Du comportement du consommateur à la stratégie du distributeur Marc Filser (1992) L ors de son exposé introductif du colloque Compor- tement du consommateur et distribution des biens et services, à Rennes en 1983, le professeur Mérigot analysait l'évolution du vocabulaire associé à l'acti- vité commerciale, et notamment le déclin relatif du terme de « commerce » au profit de celui de « distribution ». Cette évolu- tion sémantique est en effet révélatrice d'une mutation profonde des fonctions du commerçant. Si le terme de commerce évoque surtout la relation entre deux personnes, le terme de distribution fait référence à une organisation verticale qui part du producteur pour atteindre le consommateur : à la relation quasi égalitaire entre deux personnes se substitue le concept de transaction. Ce n'est probablement pas un hasard si l'évolution du vocabulaire a accompagné l'un des bouleversements les plus profonds qu'ait connu l'appareil commercial. Lorsque la part des grandes surfaces en libre service (super et hypermarchés) a dépassé pour la première fois 50 % des dépenses alimentaires des ménages français, en 1985, une étape symbolique a été franchie. La distribution de masse était ainsi devenue prépondérante, ce que tous les consommateurs avaient déjà perçu bien avant cette confirmation statistique. DU COMMERCE À LA DISTRIBUTION Si l'on se souvient que cette évolution a débuté en France vers i960 (le premier supermarché date de 1958, le premier hypermarché de 1963), on ne peut qu'admirer l'intuition des commerçants qui se sont trouvés à son origine, et saluer leur remarquable compréhension de la dynamique du comportement du consommateur, qui allait résulter de la conjonction de multi- ples facteurs : urbanisation et habitat périphérique, généralisation de l'automobile, extension de l'emploi féminin, industrialisation de la production alimentaire, etc *. Il ne faudrait en effet pas oublier que c'est toujours l'anticipation de l'évolution du com- portement du consommateur, qui a conduit à l'émergence de nouvelles formes de vente au détail, du grand magasin de Boucicaut à l'hypermarché de Fournier - c'est-à-dire l'intuition du com- merçant qui décèle chez son client des attentes insatisfaites. Alors que l'industrie est restée très longtemps dominée par des préoccupations centrées sur l'offre (contraintes techniques, processus de production), et que la prise en compte systématique de la demande est somme toute récente (la création des services marketing ne date guère que des années soixante, ou même de plus
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stratégie du distributeur
Marc Filser (1992)
tement du consommateur et distribution des biens et
services, à Rennes en 1983, le professeur Mérigot
analysait l'évolution du vocabulaire associé à l'acti
vité commerciale, et notamment le déclin relatif du terme de
« commerce » au profit de celui de « distribution ». Cette
évolu
tion sémantique est en effet révélatrice d'une mutation
profonde
des fonctions du commerçant. Si le terme de commerce évoque
surtout la relation entre deux personnes, le terme de
distribution
fait référence à une organisation verticale qui part du
producteur
pour atteindre le consommateur : à la relation quasi
égalitaire
entre deux personnes se substitue le concept de transaction.
Ce n'est probablement pas un hasard si l'évolution du
vocabulaire a accompagné l'un des bouleversements les plus
profonds qu'ait connu l'appareil commercial. Lorsque la part
des
grandes surfaces en libre service (super et hypermarchés) a
dépassé
pour la première fois 50 % des dépenses alimentaires des
ménages
français, en 1985, une étape symbolique a été franchie. La
distribution de masse était ainsi devenue prépondérante, ce
que
tous les consommateurs avaient déjà perçu bien avant cette
confirmation statistique.
DU COMMERCE À LA DISTRIBUTION
Si l'on se souvient que cette évolution a débuté en France
vers i 9 6 0 (le premier supermarché date de 1958, le premier
hypermarché de 1963), on ne peut qu'admirer l'intuition des
commerçants qui se sont trouvés à son origine, et saluer leur
remarquable compréhension de la dynamique du comportement
du consommateur, qui allait résulter de la conjonction de
multi
ples facteurs : urbanisation et habitat périphérique,
généralisation
de l'automobile, extension de l'emploi féminin,
industrialisation
de la production alimentaire, etc *. Il ne faudrait en effet
pas
oublier que c'est toujours l'anticipation de l'évolution du
com
portement du consommateur, qui a conduit à l'émergence de
nouvelles formes de vente au détail, du grand magasin de
Boucicaut
à l'hypermarché de Fournier - c'est-à-dire l'intuition du
com
merçant qui décèle chez son client des attentes
insatisfaites.
Alors que l'industrie est restée très longtemps dominée par
des préoccupations centrées sur l'offre (contraintes
techniques,
processus de production), et que la prise en compte
systématique
de la demande est somme toute récente (la création des
services
marketing ne date guère que des années soixante, ou même de
plus
tard), le commerce a toujours été une activité centrée sur la
demande, ce qui lui a conféré une capacité inégalée
d'adaptation
et d'innovation. Or cette tendance séculaire connaît
aujourd'hui
une évolution inverse. Alors que l'industrie a relativisé
l'impor
tance de l'offre et découvert la primauté du marché, le
commerce
devenu distribution attache de plus en plus d'importance à sa
fonction d'offre, ce qui risque de lui faire reléguer au second
plan
la primauté du consommateur. Il est en effet frappant de
consta
ter, en lisant les déclarations des dirigeants de grandes
entreprises
commerciales, à quel point l'optimisation de l'activité de
distribu
tion prend le pas sur la relation avec le consommateur : la
recherche des gains de productivité est évoquée beaucoup plus
systématiquement que l'amélioration de la satisfaction du
con
sommateur, ce qui a inévitablement conduit à des réactions de
rejet de la clientèle Rappelons quelques exemples :
- la lecture optique aux caisses de sortie est une extraordi
naire source de gains de productivité. Elle permet l'élimination
du
marquage individuel des produits, accélère le passage aux
caisses
et rend possible l'optimisation de la gestion des stocks et
des
approvisionnements. Mais son introduction massive dans les
magasins a souvent suscité des réactions de méfiance de la part
de
la clientèle en raison d'une absence d'information sur le
fonction
nement de cette technique. A l'heure où l'édition du ticket
de
caisse par le client lui-même est à l'ordre du jour (technique
de
selfscanning), une très grande prudence est souhaitable pour
éviter
une réaction de rejet de la part de la clientèle.
- La démarque inconnue est un fléau pour la distribution
en libre-service. Sa réduction permet un accroissement
immédiat
de la rentabilité. Il est donc légitime que les magasins se dotent
de
procédures les plus efficaces possibles. Mais aucune
procédure
n'est infaillible, et trop de clients peuvent relater la
désastreuse
expérience que constitue une interpellation sans ménagement
par
un vigile à la sortie du magasin lorsque la caissière a
simplement
oublié de désactiver une protection magnétique. L'impact de
ces
incidents est tout simplement catastrophique pour l'image de
l'enseigne, et même du commerce en général.
- Le commerçant risque enfin d'oublier ce principe fonda
mental qui a gouverné la dynamique commerciale : toute nou
velle forme de vente doit correspondre à une attente de la
clientèle.
Si la recherche de gains de productivité prend le pas sur
cette
approche, le distributeur risque de lancer des innovations
inadap
tées au marché. Les spécialistes du secteur se souviennent de
cet
hypermarché lyonnais qui avait adopté un système de double
encaissement à la sortie et un plan révolutionnaire
d'implantation
des rayons, pour abandonner, quelques mois après l'ouverture,
ces expériences rejetées par la clientèle. L'échec en France de
la
formule des centres de magasins d'usine est une autre
illustration
des risques auxquels est exposée une offre inadaptée à la
demande
du marché.
mentation de l'intensité capitalistique de la distribution. Si
les
premiers hypermarchés étaient de simples hangars, les grandes
surfaces modernes exigent des investissements considérables,
non
seulement au niveau du bâtiment et de la surface de vente,
mais
surtout dans le domaine technique : l'éclairage, la
climatisation,
les laboratoires, les systèmes d'encaissement et de traitement
de
l'information exigent l'engagement de ressources importantes
qui
élèvent le seuil de rentabilité du magasin et rendent
primordiale
la recherche de productivité. Les contraintes financières qui
pèsent sur le distributeur sont de plus en plus comparables à
celles
que connaît l'industriel. Il n'est donc pas surprenant que le
mode
de raisonnement du distributeur et, en particulier, ses critères
de
décision s'éloignent de ceux du marchand pour se rapprocher
de
ceux du producteur. La théorie des organisations nous a
enseigné
qu'il est toujours difficile dans de telles circonstances de
faire
évoluer la culture de l'organisation de telle sorte qu'elle
préserve
ses valeurs traditionnelles tout en adoptant de nouveaux
objectifs.
LA MATURITÉ DE LA FORMULE DE VENTE DOMINANTE
La distribution française est aussi confrontée au danger qui
menace souvent l'innovateur qui a trop bien réussi : la sous-
estimation de la capacité de riposte de la concurrence. La
crois
sance du secteur s'est en effet principalement appuyée sur
cette
innovation exceptionnellement réussie qu'a été l'hypermarché
en
France. Cette combinaison originale d'assortiments
alimentaires
et non alimentaires sous un même toit convenait parfaitement
à
la modernisation d'un appareil commercial inadapté à
l'évolution
de la consommation. Le « produit » hypermarché a été constam
ment adapté, et il constitue aujourd'hui une forme de vente
très
performante. Mais l'homogénéité de cette forme de vente
laissait
peu de moyens aux enseignes pour se différencier les unes par
rapport aux autres. En conséquence, la guerre des prix est
rapide
ment devenue le principal argument de différenciation. Mais
la
pression sur les prix doit s'accompagner de réductions
parallèles
des coûts si l'on veut limiter l'érosion des marges 2 . On connaît
la
conséquence de ce scénario : pressions accrues sur les marges
des
fournisseurs, concentration des achats, disparition des
enseignes
trop faibles. Il est symptomatique d'observer que les
distributeurs
ont cherché à améliorer leur performance financière en
rationa
lisant l'amont de leurs points de vente, plutôt qu'en tentant
de
diversifier la politique commerciale de leurs magasins : la mise
en
place de circuits logistiques de mieux en mieux contrôlés a
mobilisé des moyens considérables, mais l'offre à la
clientèle
connaissait assez peu d'évolutions en général (à l'exception
de
deux enseignes traditionnellement très innovantes : Carrefour
et
Auchan). Les distributeurs français constatent à présent la
dété
rioration de leur rentabilité et surtout la faible différenciation
de
leurs enseignes dans l'esprit de la clientèle. Les exemples
ne
manquent pourtant pas pour rappeler qu'une logistique amont
très performante n'est en aucun cas un gage de succès de la
stratégie
du distributeur : la chaîne américaine de supermarchés A&P
s'est
effondrée à la fin des années soixante-dix, en dépit de la
sophistication de son appareil logistique, parce que son offre
était
moins bien perçue par la clientèle que celle de ses
concurrents.
Or au même moment d'autres distributeurs attaquent la
position des hypermarchés en adoptant une autre stratégie :
plutôt que de concurrencer des hypermarchés très productifs,
ils
innovent en introduisant de nouvelles formes de vente qui
visent
des segments plus étroits du marché. Les grandes surfaces
spécia
lisées et les hard discounters deviennent ainsi de redoutables
con
currents qui tirent parti de la faiblesse structurelle de
l'hypermar
ché : son absence de positionnement fort.
L'hypermarché français occupe en effet aujourd'hui une
position, dans l'esprit du consommateur, qui n'est pas très
différente de celle des grands magasins des années soixante-dix.
La
caractéristique de l'hypermarché, c'est la largeur de son
assorti
ment, et parfois, pour certaines enseignes comme Auchan, sa
profondeur. Mais la taille même de l'hypermarché le contraint
à
définir sa cible de clientèle très largement. De ce fait, il
est
contraint de proposer une offre moyenne, acceptable par le
plus
grand nombre possible de consommateurs. Un concurrent peut
donc prendre le contre-pied de cette stratégie en choisissant
une
cible étroite à laquelle il va proposer une offre très bien
adaptée.
Les grandes surfaces spécialisées ont adopté cette stratégie pour
les
gammes de produits non alimentaires, et les discounters dans
l'alimentaire. Si l'on ajoute que supermarchés et magasins
popu
laires s'efforcent également de développer une offre
alimentaire
adaptée sur les créneaux de la commodité et du haut de gamme,
on voit que l'hypermarché se trouve entouré de concurrents
qui
développent des réponses mieux adaptées aux attentes des con
sommateurs : ils pratiquent en effet un marketing segmenté
face
à une forme de vente qui développe encore un marketing assez
largement indifférencié.
Alors que la distribution recherchait des économies d'échelle
en standardisant son offre, l'évolution de la demande était
carac
térisée par une fragmentation croissante des marchés. Le
segment
doit désormais être le point de départ de toute stratégie
marketing,
chez le producteur comme chez le distributeur.
Or le commerce est mal armé pour développer une appro
che segmentée des marchés. Le premier critère de segmentation
utilisé par le commerce a été géographique. On supposait
alors,
sous l'influence des travaux des géographes, que la distance
au
point de vente était le principal critère de choix d'un magasin
par
le consommateur. Cette conception était bien adaptée à un
appareil commercial concentré dans le centre ville.
L'habitant
d'une zone rurale se rendait au centre urbain le plus proche où
il
pouvait se procurer les produits désirés : le village pour
les
produits de première nécessité, le chef-lieu du canton puis la
ville
la plus proche pour des produits plus complexes. L'analyse de
la
zone de chalandise du magasin est un prolongement direct de
cette définition spatiale du marché du point de vente 3 .
La segmentation géographique du marché est malheureu
sement très mal adaptée aux problèmes de marketing des
entrepri
ses commerciales modernes. Lorsque deux hypermarchés se font
face de part et d'autre d'une autoroute, la distance n'est plus
un
argument déterminant du choix. Par ailleurs, l'observation
des
comportements d'achat révèle des habitudes de fréquentation
beaucoup plus complexes. Alors que l'approche spatiale
suggère
la fidélité à un seul point de vente, on constate que le
consomma
teur fréquente simultanément plusieurs enseignes selon les
pro
duits recherchés et les circonstances d'achat.
Le distributeur doit donc adopter des critères de
segmentation de son marché comparables à ceux qu'utilise le
producteur, et s'interroger sur les variables qui vont influencer
les
comportements. Si les critères sociodémographiques puis les
sociostyles ont conduit à des résultats décevants, la prise
en
compte des facteurs situationnels et surtout des attentes des
consommateurs ouvre des perspectives prometteuses 4 :
- le consommateur ne choisit pas un magasin dans l'absolu.
Au contraire, son choix est déterminé par les circonstances
de
l'achat lui-même (temps disponible, envie de « faire un tour »)
ou
« La lecture optique aux caisses de sortie est une extraordinaire
source de gains
de productivité. » NCR - Photo Charliat.
par la nature du besoin à satisfaire (recherche d'une marque
précise pour un produit donné, achats groupés pour une
semaine,
préparation d'un événement particulier : repas de fête,
recherche
d'un cadeau, etc.). La fréquentation d'un magasin est donc un
phénomène contingent, résultant d'une évaluation par le con
sommateur des différentes possibilités qu'il retient dans un
con
texte précis.
encore, pour un individu, entre situations d'achat. Une
analyse
du marché de la distribution alimentaire révélait en 1985
l'exis
tence d'un segment d'environ 10 % des ménages qui accordait
une importance décisive au prix lors du choix d'un magasin
alimentaire : ce n'est sans doute pas un pur hasard si la part
de
marché alimentaire des harddiscounters dans les villes où ils
sont
implantés est proche de 10 % 5 . Mais le client d'un
discounter
fréquente aussi dans le même temps des magasins qui lui
proposent
des produits élaborés dès lors que le contexte d'achat ou de
consommation est différent : une ménagère peut acheter le
même
jour une crème glacée « premier prix » chez un discounter et
une
glace Hàagen Dazs...
des comportements : le consommateur est plus réceptif à une
offre précise, positionnée sur un segment étroit (par exemple
une
circonstance de consommation), qu'à une offre globale et peu
différenciée. Il est intéressant d'observer que cette nécessité
d'un
positionnement clair a déjà été intégrée par les supermarchés :
les
uns ont choisi l'axe du discount, base historique des
principales
innovations commerciales (Aldi, Lidl, Norma, Ed, mais aussi
Intermarché ou Atac), les autres celui de la proximité et des
horaires d'ouverture (le conveniencestore'à la française),
d'autres
enfin celui d'une offre plus qualitative, mettant l'accent sur
les
produits frais et même sur des produits de luxe (Casino,
Match,
Galeries Gourmandes). Les hypermarchés commencent à leur
tour à adopter des positionnements segmentés : l'étendue du
choix chez Auchan, la qualité de l'offre chez Casino, le
confort
d'achat chez Carrefour.
des grandes surfaces. Les grands magasins réduisent leur
assorti
ment pour se concentrer sur quelques lignes de produits : les
nouveaux magasins Printemps, comme ceux de Rouen ou Nancy,
témoignent de ce recentrage des assortiments et de leur montée
en
gamme. Les entreprises de vente par correspondance complètent
elles aussi l'offre de base de leur catalogue général par des
catalogues spécialisés.
Une autre conséquence de cette évolution du marché est le
développement des stratégies de diversification des
distributeurs.
Si aucune formule de vente au détail n'est plus en mesure de
desservir correctement tous les segments du marché,
simultané
ment, il est nécessaire de créer des enseignes spécifiques
positionnées
sur différents segments. Cette évolution est pratiquement
inévi
table pour les chaînes d'hypermarchés. Mais elle conduit à la
pratique d'un métier nouveau, avec tous les risques inhérents
à
cette démarche : l'exploitation d'une chaîne de grandes
surfaces
spécialisées présente peu de points communs avec celle d'un
hypermarché. Peu de distributeurs s'aventurent seuls dans des
diversifications ex nihilo (Auchan est à cet égard une
exception
assez remarquable à travers des enseignes comme Décathlon,
Leroy-Merlin ou Kiabi). Mais l'association avec d'autres
ensei
gnes est une voie possible, même pour des enseignes très
attachées
à l'autonomie de gestion : Carrefour a ainsi tissé un réseau
d'alliances pour entrer sur des marchés aussi différents que
l'électronique (Hyper Média) ou les revêtements de sol
(Carpetland
et Mondial Moquettes). La nouvelle stratégie retrouve donc
ses
racines dans l'adaptation à l'évolution du comportement du
consommateur 6 .
Si l'adaptation au comportement du consommateur gou
verne les orientations stratégiques de la firme, elle doit
également
se traduire au niveau du point de vente par la qualité du service
à
la clientèle 7 .
Les distributeurs ont eu tendance à confondre, depuis une
quinzaine d'années, les services et le service au client. Les
services
annexes se sont multipliés, souvent d'ailleurs à travers de
vérita
bles diversifications de l'offre, plus ou moins réussies :
services
financiers et assurances, voyages, abonnements à des revues,
réservations de places à des spectacles, etc. Mais cette
multiplica
tion des services ne doit pas faire perdre de vue le service
principal
que doit procurer le distributeur au client : trouver facilement
les
produits qu'il recherche, ne pas perdre de temps lors du
passage
aux caisses, disposer facilement des informations nécessaires
sur
les produits, rencontrer un personnel compétent et aimable.
La multiplication des services a souvent conduit à une
détérioration du service : que penser, en effet, du distributeur
qui
a lancé une carte privative qui n'est pas acceptée par toutes
les
caisses de ses hypermarchés, ce qui contraint le client à se
déplacer
à l'autre extrémité du magasin s'il choisit d'utiliser cette carte
!
Le remède à ces dysfonctionnements passe une fois encore
par la réflexion du distributeur sur les attentes de sa clientèle,
et
sur la définition de son métier. Si les distributeurs ont été
conduits
à adopter un mode de pensée influencé par des contraintes de
type
industriel, ils doivent se souvenir que leur activité est un
service.
De ce fait, la manière dont est vécue par le client la visite
au
magasin est essentielle à la satisfaction. Et les grandes
entreprises
de services comme Disney ou McDonald's savent bien que la
satisfaction du client est la résultante d'une infinité de détails
en
apparence anodins, mais qui se conjuguent pour produire un
sentiment global de satisfaction ou de déception. Les commer
çants traditionnels connaissent bien cette importance de la
rela
tion avec le chaland, et leur technique de vente leur permet
naturellement de conduire cette relation avec plus de
flexibilité
que les procédures standardisées des formes de vente
modernes.
C'est pourtant la capacité du distributeur à transposer à son
point
de vente ces méthodes de la vente personnelle qui décidera du
succès de sa stratégie. La formation du personnel, et surtout
la
compréhension par ce dernier du positionnement que l'enseigne
veut se donner, constitue le meilleur instrument
d'amélioration
de la qualité de la relation avec le consommateur 8 .
Il convient pour conclure de rappeler que le distributeur
dispose encore d'exceptionnels atouts :
- il est le mieux placé pour déceler très rapidement l'évolu
tion des attentes des consommateurs. Les systèmes de lecture
optique permettent de suivre en temps réel les ventes d'une
nouvelle référence, l'impact d'une action promotionnelle ou
d'une modification de l'implantation du rayon. De ce fait, le
distributeur est aussi le meilleur relais de l'information qui
doit
permettre aux producteurs d'adapter leur offre 9 .
- Les grands distributeurs bénéficient en général d'une
excellente image, et en particulier de la confiance des
consomma
teurs. Le succès des gammes de produits à marque propre **
est
là pour témoigner de la crédibilité de l'enseigne, y compris
dans
des lignes de produits dont l'achat est perçu comme complexe
et
risqué par le consommateur (électroménager, produits symboli
ques ou festifs). Ce capital de confiance est un actif
précieux,
notamment dans un environnement caractérisé par la montée des
doutes et des inquiétudes de la clientèle.
Même si les distributeurs ont parfois oublié qu'ils étaient
d'abord des commerçants, c'est-à-dire les interlocuteurs de
leur
clientèle, la pression concurrentielle et la rapidité des
innovations
dans ce secteur leur rappellent constamment que c'est la
qualité
de la relation commerciale qui conditionne leur succès.
L'écoute
du consommateur et l'adaptation permanente à ses attentes
sont
plus que jamais les conditions du succès de l'entreprise
commer
ciale et le fondement de sa stratégie.
Notes
1. Véronique des Garets, Implantation et impact des nouvelles tech
nologies dans l'entreprise de distribution : approche
méthodologique et pratique, thèse de sciences de gestion,
université de Montpellier II,
décembre 1991 .
2. Simon Parienté, Rentabilité comparée d'entreprises européennes
de distribution en magasin, Institut du commerce et de la
consommation, Paris, septembre 1988.
3. Gérard Cliquet, « Les modèles gravitaires et leur évolution
»,
Recherche et applications en marketing, 3, 3, 1988, pp. 39-52
.
4 . Marc Filser, la Dynamique des canaux et formules de distribu
tion : une approche méthodologique, thèse de sciences de gestion,
univer sité de Montpellier I, mai 1985.
5. Marc Filser, « Quelles formules de distribution pour demain
?
Les réponses de la segmentation par avantages recherchés »,
Recherche et
applications en marketing, 1 , 1 , avril 1986 , pp. 3-16.
6. Marc Filser, Canaux de distribution, Vuibert, Paris, 1989.
7. Joël Jallais, la Qualité dans le commerce. Du service au service
du client, Institut du commerce et de la consommation, Paris,
décembre
1991 .
8. Suzanne Pontier, « Image du point de vente : pour une prise
en
compte de l'image interne », Recherche et applications en
marketing, 3, 3, 1988, pp. 3-20.
9. Marc Filser et Christine Vilmus, la Fonction consumériste du
commerce, Institut du commerce et de la consommation, Paris,
janvier
1987.
** Voir, dans ce numéro, l'article de Steve Burt.