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ÉLÉMENTS DU PAYSAGE URBAIN PRÉ-ROMAIN A L’ANTIQUE RUSPINA (L’ACTUELLE MONASTIR) Située au centre de la région du Sahel, la cité de Ruspina, le nom antique de l’actuelle Monastir, est l’une des plus importantes cités au sein de cette entité géographique et historique 1 (carte : le territoire libyco-phénicien de Monastir). La côte de Monastir et ces îles limitrophes nous fournissent des traces de monuments troglodytes 2 que les chercheurs considèrent comme les vestiges de monuments funéraires 3 . Particulièrement, la plus grande des îles de la côte de Monastir actuellement rattachée à la terre ferme qui est appelée l'île d’al Ghdamsi, du nom d’un Ribat situé à la pointe Nord-Ouest. Elle renferme une série de monuments funéraires dont un groupe de haouanet qui interpelle par son mode de disposition en étages ainsi que trois mouillages aménagés dans le roc situés chacun sur un flanc de l’île et enfin un monument taillé dans le roc qui semble être un établissement de bain marin ; un balneum (figure 1). D'ailleurs, il est appelé par les monastiriens Hammam Bent es-Soltan. 1 En se fondant sur une interprétation de Polybe pour sa description du Byzacène Sayadi est enclin à penser que la cité de Ruspina était le centre de cette entité : M. S. Sayadi, Monastir essai d’histoire sociale du XIXeme siècle, Tunis 1979, p. 72-73, figure 39. 2 J'attire l'attention à un monument de taille conséquente creusé dans le roc situé à proximité du marabout de Sid Mansour. Il à l'allure d'un necromanteion, terme grec utilisé pour qualifier un lieu où les Libyques se réunissaient pour invoquer les morts et se livrer à la divination. 3 Au sujet d’un hanout trouvé à Monastir dont la taille est exceptionnellement grande par rapport à des monuments du même genre trouvés ailleurs M. Ghaki, s’est demandé s’il s’agit d’une habitation plutôt que d’un monument funéraire. Selon G. Camps, ce monument avait sûrement une vocation funéraire comme l’étaient tous les monuments trouvés à Monastir malgré leur taille exceptionnellement différente du reste des monuments similaires : E. Ben Guith Hmissa, Les monuments funéraires de tradition libyque dans le Sahel , Mémoire d’Etudes Approfondies en Archéologie, Université de Tunis I, 2000, p. 194.
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éléments du paysage urbain antique à Monastir (Tunisie)

Jan 16, 2023

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Thabet Slimani
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ÉLÉMENTS DU PAYSAGE URBAIN PRÉ-ROMAINA L’ANTIQUE RUSPINA (L’ACTUELLE MONASTIR)

Située au centre de la région du Sahel, la cité de Ruspina, lenom antique de l’actuelle Monastir, est l’une des plusimportantes cités au sein de cette entité géographique ethistorique1 (carte : le territoire libyco-phénicien deMonastir).

La côte de Monastir et ces îles limitrophes nous fournissentdes traces de monuments troglodytes2 que les chercheursconsidèrent comme les vestiges de monuments funéraires3.Particulièrement, la plus grande des îles de la côte deMonastir actuellement rattachée à la terre ferme qui estappelée l'île d’al Ghdamsi, du nom d’un Ribat situé à la pointeNord-Ouest. Elle renferme une série de monuments funérairesdont un groupe de haouanet qui interpelle par son mode dedisposition en étages ainsi que trois mouillages aménagés dansle roc situés chacun sur un flanc de l’île et enfin un monumenttaillé dans le roc qui semble être un établissement de bainmarin ; un balneum (figure 1). D'ailleurs, il est appelé par lesmonastiriens Hammam Bent es-Soltan.

1 En se fondant sur une interprétation de Polybe pour sa description du Byzacène Sayadi est enclin à penser que la cité de Ruspina était le centre de cette entité : M. S. Sayadi, Monastir essai d’histoire sociale du XIXeme siècle, Tunis 1979, p. 72-73, figure 39.2 J'attire l'attention à un monument de taille conséquente creusé dans le roc situé à proximité du marabout de Sid Mansour. Il à l'allure d'un necromanteion, terme grec utilisé pour qualifier un lieuoù les Libyques se réunissaient pour invoquer les morts et se livrerà la divination. 3 Au sujet d’un hanout trouvé à Monastir dont la taille estexceptionnellement grande par rapport à des monuments du même genretrouvés ailleurs M. Ghaki, s’est demandé s’il s’agit d’unehabitation plutôt que d’un monument funéraire. Selon G. Camps, cemonument avait sûrement une vocation funéraire comme l’étaient tousles monuments trouvés à Monastir malgré leur tailleexceptionnellement différente du reste des monuments similaires : E.Ben Guith Hmissa, Les monuments funéraires de tradition libyque dans le Sahel,Mémoire d’Etudes Approfondies en Archéologie, Université de Tunis I,2000, p. 194.

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Les haouanet de Monastir, dans leur totalité sont estimés,selon un travail récent, au nombre de cinquante4. Nous pensonsque ce chiffre reste très inférieur à la réalité donc de peu devalidité. En effet, l’érosion marine intense sur les côtesrocheuses des îles du rivage de Monastir et l’activitéanthropique prolongée, diversifiée et dévastatrice, sontresponsables de la disparition totale si non de la défigurationpoussée de la majorité de ces monuments5 ce qui rend leur étudeune véritable gageure. Il est plus réaliste, au vue decertaines données d’avancer que cet ensemble de monumentsconstituait une installation funéraire fort complexe et sansdoute très originale si non même exceptionnelle à plusieurségards. Pour preuve, l’île de la quarantaine, également appeléel’île d’al Wostanya, pourtant de taille nettement plus réduitede celle de sa voisine l’île d’al Ghdamsi, qui nous préoccupedans ce cadre, présente une succession de haouanetsomptueusement adossés, pour ainsi dire, à la petite falaiseque trace la côte, en belle régularité, qui n’est pas sans nousinterpeller et qu’on croyait étrangère aux vestiges de naturefunéraire. Ces monuments sont au nombre de trente trois, selonle décompte présenté dans une figure suggestive qu’on trouvedans le travail de Madame Ben Ghith Hmissa qui est une reprised’un croquis exécuté par Deyrolle sur terrain dont lavérification n’est plus hélas possible. Une telle donnée,combien précieuse même susceptible d’erreur, nous laisseaisément penser qu’aussi bien île d’al Hammam, que nousétudions ici, que le reste des îles côtières du cap de Monastirétaient bien plus que de simples lieux d’anarchiquesensevelissements. Il est plus que probable qu’avant d’êtremutilée à jamais par l’effort conjugué de la mer et des hommes,la falaise de l’île d’al Ghdamsi était elle aussi abondammentpourvue de chambres funéraires. Les haouanet de Monastir, etparticulièrement ceux de l’île d’al Ghdamsi étaient sommairementétudiés ce qui eu pour désavantage de laisser encore suspenduesplusieurs questions relatives à cette installation funérairecomme celle de la disposition des monuments. Combien vain étaitnotre effort de tenter de comptabiliser le nombre de chambres,si non d’excavations correspondant à peu de chose près à cequ’était une chambre, le long la partie Nord de cette falaiseet sur une distance prise en guise d’échantillon, pour tenter

4 E. Ben Guith Hmissa, ibid., p. 182. 5 Ibid., p. 194.

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d’étaler ce résultat, ne serait ce que de façon arithmétique,donc purement estimative, au pourtour de l’île et pourquoi pasau reste des autres îles. Nous n’avons pu aboutir à aucunevaleur probante si non à des résultats spéculatifs si nousavions cédé de peu à la tentation de résoudre ce mystère. Ladégradation sans précédent de la côte a dit le dernier mot danscette question. Pourtant, très endommagés les vestiges deshaouanet de l’île d’al Ghdamsi révèlent encore des indicesévidents et perceptibles, à qui y mette assez de temps et deminutie, d’un aménagement étagé, le plus souvent de deuxniveaux et plus rarement de trois niveaux, quand la hauteur dela falaise l’autorise, étalé sur tout le pourtour de cette îledont la trace est aisément visible sur le flanc Ouest de cetteîle surtout au dessus du mouillage (figures 2-3). Cettedisposition ne manque pas de donner une majesté à l’ensemble,même dans le cadre de résidences mortuaires. En effet, deshaouanet surélevés, signalés par les archéologues, nécessitentsans doute une échelle ou même, possibilité non moinsenvisageable, des escaliers taillés dans le roc pour y accéder(figure 4)6. Non lion de ces monuments de Monastir, deshypogées de Sicile sont étagés7. Les haouanet étaient sans doutesuperposés, l’architecture de ces monuments avait influencé lesmausolées-cippes d’époque punique8. Ceux-ci sont un amalgameentre les mausolées turriformes d’influence grecque et leshaouanet libyques. Il n’est pas rare de trouver dans le domainede l’architecture profane des constructions étagées. Les tombesétant elles aussi des demeures, pourtant d’un type particulier,elles avaient des éléments communs avec les maisons. Aussi bienles ksours berbères que les villes comme Byrsa ou Kerkouaneétaient étagées. Une telle densité d’occupation, une aussiriche complexité architecturale ajoutée à l’organisationrigoureuse du site ne peuvent qu’induire une importance despratiques qu’avait connues cette île. Seulement, sommes-nous,archéologues d’aujourd’hui, en mesure de les restituer ou aumoins de les entrevoir ?

Pour le cas de Monastir, mais cette constatation est valableailleurs, le choix des îles pour l’ensevelissement des morts6 M. Longerstay, "Haouanet", Encyclopédie berbère, Tome XXII, Aix-en-Provence 2000, p. 3369.7 Ibid., p. 3369.8 Ibid., p. 3363.

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est compréhensible puisque, selon les affirmations desspécialistes, les haouanet étaient destinés à contenir descadavres mais aussi des ossements décharnés9, d’où le désir dechoisir un site éloigné des habitations pour des finsfunéraires. Comme les haouanet sont des monuments exclusivementfunéraires10 ils avaient, en l’occurrence, constitué une sortede cité des morts. Or, la répartition des ces monuments nesemble aucunement avoir été laissée au hasard. Ailleurs, etsans doute dans ce contexte, les haouanet sont le plus souventassociés parfois par plusieurs dizaines. Ce qui laisse supposerla possibilité que ce sont des espaces familiaux qui faisaientl’objet de cultes funéraires associés ou de visitesrituelles11. Cette pratique n’est pas exclusive à cesmonuments. Des groupes de dolmens sont souvent entourésd’enceintes ou de sentiers. L’éminent spécialiste du mondelibyque Gabriel Camps pense que ces aménagements servent àdélimiter des espaces réservés à des clans ou des familles12.De même, certains haouanet referment des chambres multiples.Elles sont la trace de cultes funéraires exclusifs d’unefamille ou d’un clan13. On n’est pas en mesure de restitueravec précision la nature du culte qui s’était déroulé dans cesmonuments. Nous ne qu' évoquer avec beaucoup de réserve latrace d’épaisses couches de fumée décelées dans un hanout14.Peut ont la mettre en rapport avec un culte funérairequelconque ? Une telle hypothèse est à ne pas écarter même sila violation de ces monuments et leurs usages multiples rendentl’utilisation de cet argument peu solide. Le décor des haouanetpermet il de dévoiler le culte funéraire oul’eschatologie inhérente ? Le décor peint des haouanet laisseentrevoir des scènes rituelles. Un décor représente une danseprobablement rituelle15. Par ailleurs, les monuments funérairesà Monastir ne se limitent pas aux haouanet aussi bien sur l’îled’al Ghdamsi dont nous nous préoccupons que sur les autres îles,il existe une multitude d’auges dont la fonction funéraire estassurée. Carton signale que les auges creusées à l’extérieur

9 Ibid., p. 3368.10 Ibid., p. 3362. 11 Ibid., p. 3363.12 E. Ben Ghith Hmissa, op. cit., p. 186-187.13 M. Longerstay, ibid., p. 3363. 14 M. Longerstay, op. cit., p. 3376. 15 Ibid., p. 3380-3381.

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des haouanet sont en grand nombre à Monastir16. Ces fosses sontelles le témoignage des monuments postérieurs ou peut on lesconsidérer comme contemporaines aux haouanet ? La réponse estdifficile voire même impossible en l’absence d’éléments fiablesde datation.

Aussi bien la proéminence de cette île au large de la côte deMonastir, la fréquence des monuments funéraires de tout genre,le caractère funéraire exclusif des ces vestiges, nous laissentfacilement penser que cette île avait aussi accueillie, en mêmetemps que les monuments funéraires, un établissement sacré etsans doute des structures inhérentes à celui-ci. Selon toutevraisemblance, les mouillages étaient en liaison avec cetteinstallation à caractère sacré et le balneum taillé dans le roc,qui est d’un soin technique et architectural rare pour lapériode antique, n’était qu’un auxiliaire indispensable à celieu de culte. Selon les conjectures de nos prédécesseurs, lathonaire est construite sur cette île en 1817 semble avoir étéédifiée sur les ruines d’une construction très ancienne. Demême, sur l’île on trouve une porte taillée dans le rocanalogue à l’entrée d’une tombe de Gébal que Renan a dessinélors de sa mission en Phénicie. Celle-ci communique avec unegrotte murée en partie en 1882 avec de grandes pierres tailléesqui existent sur le lieu. La photo aérienne prise en 1971révèle que l’actuelle thonaire n’est due qu’à la remise en étatd’un édifice ancien17. Actuellement les vestiges du Ribat qu’ontrouve sur l’île recèlent trois borjs qu’on soupçonne d’avoirfait partie d’un monument antérieur très ancien18. La positionde ce Ribat à la pointe la plus avancée de l’île ainsi que sasituation sur le point le plus culminant ajouté à la proximitédu Ribat d’un des plus grands mouillages de l’île en fait unendroit de choix pour un monument à la fois cultuel et decontrôle de ce passage. Une certitude renforce cette hypothèse,mêlés à ce Ribat on trouvé des ruines d’apparence romaine. On ya aussi découvert aussi le pavé d’une chambre avec superbemosaïque19. La possibilité de l’existence d’un temple dédié àune divinité marine comme le suggère une des interprétations dunom de ce cap n’est pas à écarter. Le nom de Ruspina qu’on a

16 E. Ben Ghith Hmissa, op. cit., p. 201-202.17 M. S. Sayadi, op. cit., p. 39.18 Ibid., p. 39.19 Ibid., p. 39-40.

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souvent interprété le cap proéminent20 signifierait plutôt lecap de Pontos dont le nom signifie en grec « mer ». Ce dernierétait le dieu du Pont-Euxin aujourd’hui en Mer Noire. Ilpassait pour une entité divine primordiale liée à la sphèremarine qu’on tenait à se concilier21. L’idéal seraitd’effectuer des sondages autour du Ribat afin de vérifier lavalidité de ces données. Par ailleurs, l’île d’al Ghdamsicontient beaucoup de traces de vestiges de constructions dontseule une étude d’ensemble pourrait identifier aussi bien lafonction que la chronologie. Cette île renferme également desinstallations maritimes dont on soupçonne le lien avecl’installation cultuelle présumée. Il s’agit des troismouillages et du monument troglodyte considéré comme unbalneum.

Dans l’ensemble, l’étude des installations maritimes àcaractère commercial, halieutique, militaire ou égalementthérapeutique est encore très en retard. D’autre part, engénéral, pour l’antiquité, on n’a pas souvent pris la peine decréer des établissement portuaires ou des mouillages sans doutefort coûteux en effort humain et financier pour l’époque, ilarrive que cette tâche avait été jugée inutile par exemplelorsqu’une voie terrestre de commerce débouchait sur un rivageaccore ou bien là où les grandes embarcations amarrées au largeétaient desservies par de bateaux capables de s’échouer sur uneplage22. Toutefois, les côtes plates ou exposées et dépourvuesd’abris naturels donnèrent naissance à une traditiond’aménagement portuaire très typique. Il s’agit de tirer profitdu moindre abri naturel. Dans ce cas, les quais étaient taillésdans le roc des récifs, des caps et des péninsules23. Cesaménagements s’appellent Cothon selon un terme grec24. Lesmouillages situés sur l’île d’al Ghdamsi à Monastir sont decette catégorie de monuments.

20 S. Lancel-E. Lipinski, "Ruspina", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 380. 21 C. Bonnet-P. Xella, "Pontos", dans E. Lipinski, Dictionnaire de lacivilisation phénicienne et punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 356-357, p.356. 22 H. Forst, "Port", dans E. Lipinski, Dictionnaire de la civilisation phénicienneet punique, Paris-Bruxelles, 1992, p. 357.23 Ibidem. 24 J. Debergh-E. Lipinski, "Cothon", dans E. Lipinski, op. cit., p. 121.

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Les mouillages taillés dans le roc de l’île d’al Ghdamsi aularge de Monastir sont au nombre de trois. Le mouillage le plusgrand est situé à l’extrémité Nord-Ouest et fait face à îled’al Hammam. Il forme avec celle-ci un passage extrêmementserré (figure 5). La situation particulière de ce mouillage enfait un abri très protégé donc fortement apprécié. Le taille decette installation lui confère un rôle éminemment importantpour toute sorte de fonctions aussi bien sécuritaires quecommerciales. Ce mouillage qui épouse avec ingéniosité unecrique naturelle a la forme d’un trapèze légèrement irrégulier(figure 6). Il mesure trente mètres de côté sur le flanc Ouestet cinquante sur le flanc Est avec une largeur de onze mètresenviron du côté de la terre. La profondeur, que nous n’avonspas encore mesurée, avoisine facilement les dix mètres au plusprofond de ce bassin qui reste d’une grande limpidité malgré letemps passé. Le flanc Ouest de ce bassin, qui présente unaffleurement de roche assez modéré comparant aux deux autrescôtés à la fois très élevés et très abruptes donc impropres àrecevoir un aménagement quelconque au niveau de l’eau, comporteune banquette taillée à la hauteur du niveau de la mer et surtoute sa longueur (figure 7). Ce mouillage est situé en dessousdu point le plus culminant de l’île et à proximité immédiate duRibat lui-même fortement soupçonné d’avoir hérité d’un monumentantique militaire ou religieux et pourquoi pas les deux à lafois. Le deuxième mouillage est situé à peu de chose près aumilieu de l’île sur la rive Ouest. Il est en forme d’unrectangle d’environ une douzaine de mètres de côté. La pentedouce de la roche a permis à ces concepteurs de le munir destrois côtés de banquettes à la hauteur du niveau de la mer cequi confère à l’ensemble une beauté particulière (figure 8). Cemouillage aussi épouse une crique naturelle qui était à la foisaccentuée et aménagée pour accueillir cet ouvrage. Ce dernierest moins profond que le mouillage précédent. Par contre, sasituation en dessous de la falaise la plus verticale de cetteîle et en face de la plus grande concentration de traces dehaouanet le met en rapport étroit avec cette installationfunéraire (figure 9). Il n’est pas improbable même que c’estelle qui était sa raison d’être. Enfin, le troisième mouillageest situé presque au même alignement que le précédent mais ducôté Est de l’île. Il est différent des deux autres puisqu’ilest sablonneux. Lui aussi doit sa naissance à une criquenaturelle. Il est de taille intermédiaire entre les deux

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mouillages précédents. Cependant, ce mouillage est sablonneuxmême s’il se pourrait bien que l’ensablement de ce mouillages’était accentué faute d’entretien (figure 10). Si nousconsidérons les vents les plus fréquents, et surtout les plusredoutables, sur cette côte qui sont le plus souventd’orientation Sud-Est, dont le célèbre mythique et récurrentMistral méditerranéen, ce mouillage est le plus appréciésurtout par les petites et frêles embarcations. Des traces decoupe de pierre avoisinent ce mouillage (figue 11). Peut êtreque les chargements lourds des embarcations exigeaientd’accoster sur un rivage sablonneux. Il se peut aussi quel’accessibilité relative de celui-ci a favorisé son usage parles chargeurs de pierres. Le nombre des ces mouillages, lessoins donnés à leur emplacement ainsi que la manière dont ilssont aménagés renforce l’idée qu’ils étaient tous au service àla fois d’une affluence importante et récurrente mais égalementen toute saison ce que le simple besoin d’ensevelir un cadavrene suffit pas à justifier. Nous allons tenter de voir plus loinles rattachements culturels et chronologiques possibles de telséléments.

Un monument rare dans son genre se trouve sur cette île. Il estnommé par les habitants de Monastir Hammam Bent as-Soltan25.Sayadi le décrit en ces mots : « c’est un petit endroit, taillédans le roc, au niveau de la mer, on y pénètre par deuxouvertures pratiquées tout exprès pour entretenir un fluxconvenable à la propriété et tout autour, il y des bancs,également formés dans le roc » (figures 12 à 14). Ce que nousconsidérons comme balneum est pris pour un vivier de poisson.Nous en trouvons par exemple à Korbous au Cap Bon desinstallations de ce type qui remontent même à l’époque antiquesouvent utilisés pour le thon dont cette région est célèbre.Nous pensons qu’une telle hypothèse est insoutenable. Le soindonné à ce monument qu’on remarque à travers les banquettes,l’aménagement d’une partie de ce bassin et autres détailsconfirment qu’il s’agit d’un établissement balnéaired’exception et peut-être même unique selon la documentationdisponible. Ce monument dont la fonction balnéaire estincontestable intrigue. La rareté d’exemplaires similaires, ouc’est ce qui ressort de la documentation disponible, rend latâche de son étude délicate. Ce monument a fait l’objet d’une

25 M. S. Sayadi, op. cit., p. 39 et 42 figure 24.

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étude récente26. La problématique de notre prédécesseurconsistait à déterminer la datation de ce monument. D’après lacéramique exhumée lors d’un sondage effectué dans le bassin decette installation balnéaire, il ne date pas au delà de lapériode médiévale. Plus précisément, ce monument seraitd’époque hafside. Faut il préciser que les tessons de céramiquetrouvés dans le bassin de ce balneum n’ont aucun rapport avecl’usage de ce monument mais qu’ils proviennent des tombesd’époque hafside situées au dessus du monument. Ils sontparvenus au fond de ce bassin par l’effet de l’érosion pluvialeou suite à des éboulements. Donc l’utilisation de ces indicespour dater le monument n’est pas fiable. D’autre part, cestessons même s’ils avaient un rapport solide avec l’utilisationdu bassin traduiraient-ils une période d’utilisation due à uneremise en état du monument plutôt que la chronologie ducreusement de ce balneum ? C’est une hypothèse fortenvisageable. La technique de construction de ce monument enfait un édifice rare. L’ensemble des éléments situés sur cetteîle que constituent les haouanet, dont le nombre et ladisposition sont de nature à nous interpeller, les troismouillages taillés dans le roc, les traces d’un monument denature probablement cultuelle qui a aujourd’hui disparu, ajoutéà cela le nom antique therma appliqué à une cité antique dontles vestiges se situent au Sud de Monastir nous font penser quecet établissement de bain faisait sans doute partie d’uncomplexe cultuel. Le rapport étroit entre des installationsbalnéaires et les édifices à caractère religieux ne peuvent querenforcer cette hypothèse. Pour ce qui est du monde phénicien,nous avons des témoignages de l’usage de l’eau à des finscultuelles ainsi que l’association de l’eau avec desétablissements destinés à des rites d’hydrophorie où desdivinités étaient vénérées27. En l’absence de mobilier qui nouspermette de dater ces monuments, seules les comparaisons àcaractère architectural sont aptes à nous fournir des réponsesprobantes.

Plusieurs conjectures ont été formulées au sujet des vestigesde l’île d’al Ghdamsi. En vérité, elles étaient axéesessentiellement sur les haouanet et le balneum. L’étude des26 Cette étude a été effectuée par Monsieur Riadh Mrabet. Elle est encours de publication. 27 E. Lipinski, "Eau", dans E. Lipinski, op. cit., p. 140.

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mouillages et des constructions antiques présumées de quelquenature qu’elles soient reste à faire. La détermination durapport de l’ensemble de ces éléments mérite elle aussi uneréflexion plus approfondie. Par conséquent, la formulation deréponses lapidaires n’est sans doute pas à l’ordre du jour dansle cadre de cette réflexion à caractère préliminaire. Laplupart des érudits se sont préoccupés de situer les haouanetet le balneum dans telle ou telle sphère culturelle et par làmême de les fixer dans le temps. Or, ces deux tâches sont enréalité distinctes, même si elles peuvent se rejoindre voire secompléter. Pour ce qui est de l’origine culturelle desmonuments, il y a essentiellement deux avis. Certainsattribuent ces œuvres aux Numides, en conséquence d’uneinsertion dynamique dans les cultures méditerranéenne28 alorsque d’autres y voient la preuve de l’influence de Carthagephénicienne ou punique29. A la lumière des quelques donnéesdont nous disposons, nous allons tenter de faire desrapprochements culturels et de dater les différentescomposantes de l’île d’al Ghdamsi à savoir les haouanet et lesinstallations maritimes.

Pour ce qui est des haouanet, de quels outils disposons-nouspour les étudier ? Concernant ces monuments funéraires lestextes littéraires et épigraphiques ne disent rien30.L’épigraphie et la littérature libyques sont très mal connuesau sujet du monde funéraire comme celui du monde profane. Lesossements et la céramique non plus ne nous sont d’aucunsecours pour dater ces monuments puisque ces vestiges sontviolés la plupart du temps. Ainsi, nous souffrons de l’absencetotale si non de la rareté de mobilier funéraire dans cesmonuments31. Les tessons de céramique quand ils existentportent à méfiance puisqu’ils risquent fort de ne pas êtreoriginaux. Cependant, les rares tessons recueillis fournissentune datation qui oscille entre la fin du quatrième et le débutdu premier siècle avant J.-C. Cette fourchette chronologique28 M. Longerstay, op. cit., p. 3383 ; Y. Thébert, "Royaumes numides ethellénisme", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, Carthage, l’histoire, sa trace etson écho, Paris 1995, p. 192-199. 29 M. H. Fantar, Carthage approche d’une civilisation, volume 2, Tunis 1999,p. 355-356.30 M. Ghaki, "Le Libyque", dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, op. cit., p.204-209, p. 206.31 M. Longerstay, op. cit., p. 3362.

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aussi précieuse qu’elle soit marque, selon les spécialistes,plus une période d’occupation qu’une datation absolue32. Pource qui est des haouanet de Monastir, selon une récente étudequi leur était consacrée, nous apprenons ils étaient violés parconséquent ils n’ont livré aucun tesson de céramique. De plus,ils n’ont livré aucun ossement33. Même au cas où il y en auraiteu, leur datation ne serait pas fiable vu que ces monumentsétaient violés depuis longtemps34. L’étude architectonique estquelquefois susceptible de nous éclairer sur ces monuments.Faut il préciser que l’utilisation de telles données est unegageure souvent trop risquée. L’architecture connaît souvent unentassement d’indices de périodes et de cultures le plussouvent éloignées qu’il est difficile de démêler avecassurance. Pour ne citer qu’un seul exemple, l’aménagement desfosses dans les haouanet est souvent considéré comme un élémentd’inspiration punique35. Cependant, rien ne nous permet dedéterminer si ces fosses sont postérieures ou non à cesmonuments. Nous disposons d’un autre type d’indice pour étudierles haouanet. Il s’agit du décor aussi bien architectural quepariétal. En effet, un tel élément peut nous permettre de daterles haouanet et identifier la culture à laquelle ilsappartiennent36. Cependant, l’interprétation de ces scènes nouspose parfois de sérieux problèmes. En effet, lesreprésentations des haouanet avaient à la fois un rôlesymbolique et funéraire que nous avons du mal à saisir. Noussouffrons de l’absence de témoignages épigraphiques etlittéraires qui nous déchiffrent ces représentations37. Parexemple pour le décor de la scène navale de Kef el-Blida38

(figure 15), les chercheurs sont partagés au sujet de ladescription de cette peinture et les interprétations qui ontétaient formulées sont contradictoires. S’agit-il d’une scèneréaliste ou qui a un sens eschatologique ? Puisqu’il s’agitd’une cène unique, il est difficile d’établir des parallèlesavec d’autres scènes. Il est également difficile de déterminerl’origine culturelle de cette scène, sans parler du problème de

32 Ibib., p. 3384.33 E. Ben Guith Hmissa, op. cit., p. 202.34 Ibidem. 35 Ibidem. 36 M. Longerstay, ibid., p. 3376-3377.37 Ibid., p. 3383. 38 J. Balty, "Kef el Blida", dans E. Lipinski, op. cit., p. 244.

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sa datation39. Au demeurant, nous pouvons affirmer que l’étudedes haouanet reste à faire au moins pour ce qui est de leurdatation. En effet, la majorité des haouanet dérobe à toutetentative de datation40. Si nous pouvons affirmer aveccertitude que quelques un étaient creusés à l’époque punique etd’autres à l’époque romaine nous ignorons tout pour la majoritéde ces monuments41. Il n’est pas souvent aisé de trancher laquestion. Numides et Carthaginois ne se distinguaient niphysiquement ni culturellement. L’interpénétration des Libyqueset des Puniques était grande. La langue officielle des royaumesnumides du troisième et deuxième siècle avant J.-C. était lePunique. La religion elle même n’échappait pas à cette fusiondes mondes libyco-berbère et sémitique. Une interaction semanifeste dans le culte des morts qu’illustrent les pratiquesfunéraires et la disposition des monuments sépulcraux42.

Selon l'avis de l’éminent spécialiste du monde pnénico-puniqued’Occident Mh. H. Fantar l’Afrique fut civilisée par lesPhéniciens et les Carthaginois43 ce qui suppose que cesmonuments funéraires sont dus à un savoir faire sémitiquetransmis aux Libyens. Effectivement, les rapports sont évidentsentre les représentations pariétales des haouanet etl'eschatologiee du monde punique. Seulement, notre connaissancede l’eschatologie punique elle-même est relative. Quelle est lapart de la composante autochtone ? Dans quelle mesure elle estinfluencée par les puniques ? Quelle perception le Libyenavait-il de ces symboles44? Voila des questions aux quelles onne peut encore répondre. Par ailleurs, nous sommes certains queles haouanet renferment des éléments d’influence punique. Nouspensons aux chambres multiples parmi d’autres élémentsarchitecturaux qui reflètent une influence punique45. A l’îled’al Ghdamsi existent des tombes, actuellement au dessous duniveau de la mer tout près du rivage, l’un d’eux ressemble auxtombeaux phéniciens d’Utique46. Seulement, la portée des ces39 M. Longerstay, ibid., p. 3384.40 M. Longerstay, "Haouanet", dans E. Lipinski, op. cit., p. 211. 41) Ibidem. 42 M. Dubuisson-E. Lipinski, "Numidie", dans E. Lipinski, op. cit., p.317. 43 M. H. Fantar, op. cit., p. 355-356. 44 M. Longerstay, op. cit., p. 3383.45 Ibid., p. 3362-3363. 46 M. S. Sayadi, op. cit., p. 71.

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éléments ne doit pas être exagérée. Nous ne devons pas oublierd’autres vérités. Nous sommes certains que « Carthage au moinsjusqu’au sixième siècle n’a pas de territoire, qu’elle n’estencore qu’une tête sans corps, sans liens bien perceptiblesavec le monde libyen en marge duquel elle vit, tout en luipayant tribut »47. Donc, si influence il y eu elle ne devaitpas être antérieure à cette date. Mieux encore, l’absence deshaouanet aux alentours d’Utique et de Carthage semble exclureune origine punique et plaide en faveur d’une pratique numideau sein d’une population en contact avec le monde punique48

mais non seulement. D’abord, ces monuments funéraires recèlentdes traces d’une grande authenticité africaine que lesrecherches futures pourraient mieux mettre en valeur. A titred’exemple, nous remarquons assez souvent dans les haouanet uneassociation des représentations des mausolées et des coqs. Eneffet, le coq marque l’originalité africaine du décor des cesmonuments49. D’autre part, les haouanet semblent être la traced’une influence méditerranéenne sur l’Afrique50. La carte derépartition des haouanet en Afrique du Nord permet d’avancercette hypothèse. En effet, celle-ci reflète une concentrationcôtière ce qui a fait naître chez les spécialistes le terme« pays des haouanet». En effet, on remarque une absence quasitotale de ces monuments en Afrique de l’Ouest ce qui n’est passans nous interpeller51. Cette répartition des haouanet est àmettre sans conteste avec des influences liées à laMéditerranée. Une ressemblance effective entre les haouanet etles hypogées de Sicile orientale de Pantelleria et de Cassibileest admise. Les monuments siciliens appartiennent à l’âge dubronze. Cette donnée pourrait elle s’appliquer à la date des

47 S. Lancel, "Carthage et les échanges culturels en Méditerranée",dans A. Ben Abed-J. J. Aillagon, op. cit., p. 24.48 M. Longerstay, op. cit., p. 211.49 M. Longerstay, op. cit., p. 3383. 50 L’Afrique et les Africains au sein de la Méditerranée est unequestion très importante que la recherche n’a jusque là abordée quede façon superficielle si non ponctuelle. Les grandes civilisationsqui ont touché ce continent ont souvent fait l’ombre aux Africains.Désormais, cette question mérite un travail de synthèse au moins etmême une réflexion pluridisciplinaire à grande échelle de la part dela communauté scientifique. Les jalons de cette œuvre sont déjàposés et la synthèse s’avère de plus en plus pressante. 51 M. Longerstay, op. cit., p. 3362.

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haouanet d’Afrique du Nord dont la majorité est de chronologieinconnue ?52. Même si cette donnée est à ne pas négliger, il nefaut pas l’affirmer sans précaution. Pour la ville de Monastir,l’influence de la Sicile semble certaine. Le lieu dit Skanes àMonastir est en rapport avec les Sicanes de Sicile.L’appellation Skanes et à rapprocher des Sicanes habitants dela Sicanie ancien nom de la Sicile53. Les Shekelesh seraient lesancêtres des Sikèles qui ont donné leur nom à la Sicile. Cettepeuplade avait constitué une des branches essentielles de ceque les spécialistes nomment les peuples de la mer qui ont sévien Méditerranée entre le treizième et le douzième siècles avantJ.-C.54. Ceux qui se sont penchés sur l’étude du décor pariétald’un hanout situé au lieu dit de Kef el Blida près de AïnDraham au Nord de la Tunisie illustrant une scène navale lefont remonter à la fin du deuxième millénaire avant J.-C., mêmesi le mystère de cette « fresque de l’art rupestre » est encoreentier de part sa datation et son iconographie55. Le décor deshaouanet en général semble être le résultat d’une osmose descultures méditerranéennes de la fin du deuxième millénaire56.Les haouanet recèlent aussi des traces d’une influence étrusqueet sarde dans leurs décors. On pense par exemple au décorétrusque de Tarquinia57 (figure 16).

Les haouanet dénotent aussi d’une influence de l’Orientméditerranéen aussi bien par leur architectonie que par ledécor architectural ou pariétal qu’ils comportent. Les grottesde l’île d’al Hammam 58 semblent avoir une grande ressemblanceavec les tombes semi-souterraines à coupole en Crète59. Lesétudes ont mis l’accent sur la ressemblance des thèmesdécoratifs des haouanet avec ceux des cultures

52 M. Longerstay, op. cit., p. 3369. 53 M. S. Sayadi, op. cit., p. 34. 54 G. Bunnens, "Peuples de la mer", dans E. Lipinski, op. cit., p. 347-348. 55 M. Longerstay, op. cit., p. 3386. 56 Ibid., p. 3377.57 Ibid., p. 3382. 58 Selon l'opinion de Sayadi, ces grottes sont trop vastes pour nereprésenter que des tombes souterraines elles étaient probablementun lieu à caractère sacré. Voir plus haut la note 2. 59 J. L. Godivier-M. S. Couvercelle-M. M. Gribenski, AtlasD’architecture mondiale, p. 148-149 et figure.

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méditerranéennes60. Bon nombre d’éléments de la scène peinte deKef el Blida permettent d’établir un rapprochement avecl’Orient méditerranéen tel que la hache bipenne et lebouclier61. Les haouanet contiennent des décors peints en formedes frises de postes qui évoquent les vagues (hanout Ben Yasla)et de gros poissons (hanout Jbel Mangoub)62. De tellesreprésentations peuvent facilement être mises en rapport avecune culture maritime par exemple égéenne. En effet, nous sommesenclin à penser que le décor des haouanet est en rapport avecune ambiance méditerranéenne d’époque archaïque plusprécisément égéenne et crétoise en se fondant sur certainsscènes ou certains éléments des scènes décoratives comme parexemple les protomés de taureau et les danseurs avec desbovidés63. Ces représentations ont vraisemblablement un rapportavec les scènes tauromachiques du palais de Cnossos64 (figure17). Par ailleurs, les décors sculptés et gravés de taureauxdans les haouanet ont ils un rapport avec les bucranes deChypre ? Cette question n’est pas épuisée loin de là puisqueles haouanet comportent également des influences égyptiennesévidentes. Pour ne citer qu’un exemple le thème de la barquefunéraire reflète une influence égyptienne65. L’influence del’Egypte semble ininterrompue en Afrique depuis des temps trèsanciens. Du temps de Carthage aussi l’Egypte se taille la partdu lion dans cette présence massive de l’Orient dont témoignela moisson des amulettes et des scarabées trouvés dans lestombes66. Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que les haouanetaussi bien dans leur structure que dans leur décor témoignentd’une origine méditerranéenne. Ils semblent être le fruit d’uneosmose du bassin méditerranéen dans l’antiquité dont le débutse situerait à la fin du deuxième millénaire sans discontinuer.Ils appartiennent à une koiné méditerranéenne dont faisaientpartie les artisans du monde libyque67. Prenons le cas desmausolées d’Afrique du Nord qui remontent à l’époquehellénistique. Ils sont un mélange d’éléments autochtones ainsi

60 M. Longerstay, ibid., p. 3383.61 Ibid., p. 3372.62 Ibid., p. 3378-3379 et figures. 63 Ibid., p. 3369 et 3381. 64 Ibid., p. 3373. 65 J. Ferron, "Eschatologie", dans E. Lipinski, op. cit., p. 156-157.66 S. Lancel, op. cit., p. 27.67 M. Longerstay, op. cit., p. 3382.

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que d’éléments puniques et grecques68. Les haouanet aussiétaient un mélange subtil d’influences aussi multiples quevariées. Dans cette synthèse, les Libyens n’étaient pas deserviles imitateurs mais ont fait preuve d’une personnalité quiest la leur. C’est ce qui a permis à ceux qui se sont penchésur des questions similaires d’époque tardive par rapport àl’élaboration des premières hypogées troglodytes qui nouspréoccupent dans ce cadre d’affirmer que « l’hellénisme numideest numide »69 c’est à dire qu’il est le produit del’élaboration par des Maghrébins d’un véritable hellénismenumide70.

Passons à analyser les composantes maritimes de l’île d’alGhdamsi à savoir les mouillages et le balneum. Commençons parattirer l’attention sur la difficulté de l’étude des vestigesdes installations portuaires. Ces vestiges sont souventimmergés suite aux variations géologiques du littoral parrapport au niveau de la mer ce qui rend leur étude trèsdélicate sur le plan technique et financier. S’ajoute à celaque l’archéologie insulaire et sous marine n’est qu’à cesdébuts71. D’autre part, les interprétations sont souventdélicates puisque rares sont les installations portuaires quiont échappé aux remaniements postérieurs72. Dans le domaine desétudes maritimes, nous souffrons d’un paradoxe éclatant, malgrél’ouverture de l’Afrique du Nord sur la mer et l’influence desgrandes cultures maritimes dont surtout celle des Phéniciens etdes Romains, l’Afrique du Nord connaît un retard effarant desétudes dans ce créneau. Ceci eu pour conséquence, l’absenced’une étude d’ensemble des installations maritimes ce qui n’estpas sans poser d’avantage de difficultés à celui qui se lancedans l’analyse des données pareilles. Qu’ils aient eu ou non unrapport avec l’installation funéraire de l’île d’al Ghdamsi ouavec une construction à caractère cultuel ou défensif, lestrois mouillages et le balneum sont intéressants à étudier. Ilsméritent même une étude plus approfondie qui dépasse ce carde.En effet, toutes les îles côtières de Monastir sont pourvues de

68 J. Debergh-E. Lipinski, "Mausolée", dans E. Lipinski, op. cit., p.282-283. 69 Y. Thébert, op. cit., p. 197. 70 Ibid., p. 199. 71 H. Forst, op. cit., p. 357. 72 Ibidem.

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mouillages et de balneum de caractéristiques similaires. Ilserait intéressant de leur consacrer un travail à part. Commepour les haouanet cependant, nous disposons de données trèsinfimes pour étudier les mouillages et le balneum situés surl’île d’al Ghdamsi. Si le balneum n’a livré que des tessons decéramique d’époque médiévale, les mouillages très ouverts surla mer donc soumis aux courants et à l’action des vagues sontpeu aptes à nous livrer aucun type de mobilier capable de nouspermettre de les dater. De plus, des mouillages a destinationnon commerciale comme il semble être le cas ici ont une faiblechance de nous livrer de la céramique. Selon M. H.Fantar : « jusqu’à la veille de la diaspora phénicienne, laMéditerranée occidentale était plutôt dans l’ombre"73. Sayadi,qui a consacré une monographie à Monastir, s’est permis deconsidérer comme carthaginois les vestiges des établissementsde bains situés sur l’île d’al Ghdamsi74. Les raisons de cetteopinion nous échappent. Par ailleurs, les trois mouillages quifont l’objet de notre étude, sont du type aménagé à l’intérieurdes terres profitant des criques naturelles rocheuses situéessur des côtes aussi bien rocheuses que sablonneuses. Lesinstallations maritimes de ce type sont qualifiées de cothon.C’est un terme grec voulant dire taillé et par la mêmeartificiel par opposition aux aménagements portuairesnaturels75. La construction de ports de ce type ne remonte pasau delà du cinquième siècle avant J.-C. aussi bien dans lemonde grec que carthaginois76. Les exemples les plus célèbressouvent cités sont le port de Phalasarna en Crète situé àl’extrémité Nord-Ouest de l’île et celui de Carthage. D’autresports du même modèle posent encore de sérieux problèmes dont ladatation constitue le volet le plus important. Le port deMahdia par exemple qu’on soupçonne fort d’appartenir à ce mêmetype est encore sans chronologie précise. La dernière étude quilui était consacrée le signale comme remontant à l’époquepunique77. Des comparaisons minutieuses avec d’autres exemples73 M. H. Fantar, op. cit., p. 355. 74 M. S. Sayadi, op. cit., p. 38. 75 J. Debergh-E. Lipinski, op. cit., p. 121. 76 P. Cintas, "Le port de Carthage", Extrait du Manuel d’ArchéologiePunique, Tome II, Paris 1973, p. 34-37. 77 A. Younes, "Le portus antiquus gummitanicus, mise à jour à partir denouveaux documents archéologiques", dans M. Hassen(directeur), Byzacium antique et Sahil médiéval, urbanisme etoccupation du sol, Tunis 2005, p. p. 26-29.

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pourraient être bénéfiques tels que celui du port de Milet enGrèce qui est lui aussi à l’intérieur d’une crique naturelle78.La datation de ces mouillages ne peut se faire avec précisiondans l’état actuel de la documentation disponible.

Qu’en est-il du balneum ? Cet établissement n’est pas le seul àMonastir, les autres îles en renferment d’autres qu’il estintéressant d’étudier à l’avenir. La documentation disponible àce sujet pose problème. Nous pensons que le dossier relatif àces installations maritimes mérite d’être instruit d’avantage.Ainsi, il reste ouvert en vu d’un enrichissement futur. Il nefaut pas oublier de signaler que les rapports des Numides avecla mer méritent d’être reconsidérés. Il est admis que lasuzeraineté des rois numides s’étendait sur des cités côtières.Par exemple en deux cent cinq avant J.-C. la ville de Sigaétait sous la coupe de Syphax roi des Massaessyles et lesvilles de Thapsus et de Rusicade étaient aux mains de Gaia roides Massyles79. La présence numide sur la côte plusparticulièrement au sahel est beaucoup plus importante qu’onl’a jusqu’ ici souligné. Nous sommes enclins de penser que mêmesi ces monuments peuvent remonter à l’époque punique, ils sepourrait bien qu'ils ne soient pas forcément l’œuvre directedes Carthaginois mais plutôt celle des Libyens qui ont adhéré àla culture méditerranéenne de l’époque dont Carthage étaitl’une des composantes.

En conclusion, nous pouvons dire que les vestiges de l’île d’alGhdamsi n’ont pas encore livré tous leurs secrets. L’étagementdes haouanet est un phénomène sans doute plus fréquent qu’on lepense dont ces vestiges sont le témoignage précieux mais quin’est lui même qu’un fossile. La possibilité du lien entre lesdifférentes composantes de cette île est fort possible même sidans l’état actuel de nos connaissances peu d’indices nouspermettent d’affirmer ce rapport avec certitude. Sans doute, defutures études de terrain et des recherches documentaires plusvastes sont aptes à renforcer cette hypothèse. Au demeurant,deux problèmes se posent au sujet des monuments d’al Ghdamsi, lepremier est celui de la datation. Le deuxième est celui de laplace qu’avaient eu les Libyens au sein de la culture78 J. L. Godivier-M. Sénéchal-Couvercelle-M. Meslé-Gribenski, op.cit., p. 166 et figure. 79 M. Dubuisson-E. Lipinski, op. cit., p. 317.

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méditerranéenne. Si certains haouanet remontent avec certitudeau temps de la présence carthaginoise ou romaine, bon nombred’indices autorisent une chronologie plus haute qui remonteraità l’aube du premier millénaire si non plus loin ainsi que desinfluences dont l’origine se situerait en Méditerranéeorientale que seules certains éléments épars permettentd’échafauder pour l’instant. En effet, aussi bien les haouanetque les cothons sont la trace de l’adhésion de l’Afrique dansles courants d’échanges techniques et culturels en Méditerranéedepuis la préhistoire. Ainsi, l’Afrique n’était ni ladécouverte de Carthage ni sa chasse gardée. Nous devonsadmettre, avec une résignation provisoire, qu’aussi bien notreméconnaissance de la culture numide80 que l’interpénétrationdes Libyques et des Puniques ne nous permettent pas pourl’instant de trancher bon nombre de questions. Par ailleurs,rien que pour les îles côtières de Monastir, beaucoup detravail reste à faire puisque ces îles comportent d’autresmouillages et d’autres bains marins méconnus que nous n’avonspu que citer hâtivement dans le cadre limité de ce travail dontl'étude globale serait fort instructive. A travers de telsindices, il serait intéressant de pouvoir évaluer à sa justevaleur la part de la contribution des Africains dans laconstruction de cet héritage commun que constitue laMéditerranée.

80 M. Dubuisson-E. Lipinski, op. cit., p. 317.

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Figure 15. La scène navale de Kef el-Blida (près de Aïn-Draham)

Figure 16. Le Décor pariétal de la tombe étrusque de Tarquinia

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Figure 17. La scène tauromachique du palais de Cnossos