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LA PEUR DE L'ETHNOGRAPHERflexions partir d'une enqute sur la
pauvret urbaine BostonNicolas Duvoux
Belin | Genses
2014/4 - n 97pages 126 139
ISSN 1155-3219
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Pour citer cet article
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Duvoux Nicolas, La peur de l'ethnographe Rflexions partir d'une
enqute sur la pauvret urbaine Boston, Genses, 2014/4 n 97, p.
126-139.
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La peur de lethnographeRflexions partir dune enqute sur la
pauvret urbaine Boston
Nicolas Duvouxpp. 126-139
Comprendre la pauvret est un exercice particulirement dlicat
dans la mesure o, dans limmense majorit des cas, le chercheur qui
produit ce savoir nest pas concern, en premire personne, par une
exprience pour-tant dcrite dans les termes dune contrainte, dune
frustration, dune distance sociale1. De nombreux travaux ont
contribu la descrip-tion de cette preuve et ont fait preuve dune
grande inventivit thmatique et mthodo-logique pour combler cette
distance sociale entre enquteur et enqut (La et Murard 1985). Dans
cet article, je souhaite marrter sur le rle dune motion, la peur,
que jai res-sentie dans le cadre dun travail ethnographi-que auprs
dune fondation philanthropique intervenant dans des quartiers
particulire-ment dfavoriss dune mtropole du Nord-Est des tats-Unis,
quartiers marqus par un fort taux de dlinquance et de criminalit2.
La peur ressentie par lenquteur dans ses lieux dinvestigation, ds
lors quils sont marqus dune image et dune ralit sociale o
lexpo-sition des menaces pour lintgrit de la per-sonne et des biens
est suprieure celle quil connat dans les autres environnements o il
volue peut, de prime abord, apparatre com-me un obstacle la
pntration et la com-prhension de lespace social. En effet, la peur
est une motion relationnelle o lenquteur,
par des ractions psychiques et somatiques, trahit son
apprhension du milieu quil tu-die. La peur, vcue sous cette modalit
dune crainte propos de certains environnements, quelle soit lie ou
non une menace objective, peut donc tre considre comme lexpression
dune distance sociale vis--vis de ceux-ci et tmoigner des prjugs
subsistant chez len-quteur lgard dun objet dtude en cours
dinvestigation.Franais cherchant pntrer un quartier pauvre et
minoritaire de Boston, je ntais, jusque dans des ractions physiques
sur lesquelles je navais pas ou que trs peu de contrle, pas
diffrent de limmense majorit des amricains blancs, ou de classe
moyenne noire, qui ne frquentent jamais ces quartiers et qui, quand
ils le font, y limitent au maxi-mum leurs dplacements sur la voie
publique pour viter lexposition, sinon des agres-sions directes, du
moins la contamination avec des catgories sgrges et stigmatises de
la population. La peur biaise dabord lenqute : elle est associe des
signes phy-siques qui peuvent obstruer, voire paralyser la
rflexion, empcher les dplacements, ne serait-ce que sous une forme
infra-cons-ciente en suscitant une bifurcation par une srie de
petites perceptions dterminant la conduite et les orientations. Sur
le terrain,
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la peur fait dabord reculer et est en cela dif-frente de celle
que ressentent les habitants du quartier ne pouvant pas sy
soustraire.Cependant, cette logique du biais denqute semble
insuffisante (Lignier 2013 : 2). Nous voudrions montrer, partir dun
exercice de rflexivit sur une enqute ethnographique, comment la
peur peut contribuer nourrir la recherche et lobjectivation de la
ralit vcue par des populations auxquelles lenquteur nappartient
pas. Trs peu souvent voque dans les comptes rendus denqute
ethno-graphique, la peur est une motion que jai ressentie plusieurs
reprises sur un terrain denqute consacr une action philanthro-pique
dans les quartiers paupriss et sgr-gs de la ville de Boston dans le
Nord-Est des tats-Unis. Celle-ci sest manifeste par des ractions
psychiques questionnement sur le fait de savoir si lenqute mritait
dtre mene, physiques tension artrielle, fixa-tion du visage,
diffrentes formes de somati-sation et des adaptations
comportementa-les stratgies dvitement de certains lieux, contrle
des ractions physiologiques, etc. titre gnrique, je dsigne par peur
une mo-tion ressentie par des manifestations psychi-ques et
physiologiques. Elle est la dimension affective doprations de
catgorisation lies des situations, contextes et interactions. La
peur a ainsi t prsente dans un cer-tain nombre de contextes de
lenqute, dans des configurations distinctes et a fait lobjet de
significations et dintensits variables. Le champ smantique de la
peur fait ainsi appa-ratre une gradation, allant de lapprhension la
panique, avec des tats intermdiaires comme linquitude, langoisse,
la frayeur, la terreur et lpouvante. Lapprentissage de la peur sur
le terrain fait apparatre le pas-sage travers des tats dintensit
variable : de la crainte issue de la vision extrieure du quartier
linquitude lie des situations prcises sur le terrain, inquitude
pouvant confiner la panique dans certains cas. Ces
modalits sont elles-mmes diffrencier de la hantise, inquitude
obsdante qui peut se dvelopper force dtre mis en relation avec des
situations catgorises comme mena-antes, que ce soit directement ou
par le biais de la reprsentation mdiatique de ces environnements.Si
jai fortement ressenti la peur dans lex-prience denqute, celle-ci
tait galement, quoique sous des modalits diffrentes, pr-sente dans
la vie des enquts et dans les groupes de parole organiss par la
fondation auprs de laquelle lenqute sest droule (voir encadr
ci-dessous) comme dautres associations. Malgr leurs diffrences, ces
accs motionnels sont porteurs dune com-mune requalification de la
peur, qui est gn-ralement considre comme une exprience ngative.
Penser la peur permet dtablir un lien entre le ressenti de
lenquteur et la ra-lit vcue des enquts, mme si ce lien nest en
aucune manire systmatique et gnrali-sable. Il est lui-mme
interroger et cest en ce sens que cet article souhaite approfondir
cette motion : si la distance sociale dont la peur tmoigne nest
jamais abolie, elle peut tre travaille rflexivement. Jvoquerai tout
dabord la peur ressentie en premire per-sonne travers la
restitution dimpressions issues de lenqute de terrain. Je
mattacherai montrer comment un travail rflexif sur celle-ci permet
de relier lexprience vcue une comprhension sociologique plus large.
Puis, je montrerai la manire dont la verba-lisation de la peur est
un lment central de lordre interactionnel construit, au travers de
runions publiques avec les habitants, par la fondation sur laquelle
portait lenqute. Lobservation, qui implique ncessairement une
participation aux interactions qui sy droulent, des activits
associant une partie des habitants une fondation a fait appa-ratre,
pour ces acteurs trs prcisment situs socialement, limportance de ce
mca-nisme dintriorisation des normes sociales.
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Ressaisi dans le contexte dinteraction et dnonciation qui le
produisait, le discours sur la peur fait apparatre la dimension
politique du discours motionnel (Kra-panzano 1994: 6). Ltude de la
peur et du registre motionnel de lenqute de terrain rvle, plus
largement, la manire dont les motions contribuent intgrer ou sparer
lindividu de la communaut (Katz 1999 : 16). Contrairement dautres
manires de les apprhender qui insistent sur la ncessit de les
saisir en-de de toute reprsenta-tion (Katz 1999: 4), les motions
sont la source dun ordre social rgi par des rgles aussi strictes
quimplicites et cet ordre sera ici ressaisi partir de son
expression et de la manire dont elle est suscite.
Lapprentissage de la peurLa peur de lenquteur ne rencontre pas
toujours celle des enquts mais les deux
sont nanmoins lies. Celle de lenqu-teur se caractrise ici non
seulement par sa posture dextriorit irrductible mais aussi parce
quelle est transmise en partie par les enquts. Cette transmission
rapproche les deux types de peur et lie lethnographe ses enquts en
neutralisant partiellement la distance qui existe entre eux. Mais
il nen demeure pas moins que, quand elle est tem-poraire et
circonscrite pour lenquteur, la peur des enquts est omniprsente et
gn-ralise et produit des effets sur le quartier dans son ensemble
dans la mesure o elle lorganise autant quelle le dsorganise.La peur
fait lobjet dun apprentissage pour lenquteur. Elle nest dabord pas
prsente. Cest un des bnfices dtre tranger que de ne pas connatre, a
priori, les caractristiques et significations des lieux dans
lesquels on se trouve et dy circuler de manire relative-ment
innocente. Cela a t mon cas lors de mon entre sur le terrain. De
prime abord, loin de mtre mfi, je nai dabord tout sim-
Lenqute a port sur une fondation indpendante, laquelle je donne
le nom fictif de Fondation pour le rve amricain (FRA)1. Ancr dans
le courant du social business qui importe les mthodes de management
du secteur priv au secteur non-lucratif, cette fondation se prsente
elle-mme comme une start-up. En agissant sur le tissu conomique, le
secteur ducatif et associatif dun quartier parmi les plus dfavoriss
de la ville de Boston, elle cherche produire un effet de levier sur
le destin des quartiers pauvres. Pour ce faire, la FRA organise
notamment des runions publiques. La participation des habitants
celles-ci est vue la fois comme le moyen et le signe de leur volont
de sortir dune pauvret dabord conue comme un tat desprit fait de
dpendance, de passivit et de fatalisme.Cette recherche repose sur
des observations participantes aux actions de la FRA :
participation aux runions de prpa-ration, au travail quotidien en
bureau et aux actions impli-quant la population ou certains
habitants sur une base plus individualise. Le mme type
dobservations a galement t ralis auprs des nonprofits locaux,
notamment ceux dont la
vocation est daider les anciens dtenus se rinsrer (reentry
programs). Enfin, pour comprendre les modalits de rcep-tion de ces
actions par les habitants, jai cherch multiplier les contacts avec
ceux dentre eux qui simpliquaient dans les nonprofits en les
frquentant dans dautres contextes : socia-bilit informelle, espaces
de mobilisation politique et sociale, frquentation des glises, etc.
Lenqute de terrain a dur huit mois et permis plusieurs dizaines de
journes dobservation dans ces divers contextes.Les quartiers o la
FRA intervient appartiennent lensemble des trois quartiers de
Roxbury, Dorchester et Mattapan qui concentrent les populations
africaines amricaines et latino-amricaines de la ville. Ils se
caractrisent par le cumul des formes de dsavantage caractristiques
des inner-cities o les strates les plus dfavorises des populations
minoritaires rsi-dent du fait de la sgrgation raciale et sociale en
vigueur. La criminalit y est galement trs prgnante : la grande
majorit des homicides, attaques mains armes, vols violents commis
Boston se droulent dans ces quartiers.1. Pour une prsentation
gnrale de lenqute, voir N. Duvoux (2014).
Lenqute de terrain
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plement pas pens avoir peur de me mou-voir librement dans ces
lieux. Cest, en effet, de lextrieur que la peur est venue. Malgr
leur relative proximit par rapport au cen-tre-ville de Boston il
faut une vingtaine de minutes pour se rendre de la gare ferroviaire
de South Station, au centre de la ville, la station de bus de
Dudley qui est un des cen-tres nvralgiques des quartiers du Sud de
la ville ces derniers sont considrs comme un autre monde par les
habitants des quartiers centraux et plus aiss, que ce soit de
longue date comme Beacon Hill ou plus rcemment comme pour le South
End. Des inflexions linguistiques tnues mais significatives ont t
les premiers signes qui mont permis de mesurer limportance du label
de quartiers ghettos qui leur a t appos. Au lieu de conclure une
interaction quotidienne par un rituel take care ou have a good one
, les personnes avec qui je mentretenais me quit-taient par un be
safe qui pouvait indiquer quune menace physique plus immdiate
planait sur moi ds lors que je leur faisais part de mes
dplacements.La peur sest alors immisce sous la forme dune
apprhension vague du quartier o mon enqute se centrait
progressivement. Face cette motion, mon premier rflexe a t de me
mfier. Sociologue blanc dans un quartier dont les caucasiens ne
consti-tuent quune infime minorit de la popu-lation, issu dun
milieu ais, aussi bien par mon histoire personnelle que par mon
ancrage local Cambridge, dans un milieu marqu par une pauvret de
masse, il tait naturel que celle-ci se manifeste, ne serait-ce que
sous la forme dun ethnocentrisme de classe inconscient, li une
incapacit per-cevoir le sens de relations qui apparaissaient dabord
sous les apparences de la violence. Les observateurs les plus aviss
de la ban-lieue ont remarqu cette violence des chan-ges banals
(Lepoutre 1997). La posture de sociologue rclamait de sopposer la
peur
galement en ce quelle exigeait de se distin-guer, pour dvelopper
des relations avec mes enquts, de ce que je percevais, sans doute
navement, comme la peur des membres des nonprofits avec lesquels je
travaillais. Ce qui ma rapidement frapp, cest que ces mem-bres
partaient immdiatement des runions dans leurs voitures gares juste
en face des difices. Recueillir des informations direc-tement,
frquenter le terrain sur de longues priodes, y rester autant que
possible et sai-sir toutes les occasions dy entrer a t une manire
daffirmer une posture de proximit, posture qui correspondait la
fois une volont personnelle, une ncessit profes-sionnelle et un
rite de passage qui mtait implicitement ou explicitement impos par
mes enquts. Venir eux tait souvent un test de mon engagement
comprendre la ralit de leur environnement et de leur exprience. Mon
arrive leur domicile, o laccueil tait toujours chaleureux mme en
situation de forte contrainte, de garde des enfants par exemple ,
tait souvent salue par une exclamation de surprise rjouie et des
expressions comme tu tes point ! ( You showed up! ).Vague
apprhension lorigine, ma peur sest renforce par la frquentation mme
du terrain. La diversit des modes daccs ma conduit prouver des
situations o la peur se manifestait de manire plus directe que par
des mises en garde extrieures. Cela a notamment t le cas lorsque
jai t confront au vide, pour moi inattendu, des espaces publics des
heures o les autres quartiers de la ville connaissent une
impor-tante affluence. Cela indiquait dabord que les conditions
sociales dun usage ais de lespace public, de la rue, ne sont pas
runies. L o elles existent, elles ont fait lobjet dune dcision
consciente et sont mises lpreuve quotidiennement. Ces grands
espa-ces alternent avec des ruelles troites et sou-vent vides
galement, quand elles ne font pas
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simplement lobjet dun abandon donnant lieu la naissance de
friches o les herbes et vgtaux peuvent se mler aux lments btis
dlaisss ( vacant lots ). La circulation rpte dans un tel
environnement nest pas sans produire une exprience o la perte des
repres fait natre une anxit vague mais dont il est difficile de se
dfaire.Ds lors quelle a t lie une connaissance plus fine des ralits
sociales locales, lappr-hension sest mue en une plus grande
scu-rit. Pour y parvenir, il ma parfois fallu me forcer prendre
certaines routes, ouvrir certains itinraires, ne pas dlaisser
cer-taines pistes, au sens trs littral de traces matrielles dans
lespace urbain. La curiosit volontaire a compens lide quune
mau-vaise rencontre ou son anticipation exces-sive pouvait me
priver dun accs au terrain ou le limiter. Au prix de cet effort
dlibr, jai dvelopp, aprs quelques semaines de prsence dans le
quartier, une interconnais-sance avec certains enquts, notamment
dans un primtre de quelques rues dans les-quelles gravitaient
lessentiel de ceux-ci, soit parce quils y habitaient, soit parce
quils sy rendaient dans des permanences associati-ves ou pour leurs
courses. Celle-ci, ainsi que lhabitude, ont fini par me donner un
senti-ment de scurit. Ces lieux taient devenus un environnement
apprivois, sinon familier mais o javais, en tout cas, pu construire
des repres, o je savais o je pouvais trouver untel, o je saluais
rgulirement des habi-tants avec qui javais chang, etc. Au fil dune
immersion de plusieurs mois, la peur que jai pu ressentir sest
faite plus rare mais elle est aussi devenue plus intense dans la
mesure o il mtait de plus en plus possible de distinguer les
situations o une ventuelle interaction indsirable serait matrisable
de celles o elle ne le serait pas.La mise distance de la peur ne
pouvait pas faire office de seule posture sur le long terme,
simplement parce quelle aurait fini
par se retourner contre mon objectif de dvelopper des relations
avec mes enquts si javais persvr la nier, ne serait-ce que parce
quune partie de mes enquts vivant dans le quartier na eu de cesse
de me mettre en garde contre le sentiment de scurit que je pouvais
ressentir dans le micro-quartier o javais pris lhabitude dvoluer.
Pour pouvoir enquter, il a fallu se soumettre ce que la peur
ordonne de faire : adopter des mcanismes dadaptation, de slection
des itinraires, de contrle comportemental lors de certaines
interactions. Cette normalisa-tion de lattitude sest rvle dautant
plus ncessaire quau-del du fait quune lutte consciente contre la
perception mme invo-lontaire dun danger aurait sans doute t
impraticable sur la longue dure, elle aurait surtout eu pour effet
de me labelliser de manire trop visible auprs des enquts. Devenir,
ft-ce de manire trs sommaire, street smart , cest--dire dabord
connatre les hot spots du quartier et les contourner, apprendre se
reprer de manire rapide pour viter tel ou tel coin de rue connu
pour ses rixes et shootings frquents sont autant de conditions
indispensables pour que le statut denquteur puisse tant soit peu se
faire oublier dans les interactions quoti-diennes. La connaissance
fine du quartier, de ses frontires internes, est une part
essen-tielle du monde social de ses habitants et la peur y donne un
accs privilgi. La peur que jai pu ressentir sest trouve rendue
nor-male et susceptible danalyse du fait quelle tait partage et
observable tant dans les mots que dans les actes des habitants. Les
nombreux trajets, pied, en voiture, en bus ou en vlo, faits en
compagnie dhabitants du quartier mont appris quils suivaient des
itinraires prcis, vitaient certains coins de rue particulirement
frquents par des jeunes, faisaient attention ne pas croiser leurs
regards, ne restaient pas dans les rues simplement discuter.
Confronts au risque
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daltercations dont lissue est rendue incer-taine par la
circulation des armes feu, les habitants contiennent leurs ractions
pour viter den susciter, particulirement quand ils sont en
interaction avec des jeunes quils catgorisent comme dlinquants. La
peur peut tre dfinie comme la coloration affec-tive de cette
catgorisation dusage perma-nent dans la vie quotidienne et qui se
focalise sur ceux que William Julius Wilsons (1987) dsignait, il y
a plus de vingt-cinq ans, comme the truly disadvantaged : les
jeunes hommes noirs, et aujourdhui aussi latino-amricains,
dqualifis et notamment ceux qui adoptent le code vestimentaire et
comportemental de la rue. Ainsi, alors que je djeunais dans un
fast-food local, trois adolescents passrent insensiblement du jeu
au combat et leurs mouvements finirent par tre assez amples et vifs
pour incommoder leurs voisins qui scartrent de leur table. La
serveuse derrire le comptoir, une femme latino-amricaine denviron
cinquante ans, dt lever la voix pour les faire arrter. Elle le fit
cependant en leur marquant un respect trs appuy pour ne pas attiser
leur colre et prendre le risque de la faire driver sur elle : Can
everyone just calm down please? dit-elle ainsi en insistant et en
sarrtant sur ce dernier terme. Elle reprit ensuiteen renouvelant la
marque de politesse qui avait conclu sa prcdente phrase : please
remem-ber there are other people around you guys . Cest parce que
les habitants de ces quartiers ont la conscience permanente quils
vivent dans un environnement porteur de menaces quils parviennent y
voluer dans la dure. Le travail relationnel implique dactiver des
motions (Theodosius 2008) parmi lesquel-les, dans ces quartiers, la
peur figure au pre-mier rang.Si la peur est une motion qui organise
socialement le quartier et permet aux rela-tions sociales de
stablir selon un certain ordre des choses (voir lexemple
ci-dessus),
elle participe galement une inscurit gnralise au sein du
quartier qui contri-bue en mme temps le dsorganiser et le rendre
instable.
Peur et (ds)organisation sociale du quartierLa peur dune frange
de la population enqute rvle son enfermement dans la pauvret
urbaine et atteste de lisolement dans lequel cette strate de la
population des quartiers se trouve. Une frquentation rgu-lire du
quartier ma ainsi permis de dve-lopper une meilleure comprhension
de la nature de la dsorganisation sociale (Wil-son 1996) qui le
marquait. Cette connais-sance de premire main a confirm, autant
quelle a limit, cest--dire transform, plus quannul, limage ngative
et inqui-tante que ce quartier renvoyait, linstar des autres
quartiers pauvres. La littrature sur la pauvret urbaine
contemporaine, partie du constat labor par W.L.Wilson dune dprise
cumulative de lespace public par les habitants au profit de la
frange impli-que dans les activits dlinquantes depuis les annes
1980 et 1990, sen est progres-sivement dtourne pour faire apparatre
la diversit interne des quartiers pauvres, souvent identifis des
ghettos (Small et Lamont 2008). Cette htrognit existe de fait et
jen soulignerai les enjeux plus loin. Elle ne sen dploie pas moins
dans un contexte qui produit des effets sur lensem-ble des
habitants : mes enquts eux-mmes taient trs prudents. Cela renvoie
au fait que les formes dorganisation endognes qui sy dveloppent
sont elles-mmes perturbes et les changes sociaux rendus moins
matri-sables par l'instabilit des situations sociales des
habitants. En effet, loin quune organi-sation sociale endogne
puisse sy stabiliser, comme cela a pu tre le cas dans la priode
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allant de la fin de premire guerre mondiale aux annes 1970 par
exemple (Drake et Cayton 1944 ; Wacquant 2011), les quartiers les
plus pauvres sont travaills par des logi-ques exognes puissantes
qui inscurisent radicalement les populations. Tout dabord, la
dsindustrialisation a nourri un chmage massif, le dveloppement de
lconomie informelle et une forte violence interper-sonnelle. La
prcarisation des emplois et la rforme de lassistance ont priv les
habi-tants de ressources stables. La sgrgation de ces quartiers
contribue exposer leurs habi-tants diverses formes de
discrimination et de prdation, en matire de logement par exemple
(Massey et Ruth 2010 ; Desmond 2012). De mme, la rponse pnale la
dlinquance, massive sur les strates les plus dfavorises des
minorits africaines et, un moindre degr, latino-amricaines
(Wes-tern, 2007), produit des effets dstabilisants qui vont bien
au-del de la situation indivi-duelle des condamns (Comfort
2007).Dans ce contexte, la peur guide les pas des habitants, au
quotidien, de manire lit-trale. Elle leur permet de survivre dans
leur environnement mais elle limite gale-ment considrablement leurs
dplacements et contribue reproduire la pauvret qui lengendre.
Leffort pour adopter des strat-gies de circulation limite et
slective dans lespace urbain comme pour contrler son comportement,
notamment le regard, per-met dprouver la distance entre lunivers
professionnel des classes moyennes et par-ticulirement du secteur
des services forte valeur intellectuelle ajoute o les changes
informels et la confiance intersubjective jouent un rle important
et celui des quar-tiers pauvres. Cet effort permet, en retour, de
mesurer la distance que les habitants doivent oprer, en sens
inverse, pour ne pas tre cantonns leur environnement local. Une des
manifestations les plus problmati-ques de la peur est en effet
quelle fonctionne
comme un mcanisme denfermement. Elle est tellement ancre dans
lexprience quoti-dienne quelle structure les manires dagir, de
sentir, de penser, bien au-del des ratio-nalisations conscientes ou
des stratgies dvitement par lesquelles elle se manifeste. La
littrature sociologique a renseign le fait que ces attitudes,
vitales pour survivre dans lenvironnement des quartiers pauvres et
sgrgs, pouvaient se retourner contre leurs habitants ds lors quils
en sortaient (Wilson 1998: 6). Elijah Anderson (1992) a montr
comment les habitants des quar-tiers pauvres de Philadelphie
surveillaient constamment leurs dplacements et leurs attitudes en
prsence de jeunes adoptant le code de la rue dans leur langage ou
leur tenue vestimentaire. viter de regarder dans les yeux est un
impratif et le non-respect du code peut se payer trs cher et trs
vite. En situation dentretien dembauche, cette habi-tude
comportementale peut se rvler dsas-treuse. Il condamne ceux qui
lont adopt aux yeux de ceux qui sattendent tre regards directement,
en face. Le contrle comporte-mental que lenquteur doit observer et
les rappels lordre que ses allis peuvent lui adresser sil sen
loigne trop lui permet de prendre la mesure de leffet de la peur
que les habitants ressentent sur leurs possibilits de participation
la socit. La peur enferme dans la pauvret urbaine.Il est donc tout
fait comprhensible que, dans le cadrage de la pauvret opr par la
fondation observe, reconnatre et expri-mer les motions, mme
ngatives, soit une manire de se dfaire de leur influence
poten-tiellement enfermante. En effet, de manire tout fait conforme
aux assertions fonda-mentales de la socit tasunienne propos de la
pauvret, la fondation dfinit celle-ci moins par un manque de
ressources matriel-les que par un tat desprit fait de fatalisme, de
dfaitisme et de passivit, ensemble de sous-textes condenss par le
terme dpendance
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(Fraser et Gordon 1994). Ce cadrage occulte les dterminants
structurels en mme temps quil justifie la mise en uvre dactions
visant changer la manire quont les habitants de se reprsenter
eux-mmes et leur quartier. Outre la mise en lien des habitants, les
discussions inities par la fondation avaient pour vocation de
produire des discours destins laborer un ordre social autour de la
volont des habi-tants rassembls. Or, lmotion joue un rle majeur
dans la tentative de recration dun tel ordre social entendre au
double sens dune diffrenciation sociale appuye sur une civilisation
des murs (Elias 1994: 443). Cest dans ce contexte prcis que la peur
que jai ressentie a pu jouer un rle de rvlateur. En effet, le
discours de la peur fait ressortir le dsir de rintroduction dune
distance sociale avec leur environnement qui anime une partie des
habitants. En donnant voir le quartier tudi comme plus htrogne quon
ne se le figure avant dy pntrer, la peur indique autant lexistence
dune distance sociale de lenquteur que et cest ce rsultat qui est
plus novateur celle dune partie des enqu-ts par rapport son propre
quartier.
Le partage de la peurLa peur tait omniprsente dans les runions
publiques de la FRA auxquelles jai assist. Celle-ci apparaissait
dans ces circonstances comme une ralit massive et crasante dans la
mesure o, contrairement la mienne, elle ne cessait jamais et o
lenjeu en la parta-geant avec dautres au sein de la FRA par exemple
tait moins de sen dfaire que de vivre avec le mieux ou le moins mal
pos-sible. La peur tait exprime sans relche : peur des mres pour
les enfants, peur pour les autres, pour soi, peur dtre agress, peur
dtre tu, peur de voir ses proches tus ou victimes dune agression,
peur de la police3, peur dtre incompris, discrimin, rabaiss,
humili. Or, exprimer sa peur en public est une manire pour cette
population spci-fique du quartier de se rassembler, de faire groupe
afin de changer le quartier, dfaut de le quitter.La peur tait le
thme central des prises de parole au sein de groupes qui les
suscitaient, les autorisaient en les protgeant des murs clos dune
salle polyvalente et de la bien-veillance de philanthropes
encourageant les pauvres trouver des solutions leurs pro-blmes. Cet
cheveau dimages, de mots et dmotions tait souvent confus et parfois
dapparence incohrente car alternaient dans le discours suscit par
le dispositif de la ru-nion publique des affirmations en apparence
contradictoires. Ainsi, dans une table-ronde consacre la scurit, la
revendication exprime sous la forme dune critique de labsence de
prsence policire ( la police nest pas assez prsente : nous avons
peur ) succda la peur de la police, de ses inter-ventions, de sa
brutalit exprime par une femme noire ge denviron cinquante ans.
Cette profusion de discours, dans une appa-rente confusion,
renvoyait cependant une organisation prcise.Je l'ai dit, reconnatre
et exprimer les mo-tions, mme ngatives, tait peru comme une manire
de se dfaire de leur influence enfermante. Dans cette mise en
discours destine (re)crer un ordre motionnel, le silence tait
transgressif. Les checs de linteraction (Lichterman 2005 : 275)
sont instructifs. Ainsi, lors dune table-ronde o, de manire somme
toute assez excep-tionnelle, deux jeunes hommes vtus selon le code
vestimentaire de la rue (bandana sombre, chanes et jean port bas)
et adop-tant des moues dont il tait difficile de dire si elles
taient hostiles ou rsignes taient prsents, lanimation dune
discussion sur la peur fit apparatre un profond malen-tendu. Alors
que chacun des autres partici-pants une discussion o ces deux
jeunes
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Nicolas Duvoux La peur de l ethnographe134134
hommes taient prsents dirent leur peur et leur incomprhension,
ceux-ci refusrent de sexprimer. Pendant les quelques minutes que
dura le tour de table, lattente se tourna de manire de plus en plus
insistante vers eux et des propositions de prise de parole et
dexpression leur furent donnes : vous, vous navez pas peur quil
vous arrive quel-que chose ? ; est-ce que vous savez que vos mres
ont peur pour vous ? . Leur refus de sortir du rle qui tait le leur
fut sanc-tionn par de timides marques de rproba-tion de lanimateur
de la table et des autres participants. Ne pas avouer sa peur, ne
pas la dire place lindividu dans une situation de dviance
motionnelle (Thoits 1985). On voit ici quel point lmotion a pour
fonction de rintgrer lindividu dans la communaut (Katz 1999). Il ny
a qu la toute fin de la crmonie, lorsquun don fut annonc par un
salari de la fondation que cette demande dinvestissement motion-nel
fut explicite. Un animateur de rue leur demanda en criant :
maissouriez la fin ! Ce quils firent, timidement. La seule vision
de leurs dents jusque-l invisibles dans leurs bouches serres
dclencha des applaudisse-ments nourris plus que lannonce du don
lui-mme. Il ne sagit pas ici de dire que tous les habitants sont
soumis la peur, y com-pris donc ceux qui linspirent. Sans doute la
peur est-elle chez eux compense ou corri-ge par dautres lments
affectifs tels que le frisson li la transgression (Katz 1988), la
dynamique dmulation au sein des grou-pes informels ou plus
structurs. Le point important est que pour la FRA, dont lac-tion
est relaye par une partie, trs spci-fique, des habitants, dire la
peur revient manifester son appartenance la commu-naut. Cest une
manire pour eux de faire groupe. Ces dclarations sont vues comme
ayant un aspect performatif : elles placent ceux qui lont avoue du
ct de ceux qui peuvent et doivent semployer faire recu-
ler les conditions qui la favorisent et parmi lesquelles, en
premier lieu, la pauvret et le fatalisme qui y conduit.La matrise
et la verbalisation de la peur sont ainsi essentielles pour saisir
le contenu des formes de mobilisation des habitants de ces
quartiers. La sollicitation par les salaris de la fondation dune
rflexion et dun tra-vail sur les motions, dont la peur fait partie,
est une dimension essentielle de la diffusion dune culture
psychologique de masse dans les catgories populaires (Schwartz
2011). Elle est un instrument par lequel la fonda-tion cherche agir
sur les structures cogni-tives et comportementales des habitants.
linstar dinstitutions de rgulation ayant une emprise beaucoup plus
large, elle fait de cette rflexivit un lment dcisif pour temprer
les effets de linscurit sociale (Silva 2013). Loin dtre rejet comme
une forme de responsabilisation ou, ce qui revient au mme,
doccultation des facteurs conomiques et institutionnels de leur
pau-vret, par les habitants qui participent aux actions de la FRA,
ceux-ci y trouvent des lments pour soutenir une identit fragi-lise
par la proximit et le risque de conta-mination quelle induit avec
les franges plus dfavorises. Les habitants qui participent, en tant
que volontaires, aux actions de la FRA sont parmi les moins
dfavoriss des quartiers, ceux qui ont suffisamment de ressources
pour chercher sorganiser pour amliorer leur sort mais pas assez
pour quitter le quartier. Ils appartiennent donc des strates
susceptibles de sapproprier un discours de responsabilisation qui
les distingue de strates plus dfavorises4. Ces strates subissent la
sgrgation raciale, spa-tiale et sociale de la majorit blanche et de
classe moyenne dune mtropole trs pola-rise mais vivent galement
sous la menace quotidienne de leur environnement. Elles sont prises
dans une double contrainte par rapport laquelle lattention leurs
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pres motions apparat la fois comme une manire de contenir sa
peur, de ne pas tre stigmatis cause delle et un remde. Cette partie
de la population partage bien des traits moraux avec la bourgeoisie
noire (Patillo 2007) et, en labsence de fronti-res sociales nettes
avec, cest en traant des frontires symboliques (Lamont et Mol-nar
2002) avec son environnement quelle affirme son identit. En
verbalisant la peur,
elle rapproche ses catgories de perception de celle des
habitants des autres quartiers et se spare de ceux de son propre
environne-ment. Cette strate dhabitants tablit ainsi une diffrence
entre ceux qui ressentent une motion susceptible dtre partage par
tout tre humain dans un contexte de violence et ceux qui ne la
ressentent pas cest--dire, dans le contexte prcis des interactions
observes, ne lexpriment pas.
Save Ourselves est une petite structure parraine par la
Fon-dation pour le rve amricain. Elle sidentifie presque son
fondateur, Bill. Celui-ci est un responsable communautaire bien
implant localement. Son ct hbleur, sa manire de me prendre
littralement sous son paule ce qui est faci-lit par la diffrence
entre sa carrure et la mienne et le caractre rd de son discours en
font pour moi une nigme et un prcipit de ce que lAmrique peut avoir
dtrange : entrepreneur de morale nolibral, il est aussi prdicateur
dune vague religion du dveloppement personnel et un zlote de la
thrapie au sein de la population afro-amri-caine. Son nergie pour
le secteur associatif, et pour massu-rer des entres de terrain, est
en apparence inpuisable. Elle aussi lie au fait quil y trouve une
identit positive et une place dans sa communaut dont il est, sinon,
dpourvu. Bill est un marginal scant entre le secteur associatif
local et les acteurs venus du centre-ville. Cest aussi pour cela,
pour crer ou maintenir ce lien, quil ma fait venir. La runion a
lieu, autour dun djeuner, dans la salle neutre dun petit immeuble
de brique rouge de trois tages au cur de Dor-chester pour tre plus
accessible aux habitants.La logistique de la runion se rsume deux
lments : la nourriture que Bill apporte dans deux grandes botes
dalu-minium et les rcits que chacun des participants, recruts par
rseaux informels ou au contraire envoys par des institutions en
charge de la rinsertion danciens dtenus, vient partager. Six
personnes sont installes en cercle autour de lui : trois jeunes
hommes, un plus g et deux femmes, une jeune qui aide Bill organiser
les runions et une conseillre ducative, seule personne blanche,
sociologue except, autour de la table. Bill commence par rappeler
son exprience dincarcration. Lui aussi a vcu ce que vivent
aujourdhui ceux qui souffrent dans la communaut. Aprs ce prambule,
lhomme noir le plus g prend la parole. Le visage abm, il sexprime
lentement, la voix basse et
raille, ses lvres sches ont du mal se dcoller lune de lautre.
Parler lui est visiblement une souffrance. Il voque son addiction,
lesclavage dans lequel la drogue la plac, les btises quelle lui a
fait commettre et lenfer quil a vcu en prison. Je ralise que son
ge, quil ne souhaitera pas don-ner, la diffrence des autres
participants nest peut-tre pas si important. Je limaginais dans la
cinquantaine, le parcours quil dcrit et le nombre dannes de prison
effectues pour vol mains arms en lien avec son addiction la sortie
de ladolescence tendent plutt le situer dans la trentaine. Il
conclut en disant avoir chang et tre en train de travailler pour la
communaut. Il parle beaucoup du VIH autour de lui et tente de
prvenir les jeunes de certains comporte-ments. Il se dit dpass par
ce qui se passe autour de lui : les meurtres, les violences. Il se
tait finalement. []La parole circule, un homme portant une longue
coiffure rasta sexprime son tour, lentement. Il se dit traumatis
par la mort dun de ses amis, tu dans la rue il y a quelques
semaines un carrefour. Tout le monde autour de la table connat le
lieu exact et les circonstances de lvnement. Bill dit, sappuyant
sur ce cas comme sur un exemple clinique, quil faut lui apporter du
soutien car sinon, il y a un risque quil nintriorise le traumatisme
( he has to be supported during that rough time, otherwise he would
internalize the trauma ). Lhomme dit que parler lui fait dj du bien
parce quen gnral, les gens ne parlent pas parce quils pensent que
cest tre fort de ne pas parler. Une des femmes prsentes appuie et
dit quil est intressant pour elle de comprendre, de lintrieur,
lexprience des jeunes en participant un groupe de discussion comme
celui-ci. []Fin du tour de table. Bill reprend la parole et ce qui
a t dit. Il rattache cette difficult parler leffet de
lintriorisation du racisme par les noirs. Il rappelle que les noirs
ont t les premires victimes du racisme de la part des blancs et que
si lorigine des maux dont souffrent les noirs, en tant
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Nicolas Duvoux La peur de l ethnographe136136
Lobservation de cette sance du groupe de parole de Bill permet,
par son dpouille-ment mme, de faire apparatre un certain nombre des
traits des techniques de matrise de la peur qui se diffusent, par
capillarit, partir dacteurs comme la FRA. Dabord, la verbalisation
de la terreur individuelle ressentie loccasion dune agression a
pour effet de la collectiviser. Lhomme qui raconte la mort de son
ami fait tat dune frayeur, intense, glaante et mle dhorreur. Il est
plong dans un tat de stupeur. La mise en rcit invite les autres
participants, tous au courant des circonstances, parta-ger leur
peur. La verbalisation explicite une panique lie un homicide ayant
particu-lirement choqu la population, considre comme latente, de
manire en conjurer, par un travail conscient, le dveloppement.
Surtout, elle vise empcher que celle-ci ne dgnre dans une phobie
qui, terme, est perue comme pouvant totalement inhiber lindividu
qui y est confront. Frquem-ment exprime par les termes qui
expri-ment la plus grande intensit possible de la peur (terror,
shock) ou la priphrase souvent entendue scared to death [mort de
peur], qui dit bien la menace directe lint-grit physique ressentie,
la rptition de la frayeur donne lieu au dveloppement dune
hantise qui peut elle-mme se muer en peur irraisonne et
permanente. Comme cela apparat dans lencadr prcdent, la ma-trise du
discours sur les motions organise un rapport o la comptence dans la
ma-trise de lmotion est la source dune hi-rarchie interne. Les
ractions face la peur ne sont pas plus homognes que ne le sont les
populations des quartiers. La rflexivit et la distance dont Bill,
en professionnel de la mdiation, fait preuve est alimente par des
mdiations symboliques (lectures), relationnelles (formations,
changes avec dautres professionnels) o louverture dautres milieux
nourrit une matrise de son propre environnement. Il sagit ainsi,
travers un travail de verbalisation opr sur les motions, et dabord
celles qui sont susceptibles denfermer lindividu, dont la peur,
dacqurir une matrise sur lenviron-nement peru, de lextrieur mais
aussi par les habitants mobiliss, de manire unilat-ralement ngative
: doom and gloom pour reprendre les mots, difficilement
traduisi-bles, employs par Bill pour se dpartir de cette vision ses
yeux par trop ngative du quartier.Les techniques de soi (Foucault
1982), dinspiration psychologique, sont ainsi mobilises et
appropries par des chanes
quindividus et en tant que groupes, sont bien externes, ces maux
ont t intrioriss dans la famille et dans ladoption dun sentiment
dimpuissance et de dsespoir, de doute, disolement et de peur.
Sappuyant sur un langage bien rd, il rappelle que les symptmes qui
ont t voqus sont ceux dune oppression intriorise qui empche de grer
les motions et qui spare chacun des autres, de ses enfants, de ses
voisins, de sa communaut et de lui-mme. tout cela, la parole
constitue un remde, dit-il. Il rappelle limportance pour chacun de
contrler ses motions. Il sadresse encore une fois aux jeunes hommes
prsents, en leur disant que nous les hommes noirs avons t
conditionns tout garder lintrieur ( we are conditioned to pull
everything
in and we all have to process feelings ) et en leur rappelant
que leurs dcisions taient importantes, quelles pouvaient changer
leurs vies et que surtout ils pouvaient lappeler sils sentaient que
les choses leur chappaient. Sil vous arrive quelque chose, respirez
et appelez-moi ( if something happens, take a deep breath and call
me asap ) leur lance-t-il. Il leur dit, enfin, quil les aime et
quils peuvent lappeler nimporte quelle heure, quil serait l pour
eux. Sur ce, il se renfonce dans sa chaise, sourit, regarde autour
de lui, vrifie que les jeunes avaient bien son numro de portable et
lve la runion. Chacun stire et se dirige lentement vers la sortie.
Un soleil daprs-midi daot saisit la sortie du petit btiment de
brique rouge.
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dacteur pour oprer une rforme apprhen-de comme indissociablement
individuelle et collective. En effet, la diffrenciation opre par la
partie des habitants mobiliss autour de la FRA nquivaut pas un
rejet de lidentit du quartier. Au contraire, elle est le prlude, et
le socle, de sa rforme, et dune rforme dont la dimension morale
nest pas spare de ses dimensions sociales. La strate des habitants
mobilises par la FRA peut ainsi agir pour sa communaut sans
remettre en cause les rgles sociales fonda-mentales de la socit
tasunienne : esprit dentreprise, croyance dans le rve amri-cain ;
importance des rseaux sociaux, etc. Cest pourquoi la manire dont
ces habitants se dfinissent peut converger avec les formes de
catgorisation et daction dune fondation philanthropique dont les
ressources sont, linstar de celles de nombreuses fondations
contemporaines, issues dune accumulation pralable dans le secteur
financier (Guilhot 2004). Cette rencontre permet de compren-dre
comment la gouvernance privatise, ingalitaire et punitive de
lEtat-providence amricain lre nolibrale est reue et, au moins dans
une certaine mesure, approprie par une partie de ceux qui en
subissent le plus les effets.
*Cet article montre comment, sous diver-ses modalits, pour
partie issues dune rflexivit sur les ractions psychiques et
physiologiques vcues dans la pratique de lenqute et pour partie
issues des observa-tions de terrain, la peur et le retour rflexif
sur celle-ci fournissent des lments de connaissance pour
lethnographe. La peur fait dabord partie des mcanismes sgrga-tifs
que subissent les quartiers o les franges les plus pauvres des
minorits raciales sont concentres. Ressentie par lenquteur, elle le
met sur la piste des effets de lexposition des formes dinscurit
sociale et institu-tionnelle subies, au quotidien, par les
popu-
lations vivant dans ces quartiers. La peur est intimement lie
lexprience des strates de la population qui participent aux actions
dune fondation philanthropique visant requalifier leur quartier.
Son expression col-lective contribue sa matrise par le groupe en
mme temps que ce partage dune mo-tion contribue forger une identit
diff-rentielle par rapport dautres strates. La participation des
groupes de parole o la peur est exprime renvoie lethnographe son
exprience et lui permet dinstaurer un partage qui ne vaut certes
pas intgration au groupe mais, tout le moins, lui permet de
ressaisir une continuit dexpriences et de comprendre les conditions
de possibilit de la formation dun discours sur les autres et donc
sur le groupe des habitants mobili-ss lui-mme. Ressentir et
accepter la peur permet de saisir le sens que les enquts donnent au
monde social dans lequel ils vivent. Elle prside en effet une
intrio-risation des normes sociales en vigueur et cette
intriorisation manifeste aux yeux des enquts, mieux que toute
dclaration, une exprience de leur environnement qui les conduit y
intgrer progressivement len-quteur, mme si cette intgration ne peut
qutre partielle. Restituer la peur ressentie et observe permet de
lintgrer dans un ensemble de mcanismes de reproduction de la
pauvret urbaine dj identifis. Elle permet galement de saisir la
dimension motionnelle de lordre dinteraction la-bor par une
fondation cherchant agir sur ces quartiers. Cet ordre dinteraction
passe par la verbalisation et la matrise collective des motions. Ce
faisant, cest bien, dans linteraction, un ordre politique qui
cherche sdifier pour compenser la dsorganisa-tion du quartier,
ordre labor de lext-rieur quoique se revendiquant de linitia-tive
spontane des habitants, et dans lequel ceux-ci sont invits prendre
la place qui leur a t attribue.
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Nicolas Duvoux La peur de l ethnographe138138
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Notes1. Je remercie Olivier Schwartz pour sa relecture et ses
remarques sur une version antrieure de cet article. Je tiens
galement remercier Daniel Cefa, Michle Lamont et Paul Lichterman
pour leurs suggestions. Enfin, je remercie les membres du comit de
rdaction de Genses pour leurs commentaires. Ceux-ci ont permis de
donner une plus grande prcision au propos. Je porte nanmoins
lentire responsabilit de celui-ci. Lenqute dont est issue cet
article a t finance par la Caisse nationale des Allocations
familiales, la Fondation de recherche Caritas et Sorbonne Paris
Cit.2. Dautres travaux ont dj abord le rle de cette motion dans
lenqute et opr une rflexivit sur la mise en danger de soi, voir par
exemple V. Nicolski (2011).3. Cette dernire source de menace est
spcifique puisque, rebours de la violence interpersonnelle, elle
renvoie une institution et un danger directe-ment apprhend comme
politique ou en lien avec lorganisation institutionnelle et
sociale, cest--dire une forme doppression collective. En saisir
toutes les implications supposerait de complter le travail ici
dvelopp au sujet de la peur par ltude dautres motions, comme la
colre ou lindignation. titre dhypothse, celles-ci ont sans doute,
la diffrence de la peur, pour effet de runir les diffrentes strates
de la population africaine amricaine des quartiers, et au-del, dans
un mme ensemble symbolique.4. Mme sil existe une indniable proximit
entre lordre motionnel cre par la FRA et celui en vigueur
dans les glises africaines amricaines (Nelson, 1996) en
particulier, l accent mis sur les motions posi-tives telles que la
joie ou lespoir, en contraste avec la peur tudie dans le prsent
article, cette proxi-mit ne peut pas tre rduite une influence
directe mais correspond plutt une ractivation, travers la
mobilisation dinstruments de type self-help ou appartenant la
culture psychologique de masse , de conduites faonnes par la
religion (Garnoussi, 2013), mais qui les vident largement de leur
contenu religieux. En effet, malgr la prsence de nombreuses glises
au sein des quartiers tudis, leur influence en tant quinstitution
de rgulation sociale est rduite. Les strates sociales concernes par
l intervention de la FRA vivent dans le quartier. De ce fait, mme
si elles disposent de ressources qui les diffrencient du reste de
la population (diplmes, relative stabilit socio-conomique, etc.),
elles ne peuvent apprhen-der la rue et ses menaces comme une pure
ext-riorit ft-elle malfique ou, dans le meilleur des cas, rformer
comme cest le cas dans le discours religieux tenu par les glises
des quartiers africains amricains. Or, la spcificit de ces glises
est quelles nont quun lien tnu avec les quartiers o elles sont
installes. Les fidles prient et se construisent, en tant que
groupe, en opposition au monde de la rue qui prdomine dans les
quartiers o ils se runissent, mais dans lesquels ils ne rsident
souvent pas. Cette diffrence est essentielle avec les habitants
mobiliss autour de la FRA (McRoberts, 2003).
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