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L'Evolution psychiatrique, 2003, 68, pp. 39-61.
LIMITES ET DANGERS DES DSM.
par Jean Claude Maleval 1 1 Auteur correspondant :M. JC
Psychanalyste, professeur de psychopathologie luniversit de Rennes
II. Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique, 6
avenue Gaston Berger. 35043 Rennes Cedex.
[email protected] Rsum :
La publication du DSM-III en 1980 constitue un incontestable
tournant dans le discours de la psychiatrie. Pour ses concepteurs
il serait parvenu faire rentrer la psychiatrie dans la science.
Tenter dliminer la subjectivit, celle du patient, comme celle du
clinicien, en serait le prix payer. Grce quoi il serait enfin
possible duser dune langue commune permettant dobtenir une grande
fidlit diagnostique inter-cotateurs. Le succs des DSM-III et IV
repose sur leurs affinits avec des idaux scientistes et avec leur
appropriation une clinique du mdicament. En privilgiant des
symptmes cibles privs de tout dynamisme, ils les mettent
implicitement en rapport avec des dysfonctionnements du corps.
Vingt ans aprs lintroduction de cette approche prsente comme
athorique, sa principale justification, la fidlit diagnostique,
savre non fonde; tandis que les problmes de validit diagnostique
restent luds. Les DSM sont entrs dans une logique dinfinitisation
des troubles mentaux dont la poursuite conduirait remettre la
psychiatrie aux ordinateurs. Ils produisent un appauvrissement des
entretiens cliniques ; ils ngligent lventuelle rticence du patient
; ils gnrent des idaux normatifs implicites. Mme parmi leurs
promoteurs, certains commencent sapercevoir quils constituent un
handicap pour les progrs de la recherche en psychiatrie. Mots-clefs
: Diagnostic ; fidlit diagnostique ; validit diagnostique ;
clinique du sujet ; clinique
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du mdicament ; symptme. Dans une perspective historique, affirme
le Pr Pichot dans lavant-propos de la traduction franaise du
DSM-III, on peut considrer qu[il] marque une date aussi importante
dans lvolution de la psychiatrie que la publication en 1896 de la
sixime dition du Trait de Kraepelin, qui allait dlimiter lessentiel
des cadres conceptuels de la psychiatrie qui aujourdhui encore
dominent notre spcialit ([1] p.VI) Il ny a pas lieu de revenir sur
cette affirmation. Le DSM-III, publi en 1980 aux USA, constitue
incontestablement un tournant historique dans le discours de la
psychiatrie.
Derrire la volont de ses concepteurs de sen tenir aux faits se
cache surtout le rejet de tout systme explicatif des troubles
mentaux, en particulier de la psychanalyse qui tenait dans les
annes 1970 une place dominante aux USA. La justification de ce
rejet est cherche dans une rfrence au pragmatisme, systme
philosophique qui situe la vrit dune proposition dans le fait
quelle est utile, efficace, ou quelle russit. Le DSM-III veut
proposer une solution pragmatique labsence de fidlit des
diagnostics psychiatriques. Il part de la constatation selon
laquelle les considrables divergences culturelles dans lacception
donne un concept aussi important que celui de schizophrnie
constituent un obstacle majeur la recherche en psychiatrie. Son
projet consiste par consquent construire une langue commune, un
espranto psychiatrique. Pour quil soit acceptable par tous, il doit
se dfaire des prsupposs tiologiques, do laffirmation de son
athorisme sur ce point. Les descriptions cliniques du DSM-III, nous
dit-on, possdent un caractre rvolutionnaire parce quelles sont
systmatiquement dnues de toute rfrence tiopathogniques spcifiques
([2] p IX).
Les raisons pour lesquelles lAPA 1 dcida dans les annes 1970 de
rviser le DSM-II 1 APA : American Psychiatric Association. sont
nombreuses, outre le manque de fiabilit des diagnostics
psychiatriques, on peut mentionner les demandes de lindustrie
pharmaceutique et des compagnies dassurance pour que soit tabli un
lien plus ferme entre le diagnostic et le traitement. Or la
nouvelle gnration de psychiatres qui prit le pouvoir en ces annes-l
lAPA taient des dus de la psychanalyse, inquiets de la monte des
multiples formes de psychothrapie, qui reprsentait une menace pour
leur profession. Aussi lune des fonctions du DSM-III fut de
restaurer lautorit de la psychiatrie sur toute la communaut des
intervenants en sant mentale ([3] p. 35). Il existait entre ses
principaux concepteurs une remarquable convergence dintrts : tous
taient proccups par la construction de critres diagnostiques
comportementaux, tous taient plus intresss par la psychiatrie
biologique que par la perspective psychodynamique. Les choix
pistmologiques de la Task force du DSM-III reposrent sur une volont
de remdicaliser la psychiatrie. Pour cela il lui semblait ncessaire
de se limiter dcrire des comportements observables. Une rfrence
ltiologie ne devait intervenir pour orienter la classification quen
prsence de preuves clairement tablies, en fait celles quune
atteinte organique permet seule dattester, de sorte que mme la
forte distinction nvrose-psychose napparut plus probante. Ds lors,
la fin des annes 1970, une quipe dirige par Spitzer, laquelle
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nombreux groupes de travail viennent sadjoindre, labore une
troisime version du Manuel diagnostique et statistique de lAPA qui
tranche radicalement avec les deux versions prcdentes. Le DSM-I,
paru en 1952, est construit sur une nosologie et une terminologie
qui se rfrent Adolf Meyer, le matre de la psychiatrie amricaine du
dbut du sicle. Un compromis y est recherch entre la psychanalyse
freudienne et une conception psychobiologique qui considre le
malade comme un tre en interaction avec son environnement, mais
galement comme une entit biologique. Dans ce contexte, la notion de
raction de la personnalit des facteurs psychologiques, sociaux ou
biologiques est centrale. Elle lemporte sur les dterminants
gntiques, constitutionnels ou mtaboliques. Le concept de raction
(schizophrnique, affective, nvrotique, etc.) suggre lide de grands
types ractionnels auxquels aurait recours la personnalit sous
limpact de facteurs multiples. La nosologie du DSM-I empruntait la
tradition classique comme la psychanalyse. Le DSM-II, publi en
1968, nutilise plus le concept de raction, il tmoigne dune
influence plus marque de la psychanalyse. Elle se discerne
notamment dans les catgories des nvroses, des psychoses et des
personnalits pathologiques. Le DSM-I et le DSM-II sont des petites
brochures, le second est un carnet spirales qui ne dpasse pas les
150 pages, leur impact resta limit. Rien en commun avec le destin
plantaire du DSM-III, qui dpasse les 500 pages, et qui vaut dix
fois plus cher que le prcdent. En 1987, parat une version rvise du
DSM-III, qui comporte 100 pages de plus ; tandis quen 1994, le
DSM-IV approche les 1000 pages.
Quelle novation dans lapproche du trouble mental ? Lapproche
descriptive du DSM-III privilgie les symptmes manifestes et les
comportements observables. La dfinition des troubles cherche se
limiter la description des caractristiques cliniques de ceux-ci.
Ces caractristiques consistent en des signes ou symptmes aisment
identifiables sur le plan comportemental : dsorientation, trouble
de lhumeur, agitation psychomotrice, ils sont censs ne requrir de
la part de lobservateur quun minimum dinterfrence. En usant dune
telle mthodologie les principales originalits du DSM-III par
rapport aux autres classifications des troubles mentaux sont pour
lessentiel en premire analyse les suivantes : elles concernent la
psychiatrie infantile (descriptive, sans perspective structurale ni
dveloppementale), les troubles affectifs 2 (classs principalement
par leur intensit et leur dure avec disparition des classiques
dichotomies comme la dpression endogne et la dpression psychogne),
lindividualisation titre exprimental de certaines personnalits
pathologiques, enfin lclatement des classiques nvroses en plusieurs
catgories diagnostiques comme les troubles anxieux, les troubles
affectifs, les troubles somatoformes, les troubles dissociatifs et
les troubles psychosexuels. La novation la plus importante du
DSM-III nest pas en cette rorganisation des catgories
psychiatriques, mais dans lintroduction de nouvelles technologies
dans le domaine de la psychiatrie, qui nont pas tard avoir des
consquences sur la pratique. Les trois principales sont le
diagnostic multi-axial, les kappas et les entretiens formaliss. Les
coefficients kappas sont des estimateurs statistiques utilises pour
apprcier
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les donnes concernant la fiabilit des catgories diagnostiques.
Leur spcificit rside dans leur aptitude donner une apprciation
objective de la concordance observe non imputable au hasard. Leur
introduction permet de standardiser les apprciations du degr de
concordance diagnostique. Les kappas se notent de 0 1. Zro indique
une concordance entirement due au hasard ; Un rvle une concordance
parfaite. Dans les faits, quand la fiabilit atteint un kappa de
0,70 les auteurs estiment en gnral que la fiabilit est
satisfaisante. Nous y reviendrons. Les derniers DSM incluent des
arbres de dcision pour le diagnostic 2 Les troubles dits affectifs
du DSM-III redeviendront plus classiquement thymiques ds le
DSM-III-R. Troubles de lhumeur dans le DSM-IV. diffrentiel . Le but
de ces arbres, commentent leurs promoteurs, est daider le clinicien
comprendre lorganisation et la structure hirarchique de la
classification. Chaque arbre de dcision commence par un groupe de
caractristiques cliniques. Quand lune de ces caractristiques est au
premier plan du tableau clinique, actuel ou pass, le clinicien peut
suivre la srie de questions pour inclure ou exclure les diffrentes
catgories diagnostiques [] Le clinicien doit parcourir larbre de
dcision jusqu ce quil aboutisse une terminaison (cest--dire un
point de larbre sans embranchement) ([4] p. 423). On conoit quune
telle conception du diagnostic entrane immdiatement une remarquable
surdit dans la rencontre de la spcificit des troubles du patient.
En cherchant situer le sujet dans une grille prfabrique, les
entretiens formaliss tombent sous les objections faites aux
prsentations de malades issues de la psychiatrie classique. Procdez
par ordre, monsieur, et les chapitres sont dj faits ironisait
Lacan. Les 3/4 du temps que nous apportent les sujets?
sinterrogeait-il encore lgard de cette pratique. Rien d'autre que
ce que nous sommes en train de leur demander, cest--dire de leur
suggrer de nous rpondre. Nous introduisons dans ce qu'ils prouvent
des distinctions et des catgories qui n'intressent que nous [5].Les
entretiens formaliss suggrs par les DSM changent progressivement la
pratique psychiatrique en la centrant sur le recueil de symptmes et
de comportements au dtriment dun intrt pour le fonctionnement du
sujet. Voici un exemple dinstruction dun jeune psychiatre de la
nouvelle clinique , rapport par Gasser et Stigler en forant peine
le trait, mettez le patient en face de vous, posez-lui des
questions en vous aidant des modles dentretiens structurs ou
semi-structurs, observez-le, comptez ses symptmes, confiez-vous
larbre de dcisions livr avec votre Mini-DSM, comparez cette
situation avec les exemples cliniques proposs dans les Cas
cliniques du DSM, dirigez le patient vers la division spcialise
pour le trouble diagnostiqu grce au Mmento clinique et thrapeutique
du DSM [6]. Il y recevra la mdication, linformation et lducation
prvue par la dernire dition des Guidelines pour cette spcialit, et
votre collgue chercheur vous sera reconnaissant pour lapport
bienvenu pour son projet pharmacologique, pidmiologique ou gntique
([7] p. 235). La pratique des entretiens formaliss mconnat quelle
sadresse un sujet qui peut introduire des biais considrables dans
le recueil des donnes : elle ne prend pas en compte que certains
patients ont une tendance lacquiescement, et qu linverse dautres
sont rticents faire part de certains de leurs troubles. Quimporte,
il suffit que le clinicien coche les symptmes les plus manifestes,
leur dure et leur intensit, pour parvenir diagnostiquer un syndrome
prcis. La focalisation sur des symptmes objectivables coups de
toute fonction subjective suggre, sans faire de thorie, que les
syndromes sont des entits naturelles biologiques.
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Une troisime innovation technologique majeure est constitue par
le diagnostic multi-axial. Les cinq axes du DSM-III sont les
suivants : laxe I est constitu par les syndromes cliniques
proprement dits ; laxe II note les troubles de la personnalit et
les troubles du dveloppement ;.laxe III permet de relever lensemble
des troubles somatiques concomitant des troubles mentaux; laxe IV
est destin estimer la svrit globale des facteurs de stress
psychosociaux susceptibles davoir significativement contribu au
dveloppement ou laggravation des troubles actuels ; laxe V permet
dvaluer le niveau dadaptation et de fonctionnement le plus lev dans
lanne coule. Pour qui est habitu un diagnostic uniaxial , il est
assez difficile de comprendre lintrt du diagnostic multiaxial. Le
recueil de donnes diverses auquel il incite procder voque plutt
llaboration dun dossier. Pour discerner sa logique, il faut se
demander quel est le but recherch. Manifestement il sagit de
recueillir sur le patient des donnes aussi compltes que possible
afin de permettre terme une apprhension statistique des coordonnes
des troubles mentaux. Une hypothse implicite est trs probablement
quun traitement statistique des corrlations entre les axes devrait
parvenir dgager des constantes qui porteront un clairage nouveau
sur les troubles mentaux. Cette hypothse permet de comprendre ce
qui a prsid au choix daxes assez disparates. Le diagnostic
principal se fait essentiellement sur laxe I, on conoit que si lun
des syndromes qui le compose savrait en corrlation statistique
privilgie avec lun des items de laxe II, III ou IV, nous
obtiendrions une indication importante quant son tiologie. Bien
entendu le choix des axes cadenasse la position du problme, il
prsuppose quun syndrome psychiatrique peut soit reposer sur un type
de personnalit (axe II), soit se trouver associ un trouble
somatique (axe III), soit tre en rapport avec lintensit du stress
(axe IV). Ces diffrentes hypothses sont essentiellement celles de
la psychiatrie biologique. Mme si les types de personnalit dgags
par le DSM-III sinspirent parfois de la clinique psychanalytique
(personnalits narcissique, borderline ou compulsive), ils tmoignent
dune rnovation de ce qui se nomma tantt doctrine des constitutions,
tantt typologie, ou caractrologie, approches qui postulent le plus
souvent un ancrage organique du fonctionnement quelles dcrivent. La
personnalit selon le DSM-III est un ensemble de conduites fortement
enracines . En un mot les corrlations statistiques entre laxe I et
laxe II raniment les tudes typologiques, permettant de formuler
dans un vocabulaire nouveau les passionnantes questions souleves
par exemple dans les annes 1930 par la typologie de Kretschmer dans
son ouvrage Structure du corps et caractre , les grands maigres
(type leptosome) sont-ils prdisposs aux troubles schizophrniques ?
et les petits ronds (type picnique) aux troubles thymiques ? Si lon
corrle les items de laxe I et ceux du III, on peut supposer
dcouvrir que certains troubles mentaux sont particulirement associs
certains troubles somatiques, do lon pourrait plus aisment remonter
ensuite la commune tiologie. Bien entendu, on peut aussi tenter de
corrler laxe II et le III, telle personnalit nest-elle pas en
affinit avec tel trouble somatique? La psychiatrie biologique fait
encore volontiers lhypothse que le stress entrane des modifications
organiques plus ou moins en rapport avec son intensit ; do lintrt
des tudes de corrlation entre laxe I et le IV.
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La volont de se saisir du sujet par une approche objective
induit une qute de donnes toujours plus compltes, de sorte quil ny
a aucune raison interne la logique des DSM qui puisse dresser une
barrire lintroduction de nouveaux axes. On a suggr la structure et
le fonctionnement familial, le niveau intellectuel, lge de premire
apparition des troubles, etc. Aprs avoir modifi laxe IV dans le
DSM-III-R, le DSM-IV sattaque au problme en faisant trois
propositions daxes demandant des tudes complmentaires : une chelle
de fonctionnement dfensif, ou une chelle dvaluation globale du
fonctionnement relationnel, voire une chelle dvaluation du
fonctionnement social et professionnel. Les thrapeutes familiaux,
les thologues, les ergothrapeutes, les travailleurs sociaux
militeront en faveur de lintroduction de ces deux dernires chelles,
il est probable que le DSM-V senrichira dun ou deux axes de plus.
En revanche les psychanalystes ne seront sans doute pas de fervents
partisans de lchelle de fonctionnement dfensif qui place sur le mme
plan mcanismes de dfense freudiens (clivage, refoulement,
identification projective) et styles de coping des cognitivistes
(capacit de recours autrui, auto-affirmation), de sorte que la
dfense nest pas dirige contre langoisse, mais contre le stress ou
les conflits motionnels. La logique des derniers DSM engage
lapprhension des troubles mentaux dans un processus dinfinitisation
: elle incite concevoir jamais des axes supplmentaires et de
nouvelles catgories, un chapitre additionnel du DSM-IV esquisse mme
une formulation en fonction de la culture , et comme il ne faut
rien laisser chapper on sefforce encore de prendre en compte les
Autres situations qui peuvent faire lobjet dun examen clinique ([8]
p 789). Ds lors, non seulement le volume des DSM ne cesse de
gonfler, mais les catgories diagnostiques subissent une vritable
inflation : en 1952 le DSM-I en dnombrait 106, en 1968 le DSM-II en
dcrit 182, avec le DSM-III on passe 265, 292 avec le DSM-III-R, le
DSM-IV opre un nouveau bond en atteignant 392. Cependant les
concepteurs de la dernire version commencent sinquiter de cette
multiplication, de sorte quils cherchent promouvoir des critres
plus svres pour lintroduction de nouvelles catgories, ils nen sont
pas moins obligs de poursuivre le processus en mettant ltude 24
nouvelles catgories dans lannexe B. Lapproche descriptive
multi-axiale ne gnre aucune limite interne, elle porte un
affinement toujours plus prcis et plus complexe de lobservation, or
elle ne dispose daucun organisateur thorique de la diversit, un tel
emballement de la pense descriptive en psychiatrie ne peut avoir
que deux issues, soit prir de son gigantisme, soit abandonner la
dcision diagnostique aux ordinateurs. Des tudes complmentaires sont
censes trancher dans les dbats venir concernant lintroduction de
nouvelles catgories ou de nouveaux axes. Cependant les
renseignements restent extrmement incertains quant aux mthodologies
qui seront employes. Il y a cela de bonnes raisons si lon examine
quelques prcdents historiques qui mettent en lumire limportance des
groupes de pression dans le processus de dcision. Leur poids
politique, lintrieur de lAPA, et mme parfois lextrieur de celle-ci,
constitue parfois un lment plus dterminant que des donnes
scientifiques sur linterprtation desquelles les experts divergent
souvent. La monte en puissance des associations dhomosexuels dans
les annes 70 fut concomitante dactions mises en place pour faire
disparatre le diagnostic dhomosexualit des catgories
psychiatriques, tel quil figurait dans le DSM-II. Ces associations,
parmi lesquelles
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celle des psychiatres gays, parvinrent obtenir en 1973 un vote
lunanimit du Conseil dAdministration de lAPA pour supprimer le
diagnostic dhomosexualit et le remplacer par celui de perturbation
de lorientation sexuelle. Il apparut cependant ncessaire que la
scientificit de cette dcision se trouve confirme par un rfrendum
effectu aux frais des groupes gays - auprs de lensemble des membres
de lAPA. Il en rsulta en 1974 le rejet du diagnostic dhomosexualit
: 58% des psychiatres nord-amricains furent favorables cette
proposition ; 37% votrent contre. Nanmoins, bien quayant vot en
faveur de la suppression, Spitzer ntait pas totalement convaincu du
bien-fond de la dcision ; aussi prit-il linitiative dcrire un
article thorique pour justifier la notion dhomosexualit
ego-dystonique, diagnostic rserv ceux que leurs pulsions
homosexuelles plongent dans le dsarroi. Il imposa celui-ci dans le
DSM-III contre lavis des groupes gays. Ceux-ci dcidrent en 1980,
rapportent Kirk et Kutchins, de ne pas se lancer dans une nouvelle
bataille publique, linstar de celles quils menrent au dbut des
annes 70 lors des Congrs de lAPA. Ils auraient pu perdre celle-ci
et craignaient que lAPA ne revienne une position plus
conservatrice. En gardant le silence sur lintroduction de
lhomosexualit ego-dystonique, ils estimrent quils contribueraient
la perception par le public que lAPA avait abandonn lide dune
homosexualit caractre pathologique [] La sagesse de cette dcision
trouva confirmation en 1987, lorsque lhomosexualit ego-dystonique
fut limine du DSM-III-R. Les principales justifications de cette
suppression furent que lhomosexualit ego-dystonique tait rarement
utilise dans la pratique clinique et quelle navait fait lobjet que
de peu darticles dans la littrature scientifique ([3] p.154) Or, si
lon devait prendre au srieux un tel critre de frquence, pourquoi
maintenir dans le DSM-IV, le frotteurisme 3, la trichotillomanie 4,
voire la fugue dissociative ? Le lourd appareil scientifique mis en
avant par lAPA pour justifier ses choix nest bien souvent que
poudre aux yeux, masque utilis des fins politiques. Tous les
changements dune dition lautre, mme ceux abandonns rapidement, sont
initialement prsents comme scientifiquement fonds ; en fait, notent
Kirk et Kutchins, les catgories diagnostiques varient en fonction
de ngociations politiques au sein de lAPA ([3] p 300). Le plus
souvent les donnes scientifiques napportent pas de rponses
dterminantes en elles-mmes, cest linterprtation des donnes qui est
dcisive, et celle-ci relve dune dcision, politique ou subjective,
ancre dans ladhsion une thorie, mme quand celle-ci se masque sous
lathorisme. La nvrose traumatique freudienne est une entit
nosologique tombe dans loubli pour la psychiatrie nord-amricaine
moderne. Elle ne figurait ni dans le DSM-I ni dans le DSM-II. Quand
les cliniciens sy trouvent confronts du fait de la guerre du
Vit-Nam, ils la redcouvrent en la nommant dabord post-Vitnam
syndrome . La frquence de cette 3 Le frotteurisme : acte de toucher
et de se frotter contre une personne non consentante. 4 La
trichotillomanie : (Trouble du contrle des impulsions). Arrachage
rpt de ses propres cheveux aboutissant une alopcie manifeste.
pathologie, constate partir des annes 1970, conduisit la cration en
1977 dun Groupe de travail des combattants du Vit-Nam dans lequel
des psychiatres laborrent un nouveau syndrome : le Post-traumatic
stress disorder . Les anciens combattants du Vit-Nam militrent
alors pour la reconnaissance de ce syndrome afin de pouvoir tre
soigns gratuitement dans les Veterans hospitals qui leur sont
rservs. Linsertion du Post-traumatic stress disorder dans le
DSM-III fut ncessaire pour que les compagnies dassurances dcouvrent
lexistence de cette pathologie.
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Dautre part, la dnomination des troubles reprsente parfois un
enjeu essentiel pour les rsultats de lindustrie pharmaceutique ;
cest pourquoi les laboratoires les plus importants mettent
maintenant en uvre des actions de lobbying afin de faire voluer la
nosologie dans un sens conforme leurs intrts. Les raisons de la
soudaine apparition de la dnomination trouble anxit sociale dans le
DSM-IV est cet gard exemplaire. Pignarre indique son origine dans
un problme auquel se trouvent confronts les laboratoires
britanniques SmithKline Beecham (SKB) : trouver une niche pour un
antidpresseur afin de lui donner une originalit et grandir sur le
march en largissant et en rendant robuste cette niche. Pour cela,
ils dcident de promouvoir le trouble de lanxit sociale . Il sagit,
note Pignarre, dune nouvelle formulation pour les phobies sociales.
Mais le mot phobie est un obstacle llargissement de la niche. Qui
peut avoir envie de se faire soigner pour un trouble appel ainsi ?.
Aussi SKB mne-t-il une double bataille : pour le changement de nom
du trouble et pour la reconnaissance de lefficacit de son
antidpresseur (la paroxetine) dans cette sous-catgorie. SKB sappuie
sur des associations de patients pour obtenir le changement dun nom
considr comme dvalorisant. Ils ont presque obtenu gain de cause,
puisque la dernire dition du DSM le DSM IV - a retenu aussi
lappellation trouble de lanxit sociale en la plaant entre
parenthses au chapitre des phobies sociales. Il a sans doute fallu
un important travail de lobbying pour arriver ce rsultat ([9] p
111). Travail qui sexerce par lorganisation de runions
scientifiques, par la promotion darticles ou de livres, par le
soutien certains numros de revues, etc.
On constate quune pathologie mentale possde plus de chance dtre
introduite dans les DSM si elle est soutenue par un groupe de
pression suffisamment puissant suscit par limportance des enjeux
conomiques. On ne peut que conseiller aux ondinistes (auxquels
Havelock Ellis consacre un chapitre de plus de cent pages dans ses
Etudes de psychologie sexuelle ) ([10] pp. 166-280) ou aux
onycophages de se regrouper. On se demande dailleurs pour quelles
raisons les trichotillomanes ou les frotteuristes sont parvenus se
faire agrer par les psychiatres amricains tandis que les
onycophages, assurment plus nombreux, se trouvent encore en
attente. Bref, les catgories des DSM relvent parfois de lhtroclite
et donnent souvent une impression darbitraire. Les concepteurs de
ces ouvrages assurent quelles ont t slectionnes sur des bases
scientifiques, mais ils concdent dans le DSM-IV quil a t impossible
de dfinir des critres absolus et infaillibles pour dterminer quand
un changement devait tre fait ([8] p.XXVI). Les tribulations de
lhomosexualit nous en avaient dj convaincus. La fidlit
inter-cotateurs 5.
5 Les traducteurs de Aimez-vous le DSM ? parlent de fiabilit
plutt que de fidlit. La fiabilit est la qualit dun matriel dans
lequel on peut avoir confiance, dont la probabilit de tomber en
panne, de ne plus fonctionner, est trs faible. Il semble plus exact
de faire rfrence la fidlit diagnostique inter-cotateurs pour
dsigner la capacit des cliniciens user de cet outil afin de mettre
leurs diagnostics en conformit, cest--dire les faire converger
Largument majeur mis en avant par les concepteurs du DSM-III en
faveur de leur ralisation rside dans lamlioration de la fidlit
diagnostique inter-cotateurs, cest--dire de la
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cohrence dans les diagnostics attribus par des cliniciens
diffrents aux mmes patients. Les rsultats prsents dans une annexe,
affirment-ils, indiquent gnralement une fidlit largement suprieure
celle obtenue prcdemment avec le DSM-II ([2] p. 8). On.note une
certaine prudence dans la formulation ; dautant plus justifie quand
on examine de prs ces rsultats; pourtant, pendant plus dune
dcennie, mme les dtracteurs du DSM-III adhrrent lopinion selon
laquelle le problme de la fidlit diagnostique avait t quasiment
rsolu grce au nouveau Manuel. Malgr plusieurs biais mthodologiques
en faveur de lamlioration de la concordance statistique (en
particulier ngligence de la prvalence du trouble, chantillons trs
limits, etc.), les rsultats concernant la fidlit diagnostique du
DSM-III, en sappuyant sur les critres fixs par Spitzer lui-mme,
sont loin dtre excellents. Un kappa lev (en gnral de 0,7 ou plus),
crit ce dernier en 1979, indique un bon niveau daccord sur la
prsence ou non, chez le patient, dun trouble appartenant une classe
diagnostique dtermine ([3] p. 233). Or, si lon examine, comme lont
fait Kirk et Kutchins, les principales donnes statistiques fournies
par les concepteurs du DSM-III, on constate clairement quelles
natteignent pas ce que eux-mmes considrent tre une bonne fidlit
diagnostique. Il ressort de trois tudes majeures que pour les
catgories de laxe I des patients adultes 31 des kappas sont
au-dessus de la barre de 0,7, mais que largement plus de la moiti,
soit 49, se trouvent en-dessous. Sur laxe II, celui des troubles de
la personnalit et du dveloppement, les rsultats sont franchement
mdiocres, un seul des kappas atteint le niveau 0,7, aucun des
kappas globaux de laxe II ny arrive. Sur laxe III, celui des
troubles physiques, on ne saurait douter de sa bonne fidlit,
puisque le concernant aucune tude na t publie dans les annes 80.
Sur laxe IV, la gravit des facteurs de stress, value de manire
pourtant simple, avec une chelle comportant sept degrs, le kappa
pour les adultes natteint pas 0,7. Seuls les rsultats obtenus sur
laxe V, le niveau dadaptabilit le plus lev dans lanne coule,
parviennent la hauteur de la norme auto-impose. Or celle-ci savre
dj indulgente, car Spitzer en 1974 la considrait insuffisante quand
il sy rfrait dans un article rdig pour discrditer la fidlit du
DSM-II.([3] p. 233). Qui plus est, les critres de concordance
dfinis par les concepteurs du DSM-III sont si larges sur laxe I et
II que les rsultats prcdents apparaissent plus mdiocres encore. De
multiples objections peuvent tre faites aux tudes de fiabilit menes
pour conforter le progrs introduit par le DSM-III ; sans entrer
dans la technicit de ces critiques, rapportons simplement la
conclusion de deux commentateurs amricains de la qualit
mthodologique des preuves de terrain : Certains aspects de la
recherche laissaient beaucoup dsirer. [La fiabilit tait base sur]
une concordance dpendant de la proximit entre collgues, [] une
donne inconnue qui diffrait de paire en paire, [] pas duniformit
dans linformation fournie, [] pas de contrle sur le respect des
rgles et aucun moyen dempcher que se consultent deux cliniciens
supposs tablir indpendamment le diagnostic. [Les rsultats des
preuves de terrain ], concluaient-ils en 1980, ne contribuent gure
lassise scientifique du DSM-III ([3] p. 255).. Les affirmations
rptes selon lesquelles le DSM-III a fait progresser la fidlit
diagnostiques ne reposent que sur des interprtations des donnes
connues systmatiquement orientes dans un sens favorable. Il ressort
des analyses de Kirk et Kutchins, fondes sur lensemble des tudes de
fiabilit disponibles pour le DSM-III, quen utilisant les critres
proposs par Spitzer lui-mme en 1974, la fiabillit du DSM-III
devrait tre qualifie de au mieux passable et de extrmement
variable. [] Le langage de lchec, affirment-ils, aurait t plus
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appropri que celui de la russite. Au mieux, un langage
sappliquant une amlioration partielle et strictement limite aurait
pu tre utilis ([3] p.288).. Il est tonnant quen se donnant de
grandes facilits mthodologiques dans les tudes visant apprcier la
fidlit diagnostique du DSM-III, celle-ci nait pas opr un
spectaculaire bond en avant. Dailleurs, les concepteurs du Manuel
eux-mmes furent plutt dus par leurs propres tudes. Comprenant bien
le danger quil y aurait trop vouloir prouver une fidlit
diagnostique douteuse, Spitzer et ses collaborateurs se contentrent
bientt daffirmer que le problme avait t rsolu et quil ntait plus
ncessaire de le soumettre de nouvelles tudes. Il semble quelles
soient considres maintenant comme secondaires. Spitzer en 1991 a
mis en question lutilit de nouvelles tudes de fiabilit et avanc que
lorsque les professionnels finissent par tomber daccord, aucune
donne empirique nest plus ncessaire pour prendre des dcisions [11].
Il souligne ainsi pertinemment que le succs des DSM repose sur un
phnomne politique, ladhsion dun groupe professionnel son idologie,
bien plus que sur des tudes scientifiques. Laffirmation centrale
dont dpend le succs scientifique des DSM ne sappuie sur aucune tude
convaincante. Celles dont on dispose laissent penser que dans
lensemble le progrs obtenu par rapport au DSM-II est faible voire
inexistant. La validit diagnostique.
La mise en avant dune suppose rsolution du problme de la fidlit
diagnostique sest accompagne de la suggestion implicite selon
laquelle celui, plus important encore, de la validit diagnostique
se trouvait ipso facto suivre la mme amlioration. La question de la
validit dun diagnostic introduit la dimension du rfrent : que
dsigne le terme dans le rel de la clinique ? Parvient-il cerner un
authentique type clinique ? Cest--dire apprhende-t-il un trouble
bien dlimit par rapport dautres? un trouble dont on puisse porter
avec constance le diagnostic tout au cours de son volution ? Un
trouble est sans conteste valide si son tiologie, son pronostic et
son traitement sont connus. On sait que ce nest pas le cas pour la
plupart des troubles isols par les DSM. Leurs concepteurs eux-mmes
doivent en convenir : Il faut nanmoins se rendre compte du fait
que, pour la plupart des catgories, crivent-ils dans le DSM-III-R,
les critres diagnostiques reposent sur un jugement clinique et nont
pas encore t totalement valids par des donnes concernant
dimportantes corrlations, telle lvolution clinique, le pronostic,
lhistoire familiale et la rponse au traitement ([4] p.XXVI).
Loptimisme implicite de lassertion prcdente, pas encore totalement
valids , mais, doit-on entendre, cela ne saurait tarder, se trouve
plus tempr dans le DSM-IV. De nouvelles connaissances,
constate-t-on, conduiront indubitablement lidentification de
nouveaux troubles et au retrait de certains autres dans les
classifications ultrieures ([8] p.XXX) Ainsi les DSM sont-ils
maintenant engags dans un processus de rvision incessant qui permet
dincorporer les donnes qui dmentent la validit de catgories
antrieures.
Certes, le problme de la validit des nosologies psychiatriques
nest pas propre aux DSM, pour chacune delles il constitue une
difficult irrsolue, de sorte que la seule question que lon puisse
lgitimement poser aux DSM consiste savoir sils permettent de faire
avancer
-
les recherches sur ce point essentiel. Si ces Manuels
reprsentent rellement le progrs quils annoncent pour leur science,
leur dcoupage novateur de la clinique doit permettre le dgagement
dentits bien circonscrites partir desquelles les chercheurs
pourront laborer des hypothses heuristiques. Amliorer la validit du
diagnostic psychiatrique est beaucoup plus important que de faire
progresser sa fidlit. Or rien nindique que ces deux notions soient
corrles. Il est difficilement concevable quune amlioration de la
validit entrane une diminution de la fidlit : si le trouble est
mieux cern par la nosologie, son identification par les cliniciens
doit progresser. En revanche, et cest probablement la pente des
DSM, les faibles amliorations de la fidlit sont compatibles avec
une diminution de la validit. Ainsi, par exemple, dcouper lhystrie
en syndromes plus aisment identifiables fait sans doute progresser
la fidlit mais namliore en rien la connaissance de la spcificit de
lhystrie. Il nest pas ncessaire de faire rfrence aux hypothses
psychanalytiques pour aboutir aux mmes constatations. Dix ans aprs
lintroduction du kappa, rapportent Kirk et Kutchins, deux auteurs,
Carey et Gottesman, en 1978, attirrent lattention sur le fait que,
dans certaines circonstances, la qute de la fiabilit diagnostique
puisse se traduire par une diminution de la validit. Par exemple,
en vue de sassurer que seuls ceux qui sont schizophrnes sont bien
diagnostiqus comme tels (en dautres termes pour tenter de rduire le
nombre de faux positifs les personnes diagnostiques tort comme
schizophrnes), les critres de la schizophrnie peuvent tre redfinis
de faon plus spcifique et stricte. Cette opration est susceptible
de rduire le nombre de faux positifs et daugmenter la fiabilit
diagnostique. Mais en mme temps, elle pourrait augmenter le nombre
de faux ngatifs ceux qui souffrent de schizophrnie tout en ne
rpondant pas lensemble de ces critres plus rigoureux et saper la
validit de la nouvelle dfinition, plus stricte de la schizophrnie.
Dans cet exemple, une fiabilit plus leve ne signifie pas
obligatoirement une validit leve. Carey et Gottesman suggraient que
le terme de fiabilit est souvent mal - interprt : jouissant de
qualits intrinsques, plutt que subordonn lamlioration de la
validit. Ils concluaient que la lgitime fiert devant les succs
rencontrs dans lestimation de la fiabilit pouvait donner une fausse
impression de progrs dans la rsolution des problmes poss par la
nomenclature et la taxonomie ([3] p. 85).
Les diagnostics des DSM ne prennent gure en compte lvolution des
troubles,
ceux-ci doivent avoir t observs pendant une priode qui ne dpasse
jamais quelques mois pour tre authentifis. Il est donc relativement
ais de sappuyer sur la clinique pour montrer que de nombreux
diagnostics oprs laide de ces Manuels ne sont pas valides.
Une closion schizophrnique chez un sujet jeune, sous la forme
dune dpression atypique, phnomne clinique qui nest pas rare, et
parfaitement objectivable si lon dispose du temps ncessaire, sera
class dans le DSM-IV comme trouble dpressif majeur (Trouble de
lhumeur). Il suffit pour cela quil se poursuive plus de deux
semaines. On ajoutera que des passages du Trouble
obsessionnel-compulsif (Trouble anxieux) la Schizophrnie ont t
dcrit de longues dates par la psychiatrie classique ; que des
troubles de lidentit sexuelle (transsexualisme) voluant vers les
troubles psychotiques sont connus ; que des troubles anxieux cdent
parfois pour faire place des troubles sexuels, que les Troubles lis
une substance (troubles addictifs) peuvent tre remplacs par des
Troubles de lhumeur, etc. Bref, nul doute que les catgories
diagnostiques du DSM-IV restent des passoires incapables de se
saisir de constantes subjectives. Il suffit dune exprience clinique
dpassant les quelques mois pour que la pitre validit des catgories
des DSM apparaisse des cliniciens mme prvenus en sa faveur.
-
Ainsi, Laurence Hartmann, prsidente de lAPA, dclare en 1991: Ils
ont promu la clart et la fiabilit, mais beaucoup de cliniciens
pensent quils ont sacrifi la validit et lintgrit de la personne
([3] p. 400). lobservation longitudinale qui permet de constater la
modifications des symptmes, parfois mme le changement de classe
diagnostique, chez un mme sujet, on objectera que la mdecine
somatique tmoigne que chacun peut prsenter des maladies diffrentes
en des moments successifs. Cependant, on peut douter quil sagisse
de troubles diffrents quand on constate un passage progressif de
lun lautre, par exemple de symptmes obsessionnels compulsifs la
schizophrnie, ou dun pisode dpressif un trouble dlirant. De
surcrot, on ne peut plus gure douter quil sagisse dune mme
pathologie expressions diffrentes quand on constate un balancement
rapide des symptmes chez un mme sujet. Jai constat chez trois
malades de la Salptrire un fait trange, rapporte Janet en 1911,
cest que la cessation des vomissements semblait amener du dlire et
quil y avait alternance entre ces deux phnomnes [12]. Falret J-P
fait une observation du mme ordre, relate de manire un peu plus
prcise. Je me rappelle, crit-il en 1864, avoir donn des soins une
jeune dame, dune constitution trs nerveuse, chez laquelle les
premires preuves du mariage dterminrent des souffrances utrines
presque apyrtiques 6 et que je qualifiai de nvropathie hystrique.
Un jour on accourt chez moi pour mannoncer que cette dame venait
dtre prise de dlire, et, en effet, elle mconnaissait son poux et sa
mre ; je fus pendant quelques heures la seule personne quelle
reconnt ; seul je pouvais fixer son attention et obtenir delle des
rponses pour la plupart justes. Les douleurs utrines 6 Apyrtique :
qui nest pas accompagn de fivre.
qui avaient cess reparaissent tout dun coup : Mon Dieu ! que je
souffre dans le bas-ventre ! scrie la malade ; et le dlire disparat
aussitt la grande surprise des assistants ([13] I p.390). En
quelques instants, les troubles somatoformes de cette malade se
sont retrouvs dports dans une autre catgorie, celle des troubles
dissociatifs, dans laquelle il faudrait ranger lamnsie systmatise
de la patiente, nomm dlire par Falret. Et quelques instants plus
tard, elle fait retour dans les troubles somatoformes ! Qui ne
conoit que pour apprhender la logique de tels phnomnes lhypothse de
lhystrie est infiniment plus heuristique que la centration de la
recherche sur le symptme ?
Une relation clinique aseptise et rductrice.
Bien avant la rvolution des modernes DSM, ds 1957, Minkowski
mettait pertinemment en garde contre la rduction quils oprent.
C'est qu'il y a hallucination et hallucination, crivait-il, comme
il y a anxit et anxit. Spar de son contexte vivant, le symptme,
isol et gnralis [] outrance, "abstraction" dj jusqu' un certain
degr en ce sens, se met automatiquement presque en perspective sur
le neurologique, tandis qu'en ralit il puise sa signification dans
le fond mental dont il procde. Et c'est ce fond qui devient
maintenant et en premier lieu "l'objet" de nos investigations, dans
sa structure particulire, dans le mode d'existence qu'il ralise. Il
est vident [] que l'euphorie d'un maniaque, celle d'un paralytique
gnral ou encore, l'euphorie bate d'un idiot ne sont plus du tout la
mme chose. C'est le fond mental qui prime. Il en est de mme de
l'anxit et de la dpression, et vrai dire de tout symptme[] La
psychopathologie
-
prend son essor non partir du symptme, mais partir des divers
fonds mentaux avec les structures qui les caractrisent; elle est
ainsi plus proche du syndrome que du symptme, bien que le syndrome
ne soit pas le terme tout fait appropri pour dsigner le fond mental
avec son dynamisme [14]. Lassimilation des troubles mentaux des
symptmes et comportements manifestes conduit progressivement une
autre assimilation : gurir, cest faire disparatre le symptme ou la
plainte apparente. En dpit de la-thorisme tiologique annonc,
retenir ces seuls critres oriente nettement lutilisateur des DSM
vers les traitements comportementaux et biologiques. En arasant le
sens des symptmes, ces manuels tentent de produire un forage
pistmologique propre livrer les troubles psychiques la
pharmacologie. Qui plus est, ils produisent un appauvrissement dans
lart de la rencontre et du dialogue. On ne saurait certes leur
faire grief de ngliger la dimension du transfert et du fantasme,
trop charge de prsupposs thoriques leur gr, mais la conception
aseptise de la relation, qui fait limpasse faite sur la ncessaire
confiance instaurer par le clinicien, faute de quoi le patient peut
savrer rticent, rend parfois la relation impropre la vise
diagnostique quelle se propose. Fix sur le diagnostic dun trouble
quil faut enlever, soulignent Gasser et Stigler, le mdecin oubliera
quun trouble peut servir dtourner son attention dun malaise situ
tout fait ailleurs, sur lequel il aurait t plus indiqu de mettre le
doigt ([7] p.241). Cest trs prcisment ce que ma appris M. J. Il se
prsente comme un homme timide, la cinquantaine dpasse, dbord de
travail parce quil ne sait pas dire non, il est homme tout faire
dans une institution scolaire prive, il se plaint essentiellement
dune difficult entrer en contact avec les autres. La moindre runion
de famille langoisse plusieurs jours lavance, mme quand il sagit de
gens qui lui sont sympathiques. La rencontre est encore bien plus
difficile quand il sagit dtrangers. Il sefforce dviter au maximum
les contacts sociaux, ce quoi il parvient assez bien grce une
pratique assidue du bricolage. Cependant, sa femme est une personne
trs active, conseillre municipale, membre de nombreuses
associations, et elle lui demande de participer sa vie sociale, il
lui est difficile de dire non, de sorte quil se trouve souvent
entran dans des situations pnibles, parfois si angoissantes quil
doit fuir. Il souffre dtre oblig rptitivement se confronter la
rencontre des autres. Nul doute que ce sujet correspond pour les
DSM au diagnostic de phobie sociale , dont la caractristique
essentielle est une peur marque et persistante des situations
sociales ou de performance dans lesquelles un sentiment de gne peut
survenir , tandis que lexposition la situation sociale ou de
performance provoque presque invariablement une rponse anxieuse
immdiate chez un sujet qui reconnat le caractre excessif ou
irraisonnable de sa peur. Il convient donc de le situer dans la
classe des Troubles anxieux, et de lui donner un traitement visant
rduire lanxit. Il faudra plus dun an et demi dentretiens
hebdomadaires pour quil me rvle que son trouble doit en fait tre
class en un tout autre chapitre. Pourquoi ce dlai ? Parce quil lui
fut ncessaire pour accorder sa confiance. Il avait t hospitalis
quinze ans auparavant pour un pisode dpressif grave, et il avait
alors fait lexprience de lincomprhension suscite chez les soignants
par ce quil appelle ses bruits . Pourtant, depuis cette
hospitalisation, o il fut trait par sismothrapie, depuis quinze
ans, il peroit presque en permanence des bruits . Il se souvient
que les premires fois quil les a peru ils venaient des oiseaux du
jardin de lhpital. Au dbut, il en tait plutt content, ils laidaient
en lui donnant des rponses aux nombreux pourquoi qui le tourmentait
; mais aujourdhui il est incertain quant au crdit leur accorder.
Ces bruits se
-
montrent volontiers critiques son gard. Ce quils lui disent le
plus souvent nest gure encourageant : Tes radin, tes un salaud,
mais a va... . Viennent-ils de Dieu, sont-ils de bon conseil ? ou
sont-ils envoys par le Malin ? Il narrive pas se prononcer cet
gard. Son apparente phobie sociale est en fait dtermine par ses
hallucinations, cest parce quelles laccaparent, et quelles lui
disent le plus souvent des choses dsagrables, voire insultantes,
quil lui est trs difficile de fonctionner socialement. Il essaie de
se rgler sur elles, mais elles le dvalorisent, de sorte quelles
constituent llment majeur de son malaise. Seule sa femme
connaissance des bruits , mais elle-mme, en laquelle le patient a
toute confiance, naime pas quil parle de cela. M. J. conoit trs
bien que les autres risquent de le prendre pour un fou sil en fait
trop tat, cest pourquoi certains le qualifierait de sujet rticent .
Il risque fort de ltre jamais pour un clinicien nourrit au DSM,
pour qui la qualit de la relation et la confiance du patient sont
des lments ngligeables, car non objectivables. Que faire pour
lutter contre la rticence quand le clinicien ne considre pas utile
de prendre le temps dinstaurer une relation de confiance pour
tablir le diagnostic ? La position du problme en ces termes porte
en germe la pente faire violence au patient pour lui extirper les
renseignements quil ne consent pas livrer. De Clrambault tait
conscient du problme, et sa pratique lInfirmerie spciale, qui
lincitait orienter rapidement les malades, ne lui laissait gure
plus de temps quau clinicien DSM. Aussi parfois nhsitait-il pas
recourir des moyens peu dlicats pour vaincre la rticence, lun deux
tant de retirer soudainement la chaise sur laquelle le malade tait
en train de sasseoir, afin de provoquer sa colre 7. Nul doute quon
dcouvrira bientt des moyens plus subtils pour lutter contre la
difficult, mais prendre de front la rticence nen restera pas moins
faire violence au patient. 7 Il avait une certaine faon de
manipuler les malades, rapporte Paul Sivadon qui fut interne chez
Clrambault en 1929, et en particulier de les sadiser [] de mille
faons. Il faisait attendre, dabord, pendant des heures lattente
inspire le respect, disait-il -, aussi bien les malades que leur
famille. Je lai vu plusieurs reprises demander au malade de
sasseoir et au moment o il sasseyait, retirer la chaise de manire
ce que le sujet scrase par terre, ceci pour provoquer un dblocage.
Il y arrivait dailleurs avec certains paranoaques mutiques, qui, la
suite dune humiliation de cet ordre, exprimaient des sentiments de
colre et dhostilit quils avaient dissimuls jusqualors . Cf Paul
Sivadon [15].
La phobie sociale de M. J. est facilement discernable, car elle
constitue le trouble quil met en avant, mais elle se trouve en
dpendance dun trouble plus pertinent cliniquement, les
hallucinations verbales. Pourtant les donnes recueillies avec un
tel patient par un clinicien DSM iraient enrichir les connaissances
statistiques des troubles anxieux sans jamais parvenir rejoindre
celles du Trouble psychotique non spcifi dans lesquelles elles
devraient tre ranges.
De telles erreurs, associes au manque de validit des DSM, gnrent
une
strilisation de la recherche dans la psychiatrie moderne :
depuis le dclin de la psychiatrie classique, aucune dcouverte
marquante ne sest produite, aucun marqueur biologique dimportance
na t dgag, tandis que les rares syndromes nouveaux, lexception de
lautisme, ont t isols par des non-psychiatres : le transsexualisme
par un endocrinologue ; le syndrome de Lasthnie de Ferjol par un
hmatologue, le syndrome de Mnchausen par un gnraliste, le syndrome
dAsperger par un pdiatre, etc.
-
Les dangers des idaux normatifs implicites.
Les DSM reconnaissent quils sont dans lincapacit de dfinir avec
rigueur le
concept majeur sur lequel ils sont construits : celui de trouble
mental . Or ce choix pistmologique a une consquence de poids,
implicite et non discute, il entrane une conception de la gurison
comme tant un tat dabsence de trouble. Il gnre lidal dune
personnalit sans conflit. Conception non seulement nave, mais
parfois nocive. Deux exemples pour le montrer.
Arielle appartient une catgorie de sujets asymptomatiques qui
laissent le clinicien form au DSM dans un certain embarras initial.
Il est trs difficile de situer leur plainte dans une logique des
troubles fonde sur lobjectivation des symptmes. Ce dont ils
souffrent vraiment ne peut se discerner qu une coute attentive et
suffisamment prolonge. Arielle exerce son mtier et ses fonctions de
mre de famille de manire satisfaisante. Pour les autres elle parat
adapte et heureuse. Pourquoi vient-elle ds lors sadresser un
analyste ? Essentiellement parce quelle prouve un profond dsarroi
qui trouve son origine dans le fait que pour elle rien na de sens.
Elle nen est aucunement dpressive, elle nest pas mme triste, mais
elle a le sentiment que son tre est atteint, que depuis toujours
quelque chose fonctionne mal en elle. Je madapte toutes les
situations, les autres ne saperoivent de rien, mais il ny a pas de
moteur, a ne prend pas sens. Tout peut mintresser, mais rien ne
reste. Je cultive le rien, je suis accroche au rien, je nai pas
dopinion, pas de savoir, je ne fais rien. Je nai pas dides de
suicide, mais jai limpression que quelque chose me pousse vers la
mort, l o on trouve le calme . De tels propos voquent une carence
du fantasme fondamental. Ils induisent lhypothse dune structure
psychotique. Un discret trouble du langage vient son appui :
"Chaque moment est bien, dit-elle, pourtant l'ensemble de la journe
ne l'est pas: le un plus un plus un ne se fait pas". Cette
difficult procder au bouclage de la signification parat un indice
dune dfaillance de la fonction phallique. Il se confirme par la
suite que l'orientation dans l'existence confre par le fantasme
fondamental lui fait dfaut. "Ma vie, affirme-t-elle, est faite de
scnes dcousues. Les sances de psychothrapie, c'est comme ma vie, je
les fais une une, sans lien entre elles. 8 J'ai une gestion
besogneuse du quotidien qui n'est pas sous-tendue par un but. Ma
prise de notes compulsive reflte cela, j'en ai partout, je suis
envahie, je multiplie les notes, j'ai beaucoup de mal les classer,
je n'arrive pas mettre de l'ordre dedans, ni dans mes ides.
Pourtant cela m'aide prserver le quotidien. Je rdige beaucoup
d'emplois du temps qui me permettent de mieux entrevoir le
lendemain. Mais je n'ai pas de fil directeur. Je ne sais pas ce que
c'est qu'un but. Je suis incapable de faire des projets. Je ne sais
tellement pas que je suis oblige de faire confiance. J'attends que
mon mari se dtermine, aprs je m'aligne. De manire gnrale, je me
rgle sur des schmas, mais le sens me manque". Ds lors, elle savre
contrainte de se tourner vers les autres pour s'orienter dans
l'existence. "Quand les gens s'intressent moi, confie-t-elle, a me
porte un peu, mais si peu". Le soin pris son image ne s'enracine
gure en une volont de sduire: il s'agit plutt pour elle de masquer
ce qu'elle nomme "le tas de boyaux". Parfois, confie-t-elle, pour
me rassembler, je me regarde dans une glace, j'y vois ce que les
autres voient". Cette formule indique que son regard sur elle-mme
se rgle d'aprs l'opinion des autres, ce qui lui suggre le plus
souvent d'adopter une attitude conformiste. "Je tiens par l'image,
note-t-elle, si bien qu'il m'arrive de me demander ce que j'aurais
fait si j'avais t aveugle, j'aurais peut-tre t compltement
confuse". Si Arielle s'avre bien adapte, et si elle ne prsente pas
le fonctionnement "comme si",
-
elle le doit pour une grande part la prsence de son mari. Ce
qu'elle l'exprime en une formule lapidaire: "je ne tiens rien et
pourtant je suis trs dpendante de mon mari. C'est paradoxal". Elle
prcise: "je ne supporte pas qu'on attaque mon mari: c'est comme
scier la branche sur laquelle je suis assise. Je m'alimente ses
penses".
8 Que l'on compare avec les propos d'une schizophrne: "Les
choses se prsentent isolment, chacune pour soi, sans rien voquer.
Certaines choses qui devraient former un souvenir, voquer une
immensit de penses, donner un tableau, restent isoles. Elles sont
plutt comprises qu'prouves". (Minkowski. E.[16. p 48]). Non
seulement la carence de la signification phallique ne permet pas de
connecter les fantasmes la pulsion, mais on constate que par
dfaillance du bouclage rtroactif de la chane signifiante les lments
de la pense restent en suspens.
Pourtant Arielle affirme par ailleurs n'avoir dcouvert la
souffrance qu'aprs son mariage. Lors de son enfance et de son
adolescence, elle cartait aisment les problmes, elle mettait les
gens dans sa poche, elle s'arrangeait pour que l'avenir soit le
bonheur. "Je m'appuyais sur mon nom", observe-t-elle, en effet son
patronyme de naissance voque une ide de jeunesse et de gaiet.
Nommons-l "Jouvence". "J'tais gaie, insouciante, chouchoute par mes
professeurs, on plaisantait souvent de manire agrable sur mon nom,
j'tais une sorte d'eau de jouvence. Ds toute petite je puisais l
une dtermination tre heureuse". La propension la substantivation du
patronyme, souvent note chez des sujets de structure psychotique,
avait t mise par Arielle de manire originale au service de repres
imaginaires stabilisants. "Or, poursuit-elle, aprs mon mariage,
quand j'ai perdu le nom de mon pre, et surtout l'omniprsence de ma
mre, je suis tombe malade" 9. Il faut noter qu'elle trouvait aussi
du ct de sa mre un soutien d'importance. "Je n'ai pas de dsir,
constate-t-elle, mais c'est le contraire de celui de ma mre".
Phrase remarquable qui indique que la carence du dsir sest trouve
compense en sorientant a contrario sur sa mre. Elle prcise que dans
son enfance, sous son air insouciant et gai, elle s'est toujours
efforce de faire le contraire de sa mre. "C'tait quelqu'un de
plaintif, toujours en train de faire son mnage, tandis que j'tais
joyeuse et bordlique". Il semble que le signifiant patronymique,
pris la lettre, ait permis Arielle de ne pas tre prise en une
relation trop mortifre sa mre, en lui ouvrant la possibilit de
s'orienter en s'opposant celle-ci. Aprs le mariage, "mon mari s'est
occup de moi, il m'a ramasse comme une loque, il a pris la place de
ma mre. Maintenant j'ai besoin de sa prsence pressante et mme
parfois contraignante". Toutefois, aujourd'hui encore, quand ce
soutien dfaille, Arielle se dcouvre domine par "un attrait pour le
rien", alors, prcise-t-elle, "j'aspire me poser l comme un vgtal et
me satisfaire de mon inertie; je n'aspire 9 Le patronyme d'Arielle
acquis par son mariage ne se prte plus aux associations sur le
bonheur auxquelles le prcdent tait propice. plus rien d'autre qu'
rien". Elle n'est pas alors envahie par une jouissance Autre: elle
s'prouve spare de son tre de jouissance: comme une marionnette,
dit-elle, dont on aurait coup les ficelles.
Arielle affirme qu'elle s'prouve dans un monde de pressions
multiples: ds qu'elle a le sentiment que les autres attendent
quelque chose venant d'elle, il lui semble qu'ils l'exigent.
"L'agressivit des autres me fait tellement peur, dit-elle, que
lorsque j'y suis confronte, je pourrais tuer, a ferait un beau
carnage. Pour une peccadille, ajoute-t-elle, je suis en danger de
mort". Les simples formules de politesse des commerants sont
parfois ressenties comme des tentatives de mainmise sur son tre.
S'ils cherchent engager une conversation la situation peut devenir
insupportable. "Est-ce tout ce qu'il vous faut ?" demande un
charcutier. Elle sait que la
-
phrase est banale mais elle l'prouve comme "carrment intime". De
semblables carences de la fonction du fantasme, inapte parer la
jouissance de l'Autre, se rencontrent parfois chez des hystriques.
Cependant, cela se combine chez Arielle avec de prcaires
identifications imaginaires; elle se dsole au surplus que son
intellect soit "endommag" par diverses inhibitions, tout en
s'tonnant que sa sexualit ait t pargne. "Je ne supporte pas le dsir
des autres, constate-t-elle, sauf dans le domaine sexuel, je me
demande bien pourquoi. Il n'y a que dans la relation sexuelle o je
ne suis pas entame, o je n'ai pas de problme". Pourtant elle a
cette phrase tonnante qui tmoigne mme en la circonstance d'une
certaine dfaillance du fantasme: "je vais peut-tre tre tue, mais je
n'ai pas peur". Cette pente la connexion du sexuel la mort semble
un indice de Sa difficult interprter le dsir de lAutre la laisse
dans le danger dy discerner une volont de jouissance rclamant son
sacrifice. Cependant tout indique que le dsir d'un homme vient
soutenir une image phallique d'elle-mme, aussi prcaire que
prcieuse, "les caresses, confie-t-elle, me donnent l'impression
d'tre l'intrieur de moi-mme". En leur absence elle court le risque
de se rduire son tre de dchet: un poulet cuisses releves et cou
sectionn. Ceux que prparait l'Autre maternel. Un voile est port sur
cette horreur grce la reprsentation phallique d'elle-mme soutenue
par le dsir du partenaire.
Arielle note sa difficult soutenir son tre lors d'absences
prolonges ou inhabituelles de son mari. "Dans ces cas-l,
confie-t-elle, je continue effectuer mes activits habituelles, rien
ne transparat extrieurement, mais l'intrieur, c'est le chaos, je ne
suis plus qu'une enveloppe vide". Il est manifeste que la
jouissance se trouve localise sur son partenaire, de sorte
qu'Arielle ne prsente aucun signe de psychose clinique: elle n'est
pas envahie par l'objet a. Pourtant cet objet n'est pas perdu, un
processus de sparation n'est pas intervenu, c'est pourquoi la
prsence du mari s'avre essentielle. L'objet a n'est pas voil par
l'image de l'autre: il est pris en celle-ci. "Je sais que je ne
peux pas demander cela mon mari, observe Arielle, mais l'idal
serait qu'il soit toujours prsent, qu'il ne me quitte jamais". Que
son tre se situe non pas dans le manque de l'Autre, mais dans son
mari incarn, elle l'exprime encore clairement quand elle constate
que l'absence prolonge de ce dernier quivaut pour elle "la mort de
l'me". Elle sait aujourdhui que cest se rgler sur les idaux de son
mari quelle parvient sorienter dans le champ des significations.
Elle trouve par l des bornes sa jouissance de linertie. Je nai de
tranquillit qu me conformer ce que mon mari attend de moi . Il me
faudrait quelque chose dexceptionnel, disait-elle au dbut de sa
cure, mais qui viendrait tout seul, pour lequel je naurais rien
faire . Si un puissant discours religieux lavait entrane, ou si une
cause politique stait impose, Arielle se serait sans doute laisse
capter par de tels signifiants-matres, mais elle est dun temps o
lAutre nexiste pas. Dun temps qui facilite lmergence de sujets
asymptomatiques qui trouvent difficilement place dans les catgories
des DSM. Seule une clinique capable de discerner de discrets signes
de forclusion du Nom-du-Pre peut contribuer orienter la cure de
tels sujets. Arielle sait mieux aujourdhui ce quil lui faut viter
et ce qui lui convient. Elle na plus besoin dun analyste quelle
situa pendant plusieurs annes aux cts de son mari. Quel diagnostic
pourrait faire un psychiatre nourri au DSM concernant Arielle ?
Elle ne prsente ni symptme, ni tat dpressif, ni trouble de la pense
rpertori, encore moins hallucination ou dlire. Elle semble chapper
toute saisie sur laxe I. Cependant, les classifications ayant
horreur du vide, on se rabattra sur laxe II, et on sefforcera de la
faire cadrer avec la personnalit dpendante. Ce ne serait quavec
difficult quon parviendrait faire entrer ses troubles dans
-
cette catgorie, caractrise par un besoin gnral et excessif dtre
pris en charge qui conduit un comportement soumis et collant et une
peur de la sparation ([8] p 783). Parmi les huit items proposs, il
serait possible den cocher trois en rapport son observation, les
cinq autres lui correspondent peu, voire pas du tout. Cependant par
une ncessit aussi imprieuse quinexplicable, le DSM-IV exige la
concordance avec au moins cinq items sur huit pour porter le
diagnostic. A suivre ce manuel avec rigueur il faudrait alors plutt
se rabattre sur le Trouble de la personnalit non spcifi en raison
dune souffrance cliniquement significative . Autrement dit au terme
dune telle recherche diagnostique, il ne resterait rien dautre que
ce qui laurait suscite : la souffrance subjective. Entre le point
de dpart et le point darrive de la dmarche, rien naurait t saisi de
la spcificit du sujet, sinon trs exactement sa prsence, qui se
manifeste par lvidence terminale de sa diffrence avec tous les
autres. Bref beaucoup de savoir mobilis pour ne saisir quun rsidu
opaque. Heureux encore le patient qui bnficiera dun diagnostic de
trouble de la personnalit non spcifi, laissant le clinicien dans
une certaine indcision, car cela nemportera gure de consquence pour
la conduite de la cure. Il nen serait pas de mme si en forant un
peu certains traits on parvenait cadrer Arielle dans la personnalit
dpendante : il faudrait alors lorienter vers une normativation
suppose salutaire, en cherchant la dbarrasser de ses attitudes de
dpendance. Dans le meilleur des cas, une telle conduite de la cure
peut aboutir un dpart assez rapide du sujet ; en revanche, quand un
transfert massif sengage, linviter se dtacher du branchement qui le
soutient peut avoir des consquences graves : passage lacte, phnomne
psychosomatique ou dclenchement de psychose. Lathorisme tiologique
du DSM induit un retour implicite des normes de comportement pour
apprcier le fonctionnement du sujet : il ne peut pas entrer dans sa
logique que certaines catastrophes subjectives ne sont vites que
grce au maintien de comportements que sa perspective doit considrer
comme pathologiques, donc radiquer. Pousser certains sujets acqurir
leur indpendance est parfois ce qui peut leur arriver de pire. La
fin de Raymond, rapporte par P. Declerck, dans son remarquable
travail sur Les naufrags , le montre lvidence. Sans domicile fixe,
Raymond entre au Centre dhbergement et dassistance aux personnes
sans abri de Nanterre, le 6 septembre 1988, il a 44 ans, son
alcoolisme et sa clochardisation lui en font paratre soixante.
Demble il sadapte, rompt avec ses comportements passs, de sorte
quil se trouve intgr au fonctionnement de linstitution, en tant que
serveur la salle de garde. Bien que la rtribution soit drisoire, le
travail semble lui plaire. Il fait si bien que le 15 juin 1989, il
passe du centre daccueil (sans limite de dure de sjour) au foyer de
rinsertion (sjour de six mois, renouvelable une fois) avec la
mention stage extrieur . Pourtant, note Declerck, deux indices
auraient d alerter les travailleurs sociaux de ne pas trop se
prcipiter. Le 29 janvier 1989, il rentre ivre au point dtre conduit
aux urgences de lhpital. Or, selon sa fiche gnrale, il aurait reu
une prime exceptionnelle le 3O janvier. Soit il la touche le 29,
soit la clbration anticipa loccasion. De toute manire, constate
Declerck, le lien est clair entre un passage lacte alcoolique et
une amlioration objective de sa situation ([17] p 274). Quelques
jours plus tard, le 16 fvrier, Raymond dtruit lui-mme son
autorisation permanente de sortie , document qui nest dlivr quaux
meilleurs travailleurs de linstitution, ceux auxquels on peut faire
confiance . Il sentait bien, Raymond, commente pertinemment le
psychanalyste. Dinstinct, il avait compris que la libert ntait pas
pour lui. Que la libert tait poison. Il nen voulait plus de sa
permission de sortie. Dehors le guettaient le dsastre et les
garements. Danger ! Aussi lui fallait-il se rtrcir, se retirer,
demeurer un peu esclave, un peu bagnard aussi. Ctait l en somme sa
mdecine lui : bien sancrer surtout dans le retour des jours
semblables, et se cacher, camlon, gris sur gris, lov dans une
bienheureuse mdiocrit.
-
Son ambition Raymond : finir violette. A lombre. En paix. Ctait
l sa sagesse, toute sa philosophie. Il se savait intimement ennemi
de lui-mme . Malgr les indices prcdents, les travailleurs sociaux
insistent pour le faire entrer dans une dynamique de rinsertion. Le
27 juillet 1989, sans prvenir, il part seul. Aussitt dans la rue,
il a t foudroy. Tout de suite, il est redevenu clochard pur et dur.
Crasseux faire peur et sol, tout le temps . Moins de trois mois
plus tard, le 9 octobre 1989, il a t retrouv mort de froid devant
la grille de la Maison de Nanterre. Beaucoup plus tard, aprs avoir
reconstitu les vnements, Declerck lui consacre la belle pitaphe
suivante : Ainsi mourut un homme qui stait lev jusqu une hauteur
peu commune, o il lui tait apparu que la plus grande des liberts,
pour lui, consistait justement y renoncer. On ne lui permit pas
([17] p. 281). Outre le trouble induit par une substance, coder sur
laxe I, Raymond, selon le DSM-IV, devrait probablement tre inclus
sur laxe II dans le cadre de la personnalit dpendante. Une fois
lalcoolisme apais, il est dans la logique du clinicien qui soriente
sur les comportements de vouloir lutter contre la dpendance. Les
DSM rejoignent cet gard le bon sens de lhomme moderne. Il nentre
pas dans les conceptions de celui-ci quun trouble mental protge
parfois dun autre plus angoissant et plus invalidant. Quun T.O.C.
puisse faire obstacle au dclenchement dune psychose est une donne
connue de longue date, mais elle ne saurait trouver place dans le
DSM, qui ne sait quinduire une rduction aveugle et obstine des
troubles. Rien nest plus tranger ses conceptions normatives que
lexistence dune logique du dlire [18] pouvant se dvelopper jusqu
des stabilisations paraphrniques quil semble souvent plus sage de
ne pas bouleverser, faute de quoi vouloir le bien du sujet peut
conduire l encore bien souvent au pire. Aucune place ny est laisse
pour le recueil de lexprience des psychanalystes contemporains qui,
avec des sujets psychotiques, aprs plusieurs annes de cures,
relatent avoir obtenu des stabilisations fondes pour une part sur
la construction dun ordre dlirant (Laurent D.[19].;[,
Chouraqui-Sepel C. [20], Soler C.[21], Kaufmant Y..[22], Cremniter
D. [23], Mnard A. [24] ). Que les psychotiques eux-mmes tmoignent
avec force que le dlire constitue une tentative subjective de
gurison ne saurait tre pris en considration par des manuels qui
nattendent des patients quune bonne description de leurs
comportements. Quils cherchent en faire la thorie relve aujourdhui
dune certaine inconvenance face la sagesse du clinicien moderne
arc-bout sur son prtendu athorisme.
* * * Le constat de la pauvret heuristique des DSM est
difficilement contestable, sauf considrer quelle samliorera en des
jours meilleurs. Cest pourquoi du sein mme de la psychiatrie
biologique et de ceux qui ont contribu llaboration des DSM, des
voix slvent maintenant pour appeler un renouveau de la clinique.
Nancy Andreasen, une des figures les plus connues de la psychiatrie
biologique, estime, en 1998, dans un texte adress lAssociation
amricaine de psychiatrie, dont elle est alors la directrice, que la
psychiatrie risque de ne pas pouvoir utiliser les retombes du
dcryptage du gnome humain du fait de la disparition de la clinique
: Un jour, au XXIme sicle, lorsque le gnome et le cerveau humain
auront t compltement cartographis, peut-tre sera-t-il ncessaire de
mettre en place un plan Marshall invers pour que les europens [grce
leurs grandes traditions psychopathologiques] sauvent la science
amricaine en lui permettant de comprendre rellement qui est
schizophrne, ou mme ce quest la schizophrnie.
-
Nous risquons de ne pas pouvoir utiliser les retombes du projet
de dcryptage du gnome humain () car nous naurons plus de chercheurs
en clinique 9 Un tel constat prend tout son poids quand on rappelle
que N. Andreansen fut une proche de Spitzer et quelle appartenait
au groupe de travail qui dans les annes 1970 fut lorigine de la
conception du DSM-III. Il ne sagit pas dune voix isole : ceux qui
acceptent de sinterroger sur la pauvret actuelle des recherches
psychiatriques parviennent des conclusions semblables. Un travail
de 1998 effectu par une quipe franaise, paru dans
Medecine/Sciences, estime que les incertitudes qui entourent la
dfinition clinique des maladies peut contribuer lchec relatif des
tudes gntiques en psychiatrie 10. Les catgories nosographiques du
DSM sont bien trop floues, observent Ehrenberg et Lovell, qui
rapportent les propos prcdents, de sorte que les progrs de la
psychiatrie gntique suggrent que ces catgories ne sont sans doute
pas des entits naturelles dont on pourrait dcouvrir les bases
molculaires et gntiques. En consquence 9 Cf Andreansen N.,
Editorial , American Journal of psychiatry, dcembre 1998, numro
consacr aux schizophrnies, cit par Ehrenberg A. Lovell A.M. ([25]
p. 30) 10 Cf Bellivier F., Nosten-Bertrand M et Leboyer M. Gntique
et psychiatrie : la recherche de gnotypes [26] cit par Ehrenberg A.
Lovell A.M.([25] p. 30).
pour progresser en psychiatrie partir de la gntique, il faut
dconstruire ces catgories ([25] p. 30). La mdiocre validit des
classes diagnostiques des DSM doit certes conduire les dconstruire,
mais non pas faire table rase du trsor clinique de la psychiatrie
classique enrichi par la psychanalyse contemporaine. Cette dernire
est parvenue dgager des structures subjectives spcifiques derrire
la varit des types cliniques. A sorienter sur ces derniers la
psychiatrie biologique elle-mme trouverait matire mieux employer
ses ressources. Certes les troubles psychopathologiques soriginent
dans lenvironnement du sujet, o le discours de lAutre possde une
fonction dcisive, mais cest la plasticit crbrale qui rend possible
lenregistrement des donnes environnementales, de sorte quil nest
pas exclu que la connaissance du cerveau puisse contribuer ltude
des types cliniques, ne ft-ce que pour prciser les limites encore
parfois incertaines entre la clinique neurologique et la clinique
psychopathologique. En tout cas, cet gard, il y a lieu de partager
le constat de Zarifian, selon lequel pour linstant nous posons de
mauvaises questions de bons outils ([27] p. 37). Dans le discours
de la psychiatrie, le succs des DSM constitue la raison majeure des
obstacles aujourdhui rencontrs pour parvenir poser de bonnes
questions, tant aux outils qu la clinique elle-mme.
Bref, peu de progrs quant la fidlit diagnostique, mdiocrit de la
validit des catgories, appauvrissement de la relation clinique et
strilisation de la recherche, la suite de tels constats effectus
une vingtaine dannes aprs la rvolution du DSM-III, constats qui
commencent se diffuser et se partager, on pourrait supposer que
lessor des DSM est en rgression. Telle nest pas apparemment la
perspective de lAPA : enivrs par le succs commercial de leurs
productions, les concepteurs des derniers DSM ne se bornent plus
chercher simplifier la communication entre chercheurs et
cliniciens, projet majeur affich du DSM-III, ils proclament
maintenant ouvertement dans le DSM-IV que le Manuel peut galement
servir comme outil ducatif dans lenseignement de la
psychopathologie ([8] p XXI). Le DSM-IV, notent Gasser et Stigler,
nest donc plus seulement un livre de classification, il devient un
manuel de psychiatrie, auquel sajoute une partie thrapeutique
dcoulant de chaque diagnostic ! ([7] p. 239).
-
Pourquoi une telle approche trouve-t-elle encore un large cho ?
Dabord parce quelle gnre une auto-justification qui devrait
amliorer progressivement la fidlit diagnostique en produisant des
artfacts. Ces manuels, note Pignarre, forment une arme de mdecins
capables de poser les mmes questions, dentretenir une relation
semblable avec les patients et daboutir aux mmes conclusions ([9]
p. 20). Lune des consquences en est la multiplication dun
diagnostic attrape-tout, celui de dpression. Les statistiques,
note-t-il, quelle que soit la manire dont on les tudie, laissent
toutes apparatre ce phnomne : une augmentation considrable des taux
de personnes pouvant, sous une forme ou sous une autre, tre dites
dprimes. Selon lOrganisation mondiale de la sant (OMS), la
dpression sera ainsi dans les prochaines annes un des deux grands
problmes de sant publique et peut-tre mme le premier, avant les
maladies cardio-vasculaires. Laugmentation du nombre des dprims,
pris en charge ou non, suscite la stupfaction des pidmiologues qui
voient rarement des chiffres senvoler avec tant dallant. Aucune
pathologie ne connat un tel dveloppement . Or, depuis les annes 80,
ces statistiques ne sont prises en considration qu la condition de
puiser dans les DSM leur donne majeure, savoir une large dfinition
de la dpression. Les DSM savrent de gros producteurs dartfacts
nosographiques de validit peu probante.
Au-del de lauto-confirmation artificielle de la fidlit
diagnostique, la raison majeure du succs des DSM est sans doute
chercher dans le primat contemporain du discours de la science et
dans la volont de la psychiatrie, parente pauvre de la mdecine, de
sinscrire toute force en celui-ci. Le prix payer en est
lobjectivation du sujet et la volont de contraindre ses troubles
mentaux dans la cage de son corps. Il en dcoule un abandon par la
psychiatrie de la clinique du sujet. Le phnomne na pas seulement
des consquences sur la recherche, leffet sen fait sentir dans la
pratique, par une considrable augmentation des demandes de cures
adresses par des sujets psychotiques des psychanalystes et des
psychologues. Dans les pays o la psychanalyse tient une place
importante, les publications relatant de telles cures se
multiplient. Les sujets qui cherchent une adresse leur souffrance
constatent quils ne peuvent plus gure la trouver auprs du
psychiatre new-look, ils sen trouvent contraints de se tourner vers
dautres professionnels plus disponibles. Si le DSM-III peut tre
considr comme une dfaite conceptuelle historique du courant
psychanalytique dans la psychiatrie amricaine, ses retombes
pratiques sont dun tout autre ordre : elles sont paradoxalement en
passe dlargir considrablement le champ dactivit des psychanalystes
et des psychologues. Le succs des derniers DSM rsulte
essentiellement de la formidable synergie instaure par la rencontre
de lidologie scientiste de lAPA, des intrts conomiques de
lindustrie pharmaceutique, et des idaux de gestion rationnelle de
la sant mentale des administrations et des compagnies dassurances.
Dans les annes 1980, les recherches sur la fidlit diagnostique de
lAssociation psychiatrique la plus puissante convergent avec ceux
des laboratoires pharmaceutiques pour diffuser leurs produits ;
lchec conceptuel des travaux de lAPA, qui devrait tre patent en
regard de ses propres critres, savre finalement de peu de poids
rapport la russite conomique de lentreprise.
Les psychanalystes ne doivent pas renoncer considrer que
clinique psychanalytique et clinique psychiatrique peuvent
mutuellement s'enrichir - sans pour cela se
-
confondre. Toutefois, souligne pertinemment J-A Miller, "si la
psychiatrie se coupait de ses racines et cessait de prter une
attention minutieuse ce que Lacan appelle "l'enveloppe formelle du
symptme", elle se perdrait". C'est pourquoi, il n'est pas abusif de
considrer, comme il l'affirme, que "nous sommes les vrais amis de
la psychiatrie" en un temps o cette dernire "dit la biologie
molculaire :"Je t'aime", tandis que celle-ci lui rpond: "Crve"[28].
Bibliographie
1 Pichot P. Avant-Propos. In : American Psychiatric Association,
Editor. DSM-III. Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux. Paris:Masson;1983. 2 American Psychiatric Association.
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Paris:Masson;1983. 3 Kirk S., Kutchins H. Aimez-vous le DSM ? Le
triomphe de la psychiatrie amricaine. [1992]. Le
Plessis-Robinson.:Synthlabo;1998. 4 American Psychiatric
Association. DSM-III-R. Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux. Paris:Masson;1989. 5 Lacan J. Les psychoses. Le
sminaire III. Paris:Seuil;1981.p 126. 6 Jenkins S.C.,Gibbs T.P.,
Szymanski S.R.. DSM-III-R. Mmento clinique et thrapeutique de
psychiatrie. Paris:Masson;1992. 7 Gasser J., Stigler M. Diagnostic
et clinique psychiatrique au temps du DSM. In : Ehrenberg A.,
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diable. La Cause freudienne 1993;23:92-7. 21 Soler C. Quelle place
pour l'analyste? Actes de l'Ecole de la cause freudienne
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demande ou commande? Actes de l'Ecole de la Cause
freudienne1987;XIII:99-102. 23 Cremniter D. Artifices de la cure.
Actes de l'Ecole de la Cause freudienne 1987 ;XIII:115-11. 24 Mnard
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freudienne 1987;XIII :22-5. 25 Ehrenberg A. Lovell A.M. La maladie
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Nosten-Bertrand M et Leboyer M. Gntique et psychiatrie : la
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