UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR FACULTE DES SCIENCES
JURIDIQUES ET ECONOMIQUES
LA SUCCESSION DU CHEF DETAT EN DROIT CONSTITUTIONNEL
AFRICAIN(Analyse juridique et impact politique)
THESE POUR LE DOCTORAT DETAT EN DROITPrsente et soutenue
publiquement le 29 juin 1991 par
El Hadj MBODJ JURYPrsident : Suffragants : M. Bakary TRAOREMatre
de confrences, Directeur de lInstitut des droits de lhomme et de la
paix de lU.C.A.D
M. Ibrahima FALLProfesseur agrg des facults de droit, ancien
Doyen, ancien Ministre
M. Crawford YOUNGProfesseur de science politique lUniversit de
MadisonWisconsin
M. Moustapha SOURANGMatre de confrences agrg de droit public,
Doyen de la facult des Sciences juridiques et Economiques
M. Babacar KANTEMatre de confrences agrg de droit public,
Directeur de lU.E.R. de droit de lUniversit de Saint-Louis.
1
.
L'Universit Cheikh Anta Diop de Dakar n'entend donner aucune
approbation ou improbation aux opinions mises dans les thses; ces
opinions doivent tre considres comme propres leurs auteurs.
2
LISTE DES ABREVIATIONS.
Afr. Aff Afr. Report Annal. Afr. Anne Afr. A.Asie A.C. A. News
A.S.S. Afr. Today B.A.N. D. G.A.J.A. J.A. J.A.S. J.M.A.S. M.T.
N.E.A. N.E.D. No. Pen. Pol. Afr. P.(ou) pp. Pp et s. R.A.D.S.P.
R.C.A.D.I.
African Affairs Africa Reports Annales Africaines Anne Africaine
Afrique-Asie Africa Confidential Africa News Africa South of
Sahara, Africa Today Bulletin de l'Afrique Noire Dalloz Grands
Arrts de la Jurisprudence Administrative Jeune Afrique Journal of
African Studies Journal of Modern African Studies Marchs Tropicaux
Nouvelles Editions Africaines Notes et Etudes Documentaires Numro
Penant Politique Africaine Page (ou) pages Pages et suivantes Revue
Africaine de Droit et de Science Politique Recueil des Cours de
l'Acadmie de Droit International
3
R.D.P. R.F.E.P.A. R.F.S. R.F.S.P. R.I.D.C. R.I.P.A.S. R.J.P.E.M.
R.J.P.I.C. R.T.D. T.W.Q Vol.
Revue de droit public et de science politique Revue Franaise
d'Etudes Politiques Africaines Revue Franaise de Sociologie Revue
Franaise de Science Politique Revue Internationale de Droit compar
Revue des Institutions Politiques et Administratives du Sngal Revue
Juridique Politique et Economique du Maroc Revue Juridique et
Politique Indpendance et Coopration Revue Tunisienne de Droit Third
World Quaterly Volume
4
INTRODUCTION
La succession relve a priori d'une hrsie constitutionnelle.
Ramene au procd par lequel le pouvoir politique change d'agents
d'exercice, la succession trouve sa prdilection dans
l'institutionnalisation qui est considre comme la phase la plus
acheve de l'organisation du pouvoir. De fait, la permanence du
pouvoir est garantie par l'existence de normes abstraites procdant
sa dvolution et son exercice. Le pouvoir se dtache de ceux qui,
chargs de sa mise en uvre, sont physiquement phmres (1). C'est pour
ces raisons que les constitutions prvoient des techniques
permettant de garantir la continuit du pouvoir. Parler alors d'une
succession de gouvernants s'inscrit contre-courant de l'volution du
pouvoir. En droit, la succession invoque l'ide de transfert de
biens d'un d-cujus ses hritiers. L'tymologique de la notion vient
du latin "successio" signifiant le " fait de venir la place ou la
suite de...". "Le Robert" la dfinit comme la transmission du
patrimoine laiss par une personne dcde (l'auteur) une ou plusieurs
personnes vivantes. Cette dfinition repose sur l'ide de transfert
d'un patrimoine laiss vacant par un d-cujus ses hritiers (2). "Le
Robert" tend la notion de succession sa dimension politique. Il la
dfinit comme le fait de succder, c'est--dire de venir aprs
quelqu'un, "et, spcialement, d'obtenir le pouvoir d'un prdcesseur;
la transmission du pouvoir politique selon des rgles". Il donne les
exemples de "la succession d'un roi, d'un dictateur", exemples qui
ne sont toutefois pas tendus aux rgimes rpublicains (3). Toutefois,
cette notion est impropre en droit constitutionnel. Elle heurte
sensiblement la conscience du constitutionnaliste pour qui, depuis
le 16me sicle, priode laquelle remonte l'institutionnalisation du
pouvoir, la relgation au muse des citations, de la clbre formule
"L'Etat, c'est Moi!" constitue un processus irrversible de
dpatrimonialisation du pouvoir.
1
Burdeau insiste sur "le caractre volontaire et, en quelque
sorte, artificiel" que revt l'institutionnalisation. Pour lui,
l'institutionnalisation a pour "objet de crer artificiellement un
lien juridique entre une institution qui incorpore l'ide de droit
et l'homme qui est le chef en vertu du statut organique de cette
institution." Cf. Burdeau (G.), Trait de Science Politique, 3.d.,
T.1, Vo.2, Paris, L.G.D.J., 1980, p.120. 2 "Le Robert",
Dictionnaire de la langue franaise, vol.9, p.3. 3 Voir " Le
Robert", ibid, Vol 9, p.3. 1
Devenu un bien commun, le pouvoir ne saurait faire l'objet d'une
appropriation prive (4). La succession voque ainsi la proprit. Elle
est inconciliable avec l'institutionnalisation du pouvoir.
Toutefois, il se dgage de la littrature juridique et politique
contemporaine un usage courant de la notion de succession. Au del
de la place qui lui est rserve par cette littrature, il convient de
s'atteler montrer la mesure avec laquelle cette notion a fait
l'objet d'une acculturation juridique et politique dans les rgimes
africains. L'ide de succession s'intgre dans la perspective d'un
transfert du pouvoir entre deux leaders ayant de profondes affinits
politiques. Ayant la mme vision du pouvoir, l'accession du
remplaant est gnralement facilite par le prdcesseur, proccup par la
continuit d'une politique qu'il a dfinie, mais dont il n'est plus
en mesure d'assurer sa ralisation en raison d'une limitation
juridique ou physique de ses comptences ratione temporis. C'est le
cas lorsque le mandat du titulaire de charges politiques est limit
dans le temps ou qu'il renonce, volontairement ou involontairement,
ses attributions. Le recours la notion de succession est encore
plus pertinent lorsquil s'agit du transfert d'un pouvoir
personnalis par un leader charismatique, autoritaire ou btisseur de
rgime. Une simple transmission du pouvoir ne suffit pas. Elle doit
s'accompagner d'un transfert de lgitimit au profit de la personne
choisie pour incarner la continuit du pouvoir. Or la lgitimit est
une condition de stabilisation du pouvoir politique. L'opration
juridique ncessite ce complment sociologique indispensable pour
garantir le transfert harmonieux du pouvoir. Cette double dimension
de la succession apparat de manire vidente mme dans les rgimes
considrs comme les berceaux de la dmocratie librale. En France, par
exemple, les spculations sur la survie de la V Rpublique son
fondateur, le gnral de Gaulle, refltaient une proccupation
constante des analystes jusqu'en 1969, anne au cours de laquelle le
gnral de Gaulle dmissionna de la prsidence. Suite une "guerre de
succession" larve au sein des prtendants et pralable la disparition
mme du fondateur de la V Rpublique (5), Pompidou, l'"homme fort
4
Cadart crit fort justement ce propos que le pouvoir " est une
institution existant en dehors et au-dessus de son titulaire du
moment: il obit des rgles de dvolution stables et suprieures ceux
qui l'exercent temporairement." Cf.Cadart (Jacques), Institutions
politiques et droit constitutionnel, T 1, 2 d., Paris, L.G.D.J.,
1979, p.13. Cf Schwartzenberg (Roger-Grard), La guerre de
succession: Les lections prsidentielles de 1969; Paris, PUF, 1970,
292 p. 2
5
du rgime" (6) se vit confier la mission de veiller la continuit
du rgime gaullien. Son prdcesseur lui avait confectionn le manteau
de dauphin en lui demandant de se tenir prt " accomplir toute
mission et assurer tout mandat qui pourraient (lui) tre un jour
confis" (7). Son accession la magistrature suprme devait se
traduire par un changement qualitatif de la nature du rgime de la V
Rpublique, car elle "dpouille le rgime de sa parure historique pour
lui faire revtir sa robe dmocratique" (8). Ainsi, l'usage intensif
de la notion de succession participe d'une banalisation de sa
signification tymologique. La littrature juridique et politique
anglo-saxone a particulirement contribu cette valorisation en
raison du volume des tudes gnrales (9) et sectorielles (10)
consacres la succession. Inversement, les publications en franais
sont souvent limites des tudes sectorielles qui ne font pas
ressortir l'intrt que prsente une tude globale de la succession
(11). Cette situation s'explique par le fait qu'aux Etats-Unis
l'tude du pouvoir politique intresse une varit de chercheurs venant
de plusieurs disciplines complmentaires en ralit: le droit, la
science politique, l'histoire, la sociologie et l'anthropologie;
contrairement l'cole franaise o l'tude du pouvoir politique avait
longtemps fait l'objet d'une appropriation intellectuelle des6
-
-
Decaumont (Franoise), La prsidence de Georges Pompidou: Essai
sur le rgime prsidentialiste franais, Paris, Economica, 1979, p.11.
7 Voir le texte de la rponse du Gnral de Gaulle la lettre de
dmission qui lui avait t adresse par Georges Pompidou figurant en
annexe de l'ouvrage de Franoise Decaumont: La prsidence de Georges
Pompidou...; op.cit.; p. 281. 8 Franoise Decaumont, La prsidence de
Georges Pompidou...; op.cit.; p. 15. 9 Voir par exemple: Burling
(Robbins), The Passage of Power: Studies in Political Succession;
New York, New York Academic Press; 1974. Calvert (Peter) The
Process of Political Succession; London, Mc Millan Press, 1987. Le
Vine (Victor T.), The Politics of Presidential Succession; Africa
Reports, Vol.28, No.3, 1983, pp.22-26. Voir galement "Political
Succession in the Third World", Third World Quaterly (n special),
Vol.1, Janvier 1988. 10 Voir entre autres: Hayward (Fred), La
succession politique au Sierra Leone: 1985-1986 ; Anne Africaine
1985-1986, Paris, 1988, pp.121-145. Karimi (Joseph) et Ochieng
(Philip), The Kenyatta Succession, Nairobi, Transafrica, 1980. Katz
(Stephen), The Succession to Power and the Power of succession:
Nyayoism in Kenya; Journal of African Studies, Vol 12, No.3, 1985,
pp.156 et s. " Kenya after Kenyatta", Africa Today, (nspcial )
Vol.26, No 3, 1979. Todd (Michael), Tanzania after Nyerere,
London-New York, Printer Publishers, 1988. 11 Voir par exemple:
Burdeau (G), La succession du Gnral de Gaulle: rgime prsidentiel ou
rgime parlementaire? , Revue politique et parlementaire, Mai 1969,
pp.23 et s. Shwartzenberg (R.G.), La guerre de succession: Les
lections prsidentielles de 1969; Paris, P.U.F., 1969, 292 p.; Ptot
(J.), La V Rpublique et la continuit du pouvoir sous de Gaulle et
Pompidou (1968-1974) , R.D.P. 1974, pp.1649-1701.Martin (D.) &
Dauch (G), L'hritage politique de Kenyatta: la transition 3
constitutionnalistes principalement, et des historiens
accessoirement. A cet effet, la succession ne trouve sa place que
dans les chapitres du droit constitutionnel relatifs au choix des
gouvernants. Ce choix trouve son expression travers la dynamique du
pouvoir de suffrage ou par le jeu des mcanismes prvus cet effet par
la constitution. Ce classicisme juridique ne met cependant pas en
lumire les dessous du jeu politique que la rgle de droit ne peut
saisir. La constitution, ainsi que le souligne Seurin, "occulte le
jeu rel" (12). Les mcanismes qu'elle prvoit, peuvent tre dtourns de
leurs fonctions manifestes au profit de leurs fonctions latentes
(13). Cette manipulation de la rgle juridique permet aux
gouvernants de faire prvaloir leur volont sous le couvert du droit
(14). Ce constat apparat travers la succession du chef d'Etat
africain. Les mcanismes successoraux sont souvent banaliss dans les
constitutions des rgimes africains alors que la succession est
considre comme un vritable " test de la stabilit " des rgimes en
dveloppement (15). Une certaine pathologie, illustre par les
distorsions apportes aux techniques traditionnelles de transfert du
pouvoir, semble frapper l'institution successorale dans les rgimes
africains. La circonscription des termes de notre rflexion permet
alors de mettre en lumire l'anomalie qui frappe l'institution
successorale dans les rgimes africains. I: La dfinition du sujet La
technique successorale avait t opportunment adopte au dbut des
annes 1980 par des chefs d'Etats proccups par la survie des rgimes
qu'ils avaient btis. L'optique stratgique de la succession apparat
en filigrane derrire le juridicisme apparent de l'opration de
transfert dupolitique au Kenya 1975-1982, Paris, L'Harmattan, 1985.
Cf. Seurin (Jean-Louis), Des fonctions politiques des
constitutions. Pour une thorie politique des constitutions , in Le
constitutionnalisme aujourd'hui , (Textes runis et prsents par
Jean-Louis Seurin), Paris, Economica, 1984, p.45. 13 Sur cette
distinction entre fonctions manifestes et fonctions latentes; voir
Robert King Merton, Elments de thorie et de mthode sociologique,
tr. 2.dit.,1965. Pour l'auteur, les fonctions manifestes sont les
fonctions comprises et voulues; autrement dit, celles dont "les
consquen-ces objectives qui, contribuant l'ajustement ou
l'adaptation du systme, sont comprises et voulues par les
participants du systme. Les fonctions latentes sont,
corrlativement, celles qui ne sont ni comprises ni voulues
(R.K.Merton, op.cit., pp.128 et s.). Ainsi les fonctions latentes
comportent les mmes consquences que les fonctions manifestes mais,
la diffrence de celles-ci, sont involontaires et inconscientes dans
la mesure o elles ne sont ni perues ni recherches par les membres
de la socit. 14 Gonidec parle cet gard d'"un imprialisme naturel du
pouvoir". Celui-ci est "habile camoufler les violations de la
constitutions et mme faire croire que ces violations ne sont que
l'application de la constitution." Cf. Gonidec (P.F.), Les droits
africains: Evolution et sources; 2.d., Paris, L.G.D.J., 1976,
p.105. 15 Cf. Tarmakin, The Roots of Political Stability in Kenya;
African Affairs, Vol 77, No.308, July 1978,12
4
pouvoir. En effet, la succession se pose avec acuit dans le
contexte particulier des Etats africains dans la mesure o la notion
de "chef" influence les rgles de transmission du pouvoir en Afrique
(16). La dfinition de la notion de succession met en relief l'intrt
de son tude dans les rgimes africains. A: La notion de succession
La succession est une notion multidimensionnelle. Elle traduit des
ralits juridiques et politiques fort diffrentes. On trouve cette
notion aussi bien dans le droit priv que dans le droit public. Dans
le cadre du droit public la succession trouve traditionnellement
une place privilgie dans le droit international et, de plus en
plus, dans le droit constitutionnel. Dans cette dernire discipline,
elle peut se confondre avec des notions voisines qui, tout en
portant sur le processus de transfert du pouvoir, recouvrent des
situations juridiques fort diffrentes. 1: Une notion polysmique. La
succession voque l'ide de transfert du pouvoir d'expression de la
volont nationale entre ses diffrents agents d'exercice. Ce
transfert peut intervenir titre initial au moment de la mise en
place d'un Etat ou titre driv dans le cadre mme d'une entit tatique
dj en place. Toutes ces hypothses font intervenir la notion de
succession. Seulement, la succession peut porter sur les rapports
inter-tatiques ou intervenir dans le cadre du phnomne tatique. A
ces deux situations correspondent la succession d'Etats et la
succession de rgimes. a: La succession d'Etats. Dans une
perspective large, la succession peut se poser dans le cadre des
rapports entre deux ou plusieurs entits tatiques. C'est tout le
probme de la succession d'Etats (17). Celle-ci peut tre la
rsultante d'une scission d'un ancien Etat, unitaire ou compos, en
deux ou plusieurs Etats (18).p.319. Kodjo (Edem), in "La dmocratie
est-elle possible en Afrique"; J.A. Plus, No.3, Novembre-Dcembre
1989, p.16. 17 Sur cette question, voir Fouilloux (G.), La
succession aux biens publics franais dans les Etats nouveaux
d'Afrique , A.F.D.I.1965, pp.885 et s. Zemanek (K.), State
Succession after Decolonization, R.C.A.D.I. 1965, T.116, pp.245 et
s. Thiam (C.T.), La convention de Vienne sur la succession d'Etats
en matire de biens, archives et dettes d'Etat , Annal. Afr.,
1983-1984-1985, pp.283-304. Prlot (M.) et Boulouis (J.),
Institutions politiques et droit constitutionnel, 9.d. Paris,
Dalloz, 1984, p.193; 18 L'Etat unitaire du Pakistan avait donn
naissance en 1971 deux Etats unitaires distincts : Le Pakistan
et16
-
5
Elle peut aussi tre la consquence de l'accession d'anciens
territoires sous domination coloniale la souverainet
internationale. Ce fut le cas des Etats africains aux lendemains
des indpendances o de nouvelles entits tatiques taient nes des
cendres des anciennes colonies. Enfin, elle peut tre engendre par
la prise du pouvoir de l'Etat par un autre Etat la suite d'une
guerre entre Etats. La succession d'Etats repose sur l'ide d'un
transfert de pouvoir. Toutefois, le transfert se produit uniquement
entre les personnes publiques tatiques. La personnalit juridique
internationale confre au nouvel Etat lui permet ainsi, non
seulement d'organiser son pouvoir interne, mais surtout de succder
aux engagements internationaux antrieurement conclus pour son
compte. La succession d'Etats s'oppose ainsi la succession
constitutionnelle qui se produit au sein de l'entit tatique et qui
met l'accent sur la transmission du pouvoir entre les personnes
physiques habilites se prononcer au nom et pour le compte de la
puissance publique tatique. Sur le plan acadmique, la succession
d'Etats trouve sa prdilection en droit international qui lui
consacre de substantiels dveloppements alors que la succession des
gouvernants constitue une proccupation des constitutionnalistes et
des politologues. b: La succession de rgimes. La succession
s'effectue ici dans le cadre d'une entit tatique dj existante. Elle
correspond alors la succession de rgimes. Cette forme de succession
intervient lorsque le rgime politique (19) a t remplac violemment
(coup d'Etat, rvolution etc.) ou pacifiquemment (20). Le nouveau
rgime se veut antagoniste au rgime antrieur. La succession de
rgimes dpasse le changement de personnes physiques pour affecter
profondment la philosophie mme du
le Bengladesh. De mme les Etats d'Autriche et de Hongrie sont ns
des cendres de l'empire Austrohongrois qui s'tait dsintegr la fin
de la premire guerre mondiale. 19 Burdeau dfinit le rgime politique
comme "l'ensemble des rgles, recettes ou pratiques selon
lesquelles, dans un pays donn, les hommes sont gouverns." Sur le
plan mthodologique, Burdeau fait remarquer que le rgime, en tant
que modalit d'exercice du pouvoir, voit son tude ressortir du
"droit constitutionnel pur". Mais, ajoute-t-il, "si l'on considre
que le droit constitutionnel est la discipline qui rgit les
techniques de commandement, c'est--dire, dans une socit police, les
techniques d'laboration du droit positif, on est immdiatement
conduit constater que le mcanisme n'a de sens que par le rle qu'on
entend lui faire jouer". D'o le recours la ralit politique qui
"agit sur la substance, l'volution et la puissance de l'ide de
droit". Cf. Burdeau (G.), Trait de Science Politique, 3.d., T.V,
Les rgimes politiques, Paris, L.G.D.J., 1985, p.24. 20 Un rgime
peut se rformer par volution coutumire ou par l'action du pouvoir
constituant driv. La rvision peut, tout en respectant la rgularit
formelle, se traduire pars une vritable rvolution larve. Cette
situation correspond ce que Liet-Veaux appelle "la fraude la
constitution". Cf.Liet-Veaux (G.), Essai d'une thorie juridique des
rvolutions, Paris, Sirey, 1942. 6
pouvoir au sein de l'Etat. Dans cette forme de succession, il
est constat une mutation des rgles d'tablissement et de
fonctionnement du pouvoir. Au-del du problme de lgitimit qu'elle
implique, la succession de rgimes donne souvent naissance des
rgimes de fait qui n'attirent pas l'attention du juriste qui se
prccupe de la stabilisation du droit. C'est pour ces raisons qu'il
convient d'carterons du champ d'application de l'tude les coups
d'Etat, en dpit du constat que "les relves ont t plus frquentes par
coups d'Etat, rvolutions, que par transfert de pouvoir pacifique"
(21). Abstraction faite de la littrature abondante consacre ce
phnomne (22) la fois ancien (23) et rcent (24), la stabilisation
d'un rgime s'oppose l'usage des procds violents de dvolution du
pouvoir. Dans les rgimes non encore intgrs, l'existence de procds
constitutionnels et lgitimes garantissant une succession rgulire
des gouvernants contribue la rduction de l'instabilit politique.
Certes, le coup d'Etat peut ne pas avoir pour objectif la
destruction mais la dfense du rgime tabli. Seulement sa finalit,
savoir l'abrogation de l'ordre constitutionnel antrieur, l'carte du
champ d'tude de la succession constitutionnelle (25). Ce changement
pacifique (26) de titulaires de rles politiques auCf. Conac (G.),
Portrait du chef d'Etat ; in "Les pouvoirs africains", Pouvoirs
No.25, 1983, p.123. Voir cet gard Yannopoulos (T.) et Martin (D.);
Rgimes militaires et classes sociales en Afrique noirs , R.F.S.P.
1972, pp.847 et s. 23 Le premier coup d'Etat retenu dans l'histoire
politique de l'Afrique sub-saharienne eut lieu sous l'empire du
Mali. Il fut l'oeuvre d'un esclave de la famille royale, Sakoura,
qui proccup par la survie du systme confront une lutte
successorale, prit le pouvoir pour rtablir l'ordre (1285-1300). Cf.
Cornevin (Robert), Histoire des peuples de l'Afrique noire, Paris,
Berger-Levrault, 1962, p.248 ; Niane (D.T.), Recherches sur
l'empire du Mali au Moyen Age ; Recherches Africaines, 1960, No.1,
JanMars, pp.17-36; 1961, No.1, Janv-Mars, pp.31-51. Ce coup d'Etat
avait pour objet, non pas la destruction du rgime en place, mais sa
conservation. 24 Le premier coup d'Etat de l'Afrique noire
post-coloniale remonte en 1963. Sa paternalit est attribue Eyadema
du Togo. 25 Sur la juridicit des rvolutions, la doctrine est
quivoque. Certains auteurs estiment que la rvolution est "
anti-juridique" dans la mesure o elle se traduit par l'abrogation
de facto de la constitution qui servait de base au rgime renvers.
Cf.Debbasch (Charles), Pontier (Jean-Marie), Bourdon (Jacques),
Ricci (Jean-Claude); Droit constitutionnel et institutions
politiques, 2 d., Paris, Economica, 1986, p.103.. Ces auteurs
s'opposent ainsi un autre courant doctrinal dveloppant une thorie
juridique ou une lgitimit de la rvolution. Burdeau dfinit
juridiquement la rvolution comme "la substitution d'une ide de
droit une autre en tant que principe directeur de l'activit
sociale." Cf. Burdeau (G.), Trait de Science Politique, 3.d., T.V,
Le Statut du pouvoir dans l'Etat; Paris, L.G.D.J. 1984, p.552.
Duverger montre de son cot que la rvolution en dpit de "son
illgalit", peut tre lgitime si le gouvernement de fait qui en est
issu, se conforme au principe du droit naturel. Cf. Duverger (M.),
Contribution l'tude des gouvernements de fait , R.D.P. 1945, p.77.
26 La dichotomie entre procds violents et procds pacifiques de
dvolution ou de transmission du pouvoir ne rend pas compte de la
dmarche mthodologique adopte dans cette tude. En effet, l'accent
est mis sur l'opposition entre les successions contitutionnellement
prvues et organises et les successions extra-constitutionnelles. La
succession extra-constitutionnelle suppose gnralement le recours la
violence, il peut arriver des cas o cette forme de succession soit
plus pacifique que certaines successions constitutionnelles. C'est
ainsi que la IV Rpublique franaise a t pacifiquement dtruite en
application de ses propres rgles22 21
7
sein d'un rgime lgitim par son environnement est une tape
apprciable dans le processus devant aboutir au dveloppement
politique. Or en Afrique, la doctrine est relativement unanime
quant aux limites de la rgle juridique qui doit toujours tre
analyse par rapport son contexte socio-culturel. Une dfinition
juridicopolitique de la succession s'avre ds lors ncessaire pour
mieux rendre saisir de l'intrt de la succession constitutionnelle
dans les rgimes africains. 2: Une notion circonscrite. Seul le sens
restreint de la succession permet de cerner la signification
profonde de la notion. C'est cette conception qui sera retenue dans
le cadre de cette tude. A cet gard, nous dfinirons la succession
comme le procd par lequel la continuit du pouvoir est assure dans
le cadre dfini par les rgles d'organisation du rgime en vigueur.
Cette dfinition appelle de notre part quelques observations. Au
sens restreint, la succession intervient dans le cadre d'un
ordonnancement constitutionnel encadrant les phnomnes politiques
caractristiques d'une socit donne un moment de son volution. Il ne
s'agit pas d'une succession de rgimes mais d'une succession des
gouvernants au sein d'une infrastructure constitutionnelle et
politique donne. Son champ d'application exclut alors le transfert
du pouvoir opr en dehors des rgles juridiques et politiques
d'organisation du pouvoir. Ce pralable pos, il faut ensuite
distinguer la succession de certaines techniques de transfert du
pouvoir politique au sein d'un rgime donn. a: La succession et la
dvolution du pouvoir. La dvolution revt une signification double.
Elle peut se dfinir comme une transmission d'un bien ou d'un
pouvoir d'une personne une autre. Elle pose alors des problmes
relatifs auconstitutionnelles. Un tel procd de rvision correspond
ce que Burdeau appelle "la fraude la constitution" qui se manifeste
par "un changement dans les formes constitutionnelles mais sans
aucune solution de continuit ne s'introduise en la forme entre le
texte ancien et le rgime nouveau par lequel s'extriorise la russite
de l'opration". Cf. Burdeau (G.), Trait de Science Politique, 3.d.,
TIV, Le Statut du pouvoir dans l'Etat , op.cit.p. Inversement la
succession de Bourguiba s'est droule en parfaite conformit avec les
stipulations de l'article 57 de la constitution tunisienne. La
procdure de constatation de l'empchement dfinitif avait t
formellement respecte. Il reste que cette succession ne s'tait pas
opre pacifiquement. On a pu parler cet gard d'un "coup de force,
puisque M.Bourguiba n'tait pas d'accord". Cf.l'ambassadeur de 8
processus de transfert du pouvoir. Dans un autre sens elle
signifie l'attribution ou l'exercice d'une comptence (27). La
dvolution concerne alors l'exercice d'un pouvoir et non les
conditions de sa transmission. A cet gard, la premire
signification, au demeurant la plus commune dans la littrature
juridico-politique, est adopte dans le cadre de cette rflexion. La
dvolution est une forme de succession car le pouvoir fait l'objet
d'un transfert d'un gouvernant un autre. Toutefois, ce passage peut
emprunter plusieurs formes. Elle peut tre violente ou pacifique,
rglemente ou diffuse, populaire ou institutionnelle. La dvolution
est alors plus large que la succession. Si on ramne l'analyse au
changement organis dans le cadre d'un rgime, la dvolution s'oppose
la succession quant la dtermination du moment et aux circonstances
mmes dans lesquels intervient le transfert du pouvoir. La dvolution
intervient titre principal au moment des lections en vue de la
dsignation de nouveaux gouvernants alors que la succession
s'effectue gnralement dans le cadre d'un pouvoir pralablement
dvolu. Elle peut intervenir avec ou sans la participation des
gouverns au choix du successeur (28). Toutefois, dans certains
rgimes, ces deux notions se recoupent juridiquement tout en se
sparant politiquement. C'est notamment le cas o le pouvoir
prsidentiel doit toujours faire l'objet d'une dvolution. Sous
l'angle des principes, la succession ne se pose pas car il n'est
pas question de dsigner un remplaant pour achever un mandat qui,
par nature, est unique et indivisible. Seulement, en tant
qu'opration politique, la succession peut faire l'objet d'une
ratification juridique (29).France, Jean Bressot, cit dans J.A.,
No.1402 du 18/11/1987, p.28. C'est ainsi par exemple que l'on parle
de dvolution du pouvoir excutif au seul prsident de la Rpublique
dans un rgime prsidentiel. 28 Les exemples tirs de la succession la
tte du pouvoir excutif aux Etats-Unis d'Amrique ou dans les rgimes
parlementaires majoritaires permettent de mieux circonscrire les
contours de la succession. Aux Etats-Unis le pouvoir excutif fait
l'objet d'une dvolution quadriennale tandis que la succession
intervient en cours d'un mandat dj confi un prsident lu. En cas de
vacance de la prsidence de la rpublique, le Vice-prsident prend en
charge les pouvoirs du Prsident de la Rpublique et ce, jusqu' la
fin de la priode restant courir du mandat de son prdcesseur. Dans
un mme sens dans les rgimes parlementaires majoritaires, le pouvoir
d'Etat est confi pour toute la dure de la lgislature la formation
victorieuse la chambre lue du parlement. Le chef de l'excutif
exerce un leadership incontest sur l'Assemble lue travers la
majorit parlementaire dont il est le vritable chef. En cas de
vacance prmature la tte de l'excutif, il n'est pas ncessaire de
recourir l'arbitrage du peuple pour la dsignation de celui qui est
appel prendre en charge la continuit du programme politique
pralablement adopt par le corps lectoral. A partir du moment o le
pouvoir avait fait l'objet d'une dvolution lectorale, le
remplacement du chef de l'excutif devra tre organis au sein du
parti (ou des partis) composant la majorit parlementaire. 29 C'est
ainsi que, pour ne prendre que l'exemple de la succession du Gnral
de Gaulle, Pompidou avait bnfici d'une dvolution du pouvoir
prsidentiel car il tait lu pour un mandat distinct de celui de son
prdcesseur. Toutefois, il n'en demeurait pas moins que Pompidou
tait l'hritier, le dauphin politique du Gnral de Gaulle et qu'il
avait t lu en tant que tel. Si dans ce domaine, il y'avait une
dvolution27
9
b: La succession et l'alternance. L'alternance est un changement
du personnel dirigeant qui n'affecte pas l'infrastructure juridique
ou politique du rgime. Elle est souvent confondue avec la
succession en raison de leur objet et de l'encadrement du
changement. Cette confusion apparaissait dans le dernier message la
nation du prsident Senghor. Celui-ci devait procder une
assimilation entre l'alternance et la succession dans la mesure o
ces deux notions ne s'excluent pas, la succession tant une certaine
forme d'alternance. Cette dernire pouvait se manifester soit par
"l'alternance des partis exprime par des lections libres" ou
"l'alternance au sein du mme parti exprime par la monte des jeunes"
(30). Les deux notions recouvrent cependant des significations
diffrentes. L'alternance est une condition de la dmocratie
pluraliste (31). La dmocratie repose en effet sur le pluralisme des
valeurs, des comportements et dsirs et s'efforce de concilier
empiriquement les antagonismes sociaux travers l'expression du
pouvoir de suffrage. Dans cette perspective elle admet la
comptition institutionnalise en vue de la conqute et l'exercice du
pouvoir. Cette comptition est inconcevable sans l'existence d'une
opposition qui est reconnue la possibilit de conqurir et d'exercer
lgalement le pouvoir gouvernemental. En dfinitive elle repose sur
l'alternance (32) qui est considre comme une succession priodique
des gouvernants en conformit avec la volont du peuple exprime par
les lections (33). L'alternance relve duconstitutionnelle du
pouvoir prsidentiel, sur le plan politique cette dvolution cache
une succession dans la mesure o Pompidou tait appel veiller la
continuit des valeurs constitutionnelles et politiques qui sont le
fondement du rgime gaullien qui devait survivre son fondateur.
Prlot et Boulouis notent cet effet: " En succdant au fondateur de
la V Rpublique, G.Pompidou recueillait, de manire d'ailleurs
prvisible, un hritage institutionnel qu'il avait largement contribu
crer. Premier ministre de 1962 1968, il avait assum cette charge la
consolidation du rgime et en avait tir, aussi bien subi, toutes les
consquences." Cf. Prlot (M.) et Boulouis (J.); Institutions
politiques et droit constitutionnel, op.cit., p.632. 30 Cf.Message
la nation du 31/12/1980; R.I.P.A.S, No.1, Avril-Juin 1981, p.15. 31
Burdeau considre cet gard l'alternance comme "la consquence d'une
exigence rationnelle inhrente au concept mme de dmocratie." Cf.
Burdeau (G.), Trait de Science Politique, 3.d., T.V, Les rgimes
politiques , op.cit., p.563. 32 Sur l'alternance, voir entre
autres: L'alternance , Revue "Pouvoirs", n1, Paris, P.U.F., 1.d.
1977, 2 d.1981; Seurin (J.L.), Pour une analyse conflictuelle du
rapport majorit opposition en dmocratie pluraliste , in " La
Dmocratie Pluraliste", textes runis et prsents par Seurin (J.L.),
Paris, Economica, 1981, pp.102-137. Mnouni (Abdeltif), L'alternance
et la continuit de la politique de l'Etat. Cas des Etats-Unis, de
la Grande Bretagne et de la France ; R.F.S.P., Vol.36, No.1, Fvrier
1986, pp.93 et s. Lebreton (Gilles), Les alternances sous la V
Rpublique , R.D.P. 1989, pp.1061-1094. 33 L'alternance ne saurait
tre mcanique et se traduire par une succession balance ou cadence
entre les forces politiques luttant en vue de la conqute du
pouvoir. Il n'existe pas, pour reprendre Seurin "un droit
l'alternance ", car " l'alternance est une possibilit
constitutionnelle, ce qui fonctionnellement donne l'opposition la
chance d'exercer le contrle du processus de dcision; elle est une
de ses modalits, puisque rien n'interdit thoriquement qu'un mme
parti donne satisfaction aux demandes 10
-
-
domaine de la dvolution du pouvoir l'intrieur d'un rgime
constitutionnel donn. Elle est le rsultat de l'arbitrage opr par
l'opinion publique entre les diffrentes forces impliques dans la
conqute du pouvoir par la voie lectorale. L'alternance est une
forme de succession mais elle relve plus la dvolution que la
transmission du pouvoir. De surcrot, elle est inconcevable dans un
rgime monopartisan alors que la succession pourrait tre une
technique de conservation d'un rgime d'essence no-patrimoniale. La
succession, sous l'angle constitutionnel et politique, met l'accent
sur le transfert ordonn du pouvoir de l'Etat. Coakey la considre
comme "un transfert pacifique du pouvoir effectu d'une portion de
l'lite une autre ou, dpendant des circonstances de matires et de
dfinitions, d'une lite une autre, l'intrieur d'une structure de
rgles autoritaires tablies " (34). La succession, au sens troit,
concerne la circulation des lites beaucoup plus que la succession
des rgimes constitutionnels. Elle vise la conservation du rgime et
non sa destruction. Sa finalit est d'assurer la continuit, sinon la
perptuation de l'ordre constitutionnel en vigueur. Dans la
succession, l'accent est mis sur le changement physique la tte de
l'Etat et la conformit de ce changement aux rgles d'organisation du
pouvoir de l'Etat. B: Le Chef dEtat africain La succession ne
prsente d'intrt que par rapport son objet: le chef d'Etat africain.
La dtermination du titulaire de la fonction au sein de laquelle
s'opre le transfert d'une comptence donne est importante. En effet,
la dysfonctionnalit des rgles successorales s'explique par la place
rserve au chef dans le fonctionnement des rgimes africains. Une
institution est insparable de la personnalit de celui qui en assume
la charge. Elle peut la faonner son image. Il en est ainsi de
l'institution prsidentielle dans les rgimes africains. Celle-ci se
trouve au-dessus de toutes les autres institutions tatiques en
raison de l'exploitation par son titulaire du "mythe du chef"
contribuant la cration de "l'idologie du Pre fondateur"
d'une majorit." Cf.Seurin (J.L.), Pour une analyse conflictuelle
du rapport majorit opposition en dmocratie pluraliste , op.cit.,
p.124. Cette perception de l'alternance est corrobore par l'exem-
ple de la Sude o le parti socialiste tait rest prs d'un demi-sicle
(44 ans) au pouvoir sans que le systme dmocratique en soit affect.
L'alternance ne saurait tre " impose ou ngocie". Elle peut tre
rgulire ou irrgulire et inconstante. 34 Coakey (John), Political
Succession During The Transition to Independance: Evidence from
Europe; in Peter Calvert, The Process of Political Succession, Mac
Millan Press, 1987, p.59 et s. 11
(35). Cette preminence du chef a amen la doctrine rduire le
rgime au dtenteur exclusif du pouvoir suprme. 1: Un monocrate ? La
distinction classique entre chef d'Etat et chef de l'excutif n'a
pas pu s'acclimater au contexte politique africain (36).
Particularit du rgime parlementaire, elle a disparu avec l'chec du
rgime parlementaire en Afrique (37). Dans ce modle, le pouvoir rel
est entre les mains d'un chef du gouvernement responsable devant le
parlement et le pouvoir symbolique confi un chef d'Etat. L'chec du
parlementarisme se rpercute sur la structure du pouvoir excutif
africain. Le chef de l'excutif symbolise l'Etat travers les
attributions traditionnelles du chef d'Etat et exere le pouvoir rel
localis au sein de l'excutif dont il assure la direction. L'attrait
du modle des Etats-Unis d'Amrique apparait ainsi dans la
structuration institutionnelle des rgimes en place. Ceux-ci
confrent au Chef de l'Etat un leadership incontest sur le pouvoir
excutif qui est monocphal par nature dans un rgime prsidentiel. Le
chef d'Etat est entendu en Afrique au sens de Prsident de la
Rpublique. L'hritage prcolonial des chefs traditionnels, et
colonial du chef blanc (38), ainsi que le prestige qui s'y attache,
expliquent la prfrence accorde au titre de chef d'Etat. Ceci est
tellement vident que mme dans les rgimes marxistes o le pouvoir est
incarn par un parti unique, le secrtaire gnral du parti s'approprie
galement du manteau de chef d'Etat qui est plus majestueux surtout
dans les relations internationales.35 36
Gll (Maurice A.), Cultures, religions et idologies , Pouvoirs
No.25, 1983, p.47. Le chef de l'Etat peut concentrer entre ses
mains toutes les attributions tatiques: prsident de la Rpublique,
chef de l'excutif, chef du gouvernement. Toutefois l'volution
contemporaine des rgimes africains montre une dissociation des
fonctions de prsident de la Rpublique et de celles de chef du
gouvernement, ces dernires tant souvent confies un Premier
ministre. Toutefois cette distinction est sans effet sur la
structure du pouvoir excutif dans la mesure o c'est le chef d'Etat
(et non le chef du gouvernement) qui est toujours le chef du
pouvoir excutif. 37 L'Ile Maurice constitue actuellement la seule
exception en Afrique. Ce pays ne s'est pas dparti du "modle de
Westminster", hrit de la colonisation. Sur l'chec du rgime
parlementaire en Afrique, voir: -Mbouendeu (Jean-de-Dieu), La brve
et malheureuse exprience du rgime parlementaire par les Etats
africains: raisons de l'adoption et cause de l'chec , R.J.P.I.C.,
1979, No.4, pp.451-465. -Mengue Me Engouang (Fidle),
Parlementarisme et monopartisme en Afrique noire francophone ,
Penant, No.790-791, Janvier-Juillet 1986, pp.129-140. 38 Voir
Coquery-Vidrovitch (Cathrine), A propos des racines historiques du
pouvoir: "Chefferie" et "Tribalisme" , Pouvoirs No 25, op.cit.,
pp.51-62. 12
2: Un dmiurge? La doctrine constitutionnelle et politique
africaniste rduit la perception du pouvoir et de son organisation
au seul Chef d'Etat (39). Cette vision peut se prsenter comme le
rsultat de l'articulation des rgles relatives l'exercice du pouvoir
autour du Chef d'Etat africain (40) qui reste l'objet d'une
curiosit intellectuelle des africanistes qui centrent en dfinitive
tout le pouvoir africain sur sa seule personne. Toutes les
qualifications ont t proposes pour le situer par rapport son
systme: "btisseur", "rdempteur", "fondateur", "pre de la nation",
"librateur", etc. La personnalisation du pouvoir et la lgitimit
charismatique, qui sont des phnomnes gnraux des systmes politiques
contemporains, sont particulirement mises en avant dans l'analyse
de ce qui constitue une particularit des rgimes africains (41). En
outre, tenter d'adapter des donnes institutionnelles ou politiques
permanentes au "contexte spcifique" africain procde d'une vision
xotique du pouvoir africain qu'on s'entte ne jamais considrer comme
un pouvoir sur lequel s'appliquent des paramtres politiques
universels. Ainsi, la thse de " la politique du ventre " de Bayart
(42) rduit la reprsentation du pouvoir politique africain sa plus
simple expression savoir la satisfaction des intrts matriels des
gouvernants. Illustrant sa thse de nombreux adages africains (43),
l'auteur dgage un certain nombre de traits caractristiques de " la
politique du ventre", expression qu'il a emprunte aux camerounais.
Elle est apprcie par rapport aux " situations de pnurie alimentaire
qui continuent de prvaloir en Afrique " o ajoute-il, " se nourrir
reste frquemment un problme, une difficult, une inquitude." En
dehors des " envies et des pratiques" alimentaires, l'auteur ajoute
la politique du " marivaudage "et " de manire suspecte ",
prcise-t-il, "la localisation des forces de l'invisible
Analysant le Prsident de la II Rpublique du Dabomey
(actuellement le Benin), le Professeur Gll devait crire:"... la
constitution a concentr tous les pouvoirs aux mains d'un seul
homme. Le pouvoir se rduit au Prsident de la rpublique, le
gouvernement se ramne au Prsident de la rpublique; les ministres ne
sont que les commis du Prsident qui a tous les pouvoirs sur eux et
qui dcide. C'est un vritable prsidentialisme, une dictature
constitutionnelle. C'est une chefferie, de style nouveau, qui
reprsente une synthse des traditions africaines et des institutions
d'inspiration europenne, franaise et amricaine" Cf.Gll (Maurice
A.), Naissance d'un Etat noir: L'volution politique et
constitutionnelle du Dahomey de la colonisation nos jours, Paris,
L.G.D.J.,1969, p.220 40 Certaines constitutions font exprssement du
chef de l'Etat "le dtenteur exclusif du pouvoir excutif" (Article
12 de la Constitution ivoirienne). 41 Voir par exemple: - Tixier
((G.), La personnalisation du pouvoir dans les Etats d'Afrique de
l'Ouest, R.D.P. 1966, pp.11291150. - Jackson (Robert H.) and
Rosberg (Carl G.), Personal Rule in Black Africa: Prince, Autocrat,
Prophet, Tyrant; Berkeley, University of California Press, 1982. 42
Bayart (Jean-Francois), L'Etat en Afrique, Paris, Fayard, 1989,
439p. 43 Par exemple " Les chvres broutent l o elles sont
attaches", Bayart (J.F.), L'Etat en Afrique; op.cit., p.288. 13
39
dont la matrise est indispensable la conqute et l'exercice du
pouvoir" (44). Cette "politique du ventre" qui prsente une
dimension la fois institutionnelle et sociale nous semble tre une
illustration caricaturale et une vision unilinaire du politique
dans le paysage social africain. En fait, cette " politique du
ventre ", y regarder de prs, est une donne permanente et
universelle de toutes les socits politiques. La politique dfinie
comme " l'allocation autoritaire des ressources politiques" (Dahl)
permet tout dtenteur de pouvoir de bnficier personnellement de
"prbendes "(45) et de pouvoir offrir ces prbendes son rseau de
clients politiques. Ces diffrentes raisons justifient l'intrt
relatif que les africanistes accordent la succession pacifique du
pouvoir prsidentiel dans les rgimes africains. La succession
constitutionnelle y est souvent considre comme une " exception " la
rgle ou, pour reprendre une formule de Hayward " une sorte
d'anomalie " (46). Toutefois il faut se garder de gnralisation
abusive ou tomber dans le pige de la rsignation. Les procds
violents de prise du pouvoir qui ont eu cours dans l'histoire de
l'Afrique pourraient tre perus comme de simples tapes dans la
recherche d'un modle politique adquat (47). Au demeurant,
l'observation de la politique africaine montre une regression des
coups d'Etat au cours de la troisime dcennie des indpendances (48).
II: La problmatique de la succession: une anomalie ? La prise du
pouvoir prsidentiel par des moyens extra- constitutionnels se
prsente priori comme le procd de droit commun de succession en
Afrique. Cette anomalie est cultive par la stature du leader
remplacer, l'absence de rgles lgitimes de succession ou
l'ineffectivit des mcanismes successoraux. En fait, c'est la
philosophie mme du chef qui empche l'panouissement de l'institution
successorale.
44 45
Bayart (J.F.), L'Etat en Afrique, op.cit., p.12. Joseph (Richard
A.), Democracy and Prebendal Politics in Nigeria. The Rise and Fall
of the Second Republic, Cambridge, Cambridge University Press,
1987. 46 Hayward (F.), La succession politique au Sierra Leone;
op.cit., p.121. 47 P.F.Gonidec soutient fort justement: "...tous
les Etats africains vivent encore une priode de transition. Il en
rsulte que l'observateur ne peroit pas des formes acheves, mais des
bauches de ce que pourraient tre un jour les rgimes politiques
africains." Cf.Gonidec (P.F.), Esquisse d'une typologie des rgimes
politiques africains , Pouvoirs, No.25, op.cit., p.64. 48 Ainsi
l'anne 1988 fut la plus pacifique que l'Afrique ait jamais connue
depuis 1962. En effet, elle s'tait acheve sans coup d'Etat ni mme
de succession pacifique. Cette absence de succession marque-t-elle
une lassitude des militaires ou bien une nouvelle vision de la
conception relative la dvolution du pouvoir? Il est encore prmatur
de tirer des conclusions gnrales surtout un moment o le continent
est atteint par le vent dmocratique de la fin de la dcennie
1980-1990. 14
Ainsi que le fait remarquer Kodjo, "le chef (africain) est l et
il entend demeurer. Il accde au pouvoir, le consolide, et s'y
maintient jusqu' sa mort" (49). De son vivant, le problme de sa
succession est renvoy aux calendes grecques. A la limite, constitue
mme "une offense criminelle", le fait d'inventer, ou de vouloir la
mort ou la dposition du Prsident" (50). Mme la rumeur de sa
succession provoque une " une sorte d'hystrie massive dont est
sujette la population entire en cas de succession d'un leader
charismatique " (51). La cause de cette hystrie rsiderait dans le
fait que la seule sensation de la scurit politique et de la
stabilit des gouverns vient de leur support enthousiaste au leader
charismatique. Cette mme proccupation apparait dans l'ditorial du
quotidien " Le Soleil" la suite de l'annonce du retrait de Senghor
du pouvoir. L'ditorialiste devait affermir cette perception
apocalyptique de la succession du chef d'Etat africain (52). En
fait, les ractions populaires sont exagres car dans certains pays
des "pres de nation" ont t victimes de coups d'Etat (53) alors que
d'autres pays ont totalement banalis, travers les rptitions
frquentes, les procds extra-constitutionnels de transfert du
pouvoir. L'anomalie qui frappe le droit successoral des rgimes
africains trouve son fondement dans l'ineffectivit et le caractre
factice de la lgitimit des mcanismes successoraux adopts. A:
Lineffectivit des mcanismes successoraux Il s'agit des procds
techniques organisant les conditions dans lesquelle s'opre le
transfert du pouvoir prsidentiel. Ces mcanismes sont souvent prvus
et amnags par les chartes constitutionnelles ou les statuts des
partis. Dans la pratique, les rgles successorales apparaissent
comme de simples clauses de style. Leur mise en application n'est
pas souhaite du vivant du Chef qui prfre mourir au pouvoir, s'il
n'est pas forc l'abandonner. En consquence les mcanismes
successoraux sont libells en termes trs gnraux faisant planer des
incertitudes sur la survie du rgime en cas de disparition du
chef49
50
51
52
53
Kodjo (E.), in La Dmocratie est-elle possible en Afrique? ,
J.A.Plus, No.3, Novembre-Dcembre 1989, pp.16-17. Menace adresse aux
responsables du mouvement pour le changement de la constitution par
Charles Njonjo, in Africa Contemporary Record, 1976/7, p.B 219.
Sylla (Lancin), Succession of the Charismatic Leader: The Gordian
Knot of African Politics; Daedalus, 1982, p.16 Dans le"Soleil" des
31/12/80 et 1/01/ 81, Bara DIOUF crivait: "Pourquoi avoir choisi ce
moment, ce jour pour rompre les amarres et prendre le large vers
d'autres horizons, pourquoi nous avoir si habilement installs dans
l'insouciance et la scurit s'il devait y avoir rupture." Il en est
ainsi de Nkrumah au Ghana en 1966 et Yamogo en Haute Volta,
actuellement Burkina Faso en 15
en place. Dans d'autres rgimes, les rgles successorales sont
mises en veilleuse au moment mme de l'avnement des circonstances
qui justifient son existence (54). Les exemples montrant
l'ineffectivit du mcanisme successoral sont nombreux. La succession
constitutionnelle n'arrive pas s'acclimater dans les rgimes
africains. Ce constat vaut galement dans les rgimes o la rgle
successorale a pu remplir la fonction pour laquelle elle a t cre.
En effet, l galement, l'observation montre que cette rgle est
souvent manipule par un chef voulant assurer tout prix sa
succession. De fait, les rgles successorales sont en rgle gnrale
cres ou supprimes au gr des chefs en place. L'institution
successorale devient alors une institution circonstancielle, la
limite une institution sclrate, appele rsoudre des proccupations
ponctuelles des gouvernants en place. Au demeurant, le syncrtisme
des modles successoraux renforce la dpendance du mcanisme de la
volont de celui qui dtient le pouvoir suprme. Dfiant toute cohrence
structurelle, les mcanismes successoraux chappent aisment aux
exigences rigoureuses de l'analyse rationnelle. Complexe dans
certains rgimes ou d'une banalit extrme dans d'autres,
l'institution successorale est amnage selon le bon vouloir du chef
en vue de secrter des incertitudes qui militent en faveur de son
maintien ou de lever les cueils sa succession par le choix d'un
successeur sur mesure. B: La lgitimit factice des mcanismes
successoraux L'institution successorale manque en consquence de
lgitimit. L'indiffrence de l'environnement aux luttes menes par les
dtenteurs du pouvoir peut expliquer le manque de rceptivit de
l'institution. En fait, celle-ci ne concerne que ses bnficaires
ventuels qui sont dans les rouages du rgime. La lgitimation lgale
de l'institution ne suffit pas, elle seule, pour garantir son
acceptation par l'environnement du rgime. Les circonstances
historiques et les variantes culturelles dterminent galement les
techniques et les stratgies successorales. Or en Afrique, il y'a
une part d'impondrable dans l'exercice du pouvoir politique. En
dpit de la suprmatie apparente du chef sur le rgime, il est vident
que celui-ci ne contrle pas tout. En outre la stratgie successorale
peut dpendre des circonstances dans lesquelles intervient le
transfert du pouvoir prsidentiel. En effet, la succession peut tre
la consquence de la disparition du chef d'Etat ou le fruit d'une
stratgie du chef en place pour transfrer le pouvoir un1966. Ainsi
dans l'ancienne Rpublique Populaire du Congo, les successions ont
toujours t arranges en marge du droit successoral en vigueur.
16
54
successeur de son choix. Appliquant la dmarche du "civiliste",il
est possible d'opposer la succession d'un hritier un d-cujus et la
succession entre vifs. Dans le premier cas, la vacance du pouvoir
prsidentiel tant indpendante de la volont de son dtenteur, la
succession s'effectue sans arbitrage venant d'en haut. La
transition est effectue la suite d'une guerre de succession entre
les prtendants, gnralement du vivant du chef. La guerre de
succession intervenant durant la vacance du pouvoir prsidentiel
affaiblit le rgime en le mettant la porte d'un coup d'Etat (55).
Enfin en cas de succession rsultant de la mort du chef d'Etat, le
successeur dispose d'une marge d'iniative plus grande. Cherchant
secrter une lgitimit distincte de celle du prdcesseur, il n'a pas
de compte rendre une quelconque tutelle. La succession peut
intervenir aussi entre vifs. Ici le prdcesseur s'assure gnralement
du succs de son opration. Sa prsence, visible ou invisible,
pourrait alors gner les initiatives du successeur. La recherche
d'une lgitimit propre pour ce dernier ne peut intervenir qu' la
suite d'un conflit ouvert entre lui et son prdcesseur (56). En
dfinitive, la transmission du pouvoir dans le cadre de
l'ordonnancement juridique en vigueur vise, non pas assurer la
continuit du pouvoir en gnral mais celle du rgime construit par le
Chef remplacer. Dans les rgimes africains, l'objectif recherch est
de "garantir la continuit, voire la prennit du rgime politique mis
en place par les fondateurs d'Etats" (57). III: La mthodologie
adopte L'tude de la succession du chef d'Etat africain soulve deux
difficuts majeures. La premire a trait la double dimension que revt
la succession dans les rgimes non encore stabiliss. La seconde
concerne la dtermination de la dmarche mthodologie adopte pour
rendre compte de la pathologie qui frappe l'institution
successorale dans les rgimes africains.
55
56
57
La prise du pouvoir par l'arme en Guine le 6 Avril 1984 montre
en effet que la classe gouvernante d'un pays s'auto-dtruit en se
tiraillant des moments o la cohsion est imprative. Contrairement au
cas kenyan o un groupe a accept la dfaite au nom du maintien du
systme en place, en Guine l'irrductibilit des clans avait sonn le
glas du rgime mis en place par Skou Tour. Une illustration des
limites de la cohabitation dans une socit o il est communment admis
" qu'il ne saurait y avoir deux caimans dans un mme marigot". Kamto
(Maurice), Le dauphin constitutionnel dans les rgimes politiques
africains (Les cas du Cameroun et du Sngal), Penant, 1983, p.258.
17
A: La double dimension de la succession La succession est
d'abord une donne technique. Il s'agit de voir, abstraction faite
de la philosophie du rgime, comment s'opre le remplacement d'un
titulaire d'une comptence par un autre. Seulement la technique
juridique n'est pas neutre dans la mesure o elle est arrte en
fonction des proccupations propres des protagonistes du jeu
politique. Cette double facette, juridique et sociologique, est
particulirement visible propos de la succession du chef d'Etat
africain. 1: La dimension juridique. La succession pose le problme
des "mcanismes travers lesquels un nouvel homme peut tre choisi
pour occuper le sommet du pouvoir dans sa socit" (58). Etant un
procd de transmission du pouvoir, se pose alors la question de la
nature et des modalits techniques successorales. Celles-ci dpendent
de la nature des rgimes et des proccupations des gouvernants. Le
rgime relve du domaine du construit, contrairement au systme qui
relve du vcu d'une socit (59). Chaque rgime dispose de rgles
fondant son originalit par rapport aux autres rgimes. En est-il
ainsi des mcanismes successoraux qui dpendent de la nature du
rgime. Aux rgimes dmocratiques correspondent des procds
dmocratiques de dvolution et de transmission du pouvoir et
inversement, aux rgimes non dmocratiques correspondent des procds
non dmocratiques. Or la frontire entre ce qui est dmocratique et ce
qui ne l'est pas est trs fluide. De plus, tudier la succession
partir de la nature des rgimes africains suppose un pralable qui
est la dtermination de la nature des rgimes africains. Il est admis
que les catgories classiques ne s'adaptent pas du tout l'Afrique
(60). En consquence, les techniques de succession adoptes en
Afrique s'cartent de celles en vigueur dans les dmocraties
classiques. En Afrique, l'efficacit de l'opration successorale
semble tre dterminante. L'adquation du modle successoral la nature
du rgime en cause est accessoire. Elle est difficile raliser mme
dans les dmocraties occidentales (61).58 59
Burling (R.), The passage of Power: Studies in Political
Succession, op.cit., p.1. Voir ce propos Duverger (M.),
Institutions politiques et droit constitutionnel, Tome 1; Paris,
P.U.F., 16 dition, 1980, p.27. 60 Gonidec (P.F.), Esquisse d'une
typologie des rgimes politiques africains , Pouvoirs No.25,
op.cit., p.61. 61 C'est ainsi qu'aux Etats-Unis,les leaders des
chambres du Congrs peuvent tre concerns par la 18
L'observation des pratiques successorales en Afrique montre une
varit de stratgies mises en oeuvre par les gouvernants. Le point
commun de ces stratgies est la tentation du chef en place
d'affaiblir l'institution successorale travers une certaine
priodisation du modle (62) ou un attisement constant des conflits
visant affaiblir tout dauphin ventuel (63). Cette situation peut,
thoriquement, tre analyse sous l'angle de la nature de l'Etat.
Celui-ci peut tre "un sige de principes organisationnels" ou "un
acteur autonome". L'Etat peut tre " un guide gnral l'action
publique (la perspective large) et un ensemble d'institutions
publiques allouant autoritairement des valeurs et s'efforcant
d'achever des buts systmiques (la perspective troite)" (64).
L'Etat, dans la perspective large, c'est--dire comme un sige de
principes organisationnels, est un Etat fortement dcentralis
notamment en ce qui concerne ses sources de lgitimit. Dans les
Etats multi-ethniques ou fortement rgionalistes, les rgles
d'organisation de l'Etat coexistent avec les rgles priphriques pour
concourir au fonctionnement et la stabilisation du pouvoir de
l'Etat. Dans ce cadre, le dbordement des rgles modernes
d'organisation et d'exercice du pouvoir, peut tre source de
difficults relatives la dtermination des principes ayant valeur de
lois de l'Etat en raison des rivalits inter-ethniques et surtout la
faible marge d'autonomie de l'Etat (65). Une telle conception du
fonctionnement de l'Etat garantit la prennit du chef en place.
Celui-ci est plus proccup, non pas par la rationalit des rgles,
mais par la permanence de son pouvoir. En clair, dans ces pays, ce
sont les chefs eux-mmes qui font planer le doute, l'incertitude sur
le devenir de la socit de manire apparatre toujours indispensables.
Lasuccession prsidentielle en cas de vacance simultane de la
prsidence et de la vice-prsidence. La Cte d'Ivoire offre l'exemple
d'une stratgie permanente de dstabilisation de l'institution
successorale. L'article 11 de la constitution ivoirienne fait
l'objet d'une remise en cause cyclique rendant impossible
l'acclimatation des mcanismes successoraux au contexte du rgime
ivoirien. 63 Inversement, en Tunisie si l'institution successorale
ait trs stable; il n'en tait pas de mme pour les dauphins. Le poste
de Premier Ministre semblait tre une trappe pour ses titulaires. 64
Rothchild (Donald), Social Incoherence and the Mediatory Role of
the State, in Arlinghaus (Bruce E.) African Security Issues:
Sovereignty, Stability, and Solidarity, Westview Press, Boulder,
Colorado, 1984, pp.99-125. 65 C'est pour ces raisons que Jomo
Kenyatta et Houphout Boigny d'Etat devaient profiter des ambigits
rsultant du fonctionnement de l'Etat, sige de principes
organisationnels, pour cultiver volontairement des incertitudes
relatives la continuit des rgimes qu'ils avaient btis. Au Kenya les
principes d'organisation du pouvoir dbordaient largement le cadre
de l'Etat dans la mesure o Kenyatta, un chef charismatique,
n'hsitait pas recourir aux rgles traditionnelles dans la
dtermination de ses rapports avec les autres organes de l'Etat ou
avec les gouverns. C'est ainsi qu'il devait par exemple
institutionnaliser le serment d'allgeance des autorits
gouvernementales ou traditionnelles. Cette pratique n'avait pas t
expressement prvue par la constitution. En Cte d'Ivoire galement la
source du pouvoir politique de l'Etat ne se rduit pas exclusivement
aux rgles poses par la constitution. Le Prsident Boigny, un chef
traditionnel Baoul, recourt souvent la62
19
stratgie adopte est alors de souffler les braises de la guerre
des prtendants et de jouir d'en-haut du tiraillement des
lieutnants. L'Etat, acteur autonome, se refre la perspective troite
de la nature de l'Etat considr comme "l'institutionnalisation" du
pouvoir politique (66). En Afrique, crit Rothchild, l'Etat, acteur
autonome, implique un ensemble de caractristiques relis entre eux:
la capacit pour l'action, une habilit accumuler le pouvoir, et une
perception de ses intrts comme distincts du reste de la socit (67).
Autrement dit, l'Etat repose sur des normes qui lui sont propres et
qui sont distinctes de celles de la socit civile. Cette thse de
l'Etat, acteur-autonome, peut tre aisment applique propos de la
succession du chef d'Etat africain, surtout dans les rares
situations o le chef d'Etat orchestre, de son vivant, de sa propre
succession. Il s'agit ds lors de montrer que dans certaines
circonstances, les gouvernants organisent des principes de
rationalisation de la transmission du pouvoir selon les rgles
secrtes par l'appareil d'Etat. Cette thse de l'Etat,
acteur-autonome, peut tre aisment applique propos des successions
de Senghor (68) et Ahidjo (69). Seulement mme dans les cas o le
chef d'Etat en fonction organise sa succession, il faut noter que
la succession n'est pas tout fait libre. Celle-ci fait intervenir
plusieurs paramtres et variables qui tiennent compte "des intrts du
chef d'Etat sortant, de ses supporters et de ses associs mais aussi
les ambitions des divers concurrents pour le pouvoir, des desseins
du dauphin officiel, et finalement les intrts du peuple. Les
objectifs de ces acteurs n'tant pas ncessairement compatibles, ce
qui favorise les uns handicape les autres" (70). A ct des
proccupations lies la nature des rgimes et des stratgies des
gouvernants, la succession intgre une autre donne, cette fois
sociologique, relative la faible lgitimation de l'opration
successorale.
coutume pour justifier sa philosophie notamment de la
succession. Rothchild (Donald), Social Incoherence and the
Mediatory Role of The State; op.cit., p.104. 67 Donald Rothchild :
Social Incoherence and the Mediatory Role of the State; op.cit;
p.105. 68 La succession de Senghor est un cas rvlateur de cette
situation. En effet, l'ancien prsident du Sngal n'avait pas cach
qu'il avait, pendant longtemps, prpar sa succession. Il s'agit l
d'une expression de l'Etat, acteur-autonome. En effet, pour prparer
sa succession, le prsident Senghor avait procd une restructuration
constitutionnelle et politique en exploitant la capacit
organisationnelle de l'appareil tatique. 69 Cette mme stratgie
avait t suivie par le prsident Ahidjo du Cameroun qui, travers les
rvisions constitutionnelles de 1975 et de 1979, avait cre les
principes d'organisation de sa propre succession. 70 Hayward (F.),
La succession politique au Sierra Leone , op.cit., pp
122-123.66
20
2: La dimension sociologique. La succession ne se rduit pas un
simple inventaire des rgles de transmission du pouvoir. Il faut, en
plus, garantir l'effectivit du processus successoral. Il faut une
acceptation de la rgle successorale et celle du successeur. Le
problme pos est relatif la lgitimit considre comme le fondement de
l'obissance des gouverns l'action des gouvernants. Il s'agit de la
dimension sociologique du pouvoir juridique des agents d'exercice
du pouvoir tatique, c'est-dire du consentement des citoyens au
pouvoir de ceux qui expriment la volont tatique (71). De surcrot,
c'est la lgitimit qui permet d'assurer la consolidation du pouvoir
des gouvernants. La perception de la lgitimit du pouvoir en Afrique
peut tre lucide la lumire de l'analyse de Max Weber sur les
diffrentes formes que peut revtir la lgitimit. Il distingue la
lgitimit lgale et rationnelle; la lgitimit traditionnelle et la
lgitimit charismatique (72). Cette thorie71
Est considr comme lgitime "le pouvoir qui est tabli et qui
fonctionne conformment l'ide que l'opinion se fait de la manire
dont il doit tre dtenu et exerc" Cf. Debbasch (C.), Pontier (J.M.),
Bourdon (J.), Ricci (J.C), Droit constitutionnel et institutions
politiques, op.cit., p.98. Pour ces auteurs, il faut interprter la
lgitimit comme une notion qui "dpasse le droit sans pouvoir tre
rejete hors du droit", p.98. C'est tout le problme de la
distinction entre la lgitimit formelle et la lgitimit matrielle qui
est pos. La premire forme de lgitimit est fonde sur le mode
d'tablissement d'un rgime. Est considr comme lgitime tout
gouvernement tabli conformment aux rgles constitutionnelles en
vigueur au moment de sa mise en place. Inversement, est illgitime
le gouvernement constitu en marge des rgles de la lgalit objective.
Ce critre procdural, qui assimile la lgitimit la lgalit, justifie
l'exclusion des coups d'Etat de la succession constitutionnelle des
gouvernants. La seconde forme de lgitimit correspond la lgitimit
matrielle qui s'apprcie par rapport aux principes dont se rclame le
pouvoir tabli. Seulement les consquences d'une telle conception de
la lgitimit sont peu dfendables dans la mesure o la cohrence est
apprcie in abstracto sans tenir en considration les circonstances
dans lesquelles le pouvoir a t dvolu ses agents d'expression. Dans
notre analyse, l'accent est mis sur la lgitimit formelle. Nous
sommes toutefois conscient des limites du droit formel. Pour cette
raison le recours la lgitimit matrielle est un paramtre utile pour
expliquer les problmes de rceptivit et d'effectivit de
l'institution successorale dans les rgimes africains. 72 Ces
diffrentes formes de lgitimit ont t analyses dans le clbre ouvrage
de Max Weber: Le savant et le politique, (intro. de R.Aron), Paris,
Plon, 1959, 232 p. Si la lgitimit traditionnelle repose sur les
coutumes ou usages qui s'enracinent dans un pass ancestral, la
lgitimit charismatique, elle, se caractrise par le dvouement des
sujets la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule
personne" en tant qu'elle se singularise par des qualits
prodigieuses, par l'hroisme ou par d'autres qualits exemplaires qui
en font le chef" ( Le savant et le politique, op.cit, p.102). La
lgitimit lgale-rationnelle, par contre, est celle qui s'impose en
vertu de "la lgalit", en vertu de la croyance en la validit d'un
statut lgal et d'une comptence fonde sur des rgles tablies
rationnellement. Cette forme de lgitimit correspond la lgitimit
formelle. (Le savant et le politique, op.cit, p.102). Pour des
dveloppements sur la thorie webrienne de la lgitimit, Voir: Weber
(M.), The Theory of Social and Economic Organization, translated by
A.M. Henderson and Talcott Parsons ed., with an introduction by
Talcott Parsons, London, The Free Press of Glencoe, 1947, 436 p.
Weber (M.), Economie et Socit, traduit de l'allemamd...; Paris,
Plon, 1971, 651 p. 21
de Max Weber s'avre particulirement opratoire pour l'analyse des
rgimes africains. En effet, ces trois formes de lgitimit se
retrouvent des degrs plus ou moins variables dans la perception et
l'amnagement du pouvoir politique en Afrique. L'application de la
typologie webrienne l'analyse des rgimes africains montre que les
lgitimits traditionnelle et charismatique sont plus perceptibles
que la lgitimit lgale et rationnelle. En effet, ces rgimes modernes
manquent souvent de lgitimit du fait qu'ils sont une cration
trangre. Ils sont construits autour d'un syncrtisme constitutionnel
combinant des modles emprunts aux anciennes puissances coloniales,
au rgime prsidentiel des Etats-Unis et celui parti unique de l'URSS
(73); sans aucune proccupation sur la rceptivit du modle par son
environnement. Ds lors, la lgitimit rsulte moins de normes
inadaptes que de la croyance la tradition et aux vertus d'un chef.
Les normes tatiques sont alors vhicules par des intermdiaires
politiques (chefs traditionnels, chefs religieux etc.) qui font
partie de ce qu'Althusser appelle " l'appareil idologique de
l'Etat" (74). Le charisme renforce galement l'adhsion des gouverns
des principes incarns dans la personne du chef. En effet,
l'attraction exerce par le chef sur la masse des gouverns, galvaude
de formules soigneusement cultives cherchant le diviniser, ramne le
fondement de l'autorit, non pas dans des procds lgaux qui, au
demeurant, dpendent de son bon vouloir, mais dans ses vertus
mythiques. Nanmoins, cette image du chef mythique devient de plus
en plus exceptionnelle avec la disparition des chefs historiques
(75). La nouvelle dimension introduire dans l'analyse est relative
la lgitimit internationale qui est indispensable la stabilit des
gouvernants africains. La persistance des intrts hrits de la
73
Voir ce propos l'analyse de Owona (Joseph), Le pouvoir Executif
, Encyclopdie juridique de l'Afrique, T.1, L'Etat,
Abidjan-Dakar-Lom, N.E.A., 1982, p.98 74 A ct de l'appareil
Rpressif d'Etat (A.R.E) que la thorie marxiste rduit gnralement au
gouvernement, l'administration, l'arme, la police etc., Athusser
ajoute les Appareils Idologiques d'Etat (A.I.E) qui "fonctionnent
l'idologie". Il s'agit essentiellement de l'glise, de l'cole, de la
famille, de la presse etc. Cf. Athusser (Louis), Idologie et
appareils idologiques d'Etat La Pense, No.151, Juin 1970, pp.338.
75 Le charisme est par essence un phnomne passager, transitoire qui
prpare soit un pouvoir traditionnel, soit un pouvoir
institutionnel. Schwartzenberg (R.G.) donne cet effet deux exemples
corroborant les deux dimensions finalistes de la lgitimit
charismatique. Le premier exemple de Bonaparte o le charisme cre
une nouvelle tradition en l'occurrence une dynastie et une
tradition dont se rclamera Napolon III. Le second exemple montre la
rationalisation du charisme crant des rgles impersonnelles, des
procdures institutionnalisant la dvolution et l'exercice du
pouvoir. C'est le cas du gnral de Gaulle faisant adopter la rforme
de l'lection prsidentielle au suffrage universel, c'est--dire la
procdure lgale "rationnelle", impersonnelle, de dsignation de son
successeur. 22
colonisation et l'exportation vers le continent africain des
conflits idologiques font de la succession du chef d'Etat africain
un problme qui n'est pas purement domestique. Cette variable
internationale apparat de plus en plus comme une donne interne car
elle peut quilibrer ou arbitrer dfinitivement le combat opposant
les protagonistes; chacun cherchant bnficier du soutien des
puissances trangres intresses par la succession. La lgitimit
internationale a un impact dans le choix des gouvernants africains
ct des autres formes de lgitimit dgages par Weber. Le succs de
l'opration successorale est dpendant d'une certaine bndiction de
l'environnement international. La recherche va ds lors s'articuler
autour de l'identification des techniques successorales permettant
d'atteindre l'objectif assign l'institution successorale. Il
s'agira de montrer que la continuit du rgime dpend de l'effectivit
des rgles de transmission du pouvoir prsidentiel. L'existence de
mcanismes successoraux lgitimes et mis en oeuvre conformment
l'ordonnancement constitutionnel garantit la survie de
l'infrastructure constitutionnelle et politique. Au del du simple
transfert du pouvoir prsidentiel, il s'agira de voir comment la
mise en oeuvre russie de l'opration successorale pourrait dboucher
sur une nouvelle philosophie des rapports entre gouvernants et
gouverns. En effet, le changement de dirigeants contribue la
consolidation de l'institutionnalisation du pouvoir travers
l'intriorisation dans les consciences collectives des gouvernants
et des gouverns de l'ide d'un pouvoir indpendant de la personne qui
l'exprime. L'existence d'un modle successoral lgitim par
l'environnement du rgime est la condition ncessaire et
indispensable permettant d'assurer l'effectivit de l'institution
successorale dans les rgimes africains. De cette effectivit dpend
la stabilisation de ces rgimes. Ce modle existe-t-il en Afrique?
C'est la rponse cette question que s'articulera ce travail. B: La
dmarche propose L'tude de la sucession constitutionnelle dans les
rgimes africains pose un problme de dlimitation et d'approche
mthodologique. Quels sont les chantillons retenus et sur quelle
base le choix a t opr? Quelle est la mthode d'analyse la plus
approprie pour rendre compte de manire claire et cohrence cette
problmatique de la succession prsidentielle dans les rgimes
africains?
Cf. Schwartzenberg (Roger Grard), Sociologie politique, 4 d.,
Paris, Montchrestien, 1988, p.249 23
1: L'approche globale de la succession. L'tude part d'un
recensement des successions constitutionnelles intervenues en
Afrique. Toutefois, il ne s'agit ni d'une tude de cas, ni d'une
dlimitation artificielle de l'Afrique. L'analyse n'est pas
sectorielle. Le recensement de toutes les successions
constitutionnelles intervenues dans les rgimes africains a t opr en
vue d'analyser tous ces transferts de pouvoir dans une perspective
la fois thorique et dynamique. Une monographie ne permet pas de
saisir les donnes du problme successoral en Afrique du fait de
l'absence de comparaison fructueuse permettant de dgager un modle
global de succession constitutionnelle en Afrique. Les matriaux
d'analyse accumuls devraient permettre de mieux justifier l'option
mthodologique. Dans cette perspective, toutes les situations sont
prises en compte: les successions qui se sont dj produites et
celles venir. En effet, sans anticiper sur le cours de l'histoire,
il convient de remarquer que les problmes poss sont presque partout
les mmes. De mme, la rfrence aux Etats de l'Afrique francophone,
anglophone, lusophone ou arabophone manifeste une volont de dpasser
la division artificielle souvent adopte par les africanistes fonde
sur le critre linguistique. Les ralits du pouvoir africain tant les
mmes (76), une dlimitation fonde uniquement sur le critre
linguistique ne peut rendre compte de la dynamique des rgimes
africains. Le politique en Afrique doit tre saisi dans sa globalit
et non dans sa diversit linguistique ou rgionale (77). Pour ces
raisons, toute succession intervenue dans le cadre d'une structure
constitutionnelle en vigueur dans un Etat donn sera prise en
considration. 2: Pour une approche dynamique de la succession.
L'tude de la succession constitutionnelle du Chef d'Etat africain
pose un problme mthodologique qu'il ne faut pas occulter. C'est un
problme qui, en ralit, dborde le cadre de la succession pour
s'tendre la mthode d'analyse des rgimes africains. La complexit du
tissu institutionnel et politique des rgimes africains impose, pour
une bonne comprhension du fonctionnement de ces rgimes, une
combinaison entre la mthode traditionnelle et la mthode
76
Il en est ainsi par exemple de la personnalisation du pouvoir,
du systme du parti unique ou dominant, du multipartisme dsquilibr,
du poids des traditions etc. 77 Ainsi que le montrent les exemples
de la similitude des techniques successorales en Tunisie, au Sngal
ou au Cameroun; de la pratique de la succession partielle au
Cameroun et en Tanzanie; du multipartisme inquilibr au Sngal en
Egypte ou au Botswana. 24
systmique. La premire met l'accent sur le contenu mme de
l'institution telle qu'elle a t amnage par le droit positif. La
seconde analyse l'institution dans ses interfrences avec son
environnement et permet de mettre en relief la dynamique des rgimes
politiques. a: La dmarche institutionnelle. L'approche
institutionnelle est d'un grand secours pour la comprhension des
phnomnes politiques. D'ailleurs, le droit constitutionnel, au
regard de son objet, n'est-il pas un droit politique? Dfini par
Hauriou comme un droit qui procde "l'encadrement juridique des
phnomnes politiques" (78), le droit constitutionnel, en tant que
discipline normative, est d'un grand secours pour la connaissance
des rgles de fonctionnement d'un rgime donn. Discipline juridique
qui impose une mthode qui est celle du droit (79), les matriaux
d'analyse qui ont cours dans cette discipline (80) assurent une
bonne comprhension des rgles d'organisation et de fonctionnement
des rgimes considrs. Mais il est ncessaire de dpasser le cadre de
l'analyse exgtique et recourir galement l'approche institutionnelle
avec la prise en considration des facteurs historique ou politique.
Une telle mthode permet de rendre compte des rgles positives de
transmission du pouvoir dans une perspective dynamique en raison de
l'impact des donnes historiques et politiques qui constituent le
soubassement d'une institution donne. Aussi, l'adoption d'un modle
successoral et la procdure de transmission du pouvoir du
dclenchement de la vacance jusqu' l'intronisation du successeur,
sont-elles les consquences de l'agencement des rgles juridiques et
ne peuvent tre comprises qu' travers la mthode institutionnelle
d'approche des mcanismes juridiques. Toutefois, lapproche
normativiste ne rend qu'insuffisamment compte de la porte relle des
mcanismes tudis, en particulier, de la rceptivit du droit ou de ses
interactions avec le milieu social. Cet aspect du problme est
fondamental en Afrique du fait de la porte relative des rgles
constitutionnelles. De surcrot, la constitution n'est pas comprise
dans le sens occidental d'instrument de limitation des gouvernants,
mais est considre comme fixant des objectifs atteindre
78
Hauriou (A.) et autres, Droit constitutionnel et institutions
politiques; 6.d., Paris, Montchrestien, 1975, p.9. 79 Luchaire
(Franois), De la mthode en droit constitutionnel ., R.D.P. 1981, p.
275 80 Les textes constitutionnels, ainsi que les exposs des motifs
qui les accompagnent, les jurisprudences constitutionnelles, les
statuts des partis politiques sans oublier les dclarations des
hommes politiques. 25
pour les gouvernants. Les rgles-programmes (81) qu'elle pose,
sont suffisamment souples pour tre modifies en cas de besoin. Le
droit, en gnral, ainsi que le soutiennent certains auteurs, " n'est
pas un justiciable dogmatique prtendant dterminer continuellement
le bien et le mal" (82). Il n'est pas non plus une abstraction au
dessus de la socit civile et qui, en raison de sa "neutralit"
serait un facteur d'harmonisation sociale. Pour paraphraser les
marxistes, le droit est un instrument au service de la classe
dirigeante, visant perptuer la domination de celle-ci. L'objectif
pouvant tre atteint par le droit peut aller l'encontre des buts qui
lui ont t assigns par leurs auteurs (83). Le champ d'application du
droit tant principalement limit aux seules rgles formelles,
l'effectivit de ces rgles ne peut tre apprhende qu' travers un
dpassement de la dmarche institutionnelle. b: Le dpassement de la
dmarche institutionnelle. Pour tudier la porte des dispositions
juridiques, une nouvelle cole de droit constitutionnel (84),
propose de dpasser la simple exgse et largir l'tude du droit
constitutionnel en tenant compte des instruments d'analyse forgs
par la science politique qui entretient des rapports d'osmose avec
le droit (85).81
Voir ce propos la distinction entre les Constitutions-lois et
les Constitutions-programmes de Duverger, Institutions politiques
et droit constitutionnel; op.cit., p.20-21. 82 Bidegaray (C.), Emri
(C.), Seurin (J.L), Droit constitutionnel et institutions
politiques. Exercices corrigs; 1re d. Paris, P.U.F., 1983, p.27. 83
Ainsi les rgles successorales forges par M.Ahidjo avaient permis
d'assurer sa succession sans pour autant atteindre l'objectif vis
qui est la continuation de la politique qu'il avait dtermine. 84
Chantebout (Bernard), Droit constitutionnel et science politique;
7.d., Paris, A.Colin, Paris, 1986. Dans l'avant-propos de cette
dition, l'auteur mettait l'accent sur l'impor-tance de la science
politique dans la formation de la culture gnrale du futur juriste.
La science politique est l'une des bases essentielles de la culture
gnrale. Appel manier le droit, le futur juriste doit d'abord
comprendre ce qu'il est et comment il s'labore. Cette conclusion
est pertinente pour les jeunes Etats confronts eux-mmes la
recherche d'un droit adapt considr comme "instrument de progrs"
avec notamment "l'avnement du droit au dveloppement". Cf.Kouassigan
(Guy A.), Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit
priv de la famille en Afrique noire francophone; Paris, Pdone,
1974, p.178. 85 "Le droit est ainsi repla dans la science
politique, les deux s'clairant mutuellement." crit Duverger,
Institutions politiques et droit constitutionnel, T1 - Les grands
systmes politiques -, Paris, P.U.F., 16 d., 1980, p.22. Pour
Duverger cette double approche simultane caractrise "une mthode
europenne et surtout franaise d'analyse des phnomnes
gouvernementaux"... qui "freine le dveloppement d'une vritable
science politique tout en tant un antidote utile contre certains
excs " fonctionnalistes" ou "systmiques" de la science politique
contemporaine." ibid. pp. 22-23. Sans nous lancer dans le dbat
mthodologique d'analyse des phnomnes politiques, nous considrons
que la combinaison des dmarches normativiste et positiviste est une
constance dans l'analyse des phnomnes politiques contemporains.
Elle est particulirement pertinente pour l'analyse des rgimes
26
Cette tude se proposera d'analyser les diffrentes "facettes" de
la succession: juridique, historique, sociologique, culturelle etc.
La succession d'un leader africain fait intervenir le droit qui
dtermine les rgles relatives la transmission du pouvoir, la
rception du droit par ses destinataires, la lgitimit lgale et
rationnelle de la succession, l'attitude de la classe politique, de
l'environnement international, l'opinion publique, les
intermdiaires politiques, les donnes ethniques ou rgionales etc.
Sans procder une analyse sociologique, l'institution successorale
doit tre saisie dans son contexte africain, et prcisment ses
interactions au sein d'un rseau cyberntique avec son environnement.
L'analyse systmique (86), malgr les critiques dont elle fait
l'objet (87), prsente une valeur heuristique indniable (88).
Indpendamment du travail d'investigation et de systmatisation de
Easton, la mthode d'analyse offre un cadre gnral de rflexion
applicable toutes les socits; traditionnelles ou modernes,
dveloppes ou en dveloppement (89). L'application de la mthode
systmique la succession constitutionnelle du chef d'Etat africain
permet de rendre compte des modalits et de la finalit de l'opration
successorale. Deux paramtres peuvent tre utiliss dans les modalits:
les exigences et l'auto-alimentation.politiques africains. Sur
l'auteur et l'analyse systmique, Voir Easton (David): - The
Political System: An Inquiry Into The State of Political Science,
New-York, 1953, 2.d.1971; - A Framework for Political Analysis,
Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1965; - A System Analysis of
Political Life, New york, 1965, 2 d.1967, traduit en franais sous
le titre "Analyse du systme politique", Paris, A.Colin, 1974. 87 Le
grief d'abstraction, de conservatisme du fait qu'elle est fonde sur
l'ide de persistance du systme politique; elle n'est donc pas une
thorie des rvolutions. Sur les critiques du modle eastonien voir
entre autres: -Barrington Moore Jr. The New Scholasticism and the
Study of Politics, in WorldPpolitics, October 1953; - M.Duverger,
De la science politique considre comme une mysthification , Revue
Franaise de l'Enseignement Suprieur, 1965, No.4; - Voir aussi le
numro spcial de la Revue Franaise de Sociologie ,1970/1971;
notamment les articles de M. Charles Roig, La thorie gnrale des
systmes et les perspectives de dveloppement dans les sciences
sociales , pp.84-90; Georges Lavau, Le systme politique et son
environnement , p.169181; - Cot (Jean-Pierre) et Mounier
(Jean-Pierre), Pour une sociologie politique, T1, Paris, d.du
Seuil, 1974, pp.222-225; -Denquin (Jean- Marie), Science politique,
Paris P.U.F, 1985, pp.165-170. 88 Pour une critique des critiques
de l'analyse systmique, voir Seurin (J.L.), Pour une analyse
conflictuelle du rapport majorit opposition en dmocratie pluraliste
, op.cit., pp.107-111. 89 Bipoum-Woum fait remarquer que l'analyse
systmique a t explicitement applique l'Afrique par J.W.Zartman en
1966-67 dans le domaine des relations internationales. Dans son
tude sur la succession prsidentielle intervenue au Cameroun,
Bipoum-Woum devait insister sur "l'incontournable analyse des
systmes" qui permet "d'avoir de la vie politique et des
institutions d'un pays donn une comprhension suffisamment prcise et
large qui s'appuie non seulement sur leur connaissance intrinsque
mais aussi sur leur conditionnement extrieur". Cf. Bipoum-Woum
(Joseph Marie), Le nouveau Cameroun86
27
S'agissant des exigences, il faut noter que le dpart d'un chef
d'Etat africain du pouvoir peut tre involontaire car rsultant d'une
exigence expresse manant de l'environnement domestique (90) ou de
l'environnement international (91). L'auto-alimentation provient du
rgime lui-mme. C'est le cas lorsque la succession est initie de
l'intrieur du cercle des gouvernants notamment du chef d'Etat en
fonction. En dehors des procds extra-constitutionnels, un chef
d'Etat peut abandonner volontairement le pouvoir qu'il transmet son
dauphin. Cette initiative individuelle prend le dessus sur les
exigences dans le cadre d'une succession auto-initie par le rgime.
De mme deux dterminants entrent en jeu dans la dynamique de
l'opration successorale: les outputs et les soutiens. Les rgles
successorales sont le produit des dcisions du rgime. En effet c'est
la constitution qui fixe les rgles relatives la transmission du
pouvoir. Le pouvoir constituant driv tant gnralement confi des
organes de l'Etat, ce dernier arrte les rgles de succession qui
constituent ainsi une des manifestations des outputs du rgime. Le
succs du processus successoral dpend des soutiens que
l'environnement accorde au successeur. Une succession illgitime ne
peut tre durable. Au total, la mthode d'analyse adopte utilise la
dmarche systmique pour mieux analyser les rgles juridiques
relatives la succession. Cette complmentarit permet de montrer que
le succs d'une opration successorale dpend avant tout de l'adoption
de modles successoraux lgitimes dont la mise en oeuvre vise assurer
la survie des rgimes considrs. Or la pratique successorale dans les
rgimes africains montre une vaine recherche d'un modle successoral
lgitime (premire partie). En outre, la continuit recherche est
souvent hypothtique (deuxime partie).
90 91
politique , R.J.P.I.C., 1983, No.3, p.656-657. Par exemple la
chte de Maurice Yamogo en 1966. Il en est ainsi des chtes de
Bokassa, renvers par les troupes franaises dans le cadre de
l'opration Barracuda, et d'Idi Amin Dada renvers par les troupes
tanzaniennes. 28
PREMIERE PARTIE: L'INTROUVABLE MODELE SUCCESSORAL LEGITIME.
La succession est en principe une simple opration juridique
visant amnager le transfert du pouvoir entre ses diffrents agents
d'exercice dans le cadre d'une structure constitutionnelle et
politique donne. Toutefois, cette opration technique n'est pas
abstraite. Elle doit tenir compte de la cohrence interne des rgimes
concerns. Le mcanisme successoral est en effet conditionn par la
nature du rgime en cause. Ainsi, dans les rgimes o le pouvoir est
considr comme une proprit collective rsidant dans le corps social,
la technique successorale doit tre organise de manire ce que la
participation des gouverns au choix des gouvernants soit
effectivement garantie. Inversement, dans les rgimes o le pouvoir
est entre les mains d'une oligarchie (dynastique, militaire,
partisane etc.), la succession est organise en vue de garantir la
perptuation du groupe qui est aux commandes de l'appareil d'Etat.
Toutefois, la dpendance du modle successoral de la nature du rgime
n'est pas absolue. Les techniques successorales pouvent varier
l'intrieur de rgimes appartenant une mme catgorie
constitutionnelle. Ce constat est pertinent particulirement dans
les rgimes africains qui ne sont pas encore identifis par rapport
aux catgories classiques et dont les rgles d'organisation sont
amnages en vue de sauvegarder les pouvoirs du chef en place. Ces
proccupations stratgiques expliquent ds lors le syncrtisme des
modles successoraux africains. En outre, le mcanisme successoral
est d'une porte toute relative si elle n'est pas apprhende par
rapport son environnement qui doit procder sa lgitimation. La rgle
successorale ne pouvant tre considre comme une abstraction
extrieure l'environnement du rgime, l'adhsion et l'intgration des
modles de transmission du pouvoir renforcent la lgitimit des
techniques successorales. Or cette lgitimit est purement factice
dans les rgimes politiques africains. En dfinitive, la perptuelle
recherche du modle successoral adquat trouve son fondement dans le
syncrtisme et la lgitimation factice des modles successoraux en
vigueur dans les rgimes africains.
29
TITRE I: DES MODELES SUCCESSORAUX SYNCRETIQUES.
Les modles successoraux sont nombreux et varis. Il s'avre
indispensable de les classer. Or toute typologie pose des
difficults. Les mthodes d'approche utilises sont souvent
contingentes et conduisent une relativit des classifications
proposes. Aucun critre thorique n'est univoque car il n y a pas une
seule approche doctrinale qui ne soit l'abri de critiques mettant
en lumire les insuffisances qu'elle recle. La classification des
modles successoraux ne fait pas exception la rgle. Plusieurs
approches ont t proposes et chacune contient ses propres
insuffisances. L'approche la plus extensive est celle qui oppose
les procds dmocratiques et les procds non dmocratiques de dvolution
ou de transmission du pouvoir. Mais la faiblesse relative de cette
dmarche rside dans la notion mme de dmocratie. Celle-ci, ainsi que
le soutient Robert Dahl, est non seulement une chimre (92), mais
constitue le modle de rfrence de tous les gouvernants. Ce critre
tir de la dmocratie n'apporte pas une rponse satisfaisante la
typologie des modles successoraux du fait qu'il se base beaucoup
plus sur les valeurs politiques que sur l'institution successorale
envisage in concreto. Une approche moins large se fonde sur la
nature des rgimes politiques et oppose les procds des rgimes
prsidentiels et les procds parlementaires de succession. Les
premiers se caractrisent par une succession automatique du chef de
l'Etat par un Vice-prsident lu en mme temps que lui. Les seconds
prvoient gnralement une priode de su