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mile DURKHEIM (1903-1904)
Sur l'organisationmatrimoniale des socits
australiennes
Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay,
bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi
Courriel: [email protected] web:
http://pages.infinit.net/sociojmt
Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences
sociales"Site web:
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
Une collection dveloppe en collaboration avec la
BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi
Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 2
Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay,
bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de
:
mile Durkheim (1903-1904)
Sur l'organisation matrimoniale des socitsaustraliennes
Une dition lectronique ralise partir du texte dmile Durkheim
(1903-1904), Sur l'organisation matrimoniale des socits
australiennes. in Annesociologique, vol. VIII, 1903-1904, pp. 118
147, rubrique: Mmoiresoriginaux. Paris: PUF. Texte reproduit dans
Journal sociologique, pp. 483 510.Paris: PUF, 1969, 728 pages.
Collection Bibliothque de philosophie contem-poraine.
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dition complte le 23 septembre 2002 Chicoutimi, Qubec.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 3
Table des matires
Sur lorganisation matrimoniale des socits australiennes
Section ISection IISection IIISection IV
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 4
Sur l'organisationmatrimoniale des socitsaustraliennes par mile
Durkheim (1903-1904)
in Anne sociologique, vol. VIII, 1903-1904, pp. 118 147,
rubrique:Mmoire originaux. Paris: PUF. Texte reproduit dans Journal
sociologique,pp. 483 510. Paris: PUF, 1969, 728 pages. Collection
Bibliothque dephilosophie contemporaine, 728 pp.
Retour la table des matires
Un ouvrage de MM. Spencer et Gillen est toujours une bonne
fortune pourle sociologue. Il y a peu d'explorateurs dont les
observations soient dirigespar un instinct aussi sr vers les
institutions essentielles et les faits cruciaux.Le nouveau livre
qu'ils viennent de faire paratre 1 n'est pas, sur ce point,infrieur
au prcdent 2. Peut-tre est-il moins riche en nouveauts impr-vues ;
il tait, d'ailleurs, difficile qu'il en ft autrement, puisqu'il est
consacr des tribus voisines et parentes, par la civilisation, de
celles dont ces auteursnous avaient prcdemment entretenus. Mais sur
les faits mmes qu'ils
1 The northern Tribes of central Australia, Londres, Macmillan,
1904 p. XXXV-784, in-8.
2 The native Tribes of central Australia.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 5
avaient eu dj l'occasion de nous faire connatre, ils apportent
des prcisionsqui sont de nature, croyons-nous, faire avancer des
questions depuis long-temps controverses. Notamment en ce qui
concerne l'organisation sociale destribus australiennes, les
informations nouvelles qu'ils ont recueillies nousparaissent
grosses de consquences instructives. Ce sont ces consquencesque
nous voudrions chercher dgager dans la note qu'on va lire.
Commeelles n'ont pas t aperues ou ne sont pas admises par les
auteurs, il nous aparu qu'il y avait intrt en faire l'objet d'une
tude spciale 1. Au reste, cettetude n'est que la suite et le
complment de celle que nous avons publie icimme et sur les mmes
questions, il y a quelques annes 2.
IRetour la table des matires
Le premier ouvrage de MM. Spencer et Gillen tait presque
exclusivementconsacr la socit des Arunta ; il n'tait gure parl
qu'accessoirement de latribu, plus mridionale, des Urabunna. Cette
fois, outre des renseignementsnouveaux concernant cette dernire
peuplade, ces deux auteurs nous apportentune description analytique
des tribus situes au nord des Arunta, partir desmonts Davenport
jusqu' la rivire Roper. Nous nous trouvons donc connatregrce eux
toutes les tribus qui recouvrent l'espace compris entre le lac
Eyreet le golfe de Carpentarie. Nous avons ainsi toute une gamme de
socits dontl'organisation est sensiblement la mme dans ses traits
essentiels et qui, parconsquent, peuvent tre utilement
compares.
D'ailleurs, ces ressemblances ne vont pas sans certaines
divergences. Si lesmmes institutions se retrouvent partout, elles
sont ici plus marques, l, aucontraire, plus effaces ; elles ne sont
pas partout dveloppes de la mmemanire et ces variations mmes
rendent les comparaisons plus instructives etplus fcondes. MM.
Spencer et Gillen ont cru pouvoir ramener trois typesles socits
nouvelles qu'ils ont observes : 1 Le type Warramunga, quicontient,
outre les Warramunga, les Worgaia, le Tjingilli, les Umbaia,
lesBingongina, les Walpari, les Wulmala et les Gnanji ; 2 Le type
Binbinga quicontient, avec les Binbinga, les Allaua et probablement
d'autres tribus de lacte occidentale du golfe de Carpentarie ; 3 Le
type Mara qui comprend lesMara et les Anula. On verra plus loin ce
qui les diffrencie les uns des autres.Si l'on ajoute ces trois
types celui des Arunta qui en est parent, mais qui endiffre 3, et
celui des Urabunna qui s'oppose tous les prcdents parce que la
1 La partie de l'ouvrage qui concerne les croyances et les
pratiques religieuses ou magiques
est analyse part dans La sociologie religieuse.2 Sur le totmisme
, in L'Anne sociologique, t. V.
3 A ce type se rattachent les Ilpirra, les Iliaura, les
Unmatjera et les Kaitish.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
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filiation s'y fait encore en ligne maternelle 1 on voit que nous
disposons d'unvaste champ de comparaison.
Sur les cadres gnraux de la socit, il ne nous est rien appris de
bienneuf. Chacune des tribus tudies est divise en deux phratries
(les auteursdisent deux moitis), et chaque phratrie comprend un
certain nombre degroupes totmiques ou clans. Nous avions dj trouv
cette organisation chezles Arunta (comme, d'ailleurs, dans un grand
nombre de socits australien-nes) ; elle prsente cependant, ici, un
caractre particulier qu'elle n'avait paschez les Arunta. Chez ces
derniers, groupements totmiques et groupementsterritoriaux ne
concidaient pas exactement. Non seulement une mme localitcomprenait
des reprsentants de totems diffrents, mais il arrivait que
deslocalits diffrentes ressortissaient au mme totem et
constituaient autant decentres totmiques indpendants. Dans les
tribus situes plus au nord, cetteanomalie ne s'observe pas ; la
socit locale et la socit totmique se confon-dent. Chaque localit a
son totem propre, qu'elle ne partage avec aucune autre,et le chef
administratif de la localit en est aussi le seul chef religieux ;
c'estlui qui est prpos la direction des crmonies qui concernent ces
totems.Les phratries elles-mmes ont une base territoriale, beaucoup
plus nettementdfinie que chez les Arunta ; chacune d'elles est
assigne une portiondtermine du territoire occup par la tribu ; par
exemple, l'une est au sud,l'autre au nord, ou bien l'une est l'est,
l'autre l'ouest de tel fleuve ou de tellemontagne. Cette premire
diffrence, par rapport aux Arunta, en entrane uneautre. Puisque
chaque phratrie est nettement localise ainsi que chaque
groupetotmique, il en rsulte que, en gnral, un mme clan ne
chevauche pas surdeux phratries ; chacune des deux moitis de la
tribu a ses totems qui ne seretrouvent pas dans l'autre. On sait,
au contraire, que, chez les Arunta, chaquephratrie contient des
reprsentants de tous les totems.
Mais quel que soit l'intrt de ces faits, ils ne constituent pas
des nou-veauts. La fusion de l'organisation totmique et de
l'organisation territorialese rencontre partout o le totem se
transmet en ligne paternelle ; et c'est le casdes tribus
septentrionales de l'Australie centrale. Et en effet, comme, sous
cergime, le fils a le totem de son pre, et non celui de sa mre, le
mariagen'introduit pas, chaque gnration, dans un groupe local
dtermin, destotems diffrents de ceux que portent les membres
rguliers de ce groupe. Letotem qui est le plus rpandu - et il en
est toujours un qui y est plus gnralque les autres - s'y gnralise
donc encore davantage et s'y fixe dfinitive-ment; et ainsi chaque
localit a un totem distinctif et un seul. S'il en estautrement chez
les Arunta, c'est que la filiation totmique ne se fait pas chezeux
en ligne paternelle ; le totem de l'enfant dpend de circonstances
minem-ment contingentes, savoir du lieu o la mre passe pour avoir
conu.
Mais si, sur les phratries et sur les clans, MM. Spencer et
Gillen ne nousapportent pas de lumires nouvelles, il n'en est pas
de mme d'un autre grou-pement que l'on rencontre galement dans un
trs grand nombre de socitsaustraliennes. Je veux parler des classes
matrimoniales.
1 Spencer et Gillen rattachent les Urabunna aux Dieri et c'est
par le nom de ces derniers
qu'ils caractrisent le type.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 7
II
Retour la table des matires
Rappelons d'abord ce qu'il faut entendre par ce mot.
Dans un trs grand nombre de tribus australiennes, chaque
phratrie estdivise en deux sections ou classes. Comme la tribu est
compose de deuxphratries, il en rsulte que la socit tout entire
comprend quatre groupes dece genre. Les membres de chaque phratrie
sont rpartis entre ces deux classesd'aprs le principe suivant :
deux gnrations successives n'appartiennent pas la mme classe. En
d'autres termes, si une gnration est de la classe A, lagnration
suivante est de la classe B, tandis que celle qui viendra ensuite
serade nouveau attribue la classe A, et ainsi de suite indfiniment.
Or cettedistribution de la population par classes affecte la
rglementation matrimo-niale. En effet, non seulement un homme ne
peut se marier que dans laphratrie dont il ne fait pas partie,
mais, l'intrieur de cette phratrie mme,son choix ne peut s'exercer
que dans un cercle circonscrit : il ne peut prendrefemme que dans
une des deux classes dont cette phratrie est compose. Parexemple,
chez les Kamilaroi, voici les noms des quatre classes et les
rapportsqu'elles ont les unes avec les autres 1.
Phratrie Dibbi Phratrie Kupathin
Les Murri (enfants des femmes Kubbi) pousent les Kumbo (enfants
des femmes Ippai)
Les Kubbi (enfants des femmes Murri) pousent les Ippai (enfants
des femmes Kumbo)
Nous avons essay de montrer ici mme 2 comment s'taient formes
cesclasses et il ne nous parat pas utile de revenir sur cette
explication. Mais voicique les travaux de MM. Spencer et Gillen ont
rvl l'existence de classesmatrimoniales organises autrement que
celles dont nous avons eu nousoccuper. Ce n'est pas vrai dire que
cette organisation soit, jusqu' prsent,reste entirement inconnue.
Quelques savants l'avaient dj signale, maisdans des notes parses et
d'aprs des informations qui n'taient pas toujours de
1 Pour simplifier, nous ne donnons que la forme masculine des
noms qui dsignent les
classes.2 Voir L'Anne sociologique, 1, p. 13 et suiv. ( La
prohibition de linceste et ses
origines , section II.).
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 8
premire main 1. Au contraire, nous avons dans l'ouvrage de
Spencer et Gillenune tude d'ensemble, faite sur place par des
observateurs d'une comptenceprouve. Il s'agit de tribus qui
comptent huit classes, soit quatre par phratrieau lieu de deux.
Naturellement, la population est rpartie entre ces huit
classesd'aprs des principes diffrents de ceux que nous rappelions
tout l'heure. Oncomprend aisment l'intrt qu'il y aurait savoir d'o
peut provenir cetteorganisation spciale. Comme elle joue un rle
considrable dans le systmedes interdictions matrimoniales,
celles-ci ne peuvent tre expliques qu'autantque le problme des
classes est rsolu. C'est donc, au fond, de la question del'exogamie
qu'il s'agit et on sait quelle en est l'importance.
Dj, dans leur prcdent ouvrage, MM. Spencer et Gillen avaient
signalcette organisation chez les Arunta. Les classes matrimoniales
y sont, en effet,au nombre de huit, rparties de la manire suivante
entre les deux phratries :
Phratrie 1 Phratrie II
Panunga Purula
Appungerta Kumara
Bulthara UmbitjanaUknaria Ungala
Le principe fondamental est le mme que l o il n'y a que quatre
classes :deux gnrations successives appartiennent des classes
diffrentes et lesclasses alternent avec les gnrations. Ainsi comme,
ici, les enfants sont de laphratrie de leurs pres, les enfants des
hommes Panunga font partie de laphratrie I ; seulement, ils ne sont
pas eux-mmes des Panunga, mais desAppungerta, tandis que les
enfants des hommes Appungerta reprennent lenom de Panunga et le
font revivre ; et ainsi de suite indfiniment. De mme,les hommes
Bulthara engendrent des Uknaria et les hommes Uknaria donnent,de
nouveau, naissance des Bulthara auxquels succderont de
nouveauxUknaria. Dans la phratrie Il, le mme rapport unit les
classes Purula etKumara d'une part, Umbitjana et Ungalla de
l'autre. Jusqu'ici, le systmeparat simple. On voit, en effet, que
huit classes se groupent deux deux, demanire former quatre couples,
de deux classes chacun, soit deux couplesdans chaque phratrie.
Chacun de ces couples se recrute par soi-mme et d'unemanire
indpendante. C'est ce que nous avons essay de rendre sensible,
1 Voir sur ce point HOWITT, Further Notes on the Australian
classes, in Journal of the
Anthropological Institut, 1888, p. 44; MATTHEWS, Wombya
Organisation of theAustralian Aborigenes, n. s., vol. 2, p. 494; du
mme, Divisions of Some West AustralianTribes, ibid., p. 185 et
Proced. Amer. Philos. Soc., Philadelphie, vol. XXXVII, pp. 151-152,
ainsi que Journal Roy. Soc. N. S. Wales, vol. XXXII, p. 71, XXXIII,
p. 111 et suiv.
Les informations de Howitt et de Mathews ne concident pas, au
moins sur un point,avec celles de Spencer et Gillen. Nous
reviendrons plus loin sur ce dsaccord et sasignification.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 9
dans le tableau ci-dessus, en runissant par une accolade les
deux classes quise succdent l'une l'autre chaque gnration et qui,
par leur association,forment un groupe sui generis. Tout parat se
passer en somme comme si, aucouple unique de deux classes, qui
constituait primitivement chaque phratrie,tait simplement venu se
surajouter un couple nouveau qui, form de la mmemanire, soumis aux
mmes rgles, fonctionne paralllement au premier.
Mais, en ralit, ce premier aperu est incomplet. S'il y avait eu
seulementaddition d'un groupe nouveau de deux classes dans chaque
phratrie, leprincipe de la rglementation matrimoniale serait rest
le mme. Or, en fait, ila vari. En effet, sous le systme des quatre
classes un homme peul prendre etne peut prendre femme que dans la
classe qui alterne avec celle dont faitpartie sa mre. Soit A et B
deux classes qui, dans ce systme, ont leconnubium ; A1 celle qui
succde A, B1 celle qui succde B. Si mon preest de A, ncessairement
ma mre sera de B ; moi je serai de A1 et parconsquent, je ne
pourrai pouser qu'une femme de B1. La manire dont secontractent
obligatoirement les mariages dans ces conditions pourra donc
trefigure de la faon suivante :
A B
A1 B1
Les flches runissent l'une l'autre les classes qui ont entre
elles leconnubium. - Mais il n'en est plus ainsi chez les Arunta,
comme le montre letableau de la page 487 o nous avons galement reli
l'une l'autre par uneflche les classes qui peuvent contracter
mariage. Un Appungerta est toujoursfils d'un homme Panunga et d'une
femme Purula ; il devrait donc, si leprincipe ordinaire
s'appliquait, pouser une Kumara ; car la classe Kumara estcelle qui
alterne avec la classe Purula dont fait partie sa mre. Or, en
ralit, lemariage avec une Kumara lui est interdit ; il est tenu
d'aller chercher safemme dans le couple de classes auquel sa mre
n'appartient pas, savoirparmi les Umbitjana. Pour la mme raison, un
Kumara, fils d'un Purula etd'une Panunga, pouse, non pas une
Appungerta, mais une Bulthara. D'unemanire gnrale, si nous appelons
AA1, BB1, CC1, DD1 les huit classes de latribu (une mme lettre,
diffrencie l'aide d'un indice, servant dsigner lesdeux classes d'un
mme couple), le tableau schmatique des relationsmatrimoniales
prendra la forme suivante :
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 10
A BCouple 1
A1 B1Couple 2
C DCouple 3
C1 D1Couple 4
La rgle qui prside ces unions peut tre formule ainsi : deux
classesd'un mme couple ont le connubium avec deux classes dtermines
de l'autrephratrie ; mais ces deux classes ressortissent des
couples diffrents de cellemme phratrie. Si les hommes de A vont
chercher leurs femmes dans lecouple 2, les membres de A1 ne
pourront s'unir qu' une classe du couple 4.
Tant que cette organisation, si curieusement complexe, n'avait t
obser-ve que chez les Arunta, on pouvait y voir un cas rare,
presque anormal, d une combinaison de circonstances
exceptionnelles. Mais dans leur nouvelouvrage, MM. Spencer et
Gillen nous apprennent que le mme arrangementse retrouve dans les
tribus septentrionales, chez les Warramunga, les Worgaia,les
Tjingilli, les Umbaia, les Bingongina, les Walpari, les Wulmala,
lesGnanji, les Binbinga, les Allaua, les Anula, les Mara et, trs
probablement,chez d'autres tribus de la cte ouest du golfe de
Carpentarie. Les noms desclasses sont diffrents ; mais elles sont
composes d'aprs les mmes princi-pes et la rglementation
matrimoniale est strictement conforme au schma ci-dessus. Nous nous
trouvons donc en prsence d'une institution dont lagnralit dmontre
l'importance.
Toutefois, si nous en croyons MM. Spencer et Gillen, cette
gnralitserait moins grande que nous ne venons de le dire. D'aprs
eux, les classesmatrimoniales ne seraient pas organises sur les
mmes bases et ne fonction-neraient pas de la mme manire dans toutes
les tribus que nous venons denommer. L'organisation des Arunta,
telle que nous l'avons dcrite prcdem-ment, se retrouverait bien
chez les Warramunga, les Worgaia, etc., mais nonchez les Anula et
les Mara. Ces derniers auraient un systme spcial, quidemanderait
n'tre pas confondu avec celui des Arunta. Il importe de recher-cher
si cette distinction est relle. Car, s'il fallait vraiment admettre
l'existencede ce troisime type, les donnes du problme en seraient
changes.
Au premier abord, la diffrence semble trs marque. En effet, dans
lalangue des Mara, comme dans celle des Anula, il n'y a que quatre
noms declasses, et non huit. Est-ce dire que le systme qui y est en
vigueur soit celuides Kamilaroi ? Nullement, car il prsente (ou
parat prsenter) uneparticularit qui ne se retrouve ni chez les
Kamilaroi ni, d'ailleurs, chez lesArunta. Chez tous ces peuples,
qu'ils comptent quatre ou huit classes, la rglefondamentale est
que, si les enfants sont de la phratrie du pre (ou de la mrel o la
filiation est utrine), ils sont d'une classe diffrente. Or, ici,
ils
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 11
appartiennent la mme classe. Ainsi, chez les Mara, les quatre
noms declasses sont rpartis de la manire suivante entre les deux
phratries.
Noms des classes Noms des classes
Murungun PurdalPhratrie Urku
Mumbali Phratrie Ua Kuial
Or les enfants d'un Murungun sont eux aussi des Murungun ; les
enfantsdes Mumbali sont des Mumbali. Le principe si essentiel de
l'alternance desclasses suivant les gnrations semble donc tre ici
sans application.
Mais, en premier lieu, de l'aveu mme de nos auteurs, cette
diffrence estbeaucoup moins marque qu'il ne parat un premier
examen. Une observa-tion plus attentive, disent-ils, rvle que, chez
les Mara et les Anula, chacunedes quatre classes est, en ralit,
compose de deux groupes distincts 1.Ainsi, il y a deux groupes
diffrents qui portent le nom de Murungun ; chacunde ces groupes a
son unit, sa physionomie propre, son individualit etconstitue, en
fait, une classe spciale. Malgr l'identit du nom, les
indignesdistinguent nettement les membres de l'un et les membres de
l'autre. La mmedualit se retrouve chez les Mumbali, les Purdal et
les Kuial. Malgr lesapparences, il y a donc bien chez les Mara huit
classes comme chez lesArunta, et il en est de mme chez les
Anula.
Et cependant, malgr cette identit numrique, nos auteurs
persistent affirmer la distinction des deux systmes. Aprs avoir
reconnu la ralit deces huit classes, ils ajoutent : Cependant, la
division des groupes et lesarrangements matrimoniaux diffrent
entirement (is quite diffrent) de cequ'on observe dans les autres
tribus. Cette affirmation nous parat inexpli-cable; nous allons
montrer, en effet, que, sous la rserve d'une simple diff-rence
verbale, les deux systmes sont parfaitement identiques. Pour faire
cettedmonstration, distinguons l'une de l'autre, l'aide des lettres
et , les deuxclasses qui portent le mme nom ; c'est, d'ailleurs,
MM. Spencer et Gilleneux-mmes que nous empruntons ce mode de
reprsentation. Ces dnomina-tions une fois adoptes, les relations
des classes et la rglementation matri-moniale peuvent tre figures
de la manire suivante :
1 Northern Tribes, etc., p. 119.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 12
Phratrie Urku Phratrie Ua
Murungun Purdal 1er couple
Murungun Purdal 2e couple
Mumbali Kuial 3e couple
Mumbali Kuial 4e couple
Il suffit de comparer ce tableau avec celui de la page 489 pour
constaterque la ressemblance est parfaite. Chaque phratrie est
compose de deuxcouples forms chacun de deux classes qui se succdent
l'une l'autre commeles gnrations. Les enfants du groupe Murungun oc
appartiennent au groupeMurungun P, tandis que leurs enfants
redeviennent membres de Murungun occomme leurs grands-parents ; et
il en est de mme de Mumbali par rapport Mumbali oc, de Purdal oc
par rapport Purdal etc. C'est ainsi que, chez lesArunta, les
Panunga avaient pour enfants des Appungerta dont les
enfantsredevenaient Panunga. D'un autre ct, les mariages sont
exactement rglsd'aprs le mme principe. Deux classes d'un mme couple
ne contractentrgulirement de mariages qu'avec des classes dtermines
de l'autre phra-trie, mais qui ressortissent des couples diffrents.
Murungun oc pousePurdal oc ; par suite, l'autre classe du premier
couple, Murungun P, ne peutpouser Purdal P, l'autre classe du
second couple, mais ne peut s'unir qu' uneclasse du quatrime
couple, Kuial 5 ; et il en est ainsi des autres. Nous avonsvu que
c'est la mme rgle qui prside aux combinaisons matrimoniales
desArunta. Il nous est donc impossible de comprendre la proposition
suivante deMM. Spencer et Gillen : Un trait remarquable de ces deux
tribus (Mara etAnula) est que, si l'on prend pour exemple les
Murungun, les hommes d'undes deux groupes qui les composent pousant
les femmes d'une moiti (nousdirions d'un des deux couples) de
l'autre phratrie, le second groupe prend sesfemmes dans l'autre
moiti (c'est--dire dans l'autre couple) de la mmephratrie 1. Ce
caractre soi-disant singulier est commun toutes les tribus huit
classes.
La seule diffrence que l'on puisse relever entre les deux
systmes portesur la terminologie employe. Chez les Arunta,
Warramunga, etc., les deuxclasses qui composent chaque couple et
qui alternent l'une avec l'autre portentdeux noms diffrents :
Panunga et Appungerta, Uknaria et Bulthara, Purula etUmbitjana,
Ungalla et Kumara. Chez les Mara et chez les Anula, au contraire,un
mme terme suffit dsigner l'une et l'autre. Si les hommes
d'unegnration sont des Murungun, ceux de la gnration qui suit
seront appelsdu mme nom. Mais nous avons vu qu'en dpit de cette
dnomination com-mune, les deux classes sont parfaitement distinctes
puisqu'elles sont soumises des interdictions matrimoniales tout
fait diffrentes. Le groupe o lesmembres de l'une peuvent et doivent
contracter mariage est svrement inter-
1 Northern Tribes, etc., p. 120. Pour ne pas changer notre
terminologie, nous employons le
mot de phratries, pour dsigner les deux moitis de la tribu, bien
qu'il ne soit pas employpar MM. Spencer et Gillen.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 13
dit l'autre, et rciproquement. Il est, sans doute, curieux que
cette dualitincontestable ait pu s'accommoder d'un vocable unique ;
mais cette particu-larit, purement extrieure et qui ne touche en
rien au fond des choses, nesaurait videmment suffire diffrencier
les deux institutions.
Il y a cependant un fait dans lequel MM. Spencer et Gillen
croient trouverune preuve de leur opinion. On sait que les mariages
sont parfois assezfrquents entre deux tribus voisines. D'autre
part, comme, dans ces socits,hommes et femmes sont rangs, tiquets,
quant au mariage, en des groupesdtermins qui ne peuvent s'unir que
suivant des rgles rigoureusementdfinies, ces mariages entre tribus
distinctes ne peuvent avoir lieu que si unensemble d'quivalences
est tabli entre les cadres sociaux d'une de ces tribuset ceux de
l'autre ; c'est cette condition qu'un homme qui, dans sa patrie,
estde telle phratrie et de telle classe, saura dans quelle classe,
dans quelle phra-trie il peut aller chercher femme, s'il se marie
l'tranger, et aussi de quellephratrie, de quelle classe feront
partie ses enfants. Quand l'organisation matri-moniale des deux
tribus est identique, au moins dans ses lignes essentielles,ces
quivalences se dterminent d'elles-mmes ; elles rsultent de la force
deschoses. Il n'y a qu' assimiler les groupes qui se correspondent,
c'est--direceux qui sont composs d'aprs les mmes rgles et dont les
fonctions sontsemblables. Mais si les deux systmes reposent sur des
principes diffrents, ilfaut bien alors qu'une convention les ajuste
l'un l'autre ; ce qui implique quel'un d'eux tout au moins (sinon
tous les deux) est modifi, altr sur certainspoints, en un mot,
reoit, pour ces usages internationaux, une forme diffrentede celle
qu'il a dans la vie intrieure de la tribu. C'est notamment le cas
pourles mariages qui ont lieu entre les Arunta et les Urabunna.
Chez ces derniers,la filiation est utrine, c'est--dire que l'enfant
est de la phratrie maternelle ;chez les Arunta, au contraire, sa
phratrie et sa classe dpendent de celles deson pre. Pour adapter
l'un l'autre ces deux systmes divergents, une rgle-mentation
spciale est intervenue : c'est une organisation utrine des
phratrieset des classes Arunta qui sert de base aux arrangements
matrimoniaux qui seconcluent entre ces deux tribus 1.
Or, d'aprs MM. Spencer et Gillen, ce qui montre bien que le
systme desMara et des Anula est trs diffrent de celui qui sert dans
les tribus voisines,c'est que ce dernier ne garderait pas sa forme
normale toutes les fois o ils'agit de rgler un mariage avec un
Anula ou un Mara. Il recevrait alors unedformation caractristique,
due prcisment ce fait que ces deux sortesd'organisation ne sont pas
directement assimilables. Malheureusement, il nousest absolument
impossible d'apercevoir en quoi consiste cette prtenduedformation.
Les deux systmes se superposent naturellement, d'eux-mmes,sans
qu'il soit ncessaire de faire violence aucun d'eux pour rendre
possiblecette concidence. Les quivalences tablies entre eux
respectent les principesconstitutifs de l'un et de l'autre,
prcisment parce que ces principes sont lesmmes. C'est ce que
dmontre le tableau suivant o le systme des Mara estmis en regard de
celui des Binbinga (tribu voisine que MM. Spencer et Gillenprennent
comme exemple) et o l'on peut voir, en mme temps, quelles sontles
assimilations admises dans les cas de mariages internationaux.
1 On trouvera les dtails de cette organisation spciale au t. V,
p. 104 de L'Anne
sociologique (ici p. 336).
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 14
Ire Phratrie IIe Phratrie
Classesmatrimonialesdes Binbinga
Classesassimilesdes Mara
Classesmatrimonialesdes Binbinga
Classesassimilesdes Mara
Tjuanaku Djurulum1er couple Pungarinji Murungun et Tjamerun
Purdal et
2ecouple
Paliarinji Thungallun3e couple
TjulantjukaMumbali et
YakomariKuial et
4ecouple
Ainsi, quand un Binbinga de la classe Tjuanaku ou de la classe
Pungarinjiva se marier chez les Mara, il est assimil un Murungun ;
les anciens dci-dent, suivant les circonstances, dans lequel des
deux groupes, Murungun ou, il doit tre class. S'il est considr
comme un Murungun , il prendra pourfemme une Purdal et ses enfants
seront Murungun ; s'il est lui-mmerang parmi les Murungun , il
pousera une Kuial et ses enfants serontMurungun (voir le tableau de
la p. 491). De mme un Paliarinji ou unTjulantjuka deviendront des
Mumbali soit soit , etc. Or ces quivalencessont parfaitement
naturelles et conformes aussi bien au systme des Binbingaqu' celui
des Mara. En effet, chez les Binbinga, les deux classes Tjuanaku
etPungarinji forment un couple ; elles alternent l'une avec l'autre
; les enfantsdes Tjuanaku sont des Pungarinji et les enfants de ces
derniers sont denouveau des Tjuanaku. Ces deux classes se recrutent
donc de la mmemanire et soutiennent l'une avec l'autre les mmes
rapports que les groupesMurungun et . On en pourra dire autant de
tous les autres couples. Il estdonc impossible d'apercevoir quelle
modification a subie l'organisation desBinbinga pour pouvoir
s'adapter celle des Mara. L'harmonie s'tablit d'elle-mme parce que
les deux organisations sont parentes.
Ce qui parait avoir induit MM. Spencer et Gillen cette erreur,
c'est qu'ilsont pos comme une vrit d'vidence que, chez les
Binbinga, les deux classesTjuanaku et Tjulantjuka forment un groupe
naturel, un corps dou d'unecertaine unit morale ; et il en serait
de mme respectivement des classesPaliarinji et Punganrinji,
Tjurulum et Thungallum, Tjamerun et Yakomari 1.Or, dans le systme
des quivalences tabli pour les mariages internationaux,les classes
qui nous sont ainsi prsentes comme troitement parentes sont,
aucontraire, spares, ranges dans des couples distincts, assimiles
desclasses Mara tout fait diffrentes: par exemple, les Tjuanaku
sont considrscomme des Murungun, les Tjulantjuka, au contraire,
comme des Mumbali. Ilsemble donc que toute la structure de la socit
Binbinga ait d tre boule-verse pour rendre possibles les unions
entre les deux tribus. - Mais lamanire dont sont effectus ces
groupements, prtendus naturels, est, enralit, tout fait arbitraire.
La raison que l'on donne pour associer troite-ment Tjuanaku et
Tjulantjuka, par exemple, et pour en faire deux classesinsparables,
c'est qu'elles ne sont que des fragments d'un seul et mme
1 Op. cit., pp. 117-118.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 15
groupe initial, qui, un certain moment, s'est scind en deux
parties. Le fait,en lui-mme, n'est pas contestable ainsi qu'on le
verra plus loin. Mais, pourqu'on puisse unir ces classes aussi
intimement, il ne suffit pas qu'elles soientjadis drives d'une mme
souche ; il faut encore, il faut surtout tablir qu'ilexiste entre
elles des liens juridiques, ou tout au moins moraux, d'une force
etd'une intimit particulires et que mconnatraient les arrangements
inter-tribaux dont nous venons de parler. Or, dans l'tat actuel de
nos connaissan-ces, rien n'autorise une telle hypothse ; tout mme
la contredit. En effet, cesclasses appartiennent des couples
diffrents qui, par consquent, ainsi quenous l'avons montr page 489,
fonctionnent, dans une large mesure,indpendamment l'un de l'autre.
Il n'y a, entre elles, que des rapports deparent trs loigns : l'une
contient les grand-mres maternelles de l'autre.On ne voit donc pas
en quoi consiste l'intimit, la solidarit attribue cesdeux classes
1. Tout au contraire, s'il en est que l'on ait le droit de
considrercomme difficilement sparables, ce sont celles qui se
trouvent rapproches enun mme couple dans le tableau des quivalences
internationales, Tjuanaku etPungarinji, par exemple. L'une, en
effet, contient les enfants de l'autre etrciproquement. Aussi
ont-elles, comme nous le verrons plus loin, les mmestotems. Elles
sont donc bien les deux parties d'un mme tout : les membres del'une
et de l'autre sont associs dans une mme vie politique et
religieuse. Parconsquent, il est tout naturel de les voir, dans le
systme des mariagesintertribaux, dsignes par la dnomination commune
de Murungun 2.
1 Nous verrons mme que cette scission a eu pour objet de sparer
aussi radicalement que
possible, de rendre religieusement trangres l'une l'autre les
deux parties du groupeinitial qui s'est ainsi divis.
2 Nous avons d insister sur cette question parce que MM. Spencer
et Gillen ont cru
pouvoir tirer de leur thse sur ce point particulier un argument
contre une thorie quenous avons soutenue dans L'Anne et que le
prsent travail va confirmer.
Dans notre article sur le totmisme (Anne sociol., V, p. 82),
nous avions essay dedmontrer que certaines particularits
caractristiques de l'organisation Arunta s'expli-quaient par un
changement survenu dans le mode de filiation qui aurait commenc
partre utrine pour se faire ensuite en ligne paternelle; et nous
croyions avoir trouv unepreuve l'appui de cette explication dans le
systme d'quivalences matrimonialestablies entre Arunta et Urabunna.
Nous avons montr, en effet, que, dans ces mariagesde tribu tribu,
les Arunta taient censs organiss sur la base de la filiation
utrine; or ilnous paraissait impossible que l'ide d'une
organisation, aussi diffrente de celle qui estactuellement en
vigueur, et pu natre et se faire accepter, si, ce moment, les
Arunta nel'avaient effectivement pratique. Nous voyions donc dans
le systme qui rgit lesmariages intertribaux une survivance, un
vestige d'un systme antrieur, purement utrin,qui se serait
transform pour tout ce qui concerne les relations intrieures de la
tribu, maisse serait maintenu dans les relations internationales o
il gardait, d'ailleurs, une raisond'tre.
Or, suivant MM. Spencer et Gillen, si l'on appliquait le mme
raisonnement auxrapports des Mara et des Binbinga, on arriverait
une conclusion absurde qui dmon-trerait l'erreur de notre thse. En
effet, disent-ils, les Mara ont dlibrment arrang lesclasses des
Binbinga pour les adapter un systme de descendance paternelle
directe (nosauteurs appellent ainsi le systme o l'enfant est non
seulement de la phratrie, mais de laclasse de son pre, systme
qu'ils croient observer chez les Mars); c'est exactement de lamme
manire que les Urabunna ont arrang les classes des Arunta pour les
adapter leur systme de descendance utrine. Si l'on appliquait le
raisonnement de M. Durkheimau cas des Binbinga, on devrait conclure
que leur organisation est drive d'une autre,plus ancienne, o la
descendance est tablie directement en ligne masculine
(soi-disantcomme chez les Mara). Or l'organisation des Binbinga et
celle des Arunta sont identiquesaux dnominations prs. Nous aurions
donc une seule et mme organisation drive, ausud du continent (chez
les Arunta), d'un systme utrin et, au nord (chez les Mara),
d'unsystme descendance paternelle directe (p. 122, note). Ce qui
serait videmmentcontradictoire et absurde. La malheur est que, chez
les Binbinga, il n'y a eu nul rarrange-
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 16
III
Retour la table des matires
Maintenant que nous savons en quoi consiste cette organisation
matri-moniale et qu'elle ne comporte pas deux types irrductibles,
il nous reste enrechercher les origines.
Un premier point peut tre considr comme acquis : c'est que le
systmede huit classes est driv du systme de quatre classes. En
effet, nous savonsque, chez les Arunta, le second a prcd le
premier. Mme, chez les Aruntadu Nord, il n'y a que les quatre
classes initiales qui aient des dnominationsdistinctes 1. C'est
quelque chose d'analogue ce que nous venons d'observerchez les Mara
2. Dans les deux cas, la terminologie employe porte encore lamarque
de la primitive division par quatre.
Mais d'o peut provenir ce ddoublement ? Si l'on se rappelle que,
partouto on l'observe, on rencontre en mme temps une interdiction
matrimonialenouvelle, qui n'existait pas dans le systme de quatre
classes, on est en droitde se demander si ce n'est pas cette
interdiction qui a ncessit ce ddou-blement. Et il est, en effet,
ais de comprendre qu'une exigence nouvelle de larglementation
matrimoniale peut avoir cet effet. Reprsentons-nous unesocit quatre
classes seulement, A et A1, B et B1, telles que A1, soitcompose des
enfants des hommes de A, B1 des enfants des hommes de
B.L'organisation de cette socit, ainsi que nous l'avons vu, peut
tre figureainsi :
ment comparable celui que l'on observe dans les relations entre
Arunta et Urabunna.L'organisation des Binbinga reste dans les
rapports intertribaux ce qu'elle est dans la vieintrieure de la
tribu.
1 Voir Native Tribes of central Australia, p. 72.
2 Avec cette diffrence toutefois que, chez les Binbinga, les
quatre dnominations primi-
tives ne sont pas employes de la mme manire que chez les Arunta.
Chez ces derniers,chacun des quatre noms originels dsigne, outre la
classe laquelle Il tait affect ds leprincipe, celle qui en est
drive. Chez les Binbinga, les deux classes ainsi runies sousune mme
appellation sont celles qui alternent l'une avec l'autre et qui
composent ce quenous avons appel un couple. Au fond, c'est cette
manire diffrente d'utiliser laterminologie initiale qui fait la
diffrence des deux systmes.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 17
A B
A1 B1
A s'unit B et A1 B1. - Mais qu'une raison quelconque survienne
quifasse apparatre comme immoral, illicite, le mariage entre A1 et
B1, et il faudrabien recourir une autre organisation ; sans quoi
tout mariage seraitimpossible aux gens de A1 et aux gens de B1,
puisqu'il leur est dj interdit dese marier et en A et en B. Par
suite, le recrutement mme de la socit setrouverait arrt, puisque A
ne se recrute qu'avec les enfants de A1 et B avecles enfants de B1.
Pour prvenir ce rsultat, il sera donc ncessaire de faireapparatre
des groupes nouveaux o A1 d'un ct, B1 de l'autre puissentcontracter
mariage. - Or, c'est prcisment cette situation que cre
l'interdic-tion nouvelle qui apparat avec le ddoublement des quatre
classes en huit.Nous avons vu en effet que cette interdiction
pouvait se formuler ainsi : quanddeux classes A et B ont le
connubium, les classes A1 et B1, qui alternentrespectivement avec
les prcdentes, ne peuvent pas se marier entre elles. Dsque cette
rgle est tablie, on se trouve donc dans une impasse dont il
estimpossible de sortir autrement que par un rarrangement de la
socit.
Mais si l'on commence ainsi entrevoir comment cette prohibition,
unefois reconnue, a pu ncessiter la cration de classes nouvelles,
il reste expliquer cette prohibition elle-mme. D'o vient cette
svrit nouvelle enmatire de mariages ? - Nous allons montrer qu'elle
est due la grande trans-formation sociale qui a eu pour effet de
substituer le principe de la filiationmasculine au principe de la
filiation utrine.
En effet, reprsentons-nous bien comment sont composes les
diffrentesclasses sous le premier de ces systmes ; et, pour
simplifier l'exposition,supposons que je sois moi-mme membre de la
classe A1. Puisque l'enfantappartient la phratrie de son pre, mais
l'autre classe de cette phratrie, monpre ne peut se trouver qu'en
A. D'un autre ct, puisque les hommes de A nepeuvent pouser que les
femmes de B, c'est en B que se trouve ma mre.Naturellement, c'est
dans ce mme groupe que sont aussi tous les frres de mamre ; et on
sait combien sont nombreux les individus auxquels s'appliquecette
dnomination par suite de l'acception infiniment large qu'ont, dans
cessocits, les diffrents termes qui expriment les rapports de
parent. Je donnele nom de mre, en effet, non pas seulement la femme
qui m'a engendr,mais ses surs, ses cousines, etc. Le mot de frres
n'a pas une moindreextension et le groupe form par les frres des
femmes que j'appelle mre esttrs tendu. Puisqu'ils font partie de la
classe B, leurs enfants sont en B1. Desorte que je ne pourrai me
marier dans la classe B1 que si rien ne s'oppose ceque j'pouse une
fille (ou un fils) des frres de ma mre lato sensu. Mais tousles
hommes que ma mre appelle ses frres ont ncessairement le mme
totemqu'elle ; et, puisque le totem se transmet, par hypothse,
ainsi que la phratrie,en ligne paternelle, les enfants des frres de
ma mre ont, eux aussi, le totemmaternel. Ainsi la classe B1
comprend un grand nombre d'individus quiportent ce totem et nous
arrivons, par consquent, la conclusion suivante : je
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 18
ne puis me marier rgulirement en B1 que si rien ne m'interdit
d'pouser unefemme (ou un homme) dont le totem est identique celui
de ma mre.
Sous le rgime de la filiation masculine, il semble que ces
mariagesdoivent apparatre comme parfaitement lgitimes. En effet, le
totem de mamre n'est pas alors le mien, puisque je reois mon totem
de mon pre ; or letotem ne fait obstacle au mariage que quand il
est commun aux poux. Mais ilen va tout autrement si, comme nous le
pensons, ce systme de filiation a tprcd d'un autre, qui a peut-tre
dur pendant des sicles et o, la filiationse faisant par les femmes,
l'enfant tait de la phratrie et du totem de sa mre.Tant que cette
organisation tait en vigueur, le totem de ma mre tait aussi lemien
et, par consquent, en vertu du principe qui vient d'tre rappel, je
nepouvais pouser une femme de ce mme totem sans commettre un
inceste. Sidonc, pendant si longtemps, le totem maternel a marqu
tous ceux qui leportaient d'un sceau particulier qui les rendait
matrimonialement tabous parrapport moi, si la violation de ce tabou
a, pendant une longue suite de gn-rations, soulev dans les
consciences ce mouvement de dgot et d'horreurdont les unions
incestueuses sont l'objet, on conoit sans peine que cessentiments
traditionnels, ces rpugnances invtres n'aient pas pu s'vanouirpar
enchantement, du jour au lendemain, par cela seul qu'un nouveau
mode defiliation fut adopt. Le fait que l'tat civil et religieux
des enfants n'tait plustabli d'aprs le mme principe ne pouvait
suffire pour transformer miraculeu-sement une mentalit aussi
fortement constitue. Les prjugs, consolids parun si long usage,
survcurent aux causes qui les avaient engendrs, et le
totemmaternel, conservant quelque chose de ses anciens caractres,
continua engendrer la mme interdiction matrimoniale que par le
pass. Par suite, laconscience publique rsista admettre que les gens
de A1 puissent dsormaispouser ceux de B1, et comme ils ne pouvaient
se marier dans une autreclasse, tout mariage leur devenait
impossible. La situation tait ncessaire-ment la mme pour les gens
de B1. En dfinitive, la substitution de la filiationmasculine la
filiation utrine eut pour effet de cumuler les
interdictionsmatrimoniales dues au premier systme avec celles qui
rsultaient du second,et de rendre ainsi les mariages impossibles.
Sous le rgime utrin, on pouvaitse marier dans la phratrie de son
pre, mais non dans celle de sa mre,puisqu'on en faisait partie.
Sous le rgime nouveau, au contraire, la phratriepaternelle devient
interdite puisque, dsormais, on en est membre; malheu-reusement,
l'accs de la phratrie maternelle n'est pas rendu libre pour
autant,mais reste dfendu par les ides et les sentiments qu'a lgus
l'ancienneorganisation. Et ainsi tous les dbouchs matrimoniaux se
trouvent ferms toute une catgorie d'individus. Le seul moyen de
mettre un terme cettesituation insoutenable tait de rorganiser la
socit.
Comme l'ide que le mariage pt se contracter autrement qu'entre
classesdtermines ne pouvait pas venir aux esprits - car elle se
heurtait un principefondamental dans toutes ces socits - cette
rorganisation ne pouvait con-sister qu'en une cration de classes
nouvelles qui puissent offrir A1 et B1 lamatire matrimoniale qui
leur manquait dsormais. Le moyen le plus natureld'arriver ce
rsultat tait de scinder chacune des deux classes A et B en
deuxparties, ou plutt de dtacher de chacune d'elles un certain
nombre d'individusdes deux sexes avec lesquels on pt former deux
groupes nouveaux, que nousappellerons et pour rappeler leurs
origines respectives, mais de telle sorteque les mmes totems ne se
trouvassent pas en A et en d'une part, en B et
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 19
en de l'autre. Il est vrai que, dans ces deux classes nouvelles,
ni A1 ni B1 nepouvaient trouver les conjoints qu'il leur fallait;
car elles n'taient que desfragments dtachs respectivement l'une de
A, l'autre de B, et, pendant dessicles peut-tre, tout mariage avait
t svrement interdit entre A et B d'unct, A1 et B1 de l'autre ; il
est donc naturel que cette interdiction, ainsi que lessentiments
sur lesquels elle reposait, n'ait pas disparu comme par
enchan-tement ds que la scission fut opre. Mais rien au contraire
ne s'opposait ceque les gens de s'unissent ceux de et de ces unions
rsultrent deuxautres classes ' (enfants des hommes de ) et '
(enfants des hommes de )avec lesquelles A1 et B1 pouvaient, sans
aucun empchement, contractermariage. Et ainsi le systme de huit
classes se trouva constitu avec la rgle-mentation matrimoniale qui
le caractrise.
Mais il ne suffit pas d'avoir tabli que notre hypothse est
explicative,qu'elle permet de comprendre comment a pris naissance
l'institution qui nousoccupe ; il nous faut maintenant faire voir
qu'elle est confirme par les faits.
1 Elle suppose que, quand la filiation masculine vient remplacer
la filia-tion en ligne maternelle, les interdictions matrimoniales
qu'impliquait lergime utrin ne disparaissent pas, mais subsistent
ct de celles quirsultent du rgime nouveau. Or, nous pouvons
constater directement cettecoexistence dans d'autres tribus
australiennes. Chez les Narrinyeri, le totem setransmet en ligne
paternelle : le mariage est interdit, la fois, dans le
groupetotmique du pre et dans celui de la mre 1. De mme chez les
Kurnai, o letotem parat, il est vrai, avoir disparu comme
institution sociale, mais o ladescendance paternelle est tablie,
les prohibitions matrimoniales sonttellement multiplies que
l'indigne est trs souvent oblig d'aller chercher safemme loin de
son groupe natal.
2 Mais pour trouver des faits qui confirment cette conjecture,
il n'est pasncessaire de sortir des socits nouvellement tudies par
MM. Spencer etGillen. Si, comme nous l'avons suppos, le totem
maternel garde quelquechose des caractres qui lui taient attribus
sous le systme utrin, cettenature religieuse doit se traduire sous
forme, non seulement d'interdictionsmatrimoniales, mais aussi
d'interdictions alimentaires. C'est, en effet, ce quel'on observe
dans toutes ces socits. Chez les Worgaia - tout au moins dansla
partie occidentale de cette tribu - le totem de la mre est
strictement tabouet il est interdit d'en manger. Chez les
Warramunga, un homme ne doit pastuer l'animal qui sert de totem sa
mre ; il peut seulement en accepter unmorceau des mains d'une autre
personne ; encore faut-il que cette personne nesoit pas membre de
la phratrie laquelle ce totem est associ. Mme rglechez les Walpari.
Chez les Binbinga, les Mara et les Anula, il n'est permis demanger
du totem maternel qu'en trs petite quantit 2.
Il est vrai que, dans presque tous ces cas, l'interdiction
alimentaire n'estpas absolue ; on voit qu'elle a perdu de sa
force.
1 Voir CUNOW, Die Verwandschaftsorganisation der Australneger,
p. 84.
2 Northern Tribes, pp. 166, 171.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 20
Mais il se trouve justement que l'interdiction matrimoniale,
elle aussi, n'estpas stricte. Chez tous les peuples dont nous
venons de parler, Warramunga,Binbinga, Mara, Anula, il n'est pas
absolument interdit un individu de semarier dans la classe qui
alterne avec celle dont fait partie sa mre. Ces sortesde mariages
ne sont pas illicites, mais ils ne sont pas frquents. Les
femmespouses dans ces conditions ne portent pas le nom qui signifie
pousesproprement dites (Kotununga chez les Warramunga, Karina chez
lesBinbinga, etc.). Le mot qui les dsigne n'exprime qu'un rapport
de parentloigne. Ce sont des mariages secondaires, accessoires qui
ne sont contractsque comme addition un ou plusieurs autres mariages
entirement rguliers.La prohibition n'a donc pas disparu ; mais elle
s'est affaiblie. Or, comme nousvenons de le voir, au mme moment, le
totem maternel commenait n'treplus considr avec le mme sentiment de
respect religieux. Ce paralllismemrite d'tre remarqu 1.
3 En troisime lieu, notre explication suppose que, au moment o
seproduisit le ddoublement, les totems de chaque phratrie furent
rpartis demanire ce qu'aucun d'eux ne pt se retrouver la fois dans
les deux couplesde la mme phratrie. Deux classes qui alternent (et
qui forment prcisment ceque nous appelons un couple) continurent
ncessairement avoir les mmestotems puisqu'elles naissent l'une de
l'autre en ligne paternelle et que lestotems des enfants sont
identiques celui de leurs pres ; mais les totems,propres au groupe
form par ces deux classes, durent tre diffrents de ceuxqui
appartenaient aux deux autres classes de la phratrie considre. Or
c'estbien ce que l'on a directement observ chez les Mara. Les deux
couples de laphratrie Urku sont Murungun et , d'une part, Mumbali
et de l'autre ; etnous savons que les totems des Murungun sont tout
fait diffrents de ceuxque l'on observe chez les Mumbali. La
distinction n'est pas moins nette dansl'autre phratrie. Chez les
Anula, l'organisation est identiquement la mme. Ilest vrai que nos
auteurs ne nous disent pas s'ils l'ont observe galement dansles
autres tribus. Mais de ce qu'ils ne la signalent pas, il faut se
garder decroire qu'elle ne s'y retrouve pas. Leur silence vient
peut-tre bien de ce que,n'ayant pas l'habitude de ranger ensemble,
comme nous avons fait, en unmme couple, les deux classes issues
l'une de l'autre, et de rechercher lescaractres distinctifs du
groupe ainsi form, ils n'ont pas aperu que, partout,il s'oppose au
groupe similaire de la mme phratrie par la nature des totemsqu'il
comprend. Dans le cas des Mara et des Anula, au contraire, le fait
sautaitaux yeux parce que les deux classes de chaque couple portent
une seule etmme tiquette ; leur individualit apparat ainsi
d'elle-mme et sollicitel'attention de l'observateur. Nous ne
pouvons nous empcher de croire que siles autres tribus taient
observes dans le mme esprit, on trouverait desarrangements
analogues ceux des Mara et des Anula. Et ce qui donne del'autorit
cette opinion, c'est que, d'un fait incidemment rapport par
MM.Spencer et Gillen, il rsulte clairement que cette mme rpartition
des totemsexiste chez les Warramunga. On nous dit, en effet, que le
totem du serpentnoir appartient en propre aux deux classes
Thapanunga et Thapungarti ; qu'il
1 La prohibition matrimoniale n'est stricte que chez les Arunta.
Le fait est curieux tant
donn que, chez ce peuple, le totem maternel ne parat plus tre
l'objet d'aucune inter-diction. La raison de cette singularit,
c'est que, chez les Arunta, par suite d'un ensemblede circonstances
spciales, les totems sont devenus tout fait indpendants de la
per-sonne, tant du pre que de la mre. Nous reviendrons plus loin
sur ce point.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 21
ne se retrouve pas dans les autres classes de la mme phratrie,
les Tjunguri etles Tjapeltjeri 1. Or les Thapanunga et les
Thapungarti sont deux classes quialternent l'une avec l'autre ; la
seconde descend de la premire et rcipro-quement ; elles forment,
par consquent, un couple identique celui desMurungun et des
Mumbali. Les Tjunguri et les Tjapeltjeri sont l'autre couplede la
phratrie. Voil donc un totem des Warramunga qui est distinctif
d'uncouple de classes. Il est bien peu vraisemblable qu'il soit une
exception.
4 Les documents que nous devons Howitt et Mathews, moins qu'onne
les suppose errons (et nous montrerons plus loin pourquoi cette
hypothseest invraisemblable), apportent notre explication une
prcieuse confir-mation.
L'organisation matrimoniale des tribus tudies par Mathews se
ramne un seul et mme type que cet auteur appelle le type Wombya. Il
suffit donc del'tudier dans une seule des socits o elle a t
observe. Nous choisironspour cette tude la tribu des Chingalee.
Elle est divise en huit classes qui serpartissent entre les deux
phratries, de la manire suivante :
Phratrie A Phratrie B
1a Jimmitcha-Nameeinjah. 1b Chungaleeinjah-Nungalleeinjah.
2a Tampachina-Nabajinah. 2b Taraleeinjah-Naraleeinjah.
3a Chunainjah-Nanainjah. 3b Chunainjah-Nalainjah.
4a Chemarainjah-Nemarainjah. 4b Tungareeinjah-Nungareeinjah.
Des deux noms qui servent dsigner chaque classe, le premier est
celuique portent les hommes : le second est rserv aux femmes. Pour
viter cettenomenclature complique, nous reprsenterons chaque classe
par le numrod'ordre qui lui est affect dans le tableau ci-dessus
1a, 1b, etc. La lettre ajouteau chiffre indique la phratrie
laquelle la classe appartient.
Contrairement ce qui se passe dans les diffrentes tribus dont
nous avonsparl, chez les Chingalee, le totem seul est hrit en ligne
paternelle, tandisque la phratrie se transmet en ligne utrine.
D'autre part, parce que l'enfant estde la mme phratrie que sa mre,
sa classe est ncessairement une de cellesque comprend la phratrie
maternelle. Chacune de ces quatre classes corres-pond une gnration
dtermine et l'ordre dans lequel elles sont ranges surnotre tableau
reproduit la suite des gnrations en ligne utrine, jusqu' lacinquime
exclusivement. Ainsi la classe 2a est forme par les enfants
desfemmes de la classe 1a, c'est--dire des Nameeinjah ; la classe
3a, par lesenfants des femmes de la classe 2a, des Nabajinah, etc.
Quant aux enfants dela quatrime classe, c'est--dire de la quatrime
gnration, ils servent former la classe 1a, partir de laquelle
classes et gnrations recommencent se suivre dans l'ordre et de la
manire que nous venons d'indiquer.
1 Northern Tribes, p. 167.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 22
Cela pos, la faon dont sont rglements, en principe, les mariages
entreces diffrentes classes peut tre figure comme il suit :
Il suffit de jeter un coup d'il sur ce tableau pour s'apercevoir
que cetteorganisation a le mme objet que celle des Arunta et des
tribus similaires. Onvoit, en effet, que toutes les deux gnrations,
mais seulement toutes les deuxgnrations, les classes
correspondantes ont le connubium : 1a pouse 1b et3a, 3b. Au
contraire, entre les classes qui suivent immdiatement les
prc-dentes et qui, par consquent, en sont issues, le mariage est
interdit. Les gensde 2a comme ceux de 2b sont ns de mariages
contracts entre 1a, et 1b 1 ; parsuite, ils ne peuvent pas s'pouser
rgulirement ; ils sont obligs d'allerchercher leurs maris et leurs
femmes les uns en 4a et les autres en 4a etrciproquement. C'est
donc bien qu'il s'agit d'empcher deux classes des'pouser quand les
deux classes antrieures, dont les premires sontdescendues,
s'pousent dj librement.
1a 1b
2a 2b
3a 3b
4a 4b
Il est vrai que chez les Chingalee, tout comme chez les
Warramunga, lesMara, les Anula, cette interdiction matrimoniale
n'est pas actuellement abso-lue. Maintenant, en effet, les membres
de la classe 2a ne sont pas obligs de serenfermer dans la classe
4b, mais peuvent aussi pouser des membres de 2b ;et de mme, les
membres de 4a peuvent prsentement se marier en 4b enmme temps qu'en
2b. Mais nous avons rencontr le mme fait dans les tribusprcdemment
tudies ; et d'ailleurs, dans un cas comme dans l'autre, il
n'estcertainement pas primitif. Le cercle dans lequel peuvent
s'exercer les choixmatrimoniaux a d commencer par tre limit la
seule classe qui estindique au tableau. En effet, si un homme de
2a, par exemple, peut aujour-d'hui prendre femmes, la fois en 2b et
en 4b, nous savons pourtant que c'estseulement dans cette dernire
classe que se trouvent les femmes qui lui sontrgulirement affectes
comme pouses 2 ; les mariages contracts avec 2b ontquelque chose de
moins normal. C'est dire qu'ils sont dus une tolrance quine s'est
tablie que peu peu, mesure que cdait la prohibition initiale.
Nousaurons, au reste, l'occasion de montrer plus loin que ces
sortes d'unionsdoivent tre, encore aujourd'hui,
exceptionnelles.
Mais en mme temps que cette organisation reproduit dans ses
traits es-sentiels le type Arunta, celui-ci s'y retrouve, comme
nous avons vu, sous des
1 Les gens de 2a sont ns de mariages entre les femmes de 1a et
les hommes de 1b; les
gens de 2b, de mariages entre les femmes de 2b et les hommes de
2a.2 Who is his regularly appointed spouse, dit M. MATHEWS, ibid.,
p. 495.
-
E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 23
formes trs particulires qui vont nous permettre de vrifier plus
facilement etplus compltement l'explication que nous en avons
propose.
En effet, c'est par la substitution du principe de la filiation
en ligne pater-nelle la filiation utrine dans la transmission du
totem, que nous avonsexpliqu le ddoublement des quatre classes
matrimoniales primitives. Or,chez les Chingalee, la ralit de cette
substitution est plus certaine qu'ailleurs ;car elle s'est imprime
dans la structure mme de la socit. Celle-ci s'estcomme fixe et
immobilise au moment mme o elle tait en train d'accom-plir cette
volution, o elle passait d'un principe l'autre, si bien que
nousretrouvons encore les deux principes cte cte, pour ainsi dire,
dans l'orga-nisation de la tribu. D'une part, en effet, comme on
l'a vu, c'est par les femmesque se transmet la phratrie (filiation
utrine) ; mais c'est par les hommes, aucontraire, que le totem se
perptue (filiation paternelle). L'enfant est de laphratrie de sa
mre, mais il a le totem de son pre. La coexistence de ces
deuxsystmes opposs au sein d'une mme socit serait tout fait
inexplicable sil'on admettait qu'ils sont ns au mme moment,
puisqu'ils correspondent desconditions sociales tout fait
diffrentes. C'est donc que l'un d'eux a com-menc par exister seul,
puis a cd en partie devant le systme nouveau quandles circonstances
ont impos ce dernier, mais tout en conservant assez deforce pour ne
pas disparatre compltement. L'exemple des Chingalee montrede plus
que ce qui est ncessaire la formation du systme de huit
classes,c'est l'apparition de la filiation en ligne paternelle
quant au totem, et non quant la phratrie ; or c'est aussi ce que
suppose notre explication.
D'un autre ct, chez les Chingalee, les quatre classes
reprsentent quatregnrations successives en ligne utrine ; il n'en
tait pas ainsi chez lesWarramunga, Anula, etc. Chez ces derniers,
les quatre classes de chaquephratrie formaient deux couples
distincts, entre lesquels il n'y avait aucunecontinuit au point de
vue de la gnration. Or cette diffrence tient unique-ment la
diffrence des systmes de filiation. Nous savons, en effet, que
chezles Arunta, Warramunga, etc., la phratrie est hrite en ligne
masculine, tandisque, chez les Chingalee, le totem seul se transmet
de cette manire. Or si nousconstruisons une socit quelconque du
type Arunta conformment auprincipe Chingalee, c'est--dire si nous
disposons les classes de manire ceque les mres et leurs enfants
soient toujours dans la mme phratrie, la tribuprend exactement la
forme Chingalee, les quatre classes dont se trouve alorscompose
chaque phratrie sont autant de gnrations successives en
ligneutrine. Prenons pour exemple les Mara, cause de la simplicit
relative deleur nomenclature. Normalement, c'est--dire sur la base
de la filiationpaternelle, les phratries sont composes de la manire
suivante :
-
E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 24
Phratrie A Phratrie B
Murungun Purdal
Murungun Purdal
Mumbali Kuial
Mumbali Kuial
Il est facile de construire chaque phratrie telle qu'elle
devrait tre, si elle setransmettait en ligne utrine. Le tableau
ci-dessus en fournit les moyens. Or sil'on opre cette mutation,
l'organisation devient
Phratrie A Phratrie B
Murungun Purdal
Purdal Murungun
Mumbali Kuial
Kuial Mumbali
Il est facile de constater, toujours en se reportant au mme
tableau, que lesquatre classes de chaque phratrie reprsentent
maintenant la srie desgnrations en ligne maternelle, srie qui
recommence la cinquime gnra-tion, les Murungun tant les enfants des
femmes Kuial et les Purdal lesenfants des femmes Mumbali . Nous
arrivons donc, avec une certitudeabsolue, ce rsultat que celle
organisation matrimoniale dpend troitementdu systme de filiation
puisqu'elle varie dans la mesure o ce systme lui-mme varie. Ce qui
confirme de tous points la thorie que nous avonsexpose.
Mais dans tout ce qui prcde nous avons suppos que les
informations deMathews sont exactes ; or un fait important pourrait
induire en suspecter lavaleur. En effet, la tribu que Mathews
appelle Chingalee n'est autre que celle laquelle Spencer et Gillen
donnent le nom de Tjingilli. Il n'y a, pour s'enassurer, qu'
comparer la carte annexe au livre de Spencer et Gillen, aveccelle
tablie par Mathews 1 ; Chingalee et Tjingilli sont situs au
mmeendroit. Or, d'aprs Spencer et Gillen, l'organisation
matrimoniale desTjingilli serait identique celle des Arunta ; les
classes seraient rpartiesd'aprs le mme principe. La phratrie se
transmettrait en ligne paternelle ainsique le totem. Nous nous
trouvons donc en prsence de deux affirmations net-tement
contradictoires et, tant donne la sret ordinaire des informations
de
1 American Anthrop., 1900, p. 497.
-
E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 25
Spencer et Gillen, on pourrait tre tent de rejeter comme
inexactes lesobservations recueillies par Mathews : ce qui terait
toute base aux conclu-sions que nous avons cru pouvoir en
tirer.
Mais il y aurait beaucoup de simplisme, croyons-nous, procder
ainsi.D'abord, l'organisation des classes matrimoniales, telle que
nous la rapporteMathews, est exactement ce qu'elle doit tre, si,
comme il l'affirme, la phratriese transmet en ligne utrine. Si ses
informateurs se sont tromps sur lepremier point, ils ont d s'tre
tromps galement sur le second ; et ces deuxerreurs, si logiquement
solidaires l'une de l'autre, peuvent dj pour cetteraison paratre
assez invraisemblables 1. Mais il y a plus. Si la discordance
nes'tait produite que dans le cas des Tjingilli, on pourrait encore
admettrequ'elle est due effectivement une mauvaise observation.
Mais il y a plusieursautres tribus o l'on constate exactement le
mme dsaccord entre les tableauxde Spencer et Gillen et ceux de
Mathews ; c'est le cas notamment desBinbinga et des Warramunga qui,
d'aprs ce dernier, auraient exactementl'organisation qu'il attribue
aux Chingalee. La gnralit de l'erreur en accrotencore
l'improbabilit ; car il est malais d'admettre que l'on se soit
tromptant de fois et toujours de la mme faon. Il y a plus encore ;
pour ce quiregarde les Warramunga, les informations de Howitt
concordent exactement,au moins pour tout ce qu'elles ont
d'essentiel, avec celles de Mathews 2 ; etd'ailleurs, ce dernier a
pris soin de faire vrifier nouveau et d'une manirerpte les
assertions de Howitt 3. Ainsi les invraisemblances
s'accumulent.Mais ce qui rend particulirement insoutenable
l'hypothse que nous exami-nons, c'est que nous trouvons dans le
livre de Spencer et Gillen eux-mmes lapreuve qu'il y a eu un moment
o, chez les Warramunga, les classes ont tdistribues entre les deux
phratries, conformment au type Chingalee. Eneffet, d'aprs le
tableau de Howitt et de Mathews, la classe matrimonialeTjunguri
serait de la phratrie Kingilli, et la classe Tjupila serait de la
phratrieUluuru, alors que, d'aprs Spencer et Gillen, c'est
l'inverse qui serait la vrit.Or d'une tradition que nous rapportent
ces auteurs (p. 424), il rsulte queprimitivement ces deux classes
taient bien disposes comme le disent Howittet Mathews, et que
l'inversion actuellement observe ne s'est produitequ'ultrieuremen
4.
1 Toutes les informations de Mathews sont concordantes. C'est
ainsi qu'il nous dit que,
chez les Chingalee, comme chez les Warramunga, les Mara, etc.,
chaque totem a desreprsentants dans deux classes matrimoniales et
dans deux classes seulement; mais queces deux classes, issues l'une
de l'autre en ligne paternelle, appartiennent deux
phratriesdiffrentes. Or il en doit tre ncessairement ainsi, si la
phratrie est transmissible en ligneutrine, alors que le totem se
transmet en ligne paternelle. Et d'autre part, si la filiation
sefait de cette faon, l'organisation gnrale doit tre telle que la
dcrit Mathews. Tout setient. Une erreur aussi logiquement
systmatique est bien improbable. Il faudrait qu'elleet t construite
de parti pris.
2 Nous avons reproduit le tableau de Howitt dans le tome I de
L'Anne sociol., p. 14. Les
Warramunga y sont appels Wuaramongo.3 Voir Proc. Amer. Philos.
Soc., XXXVII, p. 75 et suiv.
4 La tradition s'exprime ainsi: il s'agit de deux tre mythiques
qui taient Tjunguri et qui
devinrent Tjupila, par consquent Kingilli. C'est bien la preuve
qu'il y a eu un moment oles Tjunguri ont chang de phratrie. La
lgende, pour concilier le souvenir de cechangement avec
l'organisation actuelle, dit qu'il y a eu un moment o la classe
Tjunguris'est transforme en la classe correspondante (Tjupila) de
l'autre phratrie.
-
E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 26
Il est donc inadmissible que l'organisation attribue par Howitt
etMathews ces diffrentes tribus soit un simple produit de leur
imagination, etpour expliquer leur dsaccord avec Spencer et Gillen
on ne peut gure hsiterqu'entre les trois hypothses suivantes : 1
D'une observation l'autre, lestribus considres ont volu et sont
passes d'un type l'autre ; 2 Howitt etMathews ou leurs informateurs
ont pris pour actuels des modes d'organisationqui ont t usits
autrefois et qui ont t remplacs depuis par ceux que nousdcrivent
Spencer et Gillen ; 3 Ces deux modes d'organisation
coexistentencore cte cte dans un certain nombre de tribus. Si l'on
songe l'tenduedu territoire occup par les Warramunga, par exemple,
il n'y a rien d'tonnant ce que, dans certaines parties de ce peuple
considrable, les institutions dupass survivent alors que, dans
d'autres, elles se sont transformes ; et il peuttrs bien se faire
que les observations qui se contredisent se rapportent, enralit,
des portions diffrentes d'un mme peuple. - Nous n'avons pas choisir
entre ces diffrentes interprtations. La seconde parat bien
s'appliqueraux Warramunga ; les deux dernires peuvent, d'ailleurs,
tre vraies simul-tanment. Mais quelle que soit celle qu'on accepte,
il reste que l'organisationdu type Chingalee a exist ou mme existe
encore ; or, c'est tout ce quesuppose notre dmonstration. Mme le
fait que cette organisation, dans certai-nes de ces tribus, a
prexist celle que nous dcrivent aujourd'hui Spencer etGillen,
tendrait plutt confirmer d'une manire dfinitive l'explication
quenous avons propose.
IV
Retour la table des matires
Cette tude vient donc confirmer le plus essentiel tout au moins
desrsultats auxquels nous tions arrivs dans notre prcdent
travail.
En effet, dsormais, nous croyons pouvoir regarder comme
dfinitivementtabli que l'organisation Arunta n'est pas primitive,
ainsi que l'ont soutenu,avec M. Frazer, MM. Spencer et Gillen.
L'antriorit de la filiation utrine surla filiation paternelle est
tellement vidente dans les diffrentes socits dontnous venons de
parler, elle est dmontre par une telle convergence de preu-ves
qu'il nous parait difficile de la mettre en doute. L'exemple des
Chingaleepeut mme servir montrer combien est grande la distance qui
spare cesdeux tats sociaux. En effet, comme les Chingalee se sont
arrts mi-cheminentre ces deux formes d'organisation sociale, il est
permis de se demander si lechemin qu'il a fallu faire pour aller de
l'une l'autre n'a pas t parcouru partapes successives, si le
changement n'a pas port d'abord sur le totem pours'tendre ensuite
la phratrie ; et le cas des Warramunga semble bien confir-mer cette
hypothse. Dans ces conditions, on ne saurait plus continuer
voir,dans le relchement des interdictions totmiques, soit
matrimoniales, soit
-
E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 27
alimentaires, une sorte de fait initial et comme la forme
premire du systmetotmique, puisque les socits o on le rencontre ont
dj derrire elles une silongue volution.
Mais, sur d'autres points, les conclusions auxquelles nous
sommes prc-demment arrivs se trouvent corriges ou compltes.
Nous avions cru jusqu' prsent que le changement de filiation
quant laphratrie suffisait expliquer comment, chez les Arunta,
chaque totem, tout enayant son sige principal dans une des deux
phratries, comptait pourtant dansl'autre des reprsentants plus ou
moins nombreux. L'exemple desWarramunga et des tribus similaires
semble bien dmontrer que cette expli-cation n'est pas suffisante.
En effet, le systme de filiation a pass chez euxpar la mme
rvolution que chez les Arunta, et pourtant, en gnral, chaquetotem
est localis dans une phratrie dtermine. La particularit spciale
auxArunta doit donc tenir quelque caractre galement spcial de leur
structuresociale. - Or nous avons vu que, chez eux et chez eux
seulement, l'organi-sation totmique ne concide pas exactement avec
l'organisation territoriale.Cette indtermination gographique du
totem doit donc vraisemblablementavoir contribu, au moins pour une
certaine part, produire le fait dont nouscherchons nous rendre
compte. En effet, c'est, dans ces socits, une croyan-ce
universellement rpandue que la naissance suppose, outre le
commercephysique d'un homme et d'une femme, l'introduction, dans le
corps de lafemme, d'un esprit totmique qui rside dans le voisinage
de l'endroit o a eulieu la conception et qui devient l'me de
l'enfant. Dans ces conditions,comme c'est le totem de cet esprit
qui devient le totem de l'enfant, ce dernierdpend, non pas
directement du totem paternel, mais de la rgion o la femmea conu.
C'est le totem auquel ressortissent les esprits dont est peuple
cettergion qui dtermine celui du nouveau-n. Si donc le pre rside
prs d'uncentre totmique qui appartient la phratrie dont il n'est
pas membre, il estinvitable que l'enfant, tout en faisant partie de
la mme phratrie que son pre,soit pourtant d'un totem diffrent. Et
on peut concevoir ainsi comment chaquetotem a cess d'tre renferm
dans une seule et mme phratrie 1.
Mais un dernier enseignement se dgage des faits qui viennent
d'trepasss en revue : on ne peut pas n'tre pas frapp de la
remarquable logiqueavec laquelle les ides qui sont la base de cette
organisation matrimoniale sedveloppent travers les diverses
circonstances de l'histoire. En effet, on peut,par un simple
calcul, construire le systme des classes d'une tribu en fonctiondu
mode de filiation qui y est en usage. Suivant que le totem se
transmet parla mre ou par le pre, le nombre des classes varie
suivant un rapport prcis :il passe du simple au double, de quatre
huit ; suivant que la filiation en lignepaternelle s'applique ou
non la phratrie en mme temps qu'au totem, les huitclasses se
disposent suivant deux figures diffrentes. On croit assister
ladiscussion d'un problme de mathmatiques. Les quivalences entre
lesclasses de tribus diffrentes sont rgles avec la mme rigueur. Il
ne serait pasfacile de trouver ailleurs un autre exemple d'une
organisation sociale qui sedduise avec la mme rigueur de principes
donns. N'est-ce pas une preuve deplus que ces classes et ces
phratries ne sont pas simplement des cadres
1 On entrevoit aussi par l comment la transmission du totem est
devenue indpendante du
fait matriel de la gnration.
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E. Durkheim (1903-1904), Sur lorganisation matrimoniale des soc.
australiennes 28
sociaux, mais aussi des cadres logiques, soumis, sans doute, une
logiquespciale, diffrente de la ntre, mais qui n'en a pas moins ses
rgles dfinies ?
Fin de larticle.