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Un « champ de bataille » celtique ? Le cas d’un conflit armé daté du iii e siècle avant J.-C. à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) Émilie Dubreucq UMR 5608-TRACES, Maison de la recherche, Université de Toulouse-Le Mirail Extrait de : Olivier Buchsenschutz, Olivier Dutour, Claude Mordant (dir.), Archéologie de la violence et de la guerre dans les sociétés pré et protohistoriques, éd. électronique, Paris, Éd. du CTHS (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques), 2014. Cet article a été validé par le comité de lecture des Éditions du CTHS dans le cadre de la publication des actes du 136 e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Perpignan en 2011. Résumé Les témoignages de « champs de bataille » peuvent rarement être mis en évidence par les sources archéologiques, notamment au cours de la période celtique. Cet article a pour but de présenter les vestiges découverts à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône), témoignant justement d’un conflit armé qui s’est déroulé au cours de la première moitié du iii e siècle avant J.-C. (LTB2-C1). Abstract Traces of an actual bale field are rarely brought to light in the archaeological record especially from the Celtic period. The aim of this paper is to present finds discovered at Bourguignon-les-Morey (Haute- Saône), which bear witness to an armed conflict that took place during the first half of the 3 rd century BC (LTB2-C1). Le site fortifié de Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) est implanté aux confins nord-occi- dentaux des plateaux de Haute-Saône (fig. 1). Cet éperon barré est défendu par un rempart de pierre en forme de U aux branches évasées, long de 480 m et d'une largeur actuelle com- prise entre 10 et 30 m, qui isole un promontoire escarpé d'une superficie de 17 ha (fig. 2). Le site et le rempart initial, datés du Néolithique moyen, ont été occupés à plusieurs reprises au Bronze ancien-début Bronze moyen, puis entre le Hallsta final et La Tène moyenne (Piningre et Ganard, 2002 ; Piningre, ce volume). Le site a été remarqué depuis longtemps par les populations environnantes ; un premier plan réalisé au xviii e siècle est conservé au Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon. Toutefois, c’est surtout dès le xix e que l’intérêt est grandissant envers ce site longtemps ari- bué à un camp romain. Napoléon III y subventionne les premières fouilles, effectuées en 1862 par le docteur Aillet, de Bourguignon-lès-Morey, et la commission d’archéologie de la Haute-Saône. C’est dans la partie sud du site que sont réalisées les premières tranchées, qui livrent quelques objets conservés et exposés actuellement au Musée de l’archéologie natio- nale de Saint-Germain-en-Laye. C’est A. Bouillerot qui reprend les recherches, toujours dans le même secteur. Le matériel découvert durant ces campagnes a disparu ; ses articles illustrés sont les seules sources de base quant à la chronologie du site avant les fouilles contemporaines. Les renseignements obtenus à cee époque restent cependant ténus ; A. Bouillerot ainsi que son fils ne réussirent qu’à démontrer le caractère ancien du site, depuis le Néolithique, et les bouleversements parvenus lors de travaux d’aplanissement réalisés en bordure du rempart.
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Dubreucq 2014 : Un champ de bataille celtique : le cas d’un conflit armé daté du IIIe siècle avant J.-C. à Bourguignon-les-Morey (Haute-Saône). In : Actes du Colloque du CTHS

Jan 19, 2023

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Un « champ de bataille » celtique ? Le cas d’un conflit armé daté du iiie siècle avant J.-C.

à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône)Émilie Dubreucq

UMR 5608-TRACES, Maison de la recherche, Université de Toulouse-Le Mirail

Extrait de : Olivier Buchsenschutz, Olivier Dutour, Claude Mordant (dir.), Archéologie de la violence et de la guerre dans les sociétés pré et protohistoriques, éd. électronique,

Paris, Éd. du CTHS (Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques), 2014.

Cet article a été validé par le comité de lecture des Éditions du CTHS dans le cadre de la publication des actes du 136e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Perpignan en 2011.

Résumé Les témoignages de « champs de bataille » peuvent rarement être mis en évidence par les sources archéologiques, notamment au cours de la période celtique. Cet article a pour but de présenter les vestiges découverts à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône), témoignant justement d’un conflit armé qui s’est déroulé au cours de la première moitié du iiie siècle avant J.-C. (LTB2-C1).

AbstractTraces of an actual battle field are rarely brought to light in the archaeological record especially from the Celtic period. The aim of this paper is to present finds discovered at Bourguignon-les-Morey (Haute-Saône), which bear witness to an armed conflict that took place during the first half of the 3rd century BC (LTB2-C1).

Le site fortifié de Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) est implanté aux confins nord-occi-dentaux des plateaux de Haute-Saône (fig. 1). Cet éperon barré est défendu par un rempart de pierre en forme de U aux branches évasées, long de 480 m et d'une largeur actuelle com-prise entre 10 et 30 m, qui isole un promontoire escarpé d'une superficie de 17 ha (fig. 2). Le site et le rempart initial, datés du Néolithique moyen, ont été occupés à plusieurs reprises au Bronze ancien-début Bronze moyen, puis entre le Hallstatt final et La Tène moyenne (Piningre et Ganard, 2002 ; Piningre, ce volume).Le site a été remarqué depuis longtemps par les populations environnantes ; un premier plan réalisé au xviiie siècle est conservé au Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon. Toutefois, c’est surtout dès le xixe que l’intérêt est grandissant envers ce site longtemps attri-bué à un camp romain. Napoléon III y subventionne les premières fouilles, effectuées en 1862 par le docteur Aillet, de Bourguignon-lès-Morey, et la commission d’archéologie de la Haute-Saône. C’est dans la partie sud du site que sont réalisées les premières tranchées, qui livrent quelques objets conservés et exposés actuellement au Musée de l’archéologie natio-nale de Saint-Germain-en-Laye.C’est A. Bouillerot qui reprend les recherches, toujours dans le même secteur. Le matériel découvert durant ces campagnes a disparu ; ses articles illustrés sont les seules sources de base quant à la chronologie du site avant les fouilles contemporaines. Les renseignements obtenus à cette époque restent cependant ténus ; A. Bouillerot ainsi que son fils ne réussirent qu’à démontrer le caractère ancien du site, depuis le Néolithique, et les bouleversements parvenus lors de travaux d’aplanissement réalisés en bordure du rempart.

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Après A. Bouillerot, les recherches sur le site sont mises de côté quasiment durant tout le xxe siècle, et Bourguignon-lès-Morey n’est mentionné qu’au travers de diverses études de synthèse.Mené par J.-F. Piningre et V. Ganard, un programme de recherche sur la vallée de la Saône permet de relancer, dès 1989, les recherches sur cet établissement, abandonnées depuis près d'un siècle ; par l’intermédiaire d’abord de deux sondages préliminaires effectués dans la zone sud du site, suivis ensuite de plusieurs campagnes de fouilles réalisées entre 1992 et 2004. Ces dernières ont porté essentiellement sur la partie sud-est du site, à l'angle formé par les tronçons est et sud du rempart, sur une superficie d’environ 1 000 m2.

La mise en évidence d’un conflit armé à Bourguignon-lès-Morey

La mise en évidence d’un « champ de bataille » est plutôt rare en archéologie, plus particu-lièrement au cours de l’âge du Fer (Deyber, 2008, p. 321 ; 2009, p. 42). En lien avec la Guerre des Gaules, quelques sites comme celui d’Alésia (Sievers, 2001, p. 122) ou du puy d’Issolud (Girault, 2007, p. 261) constituent les principales références pour aborder ce thème, appuyé de surcroît par les sources historiques, en particulier le texte de César. Toutefois, comme le montrent bien A. Deyber (2008, p. 324) ou M. Poux (2008, p. 306), il est difficile même pour ces sites de réunir la plupart des traces archéologiques concrètes, inhérentes à ce type d’évé-nements : pertes humaines importantes qui entraîneraient la découverte de charniers ou de structures funéraires, de grandes quantités d’armements abandonnées, des structures mili-taires ou encore la destruction d’agglomérations. Toutefois, les découvertes récentes réalisées à Ribemont-sur-Ancre (Somme) (Brunaux, 2004, p. 106) et à Pech-Maho (Aude) (Gailledrat, 2010, p. 354) ont eu justement tendance à renouveler une documentation jusqu’ici très lacunaire, notamment pour les périodes moyennes de La Tène (LTC1). Imparfait, le cas de Bourguignon mérite également que l’on s’y attarde et d’être ajouté à cette documentation. Nous nous proposons d’exposer les arguments en faveur d’une interprétation du site laté-nien en tant que probable « champ de bataille » celtique.

Bourguignon-lès-Morey

Fig. 1. – Localisation géographique de Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) (DAO E. Dubreucq)

Archéologie de la violence et de la guerre dans les sociétés pré et protohistoriques 118

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375

350

391

Courbes de niveau(Equidistance de 5m)

Escarpemements rocheuxOccupation dense

Source

Sondage 4

Fouilles 1992-2002

Sondage 8

3

2

5

6

Sondage1

7

4

Rupture de pente

Rempart

Terrasse

0 50m

Fig. 2. – Plan du site de Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) (DAO Clément Moreau)

Un « champ de bataille » celtique ?119

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Des assemblages métalliques spécifiques : un ensemble d’armes de LTB2-C1 (première moitié du iiie siècle av. J.-C.)

En corrélation avec la dernière phase d’utilisation du rempart, un corpus conséquent d’armes a été découvert à Bourguignon-lès-Morey. Un ensemble de 90 pointes de flèches à barbelure unique (fig. 3, n° 1) forme la plus grande partie des trouvailles. Le reste de l’armement offen-sif est représenté par des fragments d’épées et de fourreaux (fig. 3, n° 4-5, 11), des pointes de lances et talons (fig. 3, n° 3, 6) et quelques pointes de flèches foliacées (fig. 3, n° 2). Les éléments défensifs se composent, quant à eux, de pièces de boucliers : manipules, umbos, rivets et orles (fig. 3, n° 7-9). Dans le détail, le site de Bourguignon a livré tout d’abord une épée entière accompagnée de son fourreau (fig. 3, n° 11), auxquels s’ajoutent deux fragments de lames, cinq bou-terolles, quatre fragments de gouttière et un fragment de tôle de fourreau (fig. 3, n° 4-5). Deux anneaux plats peuvent être associés à cet ensemble, en lien avec le système de sus-pension des fourreaux.Une pointe de lance entière, deux extrémités et un javelot composent les armes d’hast, com-plétées de quatre talons (fig. 3, n°3-6). Enfin, six autres pointes de flèches à l’empennage foliacé achèvent l’inventaire de l’armement offensif (fig. 3, n° 2). Les boucliers possèdent aussi diverses pièces métalliques qui permettent d’attester de leur présence. Tout d’abord, l’umbo recouvrant la partie centrale de la spina apparaît à Bourguignon sous diverses formes : trois coques appartiennent à un umbo bivalve (fig. 3, n° 8) et une autre à un umbo de type à ailettes rectangulaires hautes. De nombreux autres fragments peuvent être rattachés à ce type d’objets, sans toutefois qu’il soit possible de les déterminer précisément. Deux pièces sont également remarquables, en tant qu’appliques dont le rôle était de protéger et de décorer les parties inférieures et supérieures de la spina, complétant ainsi l’umbo central (fig. 3, n° 7). Renforts de poignée du bouclier, quatre frag-ments de manipule sont aussi attestés (fig. 3, n° 9). Chacune de leurs extrémités possède une forme différente : trapézoïdale, arrondie, triangulaire et en forme de demi-lune. Les rivets qui permettent d’assembler ces manipules avec l’umbo sont également présents. Quatre d’entre eux possèdent une tête hémisphérique creuse, généralement associées aux umbos à ailettes rectangulaires hautes (Bruneaux et Rapin, 1988, p. 35). Un dernier rivet, à tête circu-laire plate et tige décentrée, devait, quant à lui, appartenir à un umbo à ailettes curvilignes complexes. Enfin, on dénombre une trentaine de pièces d’orles, dont le but était de proté-ger le pourtour du bouclier (fig. 3, n° 10). Après comptage, ce sont au moins six boucliers et fourreaux qui ont pu être dénombrés, ainsi que deux pointes de lances et un javelot.Lorsque l’on s’attache à la datation de tous ces éléments, on constate que l’ensemble décou-vert est homogène et converge vers une datation au LT B2 avec quelques éléments plus récents du LT C1. Seules les pointes de flèches à barbelure posent plus de problème de corrélation, car elles correspondent à un type essentiellement perceptible au cours de la guerre des Gaules, soit au cours de La Tène D2. Nous ne revenons pas sur la discussion chronologique, déjà abor-dée dans le cadre de la table ronde de Bibracte sur les militaria tardo-républicains en contexte gaulois (Poux, 2008) ; nous avons décidé de les associer au reste de l’armement (Dubreucq, 2008, p. 171).Moins abondantes, d’autres catégories de mobilier sont également présentes (fig. 4). Les plus remarquables sont des demi-produits, matières premières des forgerons, représentés par quatre extrémités enroulées et quatre fragments de barres (fig. 4, n° 1) (Dubreucq, 2001, p. 40 ; Berranger, 2002, p. 55). Quelques éléments liés au char et au harnachement se com-posent également de deux pièces de blocages liées au timon du char, un mors à canon en deux tiges articulées et une autre moitié de mors (fig. 4, n° 2-3).

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Deux fragments de bracelets bouletés et deux fibules en fer illustrent les accessoires de vête-ment (fig. 4, n° 4-5). Enfin, une hache à douille et un tranchant d’herminette représentent l’outillage pour cette période (fig. 4, n° 6). Le fait qu’une grande majorité du matériel soit de l’armement, pour partie non récupéré, constitue un premier argument de poids quant à l’interprétation d’un probable « champ de bataille ». En outre, la présence des autres types d’objets (char, éléments vestimentaires et outillage) ne contredit pas cette proposition. En effet, si l’on se réfère aux travaux réali-sés sur les champs de bataille de l’époque napoléonienne (Deyber, 2008, p. 337), on constate que la majorité des mobiliers abandonnés se rapportent justement à ces catégories d’objets, intrinsèquement liées à la vie quotidienne et militaire des combattants.

Des structures défensives réaménagées

À Bourguignon, les segments nord et est du rempart correspondent majoritairement à une construction néolithique rehaussée à l'âge du Fer, alors que la branche sud s'est révélée être une création plus récente. Un premier rempart parementé sur les deux faces, large de 2,80 m, est caractérisé par un remplissage interne de pierres et de limons argileux contenu par des madriers transversaux et des poteaux verticaux régulièrement espacés dans le pare-ment de la façade intérieure. Édifié dans le courant du Ha D1, ce prolongement d'une lon-gueur de 80 m est à mettre en relation avec l'aménagement d'un accès latéral, au sud-ouest du site, doté d'un dispositif d'entrée en bois (incendié) et d'un chemin d'accès empierré. Le rempart sud et le dispositif d'entrée ont été ensuite reconstruits à cinq reprises entre le Ha D1 et La Tène B2-C1 et le chemin également restauré (Piningre et Ganard, 2002, p. 14 ; Piningre, ce volume).

Fig. 3 : Quelques élements d’armement découverts à Bourguignon-les-Morey(DAO : E. Dubreucq) (n°1 à 10 : fer)

0 5 cm

Dessin : V. Ganard

n°1 n°2 n°3n°4

n°5

n°6n°7

n°8

n°9

n°11

n°10

Fig. 3. – Quelques éléments d’armement découverts à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône). N°1 à 10 : fer (DAO E. Dubreucq)

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Dans le cadre de cet article, c’est la dernière phase de ce rempart qui nous intéresse, en l’oc-currence la phase V. En effet, elle correspond à une fortification de cinq mètres de large, qui n’a pas toujours été évidente à dater du fait « du caractère superficiel des formations sédi-mentaires correspondantes » (Piningre et Ganard, 2002, p. 14). Toutefois, de nombreuses pièces d’armement et quelques autres types d’objets en fer datables du LT B-C proviennent de diverses couches issues du démantèlement de cet ultime rempart. Ce dernier a justement pour particularité d’être moins élaboré que les aménagements du premier âge du Fer. Son architecture semble largement simplifiée : assemblages irréguliers des parements, absence d’armature interne et un choix des matériaux plus hétérogènes com-posés de blocs hétérométriques souvent émoussés, voire rubéfiés. L’absence de niveaux d’occupations associés à cette structure et l’aspect beaucoup moins soigné de celle-là plaideraient en faveur d’une réfection rapide dans le cadre d’un événe-ment ponctuel.

La répartition du matériel métallique comme autre indice

D’après les descriptions réalisées par J.-F. Piningre, il semble d’une manière générale que toutes ces pièces laténiennes soient associées à la dernière étape du rempart, prises dans

0 5 cm

Fig. 4 : Autres objets laténiens découverts à Bourguignon-les-Morey(DAO : E. Dubreucq) (n°1 à 6 : fer)

n°1

n°2 n°3

n°4

n°5

n°6

Fig. 4. – Autres objets laténiens découverts à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône). N°1 à 6 : fer (DAO E. Dubreucq)

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Fig. 5. – Répartition de l’armement et des autres objets laténiens à Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône) (DAO E. Dubreucq)

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les couches de démantèlement de ce dernier. Si l’on s’intéresse à la répartition générale et au contexte de découverte des objets, on peut dissocier semble-t-il deux types de mobiliers. Par sa situation sur le site, une première partie du matériel étudié ne semble pas avoir été déplacé (fig. 5). Il s’agit surtout de pièces issues du rempart nord et est, découvertes en pros-pection dans la blocaille de la fortification et qui ne semblent pas avoir été récupérées. La majorité d’entre elles est constituée de pointes de flèches à barbelure unique. Elles sont qua-siment absentes de la branche sud du rempart ; il nous est permis d’envisager la position des assaillants, en tout cas des archers qui ont tiré leurs lots de projectiles. Ils devaient se situer sur le flanc oriental, le moins pentu et le plus accessible du site, comme en témoigne l’alignement des pointes découvertes sur le rempart. Les autres pièces d’armement découvertes dans la même zone peuvent sans doute être inter-prétées comme directement issues des combats. En nombre minimum d’objets, un fourreau, un bouclier et un fer de javelot sont concernés.Quant au reste du matériel, trois zones d’accumulation principales se distinguent (fig. 5). La première se situe au niveau de l’entrée du site, où les objets proviennent du chemin d’accès et de la bordure du rempart sud et ouest. Une seconde zone est remarquable à l’extérieur du site, au pied du rempart sud, à peu près à mi-longueur de ce dernier. Enfin, juste avant l’angle du rempart est et sud, un troisième secteur se démarque également. En outre, un certain nombre de ces objets ont également subi des traitements particuliers qui ne sont pas sans rappeler les mutilations identifiées dans les sanctuaires ou dans les sépultures. Nous ne détaillerons toutefois pas ces pratiques, déjà abordées dans le cadre du colloque AFEAF de Bienne (Dubreucq et Piningre, 2007, p. 674). Elles ont toutefois leur importance quant à l’interprétation globale des événements guerriers qui ont dû se dérou-ler sur le site. Semblant intervenir peu de temps après les combats, elles pourraient avoir consisté en une sorte de trophée ou d’offrande, en lien avec l’événement militaire ; et comme l’indique bien A. Deyber, les aspects religieux sont indissociables de la guerre (2009, p. 116). Même si l’ampleur des découvertes est moindre, les pratiques rituelles suite à un épisode guerrier pourraient aussi rappeler ce qui vient d’être mis en évidence par E. Gailledrat à Pech-Maho (Gailledrat, 2010, p. 354), ou dans le trophée de Ribemont-sur-Ancre (Brunaux, 2004, p. 107).

Quelques ossements humains, restes d’un combattant ?

Quelques fragments d’os humains proviennent également des niveaux laténiens du site ; dispersés sur un faible espace, ils devaient appartenir à un seul et même individu (étude anthropologique d’E. Boes, in Piningre et Ganard, 1994, p. 68). Aucune structure particu-lière ne permet d’attester qu’il s’agisse d’une sépulture. De plus, la fragmentation et l’état de conservation des vestiges permettent de préciser que la décomposition ne s’est pas effectuée à l’air libre ; J.-F. Piningre propose l’hypothèse d’un enfouissement rapide sous la couche d’éboulis du rempart.Le fait qu’il manque une partie des ossements ne paraît pas contradictoire avec cette propo-sition. En effet, sur les champs de bataille, il semble qu’à toutes périodes, les corps aient subi beaucoup de manipulations (rituelles ou non), provoquant très couramment leur dislocation (Deyber, 2008, p. 333). En lien avec le reste du mobilier, nous sommes tentée d’interpréter ces restes comme ceux d’un guerrier qui aurait péri lors des combats, ce que pourrait confir-mer la découverte d’une armature de flèche à proximité (Piningre et Ganard, 1994, p. 56). Au regard des très nombreux squelettes présents à Ribemont-sur-Ancre (près de 150 indivi-dus – Brunaux, 2004, p. 108), il est clair que le site de Bourguignon apparaît très peu fourni en cadavres. Ce fait pourrait d’abord s’expliquer par le peu de surface abordé lors des diverses campagnes de fouille, mais aussi par une probable récupération des corps pour les enter-rer ailleurs, peut-être même à proximité de l’éperon. Le cas des grandes batailles comme

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Alésia est particulièrement significatif quant à la quasi-absence de restes humains décou-verts malgré des milliers de morts effectifs (Deyber, 2008, p. 327). De plus, au vu des quan-tités de mobilier délaissées à Bourguignon (près de six panoplies complètes), il est aussi fort probable que l’on a eu affaire à des combats de faible ampleur, n’ayant peut-être pas pro-voqué des centaines de morts.

Conclusion

Si les sources historiques ne sont pas avares de commentaires sur les aspects belliqueux des guerriers laténiens, la documentation archéologique, en particulier en Gaule, est fina-lement peu abondante lorsque l’on aborde la question des « champs de bataille ». Situé aux confins nord-occidentaux des plateaux de Haute-Saône, le site de Bourguignon-lès-Morey a eu l’avantage majeur de ne pas avoir été réoccupé lors de La Tène D, pas plus que tout au long des deux millénaires qui nous séparent de l’époque gauloise ; la mise en culture tar-dive du plateau n’a pas trop érodé les niveaux présentés ici. Comme nous avons tenté de le démontrer, ce site semble avoir été le théâtre d’une bataille au cours de La Tène C1, comme l’indiquent les nombreuses armes présentes pour cette période, indication confirmée par l’absence de niveaux d’occupation d’habitat, la réfection sommaire du rempart et les quelques vestiges osseux humains découverts. Ces différents indices laissent supposer une utilisation comme site refuge au temps d’un conflit, pour ensuite faire l’objet de pratiques rituelles, probablement commémoratives ou en l’honneur des guerriers tombés au front (?). Cet événement ponctuel est d’autant plus intéressant qu’il s’inscrit dans une phase de mutations et de mouvements de la société celtique ; l’épisode saisi à Bourguignon pourrait d’ailleurs en être une bonne illustration.

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Archéologie de la violence et de la guerre dans les sociétés pré et protohistoriques 126