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Droit du travail, entreprise et flexibilit de l'emploiDroit du
travail, entreprise et flexibilit de l'emploiDroit du travail,
entreprise et flexibilit de l'emploiDroit du travail, entreprise et
flexibilit de l'emploi
Nouri MZID Professeur et doyen de la Facult de droit de Sfax
1- L'emploi est devenu aujourd'hui une proccupation majeure dans
toute politique sociale. Le chmage et le sous-emploi sont considrs,
en effet, comme les principaux facteurs qui menacent la stabilit et
la cohsion sociale. C'est ce qui explique que, partout, la
lgislation sociale est de plus en plus tourne vers la promotion de
l'emploi et la protection de ceux qui travaillent contre le risque
du chmage.
2- Toutefois, le march du travail est avant tout tributaire de
la dynamique conomique. Du reste, la qute de flexibilit dans la
gestion de l'emploi est devenue pour l'entreprise un impratif
essentiel de la concurrence et de la comptitivit dans un contexte
marqu par la mondialisation et la libralisation des changes. D'o
l'exigence d'une flexibilisation du march du travail en vue
d'adapter l'emploi aux besoins conomiques et technologiques dans un
environnement mouvant.
3- Au nom de cette exigence, le droit du travail a souvent t
considr comme un lment perturbateur des mcanismes du march; d'tre
l'une des causes du ralentissement de l'emploi et de faire peser
sur l'entreprise des contraintes trop lourdes en la plaant en
situation d'infriorit par rapport aux agents conomiques dans les
systmes large permissivit. Le droit du travail a t, ainsi, mis en
demeure de se
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corriger, de s'adapter pour tre plus flexible et de se
dbarrasser de sa "rigidit" lie sa finalit protectrice en faveur des
salaris1.
4- La notion de flexibilit de l'emploi n'est pas nouvelle.
Depuis la rcession des annes 1980, elle a pu s'imposer comme un
concept cl pour rendre compte d'un ensemble disparate de formes et
de pratiques nouvelles dans la gestion des ressources humaines, en
crant l'image d'une unit et d'une rationalit du mouvement2.
Mais la notion de flexibilit demeure charge d'une certaine
ambigut, d'autant plus que sa signification diffre profondment
selon les systmes des relations professionnelles3. De manire
gnrale, elle peut se traduire par plusieurs mcanismes, dont
notamment: - l'ajustement des flux de production et des
processus
organisationnels, impliquant une plus grande adaptabilit de
l'organisation productive.
- La possibilit de faire varier les effectifs de l'entreprise
selon le march.
- L'introduction d'une plus grande polyvalence de la main-d'uvre
pour la rendre plus apte changer de poste et de lieu de travail
selon les besoins de l'entreprise.
- L'introduction d'une plus grande souplesse sur le rgime du
temps et de la rmunration du travail en fonction de la conjoncture
locale et globale
5- Tout en tant frquemment utilis par les spcialistes du droit
du travail, le concept de flexibilit n'est gure juridique4. Pour
mesurer la souplesse ou la rigidit d'un systme, les juristes
distinguent
1 C.f notamment, Flexibilit du droit du travail: objectif on
ralit? ouv. collectif, Centre de
recherche de droit social, univ. Lyon III, d. lgislatives et
administratives, 1986 (en particulier la contribution de A.
JEAMMAUD, "Flexibilit: le procs du droit du travail", p. 23 et
s.).
2 V.J. Freyssinet, Le paradigme de la flexibilit et les
conditions d'mergence d'un nouveau rapport salarial, Institut des
sc. soc. du travail, Paris 1987.
3 C.f. J.C. JAVILLIER, "Ordre juridique, relations
professionnelles et flexibilit. Approches comparatives et
internationales", Dr. soc. 1986, p. 56.
4 V. G. LYON-CAEN, "Quelle flexibilit ? pour quel droit du
travail ?", Revue tunisienne de droit social, n2 et 3, 1987, p.
113.
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habituellement entre les normes impratives et les normes
suppltives. Dans le premier cas, la norme ne tolre de la part des
particuliers aucune drogation, alors que dans le deuxime cas elle
n'intervient qu' dfaut d'une solution contraire exprime par la
volont des parties. Mais, au fond, une dimension juridique se dgage
souvent travers le discours sur la flexibilit de l'emploi ; savoir
le degrs de permissivit, de drogabilit et d'autonomie dont dispose
l'entreprise dans la gestion des ressources humaines. C'est cette
dimension qui nous intresse le plus en partant de l'interrogation
suivante: le droit du travail est-il suffisamment sensible
l'exigence d'une politique souple et dynamique de l'emploi tenant
compte des contraintes de l'entreprise dans un contexte conomique
mouvant?
6- Cette interrogation n'est pas spcifique au droit tunisien.
Depuis plusieurs annes, elle a suscit un dbat qui reste encore
d'actualit dans les pays dvelopps comme dans les pays en voie de
dveloppement. Des rformes ont t aussi ralises, dans ces diffrents
pays, exprimant une tendance gnrale introduire plus de souplesse
dans la lgislation sociale pour l'adapter aux exigences lies aux
mutations conomique et aux contraintes de la concurrence.
7- Le droit tunisien n'a pas chapp ce mouvement gnral, notamment
depuis les rformes du Code du travail introduites par la loi n94-29
du 21 fvrier 19941 et la loi n96-62 du 15 juillet 19962. A travers
ces rformes, un effort d'adaptation des normes juridiques au besoin
de flexibilit dans la gestion de l'emploi peut tre constat (1re
partie). Mais cette adaptation semble tre insuffisante et voque
quelques difficults qui nous poussent reflachir sur une ventuelle
refondation du droit du travail face l'exigence de flexibilit (2me
partie).
1 JORT n15 du 22 fvrier 1994. 2 JORT n59 du 23 juillet 1996.
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I/ L'ADAPTATION DU DROIT TRAVAIL AU BESOIN DE FLEXIBILITE
8- Il s'agit d'apprcier ici le niveau d'adaptation du droit du
travail au besoin de flexibilit souvent revendiqu par l'entreprise.
Celle-ci peut recourir soit la flexibilit externe en vue de varier
ses effectifs en fonction de ces besoins en main-d'uvre (A), soit
la flexibilit interne lorsqu'elle raisonne en effectifs constants
tout en cherchant adapter les ressources humaines et matrielles
disponibles aux activits et aux besoins de production (B). A- Droit
du travail et flexibilit externe
9- Pour l'entreprise, le besoin de flexibilit en matire d'emploi
se traduit avant tout par la libert d'embauchage, c'est--dire la
libert laisse l'employeur de crer ou de ne pas crer des postes
d'emploi (embaucher ou ne pas embaucher) ; la libert de choisir ses
futurs salaris ainsi que la libert de choisir la forme d'emploi en
fonction du poste de travail pourvoir. Ces trois composantes de la
libert d'embauchage sont relativement consacres par le droit
positif.
10- La libert d'embaucher ou de ne pas embaucher ne pose aucune
difficult sur le plan juridique. Tout au plus, une gamme
d'incitations financires est prvue par la loi pour encourager les
entreprises embaucher certaines catgories de demandeurs d'emploi1,
mais sans jamais rellement les contraindre. On ne peut parler, en
effet, d'obligation de conclure des contrats de travail ; l'acte de
conclure ou de ne pas conclure un contrat de travail s'inscrivant
avant tout dans l'exercice de la libert contractuelle.
11- Depuis 1996, la loi2 a d'ailleurs consolid cette libert en
modifiant les dispositions du Code du travail relatives
l'embauchage et
1 Il s'agit de personnes exposes des difficults particulires
d'insertion ou de rinsertion professionnelle, tels que les
primo-demandeurs d'emploi, les personnes handicapes et les
travailleurs ayant fait l'objet de licenciement pour motif
conomique.
2 Loi n96-62 du 15 juillet 1996, prc.
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au placement de main-d'uvre dans l'esprit d'une plus grande
souplesse par l'allgement de l'intervention administrative. Ainsi,
l'employeur n'est plus tenu de passer par le bureau de placement
pour signaler son offre d'emploi. Il est tenu simplement d'informer
le bureau de placement du recrutement effectu, et ce, dans un dlai
de 15 jours partir de la date du recrutement1. Du reste, il garde
toute latitude de recourir l'embauchage direct ou par
l'intermdiaire du bureau public de placement. Mais l'interdiction
des bureaux de placement privs est maintenue, contrairement
d'autres pays qui ont opt pour un systme plus souple en consacrant
la coexistence entre les bureaux publics de placement et les
agences d'emplois prives. C'est la solution adopte, par exemple, en
France2 et au Maroc3. D'ailleurs, les normes internationales du
travail sont marques aujourd'hui par une grande souplesse en la
matire dans la mesure o elles autorisent une telle coexistence
entre les deux systmes de placement public et priv4.
12- La libert d'embauchage postule ensuite la facult pour
l'employeur de choisir ses futurs salaris. A ce niveau, le
lgislateur tunisien adopte, aussi, une attitude trs souple
permettant l'entreprise de bnficier d'une large libert de slection
des candidats l'emploi. D'ailleurs, il semble ignorer compltement
cette question et ne rglemente aucunement les mthodes de slection
susceptibles d'tre utilises par l'entreprise en matire d'emploi.
Sous rserve du respect du principe de non discrimination5,
l'employeur dispose alors d'une grande libert pour choisir ses
futurs collaborateurs qui sont slectionns grce des mthodes
d'valuation variables, librement adoptes par l'entreprise.
1 Art. 280 C.T. 2 Art. L 5321-1 et s. du Code du travail
franais. 3 Art. 475 et s. du Code du travail marocain. 4 V.
notamment la convention de l'OIT n181 sur les agences d'emploi
prives (1997), non ratifie
par la Tunisie. 5 Le Code du travail consacre surtout le
principe de non discrimination entre l'homme et la
femme (art. 5bis ajout par la loi n97-66 du 5 juillet 1993). La
Tunisie a ratifi, par ailleurs, plusieurs conventions de l'OIT qui
consacrent nettement le principe de non discrimination en matire
d'emploi. V. notamment la convention n111 ratifie par la loi n59-94
du 20 aot 1959.
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Certes, cette libert demeure aussi limite par le ncessaire
respect des rgles de loyale concurrence. Un employeur ne doit pas,
en effet, se faire le complice de l'inexcution fautive d'un
engagement contract par le salari auprs d'un autre employeur. Mais
cette rgle consacre par l'article 26 du Code du travail1, ne vise
pas protger le salari. Elle est destine plutt assurer une certaine
loyaut dans le fonctionnement du march du travail et s'inscrit dans
ce que l'on peut appeler l'ordre public libral2.
13- La libert d'embauchage peut se manifester, enfin, au niveau
du choix entre les diffrentes formes d'emploi. A cet gard, une
distinction classique demeure essentielle entre deux catgories de
contrats de travail: les contrats dure dtermine et les contrats
dure indtermine. Aujourd'hui les entreprises prfrent, le plus
souvent, recourir au contrat de travail dure dtermin, considr comme
tant la modalit d'emploi qui rpond le mieux au besoin de
flexibilit. En effet, le salari sous contrat dure dtermine est
considr juridiquement comme un salari occasionnel dans la mesure o
il est expos perdre facilement son emploi par le simple refus de la
part de l'employeur de renouveler le contrat l'expiration du terme
convenu, sans bnficier des garanties institues par le droit du
licenciement en faveur des salaris permanents.
14- Jusqu' 1996, le droit tunisien ne rglementait pas, par des
dispositions spcifiques, le recours au contrat de travail dure
dtermine, en se contentant d'annoncer le principe de la libert de
choix entre cette modalit d'emploi prcaire et celle de l'emploi
dure indtermine. La rforme du Code de travail, introduite par la
loi du 15 juillet 1996, est venue rationaliser le recours au
contrat de travail dure dtermine dans un esprit de concilier entre
l'exigence de
1 Les dispositions de cet article ne s'appliquent que dans
l'hypothse d'une dmission abusive en raison de son caractre brutal
par exemple- et non lorsqu'un salari dmissionne rgulirement pour
entrer au service d'un nouvel employeur.
2 C.f. G. LYON-CAEN, "La bataille truque de la flexibilit ", Dr.
soc. 1985, p. 801.
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flexibilit en faveur de l'entreprise et le souci de protger les
salaris contre le recours excessif cette modalit d'emploi.
15- Cette rforme n'a pas mis fin la libert de choix entre
l'embauchage dure dtermine et l'embauchage dure indtermine.
L'article 6-2 al.1 du Code du travail, ajout par la loi du 15
juillet 1996, ne fait que consacrer cette libert de choix en
disposant que "le contrat de travail est conclu pour une dure
indtermine ou pour une dure dtermine". La loi continue, ainsi,
mettre sur un pied d'galit ces deux formes d'emploi. Elle ne semble
pas privilgier le contrat dure indtermine comme contrat de droit
commun et ne fait pas du contrat dure dtermine un contrat
drogatoire auquel le recours ne serait autoris qu' titre
exceptionnel. A cet gard, l'attitude du lgislateur tunisien est
plus souple que celle adopte par plusieurs autres lgislations
trangres o le contrat dure indtermine constitue la rgle, ou l'idal
type d'emploi, par opposition ce que l'on appelle les contrats de
travail atypiques comme le contrat dure dtermine1, mme si on
observe partout une tendance gnrale, depuis la fin des annes 1980,
introduire plus de souplesse dans le rgime applicable ce
contrat2.
16- Certes, la libert de choix entre le contrat dure indtermine
et le contrat dure dtermine, consacre par le lgislateur tunisien,
n'est pas totale. Elle est limite, depuis la rforme de 1996, par
les dispositions de l'article 6-4 ayant dtermine les hypothses de
recours au contrat de travail dure dtermine. Mais ce sujet, aussi,
la loi consacre une grande souplesse dans la dtermination des
situations o l'entreprise est autorise recourir
1 C'est le cas dans la plupart des lgislations europennes.
Ainsi, en droit franais, par exemple, la loi annonce comme principe
que le contrat de travail est conclu dure indtermine (art. L1221-2
C.T.). Corrlativement cette rgle, elle pose une interdiction de
principe selon laquelle le contrat dure dtermine ne peut avoir ni
pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi li
l'activit normale et permanente de l'entreprise. (art. L 1242-1
C.T.).
2 Voir J. FREYSSINET, "Nouvelles formes d'emplois et prcarit:
comparaisons internationales", Dr. soc, 1989, p. 293.
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cette modalit d'emploi. En effet, la loi ne se limite pas
autoriser le recours au contrat dure dtermine dans les situations
objectivement temporaires lies la nature non durable du travail
accomplir ou du poste occuper1, mais galement dans d'autres
situations o le poste de travail revt en ralit un caractre
permanent, tant attach l'activit durable de l'entreprise. La seule
contrainte dans ce cas est de formuler le contrat par crit et de
lui fixer une dure qui ne doit pas excder quatre annes, y compris
les renouvellements2.
17- La souplesse de la loi va encore plus loin puisque
l'employeur peut dcider librement de ne pas maintenir le salari
dans son emploi l'expiration de la priode de quatre ans, sans tre
tenu de justifier sa dcision par un motif quelconque. Dans ce cas,
il pourra mme recruter un autre salari par contrat dure dtermine,
dans la limite de la mme priode, pour occuper le mme emploi. Il en
rsulte qu'un poste de travail permanent peut tre indfiniment occup
par des travailleurs temporaires. C'est ce que rvle, d'ailleurs,
une pratique trs rpandue profitant de la souplesse de la loi allant
dans le sens d'une large flexibilit dans la gestion de la main
d'uvre.
18- Toutefois, cette pratique risque de se heurter aujourd'hui
aux nouvelles dispositions introduites par les partenaires sociaux
lors des dernires ngociations pour la rvision des conventions
collectives. En effet, ces dispositions ont consacr, d'une part,
une sorte de droit de priorit l'emploi en faveur des salaris dont
les contrats dure dtermine ont pris fin par l'expiration du terme.
Ce droit s'exerce durant six mois partir de la date de la fin du
contrat. Les mmes dispositions ont prvu, d'autre part, que tout
salari sous contrat dure dtermine ayant pass une priode de quatre
ans au service de l'entreprise, est recrut comme salari permanent
au cas o son poste de travail est maintenu ou en cas de cration
d'un autre poste dans la mme
1 Art. 6-4 parag. 1er du C.T. 2 Art. 6-4 parga.2me du C.T.
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qualification que celle du salari concern. Sur ce plan, il est
paradoxal de constater que les normes ngocies, adoptes en la matire
par les partenaires sociaux, sont beaucoup moins souples que celles
institues par le lgislateur.
19- La flexibilit recherche par l'entreprise se traduit, par
ailleurs, par un phnomne de plus en plus rpondu aujourd'hui, savoir
l'externalisation de l'emploi1. Ce concept exprime un changement
profond des modes d'organisation productive et de gestion de
l'emploi dans l'entreprise moderne. Celle-ci "n'est plus un monde
clos o s'activent ses seuls salaris"2. Elle s'entoure souvent de
partenaires externes auxquels elle confie certaines oprations afin
de pouvoir concentrer ses efforts sur le dveloppement de ses
activits stratgiques, diminuer les frais de structure et grer d'une
manire plus souple la force de travail.
Pour atteindre ses objectifs, l'entreprise prfre alors
extrioriser une partie de ses tches, en concluant des contrats de
prestation de services, de sous-traitance ou encore de mise
disposition qui lui assurent le bnfice d'une main-d'oeuvre
extrieure. Elle va pouvoir, ainsi disposer d'une force de travail
sans avoir la qualit d'employeur juridique. Il en dcoule, souvent,
une sorte de relation de travail "triangulaire" mettant aux prises
le fournisseur de main-d'uvre, le salari et l'entreprise
utilisatrice de la force de travail.
20- L'expression "externalisation de l'emploi" englobe en ralit
des formes trs varies, la plus ancienne tant la sous-entreprise de
main-d'uvre prvue par la loi dans les articles 28,29 et 30 du Code
du travail. Mais ces dispositions n'encadrent que partiellement et
de faon
1 C.f. J. DE MAILLARD, P. MANDROYAN, J.P. PLATTIER et Th.
HIESTHLEY, "L'clatement de la collectivit de travail: observations
sur les phnomnes d'extriorisation de l'emploi", Dr. soc. 1979, p.
323 ; J. FREYSSINET, "L'extriorisation de l'emploi, la dimension
conomique du problme", Dr. ouv. 1981, p.11, F. GAUDU, "Entre
concentration conomique et externalisation: les nouvelles frontires
de l'entreprise", Dr. soc. 2001, p.971.
2 H. BLAISE, "A la frontire du licite et de l'illicite, la
fourniture de main-d'uvre", Dr. soc. 1990, p. 418.
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lacunaire le recours la sous-entreprise de main-d'uvre. Du
reste, la pratique rvle d'autre formes d'externalisation de
l'emploi qui se dveloppent de manire remarquable sans tre soumises
une rglementation spcifique et en l'absence d'un cadre juridique
claire fixant les frontires entre le licite et l'illicit ce sujet.
21- La situation n'voque pas beaucoup de difficults lorsque
l'opration de fourniture de main-d'uvre revt un caractre dsintress.
C'est le cas par exemple des oprations de dtachement et de
transfert de salaris qui sont frquentes notamment au sein des
groupes de socits1, et qui s'effectuent souvent de manire
dsintresse. Dans ce cas on peut admettre facilement le caractre
licite de telles oprations2.
En revanche, le problme se pose de manire particulire lorsque
l'opration de fourniture de main-d'uvre s'effectue but lucratif.
C'est le cas par exemple du recours aux entreprises de travail
temporaire3 autoris par plusieurs systmes trangers en l'entourant
de garanties essentielles pour viter le glissement vers des
pratiques de marchandage ou de trafic de main-d'uvre.
22- En Tunisie, l'absence d'un dispositif juridique spcifique
aux entreprises de travail temporaire n'a pas empch ces entreprises
de se multiplier et de dvelopper leur activit qui a pris, depuis
quelques annes, une extension qu'elle n'a pas connue jusque-l. Pour
cette raison, une rforme de notre lgislation dans ce domaine est
ncessaire pour adapter ses dispositions aux ralits et protger les
salaris contre les pratiques illicites de marchandage et de trafic
de main-d'oeuvre.
1 Les relations de travail dans les groupes de socits sont
souvent marques par une grande mobilit du personnel. V. ce sujet,
I. VACARIE, "La mobilit du personnel au sein des groupes de
socits", Dr. soc. 1989, p. 462. Mais il n'existe aucun dispositif
juridique spcifique aux rapports de travail dans les groupes de
socits en droit tunisien. C.f. N. MZID, "Groupes de socits et
relations de travail", revue Etudes juridiques 2001, n8, p. 89.
2 C'est la solution adopte, par exemple, par le lgislateur
franais annonant clairement que "les oprations de prt de
main-d'uvre but non lucratif sont autorises" (art. L.8241-2
C.T).
3 C.f. B. SIAU, Le travail temporaire en droit compar europen et
international, LGDJ, 1995.
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23- La flexibilit de l'emploi signifie, aussi, pour l'entreprise
la libert de mettre fin au contrat de travail unilatralement par
l'exercice du droit au licenciement. Or, le rgime du licenciement
est souvent considr comme l'une des manifestions essentielles de la
rigidit du droit de travail. Il est jug la fois d'tre nuisible
l'entreprise et de constituer un obstacle l'emploi, notamment par
la "lourdeur" de ses procdures et son caractre "trop coteux".
Il est certain que le licenciement est soumis des rgles
relativement strictes et contraignantes pour l'entreprise. Les
efforts du lgislateur et des partenaires sociaux ont converg, en
effet, vers la dissuasion du licenciement, sauf s'il est motiv par
une cause relle et srieuse et condition de respecter les procdures
lgales et conventionnelles applicables en la matire et qui sont
variables selon le motif de la rupture.
24- S'agissant du licenciement pour motif disciplinaire, c'est
l'institution du conseil de discipline qui semble poser le plus de
difficult. Inspire du droit de la fonction publique et introduite
en droit du travail par les partenaires sociaux depuis 19731, cette
institution est qualifie d'tre inadapte l'entreprise prive. Elle y
constitue un "corps tranger" et "une atteinte relle l'un des
pouvoirs inhrents la qualit d'employeur et qui en constitue mme le
fondement: le pouvoir disciplinaire"2. Du reste, un autre
inconvnient est li cette institution dans la mesure o elle finit
souvent par devenir l'activit principale de la commission
consultative d'entreprise, "traduisant ainsi une dviation par
rapport la finalit fonctionnelle d'une structure voulue comme le
cadre d'une collaboration directe et d'une coopration fructueuse
des travailleurs la vie de l'entreprise"3.
1 Art. 37 de la convention collective cadre dont les
dispositions sont reprises par l'ensemble des conventions
sectorielles. Depuis la rforme du Code du travail par la loi du 21
fvrier 1994, l'institution du conseil de discipline a dsormais un
fondement lgal (art. 160 du C.T).
2 H. KOTRANE, Lgislation du travail et emploi : vers un nouveau
droit de la mobilit, IACE, 1996, p. 6.
3 Idem.
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25- C'est surtout le rgime du licenciement pour motif conomique
qui est souvent jug trop contraignant pour l'entreprise. En ralit,
l'esprit de la loi est marqu ici par un souci de conciliation
(certes, difficile mais ncessaire) entre des intrts divergents,
savoir ceux de l'entreprise, cherchant assurer l'adaptation de
l'emploi aux contraintes conomiques et technologiques, et ceux des
salaris attachs la stabilit de l'emploi. C'est ce qui explique la
soumission du licenciement pour motif conomique un systme de
contrle administratif pralable dont la finalit essentielle et de
rechercher la conciliation entre les parties, notamment travers des
solutions alternatives au licenciement1.
En droit compar, l'intervention de l'administration en matire de
licenciement pour motif conomique est prvue soit sous la forme
d'une autorisation qu'elle peut dlivrer sur l'opportunit du
licenciement aprs consultation des reprsentants du personnel, soit
sous la forme d'une intervention titre consultatif pour exprimer un
avis qui ne lie pas les parties concernes.
C'est cette deuxime forme, plus souple, qui est consacre par le
droit tunisien dans les articles 21 et suivants du Code du travail.
L'employeur est tenu seulement d'informer l'inspection du travail
de son intention de recourir au licenciement pour motif conomique,
pour solliciter son avis ce sujet et d'attendre la suite des
dmarches de conciliation effectue par l'administration, mais sans
tre li ni par l'avis de l'inspection de travail, ni par celui de la
commission de contrle du licenciement. C'est lui qui dcide en
dfinitive de l'opportunit de la mesure du licenciement, sous le
contrle a posteriori du juge en cas d'action intente
individuellement par tout salari concern.
26- Est-il opportun de supprimer toute intervention de
l'administration en la matire? Cette solution adopte par certains
pays en vue de rpondre au besoin de flexibilit dans le rgime du
1 Art. 21 et s. du C.T.
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licenciement1, semble difficilement transposable en Tunisie,
d'autant plus qu'elle risque d'entraner un flux considrable de
litiges devant les tribunaux. Par la rforme du Code du travail,
introduite par la loi du 15 juillet 1996, le lgislateur a choisi
d'ailleurs de maintenir l'intervention de l'administration tout en
clarifiant la procdure de licenciement pour motif conomique en vue
d'viter surtout sa lourdeur et de prciser le rle des structures
charges d'examiner les dossiers de licenciement. Dans ce cadre
s'inscrit, par exemple, la fixation d'un dlai de rigueur imparti
l'administration pour tenter la conciliation entre les parties et
donner son avis sur le projet de licenciement: 15 jours pour une
premire tentative de conciliation l'initiative de l'inspection du
travail, ou de la direction gnrale de l'inspection du travail selon
le cas, et 15 jours supplmentaires pour une autre tentative de
conciliation par la commission de contrle du licenciement partir de
la date de sa saisine par l'inspection de travail, laquelle doit
intervenir dans les trois jours qui suivent l'accomplissement de la
premire tentative de conciliation2.
Par ailleurs, le lgislateur a introduit une certaine souplesse
au niveau de la phase d'intervention de la commission de contrle du
licenciement en permettant aux parties de convenir de ne pas passer
par cette phase de la procdure lgale en concluant des accords de
rupture l'amiable3. Dans tous les cas, l'avis de l'inspection du
travail ou de la commission de contrle de licenciement reste
purement consultatif dans la mesure o il ne lie pas les parties,
comme il ne lie pas le juge. 27- Mais, il aurait t judicieux
d'aller plus loin et de reconsidrer l'organe administratif comptent
en la matire. Certes, un projet de licenciement pour motif
conomique peut annoncer le dbut d'un conflit collectif, ce qui
semble justifier l'intervention de l'inspection du travail
1 C'est le cas par exemple en France depuis 1985. 2 Art. 21-3 du
C.T. 3 Cette solution dcoule de l'article 21-12 du C.T. aux termes
duquel: "sont abusifs, le
licenciement ou la mise en chmage intervenus sans l'avis
pralable de la commission rgionale ou la commission centrale de
contrle du licenciement, sauf cas de force majeure ou accord entre
les deux parties concernes".
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charge d'une mission gnrale de conciliation pour le rglement de
ces conflits. Toutefois, il n'est pas, dans ses fondements propres,
le rsultat de tels conflits, mme s'il peut, parfois, y dboucher.
N'est-il pas plus judicieux alors de confier cette tche non pas des
instances de rglement des conflits collectifs mais plutt des
organes comptents spcialiss dans l'analyse du march de
l'emploi?1
28- Une autre amlioration aurait pu tre introduite consistant
prciser la notion de motif conomique ou technologique susceptible
de justifier le licenciement. La loi ne nous donne aucune dfinition
cet effet, alors que les intrts attachs la qualification du
licenciement conomique sont multiples.
Dans la pratique, on a pu observer souvent une confusion
entretenue par l'attitude des inspecteurs du travail et celle des
juges allant dans le sens de rduire la notion de "motif conomique
ou technologique" celle de difficults conomiques2. Pourtant, le
rgime du licenciement pour motif conomique ou technologique a un
domaine plus large qui peut englober des situations diverses
n'impliquant pas ncessairement un tat de crise affectant
l'entreprise. Des considrations prventives lies notamment la mise
niveau de l'entreprise pour s'adapter aux mutations technologiques
pourraient justifier le recours ce rgime.
29- Enfin, l'exercice du droit au licenciement est souvent jug
trop coteux pour l'entreprise au niveau de ces consquences,
c'est--dire la rparation de la perte de l'emploi subie par le
salari. Ce jugement mrite en ralit d'tre nuanc. Ainsi, on peut lire
dans un rapport sur la stratgie de l'emploi en Tunisie, labor sous
l'gide de la Banque mondiale, qu'en comparaison avec d'autres pays,
le niveau des
1 V. en ce sens. H. KOTRANE, op. cit. p. 10.
2 La jurisprudence a mme tendance parfois assimiler purement et
simplement le motif conomique la notion civiliste de force majeure.
Sur cette jurisprudence, voir:
" !"# $% &' !)$* ' - ./ .01 " 344 " 5- 2008 ' 15 .21.
-
15
indemnits de licenciement en droit tunisien n'est pas excessif.
Toutefois, ces indemnits "augmentent fortement et sont alors leves
par rapport aux normes internationales en cas de licenciement
abusif"1.
Lorsque le licenciement est exerc conformment la loi, tant la
fois rgulier et justifi par une cause relle et srieuse, le salari
ne peut prtendre droit qu' une gratification de fin de service d'un
montant lgal qui n'est pas trs lev et la double condition qu'il ne
soit pas encore en priode d'essai et que la perte de l'emploi ne
soit pas cause par sa faute grave. Conformment aux dispositions de
l'article 22 du Code du travail, cette gratification calcule raison
d'un jour de salaire par mois de service ne peut excder au total le
montant de trois mois de salaire, sauf dispositions plus favorables
prvues par la loi ou par les conventions collectives ou
particulires. S'il existe des indemnits plus leves que le plafond
fix par la loi, c'est en ralit le fuit des accords collectifs ou
des accords de dpart l'amiable. Le reproche doit s'adresser alors
aux signataires de ces accords et non une lgislation qui
paralyserait l'exercice du droit au licenciement.
Quand la sanction du licenciement abusif, il convient de
distinguer entre celui exerc en l'absence d'une cause relle et
srieuse le justifiant et celui exerc de faon irrgulire tout en tant
justifi par une telle cause. Normalement, un licenciement injustifi
devrait tre rpar en nature par la rintgration. Mais les systmes qui
ont consacr cette solution se heurtent souvent des difficults pour
sa mise en uvre. Le systme tunisien a adopt une solution plus
raliste en sanctionnant le licenciement injustifi par une indemnit
accorde au salari titre de dommages-intrts et dont le montant varie
entre un et deux mois de salaires par anne d'anciennet, sans
dpasser le plafond de trois annes de salaires. En revanche, lorsque
le licenciement est
1 Banque Mondiale, Rapport sur la stratgie d'emploi dans la
Rpublique tunisienne, Volume 1, 2003, p. 89.
-
16
irrgulier (pour non respect des procdures), tout en tant justifi
par une cause relle et srieuse, le montant des dommages-intrts
varie entre le salaire d'un mois et celui de quatre mois, quelle
que soit l'anciennet du salari dans l'entreprise1.
30- Abstraction faite du montant des indemnits accordes au
salari, la technique adopte par le lgislateur consistant soumettre
le calcul de ces indemnits un barme lgal, avec un systme de
forfait-plafond, ne peut que limiter considrablement le pouvoir
d'apprciation du juge et constitue une nette rupture avec le
principe civiliste de la rparation intgrale du prjudice subi. Du
reste, en rendant prvisible le cot de la rparation, ce systme
permet au chef d'entreprise d'intgrer le risque "responsabilit"
dans une logique de cots et de calculer, ainsi, d'avance le montant
maximum des indemnits qu'il serait tenu de verser au salari. Un tel
systme peut avoir aussi l'avantage d'inciter les parties chercher
des solutions de compromis en fixant l'amiable le montant de la
rparation, ce qui permet d'allger le contentieux du licenciement
devant les tribunaux.
31- Toutefois, la dmarche adopte par le lgislateur tunisien ne
manque pas d'irralisme en soumettant toutes les entreprises au mme
traitement juridique en matire de licenciement, abstraction faite
de leur effectif. Cette dmarche apparat "forcment trop rigide pour
une petite entreprise peu rompue aux contentieux ns des
licenciements et pour laquelle l'existence d'une lgislation
tatillonne en ce domaine est une source d'embarras influant, dans
bien des cas, sur sa stratgie d'embauche"2.
C'est ce qui explique que dans certains systmes trangers, la loi
adopte un rgime moins contraignant pour les entreprises de petite
taille concernant les indemnits prvues en cas de licenciement
abusif. C'est le cas par exemple en France o les indemnits qui sont
accordes aux
1 Art. 23 bis du C. T. 2 H. KOTRANE, op. cit. p. 5.
-
17
travailleurs appartenant des entreprises de 11 salaris au moins,
et justifiant de deux annes d'anciennet, ne s'appliquent pas en
principe aux autres travailleurs, notamment ceux des petites
entreprises (moins de 11 salaris)1. Ces travailleurs qui restent
soumis alors au rgime du droit commun de l'abus de droit (ni
plancher de six mois de salaire minimum, ni remboursement des
allocations-chmage) ne peuvent prtendre une rparation qu' la
condition de prouver l'existence d'un prjudice effectivement subi
cause de leur licenciement. B- Droit du travail et flexibilit
interne
32- Cette forme de flexibilit voque surtout la possibilit pour
l'entreprise d'ajuster le temps de travail, la rmunration du
personnel ainsi que son affectation en fonction des besoins de la
production et des rsultats de l'activit. La rforme du Code du
travail adopte en 1996 a permis d'introduire ce niveau certaines
mesures de flexibilit, mais la loi reste toujours marque par
quelques imperfections qui limitent l'apport de cette rforme.
33- Concernant la modulation du temps de travail, la loi a
maintenu la dure maximum 48 heures de travail par semaine ou une
dure quivalente "tablie sur une priode de temps autre que la
semaine sans que la dure de cette priode ne puisse tre suprieure
une anne"2. Le lgislateur autorise aussi une rduction de cette dure
maximum de travail, par des conventions collectives ou des textes
rglementaires, en indiquant que la dure minimum de travail, dans le
cadre du rgime normal, ne peut tre infrieure 40 heures pas
semaine3.
La loi semble donc autoriser une modulation du temps de travail
permettant de faire face aux fluctuations d'activit. Cette
modulation pourrait donner lieu l'adoption d'un systme
d'annualisation du temps
1 Art. L.1235-5 du C. T. fr. (ancien art. L.122-14-5). 2 Art.
79, al.1 (nouveau) du C.T. 3 Art. 79, al.2 (nouveau) du C.T.
-
18
de travail, tel qu'il existe aujourd'hui dans certains pays
trangers. Mais la loi n'organise aucunement la mise en place d'un
tel systme et ses implications, notamment au niveau du salaire et
du rgime des heures supplmentaires dont le calcul et la rmunration
majore sont toujours dtermins par rfrence la notion de "dure
hebdomadaire normale" qui ne peut tre infrieure 40 heures.
34- A titre de comparaison, il est utile de signaler que la
technique des heures annualises est de plus en plus adopte dans les
pays europens1. Cette technique repose sur des rgimes souples
permettant de planifier et de calculer le temps de travail (et les
salaires) sur une priode suprieure une semaine et pouvant s'tendre
sur une anne. Les horaires annualiss sont d'ailleurs souvent conus
par les entreprises comme une opportunit pour accrotre la
flexibilit dans la gestion de main d'uvre et l'organisation du
travail.
Ainsi dans plusieurs pays europens, des amendements lgislatifs
pertinents ont t instaurs vers le milieu ou la fin des annes 1990,
dans le cadre d'une lgislation gnrale sur le temps de travail,
comportant des dispositions souples relative l'amnagement de ce
temps. Ces amendements sont souvent adopts en rponse la directive
de l'UE sur le temps de travail de 1993 (directive 93/104CE). Cette
directive ne spcifie pas proprement dire un rgime d'annualisation
complet ou bien dfini. Mais, elle prvoit que la dure moyenne de
travail pour chaque priode de 7 jours ne peut excder 48 heures, y
compris les heures supplmentaires, sur une priode de rfrence ne
dpassant pas 4 mois. Les Etats membres ont la facult de la
prolonger jusqu' 6 mois pour des secteurs ou activits dtermins ou
pour des raison de sant et de scurit et de permettre que, pour des
raisons objectives, techniques ou d'organisation du travail, les
conventions collectives fixent des priodes de rfrence ne dpassant
pas douze mois.
1 C.f. L. MERLIN ", La dure annuelle du travail : une figure en
hausse", Dr. soc. 1999, p. 863.
-
19
La plupart des pays concerns disposent aujourd'hui d'un cadre
lgislatif souple o les limites journalires et/ou hebdomadaires
imposes sur le temps de travail (fix par voie lgale ou
conventionnelle) peuvent tre dpasses dans la mesure o des horaires
normaux sont maintenus en moyenne sur une certaine priode de
rfrence. Cette priode est dans beaucoup de pays au maximum d'un an,
et dans certains pays plus courte. Mais le principe de base est le
mme en ce sens que le temps de travail est tabli en fonction d'un
nombre d'heures travailles au total sur une priode de rfrence (d'un
an ou moins), et non en fonction d'un nombre d'heures donn par
semaine, comme dans les systmes traditionnels. Il en rsulte que le
salaire n'est plus calcul en fonction des heures de travail par
semaine mais sur la base d'une rmunration forfaitaire correspondant
une semaine de travail standard ou une quantit d'heures fixes sur
une priode de rfrence. Les rgimes d'horaires annualiss sont souvent
associs diverses autres formes d'amnagement du temps de travail,
telles que le modle " fourchette", les comptes de temps de travail
ou les banque d'heures.
L'introduction du systme des horaires annualiss se fait
gnralement dans le cadre d'un consensus entre les partenaires
sociaux pour modifier les normes en vigueur en matire de temps de
travail. A cet effet, la loi accorde un rle dterminant la
ngociation collective dans la conception et la mise en uvre des
systmes d'annualisation. Dans tous les cas, les amnagements lis ce
systme ne peuvent pas tre mis en place unilatralement dans le cadre
du pouvoir de direction au sein de l'entreprise. Ainsi, dans
beaucoup de pays, les rgimes d'annualisation convenus
collectivement sont mis en place en dfinissant les paramtres de
base dans des accords sectoriels, alors que leur application
concrte fait l'objet d'accords d'entreprise ou d'tablissement,
entre la direction et l'organe syndical ou le comit
d'entreprise.
-
20
35- La flexibilit du temps de travail peut se traduire aussi par
le recours au rgime de travail temps partiel. A cet gard, le
lgislateur a organis, de manire relativement dtaille le recours
cette modalit de travail1 suppose avoir un effet incitatif en
matire d'embauche, notamment pour les secteurs trs fminiss comme
celui du textile-habillement2.
Deux principes essentiels se dgagent de ce rgime de travail
temps partiel. D'une part, le recours ce rgime est un choix
contractuel qui suppose toujours l'accord crit des deux parties.
L'employeur n'est pas en mesure donc d'imposer unilatralement un
salari le passage du rgime de travail plein temps celui du travail
temps partiel. D'autre part, la loi consacre le principe d'galit de
traitement des salaris temps partiel et des salaris plein temps,
sous rserve des dispositions particulires relatives au rgime du
travail temps partiel, notamment la rgle de proportionnalit en
matire de rmunration.
Cependant, le recours au rgime du travail temps partiel est rest
dans la pratique trs limit. Cette situation semble s'expliquer,
entre autres, par certaines lacunes au niveau de la loi. En effet,
le lgislateur n'a prvu aucune incitation financire pour les
entreprises qui adoptent cette formule. Or, l'exprience de
plusieurs pays europens montre que le rgime du travail temps
partiel a souvent t accompagn de certaines mesures qui visent le
rendre conomiquement et socialement acceptable en exonrant
l'entreprise, qui utilise cette formule, totalement ou
partiellement, des charges sociales. De mme, le lgislateur tunisien
n'a pas prvu des garanties ou des mcanismes de compensation en
faveur des salaris disposs travailler temps partiel, pour liminer
ou neutraliser les implications ngatives au niveau de leurs droits,
particulirement en matire de
1 Art. 94-2 94-14 du C.T. Ces dispositions ont t introduites
dans le Code du travail par la loi n96-62 du 15 juillet 1996.
2 C.f. S. BEN SEDRINE, F. ELBEKRI et N. MZID, Promotion de la
comptitivit socio-conomique dans le secteur textile-habillement en
Tunisie, BIT-INTES, 2005.
-
21
scurit sociale1. Toutes ces lacunes ayant marqu le rgime du
travail temps partiel expliquent pourquoi le recours ce rgime est
toujours limit dans la pratique et son impact positif sur la
politique de l'emploi, comme instrument de partage du travail,
n'est pas trs dvelopp.
36- Du reste, la loi semble ignore d'autres techniques
d'individualisation du temps de travail, qui se dveloppent
aujourd'hui dans plusieurs pays2; comme le "job-sharing" o deux
salaris travaillent sur un mme poste en adoptant un horaire
flexible3; le travail sur appel ("labour on call") qui est une
forme de travail permanent discontinu4; ainsi que le travail temps
choisi intermittent qui consiste conclure des contrats dure
indtermine avec une clause d'intermittence5. Le lgislateur tunisien
semble, au contraire, privilgier encore le systme de l'horaire fixe
et collectif. Or, dans plusieurs cas, l'individualisation du temps
de travail peut rpondre des besoins spcifiques de l'entreprise ou
du salari, tout en maintenant un quilibre entre les intrts en
prsence.
37- La flexibilit interne voque, ensuite, l'ide de mobilit du
personnel en fonction des ncessits du bon fonctionnement de
l'entreprise, de la conjoncture conomique et sociale et des
aptitudes professionnelles des salaris. Cette mobilit peut revtir,
surtout, la forme d'une mutation professionnelle ou celle d'une
mutation gographique.
1 C.f. BENSALEM Leila, "Le travail temps partiel: instrument de
promotion ou de prcarisation de l'emploi"? Revue Travail et
dveloppement, n18-19, 2000, p. 159.
2 C.f. J.E. RAY, "La flexibilit du temps de travail", in Le
droit du travail : hier et demain, ouv. collectif, Socit
internationale de droit du travail et de scurit sociale, 1990, p.
183; X. BLANC-JOUVAN, "La flexibilit du temps du travail", Revue
int. de droit compar, 2-1990, p. 693.
3 La loi allemande du 26 avril 1985 a t l'une des premires
lgaliser cette pratique. Celle-ci est connue aussi dans d'autres
pays comme l'Angleterre et les Etats-Unis.
4 Cette modalit a t consacre par exemple par le droit italien
(loi du 19 dcembre 1984) et le droit espagnol (loi du 2 aot
1984).
5 Cette modalit a t adopte, par exemple, en France (ordonnance
du 11 aot 1986) et en Allemagne (loi du 26 avril 1985).
-
22
Le Code du travail, avant sa rforme en 1996, gardait totalement
le silence ce sujet. Mais la loi du 15 juillet 1996 a attnu ce
silence en ajoutant au Code du travail l'article 76-2 aux termes
duquel: "Pour ncessit de service, le travailleur peut tre charg
d'effectuer des travaux d'une catgorie infrieure ou suprieure sa
catgorie". Le lgislateur n'a pas organis les modalits d'application
de cette disposition. Il a simplement prcis que ces modalits "sont
fixes par les conventions collectives, les contrats individuels ou
par arrt du Ministre charg des affaires sociales pris aprs
consultation des organisations professionnelles d'employeurs et de
travailleurs concernes"1.
38- En ralit, cette forme de mobilit du salari, impliquant une
modification de son contrat de travail, n'est pas nouvelle en droit
tunisien. Par exception au principe de la force obligatoire du
contrat, la jurisprudence a dj affirm, dans certaines hypothses,
que l'employeur est en mesure, dans le cadre de son pouvoir de
direction, d'imposer au salari une modification de son contrat,
affectant son poste ou sa catgorie professionnelle, lorsque l'intrt
de l'entreprise le justifie2.
Cette attitude jurisprudentielle trouve son fondement, le plus
souvent, dans les dispositions de la convention collective-cadre3
reproduites par l'ensemble des conventions sectorielles, qui ont
autoris, moyennant certaines conditions, l'utilisation des
travailleurs dans des fonctions autres que celles de leur grade,
lorsque les "ncessits de services "l'exigent.
39- Les conventions collectives ont prvu aussi la possibilit
d'une mutation gographique du salari, qui peut tre appel ainsi
changer de lieu de travail, si cette mutation est justifie galement
par
1 Art. 76-2, al.2 du C.T. 2 Sur la modification du contrat de
travail en droit tunisien, v. N. MZID et M. TARCHOUNA,
Revue de Droit du travail, n4, 2009, p. 268. 3 Art. 15 de la
CCC.
-
23
une "ncessit de service"1. Il convient d'observer, cet gard, que
les dispositions conventionnelles sont marques en gnral par un
souci de concilier les exigences de l'entreprise et les impratifs
lis la stabilit professionnelle et sociale des salaris. Mais les
critres retenus par les conventions collectives en matire de
mutation gographique font largement prvaloir les considrations
sociales sur les besoins conomiques et techniques de
l'entreprise2.
40- En outre, ni la loi, ni les conventions collectives n'ont
prcis ce qu'il faut entendre par "ncessit de service" qui demeure
une notion trs mallable. La jurisprudence utilise diverses
expressions pour traduire cette notion, telles "le bon
fonctionnement de l'entreprise", ou "les besoins du fonctionnement
de service", ou encore "le fonctionnement normal de l'entreprise".
Elle a prcis aussi qu'il revient l'employeur de prouver l'existence
d'une ncessit de service pour justifier la mutation professionnelle
ou gographique du salari. Lorsque cette preuve est tablie, le refus
par le salari de la mesure patronale est constitutif d'une faute
susceptible de justifier son licenciement. Mais, en l'absence d'une
telle preuve, la modification du contrat, non justifie par l'intrt
de l'entreprise et refuse par le salari, sera qualifie de
licenciement dguis apprhend comme un licenciement abusif.
41- La flexibilit interne voque aussi l'ide d'un ajustement du
systme de rmunration des salaris en fonction du rendement et des
rsultats de l'activit de l'entreprise.
En Tunisie, les salaires dans le secteur priv sont dtermins
principalement par voie de ngociation collective, les autorits
publiques se contentant de fixer par dcrets les salaires minimums.
Les
1 Art. 22 de la CCC. 2 Ainsi l'article 22 de la CCC prcise que
la mutation gographique du salari ne peut tre dcide
unilatralement par l'employeur que dans la mesure o il n'existe
pas de volontaires parmi les travailleurs remplissant les
conditions requises, tout en tenant compte de l'anciennet du
salari, de sa condition familiale et d'habitation, ainsi que de sa
responsabilit syndicale.
-
24
ngociations salariales, qui se droulent en pratique tous les
trois ans, sont devenues d'ailleurs un lment constant dans le
systme des relations professionnelles, mme s'il n'existe pas encore
un cadre juridique rglementant la procdure de droulement de ces
ngociations et leur priodicit.
42- Mais, le systme de rmunration rgi par les conventions
collectives prsente plusieurs lacunes susceptibles d'avoir un
impact ngatif sur la motivation des travailleurs et la comptitivit
de l'entreprise. Ces lacunes dcoulent, d'abord, de la
centralisation excessive des ngociations collectives, se traduisant
par des augmentations gnralises et uniformises des salaires, avec
un esprit "galitariste" peut motivant. L'uniformit des
augmentations salariales a constitu, en effet, un facteur de
dcouragement de l'effort et de la mobilit externe de la force de
travail. En plus, ce systme a abouti un fort tassement des
rmunrations, voire un crasement excessif de la pyramide des
salaires, rendant parfois caduques les classifications
professionnelles du personnel, et ce, au dtriment des salaris
qualifis et des cadres. Les lacunes du systme se manifestent,
ensuite, au niveau de la structure mme des salaires qui se
caractrise par la place extrmement rduite accorde aux primes
incitatrices la production et l'amlioration du rendement. Mme les
primes supposes rcompenser le rendement sont devenues, dans la
pratique, des lments accessoires du salaire accords presque
systmatiquement.
43- Enfin, depuis la rforme du Code du travail en 1996, la loi a
voulu introduire une certaine mobilit salariale en fonction de
l'effort et du rendement de chaque travailleur. Ainsi, elle a
autoris qu'une partie du salaire soit fixe sur la base de la
productivit, en vertu d'accords conclus au niveau de l'entreprise
entre l'employeur et les reprsentants des travailleurs. Ces accords
doivent comprendre notamment "les normes adoptes pour l'amlioration
du rendement et les mesures
-
25
susceptibles d'accrotre la production et d'amliorer sa qualit"1.
Or, jusqu' nos jours, le problme li l'absence de normes de
production reste entirement pos dans la grande majorit des
entreprises et secteurs d'activit o les ngociations collectives
menes au niveau de la branche n'ont pas pu apporter une solution
efficace ce sujet. D'ailleurs, n'est-il pas paradoxal de vouloir
tablir des normes de production uniformes pour toute une branche
d'activit, alors que celle-ci est composes d'entreprises htrognes
quand leur capacit de production, leur niveau technologique, leurs
taux d'encadrement, leur organisation, etc.?
44- Ce paradoxe explique en grande partie la difficult pour les
partenaires sociaux d'tablir au niveau sectoriel des normes de
production. Ils ont t amens ainsi modifier deux reprises, en 1990
et 1996, les dispositions conventionnelles relatives ce sujet.
Actuellement, ces dispositions prvoient que les normes de
production doivent tre normalement dtermines au niveau de
l'entreprise par une commission technique paritaire, et qu'en cas
de dsaccord le litige doit tre port devant une autre commission
technique compose de trois experts reprsentant le Ministre charg
des affaires sociales, l'UTICA et l'UGTT. Mais, notre connaissance,
la mise en uvre de cette procdure de fixation des normes de
production fait encore dfaut dans la grande majorit des
entreprises, ce qui traduit aussi les difficults du systme de
dialogue entre les employeurs et les reprsentants des salaris. Or,
la promotion du dialogue social, particulirement au sein de
l'entreprise, est aujourd'hui indispensable pour assurer une
meilleure adaptation du systme des relations professionnelles aux
mutations conomiques et sociales, tenant compte des diffrents
intrts en prsence.
1 Art. 134-3 du C.T.
-
26
II/ LA REFONDATION DU DROIT DU TRAVAIL FACE A L'EXIGENCE DE
FLEXIBILITE?
45- L'adaptation limite du droit du travail au besoin de
flexibilit a suscit partout des ractions dans lesquelles il est
tentant de rechercher les germes d'une ventuelle refondation. Mais
celle-ci exige au pralable de clarifier certains repres essentiels
pour dissiper quelques illusions ou confusions et amorcer une
rflexion en profondeur la fois sur les fondements et les finalits
du droit du travail (A). A la lumire de ces repres, il y a lieu de
formuler quelques recommandations qui pourraient tre utiles dans la
perspective d'une rforme allant dans le sens d'une meilleure
adaptation du droit du travail aux mutations conomiques et sociales
(B).
A- Des repres clarifier
46- L'exigence de flexibilit pour l'adaptation de la lgislation
sociale aux besoins de l'entreprise a souvent t lie l'ide d'un
allgement du droit du travail pour viter la prolifration des normes
considre comme source d'inflation juridique. Certes, il n'est pas
difficile de trouver des exemples qui illustrent, dans ce domaine,
comme ailleurs, cette prolifration des normes tatiques ou
conventionnelles1. Mais la flexibilit d'adaptation ne doit pas
aboutir une sorte de dlgalisation ou de drglementation se
traduisant par un effacement total de la fonction rgulatrice de
l'Etat.
Les termes de drglementation, de dlgalisation ou encore de
drgulation2 ne constituent pas en ralit des concepts juridiques,
mais sont issus du vocabulaire conomique et politique no-libral.
Ils traduisent l'ide d'une rupture radicale avec
l'interventionnisme tatique,
1 Est-il aujourd'hui ncessaire, par exemple, de consacrer dans
le Code du travail un chapitre aux "vtements de travail", imposant
aux employeurs de "fournir chaque membre de leur personnel
permanent, le 1er mai de chaque anne, deux complets de travail,
deux chemises, une paire de chaussures et un couvre-chef du modle
couramment admis dans la profession" (art.333)?
2 C. f. notamment, A. SUPIOT, "Dlgalisation, normalisation et
droit du travail,", Dr. soc. 1984, p. 296; du mme auteur:
"Drglementation des relations de travail et autorglementation de
l'entreprise", Dr. soc. 1989, p. 195.
-
27
visant donner l'ensemble de la lgislation sociale un caractre
suppltif. Certains ont mme voqu la question: ne faut-il pas "brler
le Code du travail"?1. Mme reue comme une provocation, cette
question n'est que l'cho d'un discours qui conoit le droit du
travail, dans son ensemble, comme un corps tranger dans les
mcanismes juridiques qui assurent le fonctionnement du systme
conomique. Il est apprci alors comme un facteur qui empche la
rgulation de fonctionner ; un lment perturbateur des mcanismes du
march.
Dans ce discours, dnoncer la "rglementation" ou rclamer la
"drgulation" implique une limitation de l'intervention de la loi
celle de l'"Etat minimal", en rduisant l'ensemble de la lgislation
du travail un dispositif non contraignant, ouvrant la voie la plus
large la volont des parties pour amnager leurs rapports en fonction
de leurs intrts. C'est dire que le droit du travail est contest en
bloc, tant accus ple-mle de faire peser sur l'entreprise des
contraintes trop lourdes, faisant obstacle la libert de gestion et
constituant ainsi la principale cause du ralentissement de
l'emploi. L'intrt de tous serait alors de s'en dbarrasser et de
faire de l'accord consenti de l'employeur avec chacun de ses
salaris pris individuellement, ou peut-tre avec le collectif du
personnel de l'entreprise, la source unique en la matire.
47- Cette thse "drglementariste" qui procde d'une ngation totale
du social, mettant en cause la fonction rgulatrice de l'Etat dans
les rapports de travail, nous semble en rupture radicale avec la
tradition de notre systme juridique fond sur la recherche d'un
quilibre ncessaire entre l'conomique et le social, la libert et la
scurit, l'efficacit et l'quit.
Cette thse vhicule, par ailleurs, une fausse conception du droit
du travail prsent comme ayant une finalit exclusivement protectrice
des salaris face leur employeur. C'est oublier l'ambivalence qui a
toujours marqu cette discipline juridique constitue la fois
pour
1 V. le numro spcial de la revue Droit social, consacr ce sujet
(Juillet-aot 1986).
-
28
rpondre en partie aux intrts des salaris, tout en prenant en
compte les besoins de l'entreprise et l'impratif d'assurer son
fonctionnement normal. Le droit du travail a toujours t, en effet,
marqu par un souci d'quilibre entre exigences de justice et de
cohsion sociale, d'une part, et impratif d'efficacit conomique,
d'autre part. Il reste, ostensiblement, un droit de compromis aux
fins de pacification des relations professionnelles.
Il ne faut pas oublier, aussi, que l'une des fonctions
essentielles du droit du travail est de placer les entreprises sur
un pied d'galit face aux charges inhrentes la force de travail. Il
s'agit de fixer les conditions d'une concurrence loyale entre les
acteurs conomiques. En ralisant une certaine galit entre
concurrents, le droit du travail participe, ainsi, assurer la
loyaut dans le fonctionnement du march. Or, tout march, loin d'tre
d'ordre naturel, repose sur des rgles et des principes fondateurs
des changes qui s'y droulent.
Le march du travail n'chappe pas cette exigence. Il ne peut
exister en dehors du droit qui l'institue et qui organise un
ajustement ncessaire entre les intrts conomiques des employeurs et
les aspirations sociales des salaris; entre la libert de gestion de
l'entreprise et la scurit de la force de travail.
48- A cet gard, on assiste depuis quelques annes l'mergence de
la notion de "flexicurit"1, traduisant un changement profond dans
l'approche intellectuelle et politique du march du travail et des
relations professionnelles. Cette notion dimensions multiples
repose essentiellement sur l'ide de conciliation entre l'exigence
de flexibilit recherche par l'entreprise et l'impratif de scurit
attendue par les salaris.
1 C.f. D. GABRIELLE TREMBLAY, Flexibilit, scurit d'emploi et
flexicurit, P.U. du Quebec, 2008. A. LEFEBVRE et D. MEDA,
"Performances nordiques et flexicurit : quelles relations?", revue
Travail et emploi n113, 2008; J.L. DAYAN "Flexicurit: vers un
nouveau compromis social?", La note de veille, Centre d'analyse
Stratgique n82, novembre 2007; E. BRESSON, Flexicurit en europe.
Elments d'analyse, Rapport au 1er ministre, Rpublique franaise, fv.
2008. D. MEDA, "Flexicurit: quel quilibre entre flexibilit et
scurit?", Dr. soc. 2009, p.763.
-
29
La notion de flexicurit a vu le jour aux Pays-Bas, la fin des
annes quatre-vingt dix, lors de la prparation d'une loi intitule
"flexibilit et scurit". Reprenant le contenu d'un accord entre les
partenaires sociaux, cette loi introduit une libralisation du
recours aux formes d'emploi flexibles, tout en offrant en contre
partie des garanties sociales nouvelles aux travailleurs prcaires,
notamment dans le domaine du travail intrimaire1. Ainsi, le concept
hybride de "flexicurit" est n pour traduire en quelque sorte un
compromis permettant d'accrotre la fois la flexibilit dans la
gestion de l'entreprise et la scurit des travailleurs.
C'est surtout l'exprience danoise qui a permis de mettre en
valeur cette ide et d'associer la notion de flexcurit un systme
cohrent reposant sur ce que certains auteurs ont dnomm le "triangle
d'or danois": une grande flexibilit du march du travail, une
protection sociale gnreuse et des politiques trs actives de
l'emploi et de la formation professionnelle2.
Ce systme qui a pu se dvelopper grce notamment une grande
tradition de dialogue social entre les employeurs et les structures
syndicales fortement impliques dans la vie de l'entreprise, est
devenu aujourd'hui une source d'inspiration majeure pour les
analystes du march du travail.
La notorit de la notion de flexicurit s'est consolide davantage
par son usage croissant dans les instances de discussion de la
Commission europenne3. Elle est devenue, ainsi, le levier majeur de
la
1 C.f. Susanne BURRI, "Evolution des relations entre emploi et
protection sociale aux Pays-Bas", in Emploi et protection sociale:
de nouvelle relations?, ouv. coll. sous la direct. de Ph.
AUVERGNON, P.U de Bordeaux, 2009, p. 169.
2 C.f. J.C. BARBIER, "Apprendre vraiment du Danemark: rflexion
sur le "miracle danois", Documents du Centre d'tude de l'emploi,
fvrier, 2005; R. Boyer, La flexibilit danoise. Quels enseignements
pour la France? d. Rue d'Ulm, 2007, P. ABRAHAMSON, "L'orientation
active de la politique sociale danoise", in Emploi et protection
sociale : de nouvelles relations? op. cit., p. 133.
3 C.f. Commission des Communauts europennes, Vers des principes
communs de flexicurit: des emplois plus nombreux et de meilleure
qualit en combinant flexibilit et scurit,
-
30
stratgie adopte par les pays de la Communaut europenne lors du
sommet de Lisbonne en 2000, puis rvise en 2005.
Dans cette stratgie, la flexicurit, loin de constituer un
programme achev de rforme ou un modle unique gnraliser, apparat
plutt comme un cadre de rfrence permettant chaque Etat membre
d'entreprendre les changements adapts aux spcificits de sa
situation et de son systme de relations professionnelles.
49- Dans le mme esprit s'inscrit l'approche adopte par le BIT
qui continue depuis quelques annes mener une rflexion sur ce sujet
et tudier la porte du concept de flexicurit dans les pays en voie
de dveloppement, tout en mettant l'accent sur la ncessit d'adapter
les programmes de flexicurit avec l'agenda de l'OIT pour le travail
dcent. Ce concept, comme celui de flexicurit, ne constitue pas en
ralit une catgorie juridique opratoire, mais traduit plutt une
aspiration ou un objectif que l'OIT s'est donn depuis 1999 en vue
d'actualiser l'esprit de Philadelphie qui implique d'assurer la
possibilit pour tous d'une participation quitable aux fruits du
progrs, et de reconnatre le droit de chacun de se dvelopper "dans
la libert et la dignit, dans la scurit conomique et avec des
chances gales"1.
50- L'approche de l'OIT, comme celle adopte par la Communaut
europenne, permet aussi de constater que la recherche d'un juste
quilibre entre flxibilit et scurit passe ncessairement par la
promotion du dialogue social et de la ngociation collective pour
associer tous les partenaires sociaux cette dmarche et crer entre
eux et les pouvoirs publics un climat de confiance dans lequel tous
sont prts assurer la responsabilit du changement et dfinir ensemble
des mesures quilibres et adaptes leur contexte national spcifique.
D'o la ncessit d'une redfinition des rles des diffrents acteurs
Bruxelles, 2007. Voir aussi la rsolution du Parlement europen du
29 novembre 2007 sur des principes communs de flexicurit, J.O de
l'Union europenne du 20 nov. 2008.
1 BIT, Un travail dcent. Rapport du directeur gnral la 87me
session de la Confrence
internationale du travail, Genve 1999, p. 3.
-
31
(Etat, organisations professionnelles, entreprise) en vue de
dvelopper un systme de rgulation concerte o le dialogue social joue
pleinement et efficacement sa fonction comme moteur de
transformation et d'adaptation des relations professionnelles aux
mutations conomiques et sociales.
Certes, l'intervention de l'Etat pour l'institution des normes
fondamentales protectrices des salaris demeure indispensable. Elle
a pour finalit, surtout, d'instaurer un ordre public permettant
d'viter que la concurrence conomique ne se fonde sur le dsquilibre
social. Mais, s'il appartient au lgislateur de fixer les
normes-cadres exprimant les principes et droit fondamentaux
consacrs universellement, la traduction technique de ces normes et
leur adaptation aux besoins spcifiques des diffrents secteurs
d'activit et aux ralits mouvantes des entreprises devraient tre
ralises essentiellement par voie de dialogue et de ngociation
collective.
51- La promotion du dialogue social exige, avant tout,
l'existence de structures de reprsentation authentiques et un
esprit de collaboration fond sur le principe de loyaut et de
concertation. La rforme du systme de reprsentation du personnel
dans l'entreprise par la loi du 21 fvrier 1994, consolide par celle
du 2 avril 2007, s'inscrit dans cette voie visant donner ce systme
plus de vitalit. Mais, en dpit des efforts des pouvoirs publics
pour stimuler le dveloppement d'une politique sociale de
l'entreprise, le systme de dialogue et de concertation entre le
personnel et la direction de l'entreprise ne semble pas fonctionner
de manire efficace et satisfaisante. Ce constat est li plusieurs
facteur, la lois d'ordre juridique et non juridique: imprcision des
prrogatives attribues aux structures de reprsentation des
travailleurs et des obligations qui en dcoulent la charge de
l'entreprise, absence d'un statut lgal fixant clairement la place
et le rle de l'organe syndical dans l'entreprise, manque
d'enthousiasme des chefs
-
32
d'entreprise et des salaris l'ide de dialogue et de
concertation, etc1.
52- La ngociation de branche demeure en ralit la principale voie
de dialogue social en Tunisie. Instrument d'auto-rgulation et de
pacification des relations professionnelles, la ngociation
collective traduit la reconnaissance des organisations syndicales
et patronales comme les reprsentants des intrts collectifs de la
profession et collaborateurs de l'Etat la rglementation des
conditions de travail. Du reste, la ngociation collective permet
une meilleure adaptation du droit du travail aux mutations du march
et aux ralits conomiques et sociales en perptuel changement.
Dans l'ensemble, l'exprience tunisienne dans ce domaine se rvle
trs riche2. Toutefois, le systme tunisien de ngociation collective
souffre encore de certaines faiblesses, dont notamment:
- L'absence d'un cadre juridique dfinissant le processus de la
ngociation, c'est--dire sa priodicit, ses modalits, la
reprsentativit des parties habilites ngocier et leurs obligations
rciproques. Tous ces lments sont indispensables pour instituer un
vritable droit de la ngociation collective qui se prsente
essentiellement comme un droit procdural permettant d'viter que les
ngociations soient soumises exclusivement l'affrontement des forces
collectives et la loi du plus fort.
- La prminence du rle de l'Etat intervenant dans tout le
processus de la ngociation, la fois comme l'organisateur et
l'animateur,
1 Ainsi, le mme constat fait ce sujet, avant la rforme du Code
du travail en 1994, semble encore valable dans une large mesure:
"Les relations de travail se limitent au sein de l'entreprise ce
face face d'un pouvoir patronal et d'un contre-pouvoir syndical,
jaloux de leurs prrogatives et par la seule dfense de leurs intrts
corporatistes". (M. ENNACEUR, "L'entreprise et l'environnement
social", Journes de l'entreprise organises par l'IACE, novembre
1990).
2 C.f. notamment, M. TARCHOUNA, La ngociation collective en
droit tunisien, th. Paris 1986. Du mme auteur, "Ngociation
collective et systme de relations professionnelles : quel
consensus? "In Consensus social : discours et pratiques, ouv.
collectif, Association ARFORGHE et Fondation Konard-Adenauer
Stiftung, Tunis 2006, p. 149.
-
33
exerant ainsi un rle dterminant dans le dclenchement et le
droulement des ngociations.
- La centralisation excessive des ngociations qui se droulent
presque exclusivement au niveau de la branche, alors que la
ngociation d'entreprise reste cantonne dans un rle mineur.
- Le caractre immuable et uniforme de la structure des
ngociation, avec une forte prdominance des ngociations salariales
au dtriment des autres thmes qui ne sont pas moins importants,
comme la politique de l'emploi, la formation professionnelle et
l'amlioration de la performance des salaris pour le renforcement de
la comptitivit de l'entreprise.
L'exprience dans la plupart des pays dvelopps atteste, pourtant,
la ncessit de diversifier les niveaux auxquels se droulent les
ngociations collectives mesure que ces ngociations se diversifient
dans leur fonction et leur contenu. Ainsi, par exemple, les
ngociations sur la productivit ou sur l'intressement des salaris ne
peuvent tre efficaces que si elles se situent principalement au
niveau de l'entreprise. En revanche, les ngociations sur la
politique de l'emploi ne peuvent aboutir des rsultats satisfaisants
qui si elles sont encadres par des accords interprofessionnels dans
lesquels l'Etat et les centrales syndicales et patronales sont
appels jouer un rle important. Mais, mme pour ce type de
ngociation, l'entreprise est appele tre directement implique, car
une politique active de l'emploi ne peut tre efficace que si elle
est assise sur une participation dynamique des entreprises, en
synergie avec le rle des partenaires sociaux au niveau
interprofessionnel. En effet, une gestion prvisionnelle de l'emploi
exige une capacit pour l'entreprise d'anticiper les mutations
conomiques et technologiques pour mieux grer leur impact sur
l'volution des comptences1.
1 M. TARCHOUNA, art. prcit, p. 159.
-
34
A la lumire de ce qui prcde, quelques recommandations peuvent
tre formules en vue d'une meilleure adaptation du droit travail
tunisien aux exigences d'une politique dynamique de l'emploi.
B- Quelques recommandations en vue d'une rforme 53- La
flexibilit de l'emploi n'est pas totalement trangre au droit du
travail tunisien. Elle est dj consacre relativement par un ensemble
de normes traduisant le choix des pouvoirs publics ayant opt pour
la corrlation entre les dimensions conomiques et sociales comme
constante de la politique de dveloppement. Ce choix a impliqu une
recherche de conciliation entre l'impratif d'adaptation des normes
aux besoins de l'entreprise et celui de la protection des salaris
contre la prcarisation de l'emploi et l'usage excessif de la libert
de gestion du personnel.
Mais ce constat ne doit pas conduire nier la ncessit
d'introduire quelques corrections visant amliorer notre systme
juridique et lui donner plus d'efficacit dans un contexte mouvant.
54- Dans ce cadre, il est d'abord souhaitable de mettre fin la
dispersion actuelle des multiples textes rgissant la question de
l'emploi. Une codification du droit de l'emploi peut tre envisage,
soit par l'laboration d'un Code de l'emploi indpendant du Code du
travail, tout en assurant l'harmonie ncessaire entre les deux, soit
par l'intgration des textes rgissant la matire dans le Code du
travail qui deviendrait un Code du travail et de l'emploi. Cette
deuxime solution a l'avantage de mettre l'accent sur l'unit et la
synergie entre le droit du travail et le droit de l'emploi1.
55- Quelque soit le choix adopte, une modernisation du Code du
travail nous semble, ensuite, ncessaire. Compos de dispositions
disparates, sans rigueur mthodologique, avec des diffrences de
1 V. en ce sens, M. TARCHOUNA, L'emploi et le cadre lgislatif
des relations de travail et de la protection sociale. Rapport
indit, prsent dans le cadre de la Confrence nationale sur l'emploi,
Mai 1998, p. 110-111.
-
35
terminologie injustifies, et susceptibles parfois
d'interprtations contradictoires, notre Code du travail,
actuellement en vigueur, manque en effet beaucoup de cohrence. Une
refonte constructive de ce Code est alors souhaitable pour le
rendre plus attractif, mieux adapt l'volution du contexte conomique
et social, ce qui ncessite d'introuire plus de rigueur, de cohrence
et d'efficacit sur ces dispositions. Il ne s'agit pas d'introduire
simplement des corrections de pure forme, touchant par exemple la
formulation des textes et l'ordre des dispositions et des
divisions, mais aussi une refonte du contenu des articles en
supprimant les dispositions dsutes et en modifiant celles dont le
caractre inadquat ou lacunaire est rvl par la pratique.
56- Dans le cadre de cette refonte, il est souhaitable
d'introduire plus de transparence dans le fonctionnement du march
du travail. Ainsi, par exemple, il est judicieux de consolider le
principe de non-discrimination en matire d'emploi, en l'entourant
par des rgles concrtes et des sanctions adquates, sans mettre en
cause la libert dont dispose l'employeur dans le choix de ses
futures salaris qui peuvent tre slectionns selon des mthodes
objectives assurant la pertinence ncessaire dans les oprations de
recrutement.
Il pourrait tre envisag, aussi, d'amorcer une rflexion sur le
systme de placement de main-d'uvre, qui est actuellement un
monopole de l'Etat, et de reflachir sur la perspective d'un
allgement des dispositions de la loi ce sujet, en prvoyant,
ventuellement, la possibilit d'autoriser et d'organiser l'activit
des intermdiaires privs dans ce domaine comme le prvoient
aujourd'hui les normes de l'OIT, moyennant certaines garanties
essentielles pour protger les demandeurs d'emploi contre toute
forme de pratiques illicites.
La transparence du march du travail exige aussi de moderniser le
dispositif juridique actuel en fonction de l'volution remarquable
des formes de fourniture de main-d'uvre. A ce sujet il est
souhaitable, d'abord, de combler les lacunes qui marquent le rgime
de la sous-
-
36
entreprise de main-d'uvre1, en assortissant le contrat entre le
prestataire de service ou le sous-traitant et l'entreprise
bnficiaire d'une garantie financire, comme c'est le cas dans
plusieurs systmes trangers. Ce mcanisme est de nature encourager
les entreprises recourir cette forme d'externalisation de l'emploi,
tout en protgeant plus efficacement les salaris et la caisse de
scurit sociale face au risque d'insolvabilit du
sous-entrepreneur.
Cette modernisation du dispositif juridique en matire de
fourniture de main-d'uvre doit tre complte, ensuite, par
l'institution d'un statut claire des entreprises de travail
temporaire permettant de concilier l'utilit conomique et sociale de
cette forme d'emploi avec l'impratif d'une protection minimale des
salaris concerns, en incriminant notamment le marchandage et le prt
illicite de main-d'uvre.
57- Par ailleurs, il serait souhaitable aussi de moderniser le
rgime du temps de travail, ce qui ncessite d'assouplir le
dispositif lgal en la matire, pour permettre l'outil conventionnel
de mieux rpondre la diversit des situations dans les diffrents
secteurs et entreprises et en introduisant, notamment, des
dispositions permettant d'adopter des systmes d'annualisation et
d'individualisation de l'horaire du travail travers des mcanismes
adapts la ralit conomique et sociale. Cette modulation du temps du
travail peut prsenter, en effet, des avantages tant pour les
entreprises que pour les salaris. Mais elle ne peut se concevoir
qu'en termes de compromis entre leurs intrts respectifs. Sa mise en
place doit s'accompagner alors de certains ajouts comme
l'amlioration du salaire de base pour compenser la perte du
paiement des heures supplmentaires.
De mme, il serait ncessaire d'introduire de nouvelles
dispositions pour promouvoir le recours au travail temps partiel en
le rendant conomiquement et socialement plus attractif, et ce par
des
1 Institu par les articles 28, 29 et 30 du C.T.
-
37
incitations financires pour les entreprises concernes, notamment
sous forme d'allgement des charges sociales, et des garanties pour
les salaris en vue de neutraliser l'impact ngatif de cette forme
d'emploi sur leurs droits en matire de prestations sociales.
58- Une rforme du systme de rmunration, qui est en rapport
direct avec la politique de l'emploi, pourrait tre aussi envisage
dans le sens d'une plus grande souplesse pour assurer son
adaptation aux contraintes conomiques, aux exigences de la
comptitivit des entreprises et de performance des salaris.
Il y a lieu, surtout, d'inciter les partenaires sociaux repenser
l'outil conventionnel rgissant le systme des primes et indemnits en
vue d'activer sa fonction incitatrice la production et au
dveloppement des performances des salaris. En ralit, l'amlioration
de la productivit constitue une exigence majeure pour renforcer la
comptitivit de nos entreprises et permettre notre conomie
d'atteindre un niveau plus lev de croissance1. Les pouvoirs publics
sont d'ailleurs conscients de cette exigence et de la ncessit de
renforcer le rle de tous les partenaires sociaux, et notamment
celui de l'entreprise, dans l'amlioration de la productivit, dans
un esprit de dialogue, de confiance rciproque et de
transparence2.
A cet effet, la mise en place d'un systme de fixation des normes
de production, bas sur des critres clairs et objectifs, est devenue
une exigence incontournable. Du reste, les ngociations salariales
gagneraient tre progressivement dcentralises de faon rhabiliter le
rle de l'entreprise dans ce domaine.
1 La Tunisie a ralis au cours des dix dernires annes une
croissance de 5% dont 43% proviennent de l'amlioration de la
productivit globale. Mais, notre pays ambitionne de raliser une
moyenne de croissance dpassant les 6% par an pour relever le dfi de
l'emploi, ce qui ncessite l'accroissement de la contribution de la
productivit 50% au moins.
2 C'est dans ce cadre que s'inscrit le dialogue national sur la
productivit organis sur instruction du Prsident de la Rpublique au
cours du 1er semestre 2009, ayant dbouch sur la Consultation
nationale sur la productivit tenue le 28 juillet 2009.
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38
59- Une amlioration du droit du licenciement ncessite aussi
d'introduire quelques corrections touchant, notamment, le rgime du
licenciement pour motif conomique. Il y a lieu, ainsi, de prciser
la notion de licenciement pour motif conomique ou technologique et
de dfinir les situations susceptibles de justifier le recours cette
forme de licenciement.
De mme, il serait envisageable de rviser la procdure de contrle
administratif applicable en la matire en faisant intervenir des
instances spcialises dans l'analyse du march de l'emploi qui
donneraient leur avis sur le projet de licenciement et les mesures
d'accompagnement adaptes la situation de l'entreprise, tout en
associant les reprsentants des travailleurs, dans le cadre de la
commission consultative d'entreprise, dans la dtermination et la
mise en uvre de ces mesures1. A cet gard, il serait judicieux,
d'ailleurs, de spcifier les attributions de la commission
consultative d'entreprise en matire de gestion prvisionnelle de
l'emploi et de l'impliquer activement dans les programmes de
formation visant faciliter la reconversion et le reclassement des
salaris exposs au licenciement pour motif conomique ou
technologique.
En revanche, il serait souhaitable de reconsidrer le rle attribu
la Commission consultative d'entreprise en matire disciplinaire en
vue de permettre cette structure de jouer pleinement et
efficacement sa fonction essentielle comme structure de dialogue et
de coopration fructueuse entre la direction de l'entreprise et son
personnel.
Le rgime d'indemnisation du licenciement abusif gagnerait aussi
tre rvis en introduisant des dispositions moins contraignantes,
tenant compte notamment de la situation spcifique des petites
entreprises qui sont souvent plus vulnrables face aux contraintes
conomiques et aux alas du march. Elles ne devraient par alors
tre
1 A titre de comparaison, les lgislations europennes font de la
consultation des reprsentants du personnel une pice matresse de la
procdure de licenciement conomique.
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soumises au mme traitement juridique, en matire d'indemnisation
du licenciement, que celui des entreprises de grande taille. Cette
dmarche raliste est de nature favoriser le dveloppement des petites
entreprises appeles jouer un rle plus dynamique en matire
d'emploi1.
60- Mais au-del de toute rforme souhaite du dispositif
juridique, c'est surtout une prise de conscience collective de la
part des acteurs sociaux des dfis auxquels s'affronte aujourd'hui
l'entreprise dans un contexte mouvant o elle est appele s'adapter
de manire constante aux changements lis aux alas du march. Cette
adaptation n'est pas seulement technique ou financire, mais aussi,
et surtout, une adaptation des hommes impliquant une responsabilit
partage qui doit tre assume dans un esprit de concertation et de
compromis, en vue de raliser l'quilibre ncessaire entre les
diffrents intrts en prsence et de rhabiliter l'entreprise comme
cellule principale de production, de cration des richesses et
d'emploi. L'entreprise est une ressource pour les hommes, mais les
hommes doivent aussi tre une ressource pour l'entreprise.
Novembre 2009
1 V. Le rapport de la Banque mondiale sur la stratgie d'emploi
dans la rpublique tunisienne qui a rvl que, par comparaison
d'autres pays, le rle des petites entreprises dans la cration
d'emploi est rest, en Tunisie, relativement faible. (op. cit., p.
71 et s.).