Page 1
1
Marie-‐Hélène Caitucoli-‐Wirth, doctorante en Etudes politiques à l’EHESS
Notes pour une communication pour le séminaire « atelier de lecture :
politique, histoire, anthropologie », organisé par le Directeur de la
mention Etudes Politiques de l’EHESS, Gilles Bataillon. http://www.ehess.fr/fr/enseignement/enseignements/2014/ue/1115/
Présentation puis discussion en présence de l’auteure du livre ;
Dominique Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, nrf
Essais, Editions Gallimard, Paris, 2010.
***
Trame de l’ exposé (40-‐45 minutes)
-‐ 1. L’auteure
-‐ 2. Son approche précisément lors de son passage au Conseil constitutionnel
-‐ 3. La structure du livre qui en découle
-‐ 4. Ce que l’on apprend sur l’institution : a/un plan cognitif à travers un autre
regard sur l’institution ; b/l’apport à la théorie politique
-‐ 5. A titre conclusif….une question plus directe à l’auteure : une sociologie du
politique ou une théorie politique fondée sur l’expérience ?
1. L’auteure, le livre
Dominique Schnapper, directrice d’études à l’EHESS, est présentée sur le site du
CESPRA , à juste titre, comme une spécialiste de la Sociologie de la citoyenneté ;
l’enseignement principal que je lui ai connu, à titre personnel, fut décisif pour ma
compréhension, que je qualifierai d’étagée, des problématiques liées à la dynamique
démocratique ; le séminaire en question s’appelait alors « Les grands problèmes de la
Page 2
2
démocratie contemporaine : approche sociologique » et je crois qu’il a pris fin l’an
dernier.
Dominique Schnapper a eu et continue d’avoir une vie de chercheure très productive et
je peux citer de manière absolument non exhaustive, des ouvrages tels que (1994) La
Communauté des citoyens, sur l'idée moderne de nation, (Paris: Gallimard, « NRF Essais »,
(1997) Contre la fin du travail, (1998) La Relation à l'Autre. Au cœur de la pensée
sociologique, (Paris: Gallimard, « NRF Essais », (1999) La compréhension sociologique
(Paris: PUF, « Quadrige »), (2000) Qu'est-‐ce que la citoyenneté ? (Paris: Gallimard, Folio),
(2000) Questionner le racisme, (Paris: Gallimard), (2002) La démocratie providentielle.
Essai sur l'égalité contemporaine, (Paris: Gallimard, NRF Essais), (2003) Au fur et à
mesure : Chroniques 2001-‐2002 (Paris: Odile Jacob, « Sciences Humaines »), Schnapper,
D. / Bordes-‐Benayoun, C. (2006) Diasporas et nations, (Paris: Odile Jacob), (2007) Qu'est
ce que l'intégration? (Paris: Gallimard, Folio actuel, Schnapper, D. / Bordes-‐Benayoun, C.
/ Raphaël, F. , (2009) La condition juive. La tentation de l'entre-‐soi, (Paris: PUF, « Le lien
social »), (2010) Une sociologue au Conseil Constitutionnel (Paris: Gallimard, « NRF
Essais »), (2011) L'Engagement, éd. Fondapol., (2014) L'esprit démocratique des lois,
(Paris: Gallimard, « NRF Essais »).
Elle a surtout été, eu égard à notre sujet d’aujourd’hui, de 2001 à 2010, Membre du
Conseil constitutionnel, nommée par le président du Sénat d’alors, Christian Poncelet. Ce
livre, que Gilles Bataillon m’a demandé de présenter, Une sociologue au Conseil
constitutionnel, paraît chez Gallimard en 2010, lorsque Dominique Schnapper (DS)
quitte l’institution.
2. L’approche, le parti-‐pris, le regard posé sur l’institution
La quatrième de couverture le met en avant d’emblée : DS est étrangère au sérail
politique et c’est la première sociologue dans l’histoire du Conseil constitutionnel. Il est
en effet simple de vérifier les parcours des membres de l’institution depuis sa création
en 1958 : tous, de près ou de loin, affiliés au monde politique, de par des carrières d’élus,
de hauts fonctionnaires ou de diplomates, de plus en plus souvent aussi associées – ces
carrières-‐ à des vies intellectuelles ou universitaires dont témoigne la présence de
Page 3
3
quelques professeurs de…droit…mais de sociologue sans lien avec la politique si ce n’est
purement intellectuel, ou bien entendu civique, que nenni.
Sur ce plan purement civique, saluons cette honorable intention de l’auteure, en arrivant
au Conseil constitutionnel : « contribuer à faire triompher la vertu républicaine » (p.14) ;
la citoyenne s’exprime ici, certes, mais quand la citoyenne est aussi une intellectuelle de
cette envergure, il y a lieu de se demander si cela ne fait pas aussi écho à une réflexion
de théorie politique plus poussée. Nous y reviendrons.
En se plongeant plus avant dans l’introduction du livre, on comprend ce que cette
spécificité implique pour l’œuvre elle-‐même, au-‐delà de son originalité propre : en quoi
être sociologue au Conseil constitutionnel apporte-‐t-‐il une expérience différente par
rapport aux autres membres de l’institution ? Que cela nous apprend-‐il sur le Conseil
constitutionnel, mais aussi que cela apporte-‐t-‐il à l’institution elle-‐même ? DS, elle, n’a,
tout au long du livre, jamais la prétention d’apporter plus ou de se distinguer mais le
titre et l’existence même du livre, Une sociologue au Conseil constitutionnel, invitent
naturellement à se poser la question. Au-‐delà enfin de la légitimité de ces questions, le
contenu du livre réfracte un apport cognitif au lecteur qui puise à la racine de ces
dernières, pour en nourrir bien d’autres au fil de la lecture.
Résumons-‐nous à ce stade :
-‐ une sociologue entre au Conseil constitutionnel pour la première fois dans les
quelques cinquante ans de vie de l’institution et en tire une expérience
particulière qu’elle décrit dans un livre : son parcours et son regard diffèrent de
ceux des autres membres, comment ?
-‐ cette expérience particulière ainsi décrite permet de cerner autrement le
fonctionnement d’une institution dont jusqu’à présent on ne connaît que les
décisions et les commentaires juridiques dont elles font amplement l’objet : qu’y
apprend-‐on ? Qu’apporte le regard spécifique décrit en réponse à la première
question.
-‐ cette expérience particulière colore à sa manière le collectif dans laquelle elle
s’intègre : comment ?
Page 4
4
Ces questions sont celles qu’inspire donc spontanément le livre de par son seul titre
mais en réalité, à la lecture et à partir de celles-‐ci, nous voici accompagné vers d’autres
chemins qui en font toute la substance, à partir de la structure de l’œuvre et au-‐delà.
En effet, le livre entier est le fruit d’une étude de sociologue : en cela, il montre une
expérience inédite (première question) et le regard qui en découle sur l’institution
(deuxième question) ; au lecteur en revanche de se faire son idée sur ce qu’apporte une
sociologue à l’institution ; on apprend que, selon l’auteure (p.15), sa présence en tant
que sociologue n’a eu aucun effet. Nous laisserons donc de côté nos spéculations sur la
question mais pourrons éventuellement y revenir dans le cadre de la discussion.
Ce n’est pas, en tout état de cause, le point sur lequel insiste DS.
Chemin faisant entre cette expérience inédite pour l’auteure et le regard nouveau qu’elle
apporte, on se retrouve rapidement à la croisée de deux expériences : une expérience
scientifique, car c’est là l’ouvrage scientifique d’une sociologue avec un terrain et une
méthode; mais aussi une pensée politique en marche qui se déroule sur ce même
terrain ; pensée politique en ce sens, précisément, où la réflexivité de la démarche entre
le regard sociologique toujours posé et la vie de l’institution objectivée et ainsi à son
tour capable d’interroger ce regard sociologique par sa dynamique propre, donne, in
fine, une place centrale à une réflexion politique sur l’institution, à savoir une réflexion
qui se nourrit de la compréhension de la dynamique génératrice du rôle de l’institution
dans le paysage démocratique français, à partir d’une expérience sociologique. La
sociologie – et nous tenterons de mettre au jour de quelle sociologie il s’agit – apparaît
alors comme une clé d’entrée parmi d’autres, comme une facette de l’étude du politique
attachée, dans ce cas précis, à une institution politique particulière.
En ce sens, nécessairement, sont alors offertes des pistes d’intelligibilité de notre
dynamique démocratique elle-‐même, qui, en réalité, ne font que confirmer le
positionnement scientifique de ce livre : une pierre de plus à l’édifice d’une œuvre dense
sur la société démocratique.
Page 5
5
3. La structure de l’œuvre en résumé
-‐ Un historique d’abord : le contexte et l’objectif de la création du Conseil constitutionnel
par la Constitution de la Ve République naissante en 1958. Cette partie comprend une
mise en perspective des évolutions majeures et reconnues comme telles par la doctrine
juridique (liberté d’association en 1971, saisine parlementaire en 1974, etc. là, je ne
reviens pas en détails).
Tout cela, surtout, dans un aller-‐retour permanent avec le vécu de l’auteure en tant que
membre du Conseil.
-‐ Une partie suit alors qui est précisément dédiée à la formation du groupe de conseillers
au sens sociologique du terme.
-‐ Une troisième partie présente la pratique quotidienne de l’institution, au bémol près
que DS ne peut bien entendu trahir le secret des délibérés pour lequel elle a prêté
serment. Cette partie développe le lien entre droit et politique dont l’institution apparaît
alors presque comme un idéal-‐type pour parler à mon tour comme une sociologue, que
je ne suis pas.
4. Ce que l’on apprend sur l’institution
4.a. Quel regard particulier posé sur l’institution ?
DS a tenu un journal dès son arrivée au CCel en mars 2001, plus ou moins régulièrement.
Son regard particulier sur l’institution vient résolument en premier lieu de son profil
d’universitaire qu’elle cultive peut-‐être à son insu : l’arrivée au CCel avec un sac à dos
rempli de livres auprès de membres de l’institution ne manifestant aucun intérêt pour
les sciences sociales a quelque chose d’exquis pour le lecteur universitaire… ! Mais au-‐
delà de l’anecdote, c’est bien en effet une universitaire, une sociologue qui devenait en
même temps membre du Conseil constitutionnel et qui décidait d’écrire un livre sur
l’institution ainsi observée de l’intérieur. L’originalité ? Je ne suis pas sociologue mais le
matériau est en général extérieur à l’expérience même du savant : ici, c’est son
Page 6
6
expérience qui constitue le matériau, le révélateur d’un terrain, d’un objet d’étude
sociologique certes car fondée sur l’expérience de rapports sociaux, mais à partir de
l’expérience propre de ces rapports sociaux vécus par l’enquêteuse elle-‐même.
Ne se mettant pas au cœur de l’expérience pour seulement observer ceux qui la vivent à
travers une approche que l’on nomme l’observation participante, notre sociologue
s’observait alors elle-‐même en train d’y participer avec, comme gage d’une objectivation
toujours nécessaire, le fait qu’elle était marginale à ce milieu. Cette approche inédite
mais néanmoins strictement sociologique dans l’intention et les garde-‐fous, DS l’a
appelée de manière fort éclairante, la « participation observante » car elle fut réellement
membre à part entière du groupe qu’elle observait.
De l’originalité de ce regard, qui n’en demeure donc pas moins sociologique, DS tire une
réflexivité très stimulante pour ses analyses : membre du Conseil, vivant l’institution de
l’intérieur, elle s’en détache aussi pour dire ce qu’elle comprend de l’institution à travers
ce qu’elle vit, elle est une part de l’institution qui prend de la distance, se décrit et,
probablement mais elle n’insiste pas sur ce point, adapte son attitude peu à peu pour se
fondre de mieux en mieux, même partiellement, à une culture interne… du moins,
l’intériorise-‐t-‐elle progressivement de manière accélérée grâce à ce regard distancé. Elle
vit à deux niveaux, sans jamais cesser, dit-‐elle cependant, d’être alors une universitaire.
Etre sociologue : (p.20), « pas seulement un métier mais une manière de vivre et
d’essayer continûment de comprendre le monde ». Cette distance à soi permanente est
même vécue comme une seconde nature.
C’est ainsi que ce regard original qui renvoie un reflet direct de la vie de l’institution
mais aussi une expérience analytique réflexive de la dynamique interne de cette
dernière, nous en apprend autant sur la méthode que sur l’institution.
N’ayant pas pour autant sous les yeux un manuel de sociologie mais un livre descriptif,
pour le dire avec la neutralité qu’impose une présentation comme celle-‐ci, je m’en
tiendrai par la suite à l’apport sur l’institution.
Celui-‐ci, descriptif, est aussi, de par le double regard porté non plus sur faits et gestes
des uns et des autres mais sur cette dynamique interne du Conseil constitutionnel, un
Page 7
7
éclairage sur notre système démocratique dans sa plasticité, son évolution. Ce que l’on
découvre sur l’institution est un effet de deux ordres et en ce sens, la promesse d’une
œuvre, celle d’apporter autre chose que ce à quoi on peut s’attendre, est tenue : sa vie
interne et une dynamique propre, qui la situe dans le système démocratique.
4.b. La vie interne de l’institution
Cf p.21 : à travers cette participation et la frontière vécue entre les deux mondes,
universitaire et celui du CCel, DS déclare que ce dernier est résolument l’un des
éléments du milieu politique.
Les liens sont en effet permanents, observe l’auteure, entre conseillers, secrétaire
général et Président, avec les autres lieux de la politique et de l’administration.
Comment cela est-‐il analysé pour l’heure par les sciences sociales ? Les trois types de
savants/chercheurs ci-‐dessous segmentent l’approche scientifique, explique l’auteure.
Les juristes/ constitutionnalistes : ils commentent le droit positif mais (p.24) « par leur
objet même, les constitutionnalistes risquent de surestimer la cohérence de la
jurisprudence et de faire des juges constitutionnels « les maîtres de la science du droit
constitutionnel » ». Ou encore, plus sévèrement : « En insistant sur le caractère
exclusivement juridique de la jurisprudence du Conseil et en négligeant son éventuelle
dimension politique, ils affirment en même temps leur propre légitimité à la
commenter ».
Les politistes : ils sont rares mais commentent les impacts sur la loi ; mon propre travail
de thèse tente d’y contribuer en me plaçant cependant en-‐deçà de ce point d’impact ; il
s’agira plutôt d’analyser l’intention, travail proprement politique et contextuel mais
aussi textuel, de « grande politique », d’un projet qui se construit à travers un rôle
entendu au sein d’un système démocratique bien connu des membres du Conseil
constitutionnel, et pas seulement à partir des contraintes que ce système impose.
Page 8
8
Les sociologues : ils s’intéressent à la fabrique du droit à travers son processus
d’élaboration, ses pratiques quotidiennes, les relations interpersonnelles, les
négociations entre acteurs, les contingences, les personnalités et leurs trajectoires
propres et/ou croisées.
Mais que fait l’institution ? Je m’autorise ici un petit ex-‐cursus par rapport au livre
pour nos auditeurs qui ne sont peut-‐être pas familiers du fonctionnement du
Conseil constitutionnel…
Le Conseil constitutionnel est composé de neuf membres nommés pour neuf ans. Les
membres sont désignés par le Président de la République et le président de chacune des
assemblées du Parlement (Sénat et Assemblée nationale). Depuis la révision constitutionnelle
du 23 juillet 2008, la procédure de nomination fait intervenir pour avis, selon des modalités
variables en fonction de l'autorité de nomination, la commission des lois constitutionnelles de
chaque assemblée.
Le Conseil se renouvelle par tiers tous les trois ans. Le Président de la République et le
président de chacune des assemblées nomment, chacun, un membre du Conseil tous les trois
ans. Le mandat des conseillers n'est pas renouvelable.
Aucune qualification d'âge ou de profession n'est requise pour devenir membre du Conseil
constitutionnel. La fonction est en revanche incompatible avec celle de membre du
Gouvernement ou du Conseil économique, social et environnemental, ainsi qu'avec celle de
Défenseur des droits. Elle est également incompatible avec l'exercice de tout mandat
électoral. Un ancien Président de la République, membre de droit, ne peut pas siéger au
Conseil s'il occupe une fonction incompatible avec la qualité de membre de ce dernier.
Le Conseil constitutionnel est une juridiction dont les audiences et séances suivent le rythme
des requêtes dont il est saisi.
Lorsqu'il est saisi de la constitutionnalité d'une loi avant sa promulgation, le Conseil doit
statuer dans le délai d'un mois ou de huit jours en cas d'urgence.
Lorsqu'il est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil a trois mois pour
rendre sa décision. Pendant ce délai, les parties sont mises à même de présenter
Page 9
9
contradictoirement leurs observations.
Le Conseil ne siège et ne juge qu'en formation plénière. Ses décisions et avis sont rendus par
sept conseillers au moins (règle de quorum). En cas de partage, la voix du président est
prépondérante. Il n'y a pas d'opinion dissidente possible. Les débats ou les délibérés ainsi que
les votes ne sont pas publics.
Un secrétaire général, nommé par décret du Président de la République, dirige les quatre
services du Conseil :
• un service juridique.
• un service de documentation associé aux travaux de recherches juridiques ;
• un service administratif et financier chargé de la gestion du Conseil ;
• un service des relations extérieures chargé des publications du Conseil,
Ses compétences/ source : site internet du Conseil constitutionnel (www.conseil-
constitutionnel.fr)
A. Une compétence juridictionnelle qui comprend deux contentieux distincts : a) Un contentieux normatif
- Juge de la constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel exerce soit un contrôle a
priori, soit un contrôle a posteriori.
Contrôle a priori :
Le Conseil constitutionnel est obligatoirement saisi des lois organiques et des règlements des
assemblées parlementaires, avant la promulgation des premières et l'entrée en vigueur des
seconds. Il peut être saisi d'un engagement international avant sa ratification ou son
approbation. Pour les lois ordinaires, le Conseil peut être saisi d'une loi avant sa
promulgation. Dans ces deux derniers cas de figure, le Conseil est saisi, selon des modalités
variables selon l'acte contrôlé, soit par une autorité politique (Président de la République,
Premier ministre, président de l'Assemblée nationale ou du Sénat), soit par 60 députés ou 60
sénateurs au moins.
Contrôle a posteriori :
Page 10
10
Depuis le 1er mars 2010 et à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le
Conseil constitutionnel, sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, contrôle si
une disposition législative déjà en application porte atteinte aux droits et libertés garantis par
la Constitution. Dans cette hypothèse, un requérant est à l'origine du contrôle de
constitutionnalité exercé, puisque la question posée a été soulevée à l'occasion d'une instance
en cours devant une juridiction. On parle de question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
- Juge de la répartition des compétences entre la loi et le règlement, le Conseil constitutionnel
peut être saisi, soit en cours de discussion parlementaire par le président de l'assemblée
intéressée ou le Premier ministre, soit a posteriori par ce dernier pour déclasser une
disposition législative, c'est-à-dire modifier par décret une telle disposition dont le contenu est
de nature réglementaire.
- Depuis la révision du 23 juillet 2008, le Conseil constitutionnel peut être amené à vérifier si
les conditions de présentation des projets de loi répondent aux conditions fixées par une loi
organique (loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009).
- Enfin, le Conseil constitutionnel est juge de la répartition des compétences entre l'État et
certaines collectivités d'outre-mer (à ce jour : Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-
Martin).
b) Un contentieux électoral et référendaire
Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l'élection du Président de la République et
des opérations de référendum, dont il proclame les résultats. Il est juge de la régularité de
l'élection des parlementaires, et donc de leur éligibilité ; il intervient également lorsqu'un
parlementaire se trouve, ou est susceptible de se trouver, dans un cas d'incompatibilité.
B. Une compétence consultative
Le Conseil constitutionnel émet un avis lorsqu'il est consulté par le chef de l'État sur la mise
en œuvre de l'article 16 de la Constitution et ultérieurement sur les décisions prises dans ce
cadre. Il vérifie si les conditions de mise en œuvre sont toujours réunies soit à la demande
d'un président d'assemblée ou 60 députés ou 60 sénateurs au bout de 30 jours, soit de plein
droit au bout de 60 jours et à tout moment au-delà de cette durée.
Page 11
11
Par ailleurs, le Gouvernement consulte le Conseil sur les textes relatifs à l'organisation du
scrutin pour l'élection du Président de la République et le référendum. Le Conseil formule
également des observations sur les élections parlementaires et présidentielles passées ainsi
que sur les prochaines échéances électorales, afin de proposer aux pouvoirs publics toutes
mesures susceptibles d'améliorer le déroulement de ces élections.
****
Je ne vais pas à présent pouvoir lister exhaustivement tout ce que l’on apprend de plus
sur l’institution mais je vais plutôt, comme l’auteure y engage, tenter de résumer ce
qu’apporte son regard sociologique, c’est-‐à-‐dire son observation associée à une
démarche compréhensive qui ne saurait se contenter de la seule description.
Je cite DS (p.31) : « La simple observation du quotidien est par nature insuffisante pour
comprendre le sens d’une institution politique dans nos sociétés. Le droit en tant que
norme ne peut être observé. S’il importe d’observer comment s’élaborent concrètement
les décisions, on ne saurait en rester là. Le Conseil, comme toute institution, a une
histoire, il participe à un système politique dont la genèse et les traditions doivent
impérativement être prises en compte pour donner leur sens aux observations
rassemblées par l’enquête empirique »
ð Il s’agit donc de faire parler l’empirique, c’est là l’ambition affichée de la méthode
et, ce faisant, du livre.
La démarche compréhensive répond bien à une question de recherche : celle du « sens »
d’une institution politique. Ce sens, entendons la place légitime qu’elle occupe dans le
système démocratique, se dévoile à la lumière des contraintes qui cadrent l’activité du
CCel explique DS. Pourquoi ? Et bien, parce que cette activité de décision, c’est la vérité
du Conseil, sa place dans le système politique. Autrement dit, observer les relations
entre les membres, les codes, les accointances avec le monde politique, les méthodes de
travail, la fabrique d’une partie du droit constitutionnel (l’autre revenant à ses
commentateurs, les constitutionnalistes) ne rend compte de quelque chose d’intelligible
à propos de l’institution qu’en tant que lié à une question sur l’institution qui est ici
véritablement la question de recherche de l’auteure.
Page 12
12
Et pour y répondre, DS relie ses observations aux contraintes que le système
démocratique/constitutionnel de la Ve République fait peser sur lui. Une intention de
politiste est du reste pour le moins annoncée dans ces lignes.
Que nous dit alors ce croisement entre l’observation de la fabrique des décisions
et les contraintes qui circonscrivent le champ de ces décisions ?
• Tout d’abord, la première de ces contraintes, c’est le caractère proprement
politique de l’institution dès sa création. Politique en quel sens ? A celui,
simplement, où l’institution est créée dans le cadre de la Constitution de la Ve
République sous l’égide d’un comité interministériel dirigé par le futur exécutif,
Charles de Gaulle et Michel Debré, respectivement premiers Président et Premier
ministre de la Ve République, pour limiter les débordements du pouvoir législatif
propre aux IIIe et IVe Républiques et laisser ainsi libre pour l’exécutif le champ
d’actions que lui prévoit la Constitution de la Ve République. Le terme de
« signalisation » de la vie parlementaire que l’auteure emploie, résume bien cette
idée. Conséquence : seules les lois organiques et les règlements des Assemblées
étaient obligatoirement soumis à un contrôle par le CCel avant leur promulgation.
Ces limites sont rapidement vécues comme une contrainte par une institution
censée être la garante du respect de la Constitution : la première grande révision
constitutionnelle de 1962 qui prévoit l’élection du Président de la République
(PR) au suffrage universel direct passe par une loi votée par référendum
conformément à l’article 11 tandis que c’est l’article 89 de la même Constitution
qui en prévoit la révision via le vote préalable des deux assemblées. Les analyses
de la doctrine juridique abondent pour démontrer sans grande difficulté que
l’avis donné au PR, même consultatif en l’espèce, du CCel aurait dû être négatif. La
lecture du procès-‐verbal de la délibération correspondante (mon travail)
confirme les nombreux doutes et la crise interne vécue par ses membres sur ce
cas épineux où s’opposer à cette procédure revenait à s’opposer à de Gaulle.
• DS souligne alors le chemin parcouru pour finir par décider, par la fameuse
décision de 1971 sur la liberté d’association, que le Conseil serait aussi le garant
des droits et libertés puisque le Préambule les faisant valoir fait désormais partie
de la Constitution, ou de ce qui deviendra après cette décision, le « bloc de
Page 13
13
constitutionnalité ». De contraint, le Conseil devenait créateur d’une extension de
son champ de compétences, par l’intégration du Préambule comme source de
droit capable de fonder des décisions relatives aux libertés publiques. Mais qui
peut saisir le CCel ? Seules demeurent encore à l’époque 4 instances de saisine
malgré le potentiel de décision et donc de pouvoir recelé par ce « coup d’état
juridique » de 1971 comme le qualifiera Robert Badinter.
• Un deuxième changement majeur, apporté par la révision constitutionnelle de
1974, arrive alors qui, sous l’égide d’un exécutif et d’un Président du Conseil CCel
plus libéraux, respectivement le PR Valéry Giscard d’Estaing et Roger Frey, va
permettre au Conseil d’être aussi saisi par 60 députés ou 60 sénateurs. Le
contrôle du Parlement se complète alors et s’équilibre d’une « protection » du
Parlement dit DS. Cela va même accentuer considérablement les saisines non
obligatoires et en particulier celles relatives au contrôle de constitutionnalité des
lois ; en réalité, cette réforme offre une arme à la minorité parlementaire en
même temps qu’elle permet au Conseil, conjuguée à celle de 71, de montrer sa
capacité à «découvrir » de nouveaux Principes Fondamentaux Reconnus par les
Lois de la République, décrits de manière si floue dans le Préambule et dégagés
peu à peu en tant que « liberté d’association, liberté de l’enseignement, liberté
de conscience, liberté individuelle, respect des droits de la défense, indépendance
de la juridiction administrative », rappelle DS.
• L’auteure situe aussi ces changements dans le contexte européen de montée en
puissance des cours constitutionnelles notamment dans les pays ayant connu des
dictatures ou des régimes autoritaires, tandis que les évolutions du Conseil
s’inscrivaient aussi dans les propositions du Comité consultatif constitutionnel
rejetées en 1958.
• Ces éléments contextuels permettent de saisir la dimension politique du Conseil :
institution créée par une autorité politique charismatique à laquelle est associée
l’ensemble de la Constitution, elle renvoie aux problématiques françaises de
modération du législatif en tension avec les fondements libéraux de la
République depuis la Révolution de 1789 ; cette histoire longue du politique en
France nourrit la vie d’institutions appelées à exercer un certain pouvoir c’est-‐à-‐
dire à avoir un impact direct ou indirect sur la loi. Une institution comme le Ccel
est précisément dans cette configuration et étend son pouvoir par ce jeu croisé
Page 14
14
des fondements politiques de la République sans cesse remis au premier plan par
les politiques, et renforcés par l’image des cours constitutionnelles européennes
qui imposent leur pouvoir par cette revendication de la protection des droits et
libertés. Au-‐delà du contexte, on peut aussi se demander avec l’auteure (qui cite
avec une bienveillante ironie toute l’emphase de la doctrine juridique après la
décision de 1971), si ce n’est pas aussi là la lente et irrépressible mutation plus
ou moins anticipable d’une démocratie libérale en Etat de droit. Ces évolutions ne
vont cependant pas non plus sans certains paradoxes : en 1975, la réforme
libérale de la loi sur l’avortement dont on vient de célébrer le 40ème anniversaire
des fameux et houleux débats parlementaires, est déclarée conforme à la
Constitution par un Conseil qui laisse ce faisant lui échapper le contrôle
conventionalité c’est-‐à-‐dire de conformité des lois aux traités, notamment
européens, au profit des tribunaux judiciaires et administratifs. Au-‐delà de cela,
on peut aussi souligner avec DS que l’un des considérants de la décision situe le
rôle du Conseil par rapport, non pas aux autres cours souveraines ou tribunaux
dans une perspective de contrôle de la loi, mais par rapport au Parlement en
précisant que « la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un
pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement ». Il
semble donc toujours plus urgent de rappeler que l’accusation de gouvernement
des juges ne tient pas plus que celle de chien de garde de l’exécutif….Le Conseil
tient à cette image d’autonomie respectueuse des autres pouvoirs, notamment de
celui qui a toujours bénéficié de l’aura républicaine par excellence, le pouvoir
législatif.
• Enfin, le changement de majorité en 1981 poursuit le renforcement de la
légitimité perçue de l’institution : elle s’accommode de l’alternance
démocratique, ne suit pas de manière partisane l’exécutif, s’oppose certes au
projet de nationalisations dans sa première mouture en 1982 mais encourage
beaucoup de mesures libérales enclenchées par le gouvernement socialiste,
prenant le contre-‐pied de certaines saisines de la minorité de droite au
Parlement.
• Confirmant ce rôle de contrôle de constitutionnalité des lois votées par le
Parlement à la faveur de la protection des droits et libertés, le Conseil
constitutionnel est décrit par DS comme avançant prudemment mais sûrement
Page 15
15
vers l’extension de son pouvoir ; le conduisant parfois à s’auto-‐censurer, cette
prudence lui permet aussi de respecter le pouvoir législatif tout en s’en
affranchissant après s’être affranchi de l’exécutif , comme en témoigne des armes
nouvelles qu’il se forge : les réserves d’interprétation (1960, évaluations servant
de base à certains impôts directs locaux , 1984 , loi relative aux entreprises de
presse) permettent, explique DS, de « sauver une loi » moyennant le respect de
l’interprétation du Conseil dans son application ; la jurisprudence Nouvelle-‐
Calédonie qui depuis 1985 autorise le Conseil à contrôler une loi déjà
promulguée « à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la
modifient, la complètent ou affectent son domaine », à partir du moment où sont
détectés dans la nouvelle loi des éléments venant en modifier une déjà
promulguée.
• Malgré toutes ces avancées, l’activité du Conseil reste limitée par des textes écrits
pour une institution seulement censée réguler les pouvoirs publics et elle ne
dispose pas de l’auto-‐saisine…ainsi, nonobstant son extension de pouvoir, elle
reste « passive » dit l’auteure (je dis pour ma part « dépendante »).
• La réforme de 2008 est à ce titre évoquée comme une extension de la saisine, par
les citoyens cette fois, ce qui modifie encore la donne.
• Le monde politique lui-‐même, entendons celui des élus ou des organes de
pouvoir direct, fait peser sur le CCel la menace récurrente d’une réforme
constitutionnelle capable de revoir ses pouvoirs notamment quand le Conseil
revêt un rôle d’arbitre entre certains pouvoirs (ordonnances que le PR François
Mitterrand refuse de signer sous le gouvernement Chirac et qui deviennent des
amendements, alors censurés par le CCel/ 1987 / réponse du législateur :
proposition de loi pour restreindre le bloc de constitutionnalité à la seule
Constitution/ ce n’est qu’un exemple parmi ceux que donnent l’auteure).
• Pour autant, le Conseil est-‐il une Cour ? Au-‐delà de la distinction que DS souligne
entre le caractère politique du Conseil et le caractère plus juridique du terme
Cour qui renvoie aux cours suprêmes, c’est bien la légitimité perçue dans un
contexte et une culture politique donnés, ici ceux de la France, qui font qu’une
institution non élue « doit toujours conquérir cette légitimité ou la conserver par
la qualité de ses décisions » (p.113)/ Georges Vedel qui parle aussi d’ « une crise
de légitimité récurrente » ! La question de la Cour fait explicitement surface lors
Page 16
16
de la révision constitutionnelle de 2008 et la dénomination est soutenue par
Badinter, alors sénateur, qui estime que le CCel fonctionne à partir de tout un
corpus juridique et jurisprudentiel dont il est à l’origine, sans avoir à donner de
« conseil ». L’idée est rejetée mais l’extension de la saisine est votée et donnera
lieu à la fameuse QPC.
• Toujours est-‐il que le Conseil a toujours à prouver sa compétence et DS en
conclut que « sa faiblesse fait sa force ». Et sa force, il la tire de sa capacité
récurrente à se faire valoir comme une juridiction et non comme une instance
politique.
• C’est bien entendu passer outre le mode de nomination politique et
discrétionnaire des conseillers, par tiers, tous les trois, l’un par le PR, les deux
autres par les Présidents des deux assemblées, et l’intégration d’office des
anciens Présidents, membres de droit. Cela dit, cette critique récurrente et bien
connue a tendance à masquer, fait remarquer l’auteur, la difficulté de tout mode
de nomination…même à la Cour de Karlsruhe où les juges sont élus, certes, ils le
sont à l’issue de longues tractations entre les partis politiques.
• Au-‐delà de ces jugements de valeur sur la qualité des nominations selon qu’elles
soient plus ou moins politiques, et que les membres nommés soient eux-‐mêmes
plus ou moins proches du monde politique ou juridique, DS souligne de par son
expérience, l’indépendance des conseillers à l’égard de ceux qui les ont nommés.
S’appuyant sur les propos du deuxième Président du CCel, Gaston Palewski, « on
voit ici encore à l’œuvre la logique d’une institution : nommés pour longtemps,
sans crainte et sans espoir, les hommes s’émancipent par rapport à la marque
d’origine, et leur souci partisan s’estompe ». (p197) DS parle du « bonheur au
Palais Montpensier » qui « a son efficacité propre », elle parle même
d’identification « glorieuse » à la fonction dans le cas du Président du CCel.
Ces analyses sont le fruit d’une connaissance de l’histoire de l’institution, des parcours
de ses membres, de ses rapports au monde politique, corroborés par un vécu et des
échanges directs, professionnels ou de courtoisie avec les membres de son mandat..
Elles mènent l’auteure à nous livrer un panorama de l’évolution du rôle du CCel et des
raisons qui expliquent une telle évolution.
Page 17
17
Prenant selon elle le contre-‐pied de la maxime de Montesquieu selon laquelle « tout
homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », le CCel a connu une extension de
pouvoir qui n’est pas, selon DS, le fruit de la volonté de ses membres mais plutôt de la
logique de l’institution et de l’efficace du droit.
4.c. Une pensée politique en filigrane
Se dégageant ainsi du rapport des conseillers à l’institution, et du sien propre, cela va de
soi, l’auteure tient sa promesse, celle d’une chercheuse qui entend, souvenons-‐nous,
« faire parler l’empirique ».
Et c’est bel et bien sur un registre politique qu’elle va le faire, de manière cohérente avec
sa question de recherche qui renvoyait au sens de l’institution, à sa vérité, bref à son rôle
dans le système politique auquel il est, de fait, intégré.
C’est cependant encore à partir de l’expérience et des rapports des conseillers à
l’institution que se détache cette voie vers une compréhension du rôle politique du
Conseil : c’est à partir de ce que DS nomme « la portée politique » des décisions du CCel,
bien comprise naturellement, par ses conseillers, que l’analyse se dégage ; en effet, cette
portée politique les incite à faire preuve d’un certain « réalisme », reconnu par la
doctrine juridique elle-‐même, au sens commun d’une « prise en compte de la réalité
sociale et des conséquences politiques des jugements » (DS, p .224). Loin en effet d’être
le résultat d’un pur syllogisme juridique, les décisions du CCel (et mes travaux sur les
débats ne peuvent qu’abonder dans ce sens) sont confrontées à une situation politique
et sociale donnée, à la fin du processus législatif qui mène inévitablement à des
interprétations de la Constitution elle-‐même pour apprécier au mieux l’adéquation de la
loi à son contexte quand bien même le Conseil s’interdit de juger en opportunité ou
d’apprécier la loi….disons que cette interprétation est décrite comme une prise en
compte des raisons du législateur.
Et une jurisprudence se crée à partir de cette interprétation, faisant naître un droit
constitutionnel qui ne se nourrit pas que de source de droit mais aussi d’une évaluation
des situations sociales ; mais alors selon quel critère ? Là, l’expérience rejoint encore la
mise à distance dans la mesure où c’est le questionnement du chercheur qui prime et qui
Page 18
18
guide le tri à faire parmi le vécu. La réponse est simple et rassurante : les membres du
Conseil constitutionnel ont une sorte d ‘éthos républicain qui oriente leurs
interprétations dans un sens qui nécessairement, plus ou moins largement, va faire
consensus. DS le dit aussi en se référant à l’histoire jurisprudentielle du Conseil : « le
fondement républicain du lien social a été régulièrement rappelé ».(p.262). Cela conduit
le Conseil à rejeter les revendications identitaires (cas des langues régionales ou encore
de la représentation par un parlementaire de la nation toute entière et pas de sa
circonscription). En lien direct avec ce fondement républicain au sens français d’une
république une et indivisible, il est un principe constitutionnel fort et inscrit tel quel
dans la devise même de la République, le principe d’égalité. DS rappelle la centralité de
ce principe dans la jurisprudence du CCel, depuis la décision de 1973 « taxation
d’office » et invoqué dans au moins 90 saisines depuis, mais elle souligne aussi ses
apories juridiques. En tant que principe, il ne dit rien de normatif mais guide la
norme…encore un domaine où l’interprétation est de mise. L’on peut s’en remettre à un
tel principe, certes, et en soi, il est consensuel mais de quelle égalité parle-‐t-‐on ? Une
égalité en droits (au pluriel) ? Une égalité de traitement ? Du droit à un traitement égal
(je reprends une distinction établie par Dworkin, c’est ici moi qui souligne) ? Comme le
mentionne DS, le CCel est en effet amené à évaluer différentes situations qui peuvent
justifier une différence de traitement à condition, encore une fois et de manière toujours
nécessairement régressive, de pouvoir s’en remettre à un certain plan d’égalité….en
l’occurrence, l’intérêt général que seule la loi a pour mission d’organiser. En 1996, après
plusieurs formulations, un considérant semble s’être à peu près stabilisé : « le principe
d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que ,
dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l’objet de la loi qui l’établit ».
En même temps, le Ccel dit DS, « prend acte des aspirations diverses des sociétés
démocratiques, ce qui est une nouvelle forme de son réalisme » (p.268). C’est donc un
Conseil constitutionnel d’inspiration réaliste et républicaine que DS voit se déployer à
travers l’histoire de sa jurisprudence et ses relations aux membres pendant qu’elle y
siège, conscient que si le droit reste la meilleure source de légitimité pour lui, la plus
imparable dirons-‐nous, il est avant tout, comme toute Cour mais sans doute plus encore
Page 19
19
que les autres de par ses origines propres, un maillon du système politique sur lequel il
a, passivement, un impact.
Pourtant, si cet intérêt bien compris fait la richesse, l’originalité et, de manière plus
neutre, assez souvent le consensus dans l’opinion publique, au sujet du rôle joué par le
Conseil constitutionnel dans le système démocratique de la Ve République, DS
remarque, pour l’avoir vécu auprès de ses collègues du CCel, qu’un attachement à ce
qu’il convient d’appeler aujourd’hui, les « valeurs républicaines », associé à ce que
l’auteure nomme « la transcendance du droit », c’est-‐à-‐dire cette primauté d’une
jurisprudence prévisible car ce faisant légitime face à un pouvoir élu, façonnent l’allure
d’une institution dans le paysage démocratique au-‐delà du seul désir de légitimité.
Quelle est cette allure ? Et tout d’abord, comment parler d’une allure, d’un Conseil, d’une
entité pour elle-‐même, au-‐delà de la somme de ses membres quand pourtant on la voit
de l’intérieur ? Précisément, parce que ce républicanisme à la française mêlé à la force
d’un droit garant d’une légitimité dans un contexte de dépendance vis-‐à-‐vis des
instances de saisine, semble la condition nécessaire du consensus….un consensus rendu
lui-‐même nécessaire par la brièveté du délai accordé au Conseil pour la décision, entre 3
semaines et un mois exceptionnellement, mais en principe, à l’issue du débat en séance
plénière, il doit y avoir une décision collégiale, celle du Conseil. Il est donc préférable
qu’elle soit consensuelle. …la possibilité du vote existe et est parfois mobilisée mais
autant que faire se peut, les conseillers préfèrent être tous en accord avec la décision
finale.
Ce que nous disons là est que ce consensus est rendu nécessaire par diverses contraintes
mais qu’il est lui-‐même le fruit de quelque chose de plus positivement fédérateur que
ces contraintes.
Expliquons-‐nous, à l’aide de DS : à partir de son expérience, l’auteure dit des débats du
Conseil que « l’ambition est d’obtenir un consensus qui manifeste, en effet, qu’une
solution et une seule s’impose et qu’elle est le produit nécessaire de la qualité des
interventions en sa faveur »…et plus loin « la logique même du petit groupe et la qualité
des personnes y poussent ». (p.299) Les personnes vivraient comme un déshonneur de
juger en fonction de ceux qui les ont nommées, elles arrivent là en fin de carrière et
prennent comme un honneur de faire respecter la constitution, elles savent les limites
Page 20
20
de leur institution tout en en appréciant la nécessaire qualité entendue comme respect
des autres institutions républicaines et du droit…ce qui n’empêche pas certaines
attitudes plus partisanes ou plus positivement pétries de convictions politiques réelles
de s’exprimer mais jamais de manière figée….les majorités en réalité diffèrent et c’est
caractéristique, nous explique la sociologue, du « bon fonctionnement d’un petit
groupe ».
Ce petit groupe qui fonctionne, ce consensus qui se crée bon gré mal gré, ce socle
républicano-‐jurisprudentiel qui le rend possible, sont sans doute le fruit de contraintes
réelles et d’un besoin de légitimité qu’on n’a à ce stade plus à prouver, mais le fait que
cela fonctionne systématiquement révèle une alchimie propre à l’institution, alchimie
que la sociologue s’impose de saisir en se distançant de son regard de sociologue : « le
Conseil en majesté », dit-‐elle.(p.309). Elle cite d’ailleurs sa collègue Noëlle Lenoir,
ancienne membre du CCel, qui parle précisément d’ « une étonnante alchimie qui, à
partir de positions contrastées, rapproche les points de vue au fur et à mesure de la
discussion » (p.316). Cette alchimie semble résumée par l’auteure comme la dynamique
de droit dans une société démocratique. On peut l’aborder d’autres manières, on peut
l’analyser de manière systémique ; DS choisit d’en prendre acte par une mise à distance
des faits, nourris, cependant, par son vécu sociologique.
C’est ainsi en maillon du système démocratique de l’Etat de droit que nous apparaît le
CCel , un maillon qui, parce qu’il rappelle que « la logique majoritaire ne s’exerce qu’à
l’intérieur de l’Etat de droit » (p.375), « s’inscrit dans le prolongement de la logique
démocratique et non en rupture avec elle ».
N.B pour la discussion : Ce qui ressort de politique de l’analyse sociologique peut-‐être
complété modestement par mes analyses des débats qui ne sont pas reprises ici ; c’est alors
encore un autre regard, proche mais non sociologique, plus directement politique, qui
rejoint plusieurs conclusions et qui contribue scientifiquement sur le même registre, à
l’étude de la dynamique démocratique.
Page 21
21
5. Conclusion
Je crois avoir résumé sans avoir laissé trop de choses de côté, ce que l’on apprend sur le
CCel depuis ce point de vue de l’intérieur, en montrant ce faisant l’intérêt de cette
inédite « participation observante », enrichie d’une étude contextuelle et historique
relative à la création de l’institution et à sa jurisprudence ; je crois que nous avons
retracé ainsi le cheminement de DS, celui d’une chercheuse qui pose une question de
recherche à son objet, celle de la vérité, du rôle politique ou de la portée politique du
rôle du CCel, afin de nourrir, au fond, un sujet plus large. C’est sur ce sujet plus large que
j’aimerais conclure extrêmement brièvement par une question à l’auteure, qui porte
conjointement sur la méthode et sur l’ambition scientifiques : plutôt qu’une sociologie
du politique, ne fait-‐elle pas de la théorie politique fondée sur l’expérience ? Je le crois
en tout cas et cela me permet de situer ce beau livre dans le cadre plus large d’une vie de
chercheuse passionnée par la dynamique démocratique….dans cette perspective, je ne
peux qu’encourager l’auditoire à lire le livre qui suit, précisément, sur ce thème, et bien
nommé L’esprit démocratique des lois. en faites une présentation lors d’un atelier du
CESPRA à venir d’ailleurs.
Merci.
Question subsidiaire :
Les deux mondes, intellectuel et politique, sont-‐ils si imperméables l’un à l’autre ? Le monde
de l’action politique ne rejette-‐t-‐il pas davantage le monde savant que l’inverse, ce dernier
prenant au moins le premier pour objet ?