CENTRE D’ÉTUDES THÉOLOGIQUES 9 rue Jules Barbier 92290 Châtenay-Malabry CAHIER N o 4 1980 Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
CENTRE D’ÉTUDES THÉOLOGIQUES
9 rue Jules Barbier 92290 Châtenay-Malabry
CAHIER No 4
1980
Le Canon
de l’Écriture
Sainte
Dr Wilbert Kreiss
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Le Canon
de l’Écriture Sainte
Dr Wilbert Kreiss
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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CENTRE DE DOCUMENTATION ET D’ÉTUDE CHRÉTIENNE Sherbrooke, Été 2016
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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Préface
La présente étude sur le Canon de l’Écriture Sainte est destinée essentiellement aux théologiens. Elle pourra intéresser aussi tout chrétien préoccupé par le problème de la canonicité des livres bibliques. Mais elle présuppose une certaine familiarité avec l’histoire de l’Église ancienne et une connaissance de la problématique qu’elle aborde. Pour cette raison, nous en avons fait un tirage assez limité. L’expérience révélera la nécessité ou l’inutilité d’une réédition.
Elle ne prétend pas être un traité dans le sens usuel de ce terme, mais constitue une sorte de compendium réunissant les témoignages de l’histoire et en tirant les conclusions qui s’imposent.
Croyant en l’origine divine des Saintes Écritures et en la providence infiniment sage et miséricordieuse de Dieu qui a décidé de se révéler aux hommes en vue de leur salut et d’édifier son Église sur le fondement des apôtres et des prophètes, nous n’avons pas pu nous empêcher d’aborder aussi le problème de la canonicité des livres de la Bible sous l’angle de la foi. Aucun lecteur croyant ne nous en voudra !
Quoique différant dans son intention, son contenu et sa forme de ceux qui l’ont précédé, nous publions ce modeste travail comme le 6e cahier Théologique du Centre d’Études.
W. K.
Châtenay-Malabry
Carême 1980
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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DÉFINITION
On appelle canoniques tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testaments
qui ont été écrits par les prophètes, les apôtres et les évangélistes sous
l’inspiration du Saint-Esprit, que le Seigneur a confiés à son Église et que celle-
ci a reçus comme révélation divine. Tout livre qui ne possède pas ces trois
propriétés, est considéré comme apocryphe et ne peut être compté parmi les
livres canoniques, qui sont seuls source et norme de la doctrine et de la vie
chrétiennes.
Seuls peuvent être canoniques, c’est-à-dire source et règle de doctrine et de vie
chrétiennes, les écrits par lesquels le Seigneur s’est révélé, donc les écrits
inspirés. C’est là qu’il parle et qu’il pose le fondement de son Église dont Jésus-
Christ est la pierre angulaire.
Ces livres inspirés sont pour l’Ancien Testament ceux que les Juifs de l’époque
du Christ et des apôtres ont reconnus comme canoniques. Ce sont les oracles de
Dieu dont parle Paul dans (Romains 3 :2).
En ce qui concerne le Nouveau Testament, il faut, pour qu’un livre puisse être
considéré comme canonique, que ce qu’on appelle le témoignage extérieur et
intérieur atteste son inspiration ; en d’autres termes, il faut que l’Église
Primitive atteste qu’elle l’a reçu d’un homme inspiré, apôtre ou disciple d’apôtre,
et d’autre part qu’il porte en lui le témoignage de son origine ou inspiration
divine. Un livre qui ne possède pas le témoignage intérieur du Saint-Esprit,
c’est-à-dire qui ne s’est pas unanimement imposé à la chrétienté comme un
document par lequel le Saint-Esprit fait naître et fortifie la foi, n’a pas droit au
titre canonique, parce qu’il ne peut être considéré comme inspiré.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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Le témoignage de l’Église ancienne est de la plus haute importance. Elle
connaissait les apôtres et ceux de leurs disciples qui jouissaient du charisme de
l’inspiration et qui étaient les instruments d’une révélation directe du Seigneur.
Elle est donc un témoin capital de l’authenticité des livres canoniques.
Cependant, il importe de préciser que seul le Saint-Esprit, par l’action même de
la Bible, peut faire naître la foi en son origine divine et convaincre le croyant
que les différents livres qui constituent l’Écriture Sainte sont la Parole de Dieu.
Parole de Dieu non pas au sens où tout traité, toute étude, toute prédication
fidèles à la Bible sont appelés Parole de Dieu, mais dans le sens très précis dans
lequel apôtres disent : « Toute l‘Écriture est inspirée de Dieu » (2 Timothée
3 :16), « C’est poussé par le Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part
de Dieu » (2 Pierre 1 :21).
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LE CANON
DE L’
ANCIEN TESTAMENT
Le mot canon (hébreu : קנה ; grec : ) signifie roseau, baguette, tige,
règle. Il désigne dans la littérature chrétienne les écrits qui sont conformes à la
règle, au canon ou à la norme d’inspiration et d’autorité divines. Paul l’utilise
dans le texte original de (Galates 6 :16) et (Philippiens 3 :16). Dans le sens
précis que lui a donné la théologie, il date du 4e siècle de l’ère chrétienne, mais
il va de soi que la réalité qu’il exprime est bien plus ancienne.
Les Juifs considéraient 39 livres comme inspirés, et donc canoniques. Ce sont
les 39 livres qui figurent dans l’Ancien Testament (A. T.) de nos Bibles. L’Église
Catholique a intégré au canon de l’A. T. sept autres livres et plusieurs fragments
de livres, en leur attribuant la même autorité. Il y a ainsi désaccord entre le
catholicisme et le protestantisme sur le canon de l’A. T.
Nos versions modernes de la Bible ont classé les livres de l’A. T. dans le même
ordre que l’ancienne traduction grecque appelé Septante (LXX) qui vit le jour à
une date difficile à préciser, entre 285 et 132 avant Jésus-Christ. Les livres y
sont classés par thèmes :
Livres de la Loi : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome.
Livres historiques : Josué, Juges, Ruth, 1 et 2 Samuel, 1 et 2 Rois, 1 et 2
Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther.
Livres poétiques et sapientaux : Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste,
Cantique des cantiques.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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Livres prophétiques :
a) Grands prophètes : Ésaïe, Jérémie, Lamentations de Jérémie,
Ézéchiel, Daniel.
b) Petits prophètes : Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum,
Habakuk, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.
Précisions que les LXX comptent encore les livres suivants reconnus apocryphes
et que l’Église Catholique a reçus dans son canon sous le titre de
« deutérocanoniques » : un autre livre intitulé « Esdras », Sagesse de Salomon,
Sagesse de Jésus ben Sirach (appelé encore Ecclésiastique ou Siracide),
Suzanne, Bel et le Dragon, Épître de Jérémie, Baruc, Cantique d’Azarias,
Cantique des trois jeunes gens dans la fournaise, 1 et 2 Maccabées.
La Bible hébraïque, appelé Texte Massorétique, divise le canon en trois parties :
La Loi (Thora ou Pentateuque, c’est-à-dire étui contenant les cinq
rouleaux).
Les prophètes a) antérieurs (Josué, Juges, Samuel, Rois),
b) postérieurs (Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel et le recueil
des douze petits prophètes).
Les écrits, appelés hagiographes par les LXX, comprenant tous les autres
livres de l’A. T., y compris Daniel.
Parmi les « écrits », cinq livres, le Cantique des cantiques, Ruth, Lamentations,
Ecclésiaste et Esther, sont appelés les cinq rouleaux ou Megilloth.
Il existe une soixantaine d’autre livres, appelés pseudépigraphes, que ni les
Juifs ni l’Église Primitive n’ont jamais reconnus comme canoniques. Ce sont des
produits du Judaïsme décadent qui ne supportent aucune comparaison avec l’A.
T. Ils montrent l’évolution des conceptions spirituelles du Judaïsme précédant ou
suivant la venue du Christ, en particulier de ses conceptions apocalyptiques. Ce
sont en général des amalgames de légendes, de poésie, de discours didactiques
ou apocalyptiques. Les légendes émanent de superstitions courantes à l’époque
et sont impropres à l’édification. La poésie constitue une tentative d’approche
des lecteurs païens et développe les thèmes des Proverbes. Les œuvres
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didactiques sont des produits d’origine judaïque ou judéo-chrétienne. Toute
cette littérature provient d’une époque où la voix de la prophétie s’était tue en
Israël. Nous ne parlerons pas d’eux, car ils se situent tout à fait en marge du
canon de l’A. T.
L’autorité dont jouissaient dans le judaïsme les livres canoniques de l’A. T.
provient de ce qu’ils étaient considérés comme des oracles inspirés par Dieu à
des prophètes chargés par lui de révéler ses desseins concernant Israël et le
salut qu’il lui accordait dans la foi au Messie, salut dans lequel les païens allaient
être intégrés en leur temps.
●
LES ÉTAPES DE LA FORMATION DU CANON
1) LA LOI :
Le canon de l’A. T. fut un ensemble de documents grandissant de siècle en
siècle jusqu’à sa formation complète. Il commença par les décrets et lois du
premier prophète d’Israël, le grand législateur Moïse. Les lois promulguées par
lui furent dès leur formation respectées comme des décrets divins, consignées
par écrits et conservées avec soin pour les générations futures (Exode 24 :3.4;
Deutéronome 31 :24-26). Dans (Josué 8 :34.35) nous lisons : « Josué lut
ensuite toutes les paroles de la loi, les bénédictions et les malédictions, suivant
de ce qui est écrit dans le livre de la loi. Il n’y eu rien de tout ce que Moïse avait
prescrit que Josué ne lise en présence de toute l’assemblée d’Israël, des
femmes et des enfants, et des étrangers qui marchaient au milieu d’eux ». C’est
dire l’autorité dont jouissait l’œuvre littéraire de Moïse. Les générations
suivantes ont continué à voir en elle les « commandements de Moïse » (Josué
1 :7.8; 11 :15; Juges 3 :4; 1 Rois 2 :3; 2 Rois 14 :6; 2 Chroniques 23 :18).
Sous le règne de Josias, on découvrit le « livre de la loi » (2 Rois 22). Le roi fut
consterné de constater à quel point il avait été oublié et combien Israël était
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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devenu infidèle à ce que Moïse avait promulgué. Il convoqua le peuple et lui fit
lire le livre de la Loi. C’était en 637 avant Jésus-Christ. Esdras fit de même au
retour de la captivité, en l’an 458. Rien ne permet de dire avec les critiques qu’il
s’agit du Deutéronome, auquel on aurait ajouté par la suite d’autres livres
(Genèse, Exode, Lévitique et Nombres) qu’on attribua faussement à Moïse. Tout
donne à croire qu’il s’agissait bien du Pentateuque, dont Israël était convaincu
qu’il avait entièrement écrit par Moïse. Mais le peuple avait sombré dans
l’idolâtrie. Le rappel solennel de la Loi de Moïse s’imposait donc.
L’existence de ce qu’on appelle le Pentateuque Samaritain après le schisme de
931 sous Roboam montre que la loi de Moïse était un document antérieur à
cette date. Ce Pentateuque Samaritain devint la Bible des dix tributs qui se
séparèrent de Juda et de Benjamin et de ce qui restait de ces dix tributs après
la déportation en Assyrie, reste auquel se joignirent des colons païens que les
empereurs assyriens installèrent sur le territoire d’Israël.
Déjà (Josué 1 :7.8) atteste que « toute la loi de Moïse » existait sous la forme
d’un recueil à l’époque de la conquête de Canaan. C’est le Pentateuque, appelé
tantôt « Loi de Moïse » (1 Rois 2 :3 ; Esdras 7 :6; Luc 2 :22; Matthieu 5 :17),
« Loi de l’Éternel » (2 Chroniques 31 :3), « Loi du Seigneur » (Luc 2 :23), « Le
livre de Moïse » (2 Chroniques 25 :3.4), « Le livre de la Loi de Moïse » (Josué
8 :31), « Le livre de la Loi de Dieu » (Josué 24 :26), « Le livre de la Loi de
l’Éternel » (2 Chroniques 17 :9).
Il n’existe aucune raison qui nous contraigne d’affirmer que le Pentateuque ne
fut pas écrit par Moïse, ni théologique, ni archéologique. Les découvertes
archéologiques ont amplement montré que l’écriture était connue bien avant
l’époque du grand prophète. Au quatrième millénaire avant Jésus-Christ, les
Sumériens se servaient déjà de signes pour écrire.
2) LES PROPHÈTES :
Il existe dans cette catégorie deux séries d’écrits, les prophètes antérieurs et les
prophètes postérieurs. Dans le canon Juif, les prophètes antérieurs viennent
immédiatement après la Loi. Il s’agit de Josué, Juges, 1 et 2 Samuel et 1 et 2
Rois. Tous ces livres racontent la vie des premiers grands prophètes d’Israël
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(Samuel, Nathan, Élie, Élisée, etc.) L’écrivain Juif, Josèphe, contemporain de
Jésus, estimait qu’ils avaient été écrits par ces hommes (Contre Apion, 1,8). Ce
n’est pas une certitude. Quoi qu’il en soit, ces livres, rédigés par des hommes
inspirés, ont été reçus par le peuple d’Israël comme des écrits sacrés, des
éléments de la révélation de Dieu.
Il en va de même des prophètes postérieurs, qu’il s’agisse des grands prophètes
ou des petits. Ces derniers n‘ont été appelés ainsi que parce que le recueil de
leurs oracles est de dimensions modestes. Il n’y eut jamais, dans le peuple
d’Israël, la moindre contestation au sujet de leur authenticité.
Le livre apocryphe (2 Maccabées 2 :13) raconte que « Néhémie…, fondant une
bibliothèque, rassembla les livres qui racontaient l’histoire des rois et des
prophètes, et les livres de David et les lettres royales concernant les offrandes »
(2 :13). Nous avons là un indice dans la formation du canon de l’A. T., auxquels
s’ajoutèrent les écrits des prophètes postérieurs à Néhémie. Selon un autre
apocryphe, l’Ecclésiastique (49 :10), rédigé par Jésus ben Sirach vers 180 avant
Jésus-Christ, les livres des prophètes existaient depuis longtemps sous forme de
recueils. Jésus ben Sirach célèbre dans un hymne les ancêtres d’Israël. Il y suit
de près l’ordre des écrits bibliques, ce qui démontre qu’il connaissait tous les
livres contenus dans la section dite des prophètes. Selon son témoignage,
(Esdras 40-66), attribué par les critiques de la Bible à un anonyme appelé
Deutéro- Esaïe, voire à toute une école de prophètes de loin postérieure à Ésaïe,
fait bel et bien partie du livre de ce grand prophète. Nous écartons comme une
légende un récit tiré de (2 Esdras 14 :19), qui veut que tous les livres de l’A,T.
ayant disparu dans un incendie, Esdras fut inspiré pour les recomposer en 40
jours. D’autre part, la tradition tardive, remontant à (4 Esdras 14 :44) et
attestée par Irénée (Adv. Haer. 111, 21,2 ) et Tertullien (De cultu feminarum
1, 3), qui veut que le canon fut établi par « les hommes de la grande
Synagogue », une assemblée de 120 hommes présidée par Esdras, n’a pas de
support historique.
Le canon prophétique fut clos quand Israël constata que la voix de la prophétie
s’était éteinte, non pas par une décision conciliaire ou une assemblée de scribes,
mais du fait de l’absence de nouveaux oracles. Le dernier livre de l’A. T.
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annonce dans son dernier chapitre la venue d’Élie le prophète avant la venue du
jour de l’Éternel (Malachie 4 :5). Cet Élie surgit en la personne de Jean-
Baptiste, le précurseur du Christ, qui constitue la charnière entre l’Ancien et le
Nouveau Testaments.
3) LES ÉCRITS OU HAGIOGRAPHES :
Cette rubrique comprend, en dehors de la Loi de Moïse et des prophètes, tous
les autres livres de l’A. T., soit : Ruth, Psaumes, Job, Proverbes, Ecclésiaste,
Cantique des cantiques, Lamentions de Jérémie, Daniel, Esther, Esdras,
Néhémie, 1 et 2 Chroniques. Quand l’auteur de l’Ecclésiastique, Jésus ben
Sirach, fait illusion à ses ouvrages, il emploie toujours l’article défini, montrant
qu’il s’agit d’écrits bien définis. Le recueil de ces écrits avait donc des contours
bien précis.
Son petit-fils cite les « Écrits » comme l’un des trois groupes de livres que les
Juifs tenaient pour sacrés et qui, de son temps, se lisaient en Égypte dans la
langue grecque. Il utilise la formule : « La Loi et les prophètes et les autres
livres de nos Pères ». A cette date, le canon, divisé en trois parties, contenait
donc tous les livres de l’A. T. actuel.
Les cinq livres appelés « Megilloth » (« rouleaux ») par les rabbins, étaient
affectés à la lecture rituelle lors des fêtes de la Pâque (Cantique des cantiques),
de la Pentecôte (Ruth), de l’anniversaire de la ruine de Jérusalem en 586 avant
Jésus-Christ (Lamentations), des Tabernacles (Ecclésiaste) et des Pourim
(Esther). Les derniers à être reçus dans le canon parmi les hagiographes furent
sans doute Daniel, 1 et 2 Chroniques, Esdras et Néhémie.
Parmi les pharisiens, les disciples de Schammaï, au premier siècle avant Jésus-
Christ, contestèrent la canonicité de l’Ecclésiaste, peu compatible avec son
prétendu pessimisme, son épicurisme et sa soi-disant négation de la vie future.
Ils furent combattus par les pharisiens de l’école de Hillel, et leur attitude fut
condamnée par ce qu’on a coutume d’appeler le synode de Jamnia, en 90 après
Jésus-Christ. Il en fut de même du Cantique des cantiques que certains
accusèrent d’érotisme. Mais l’école de Hillel finit par triompher en faisant
prévaloir l’interprétation allégorique de ce texte. Certains reprochaient aussi au
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livre d’Esther de ne pas mentionner une seule fois le nom de Dieu. C’était
méconnaître que cet écrit attestait avec une vigueur rarement égalée la
providence divine à l’œuvre en toutes circonstances pour délivrer le peuple de
l’alliance.
●
LES TÉMOINS DU CANON DE L’ANCIEN TESTAMENT
Rappelons que le Texte Massorétique (la Bible hébraïque), au lieu de compter
39 livres pour l’A. T., comme c’est le cas de nos Bibles actuelles, n’en attestait
que 24. C’est que 1 et 2 Samuel ne comptaient que pour un, de même que 1 et
2 Rois, 1 et 2 Chroniques, Esdras et Néhémie. Par ailleurs, les douze petits
prophètes étaient considérés comme ne formant qu’un recueil. Quant à eux qui
font état de 22 livres, comme c’est le cas de l’historien Josèphe que nous
citerons plus tard, ils incluent Ruth dans les Juges et les Lamentations dans
Jérémie.
La plus ancienne référence au canon hébraïque provient de l’Ecclésiastique, livre
apocryphe rédigé en hébreu vers 180 avant Jésus-Christ par Jésus ben Sirach.
Le petit-fils de l’auteur traduisit l’ouvrage en grec en le faisant précéder d’un
prologue, qui date environ de 130 avant Jésus-Christ. Voici ce qu’il écrit dans ce
prologue :
« Beaucoup de grandes choses nous ont été transmises par la Loi, les
Prophètes et ceux qui les ont suivis… Mon grand-père Jésus, qui s’était
adonné par-dessus tout à la lecture de la Loi, des Prophètes et des autres
livres de nos Pères, et qui y avait acquis une grande maîtrise, fut amené à
écrire lui aussi sur l’instruction et sur la sagesse ».
Nous constatons ainsi qu’au deuxième siècle avant Jésus-Christ, le canon de l’A.
T. était divisé en trois parties : la Loi, les Prophètes et ceux que l’auteur appelle
« ceux qui ont suivi les prophètes » ou « les autres livres de nos pères ». Il
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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existe une division tripartite analogue dans (Luc 24 :44) : « la Loi de Moïse, les
Prophètes et les Psaumes », cette dernière expression englobant tous les livres
poétiques, et d’une façon générale les « Écrits » ou hagiographes. Le N. T. du
reste les cite un certain nombre de fois, ce qui montre qu’ils étaient considérés
comme divinement inspirés au même titre que la Loi de Moïse et les prophètes.
L’historien juif Flavius Josèphe (37-95 après Jésus-Christ) répartit l’A. T. en 22
livres. Il déclare :
« Il n’existe pas parmi nous des myriades de livres discordants et
contradictoires ; nous n’en avons que vingt- deux contenant la description
de tout le temps passé et qui sont à bon droit tenus pour divins, dont cinq
écrits par Moïse, qui contiennent ses lois et les traditions de l’origine de
l’humanité jusqu’à sa mort… Les prophètes ont écrit ce qui se passa de leur
temps en treize livres. Les quatre livres qui restent contiennent des
cantiques en l’honneur de Dieu et des préceptes pour la conduite de vie
humaine » (Contre Apion 1,8).
Josèphe fait au sujet des ouvrages apocryphes qui ont vu le jour après la mort
du prophète la déclaration suivante fort significative :
« Depuis Artaxerxès (fils de Xerxès, 464-424 av. J.-C., c’est-à-dire depuis
l’époque de Malachie, le dernier prophète) jusqu’à notre époque, tout a été
consigné par écrit ; mais ces livres n’ont pas été jugés dignes d’une
créance semblable à celle des précédents, parce que la succession exacte
des prophètes faisait défaut. Les faits montrent avec évidence la foi que
nous avons placée dans nos propres écrits ; en effet, bien qu’une si longue
durée se soit déjà écoulée, personne n’a osé ajouter, retrancher ou
changer quoi que ce soit à ces livres ».
Josèphe qui, selon la tradition hébraïque, subdivise l’A. T. en trois parties,
affirme donc que le canon fut clos à l’époque de Malachie. Aucun livre n’y fut
ajouté par la suite. Son témoignage bat en brèche la théorie de nombreux
critiques rationalistes, qui soutiennent que Daniel, l’Ecclésiaste, le Cantique des
cantiques et de nombreux psaumes sont postérieurs à Malachie. Les remarques
de Josèphe reflètent l’opinion unanime des juifs de son époque. Elles montrent
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que la canonicité des livres de l’A. T. dépendait de l’autorité divine de leurs
auteurs et qu’elle fut reconnue longtemps avant qu’un concile juif comme celui
de Jamnia en 90 après Jésus-Christ ne statuât à ce sujet. Ce concile1, si
toutefois il est permis d’employer cette expression pour une assemblée qui ne
revendiqua pas de caractère conciliaire, n’a fait que ratifier un consensus
fermement établi.
Dans le Talmud de Babylone (Baba Bathra, fol 14 b et 15 a) , une baraïtha
attribuée à Juda le Saint (136-217) donne la liste des 24 livres que la
synagogue considérait comme sacrés.
L’évêque chrétien Méliton de Sardes fournit la plus ancienne liste complète des
livres de l’A. T. ; elle date environ de l’an 170. L’auteur déclare être venu en
Orient pour enquêter sur le nombre et l’ordre des livres de l’A. T. et indique le
résultat suivant :
« Cinq livres de Moïse (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et
Deutéronome), Josué, Juges, Ruth, quatre livres des Royaumes, deux des
Chroniques, Psaumes de David, Proverbes de Salomon (ou Sagesse),
Ecclésiaste, Cantique des cantiques, Job, Prophètes : Ésaïe, Jérémie, les
Douze (en un seul livre), Daniel, Ézéchiel, Esdras ».
L’auteur ne mentionne pas les Lamentations qui sont sans doute comptées avec
le livre de Jérémie ; de même Néhémie est sans doute inclus dans Esdras. Seul
le livre d’Esther fait défaut, pour une raison inconnue.
Le Père de l’Église Orientale Origène (+ 254) nous légua une liste de 22 livres
de l’A. T. conservée dans l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe (H.E. 6, 25). Elle
correspond à celle de Flavius Josèphe, en insérant cependant dans le canon
l’Épître de Jérémie dont Origène ne semblait pas savoir qu’elle n’avait jamais
été écrite en hébreu.
Tertullien (160-250), le grand homologue d’Origène dans l’Église latine, affirme
l’existence de 24 livres canoniques.
Hilaire de Poitiers (305-366) en compte 22.
1 Cf. à ce sujet l’ouvrage de W. Möller, Grundriss für Alttesstamentliche Einleitung, p. 370 s.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
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Jérôme (340-420) s’en tient strictement aux 22 livres du canon hébraïque et
rejette les apocryphes en seconde position (Prologus Galeatus) :
« Ce prologue, comme l’avant-garde casquée (galeatum principium) des
Écritures, peut s’appliquer à tous les livres que nous avons traduits
d’hébreu en latin, afin que nous sachions que tout ce qui est en dehors de
ces livres doit être rangé parmi les apocryphes. Donc la Sagesse, intitulée
habituellement de Salomon, le livre de Jésus fils de Sirach, Judith, Tobie et
le Pasteur (probablement le Pasteur d’Hermas, un écrit chrétien
contemporain des apôtres) ne sont pas dans le canon. J’ai découvert le
premier livre des Maccabées en hébreu ; le second est en grec, comme le
prouve son style même ».
Dans sa Préface aux livres de Salomon, Jérôme écrit à propos de l’Ecclésiastique
et de la Sagesse de Salomon :
« Ainsi, comme l’Église lit Judith, Tobie et les livres des Maccabées (lors du
culte public), mais ne les reçoit pas parmi les écrits canoniques, qu’elle lise
de même ces deux volumes pour l’édification du peuple, mais non pour
établir l’autorité des doctrines de l’Église » (J.P. Migne, Patrologie Latine,
XXVIII, col. 1308).
Signalons cependant une différence d’attitude assez importante entre l’Église
Orientale et l’Église Occidentale. Nous constatons qu’à quelques variantes près,
les Pères de l’Église Orientale utilisent le canon hébraïque. C’est le cas de Justin
Martyr (+vers 165) dans son dialogue avec le Juif Tryphon. Méliton de Sardes,
Origène, Eusèbe de Césarée (+340), Athanase (+373), Cyrille de Jérusalem
(+386), Épiphane (+403), Grégoire de Nazianze (+vers 390), Amphiloque
(+après 394), Jérôme (+420, Père latin, mais qui alla s’informer en Orient),
restent tous fidèles au canon hébraïque, en y incluant généralement Baruch et
l’Épître de Jérémie, et en excluant Esther. Ils sont convaincus que les
deutérocanoniques (ou apocryphes), utiles pour l’instruction des catéchumènes
(Athanase), doivent être mis à part (Cyrille), ne peuvent être cités comme
faisant autorité (Rufin) et ne sont pas inspirés (Jérôme : « Non sunt in
canone »). Le Concile de Laodicée, en 363, prescrit dans son canon 59 de ne lire
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que les livres canoniques qui sont, selon le canon 60, les livres de l’A. T.
hébraïque.
En Occident, par contre, on utilise indifféremment tous les livres figurant dans la
traduction grecque des LXX, qui fut à l’origine de l’ancienne traduction latine
appelée Vetus Itala. C’est le cas de Clément de Rome, du Pasteur d’Hermas (1ere
moitié du 2e siècle), d’Hippolyte (+235), d’Irénée (+ vers 189), de Tertullien (+
après 225), de Grégoire le Thaumaturge (+en 270), et de Methodius (+312).
Priscillien en Espagne (+385) ne paraît pas soupçonner qu’on puisse discuter de
la canonicité des deutérocanoniques. Le catalogue de Mommsen ou de
Cheltenham (vers 360 en Afrique) comprend tous les deutérocanoniques.
Augustin (+430) et les conciles d’Hippone (393) et de Carthage (397 et 419)
déclarent ces livres canoniques, de même Innocent I dans sa lettre à Exupère
de Tarlouse (405).
Par la suite, les Églises de l’Orient finirent par se rallier au point de vue de
l’Église Occidentale, malgré les protestations de Jean Damascène (+754) et
d’autres. En 692, le Concile « in Trullo » adopta pour les Églises de l’empire
byzantin le canon de l’Église latine. Du 6e au 14e siècle, certains docteurs, se
fondant sur l’autorité de Jérôme, se refusèrent à considérer les
deutérocanoniques comme égaux aux autres du point de vue de la canonicité.
Cependant la croyance générale fut confirmée officiellement par le pape Eugène
IV dans le « Decretum pro Jacobitis » (monophysites d’Alexandrie et de
Jérusalem), promulgué au Concile de Florence (Bulle Cantate Domino du
4.2.1441).
Le Concile de Trente (1546) inclut officiellement dans l’A. T. Tobie, Judith, la
Sagesse, Ecclésiastique, Baruch, et 1 et 2 Maccabées. Cette définition fut
renouvelée par Vatican I en 1870.
L’Église Catholique maintient donc la canonicité de ces sept livres et de plusieurs
fragments qui ne font pas partie du canon hébraïque palestinien. Ces fragments
sont une addition grecque au livre d’Esther, le Cantique d’Azarias et des trois
jeunes gens dans la fournaise, l’histoire de Suzanne et de celle de Bel et le
Dragon. Elle appelle officiellement ces ouvrages « deutérocanoniques », c’est-à-
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
21
dire canoniques au second degré, reconnaissant ainsi qu’ils ne font pas partie du
canon originel.
Les Réformateurs ont protesté contre la canonicité de ces écrits et les ont
appelés apocryphes, tandis que l’Église Catholique taxe d’apocryphes des livres
communément appelés « pseudépigraphes », qui se sont toujours présentés en
marge du canon.
L’Église Orthodoxe accepte officiellement, en plus du canon hébraïque, Tobie,
Judith, la Sagesse et l’Ecclésiastique, selon une décision du Synode de
Jérusalem en 1672.
●
LA CANONICITÉ DES APOCRYPHES
Les théologiens catholiques et certains protestants libéraux fondent leur
conviction que les deutérocanoniques ou apocryphes sont des ouvrages
canoniques sur les arguments suivants :
1. Les premières traductions de l’A. T. contiennent ces livres !
Ce n’est que partiellement vrai. Ils manquent naturellement dans les Targums,
c’est-à-dire les paraphrases de l’A. T. en araméen. La Peshitto, traduction
syriaque, sous sa forme la plus ancienne, n’en contient aucun ; ce n’est que plus
tard que certains d’entre eux y furent ajoutés. Jérôme, grand spécialiste de la
question et auteur de la Vulgate, ne les admettait pas.
Ils figurent cependant dans la traduction la plus ancienne, les LXX dont dérivent
la plupart des versions invoquées en faveur de leur canonicité, telles que la Vela
Itala et les versions copte, éthiopienne et syriaque plus récente. Et même chez
les LXX, leur présence est assez incertaine. Les anciens manuscrits ne
s’accordent sur leur nombre et omettent l’un ou l’autre. C’est le cas du
Vaticanus, Sinaiticus, et de l’Alexandrinus. Le contenu de ces grands témoins du
22
4e et 5e siècles ne concorde pas avec la liste traditionnelle des
deutérocanoniques.
On affirme quelquefois que les Juifs d’Alexandrie en Égypte avaient un autre
canon que ceux de la Palestine, puisque leur traduction officielle de l’A. T.
contenait les apocryphes. D’autre part, ces apocryphes ne figurent pas dans les
LXX à la fin de l’A. T., mais sont éparpillés parmi les livres canoniques.
Hautement estimés par les Juifs de la Diaspora et, dit-on, considérés comme
également canoniques, ils ont ainsi trouvé leur entrée dans l’Église chrétienne,
du moins en Occident, d’où ils se répandirent aussi en Orient. Cependant, il
n’est pas du tout sûr que les Juifs de la Diaspora aient considéré le contenu
intégral des LXX comme canonique. Philon d’Alexandrie (1er siècle après J.-C.)
par exemple ne les cite jamais dans ses œuvres. D’autre part, au 2e siècle de
l’ère chrétienne, les Juifs d’Alexandrie adoptèrent la version grecque d’Aquila qui
n’en contient aucun. Enfin, l’histoire ne fait en rien état d’une controverse entre
les Juifs de la Palestine et ceux de la Diaspora quant à l’étendue du canon. Cette
controverse aurait laissé des traces indélébiles dans l’histoire du Judaïsme, si
elle avait eu lieu. Par ailleurs, la preuve n’est pas faite que Jude cite des
deutérocanoniques dans son épître. Il est tout à fait légitime d’admettre qu’il se
contente de mentionner des faits transmis par la tradition orale, sans recourir à
des apocryphes. Mais même dans l’hypothèse où il citerait l’Assomption de
Moïse et le livre d’Hénoc (qui du reste ne figurent pas parmi les apocryphes
incriminés, mais sont des ouvrages dont personne n’a jamais prétendu qu’ils
faisaient partie du canon), il n’emploie pas le terme technique de ou
, pour introduire ses citations. Flavius Josèphe, qui se servait des LXX,
faisait une distinction bien claire entre les deutérocanoniques et les livres
canoniques. Il ne les reconnaissait pas comme ouvrages inspirés ! En dehors
des LXX, aucune des anciennes traductions grecques, telles que Aquila, la
Symmaque et Théodotion, ne contient ces livres. Origène et Jérôme qui étaient
experts en la matière, auraient fait allusion à l’existence de deux canons de l’A.
T., s’il y en avait eu deux. Nous ne pouvons donc qu’approuver Gleason Archer,
lorsqu’il affirme ; « Il est donc raisonnable de penser, avec Jérôme lui-même,
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
23
que les Juifs de la grande cité égyptienne choisirent d’inclure dans une même
édition et les ouvrages qu’ils reconnaissaient comme canoniques et les livres
« ecclésiastiques », considérés comme aptes à l’instruction et l’édification,
quoique non inspirés » (Introduction à l’A. T., p. 76). C’est exactement ce que
fit Luther, lorsqu’il traduisit les apocryphes et les publia en appendice à l’A. T. !
On a trouvé dans la grotte No 4 de Qumran les manuscrits de différent
apocryphes (Ecclésiastique, Tobie), ainsi du reste que des pseudépigraphes
(Testament de Lévi, livre d’Hénoc). Personne ne soutiendra que la secte rigide
des Esséniens les assimilait à des livres canoniques ! D’autre part, le fait que les
apôtres citent généralement l’A. T. dans la version des LXX ne permet de
conclure qu’ils acceptèrent comme canoniques les écrits apocryphes. Matthieu
cite l’A. T. ou y fait allusion 194 fois, Marc 95, Luc 147, Jean 48, Actes 134,
Romains 120, 1 Corinthiens 67, 2 Corinthiens 32, Galates 19, les épîtres non
pauliniennes 243, et l’Apocalypse 251, soit au total : 1422 ; en moyenne 5
citations ou allusions à l’A. T. par chapitre du N. T. Mais jamais il n’est question
des apocryphes des LXX ! Et même si Jude cite des pseudépigraphes, ce qui
n’est pas prouvé, les théologiens ne peuvent en tirer aucune conclusion. Paul
cite aussi les Phaïnomena d’Aratus dans Actes 17 :28, Thaïs de Ménandre dans
1 Cor 15 :33. Personne ne songerait à en conclure qu’il considérait ces ouvrages
profanes comme canoniques !
2. On allègue que les Pères de l’Église ont cité les apocryphes !
Il serait plus exact de dire que certains l’ont fait. D’autres ont pris clairement
position contre leur canonicité. Il faut le dire ! Parmi les auteurs incriminés, il y
a Clément de Rome, Barnabas et l’illustre St. Augustin. L’attitude de ce dernier
est assez inconséquente et dépourvue de sens critique. Au Concile de Carthage
(397), il recommanda l’inclusion des apocryphes dans le canon de l’A. T. En
même temps il répond à un adversaire qui fonde une fausse doctrine sur 2
Maccabées, que ce livre n’est pas reconnue par les Juifs (G.D. Young, Revelation
and the Bible, p.176). Malgré toute l’estime que nous pouvons avoir pour le
grand évêque d’Hippone, nous lui préférons en la matière l’avis beaucoup plus
clairvoyant d’Athanase, qui dit des apocryphes qu’ils « ne sont pas inclus dans le
canon », mais simplement « destinés à être lus » (39e épître, § 6.7).
24
●
LES CRITÈRES DE LA CANONICITÉ
L’ancienneté n’est pas un critère de canonicité, comme le pensait par exemple
J.G. Eichhorn au 18e siècle. L’A. T. fait mention de certains documents écrits fort
anciens (Jos 10 :13 ; 2 Samuel 1 :18 ; Nombres 21 : 14) qui ne figurent pas
dans le canon.
Une rédaction en hébreu ne l’est pas davantage, comme l’estimait F. Hitzig au
siècle dernier. Certains apocryphes en effet ont été rédigés en hébreu
(Ecclésiastique, Tobie, I Maccabées).
Il ne suffit pas non plus qu’un ouvrage traite de l’histoire d’Israël, ou qu’il soit
conforme à la Loi, ou qu’il ait pour auteur un homme célèbre en Israël, pour
qu’il soit canonique.
Le plus grand test de canonicité est le témoignage que Dieu lui-même, par le
Saint-Esprit, rend à l’autorité de sa Parole. L’apôtre Paul écrit :
« Ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours
persuasifs de la sagesse humaine, mais sur une démonstration d’Esprit
et de puissance, afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des
hommes, mais sur la puissance de Dieu » (I Corinthiens 2 :4.5).
« Notre Évangile ne vous a pas été prêché en paroles seulement, mais
avec puissance, avec l’Esprit Saint et avec une pleine persuasion » (I
Thessaloniciens 1 : 5).
« En recevant la Parole de Dieu que nous vous avons fait entendre,
vous l’avez reçue, non comme la parole des hommes, mais, ainsi
qu’elle l’est véritablement, comme la Parole de Dieu qui agit en vous
qui croyez » (I Thessaloniciens 2 :13).
En d’autres termes, l’Écriture se rend à elle-même le témoignage qu‘elle est la
Parole de Dieu. Par l’activité même que le Saint-Esprit lui fit exercer dans les
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
25
cœurs, elle s’impose à celui qui la lit et la médite avec foi comme Parole de
Dieu, divinement inspirée. C’est en effet parce qu’elle est cela qu’elle est apte à
enseigner, convaincre, corriger, instruire dans la justice, afin que l’homme de
Dieu soit accompli et propre à toute bonne œuvre (2 Timothée 3 :16.17). C’est
pourquoi l’Église n’a jamais eu à arbitrer la canonicité ; sa tâche s’est bornée à
la reconnaître.
Elle n’a pris aucune décision rendant certains livres canoniques, mais rendu un
simple témoignage histoire. Gleason L. Archer explique cela en recourant à
l’image suivante : « Quand un enfant reconnaît son père parmi une multitude
d’adultes, il ne lui confère par cet acte aucune nouvelle qualité de paternité ; il
reconnaît simplement une relation qui existe déjà. Il en est ainsi des listes
canoniques dressées par les synodes ou les conciles ecclésiastiques. Ces
derniers n’ont conféré la canonicité à aucune page de l’Écriture ; ils n’ont que
reconnu l’inspiration de documents religieux dont la canonicité était inhérente
dès le premier jour, et ils ont formellement rejeté d’autres livres que l’ont avait
à tort prétendus canoniques » (Introduction à l’Ancien Testament, p. 80). Si le
témoignage intérieur du Saint-Esprit est déterminant en la matière, il faut
cependant qu’il soit corroboré par le témoignage historique de l’Église
chrétienne. Celui-ci s’exerce selon certains critères. C’est ainsi qu’un livre qui
contredit d’autres écrits de l’A. T., enseigne une doctrine non biblique, contient
des déclarations fausses ou mensongères ou des prédictions démenties par les
faits ou qui admet explicitement ne pas être inspiré (comme c’est le cas dans I
Maccabées 9 :27; II Maccabées 15-38 et le prologue de l’Ecclésiastique) ou qui
n’a pas été reçu comme inspiré par ceux à qui il était adressé, trahi sa non-
appartenance au canon.
Enfin nous avons pour l’A. T. un critère suprême, aisément vérifiable :
l’imprimatur infaillible dont le Christ a sanctionné ses livres. Jésus et ses
disciples ont accepté pleinement le canon hébraïque palestinien, et lui seul. Le
Seigneur a recouru à la division tripartite de l’A. T. qui correspond au texte
hébraïque de l’A.T. et exclut définitivement les apocryphes ou
deutérocanoniques des LXX : « C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais
26
encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit de moi dans la
Loi de Moïse, dans les prophètes et les psaumes » (Luc 24 :44).
1422 citations de l’A. T. ou allusions à l’A. T. dans le N. T. ! Et aucun appel aux
apocryphes ! Jésus et les apôtres s’en tiennent au canon hébraïque, même si
ces derniers citent généralement l’A. T. dans la version grecque des LXX. C’est à
lui qu’Ils se réfèrent, quand ils utilisent des expressions comme « Écriture »,
« Écritures », « oracles », « parole prophétique » (,, ,
, 2 Timothée 3 : 16 ; Matthieu 21 : 42 ; 1 Corinthiens
15 :3 ; 1Pierre 4 : 11 ; 2 Pierre 1 :19).
L’A. T. tel qu’il figure dans nos Bibles est ainsi sanctionné par l’autorité infaillible
du Fils de Dieu et de ses apôtres. Jésus lui a apposé son sceau divin. Les
chrétiens peuvent lire chacune de ses pages avec la certitude que Dieu s’y
révèle à eux.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
27
LE CANON
DU
NOUVEAU TESTAMENT
Nous n’avons pas comme pour l’A. T. de témoignage et sceau du Christ
attestant quels sont parmi les livres qui ont circulé dans la chrétienté primitive
ceux qui constituent le canon du N. T.
Ce canon n’est, pas plus que celui de l’A. T., le résultat de décisions conciliaires
ou synodales. L’Église n’est pas la mère de la Bible, comme l’affirme volontiers
le catholicisme. Le canon du N. T. n’est pas l’œuvre de la chrétienté, mais le
résultat d’un processus historique, d’un témoignage rendu par la chrétienté
primitive aux écrits des apôtres et de leurs compagnons. Nous disposons, pour
reconstituer cette histoire d’une foule de renseignements sous forme de
catalogues de citations et de témoignages des Pères, et souvent aussi des
incrédules et des hérétiques.
Le N. T. s’est constitué peu à peu. Jésus lui-même n’a pas écrit. Quant aux
apôtres, ils ont commencé par prêcher, répandant l’Évangile sous une forme
orale. Ce n’est que petit à petit, selon les besoins du moment, qu’ils se sont mis
28
à écrire. À mesure qu’ils mouraient, leurs écrits furent tenus en haute estime,
en tant que testaments de ceux qui avaient vu et entendu le Christ et avaient
été chargés par lui de retransmettre son enseignement. Dès leur rédaction, ces
écrits circulèrent d’une paroisse à l’autre. L’apôtre Pierre parle dans sa
deuxième lettre des épîtres de Paul comme d’ouvrages connus de ses lecteurs
(2 Pierre 3 : 14ss), et Paul demande aux Colossiens de faire parvenir son épître
aux chrétiens de Laodicée et de lire celle qui leur viendrait de là-bas (Colossiens
4 :16). Dès le début du 2e siècle, les évangiles et les épîtres apostoliques sont
officiellement appelés « évangiles », « mémoires des apôtres » ou encore « voix
de Dieu »2 On notera en passant que Pierre range les épîtres de Paul au même
niveau que les livres de l’A. T., en parlant d’elles comme des « autres
Écritures » ( , 2 Pierre 3 :18).
Nous étudierons l’histoire du canon du N. T. au cours des quatre premiers
siècles de l’ère chrétienne, puis tenterons une synthèse, pour montrer que la
chrétienté peut, au-delà de tout doute, avoir la joyeuse certitude que tous les
livres du N. T. sont bien canoniques, et donc Parole inspirée de Dieu.
●
LE PREMIER SIÈCLE
Depuis deux siècles, les critiques de la Bible échafaudent une théorie après
l’autre, pour tenter de démontrer qu’un certain nombre de livres du N. T. n’ont
pas été écrits par des apôtres ou évangélistes. L’histoire de la tradition
synoptique est un tissu invraisemblable d’hypothèses qui se contredisent et
s’excluent. Il en va de même de la critique exercée à l’encontre des épîtres. A
en croire des théologiens de cette école, ni 2 Pierre, ni 2 et 3 Jean, ni Jude, ni
Jacques, ni Éphésiens, ni Colossiens, ni les épîtres pastorales, ni l’Apocalypse ne
sont authentiques. Et nous en oublions sans doute ! Nous ne pouvons pas entrer
ici dans le dédale de ces hypothèses. L’un des théologiens les plus libéraux de
2 Justin Martyr, Apologie 1, 66.67, Dialogue avec Tryphon, (100.119
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
29
notre siècle, John A. T. Robinson de Cambridge, l’auteur du triste ouvrage
intitulé « Dieu sans Dieu » (en anglais « Honest to God ») a fait table rase avec
toutes ces théories sur la rédaction des livres du N. T. Non pas par souci de
fidélité envers l’Écriture Sainte, mais sur la seule foi du témoignage du N. T. et
de ce qu’on appelle l’évidence externe. Les résultats de ses recherches, menées
avec beaucoup de minutie et un réel souci de fidélité historique confirment les
théologiens conservateurs et tous les chrétiens bibliques dans leur foi en
l’authenticité des écrits du N. T. Sans le vouloir, il leur rend un immense
service.
Il3 propose pour les différents livres du N. T. les dates de rédaction suivantes
sur lesquelles il peut avoir des divergences mineures : Jacques : 47/48,
1Thessaloniciens 50, 2 Thessaloniciens : 50/51, 1 Corinthiens :55, 1
Timothée :55, 2 Corinthiens : 56, Galates :56, Romaines :57, Tite : 57,
Philippiens :58, Philémon : 58, Colossiens :58, Éphésiens : 58, 2 Timothée : 58,
Marc : entre 45 et 60, Matthieu : entre 40 et 60, Luc : entre 57 et 60, Jude :
61/62, 2 Pierre : 61/62, Actes : entre 57 et 62, 1, 2 et 3 Jean : entre 60 et 65,
1 Pierre : 65, Jean : entre 40 et 65 (avec des variantes dans la fourchette vers
le haut et le bas), Hébreux :67, Apocalypse : entre 68 et 70.
Les fondements de l’Église furent jetés par ce qu’on appelle la « viva vox
Evangelii », la proclamation orale de l’Évangile, comme en témoigne tout le livre
des Actes des Apôtres. Hébreux 2 :2-4 nous lisons : « Si la parole annoncée par
des anges a eu son effet, et si toute transgression et toute désobéissance a reçu
une juste rétribution, comment échapperons-nous en négligeant un si grand
salut, qui, annoncé d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui
l’ont entendu, Dieu appuyant leur témoignage par des signes, des prodiges et
divers miracles, et par des dons du Saint-Esprit distribués selon sa volonté ».
Cet enseignement du Christ et des apôtres était constamment fondé sur l’Ancien
Testament, la Bible des croyants de l’époque (Luc 16 :29 ; Jean 5 :39 ; 2
Timothée 3 :15-17 ; 1 Pierre 1 :10-12, 19-21). Puis les livres du N. T. furent
rapidement écrits ; s’il faut en croire J. A. T. Robinson, ils le furent tous avant la
3 John A. T. Robinson, Redating the N. T., 1976, p. 352
30
destruction de Jérusalem en l’an 70. Très rapidement se forma ainsi ce qu’on
appelle le « corpus paulinum », un véritable recueil des épîtres de Paul. Dans
l’une des plus anciennes listes des livres du N. T. que nous possédions, le Canon
de Muratori, les épîtres aux Corinthiens figurent en tête des écrits de Paul.
Oscar Cullmann en tire la conclusion possible que ce recueil vit le jour à
Corinthe.
Voici les différents témoins du canon du N. T. de la fin du premier siècle :
L’Épître de Barnabas, qui vit le jour en Égypte peu après 70, se réfère à
Matthieu 9 : 13 et 26 :31 s (Barnabas 5 :9.12).
La Didachè des Apôtres, originaire de la Palestine ou de la Syrie, vers l’an 90,
introduit comme « Évangile du Seigneur » un texte pratiquement identique à
Matthieu 6 :5-18 (Did. 8). Nous y trouvons cette autre phrase révélatrice :
« Reprenez-vous les uns les autres, non pas dans la colère, mais dans la paix,
comme dans l’Évangile » (Did.15,3). C’est une allusion manifeste à Matthieu
5 :22 ss; 18 :15 ss. Elle cite également la phrase du Christ, Matthieu 7 :6 :
« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens » (Did.9). La preuve est ainsi
faite que l’Évangile de Matthieu existait à la fin du premier siècle et qu’il
jouissait de l’autorité d’un livre divin. Ne demandons pas plus à la Didachè des
Apôtres, qui n’est qu’un petit écrit d’édification.
Clément de Rome, évêque de Rome de 92 à 101, cite, dans sa première lettre
aux Corinthiens, en les introduisant par la formule « qu’il se souvienne des
paroles du Seigneur » de nombreuses affirmations du Christ sur la charité et la
patience (Épître aux Corinthiens, ch. 13). Cette épître cite intégralement
(Hébreux 1 : 1-13) dans son chapitre 36. Nous y trouvons aussi de fréquentes
allusions à l’épître de Jacques (dans son Épître de Clément aux Corinthiens Ch.
2, 10, 17, 23, 30. 31. 33. 38. 46), et des citations libres des livres suivants du
N. T. : Romains, Éphésiens, 1 Corinthiens, 2 Corinthiens, 2 Pierre, généralement
introduites par la formule « Il vous est écrit » (scil. l’apôtre Paul).
Polycarpe de Smyrne (+ 156), l’une des plus prestigieuses figures de l’Église
post-apostolique, était disciple de l’apôtre de Jean. Il nous a légué une épître
aux Philipiens, alors qu’il était en route vers le lieu de son martyre. Il y cite les
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
31
mêmes Paroles du Christ sur la charité et la patience que Clément de Rome (ad
Phil. 2 :3), fait allusion à Mt 6 : 12 s et Luc 11 : 4 (ad Phil. 6, 2 ; 7, 3), cite Mt
26 : 41 ou Mc 14 :38 (ad Phil 7, 3), et Actes 2 :24 (ad Phil 1,2). Quand il cite
Romains, 1 Corinthiens, 2 Corinthiens, Galates, Éphésiens, 1 Timothée, 2
Timothée, Philémon, 2 Thessaloniciens, 1 Jean, 1 Pierre ou l’épître aux Hébreux,
il introduit ses citations avec l’expression « il vous a écrit ». Il atteste l’existence
de l’épître de Paul aux Philippiens en ces termes : « Paul, qu’on vu de leurs
yeux ceux parmi vous qui vivaient alors, a enseigné avec discernement et
fermeté la parole de vérité ; il a aussi écrit des épîtres du lieu où vous vivez »
(ad Phil 3). Son épître contient de 40 à 50 citations du N. T. ou allusions à des
textes du N. T., et ceci peu de temps après la mort de Jean, le dernier survivant
des apôtres.
Le Martyre de Polycarpe, une lettre adressée par l’Église de Smyrne à toute la
chrétienté de l’époque, fait une allusion évidente à Apocalypse 1 :15. Ainsi,
l’Épître aux Philippiens de Polycarpe et le Martyre de Polycarpe citent
pratiquement tous les livres du N. T., se réfèrent à eux comme à des écrits qui
constituent la source et la norme de la doctrine chrétienne, rédigés par des
hommes divinement inspirés.
Ignace d’Antioche, martyrisé sous Trajan en 107, est l’auteur d’épîtres aux
Éphésiens, aux Magnésiens, aux Tralliens, aux Philadelphiens, aux Smyrniens,
aux Romains et à son ami Polycarpe. On y trouve une paraphrase de Luc 24 :39
(ad Smyrn. 3), des citations de Mt 3 :15 (ad Smyrn. 1, 1) et de Mt 10 :16 (ad
Polycarp. 2, 2). Il cite également 1 Corinthiens, 2 Corinthiens, Galates, Jean
Romains, Éphésiens, Philippiens, 1 Timothée, 2 Timothée et Tite, citations qui,
lorsqu’elles proviennent de l’apôtre Paul, sont introduites par la formule « il
vous rappelle ». On constate par ailleurs de nombreuses similitudes de langage
entre Ignace et l’évangéliste Jean ; on relève aussi une allusion évidente à Jean
3 : 8 dans (ad Phil. 7, 1). Comme le 4e évangile, il appelle le Christ « le Logos »,
« la Parole » (ad Magn. 8, 1).
Voilà pour les Pères Apostoliques, qui, s’ils n’ont pas tous connu
personnellement les apôtres, vécurent avec des hommes qui les côtoyèrent et
qui étaient ainsi parfaitement en mesure de témoigner de l’authenticité des
32
écrits apostoliques. Notons l’emploi de la formule , « comme il
est écrit », pour citer les apôtres (Barn. 4, 14), formule que les apôtres eux-
mêmes emploient régulièrement pour citer l’A. T., qui met donc les écrits des
apôtres au même Rang que les livres canoniques de L’A. T. Polycarpe, tout
comme 2 Pierre 3 : 15.16, range les épîtres de Paul parmi les « Écritures »
(), terme technique qui désigne dans le N. T. les livres canoniques de
l’A. T., et qui confère aux apôtres la même autorité qu’aux prophètes. Personne
ne doutait à l’époque du caractère inspiré de leurs œuvres littéraires.
Il ressort des témoignages que fournissent les Pères Apostoliques que, par
exemple, 1 Corinthiens était connu à Rome et à Corinthe vers l’an 96, à Philippe
et à Antioche vers l’an 110. 1 Thessaloniciens, 2 Thessaloniciens, Philippiens et
sans doute bon nombre d’autres épîtres, étaient utilisés dans les cultes à
Smyrne et à Philippe. Nous en avons la preuve. Éphésiens était connu à Philippe
et à Rome avant la fin du 1er siècle, ce qui ressort d’analogies évidentes entre
cette lettre de Paul et l’épître de Clément de Rome.
●
LA PREMIÈRE MOITIÉ DU DEUXIÈME SIÈCLE
C’est la période des Apologètes, c’est- à –dire des Pères de l’Église qui prennent
la défense de l’Église à la fois contre le paganisme, le judaïsme et les hérésies
qui s’infiltrent ici et là.
Justin Martyr (environ 100-167) est le plus grand d’entre eux. Ses œuvres sont
d’une importance capitale pour la connaissance du christianisme de l’époque.
Voici un certain nombre d’indices sur son attitude à l’égard des livres du N. T.
En l’an 135, il écrit que l’idéal de l’Église se réalise là où « la crainte de la Loi est
chantée, la grâce des prophètes est connue, la foi dans les évangiles se répand
et la tradition des apôtres est gardée » (Épître à Diognète, 11). « Loi,
prophètes, évangiles et apôtres » : c’est tout le canon de l’Écriture Sainte,
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
33
Ancien et Nouveau Testaments. Les apôtres et les évangélistes se situent au
même rang que Moïse et les prophètes !
Il écrit au sujet de la Sainte Cène : « Les apôtres, dans les mémoires qu’ils nous
ont transmis et qu’on appelle évangiles, nous ont retransmis ce qui leur avait
été prescrit » (Apologie 1, 66). « Le jour appelé du soleil (scil. le dimanche), il y
a une réunion de tous ceux qui habitent les villes ou la campagne; on y lit les
mémoires des apôtres et les écrits des prophètes » (Apologie 1, 67 ). Ce texte
affirme lui aussi l’identité d’autorité des apôtres et des prophètes. Les
« mémoires des apôtres » sont lus dans les cultes et acceptés comme Parole
inspirée du Seigneur.
Justin Martyr appelle couramment les évangiles les « mémoires des apôtres »
( - ) (Dialogue avec Tryphon 100, 101, 102-
107. Cf. Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Fanons, I/2, 469). Il
affirme que « les chrétiens que nous sommes croient en la voix de Dieu qui
parla jadis par les apôtres du Christ et qui nous a été prêchée par les
prophètes » (Dial. 119). On trouve chez lui de très nombreuses paraphrases de
Matthieu. D’autre part, il connaît et exploite abondamment Luc (grossesse
d’Élisabeth, identification de Jean-Baptiste avec Élie, annonce faite à Marie,
voyage de Joseph et de Marie à Bethléhem, naissance du Christ dans l’étable,
Dial. 49, 78, 84, 88, 100 ; Apol. I, 33. 34. 46). Il en va de même de l’évangile
de Marc qu’il appelle les « mémoires de Pierre » et de l’évangile de Jean. Il cite
1 Corinthiens 15 et y fait des allusions dans son ouvrage « Resurrectio », 10. Le
fait qu’il appelle Jésus le premier-né de Dieu, le premier-né des créatures, le
premier-né de toute la création (Apol. I, 46.53.58.63; Dial. 84.85.100.125.138)
indique qu’il connaît bien l’épître aux Colossiens. On relève aussi dans son
œuvre des allusions à Romains (Dial. 11, 23, 28, 41, 12, 14) et à Hébreux, en
rapport avec le Psaume 110 et le sacerdoce éternel du Christ (Dial. 19, 32, 33,
63, 83, 118, etc.). Ce qu’il dit de l’Antichrist prouve qu’il connaît 2
Thessaloniciens. Il ne cite pas le livre des Actes et n’y fait pas allusion. Mais
dans la mesure où à l’origine ce livre ne formait qu’un ouvrage avec l’évangile
de Luc, il est à peu près certain qu’il l’ait connu. De tous les livres du N. T.,
34
Actes, Jude, 2 Pierre, 2 et 3 Jean, 2 Corinthiens, 1 Thessaloniciens, 2 Timothée
et Philémon sont les seuls à n’avoir pas laissé de traces dans l’œuvre de Justin.
Justin Martyr est un partisan du Millénialisme qu’il croit pouvoir fonder sur
Apocalypse 20. Il s’ensuit qu’il connaissait le dernier livre du N. T. qu’il
considérait comme canonique.
Il ressort de son témoignage que les apôtres jouissaient dans la chrétienté de
l’époque de la même autorité que les prophètes. Pour les citer, Justin utilise la
même formule que pour les prophètes, , « il est écrit » (Dial 49, n.
17, 88, 100, 101, 103, 104, 105, 106, 111). Il est donc tout à fait évident que
les écrits du N. T., au moins ceux dont on trouve des traces dans l’œuvre de
Justin, avaient même rang dans l’Église de son temps que ceux des prophètes.
Par ailleurs, son œuvre ne prétend pas être complète au point de nous fournir
des citations de tous les livres du N. T. qu’il reconnaissait comme canoniques.
Passons maintenant à un hérétique, Marcion, né vers l’an 100. Il fut
excommunié par son propre père et répudié par Polycarpe. Il voulait libérer la
chrétienté du joug de l’Ancien Testament et de toute forme de judaïsme, et
épurer le Nouveau Testament de tous les éléments puisés dans l’Ancien
Testament. Il n’acceptait des quatre évangiles que celui de Luc dont il fit une
édition mutilée et falsifiée sous le titre « Euaggelion », publia l’Apostolikon »,
une présentation abrégée de dix épîtres de Paul dans l’ordre suivant : Galates, 1
et 2 Corinthiens, Romains, 1 et 2 Thessaloniciens, Laodicéens (qui correspond à
l’épître aux Éphésiens), Colossiens, Philippiens et Philémon, ordre qui se veut
sans doute chronologique. Enfin, il publia « Antithèses », une confrontation et
opposition de l’A. T. au N. T.
Irénée de Lyon écrit à son sujet : « Cette hérésie ne reçoit pas certaines
Écritures ; quant à celles qu’elle reçoit, elle les modifie par des adjonctions et
des mutilations ; elle ne les reçoit pas dans leur intégrité, et là où elle le fait,
elle les falsifie par de faux commentaires » (Adv. Haereses I, 17). Tertullien
reproche à Marcion de ne pas accepter les épîtres pastorales (Contra Marcionem
V, 21). Il l’accuse aussi d’avoir rayé de l’Évangile le texte où le Christ déclare
qu’il n’est pas venu pour abolir, mais pour accomplir la Loi (Contra Marcionem
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
35
IV, 7.12.36; V, 14). Cf. dans Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen
Kanos I/2, p. 704 s. la liste des textes de Luc que Marcion a supprimés ou
altérés.
L’œuvre de Marcion, si hérétique soit-elle, a son importance dans l’histoire du
canon. Premièrement elle fait état de l’évangile de Luc, quoique tronqué, et de
dix épîtres de Paul, ce qu’aucun des Pères de l’Église ne lui reproche.
Deuxièmement, l’attitude de ces Pères, leur réaction à la doctrine de Marcion
montre que l’Église chrétienne de l’époque ne le suivait pas, quand il rejetait par
exemple les épîtres pastorales et les trois évangiles. Bien au contraire, il souleva
une tempête de protestations véhémentes. Si Marcion n’avait pas existé, nous
n’aurions pas tous ces témoignages.
Basilidès, disciple de Ménandre, qui lui était disciple de Simon le Magicien, était
un hérétique gnostique. Il écrivit vers l’an 120 un commentaire de l’Évangile en
24 volumes et fut réfuté par Irénée, Hippolyte, Clément d’Alexandrie, Origène et
Eusèbe. Il y cite le N. T. comme « Écriture », introduisant ses citations avec le
mot « », « il est écrit », tout comme Justin. Il rejette les épîtres
pastorales. Il semble qu’il ait eu la même Bible que les Valentiniens, une des
sectes gnostiques dont nous parlerons encore, tout en citant davantage
d’apocryphes qu’eux.
Mentionnons pour mémoire Carpocrate, autre hérétique de cette époque, qui,
selon le témoignage d’Irénée (Adv. Haereses I, 25), utilisait Matthieu, Luc, 1 et
2 Timothée et 1 Jean.
Les Ébionites constituaient une secte qui niait la divinité du Christ et s’opposait
à Paul et à Luc, sans cependant nier l’authenticité de leurs écrits. Ils
possédaient un « Évangile selon les Ébionites » qui était une mutilation de
l’évangile selon St. Matthieu.
Les Valentiniens, secte gnostique qui eut pour fondateur Valentinus (+ vers
160), opéraient un mélange de spéculations orientales et grecques et d’idées
chrétiennes. Ils recouraient beaucoup à l’évangile de Jean (Irénée, Adv.
Haereses III, 11, 7). Ils citent également Matthieu, Marc et Luc. Irénée les
accuse d’avoir, en plus des quatre évangiles, rédigé un soi-disant « Évangile de
36
la Vérité » et de l’utiliser comme source de leur doctrine (Adv. Haereses I, 11,
9). Origène leur fait le même reproche (Contra Celsum II, 27). D’autre part, les
Valentiniens recourent souvent à Paul pour étayer leur doctrine particulière des
éons, surtout aux épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens qu’ils citent bien des
fois. Ils font également de nombreuses allusions à l’épître aux Hébreux, et Th.
Zahn estime qu’ils connaissaient et utilisaient 2 Pierre, Jacques et l’Apocalypse
(op. cit. p. 758 ss).
Tatien fut un autre hérétique, chef de la communauté des Encratistes, ascètes
qui alliaient les erreurs des Valentiniens à celles de Marcion. Il cite dans ses
écrits, notamment à son Adresse aux Grecs, les livres de Paul et de Jean, et y
fait des allusions évidentes à l’Apocalypse. Il eut la curieuse idée de faire une
synthèse des quatres évangiles qu’il publia sous le nom de « Diatessaron ». Elle
était destinée à remplacer les évangiles et fut longtemps en usage à l’époque.
Certains l’appelaient l’Évangile selon les Hébreux. Niant l’humanité du Christ et
la réalité de sa mort, Tatien avait supprimé les éléments des évangiles qui
attestaient ces doctrines, telles que les généalogies du Christ indiquant qu’il
descendait de David selon la chair.
Le Papyrus P 52 date du début du 2e siècle, selon certains spécialistes d’avant
120. Il contient un extrait de l’Évangile de Jean (Jean 18). Découvert en Egypte,
il atteste que le 4e évangile, rédigé à Éphèse, en Asie Mineure, parvint de très
bonne heure en Egypte.
La vieille Syriaque (SyrS) est une traduction en Syriaque des 4 évangiles,
préservés dans deux manuscrits présentant de grandes lacunes, un parchemin
et un palimpseste. La première date du 5e siècle, le second du 4e. Cependant, la
forme du texte remonte, selon l’avis de spécialistes, au milieu du 2e siècle, au
plus tard au début du 3e. Les Actes des apôtres et les épîtres du N. T. ne nous
sont pas parvenus dans la version de la Vieille Syriaque. Il en reste cependant
des traces sous forme de citations chez les Pères orientaux.
Ce n’est que vers la fin du 2e siècle qu’on appellera l’ensemble des écrits
apostoliques « Nouveau Testament ». Cet ensemble est cependant vers le milieu
du 2e siècle pratiquement identique à ce qu’il sera vers la fin du siècle, lu dans
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
37
les paroisses et revêtu d’une autorité incontestée. On peut y identifier avec
certitude un recueil constitué par les 4 évangiles canoniques réunis, un « corpus
paulinum », recueil des épîtres de Paul, y compris des Pastorales, les Actes des
Apôtres et l’Apocalypse attribuée à l’apôtre Jean. Selon Th. Zahn, la collection
des 4 évangiles et des 13 épîtres de Paul s’est faite au plus tard vers l’an 125,
sans doute avant l’an 120; les évangiles furent réunis entre 90 et 120, les
épîtres pauliniennes entre 70 et 120. Ajoutons que vers l’an 100, la paroisse de
Corinthe reçut une lettre de l’évêque de Clément de Rome qu’elle lut
régulièrement, en lui attribuant une grande autorité. Il se peut que Clément de
Rome fut aussi l’auteur intitulé le Pasteur d’Hermas, qui servit lui aussi, pendant
un certain temps, à la lecture publique. On trouva dans ces deux écrits des
traces de l’évangile de Jean, ce qui démontre que cet évangile fut rédigé avant
la fin du 1e siècle.
Il nous faut mentionner encore le témoignage de Papias, disciple, comme
Polycarpe, de l’apôtre Jean, en tout cas son ami. Ce témoignage est recueilli par
Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. III, 39). Selon Papias, Marc aurait appris par
cœur le témoignage de Pierre et l’aurait consigné par écrit, mais sans en
respecter l’ordre chronologique. Matthieu aurait écrit les oracles du Christ en
araméen ou en hébreu (« Matthieu rédigea les logia en langue hébraïque, et
chacun les traduisit selon qu’il en était capable », Eusèbe, Hist. Eccl. 111, 39,
15). S’agit-il d’un évangile complet ou d’une simple collection des logia, c’est-à-
dire des paroles du Christ ? Le mot « logia » peut désigner aussi bien une
collection de paroles qu’un récit incluant paroles et faits. Dans Rom 3 :2,
l’expression « les logia de Dieu » désigne l’A. T. tout entier, et dans Héb. 5 :12,
les faits et les enseignements du christianisme. On ne peut finalement trancher
la question. Mais une chose est certaine : l’évangile canonique de Matthieu, écrit
en grec, existait à l’époque de Papias. Dans les cinq écrits qui nous restent de
Papias sous forme de traces recueillies par Eusèbe, Papias prend la défense du
Millénialisme, qu’il a certainement tenté de fonder sur l’Apocalypse de Jean. Cf.
L. Gaussen, Le Canon des Saintes Écritures, I, p. 407 ss.
En dehors du recueil des évangiles et du « corpus paulinum », il n’existe pas de
traces d‘un recueil des autres écrits néotestamentaires. Cependant, il est prouvé
38
que la plupart de ces autres écrits étaient reconnus comme apostoliques et
répandus dans l’Église au début du 2e siècle. L’existence de l’Apocalypse et son
utilisation dans le culte sont très largement attestées à cette époque. Ce livre,
comme nous venons de le voir, servit du reste de couverture à tous ceux qui
professaient le millénialisme. L’Apocalypse était attribuée à Jean. De deux
choses l’une : ceux qui rejettent l’authenticité de l’Apocalypse doivent ou bien
faire des disciples de Jean des imposteurs, qui attribuèrent faussement à leur
Maître l’Apocalypse, le 4e évangile et 1, 2 et 3 Jean, et cela sans rencontrer la
moindre opposition dans l’Église, ou bien déclarer que ces hommes, bien
intentionnés, durent les victimes d’une imposture.
En ce qui concerne 1 Pierre, l’épître de Polycarpe de Smyrne aux Philippiens s’y
réfère constamment, en citant bien des tournures Cf. 1 Pi 1 :8.12.13.17 ; 2 ;17;
1 :21; 4 :5; 1 :9; 2 :11.22.24; 4;10; 5 :5, dans ad Phil. 1 :3 ; 2 :1; 2 :3; 5 :3;
8 :1). L’épître aux Corinthiens de Clément de Rome fait, elle aussi, de nombreux
emprunts à 1 Pierre (ad Cor. 36 :2 ; 59 :2, 38 :1; 30 :2). Le Pasteur d’Hermas
fait de même. Tout ceci atteste que 1 Pierre était connue à Rome à la fin du 1e
siècle.
2 Pierre était lue à l’époque postapostolique, même là où elle tomba par la suite
en oubli. Clément d’Alexandrie cite presque textuellement 2 Pi 3 :7.10.12 (ad
Cor 16 :3). Cette épître exerça aussi une influence manifeste sur le Pasteur
d’Hermas (Cf. Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, I/2, 430-
438).
Polycarpe cite presque textuellement Jude 4 et 20, dans son épître aux
Philippiens (ad Phil 3 :2).
Jacques a laissé des traces certaines dans le Pasteur d’Hermas (Jac 1 :5-
8.13.15 ss ;1 :1 ; 4 ;7.12, Pasteur d’Hermas, Sim. V, 4, 4; Mand. II, 3, V, 2,7 ;
XII,4). Deux fois Clément de Rome affirme qu’Abraham reçut le titre d’ami de
Dieu (Cor 10 :1 ;17 :2), titre que lui donne Jac 2 ;23. Par contre, les traces de
Jacques sont pratiquement inexistantes chez les Pères orientaux, peut-être
parce que la paroisse de Rome était beaucoup plus judéo-chrétienne que les
Églises du Moyen-Orient.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
39
Certains considéraient Clément de Rome comme l’auteur de l’épître aux
Hébreux, comme en témoignera plus tard Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. 111,
38, 2 ; VI, 25,14). Ignace d’Antioche et Polycarpe de Smyrne parlent du Christ
Souverain-Sacrificateur d’une façon si naturelle qu’on doit supposer que leurs
lecteurs connaissaient l’épître aux Hébreux (Cf. Th. Zahn, ½, 965). Très prisée à
Rome à qui elle était selon toute vraisemblance destinée, l’épître aux Hébreux
tomba par la suite dans l’oubli, du fait sans doute qu’elle n’avait pas été écrite
par un apôtre proprement dit. Dans l’Église alexandrine, on la considérait
comme paulinienne. Ailleurs, on la lisait, sans connaître le nom de son auteur.
Th. Zahn suppose qu’elle avait circulé en appendice au « corpus paulinum »,
tout comme les Actes circulèrent peut-être en appendice au recueil des 4
évangiles. Le fait que les épîtres dites catholiques ne sont pas attestées en bloc
par les Pères de l’époque est peut-être dû au fait qu’elles ne formaient pas de
recueil comme les évangiles et les lettres pauliniennes. Ce pourrait être là aussi
la raison d’une dissémination moins rapide et moins universelle.
L’apparition, vers le milieu du 2e siècle, d’évangile apocryphes, truffés de
légendes sur l’enfance et la jeunesse du Christ et spéculations gnostiques
attribuées au Christ ressuscité, rendait urgente l’identification des écrits
canoniques, c’est-à-dire émanant de la plume des apôtres et de certains de
leurs compagnons de travail. L’abondance d’ouvrages contenant des doctrines
contraires à la vérité éveilla le besoin de déterminer le fondement de l’Église,
l’ensemble des écrits inspirés aptes à la préserver de l’erreur. Face au
syncrétisme des gnostiques et à leur interprétation arbitraire des vérités
chrétiennes, il fallut déterminer avec clarté ce que Jésus avait enseigné et ce
que les apôtres avaient écrit, quels ouvrages étaient apostoliques, et donc
canoniques. Une hérésie qui surgira par la suite, le montanisme qui enseignait
que l’ère prophétique n’était pas encore parvenue à son terme, que les
prophéties nouvelles se situaient au même niveau que celles du Christ et des
apôtres, rendit, elle aussi, urgente la fixation du canon.
●
40
DU MILIEU À LA FIN DU DEUXIÈME SIÈCLE
La seconde moitié du deuxième siècle est l’époque où l’Église chrétienne connaît
une grande expansion. Le N. T. est traduit en de nombreuses langues ; les
théologiens manifestent leur activité en rédigeant des commentaires bibliques.
C’est durant ce demi-siècle que la Vetus Itala, l’ancienne traduction latine, vit le
jour. Tertullien en effet la cite dans ses œuvres. On pense aussi que la version
sahidique (dialecte copte du Sud de l’Égypte) pourrait dater de la fin de ce
siècle.
Mentionnons en passant les Acta Teclae dont la date de rédaction se situe entre
165 et 195. Il s’agit d’une composition poétique sur la vie de certains apôtres
provenant de la plume d’un presbytre asiatique. Les intentions de l’auteur
étaient bonnes, mais la rédaction de cet ouvrage l’obligea à se démettre de ses
fonctions dans l’Église. L’écrit présuppose une connaissance approfondie des
Actes des apôtres. Les allusions y sont nombreuses (Act 13 : 51; 4 :9; 23 :35;
24 :25; 4 :24-30; 1 :24). On y trouve aussi une allusion à 2 tite 3 :11 (Acta
declae, 1, 17, 5, 24), 1 Cor 7 :29 (A. T. 5), 1 Cor 7 :31; 6 :3 (A. T. 6).
Les Acta Joannis, Thomae et Andreae, œuvre d’un certain Leucius Charinus et
datant d’avant 160, contiennent de nombreuses citations de l’évangile de Jean,
ainsi que de Mt 6 :25 ; 19 :23; 6 :34; 6 :26; Luc 12 :24, etc.
Irénée de Lyon (+ 202) fut l’un des plus grands théologiens de l’époque. On
trouve dans son « Adversus Haereses (adv. haer.)» de nombreuses affirmations
relatives à l’autorité de l’Écriture Sainte, tant de l’A. T. que du N. T. Il y parle de
l’Évangile « que les apôtres ont d’abord annoncé, qu’ensuite par la volonté de
Dieu ils nous ont transmis par écrit, comme fondement et colonne de notre foi »
(« fundamentum et columnam fidei nostrae ») (III, 1).
Il présente Dieu comme « le seul et le même qui dans les Écritures a annoncé à
l’avance par les prophètes la venue de DIEU… et qui a proclamé par les apôtres
que la plénitude des temps était venue » (III, 21). Irénée parle de l’ « Évangile
aux quatre visages » ou « quadriforme » (). Pour lui, l’Évangile,
c’est-à-dire tout le N. T. , et les prophètes, c’est-à-dire tout l’A. T. , sont les
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
41
Écritures universelles (« universae scripturae ») (II, 27). Les citations littérales
du N. T. sont très nombreuses dans son ouvrage, par exemple Mt 13 :8; Mc
4 :8; Jn 14 :2; Mt 22 :2-14; 1 Cor 5 :6; Rom 1; Eph 5; 2 Th 1; 1 Cor 15 (V, 36,
2; IV, 27, 4; V, 20,2). Il range sur un pied d’égalité les évangélistes, les
apôtres, la Loi et les prophètes (1, 3, 6). Il présente Dieu comme « celui que la
Loi a annoncé, que les prophètes ont proclamé, que le Christ a révélé, que les
apôtres ont enseigné et que l’Église croit » (II, 30, 9). Il reproche aux
gnostiques d’enseigner ce que « ni les prophètes n’ont prêché, ni le Seigneur n’a
enseigné, ni les apôtres n’ont transmis » (I, 8, 1 ). Ou encore il parle des « voix
des prophètes, du Seigneur et des apôtres » (II, 2, 6), affirme que « ni les
prophètes, ni les apôtres, ni le Seigneur Christ n’ont confessé un autre Seigneur
ou Dieu » (III, 9, 1). Comme chez Clément d’Alexandrie et Tertullien, on trouve
chez Irénée les expressions « Ancien testament » et « Nouveau Testament »
(III, 12, 4; 17,2; IV, 4, 2; 9, 1-3; 11,3; 17,1.5; 33, 14; 34, 2-4; IV, 12, 3;
15,2; 36,6). Il dit de Jean : « Il nous a donné l’Évangile », de Luc : « Il a mis
par écrit l’Évangile prêché par Paul », de Marc : « Il a transmis par écrit les
choses prêchées par Pierre » et de Matthieu : « Il a donné un écrit de
l’Évangile » (III, 1, 10). Il introduit les citations des évangiles de la façon
suivante : « Le Seigneur dit dans l’Évangile » (III, 23, 3), « La Parole de Dieu
(scil. le Christ), qui était annoncé dans la Loi (scil. l’A. T.), dit dans l’Évangile »
(V, 22, 1). Il fait quatre allusions à Jacques dans Adv. Haer. IV, 16, cite 2 Pi
3 :8 dans Adv. Haer. V, 23, 28, mentionne qu’une erreur intentionnelle a été
introduite dans le texte d’Apoc 13 :18 (changement du nombre 666 en 616),
parle de l’épître de Jean au singulier, comme s’il n’en existait qu’une (II, 15, 5),
mais cite aussi 2 Jn 11 comme une parole de l’apôtre Jean (I, 16, 3), de même
que 2 Jn 7.8 (III, 15, 8). Il cite donc alternativement 1 et 2 Jn, sans mentionner
qu’il s’agit d’épîtres différents. L’Adversus Haereses, écrit en 185, cite 35 fois
l’Apocalypse et mentionne en passant des adversaires du 4e évangile. Pour
Irénée, les écrits apostoliques sont la règle ou le canon de la vérité
( III, 11; IV, 35.69).
En 1738, un antiquaire du nom de Muratori découvrit bans la bibliothèque
Ambroisienne de Milan un très ancien manuscrit latin, dans lequel figure ce
42
qu’on appelle aujourd’hui le Canon de Muratori, c’est-à-dire une liste de livres
canoniques du N. T. Ce manuscrit, qui nous est conservé dans un très mauvais
état, remonte aux années 170 à 180. C’est donc pour notre étude un document
très digne d’attention. Cf. L. Gaussen, Le Canon des Saintes Écritures, I, 254 ss,
E. Reuss, Heilige Schriften des Neuen Testaments, p. 304. Le texte, en raison
de la mauvaise conservation du manuscrit, est incomplet. C’est ainsi qu’il
commence au milieu d’une phrase, en parlant de Luc comme du troisième
évangéliste. Il s’ensuit que le début de la phrase parlait de Matthieu et de Marc,
auteurs des deux premiers évangiles :
« L’évangile selon Luc est le troisième. Ce Luc est le médecin… (sans
doute : » qui se convertit ») après l’ascension du Christ. Le quatrième
évangile est celui de Jean, l’un des disciples… Dans la variété même des
enseignements de chacun des évangiles, il n’y a point de différence quant
à la foi des croyants (« nihil tamen differt credentium fidei »), puisque
dans tous, par un seul et même Esprit souverain (« cum uno et principali
Spiritu ») toutes choses sont déclarées touchant la nativité du Seigneur,
sa passion, sa résurrection, ses entretiens avec ses disciples et son
double avènement : le premier, déjà passé, dans l’humiliation; le second,
encore à venir, dans l’éclat de sa puissance royale…Jean se dit non
seulement le spectateur et l’auditeur, mais aussi le narrateur de toutes
les merveilles du Seigneur, puisqu’il déclare les mêmes choses dans ses
épîtres (« singula etiam in epistolis suis proferat ») et puisqu’il dit, en
parlant de lui-même : les choses que nous avons vues de nos yeux, que
nous avons entendues de nos oreilles et que nos mains ont touchées,
c’est ce que nous avons écrit…Les Actes de tous les apôtres ont été écrits
en un seul livre par Luc, qui s’adresse à l’excellent Théophile, lui récitant
les choses passées en sa présence et pour cette raison ne rapportant ni
le martyre de Pierre ni le voyage de Paul en Espagne… les épîtres de Paul
déclarent à ceux qui veulent le comprendre de quel lieu et pour quelles
raisons elles ont été écrites. Paul adresse ses lettres à sept Églises, ayant
doublé celles qu’il écrit aux Corinthiens et aux Thessaloniciens (suit
l’énumération des épîtres paroissiales de Paul, au grand complet).
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
43
Cependant il faut reconnaître qu’il n’y a qu’une seule Église répandue sur
tout le globe de la terre, et c’est pour cela que Jean dans l’Apocalypse,
bien qu’il écrive aussi à sept Églises, s’adresse cependant à toutes. Mais,
outre ces lettres aux sept Églises, Paul en écrit une à Philémon, une à
Tite et deux à Timothée ».
Parvenu à ce point, le fragment de Muratori nomme quelques livres
inauthentiques :
« On parle aussi d’une épître aux Laodicéens et d’une autre aux
Alexandrins, inventées sous le nom de Paul pour servir à l’hérésie de
Marcion, et beaucoup d’autres qui ne peuvent être reçues dans l’Église
catholique, car il ne convient pas de mêler le fiel avec le miel. L’épître de
Jude cependant et deux épîtres de Jean dont nous avons parlé plus haut
sont reçues au nombre des épîtres catholiques… Nous recevons
seulement les apocalypses de Jean et de Pierre, et quelques-uns des
nôtres ne veulent pas que cette dernière soit lue dans l’Église…Hermas a
écrit de nos jours dans Rome « le Pasteur », pendant que Pie son frère
occupait le siège de l’Église de Rome. Il faut le lire, mais ilne peut être
publié au peuple de l’Église, ni parmi les prophètes dont le nombre est
complet, ni parmi les apôtres jusqu’à la fin des temps ».
Rappelons le caractère fragmentaire de cet très important texte, et signalons
aussi que la phrase qui mentionne les apocalypses de Jean et de Pierre est
corrompue et qu’elle fait l’objet de controverses entre les spécialistes. Th. Zahn
en propose la lecture suivante, sensiblement différente : « Nous recevons
l’apocalypse de Jean et une seule épître de Pierre. Il en une deuxième, et
quelques-uns des nôtres ne veulent pas que cette dernière soit lue dans
l’Église ».
Nous constatons l’absence, dans cette énumération des livres canoniques de la
seconde moitié du deuxième siècle, de 2 Pierre, Jacques, Hébreux et 3 Jean, à
quoi il faut ajouter, si on ne retient pas la lecture de Th. Zahn, 1 Pierre. Mais
rappelons encore une fois que ce texte est incomplet.
44
Méliton de Sardes, théologien de la deuxième moitié de ce siècle, est l’auteur
d’un commentaire sur l’Apocalypse.
Athënagoras (+177) cite dans ses œuvres des textes de 1 Corinthiens et du
Sermon sur la Montagne ; on y trouve aussi des réminiscences de Romains,
Galates et 1 Timothée (De Resurrectionne, 18 ; Legat., 13, 16, 37).
La Lettre des paroisses de Vienne et de Lyon, datée de 177 et racontant la
terrible persécution qui s’abattit sur l’Église de cette province, contient des
allusions évidentes à Romains, Philippiens, 1 Timothée, 2 Timothée, 1 Pierre,
Actes, Jean et l’Apocalypse (Cf. Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. V, 1).
Théophile, convertit du paganisme par l’étude de l’Écriture Sainte et ordonné
évêque d’Antioche vers l’an 170, écrivit une apologie de la foi chrétienne sous la
forme d’une lettre adressée à son ami Autolycus. Il y situe les apôtres aux
mêmes niveaux que les prophètes, « parce que tous les porteurs de l’Esprit ont
parlé par l’unique Esprit de Dieu
ad autolycum
3, 11 s )
Tertullien ( + 223 ), avec Irénée, le plus grand théologien de l’Église occidentale
de l’époque, écrivit un important traité contre l’hérétique Marcion, dans lequel il
affirme : « Bref, si l’on admet que le plus ancien est le plus vrai, et que le plus
ancien est ce qui existe depuis le commencement, et que ce qui existe depuis le
commencement provient des apôtres, ils est manifeste aussi que ce qui a été
transmis par les apôtres est ce qui a été sacrosaint pour les Églises
apostoliques » (Contra Marcionem, IV, 5 ). Tertullien se dresse contre Marcion
qui n’accepte comme évangile canonique que celui de Luc (IV, 5). Soixante-dix
fois il cite l’Apocalypse de Jean et défend sa canonicité contre Marcion. Dans un
de ses autres ouvrages, il fait des allusions à l’épître de Jacques (De Orat. VIII,
adv. Jud. 2). Il appelle les écrits des apôtres « instrument divin » (« divinum
instrumentum ») (Contra Marcionem V, 13), le « digeste sacré » (op. cit., IV,
13), et emploi pour désigner tout le canon du N. T. l’expression « les Évangiles
et les Apôtres » (De graec. Script. 36 ; Apol. 39). Il doute de la canonicité
d’Hébreux qu’il attribue à Barnabas (De Pudicita, 20), mais affirme celle de
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
45
Jude, considérant son auteur à tort comme un apôtre (De Cultu Feminarum I,
3).
Clément d’Alexandrie (+entre 212 et 220) cite Matthieu, Marc et Luc dans sa
« Prédication » (2, 4 ; 6, 1; 13, 4; 3, 2; 9, 10; 4, 2; 8, 5), Matthieu, Marc, Luc
Jean, les Actes des Apôtres, les 13 épîtres de Paul, 1 Pierre, 1 et 2 Jean,
Hébreux, Jude et l’Apocalypse dans les Stromates. Il parle de la symphonie
ecclésiastique () que constituent ensemble « la Loi et les
prophètes, les apôtres et « l’Évangile » (Stromates VI, 88), déclare que la Loi et
les prophètes, ensemble avec l’Évangile, conduisent au nom du Christ à une
seule connaissance » (Stromates III, 455). A propos d’un texte cité par Cassius,
il affirme qu’il ne figure pas dans les quatre évangiles canoniques, mais dans
celui, apocryphe, dit évangile selon les Égyptiens (Stromates III, 93). Son
œuvre monumentale est un commentaire en sept volumes de tous les livres du
N. T., y compris Jude et les autres épîtres catholiques, ainsi du reste que l’épître
de Barnabas et l’Apocalypse de Pierre, ce qui ne signifie pas ipso facto qu’il
considérait ces deux derniers livres comme canoniques. Il écrit à propos de l’A.
T. et du N. T. : « Ces deux Testaments, qui sont deux quant au nom et quant au
temps, ayant été donnés par une sage économie selon l’âge et selon la
convenance, ne sont qu’un quant à leur vertu. Les deux, l’A. T. et le N. T., nous
ont été procurés de la même façon, au moyen du Fils, par un seul et même
Dieu » (Stromates II, 5.6). « Nous avons pour principe de la doctrine le
Seigneur lui-même, qui nous conduit en diverses mesures et de diverses
manières du commencement à la fin de la connaissance, soit par le moyen des
prophètes, soit par le moyen de l’Évangile, soit par le moyen des
bienheureux apôtres » (Stromates VII). Ces écrits lui sont canoniques, parce
que « divinement inspirés » (Stromates VII). Clément d’Alexandrie partage
l’opinion erronée de son époque, selon laquelle Paul serait l’auteur de l’épître
aux Hébreux : « L’épître aux Hébreux est l’ouvrage de Paul. Il la composa lui-
même en hébreux, et Saint Luc le traduisit en grec. De là cette ressemblance de
son style avec celui des Actes. Et si Paul ne mit en tête de sa lettre ni son nom
de Paul ni son titre d’apôtre, ce fut pour une bonne raison. Il s’adressait à des
hommes très prévenus conte lui ; il devait donc par prudence s’abstenir de s’y
46
nommer, pour ne dissuader aucun d’eux d’en entreprendre la lecture. D’ailleurs,
et c’est ce que disait le bienheureux ancien (N. B. : on a pensé que Clément se
réfère ici à Pantène), considérant que notre Seigneur, en tant qu’apôtre ou
envoyé du Très- Haut, a été envoyé spécialement au peuple Hébreux, et que
l’épître aux Hébreux a été la seule dans le N. T. à l’employer du nom d’apôtre
(Héb 3 :1), il convenait que Paul s’abstînt de se donner dans sa lettre le titre
d’apôtre aux Hébreux, soit par modestie, soit par révérence envers le Seigneur,
soit parce qu’il était tout simplement lui-même l’apôtre des Gentils » (Cf.
Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. VI, 14). Les auteurs des livres du N. T. sont à la
fois (porteurs de Dieu » et « portés par Dieu » (
Stromates VII, 82). Tous les livres de la Bible, y compris ceux du N. T., sont
« Écritures prophétiques », « prophétie du Seigneur », « prophéties »
( Stromates VII, 96. 101;
VI, 126). Ce sont les « écrits énoncés pour le salut par le Saint-Esprit »
(Stromates VI, 126).
Un écrivain anonyme d’Asie Mineure affirme en 193 qu’il a hésité a publié un
ouvrage contre la secte des Montanistes, pour ne pas donner l’impression
d’ajouter quelque chose aux livres du N. T. (Cf. Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. ,
in Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, I/1, p. 112). Quant à
Tertullien, il fait appel à Apoc 22 :18.19 : « Je le déclare à quiconque entend les
paroles de la prophétie de ce livre : Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le
frappera des fléaux décrits dans ce livre. Et si quelqu’un retranche quelque
chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de
l’arbre de la vie et de la ville sainte », pour menacer l’hérétique qui modifie le
canon biblique (Contra Hermog., 22). L’anagnose, c’est-à-dire la lecture
publique, de tel ou tel livre apocryphe dans l’un ou l’autre secteur géographique
de l’Église, n’en faisant pas encore un livre canonique (Th. Zahn, op. cit., 1/I,
122-150).
Si nous procédons à une synthèse de notre survol de cette époque, nous
constatons que le corpus paulinien était partout le même vers l’an 200, à
l’exception de l’épître aux Hébreux que certains considèrent comme paulinien,
tandis que d’autres doutent de sa canonicité. Marcion et quelques autres
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
47
hérétiques rejetaient les épîtres pastorales, mais l’Église elle-même leur a
toujours reconnu la même autorité qu’aux autres lettres de Paul. Le canon de
Muratori rejette comme non authentique l’épître aux Laodicéens. Certains ont
pensé de la lettre mentionnée dans Col. 4 :16. En fait, c’est une lamentable
compilation d’affirmations pauliniennes pour suppléer à l’épître disparue de Col
4 :16. Rédigée à l’origine en grec, nous n’avons d’elle qu’une traduction latine
datant du 2e ou du 3e siècle. Malgré l’estime que lui vouaient certains, elle ne fut
jamais reçue dans le canon. Il n’y a rien de particulier à signaler au sujet des
quatres évangiles. Aucun d’eux ne fut jamais contesté. Il en va de même des
Actes des Apôtres, reconnu par tous comme le deuxième ouvrage de
l’évangéliste Luc. Il existait certains actes apostoliques apocryphes, mais qui ne
furent ni lus dans les assemblées, ni jamais considérés comme canoniques.
L’Apocalypse de Jean est universellement reconnue à cette époque. La lettre des
paroisses de Vienne et de Lyon, Irénée, Hippolyte la citent. De même Tertullien,
qui reproche à Marcion de la rejeter, ainsi que les autres écrits johanniques.
L’Église orientale l’accepte elle aussi, sans la moindre hésitation (Théophile
d’Antioche, Sérapion, Clément d’Alexandrie). La première épître de Pierre est
universellement reconnue. Il existe par contre des doutes quant à sa deuxième
épître (Origène 1Didyme d’Alexandrie, Cf. Eusèbe, Hist. Eccl. VI, 25, 8). Il est
possible que Tertullien, Cyprien et d’autres théologiens africains ne l’aient même
pas connue (Th. Zahn, I/1 , 314 s ). Par contre Théophile d’Antioche, Firmilien
et Méthodius d’Olympe l’utilisent. Les doutes quant à cette épître provenaient
sans doute de ce que Pierre l’écrivit la veille de sa mort et qu’il ne vivait plus,
quand elle parvint à ces destinataires en Asie Mineure. Ainsi, il ne peut veiller
lui-même à ce qu’elle soit acceptée et lue (L. Gaussen, Le canon des Saintes
Écritures I, p. 500ss ) L’Apocalypse de Pierre par contre n’a jamais fait partie du
canon. Si l’Église chrétienne en Palestine l’estima un certain temps, l’occident,
par contre, ne lui accorda jamais de crédit. L’épître de Jacques est reconnue
unanimement par toute l’Église orientale et à Alexandrie (Clément d’Alexandrie,
Origène). Par contre elle ne paraît pas figurer dans le canon de l’Église
occidentale : Irénée, Hyppolyte, Tertullien et Cyprien l’ignorent, et elle est
absente du fragment de Muratori. Notons toutefois qu’Irénée appelle Abraham
48
l’ami de Dieu, ce qui présuppose la connaissance de Jac 2 :23. Les difficultés
que l’Église occidentale a eues avec Jacques provenaient des doutes quant à son
auteur : quel Jacques avait écrit cette épître ? Et s’il n’était pas apôtre, son
épître est-elle inspirée ? A cela il faut ajouter l’apparence contradiction entre
Paul et Jacques sur la justification ; mais cette contradiction n’est qu’apparente
et ne justifie pas en soi de doute concernant sa canonicité.
L’occident compte 13 épîtres pauliniennes, tandis qu’Alexandrie fait état de 14.
C’est qu’on y considérait l’épître aux Hébreux comme une œuvre de l’apôtre des
païens (Pantène, Clément d’Alexandrie). Origène l’attribuait à Clément de Rome.
L’Église africaine, par contre, douta de sa canonicité, et cela jusqu’aux dernières
années du 4e siècle. Irénée, Tertullien et d’autres, tout en ne la considérant pas
comme canonique, l’aimaient et la citaient volontiers. L’épître de Jude, au
contenu très semblable à 2 Pierre, était plus répandue et moins contestée que
celle-ci. On l’accepta comme canonique dans les Églises d’Alexandrie, de Rome
et de Carthage, au début du 3e siècle, mais elle ne laissait pas de traces dans la
littérature de l’Église grecque. La brièveté de cette lettre en est peut-être une
explication. Il semble enfin que 2 et 3 Jean étaient connues et acceptées
partout, ensemble avec la première épître du même apôtre. Mais en raison de
leur contenu, moins approprié à la lecture publique, on leur accorda sans
doute moins d’importance, d’où le peu de traces qu’elles ont laissées dans la
littérature de l’époque.
Il existait donc à la fin du 2e siècle un N. T. dont l’autorité était identique à celle
de l’A. T. Le consensus est unanime à propos des 4 évangiles, des 13 épîtres de
Paul, du livre des Actes, de 1 Pierre, 1 Jean, Apocalypse, et sans doute aussi de
Jude. A partir de là nous constatons des divergences. Hébreux est considéré
comme canonique, et même comme paulinienne à Alexandrie, mais n’est pas
reçue en occident, qui cependant la connaît et l’estime. L’occident ne
reconnaissait pas non plus Jacques. La deuxième épître de Pierre était peu
répandue et fut mise en cause par certains. Le Pasteur d’Hermas, par contre,
était lu en public, ce qui ne prouve pas sa canonicité. On le retira du culte à
Rome et à Carthage, au début du 3e siècle. Il fallut plus de temps en orient,
pour qu’on s’y décide. Ceci est vrai aussi pour l’épître de Barnabas, la Didachè
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
49
des Apôtres, la 1e épître de Clément de Rome et l’Apocalypse de Pierre à
Alexandrie.
Les théologiens du 19e siècle ont affirmé généralement que le canon du N. T. ne
se constitua qu’après le milieu du 2e siècle, vers l’an 170, pour protéger l’Église
contre la gnose et le montanisme. Si c’était vrai, il faudrait prouver que Marcion
n’avait pas devant lui, vers l’an 140-150, un canon bien délimité. D’autre part,
si, comme on l’affirme souvent, la naissance du canon du N. T. doit être
considérée comme un acte, le résultat d’une décision de l’Église, il faudrait
montrer quelle autorité ecclésiastique l’a fait à une époque où il n’y avait encore
ni conciles, ni synodes. L’histoire du 2e siècle ne porte aucune trace d’une action
d’envergure, nécessairement accompagnée de controverses, dont le résultat
aurait été l’établissement définitif et valable pour toutes les Églises de la
chrétienté du canon du N. T. On ne peut pas davantage affirmer que des actions
parallèles furent menées par les différentes ailes géographiques de la
chrétienté. Cf. Th. Zahn, Geschichte des neutestamentlichen Kanos, 1/I, 435 ss.
D’autre part, si l’Église du 2e siècle ou des personnalités de cette Église avaient
constitué le canon du N. T. à cette époque, on aurait sans doute procédé à une
recension de son texte, pour aboutir à un texte uniforme. Or il n’en est rien,
comme le montrent par exemple les fins différentes de Marc et l’interpolation de
Luc 14 : 7-10 après Mt 20 :28. Th. Zahn écrit : « l’hypothèse d’une recension
du texte faite par l’Église catholique dans la seconde partie du deuxième siècle,
recension qui aurait coïncidé avec l’établissement du canon, est un fantôme qui
disparaît dans le brouiilard devant toute étendue consciencieuse de la réalité qui
est encore toujours tangible » (op. cit., 1/I, 455). Non, l’Église du second siècle
n’a pas créé de canon, mais l’a reçu du passé !
Il nous reste, pour terminer ce tour d’horizon du 2e siècle, à parler d’un
mouvement dont nous ne possédons que des renseignements très incomplets. Il
s’agit de la secte des Alogiens ou Aloges, qui exercèrent leur activité aux
alentours de l’an 160. C’est Épiphane qui leur donne ce nom (De Haeres. 51,
54, 3), par une sorte de jeu de mots, à la fois parce qu’il trouve leur doctrine
déraisonnable (« illogique ») et parce qu’ils repoussaient la doctrine du Logos,
c’est-à-dire de l’incarnation du Fils de Dieu. Se fondant sur les trois premiers
50
évangiles, ils contestèrent l’autorité de celui de Jean, qu’ils attribuèrent à
l’hérétique Cérinthe. Ils estimaient que le concept christologique du Logos (le
titre de « Parole » attribué au Christ dans Jean 1) était empreint de
gnosticisme. En même temps ils rejetaient, et à juste titre, la doctrine du
millénium que certains fondaient à tort sur Apoc 20. D’où leur méfiance pour le
dernier livre du N. T. Cf. Eusèbe de Césarée, Hist. Eccl. V, 28. Ils s’en prirent
donc à tous les écrits de l’apôtre Jean qui étaient considérés par l’Église comme
canoniques. Cette controverse montre à l‘évidence que l’Église avait reçu ces
écrits des mains de l’apôtre. Si, comme l’ont affirmé tant de critiques, ils avaient
été rédigés après la mort de l’apôtre et avaient été faussement attribués à ce
dernier, les Aloges n’auraient pas eu de difficultés à obtenir leur répudiation. La
désapprobation à laquelle ils se heurtèrent de la part de l’Église monte à quel
point la canonicité des livres johanniques était assurée. Le mouvement des
Alogiens disparut du reste aussi rapidement qu’il était né, sans laisser de traces
dans l’Église. Par contre, il trouva des héritiers spirituels chez ceux qui plus tard
élevèrent à nouveau de doutes concernant l’Apocalypse.
●
LE CANON DU N.T. AU TROISIÈME SIÈCLE
Ce siècle est marqué par l’autorité d’Origène, un génie en son genre, mais dont
la théologie est loin d’être exemple d’erreur. Il naquit à Alexandrie en 185 et
mourut en Syrie en 254. En plus de son œuvre monumentale, les Hexaples
(édition en six colonnes de l’A. T. en hébreu et en grec), il rédigea des
commentaires et des homélies sur la plupart des livres du N. T., et rien que sur
eux, ce qui est significatif. Il affirme se conformer dans son attitude face au
canon à l’Église de son temps (Hom. In Lucam, 1), et déclare à propos de
l’épître aux Hébreux : « Dieu sait qui a écrit cette lettre » (Épist. Ad Afric. c. 9).
Il la cite d’ailleurs beaucoup, sans toutefois l’attribuer à Paul, comme on le
faisait à Alexandrie. En Occident, par contre, on la conteste (Cajus, in Eusèbe,
Hist. Eccl. VI, 20 ; Jérôme, De Virus Illustribus, 59) ; en tout cas, on ne la
considère pas comme paulinienne. Cajus attribue l’Apocalypse à l’hérétique
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
51
Cérinthe et accuse celui-ci de vouloir tromper le monde « par une apocalypse
soi-disant écrite par le grand apôtre » (in Eusèbe, Hist. Eccl. 111, 28).
Hippolyte, quant à lui, écrit une apologie « sur l’évangile et l’apocalypse de
Jean ». Cyprien est, lui aussi, convaincu de l’authenticité johannique de
l’Apocalypse ; de même Lactance. Dans la deuxième moitié de ce siècle, Denis
d’Alexandrie nia non pas l’inspiration et la canonicité de l’Apocalypse, mais son
apostolicité. Ce faisant, il ne put avancer aucun argument historique en faveur
de sa thèse. Ses objections étaient d’ordre uniquement littéraire. Il précise
d’ailleurs qu’il n’ose pas rejeter ce livre, « tant de frères y étant vivement
attachés » (in Eusèbe, Hist. Eccl. VII, 20. 22. 25. 26; VI, 45.46) Origène et
Cyprien, par contre, reconnaissent non seulement la canonicité, mais aussi
l’apostolicité du denier livre du N. T. Cf. Gaussen, le canon des Saintes
Écritures, I, 418 s.
Nous possédons trois catalogues du 3e siècle, deux d’Origène et un d’Eusèbe.
Origène :
« Quand notre Seigneur Jésus-Christ est arrivé, il a fait marcher ses
apôtres comme sacrificateurs, portant les trompettes de la magnifique et
céleste prédication. C’est d’abord Matthieu, qui, le premier, dans cet
évangile, a fait retentir le clairon sacerdotal. Puis Marc, puis Luc, puis
Jean ont fait sonner aussi chacun leur trompette. Puis Pierre après eux
éclate des deux trompettes de ses épîtres. Puis aussi Jacques, ainsi que
Jude. Puis, malgré ses premiers éclats, Jean vient en faire entendre
d’autres encore par ses épîtres et par l’Apocalypse, comme aussi Luc,
quand il écrit les Actes des Apôtres. Enfin vient à son tour celui qui
disait : « Je pense que Dieu nous a produits, nous, les derniers apôtres »
(1 Cor 4 :8). Et quand il a fait retentir comme un tonnerre ses quatorze
épîtres, il a renversé jusqu’en leurs fondements les murs de Jéricho »
(Homélie 8, sur le livre de Josué).
Voici un deuxième catalogue qu’Eusèbe certifie avoir tiré des œuvres d’Origène :
Origène, fidèle au canon ecclésiastique, atteste qu’il n’y a que quatre
évangiles, en disant : « Voici ce que j’ai appris de la tradition les quatre
52
évangiles, lesquels aussi sont les seuls universellement reçus sans
contradiction dans l’Église de Dieu qui est sous les cieux ». Puis, après
avoir parlé de ces évangiles, il a soin, bien qu’il se montre encore attaché
lui-même comme précédemment à la canonicité des autres livres du N. T.
, de distinguer la première épître de Pierre comme incontestée
homologoumène ) d’avec la seconde, « au sujet de
laquelle, dit-il, d’autres ont des doutes ». Il a soin également de dire des
deux petites épîtres de Jean, que, tous ne les tiennent pas pour
légitimes »… Il a aussi écrit l’Apocalypse… Voici ce qu’il pense de l’épître
aux Hébreux dans ses homélies sur ce livre : « Le style de l’épître aux
Hébreux ne contient aucune trace des maladresses littéraires de l’apôtre
qui pourtant admet qu’il est maladroit dans son expression ou son style.
Mais la lettre est, compte tenu de sa syntaxe, écrite en bon grec, comme
tout homme versé en la matière peut s’en rendre compte. Par ailleurs, les
pensées de cette épître sont remarquables et ne le cèdent en rien aux
écrits de l’apôtre. Quiconque les a lus avec soin est obligé d’en
convenir ». Un peu plus loin li écrit : « Si je puis donner mon avis, je dirai
que les pensées sont de l’apôtre, mais l’expression et la syntaxe d’un
autre qui a retransmis les discours de son maître. Si donc une Église
considère cette épître comme paulinienne, il ne faut pas lui en tenir
rigueur. En effet, ce n’est pas sans raison que nos pères ont laissé
entendre qu’elle était de Paul. Mais Dieu seul sait qui l’a écrite. Selon une
information qui est parvenue jusqu’à nous, elle aurait été écrite par
Clément, évêque de Rome ; selon d’autres, par Luc, l’auteur de l’évangile
et des Actes des Apôtres » (Hist. Eccl. VI,26).
Eusèbe de Césarée (+340) :
Eusèbe subdivise le canon du N.T. en « homologoumènes » et
« antilégomènes ». Il définit les homologoumènes comme étant « les Écritures
universellement, absolument et constamment reconnues dès le commencement
comme divines, par toutes les Églises et par tous les ecclésiastiques ». Les
antilégomènes sont les livres qui, « bien que reconnus par le grand nombre
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
53
( ), « bien que reconnus aussi par le plus grand nombre des
écrivains ecclésiastiques (ne l’étaient
cependant pas par toutes les Églises et tous les écrivains, ou ne l’étaient
qu’avec certaines réserves. Le chapitre dans lequel Eusèbe examine cette
question a pour titre : « Des divines Écritures homologoumènes et de celles qui
ne le sont pas ». Il y écrit :
« Il est convenable qu’arrivés jusque-là, nous récapitulions les Écritures
du Nouveau Testament que nous avons déjà fait connaître. Or, il faut
ranger à la première place le saint quadrige des évangiles, lesquels sont
suivis de l’écrit des Actes des Apôtres. Après cet écrit, il faut qu’on
inscrive au catalogue les épîtres de Paul ; puis celle de Jean qu’on donne
pour la première, et il faut pareillement qu’on ratifie aussi l’épître de
Pierre. Avec ces livres, il faut ranger, si l’on veut, l’Apocalypse de Jean,
sur laquelle nous exposerons à l’occasion notre façon de penser. Ce sont
là les livres incontestablement authentiques. Parmi les livres dont
l’origine divine est incertaine, mais qui sont cependant connus de
beaucoup, figurent les épîtres de Jacques et de Jude, la deuxième de
Pierre ainsi que la seconde ou la troisième de Jean, qu’elles soient de
l’évangéliste ou d’un autre du même nom. Il faut considérer comme non
authentiques les Actes de Paul, le Pasteur d’Hermas, l’Apocalypse de
Pierre, et en plus l’épître de Barnabé et la Didachè des Apôtres. Enfin,
comme je l’ai déjà dit, si l’on veut bien, l’Apocalypse de Jean qu’une
minorité rejette, mais que d’autres mettent au rang des
homologoumènes » (Hist. Eccl. 111, 25).
Ailleurs, Eusèbe parle des 14 épîtres de Paul (Hist. Eccl. III, 3), et considère
donc l’épître aux Hébreux comme paulinienne, tout en précisant que certaines
() la rejettent et qu’elle est contestée par l’Église de Rome qui nie son
apostolicité paulinienne.
Résumons-nous, pendant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, Hébreux
et l’Apocalypse de Jean étaient universellement reconnus et contestées par
personne. Athanase, de 26 ans plus jeune qu’Eusèbe, recevait notre canon
54
actuel sans aucune réticence. La controverse au sujet de ces deux livres surgit
donc peu de temps avant Eusèbe, et s’apaisa peu de temps après lui.
Signalons que nous possédons dans les Papyri Chester Beatty 45, 46 et 47, qui
datent tous les trois de cette époque (3e siècle), des témoins d’un recueil
presque complet du canon du N. T. Le Papyrus 45 contient les évangiles et les
Actes, le 46 les épîtres aux Romains, aux Corinthiens, aux Galates, aux
Éphésiens, aux Philippiens, 1 Thessaloniciens et Hébreux ; enfin, le 47 contient
les chapitres 9 à 17 de l’Apocalypse.
●
LE CANON DU N.T. AU QUATRIÈME SIÈCLE
C’est l’époque de la fixation définitive du canon. Les doutes et les hésitations
concernant les antilégomènes s’effacent. Les deux ailes e la chrétienté, l’Église
orientale et l’Église occidentale se rejoignent dans une commune acceptation de
ce qui constitue depuis cette époque l’actuel canon du N. T.
L’ÉGLISE ORIENTALE :
Elle nous a légué durant le 4e siècle six catalogues de Pères et un catalogue de
concile.
Cyrille :
« Apprends donc de l’Église, avec un désir de t’instruire, quels sont les
livres de l’A. T. et quels sont ceux du N. T., et ne me lis rien des
apocryphes. Lis les divines Écritures, les 22 livres de l’A. T., mais n’aie
rien de commun avec les apocryphes. Et quant au N. T., lis les quatres
évangiles, tous les autres étant faux et pernicieux. Mais reçois aussi les
Actes des douze apôtres, les sept épîtres catholiques de Jacques, Pierre,
Jean et Jude ; et enfin, comme un sceau mis sur tous les disciples, lis les
quatorze épîtres de Paul » (4e Catéchèse).
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
55
Grégoire de Nazianze :
« J’ai donné les 22 livres de l’A. T. correspondant aux lettres des
Hébreux. Puis Matthieu a écrit pour les Hébreux les merveilles du Christ ;
Marc pour l’Italie ; Luc pour l’Achaïe; mais Jean pour tous les Grecs, lui,
ce grand héraut d’armes qui a parcouru les cieux. Ensuite les Actes des
Apôtres et les 14 lettres de Paul et les 7 épîtres catholiques : une de
Jacques, deux de Pierre et de nouveau trois de Jean, celle de Jude étant
la septième. Tu les as toutes ; et si l’on t’en propose quelque autre, elle
n’est pas au nombre des légitimes » (Des livres légitimes de l’Écriture
théopneustique).
Philastre :
« Il a été établi par les apôtres et leurs successeurs qu’on ne devait lire
autre chose dans l’Église que la Loi et les prophètes et que les évangiles
et les Actes des Apôtres, et que les 13 épîtres de Paul et 7 autres, 2 de
Pierre, 3 de Jean, une de Jude et une de Jacques, lesquelles sont jointes
aux Actes des Apôtres. Quant aux écritures cachées, c’est-à-dire les
Apocryphes, bien qu’elles doivent être lues par les parfaits pour leur
sanctification, elles ne doivent point être lues par tous, parce que les
hérétiques inintelligents y ont ajouté ou retranché à leur gré bien des
choses » (De Haeresibus, Art. 40).
On pourrait conclure de ce catalogue que Philastre rejette l’épître aux Hébreux.
Cependant, dans le chapitre 41 du même ouvrage il écrit :
« Il en est d’autres qui prétendent que la lettre de Paul aux Hébreux n’est
pas de lui, mais de l’apôtre Barnabas ou de Clément, évêque de Rome.
D’autres aussi que Luc aurait écrit une lettre aux Laodicéens. Et parce
que des gens mal pensants y ont ajouté certaines choses, elle n’est point
lue dans l’Église, ou si cependant quelques-uns la lisent, on ne lit au
peuple dans l’Église que ses 13 épîtres et celle aux Hébreux quelquefois
(« nisi tredecin eoistolas ipsius et ad Hebraeos interdum « ). C’est parce
56
qu’il y a écrit selon l’art de bien dire en un style agréable, qu’on a pensé
qu’elle n’était pas du même apôtre; c’est aussi parce qu’il dit « le Christ
fait de Dieu »(Héb 3 :2) que quelques-uns ne la lisent pas; et c’est, pour
quelques autres encore, en vue des Novatiens, à cause de ce qu’il dit de
la pénitence (Héb 6 :4 s) »
Philastre ne rejette donc pas l’épître aux Hébreux hors du canon, mais
mentionne simplement pour les raisons indiquées on évite à son époque de la
lire dans les Églises. Par ailleurs, on constate que l’Apocalypse est absente de
ces trois canons. On s’est méfié d’elle, parce que les millénialistes l’exploitaient
pour étayer leur erreur, d’où des réticences qu’il fallait surmonter. Il est possible
aussi d’admettre que, bien que reconnue canonique et apostolique, l’Apocalypse
fut jugée impropre à l’anagnose, c’est-à-dire à la lecture publique dans l’Église,
en raison de son caractère symbolique quoi pouvait donner lieu à de fausses
interprétations. Cette hypothèse est peut-être confirmée Par le fait que si
l’Église de l’époque avait de certains de ses plus grands docteurs qui croyaient à
sa canonicité et son apostolicité (Athanase, Basile-le-Grand, Ephrem-le-Syrien,
Jérôme, Rufin). Cf. L. Gaussen, Le Canon des Saintes Écritures, I, 109 s.
Athanase :
« Voici la liste des livres du N. T. Ce sont : les quatre évangiles, Matthieu, Marc,
Luc et Jean. Après cela, les Actes des Apôtres et les sept épîtres catholiques,
dites des apôtres, comme suit : une de Jacques et deux de Pierre; puis trois de
Jean, et après cela, une de Jude. En outre, il y en a 14 de Paul , écrites ainsi
quant à leur rang : une aux Romains, puis eux aux Corinthiens, puis aux
Galates, puis aux Éphésiens, aux Philippiens et aux Colossiens, puis deux aux
Thessaloniciens et l’épître aux Hébreux; puis aussitôt après, deux à Timothée et
une à Tite, et la dernière à Philémon; et de nouveau, l’Apocalypse de Jean »
(Épître Festale, 39).
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
57
Épiphane :
« Si tu étais engendré du Saint-Esprit et enseigné par les apôtres et les
prophètes, il eût fallu qu’en allant des origines de la création jusqu’au
temps d’Esther, tu lises les 27 livres de l’A.T. que les Hébreux comptent
pour 22, et les 4 saints évangiles, et les 14 épîtres du saint apôtre Paul,
avec les Actes des Apôtres, et aussi les épîtres carholiques de Jacques,
de Pierre, de Jean et de Jude, et l’Apocalypse de Jean, et aussi les deux
Sagesses, celle de Salomon et celle du fils de Sirach, en un mot, toutes
les Écritures divines » (Panarium, 7e ).
Épiphane précise au sujet de ces deux Sagesses :
« Ils sont sans doute utiles et profitables, mais ils ne sont pas rapportés
au nombre de ceux qu’il est permis de publier, et c’est pour cela aussi
qu’ils n’avaient pas été mis à part dans l’arche de l’alliance » (op. cit.).
Catalogue anonyme :
« Toute notre Écriture, à nous chrétiens, est théopneustique. Elle ne se
compose point de livres à l’infini, mais de livres déterminés et reconnus
pour canoniques. Voici d’abord ceux de l’A. T. : … Puis voici les livres
déterminés et canoniques du N. T. : les 4 évangiles, les Actes des
Apôtres, toutes les sept épîtres catholiques des différents apôtres,
comptant pour un seul livre…; les 14 épîtres de Paul, comptant pour un
seul livre;…,et, en sus de ces livres, il y a l’Apocalypse de Jean le
théologien, reçue comme de lui et admise par les Pères qui étaient des
hommes saints et inspirés de Dieu » (« Synopse de la Sainte Écriture »,
contemporaine d’Athanase).
Concile de Laodicée (363) :
« Il ne faut pas lire les psaumes particuliers dans l’Église ni les livres non
canoniques, mais seulement les écrits canonique de l’Ancien et du
Nouveau Testaments. Voici les livres qu’il faut lire :
Ancien Testament : La Genèse du monde, l’Exode d’Égypte, Lévitique,
Nombres, Deutéronome, Josué fils de Nun, Juges, Ruth, Esther, 1 et 2
58
Rois, 3 et 4 Rois, 1 et 2 Chroniques, 1 et 2 Esdras, le livre des 150
psaumes, Proverbes de Salomon, Ecclésiaste, Cantique des Cantiques,
Job, les Douze Prophètes, Ésaïe, Jérémie et Baruc, Lamentations et
épîtres, Ézéchiel, Daniel.
Nouveau Testament : 4 évangiles, selon Matthieu, Marc, Luc et Jean,
Actes des Apôtres, 7 épîtres catholiques, à savoir une de Jacques, 2 de
Pierre, 3 de Jean, une de Jude ; 14 épîtres de Paul :une aux Romains, 2
aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Éphésiens, une aux
Philippiens, une aux Colossiens, 2 aux Thessaloniciens, une aux Hébreux,
2 à Timothée, une à Tite, une à Philémon » (Canons 59. 60).
À noter l’absence de l’Apocalypse dans ce catalogue, qui manque aussi dans les
catalogues de Cyrille, Grégoire de Nazianze et Philastre (Cf. ci-dessus, p.
26.27).
L’ÉGLISE OCCIDENTALE :
Le 4e siècle nous a laissé 4 catalogues particuliers et un catalogue de concile de
l’Église occidentale.
Jérôme :
« Je ne ferai toucher au Nouveau Testament. Nous y avons d’abord
Matthieu, Marc, Luc et Jean, le quadrige du Seigneur, les vrais chérubins.
Puis Paul écrit à sept Églises, car la 8e aux Hébreux est mise par la
plupart des Latins hors de ce mon un esclave fugutif… Les Actes des
Apôtres semblent raconter l’histoire de l’Église naissante… Les apôtres
Jacques, Pierre, Jude et Jean ont publié sept lettres aussi mystiques que
succinctes…L’Apocalypse de Jean a autant de mystères que de paroles »
(3e Épître à Paulinus).
« Il faut dire aux nôtres (scil. aux Latins) que cette épître qui est
adressée aux Hébreux, n’est pas seulement reçue comme de Paul par
les Églises d’Orient, mais aussi par tous les écrivains ecclésiastiques des
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
59
temps anciens, bien que la plupart la croient de Barnabé ou de Clément.
Et il faut dire encore de peu importe de qui elle est, puisqu’elle est d’un
homme ecclésiastique et qu’elle est tous les jours proclamée par la
lecture publique des Églises… Quant à nous, nous recevons l’une et
l’autre, voulant suivre non point la coutume de ce temps, mais l'autorité
des anciens auteurs » (Épître À Dardanus).
Rufin :
« L’apôtre a dit : Toute l’Écriture est divinement inspirée et utile pour
instruire. C’est pourquoi il me semble convenable de désigner ici, par une
claire énumération, comme nous l’avons appris par les monuments des
Pères, quels sont les volumes de l’un et l’autre testaments, qui, selon la
tradition des anciens, sont tenus pour inspirés du Saint-Esprit et transmis
aux Églises du Christ. Dans le N.T., ce sont les 4 évangiles, Matthieu,
Marc, Luc et Jean, les Actes des Apôtres écrits par Luc, les 14 épîtres de
l’apôtre Paul, deux de l’apôtre Pierre, une de Jacques, apôtre et frère du
Seigneur, une de Jude, trois de Jean et l’Apocalypse de Jean. Tels sont
les livres que les Pères ont renfermés dans le canon, et sur lesquels ils
ont voulu que se fondassent les assertions de la foi » (Expos. In Symb. c.
37)
Augustin :
« L’autorité du N. T. se limite à ces livres : les 4 évangiles (selon
Matthieu, Marc, Luc et Jean), 14 épîtres de l'apôtre Paul (Romains, 2 aux
Corinthiens, Galates, Éphésiens, Philippiens, 2 aux Thessaloniciens,
Colossiens, 2 à Timothée, Tite, Philémon, Hébreux), 2 de Pierre, trois de
Jean, une de Jude et une de Jacques, un livre pour les Actes des Apôtres
et un pour l’Apocalypse de Jean » (De Doctrina Christiana, 11, 3 1).
60
Concile de Carthage (397) :
« Il a plu qu’en dehors des écrits canoniques, rien ne soit lu dans l’Église
sous le nom d’écrits divins. Ces écrits canoniques sont les suivants :
Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome, Josué fils de Nun,
Juges, Ruth, 4 livres des Rois, 2 des Chroniques, Job, Psautier de David,
5 livres de Salomon, le recueil des 12 prophètes, Ésaîe, Jérémie,
Ézéchiel, Daniel, Tobie, Judith, Esther, 2 livres d’Esdras. Pour le N. T. : 4
évangiles, un livre des Actes des Apôtres, 13 épîtres de l’apôtre Paul, du
même une épître aux Hébreux, deux de l’apôtre Pierre, 3 de Jean, une
de Jacques, une de Jude, et un livre pour l’Apocalypse de Jean » (Canon
47).
Le concile précise :
« Que ceci soit donné à connaître à notre frère et sacerdot Boniface ou à
d’autres évêques de ces contrées pour la confirmation de ce canon, parce
que nous avons appris des Pères que ce sont là les livres à lire dans
l’Église…Qu’il soit permis cependant de lire les passions des martyrs,
lorsqu’on célèbre leurs jours anniversaires ». Le concile de Carthage
autorise ainsi la lecture de livres qui ne sont pas canoniques au sens
strict du mot, mais malgré tout reconnus aptes à l’édification, qu’il
s’agisse des « passions des martyrs » ou de certains apocryphes de l’A,
T. comme Tobie et Judith. Il emploie manifestement l’expression
« canonique » dans un sens plus large correspondant à celui de « libri
regulares », c’est-à-dire de livres propres à servir de règle pour la foi et
la vie. C’est dans ce sens aussi que Saint Augustin distinguait entre
« divines Écritures » et « livres canoniques ». En cela, le concile de
Carthage fut moins strict que celui de Laodicée qui n’accepta pour la
lecture publique que les livres strictement canoniques.
Il existe encore trois autres catalogues réputés ou soupçonnés apocryphes, celui
d’Innocent I de Rome (Épître à Exupère, évêque de Toulouse : « Quatre
évangiles, 14 épîtres de Paul, 3 de Jean, 2 de Pierre, une de Jacques, une de
Jude, Actes des Apôtres, Apocalypse de Jean »), d’Amphilochius qui figure parmi
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
61
les œuvres de Grégoire le Théologien sous le titre de Iambi ad Seleucum, et
celui de Damase dans un décret « De Explicatione Fidei ».
Jérôme par son autorité parvint à aligner l’occident sur l’orient. Il mentionne
souvent l’hésitation de l’occident concernant l’épître aux Hébreux : « L’habitude
latine ne la reçoit pas » (in Jes. 36). « Beaucoup de Latins doutent d’elle » (in
Matth. 26). Mais Jérôme parvint, grâce à l’influence de Damase de Rome, à
dissiper ces doutes. Au Synode de Rome en 382, l’Église latine se rangea à
l’avis de l’Église orientale, suivie en cela par l’Église africaine au Concile de
Carthage, en 397.
Le Décret de Gélase, vers l.an 495, sanctionna cette position, en donnant la liste
des livres canoniques, puis en énumérant, pour les condamner solennellement,
les 57 ouvrages apocryphes qui avaient circulé longtemps dans l’Église.
●
CONCLUSIONS SUR LE TÉMOIGNAGE HISTORIQUE
Une triple conclusion s’impose après examen de ce témoignage histoire, de tous
ces documents qui s’échelonnent de l’époque postapostolique au 4e siècle :
L’unanimité totale et constante sur les 20 livres du Canon
Premier, appelés pour cela homologoumènes.
L’unanimité sur Hébreux et l’Apocalypse, appelés le Canon
Second-Premier, jusqu’au début du 3e siècle. Interrompue
pendant un certain Temps, elle se refit dans la deuxième
moitié de ce siècle.
Les cinq épîtres du Canon Second, 2 Pierre, 2 Jean, 3 Jean,
Jacques et Jude, qui constituent ensemble 1/36 du N. T.,
reconnues par le plus grand nombre d’Églises, furent
contestées par certains jusqu’à l’époque du Concile de Nicée
(325).
62
Le Canon Premier :
L’unanimité sur les livres du Canon Premier, appelés homologoumènes,
s’explique par la vie relativement longue des apôtres, le grand nombre d’Églises
fondées par eux, les relations continues et intimes des apôtres avec les Églises
et des Églises entre elles, et l’anagnose, c’est-à-dire la lecture publique de leurs
écrits au cours des cultes. Les facteurs suivants intervinrent dans ce processus,
qui n’exigea aucune décision solennelle ou canonisation de la part de l’Église :
Ces écrits furent rédigés non pour des individus (à l’exception des
Pastorales), comme c’est le cas de la plupart des ouvrages profanes,
mais pour des Églises, des communautés entières de croyants qui avaient
l’habitude de se réunir régulièrement.
Ils suscitèrent chez leurs auteurs un intérêt immense.
Ils citent des hommes qui ont été les témoins vivants des faits racontés
par eux. Beaucoup de leurs lecteurs pouvaient confirmer la véracité de
ces écrits, car ils avaient été eux-mêmes des témoins oculaires.
Les Églises, évêques et chrétiens, se portèrent garants de leur
authenticité.
Ils furent abondamment utilisés, lus, recopiés sans cesse et traduits de
très bonne heure en diverses langues.
Ils étaient conservés avec soin et précieusement gardés.
Les premiers hérétiques attestent eux-mêmes, par leur opposition ou par
leur témoignage positif, leur authenticité.
Ils sont énormément cités par les Pères de l’Église Primitive, beaucoup
plus que les écrits profanes contemporains ne l’ont été par les
générations futures. Le N.T., pour donner un exemple, est davantage cité
par le seul Clément d’Alexandrie que ne le sont les œuvres de Cicéron
depuis 20 siècles dans toute la littérature du monde.
L’Église ancienne a exercé une vigilance constante, pour ne pas recevoir
d’écrits inauthentiques dans le canon.
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
63
Le Canon Second-Premier :
L’épître aux Hébreux et l’Apocalypse étaient unanimement considérées comme
canoniques jusqu’à la fin de 3e siècle. Aucune contestation ne s’est élevée
contre elles durant l’époque qui sépare la mort des apôtres de la génération
d’Eusèbe de Césarée (+340). L’Église postapostolique avait reçu l’Apocalypse
comme un écrit de l’apôtre Jean, et l’épître aux Hébreux comme une lettre
paulinienne, ce que cette dernière n’est pas. Puis surgirent des doutes, des
réticences passagères. Des théologiens orientaux se méfièrent de l’Apocalypse,
du fait que les partisans du millénialisme, de la fausse doctrine du règne de
mille ans, se fondaient sur elle pour étayer et propager leur erreur. Certains
Pères de l’Église, égarés par la fausse interprétation donnée d’Apoc 20,
discréditèrent ce livre et l’attribuèrent à un hérétique. Pour une raison
semblable, l’épître aux Hébreux suscita la méfiance de la part de certains
docteurs. Des sectes comme les montanistes et les novations se retranchaient
derrière Hé 6 : 4-8 et 10 : 26-31, pour affirmer qu’on ne peut plus trouver
grâce lorsqu’on est déchu de la foi chrétienne, qu’il n’existe plus de possibilité
de repentance après l’apostasie. Ces sectes qui sévissaient en occident jetèrent
un discrédit sur cette épître. Ce n’est qu’après la mort d’Eusèbe que ces
réticences passagères que n’avaient pas connues les générations précédentes
s’estompèrent et qu’on surmonta les doutes qu’on avait en orient à l’égard de
l’Apocalypse, et en occident à l’égard d’hébreux.
Le Canon Second :
Les livres du Canon Second (2 Pierre, 2 et 3 Jean, Jacques et Jude) ont connu
un sort différent. Depuis l’origine ils étaient reconnus par la majorité des Églises
et des docteurs, mais depuis l’origine aussi et jusqu’à l’époque du Concile de
Nicée (325) ils furent contestés par certains. Le sort qu’ils ont connu aux 2e et
3e siècles fut déterminé par les facteurs suivants :
Le fait qu’ils furent probablement écrits très peu de temps avant la mort
de leurs auteurs, si bien que ceux-ci ne purent veiller personnellement à
64
leur acceptation et leur lecture dans les Églises. Nous savons par
exemple que Pierre mourut presque immédiatement après la rédaction de
sa deuxième épître.
Le fait qu’ils vivent le jour à des époques troubles marqués d’un côté par
des tribulations confinant à la persécution, et de l’autre par l’activité de
faux docteurs et la naissance d’ouvrages apocryphes, tels que le
Testament des douze patriarches, le livre d’Énoch, etc.
Le fait qu’il s’agit d’épîtres dites catholiques destinées à la chrétienté tout
entière et non à une Église précise chargée de prendre soin d’elles.
Nous constatons ainsi l’extrême prudence avec laquelle l’Église chrétienne a
opéré dans l’établissement du canon des livres du N. T. Quand un livre était
unanimement et sans la moindre hésitation reconnue comme authentique, il
était ipso facto tenu pour canonique, pour un livre inspiré et sacré. Quand par
contre un livre ne faisait pas l’unanimité, on le reconnaissait sans s’en cacher.
On n’imposait son acceptation canonique à personne, attendant que l’Église tout
entière pût se convaincre de sa canonicité. Les hésitations, voire les méfiances
dont tel ou tel livre était l’objet se comprennent, quand on sait qu’il servait de
bastion à des hérétiques qui l’exploitaient grâce à une fausse exégèse, pour
répandre leurs erreurs.
Nous noterons aussi que l’Église Primitive ne reçut dans le canon du N. T. aucun
livre dont il lui fallut par la suite reconnaître l’inauthenticité. C’est pour l’Église
actuelle une garantie humaine extrêmement forte pour la validité du canon du
N. T.
Deux considérations sont d’importance et s’imposent :
Le fait qu’un livre était reconnu canonique ne signifie pas encore qu’on le lisait
en public dans l’Église. C’est ainsi que le Concile de Laodicée ne mentionne pas
l’Apocalypse dans son catalogue. Cela ne prouve pas qu’il ne reconnut pas
l’apostolicité et donc la canonicité de ce livre, mais peut simplement signifier
qu’il était reconnu impropre à la lecture publique. Cette attitude, pour
critiquable qu’elle puisse être, n’a pas nécessairement d’impact pour le
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
65
problème de la canonicité. Il convient de distinguer entre l’anagnose et la
reconnaissance canonique ; les deux ne sont pas nécessairement identiques.
Inversement, il arrive à partir du second siècle, après la mort des apôtres, qu’on
lût dans l’Église des livres bibliques dans leur contenu et reconnus utiles pour
l’édification des fidèles. Il ne s’ensuit pas qu’on les considérait ipso facto comme
canoniques, pas plus que Luther ne considéra comme canoniques les
apocryphes de l’A. T. qu’il traduisit et publia dans la Bible allemande, il estimait
simplement leur lecture profitable. Ce fut le cas de la 1e épître aux Corinthiens
de Clément de Rome et du Pasteur d’Hermas. De plus, on lisait certains jours de
l’année, lors de la célébration des anniversaires de martyrs, le récit de leur
mort. Mais on fit la différence entre anagnose et canonicité. Eusèbe, par
exemple, se garde bien de ranger parmi les écrits canoniques, même parmi les
antilégomènes, l’épître de Clément de Rome, bien qu’elle fût lue dans certaines
Églises (Hist. Eccl. 111, 25).
●
LE POINT DE VUE DE LA FOI
Nous avons examiné jusqu’à présent l’aspect scientifique du problème du canon,
sa dimension historique, en passant en revue les témoignages en faveur des
livres canoniques que nous a légués l’histoire de l’Église.
Ces témoignages ne peuvent pas en soi faire naître dans le cœur la foi
chrétienne en l’origine divine des livres de la Bible. Ils constituent un support à
cette foi que seul le Saint-Esprit peut faire jaillir en l’homme par le témoignage
66
intérieur qu’il rend à ces livres. Si nous croyons que l’épître de Paul aux
Romains est Parole de Dieu, ce n’est pas parce que l’Église Primitive par la voix
de ces docteurs a témoigné unanimement qu’elle a bien été écrite par l’apôtre
Paul, mais parce qu’en la lisant et en la méditant nous parvenons à la conviction
inébranlable, produite par le Saint-Esprit, que les vérités qu’elle proclame
viennent du ciel. Le Saint-Esprit lui appose le sceau de l’autorité divine.
Cette conviction, corroborée par le témoignage de l’histoire, est confirmée
encore par un certain nombre de faits qui ne sont pas du domaine de la science
historique, mais de celui de la foi. Les voici :
Dieu est un Dieu sage et fidèle. Il est inconcevable qu’ayant sacrifié son Fils
pour le salut du monde et désirant instruire et convertir les hommes pour qu’ils
parviennent à la vie éternelle, il n’est pas veillé avec amour et sollicitude à ce
que soit préservé à l’humanité le témoignage de ceux qui ont préparé la venue
du Christ par leurs prophéties et de ceux qui ont été ses témoins oculaires, qui
l’ont vu et entendu, Il a su veiller à ce que leur témoignage, revêtu de son
autorité, nous parvienne et reste le dépôt et le fondement de l’Église chrétienne
jusqu’à la fin des temps. A une exception près (une 3e épître aux Corinthiens à
laquelle il semble que Paul fasse allusion dans 1 Cor 5 :90), il ne semble pas
qu’il se soit perdu un seul livre inspiré du N .T. Dieu, qui a veillé avec un soin
jaloux à la formation et à la préservation du canon de l’A. T. , parvenu jusqu’à
nous avec une unanimité étonnante que n’infirme pas l’acceptation par l’Église
catholique d’ouvrages deutérocanoniques, a certainement fait de même pour
celui du N. T. Lui qui a inspiré les livres sacrés, n’aurait pas fait cela, s’il n’avait
pas décidé de les léguer à la chrétienté.
On assiste à propos du canon au phénomène inverse de ce qui se produit
d‘ordinaire dans l’histoire de l’Église. L’Église chrétienne, unie à l’origine, s’est
querellée par la suite et a perdu son unité doctrinale à un rythme toujours plus
grand. Dans la formation du canon s’est produit l’inverse ; après des désunions
à l’origine sur les antilégomènes, l’unité s’est faite entièrement et a été
préservée jusqu’à nos jours, et cela sans l’exercice de la moindre contrainte. Il
est impossible de ne pas y voir la main de Dieu !
Le Canon de l’Écriture Sainte Dr Wilbert Kreiss
67
Les antilégomènes furent admis dans le canon, quoique ne contenant rien qui
pût satisfaire l’imagination charnelle qui prospérait à l’époque, tandis que les
apocryphes furent rejetés, bien que contenant de nombreux traits légendaires
satisfaisant les goûts de l’époque, tels que l’amour excessif et morbide du
merveilleux, d’innombrables récits exaltant des miracles peu crédibles, de
nombreuses allégories, l’exaltation des saints et des martyrs et de leurs
mérites, l’affirmation de l’autorité divine de la hiérarchie, l’action magique des
sacrements, la mariolâtrie, le célibat, l’ascétisme, etc. L’Église a ainsi accepté
des livres défavorables aux inclinations naturelles du cœur humain, et rejeté
comme non inspirés d’autres écrits qui répondaient à ces aspirations et les
flattaient.
Un autre témoignage de la sollicitude avec laquelle Dieu a veillé sur les écrits du
N. T. est le résultat de la critique textuelle dans laquelle les libéraux du siècle
dernier avaient mis tant d’espoirs. Dans les 433 versets de l’épître aux Romains
collationnée sur environ 140 manuscrits, on a trouvé, outre les variantes
minimes qui ne modifient en rien le sens du texte, trois petites variantes qui
l’altèrent un peu (Rm 7 :6; 11 : 6; 16 :5). La même expérience faite sur les
149 versets de l’épître aux Galates a permis à Griesbach d’en dénombrer trois
(Gal 4 :7; 4 :26; 5 :19). Neuf variantes analogues ont été répertoriées pour les
303 mversets de l’épître aux Hébreux (Héb 2 :7; 6 :10; 8 :11; 10 :9-34; 11 :
11-13; 12 :20; 13 :9).Sur les 7959 versets du N. T., il en existe 10 à 12 dont le
sens subit une modification quelque peu importante selon les variantes que l’on
retient, mais sans qu’aucune n’altère le moins du monde l’ensemble des vérités
révélées dans la Bible. Si Dieu a su si merveilleusement veiller sur le texte du N.
T., comment pourrait-on mettre sa providence en doute en ce qui concerne
l’authenticité des livres qu’il contient ? Seul 1/36 du texte du N. T. (le Canon
Second) a fait l’objet de débats réels dans l’Église, et ces débats sont parvenus
à leur terme d’une façon tout à fait naturelle et spontanée, grâce au seul
témoignage historique, et sans l’intervention d’aucune autorité magistrale
s’imposant à l’Église. Celle-ci a reçu le canon et ne l’a pas créé.
68
Vingt siècles d’histoire de l’Église n’ont rien changé à la valeur permanenta de
l’exhortation de l’apôtre :
« Nous tenons pour d’autant plus certaine la parole prophétique, à
laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui
brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à paraître et
que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs, sachant d’abord vous-
mêmes qu’aucune prophétie de l’Écriture ne peut être un objet
d’interprétation particulière, car ce n’est pas par une volonté d’homme
qu’une prophétie a jamais été apportée, mais c’est poussés par le
Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 Pierre
1 :19-21).