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Par Mony Elkaïm San-FFranscisco, le 12 juillet 1990
Entretien avec Paul Watzlawick Entretien avec Paul
Watzlawick
Paul, c'est à tra-vers un de tespremiers livresque tu aspublié
"une logique dela communication" quebeaucoup d'entre nousen Europe
ont lu unouvrage qui les a intro-duit à la genèse dessystèmes en
mêmetemps qu'à la thérapiede famille. C'est grâce à unsecond livre
dont tu asdirigé la publication"l'invention de la réali-té", que
nous avons pueffectuer un pas épisté-mologiquement impor-tant en
passant d'unevision où le thérapeute est extérieur à la
famillequ'il traite, à une vision où le thérapeute est par-tie
prenante du système dans lequel il intervient.J'aurais voulu
commencer, avant de te poser desquestion plus théoriques, par une
question toutesimple : comment es-tu arrivé à la thérapie
systé-mique ?tu sais que ma formation était celle d'un analyste
jun-gien, et après plusieurs années alors que j'étais à
Philadelphie, au départe-ment de psychiatrie deTemple
University, j'aidécouvert les écrits dugroupe de Bateson quiont
totalement changé mamanière de voir. J'avaisété à l'université de
SanSalvador pendant 3 ans etje pensais retourner enEurope et je me
suis ditque je devrais allé à Palo-Alto. C'était un groupe
quim'intéressait beaucoup etj'ai décidé d'y allé pourune période de
6 à 12mois maximum. Et voici30 ans que j'y suis. Bateson et son
approcheont changé ma manièrede voir les choses et je
pense pouvoir dire que la principale contribution deBateson à
notre domaine est d'avoir utilisé uneapproche anthropologique. Le
psychiatre, comme tule sais mieux que moi, est formé pour approcher
uncas particulier avec un modèle de maladie mentale,ou plutôt il a
en tête un modèle théorique de la mal-adie et quand il va voir ce
cas particulier il va essayerde se l'expliquer grâce au modèle
qu'il a en tête.L'anthropologue fait l'opposé.
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Il se rend dans le groupe qu'il doitétudier et il est un
observateurpassif mais attentif des phénomè-nes qu'il tente de
comprendre.Bateson a utilisé la même appro-che dans le domaine de
la psy-chiatrie. Il ne s'est pas demandélui même "pourquoi cette
person-ne-ci se comporte t-elle de maniè-re folle. il s'est demandé
" dansquel système humain, dans quelcontexte humain, ce
comporte-ment peut-il faire sens? Est-ce quece comportement peut
être dansce contexte le meilleur possible,peut-être même le seul
comporte-ment possible? Et à partir de cetype d'interrogation a pu
apparaît-re, par exemple, la théorie de ladouble contrainte. La
principalecontribution de Bateson à notredomaine, je pense, est
qu'il a intro-duit ce que nous appelons aujour-d'hui la pensée
systémique: nepas voir le phénomène de la mal-adie d'une manière
isolée, mais sedemander comment ces élémentsdifférents sont-ils en
interaction?comment ont-ils un comportementcoordonné?
La principalecontributionde Batesonà notre domaine est d’avoir
utiliséune approcheanthropologiquePaul, comment était ces
premiè-res années à Palo-Alto?
Ces années étaient extrêmementintéressantes. Il y avait
tellementde choses qui se passaient enmême temps. A l'époque
Batesonavait comme collaborateursessentiellement John Weakland,Jay
Haley et le groupe autour deDon Jackson, le MRI, comme ilétait déjà
appelé- le MRI a été créeen 1959- était constitué de person-nes
trés proches. Jackson était undes plus fascinant thérapeute quej'ai
jamais eu le plaisir et l'honneurd'observer. Les réunions
Quiregroupaient les divers membresétaient fascinantes. Pour moi
cespersonnes avaient réellementquelque chose à apporter à
notrechamp. Jackson était un des plusfascinant thérapeute que
j'aijamais eu le plaisir et l'honneur
d'observer. Jackson avait unemanière de réagir à une
interac-tion dans l'ici-et-maintenant quiétait absolument
phénoménale.J'ai observé des sessions depsychothérapie où Don
Jacksonfaisait de la thérapie dés les pre-mières 10 minutes du
premierentretien. alors que, tu sais, d'aut-res personnes prendront
toutel'histoire du cas, réuniront les infor-mations et relevés - et
ceci inci-demment est l'une des choses quej'admire le plus en toi,
cette capa-cité de saisir si rapidement ce quise révèlera être
quelque chosed'excessivement féconde pour lasituation. Don Jackson
était réelle-ment extraordinaire à voir tra-vailler.
P aul, quel type derechercheas-tu menéau début à Palo-Alto?Mes
premiers essais ont été jepense totalement inutile. J'aipassé
trois, peut être quatreannées à essayer de développerce que j'ai
appelé un "entretienfamilial structuré". Ceci était sup-posé être
une sorte d'outil compo-sé de cinq tâches communication-nelles
qu'une famille devait réali-ser. Nous pensions que ceci
nouspermettrait de relever et d'objecti-ver les interactions. Nous
pen-sions que si nous utilisions cestâches pendant
suffisammentlongtemps nous serions capablesde prévoir dés le début
de cestâches communicationnelles si,par exemple, il s'agissait
d'unefamille de schizophrénie ou d'unefamille qui avait des
problèmespsychosomatiques. Et nous pen-sions alors que nous
pourrionsparvenir à une nouvelle forme dediagnostic, une sorte de
liste desdysfonctionnements interaction-nels. Nous espérions que
cet outilnous permettraient de mesurer lechangement: nous
utiliserions cestâches au début de la psychothé-rapie, nous
redonnerions lesmêmes tâches à la fin de lapsychothérapie, les
membres de
la famille réaliseraient les mêmescinq tâches et nous
pourrionsalors dire " oui, il y a eu un chan-gement". Cela n'a
jamais marché, pour latrès simple raison que nous nesavions pas à
l'époque que lesinteractions sont des processussymbolique qui ne
peuvent pasêtre quantifiés. Nous espérionsarriver à des
pourcentages avecdes courbes, etc… Ceci n'a jamaismarché. C'était
mon premier essaide travail à Palo-Alto.
Et ensuite?
nous avons commencé à créernotre modèle de thérapie brèved'une
façon très empirique.nous nous sommes rencontrés etnous nous sommes
dit "il doit yavoir une manière de comprendrecomment quelqu'un
comme DonJackson ou, à ce moment là déjàquelqu'un comme Milton
Erickson,arrivaient à des résultats aussiremarquables". Ceci ne
pouvaitpas être seulement le fruit de l'in-tuition. Il y avait
quelque chose quipouvait être compris, qu'on pou-vait apprendre, et
qui pouvait êtreenseignée. Jackson, comme je l'aidéjà dit, était
fantastique, maisquand vous lui demandiez "maisenfin comment tu le
fais?", il don-nait une réponse qui ne signifiaitvirtuellement
rien.
Don Jackson étaitun des plus fascinant
psychothérapeuteque j’ai eu le plaisir
et l’honneur d’observerNous nous sommes alors dit "bien,alors
essayons de voir des cas, und'entre nous serait le thérapeute,les
autres seront assis derrière lemiroir sans tain, et nous
essaye-ront de comprendre ce que cespersonnes qui réussissaient
sibien font". C'est ainsi que graduel-lement et je fais maintenant
unsaut de plusieurs années nousavons commencé à créer notremodèle
de thérapie brève d'unefaçon très empirique. Maintenant,
rétrospectivement,Nous pouvons faire comme si c'é-tait une sorte de
théorie qui a surgid'une manière continue, étape parétape à la
suite d'un processus
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extrêmement logique.Cela ne l'était pas du tout. Nousavons
commencé en ayant desentretiens avec des personnesdont la
profession les forçait àrésoudre régulièrement des pro-blèmes, par
exemple des barmen,des serveurs qui devaient sedébrouiller avec des
clients agres-sifs, des clients ivres, et qui arrive-raient à
réaliser des choses remar-quables. Nous avons parlé aussi àdes
pilotes d'avion qui devaientfaire face quelquefois à des
com-portements de grandes paniques.Nous avons interrogé des
policiersreconnus pour être capables decalmer des situations
extrême-ment dangereuses par l'humour,etc. Mais à chaque fois que
nousdemandions à notre informateur,après avoir obtenu la
descriptiontrès intéressante de ces comporte-ments, "mais pourquoi
avez vousfait ce que vous avez fait?" ou "qu'est-ce qui vous a fait
dire ceque vous avez dit?",la réponseétait en général "cela nous
sem-blait la chose la plus adéquate àfaire". Aussi nous
n'aboutissionsnulle part en suivant cette façon defaire. Petit à
petit nous avons commen-cé à explorer d'autres possibilités -et ce
fut Milton Erickson qui nous abeaucoup aidé par ces idées.Comme tu
le sais, dans la secon-de moitié de sa vie professionnel-le,
fréquemment il n'induisait pasdes transes mais motivait les
genssimplement en leur demandantd'agir d'une manière différente.
Ils'agissait le plus souvent de com-portements qui permettaient
derésoudre les problèmes mais cescomportements n'avaient jamaisété
utilisés pour la simple raisonqu'ils ne semblaient pas sensés
oucomme je dirais aujourd'hui, qu'ilsne s'inscrivaient pas dans le
cadrede la réalité que les gens avaientconstruit d'eux-mêmes. En
elle-même cette intervention était rela-tivement simple. Aussi nous
avonscommencé à expérimenter sur cemodèle. Juste une petite
digres-sion, aujourd'hui je travaille quel-quefois avec les
directions d'entre-prises, et je suis alors confronté àune plus
grande complexité quecelle que l'on rencontre avec unefamille.
Quand on est confronté àune très grande compagnie, la
complexité peut paraître commequelque chose qui risque de
vousdéborder. les personnes qui tra-vaillent dans la recherche
auniveau de grandes organisationssont arrivées à un concept
que,Stafford Beer a appelé" varietyreducer" (réducteur de
complexi-té). Il s'agit d'une méthodes qui tentede diminuer la
complexité d'unesituation sans en détruire la varié-té, sans
détruire cette complexité.
P aul WATZLAWICK est né à Villach, en Autriche, en 1921.. En1949
il obtient un doctorat de philosophie mention philologiemoderne. A
partir de 1950 il se forme pendant quatre ans à lapsychanalyse à
l’institut de Psychologie Analystique CarlGustav Jung à Zürich en
suisse.Il obtient son diplôme d’analys-te en 1954.Watzlawick
travaille un temps en europe, part pourbombay en Inde, puis revient
en europe. En 1957 il se rend en Amérique Centrale.ASan Salvador il
est professeur à l’université nationale d’El Salvador. Il y
ensei-gne la psychothérapie et la psychanalyse. Il lit énormément.
C’est à ce moment làqu’il découvre Bateson à travers ses ouvrages
et ses travaux. En 1959 il veut ren-trer en Europe mais passant par
les Etats Unis car il est invité part John Rosen quipratique
(L’analyse directe) dans son Institut de Philadelphie. Il est
égalementdécidé à passer quelques mois en Californie pour y
rencontrer Grégory Batesonet chercheurs du groupe de Palo Alto
notamment Don D.Jackson, John Weaklandet Jay Haley. En janvier 1960
il se trouve en Pennsylvanie au département de psy-chiatrie de
l’université de Temple où travaille, entre autres chercheurs,
AlbertScheflen. En octobre 1960, Scheflen le présente à Don Jackson
en visite àPhiladelphie. Don D. Jackson l’invite à se joindre à
l’équipe du Mental ResearchInstitut (M.R.I) qu’il vient de créer en
novembre 1958 avec Virginie Satir et JulesRuskin. Tourné vers la
recherche clinique et la formation de thérapeutes l’équipea pour
objectif de tenter d’appliquer les découvertes sur la communication
faitesavec Bateson au champ de la psychothérapie. En 1961 Paul
Watzlawick rejoint l’é-quipe en compagnie de Jay Haley et John H.
Weakland. C’est à ce moment là quela revue prendforme autour du
même groupe sous la direc-tion de Jay Haley et Don D. Jackson. En
1967, Paul Watzlawick en collaboration avec John Weakland, Richard
Fish etArthur bodin, créent le Brief Therapy Center. Paul
Watzlawick est chercheur auM.R.I. de Palo Alto depuis 30 ans. IL
est depuis 1976 assistant au département depsychiatrie et des
sciences du comportement de la faculté de médecine de l’uni-versité
de Standford.Paul Watzlawick est l’auteur de 7 livres et de plus de
quarante articles parus dansdes revues spécialisées.
Bibliographie de Watzlawick disponible en français :
- Une logique de la communication avec J. Beavin et D.Jackson,
1972,Seul, coll.,1979.- Changements :paradoxes et psychothérapie
avec J. Weakland et R.Fish, 1975, Seuil, coll. ,1981.- Sur
l’interaction avec J.H. Weakland, 1977, Seuil, 1981.- La réalité de
la réalité, 1978, Seuil, coll. , 1984.- Le langage du changement,
1980, Seuil.- L’invention de la réalité (dirigé par Paul
Watzlawick), 1981, 1985, Seuil, 1988.- Faites vous-même votre
malheur, 1983, Seuil.- Comment réussir à échouer, 1986,
Seuil,1988.- Guide non conformiste pour l’usage de l’Amérique,
1987, Seuil.
Par exemple, comme il le faitremarquer dans un de ses livres,si
les voitures pouvaient aller dansn'importe quel sens dans unegrande
ville, ce serait le chaostotal. à partir du moment où quel-qu'un
dit, "tout le monde devraitrouler du côté droit de la route
"brusquement nous avons à tra-vers une intervention limitéeamené
une réduction considéra-ble de la variété des comporte-ments sans
détruire le trafic. Au
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contraire nous avons même rendule trafic plus fluide, plus
facile. Ceci donc est le concept de réduc-teur de complexité. Il
permet d'ac-complir un grand saut. aujourd'huinous pensons
empiriquement quele réducteur de complexité le plusutile est le
concept de solution quia été tenté. Ce qui nous intéressequand nous
explorons une situa-tion, c'est avant tout, de compren-dre la
nature du problème. nouslaissons d'abord les membres dela famille
expliquer le problème. Laseconde étape est la suivante:nous
essayons de comprendre ceque ces gens ont fait jusque làpour tenter
de gérer ce problème,de résoudre ce problème, et aussiquel type
d'avis ils ont reçu d'aut-res personnes. si les comporte-ments
utilisés par les membres dela famille pour résoudre le problè-me
avaient été couronnés de suc-cès, les membres de cette famillene
seraient pas venus demanderde l'aide. L'histoire de
l'évolutionsemble fournit des exemples desituations où les
problèmes appa-raissent quand des stratégies quiont été utiles dans
le passé sontmaintenue malgré le fait que lesconditions au niveau
environne-mental ont changées et que cesstratégies ne fonctionnent
plus. ce qui est malchanceux, c'est quedans ces circonstances les
êtreshumains aussi bien que les ani-maux continuent à utiliser la
solu-tion catastrophique de faire encoreplus la même chose. Ils ne
chan-gent pas leur stratégie, ils secontentent de l'affiner et bien
sûrils obtiennent encore plus dumême comme le dit le
proverbefrançais, " plus ça change, plusc'est la même chose".je
pense que c'est d'une manièreclaire la route qu'il faut
prendre.Nous voyons aujourd'hui différen-tes directions se préciser
et je voisquelque chose que je trouve per-sonnellement très
irritant: desgens qui n'ont même pas comprisun minimum la théorie
des systè-mes me disent : " Vous avez àretourner à l'individu. Nous
avonsà découvrir ce qui se passe à l'in-térieur de l'individu", ils
disent quecette approche systèmique estmécaniste, qu'elle ne prend
pas enligne de compte la profondeur del'individu et des élèments de
ce
type. Je pense d'ailleurs qu'il sepasse la même chose pour ce
quiest d'intervention paradoxale.
P aul comment vois-tuaujourd'hui la situa-tion de la
thérapiefamiliale et de l'approchesystémique?
ce type d'intervention a été diluéen une sorte de paradoxe
austade le plus simple du terme. et leparadoxe lui même en est
arrivé àsignifier quelque chose d'inatten-du, de bizarre de
surprenant etbien sûr de cette dilution surgitune sorte de manière
de parler decertaines choses qui fait qu'il vousest difficile de
comprendre de quoiles gens parlent ainsi. Et dans cedomaine
particulier, je pense queton travail a eu une énorme valeuren
montrant bien à ces interlocu-teurs que les thérapies systè-miques
ne signifie pas que l'indivi-du ne compte plus. En fait, ton
tra-vail montre comment dans lamesure où des individus
construi-sent des réalités, différentes cons-tructions du réel en
interelationforment ce qu'en biologie on aappelé depuis longtemps
déjà"une qualité émergente" tu as unnom différent pour cela, tu
appel-les cela résonance, et tu parles desystèmes en résonance.
Diminuer La complexité d’une situation
sans en détruirela variété
Par exemple aujourd’hui jesupervisais un bon thérapeutedant la
séance de psychothéra-pie.Nous étions derrière lemiroir sans tain
et le thérapeutetravaillait de manière extrême-ment intéressante
avec un cou-ple dont l’épouse avait toute savie pris en charge les
autres.Elle disait: “Jamais personnen’a pris soin de moi”, nousnous
sommes alors renducompte comment il était extrê-mement difficile
pour elle d’ac-cepter que son mari ou que lethérapeute puisse
prendre soind’elle. Ce n’est que lors de l’in-
terruption de séance que le thé-rapeute a commencé à
réalisercomment son sentiment d’ina-déquation avait une
fonctiondans ce contexte spécifique.Bien sûr ce sentiment
étaitaussi lié à sa propre histoiremais par ailleurs ce
sentimentavait été amplifié dans cecontexte particulier en lien
avecune fonction s’élargissant àl’ensemble du système
théra-peutique. La résonance com-mançait déjà à l’intersectiondes
systèmes familiaux du thé-rapeute et des clients.
Et je pourrai même émettre l'hypo-thèse que cette femme était
capa-ble dans d'autres circonstancesd'induire chez d'autres
personnesun sentiment d'inadéquation afinqu'elle puisse les prendre
en char-ge.
Il faudrait encore que ces per-sonnes soient prêtes à
être"induit" parce qu'elles doiventaussi avoir un intérêt dans
cetype de comportements, à créerce type de nouveau système...
Quand deux personnes habituéesà aider se rencontrent nous
avonsune qualité émergente qui peutcréer un conflit très sérieux
parceque les deux veulent aider et lesdeux ne veulent pas être
aidés.Aussi les deux considèrent l'autrecomme froid et hostiles.
Ceci estpour moi le type de qualité émer-gente qui n'a plus
uniquement desaspects individuels. Cette qualitéémergente surgit
comme la résul-tante d'une interaction et c'est cecique les gens
ont des difficultés àvoir lorsqu'ils rejettent l'approchesystémique
comme mécaniste.
Paul, L' insistait beaucoup sur l'au-toréférence. Peux-tu m'en
direquelques mots ?tu sais, tout d'abord, l'autoréféren-ce est bien
sûr un concept philo-sophique très important. Cela acrée un
problème pour le groupede Bateson quand ils ont com-mencé à étudier
les effets de lacommunication paradoxale. Enthérapie systémique on
ne peutpas éviter le problème de l'autoré-férence.
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Il m'arrive fréquemment de men-tionner ce merveilleux exemple
duparadoxe sur l'omnipotence divi-ne. D'après une histoire fiable,
leDiable un jour a mis Dieu au défide prouver sa toute puissance
endemandant à Dieu de créer unrocher tellement énorme quemême Dieu
ne pourrait pas lelever. Alors tu vois, il n'est pas rap-porté ce
que Dieu a répondu, maisle problème est que si Dieu peutcréer un
rocher assez grand pourque lui même ne puisse pas lelever, alors
Dieu ne serait pas tout-puissant parce qu'il ne pourraitpas le
lever. Mais d'un autre côté,s'il peut le lever, alors il ne
seraitpas tout-puissant puisqu'il ne peutpas créer un rocher assez
lourdpour ne pas pouvoir le lever.C'était le type de problème que
legroupe de Bateson a commencé àinvestiguer, et en thérapie
systé-mique, comme tu l'as toi mêmedémontré aussi clairement, on
nepeut pas éviter le problème del'autoréférence. Le thérapeuten'est
pas assis quelque part, com-plètement détaché du systèmequ'il
regarde; il en fait partie, etalors et ceci est la chose
importan-te on ne peut pas maintenir l'ob-servateur en dehors du
système.C'était l'erreur qui fût faite dans lebon vieux temps quand
on pensaitqu'une observation scientifiquesignifiait bien sûr qu'il
n'y a pas deconnexion avec l'observateur luimême. Bien sûr des
physicienstrés importants comme par exem-ple Schrœdinger ou
Heisenbergavaient déjà parlé de l'impossibili-té de maintenir
l'observateur àl'extérieur. Aussi je pense que cequ'il nous faut
dans notre travail,en supervision plus particulière-ment, c'est de
faire en sorte que lethérapeute puisse être conscientdu fait qu'il
est maintenant à l'inté-rieur d'un système qui est consti-tué par
la famille plus lui.
A ton avis Comment peut-onutiliser le concept de méta-posi-tion
?Est-il utile de parler de méta-
position ? devons nous oublierce concept en psychothérapie ?
Non, non, je pense que nousavons la possibilité de prendreune
position méta parce que nos
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patients s'attendent à ce que nousl'ayons. Ils nous voient
commeétant quelque part à l'extérieur ouau dessus. Ceci a quelque
chosed'utile. Tu n'as pas besoin d'y croi-re mais tu peux encore
l'utiliser.
Vois-tu d’autres concepts intér-ressants pour notre
champaujourd’hui?
Tu sais, une chose sur laquellej'insiste encore et encore, c'est
ceconcept traditionnel d'adaptation àla réalité qui me semble
philoso-phiquement intenable et qui mesemble aussi
scientifiquementintenable. Croire qu'il y a une réalité
réelleextérieure à nous dont des gensnormaux et bien sûr des
psycho-thérapeutes, sont particulièrementconscients et en tout cas
plusconscients, que les soi-disantmalades mentaux, ceci me sem-ble
tout à fait intenable. Mais c'estpourtant quelque chose qui
estlargement utilisé dans notrechamp. La réalité est ce que vous
ditesqu'elle est. Elle est ce que vousavez construit, je fais une
distinc-tion entre ce que j'appelle réalitéde premier ordre et
réalité desecond ordre. La réalité de pre-mier ordre, c'est
l'information quemes sens me font parvenir et, tu lesais mieux que
moi même, ceciest le résultat d'une constructionneuronale
extrêmement com-plexe. A l'extérieur de nous, Il n'y apas de
couleurs. Nous voyons descouleurs parce que nous avonsdes yeux.
D'une manière invaria-ble nous attribuons un sens,
dessignifications, des valeurs à cesattributions que nous donnons à
laréalité de premier ordre et j'appel-le ces attributions que nous
don-nons à la réalité de premier ordrela réalité de second ordre.
Lesconflits humains les plus impor-tants surgissent lorsque deux
per-sonnes attribuent un sens diffé-rent à une réalité qui est
perçueen commun. C'est là que le pro-blème commence. Mais c'est
làaussi que de grandes opportuni-tés s'ouvrent.Une bonne thérapie
peut consis-ter à changer une constructiondouloureuse de la réalité
en uneconstruction moins douloureuse.
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Si nous acceptons une des idéesde base du constructivisme, à
sa-voir que nos réalités sont toujoursdes constructions et des
explica-tions réalités sont des explicationsque nous donnons du
mondeextérieur, alors nous pouvonscommencer à comprendre
qu'unebonne thérapie peut consister àchanger une construction
doulou-reuse de la réalité en une cons-truction moins douloureuse.
Cecine signifie en aucune manière quecette construction soit plus
"réelle"que l'autre. elle est seulementmoins douloureuse.
Vois-tu encore d'autres conceptsimportants pour notre travail
aujour-d'hui ou dans le futur?
Je pense que j'ai mentionné le plusimportant déjà. C'est ce
réducteur decomplexité. Une fois que nous avonsune idée assez
claire, relevé ce quenos patients ont déjà essayé et le typed'aide
qu'ils ont reçue, nous pouvonsalors les aider à interrompre la
solutionqu'ils avaient tenté par une prescription.Dans certaines
situations on a un peude chance, le système peut d'unemanière
spontanée se réorganiser.mais la plupart du temps ceci n'est
passuffisant et nous devons remplacer lasolution tentée déjà par un
comporte-ment différent pour sortir du problème.Nous pouvons faire
cela d'une maniè-re très directe par exemple en disantaux gens:"une
fois par jour, s'il vousplait, faîtes ceci ou cela "ou" dans
cettesituation spécifique, faites ceci ou cela".C'est ainsi que je
pense que nous com-mençons à utiliser les idées plutôtabstraites du
constructivisme d'unemanière extrêmement pratique. Nouscréons de
nouvelles réalités en deman-dant aux gens de faire quelque
chosequ'ils aurait toujours pu faire. Ericksonétait quelqu'un qui
était passé maîtredans l'art d'aider les gens à agir diffé-remment.
Ce n'est pas quelque chosequi nécessite du talent ou je ne saisquel
don, c'est simplement le fait qu'ilsn'ont jamais tenté ce type de
comporte-ment parce qu'il ne faisait pas senspour eux dans leur
propre constructionde la réalité. Dans cette voie Ericksonétait
quelqu'un qui était passé maîtredans l'art d'aider les gens à agir
diffé-remment.Tu te souviens de l'entretienstructuré dont je t'ai
parlé tout à l'heure.Cet entretien était constitué de 5tâches.
L'une des tâche consistait àdemander aux parents en l'absence
de
Tu te souviens de l'entretien struc-turé dont je t'ai parlé tout
à l'heure.Cet entretien était constitué de 5tâches. L'une des tâche
consistaità demander aux parents en l'ab-sence de leurs enfants:
"commentce fait-il que parmi les millions degens qui existent dans
le mondevous vous soyez rencontrés tousles deux?", et alors nous
avionsdes réponses qui duraient trois àcinq minutes. Nous n'étions
pasintéressés par le contenu, inutilede le dire, nous étions
intéressés,plutôt par la manière dont les per-sonnes parlaient,
dont ils secontredisaient, qui rectifiait qui, oubien quand
étaient-t-ils d'accord?ou non? je me rappelle que pen-dant des mois
et des mois, chaquemercredi matin pendant au moinsune heure nous
faisions écouterdes extraits très brefs, je répètetrès brefs,
maximum cinq minutesà Jackson.
Jackson ne connaissait pas cesgens, il ne savait pas qui
ilsétaient, il ne savait pas s'ilsavaient des enfants, pourquoi
ilsétaient venus à l'institut, il nesavait rien. Tout ce qu'il
avait c'é-tait ces voix sur la cassette etJackson d'une manière
constante
nous donnait le diagnostic juste.Par exemple je me rappelle
d'uncas où il a dit:"si ce couple a un filsc'est probablement un
délinquant,s'ils ont une fille elle a probable-ment un problème
psychosoma-tique". Nous disions à Jackson:"Don, comment est-ce que
tu lesais?", "Don, qu'est-ce qui t'a faitdire ça? comment as-tu
découvertcela?" et il répondait quelquechose du style: " et bien
c'est lamanière dont la mère vient justede rire". Alors un jour on
s'est ditqu'il fallait absolument fairequelque chose d'un peu
plusscientifique et nous avons eubesoin d'un groupe de
contrôle,Nous avons cherché pour ce grou-pes de contrôle, des
familles nor-males. je ne sais pas si tu as unjour cherché, Mony,
des famillesnormales c'est extrêmement diffi-cile à trouver. Nous
avons réussi àen trouver trois. Nous avons doncfait des
enregistrements d'une desfamilles "normales", celle qui
noussemblait la plus normale de cestrois et nous avons fait
écouterl'enregistrement à Jackson.
As-tu d'autres histoires à racon-ter, concernant Bateson
parexemple?
pour la première fois, Jackson adit:"je ne sais pas,
pouvez-vousrepasser l'enregistrement, s'il vousplaît?" et nous
l'avons repasséune deuxième fois puis il a dit;" jesuis désolé...
je ne sais pas... ilsme semblent parfaitement nor-maux" Oh mon
Dieu, tu saisBateson était un homme de laRenaissance. Il avait une
immen-se culture proprement étonnante.Chaque mardi soir il tenait
unesorte de salon chez lui auquel lesrésidents en psychiatrie
étaientinvités et de notre groupe venaitqui voulait. J'y allais
chaque mardiet Bateson avait à chaque fois uninvité différent. Une
semaine ilavait un astronome, l'autre semai-ne un sociologue ou un
expert enmusique. il était capable d'avoirdes conversations
extrêmementpertinentes avec toutes ces per-sonnes diverses
représentant dif-férend champ de la connaissancehumaine. C'était
absolument fasci-nant. je me rappelle une chose quiétait drôle,
Grégory, surtout dansces derniers livres n'était pas à l'a-
leurs enfants: "comment ce fait-il queparmi les millions de gens
qui existentdans le monde vous vous soyez ren-contrés tous les
deux?", et alors nousavions des réponses qui duraient troisà cinq
minutes. Nous n'étions pas inté-ressés par le contenu, inutile de
le dire,nous étions intéressés, plutôt par lamanière dont les
personnes parlaient,dont ils se contredisaient, qui rectifiaitqui,
ou bien quand étaient-t-ils d'ac-cord? ou non? je me rappelle que
pen-dant des mois et des mois, chaquemercredi matin pendant au
moins uneheure nous faisions écouter desextraits très brefs, je
répète très brefs,maximum cinq minutes à Jackson.
p our terminer cet entretiensur un ton plus léger,peux-tu me
racontercertai-
nes anecdotes ou certains sou-venirs sur des personnes
aveclesquelles tu as travaillé toutesces années?
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bri de la contradiction. Un jour je luiai dit: " mais tu sais
Grégory je necomprend pas, d'un côté tu dis ceciet d'un autre cela,
il me semble qu'ily a contradiction?" et cet énormehomme immense me
regarde avecun visage très triste et tout ce qu'ila répondu
c'était: " ...oh Paul..!".Avec ma culture ajoutée au respectque je
lui vouait, ces propos m'ontlaissé coi, bien sûr. Non je n'ai
ren-contré Erickson que deux fois. Jen'ai pas eu d'autres
contacts.
Ericksonétait quelqu’un qui étaitpassé maître dans l’artd’aider
les gens à agirdifféremmentas-tu travaillé toi même avecErickson?Et
quelle impression as-tu euquand tu l'as rencontré?
quelqu'un de très gentil, et quel-qu'un qui simplement ne
pouvaitpas arrêter d'hypnotiser les gensdans quelque contexte que
ce soit.Cela pouvait se faire au cours du
dîner. Il aurait par exemple deuxou trois personnes en transe et
il yparvenait juste par quelqueslégers mouvements de la main,par
une certaine intervention de lavoix, la manière dont il les
regar-dait… c'était une seconde naturepour lui.
Y-a-t-il quelque chose de parti-culier, Paul, que tu voudrais
direau terme de cet entretien auxthérapeutes familiaux qui vontlire
ce texte dans le premiernuméro de Résonance? Parexemple quelque
chose quantau futurde la psychothérapie?
tout ce que peux dire c'est que jene voudrais pas que l'on croit
quece que je pense est la vérité ulti-me. Je suis convaincu que
d'iciquinze ans les gens qui liront cetteentretien riront, parce
qu'alorsnotre champ sera tellement plusloin. Nous assistons à une
évolu-tion importante. Ce que je trouveintéressant dans tes livres
c'estjustement que tes travaux sont à
la convergence des sciencesnaturelles et sociales. Tu présen-tes
un type de convergence qu'ona encore très peu vu. Avec l'aidede
Dieu nous arriverons à un pointoù à travers la cybernétique
desecond ordre et d'autres dévelop-pements de ce type nous
pour-rons formaliser des choses quin'ont jamaisété formalisées
auparavant.
Merci beaucoup Paul