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2008 2009 10 octobre . . 11 janvier
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1843
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Les matres scandinaves & finlandais en France - 1870 /
1914
Place de la Rpublique - 59000 Lille - FranceOuvert : lundi, 14 h
- 18 h. Du mercredi au dimanche, 10 h - 18 hFerm le lundi matin,
mardi et certains jours fris.
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Cahier pdagogique
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Les pays nordiques au XIXe sicle : la terre et lesprit Olivier
Denhez p 4
Professeur dHistoire, 2nd degr
Paris, Capitale de lArt Claudine Meurin p 8
Professeur de lettres, 2nd degr
La modernit des artistes nordiques Paris la fin du XIXe sicle
Philippe Lefebvre p 14
Professeur dArts Plastiques, 2nd degr
Ralit nordique et image de lme : les particularits de la
peinture scandinave p 18 Marie Barras- Pirritano
Professeur dArts Plastiques, 2nd degr
Pistes pdagogiques en Arts Plastiques pour le 2nd degr p 23
Echappes littraires (quelques jalons de lhistoire des lettres
scandinaves du XIXe sicle)
Gwenn-Alle Geffroy p 24
Professeur de lettres modernes, 2nd degr
Le sentiment de la nature p 31 Claude Ronnaux
Conseiller Pdagogique en Arts Visuels, 1er degr
Pistes pdagogiques en Arts Visuels pour le 1er degr p 32
Regards des peintres nordiques sur le quotidien du peuple p 35
Marie-Jos Parisseaux-Grabowski
Conseillre Pdagogique en Arts Visuels, 1er degr
Pistes pdagogiques en Arts Visuels pour le 1er degr p 38
Autour de lexposition
Per Kirkeby Olav Christopher Jenssen p 41
Rose Boral : photographies de la Galerie Tak et de lEcole dArtet
de Design dHelsinki p 41
Informations p 42
Sommaire
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Olivier Denhez
Les pays nordiques au XIXme sicle: la terre et lesprit
Lhistoire des royaumes nordiques revt, pour le public franais,
les contours dune terre inconnue. On en reste, la plupart du
temps, quelques considrations sur lapparition de la Rforme au
XVIe sicle et le rve baltique dune Sude vite affronte la
Russie au tournant des XVIIe et XVIIIe sicles. Gustave-Adolphe,
la reine Christine, Charles XII et Gustave III passent
gnralement
pour les rares personnalits dexception dune monarchie sudoise
dont la puissance na gure dbord sur le reste de lEurope.
Evoquer les pays du Nord au XIXme sicle est particulirement
malais si lon sen tient la simple histoire dynastique et aux
grandes pulsations conomiques et politiques. La vraie question
qui se pose, dans une Europe post-napolonienne marque par
la pousse nationale, est celle de la dlimitation prcise des
Etats et de leurs zones dinfluence : on y rpondra en montrant la
richesse, sur ce thme, de lexemple scandinave et, plus largement,
nordique. Les Etats du Nord se sont construits, cette poque,
dans leurs frontires actuelles. On aurait tort pourtant de ne
voir dans les affirmations nationales de ce sicle port aux
convulsions politiques quune pre volont dafficher un particularisme
sourcilleux. La proximit culturelle des pays de lensemble nordique
tait vidente : un puissant mouvement de redcouverte du pass et des
traditions nordiques traversa tout le sicle et revivifia la
peinture, la littrature et la musique de Copenhague Helsinki, dOslo
Stockholm. Dans le mme temps, lattrait de lEurope
du Sud et de lOuest se faisait sentir, avec une force quillustre
merveille linstallation dartistes nordiques dans les grands
centres
culturels du continent.
Complexits nordiques
Une question de vocabulaireAvant daller plus loin, il importe de
rgler la dlicate question du vocabulaire gographique relatif aux
pays du nord de lEurope.
Les Sudois ne sembarrassent pas dhsitations smantiques pour
nommer lensemble form par le Danemark, la Norvge, la
Sude et la Finlande : ils regroupent ces quatre Etats sous le
vocable Norden. Le terme Scandinavie, plus restrictif, a t
invent
au milieu du XVIIIme sicle pour dsigner la Norvge, la Sude et le
Danemark, lexclusion de la Finlande. La dfinition est ici plus
complexe puisquelle fait entrer la gomorphologie du continent
europen dans le champ de lHistoire. On dira, pour faire
court, que lunit de la Scandinavie rside dans la prvalence de
llment montagneux dans la pninsule sudo-norvgienne,
prolonge au sud, via la Scanie, par le Danemark, qui relie
lensemble la plaine dAllemagne du Nord ; ltroit chenal maritime
de lOresund, la latitude de Copenhague, ninstaure aucune
discontinuit majeure dans ce bloc territorial gologiquement
homogne. La Finlande, quant elle, nentretient aucun rapport
structurel avec la Scandinavie puisquelle constitue un dbouch
baltique de la grande plaine russe. Sa singularit se retrouve
sur le plan linguistique : sil est possible de dchiffrer le danois,
le
sudois et le norvgien pour peu quon pratique lallemand, cest
impossible avec le finnois, qui appartient, comme le hongrois, la
famille des langues ouraliennes ou finno-ougriennes.
Le Danemark, homme malade de lEurope du Nord ?Le Danemark, qui
constituait depuis le Moyen Age un lment fondamental de stabilit de
lensemble scandinave, connut de
nombreuses preuves au cours du XIXe sicle. Si son existence en
tant quEtat indpendant ne fut jamais mise en pril, il nen fut
pas moins victime de redistributions territoriales qui le
relgurent au rang de puissance de second rang.
Le royaume de Danemark, traditionnellement mfiant vis--vis de
lexpansionnisme naval et commercial de lAngleterre, avait rejoint
lalliance franaise en 1807 et particip au blocus continental dirig
contre la Grande-Bretagne. Leffondrement de
lEmpire napolonien en 1814 eut un got amer pour le Danemark, qui
lon confisqua la Norvge en faveur de la Sude et lle dHeligoland au
profit de lAngleterre.Appauvri et humili, le Danemark ne pouvait
opposer que peu de rsistance la volont scessionniste des duchs de
Schleswig
et de Holstein, quencourageait la Prusse voisine. Le Schleswig
(Slesvig en danois), qui avait toujours entretenu des liens
fodaux
avec le Holstein, avait pourtant une population en grande
majorit scandinave et tait depuis 1720 rattach au Danemark. Le
Holstein, en revanche, parlait allemand et appartenait depuis
1815 la Confdration germanique. A la faveur dune querelle
successorale au Danemark en 1848, la Prusse, appuye par les
patriotes holsteinois, intervint au Holstein puis au Schleswig.
Les
Allemands des Duchs furent battus et lintgrit du territoire
danois garanti par un protocole sign Londres en 1852. Les
Duchs,
tout en continuant de relever de la Couronne danoise, reurent
lassurance de ny tre point incorpors. Mais la Confdration
germanique continua de se dresser contre le panscandinavisme des
Danois. Les Duchs refusrent la danisation et bravrent
de plus en plus ouvertement lautorit du gouvernement de
Copenhague. La Prusse bismarckienne ne tarda pas saffirmer comme la
puissance tutlaire des peuples de sang et de culture germaniques.
Aprs avoir conclu une alliance de circonstance
avec lAutriche, elle envahit de nouveau les Duchs. Le Danemark
lutta seul contre des forces bien suprieures aux siennes. Il
dut
signer rapidement la paix de Vienne (octobre 1864), qui le
contraignait abandonner tout le Schleswig et le Holstein, soit les
deux
cinquimes de son territoire. Leffacement politique dun Danemark
dsormais amoindri tait consomm.
| cahier pdagogique Echappes Nordiques
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Le scandinavisme : un chec sudois ?Puissance principale de la
pninsule scandinave au
dbut du XIXe sicle, la Sude, par la faute de choix
diplomatiques malheureux, amorce un relatif dclin,
sanctionn par la scession de la Norvge en 1905.
Lerreur initiale de la Sude fut davoir particip la
coalition contre Napolon. En 1807, elle y perdit les les de
Stralsund et de Rgen. Lors de la confrence de
Tilsitt, la mme anne, Napolon et le tsar Alexandre
Ier, provisoirement allis, sentendirent pour attaquer les
possessions de la Sude : la mmoire des expditions de
Charles XII sur les rivages baltiques de la Russie au dbut
du XVIIIe sicle tait encore trs vive et les Russes virent
dans laffaiblissement inespr du royaume scandinave
loccasion de construire un solide glacis anti-sudois.
La Sude dut sincliner devant la Russie en 1809. Au
trait de Fredrikshamer, elle dut consentir cder son
puissant voisin la Finlande ainsi quune grande partie de
ses territoires de lextrme-Nord. Un tiers de la superficie du
royaume et un quart de sa population passaient
ainsi sous domination russe. Lanne 1810 inflchit dfinitivement
le cours de lhistoire sudoise : la Sude se vit contrainte de rompre
ses relations diplomatiques
avec lAngleterre et de se soumettre au blocus
continental ; surtout, le Parlement (Riksdag) dsigna
le marchal Bernadotte comme prince-hritier, le roi
Charles XIII tant rest sans descendance. Bernadotte
devint roi en 1818 sous le nom de Charles XIV et mena
jusqu sa mort, en 1844, une politique de prestige
extrieur. Au lieu de chercher une illusoire revanche
lEst sur les Russes, il se rapprocha dAlexandre Ier, avec
lequel il conclut une alliance contre la France et son
alli nordique, le Danemark, auquel il esprait ravir la
Norvge. Battu, le Danemark se vit imposer par le trait
de Kiel, en janvier 1814, labandon de la Norvge : celle-
ci, tout en conservant sa souverainet, fut intgre dans
une union avec le royaume de Sude.
Les rgnes de Bernadotte et de son fils Oskar Ier (1844-1859)
furent traverss, linstar de nombre dEtats europens cette poque, par
un mouvement national puissant fortement teint de romantisme : le
scandinavisme, en raction luniversalisme des Lumires, fut une
prise de conscience de la profonde communaut de civilisation qui
unissait, au-del de leurs querelles de frontires, les royaumes du
Nord.
La diplomatie sudoise sembla se faire lcho de cette sensibilit.
La Sude intervint ainsi pour soutenir les Danois lors du conflit
dano-prussien de 1848 et sassurer la succession de Frdric VII de
Danemark. Le rve dune union sudo-danoise naboutit pas. Une
nouvelle
occasion daffirmer lide scandinave se prsenta lorsquen 1854 la
France et lAngleterre dclarrent la guerre la Russie : la fraction
la plus activiste de lopinion sudoise poussait une intervention qui
et effac le souvenir de lhumiliation de 1809 et permis de rcuprer
la
Finlande. Oskar Ier hsita pourtant et la Sude ne bougea pas : la
renonciation la Finlande en fut le prix implicite. Tout au plus la
Sude
obtint-elle, par un trait ratifi en novembre 1855, que lintgrit
territoriale du royaume uni de Sude et de Norvge ft garantie par
Paris et Londres : on pouvait difficilement afficher une plus nette
sujtion envers les puissances europennes dominantes. Dune certaine
faon, la Sude se plaait en marge de lHistoire, qui saccomplirait
dsormais sans quelle y intervnt.Lunion des deux royaumes ne fut pas
heureuse. Elle fut trs vite perue par les Norvgiens comme un
protectorat dguis, puisquils
taient supposs obir un vice-roi sudois. Le conflit sengagea
vritablement partir de 1892 lorsque le Parlement norvgien
(Storting) dcida que la Norvge tablirait dornavant ses propres
consulats ltranger et obtint que la politique extrieure de la
Norvge ft
dsormais confie un Norvgien. Le 18 mai 1905, les leaders
nationalistes norvgiens obtinrent du Storting la cration dun
service consulaire indpendant. Passant outre lopposition du roi de
Sude Oskar II, le Storting dclara le 7 juin 1905 que lUnion avec la
Sude
avait vcu. Un plbiscite attribua la Couronne de Norvge au prince
Charles de Danemark, gendre du roi dAngleterre Edouard VII :
proclam roi le 18 novembre 1905 sous le nom de Haakon VII, il
devint le premier souverain de la Norvge indpendante et
sinstalla
Kristiania, bientt rebaptise Oslo.
cahier pdagogique Echappes Nordiques |
Georg Nicolaj Achen, Intrieur, 1901
Paris, muse dOrsay Rmn/Jean-Pierre Lagiewski
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La Finlande lheure russe Aprs sept sicles de domination sudoise,
la Finlande devint en 1809 une province de lEmpire russe. Les
nouveaux matres du territoire finnois sy comportrent, jusqu lextrme
fin du sicle, dune manire tonnamment librale. La prcision est
importante quand on songe la brutalit avec laquelle furent traits
la mme poque les Polonais : la rpression sanglante des
insurrections de 1830 et 1863 avait montr lEurope de quelle manire
les Russes entendaient rsoudre la question des minorits nationales.
Le tsar Alexandre Ier prit en 1809 le titre de grand-duc de
Finlande et promit de respecter les lois fondamentales du pays
telles quelles avaient t tablies la fin du XVIIIe sicle par le roi
de Sude Gustave III. En change dun serment de fidlit leur nouveau
prince, les Finlandais pouvaient, comme par le pass, exciper de
leur nationalit finlandaise et intgrer un corps de fonctionnaires
authentiquement finlandais. La capitale fut toutefois dplace
Helsinki, lantique Turku tant juge trop proche de la Sude. Le rgne
dAlexandre Ier (1801-1825) est considr avec bienveillance par les
historiens finlandais : le tsar gagna laffection de ses nouveaux
sujets et lappui sans faille des lites, satisfaites de pouvoir
prtendre de nombreux postes dans ladministration du grand-duch ou
dans larme impriale. Latmosphre salourdit avec le successeur
dAlexandre, Nicolas Ier (1825 - 1855). Celui-ci se posa en
adversaire fanatique des ides librales qui dferlaient, depuis
lEurope de lOuest, sur lEmpire : la purge rpressive laquelle il
soumit la socit russe aprs linsurrection manque des Dcembristes, en
1825, fit du nouveau tsar lun des champions dune Europe de la
Sainte-Alliance explicitement ractionnaire. La Finlande subit, sous
son rgne, un durcissement de la censure, et lUniversit fut pure.
Alexandre II (1855 -1881) revint plus de souplesse : il consentit
ce que le finnois devnt la langue officielle du grand-duch, au mme
titre que le sudois, et ce quon lenseignt dsormais dans les lyces
et lUniversit.
Lassassinat dAlexandre II nannonait rien de bon pour la Finlande
: Alexandre III (1881-1894) regardait avec une suspicion croissante
lautonomisme finnois. Cest toutefois sous le rgne de Nicolas II
(1894-1917) que furent promulgus des oukases dont leffet fut
daliner dfinitivement la confiance et la fidlit du peuple
finlandais envers lEmpire russe. On peut difficilement imaginer
politique plus brutale et plus maladroite que celle qui fut mene en
Finlande dans les dernires annes du sicle. En 1898, Nicolas II
nomma comme gouverneur gnral un militaire sans tats dme, Nicolas
Bobrikov, qui il donna pour consigne danantir ce qui, dans
lorganisation des pouvoirs locaux, relevait dune forme quelconque
dautonomie. Au dbut de lanne suivante, Bobrikov incorporait larme
finlandaise (recre en 1878) dans larme russe et abrogeait une
partie des droits constitutionnels jusque-l reconnus. Lindignation
fut gnrale : une Grande Adresse revtue de 123 000 signatures fut
prsente au tsar. Mais la ccit politique de Nicolas II tait totale.
Rompant avec des sicles dusages qui avaient permis la nation
finlandaise de se reconnatre, indpendamment du caractre tranger de
la puissance tutlaire, il dclara en 1900 le russe langue
administrative. En 1901, une loi instituait la conscription dans
larme russe, suscitant une nouvelle ptition gante. Lagitation ne
cessa plus et culmina en 1904 avec lassassinat de Bobrikov, au
terme dune vague dattentats anti-russes. La campagne de
russification nen fut pas affecte. Elle sintensifia mme partir de
1909 : en 1912, il fut tabli que les sujets russes pourraient
dsormais siger de plein droit au Snat finlandais. Quand clata la
Premire Guerre Mondiale, lopinion finlandaise tait trs largement
acquise lide dune indpendance pleine et entire. La chute du tsar
dtest, en fvrier 1917, ouvrit une priode confuse qui se conclut le
6 dcembre 1917 par la dclaration dindpendance dun Snat dsireux
dviter la Finlande la propagation dune rvolution qui,
Saint-Petersbourg, avait pris lallure dun cataclysme politique.
Curiosits nordiques
Le Nord revisitPas plus que le reste de lEurope, les pays du
Nord nchapprent ce mouvement de fond qui, en ramenant lattention
sur le pass et les traditions, favorisa laffirmation des identits
nationales. Le XIXe sicle, qui fut celui des convulsions politiques
et des indpendances chrement acquises, fut peut-tre lpoque o
lidentit culturelle, en tant quelle sincarne dans des crations
littraires et artistiques, inflchit le cours de lHistoire de la
manire la plus significative. Les bouleversements politiques de
lEurope du Nord sinscrivent dans un paralllisme frappant avec la
redcouverte dun pass nordique considr la fois comme fondateur et
porteur davenir. Sil est clair que le rationalisme des Lumires, tel
quil sillustra par lexemple gustavien en Sude, a contribu mettre au
jour une conception moderne de lEtat centre sur la prise en compte
des droits individuels et lefficacit administrative, il nen est pas
moins vrai que des forces profondes criaient leur attachement une
me nordique mythifie, trs loigne de limpratif rationnel. Que ce
sentiment ft, dans le fond, ractionnaire ou simplement porteur
didentit, peu importe: il est indissociable de lvolution des arts
et des mentalits dans les pays du Nord au XIXe sicle.Quelques
repres suffiront qualifier un phnomne qui, dans lordre politique, a
pu tre associ au scandinavisme. Au Danemark, la rvolte des Duchs en
1848 inclina un groupe de jeunes artistes cultiver, en raction, un
romantisme patriotique nourri de traditions populaires : les scnes
de genre peintes cette poque expriment une vision idalise de la vie
quotidienne cependant que la grande peinture dhistoire alimente les
Salons annuels de toiles acadmiques illustrant le pass viking ou
les grandes batailles. En Sude, la commande officielle va,
pareillement, aux thmes historiques exaltant les grandes figures du
pass national comme Gustave Ier Vasa, qui ralisa lunification du
pays au XVIe sicle et y introduisit la Rforme. Lhistoricisme comme
expression dun romantisme connotation nationaliste : la peinture
dhistoire sudoise - o, comme au Danemark, on peine trouver quelque
novateur - nest pas diffrente de la grande manirequi se dveloppa
ailleurs. La Norvge poursuivit la mme qute des origines travers la
littrature, autour dcrivains mineurs puis avec Henrik Ibsen, et mit
en musique, avec Edvard Grieg, ses lgendes nationales. | cahier
pdagogique Echappes Nordiques
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La Finlande reprsente un cas particulier et ne le cde en rien
aux Etats scandinaves pour lintrt de sa dmarche de
rappropriation culturelle. Le fait que le pays ait toujours vcu
dans la dpendance dune puissance trangre semble avoir
encourag la redcouverte de ses racines politiques, historiques
et culturelles. Il y a un indiscutable sursaut national en
Finlande
ds la premire moiti du XIXme sicle. Il prend forme en Carlie du
Nord autour de la saga du Kalevala. Ce long pome pique en cinquante
chants est une compilation ralise par le docteur Elias Lnnrot, qui
avait recueilli les fragments dune tradition
orale millnaire auprs des bardes disperss dans toute la Carlie :
on parle dailleurs de carlianisme propos de ce renouveau
culturel en forme dexhumation. La premire dition du Kalevala
parut en 1835. Cette pope nationale revt une importance aussi
grande pour la culture finnoise que LIliade et LOdysse pour la
pense grecque et La Chanson de Roland pour la littrature franaise.
Il fallut toutefois attendre 1870 pour voir publier le premier
roman rdig en finnois, Les Sept Frres, dAleksis Kivi. Mais cest la
musique que la Finlande en proie la fivre des origines doit son
plus sr titre de gloire. Elle est tout entire domine par la
personnalit de Jean Sibelius, qui commena composer la fin du XIXme
sicle dans des conditions difficiles. Une anecdote raconte par le
grand compositeur suffira rendre compte du caractre sommaire et
provincial de la vie culturelle Helsinki : en 1898, alors quil
composait la musique de scne pour Le Roi Christian II, une pice de
thtre crite par son ami Adolf Paul, il ne put trouver dans tout le
pays que deux joueurs de basson, et encore lun des deux tait-il
phtisique ! Sibelius donna sa plus
belle incarnation au patriotisme finlandais quand, pour
protester contre la politique de russification du pays, il composa
en 1899 Finlandia, pome symphonique au lyrisme admirable qui devint
rapidement une sorte de second hymne national.
LEurope comme horizonLaffirmation nationale des Etats de lEurope
septentrionale les inclina se tourner vers eux-mmes, en raction
apparente au cosmopolitisme des Lumires. Celui-ci stait
particulirement bien acclimat sous le ciel de Stockholm, lheure o
Gustave
III (1771-1792), francophile convaincu et grand lecteur de
Voltaire, tentait de faire de la Sude un modle dEtat clair.
Sous
le pseudonyme de Comte du Nord, le roi avait voyag en France et
en Italie et rsolu son retour de donner une touche
franaise sa cour et aux couches suprieures de la socit. Les
encouragements royaux ne manqurent pas aux artistes sudois
soucieux daller parfaire leur formation au milieu des
raffinements de Paris et de Versailles : Alexandre Roslin et
Nicolas Lafrensen, dit Lavreince, dployrent en France des talents
de portraitistes qui assurrent leur rputation.
La Rvolution Franaise mit fin au mcnat aristocratique et royal
et dcouragea le sjour des artistes trangers. Mais depuis une
gnration, les regards se tournaient de nouveau vers Rome. Non pas
la Rome des papes et des cardinaux, la Rome baroque
limagination dsormais fltrie, mais la Rome plus virile de
Winckelmann et des amateurs dAntiquit, celle de la gloire impriale,
celle dont les rcentes dcouvertes archologiques avaient dgag les
monuments et rappel les formes. Cette Rome no-
classique incarne par Canova, rve par Piranse, mise en scne par
David, redevint au tournant du sicle la matrice de
lart europen. Les pays nordiques participrent de ce mouvement
gnral qui drainait vers lItalie les artistes pris de rgles
et de ruines. Au premier rang de ceux-ci, le sculpteur danois
Thorvaldsen acquit une renomme europenne. Le legs romain
lart nordique ne se borna pas ses marbres un peu froids : les
peintres danois Christoffer Eckersberg et Constantin Hansen
appartinrent une colonie dartistes qui cultiva en Italie une
sensibilit nouvelle et le spectacle dun monde que la nature et
lHistoire semblaient avoir fig dans une vision dAge dOr.Plus
proche socialement, culturellement et plastiquement tait
lAllemagne. On ne dira jamais assez quel point la Kunstakademie
de Dsseldorf fut dterminante dans la formation des artistes,
essentiellement sudois, qui dsiraient saffranchir de
lenseignement
sclros de lAcadmie des Beaux-Arts de Stockholm tout en restant
en contact avec un univers germanique qui leur tait familier.
Dresde, capitale de la Saxe, tait galement depuis le dbut du
XVIIIme sicle un centre artistique parmi les plus renomms. Des
artistes nordiques sy installrent. Le plus connu dentre eux,
Johan Christian Dahl, premier peintre dorigine norvgienne se
faire
connatre hors de son pays, y partagea un atelier avec Caspar
David Friedrich.La guerre des Duchs, en 1864, interrompit les
relations entre le Danemark, la Sude et lAllemagne. Les artistes
nordiques mirent
alors la boussole plus louest. Il est vrai que cest en France
que saccomplissaient alors les grandes mutations esthtiques. La
France de Courbet, de Manet, de Carolus-Duran et des
impressionnistes les accueillit et devint pour quarante ans la fois
leur
cole, leur sujet et leur terrain dexprimentation.
Lhistoire des pays nordiques au XIXme sicle ne diffre pas du
schma ordinaire par lequel on peut rsumer la gense des Etats:
de constantes luttes dinfluence compliques dinterventions
extrieures rendues plus efficaces ici par la faiblesse relative des
monarchies. Sude, Norvge, Danemark et Finlande ont construit et
renforc leurs identits respectives, dans une rivalit politique
toujours plus revendique qui naltrait pas la conviction dune
profonde fraternit culturelle.
Mais laffirmation dune nation ne peut se rduire lacquisition
forcene de quelques arpents de terre vite clturs de frontires. Les
peuples ont une histoire, quils rvent parfois, comme en Finlande,
quand on ne les juge pas dignes den tre les acteurs. Cette
histoire est faite de mythes, que les artistes rendent
intelligibles, au risque parfois den faire des machines infernales.
Les peuples
du Nord ont su temprer la recherche de leur identit scandinave
par une ouverture sincre vers les autres cultures europennes,
et la France de la fin du XIXme sicle fut la pierre de touche de
cette curiosit bien entendue. Il est somme toute agrable de songer
que le sicle des raidissements nationalistes qui accoucha dune
guerre mondiale fut aussi celui qui arrima au vaisseau
europen des Etats dont la neutralit, lheure du grand massacre,
montre quel point, en dpit de leur singularit nordique, ils
taient ptris des valeurs universelles provisoirement renies par
le Vieux Continent.
cahier pdagogique Echappes Nordiques |
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Claudine Meurin
Paris, Capitale de lArt*
Depuis la fin du XVIIe sicle et surtout au XVIIIe sicle, une
tradition culturelle privilgie existait entre la France et lEurope
du Nord jusqu la Russie. Montesquieu se veut europen, Voltaire est
invit par Frdric II de Prusse, Catherine II convie Diderot
Saint Petersbourg, en voyage lcrivain visite la Haye,
Copenhague. A la cour de Gustave II de Sude, il est de bon ton
(comme
chez les aristocrates et les grands bourgeois) de parler le
franais. Les souverains clairs par les Lumires de lEsprit dbattent
de
questions politiques, littraires, philosophiques, ou
artistiques. Linfluence anglaise reste pourtant prpondrante. Il
faut attendre la Rvolution franaise, mouvement initi par les
Encyclopdistes, pour assister la prise de pouvoir franaise. Les
trangers
sont impressionns par les valeurs dfendues : Dfense des Droits
de lHomme, Libert LEurope du Nord traverse des temptes
politiques, un flot de migrants arrivent en France. Paris, Ville
Lumire attire des nues dartistes qui viennent se former, exposer et
vendre car au XIXe sicle le march de lart est florissant. Paris,
une capitale moderne, source de dsirs et de rves, un passage
obligatoire pour les artistes Nordiques avant le retour au pays,
avant de repartir plein dusage et raison .
1.Une capitale moderne : uvre de Napolon III et du baron
Haussmann (de 1853 1870)
Lorsquon pense au Paris de la seconde moiti du 19me sicle, un
nom vient lesprit : celui du prfet de la Seine, Haussmann.
En fait si une partie de la conception et de la ralisation des
travaux est bien luvre de lnergique baron, il ne faut pas
oublier
Louis-Napolon qui a initi le projet et a veill, souvent sur le
terrain, la ralisation de son rve durbaniste, une fois devenu
Empereur.
Des travaux gigantesquesIl avait t impressionn par Londres. De
retour Paris il neut de cesse dembellir la capitale et daugmenter
le bien-tre de
ceux qui lhabitent. Avec lexplosion dmographique (due lexode
rural), agrandir la ville devient une ncessit, y favoriser la
circulation en est une autre : percement de rues rectilignes, de
larges artres dont les clbres Grands Boulevards, sillonns par
les fiacres, les tramways chevaux, anims par des cafs illumins,
bords par des Grands Magasins (le Bon March qui a inspir Zola dans
Au Bonheur des Dames, Le Printemps, La Samaritaine), communication
entre le centre et les gares priphriques et
dune gare lautre - Zola vante la solide lgance de leur charpente
de fer - car le chemin de fer ceinture alors la ville et la
relie aux provinces et pays trangers par un rseau en toile
daraigne. Les liaisons entre Helsinki, Stockholm et Paris sont
tablies
et favorisent les changes.
Lamlioration du bien-tre passe par la destruction de maisons
insalubres bordant des ruelles sinueuses qui appartiennent
encore au Paris mdival (et qui taient souvent des foyers
dmeute). Certains, comme les Goncourt, regretteront le vieux
Paris
romantique.
La disparition des anciens quartiers permet la construction de
hauts immeubles, pourvus deau courante, adduction et vacuation
des eaux uses par un rseau dgouts, clairage au gaz. Construction
des Halles, le ventre de Paris (dont ne subsiste que le
pavillon Baltard qui porte le nom de larchitecte), voil dautres
travaux mis en uvre avec la construction de lOpra Garnier.
Pour le dlassement des Parisiens, il ne faut pas oublier
lamnagement despaces verts : transformation du Bois de Boulogne,
des
Buttes-Chaumont, cration de squares, de jardins publics.
Travaux gigantesques, coteux, les critiques fusent : on parle
des Comptes fantastiques dHaussmann, calembour de Jules
Ferry en rfrence aux Contes fantastiques dHoffmann. Mais, ces
ralisations suscitent aussi ladmiration des visiteurs ; le
modle
haussmannien est copi en France ( Lille, par exemple, dans le
quartier du muse des Beaux-Arts) et ltranger. Les touristes
europens, amricains et japonais se rendent dans la Capitale
moderne et savourent les attraits de la vie parisienne, clbre
en 1867 par Offenbach (le dernier acte a pour dcor un des clbres
cafs de la Capitale, voqus par ailleurs par Manet ou
Degas).
| cahier pdagogique Echappes Nordiques
*Titre emprunt Albert Wolf
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Paris, fentre ouverte sur lEurope et sur le monde
Les expositions universelles se tiennent entre 1855 et 1937. Au
fil des ans, le nombre des visiteurs et des exposants ne cesse de
crotre. Les participants ont cur de montrer ce qui se produit chez
eux dans les domaines agricoles, industriels et artistiques. Cest
lintitul de la premire exposition franaise Exposition universelle
des produits de lagriculture, de
lindustrie, et des Beaux-Arts en 1855.
Une fois encore, Napolon III est inspir par le modle anglais :
il a visit la premire exposition universelle, Londres, en
1851 ; la France y tait linvite dhonneur. La nouveaut consiste
prsenter et confronter la production nationale et
trangre de pays voisins ; LEmpereur se doit davoir une
exposition similaire Paris ; cest chose faite en 1855, au Rond
Point des Champs-Elyses, dans le Palais de lIndustrie. Le
parcours des visiteurs se terminait par la visite du Pavillon
de
lEmpire (Il vaudrait mieux dire de lEmpereur, salu par les
souverains anglais !).
cahier pdagogique Echappes Nordiques |
Albert Edelfelt, Louis Pasteur, 1885
Paris, muse dOrsay (dpt du muse du chteau et du domaine de
Versailles)
Rmn/Grard Blot/Herv Lewandowski
-
Lexposition de 1855Cette exposition, et celles qui suivront sur
le Champ de Mars, sont des manifestations culturelles importantes
pour les artistes qui
peuvent prsenter leurs uvres dans un autre lieu que le Salon
officiel. En 1855, ct des gloires reconnues : Ingres, Delacroix,
Descamps (qui obtient une mdaille dhonneur), Courbet a prsent onze
uvres dans lenceinte officielle ; en butte la critique qui le juge
trop avant-gardiste, il exhibe paralllement quarante tableaux et
quatre dessins dans un pavillon quil a fait construire
pour loccasion : Courbet, Du Ralisme.
Parmi ces uvres, lune retient lattention LAtelier du peintre car
son auteur la distingue, cest une allgorie relle dterminant
une phase de sept annes de ma vie artistique. Elle constitue un
vritable manifeste : des figures du monde politique contemporain
(parmi lesquelles on a cru reconnatre lEmpereur) ctoient des
penseurs et artistes comme le pote Baudelaire, le critique
Champfleury ou le thoricien socialiste Proudhon. Courbet commente :
Cest ma manire de voir la socit, cest le monde qui vient se faire
peindre chez moi.
Attaqu par la critique qui lui reproche dencanailler lart,
daimer la laideur de la ralit, boud par le public, il reste
populaire
dans le milieu bohme quil a frquent, ds son arrive Paris, au
sein dun groupe de jeunes gens souvent anims par la
haine du bourgeois et qui se retrouvaient la brasserie Andler (o
Courbet laissa dailleurs une ardoise consquente) ou dans
les guinguettes. Pourtant ses uvres sont achetes par des
particuliers ou ltranger : elles se vendent bien en Allemagne
car
Dsseldorf ou Munich restent encore des bastions artistiques
importants et les artistes germaniques et nordiques sont
intresss
par lorientation que Courbet donne sa peinture dans son pome de
la Nature : scnes de chasse, paysages de neige,
paysages de mer avec la srie des Vagues- rencontrent un accueil
favorable (les plages de la cte normande, Deauville et
Trouville, ont t mises la mode par le Comte de Morny). Ainsi
Courbet est un nom important pour les jeunes gnrations. Ha ou
adul, il leur permet de se situer, de copier le modle, quitte
ensuite rejeter cette peinture trop noire.
Zola sest en partie inspir de Courbet ainsi que de Manet, autre
rfrence importante, pour crer son personnage de Claude
dans Luvre : en proie aux tourments de la cration, prement
critiqu, il est dsespr car ses tableaux sont refuss ou moqus
au Salon. Luvre est un roman paru en 1886 dans le cycle des
Rougon-Macquart, histoire dune famille sous le Second Empire,
et qui reprend des thmes chers Zola passionn de peinture, il
montre le rve dune gnration dartistes novateurs, voulant
conqurir Paris ; tantt appels Ecole du plein air, ralistes tantt
naturalistes ou encore modernistes, matrialistes ou
impressionnistes.
Lexposition de 1867Le plan de lexposition tablie sur le Champ de
Mars nous donne une image du monde politique du temps : La France
est
entoure des sections de la Belgique, de lAngleterre et de la
Russie, allies de lEmpereur franais. Les gouvernants trangers
sont reus avec tous les honneurs qui leur sont ds ; Alexandre
II, tsar de Russie est arriv gare de lEst, il ne manque pas de
visiter
la section russe installe prs des pavillons norvgiens et sudois
runis lpoque.
Lexposition de 1878Aprs la guerre de 1870, la France remonte la
pente. Nous sommes sous la IIIme Rpublique. Les visiteurs nombreux
continuent
sintresser aux inventions, passionns par les nouvelles
technologies : la machine fabriquer de la glace en grande
quantit
(vingt-quatre tonnes par jour), des boissons gazeuses, la bougie
lectrique qui produit de la lumire
Cest le triomphe de la technique et de la science, elles vont de
pair. Scientistes et positivistes : Littr, Taine, Renant ,
Auguste
Comte pensent que la science, base sur le raisonnement et
lexprimentation, conduit au Progrs qui permet datteindre le
Bonheur la science renferme lavenir de lhumanit crit Ernest
Renan en 1848 dans lAvenir de la science publi en 1890. Le
savant exerce donc la plus noble des activits ; il est respect
et admir en devenant une sorte de saint laque tel Louis
Pasteur,
lpoque plus populaire encore que Victor Hugo, incarnation des
avances des sciences physiques, chimiques, de la biologie
et de la mdecine. Chimiste de formation, ses recherches sur les
fermentations le conduisent au procd de pasteurisation en
1867 (les microbes sont dtruits par une temprature leve). Il est
lorigine du vaccin contre la rage et sera considr comme
bienfaiteur de lhumanit. Le danois Edelfelt qui tait un ami de
son fils Jean-Baptiste, la reprsent en pleine activit en train
dexaminer un morceau de moelle pinire dun chien dans la gestation
mystrieuse de la dcouverte comme le souligne le
critique Albert Wolf en 1885 (tableau prsent au Salon de
1886).
Lexposition de 1889 : La Tour Eiffel, symbole de ParisDate
importante de commmoration, cest le centenaire de la Rvolution
franaise (qui annona la chute de la monarchie). Une
tour monumentale pointe vers le ciel symbolisera cette victoire.
Parmi 700 projets plus ou moins fantaisistes, celui de Gustave
Eiffel
remporte la commande ; il est connu comme constructeur douvrages
mtalliques et a dj travaill aux charpentes des galeries
de lexposition 1878 et larmature dacier de la statue de la
Libert. Les visiteurs de lexposition peuvent dailleurs se
promener
lintrieur de la tte colossale avant son dpart pour New York.
Lattraction la plus importante est constitue par la visite de
la
tour de fer monumentale, de base carre (125 m de ct) et dune
hauteur de 300 m. Avec Le Palais des machines, elle marque
le Triomphe du fer. Dans une nouvelle fantastique La Tour
Eiffel, lcrivain italien Dino Buzzati nous donne une ide
intressante
des travaux excuts par des ouvriers qui travaillaient dix douze
heures par jour et des rapports entre ces ouvriers et
lambitieux
ingnieur, isols du monde den bas.
10 | cahier pdagogique Echappes Nordiques
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Beaucoup admirent la prouesse technique
mais des peintres, musiciens comme Gounod,
crivains comme Maupassant ou Huysmans
dnoncent dans une Lettre ouverte cette noire
et gigantesque chemine dusine, crasant
de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte
Chapelle, le Dme des Invalideset pendant
vingt ans nous verrions sallonger comme une
tche dencre, lombre de lodieuse colonne
de tle boulonne. Ils avaient tort sur deux
points : la Tour est encore debout. De plus, elle
remporte toujours un franc succs auprs des
visiteurs : La Bergre des nuages salue par
Apollinaire, est devenue le symbole de Paris aux
yeux des trangers !
Lexposition de 1889 apparut comme la plus dlirante des
expositions parisiennes avec 32 millions de visiteurs et 25000
exposants
trangers. Il nest pas anecdotique de signaler que la Scandinavie
avait obtenu de construire un chalet en rondins de bois au pied
de la Tour de fer : un symbole de plus attestant des relations
entre la France et les pays nordiques !
Lexposition de 1900Pour cette exposition, ladministration
franaise autorisa Edelfelt offrir aux artistes finlandais un
pavillon indpendant marquant ainsi la reconnaissance officielle du
peintre et surtout la victoire des revendications nationales.
Gallen Kallela participa aux amnagements intrieurs et prsenta des
tableaux.
Le nombre des exposants, dont 40 000 trangers, et des visiteurs
: 51 millions, sest encore accru ! Le mtropolitain na pu tre
termin temps mais on peut admirer encore aujourdhui les entres
des stations dcores par Guimard ainsi que le Petit Palais
et le Grand Palais des Beaux-Arts et des Arts dcoratifs (dont la
verrire vient dtre restaure). Les voyageurs arrivent dans une
nouvelle gare : la gare dOrlans qui deviendra la gare dOrsay
avant dtre reconvertie en muse o les salons dhonneur de
lancien htel des voyageurs subsistent toujours ltage.
Bien que les expositions universelles se soient poursuivies
jusquen 1937 - avec une intressante exposition coloniale en 1907
-
arrtons ltude 1900, cette exposition bilan dun sicle o lesprit
tait encore la fte : on courait voir le Palais de
lElectricit, ou le cinma des frres Lumire, on se ruait vers les
attractions foraines, on se croisait sur le Champs de Mars dans
un
esprit fraternel en oubliant les tensions, prsageant les
conflits futurs.
Le Salon, autre manifestation dimportance
Il doit son nom au Salon Carr du Louvre o fut organise
lexposition dartistes franais vivants, partir de 1727.
Rappelons
pour mmoire les Salons de Diderot qui ont donn ses lettres de
noblesse la critique littraire de 1759 1781 dans des sortes
de promenades picturales dont la lecture tait destine des
souverains trangers comme Catherine II de Russie. Mais lart
se dmocratise au XIXe sicle ; le succs du Salon est tel que les
journaux consacrent de plus en plus de lignes la critique ; de
nombreux livrets et pamphlets sont publis loccasion : Stendhal,
Heine, Mrime, Balzac, Gautier, Musset sy sont engags,
jusqu Baudelaire, sans doute le plus rput dans cet exercice
!
A partir de 1833, le Salon devint annuel. Manifestation de
premire importance pour les jeunes artistes qui, sils taient
accepts,
pouvaient exposer, de cette manire, se faire connatre et
bnficier des commandes de lEtat, daristocrates ou de riches
bourgeois. Il en fut ainsi pour Ingres, Gricault, Delacroix Le
nombre duvres exposes ne cesse de crotre ; Balzac le dplore et
parle de tumultueux bazar. Le Salon carr est devenu trop exigu ;
divers lieux sont alors occups. En 1855, dans le cadre de
lexposition universelle, un btiment spar est construit pour
loccasion, en 1900 le Grand Palais est le lieu choisi.
Le Salon - il parat difficile de nos jours de se faire une ide
juste du prestige et de la popularit de cette institution pendant
un demi-sicle, il attire des foules dont ne sauraient rver
aujourdhui les organisateurs dart contemporain. Dans Luvre,
Zola
prsente un saisissant tableau du peintre Claude et de sa bande
traversant les salles et soudain saisis par un norme bruit :
ctait
une clameur de tempte battant la cte, le grondement dun assaut
infatigable, se ruant linfini Cest la foule, l-haut, dans les
salles.
cahier pdagogique Echappes Nordiques | 11
Construction de la Tour Eiffel Roger-Viollet
-
Dans la cohue, le peintre Claude cherche dsesprment son tableau
LEnfant mort, tout en haut des cimaises dans un angle
obscur, il est quasi invisible ! Il tait non seulement important
dtre retenu par un jury mais il fallait aussi que le tableau ft
bien
plac. Les sujets de discorde tait tels que Napolon III cra en
1863 le Salon des Refuss. En journaliste de son temps, Zola
relate
les querelles qui agitent le monde artistique. La bande traverse
le Salon officiel en vituprant contre toute la dfroque classique,
lhistoire, le genre, le paysage tremps ensemble au fond du mme
cambouis de la convention un art au sang pauvre et
dgnr. Claude remarque alors : Comprends-tu, il faut peut-tre le
soleil, il faut le plein air, une peinture claire et jeune, les
choses et tres tels quils se comportent dans la vraie lumire. On
comprend lenthousiasme des Nordiques !
Au Salon domine le paysage ; le critique Jules Castagnary nous
parle en 1866 de la grande arme des paysagistes. Paysages
urbains : les gares, les quartiers de Montmartre, des
Batignolles, chers aux artistes. Paysages de la campagne de Paris :
villages
des bords de Seine, priss par les impressionnistes ; on y
arrivait par voies navigables ou par voies ferres (le chemin de fer
est
un moyen simple de quitter la grande ville et de tracer des
traits dunion entre Paris et la province en renforant ainsi
lidentit
nationale !). Lchappe se fait aussi vers les plages du nord
dAudreselles, dAmbleteuse, du Touquet, vers les plages
normandes
(dj cites), vers la Bretagne. Les artistes nordiques suivent
donc le mouvement en quittant la capitale, ce nest pas
seulement
une mode, ils apprcient la lumire particulire du littoral de la
mer du Nord ou de la Manche ; Hagborg prsente La grande
mare Agon-la-Manche au Salon de 1879. Dautres, trs nombreux
viennent sinitier la pratique du plein-air Grez-sur-Loing
( la lisire de la fort de Fontainebleau). Carl Larsson prsente
des aquarelles ralises Grez-sur-Loing au Salon de 1884. Cette
mme anne, le Salon des Artistes indpendants est cr, en 1890 le
Salon de la Socit Nationale des Beaux-Arts, celui de la
Rose + Croix en 1892, le salon dautomne en 1903. Si lon ajoute
les nombreuses galeries qui prsentent les uvres franaises
et trangres -parmi les grands marchands dart, retenons Goupil,
Georges Petit et Durand-Ruel- on comprend mieux lattrait
irrsistible des artistes vers Paris.
2. Une formation la franaise
La formation classique
Les coles municipalesDans les coles municipales de dessin tait
dispens un enseignement gratuit qui permettait aux jeunes gens de
se prsenter au
concours dentre de lEcole des Beaux-Arts qui, elle, tait dirige
par des membres de lAcadmie des Beaux-Arts, peintres et
sculpteurs. Les lves nouveaux venus (les rapins dont on parle
dans les romans de Balzac, de Hugo, des Goncourt, de Zola)
devaient passer diffrents concours, daprs nature ou daprs
lantique auxquels sajoutaient des spcialisations (comme la
perspective), lultime comptition tant le prix de Rome. La rforme
de 1863 modifie lorganisation, juge obsolte et sclrosante, ainsi
que lenseignement qui apparat peu ouvert aux nouveauts et qui fait
la part trop belle au dessin. La principale innovation fut la
cration dateliers (peinture, sculpture, gravure).
Les ateliers publicsLes ateliers publics, financs par lEtat, se
trouvaient dans lenceinte de lEcole des Beaux-Arts mais
fonctionnaient de manire indpendante. Ils taient ouverts tous et
non toutes car la formation des filles resta prive jusquen 1897 ;
il faut attendre 1900 pour quun atelier de peinture et de sculpture
leur soit attribu !
Des fils daristocrates, de bourgeois, ctoyaient des ouvriers et
des paysans. Dans cette cole de la vie se nouaient de solides
amitis comme celles de Matisse, Marquet et Camoin, membres du jeune
groupe fauve ; des rivalits ou querelles naissaient aussi,
le manque dargent en tait souvent la cause : les fournitures, le
logement cotent cher. Pour gagner sa vie, Renoir peignait des
ventails, Eugne Carrire composait des vignettes publicitaires,
Matisse en 1900 uvrait la dcoration des frises du Grand
Palais sous les ordres du dcorateur Jambon.
Les ateliers privsDans les ateliers privs, lenseignement nest
pas diffrent de celui des Beaux-Arts puisquil est souvent dispens
par les mmes
professeurs et les tudiants peuvent, dailleurs, suivre
paralllement cours publics et cours privs. De nombreux trangers
sy rencontraient : des Allemands taient envoys par lEcole des
Beaux-Arts de Munich. Ils y croisaient des Sudois venus de
lAcadmie Royale des Beaux-Arts de Stockholm : parachever les
tudes artistiques en France tait devenu une tradition ; au
XVIIIe sicle, Gustave III avait fait mettre en place un systme
qui encourageait les jeunes artistes venir en France afin dtablir
les bases dune vritable cole sudoise. Son souhait avait t respect
et la colonie sudoise tait devenue une des plus importantes
de France. Ne pas oublier son identit nationale est une autre
caractristique : Richard Bergh, devenu conservateur du National
museum Stockholm conseille ses contemporains dter leurs gants
franais pour se glisser dans leur peau sudoise. Ils y
rencontraient des Danois, des Finlandais ou des Norvgiens comme
Munch qui avait trouv bien surann lenseignement de
lEcole de dessin de Christiania (lactuel Oslo).
12 | cahier pdagogique Echappes Nordiques
-
La personnalit du matreLa vie dans les ateliers tant publics que
privs dpend de la personnalit du matre qui le dirige. Les frres
Goncourt nous en donnent une ide dans le roman Manette Salomon,
paru en 1867, qui devait sappeler, lorigine, Latelier Fangicourt.
Les crivains nous
donnent un aperu des dbats esthtiques du moment, incarns par
deux personnages importants : le peintre Crescent inspir
par Millet, Corot et lEcole de Barbizon, le peintre Coriolis qui
invente un Orient clair ; ils tudient les relations qui existent
entre
le peintre et son modle, prfigurant ainsi Luvre de Zola. Les
peintres eux-mmes apportent des tmoignages sur les ateliers du
temps : celui de Courbet, rue Notre Dame des Champs par le peintre
Prvost (1862), celui de Bazille dans son propre atelier
1870 ou Un Atelier aux Batignolles par Fantin-Latour 1870.
Quelques exemples parmi tant dautres ! Les crits ne manquent pas
sur les jugements de tel ou tel lve : Jean-Lon Grme, la tte dun
atelier de peinture jusquen 1902 acquiert une solide
rputation ; il accueille de nombreux trangers comme le sudois
Ernst Josephson (introduit par son compatriote Hugo Salmson,
un ami de Carolus Duran). De 1879 1880, il frquente le quartier
Montmartre. Lon Bonnat reoit le prince Eugen venu se former
sous un nom demprunt et qui passera ensuite dans latelier de
Puvis de Chavanne. Cabanel, peintre officiel de lEmpire est salu
par Henry Gervex comme un professeur merveilleux lintelligence
rare. Cormon est le plus cot, cest pourtant Gustave
Moreau qui remporte la palme de la popularit par sa libert
denseignement. Latelier de Gleyre est rest clbre, moins par son
nom que par celui de ses lves : Monet, Sisley, Bazille et, en
1872, Berthe Morisot.
Quand ils arrivent Paris, les peintres nordiques dcouvrent une
ambiance artistique houleuse : les impressionnistes (cits plus
haut) auxquels il faut ajouter Manet, Pissarro ou Renoir sopposent
aux peintres officiels : Bonnat, Cabanel ou Grome. Le finlandais
Albert Edelfelt souligne il y a trop dimpressionnistes et leurs
ciels clairs bleu de Prusse et outremer, leurs paysages jaune et
vert
pomme et leurs ombres violette, tuent toutes les peintures
honorables et dcentes accroches leurs cts. Les Nordiques
de la premire gnration choisiront plutt les peintres dits du
juste milieu comme Friant, Cazin, Dagnan-Bouveret qui reoit
Edelfelt dans son atelier, conu pour la peinture de plein-air.
Carolus Duran recommande, quant lui, aux nombreux trangers qui
frquentent son atelier (Anglais, Amricains, Sudois) daimer la
gloire plus que largent, lart plus que la gloire, la nature
plus
que lart. Autre influence importante sur les artistes du Nord,
celle de Jules Bastien-Lepage son ambition - dit Emmanuelle
Amiot-Saulnay - est de peindre lhomme contemporain sans apprt ni
idalisation dans la lumire vive du plein-air. Lui-mme affirme : Je
veux faire de la ralit et, si je peux, la rendre potique. Lumire,
vrit, vie, voil des mots qui trouvent un cho significatif dans le
cur des Nordiques comme Edelfelt, ou encore chez le Norvgien
Thaulow Important trait dunion entre la peinture
norvgienne et lart moderne franais.
La seconde gnration sera plus influence par lcole de Pont-Aven
et surtout par Gauguin qui y fait de frquents sjours. Jaime la
Bretagne, jy trouve le sauvage, le primitif le petit village breton
abrite depuis 1860 une colonie cosmopolite. Le matre qui avait pous
la danoise Mette Gad, simpose par sa personnalit et tablit des
liens amicaux avec le Danemark : il sjourne
Copenhague, il y expose et fait de nombreux mules comme le
danois Willumsen apprci galement par Maurice Denis. Thaulow avait
pous, Ingelborg, la sur de Mette.
Les Acadmies libresCertains jeunes artistes prfraient frquenter
les acadmies libres qui se singularisaient par labsence de
contrainte et de
directive et sans concours lhorizon (du moins au dbut). Parmi
les plus connues il faut citer lAcadmie Colarossi o Matisse
venait dessiner le soir, lAcadmie Suisse du nom de Charles
Suisse, ancien modle de David, portraitur par Courbet et qui fut
un
moment son lve parmi dautres : Delacroix, Isabey, Corot, Manet,
Monet, Pissarro La plus connue est sans doute lAcadmie
Julian, ouverte passage des Panoramas, puis dans dautres lieux :
entreprise florissante, elle comptait six cents lves en 1890. La
population trangre y tait importante : le finlandais Pekka Halonen,
par exemple, sy inscrivit en 1891. Les filles avaient mme droit un
atelier, dans un btiment spar (pour prserver les bonnes murs
!).
Si lon excepte le sculpteur Ville Vallgren qui resta trente ans
en France, la plupart des Nordiques retournent au pays, ils
ouvrent
leur tour, des ateliers ou des coles Le Danois Achen cre le Muse
de Skagen, le Sudois Bergh est nomm directeur du
National Museum de Stockholm, le prince Eugen constitue une
importante collection de peintures davant-garde nordique quil
lguera son pays. Ils gardent des liens privilgis avec la France,
avec Paris ville cosmopolite, mtisse.
Lme de Paris nest pas faite des seuls Parisiens ni des Franais
venus de province. Il faut y ajouter tous ceux qui, comme moi,
aiment cette ville sans y tre ns, nous tous qui avons la
possibilit dy crer, dy travailler en lui donnant le meilleur de nos
uvres
personnelles. Combien dintellectuels et dartistes du monde
demeurent dj dans la mmoire monumentale de cette ville ?.
Zo Valds.
cahier pdagogique Echappes Nordiques | 13
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Philippe Lefbvre
La modernit des artistes nordiques Paris la fin du XIXe
sicle
Rcemment, une petite marine du peintre danois Peter Severin
Kryer : Enfants au bord de la mer tonnait un public franais par
son trange modernit. Une modernit la fois proche et si diffrente
de limpressionnisme, rfrence devenue incontournable
au tournant du sicle. Il se pourrait mme que la modernit un peu
dfrachie, trop vidente de limpressionnisme favorise la dcouverte
dun naturalisme nordique aux accents diffrents. La luminosit
blouissante de ce petit tableau, sans abus de
contraste, sa simplicit et son cadrage incisif, la nettet
ptrifiante du rendu, tout cela la fois correspond au got
daujourdhui. Mais que sont ces artistes de lEurope du Nord installs
ou exposant en France entre 1870 et 1914 ?
LHistoire de lart internationale du XIXme sicle est
principalement cantonne lart franais si lon sen tient la mmoire
des
grands mouvements qui ont fait la peinture du sicle. Paris est,
jusquau tournant du sicle, la capitale des arts. Hors des
grandes
rfrences, hors des crations inaugurales et des productions
thoriques, on redcouvre aujourdhui des formes dart qui furent
sur le mme pied que toutes les expositions officielles. Dans
cette abondante production artistique qui sort de lombre, les
peintres du Nord de lEurope qui sinvitrent Paris occupent peut tre
une place part.
Ltude des artistes nordiques travers leurs thmes de prdilection
(le paysage, le portrait, la scne de genre) nous replonge
dans la riche complexit de la peinture franaise sous le second
empire et sous la IIIme Rpublique. Lopposition rductrice entre
impressionnisme et acadmisme nous fait oublier lample diversit
dont les Salons officiels et les expositions indpendantes font
preuve lpoque. Ce que les historiens dart qualifient la suite de
Rosenthal de peinture du juste milieu dborde finalement les simples
valeurs de lclectisme. Dans le petit tableau du danois Georg Achen
(1860 -1912) humblement intitul Intrieur (1901),
on est frapp au premier coup doeil par la lumire cristalline si
intense. Cest une scne dintrieur bourgeois ordinaire, deux
personnages fminins contre jour dune fentre nous tournent le dos
et regardent irrsistiblement au dehors. Cette scne banale
est sublime par la lumire. Non pas un flot de lumire qui
inonderait la pice mais un raffinement deffets lumineux produit par
les reflets des verres et lamortissement mesur des zones dombre. La
ponctuation de lombre et de la lumire charpente elle seule le
tableau. Cette lumire si limpide voit son effet renforc par la
nettet photographique de limage. Le cadrage nest pas sans
rappeler linfluence de la photographie dont le ralisme voque la
manire dHenri Fantin-Latour (1836-1904) dans ses portraits de
groupe comme LAtelier des Batignolles (1870) ou Coin de table :
Verlaine et Rimbaud (1872).
Notons que le ralisme impersonnel dHenri Fantin-Latour parat
dautant plus trange quon le sait grand admirateur de Manet et trs
li au milieu impressionniste. Cest un artiste qui a beaucoup tudi
au Louvre et qui est toujours rest fidle aux Hollandais du XVIIme
sicle. Pour sa part, Achen associe le choix de petits formats au
rendu exact de limage pour donner ses oeuvres une
dimension potique trs prise par le public. Artiste apprci en son
temps, il est reconnu en Scandinavie mais aussi en Russie, en
France et en Allemagne.
Albert Edelfelt (1854 -1905), peintre consacr en Finlande et en
France, eut une carrire des plus honorables Paris la fin du sicle.
Ds les annes 1870-80, sa rputation en tant que portraitiste de
qualit nest plus faire. Le fameux portrait de Louis
Pasteur (1885) obtient tous les suffrages de la presse et lui
vaut, en gage de reconnaissance, dtre promu Chevalier dans
lOrdre
de la lgion dhonneur. Loeuvre est acquise par lEtat franais en
1887 pour la Sorbonne. Le critique dart Charles Ponsonailhe
ne tarit pas dloges pour ce portrait quil estime rsolument
moderne et vocateur. Selon lui, il surpasse les portraits de
Pasteur
par Bonnat et Carolus Duran. Albert Edelfelt est lun des
premiers peintres nordiques atteindre une renomme
internationale
tout en occupant le premier rang de la peinture finlandaise.
Peintre dhistoire, il ne saurait en tre autrement pour un artiste
ayant bnfici dune solide formation acadmique couronne par les cours
de Jean Leon Germe. Il suit linspiration parisienne et peint de
prfrence son poque, son environnement, sa propre vie. Le Palais du
Luxembourg prsent au Salon officiel de 1887 et acquis par lEtat
franais nous prsente une scne de la vie parisienne tout fait dans
le ton du naturalisme moderne de Manet.
Bar aux folies bergres, Le bon bock, Le skating nous reviennent
en mmoire ainsi que la clbre apostrophe de Baudelaire qui
sy rattache : Celui-l serait le vrai peintre qui saurait nous
faire voir et comprendre combien nous sommes grands et potiques
dans nos cravates et nos bottes vernies. Le Palais du Luxembourg
est un tableau qui ne raconte pas, il nous met en prsence
dune scne de la vie quotidienne sur une terrasse du jardin du
Luxembourg avec de belles lgantes, nourrices et enfants qui
gotent les premiers jours de lt lombre fine du premier plan. A
la diffrence de la facture franche, brutale, directe de Manet, la
forme est ici plus respectueuse de la tradition : limage est nette,
prcise, dtaille mais sans surcharge. Il faut souligner quune
part importante de la modernit de Manet tient linnovation
formelle. Il ne cherche pas faire honneur la tradition. Il
remet
ouvertement en cause lide du beau raphalesque et de la puret
ingresque.
1 | cahier pdagogique Echappes Nordiques
-
cahier pdagogique Echappes Nordiques | 1
Albert Edelfelt, Journe de dcembre, 1892
Paris, muse dOrsay Rmn/Herv Lewandowski
-
Ce que Thophile Gautier disait de Courbet en citant un vers de
Nicolas Boileau Despraux convient galement Manet pour
le got des simplifications plastiques et de la facture
indiscipline : rien nest plus beau que le laid, le laid seul est
aimable. Il est vident quEdelfelt ne partage pas cette conception
radicale de la modernit. Sjournant lhiver en France, lt en
Finlande,
Edelfelt parcourait la campagne en qute de paysages, pour
traquer, isoler les particularits inattendues du pays comme on
dcouvre une nature demi-vierge. Paysage de dcembre (1893) nous
laisse entrevoir dans la ple mais chaleureuse lumire
dhiver, un bourg de bord de mer engourdi dans le froid laiteux
qui submerge le site. Comme dans bien dautres paysages, le
temps semble stre arrt. Avec limpressionnisme, le paysage de
plein air sest orient vers la transcription dinstants furtifs.
Ce
nest pas le cas des paysages dEdelfelt qui oublient les
sensations fugitives pour confronter le spectateur des images hors
du
temps. Le spectacle de ses paysages conduit une dissolution des
notions de temps et despace, un sentiment dternit.
Le choix rpt de points de vue en surplomb, de composition
distribue dans la hauteur contribue cette mise distance du
paysage.
Hugo Salmson (1843-1894) peintre sudois venu sjourner trs tt en
France et exposant rgulirement avec succs aux Salons
officiels, nous apparat ici sous le jour du naturalisme rural.
En France, les sujets de paysannerie portent infailliblement
lestampille de Millet. Pourtant, le naturalisme paysan en peinture
sest affirm bien avant Millet et on se souvient de LArrive des
moissonneurs de Lopold Robert au Salon de 1831. Toutefois, les
figures de Lopold Robert sont classiques et les paysages sont
empreints de nostalgie italienne. Or, les critiques libraux et
rformistes dalors rclamaient des types rgionaux franais plutt que
des figures classiques. Il y eut ensuite la rvolution de 1848 et
lidologie ne cessa plus de tourmenter le naturalisme paysan de faon
parfois
contradictoire. Ainsi des critiques de gauche comme Castagnary,
Thor-brger se sont empars de certains aspects du ralisme
et du naturalisme pour en faire des caractristiques stylistiques
majeures, diamtralement opposes la peinture acadmique. Le
naturalisme prolonge la tradition du XVIIme hollandais o les
valeurs dmocratiques individuelles taient privilgies au
dtriment
dune autorit absolue civile et religieuse. De l sest dessine la
distinction entre peinture de paysage , vocation de la vie
rurale
et grande peinture de sujet historique et religieux.
De l se dgage lassimilation entre les valeurs de libert
individuelle, dmocratique et la libert de lartiste envers lart
officiel. Dans le prolongement de ces oppositions radicales, on
trouve lEcole du plein air oppose au travail traditionnel en
atelier. Il ne faut pas
oublier que le paysan reprsente une catgorie sociale au centre
des bouleversements qui accompagnent la rvolution urbaine
et industrielle. Il est une figure cl de lactualit. Quand, au
salon de 1850, Millet prsente Le Semeur : un grand gars la mine
sombre et inquite dvale un coteau et jette grandes poignes le grain
que les corbeaux convoitent, les critiques de gauche
ne sy trompent pas et font de ce paysan le type de lopprim
farouche qui sapprte briser ses liens. Ce symbole
rvolutionnaire
du semeur hantera longtemps les mmoires au point quil deviendra
lemblme des rvolutions agraires dans les pays socialistes.
Il sera le tout premier hros du culte du travail. Ces ides qui
dbordaient les intentions de Millet nen ont pas moins fait de
lui,
linstar de Courbet, une figure davant-garde. A partir de 1865,
la vie rurale devient un thme courant de la peinture de Salon. Les
interprtations des oeuvres de Millet voluent, sadoucissent. On voit
en lui lhritier cach dun pass classique et biblique.
On saperoit quil est linterprte dune valeur bourgeoise : la
vertu du travail. Son monde de labeur, de repos dment gagn,
offre la bourgeoisie des villes, le plaisir de lvasion dans une
nature apparemment intacte. La place de lhomme au coeur des
paysages continue dinterroger. On y voit la proccupation
dominante de la lutte de lhomme avec son destin. A travers ces
quelques lignes sur lart de Millet nous navons fait queffleurer
le sujet du naturalisme rural. Trop dides et dinfluences se
croisent sur ce sujet et labondance des productions artistiques,
comme le soulignent les chroniques des Salons, narrange rien.
La petite glaneuse (1886) de Hugo Salmson nous met en prsence
dune jouvencelle champtre. Cest une jeune paysanne aux
godillots clouts, assise flanc de coteau contre une gerbe de bl,
allusion son travail. Limage est dun ralisme franc, dtaill, prcis,
hormis le fond de colline hriss dteules dor bross avec fougue. Une
belle lumire nat du contraste entre ce canevas de touches dores et
le doux contre-jour qui enveloppe la jeune fille. Ce genre de
portrait attendrissant des paysans laborieux la vie comme on le
retrouve dans le tableau La Barrire de Dalbye (1884) illustre le
naturalisme rural de Salmson.
Quelques scnes de la vie paysanne de Jules Bastien-Lepage
(1848-1884), ce jeune peintre naturaliste franais disparu
prmaturment en pleine gloire, tmoignent de son influence
dterminante. Le petit colporteur endormi (1888) et Pauvre Fauvette
suscitent le mme attendrissement pour le peuple des champs. Mais
avec dimposantes compositions comme Les foins,
tableau de grand format qui eut un succs immdiat au Salon de
1878, Bastien-Lepage prfre lvocation franche et grave du
monde paysan. Comble du ralisme et consquence du format, les
figures sont traites lchelle relle. La scne nen est que plus
impressionnante. Deux personnages reclus de fatigue apparaissent :
une jeune paysanne la physionomie fort provinciale,
abattue, le regard vide, les bras affaisss ; derrire elle, un
homme terrass par le sommeil du juste. Le paysage alentour napparat
pas. On est en bordure de pr et limage est revigore par la facture
large, effiloche de ce fond herbeux. Les scnes dpeintes par
Bastien-Lepage sont riches en dtails, dune facture libre,
suggestive et virtuose. Les paysages, influencs par le luminisme
impressionniste, ne sont pas soumis la forme et la technique
impressionniste. Les paysans du cru sont voqus avec sincrit
dans des poses naturelles bien observes. Il leur arrive aussi
dtre contemplatifs. Le triomphe ais et rapide de Bastien-Lepage
dans la veine naturaliste na pas manqu dattirer lui les artistes
trangers blouis par la scne parisienne. Bon nombre dartistes
nordiques furent des adeptes de Bastien-Lepage.
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-
Le peintre norvgien Frits Thaulow (1847-1906) dcouvre Paris en
1875 o il parachve sa formation entreprise lAcadmie royale
des Beaux-Arts de Copenhaghe. Il soriente trs tt vers le ralisme
et la peinture de plein air alors trs en vogue aux Salons. Son
succs en Norvge est immdiat. En 1892, il sinstalle durablement
Paris et frquente rgulirement les artistes davant-garde
(Gauguin tait son beau frre). Comme Edelfelt, il devient un
artiste assidu et reconnu aux Salons officiels. Dans Une vieille
fabrique sous la neige en Norvge (1894), limposant premier plan du
tableau est tout entier consacr un
plan deau, de neige fondue. Il module la lumire intense dun
paysage dhiver baign de soleil. Une grange enrobe de neige
projette son ombre dlicate, rougeoyante sur ce miroir argent.
Thaulow impose souvent ses paysages un grand premier plan
comme une tendue lumineuse ou lample surface miroitante dun
cours deau. Les impressionnistes aiment utiliser le miroir de
leau, la rverbration de la neige pour mieux tudier la
diffraction de la lumire. Thaulow nen fait pas le mme usage. Il se
garde
bien dappliquer la technique de la touche fragmente et du
divisionnisme. Il ne concevait pas que la synthse optique des
tons
puisse vraiment traduire la lumire du Nord. Par contre, ce trop
plein de lumire qui inonde le premier plan contribue traduire
la grande lumire des rudes contres nordiques. Dans les paysages
de la campagne franaise, il lui arrive de reprendre cette
disposition. Des paysages de sous bois o spand un cours deau qui
fait scintiller la lumire comme la paroi de verre dun vitrail,
nous font parfois penser, en plus vif, Henri Harpignies. Cet an,
plus que nul autre, savait tirer parti dun arbre tourment
contre-jour et en majest au premier plan ou dune troue de paysage o
serpente un cours deau miroitant.
Cest essentiellement par des paysages de Norvge que Johannes
Grimelund (1842 -1917) se fait connatre aux Salons officiels
parisiens. Des paysages o la brume, la neige et la lumire suscitent
une atmosphre laiteuse comme dans Village de pcheurs
au crpuscule ou des paysages sauvages aux impressions lumineuses
extrmes comme dans Bord dun fjord au printemps (1896)
o une baie radieuse illumine lchancrure dune cte
montagneuse.
La monumentalit des sites et la luminosit vigoureuse nous
donnent une ide de la traduction visuelle des particularits
nordiques.
Grimelund est lun de ces peintres du Nord qui, lcart des coles
trangres et en dehors de la formule impressionniste, assimile
les nouvelles tendances et invente un naturalisme franc et
nergique la mesure des contres nordiques.
Linspiration parisienne a permis aux artistes nordiques dentrer
dans la modernit en adoptant lesthtique consensuelle du
pleinairisme (une forme de naturalisme marque par le luminisme
impressionniste). Des talents franais reconnus comme Jules
Bastien-Lepage appartiennent cette cole naturaliste ouverte la
modernit mais qui ne remet pas en cause la fidlit de la
reprsentation. Cest une forme de juste milieu. Dun ct,
Bastien-Lepage dclarant : Je me suis mis faire ce que je
voyais,
tchant doublier ce quon mavait appris et de lautre, Zola, le
critique engag, pourtant son ami, disant de lui : il nest quun
suiveur qui va o souffle le succs, il consacre le triomphe
impressionniste en laffadissant, il lacclimate au got
bourgeois.
cahier pdagogique Echappes Nordiques | 1
-
Marie Barras-Pirritano
Ralit nordique et image de lme : les particularits de la
peinture scandinave
Tout ce qui existe exprime la nature de Dieu, autrement dit son
essence, dune faon certaine et dtermine.
Baruch Spinoza
Panthisme, dfini avant lheure par le philosophe hollandais
Baruch Spinoza, o de toutes choses immanent le divin, le mystre,
caractrise naturellement la pense scandinave. Il faut dire que la
situation gographique, de la grandeur des paysages
lhorizon trangement ouvert vers le ciel ceux sombrement escarps
des profondes valles en passant par des rgimes de
saisons dmesurment contrasts, offre lhomme du Nord une exprience
symbiotique avec la nature. En tout Scandinave
semble sinscrire la prsence originale dune nature antagoniste o
alternent tnbres hivernales et ivresses des lumires estivales.
Violence et Paix, tension et srnit induisent lhomme dans une
prsence mtaphysique bien au-del des rationalisations
mtorologiques. Un climat de communion et de tension intenses
sinstaure ainsi entre lhomme, son quotidien et les phnomnes
impalpables de la nature. Lhomme est humble devant limage de
cette nature dune puissance surnaturelle, mais se place de
fait dans laction rflchie et organise pour faire face sa cruaut.
Ce constat est ancr dans la culture scandinave jusquaux mythes
fondateurs o la vie nat dans ce vide entre le froid et le chaud, ce
monde double entre les tnbres et la lumire, dans la rencontre entre
glace et fournaise. A cela sajoute une culture protestante et
luthrienne, une rigueur de conduite humble et la
menace permanente de la punition, mais aussi une propension voir
le bien, cest--dire le beau, dans la sagesse des gestes du
quotidien ou dans lexpression intuitive dun corps, dun
visage.
Limage du sacr, demeurant longtemps empreinte diconographie
religieuse classique, semble ds le XIXe sicle se dplacer
sur une vision plus profane et un vcu mystique des paysages et
du quotidien. Que lartiste soit croyant, athe ou agnostique, il
conservera de son identit scandinave cette mme sensorialit et cette
mme passion pour le mystre qui donne luvre une
dimension tantt sereine, tantt ardente, imaginative ou lyrique,
marquant le passage dun monde sensible un monde profond,
intrieur. Ce monde sensible soffre eux dans une ralit exaltante
et dj transcendante. Elle engendre une passion du vrai
qui pousse lobserver avec prcision. Ainsi le ralisme voire le
naturalisme des peintures scandinaves au milieu du XIXe sicle a
cette particularit de manifester, au-del de lobjectivit quelle
est sense soutenir, une sensibilit et une me toute particulire
lie lexprience inhrente du paysage rel. Le dveloppement du
pleinairisme insuffl par les voyages des peintres en France ds 1870
va permettre cet panouissement travers un langage pictural qui
prserve toujours une identit nordique. De mme
les scnes du quotidien qui entrent logiquement dans une
iconographie privilgiant le vcu, dgageront avec naturel toute
la
beaut mystrieuse de leur simplicit voire de leur dpouillement
sous la divine lumire borale. Cest que la lumire donne aux
Nordiques bien plus quun clairage rflexif sur les choses du
monde. Particulire, elle inonde de sa froideur bleute les jours
dilats des hivers et enflamme les solstices dt.De cet lan raliste
et non moins habit vont merger des approches spontanment plus
romantiques ou des visions plus
symbolistes, hantes par le mystre et le tourment existentiel. Le
romantisme, dj prsent dans une nouvelle conception du
paysage ds la premire moiti du XIXe, va renatre ou saffirmer
avec la ferveur dune libert picturale acquise dans lmulation des
courants franais. Retranchs dans les petits villages authentiques
comme les Franais Pont Aven, les peintres scandinaves
fuient tout naturellement la dmographie galopante des villes
pour retrouver la solitude et le silence des espaces introspectifs
si
chers leur me. Cette potique de la solitude se traduit
dialectiquement par des visions contemplatives et des envoles
lyriques
dautant plus explosives quelles sont contenues par lhumilit et
la retenue de leur temprament. Ainsi les qutes se veulent
parfois mlancoliques et parfois angoissantes, lartiste
exploitant et affrontant sa propre disparit, ses propres
antagonismes
limage de la nature.
Le symbolisme va rpondre en toute logique cette proccupation de
lhumain. La retombe aiguise des bouleversements
religieux, thiques et philosophiques entams au XVIIIe sicle va
accentuer les troubles politiques et intellectuels de cette fin de
sicle et conduire les hommes entretenir des rapports nigmatiques
avec la mort. Si lon ne croit plus en Dieu, lme se rvolte
contre une socit qui se mcanise et une vie sociale de plus en
plus dshumanise. La nature va plus que jamais souligner les
antagonismes et les tiraillements de la conscience humaine ; la
spiritualit va se dplacer sur lhomme. Je peindrai des personnes
vivantes, qui respirent, qui ressentent, qui souffrent et qui
aiment () Les gens comprendront ce quil y a de sacr cela, et
ils
enlveront leur chapeau comme sils taient lglise. Edvard
Munch
Le travail synthtique et la capacit du paysage et des corps
faire signe, faire sens, vont permettre lme scandinave de
saccomplir dans la peinture travers ce quelle a de plus profond,
sa douleur existentielle.
Selon quil soit danois, norvgien, sudois ou finlandais, lartiste
soutient intuitivement un got pour lintimisme, lpret et le
dramatique, le lyrisme, ou la posie musicale, gots porteurs dune me
profonde mergeant dun langage pictural singulier et
imaginatif o entrent en jeu non seulement liconographie, mais
aussi le traitement de la lumire et des couleurs, la forme et
la
facture ainsi que la composition.
1 | cahier pdagogique Echappes Nordiques
-
En ce qui concerne liconographie - comme nous lavons dj voqu -
les thmes de la vie quotidienne campent de toute
vidence le registre expressif de lme scandinave. La vie
quotidienne, cest la nature, que lhomme soit seul dans un
affrontement
ou en communion avec elle. Rares sont les paysages peupls.
Parfois les silhouettes mergent, isoles et lointaines, devant
une
tendue hypnotique et embrume comme dans la tombe du marin du
danois Henry Brokman. La mer et ses rochers sous la
tombe du jour, iconographie romantique, donnent lexprience de
linfini divin, la silhouette sombre dans latmosphre soulignant sa
dmesure et marquant lexprience solitaire. Dans un registre plus
raliste, lhomme au travail dans le paysage marin du
norvgien Frithjof Smith-Hald, offre un sujet dhumilit o lhorizon
peine marqu dans ce ciel qui rejoint la terre nous renvoie
la densit mystrieuse de lunivers. Le paysage, quil soit raliste,
romantique ou symboliste, fait sens parce quil renvoie dans
leur
ralit quotidienne lexprience dune nature piphanique, dune nature
qui donne voir le mystre. Les scnes de genre,
o laccent est mis sur des hommes et des femmes au travail,
dehors ou en intrieur, permettent elles aussi dexprimer
lhumilit,
lardeur et la beaut des gestes simples comme manifestation du
divin en soi. La conception religieuse dun destin accomplir,
comme une prsence de Dieu en soi et quil faut sexercer honorer,
induit une vision humble et recueillie du travail quotidien.
Les scnes dintrieur des danois Georg Nicolaj Achen et Vilhelm
Hammershoi soutiennent ce rapport du travail lintime, len
soi. De mme, les scnes religieuses ne sont aucunement des
illustrations de lhistoire mais bien des instants de culte, de
laction
religieuse. On peut noter ce propos quil nexiste pas de vocable
pour le mot religion, on parle de pratique, de culte. Cest dans
le vcu que sexerce la religion, dans le ressenti et dans les
actes chargs de sens. Le Service divin au bord de la mer du
finlandais Albert Edelfelt rend sensible cette profondeur de lacte
dans une communion panthiste avec la nature.
Enfin les portraits vhiculent intrinsquement la charge
psychologique de lhumain ; lattachement des Scandinaves toucher la
profondeur de lme font deux un sujet de prdilection et pour ce, il
suffit de citer le cinaste danois Carl Thodor Dreyer : Quiconque a
vu mes films saura quelle importance jattache au visage de lhomme.
Cest une terre que lon nest jamais las dexplorer. Il ny a pas de
plus noble exprience, dans un studio, que denregistrer lexpression
dun visage sensible la mystrieuse
force de linspiration. Le voir anim de lintrieur, en se
changeant en posie.
cahier pdagogique Echappes Nordiques | 1
Frits Thaulow, Vieille fabrique sous la neige en Norvge,
1892
Paris, muse dOrsay RMN Dist Rmn/Patrice Schmidt
-
La lumire dans la reprsentation picturale de cette fin de sicle
va tenir un rle central une poque o lobservation de la nature et de
ses effets atmosphriques prend sens. Si les artistes nordistes
ctoient les impressionnistes, ils restent cependant
attachs une exprience de la lumire qui leur est propre et qui
tantt, dans ces pays contrasts, se diffuse sous une brume
enveloppante, tantt expose avec prcision les contrastes bleuts
des lments quelle souligne. Mais la lumire semble toujours
porter un vcu mtaphysique, mystrieux. Dans Hiver en Norvge de
Frits Thaulow, la vue lumineuse dun quotidien rude et froid
semble voquer une bienveillance divine, surrelle, assez rare
dans lesprit plus tortur des Norvgiens. Surrelle encore dans
Une vieille fabrique sous la neige en Norvge du mme artiste, ou
encore dans le bord dun fjord Norvgien de Johannes Martin
Grimelund, elle permet daccentuer les contrastes et dessine les
formes avec une prcision qui nous transporte dans une sorte
dhyper ralitMme lorsquelle semble dissoudre un peu les formes la
manire des impressionnistes dans les marines du
norvgien Edvard Diriks, elle affirme la primaut de ses
incidences sur lambiance atmosphrique de la nature. Lorsquelle se
pose sur un visage, la lumire nordique semble rvler au-del des
contours et des formes la psychologie du
personnage, que ce soit sa fracheur et sa simplicit dans La
petite sudoise de Hugo Frdrick Salmson, ou sa vrit naturelle sur la
concentration de Louis Pasteur dAlbert Edelfelt. Elle invite saisir
la profondeur dune me, dun esprit singulier, dcidant par
sa couleur et les variations de son intensit de souligner un tat
psychologique.
La lumire a bien souvent valeur dnigme, quelle soit diffuse et
froide ou clatante et chaude ; elle excelle au Nord dans une
dmesure qui nous dpasse. De fait, elle prend naturellement
valeur mtaphorique et conduit les artistes des interprtations
symbolistes. Exprime par un rouge crpusculaire et violent dans
Le Soir dEdvard Munch, elle induit des contrastes tranchs
en noir et blanc sur les personnages du premier plan.
Saisissante de violence, elle dit langoisse et la mort dun rouge
sang, les
tourments psychologiques jusqu la fantasmagorie. Le dramaturge
et peintre sudois August Strindberg consacre son ami une
prose clairante et plus juste propos de ces visions
crpusculaires :
Crpuscule : Le soleil steint, la nuit tombe, et le crpuscule
transforme les mortels en spectres et cadavres, au moment o ils
vont la maison senvelopper sous le linceul du lit et sabandonner
au sommeil. Cette mort apparente qui reconstitue la vie, cette
facult de souffrir originaire du ciel ou de lenfer. ().
August Strindberg nest lui-mme pas en reste dans cet
expressionnisme de la lumire qui, dans Marine avec rcif semble
attaquer de brillances froides une sombre vague, mtaphore dun
tat tortur et mouvement. Si la lumire se traduit aussi
par les couleurs, les couleurs elles-mmes ralistes ou
symbolistes participent dune valeur animiste. Elles peuvent tre
chaudes
et vives, froides et douces, elles nen demeurent pas moins le
tmoignage dune activit empreinte dun rapport cosmique et
dgagent une sensorialit qui cultive le paradoxe de la srnit et
de lexaltation. Blanches, quasi monochromes et mdites
dans lintrieur dHammershoi, elles sattachent aux douces tonalits
des ocres bruns dans Lintrieur de Peder Vilhelm Ilsted, nous
plongeant dans latmosphre nostalgique et mlancolique de la pice.
Dans les paysages du finlandais Edelfelt, elles dploient une
harmonie musicale comme une ode la nature, substance identitaire et
spirituelle de la Scandinavie. Elles savent se faire
discrtes aussi dans le portrait de Pasteur du mme artiste, des
simples ocres bruns encore qui cartent toute tentative dapparat
et qui dans leur sobrit misent sur la force psychologique du
personnage. Avec linspiration des impressionnistes franais, la
palette colore de bon nombre dartistes scandinaves va toutefois
sclaircir et le chromatisme plus pur et plus vif va souvent
permettre de transcrire lallgresse quinspire aussi la nature
nordique. Les norvgiens Edvard Diriks et Frits Thaulow se
montrent
ainsi attentifs aux couleurs pures des impressionnistes parce
quelles voquent ce rapport la nature exaltant, nergique, qui
transporte si bien limaginaire nordique.
Enfin, les couleurs sombres et la tonalit noir bleut de la
Marine avec rcif dAugust Strindberg prennent toute leur dimension
symbolique dans lesprit corch de lartiste, laissant percevoir la
subjectivit et lexpressivit intrieure de Strindberg. On connat
dautre part les vibrations colores d Edvard Munch, dj prsentes dans
Le penseur de Rodin dans le jardin du Dr Linde
Lbeck, couleurs qui sintensifieront de faon symboliste et
expressionniste au fil du temps et qui traduiront avec force par
des bleus et des noirs profonds, des rouges sanglants et des verts
assombris une charge motionnelle intense et une tension proche
de la folie.
Lattachement des Scandinaves la ralit observe va dans un premier
temps induire avec vidence lacuit des formes et
la prcision de la facture. Formes riment souvent avec une
facture assez lisse, peu spontane, dautant plus mme de remplir
sa fonction raliste que les contrastes du Nord soulignent des
contours prcis et des volumes polis. Le pleinairisme et le
penchant
impressionniste libreront un peu la facture qui semble dj plus
large, notamment dans les toiles du norvgien Edvard Diriks et
plus
encore dans celles dAugust Strindberg. Cette plus grande
spontanit de facture se retrouve aussi dans les portraits du
sudois
Anders Zorn. Ses eaux fortes reprsentant Rodin ou Verlaine
affirment une facture plus libre qui nexclut pas la prcision du
geste et qui contribue restituer la finesse dobservation
psychologique de lartiste. Mais les touches fragmentes ou les
aspects esquisss ne correspondent pas lexprience dterminante des
nordistes.
20 | cahier pdagogique Echappes Nordiques
-
La linarit des formes et la facture en aplat va saccentuer avec
le synthtisme ou le symbolisme. On trouve chez le danois
Mogens Ballin les lignes sinueuses de paysages tranges, les
mandres tracs par des roches ou des chemins, comme dans le
Paysage lencre de chine de 1890-1891. Ces formes tout en
arabesque semblent plus abstraites, soutiennent un mystre, une
tension entre la douceur des courbes et lpret du cerne et
manifestent une ambiance animiste. Plus encore les formes et le
rle
primordial accord au contour dEdvard Munch vont dire le
tourment, langoisse, la mort. La force du symbolisme ici est
davoir
saisi la charge motionnelle que procure la simplification du
dessin. Suivant la philosophie de son compatriote Sren Kierkegaard,
-Plus on pense de faon objective, moins on existe-, Munch sloigne
dune objectivit qui puisait sa confiance en Dieu et en sa prsence
en toutes choses pour affirmer sa propre existence travers une
vision introspective. Ce langage des lignes particulier Edvard
Munch exprime certes une forte subjectivit et trahit un vcu intime
de lartiste mais tend aussi luniversalit, une
introspection dans laquelle chacun de nous peut se reconnatre.
Dans ses lithographies, les visages allongs qui laissent deviner la
forme dune bote crnienne, les traits sinueux des visages, des corps
et du paysage souvent menaant, offrent une incarnation de la
douleur existentielle sans pour autant ngliger une observation
pralable et rigoureuse de lhomme et de la nature. Car le
dessin tranchant des paysages cerns de lignes noires nest pas
loign du spectacle naturel et de la lumire spectrale du Nord
qui dcoupe les formes avec prcision. On retrouve peut-tre cette
mme expressivit dans les films du sudois Ingmar Bergman et
particulirement dans Monika : des paysages aux contrastes
saisissants, des arbres et des hautes herbes qui se dessinent
comme des distorsions dans un ciel flou par la tempte, annonant
encore la tragdie de lexistence - la mort.
La linarit et la synthtisation des formes pour engendrer le
symbole se retrouve aussi en sculpture et particulirement chez
le finlandais Ville Vallgren. Christ de 1889 merge du pltre en
courbe, tte en avant et incline, paules et torse tendus, lignes la
fois mlancoliques par la douceur de leurs courbes et le polissage
de la surface, et souffrantes par la tension
que provoquent leurs avances tranchantes hors du support. De
mme, La Douleur de 1893 inscrit un corps fminin dans
une arabesque sinueuse qui tourmente le corps ; les cheveux se
font la vague dans laquelle elle se noie et la souffrance
sintensifie par lemprisonnement des lignes dans une forme
ovodale symbolique. Formes ralistes ou schmatises, facture prcise,
plus spontane ou en aplat, elles semblent dire les contrastes et
les antagonismes de la nature et de lhomme.
La monumentalit et la diversit des paysages nordiques appellent
des choix de composition de la part des artistes et un
point de vue trs personnel et mdit. Le ralisme mne des
compositions trs cohrentes. On trouve autant dans les
paysages de la peinture scandinave les horizons bas o la prsence
de lhomme se veut discrte, personnages de dos le
plus souvent, qui marquent la contemplation devant la plnitude
divine, comme dans les toiles de Frithjof Smith-Hald ou
de Wilhelm von Gegerfelt, que les cadrages resserrs sur la
prsence mtaphysique des lments tels que leau, la terre, la montagne
Lattention lnergie communicative de la nature est perue avec La
Vague, bord de mer en Normandie de
Frits Thaulow et de faon plus abstraite et symboliste dans
Marine avec rcif dAugust Strindberg.
Lorsque lhorizon est haut, ce nest pas la mconnaissance du point
de vue scientifique de lhomme, si cher au genre paysagiste depuis
le XVIIe sicle, qui le motive, mais plutt la volont datteindre
lessence mtaphysique des lments.
Alors la neige envahit lespace jusqu se fondre dans un ciel
presque hors champ, rejoignant linfini dans Lhiver en Norvge de
Frits Thaulow, les glaciers encerclent la surface de la toile,
enfermant nos regards dans La crique mystrieuse dAnna
Boberg, Les courlis de Bruno Liljefors nous rendent sensibles la
matire vgtale, nos pas enfoncs dans le sol mouvant :
nous sentons la peine rejoindre lhorizon.
Les scnes dintrie