy, dirigée par le professeur Pascal Boileau (à dr.). L E PROFES SEU R PASCAL Boileau dirige l’unité de médecine néo- natale du centre hospitalier inter- communal de Poissy-Saint- Germain-en-Laye. Le question- nement éthique y est permanent. Quelles sont les causes de la prématurité ? «Il existe une prématurité spon- tanée, et une autre induite et consentie, lorsque les médecins pensent que le fœtus se trouvera mieux sous sa forme de nouveau- né. Les prématurés, nés à moins de 37 semaines d’aménorrhée (absence de règles, ndlr), repré- sentent 7,2% des naissances, les grands prématurés nés à moins de 33 semaines, 1,7%. Les naissances prématurées ten- dent à augmenter. D’une part, nous sommes capables de les prendre en charge. L’élévation de l’âge maternel peut-être une autre cause. Et la procréation médicale- ment assistée y contribue certaine- ment, car elle est un facteur de risque de grossesse multiple. Sur quoi la réanimation des grands prématurés se fonde-t- elle ? Jusqu ’où peu t-on al ler? Entre 24 et 25 semaines d’amé- norrhée, lorsque que l’on sait qu’une femme est sur le point d’accoucher, nous prenons en compte cinq critères pronostics, comme l’âge gestationnel ou l’es- timation du poids de l’enfant. La décision de réanimer ou pas est individualisée. Enfin, le terme de 22 semaines paraît difficile à dépasser. Nous ne sommes pas prêts à relier la fécon- dation in vitro et la réanimation néonatale. C’est un fantasme. Les risques de séquelles ne sont- ils pas tr op éle vés ? Peut-être suis-je guidé par mon naturel optimiste ? Je pense que la grande prématurité offre des perspectives de développement harmonieux au sein d’une famille épanouie, bien que des drames restent possibles. En 2008, on a établi que 60% des grands prématurés nés onze ans plus tôt n’avaient aucune séquelle à l’âge de 5 ans. Cependant, nous ne pouvons pas toujours prédire l’évolution de l’en- fant. Les parents, tout comme nous, doivent assumer une incer- titude. Mais la vraie question est : peut- on préférer la mort à une vie en étant graveme nt ha ndicapé ?» «Assumer une incertitude»