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Contexte de l’expédition Le phragmite aquatique Acrocephalus paludicola [1] est le passereau le plus rare et le seul mondialement menacé en Europe continentale. Il est inscrit sur la liste rouge de l’UICN des espèces menacées où il est classé “vulnérable” 1 1 (UICN). Au niveau européen, il est également classé “vulnérable” 2 (BirdLife, 2004). Ce statut de conservation d’espèce menacée, il le doit à des effectifs faibles et en diminution, ainsi qu’à une répartition de plus en plus localisée. En 2007, les dernières estimations font état de 11 386 à 13 464 mâles chanteurs [2]. La population mondiale pourrait ainsi ne pas dépasser les 30 000 individus en comptant les adultes et les jeunes, ce qui est très faible. Cette estimation a été revue à la baisse depuis 2002, alors que l’on 37 Découverte d’un quartier d'hivernage du phragmite aquatique en Afrique de l'Ouest : une première mondiale Bruno BARGAIN, Gaétan GUYOT & Arnaud LE NEVÉ Du 17 janvier au 10 février 2007, Bretagne Vivante a participé à une expédition internationale ayant pour objectif de découvrir les quartiers d'hivernage du phragmite aquatique en Afrique de l'Ouest, jusqu'alors méconnus. Cette expédition a été couronnée de succès. [1] Phragmite aquatique mâle chanteur dans le parc national de Biebrza, Pologne, juillet 2005. © Arnaud Le Nevé / Bretagne Vivante
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Découverte d'un quartier d'hivernage du phragmite aquatique en Afrique de l'Ouest : une première mondiale

May 16, 2023

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Contexte de l’expédition

Le phragmite aquatique Acrocephaluspaludicola [1] est le passereau le plusrare et le seul mondialement menacé enEurope continentale. Il est inscrit sur la listerouge de l’UICN des espèces menacéesoù il est classé “vulnérable”1

1

(UICN). Auniveau européen, il est également classé“vulnérable”2(BirdLife, 2004).

Ce statut de conservation d’espècemenacée, il le doit à des effectifs faibleset en diminution, ainsi qu’à une répartitionde plus en plus localisée.

En 2007, les dernières estimations font étatde 11 386 à 13 464 mâles chanteurs [2].La population mondiale pourrait ainsi nepas dépasser les 30 000 individus encomptant les adultes et les jeunes, ce quiest très faible. Cette estimation a été revueà la baisse depuis 2002, alors que l’on

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Découverte d’un quartier d'hivernage du phragmite aquatique en Afrique de l'Ouest : une première mondialeB r u n o B A R G A I N , G a é t a n G U Y O T& A r n a u d L E N E V É

Du 17 janvier au 10 février 2007, Bretagne Vivantea participé à une expédition internationale ayantpour objectif de découvrir les quartiers d'hivernagedu phragmite aquatique en Afrique de l'Ouest,jusqu'alors méconnus. Cette expédition a étécouronnée de succès.

[1] Phragmite aquatique mâle chanteur dans le parc national de Biebrza, Pologne,juillet 2005.

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pensait avoir une population compriseentre 12 000 et 20 000 mâles chanteurs(BirdLife, 2004).

Au cours du 20e siècle, sa répartition n’acessé de se réduire comme peau dechagrin [3]. Il nichait vraisemblablement enAlsace au 19e siècle et était alorslargement répandu en Europe centrale,jusqu’en Sibérie occidentale. Aujourd’hui,l’espèce ne se reproduit plus que dans unecinquantaine de sites. Cette répartitionest extrêmement concentrée puisque troispays, la Pologne, la Biélorussie et

l’Ukraine, abritent 97 % de la populationmondiale. En terme de conservation, cettesituation est critique.

Le phragmite aquatique a disparu de laplus grande partie de son aire de répartitiond’antan en raison de la disparition de sonhabitat, décrit avec précision par plusieursauteurs (Wawrzyniak & Sohns, 1977 ;Dyrcz, 1993). L’espèce a des exigencesécologiques spécifiques et fréquente pournicher les plaines marécageusescontinentales faiblement inondées au

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Pays Années Min. Max. Moyenne Tendance

Biélorussie 2007 5 147 6 628 5 888 Déclin

Allemagne 2007 10 10 10 Déclin

Hongrie 2006 100 100 100 Déclin

Lettonie 2007 0 0 0 Disparu

Lithuanie 2007 150 180 165 Déclin

Pologne 2007 2 591 2 598 2 595 Déclin

Russie 2006 158 158 158 Déclin

Ukraine 2007 3 230 3 790 3 510 Fluctuation

Total 11 386 13 464 12 425

[2] Effectif des mâles chanteurs dans les pays de reproduction.

[3] Répartition du phragmite aquatique en 2007. © Arnaud Le Nevé / BretagneVivante

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> 5000

Hivernage

Répartitionhistorique

Migrationpost-nuptiale

50 - 200

200 - 1000

1000 - 5000

Nombre de mâleschanteurs :

Répartition duphragmite aquatiqueen 2007

Sources : BirdLife International - Aquatic Warbler Conservation Team 2007

Migrationpré-nuptiale

Cartographie : Arnaud Le Nevé / Bretagne Vivante - SEPNB

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printemps (de 1 à 10 cm). Dans ses sitesde reproduction, il dépend des successionsvégétales basses et persistantes deszones émergées [4]. On le trouve ainsidans les dépressions marécageuses desvallées fluviales, à cariçaies basses etouvertes avec laîches de hauteursvariables, et touffes de molinie Moliniacaerulea, plus hautes, servant de poste dechant pour les mâles; dans les maraiscalcaires à marisques Cladium mariscus;dans les marais saumâtres à inondationsaisonnière, caractérisés par des étenduesde roseaux de très faible hauteur, de 80à 120 cm en été; dans les prairies humidestourbeuses couvertes de hautes herbes ettouffes de joncs; dans la végétation humidedes prairies à Alopecurus pratensis etPhalaris sp., fauchées une ou deux fois paran, avec des bouquets de laîches à Carexgracilis et Carex nigra.

Ces habitats herbacés étaient tradition-nellement fauchés l’été à la main. Lamodernisation de l’agriculture a provoquéleur enfrichement par abandon, ou leurdestruction par drainage. L’urbanisation aégalement été facteur de destruction parcomblement des zones humides.

À partir de la fin du mois de juillet jusqu’àmi-septembre, le phragmite aquatiquemigre par la façade littorale d’Europe del’Ouest, le long de la Manche puis de

l’Atlantique en France. Il traverse ensuitela péninsule ibérique. À cette période, laFrance accueille vraisemblablement lamajeure partie de la population mondiale,ce qui lui confère une responsabilité dansla conservation de l’espèce. Respon-sabilité non moins importante que celledes pays où elle niche. Car les causes dedisparition ne sont pas limitées aux zonesde reproduction. Sur la voie de migrationcomme sur les sites d’hivernage africains,le phragmite aquatique va rechercherdes zones humides à la structure devégétation similaire à celle des zones dereproduction (De By, 1990; Schulze-Hagen, 1991), qui toutes ont subi lesmêmes destructions [5].

L’expédition au Sénégal de janvier-février2007 s’inscrit dans un contexte globald’amélioration de la connaissance del’espèce et des priorités d’actions deconservation.

En 1995, lorsque l’Aquatic WarblerConservation Team (AWCT) se formesous l’impulsion des Allemands qui tententde protéger leur reliquat de populationnicheuse en Poméranie, à la frontière avecla Pologne, les priorités sont laconnaissance des effectifs nicheurs, leurrépartition et la conservation des principauxnoyaux notamment dans la région dePrypiat en Biélorussie.

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[4] Habitat du phragmite aquatique sur les zones de reproduction (marais deServech, Biélorussie, mai 1986).

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Petit à petit entre 1995 et 2003, le réseaude l’AWCT s’étoffe et s’enrichit desscientifiques et naturalistes qui suiventl’espèce sur les sites de reproduction.Parallèlement, un plan d’actioninternational voit le jour en 1995 et aboutitle 30 avril 2003 à Minsk (Biélorussie) à laréalisation d’un Mémorandum d’accords(Memorandum of understanding), sousles auspices de la Convention de Bonn surla conservation des espèces migratricesappartenant à la faune sauvage (CMS) etdu Programme des Nations unies pourl’environnement (Pnue). Le plan d’actionsur le phragmite aquatique est annexé àce mémorandum et identifie les menaceset les mesures à prendre en conséquencepour chaque pays d’Europe concerné parle cycle annuel de l’espèce et incluantdéjà le Sénégal.

À cette époque, le travail réalisé parl’AWCT depuis près de 10 ans permetd’avoir une vision claire des enjeux deconservation de l’espèce sur les zonesde reproduction. Dans les années quisuivent et jusqu’en 2006, le réseau s’étoffede nouveau par la prise en compte de laconservation du phragmite sur sa voie demigration, à la fois grâce à la naissance dedeux programmes européens Life-Natureen Espagne et en France (le Life bretonest conduit par Bretagne Vivante), etsimultanément grâce aux préoccupationsdes Européens du nord qui se penchentsur ce qui se passe durant la migration.

En juin 2006, lors du premier symposiumdes états signataires du mémorandumd’accords, les zones d’hivernage duphragmite aquatique restent largementméconnues et ce mystère qui complique

sérieusement la conservation de l’espèce,devient une priorité d’action. Car investirmassivement dans la gestion et laprotection des zones de reproduction et dehaltes migratoires au moyen desprogrammes Life, par exemple, estindispensable. Mais ce n’est pas suffisantpuisque des atteintes sur les sitesd’hivernage en Afrique peuvent ruiner lesefforts consentis en Europe pour cetoiseau.

En 2005, Guy Jarry, du Centre deRecherches sur la Biologie desPopulations d’Oiseaux (CRBPO), se renden Guinée Bissau avec l’aide de laFondation Nature et Découvertes pourtenter de localiser des milieux propices àl’espèce, et repérer des individus, maissans succès. En 2006, c’est une équipeespagnole de la station de baguage de LaNava/Palencia qui se rend dans le deltaintérieur du Niger au Mali pour mener desinvestigations (observations et capturesd’oiseaux au filet), sans résultat probant.Malgré ces échecs, le souhait depoursuivre les recherches ailleurs enAfrique de l’Ouest reste très vivace chezles scientifiques qui travaillent sur l’espèce,d’autant plus qu’une étude sur les isotopesplats à partir de plumes d’adultes dephragmites aquatiques (Pain et al., 2004)indique que les phragmites aquatiquesmuent dans une zone comprise entre 13°et 20° de latitude Nord. Comme il est plusque probable que la mue se déroule surles quartiers d’hivernage, la zone favorablese trouve de fait assez bien localisée.

À l’occasion du symposium qui s’estdéroulé du 24 au 27 juin 2006 dans leParc National de la Basse vallée de l’Oder

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[5] Habitat du phragmite aquatique en halte migratoire (marais de Rosconnec,Dinéault - 29).

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en Allemagne et qui réunissait les expertsde l’AWCT, le projet d’effectuer unemission dans le Parc national du Djoudj auSénégal, à l’initiative du colonel IbrahimaDiop, directeur du Parc national, de BrunoBargain, directeur scientifique à BretagneVivante et de Martin Flade, responsable del’AWCT, s’impose. Le présent article relatele déroulement de cette expédition et faitétat des principaux résultats obtenus.

Le Parc national du Djoudj

Il faut parcourir plus de 60 km au nord deSaint-Louis pour arriver au Parc nationaldu Djoudj, situé sur un des méandres dufleuve Sénégal, au nord-ouest du pays,à la frontière avec la Mauritanie [6]. Cettezone humide, ancien méandre natureldu fleuve, est une des dix aires protégéespar la Direction des Eaux et Forêts de cepays, et le troisième site au monde pourla conservation des oiseaux. Le Parc estinscrit sur la liste du patrimoine mondialde l’Unesco depuis 1981. Aujourd’huizone d’expansion des crues du fleuve àl’extérieur de ses digues protectrices,avec de nombreux canaux, bras morts,lacs, marécages, roselières à massetteset roseaux, ainsi que les savanes boiséesenvironnantes, le parc s’étend sur 16000 ha et dispose d’un vaste plan d’eautemporaire qui s’assèche à la fin de lasaison sèche (avril-mai), appelé « GrandLac ». La position géographique du siteaux portes du désert lui vaut d’être l’undes tous premiers refuges pour lesoiseaux migrateurs après la traverséedu Sahara.

Environ 450 000 canards paléarctiques yont hiverné en 2006-2007, en majoritédes sarcelles d’été et des canards pilets.Le dendrocygne veuf est l’espèce la plusabondante parmi les canards afro-tropicaux (environ 80 000 individus). LeParc a accueilli également l’hiver dernier10 000 échasses blanches, 7 000combattants variés, 3 000 barges à queuenoire, 22 000 pélicans blancs, 5 000spatules blanches, 22 000 flamants…(Trolliet et al., 2007).

Cette région du Sénégal a déjà fait l’objetde nombreuses campagnes de baguaged’oiseaux par des équipes de bagueurseuropéens. De 1984 à 1993, 82 468oiseaux ont ainsi été marqués pour lecompte du CRBPO. Il s’agit surtout depassereaux, dont 18 575 hirondelles derivage, 9 452 bergeronnettes printanières,5 845 phragmites des joncs, 13 324

rousserolles effarvattes, 3 260 fauvettespasserinettes, 11 057 pouillots véloces,ainsi que de nombreux limicoles(Sauvage, 2001). Malgré ce travailintensif de recherche, le phragmiteaquatique n’avait été que très rarementcapturé et ne figurait pas parmi lesespèces hivernantes du Parc, pour desraisons que nous allons évoquer. Seulstrois individus avaient été capturés parJarry et Larigauderie du 2 au 17 mars1972 (Morel & Roux, 1973).

Une équipe internationale

Cette expédition était composéed’ornithologues de neuf pays occidentaux :Viktar Fenchuk (Biélorussie), BrunoBargain, Gaétan Guyot, Arnaud Le Nevé(France), Martin Flade, Stefan Bräger,Benedikt Giessing, Angela Helmecke, LarsLachman, Wolfgang Mädlow, TorstenRyslavy, Volker Salewski, Klemens Steiof(Allemagne), Zsolt Végváry (Hongrie),Oskars Keiss (Lettonie), Zydrunas Preiksa(Lituanie), Julio Manuel Neto (Portugal),

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[6a] et [6b] Parc national du Djoudj.

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Carlos Zumalacárregui Martínez(Espagne), Anatoly Poluda (Ukraine).

Des gardes et techniciens de deux paysd’Afrique de l’Ouest ont participé à lamission et ont à cette occasion reçu uneformation au baguage des oiseaux :Souleymane Ba, Mamadou Banora,Indega Bindia, Daouda Sylla (IRD), PaulMoïse Diedhiou, Yanack Diop, AbdoulayeFaye, Ibrahima Gueye (Conservateur duParc Djoudj), Ibrahima Kamara, EfoloméManga, Valentin Mansaly, Souleymane

Mansaly, Sassy N’Diaye, Mamadou Seck,Maguette Seck, Khalifa Ababacar Cissé,Bakari Sonko, Amadou Diouldé Diallo(Sénégal), Ousmane Coulibaly, TraoréHousseynou (Mauritanie).

La station biologique du Djoudj [7] a servide camp de base à l’équipe en assurantgîte et repas, et en mettant à notredisposion des salles de réunion. Laréussite du séjour doit beaucoup àl’efficacité et à la bonne humeur de l’équiped’intendance représentée par : Elisa

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[7] Station biologique.

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[8] L'équipe au complet : douze nationalités représentées.

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Bindia, Marie Bindia, Aïcha Dia, AlymaDiop, Dah Diop, Juda Diop, Mas Diop,Racine Diop, Mba Fall, Aminata Gueye,Fatou Mbaye, Niania Sow [8].

Un remerciement particulier doit êtreadressé à Ibrahima Diop, le directeur duParc du Djoudj, pour l’organisation de lamission et le soutien logistique.

Une prospectionméthodique

La plupart d’entre nous n’ayant jamaismis les pieds au Sénégal, et encore moinsdans le Djoudj, la première démarcheconsiste à découvrir cette vaste zonehumide pour choisir les secteurs les plusappropriés à l’hivernage du phragmite

aquatique. D’emblée, trois personnespartent reconnaître les différents secteursdu Parc national et font état chaque soirde leurs découvertes. Le reste du groupeest divisé en quatre équipes autonomespilotées par des bagueurs chevronnés.Chaque équipe dispose au départ d’unevingtaine de filets. Dans un premier temps,des travées de filets fixes sont disposéesdurant deux ou trois jours à un mêmeendroit. Sauf conditions météorologiquesdéfavorables, la journée démarre par unearrivée sur les sites à la pointe du jour,ouverture des filets et captures jusqu’àmidi. Après la pause de la mi-journée, les

opérations reprennent entre 16h et 17hpour se terminer à la nuit [9].

Très rapidement, le constat est fait que lesoiseaux sont actifs principalement durantles premières heures du jour, mais que peude captures sont réalisées en soirée. Deuxéquipes décident donc rapidement de seconcentrer sur la matinée. Dès ladécouverte et la capture des premiersphragmites aquatiques le 25 janvier, uneéquipe décide d’abandonner les travées defilets fixes pour utiliser deux ou trois filetsqui seront déplacés au gré de l’observationde nouveaux oiseaux. Cette technique,appelée « filets mobiles », sera dès lorsutilisée systématiquement par cettepremière équipe et épisodiquement parune deuxième équipe dès le jour suivant.En complément des filets japonais, descages-pièges ont été utilisées dans lesdifférents milieux, une vingtaine d’engins

au total. Le système employé est constituéd’une matole en grillage dont le systèmede déclenchement est appâté avec desvers de farine. Ces cages étaient installéesà même le sol, dans les zones faiblementinondées ou sur des radeaux devégétation.

La recherche du phragmite aquatiquepasse par l’échantillonnage de chaquehabitat du parc paraissant favorable,notamment pour retenir ou éliminer ceshabitats de prospections futures. Ainsi, lapremière semaine d’exploration estconsacrée à deux grands habitats dans

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[9] Recherche du phragmite aquatique dans les prairies humides du parc.

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lesquels les quatre équipes baguerontdurant 5 jours : marais de petite taille àgrandes scirpes ceinturées de buissons(tamaris) et roselières à massette desrives du fleuve Sénégal. Il s’agit desecteurs connus des ornithologuespuisque ayant déjà servi à plusieursreprises de lieux de baguage (MiradorTentale, mare de Gainthe) par le passé.Vers le 23 janvier, l’équipe de repéragesignale de vastes prairies humides, d’unepart vers le « Grand Lac », et égalementprès du village de Tiguet. Deux jours plustard, deux équipes s’installent dans ceslocalités et y capturent les premiersphragmites aquatiques. Dès lors, plusieurssites présentant les mêmes caracté-ristiques, c’est à dire des paysages ouvertsde prairies faiblement inondées àgraminées et cypéracées, seront étudiés.

Au Sénégal, à cette période de l’année, lesconditions météorologiques ne sont pastoujours favorables à la capture desoiseaux. Les vents forts et la chaleur sontles principaux facteurs limitants.Généralement, les journées débutent pardes températures fraîches (de 15 à 20degrés) avec un fort taux d’hygrométrie.Mais dès la fin de la matinée, cestempératures peuvent grimper jusqu’à 30ou 35 degrés. La troisième semaine decapture a été marquée par une période devents de sable qui a fortement limité lapiégeabilité. Les tentatives de quelquespersévérants durant ces journées detempêtes se sont soldées par un très faiblenombre de captures. Aucun phragmiteaquatique n’a été contacté durant cettepériode. Entre le temps passé pour lerepérage des sites favorables et lesmauvaises conditions météo, il est doncheureux que nous ayons pu bénéficier deplusieurs semaines de travail.

Le jeu de données

Lors de la commande de bagues, leCRBPO, organisme de tutelle du baguageen France et au Sénégal, avait clairementsignifié que seuls les passereauxtranssahariens pouvaient être munis d’unebague. En effet, lors de missionsponctuelles en Afrique, le marquaged’espèces sédentaires ou effectuant desdéplacements uniquement à l’intérieur dece continent n’a pas beaucoup de sens, leschances de contrôler ces oiseaux étantpresque nulles.

Chaque équipe a appliqué une méthodestandardisée de récolte des données,calquée sur ce qui se fait dans les stations

de baguage en Europe. Tous les oiseauxcapturés et susceptibles d’être baguéssont disposés dans de petits sacs. Aprèsdétermination de l’espèce et baguage del’oiseau, des renseignements de naturedifférente sont notés pour chaque individusur des fiches normalisées où figurent leschamps suivants : date, heure et lieu decapture, nom de l’espèce, numéro de labague, âge, sexe, état du plumage,mesure de l’aile, mesure du bec et dutarse suivant les espèces, adiposité, poids(à l’aide d’une balance électronique oud’un peson selon les équipes). Pour lephragmite aquatique, nous avonségalement mesuré la longueur de la queueet celle de la 3e rémige primaire.

Des prélèvements de plumes (2e rectriceexterne) ont été effectués sur lesphragmites aquatiques et les cisticolesroussâtres (Cisticola galactotes), oiseausédentaire de référence. L’écologie deces deux espèces nous semblait proche.L’analyse d’isotopes à partir de ceséchantillons permettra de mieux définir lazone d’hivernage potentielle pourl’aquatique, et aussi de tenter d’identifierl’origine des oiseaux qui hivernent auDjoudj à partir de marqueurs chimiquesspécifiques à cette région d’Afrique. Desprélèvements de sang [10] ont égalementété effectués sur les phragmitesaquatiques, en vue d’analyses génétiques,pour comparer les résultats obtenus auDjoudj avec les données des différentes

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[10] Prélèvement de sang sur un phrag-mite aquatique pour analyser l’ADN etle comparer à celui des populationsreproductrices.

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zones de reproduction. Les rareslocustelles luscinioïdes capturées ont aussifait l’objet de ces prélèvements dans lecadre d’une thèse sur l’espèce, menéepar Julio Neto, notre collègue portugais.

Une fabuleuse diversité

Au Djoudj, la juxtaposition d’une grandevariété de biotopes, des plus secs auxplus humides, offre des conditions de vieà une grande quantité d’espèces

d’oiseaux. Ce sont 204 espèces qui ont étéobservées durant le séjour [11] [12] [13][14] dans le Parc.

Malgré un échantillonnage limité aux zoneshumides, pas moins de 56 espècesd’oiseaux ont été piégées, dont 1 turnixd’Andalousie, des martins-pêcheurshuppés, plusieurs espèces de tisserins, larynchée peinte, des guêpiers nains [15]...

Les vingt et une journées de baguage ontpermis de capturer 2 188 individus, dont25 contrôles d’oiseaux bagués en Europe,

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[11] Haut gauche : Rollier d'abyssinie. [12] Haut, droit : Colonie de pélicans blancs.[13] Bas gauche : Grande aigrette. [14] Bas droit : Rhynchée peinte.

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et 160 contrôles locaux [16]. Parmi les24 espèces baguées figurent deux rallidés,deux limicoles et 20 passereaux, tousmigrateurs transsahariens à l’exceptionde la rousserolle africaine, dont quelquesindividus ont été bagués malgré lesconsignes du CRBPO. Deux espècesressortent du lot d’un point de vuenumérique : le phragmite des joncs et labergeronnette printanière. Rien d’étonnant

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[15] Un tisserin pris dans un filet decapture.©

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Nom vernaculaire Nom scientifique Nombre de captures

Marouette de Baillon Porzana pusilla 16

Marouette poussin Porzana parva 2

Bécasseau minute Calidris minuta 1

Bécassine des marais Gallinago gallinago 4

Hirondelle de rivages Riparia riparia 52

Hirondelle rustique Hirundo rustica 1

Pipit des arbres Anthus trivialis 1

Bergeronnette grise Motacilla alba 2

Bergeronnette printanière Motacilla flava 560

Gorgebleue à miroir Luscinia svecica 64

Rougequeue à front blanc Phoenicurus phoenicurus 1

Traquet motteux Oenanthe oenanthe 1

Locustelle luscinioïde Locustella luscinioides 6

Locustelle tachetée Locustella naevia 50

Cisticole des joncs Cisticola juncidis 2

Rousserolle turdoïde Acrocephalus arundinaceus 1

Phragmite des joncs Acrocephalus schoenobaenus 982

Phragmite aquatique Acrocephalus paludicola 61

Rousserolle effarvatte Acrocephalus scirpaceus 109

Rousserolle africaine Acrocephalus baeticus 13

Hypolaïs obscure Hippolais opaca 3

Fauvette passerinette Sylvia cantillans 38

Fauvette grisette Sylvia communis 6

Pouillot véloce Phylloscopus collybita 207

Total 2188

[16] Tableaux général des espèces capturées et baguées

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puisqu’il s’agit des passereaux européensles mieux représentés dans les zoneshumides étudiées, après l’hirondelle derivage. Nous avons volontairement évitéles dortoirs de cette dernière espèce, sinonles captures auraient pu atteindre desmilliers d’oiseaux tant les effectifs de cettehirondelle sont importants dans la bassevallée du Sénégal.

L’utilisation de cages-pièges a, sansconteste, augmenté les possibilités decaptures de marouettes. Parmi les espècesnon traitées dans les monographies, ilfaut citer la rousserolle turdoïde dontseulement 1 individu a été pris. Des filetsont pourtant été tendus dans des habitatsfavorables, par exemple des roselièreshautes à massettes avec quelques touffesde grands roseaux (Phragmites sp.).L’espèce est manifestement rare dans larégion du Djoudj. Le cisticole des joncs etle traquet motteux sont plus abondantsque ne le laissent supposer les captures,mais vivent dans les milieux secs, donchors des zones de captures.

Les habitats et l’avifaune associée

La roselière à massetteUn des habitats naturels humides lesmieux représentés actuellement dans labasse vallée du fleuve Sénégal est sansconteste la roselière à massette (Typhasp.) [17]. Ce milieu est inondé toutel’année, mais avec des variationssaisonnières et également liées à latopographie locale. Dans ce milieu trèshomogène, se développent çà et làquelques massifs de roseaux (Phragmitesaustralis) de forte taille et en lisière destouffes de joncs et de grandes laîches.Certaines zones sont gérées par le feu enpériode sèche, et des troncs calcinés detamaris en témoignent. Depuis la créationdu barrage de Diama, il n’existe plusd’influence des marées au niveau duDjoudj, et les niveaux d’eau sont plushauts et constants qu’auparavant. Àl’intérieur de l’endiguement du fleuve, cettesituation a modifié le fonctionnement desécosystèmes au bénéfice des massettes,la roselière ayant pris la place de prairieshumides pâturées. Ce phénomène sepoursuit avec l’extension des roselières quimenacent les milieux ouverts, y comprisà l’extérieur des digues dans les zonesprairiales du Parc national.

Onze espèces transsahariennes ont étécapturées dans ce milieu [18], où les

fauvettes aquatiques se taillent la part dulion. La présence du pouillot véloce en sigrand nombre et celle des fauvettesgrisette et passerinette s’expliquent par lestamaris qui bordent ces roselières. Noussommes restés volontairement éloignésdes dortoirs d’hirondelles de rivage, maisce milieu héberge chaque nuit plusieursmillions d’individus. Bien évidemment, laroselière à massette abrite également ungrand nombre d’oiseaux africains qui

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[17] Séance de capture dans la roselièreà massettes.[18] Histogramme des captures (en %),dans les roselières à massettes.[19] Martin pêcheur huppé.

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viennent s’y nourrir ou y trouvent refugepour la nuit. On peut citer les tisserins(Ploceus melanocephalus), la priniaaquatique (Prinia fluviatilis), la rousserolleafricaine (Acrocephalus baeticatus), larousserolle des cannes (Acrocephalusrufescens), le cisticole roussâtre (Cisticolagalactotes), l’euplecte vorabé (Euplectes

afer), le martin-pêcheur huppé (Alcedocristata) [19], le râle noir (Amaurornisflavirostra) et le bengali zébré(Sporaeginthus subflavus).

Les prairies humides à graminées etcyperacéesLe deuxième grand type d’habitat dans leDjoudj est constitué par des prairieshumides à graminées (Sporobulusrobustus) et cypéracées basses (Scirpusmaritimus, Scirpus littoralis) sur de vastessurfaces [20]. Ce paysage très ouvert estlocalisé aux grandes dépressions situéesentre la digue du fleuve Sénégal, lesgrands lacs et les étendues désertiques.Ce milieu est soumis aux variationssaisonnières des niveaux d’eaux. Pendantla saison des pluies, ces zones sontalimentées depuis le fleuve. Dès lafermeture des vannes, l’évaporation vaprogressivement réduire la hauteur d’eauet assécher les secteurs les plus élevés.Ce phénomène va conditionner larépartition des oiseaux en fonction deleurs exigences écologiques.

En janvier et février, les secteurs à lapériphérie de la zone humide sont lespremiers à s’assécher. On y trouve çà etlà des buissons et des arbustes. Celaexplique les captures de fauvettespasserinettes et grisettes ainsi que depouillots véloces. Dix espècestranssahariennes caractérisent cet habitat[21]. La bergeronnette printanière,omniprésente, se nourrit sur le sol nu.

Parmi les espèces africaines, les pluscommunes sont : les tisserins (Ploceusmelanocephalus, Ploceus cucullatus), laprinia aquatique (Prinia fluviatilis), lecisticole roussâtre (Cisticola galactotes),l’euplecte vorabé (Euplectes afer), letravailleur à bec rouge (Quelea quelea), lemoineau jaune (Passer luteus). Certainesautres espèces sont liées à la présencedes buissons comme le guêpier nain(Merops pusillus) [22] et la tourterellemasquée (Oena capensis).

Les prairies humides inondéesLes prairies humides présentent plusieursfaciès selon le recouvrement et la hauteurde la végétation. Dans certaines zones, lesscirpes dominants (Scirpus littoralis)peuvent être couchés comme unpaillasson ou dressés. La profondeur d’eauy atteint souvent un demi mètre. Ici, pasun seul arbuste, mais des massifs demassettes qui prennent chaque annéeplus d’ampleur.

Les zones optimales pour le phragmiteaquatique sont caractérisées par une

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[20] Prairie humide à graminées(Sporobulus robustus) et cypéracées(Scirpus maritimus, Scirpus littoralis)asséchée.[21] Histogramme des captures (en %),dans les prairies humides asséchées.[22] Guêpier nain.

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végétation basse et ouverte à Sporobulusrobustus au sein de laquelle on observede nombreuses mares à nénuphar. Laprofondeur d’eau y varie généralemententre 10 et 50 cm.

Quinze espèces transsahariennes figurentdans les captures [23]. Le nombre dephragmites des joncs est lié à la dispositiondes filets à travers de grandes zones demassettes sur un des sites. Dans les zonesles plus favorables aux phragmitesaquatiques, la bergeronnette printanièreest de loin l’oiseau le plus abondant. Lafigure ne le fait pas apparaîtresuffisamment, mais cet habitat accueilleune grande diversité de limicoles parmilesquels des effectifs importants decombattants variés, de chevaliersstagnatiles et sylvains, de glaréoles àcollier.

Parmi les oiseaux africains régulièrementcapturés dans cet habitat, citons le cisticoledes joncs (Cisticola juncidis), le cisticoleroussâtre (Cisticola galactotes), l’euplectevorabé (Euplectes afer), le moineau jaune(Passer luteus), les tisserins (Ploceusmelanocephalus, Ploceus cucullatus), lebengali zébré (Sporaeginthus subflavus)et la talève sultane (Porphyrio porphyrio).

Une quête excitante

Après un coup d’essai le 18 janvier à lastation biologique du Parc National duDjoudj, le travail démarre réellement le20 janvier et se poursuivraquotidiennement jusqu’au 8 février. Durantles 7 premiers jours, les filets sont installésdans les sites exploités historiquementpar d’autres équipes de bagueurs(observatoire Tentale, poste de Gainthe,rives du fleuve Sénégal) dans destyphaies, des mosaïques de laîches,scirpes, roseaux et arbustes [24]. Lehuitième jour, une équipe s’installe dansles vastes prairies humides près du GrandLac et capture les deux premiersphragmites aquatiques. Parallèlement,une autre équipe fait des investigationsprès du village de Tiguet dans un vasteensemble de prairies inondées et repèreun mâle qui chante perché dans un massifde Typha de quelques mètres carrés. Lesbagueurs décident de barrer le secteuravec deux filets et capturentimmédiatement 3 individus en une heureen fin de matinée. Trois autres oiseauxsont capturés en fin d’après midi àquelques centaines de mètres sur cemême site. Dès lors, l’habitat favorableest déterminé et les sessions de captures

vont s’y focaliser jusqu’à la fin du séjour,avec des captures régulières jusqu’au 2février. Une période de vent fort réduiraensuite la piégeabilité jusqu’au 7 février.Deux oiseaux sont encore pris le 8 février,après une amélioration des conditionsmétéo. Au total, ce sont 61 individus quisont capturés.

Nous avons réalisé 5 auto-contrôlesd’oiseaux qui, tous, avaient été baguésexactement au même endroit. Nousn’avons donc aucun élément pour penserque les phragmites aquatiques ont changéde site durant cette période de quelquessemaines. En revanche, il est possibleque des déplacements aient lieu au coursde l’hiver en fonction de la variation desniveaux d’eau et de l’aspect de la

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[23] Histogramme des captures (en %),dans les prairies humides inondées.

[24] Un filet de capture est tendu à tra-vers les marais du Djoudj.

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végétation, les oiseaux recherchantprobablement les secteurs qui présententun habitat optimal pour l’alimentation.

Un oiseau bagué juvénile le 19 août 2003à la laguńa de la Nava, près de Palenciaen Espagne, a été contrôlé le 25 janvier2007 près de Tiguet, soit près de 4 ansplus tard. Il s’agit du premier contrôle surles zones d’hivernage d’un phragmiteaquatique bagué en Europe. Il s’agitégalement de la plus longue durée de portde bague pour l’espèce. Mais cela nenous apprend rien de l’originegéographique des oiseaux qui hivernent auDjoudj puisque des oiseaux nés dansdifférents pays d’Europe de l’Est peuventfaire escale en Espagne lors de lamigration postnuptiale.

Comme cela est décrit dans la méthode,les oiseaux ont été capturés soit dans deslignes de 10 à 15 filets maintenues au

même endroit durant plusieurs jours, avecrepasse du chant du phragmite aquatiqueet parfois utilisation d’une corde pourrabattre les oiseaux, soit avec des filetsmobiles, généralement installés par deuxou trois, et vers lesquels les oiseaux étaientrabattus après avoir été repérésvisuellement. La première méthode apermis de capturer 19 individus (31%) etla seconde 42 individus (69%).

En prenant en compte la présence oul’absence de protubérance cloacale, il a étépossible de sexer 11 oiseaux, parmilesquels on a distingué 7 mâles et 4femelles. Seulement une partie desindividus capturés a fait l’objet de cetexamen. Nous ne savons pas si tous lesmâles ont une protubérance cloacaledéveloppée à partir du mois de janvier ouseulement une partie d’entre eux. Lalocalisation d’oiseaux suivie de leur captureà partir de manifestations sonores (chant

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[25a] et [25b] l'habitat type du phragmite aquatique en hivernage.

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ou cris de contact) peut avoir entraîné unbiais et favorisé la capture des mâles.

D’après Cramp 1992, la mue des adultesdémarre par le plumage de contour, dèsla fin de la période de reproduction, etpeut se poursuivre au cours de la migrationpostnuptiale. La mue des rémiges et desrectrices se produit sur les quartiersd’hivernage, mais à une période inconnue,probablement assez tôt car les adultesde retour sur les sites de nidificationpeuvent présenter un plumage déjàpassablement usé. Sur les 56 individusdifférents manipulés au Djoudj en 2007, 3présentaient quelques tectrices en pousse(gorge en particulier), le reste de leurplumage étant totalement neuf, 1 seuloiseau avait l’ensemble des rémiges etdes rectrices vieilles, 1 autre était en muedes rémiges (65,14,23) et les 51 autres(soit plus de 90%) avaient un plumageentièrement neuf et avaient donc terminéleur mue complète. Pour la majorité desoiseaux, la mue des rémiges et desrectrices se produit donc probablemententre octobre et décembre, assez vite dèsl’arrivée sur les quartiers d’hivernage.

Une ambiance polonaise

Les trois habitats où l’espèce a étédécouverte ont en commun un paysagevaste et ouvert de prairies plus ou moinshumides [25], certaines plus fortementinondées et d’autres presque asséchées.On y retrouve toujours les scirpes, maispas forcément le Sporobulus robustus. La majorité des oiseaux a été capturéedans les prairies humides à Scirpus sp. etSporobulus robustus où la profondeurd’eau était comprise entre 10 et 50 cm. Cethabitat est caractérisé par une végétationbasse et homogène avec ça et là de petitestouffes de massettes de quelques mètrescarrés. Dans les secteurs à scirpesdominants, la végétation est très ouverteavec par endroit des zones d’eau libre oùémergent des nénuphars. Si l’espècesélectionne fortement cet habitatapparemment optimal, la répartition desphragmites aquatiques n’y est cependantpas homogène.

Un autre habitat favorable au vu dunombre de captures ressemble fortementau précédent, mais les scirpes sont icilargement dominants, couchés oudressés, et les zones à Sporobulusrobustus très espacées. Les massettesforment de véritables massifs deplusieurs dizaines de mètres carrés, ce

qui donne au milieu un aspect moinshomogène. Il est probable que dans cesmilieux moins favorables, les phragmitesaquatiques sélectionnent les micro-secteurs les plus intéressants.

Lors des nombreuses périodesd’observations effectuées sur le site deTiguet en particulier, nous avons constatéque les phragmites aquatiques étaientrarement isolés. Dans la plupart des cas,nous avons repéré tout d’abord un mâlequi chantait ou poussait des cris de contactperché sur une tige de massettes,généralement juste au-dessus du sommetdes scirpes. Ensuite, en marchant auxalentours, nous avons levé généralementdeux ou trois autres individus. Cesobservations ont été confirmées par lacapture, au même endroit, de plusieursindividus différents en quelques heures.Les critères de sexage n’étant pascomplètement fiables, nous ne pouvonsque former l’hypothèse qu’il y avait souventun mâle et plusieurs femelles dans unmême secteur. La répartition des oiseauxen groupe de quelques individus, sur unsecteur de quelques hectares séparésd’un autre groupe, distant de plusieurscentaines de mètres au minimum, laisseà penser que le phragmite aquatiquepourrait défendre un territoire sur les zonesd’hivernage. Cette impression estrenforcée par le fait qu’à plusieurs reprises,et dans différents secteurs, des mâleschantaient ou émettaient des crissemblables à ceux émis lors de défensede territoire. Tout ceci reste évidemmentà étudier et à confirmer en individualisantles oiseaux de plusieurs groupes sur lessites d’hivernage et en les suivant au coursde plusieurs mois.

Une autre question concerne la fidélitédes phragmites aquatiques à un même siteau cours d’une saison d’hivernage et surplusieurs hivers. Il est possible que lesoiseaux se déplacent au sein d’un site enfonction de différents paramètres commela hauteur d’eau et celle de la végétation.Si les oiseaux sont fidèles d’une année àl’autre à un même site d’hivernage, commec’est le cas chez beaucoup d’espèces, lagestion et la conservation de ces zones estd’autant plus déterminante pour l’avenir del’espèce. Là encore, un marquage régulierde nombreux oiseaux et leur suivi tout aulong de l’hivernage apportera desréponses.

Signalons enfin que l’utilisation de larepasse (diffusion du chant de l’espèce àpartir d’un magnétophone posé près desfilets) n’a pas donné les résultatsescomptés puisque les oiseaux ne

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semblent pas particulièrement attirés parce subterfuge à cette période de l’année.En revanche, certains oiseaux, peut-êtredes mâles, ont réagi nettement enrépondant par des cris caractéristiques etdes chants incomplets émis depuis leurterritoire. Cela nous a permis de lesrepérer et donc de les capturer par lasuite.

Sur la carte [26], les zones en jaunecorrespondent à des zones tampon de100 mètres autour des travées de filets.Leur surface représente environ 100hectares, que l’on peut considérercomme les secteurs échantillonnés etdans lesquels 61 individus ont étécapturés. Les observations nous inclinentà penser que nous n’avons pas capturétous les phragmites aquatiques présentsdans ces secteurs. Le très faible tauxd’autocontrôles va dans le même sens etconfirme nos impressions. Pour 11secteurs échantillonnés, représentantune surface de 96,14 ha, la densitémoyenne est de 6,0 individus pour 10 ha(écart type = 6,9 individus). La grandevariabilité de la densité d’oiseaux calculéeà partir du nombre de captures s’expliquepar l’absence de capture dans certainssecteurs favorables.

Sur la carte, les zones figurées en vertont été observées minutieusement, soitpar examen à distance à l’aide dejumelles, soit parcourues à pied. De ce

fait, nous savons que l’habitat y estglobalement propice au phragmiteaquatique et en tout cas comparable àcelui où des captures ont été réalisées.Nous considérons que la densité dephragmites aquatiques doit y êtreéquivalente à celle des zoneséchantillonnées. Ces zones favorablescouvrent une superficie de 875 ha.

Enfin, à partir de l’analyse de l’imagesatellite, il est possible, avec une marged’erreur limitée, de tracer les contoursd’une zone potentiellement favorable àl’espèce, où le paysage ouvert requisest une certitude, mais dont le type devégétation et la hauteur d’eau ne sont pasconnus. Il est évident que l’ensemble decette zone n’est pas favorable à l’espèce,en tout cas pas durant tout l’hiver. Cettevaste aire potentielle s’étend sur 5 500hectares. En appliquant les mêmesdensités aux 3 zones considérées, nousobtenons 534 individus dans la zonefavorable (en vert) et 3 355 individuspour la zone potentielle (en hachuré).Nous pouvons considérer le premierchiffre comme un minimum d’oiseauxhivernants dans le Djoudj à la périodeétudiée (janvier et février), soit environ1% de la population mondiale del’espèce. La seconde estimation estmoins fiable puisque nous n’avons pasde certitude sur l’aire vraiment favorableet utilisée par l’espèce à cette période del’année. Il est vraisemblable en tout cas

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[26] Estimation des habitats utilisés par le phragmite aquatique.

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que ce chiffre représente le maximum del’effectif hivernant dans le Djoudj, soittout de même près de 7% de lapopulation mondiale de l’espèce.

Il est clair que pour affiner cette analyseet avoir une idée plus précise de l’effectifhivernant dans le Djoudj, il faudra dresserune cartographie plus précise deshabitats et ensuite modéliser ladistribution ou les captures en fonctiondes caractéristiques de ces habitats.

L’analyse des captures

Les espèces les plus abondammentcapturées font l’objet d’une petitemonographie dans les pages suivantesoù apparaîtront le détail des captures,des informations sur l’origine desoiseaux, et le cas échéant sur la mue etl’habitat fréquenté en hiver.

Le phragmite aquatique, Acrocephaluspaludicola [27]Les informations disponibles surl’hivernage de l’espèce ont étésynthétisées dans une récente publication(Schäffer et al., 2006) dans laquelle lesauteurs donnent le nombre de données parpays, par mois et par type de milieux.Nous apprenons ainsi que de novembreà janvier, période où il n’y a probablementpas de mouvements migratoires, l’espècea été contactée uniquement dans la zonesahélienne de l’Afrique de l’Ouest, enMauritanie, Mali, Sénégal et Ghana.L’ensemble de ces observations neconcerne que quelques individus capturésou le plus souvent observés.

D’après Schäffer et al., la description deshabitats et de la végétation utilisés parl’espèce en hiver est comparable à celle deszones de reproduction. La majorité desdonnées provient de groupements à Carexsp., Juncus sp. ou Phragmites australis,mais aussi de graminées denses, debuissons et autres végétations autour dezones d’eau libre, dans les prairies humidesou inondées et sur les rives des lagunes, deslacs, des mares, des cours d’eau… Au seinde ces habitats, les oiseaux ont étéfréquemment observés dans des buissonset arbustes épars de Avicennia africana(mangrove), Acacia ataxacantha, Acacianilotica, Acacia raddiana, Nitraria retusa,Salvadora persica et Tamarix sp… D’ailleurs,les trois individus capturés par Jarry etLarigauderie en 1972 dans la dépression duDjoudj, l’avaient été dans un marais couvertd’un épais tapis graminéen (Morel & Roux,1973).

Marouette de Baillon, Porzana pusilla[28]Onze oiseaux ont été capturés dans lescages-pièges. Les 5 autres ont été piégésdans des filets verticaux classiques. Cesderniers se sont pris en fuyant devant desrabatteurs. Neuf individus ont pu êtresexés, parmi lesquels on trouve 4 mâleset cinq femelles. Nous n’avons obtenuaucun contrôle, ni auto-contrôle. Tous lesoiseaux étudiés avaient des rémiges etdes rectrices neuves. Les captures onteu lieu dans deux grands types demilieux, la prairie humide et le marais àscirpes. Les oiseaux ont été contactésdans 5 faciès différents de prairie humide(composition floristique, densité devégétation, niveau d’eau). Au total, 14individus ont été capturés en prairiehumide et 2 individus dans un marais àscirpe. Cette répartition des capturestravestit sans doute la réalité de ladistribution de l’espèce dans les milieux.En effet, les prairies se prêtent bienmieux à un échantillonnage par descages-pièges que les marais à massetteset roseaux où la profondeur d’eau estimportante. Des marouettes ont étéobservées et entendues dans les Typha.Ce milieu est donc également utilisé, aumoins sur les rives, là où la profondeurd’eau est la plus faible. Les informationsobtenues en 2007 nous apprennent quele Parc national du Djoudj pourrait êtreune des zones majeures d’hivernage dela ssp. intermedia. En effet, l’espèce a étécapturée ou observée dans la plupartdes habitats échantillonnés. Compte tenudes surfaces favorables dans la bassevallée du Sénégal, les effectifs hivernantspourraient être très élevés. Cela restebien entendu à confirmer en multipliantles captures avec les cages-pièges surle plus grand nombre de sites possibles.

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[27] La star de l’expédition : le phrag-mite aquatique.

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Bergeronnette printanière, Motacillaflava [29]Sur 534 oiseaux différents, concernant560 captures, nous avons sexé 472individus, 236 mâles et 236 femelles.Une femelle adulte portant une bagueanglaise a été contrôlée le 29 janvier2007. La majorité des oiseaux étudiésétaient en mue du plumage de contour,463 sur 508 individus, soit 87%.Seulement 3 individus muaient desrémiges primaires, 5 des rémigessecondaires. L’espèce est particu-lièrement abondante dans les prairieshumides à Scirpus sp. et Sporobulusrobustus où le niveau d’eau varie de 0 à30 cm, spécialement autour des mares

à nymphea sp. Elle fréquente égalementles marais à scirpes, mais elle est peuabondante en journée dans les marais àmassettes et roseaux. La grande majoritédes mâles capturés appartient à la sous-espèce ibérique iberiae.

Gorgebleue à miroir, Luscinia svecicaNous avons capturé 64 individus, ce quilaisse à penser que l’espèce n’est pastrès abondante dans cette région enhiver. En se fiant aux taches apicales surla pointe des grandes couvertures, nousavons établi que 25 individus (39%)étaient des oiseaux de plus de 2 ans et27 d’entre eux étaient nés en 2006. L’âgede 12 autres n’a pu être certifié, mais il

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[28] Marouette de baillon. [29] Bergeronnette printanière iberiae (la bergeronnetteprintanière est l'oiseau le plus commun dans les prairies humides asséchées). [30]Phragmite des joncs.

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est probable que la plupart de cesoiseaux étaient également nés l’annéeprécédent leur capture. Dans l’échantillondes captures, on trouve 44 mâles et 20femelles. Ce déséquilibre pourraits’expliquer par une répartition différentedes zones d’hivernage selon le sexe, lesfemelles hivernant en moyenne plus ausud et donc plus loin des sites dereproduction que les mâles, comme celaa été observé pour de nombreusesespèces.

Les oiseaux ont été majoritairementcapturés dans les végétations à scirpesavec de nombreux buissons et arbustes(tamaris, acacias). Quelques uns setrouvaient dans une mosaïque de zonessèches et de zones d’eau libre àscirpaie, avec sur les berges desbuissons de tamaris. Dans ce milieu, laplupart des oiseaux ont été capturésau sol, dans les matoles. Enfin, de raresindividus ont été pris dans de vastesroselières inondées à massettes (Typhasp.).

Les captures réalisées au Djoudj en 2007confirment donc que l’espèce hivernedans le Parc national du Djoudj et enparticulier dans les marais à grandshélophytes bordés d’arbustes. Lamajorité des sujets capturésappartenaient manifestement à la racecyanecula, mais quelques individusprésentaient les caractéristiques desoiseaux sans miroir qui se reproduisentdans la péninsule ibérique, en Galice oudans la sierra de Gredos.

Phragmite des joncs, Acrocephalusschoenobaeus [30]Avec 982 captures, le phragmite desjoncs est l’espèce la plus capturée aucours de cette mission. Le taux decontrôles locaux s’élève à 11,3%. Pourcomparaison, en baie d’Audierne, le tauxd’auto-contrôles pour les juvéniles dephragmites des joncs a été de 11,4% en2006.

Au cours du séjour, 8 oiseaux bagués enFrance, 5 oiseaux bagués en GrandeBretagne et 3 individus bagués enBelgique ont été repris. Le taux decontrôles étrangers est donc de 1,7%.L’individu marqué 5411498 avait étébagué le 22 août 2006 à Sandouville(Seine Maritime) et l’individu 5289149le 22 août 2006 également, mais àTrunvel (Finistère).

Nous avons étudié le plumage de 818individus différents. La grande majoritéde ces oiseaux avaient terminé leur mue

complète et présentaient un plumageneuf. En ce qui concerne les grandesplumes, 13 individus étaient en mue desrémiges primaires, 6 individus desrémiges secondaires et un seul de cesoiseaux avait des rectrices en pousse.Ces informations nous permettent deconclure que la grande majorité desphragmites des joncs mue avant la mi-janvier, probablement très vite après leurarrivée sur les zones d’hivernage.

La majorité des captures a été réaliséedans des paysages relativement fermés,composés de bosquets et de haiesd’arbres et d’arbustes bordant les zonesd’eau libre ou de végétation palustre. Ilfaut cependant remarquer que l’espècea été contactée dans tous les milieuxéchantillonnés, les roselières à massetteset roseaux arrivant en deuxième positionpour le nombre de captures. Dans lesprairies humides, les phragmites desjoncs étaient surtout cantonnés auxmassifs de Typha.

Rousserolle effarvatte, AcrocephalusscirpaceusLes informations obtenues en 2007montrent que l’effarvatte hiverne demanière régulière et en nombre dans leszones humides du Djoudj, puisque nousy avons capturé 109 individus. Il sembledonc y avoir eu une évolution sensible dela distribution de l’espèce dans cetterégion du Nord Sénégal depuis lesannées 1960, époque à laquelle seulsdes migrateurs étaient contactés. Dansle lot d’oiseaux en 2007, le taux decontrôles locaux s’élève à 5,4%. Nousavons capturé un oiseau bagué enEspagne et un autre marqué à Trunvel(Finistère) comme mâle adulte le 28 juillet2006.

Aucune des rousserolles manipulées neprésentait de mue des rémiges primaires.Un seul oiseau était en mue des rémigessecondaires. Au Djoudj, l’effarvatteexploite presque exclusivement laroselière haute et dense à massettes etroseaux, ainsi que les formations hautesà scirpes des lacs et étangs entourés deformations buissonnantes et arbustives.

Fauvette passerinette, Sylvia cantillans[31]Avec 38 captures, il s’agit de la fauvetteterrestre la plus abondante dans les filets.Nous avons contacté 24 mâles et 12femelles. Deux individus n’ont pu êtresexés avec précision. Nous n’avonsobtenu aucun auto-contrôle, ni capturéaucun oiseau déjà bagué auparavantsur place ou en Europe.

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Dans les zones humides du Djoudj,l’espèce fréquente principalement lesmilieu constitués de marais à grandsscirpes en bordure de lac, avec denombreux buissons et haies d’arbres(tamaris, acacias…), mais aussi leszones arbustives en bordure de prairieshumides et les haies de tamaris enpériphérie des roselières à massettes.L’espèce est également très présentedans les savanes. En 2007, hors duDjoudj, nous avons contacté cette espècede St-Louis à Richard Toll, et de Thièsà Dakar, dans de très nombreux milieux.Nous estimons qu’il s’agit d’un despassereaux les mieux représentés danscette région et la plus abondante desfauvettes terrestres. Le nord du Sénégalest actuellement une zone d’hivernagemajeure pour ce passereau.

Pouillot véloce, Phylloscopus collybitaLe pouillot véloce est un hivernant assezcommun et 207 individus ont été pris aucours du séjour. La majorité des oiseauxa été capturée dans un milieu constituéd’un marais à grands scirpes en bordurede lac, parsemé de nombreux buissonset haies d’arbres (tamaris, acacias…). Denombreux autres individus se sont faitsprendre dans des haies arbustives enbordure de prairies humides et aussidans les roselières à massettes, àproximité de haies de tamaris. Un oiseau

porteur d’une bague anglaise a étécontrôlé et nous avons également obtenu2 auto-contrôles.

Sans oublier…Nous avons volontairement évité lesdortoirs d’hirondelles de rivage, sinon lescaptures auraient pu atteindre des milliersd’oiseaux tant les effectifs sont importantsdans la basse vallée du Sénégal. Ledéveloppement de vastes surfaces deroselières à massettes sur les rives dufleuve, depuis la construction du barragede Diama dans les années 1980, avraisemblablement profité à l’espèce quis’en sert comme dortoir. Avant ledéveloppement de cet habitat, leshirondelles trouvaient des refuges plusprécaires dans les haies de tamaris(Lamarche, comm. pers.). Nous avonscependant pris 52 individus de manièreincidente. Un de ces oiseaux avait étébagué adulte le 31 août 2006 à SalbueraBenoto, près de Vitoria en Espagne.

La locustelle tachetée est assez abondantedans les prairies humides. Dans les 50individus capturés, un oiseau capturé le 25janvier portait une bague anglaise.

L’une des 2 bergeronnettes grisescapturées portait une bague islandaise !Cette espèce est assez rare dans le Djoudjen hiver.

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[31] Mâle adulte de fauvette passerinette.

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Parmi les espèces non traitées dans lesmonographies, il faut citer la rousserolleturdoïde dont seulement 1 individu a étépris. Des filets ont pourtant été tendusdans des habitats favorables, par exempledes roselières hautes à massettes avecquelques touffes de grands roseaux(Phragmites sp.). L’espèce estmanifestement rare dans la région duDjoudj. Le cisticole des joncs et le traquetmotteux sont plus abondants que ne lelaissent supposer les captures, mais viventdans les milieux secs, donc hors des zonesde captures.

Des acquis importants

Une grande premièrePlusieurs paramètres peuvent expliquerqu’aucune zone d’hivernage du phragmiteaquatique n’ait jusqu’alors été repérée. Ilfaut d’abord se remémorer que lapopulation totale de l’espèce n’excèdeprobablement pas 30 000 individus, jeuneset adultes compris, et que ces oiseauxpeuvent s’éparpiller sur de vastes zonesen Afrique de l’Ouest. Chaque secteurfavorable à l’espèce peut couvrir desdizaines de milliers d’hectares de prairieshumides. Les densités y sont très faibleset les oiseaux n’ont pas une répartitionhomogène. L’espèce est de petite taille etil faut un œil averti pour la différencier denombreuses autres espèces locales, etsurtout de son cousin le phragmite desjoncs avec lequel elle est souventconfondue. Les nombreuses équipes debagueurs européens qui se sont rendus auSénégal ou dans d’autres pays d’Afriquede l’Ouest ont installé leurs filetsprincipalement dans des marais à scirpes,des roselières à massettes ou à roseaux,des zones buissonnantes, des jardins,mais peu ou pas du tout à notreconnaissance dans les prairies humides àvégétation basse et ouverte qui constituentl’habitat de prédilection de l’espèce enhiver.

Nous avons vu que les phragmitesaquatiques sont répartis en petits groupesde quelques individus dans des habitatstrès spécifiques. Il est important de mieuxappréhender de quelle gestion résultentces habitats pour, le cas échéant, multiplierleur surface et offrir ainsi des conditionsoptimales d’hivernage à ces oiseaux.D’une manière plus générale, ladécouverte de cette importante zoned’hivernage dans le Parc national du Djoudjouvre de multiples perspectives d’étudessur la biologie,l’écologie et la conservationde l’espèce en hivernage.

L’habitat du phragmite aquatique et lecortège d’oiseauxUn des résultats importants de cetteexpédition est d’avoir identifié le typed’habitat utilisé par le phragmite aquatiqueen hivernage. Cette connaissance vapermettre de localiser plus facilementd’autres zones d’hivernage de l’espèceen Afrique de l’Ouest. Rappelons quedans l’habitat optimal pour le phragmiteaquatique, la bergeronnette printanièreest le passereau le plus abondant. Lalocustelle tachetée est également bienreprésentée, et dans les touffes demassettes, les phragmites des joncs sontabondants. Les limicoles se nourrissentaussi en nombre dans ces prairieshumides et en particulier le combattantvarié, l’échasse blanche, les chevaliersstagnatiles et sylvains et la glaréole àcollier. C’est aussi le domaine de l’ibisfalcinelle et des marouettes. Cetassemblage d’espèces ressemblefortement à celui qui peut être observédans les végétations à bourgou du deltaintérieur du Niger (Zwarts et al, 2005) oùl’espèce a déjà été observée (Lamarche,comm. pers.). Une exploration minutieusedans cette région du Mali serait doncsouhaitable pour y vérifier la présence duphragmite aquatique. Les contacts avec lescollègues mauritaniens lors de l’expédition2007 indiquent que de très vastes zonesde prairies humides comparables à cellesdu Djoudj existent dans ce pays, enparticulier dans le Parc national deDiawling, ainsi que dans la région deMafounadich entre Timbedra et Nemadans l’est du pays (Lamarche, comm.pers.).

Le Mémorandum signé en 2008 ?Il convient de relativiser la prise deconscience réalisée en Europe au coursdes 10 dernières années, sur la gravité desenjeux de conservation du phragmiteaquatique. Il faut souligner qu’en ce débutd’année 2008, notre pays est le dernier des15 concernés par le Mémorandum,Sénégal compris, à ne pas avoir signél’accord. Des démarches ont encore étéentreprises par Bretagne Vivante auprèsdu Ministère de l’écologie de l’aména-gement et du développement durable(MEDAD), en décembre 2007. Nousespérons qu’elles conduiront à unesignature du Memorandum par l’État dansle courant de l’année 2008.

Un plan d’action national ?Notre pays ne bénéficie jusqu’à présentd’aucun plan d’action national pour lephragmite aquatique, alors que d’autresespèces d’oiseaux non globalementmenacées en ont un. Finalement, les

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seules actions de conservation au plannational se résument au programme Lifede Bretagne Vivante, mis en oeuvre sousl’impulsion du milieu associatif et quis’achèvera au début 2009. Soulignonsque le Medad a cependant participéfinancièrement à 7 % du budget de ceLife.

Un groupe de travail sur le phragmiteaquatique vient de voir le jour à l’initiativede la Réserve Nationale de la baie deSeine, de Bretagne Vivante et del’ONCFS pour l’estuaire de la Loire. Cegroupe de travail piloté par le CRBPOaura pour mission d’organiser des suivisstandardisés de la migration postnuptialede l’espèce en France et d’en valoriserles résultats. Le Medad pourraits’appuyer sur ce groupe de travail pourlancer les bases d’un plan d’actionnational pour la conservation des zonesde haltes migratoires du phragmiteaquatique.

Promouvoir la conservation del’espèce au SénégalDes conversations avec Ibrahima Diop etdes habitants du village de Tiguet nousindiquent que certaines parcelles prochesde ce village sont utilisées une partie del’année pour le pacage et la récolte de

Sporobulus robustus qui sert à laconfection de nattes. Les villageois sontdonc déjà impliqués dans la gestion deces habitats. Ces activités semblentfavorables au phragmite aquatiqued’après nos premières constatations.Elles permettent de garder des espacestrès ouverts à végétation clairsemée etlimitent le développement des massettes.Ces activités ne s’exercent, semble-t-ilque sur des surfaces réduites. Cesinformations restent évidemment àconfirmer et les aspects positifs pourl’espèce à évaluer. Une participation plusimportante des paysans à l’entretien desprairies favorables au phragmiteaquatique, avec des retombéesfinancières, n’est donc pas exclue.L’Allemagne vient de proposer un sujetde thèse à une étudiante sur ce sujet, quidémarre en 2008.

Une dynamique se met en placeprogressivement autour de laconservation du phragmite aquatique,mais les actions de conservation deszones d’hivernage ne peuvents’envisager que dans le cadre du co-développement entre l’Europe etl’Afrique, et entre la France et le Sénégalpour ce qui concerne le Parc national duDjoudj.

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[32] Dans la main d'Indega Bindia, ornithologue du Parc national du Djoudj, undes tous premiers phragmites capturés en février 2007 au Sénégal. Il repartira bien-tôt nicher en Pologne.

©M

artin

Fla

de

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Notes

1- Statuts de conservation de l'UICN pardegré d'importance décroissante : éteint,en danger critique, en danger, vulnérable.

2 - Statuts de conservation européens pardegré d'importance décroissante : endanger, vulnérable, rare, en déclin, loca-lisé...

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RemerciementsL’expédition a été financée par la RSPB, legouvernement britannique (Defra), laConvention de Bonn (CMS), la Sociétéornithologique allemande, la Commissioneuropéenne par le biais du Life « Conservationdu phragmite aquatique en Bretagne » et parBretagne Vivante.L’expédition a été rendue possible grâce àl’excellent accueil et au soutien logistique duParc national du Djoudj.

Bruno BARGAIN est directeur scientifique deBretagne Vivante-SEPNB, Trunvel, 29720Tréogat

Gaétan GUYOT, est chargé d'étude àBretagne Vivante

Arnaud LE NEVÉ est chargé de mission àBretagne Vivante-SEPNB, 186 rue Anatole-France, 29200 Brest

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U ne seconde mission d'une durée de20 jours vient de s'achever le 27 jan-

vier dernier. Elle avait pour objectif l’explo-ration de la rive mauritanienne du fleuveSénégal à hauteur du Djoudj, et notam-ment le parc national de Diawling, ainsique les rives du fleuve côté Sénégal dansle nord-est du pays.

Deux équipes se sont partagées le travail.Elles étaient composées de 11 Allemands,de deux salariés de Bretagne Vivante(Bruno Bargain et Arnaud Le Nevé), d'unBelge, d'un Polonais, d'un Letton et dedeux Sénégalais. Aucun phragmite aqua-tique n'a été contacté ou capturé au coursde ce périple à l'extérieur du parc natio-nal du Djoudj.

En Mauritanie, de vastes surfaces parais-saient favorables dans le parc national deDiawling. Néanmoins, 4 jours de visite etd'échantillonnage avec le conservateur duparc n'ont pas permis de détecter l'espèce.Elle ne semble donc pas y résider enhiver.

Une salinité du milieu plus élevée qu'auDjoudj, modifiant probablement le cortègede proies du phragmite, ainsi que des prai-ries humides moins vastes, plus cloison-nées par des zones buissonnantes àtamaris, des massifs de massettes et desprofondeurs d'eau plus variables, sont lesdifférences de paramètres relevés par rap-port aux zones favorables du Djoudj.

Ailleurs en Mauritanie, le long du fleuveSénégal, il a été constaté que les rizièreset les étendues de massettes qui rythmentle paysage autour de la ville de Rosso,avaient probablement supplanté desmilieux anciennement favorables avantleurs aménagements pour l'agriculture.Enfin, le temps et les moyens ont manquépour explorer convenablement les envi-rons du lac Rkiz, au nord-est de Rosso,qui pourrait présenter des zones humidesattractives pour le phragmite aquatique.

L'équipe qui explorait les rives du fleuveSénégal au nord-est, en remontant jusqu'àla frontière avec le Mali, n'a découvertqu'une seule dépression avec des habitatsfavorables, directement à l'est de Ross-Béthio, non loin du Djoudj. Mais elle n’estpas parvenue à y capturer l'espèce.

Il y a un an, à l'issue de la première expé-dition, l'idée qui présidait consistait à croireque le parc du Djoudj n'était qu'une par-tie d'un vaste ensemble fonctionnel pourle phragmite, incluant des secteurs favo-rables en Mauritanie de l'autre côté dufleuve. À l'issu de cette seconde expédi-tion, au contraire, le Djoudj semble êtrel'unique oasis hivernale pour l'espècedans cette région du nord-ouest duSénégal et du sud-ouest de la Mauritanie.Ceci accroît d'autant les enjeux et la res-ponsabilité qui pèsent sur le parc nationaldu Djoudj pour la conservation de l'es-pèce.

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Dernière minute :une seconde mission en janvier 2008 au Sénégal et en Mauritanie