-
THIQUE ET FINANCE
21
INTRODUCTION LARTICLETHIQUE ET FINANCE
DAMARTYA SENJEAN-MARIE THIVEAUD
Amartya Sen, professeur de philosophie et dconomie
luniversitdHarvard a reu, au dbut du mois doctobre, le Prix Nobel
dconomie.A cette occasion, nous sommes heureux de prsenter nouveau
larticlequAmartya Sen avait publi dans la Revue dconomie financire,
au prin-temps 1992, traduction franaise du produit dune confrence
quil avaitprononce un an plus tt la Banca dItalia.
Cet article tait le premier que nous avions inscrit dans la
rubrique Ethique et finance , au moment o nous tions avec Robert
Lion etHlne Ploix en train de mettre en place une fondation,
Finance, thiqueet socit , dont les travaux venir ont t transfrs, la
mi-1992, dans lecadre de lAssociation dconomie financire. Ce
programme de rechercheinternational, financ par la Caisse des dpts
et consignations, et qui apris le nom de Finance, Ethique,
Confiance a runi jusquen 1996, desuniversitaires, des centres de
recherche, des tablissements financiers,en France, en Italie, en
Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis etau Japon, avant dy
associer la Belgique et lEspagne quelques annesplus tard.
Les contacts que nous avons nous alors, avec notamment
luniversitdHarvard, par le biais du Pr. Marc Shell, qui a organis,
par notreintermdiaire le Center of studies of Culture and Money,
nous a permis deprendre ainsi contact avec le Pr. Amartya Sen,
minent spcialiste delconomie, de la finance et de lthique.
A loccasion de ce colloque tenu Rome, Amartya Sen a ainsi
estimque le problme central en thique financire est la relation
entre lesdevoirs et les consquences. Ainsi, la poursuite de la
maximisation duprofit en tant quengagement primordial est souvent
dfendue au nom dela responsabilit fiduciaire envers les
actionnaires. Mais cette approche,explique-t-il dans son article,
reste errone, dune part cause des domma-ges quun tel comportement
peut causer au public au sens large, et dautrepart, en raison du
besoin de considrer ses devoirs envers les autres qui sonteux aussi
impliqus dans les affaires. Lvaluation de toutes ces consquen-ces
est donc profondment au centre de lthique financire.
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
22
Quelques annes plus tard, lors dun colloque qui sest tenu, en
1995,au Columbus Ethic Center, Columbus, Ohio, sous la prsidence
duDr. Paul Minus, le Professeur Amartya Sen sest nouveau expliqu
surle point de savoir si lthique financire a un sens conomique.
Selon lui, Adam Smith encourageait dj la convergence de
lconomieet de lthique. Toutefois, si lon dfinit lconomie, comme
certainsindustriels visionnaires lont fait, comme laccomplissement
dune socitmeilleure, lamlioration de la socit est une rcompense en
elle-mme.
En outre, si le sens conomique ne renvoie quau profit, le souci
desautres est jug par rapport au profit quil rapporte. Il convient
alors de fairetrs attention aux normes de scurit pour quil ny ait
pas daccidents quinuiraient autant aux profits quaux objectifs du
bien-tre social.
Limportance de lthique dans le business nest pas en
contradictionavec le postulat dAdam Smith selon lequel notre intrt
nous fournit unemotivation adquate pour les changes. Lthique peut
tre dune impor-tance cruciale pour lorganisation conomique en gnral
et les oprationsdchange en particulier.
Il nen reste pas moins que toutes ces questions lies lthique et
lafinance ou la monnaie remontent la plus haute antiquit et, comme
onle verra dans larticle dAmartya Sen, elle trouve une partie de
ses racinesdans les textes vdiques de lInde ancienne o, pour
reprendre les termesde Charles Malamoud tels quil les avait
rapports dans son article inscrit la fin du numro de la REF sur le
175me anniversaire de la Caisse desdpts , paru en septembre 1991,
la dette est la fois de lordre du crdit,de la foi et de la
crance.
Cependant, ds lors que lon demeure dans lordre inaugural et de
ladette et du sacrifice, il est clair que la dimension thique est
encore aupremier plan, pour maintenir les relations avec les
divinits, puis, plus tardavec les mcanismes religieux.
Amartya Sen voque son tour les deux philosophes qui ont vcu
auIVme sicle avant J.C., lindien Kautyla et le grec Aristote, lun
et lautreassociant la question de la monnaie celle de lthique,
question surlaquelle Aristote a trs largement dissert. La suite de
larticle revient sur lestextes du Deutronome, sur les conomistes
anglais du XVIIIme sicle, surMarx et Keynes et, enfin, sur les
problmes strictement contemporains quiassocient les problmes des
affaires, ceux des dlits diniti et des diffrentsaspects qui
regardent les abus de biens sociaux, la corruption, les
traficsillicites, etc.
En reprenant, six ans et demi plus tard, cet article
particulirementintressant et subtil, nous venons clbrer, avec
Amartya Sen, la remise deson Prix Nobel et le remercier pour son
aimable concours aux travauxentrepris dans le cadre de lAssociation
dconomie financire.
-
THIQUE ET FINANCE
23
THIQUEET FINANCE
AMARTYA SEN1
PROFESSEUR, HARVARD UNIVERSITY, ETATS-UNIS
J e suis trs honor davoir loccasion de donner la premire
conf-rence Baffi la Banque dItalie. Paolo Baffi ntait pas seulement
unbanquier remarquable et un expert financier, il tait galement
unexcellent conomiste et un penseur social visionnaire. Il avait
dminen-tes comptences techniques dans diffrents domaines qui
salliaient une distinction intellectuelle dote dun profond sens des
valeurs.
Comme le gouverneur Ciampi la dit lors de lAssemble gnrale dela
Banque dItalie en mai dernier, Paolo Baffi reprsentait une
allianceextraordinaire de logique, drudition et de force morale ;
ce ntait pas seulement un tudiant dou pour lconomie, il tait
profondmentengag dans laction pour le bien commun 2. En se
souvenant de Baffiaujourdhui, nous devons garder lesprit ses
contributions intellectuellesdune part et ses proccupations gnrales
dvaluation dautre part.
DEVOIRS ET CONSQUENCESLes raisonnements thiques sur ce qui
devrait tre fait ou pas, impli-
quent des notions varies du devoir. Cela sapplique aussi la
morale desactivits financires. Les ides conventionnelles du devoir
sont souventfondes sur la sparation des tches que nous devons
accomplir, les obligations dontologiques , davec leurs consquences.
En fait, il y aeu maintes propositions varies dans une morale
stricte comme dans unemoralit usuelle qui suggraient que les tches
puissent tre observesdans des termes indpendants de leurs
consquences. Jai essay deprsenter en dautres occasions quune telle
dissociation serait uneerreur, et quil est difficile de rconcilier
une telle csure avec lesexigences de discipline dun raisonnement
thique3. Dans notre con-texte, cest--dire en analysant lthique et
lconomie financire, cesrapports peuvent tre particulirement
fondamentaux.
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
24
Linterrelation existant entre les devoirs et les consquences
prendparticulirement tout son sens dans le cas de lthique
financire, et nousdevons tudier la manire dont ces rapports
sexercent.
La finance est une matire dont les prceptes thiques ont t
exami-ns sous tous ses aspects depuis des milliers dannes. Je vais
mattacher quelques aspects des analyses traditionnelles de lthique
et delconomie financire, allant de Kautilya et dAristote au IVme
sicleavant J.-C. Adam Smith au XVIIIme sicle. Nous verrons que
lesprincipes et les proccupations qui ressortent de ces analyses
restentvraiment pertinents face aux problmes actuels de
lorganisation finan-cire et quils nous aident dans les difficults
contemporaines. Jillustre-rai mon propos par des questions dthique
financire et commercialeconnexes, qui traitent des devoirs des
agents financiers, gestionnaires ouautres administrateurs
dinstitutions financires et de socitscommerciales.
Lune des questions renvoie aux objectifs quune socit financire
et/ou commerciale doit poursuivre, en particulier au rle de la
maximisa-tion du profit. La priorit des bnfices pourrait tre
prconise sur deuxterrains trs diffrents : a) elle est le chemin
vers un optimum social ;b) la responsabilit financire envers les
actionnaires implique le devoirde maximiser les bnfices pour eux.
Le rapport entre ces deux argu-ments est d'un intrt
considrable.
Un second problme vise la contrainte instrumentale qui
devraitlimiter toute socit dans la poursuite des objectifs choisis,
commepour la maximisation du profit. Les affaires ou les
oprationsfinancires particulires pourraient tre dclares
inadmissibles mme sielles ont pu valoriser la promotion de ces
objectifs. Par exemple,la poursuite de l'objectif de maximisation
du profit est-ellecompatible avec l'influence de la politique
publique ? Ou encore, lescontraintes sur la prise en main de
fortunes mal acquises, ou sur le blanchiment de largent, sont-elles
concevables, notamment lorsquelinstitution financire elle-mme nest
pas implique directement dansun acte illgal ?
Un troisime point est celui des contraintes de comportementqui
pourraient restreindre notablement la recherche de bnficesprivs par
des agents financiers individuels. La recherche de gainspersonnels
par les agents eux-mmes pourrait crer des situationsconflictuelles
allant lencontre des intrts des actionnaires, ou de lacommunaut en
gnral. Comment pouvions-nous valuer la lgitimitde diffrents types
de recherche de gains personnels au sein mme dessocits ? La grande
question du dlit diniti vaut largement dtretudie.
-
THIQUE ET FINANCE
25
UN CONTRASTE TONNANT ?Quelles sont les approches traditionnelles
de lthique financire ?
Peut-tre pourrais-je commencer en exposant un contraste
singulier,cette sorte de dissonance entre la mauvaise image
traditionnelle despratiques de la finance et lnorme contribution
sociale quelle a, sansdoute, apport dans lhistoire. Le conseil que
Polonius donne son fils, ne sois ni emprunteur, ni prteur ,
tmoignage peut-tre duneprudence pragmatique plutt que dun rejet
moral, mais la profession deprteur dargent a toujours t rprouve et
dans des termes pour lemoins catgoriques depuis des milliers dannes
; les injonctions desprophtes et des lois juives ont condamn le prt
intrt ; lIslam afulmin linterdiction de lusure.
Les penseurs laques considraient que vivre du produit des
intrtsntait pas moral. Solon a annul la plupart des dettes et a
interdittotalement dans ses lois de nombreux types de prts, il fut
imit par JulesCsar cinq sicles plus tard. Aristote remarqua que
lintrt tait un actede reproduction contre nature et une cration
injustifie dargent parlargent, et ses critiques ont marqu les
savants et les moralistes pendantde longs sicles. Cicron raconte
que lorsque lon interrogea CatonlAncien sur lusure, il rpondit en
demandant celui qui lui avait posla question ce quil pensait du
meurtre.
Laccueil par la socit de ceux qui se sont enrichis en prtantde
largent est rest un objet de controverse jusqu une priode rcente.En
Grande-Bretagne, en particulier, les activits bancaires taient
leplus souvent rcuses par laristocratie qui laissait la conduite de
cestransactions aux trangers et aux Juifs. Aujourdhui encore, le
sigede la Banque dAngleterre, dans Lombard Street, tmoigne biendu
rle essentiel des trangers, les Lombards ou les Juifs, dans
lesfinances anglaises4. Le portrait de Shylock par Shakespeare,
dansLe Marchand de Venise, met en lumire certaines attitudes
socialescaractristiques face aux pratiques de la finance dans
lAngleterre lisa-bthaine.
Je pourrais donner dautres exemples mais le tableau est dj
assezillustratif. La finance a donc t traditionnellement soumise la
critiquemorale. De nos jours, chacun reconnat cependant que la
financecontribue pour une part importante la prosprit et au
bien-tre desnations. Une bonne portion de la richesse actuelle
aurait t impensablesi le monde avait suivi le conseil de
Polonius.
En matire de culture et de science, la fonction crative de la
financeest tout aussi puissante et, lorsquon regarde lhistoire, ni
la Rvolutionindustrielle, ni auparavant la Renaissance, nauraient
vraisemblable-ment pu spanouir, sans laide prcieuse de la
finance5.
Donc, notre premire question est la suivante : comment
est-il
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
26
possible quune activit si utile ait pu tre considre comme un
actequivoque, dun point de vue moral ?
Dontologie, mthode dvaluation 6
Dans lthique moderne, on fait souvent la distinction entre
lesapproches dontologiques et valuatives . Lapproche dontologi-que
donne au concept de devoir une position prminente. En revan-che,
les mthodes dvaluation prennent en compte le devoir et lesactions
relles en fonction de leurs consquences respectives. On com-mence
par demander quels sont les objectifs, quest-ce qui produit debons
rsultats, etc., puis on continue observer les devoirs en fonctionde
lvaluation - des consquences - par rapport aux objectifs7.
La dontologie peut prendre diffrentes formes dont certaines
sontmoins sensibles aux consquences que dautres. Des approches
donto-logiques larges, mises en place par des philosophes comme
EmmanuelKant (1788), ne sparent pas le concept du devoir des
consquences desactions lies ce devoir et explorent ces consquences
de manireexhaustive. Par ailleurs, le foss slargit encore lorsque
lon nie les effetssensibles dune action, comme cest le cas dans des
structures dontolo-giques plus puristes . Par exemple, dans la
Bhagavadgita, Krishna offreune vision qui nie tout effet, toute
consquence du devoir de chacun. Ilexplique au hros Arjuna quil est
de son devoir de se battre pour labonne cause, malgr lobjection
dArjuna qui prtend quil ne peut pastre juste de se battre, mme pour
une guerre juste, ds lors quil enrsulte tant de souffrances chez
les allis comme chez les ennemis.Comme T.S. Eliot la rsum, en
termes sympathiques pour Krishna,largument de celui-ci prend la
forme dun reproche. Ne pense pas aursultat de ton acte / Va de
lavant . Eliot conclut : Not fare well / Butfare forward,
voyagers.8
Les activits dun usurier, qui fait payer des intrts levs,
pourraienttre considres certains gards, comme une violation de
notre obliga-tion de traiter les autres de faon humaine. Aucune
approche humaine,quelle soit valuative ou dontologique, ne peut
chapper la priseen compte de cet aspect du problme, avec toutes ses
consquences.Mais selon un schma dontologique puriste , reconnatre
ce fait sertdj de fondement pour dclarer lusure moralement ou
lgalementinadmissible. Et il pourrait bien en tre ainsi, mme sil
est clair que leschoses seraient bien pires pour les prtendus
emprunteurs en labsencede ces prts9.
Ainsi, dans une conception dontologique puriste -
cest--dire,insensible aux consquences - rien noppose le fait de
condamner le prt intrt ou le fait de reconnatre simultanment les
bons rsultats de lapratique du prt, par exemple, lamlioration du
commerce, de lemploi
-
THIQUE ET FINANCE
27
ou des revenus. Ce paradoxe apparent peut facilement tre lev
enconsidrant le fil conducteur : une vision de la vie indiffrente
auxconsquences.
De toute faon, les investigations traditionnelles de lthique
finan-cire nont pas toujours pris la forme dune dontologie puriste
. Lescondamnations les plus lourdes de la finance et de lusure ont
t misespar des gens qui avaient soigneusement pris note des
malheurs qui leurtaient survenus dans les circonstances en
question10. Comme je lai djindiqu, la sensibilit aux effets dun
acte est compatible tout la foisavec les approches dontologiques et
les analyses valuatives .
Je vais maintenant prsenter quatre critiques particulires de la
fi-nance et de lusure, celle de Kautilya, dAristote, des interprtes
duDeutronome, et enfin, dAdam Smith.
LARTHASASTRA DE KAUTILYAKautilya, qui vivait en Inde la fin du
IVme sicle avant Jsus-Christ
et qui tait donc un contemporain dAristote, crivit un trait
fameuxsur lart de la politique et sur les applications conomiques
et sociales,intitul Arthasastra. Traduit du sanscrit, le titre
signifie peu prs Instructions sur la prosprit matrielle , ou plus
simplement Economie politique . Kautilya navait pas matire une
critiqueintrinsque des modes de fixation des taux dintrt sur les
prts, et il neprtendit pas que lon et le devoir de prter sans
intrts. Il commenapar tablir que le bien-tre dun royaume dpend de
la nature destransactions entre les crditeurs et les dbiteurs , et
souligna la ncessitdun examen minutieux des activits financires
dans une telleperspective11.
Ltude de la finance par Kautilya, comme celle des autres
activits dela Cit, tait centre sur les consquences des actes et des
lois. Ladtermination des vraies activits et des vrais devoirs dpend
de leursconsquences. Par exemple, il demande au roi, qui doit juger
les disputesfinancires, daccepter dabord la priorit de lobjectif du
bonheur deses sujets , puis dtre actif et de remplir ses devoirs .
En labsencedactions ou dactivit, toute acquisition prsente et
future viendra prir ; seule lactivit permet non seulement au roi de
parvenir ses fins,mais aussi de trouver labondance de
richesse.12
Kautilya voulait que lEtat fit un examen scrupuleux des
transactionsfinancires, pour fixer le maximum du taux dintrt et
pour punir lesprteurs dargent sils faisaient payer des taux plus
levs que le maxi-mum stipul. Les taux maxima devaient varier selon
des critres diverslis la destination des prts et leur poids
respectif. Par exemple, lestaux suggrs par Kautilya taient
particulirement bas pour lemploinormal dans un mnage, un peu plus
levs pour les prts commerciaux,
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
28
et nettement plus levs pour des activits risques comme le
commercemaritime. Il fallait galement tenir compte des variations
des prix desproduits de base dans le temps, mme de faon
approximative13.
Si les anciennes perceptions de la finance ntaient pas toutes
hostiles,comme on le voit ici, la facturation dintrts, lArthasastra
de Kautilyaprcise toutefois que lon ne doit pas regarder la prise
dintrt commeun acte intrinsquement mauvais, ni la finance comme une
formeinfrieure dactivit, et il aboutit cette recommandation :
lintrt doittre rgl par des lois associes des objectifs normatifs.
Le problme deseffets ngatifs dune activit doit tre bien spar du
caractre intrins-quement mauvais de cette activit. Cest une
position gnrale qui, nousallons le voir, est puissamment dveloppe
et manipule par AdamSmith, et cette distinction lmentaire demeure
pertinente.
LA POLITIQUE ET LTHIQUE DARISTOTERegardons les crits dAristote.
Comme je lai dit, la condamnation
de lusure par Aristote a eu une influence extraordinaire sur la
penseeuropenne, pendant environ deux mille ans. Elle a eu un
impactparticulirement fort sur la tradition scolastique mdivale,
sur lestravaux de Saint Albert le Grand, de Saint Thomas dAquin, de
JeanAndreas, de Buridan, de Nicolas Oresme, et bien dautres
aussiclbres, comme sur lEcole franciscaine et ses commentateurs
critiques,Alexandre-le-Lombard, Guillaume dOccam, Jean Olivie,
etc.14
Il est important de noter ds prsent que le traitement
aristotliciende la finance et de lusure est polymorphe. Aristote a
parl dun certainnombre de diffrents problmes lis entre eux, de la
distinction entre lesbnfices sur la production ( prix constants) et
les bnfices pararbitrage (avec des quantits constantes) ; des
mthodes lmentairespour les gains financiers et de celles qui
sappliquent au domaine de laproduction de biens ; des effets
pervers, parce quils engendrent lemonopole et lingalit, - de la
recherche implacable du profit - ; de ladifficult doctroyer un rle
vraiment productif largent dans uneconomie comprise en termes de
production relle, de distribution etdchange (La Politique, livre I,
chapitres 9-11).
Je crois que le point central, dans la critique de lusure par
Aristote, at mal compris durant les sicles de commentaires qui lont
suivie.Dans les chapitres qui traitent de lusure, au livre I de La
Politique, nousavons choisi le texte suivant pour expliquer son
refus dune lgitimit delintrt comme de lactivit financire en gnral :
(Largent) a t faitpour lchange, alors que lintrt ne fait que le
multiplier. Et cest de lquil a pris son nom : les petits, en effet,
sont semblables leurs parents,et lintrt est de largent n dargent.
Si bien que cette faon dacqurirest la plus contraire la
nature.15
-
THIQUE ET FINANCE
29
Le mot grec tokos signifie en mme temps usure et progniture ,et
le passage dans son entier est un vrai jeu de mots. Mais le
reproche leplus grave formul dans ce fragment et dans ceux qui en
sont proches -une contestation que Karl Marx poursuit et dveloppe
dans le premiervolume du Capital16 - est quil est anti-naturel de
bnficier dunegratification pour avoir prt de largent, car prter
nest pas en soi uneactivit crative, mme si des crations peuvent tre
ralises grce desressources qui peuvent elles-mmes tre achetes avec
de largent. Maisce nest pas cette distinction fine, mais bien le
thme plus simple que lusure est une reproduction contre nature de
largent par largent ,qui fut rpte et rpte dans ce que lon a prtendu
tre lanalysearistotlicienne de lusure17.
Ainsi, sur cette formulation rductrice, la critique
aristotlicienne at attaque par maints auteurs dfendant la finance,
depuis Grardin deSienne18 au XIVme sicle (lui-mme augustinien mais
influenc parlEcole franciscaine) jusqu Jeremy Bentham, 1837, au
XIXme sicle,qui fournit une rationalisation ex-post des activits
financires dans sonpamphlet puissant, Dfense de lusure . Bentham
ridiculisa en effetAristote pour avoir (soi-disant) attach une
grande importance lastrilit de la monnaie et il expliqua quAristote
avait cherch desorganes gnitaux ressemblant des pices de monnaie et
quil nen avaitpas trouv. Il na jamais t capable de dcouvrir, dans
nimporte quellepice de monnaie, des organes capables dengendrer une
autre pice . Rempli daudace par ce corpus de preuves ngatives, il
se risquafinalement jeter dans le monde le rsultat de ses
observations, sous laforme dune proposition universelle, que tout
largent est strile parnature. 19
Laffirmation dAristote sur la nature improductive des prts na
pasgrand-chose voir avec la strilit de la monnaie. Dans la
discussiondo provient le passage tant cit, Aristote oppose les
bnfices tirs deschanges par lutilisation de la variation des prix
dans le temps oulespace (et en particulier par le prt et le
commerce dargent) auxaugmentations dans la quantit des produits
issus de lconomie domes-tique comme le tissage par exemple, (La
Politique, livre I, 10, 1258b). Lerefus par Aristote de considrer
que les revenus acquis grce la variationdes prix sont lgitimes,
recevables ou non, et lon pourrait dailleurssoutenir que le prt et
le commerce sont, en fait, des services qui doiventtre intgrs dans
toute comptabilit, mais il nest pas difficile decomprendre la
distinction faite par Aristote et voir que la fcondit de lamonnaie
ne fait pas partie de son analyse.
Il nest pas plus difficile de saisir la vritable proccupation
dAristotequi veut que dans un modle de production, de distribution
et dchangedes biens, il nest pas commode dattribuer un rle
essentiel la
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
30
monnaie, qui, nous dit-il, semble tre quelque chose dabsurde et
quinexiste uniquement que par la loi 20. Nest-ce pas ici loccasion
desouligner que le problme fondamental des modles conomiques
(don-ner une place largent dans un modle rel ), reste un des
dfisconstants de la thorie conomique moderne ?21
La lgitimit des gains provenant dactivits financires peut
tredfendue si lon met laccent sur les mrites de leurs effets. Si
lon doitcritiquer Aristote, il faut simplement faire remarquer quil
ne prendpratiquement pas en compte les effets des activits
financires. Dans lechapitre qui suit immdiatement le fameux passage
sur lintrt, argentn de largent , Aristote plonge son regard sur les
consquences prati-ques des activits financires, et il commence avec
cette remarque, puisque nous avons suffisament parl de ce qui relve
de la connais-sance, nous devons maintenant traiter de ce qui relve
de la pratique .Il dirige sa pense sur quelques consquences
ngatives de la recherchedu profit financier, en particulier sur les
crations de monopoles destins favoriser les gains. En Sicile , dit
Aristote, un particulier, avec delargent dont il disposait, acheta
dun coup toute la production desmines de fer. Ensuite, quand les
grossistes vinrent de leurs comptoirs, iltait seul vendeur. Il ne
pratiqua pas une hausse excessive des prix ;pourtant pour une mise
de cinquante talents, il en gagna cent. 22
Aristote est trs soucieux du fait que, dans certains types
dactivitsfinancires ou commerciales23, la probabilit des gains
sociaux demeurefaible au regard des pertes considrables, mme si ces
activits produi-sent des profits financiers importants24.
La critique dAristote sur la finance et le commerce sappuie
aussi surlaugmentation des ingalits qui en rsulte : Cest que, dun
ct, ilsemble que toute richesse ait une limite, alors que dun autre
ct, nousvoyons le contraire se produire dans les faits, car tous
ceux qui prati-quent la chrmatistique augmentent sans limite leurs
avoirs en argent.25Dans lEthique Nicomaque, Aristote traite de
lusure comme moyendexploitation : Dautres, au contraire, dpassent
la mesure quand ilsagit de prendre, prenant et reprenant de
partout, indistinctement ; parexemple, ceux qui exercent des mtiers
indignes des hommes libres, lesmaquereaux, tous les gens de cet
acabit et ceux qui prtent des petitessommes dargent des taux trs
levs. Toute cette clique se procure delargent par des moyens
malhonntes et en quantit indue.26
Ici comme ailleurs, Aristote met en avant des considrations
quisoulignent la ncessit de fixer des contraintes aux comportements
enmatire de commerce et dactivits financires, et les seuils que lon
peuttolrer.
Si un examen moderne de la finance ne peut dcemment pas se
fonderseulement sur une analyse ne de lthique aristotlicienne, il
nest pas
-
THIQUE ET FINANCE
31
possible dignorer cependant les proccupations dAristote : 1 sur
lalgitimit morale des fortunes construites sans effort, ou 2 sur
lesdommages produits par a) la recherche du gain grce au monopole,
oub) laugmentation des ingalits, ou encore c) lexploitation de la
fai-blesse des gens ncessiteux.
LANALYSE DU DEUTRONOMELinterdiction fondamentale de lusure dans
la foi juive remonte au
Deutronome, le cinquime et dernier livre du Pentateuque dans
lAn-cien Testament, qui est traditionnellement attribu Mose. Les
injonc-tions y prennent la forme dun commandement : tu ne prteras
pas intrt (neshek) ton frre (lahika) (XXIII ; 19) mais : A un
tranger(nokri), tu pourras prter intrt (XXIII ; 20)27. Puisque
chaque prt intrt est assimil lusure dans linterprtation
traditionnelle juive28,linterdiction de lusure chez les Juifs est
une interdiction astreignante.Lastreinte est accentue par
lobligation rituelle dune aide destine auxmembres les plus pauvres
de la communaut, qui fait du prt sans intrtune obligation envers
ceux qui sont dans le besoin29.
La conception sous-jacente du devoir est clairement dorigine
tribaleet lon y constate aisment que les codes sont formuls pour le
bnficedes autres membres de la tribu. Linterprtation des lois (par
exempledans le Code de Mamonide), tendait utiliser lvaluation des
cons-quences dun acte pour tracer la ligne sparant la pratique des
intrtsdune part et la location dune proprit, le partage des
bnfices, lafixation des prix dans le temps, etc., dautre part.
Par exemple, sil est autoris investir dans une entreprise en
partici-pation avec partage des bnfices et des pertes, un homme na
pas ledroit de donner son argent un autre pour linvestir dans une
entreprisecommune sil ne partage que les profits et pas les pertes
(XIII, V : 6 ;dans la traduction de Rabinowitz 1949, p.95). Le fait
est considrcomme quasi-usuraire , parce quil a comme effet de prter
sansprendre le risque dun investissement quitable.
La ligne qui spare dautres territoires disputs est, elle
aussi,semblablement fonde sur lvaluation des consquences :
sont-ellesidentiques pour un prt intrt ou non ? Par exemple, est-il
interdit devendre des prix paramtriques qui augmenteront des
poquesprcises dans le futur ? Ainsi, un lment dvaluation des
consquencesest incorpor dans la nature mme des devoirs spcifis.
Un autre exemple amusant dun raisonnement fond sur lvaluationdes
effets, chez Mamonide, souligne la distinction entre prter despaens
et emprunter des paens. Mamonide note que les Sagesdcourageaient le
prt des paens justement pour viter quun prteurisralite prenne les
mauvaises habitudes des paens en les frquentant
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
32
souvent. Il est toutefois autoris , nous assure Mamonide,
demprunter avec intrt auprs dun paen, puisquil est plus probableque
le Juif vitera le prteur plutt quil ne sassociera avec lui. 30
Le statut thique de cette distinction entre Juifs et
non-Juifssoulve des questions intressantes. Le double critre qui y
est attachfut un sujet de discussions sans fin dans les littratures
chrtienneet juive. Selon linterprtation chrtienne, cette
distinction jouaitun rle positif lpoque, comme rpondit Saint Thomas
dAquin la duchesse de Brabant, lautorisation de prendre des
intrtsaux trangers existe depuis longtemps 31. Un moyen
duniversaliserlinterdiction de prts usuraires dautres Juifs aurait
t toutsimplement dinterdire les prts usuraires qui que ce soit -
directiondans laquelle lIslam se dirigea, comme de nombreux
thologienschrtiens.
On peut aussi gnraliser cette injonction dune autre faon,
eninterdisant la prise dintrts entre les diffrents membres dun
mmegroupe, et ce, pour tout groupe. Il y a plusieurs rgles de
conduite quiexigent un sens de la solidarit avec le groupe auquel
on sidentifie ;le fait daccepter davoir des obligations envers les
autres membres dunefamille en est un bon exemple. Ce serait sans
doute une erreur que dechercher la porte universelle dune rgle en
la rduisant au fait davoirles mmes obligations envers nimporte qui
et nimporte o. Une telleanalyse thique construirait une solidarit
de groupe sur un modeuniversaliste dont les consquences pourraient
tre trs vastes si lonconsidrait la loyaut au sein du groupe comme
un simple instrumenttechnique.32
Des interprtations rabbiniques sur critres apparemment
doublesont suivi la mme voie. Par exemple, dans la Torah Temimah :
Notreabstention pour prendre des intrts les uns envers les autres
est identi-que la rgulation qui a lieu dans de nombreux commerces
et autresassociations au sein desquelles les membres fournissent
les uns aux autresdes avantages particuliers. De tels avantages ne
sont pas valables pour lestrangers au groupe. Mais il ny a rien qui
empche les autres de crer detelles associations et de se donner de
tels avantages.33
Si nous considrons les problmes contemporains de lthique
finan-cire, la question de lanalyse des consquences de la solidarit
du groupedevra tre particulirement privilgie.
ADAM SMITH, LINTERVENTIONNISTEOn pense souvent Adam Smith comme
au classique dfenseur de la
seule valorisation du march. Il a certes beaucoup contribu
montrer lalogique des mcanismes du march, mais il a galement analys
quel-ques-unes de ses limites les plus importantes34. Et, sur la
question des
-
THIQUE ET FINANCE
33
intrts, bien quil ft oppose son interdiction35, il soutenait
lesrestrictions lgales imposes par lEtat sur les taux maxima.
Dans les pays o lintrt est permis, la loi en gnral, pourempcher
les exactions de lusure, fixe le taux le plus lev quon
puisseexiger, sans encourir de peine
Il est observer que si le taux lgal doit tre un peu au-dessus du
tauxcourant de la place, il ne faut pas quil soit non plus trop
au-dessus. Si,par exemple, en Angleterre, le taux lgal de lintrt
tait fix 8 ou 10pour 100, la plus grande partie de largent qui se
prterait, serait prte des prodigues ou des faiseurs de projets, la
seule classe de gens quivoult consentir payer largent aussi cher.
Les gens sages qui ne veulentdonner pour lusage de largent quune
partie du profit quils esprent enretirer, niraient pas risquer de
se mettre en concurrence avec ceux-l.Ainsi, une grande partie du
capital du pays se trouverait, par ce moyen,enleve aux mains les
plus propres en faire un usage profitable etavantageux, et jete
dans celles qui sont les plus disposes la dissiper et
lanantir.36
La logique interventionniste sous-jacente chez Smith repose sur
le faitque les indicateurs du march peuvent tre trompeurs, et les
consquen-ces du march libre peuvent induire beaucoup de gaspillage
du capital,rsultant la fois de la poursuite prive de projets qui
promettent desprofits rapides et du gaspillage priv des ressources
sociales.
Jeremy Bentham prit Smith partie dans une longue lettre quil
luiadressa en mars 1787, en soutenant quil fallait laisser le march
tran-quille37. Cest un pisode trange dans lhistoire de la pense
conomi-que de voir cet interventionniste utilitaire et ce
rformateur publicdonner des leons sur les vertus de la ventilation
du march au gourou etpionnier de lconomie de march38. Smith et
Bentham partageaienttous deux une mme conception fonde sur
lvaluation des consquen-ces pour le commerce et la finance, mais
Bentham soppose lide deSmith selon laquelle des taux levs, les
prodigues et hommes deprojets entraneraient un gaspillage social en
vacuant du march desutilisateurs de capital potentiellement plus
productifs. Au regret des prodigues et autres dpensiers
extravagants, Bentham pensait que ce nest pas parmi eux quil faut
chercher les clients naturels de largent haut taux dintrt (p.39).
Il disait enfin que ceux que Smith voyaitcomme des hommes de
projets - avec des projets varis pour faire delargent rapidement -
taient galement les innovateurs et les pionniersdu changement et du
progrs (pp.40-46).
La question de la fixation lgale dun taux maximum dintrt na
plusde sens dans les dbats actuels - cet gard, Bentham la
clairementemport sur Smith - mais il est important de comprendre
pourquoiSmith avait une opinion si ngative sur linfluence des
prodigues et
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
34
hommes de projets dans lconomie. Il se sentait rellement
concernpar le problme du gaspillage social et la perte de capital
productif. Et ilexpliqua en dtail comment ce risque pourrait se
raliser (Livre II,chapitre 3). Au regard des prodigues , Smith
considre quils prsen-tent un danger de gaspillage social car ils
sont pousss par la passion duplaisir du moment .
Ainsi, chaque prodigue est un ennemi public . Vis--vis des
hom-mes de projets , les soucis de Smith portent encore sur le
gaspillagepublic : Les effets dune conduite peu sage sont souvent
les mmes queceux de la prodigalit. Tout projet imprudent et
malheureux en agricul-ture, en mines, en pcheries, en commerce ou
manufactures, tend demme diminuer les fonds destins lentretien du
travail productif.Dans chacun de ces projets..., il rsulte toujours
quelque diminution dansce quaurait pu tre sans cela la masse des
fonds productifs de la socit.39
Le caractre pertinent de linterventionnisme de Smith, appliqu
auxquestions actuelles, la dnonciation de cette possibilit de
pertes socialespar la poursuite de profits privs court terme,
mritent une attentionparticulire.
BNFICES ET RESPONSABILIT DU MANAGER Lodeur du profit est propre
/ Et douce quelle quen soit la source ,
crivait Juneval, dans un de ses pomes satiriques sur la vie
romaine auxalentours de 100 aprs J.-C.40. Personne na prouv que
cette opiniondun sceptique, sur la recherche du profit, fut
entirement errone, quelque fut le pays ou lpoque, mais le rle du
profit est peru tout faitdiffremment dans un monde moderne que le
capitalisme dynamique abti avec succs. La recherche du profit est
maintenant considre, etavec raison, comme la force qui a cr les
possibilits conomiques et quiguide leur utilisation. Comme la dit
John Maynard Keynes - unadmirateur pourtant critique du capitalisme
: La machine qui faitmarcher lEntreprise nest pas lEconomie mais le
Profit.41
En discutant de la relation entre le devoir et ses consquences,
dansune mise en perspective historique de lthique financire, nous
avons euloccasion de remarquer ce fait lmentaire que les actions
qui ne sontpas intrinsquement sduisantes peuvent nanmoins produire
de bonsrsultats. Ce point de vue est tout fait fondamental pour
valuer le rlede la maximisation du profit dans des conomies qui
font un usagesubstantiel des mcanismes du march. Les deux aspects
de la recherchedu profit, a) la recherche goste du gain, et b) sa
capacit produire desrsultats satisfaisants et efficaces, peuvent
paratre loigns, mais unebonne gestion de lconomie moderne - y
compris des lments signi-ficatifs de la thorie de lquilibre - a
essay de montrer les liens troitsqui les unissent.
-
THIQUE ET FINANCE
35
Le rsultat essentiel de la thorie de lquilibre - on la dsigne
quel-quefois comme thorme fondamental de lconomie du bien-tre -,est
de montrer, au prix de quelques hypothses, - par exemple,
labsencedexternalits, dinterdpendances fonctionnant en dehors du
mar-ch -, comment lquilibre comptitif de la maximisation du
profitcorrespond exactement au principe de loptimum - ou de
lefficacit -chez Pareto, au sens o personne ne peut senrichir sans
que quelquundautre sappauvrisse42. Aussi, nimporte quel rsidu
efficace pourPareto - mme sil nest pas galitaire - peut tre obtenu
au moyen dunquelconque quilibre comptitif, en lui adaptant la
distribution initialedes ressources et des dotations. Mais cette
dmarche peut exiger uneredistribution absolument radicale des
proprits, de telle sorte quelutilisation complte de ce rsidu
appartient distinctement au manuel du rvolutionnaire .43
De toute faon, une part moins ambitieuse du rsultat est
plusgnralement disponible, cest--dire que, quelle que soit la
distributioninitiale des dotations, chaque quilibre comptitif de la
maximisation duprofit doit correspondre loptimum de Pareto. Mais en
faisant cettevaluation, nous devons garder prsent lesprit que
loptimum dePareto na pas besoin, en soi, dune russite
spectaculaire, et quil est,plus particulirement, compatible avec
beaucoup dingalits et depauvret. Ainsi, les proccupations dAristote
pour lingalit conjugue une conomie financire opulente ne sont pas
diminues par la partieplus pratique du thorme fondamental . En
outre, Aristote nauraitpas t vraiment satisfait par un rsultat qui
se rduit explicitement delui-mme aux quilibres comptitifs, car sa
critique de la recherche duprofit concernait galement les profits
raliss par une personnecapable dtablir un monopole pour elle-mme
(La Politique, livre I,passage 1259).
La recommandation sans quivoque faite aux entreprises
commercia-les de maximiser leurs profits parce quils peuvent avoir
des effetsconomiques positifs est tout autant contrarie par la
nature restrictivedes hypothses sous-jacentes. Ici, lorsque Adam
Smith redoute que lesindicateurs du march soient trompeurs, sa
remarque est pertinente.Comme Smith sattache volontiers la
prservation et la promotion dece quil appelle les fonds productifs
de la socit , il serait particulire-ment tonn du poids de
lenvironnement sur les dcisions des entrepri-ses, domaine dans
lequel les indications du march sont vraimentdfectueuses. Les
prodigues et hommes de projets daujourdhuipeuvent abmer lair que
nous respirons, leau que nous buvons et laprojection de rayons
nocifs, et cela nous semble aller de soi.
Jai essay ailleurs dexpliquer quen matire dvaluation des
consquen-ces des mcanismes du march tourns vers le profit, il ny
a
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
36
qu un cas pour lloge de la dfaillance - un seul cas, ni plus, ni
moins .44
Je ne vois aucune raison de modifier aujourdhui ce jugement.
Mais ily a un autre type de justification de la maximisation du
profit dont on abeaucoup parl rcemment, notamment dans des dbats
politiques trspratiques. Il ne fait appel aucun rsultat fondamental
de la thorieconomique - comme le soi-disant thorme fondamental -,
mais laresponsabilit fiduciaire des managers qui doivent maximiser
les profitsparce que ces profits sont dus aux dtenteurs du capital.
On a soulignavec vigueur, et notamment en Italie, que les managers
sont responsa-bles de la poursuite exclusive des intrts des
actionnaires, et quen tantque tels, ils ont le devoir de maximiser
les profits. Dvier de cet objectifpeut paratre thique, mais dans
cette optique, cette drive conduirait un abandon des responsabilits
morales de confiance et de protectionqui appartiennent aux
managers.
Cette approche de lthique financire a une raison dtre puissante
etdtermine, et elle prsente galement lavantage de ne pas dpendre
dela validit ou du bien-fond dun lment particulier dune
thorieconomique. Elle repose simplement sur la responsabilit
immdiatedont les managers sont censs disposer, pour raliser ce quon
leur aconfi. Cette ide de responsabilit fiduciaire est
incontestablementattirante. Lchec de certains managers, dans de
nombreuses firmescommerciales et entreprises financires, pour
veiller aux intrts de ceuxqui leur faisaient confiance (par
exemple, le comportement irresponsa-ble des managers des Savings
and loans aux Etats-Unis) nous a convaincude prter une oreille
particulirement attentive cette conceptionpropre au secteur
financier.
La distinction tablie du point de vue de la responsabilit des
mana-gers, entre les actionnaires et les propritaires, dun ct, et
le reste dumonde, de lautre, rappelle certains traits du
Deutronome. La respon-sabilit est fonde sur la distinction qui
sopre entre un groupe prcis ettous les autres groupes. Mais on peut
soulever lobjection suivante :pourquoi la responsabilit
devrait-elle tre fonde sur cette distinctionparticulire ? Les
fortunes de personnes trs diffrentes sont investiesdans une
entreprise daffaires, et de nombreuses personnes - les
tra-vailleurs par exemple - pourraient placer leur confiance dans
la gestion,tout autant et aussi bien que le font les
actionnaires45. Si une affaire faitnaufrage, ce nest pas uniquement
une tragdie pour les dtenteurs ducapital, mais aussi pour les
autres - y compris les salaris.
Dans le cas dentreprises financires comme les Saving and loans,
onpeut dire facilement que la responsabilit financire des managers
necouvre ni les actionnaires, ni davantage les millions de
dpositairesconfiants qui ont plac leur argent dans de tels
tablissements. Les institu-tions financires oprent selon un modle
particulirement diversifi de
-
THIQUE ET FINANCE
37
confiance et de protection, et le domaine de lobligation
fiduciaire peutdifficilement tre confin au seul gain de profits
pour les seuls actionnaires.
En gnral, mme pour des institutions non financires, il nest
pasvident du tout de prouver que les intrts des actionnaires
devraienttre si prpondrants dans la dtermination de la
responsabilit desmanagers, compte tenu de limportance de la bonne
coopration dediffrents groupes pour assurer le succs de
lentreprise. On pourraitaussi trouver une autre ligne de dfense
dans la rduction de la respon-sabilit fiduciaire des managers
vis--vis des seuls actionnaires. Enparlant des distinctions du
Deutronome, jai dit plus haut que le faitdassumer une responsabilit
spciale envers un groupe impose dtrefond sur des raisons
intrinsques, et quil peut tre justifi par uneanalyse des
consquences dune combinaison des responsabilits respec-tives des
diffrents groupes. On pourrait suggrer que cette prminencedes
intrts des actionnaires soit considre comme une partie dunschma
plus large des responsabilits du groupe. On peut imaginer quesi les
managers veillent maximiser les profits des actionnaires, et si
lessyndicats prennent soin des intrts des travailleurs, etc., le
rsultatglobal sera absolument parfait. De ce point de vue, les
managerssengagent implicitement agir uniquement pour les intrts des
action-naires ( comme sils taient des actionnaires eux-mmes), et
lajustification de linterprtation dun tel contrat incomplet
pourraittre trouve dans les effets dune telle pratique, et en
particulier dans sesavantages en termes defficacit.
Une proposition mriterait un examen srieux, bien que je doute
quequiconque la formule. Pour cette seule raison quexclure les
intrts desautres personnes impliques dans lentreprise engendrerait
des dissen-sions susceptibles dentraver la productivit. Ainsi, on
pourrait mmeaffirmer que cest prcisment la ngation de cette
distinction entre lesactionnaires et les autres membres de
lentreprise, et ladoption duneconception plus intgre de
lentreprise, vue comme une grandefamille , qui a t latout majeur
pour permettre lindustrie japonaisedassocier la coopration efficace
de ses agents46. Cet argument en termesdeffets qui incite une
notion moins troite de la responsabilit peutrenforcer - plutt que
contredire - largument intrinsque.
Si la conception troitement dfinie de la responsabilit
directoriale,comme une responsabilit fiduciaire (i.e., que les
managers sontresponsables de la seule fortune des actionnaires)
semble tre prcaire, ilne sensuit pas ncessairement que les
meilleurs rsultats seront invaria-blement obtenus par les managers
qui auront cibl constamment leursactions sur la maximisation du
bien-tre social dans son ensemble.Il peut exister de bons arguments
en termes deffets pour rduire le cadrede la perception, mais sils
sont fonds sur lconomie de linformation
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
38
et sur la viabilit de la structure de motivation propose. Le
point le plusimportant me semble de limiter la conception
extrmement troite delaction des managers, comprise comme
responsabilit fiduciaire ,plutt que de dfendre lautre extrme ,
cest--dire lexigence, vis--vis des autres agents, de la plus
efficace recherche du bien social . Il estncessaire dexaminer les
mrites subsquents des diffrentes procduresde dcision et danalyser
les structures diverses dincitation la lumirede leurs consquences
les plus larges. Mais cette ncessit nimplique pasforcment que les
agents sy rfrent, pour leur plus grand profit, chaquefois quun
choix simpose.47
Finalement, quelle que soit la vision de la responsabilit en
affairesquon adopte, celle-ci doit tre lie avec les consquences de
comporte-ment quelle suppose. Cela ramne les mrites de la
maximisation duprofit recherch par les managers un loge de la
dfaillance -reconnaissant son rle positif et central dans le fait
de gnrer lefficacitconomique, mais galement ses limites.
Lalternative de la faire tota-lement reposer sur une responsabilit
fiduciaire fonde sur unedontologie indpendante des consquences
soulve de trop nombreu-ses questions laisses en suspens. Il nest
pas facile de suivre le conseilsans compromis de Krishna et Eliot :
Et ne pense pas au rsultat deton acte / Va de lavant , Not fare
well / But fare forward, voyagers .
LES CONTRAINTES INSTRUMENTALESPOUR LES ENTREPRISES
Peu importe que les critres de maximisation du profit soient
dfec-tueux pour lanalyse apprciative, il est probable que la
stratgie desentreprises repose, au moins en partie, sur la
maximisation du profit. Lemoyen dintroduire quelques lments propres
inverser la tendance -lorsque les indicateurs du march sont
trompeurs - est dinsister sur unesrie de contraintes susceptibles
dtre rencontres.
Se plier aux directives sur lenvironnement peut, par exemple,
contri-buer orienter la maximisation du profit dans la bonne
direction.Certaines de ces contraintes peuvent tre imposes par le
biais dergulations publiques, et il est possible, dans cette
optique, de trouverune place pour des considrations extrieures au
calcul du profit.48
INFLUENCER LE COMPORTEMENT FINANCIERNEST PAS UNE NOUVEAUT.49
Quoi quil en soit, la porte de la rgulation effective est
souventconsidrablement limite par des problmes de mise en
application, etcest l quune auto-rgulation des rgles et une thique
de comporte-ment pourraient intervenir. Par exemple, un des
problmes que les
-
THIQUE ET FINANCE
39
banques et les institutions financires ont affronter ces
derniers tempsest le traitement des bnfices illgaux dposs par des
entreprises peurecommandables ou des particuliers, quelquefois
accompagns de pro-positions de blanchiment de ces gains illgalement
perus. La plupartdu temps, de telles oprations seraient, en fait,
illgales, et sil en est ainsi,le dilemme de comportement se rduit
la peur du gendarme. Maissouvent il se peut quil ny ait aucune
illgalit dans de telles oprations,et les chances de ne pas encourir
de poursuites sont importantes. Onpeut alors se demander comment
lthique dcisionnelle concernant cesinstitutions financires devrait
tre value.
On pourrait estimer que lillgalit en question est le fait de
lautreentreprise ou affaire, et soccuper de son argent, comme on le
ferait pournimporte quel dpt, nest pas en soi dlictueux. En outre,
si linstitu-tion financire donne la priorit la responsabilit
fiduciaire de larecherche du profit, la collaboration peut sans
doute tre le bon modedopration.
On peut opposer cette conclusion deux raisons diffrentes,
corres-pondant respectivement aux considrations de cruaut
intrinsque et de mchancet apprciative . En premier lieu, la
participation lutilisation de procds pour des oprations illgales
pourraittre considre comme un comportement mauvais en soi, et cest
l quenous retrouvons la pression dmode - mais non ngligeable - de
ladontologie puriste (similaire linterdiction non subsquente
delusure). Je nai pas grand-chose dire ce sujet, bien que je le
voiecomme faisant partie des considrations senses
envisageables.
En second lieu, si lon dfinit son devoir au terme dune analyse
desconsquences, largument quun autre est responsable de
lillgalitcommise nest pas dcisif en lui-mme. Il devient ncessaire
dexaminerles consquences dactes particuliers, ainsi que les
rsultats ventuels desrgles de comportement les autorisant, et ici,
lthique financire re-trouve le cadre dune analyse apprciative
classique.
Dpendant de la nature exacte du mal dans les fortunes
illgale-ment acquises, les analyses apprciatives des rgles
appropries pourtraiter de belles fortunes sont sans doute loin dtre
facultatives.
On peut faire des observations similaires sur dautres problmes
decomportements financiers. Un point particulier est la possibilit,
pour lesecteur priv, dexercer une influence politique qui pourrait
modifier lapolitique publique, conomique ou montaire, ou qui
pourrait influencerles dcisions en vigueur dans le secteur public.
Ce problme thiqueparticulier, de lutilisation de la politique
publique dans un but priv, taitun des problmes qui, de toute
vidence, proccupait feu Paolo Baffi.50
Le problme nest pas, bien entendu, nouveau et Adam Smith en
aparl longuement dans La Richesse des nations.
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
40
A la vrit, sattendre que la libert du commerce puisse jamais
treentirement rendue la Grande-Bretagne, ce serait une aussi
grandefolie que de sattendre y voir jamais raliser la rpublique
dUtopie oucelle dOcane. Non seulement les prjugs du public, mais,
ce qui estencore beaucoup plus impossible vaincre, lintrt priv dun
grandnombre dindividus, y opposent une rsistance insurmontable
Un membre du Parlement qui appuie toutes les propositions
tendant renforcer ce monopole est sr, non seulement dacqurir la
rputationdun homme entendu dans les affaires du commerce, mais
dobtenirencore beaucoup de popularit et dinfluence chez une classe
de gens qui leur nombre et leur richesse donnent une grande
importance. Si, aucontraire, il combat ces propositions, et surtout
sil a assez de crdit laChambre pour les faire rejeter, ni la probit
la mieux reconnue, ni le rangle plus minent, ni les services
publics les plus distingus ne le mettront labri des outrages, des
insultes personnelles, des dangers mmes quesusciteront contre lui
la rage et la cupidit trompe de ces insolentsmonopoleurs.51
Lutilisation de linfluence politique ne peut pas tre
facilementdfendue en invoquant la responsabilit fiduciaire pour
maximiser lesprofits par tous les moyens disponibles (pour des
raisons que jai djdonnes). Cela ne peut pas non plus convenir un
comportementapprciatif justifi. En effet, la prsomption des effets
pervers dun telcomportement est fonde sur son rle de crateur de
distorsions varies(y compris certaines dont Aristote et Smith ont
parl), par exemple, parles avantages scurisants du monopole.
En faisant la part des mrites et des dfauts valuatifs dun
telcomportement, et des contraintes comportementales qui y sont
lies, laprsomption habituelle des effets nfastes pourrait bien tre
plausible.Un point gnral est particulirement intressant dans ce
contexte. Lesuccs instrumental de la maximisation du profit, en
augmentant leffi-cacit et en amenant dautres bons rsultats (comme
ceux prciss dansla thorie de lquilibre par exemple, dans le thorme
fondamental ),dpend dun certain nombre de conditions. Un march
comptitif, parexemple, repose sur la ncessit que les transactions
aient lieu des prixdonns sur lesquels les entreprises nont pas de
prise. Lorsque lesstratgies des entreprises pour gnrer du profit
prennent la forme duneinfluence sur les prix, ou dune rduction de
la comptition, etc., seuleune petite partie de la thorie classique
dune efficacit reposant sur lemarch subsiste pour lide dune
maximisation insense du profit.
INFORMATION ET DLIT DINITIPour finir, examinons brivement le
problme controvers des condi-
tions du profit par lintermdiaire du dlit diniti. Les membres
de
-
THIQUE ET FINANCE
41
lquipe directoriale dune entreprise sont souvent dans une
positionfort avantageuse pour faire des profits sur des oprations
commercialesauxquelles lentreprise prend part grce aux informations
internes quils dtiennent. Dimportantes fortunes ont t amasses sur
la basedun commerce reposant sur de telles informations, comme
acheterdes actions juste avant que leur cours ne monte (en raison
par exempledune offre publique dachat imminente - connue des initis
mais pasdes autres).
Le dlit diniti est moralement rprouv et, dans certains pays,
faitgalement lobjet de sanctions judiciaires svres, par exemple
auRoyaume-Uni et aux Etats-Unis.51
Des textes rglementaires du mme genre sont maintenant en
vigueuren Italie. Mais, la lgislation est beaucoup moins
restrictive au Japon eten Suisse. Dgager des profits suite une
information interne - enabusant de la confiance des autres - nest
en aucune manire uncomportement exemplaire et il est dailleurs
vident que cela a unedimension malfique . Mais comme nous lavons
dit plus haut, il fautdistinguer la duret des consquences dune
telle pratique de son carac-tre intrinsquement rprhensible. Comment
pourrions-nous valuerle mal caus par ce dlit diniti ?
Il est certainement vrai que les initis qui bnficient de ces
informa-tions privilgies ont, dans un sens, un avantage injuste par
rapport auxautres qui, eux aussi, achtent et vendent des actions.
Mais, on a dit (enparticulier John Kay, 1988) que le dlit diniti ne
cause finalement detort quaux seuls professionnels du march . Si,
par exemple, uneaction est sur le point de voir son cours grimper
de 100 180, et queliniti achte au prix de 120, juste avant que cela
ne se produise, il ne faitpas de tort direct aux actionnaires
continuels. Il nen fait pas non plus ceux qui dcident seuls de
vendre au moment o liniti achte. En toutcas, ils peuvent bnficier
dune offre plus leve (120) de liniti quecelle du march (100).
Cela laisse le champ libre la personne qui navait pas prvu de
vendremais qui est convaincue de le faire par loffre de liniti. Une
telle personnese dcharge de ses actions au prix de 120, alors
quelle aurait pu en toucher180 immdiatement aprs. Puisquil est
probable quune telle personnesoit un professionnel du march
(achetant et vendant des actions),laffirmation de Kay est que
lensemble des mesures de lutte contre le dlitdiniti est destin
sauvegarder les intrts des oprateurs en leur donnantdes chances
gales face aux initis, dtenteurs de leurs informationsprivilgies.
Ces objectifs spcifiques sont poursuivis au prix dun largis-sement
du foss sparant ceux qui financent lindustrie de ceux qui lagrent,
et selon Kay, entraver le dlit diniti peut avoir de trs
gravesconsquences. Do son opposition linterdiction du dlit
diniti.
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
42
On retrouve bien ce dont nous avons parl prcdemment dans
ladfense par Kay du dlit diniti. En labsence de quelque chose
commeune distinction du Deutronome sattachant aux intrts du
groupespcifique des oprateurs, ce serait un objectif trangement
arbitraire,fond sur une conception plutt troite de la responsabilit
collective.Ce sentiment est renforc par une antipathie justifie
vis--vis des initis cupides , et la demande implicite dune sanction
pour vileniemorale . Finalement, la question est de savoir si
toutes les consquencespertinentes ont t prises en compte.
King et Roell (1988) ont dmontr que le dlit diniti a
dautrescots. Premirement, la prsence dune information asymtrique
tend accrotre la propagation de la demande denchre , car les
oprateurscraignent davoir traiter avec les initis. Ce cot agit
comme une taxesur les oprations. Deuximement, la possibilit de
gains trs rapides,fonde sur des informations internes, fait se
dployer bon nombredefforts et de ressources. Puisquil ny a aucun
bnfice social vident tirer de ces oprations, il y a une perte
sociale nette, correspondant auxcots impliqus.
On peut, en fait, complter lanalyse de King et Roell en
considrantla possibilit quun initi puisse mme peser sur le moment
et larticula-tion de lannonce faite par lentreprise pour accrotre
la possibilit, pourles initis, de faire des gains rapides. Cela
impliquerait aussi des cotssociaux et donc une perte sociale.
Lanalyse des consquences peutgalement prendre en considration
leffet dcourageant que le dlitdiniti peut avoir sur la confiance
dans le march boursier, et celapourrait certainement tre un effet
pervers prendre en compte, parti-culirement dans un pays o la
Bourse est la recherche dun dve-loppement.
La proccupation dAdam Smith pour les considrables pertes
socia-les issues de la poursuite, par les particuliers, de profits
rapides peut trepertinente ici. Il y a aussi des ressemblances
entre les initis et les chercheurs de gains monopolistes dAristote.
Il est particulirementimportant de garder lesprit ce problme
aristotlicien puisque linter-diction du dlit diniti a pour trange
effet disoler prcisment ceuxqui ont davantage - plutt que moins -
dinformations que les autres, etcela peut paratre bizarre, du moins
premire vue, dobserver que lacause de lefficacit pourrait tre bien
servie en cartant prcisment lesmieux informs, au bnfice de ceux qui
le sont moins. Une des sourcesmajeures de ce problme repose sur le
monopole de linformation quecertains des oprateurs (les initis )
ont vis--vis des autres, et sur lesgains obtenus par la
conservation de cet avantage monopolistique.Puisque la
participation des autres (y compris du public en gnral)est
importante pour le succs de la finance, le problme de lasymtrie
de
-
THIQUE ET FINANCE
43
linformation ne peut pas tre rsolu en les expulsant , par
unprocessus de slection naturelle. En outre, la possibilit que les
initis puissent dlibrment accrotre le foss entre leurs propres
informationset celles que les non-initis connaissent par eux-mmes,
en manipulantles articulations de la compagnie et autres
mouvements, rend beaucoupplus graves les perspectives de
distorsion.
Voici, pour finir, les raisons appropries pour dcourager et
rguler ledlit diniti. Ce dernier provoque une indignation morale,
mais celanest pas en soi, - jai essay de le dire -, une bonne
raison dinterdire oude rguler cette pratique. Si, dans certains
cas, lindignation moralepourrait bien tre le reflet dune critique
raisonne sous-jacente, ce nestpas ncessairement le cas. Enfin, une
minutieuse analyse des effetsdirects et indirects du dlit diniti et
dautres pratiques doit permettreleur valuation. Il existe donc un
cas qui rcuse le dlit diniti, mais sesfondements doivent tre
clairement distingus de nos simples tendancesnaturelles repousser
les profits fonds sur des informations privilgies,ou dsapprouver
les gains personnels tirs de la confiance sociale.
UNE REMARQUE FINALEJai dit pendant cette confrence que le
problme central en thique
financire est la relation entre les devoirs et les consquences.
Latentation de considrer la finance sous sa forme la plus
immdiatementattrayante ou sa dimension rapidement condamnable est
forte, et ainfluenc lanalyse de lthique financire par le pass,
comme actuelle-ment. Mais les traitements srieux de la finance ont,
dans le pass, rsist cette facilit. Cela sapplique non seulement des
auteurs commeKautilya et Smith, mais aussi la fameuse critique de
lusure par Aristote(mme si de persistantes interprtations errones
de la nature de sesarguments ont eu tendance cacher ce fait
important). Les problmesque ces analyses apprciatives subsquentes
ont eu tendance souleverdemeurent pertinents.
Quelques problmes dthique financire moderne furent examinspour
illustrer la nature des proccupations subsquentes et des pigesde la
dontologie puriste . Par exemple, la poursuite de la maxi-misation
du profit en tant quengagement primordial (sans respect deses
consquences sociales) est souvent dfendue, dans les
argumentsactuels, au nom de la responsabilit fiduciaire , envers
les action-naires. Cette approche reste profondment errone dabord
cause desdommages quun tel comportement peut causer au public au
senslarge (par exemple, travers la dgradation de lenvironnement,
oules distorsions monopolistiques), et ensuite en raison du besoin
deconsidrer ses devoirs envers les autres, eux aussi impliqus dans
lesaffaires. Une justification partielle de la maximisation du
profit passe
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
44
par la reconnaissance du rle que les profits jouent en tant
quincita-teurs lefficacit conomique, mais il ne faut pas
sous-estimer lespertes sociales et les injustices quelle peut, en
de nombreuses circons-tances, amener.
Pareillement, le choix des instruments que les entreprises
pourraientutiliser pour la poursuite de leurs objectifs (y compris
les profits finan-ciers) est un autre sujet propos duquel la
dontologie puriste peuttre trompeuse. Cela prend tout son sens dans
la relation entre lapolitique publique et les intrts privs, et
galement dans le dveloppe-ment des rgles et de normes de
comportement pour rglementer lamanipulation (par exemple, le
blanchiment ) de gains financiers quiauraient pu tre mal acquis
ailleurs.
Un autre exemple concerne les contraintes de comportement
quipeuvent sappliquer aux managers et aux administrateurs qui
disposentdinformations internes . Il est tentant dexclure le
soi-disant dlitdiniti pour les raisons simples dune vilenie
apparente ou duneprtendue injustice , mais de telles critiques nont
que peu de poids.Les objectifs les plus srieux sont lis au tort
social gnral qui pourraitrsulter du dlit diniti par laccroissement
des cots et des distorsionsdus aux motivations.
Lvaluation soigneuse des consquences est au centre de
lthiquefinancire et ne peut pas tre remplace par les attraits des
devoirs indpendants des consquences. Jai dit, en donnant des
exemplesparticuliers, que les rgles et les rgulations, aussi bien
que les codes deconduite, peuvent srieusement se fourvoyer en
tentant de baser lesdcisions publiques ou les attitudes prives sur
une simple dontologiede proccupations et dobligations immdiates.
Dans des affairesfinancires, pas moins que dans dautres domaines
conomiques, lesignificatif va bien au-del de lapproximatif.
BIBLIOGRAPHIE
AKERLOF G. (1983), Loyalty Filters , American Economic Review,
73.
AKERLOF G. (1984), An Economic Theorists Book of Tales,
Cambridge, Cambridge University Press.
ALI KHAN M. (1990), Distributive Justice and Need Fulfillment in
an Islamic Economy, A Review ,mimeographed, Johns Hopkins
University, Baltimore, MD.
AOKI M. (1989), Information, Incentive and Bargaining in the
Japanese Economy, Cambridge, CambridgeUniversity Press.
ARROW K.J. and KAHN F.H., (1971), General Competitive Analysis,
San Francisco, Holden-Day ;republished, Amsterdam, North-Holland,
1979.
BAFFI P. (1985), The bank of Italy and Foreign Economists
1944-1953 : A Personal Memoir , Rivistadi Storia Economica 2 :
1-40.
BARKER E. (1959), The Political Thought of Plato and Aristotle,
New York, Dover.
-
THIQUE ET FINANCE
45
BENTHAM J. (1789), An Introduction to the Principles of Morals
and Legislation, London, Payne ;republished, Oxford, Blackwell,
1948.
BERNAL J.D. (1954), Science in History, Harmondsworth, Penguin,
volume 1.
DEBREU G. (1959), Theory of Value, New York, Wiley.
DOBB M.H., (1937), The Requirements of a Theory of Value , in
his Political Economy and Capitalism,London, Routledge.
DORE R. (1987),Taking Japan Seriously : A Confucian Perspective
on Leading Economic Issues, Stanford,Stanfort University Press.
FUMAGALLI A., 1990 : State and Market : What Rules ? ,
Presidential Address to the YoungEntrepreneurs, Capri, September
21-22.
HAHN F.H. (1981), Money and Inflation, Oxford, Blackwell.
HAHN F.H. (1985), Money, Growth and Stability, Cambridge, MIT
Press.
KANT I. (1978), Kritik der Praktischen Vernunft ; English
translation by T.K. Abbott, Kants Critic ofPractical Reason,
London, Longmans, 1909.
KAY J. (1988), Discussion , Economic Policy, April.
KEYNES J.M. (1930), A Treatise on Money, London, Macmillan.
KINDLEBERGER C.P. (1984), A financial History of Western Europe,
London, Allen et Unwin.
KING M. AND ROELL A. (1988), Insider Trading , Economic Policy,
April.
KOOPMANS T.C. (1957), Three Essays on the State of Economic
Science, New York, Mc Graw-Hill.
LANDES, D.S. (1958), Bankers and Pashas, Cambridge, MA, Harvard
University Press.
LANGHOLM O. (1984), The Aristotelian Analysis of Usury, Bergen,
Universitetsforgalet As.
LORD C. (1984), Aristote : The Politics, Chicago, Chicago
University Press.
MARX R. (1987), Capital, volume I, translated by S. Moore and E.
Aveling, London, Sonnenschein.
MORISHIMA M. (1982), Why Has Japan Succeeded ? : Western
Technology and Japanese Ethos, Cambridge,Cambridge University
Press.
NAGEL T. (1979), Mortal Questions, Cambridge, Cambridge
University Press.
NAGEL T. (1980), The Limits of Objectivity , in S. Mc Murrin,
ed., Tanner Lectures on Human Values,volume I, Cambridge, Cambridge
University Press.
NAQVI S.N.H. AND QADIR A. (1986), A Model of a Dynamic Islamic
Economy and the Institution of Interest,Islamabad, Pakistan
Institute of Development Economics.
NELSON B.N. (1949), The Idea of Usury, Princeton, Princeton
University Press.
NOONAN J.T., Jr. (1957) Scholastic Analysis of Usury, Cambridge,
MA, Harvard University Press.
NOZICK R. (1973), Anarchy, State and Utopia, New York, Basic
Books.PARFIT D. (1984) Reasons and Persons, Oxford, Clarendon
Press.
RABINOWITZ J.J. (1949), The Code of Mamonides, Book Thirteen,
The Book of Civil Laws, New Haven,Yale University Press.
ROBINSON J. (1952), The Rate of Interest and Other Essays,
London, Macmillan.
ROSS D. (1980), Aristote : The Nicomachean Ethics, The Worlds
Classics, Oxford, Oxford University Press.
ROTHSCHILD E. (1991), Adam Smith and Conservative Economics ,
forthcoming in The EconomicHistory Review.
SEN A.K. (1982), Choice, Welfare and Measurement, Oxford,
Blackwell ; Italian translation with Introduc-tion by S. Zamagni,
Scelta, benesse, equita, Bologna : Il Mulino, 1986.
SEN A.K. (1983), Evaluator Relativity and Consequential
Evaluation , Philosophy and Public Affairs, 12.
SEN A.K. (1985a), Well-being, Agency and Freedom : The Dewey
Lectures 1984 , Journal of Philo-sophy, 83.SEN A.K. (1985b), The
Moral Standing of the Market , Social Philosophy and Policy, 2.
SEN A.K., (1987), On Ethics and Economics, Oxford, Blackwell,
Italian translation, Etica and economica,Roma : Laterza, 1988.
SHAMASASTRY R. (1967), Kautilyas Arthasastra, Mysore : Mysore
Printing and Publishing House.
SMART J.J.C. AND WILLIAMS BAO. (1973), Utilitarianism : For and
Against, Cambridge, CambridgeUniversity Press.
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
46
SPIEGEL H.W. (1987), Usury , in J. Eatwell, M. Milgate and P.
Newman, eds., The New Palgrave : ADictionary of Economics, volume
4, London, Macmillan.
TAMARI M. (1987), Will All Your Possessions : Jewish Ethics and
Economic Life, New York, Free Press.
WILLIAMS BAO. (1973) A Critique of Utilitarianism , in Smart and
William, 1973.
NOTES
1. Ma plus grande dette va Tommaso Padoa-Schioppa pour ses
conseils prcieux chaque tape de laprparation de cette confrence,
prononce la Banque dItalie le 26 avril 1991. Je suis aussi
trsreconnaissant Fabrizio Barca, Sissela Bok, Moshe Halbertal, John
Kay, Mervyn King, Franco Modigliano,Emma Rothschild, Ignazio Visco
et Stefano Zamagni. Jai aussi profit des commentaires
dIgnazioAngeloni, Chitrita Banerji, Giorgo Basevi, Robert Dorfman,
Gianni Fodella, Eugenio Gaiotti, CharlesGoodhart, Frank Hahn,
Albert Hirschman, Eric Hobsbawm, Alexandre Lamfalussy, David
Landes, SiroLombardini, Mario Monti et Luigi Spaventa pour leurs
utiles suggestions.
2. Remarques finales du gouverneur lors de lAssemble gnrale
ordinaire des actionnaires de la BanquedItalie, le 31 mai 1990.
Dans la conception du devoir de Baffi, il y avait un engagement
ferme en faveurde lavance conomique et sociale, combin avec
beaucoup de compassion pour la situation difficile desdfavoriss.
Par exemple, en crivant au sujet de sa visite de lcole des sciences
conomiques de Londresen 1931, il ne parle pas seulement des
confrences auxquelles il a assist, mais aussi de la vue des
mineursgallois sur une seule range en train de chanter des hymnes
funbres et de mendier, et des bateaux dsarmset des grues
immobilises (Baffi 1985, p.2).
3. Jai prsent et runi des arguments ce sujet dans Sen 1982,
1985a, 1987. Voyez aussi l Introduzione de Stefano Zamagni dans la
traduction italienne de Sen, 1982.
4. Kindleberger, 1984, note que limplication des trangers ou des
exclus sociaux est un phnomne plusgnral : Dans de nombreuses
socits, les prteurs dargent appartiennent une religion diffrente,
etdonc ne sont pas tenus par les principes thiques de la communaut
(p.41). Pour une tude intressantedu choc des cultures dans le
systme bancaire europen en Egypte, voir Landes, 1957.
5. On sait aussi que la naissance mme de lcriture couvre le
dveloppement des mathmatiques qui furenttroitement lis aux activits
financires, au tout dbut de lhistoire du monde. A ce sujet, voir
Bernal,1954, chapitre 3.
6. Le terme anglais consequentialism est spcifique A. Sen et na
pas dquivalent strict en franais. Senlui-mme en propose en synonyme
: lvaluation sur la base des consquences , dans son article
Evaluator Relativity and Consequential Evaluation , in Philosophy
and Public Affairs, 1983, 12, 2, pp. 113 132. Nous lavons traduit
approximativement, soit par les mthodes dvaluation , en usage dans
lemanagement moderne, sinon dans la philosophie classique, soit par
ladjectif apprciatif ou lenologisme valuatif .
7. La nature et le caractre sens de ceci ainsi que les
distinctions qui y sont apparentes ont t traits dansSmart et
Williams, 1973 ; Nagel, 1979 ; Sen, 1987, entre autres.
8. T.S. Eliot, The dry Salvages , in Four Quartets, Londres,
Faber and Faber, 1944, p.31.
9. Il peut en effet exister un conflit gnral entre a) la nature
intrinsque inapproprie de certains actes, etb) lamlioration que ces
actes pourraient en fait apporter dans ltat des affaires qui
viennent se produire.Dans un contexte plus gnral (pas spcifiquement
li la finance), de tels conflits ont, en fait, t trssouvent traits
dans des critiques dontologiques modernes du consquentialisme en
gnral. Voyez, parexemple, Robert Nozick, 1973 et Derek Parfit,
1984. Aucun dentre eux na, de toute faon, argumenten faveur de
lignorance de toutes les consquences par lvaluation de la justesse
des actes, cest--direquils nont pas de position dontologique
puriste (dfendue par Krishna et Eliot).
10. Cela sapplique galement de nombreux traits scolastiques
mdivaux - y compris franciscains - surlusure. Par exemple, Saint
Thomas dAquin, Guillaume dOccame, Nicolas Oresme et dautres
utilisrentdes analyses extensives des consquences pratiques de
lusure (des introductions utiles leurs raisonne-ments peuvent tre
trouves dans Nelson, 1944 et Nooman, 1957). Lvaluation de lusure en
Islam taitfonde explicitement sur les effets pervers de la
pratique, et ces fondements ont t ranims dans lesinterprtations
modernes de lIslam, expliquant en particulier que linterdit ne
sapplique pas aux intrts
-
THIQUE ET FINANCE
47
en tant que tels, mais seulement aux intrts usuraires - un sujet
dimportance considrable dans le cadredes travaux lgislatifs des
pays islamiques contemporains. A ce sujet, voir Naqvi et Qadir,
1986, ainsi queAli Khan, 1990.
11. Kautilya, Arthasastra, livre II, chapitre 11, section 174 ;
dans la traduction de Shamasastry,1967, p.200.
12. Arthasastra, livre I, chapitre 19, section 39 ; dans la
traduction de Shamasastry, 1967, p.39.
13. Par exemple, si lemprunt et le prt se font tous deux sous la
forme de grains, plutt que de monnaie,alors lintrt en grains lors
dune bonne moisson ne doit pas excder plus de la moiti de
lvaluationmontaire . Arthasastra, livre II, chapitre 11, section
174 ; dans la traduction de Shamasastry, p. 200.
14. Voir Nelson, 1949 ; Noonan, 1957 ; Barker, 1959 et Langholm,
1984.
15. Aristote, La Politique, livre I, 10, 1258-a, traduction de
P. Pellegrin, GF Flammarion, 1990, p. 122.
16. Marx, 1887, chapitre V, pp. 141-145. Sur les problmes de la
valeur implique dans cetteestimation, voire Dobb, 1937.
17. Voir Noonan, 1957, p. 47. La phrase cite provient dune
discussion de Saint Albert au XIIIme sicle,mais cette remarque est
rpte de nombreuses fois par un bon nombre de commentateurs.
18. A ce sujet, voir Langholm, 1984, p.61.
19. Bentham, 1837, p.30. Bentham est loquent ce sujet : une
considration qui nest visiblement pasapparue ce grand philosophe,
mais qui, si cela avait t le cas, naurait pas t tout fait indigne
de saremarque, est, que bien dune darique nen crerait pas une autre
pas plus quun blier ou une brebis, unhomme qui en aurait pourtant
emprunt une aurait pu en tirer un blier ou un couple de brebis, et
celles-ci, condition quon laisse le blier avec elles un certain
temps, nauraient certainement pas t striles. (p.31) Il continue
ainsi parler de ce quil considre tre une erreur stupide de la part
dAristote.
20. La Politique, livre I, passage 1259, dans la traduction de
Lord, 1984, p.51.
21. A ce sujet, voir Hahn, 1981, 1985.
22. La Politique, livre I, 11, 1258-b, traduction de P.
Pellegrin, GF Flammarion, 1990, p. 126.
23. Il ne pensait pas non plus que faire de largent partir du
commerce et de la finance ntait pas unebonne vie mener, mme pour
les personnes qui devenaient riches par ces moyens.
24. La Politique, livre I, 1259 20. Aristote dfend sa position
en citant le cas de Thals de Milet, qui - endpit de sa position de
philosophe - fit de largent facilement, en faisant un monopole sur
les pressoirs olive, alors quil avait correctement anticip une
bonne anne en matire dolives, 1258-b, GF Flamma-rion, 1990, p.
125.
25. La Politique, I, 9, 1257-b, traduction de P. Pellegrin, GF
Flammarion, 1990, p. 118.
26. Ethique Nicomaque, livre IV, chapitre 1 ; traduction de
Voilquin, GF Flammarion, 1965, p. 100.
27. Voir Nelson, 1949, pp. XV-XVI qui, lui aussi, est en proie
des problmes de traduction.
28. A ce sujet, voir Le Code de Mamonide : le livre des lois
civiles, Les Lois concernant les crditeurs et lesdbiteurs, chapitre
VI : 1, traduit dans Rabinowitz, 1949, p.88.
29. Le Code de Mamonide : le livre des lois civiles, Lois
concernant les crditeurs et les dbiteurs,chapitre I : 1, dans la
traduction de Rabinowitz, 1949, p.78.
30. Le Code de Mamonide, livre XIII, V : 2 ; Rabinowitz, 1949,
p.93.
31. Voir Nelson, 1949, p.19. Saint Thomas dAquin dclara que
linvention de linjonction taitdindiquer que prlever des intrts sur
chaque homme est tout simplement mauvais, parce que nousdevrions
traiter autrui comme notre voisin et frre, particulirement dans
lesprit de lEvangile, o noussommes tous appels . Il continua, assez
trangement, prtendre que lexemption spciale de prlever desintrts
aux trangers a t donne aux Juifs pour viter un mal plus grand, de
peur qu travers lavarice, laquelle ils taient enclins selon Is.Lvi
: 11, ils devraient prendre des intrts aux Juifs, qui adoraient
Dieu ,cit dans la traduction de Nelson, 1948, p.14.
32. Pour les aspects techniques de la conscience du
consquentialisme avec des moralits relatives largent, voir Sen
1983, 1987. Sur les diffrents rles de la loyaut, voir Akerlof 1983,
1984.
33. Cit dans Tamari, 1987, p.182. Torah Temimah est un
commentaire influent du XXme sicle, parRabbi B. Epstein.
34. A ce sujet, voir Sen, 1987 et Rotschild, 1991.
35. Dans certains pays, lusure a t interdite par la loi. Mais
comme quelque chose peut toujours tre fait
-
REVUE D'CONOMIE FINANCIRE
48
grce largent, quelque chose devrait toujours pouvoir tre pay
pour son utilisation. Cette rgulation, aulieu de lempcher, a accru
le mal de lusure comme lexprience la montr, le dbiteur tant obligde
payer, non seulement pour lutilisation de largent, mais pour le
risque que le crditeur a couruen acceptant une compensation pour
cette utilisation. Smith, 1776, volume I, livre II, chapitre
4,paragraphe 13 ; dans Campbell et Skinner, 1976, p.356.
36. Smith, La Richesse des nations, livre II, chap. IV,
traduction de Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991,pp. 446-447.
37. Bentham, 1837, lettre XIII, Au Docteur Smith .
38. Smith ne prta pas une attention particulire la critique de
Bentham, et dans ldition suivante deLa Richesse des nations, il na
revu en aucun point le passage que Bentham avait critiqu. Mais il
prit bienla critique, y fit des rfrences favorables - tel point que
Bentham sentit quil avait une preuve indirecteque les sentiments de
Smith avec respect pour les points de divergence restants, sont
prsent lesmmes que les miens . A ce sujet, voir Campbell et
Skinner, 1976, pp.357-358, note 19 et Spiegel, 1987,p.770.
39. La Richesse des nations, livre II, chap. III, traduction de
Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991, pp. 428.
40. Juvenal (Decimus Julius Juvenalis), Satires, traduit par
Hubert Creekmore, vers 14 204.
41. Keynes, 1930.
42. A ce sujet, voir Debreu, 1959 et Arrow et Hahn, 1971.
Koopmans, 1957, prsente une explicationprliminaire lucide.
43. A ce sujet, voir Sen, 1987, chapitre 2.
44. Sen, 1985b, p.19.
45. Adam Smith, en son temps, a mis une opinion particulirement
critique sur la ngligence des intrtsdes travailleurs en articulant
les exigences et les plaintes : Il ny a aucun ordre qui ne souffre
aussicruellement de son dclin (de la socit productive) Dans les
dlibrations publiques, ainsi, sa voix estpeu entendue et encore
moins considre, sauf dans des occasions particulires, quand sa
clameurest anime, attaque et supporte par les employeurs, pas pour
ses besoins, mais pour leurs propresobjectifs atteindre. Smith,
1776, volume I, livre I, chapitre 11, paragraphe 9 : dans Campbell
et Skinner,1976, p.266.
46. A ce sujet et au sujet dautres questions concernant
lexprience japonaise et ses interprtations, voirMorishima, 1982 ;
Dore, 1987 ; Aoki, 1989. Jai essay daborder quelques problmes
connexes en thorieconomique, Sen 1982, 1987. Voir aussi Akerlof
1983, 1984. La vision dune grande famille peut avoirdes effets
exploitables sur certains groupes vis--vis dautres, mais cest un
problme nouveau qui naffecteen rien les inconvnients de
linefficacit des dissensions.
47. Jai essay den parler et daborder les problmes sy rapportant
dans Sen 1985b, 1987.
48. Un des derniers dveloppements intressants dans le monde de
la stratgie des affaires est le soutien quecertaines firmes
semblent apporter des lois anti-pollution strictes. En effet, comme
The Economist le dit,lorsquune firme prive dcide de devenir amie de
lcologie ( pour les relations publiques, la moraledu personnel, et
dautres raisons ), elle ne dsire pas se mettre en position
dsavantageuse en permettant ses concurrents de prendre de lavance
cause dun laisser-aller envers lenvironnement , in A lapoursuite
des pollueurs : ils renversent les ordures ; The Economist, 9-15
fvrier 1991, pp. 70-71. Le casgnral pour des rgulations appropries
de la motivation dun supplment de profit vu sous la
perspectivejoyeuse de lentreprise prive elle-mme a t bien prsent
par Fumagalli, 1990.
49. Bien que je nai pas abord, dans cette confrence, le problme
du management macro-financier, lesrgulations pourraient tre lies
galement aux exigences dun tel management. Par exemple, le
tauxdintrt a une influence majeure sur lvolution de lconomie et
pourrait tre une variable instrumentaleimportante dans la politique
de lemploi et dans la stimulation de la croissance conomique, ce
sujet, voirRobinson, 1952. Dans la pratique, le niveau des taux
dintrt est totalement contrl par les politiques dela Banque
centrale dans la plupart des pays, et ce contrle est fond sur des
rgulations dautres niveaux.Dans le contexte actuel, quoi quil en
soit, je me soucie des rgulations lies au comportement
financierindividuel, plutt que des exigences du
macro-management.
50. Lappel de Baffi une rgnration morale tait fortement li sa
lecture des affaires du momenten Italie. Ce que lon pourrait
appeler le message de Baffi en liaison troite avec cette
proccupation.
51. La Richesse des nations, livre IV, chapitre II, traduction
de Ad. Blanqui, GF Flammarion, 1991, p.60.
52. En Grande-Bretagne, les genres les plus simples de dlit
diniti sont interdits malgr les Rglesfondamentales nonces par le
Conseil dInvestissement et de Scurit. Voir CIS, Principes et
rglesfondamentales pour la conduite des affaires dinvestissement ,
Londres, 1991.