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5 4AnALYSE MUSICA La Musique et IVous THEMES RAISON ET SENS DANS LE MOTET DE SES ORIGINES AJOSQUIN REPRESENTATION DES IDEI{TITES CUITURETLES ETRANGERES CH.F,Z LES COMPOSITEURS ROMANTIQUES AGREGATION 2OO7 PRESENTMION E'T RESUMES AGREGATION 2AO7 r. RArsoN ET SENS DANS LE MOTET DE SES ORTGTNES AJOSQUTN l,EMolrlAU MoyEN Âca 1xIt" - xIV" sIECLE) : uN JEIJ DERAISON, LINE MISI] EN ABIMË DES SENS LE MOTET DU )ilIIE SIECLI]. CORPS MIXTE TA RAISON, LES SENS E'f IA THEORIE MUSICAI,I] ATIXV'' SIECLE I,I] MOTET IN ILLO TEMPORE ,+SST]MPSIT.JEST]S DE JOSQUIN : EC()I{OMIE Dti SAI-tiT. IICONOMIE DE I-'ECOLII'E II. REPRESENTATION DES IDENTITES CULTURELLES ETRANGERES CH.F,Z LES COMPOSITEURS ROMANTIQUES FICTION D'TJNE IDHNTITE. CONSI'RUCTION D'UNE NAI'ION COMMENT SE CONSTRUIRË LINE IDENTITE CULTUREI-LE ? POUR UNE APPROCHE DE IA GENESE DU ROMANTISME : I,E CAS D'HECTOR BERI,IOZ DE I-'IMAGOI,OGIE AU CH,A.MP CTJIJI'TIREL TRANSNAIIONAL. METHODOLOGIES DE L'INTERCLIIj|URALITE : LI1SRILAI'IONS CUIjTURËI,LESI'RANCO-ALLEMANDES AU XIX' SIE(.I-E lA sr_Jrssu vuE PAR LES coMPoSITEtJRS ROMAN'IIQUE I,'APPORT CUUTTiREL HONGROIS DANS |CETIVRI] DE E}RAHMS LES SOURCESD'INSPIRATION ETRANGERËS DANS IA MUSIQTJE INSI'RUMENTALE FRANCATSE DE 1U50 A 1900 : EVOCATIONS EXOTTQUES E'I REGENERAI'I()NS MUSICALES HORS THEME NATURE I]T FECONDITE DES ARCHE]YPBS MYI'HIQT]ES I,IES ALIX DI]UX PARAMETRES DU TEMPS I1T DU RY|FIMII MIROIRS oÉnonu,tNTS : LIsZT ET RAvEL A IA LtJMrrrRE D't.tNE ETUDE coMpARATIVE DE r.Er.r RS/Ë'UX D'E\t.r oLIVrEn cUrlrx GAËL SAJNT-CRICQ ALICE TACAILLË XAVIER BISARO FLORENCE FIX ALBAN RAMAT]T DAMIEN EHRF{ARDT MAI'HIEU SCHNEIDER SOPHIE COMET JEROME ROSSI MIREII,I,E HE N NINGËR.VIAI- I-AURENCE L[ DTAGON-JACQTJIN Numéro spécial Novembre 2O06
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De l'imagologie au champ culturel transnational. Méthodologies de l'interculturalité : les relations musicales franco-allemandes au XIXe siècle

Apr 11, 2023

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Amine Chellali
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Page 1: De l'imagologie au champ culturel transnational. Méthodologies de l'interculturalité  :  les relations musicales franco-allemandes au XIXe siècle

5 4AnALYSE MUSICALELa Musique et IVous

THEMES

RAISON ET SENS DANS LE MOTET DE SES ORIGINES AJOSQUINREPRESENTATION DES IDEI{TITES CUITURETLES ETRANGERES

CH.F,Z LES COMPOSITEURS ROMANTIQUESAGREGATION 2OO7

PRESENTMION E'T RESUMES

AGREGATION 2AO7

r . RArsoN ET SENS DANS LE MOTET DE SES ORTGTNES AJOSQUTN

l,E MolrlAU MoyEN Âca 1xIt" - xIV" sIECLE) : uN JEIJ DE RAISON,LINE MISI] EN ABIMË DES SENS

LE MOTET DU )ilIIE SIECLI]. CORPS MIXTE

TA RAISON, LES SENS E'f IA THEORIE MUSICAI,I] ATIXV'' SIECLE

I,I] MOTET IN ILLO TEMPORE ,+SST]MPSIT.JEST]S DE JOSQUIN :EC()I{OMIE Dti SAI-tiT. IICONOMIE DE I-'ECOLII'E

I I . REPRESENTATION DES IDENTITES CULTURELLES ETRANGERESCH.F,Z LES COMPOSITEURS ROMANTIQUES

FICTION D'TJNE IDHNTITE. CONSI 'RUCTION D'UNE NAI ' ION

COMMENT SE CONSTRUIRË LINE IDENTITE CULTUREI-LE ? POUR UNE APPROCHE DE IA GENESEDU ROMANTISME : I,E CAS D'HECTOR BERI,IOZ

DE I-'IMAGOI,OGIE AU CH,A.MP CTJIJI'TIREL TRANSNAIIONAL. METHODOLOGIES DEL'INTERCLIIj|URALITE : LI1S RILAI'IONS CUIjTURËI,LES I'RANCO-ALLEMANDES AU XIX' SIE(.I-E

lA sr_Jrssu vuE PAR LES coMPoSITEtJRS ROMAN'IIQUE

I,'APPORT CUUTTiREL HONGROIS DANS |CETIVRI] DE E}RAHMS

LES SOURCES D'INSPIRATION ETRANGERËS DANS IA MUSIQTJE INSI'RUMENTALEFRANCATSE DE 1U50 A 1900 : EVOCATIONS EXOTTQUES E'I REGENERAI'I()NS MUSICALES

HORS THEME

NATURE I]T FECONDITE DES ARCHE]YPBS MYI'HIQT]ES I,IES ALIX DI]UX PARAMETRESDU TEMPS I1T DU RY|FIMII

MIROIRS oÉnonu,tNTS : LIsZT ET RAvEL A IA LtJMrrrRE D't.tNE ETUDE coMpARATIVEDE r.Er.r RS/Ë'UX D'�E\t.r

oLIVrEn cUrlrx

GAËL SAJNT-CRICQ

ALICE TACAILLË

XAVIER BISARO

FLORENCE FIX

ALBAN RAMAT]T

DAMIEN EHRF{ARDT

MAI'HIEU SCHNEIDER

SOPHIE COMET

JEROME ROSSI

MIREII,I,E HE N NINGËR.VIAI-

I-AURENCE L[ DTAGON-JACQTJIN

Numéro spécial Novembre 2O06

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Méthodologies de I'interculturalité : les relations ftanco-allemandes au XIX' siècle

Damien Ehrhardt (*) ErP^4HM*+*

De I'imagologie au champ culturel transnational'Méthodologies de I'interculturalité : les relationsmusicales franco-allemandes au XIX' siècle

Ro]VL4NTISME/MUSIQUEALLE}4L4NDE/MUSIQUEFRANÇAISE/ESTHETIQUE

L'intercultualité s'appliquant aux liens entle les cultures, il convient de s'interroger sur

la polysémie de la notion d" "uttur" qui présente plusieurs sens en fonction de la situation

histonque et Je I'aire culturelle concemée. Le Èrme flotte souvent en,'e le sens humaniste, qui

s,applique trÀtionneuement à la qualité de l'< honnête homme >r, de celui qui s'est frotté aux

ti-"., "t r"."* 'o"iologique qui couvre l'< ensemble des valeurs et représentations d'une société,

ses façons C" fÀ". "t'aË ui*" ot. Certains philosophes ou ethnologues repensent la notion de

culture. ainsi,'tteinz Kimmerle emploie ce ôoot"pi lottqu'un groupe.adopte un mode de vie

permettant ae'c**ist"r durabtemeni au milieu d'autres cultures et de la nature'. Pour Michael

igur, ta "ottu." "., pt*i"tt" au même titre que la traduction: elle met en relation une

longuocrtnr"{ soo."" Jt un" Ianguaculture cible. -S'agissant

toujours d'une culture de X pourY'

Agar propose d;e-ploy"r c" terÀe au pluriel. La sphère du nouveau concept de cùlture tend à se

forrOre O" pfu" en pîs iuec celle de l'interculturaliié. Quoi de plus évident à une époque marquée

par le muliiculturalisme et la construction européenne ?L'intercultualité s,inscrit dans un champ de recherche très étendu trâitant de questions

u*.i aiu"..", qu" ""iles de I'altérité, de I'histoiri des migrations, de I'exil.ou de I'idéologie qui

sous-tend les identités culturelles. Toutes ces questions, extfêmement complexes, nécessitent une

mise à l'épreuve permanente de nos propres < pré-jugements >a' En ne perdant pas de I'ue cette

comptexité, ii "onui"rrt de s'intenogÉr Jur les méthodologies les plus appropriées pour aborder

t'int"."r.rto*titù, "n examinant ici ies relations musicales franco-allemandes au xrf siècle. Le

pre."r,t t uuaï-r'organise en fiois parties: la première traite de I'imagologie de I'altérité, la

deuxième c"" tt-"fZrt. culturels et ia troisième des méthodotogies plus récentes de la médiation

artistique et du champ culturel transnational'

I. UNE APPROCTIE IMAGOLOGIQUE DES RELATIONS MUSICALES

F R A N C O - A L L E M A N D E S A U X I x . s I E c L E : D U < D I E U > B E E T I I O V E N AL'EMERGENCE DE LA ( NOUVELLE ECOLE FRANÇAISE )

Les études des relations franco-allemandes sont souvent parties de l'< imagologie de

I'altérité >. C" i"À", "n]pt.,nte à b littérature comparée, désigne l'ensemble des travaux consacrés

aux représentation. i" iét*ng".. Au-delà des récits de voyage et des ouvrag€s de fiction qui

menentenscènecelui-ci,l ' imagologieproposeuneréflexionplusgénérale-surl,altéritéculturellequ'elte met ;; ;"i"ti"r avec I'h-istoire àes-idées5. L'image est donc considérée comme un objet,

comme une fratique anthropologique située dans I'univers symbotique de l'< imaginaire > Par

ailleurs, il n"'foudruit pus pË.dre-d" vue que toute image procède d'une <.prise de conscience, si

_ini^" soit_"iii, d,un J" pà, ,opport à l'Àutre, d'un lci par rapport à un.Ail^leurs. 1...l Je regarde

I'outre, mais I'image de I'Autre véhicule qussi une cerlaine image de mormeme D '

Uneappr icheimagologiquedesre lat ionsmusicalesentre laFranc€et l 'A l lemagnep".-"t O" Otg;ià, globatemJnt uie imagr positive de la musique (instrumentale) allemande. Dans

I'entouage d".. tor,'reruutoire de paris, Beethoven apparaît ffès rapidement comme le << dieu du

temple >, oÀ nie feu sacré ["] sur.l'autel ) est gardé par Habeneck et -ses.musiciens de la

Société des-èàncens du ConsËrvatoiret. cette image vient se greffer sur celle déjà _très positive

d'une Allemagne des poètes et des penseurs, fortement difflrsée par Madame de StaëI". Et 1l n'est

donc guère t;;; ôr" h Guerre ftanco-prussienne surprenne plus d'un penseur français de la

génération ae tgro,, hatifuee à concevoir |Allemagne comme un pays de rêvzurs et d'idéalistes.

Cela explique ausri .l'é-ergen"e,

dans le contexte des événements de 1870i 1871, de la théorie des

<<deuxAllemagnes>,laquJlleconsisteàdistinguerla(bonne>AllemagnedeKantetdeMadamede Staël de ;e-lle O" HËg"t "t de Bismarck, jugée plus dangereuse'''. Après la Guerre ftanco-

prusslenne, la musique (instrumentale) allemande bénéfrcie toujours d'une image positive, celle

d,unemusique<sér ieuse, ,enviéeparbonnombredecomposi teursf rançaisquidéplorent ,€ncet tephase^d'après.guerre, lec l ichéd'unSecondEmpiref r ivo le.Encoreen1902,RaymondBouyer continuË d'observet < l'échange constant qui s'qccomplit enffe lq France légère' ëprise de

Anatyse Musicale - 4" trimestre 2006 /60

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Méthodologies de I'interculturalité : les relations franco-allemandes au XIXe siècle

musique thëâtrale, et I'Allemagne profonde, amoureuse de musique pure nrr. Toutefois, après lewagnérisme, des compositeurs français à I'instar de Debussy sont à la recherche d'un nouveaumonde musical, qui se détourne de I'appropriation de la musique allemande.

Pendant la première moitié du xD<" siècle, I'image de la musique française en Allemagnediffere fortement de celle de la mllsique allemande dans l'Hexagone. Si Vienne - à côté deLondres - représente I'un des principaux centres de la virtuosité pianistique de 1780 à l'820, Paristend à prendre le relais après le rétablissement de la paix en l8l5r2. ll s'ensuit une importanteprésence de virtuoses (Herz, Thalberg...), mais aussi de compositeurs d'opéras (Meyerbeer) oud'opérettes (Offenbach) d'origine germanique à Paris. L'orientation vers la virtuosité - fortementcritiquée par Schumann - et la musique théâtrale n'est pas sarrs contribuer à I'image d'unemusique française légère. Un article significatif à cet égard paraît dans la Neue Zeitschri/i .fiirMusik du 19 janvier 1872. Son auteur dénonce la < dégénérescence morale > de I'opéretted'Offenbach et d'autres < boufforuleries ), qui trouvent à Paris un sol particulièrement fertile, etlui oppose la force des < héros de I'art allernand >. Le critique pense que la partie de la sociétéparisienne souhaitant la guérison n'a d'autre recours que de prendre son remède chez I'ennemivoisin'r. Si les critiques allemands soulignent fréquemment I'influence bénéfique de leur musiquesur celle de leurs voisins, en 1887, un périodique d'outre-rhin parle certainement pour la premièrefbis de la < Nouvelle Ecole française >> (neufranzdsische Schule) sans se réfërer directement à cetteinfluence'o. L'image positive d'une musique française < sérieuse )) cornmence à s'imposer peu àpeu.

On observe un retournement de situation entre le début et la t'in du xIX" siècle. L'imagepositive de la musique allemande en France est étroitement liée à la volonté de s'approprier cettemusique. Debussy, à la recherche d'une voie différente, lui accordera moins d'importance.Parallèlement, en Allemagne, I'image superficielle de la musique française s'estompe avecl'émergence du mouvement symphonique né dans I'Hexagone après la Guerre fianco-prussienne.L'approche imagologique mène à un certain nombre de résultats, sans prendre néanmoins enconsidération les ( métissages ) culturels, dont témoignent notamment la présence de nombreuxémigrés allemands à Paris au début du xD<'siècle.

II. LES TRANSFERTS CULTURELS FRANCO.ALLENIANDS A L'EXEMPLEDU DEBAT SUR L'ESTHETTQUE DE LA MUSIQUE INSTRUMENTALE

La notion de transfert cuhurel, forgée par Michel Espagne et Michael Werner à la fin desannées 1980, s'applique à I'appropriation, par une entité culturelle, d'une idée ou d'un messageissu d'une autre entité culturelle. Mais entre l'émetteur et le récepteur, le message originel peut setrouver déformé. Parfois un message nouveau prend naissance suite à la transmutationd'importations étrangères. Un transfert culturel est donc une ( sorte cle traduction puisqu'ilcorrespond au passage d'un code à Ltn nouvectu code lrl5, dont les deux moments décisifs sontI'appropriation et la mutation. D'une manière plus générale, ce mécanisme ( marque un souci deparler simultanément de plusielu's espqces nationaux, de leurs éléments conununs, sans pouroutant juxtaposer les considérations sur I'un et I'autre pour les conftonter, les comparer oltsimplement les cumuler. Il signale le dësir de mettre en évidence des formes de métissage souventnëgtigëes au prortt de la recherche d'identité ntu. Les recherches de transfèrt visent à reconstruireun socle commun, oublié ou refoulé. Formé de métissages, le < socle interculturel > franco-allemand a aussi son histoire propre, celle d'une histoire < française > de l'Allemagne,< allemande > de la France, plus large que celle de la simple relation entre ces deux payslT. Dansl'énonciation de sa théorie de l'<< histoire croisée >, Michael Werner soulève quelques angles mortsdes études sur les transfertsl8. Il s'agit tout d'abord du problème des cadres de référence. En effet,le transfert implique souvent, comme points de départ et d'arrivée, des références nationalesstables et présupposées connues. La fixité de ce cadre de référence implique une invariance descatégories d'analyse et des concepts élaborés au sein de traditions disciplinaires nationales. Unquestionnement des réferentiels de I'analyse s'avère de ce fait nécessaire. En outre, MichaelWerner regrette que les enquêtes portent souvent sur des processus linéaires sirnples concernantI'introduction et la diffusion dans une entité culturelle B, d'un message issu d'une entité A. Or, lessituations sont plus complexes : elles peuvent se succéder darrs le temps (re-transfert), se recouperou se croiser. Par exemple, à un transfert culturel de A vers B peut succéder un nouveau transfertde B vers A, dont une approche interculturelle doit tenir comptere.

On peut, par exemple, dégager un ensernble complexe de transfbrts culturels entre lesrégions de langues francophones et germanophones dans le domaine de I'esthétique de la musiqueinstrumentale. Après son départ pour Weimar,Liszt reste inscrit dans le sillage de ses conceptiorlsesthétiques développées précédemment à Paris, tout en les modifiant: il parvient ainsi à saconception du poème symphonique (1" transfert). On sait que Hanslick s'oppose aux idées ducénacle lisztien de Weimar, amenant le débat sur I'esthétique de la musique instrumentale (on

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Méthodologies de I'interculturalité : les relations franco-allemandes au XlX" siècle

parle parfois de < querelle de romantiques )). Après 1870, ce débat ne touche en France queI'entourâge de Beauquier. Celui-ci adopte un formalisme musical plus radical que celui deHanslick: it décline toute symbolique musical€ et s'oppose à la musique religieuse (2" transfert).En Fmnce, le zuccès des Kape llmeister allemards et de la publication, par Marguerite Chevillard,de la tmduction française de I'ouwage de Weingartner stn la Symphonie après Beethoven amènevers 1900 un débat sur l'esthétique de la musique instrumentale différent de celui apparu dans lemonde germanique. Il conceme I'opposition de Wagner d'écrire des symphonies après Beethoven,idée qui s'est elle-même développée dans I'entourage de la Neudeutsche Schale (3" transfert). Onparvient donc à un ensemble complexe de trânsferts culturels, le premier entre Paris et Weimar, lesdeux suivants entre les régions germanophones et la Fmnce.

III. LA MEDIATION DANS LE CHAMP MUSICAL TRANSNATIONAL DUxlx" SIECLE

Dans le cadre d'un ouvrage sur les relations artistiques entre l'Allemagne et la France2o,Alexandre Kostka et Françoise Lucbert proposent une théorie de la médiation. Celle-ci obéit < àune logique des plus complexes, où interviennen^t des sentiments d'appropriation (Aneignung), dedëpendance, de compensalion, de refoulement >". Les auteurs soulignent avec raison que le terme<< médiation >> a partie liée avec la sphère du &oit : le médiateur est celui qui tente de concilierdeux partis aux intérêts opposés. Cette idée d'arbitrage coûvient aux médiateurs ou aux groupes demédiateurs qui servent de vecteur aux trunsferts cultuels. Contrairement à une opinion souventadmise, tous les médiateurs ne jouent pas un rôle conciliateur : il existe des formes de < médiationhostile )) et il n'est pas toujours facile ( -de distinguer les formes positives et nëgatives demédiation tant on les trouve imbriquëes D". La théorie de la médiation cherche également àdégager les règles de fonctionnement du hansfert artistique. Pour ce faire, elle s'attache aux Iieuxet aux milieux dans lesquels les médiateurs se rencontrent et au rôle actifqu'its jouent à I'intérieurd'un réseau,

Ouhe ces théories très récentes, il convient d'invoquer la notion de champ cultureltransnational ("transnationales" kulturelles Feld), telle qu'elle vient d'être proposée par PatriciaOster-stierle lors du congrès des romanistes à Sarrebruck, en 2005. La notion de < champ >apparaît chez Bourdieu comme û < vérit(rble milieu aa sens newtonien, oît s'exercent des forcessociqles, attractions ou rëpulsions, qui touvent leur manifestation phënoménale sous Ia forme demotivations psychologiques,rrr. Oster-Stierle élargit cette notion compte tenu des relationstransnationales, ce qui lui permet d'intégrer les transferts culturels dans un milieu dynamique oùs'exercent des forces. Le dynamisme du dialogue qui s'instaure au sein,du champ culturelhansnational conhaste nettement avec le statisme de ['imagologie de l'attérité'".

Compte tenu de ces nouvelles théories, il est possible d'étudier la médiation dans lechamp musical franco-allemand au xx" siècte, laquelle connaît des périodes d'intense échange quifont face à des périodes de latence. Une forte médiation entle ces deux aires culturelles s'établitaprès les guerres napoléoniennes, corrrme en témoignent, par exemple, la réception des écrits deMadame de Staël et, dans le domaine de la musique, I'installation de nombreux virtuoses à Paris.Dans les années 1830, les relations entre, d'une part, le réseau de Ia Revue et Gazette musicale deParis autour de Schlesinger, Chopin, Liszt et Berlioz, d'autre part, Ie cercle du Davidsbund et de laNeue Zeitschrift Jïir Musik sont particulièrement remarquables. Dans des comptes rendus de 183 Iet de 1835, Schumann reconnaît sa vision d'une musique < poétique ) resp-ectivement dans desæuvres de Chopin (Variations op. 2) et de Berlioz (Symphonie fantastique)". Schumann, en tantque médiateur, a donc profondément marqué les débuts de la réception de Chopin et de Berlioz enAllemagne. Il en est de même de Liszt qui reconnaît, en 1837, ses propres conceptions musicalesdans lei Imprompns op. 5,la Sonao oj. ll et Ie Concert sors orih"itr" op. 14 de Schumann26.Liszt et Schlesinger s'engagent à promouvoir les æuwes-_de Schumann, notamment à havers lapublication de deux éditions françaises de ce compositeur''. On peut aller plus loin encore dans lerapprochement des réseaux de Paris et de Leipzig: le fait que Schumann lui-même devientcollaborateur de la Revue et Gqzette musicale de Paris et que Chopin se trouve intégré dans leDaviclsbund témoigne de I'interpénétration de ces deux réseaux'o. Au cours des années 1840, lamédiation s'affaiblit (en t848, Liszt s'installe à Weimar), avant de s'intensifier dans les années1860 et d'atteindre son point culminant lors de la période l87l- 1905

En ce qui conceme les relations franco-allemandes durant la période 1830-1914, lespériodes d'intense échange correspondent aux phases durant lesquelles le < sous champ de Iamusique sërieuse,r2e cherche à s'émanciper du pouvoir de la grande production. La revendicationde I'héritage beethovénien et la recherche d'une musique < poétique >, que Liszt et Schumann sepanagenr, rrahissent - ne serait-ce que partiellement - cette volonté d'émancipation. A celas'ajoute la lutte menée par Schumann à I'encontre du primat de la virnrosité ambiante. Cetengagement va le conduire à coopérer avec des collègues d'outre-rhin, afin de ne pas se trouvel

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isolé. ll en est ainsi des relations entre le réseau de la Revue et Gazette mltsicale de Paris et celuide la Neue Zeitschriftfiir Musik dans les années 1830. Ces deux réseaux répondent sensiblementau ( charnp culturel transnational ) défini par Patricia Oster-Stierle : cherchant à se démarquer dela grande production, ces deux réseaux poursuivent des objectifs semblables alors qu'ils relèventde deux aires culturelles differentes. C'est un véritable << sous charnp transnational de la musiquesérieuse )) qui, dans les années 1830, ouvre le dialogue entre le réseau de la Revue et Gazettemusicale de Pari.c et celui de la Neue Zeitschrdt fïir Musik.

Par ailleurs, I'appropriation par la France, après la guerre franco-prussienlle, d'unemusique allemande fort réputée, s'inscrit dans la quête d'une ( musique sérieuse )), aux antipodesde la grande production. Par cette appropriation, les compositeurs français ont I'espoir de voirnaître chez eux urle musique tout aussi sérieuse que celle des maîtres allemands. La médiationentre les deux aires culturelles à cette époque est rarement ulle médiation amicale. L'on pourraitinvoquer à cet égard la notior-r de < médiation hostile > élaborée par Alexandre Kostka et FrançoiseLucbert.

Pendant les périodes de latence, la musique ( sérieuse )) semble occuper unc position plusfavorable sur le plan national que durant les périodes d'intense échange. Lors des périodes delatence, ce n'est plus I'opposition entre les musiques ( sérieuse )) et (( légère > qui suscite le débat.Celui-ci se situe au sein même du << sous champ de la musique sérieuse )). On peut mentionner àcet égard non seulement la < querelle des romantiques >, qui oppose dans les années 1850I'entourage de Liszt et les partisans de Hanslick au sein du monde germanique, mais aussiI'opposition, au début du xx" siècle, entre les disciples de Franck (les < Scholistes >) et les< Indépendants >, à I'origine d'un débat franco-français qui conduit à la création de la SociétéMus icale lndépendante3o.

TV. POUR CONCLURE

Les différentes méthodologies proposées ici permettent chacune de comprendrepartiellement les relations musicales entre la France et I'Allemagne au xx' siècle. L'imagologiede I'altérité tout d'abord, pennet d'observer un retournement de situation : si la musique françaiseapparaît souvent comme superficielle avant la Guerre franco-prussienne, les nouvelles productionsde I'après-gueffe sont appréciées outre-Rhin; la France, quant à elle, s'approprie la musique(instrumentale) allemande avant de s'en éloigner avec Debussy. Les transferts culturels ensuite,prennent en compte les < métissages > culturels dont témoigne un ensemble complexe de transfertsdans le domaine de l'esthétique de la musique instrumentale, le premier entre Paris et Weimar, lesdeux suivants entre les régions germanophones et la France. Il est rare qu'une aire culturelle fermehermétiquement ses frontières : les idées et les messages circulent d'une région à I'autre ensubissant le plus souvent des mutations. J'ai choisi l'exemple de I'esthétique de la musiqueinstrumentale. On aurait pu choisir encore d'autres exernples de transferts culturels franco-allemands dans le domaine lnusical. Mais au-delà de I'imagologie et des transferts, les médiateursagissent dans un ( champ > dynamique, parfois transnational. Le positionnement dans le champnécessite souvent une médiation au-delà des frontières qui s'apparente parfois à la < médiationhostile >r. C'est pourquoi - en ce qui concerne les relations musicales franco-allernandes de 1830 àI9l4 - la rnédiation ne cesse de croître à des époques durant lesquelles le << sous champ de lamusique sérieuse ) occupe une position moins favorable sur le plan national. Si I'approcheirnagologique nous incite à croire en un processus conduisant peu à peu à un retournement desituation, l'étude des transftrts et celle de la médiation dans le champ musical transnational va àI'encontre de cette vision téléologique de I'histoire : il existe des périodes d'intense échange et despériodes de latence variables en fonction du positionnement des acteurs au sein du champ musical.Les differentes images de la musique allemancle et de la musique fiançaise dépendent en grandepartie de leur positionnement. En effet, le retournement de situation observé précédemment est liéau détournement des Français de la musique germanique, lequel est dû au positionnement, dans lechamp musical, de certains acteurs comme Debussy. Faut-il pour autant abandonnerl'imagologie ? Je ne pense pas. Le croisement des résultats obtenus par ces différentes méthodesme paraît une solution plus judicieuse.

(*) Ancien boursier de la Fondation Flumboldt, professeur contractuel HDR à I'Université d'Evry Val-d'Essonne

Notest COtttpRGNON, Antoine, << La culture, langue commune de I'Europe? >>, Qu'est-ce que la culture ?, sous ladir. de Yves Michaud, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 231 sq.2 KIMMERLE, Heinz, Interkulturelle Philosophie. Zur Einfiihrung, Hamburg, Junius, 2002,p.43.

Analvse Musicale - 4" trimestre 2006 /63

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Méthodolosies de I'interculturalité : les relations franco-allemandes au XIX" siècle

I Michael Agar compare, par exemple, I'approche intorcùlturelle à l'apprentissage d'une langue. Dans lamesure où l'apprentissage d'une langue nécessite un savoir sur les habinrdes locales (en plus de la gramrnaireet du vocabulaire), Agar dévetoppe le concept de languacuhure qui mêle la notion de langue à celle deculture. Cf. AGA& Michael, < Culture: Can you take it anywhere? >, Intematioûal Jounal of QualitaliveMethods, 5/2,2006, {ticle xx, p. 2.a J'entends par ce terme des jugemelts opéres avant vérificatioû qui peuvent s'avérer vrais ou faux. DansWahrheit und Methode. Grundzùge einer philosophischen Heûkeûeutik (Tùbingen, J. C. B. Mohr, 1990,p. 494), Hans-Georg Gadamer utilise la notion de l/orurteile. C'est à dessein que je ne traduis pas cette notionpar < péjugé > qui a le plus souvent ulle acceptiotl négativ€, mais par < pré-jugement ).5 Le terme iuago - à I'origirrc du conception d'imagologie - désigne, pour les psychologues, le protot)peinconscient acquis dans I'enfance par le sujet. La < psychologie des peuples > généralise, quant à elle, lecoîcept d' imago à la mentalité collective. Il faut attendro que la théorie littéraire reprenne ce terme vers la Iindes années 1960 avant de voir ce terme désigner les < études comparatistes sur les images de l'étranger >. Cià cet égard I'article de Jean-Marc Moura, < Imagologie / Social images >, Dictionnaire International desTennes Littëraires,llttp://www.ditl.info/ (consulté le l5 octobre 2006).u PAGf,qUx, Daniel-Henri, ( Recherche sur I'imagologie : de I'Histoire culturelle à la Poétique D, p. 135-14l. http://www.ucm.eVBucM/revistavflVl1399368/articuloVTHEl9595330l35A.PDF (consulté le l5octobre 2006).? KRAUS, Beate Angelika, ( Eine Frauenkarriere in Beethovens Heiligtum? Louise Faxrenc im Paris des19. Jahrhundens )), Louise Fatenc und die Klassik-Rezeption in Frankreich, Oldenburg, BIS-Verlag, 2006,D' t6'I DE STAËL, Germaire, De I'Allemagne,Paris, GF-Flammarion, 1968, 2 volumes.e ( La gënëration de 1830 se compose d'hommes nés dans les demières années du wttf siècle ou dans lespremières du stf >, cf. DIGEON, Clalude, La crise allemande de la pensée française (1870-1914), Pans,PUF, 1959, p. 113.tu DlGEoN, c,, Ia crise allemande de la penséefrançaise, op' cit., p. 162.rr Cf. ( L'âme allematrde et l'esprit français >>, Le Ménestrel, 68115 ( 13 awil 1902), p, I 16'12 Cf CUT, Serge, < Franz Liszt et la virtuosité pianistique à Paris dans les années 1830 >>, Musicologie aufldes siècles. Serge Gur, Paris, Presses de I'Université de Paris-Soôonne, 1998, p. 303-31 l.t3 Neue Zeitschrift Jùr Musik 68/4 (l91awier 1872), p.44. Cet article est signé du pseudonyme -Èe.ta Musikalisches Wochenblatt 18/25 (16 juin 1887), p. 306 sq. On observe toutefois que I'expressionNeufranzôsische Schule semble calquée sur celle de Neudeutsche Schule.'5 ESPAGNE, Michel , Le.s transferts cuhurels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, p. 8.'" ESPAGNE, M., ,ar ttunsferts aiturels franco-allemdnds, op. cit., p. I.'7 ESPAGNE, M., ,es transferts culturcls îranco-qllemands, op. cit.,p.4.18 Il est certain quc ces quelques angles morts de l'étude des transferts ne sauraient constituer I'essentiel deI'histoire croisée, que nous ne pouvons pas exposer ici par rnanque de place. Cf, WERNER, Michael etBénédicte Zimmermann, < Penser I'histoire croisée. Entre empirie et réflexivité ,>, ,4rnales Histoire, SciencesSociales, 581 I Canvier-février 2003), p. 7-36.re Les transferts culturels ne sont traités ici que dg manièr€ paxtielle : il faudrait aussi parler d'autres notionsessentielles comme celle des ( transferts çulturels triangulaires D. Je renvoie le lecteu à l'ouvrage de MichelEspa9îe (Les lrcnsferts culturels ltanco-allemdndï op. cit.).20 KOSTKA, Alexandre et Françoise Lucbert (éd.), Distanz und Aneignang. Kunstbeziehungen zwischenDeutschland und Frankreich / Relations aftistiques enlre la France et I'Allemagne 1870-1945, Berlin,Akademie Verlag, 2004.2r KOSTKA et Lucbeû, Distanz und Aneignung, op. cit.,p. 14.22 KOSTKA et Lucbert, Distanz und Aneignung, op. cit.,p. 15.23 Par exemple: qOURDIEU, Pierre, Les règles de I'art, Genèse et sttachlre ùt chanp littëraire, Paris,Editions du Seuil,'1998, p. 30 sq.2a Présentation de la section 27 du 29' congrès allemand des romanistes, dirigée par Patricia Oster-Stierle etHans-Jiirgen Lûsebrink : ( Deutschlard - Frankeich in Europa. Dynamik ei[es 'transnationalen' kulturellenFeldes um 1945 >, Programmhef zum DOX. Deutschen Romanistentag herausgegeben rom VoÆtdnd desDeutschen Romdnistenverbandes, p. 488-503, et toùt particulièrement p. 502.25 < Ein werk II r [l 831] et ( Sinfonie von Hector Berlioz > u8351, KREISIG, Maxtin (éd.\, GesammeheSchrifien ûber Musik und Musiker von Robert Schumann, Leipzig, Breitkopf und Hiirtel, 1914, p. 5-7 et 69-90'26 Rewe et Gazette ,nusicale de Paris,IY146 (12 novembre 1837), p. 488-490.27 Schlesinger publie le Carnaval op.9, comme supplément de la Revue et Gazette musicale de Paris, le 30juillet 1837 et les Scènes d'enfants vers 1840. Mais Schlesinger n'est pas 1e seul à éditer Schumann, il y aaussi la maison Richault qui publie huit ceuwes du compositeur entre 1834 et ca 1840 (cf EHRHARDT,Damien, ( Der Êanzôsische und der deutsçhg Erstdruck voII Robert Schumanns Carnaval op. 9 ,r, RobertSchumann und die franzdsische Romaûtik, Mainz, Schott, 1997 , p. 205-217)28 L'activité de rédactev de lî Rer)ue et Gazette music.rle de Palis n'est pas à mettre sur le même plan quel'appadenance at Davidsbund: la premièle est une fonction effective, tandis que la seconde est liée à lafantaisie de Schurnann.2e Cette notion conespond sensiblement à celle du < sous champ de production restreinte )r chez Bourdieu.30 DUCHESNEAU, Michel, ( Maurice Ravel et [a Société Musicale Indépendante : Projet mirifique deconcerts scandaleux D, Retwe de musicologie 80n Q994), p.257 sq.

Analyse Musicale - 4"' trimestre 2006 /64