LE CO NCOURS MEDICAL H élène VE R D OUX, Audrey COUGN AR D Univ. Vi ctor Se gale n, Bor de aux-2 L es médecins gé néraliste s jouent u n r ôle clé dans l’identification et l’accès aux soins précoce des sujets atteints d’une schizophrénie, débutante en particu li er. Les études por tant sur des adolesc ents ou des adultes je unes mon trent que le dé lai entr e l’appari tion des premiers symptômes psychotiques et l’instauration d’un tr aitement adapté es t de plusieur s mois, voire de plu- sieur s ann ée s (11). De plus, ces études suggèren t que le pronostic pourrait être d’autant plus défavorable que ce délai es t plu s long (6). Malgré les progrès pharm acolo- giques a ccompl is lor s de s de r ni ères déce nn ies, la schi- zophrénie est encore trop souvent génératrice de handi - cap s évè re, e n parti culi er du fait de son retentiss ement sur les capacités d’insertion socio-professionnelle. La mise en place le plu s pr écoce possibl e d’un tr aitement adapté est donc essenti ell e pour tenter d’améli orer l e pro- nostic des personnes souffrant de schizophrénie. PSYCHO SE N O N TR A ITÉ E : UNE PÉ RIODE À H AU T RISQ UE La schizophr énie commence le plus souvent par une phase pr odrom ique ca ractérisé e pa r d es sympt ômes non spécifiques (encadré1) , p ouvant dur er plu sie ur s ann é es avant l ’ appa ri tion des sym pt ôm es psychoti ques (enca- dré 2) . L ’émergence de sym pt ômes psychotiques est une expérie nce ps ychi que d r amatique pour l a pe r so nne qui subit l ’in vasion de so n psychi sme par des phénom ènes angoissants et incon tr ôlabl es , tels que des hall ucinations auditives , la transform ation de l ’environnement en un uni vers hos til e et in compr é hensibl e, le se nti ment de perte d’identit éet de fr ag m entation psychi que . La so uffr ance et la d étresse de l ’entourage face àl ’effondrement psy- chique de leur enfant, co njoint ou ami (e) sont aussi consi- D é pistage des troubles schizophr é niques d é butants Rô l e du g é n é raliste T r ai ter l ep l u sp r écoce m en tpos si b l ees tess en ti el p ou r ten ter d’am éliorer l e p r on os ti c d e l a s chi zop h r én i e. M ai s l es sy m ptôm es d e déb ut ne s ont passp éci f i ques. L’entour ag e j ou e u n rôl e cruci al . 95 3 Tome 126- 17 05-05-2004 FORMATION Schi zoph ré ni e ( pe tsca n) . L ’ im age r ie n’ e st utili sé e que dans le cadr e de prog r ammes de r e che rche. BSIP/NIH/SCIENCE SOURCE
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H él èn e V ER D O U X , A u d r ey C O U G N A R DUniv. Victor Segalen, Bordeaux -2
L
es mé decins généra listes jouen t un rôle clé dansl’identification et l’accès aux soins précoce des
sujets atteints d’un e sch izophrén ie, débutante enparticulier. Les études portant sur des adolescents ou desadu ltes jeun es m ontren t que le délai entre l’appar itiondes premiers symptômes psychotiques et l’instaurationd’un traitemen t adapté est de plusieur s mois, voire de plu-sieurs ann ées (11). De plus, ces études suggèrent que lepronostic pourr ait être d’au tant plus défavorable que cedélai est plus long (6). Malgré les progrès pha rm acolo-giques accom plis lors des dern ières décenn ies, la schi-zophrén ie est encore trop souvent généra trice de han di-cap sévère, en par ticulier du fait de son re tentisseme ntsur les capa cités d’insertion socio-professionne lle. La
m ise en place le plus pré coce possible d’un traitemen tadapté est donc essen tielle pour tenter d’am éliorer le pro-nostic des personn es souffran t de schizophré nie.
PSYCHOSE NON TRAITÉE : UNE PÉRIODEÀ HAUT RISQUELa schizophrénie comm ence le plus souvent par un e
phase prodrom ique caractérisée par des symptômes non
spécifiques (encadré 1), pouvan t durer plusieurs ann ées
avan t l’apparition des symp tôm es psychotiques (enca-
dr é 2) . L’émergence de symptôm es psychotiques est un e
expérience psychique dram atique pou r la personne
subit l’invasion de son psychisme par d es phénom èn
an goissan ts et incontrôlables, tels que des h allucinati
au ditives, la transform ation de l’environnem ent en
un ivers hostile et incompréhen sible, le sentimen t de pe
d’identité et de fragm entation psychique. La souffran
et la détresse de l’entourage face à l’effondrement p
chique de leur en fant, conjoint ou a m i(e) sont aussi con
Dépistage des troublesschizophréniques débutants
Rôle du généralisteTraiter le plus précocement possible est essentiel pour
tenter d’améliorer le pronostic de la schizophrénie.Mais les symptômes de début ne sont pas spécifiques.
L’entourage joue un rôle crucial.
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FORMATION
Schizophré ni e (p etscan) . L’ima gerie n’est utilisée que dans le ca d e pro gr am m es d e recherche.
SCHIZOPHRÉNIE DÉBUTANTE EN PRATIQUEIl ne s’agit pas ici de donn er u ne con duite à tenir détaillée
face à une personne présentant u ne possible schizo-
ph rénie débutan te, m ais plutôt d’évoquer quelques pièges
diagnostiques et thérapeutiques à éviter.
Ne jamais banaliser l’existence de symptômes psychotiquesSi l’existence de sym ptôm es psychotiques est suspectée àl’exam en clinique ou pa r les informa tions four nies par
les proche s, il ne faut jam ais les bana liser, et éviter les
attitudes attentistes (« wa it and see »). Des idées bizarres
et des compor tements inadaptés ne doivent pas être mis
sur le compte d’une «crise d’adolescence », supposée dis-
para î tre spontaném ent, surtout s’il existe un r etentisse-
m ent psychosocial (repli sur soi, altération d e l’insertion
scolaire et pr ofessionnelle…). En cas de d oute, il est donc
préf érable d’avoir recours par excès à un avis spécialisé,
en ch oisissant de préf érence u n psychiatre qui, de par son
orientation thérapeutique, prend en charge de man ièrerégulière des p atients atteints de trou bles psychotiques.
Ne pasémettre de jugement concernant les idées délirantes
Il est im portant de n e pas ém ettre de jugem ent en terme
de vrai/faux concern an t les idées déliran tes rappor tées
par le patient. Par définition, un e idée déliran te n’est pas
un e erreu r de jugemen t, et n’est donc pas a ccessible à une
argu m entation logique. Une expérience déliran te et ha l-
lucinatoire est vécue comm e réelle par le patient, et cela
m êm e si le degré de con viction p eu t varier. Il fau t donc
tenter de rester neu tre quan d un pa tient exprime un e idée
délirante, en évitant deu x écueils, d’un e part de faire sem-
blant de par tager le délire pou r m ettre en confiance la per-
sonn e (com m ent expliquer ensu ite que ces sym ptôm es
nécessitent u n tra item ent ?), et d’autre pa rt de lui dire que
ses propos n ’ont pas de sens (comm entaire qu’il ou elle a
dé jà eu le plus souvent l’occasion d’enten dre, et qui risque
d’aggraver sa réticence).
Ne pas attribuer l ’apparition de symptômes psychotiquesexclusivement à l’usage de drogues
Si la person ne con som m e des toxiques, tels que le can-
nabis et l’ecstasy, il fau t faire atten tion à ne pa s attribuer
l’appar ition de symptôm es psychotiques exclusivemen t
à ces substances, en p articulier si ces symptômes sont
persistants. La surven ue d ’un épisode psychotique lors
de la consom m ation de toxique r évèle souven t une vul-nérabilité psychotique préexistante et/ou le fait que la per -
sonn e souffran t d’un e schizophrénie débutante peu t uti-
liser des substan ces illicites en a utom édication pour ses
symptômes psychotiques. Les symptôm es psychotiques
doivent êtr e évalu és, et si besoin est traités, indépen-
damm ent de l’existence ou non d’une consomm ation de
substance.
Ne pas donner d’emblée un diagnostic précis
Face à un adolescent ou à un adulte jeun e présentant des
symptôm es psychotiques qui n écessitent un traitem ent,
il est souvent très difficile, mêm e pour les spécialistes
porter d’emblée u n diagnostic précis. Seule l’évolut
perm et le plus souven t de trancher entre les diff ére
types de troub les : trouble psychotique br ef (corresp
dant à la classique « bouff ée déliran te aiguë » des no
graph ies traditionne lles fran çaises), trou bles de l’hum
de type dépressif ou ma niaque avec caractéristiques p
schizophrénie , trou ble sch izo-affectif, trou ble délir
chronique… Du fait de ces incer titudes, il est donc reco
mandé de ne pas donner d’emblée un diagnostic préc
la personne et à son en tourage. C’est dans ce sens que
a plutôt tenda nce à utiliser l’expression «premier épis
psychotique » plutôt que « premier épisode schizoph
nique ».
Repérer si les symptômes psychotiques s’associent ou n
des symptômes thymiques
Indépendamm ent de l’étiquetage dia gnos tique, il esrevan che essentiel de rep érer si les sym ptôm es p
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PSYCHIATRIE Dé p ista ge d es t rou b les sch iz op h r é niques
I Les mé decins gén éralistes ont un rôleessentiel dans l’identification précoce destroubles psychotiques. Un accès plusrapide à des soins adaptés diminue lesconséquences à court terme de lapsychose non traitée (risque suicidaire,désinsertion, prise de toxique), et pourraiaussi contribuer à améliorer le pronosticà long terme.
I Il ne faut pas hésiter à rechercherl’existence d’idées délirantes etd’hallucinations en posan t des questionsdirectes, en expliquant à la personneconcernée que ces questions font partiede l’examen m édical et sont posées demanière systématique à toutes lespersonn es dans la m êm e situation.
I Des idées bizarres e t descomportements inadaptés ne doivent pasêtre systématiquement mis sur le compted’une « crise d’adolescence », supposéedispara î tre spontanément, surtout s’ilexiste un retentissem ent psychosocial(repli sur soi, altération de l’insertionscolaire et professionnelle…).
I Chez un adolescent consommateur detoxiques, attention à ne pas attribuerl’apparition de symptômes psychotiquesexclusivement à ces substances, enparticulier si ces symptômes sontpersistants.
miques, car la conduite à tenir sera diff érente (par
exem ple, indication d’antidépresseur ou de thy-
m or égulateur).
I l n’y a pas d’indication pour mettre en place en
urgence un traitement antipsychotique spécifiqueLes trai tem ents an tipsychotiques ont u n d é la i
d ’action de plusieurs semaines sur les symp-
tôm es psychotiques, et n’ont qu ’un e action aspé-
cifique d e sédation/an xiolyse au cou rs des deux
à trois prem ières sem aines. S’il est ur gent de tra i-
ter les sym ptôm es tels que anxiété m assive, exci-
tation ou agitation a vec risque de passa ge à l’acte,
par des n eur oleptiques sédatifs ou des ben zo-
diazépines à fortes dose s, il n ’y a pas d ’indication pou r
m ettre en place en ur gence un traitemen t antipsycho-
tique spécifique. Celui-ci peu t être prescrit de m anière
diff érée, une fois que la situa tion d ’urgen ce est contrô-lée.
L’hospit alisat ion est souvent indispensable si le pat ient
refuse tous les soins, et /ou s’il est socialement isoléL’identificat ion pr écoce d ’un t rouble psychot ique a
pou r objectif de favoriser la mise en place d’un trai te-
m ent en am bulatoire. On peut éviter ain si le recour s
à l’hospi ta l isa t ion sous cont ra inte en urgen ce, dans
une ambiance souvent dramat ique, comme mode de
prem ier contact avec les soins p sychiatriques, et am é-
l iorer l’adh ésion ul tér ieure a ux soins. L’hospitalisa-
tion est souven t ind ispensable si le patient refuse tous
les soins, et/ou s’il est socialem ent isolé, en recouran t
au besoin à un e h ospital isat ion sous contrainte (h os-
pitalisation à l a demande d ’un tiers, voire hospitalisa-
tion d ’office).
CONCLUSIONLes généralistes sont des acteurs clés dans l’éducation àla santé des personn es de la population généra le. La lutte
contre la stigma tisation sociale de la ma ladie men tale en
général, et des troubles psychotiques en particulier, est
actuel lement reconnu e comm e un e priorité de santépublique par l’OMS. Les généralistes ont un rôle central
à jouer dan s cette lutte, en transm ettant au grand public
des inform ations en accord avec les données actuelles dela littérature sur ces troubles, et des représentations n on
stigma tisan tes pour les patients et les mem bres de leur
famille. I 4 0 8 2 7 6
A U T E U R S H. Verd ou x , PU-PH, service univ ersitaire de psych iat rie et EA 3676, IFRde sant é publique, A. Cougnard, Dr é pid é m iol., EA 3676, IFR de sant é pu bliqu e
Universit é Victor Segalen, Bordeaux -2, hô pital Ch arles Perrens,121, rue de la Bé chade, 33076 Bordeaux cedex E-mail : [email protected]
Rem erciem ent sCe travail a é t é effectué dan s le cadre du r é seau r é gional INSERM drecherche en sant é publique «Trou bles psychotiques d é butants:incidence, filières d ’accès aux soins et é valuation de la faisabilit é de
program m es de d é pistage pr é coce ».
R É F É R E N C E S1. Cole E, Leavey G, King M et coll. Pathw ays to care for patients w first episod e for psychosis. A com pa rison of eth nic group s. Br JPsychiatry 1995 ; 167 : 770-776.2. Cougn ard A , Salmi R , Verdou x H. A d ecade of debate on early
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PSYCHIATRIE Dé p ista ge d es t rou b les sch iz op h r é niques
Ce livre fait le point sur l’état de l
recherche dan s la génétique d e la sch izo
ph rénie. L’existence d’un e concentratio
fam iliale de la schizophr énie est classique
men t admise, mais aucun gène majeur n
peut être im pliqué. Il s’agit don c probable
ment d’un e tran smission m ultifactoriel
seuil. Pour en savoir plus su r l’épidémiolo
gie, le mode de tran sm ission, les gènes sus
pectés, l’influen ce de l’environnem ent et l
recherche de ma rqueurs de vulnérabilitéon peu t se plonger da ns ce petit ouvra ge, dont le lan