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dans les langues

Jan 05, 2017

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AVERTISSEMENT

Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected]

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UNIVERSITÉ de Lorraine École doctorale « LTS »

CERCLE EA 7342

THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE LORRAINE

Discipline : Linguistique

présentée et soutenue publiquement par

Valentina TOUJIKOVA

le 18 octobre 2012

L’analyse lexico-sémantique comparative

des mots et de la notion « État/gosudarstvo »

dans les langues française et russe

Directeur de recherche :

Monsieur le Professeur Antoine NIVIERE

Membres du jury :

Mme Christine BRACQUENIER Professeur à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3

Mme Isabelle DESPRES Professeur à l’Université Stendhal Grenoble 3

M. Vladimir BELIAKOV Professeur à l’Université Toulouse II-Mirail

M. Stanislaw FISZER Maître de Conférences Habilité à Diriger des

Recherches à l’Université de Lorraine

M. Antoine NIVIERE Professeur à l’Université de Lorraine

Nancy, 2012

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2

«Что такое государство? – восклицал один из российских государствоведов в начале XX в., А. Паршин, – вот вопрос, который до сих пор стоит открытым перед человеческим умом».

Mixail Marčenko, Teorija gosudarstva i prava

Andrej Paršin, un des historiens qui étudiait l’État au début du XXe siècle, s’exclama : « Qu’est-ce que l’État ? Voici la question qui reste universelle pour l’humanité. »

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3

REMERCIEMENTS

Je suis sincèrement reconnaissante à Monsieur le Professeur Antoine Nivière

d’avoir accepté de diriger ce travail, de m’avoir aidée et de m’avoir apporté un

soutien considérable dans sa réalisation. Ses conseils, ses précieuses remarques

m’ont été extrêmement utiles.

Je remercie infiniment Madame Christine Bracquenier, Madame Isabelle Després,

Monsieur Vladimir Beliakov, Monsieur Stanislaw Fiszer qui, malgré leur emploi du

temps chargé, ont accepté de participer au jury de cette thèse.

Je dis un grand merci à tous mes collègues de l’université de Lorraine, ainsi que

de l’université Stendhal de Grenoble et de mon laboratoire CERCLE, qui m’ont

permis de travailler dans les meilleures conditions. En particulier, je tiens à

remercier Madame Ludmila Kastler (Stendhal-Grenoble 3) et Madame Lucie

Kempf (Université de Lorraine).

Un grand merci à ma fidèle amie Claude-Noëlle Vaison et à mon mari Lionel

Caillat, qui m’ont toujours encouragée et ont consacré beaucoup de temps à la

relecture de ma thèse. Merci à mes parents qui m’ont fourni un grand nombre de

sources russes, peu accessibles en France. Merci également à mes amis et

particulièrement à Kira Bobrov, à Rodika Brighidin et à Marina Pantchichkine, de

m’avoir énormément soutenue.

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4

Sommaire

Introduction ........................................................................................... 5

Chapitre 1 : L’analyse comparative des définitions des mots

État/gosudarstvo dans les dictionnaires .......................... 46

Chapitre 2 : La perception d’État/gosudarstvo à partir des

métaphores dans le discours politique ............................ 96

Chapitre 3 : Les associations liées aux mots État/gosudarstvo

dans les dictionnaires des normes associatives

russes et françaises ....................................................... 180

Chapitre 4 : Les champs lexico-sémantiques des mots

État/gosudarstvo ............................................................ 282

Chapitre 5 : Les familles des mots État/gosudarstvo ........................ 310

Conclusion ....................................................................................... 422

Table des annexes............................................................................. 427

Bibliographie ...................................................................................... 459

Table des matières ............................................................................ 481

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5

Introduction

1. Problématique

L’épigraphe que nous avons choisie en ouverture à notre étude pose une question

primordiale que plusieurs historiens, spécialistes en droit, hommes politiques,

philosophes et linguistes de différentes époques ont cherché à élucider. Le

concept d’État éveilla l’intérêt et les débats sur sa nature et son rôle dès

l’Antiquité. Platon et Aristote, notamment, employèrent les termes de Res publica,

polis (du grec cité, dans l'étymologie latine civitas) afin de désigner leur idée de

l’État. Le mot État fit son apparition dans les langues européennes aux tournants

des XVe et XVIe siècles. Son évolution et sa définition subirent des changements

en fonction des réalités politiques.

Comme l’explique la philosophe française Simone Goyard-Fabre, Machiavel fut le

premier en Europe, au Moyen-Âge, à apporter un caractère polysémique au mot

État (Stato), en l’utilisant dans le sens de « organisation politique et juridique dont

une communauté d’hommes a besoin sur son propre territoire »1. Plus tard, Jean

Bodin, philosophe et théoricien politique français (1530-1596), élabora une

véritable philosophie de l’État dans son traité intitulé La République (1576)2. Selon

sa conception, l’État ne peut exister sans souveraineté.

En Russie, la conception théorique de la notion d’État apparut relativement tard.

L’écrivain et historien Nikolaj Mixajlovič Karamzin fut le premier à décrire l’histoire

de l’État russe dans son ouvrage Histoire générale de l’État russe3, rédigé entre

1803 et 1826. Nikolaj Karamzin y proclamait l’importance primordiale du rôle de

l’État dans la vie de la société. Trois décennies plus tard, les slavophiles4 qui

refusaient l’État, tel que l’avait formé Pierre le Grand suivant le modèle européen,

1 Goyard-Fabre S., L’État : figure moderne de la politique, Paris : Armand Colin, 1999, p.8. 2 Bodin J., Les Six livres de la République, Paris : Fayard, 1986, 6 vol. (340 p., 123 p., 209 p., 216 p., 229 p., 550 p.). 3 Karamzin N.M., Istorija gosudarstva Rossijskogo, Moskva : Eksmo, 2007, 1024 p. 4 Mouvement, né en Russie dans la première partie du XIXe siècle.

Page 7: dans les langues

6

mais qui, dans le même temps, défendaient le rôle du souverain, abordèrent à

nouveau cette question sous un angle différent. À côté de l’État, les slavophiles

mettaient en valeur les institutions nationales comme l’Église orthodoxe ou le

Zemskij sobor (une sorte d'assemblée représentative des couches vives de la

nation qui avait cessé d’exister sous le règne de Pierre le Grand).

Dans une optique différente, dans son ouvrage Dieux et l’État5, le militant

révolutionnaire et fondateur du courant anarchiste russe, Mixail Bakunin, critiquait

toute forme d’État et allait même jusqu’à prôner son abolition : « c’est-à-dire

l’abolition de l’exploitation politiquement organisée de la majorité par une minorité

quelconque -, ce serait la satisfaction directe et complète de tous les besoins, de

toutes les aspirations humaines des masses»6. L’abolition de l’État demeurait,

pour Bakunin, une condition sine qua non à l’existence d’une société libre.

Au XXIe siècle, la définition du mot État, la perception de ce concept, ainsi que son

rôle dans la vie de la société, continuent à susciter l’intérêt partout dans le monde

en général et, en particulier, dans les pays de l’Ouest comme de l’Est de l’Europe.

A la suite des changements politiques et socioculturels importants survenus

récemment, est-il possible de percevoir une certaine évolution, tant de la définition

du mot État dans les dictionnaires, que de sa perception par les locuteurs

contemporains appartenant à des cultures différentes, telles que française et

russe ? S’il est, en effet, question de deux cultures résolument étrangères et

distinctes et, par conséquent, d’expériences dissemblables, s’agit-il de la

différence de perception du mot État en français et du mot gosudarstvo en russe,

ou bien les Français et les Russes parviennent-ils à comprendre ces mots de la

même façon ? Quelles sont les caractéristiques qui peuvent unir, non seulement la

pensée du politique, mais la vision du monde chez ces deux peuples ? Si les

langues et les cultures sont différentes, existe-il, néanmoins, des matrices

sémantiques communes permettant de créer une façon de réunir le processus

conceptuel et quelles sources révèlent ces matrices, dans la langue ou dans le

5 Bakounine M., Dieux et l’État, traduction française, Editions Mille et une nuits, 1996, 143 p. 6 Ibid., p.112.

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7

discours ? Toutes ces questions nous amènent à formuler plus précisément le

thème, les objectifs et les hypothèses de notre travail de la façon suivante.

Thème

Le sujet de notre thèse porte sur les mots «État/gosudarstvo» et sur leur notion,

dans les langues et les discours français et russe. Ce sujet est directement lié à la

problématique des relations entre langue et discours, abordée déjà dans de

nombreux travaux de linguistique. Plus particulièrement, certains linguistes russes,

tels que Jurij Karaulov, Igor’ Ružickij7 et d’autres, ont récemment étudié non

seulement le mot gosudarstvo dans la langue russe, mais aussi son concept. Ils

ont cherché à comprendre comment ce concept est perçu par les Russes et ils ont

comparé cette perception avec celle des locuteurs d’autres langues.

De leur côté, les linguistes français ont aussi montré leur intérêt pour les mots et

les concepts appartenant au vocabulaire politique et social. Parmi ces études,

nous nous référons à celles de Sylvianne Rémi-Giraud et Norbert Dupont qui ont

analysé les « mots de la nation » (pays, peuple, nation, patrie, État)8, non

seulement en tant qu’objet de la langue, mais aussi du discours, c’est-à-dire qu’ils

se sont intéressés tant à la définition de ces mots dans les dictionnaires, qu’à leur

organisation dans le discours politique. En particulier, Sylvianne Remi-Giraud a

établi le micro-champ lexical des mots peuple, nation, État, pays, patrie à partir

des articles du Nouveau Petit Robert. Elle a mis en évidence, d’une part, « la

matrice sémantique commune de ces mots » et, d’autre part, « les traits

différentiels ou spécifiques qui donnent à chacun son individualité et ses valeurs

propres »9. Nous nous servirons des résultats de ces deux chercheurs pour notre

analyse comparative et nous essaierons de les approfondir en utilisant d’autres

corpus, notamment celui de la presse.

7 Russkoe slovo v russkom mire – 2005: Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M.: Azbukovnik, 2006, 448 p. 8 Les mots de la nation, sous la direction de Sylvianne Rémi-Giraud et Pierre Rétat, Lyon : Presses universitaires, 1996, 321 p. 9 Ibid., p.19.

Page 9: dans les langues

8

Parallèlement, dans son livre L’État : figure moderne de la politique10, Simone

Goyard-Fabre démontre le développement du concept d’État à partir des

institutions et des principes qui ont permis sa création jusqu’à ce que son

acception moderne et son évolution suite aux transformations de l’époque qui ont

conduit aujourd’hui à un système juridico-politique supra-étatique. Ce travail étudie

non seulement le concept d’État, mais aussi le mot, son étymologie et le chemin

qui conduit du mot à l’idée, ce qui nous semble important pour notre analyse.

L’étude de Simone Goyard-Fabre nous paraît cependant limitée, car elle

s’intéresse uniquement à la définition de ce concept en France ou en Europe.

Les études mentionnées nous ont amenée à une analyse plus profonde des mots

État/gosudarstvo et surtout à une analyse comparative, car ce type de recherche

est très actuel. De nombreux linguistes russes et français cherchent à comparer

tel ou tel phénomène dans la langue et dans le discours des cultures française et

russe.

Contribution des linguistes et chercheurs russes aux études comparatives franco-russes contemporaines

Vladimir Gak a beaucoup travaillé sur la linguistique comparative. Dans ses deux

ouvrages fondamentaux, Lexicologie comparée et Etude comparative du français

et du russe11, Vladimir Gak présente des aspects différents de l’étude comparée

du lexique français et russe. Le linguiste analyse l’emploi des mots et insiste sur

le fait qu’il est nécessaire d’observer les mots dans un ensemble de trois

niveaux : réalité, pensée et expression12. Dans notre analyse, nous avons donc

l’intention de mettre en relief les différentes réalités, pensées et expressions qui

peuvent exister dans les deux pays ainsi que leurs aspects communs.

10 Goyard-Fabre S., L’État : figure moderne de la politique, Paris : Armand Colin, 1999, 186 p. 11 Gak. V.G., Sopostavitel’naja leksikologija, Moskva : Izdatel’stvo « Meždunarodnye ontošenija », 1977, 264 p. Gak. V.G., Sravnitel’naja tipologija francuzskogo u russkogo jazykov, Moskva : Izdatel’stvo KomKniga, 2006, 228 p. 12 Gak. V.G., Sopostavitel’naja leksikologija, Moskva : Izdatel’stvo « Meždunarodnye ontošenija », 197, p.34.

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9

Les mots État/gosudarstvo appartiennent au vocabulaire politique et social ; par

conséquent, nous nous intéressons plus particulièrement aux études

comparatives dans ce domaine. Les recherches sur les notions politiques et

sociales universelles entreprises par des linguistes, historiens et politologues,

originaires de quatorze pays d’Europe centrale et orientale et de l’Union

européenne, ont été rassemblées dans les Actes du colloque international

« Langues et sociétés de l’Europe centrale et orientale ». Ce colloque a été

organisé à Nancy, en novembre 2003, par le laboratoire ATILF/CNRS-Université

Nancy 2 – Université Henri Poincaré. Les spécialistes de différents domaines,

issus de multiples langues et cultures, ont cherché à donner une explication

linguistique du lexique exprimant des notions politiques et sociales comme

démocratie, État, fraternité, citoyen, liberté, libéralisme13 … dans les diverses

langues concernées, en utilisant les approches diachronique et synchronique.

Parmi les articles publiés dans ces Actes, il nous a semblé judicieux de citer

l’article « Traduttore traditore ? Le Nakaz de Catherine II ou la genèse du

vocabulaire politique en Russie »14 du professeur Antoine Nivière, qui effectue une

étude sémantique de l’Instruction pour la commission chargée de dresser le projet

d’un nouveau code de lois (en russe Nakaz15) afin de décrire le rôle du pouvoir

autocratique dans la culture politique russe. Le sujet fut suggéré par l’historien

américain d’origine russe Marc Raeff. Ce dernier, selon Antoine Nivière, « insistait

sur les ambiguïtés et contradictions du vocabulaire russe »16, en montrant

comment dans la langue russe, « les normes politico-juridiques s’opposaient entre

elles tant au niveau sémantique que philosophique » 17. Antoine Nivière étudie les

traductions du Nakaz pour démontrer les problèmes que posa la recherche

d’équivalents exacts, en se limitant à quelques exemples liés à l’État et à ses

13 Cahiers du Dictionnaire des notions politiques et sociales des pays d’Europe centrale et orientale (DNPS), sousl la direction de Henri-Claude Grégoire et Danuta Bartol, N 1-2, 3-4, 2003, 2005. 14 Nivière A., « Traduttore traditore ? Le Nakaz de Catherine II ou la genèse du vocabulaire politique en Russie », in Cahiers du DNPS n 3 et 4, 2005, volume I, p.241-252. 15 Nakaz Eja Imperatorskogo Velichestva Ekateriny Vroryja, samoderzhicy vserossijskija, dannyj Kommissii o sochinenii proekta novago Ulozhenija. Moskva, 1767 ; texte repris ensuite dans le Polnoe sobranie zakonov Rossijskoj imperii s 1749 g. Sankt-Peterburg, 1830. 16 Raeff M., Politique et culture en Russie (18e-20e siècles), Paris, EHESS, 1996, p. 58. 17 Marc Raeff cite l’exemple de pravo (droit) qui s’opposait à la pravda (justice) et la même opposition pour zakon (loi) à zakonnost’ (légalité), cf, p. 58.

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10

dirigeants18. Citons comme exemples, les mots gosudar’ (souverain, monarque,

prince), gosudarstvo (État), gosudarstvennyi (de l’État), pravitel’stvo

(gouvernement). Antoine Nivière rencontre les traductions suivantes : gosudarstvo

traduit par « Empire », gosudarstvennyj par « politique » ou pravitel’stva au pluriel

par « tribunaux », au sens d’institutions gouvernementales, voire par « corps

politiques »19.

Cette analyse lui permet de conclure que ce document présente « un véritable

dédoublement de vocabulaire ». Il y voit un « exemple de détournement

sémantique au profit d’une mystification politique ». Antoine Nivière cite l’historien

contemporain Alexandre Akhiezer qui observe le même procédé et le considère

comme typique de l’évolution historique du peuple russe : « Les signifiants, en

franchissant les frontières, changent radicalement de contenu. Le sens peut

même s’inverser complètement. Deux systèmes sémantiques se forment dans la

société, qui s’interpénètrent et se détériorent mutuellement »20. Cette étude

diachronique nous servira pour voir l’évolution du mot gosudarstvo dans le

vocabulaire politique et social ainsi que pour comparer son sens actuel avec celui

qu’il possédait au XVIIIe siècle.

De son côté, Valéry Kossov, spécialiste russe de traductologie, a consacré

plusieurs articles à l’analyse des nouveaux concepts et notions apparus

récemment dans les textes économiques, politiques et juridiques, ainsi qu’à leur

traduction en français. Dans son article « Culture politique et traduction. Le

concept de l’État en français et en russe »21, Valéry Kossov se penche davantage

sur le concept de l’État en droit public français et russe, ainsi que sur certaines

notions dérivées de ce concept de base. Il cherche ainsi à démontrer l’importance

des particularités culturelles dans le discours politique et dans la langue juridique

18 Antoine Nivière a recours à l’édition bilingue russe-française du Nakaz (partielle), in Konstitucionnye proekty v Rossii (XVIII-nachalo XX v.). A. N. Sakharov et S. Bertolissi (réd.), Moskva, IRI RAN et Université de Naples, 2000, pp. 247-275. 19 Ibid., p.246. 20 Ibid., p.251. 21 Kossov V., « Culture politique et traduction.Le concept de l’État en français et en russe », ILCEA [En ligne], 3 | 2002, mis en ligne le 08 juin 2010. URL : http://ilcea.revues.org/index773.html. Consulté le 21 juin 2009.

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11

et à proposer les traductions les mieux adaptées. Ces résultats nous seront très

utiles dans notre chapitre consacré aux locutions contenant le mot gosudarstvo,

par exemple dans le cas de gosudarsrtvennyj (de l’État) traduit parfois comme

public en français. L’analyse des concepts de nation et de citoyenneté dans les

deux langues, dans l’article « La nouvelle terminologie économique, politique et

juridique : difficultés de traduction »22 nous servira également dans notre

recherche. Quant à Valéry Kossov, il arrive à la conclusion que pour éviter les

problèmes de compréhension des textes juridiques, le traducteur doit tenir compte

des dernières évolutions terminologiques et des décalages culturels des concepts

en question, en s’appuyant sur le discours qui reflète au mieux les changements

politiques de la nouvelle Russie.

Enfin, notons qu’une chercheuse espagnole, Marija Sančes Puig, a présenté elle

aussi une brève analyse comparative des mots gosudarstvo et estado dans les

langues russe et espagnole, dans un article intitulé « О государе,

« государьстве» и государственности» («O gosudare, « gosudar’stve » i

gosudarstvennosti »)23. Après avoir comparé l’étymologie des deux mots et leur

définition dans les dictionnaires de langue et dans les encyclopédies, elle est

arrivée à la conclusion que la différence sémantique principale consiste en

l’absence des sèmes de pouvoir – gospodstvo, vlast’ dans le terme estado et, à

l’inverse, leur prédominance dans le terme gosudarstvo. Nous développerons plus

en détail ce point important dans l’analyse comparative que nous proposerons

dans notre premier chapitre.

Du point de vue méthodologique, tout comme l’ensemble de ces linguistes et

chercheurs, nous avons recouru aux approches linguistiques lexico-sémantique,

comparative, historico-étymologique et lexicographique, en y ajoutant des

approches extralinguistiques, notamment psycholinguistiques.

22 Kossov V., « La nouvelle terminologie économique, politique et juridique : difficultés de traduction », in Essais sur le discours de l'Europe éclatée № 20, 2004, p.117-127. 23 Sančes Puig M., «O gosudare, « gosudar’stve » i gosudarstvennosti », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.212—225.

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12

Les études antérieures nous ont ainsi conduite à chercher une matrice

sémantique commune ainsi que des traits spécifiques des mots État/gosudarstvo,

en analysant non seulement leur définition dans les dictionnaires, mais aussi leur

perception dans le discours en général. La spécificité de ces mots consiste en leur

appartenance au vocabulaire politique et social, ce qui nous semble important à

remarquer et ce qui demande une analyse approfondie.

2. Première approche appliquée - lexico-sémantique : objet d’étude, corpus, principes théoriques et difficultés méthodologiques État/gosudarstvo : des mots appartenant au lexique général ou des termes propres à la politique ?

De façon générale, les linguistes distinguent le lexique général du lexique de

spécialité24, dont l’étude s’appelle la terminologie. Le problème se pose au sein du

vocabulaire politique et social à propos de l’appartenance de tel ou tel mot ou

expression, soit au lexique général soit à la terminologie.

En principe, les linguistes affirment que le lexique général est commun à tous les

locuteurs25. Plusieurs linguistes russes et français26 considèrent que les mots

État/gosudarstvo appartiennent à ce lexique général au sein du vocabulaire

politique et social. Par contre, la notion d’État de droit/правовое государство

(pravovoe gosudarstvo) devient un concept juridique et n’est développée que dans

les dictionnaires spécialisés de politique27, donc elle peut être considérée comme

appartenant au lexique de spécialité. En conséquence, dans notre étude nous

analyserons la terminologie, en l’illustrant par de nombreux dérivés et locutions

utilisant les mots État/gosudarstvo. Les termes du lexique de spécialité, par

opposition à ceux du lexique général, définissent un concept précis, ils ne peuvent

24 Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction à la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2000, p. 5. 25 Ibidem. 26 Nous pouvons citer les recherches d’Olga Vorob’eva, de Jean-Marie Denquin ou de Jean Dubois qui ont donné naissance aux classifications du lexique au sein du vocabulaire politique et social. 27 Denquin J.- M., Vocabulaire politique, Que sais-je ? Paris : Presses universitaires de France, 1997, p.73.

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13

donc pas avoir de synonymes, ni être polysémique et ne dépendent pas du

contexte28. Nous pouvons donner comme exemple les différents types de

terminologie : électorale (électeur29), terminologie des partis politiques (front

populaire30), terminologie des syndicats (syndicat réformiste31).

Dans notre travail, nous comparerons les dérivés et les locutions utilisant les mots

État/gosudarstvo, lesquels appartiennent au lexique de spécialité, afin de trouver

leur équivalent dans les deux langues. L’emprunt du lexique de spécialité présente

un problème particulier, car nous verrons que certains termes russes ont été

empruntés au français. Le rôle de l’emprunt dans la terminologie est étudié

minutieusement, car il est souvent question de terme pour désigner un nouveau

concept, emprunt effectué à une langue étrangère. Il est important de prendre en

compte les problèmes de traduction de ces termes, car leurs traductions dans

certains dictionnaires changent le sens de certains dérivés ou locutions utilisant

les mots État/gosudartsvo ou, parfois, elles ajoutent une connotation différente.

État/gosudarstvo : Mots, concepts et notions

Le titre de notre travail montre explicitement que nous entendons analyser, en

premier lieu, les mots État/gosudartsvo pour mieux aborder ensuite leur notion.

Par conséquent, il nous semble important de définir brièvement les termes mot,

notion et concept, auxquels nous aurons constamment recours, ainsi que de

préciser la différence existant entre eux.

Le mot est l’unité du lexique, dont « l’identité est constitué de trois éléments : une

forme, un sens et une catégorie grammaticale »32. Si le mot est considéré comme

signe linguistique d’après la célèbre théorie de la dichotomie de Ferdinand de

28 Dobrov B.V., Lukaševič N.V., « Vzaimodejstvie leksiki i terminologii v obščeznačimoj sfere jazyka », in Kompjuternaja lingvistika i intellektual’nye texnologii : Trudy Meždunarodnoj konferencii « Dialog’2004 », Pod red. I.M. Kobozevoj, A.S. Narin’jani, V.P., Selegeja, М.: Nauka, 2004. p.172-178. 29 Denquin J.- M., op.cit., p.70. 30 Ibid., p.80. 31Ibid., p.113. 32 Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction a la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2000, p.1.

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14

Saussure, il possède le signifié (image acoustique) et le signifiant (le concept).

D’un point de vue linguistique, le concept est donc le signifiant, il est aussi défini

comme « représentation mentale générale et abstraite d’un objet ». Si le mot est

une unité lexicale qui appartient à la langue, le concept s’avère en être

indépendant. Il englobe toute information sur un objet et peut naître avant

l’apparition du mot qui le nommera. Le terme notion est souvent utilisé comme

synonyme de concept dans le langage français courant. Le Nouveau Petit Robert

le définit, entre autres, comme objet abstrait de connaissance33 et fait référence

aux termes de concept et de représentation. En effet, en choisissant entre les

termes de concept et de notion, la terminologie linguistique française a opté au

final pour celui de notion. Nous proposons de distinguer la notion du concept, car

pour nous il ne s’agit que de la synonymie partielle entre les deux : la notion est

plus vague que le concept qui, lui, rassemble des connaissances réelles sur les

objets. Les disciplines comme la philosophie, l’économie politique, la sociologie,

tentent de concrétiser leurs connaissances en préférant utiliser le terme concept

quand il s’agit de l’État. Les linguistes adoptent, dans leurs études, tantôt le terme

de notion, tantôt celui de concept. Par exemple, les chercheurs participant au

projet du Dictionnaire des notions politiques et sociales des pays d’Europe

centrale et orientale étudient la notion d’État. En revanche, les linguistes russes

tels que Jurij Karaulov et autres penchent pour l’utilisation du terme concept dans

leur analyse de gosudarstvo.

Aujourd’hui, dans le langage courant russe on emploie également les deux termes

понятие (ponjatie-notion) et концепт (koncept - concept) comme synonymes.

En revanche, la distinction linguistique entre ces deux termes est manifeste et a

été développée par les linguistes russes tels que Natal’ja Švedova, Valerij

Dem’jankov et d’autres. Valerij Dem’jankov a étudié le terme « koncept » dans son

article « Termin « koncept » kak element terminologičeskoj kul’tury » (« Le terme

« concept » comme élèment de la terminologie ») 34. Dans cet article, il cite la

33 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1684. 34 Dem'jankov V., « Termin « koncept » kak element terminologičeskoj kul’tury », in Jazyk kak materija smysla : Sbornik statej v čest’ akademik N. Švedovoj. Otv.red.M.Ljapon. M. : « Azbukovnik », 2007, p. 606–622.

Page 16: dans les langues

15

définition de Natal’ja Švedova du concept : « Le concept est le contenu d’un

signifié (une signification ou un ensemble de significations proches), derrière

lequel se trouve la notion (c’est-à-dire l’idée, qui détermine la réalité et les

évènements, ainsi que les relations entre eux)… »35. Valerij Dem’jankov insiste

sur le fait que le concept est un « embryon » de notre monde conceptuel, tandis

que sa réalisation dans le discours se transforme en notion. Valerij Dem’jankov

souligne aussi que l’emploi du mot russe концепт (koncept - concept) est

beaucoup plus rare que son dérivé концептуальный (konceptual’nyj –

conceptuel) dans les textes littéraires ou scientifiques et est rarement mentionné

dans les dictionnaires de langue russe. Valerij Dem’jankov remarque, par

exemple, que les philosophes russes comme Vladimir Solov’ev, Nikolaj Berdjaev,

Konstantin Leont’ev et autres n’ont pas utilisé ce terme dans leurs œuvres. Il

ajoute que le mot koncept commence à apparaître seulement dans les années 20,

souvent comme synonyme de ponjatie (notion).

Dans notre analyse, nous nous servirons des deux termes concept et notion,

puisque il s’agit, d’un côté, du concept de base d’État et, de l’autre, de la notion

d’État et de gosudarstvo qui ont accumulé des informations dans les deux cultures

au fil de leur histoire. De plus, nous adopterons l’approche cognitive de Georges

Lakoff et Mark Johnson sur la création humaine des concepts (processus

conceptuel métaphorique)36, ce qui entraîne la nécessité de l’emploi du terme

concept.

La sémantique lexicale

La sémantique lexicale étudie le sens des unités lexicales, c’est pourquoi il est

obligatoire d’appliquer l’approche lexico-sémantique pour analyser les mots

État/gosudarstvo. Les analyses du sens lexical sont diffèrentes selon les modèles

35 «Концепт – это содержательная сторона словесного знака (значение – одно или некий комплекс ближайше связанных значений), за которой стоит понятие (т. е. идея, фиксирующая существенные «умопостигаемые» свойства реалий и явлений, а также отношения между ними)…cf, p. 606. 36 Linguistes américains, connus grâce à leurs travaux sur la métaphore conceptuelle comme étant au cœur de la pensée humaine, du comportement politique et de la société.

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théoriques. Alise Lehmann, linguiste française, retient trois théories37 : deux

s’appuient sur la sémantique référentielle (sémantique de la désignation) et la

troisième est basée sur la sémantique de la signification (modèle de l’analyse

sémique), ce qui entre dans le cadre théorique du structuralisme. Si les deux

premières grilles d’analyse prennent en considération les traits référentiels, la

troisième prend en compte les relations avec les autres unités du système

linguistique en faisant abstraction de la référence. Alise Lehmann décrit ces trois

modèles : la définition par inclusion, l’analyse sémique et la théorie des prototypes

et stéréotypes ; elle précise en revanche que ces trois modèles analysent les mots

indépendamment du contexte. Ainsi, selon ces modèles, il existe un sens stable et

conventionnel des mots qu’on peut décrire sous forme de traits sémantiques.

C’est en partie sur eux que porte notre analyse des mots État/gosudarstvo. Nous

nous permettrons donc d’utiliser les outils des deux théories, c’est-à-dire, les traits

sémantiques de l’analyse sémique et le prototype, notion centrale de la

sémantique cognitive, en espérant que ce mariage enrichira notre analyse38.

Il existe par ailleurs d’autres théories mettant en doute l’existence de ce sens

conventionnel. Comme le précise Alise Lehmann39, le sens des mots varie selon

le contexte et doit être construit en interaction avec ce dernier. Ces théories

donnent naissance au contextualisme qui s’attaque à ce sens conventionnel, en le

niant complètement. Essayons tout d’abord de définir ce sens stable ou

conventionnel.

Le problème de la polysémie

Nous avons recours à la définition du sens conventionnel proposée par Georges

Kleiber, linguiste français, auteur de nombreux ouvrages consacrés à la

sémantique lexicale : « un sens associé par avance à certaines expressions

37 Lehmann, A., op.cit., p. 17-18. 38 L’idée d’utiliser les deux théories dans les recherches n’est pas nouvelle. Par exemple, Charlotte Dilks se sert de ces deux théories dont elle considère les outils « tout aussi valables les uns que les autres », in Dilks C., «Approches théoriques : la métaphore, la sémantique interprétative et la sémantique cognitive», [En ligne], Volume XVI - n°2 (2011). Coordonné par Céline Poudat, URL : http://www.revue-texto.net/index.php?id=2857. Consulté le 2 janvier 2012. 39 Lehmann, A., op.cit., p. 41-42.

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linguistiques »40. Précisément, le problème lié à l’approche traditionnelle qui

insiste sur l’existence de ce sens et celui lié à l’application de cette approche

résident dans la polysémie des mots. Georges Kleiber partage l’opinion d’autres

linguistes, comme Daniel Kayser, sur le fait qu’il est en général difficile de formuler

un sens stable ou conventionnel, c'est-à-dire un sens associé par avance à

certaines expressions. L’exercice est d’autant plus ardu lorsqu’il s’agit de termes

abstraits, comme par exemple État/gosudarstvo. Malgré la difficulté, Georges

Kleiber trouve cependant radical de nier la présence d’un sens conventionnel. Il

rappelle l’expression d’Anna Wierzbicka41 « qu’on ne peut pas non plus tirer parti

de l’incapacité des locuteurs à définir le sens d’un terme pour conclure que ce

terme n’a pas de sens déterminé »42. Nous pouvons supposer ainsi que même le

fait que les mots État/gosudarstvo sont difficiles à définir, ils possèdent des

éléments stables fixés par les dictionnaires mais qui peuvent, en revanche, varier

en fonction des changements historiques et socioculturels.

Le problème de la construction des familles des mots

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les linguistes français tels que

Sylvianne Rémi-Giraud, Norbert Dupont et d’autres ont déjà travaillé sur les

familles des « mots de la nation » parmi lesquels trouve sa place le mot État. Dans

notre travail nous recourrons aux recherches sur la famille du mot État qu’a

effectuées Norbert Dupont. Ce dernier a élaboré les familles de patrie, État,

nation en schématisant la construction progressive de ces notions politiques en

France depuis l’apparition de leurs signifiants. Dans son analyse, Norbert Dupont

prend en compte la morpholexicologie, la dérivation et la composition, en partant

de l’hypothèse que « la base (ou radical) d’un dérivé ou d’un composé est en

relation sémantique étroite avec le mot simple dont elle constitue la totalité »43.

Ainsi, Norbert Dupont essaie d’expliquer la formation des concepts en prenant en

40 Kleiber G., Problèmes de sémantique. La polysémie en questions. Presses universitaires du Septentrion, 1999, p.35. 41 Linguiste d’origine polonaise, connue pour sa recherche en sémantique, pragmatique et linguistique inter-culturelle, et particulièrement pour la définition de la métalangue. 42 Kleiber G., op.cit., p.35-37. 43 Dupont N., « Les familles de patrie, état, nation », in Les mots de la nation. Lyon : Presses universitaires de Lyon, 1996, p.169-185.

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compte trois théories : celle de la linguistique historique (le sens actuel d’un mot

est en relation avec son histoire), celle de Georges Lakoff et Mark Johnson sur la

création humaine des concepts, citée précédemment et celle de la

sociolinguistique (« le corps social impose une systématisation officielle du

lexique : le noyau central sans lequel les représentations disparaissent »44). Son

corpus est composé d’ouvrages généraux de lexicographie historique et

synchronique ; dictionnaires historiques, collocationnels (comme celui de Lucjan

Grobelak)45 et dictionnaires de sciences.

Nous avons également été confrontée au problème de définition de ce qu’on

appelle locution, expression et collocation, ce qui relève du domaine de la

lexicologie explicative et combinatoire.

La lexicologie explicative et combinatoire

Pour analyser la combinatoire des mots, nous nous sommes servie des études

d’André Clas, Vladimir Beliakov, Peter Blumenthal, Gaston Gross, Francis

Grossman, Marie-Claude L’Homme, Salah Mejri, Igor’ Mel’čuk, Agnès Tutin, Franz

Joseph Hausmann, et d’autres, qui ont beaucoup contribué aux recherches dans

ce domaine et, en particulier, aux recherches sur la collocation. Comment définir

la collocation ? Le terme collocation fut introduit dans les années trente par John

Rupert Firth, membre-fondateur de l’école contextualiste britannique, afin de

« caractériser certains phénomènes linguistiques de cooccurrence »46. Dans le

monde anglo-saxon ce concept connaît ainsi un grand succès, ce qui ne fut pas

le cas en France, selon l’avis d’Agnès Tutin et Francis Grossmann, linguistes

français qui contribuèrent à une meilleure connaissance de la collocation en

France.

44 Ibid., p.171. 45 Groblek L., Dictionnaire collocationel du français général, Varsovie : Państwowe Wydawnictwo Naukowe, 509 p. 46 Geoffrey W., « Les collocations et l’école contextualiste britannique », in Les collocations : analyse et traitement, Amsterdam : Editions « De Werelt », p.33.

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Franz Joseph Hausmann et Peter Blumenthal consacrent également tout un

ouvrage47 à la notion de collocation et à son évolution dans la théorie linguistique.

D’après eux, la collocation a été traditionnellement étudiée en France par les

spécialistes en lexicographie spécialisée et générale du latin et du français. Les

deux auteurs citent ainsi le premier dictionnaire français monolingue, Les

Epithètes de Maurice de la Porte, paru en 1571, une sorte de dictionnaire de

collocations. Le premier dictionnaire de l’Académie française, paru en 1694, utilise

la collocation à côté des termes locutions et idiotisme48. Les deux chercheurs cités

plus haut affirment, cependant, qu’avec le temps le terme de collocation perd son

rôle important dans les dictionnaires et est remplacé par le terme d’exemple. Ce

qui peut être constaté en analysant l’article du Nouveau Petit Robert, qui ne

distingue pas, parmi ses expressions, collocations ou locutions figées.

Comme l’affirment Franz Joseph Hausmann et Peter Blumenthal, le terme de

collocation a été abandonné au XIXe siècle malgré certains linguistes qui ont

travaillé sur la phraséologie, parmi lesquels Charles Bally auteur d’une célèbre

terminologie49. Il faudra attendre la classification d’Igor’ Mel’čuk, que Franz Joseph

Hausmann et Peter Blumenthal considèrent comme « la plus poussée et la plus

universellement productive »,50 pour que la collocation sorte enfin de l’oubli. Voici

comment Igor’ Mel’čuk et son disciple Alain Polguère définissent la collocation de

façon non formelle :

Une collocation est une combinaison de lexies qui est construite en fonction

de contraintes bien particulières : elle est constituée d’une base, que le

locuteur choisit librement en fonction de ce qu’il veut exprimer (argument,

47 Collocations, corpus, dictionnaires, sous la direction de Peter Blumenthal et Franz Josef Hausmann. - Paris : A. Colin, 2006, p.6. 48 Ibidem. 49 Dans son Traité de linguistique, Charles Bally distingue une série phraséologique (un groupement usuel ou collocation) d’une unité phraséologique (locution) et d’une combinaison libre. Cette théorie ne trouve pas de suite d’écho dans la linguistique car d’après Franz-Joseph Hausmann et Peter Blumenthal, elle était trop « périphrastique, insuffisamment identifiante et individualisante », de plus, ne rentrait pas dans le contexte de sujets importants de la linguistique de la première moitié du XXe siècle. 50 Collocations, corpus, dictionnaires, [sous la direction de Peter Blumenthal et Franz Josef Hausmann. - Paris : A. Colin, 2006, p.6.

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20

brouillard, méchant…), et d’un collocatif (massue par argument, dense pour

brouillard, comme une teigne pour méchant…), choisi pour exprimer un

sens donné (ici, « intense ») en fonction de base51.

Igor’ Mel’čuk introduit aussi une notion de phrasème et en distingue trois types

qu’il catalogue selon le degré de figement52. D’après cette classification, on voit

que si l’un des composants conserve son sens, l’autre obtient une nouvelle

signification. Cette caractéristique permet de distinguer les collocations des

combinaisons libres et des locutions figées.

La classification d’Igor’ Mel’čuk a été utilisée dans la rédaction du Dictionnaire

explicatif et combinatoire53 (DEC) du français. Ce dictionnaire traite des champs

lexicaux des mots les plus courants du lexique général. Nous avons fait une

recherche dans le DEC et avons constaté qu’il ne contient malheureusement pas

de champ lexical du mot État. Nous croyons qu’il serait opportun d’introduire dans

ce dictionnaire le champ « phénomènes politiques et sociaux » et par conséquent

le mot État.

Si Igor’ Mel’čuk préfère le terme de semi-phrasème à celui de collocation, Agnès

Tutin et Françis Grossmann reformulent sa définition de collocation de la façon

suivante54 :

51 Polguère A., I. Mel’čuk I., « Dérivations sémantiques et collocation dans le Dico/LAF », in Collocations, corpus, dictionnaires, sous la direction de Peter Blumenthal et Franz Josef Hausmann. - Paris : A. Colin, 2006, p.70. 52 - phrasème complet ou locution figée dont le sens ne découle pas du sens de leurs composants, - quasi-phrasème ou locution quasi-figée contient le sens de deux constituants, mais aucun de ces sens n’est dominant. Elle possède ainsi un nouveau sens. - semi-phrasème ou collocation, contient le sens de l’un de ces composants. Le sens de l’autre composant peut ou ne pas être inclus dans le sens de la collocation. Il est sélectionné de façon irrégulière et/ou contrainte (Mel’čuk I., Clas A. Polguère A., Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire, Edition Duculot, 1995, p.46-47). 53Mel'čuk I., Dictionnaire explicatif et combinatoire du français contemporain : recherches lexico-sémantiques, Montréal : Presses de l'université, 1984, 4 vol., 172, 332, 323,347 p. 54 Grossman F., Tutin A., « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatf », in Revue française de linguistique appliquée, Amsterdam : Editions « De Werelt, juin 2002, p.12.

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Une collocation est l’association d’une lexie (mot simple ou phrasème L et

d’un constituant C (généralement la lexie, mais parfois un syntagme…)

entretenant une relation syntaxique telle que :

• C (le collocatif) est sélectionné en production pour exprimer un sens

donné en cooccurrence avec L (base) ;

• Le sens de L est habituel.

Agnès Tutin et Francis Grossman distinguent plusieurs cas d’associations sur le

plan sémantique :

• Collocations opaques. L’association paraît arbitraire et non

transparente sur le plan sémantique ;

• Collocation transparente. C’est la collocation interprétable mais peu

prédictible (le collocatif n’ayant pas de statut lexical) ;

• Collocation régulière. C’est l’association de mots dans laquelle le

sens du tout est généralement déductible et semble prédictible55.

Comme le constatent Agnès Tutin et Francis Grossmann, « il est usuel de

considérer les collocations comme un cas intermédiaire entre des combinaisons

libres et des expressions opaques »56. Ces expressions opaques sont souvent

appelées « expressions figées, « locutions », « unités phraséologiques » par

Charles Bally ou « phrasèmes complets » par Igor Mel’čuk.

Par ailleurs, Vladimir Beliakov, spécialiste en linguistique russe, contribue

fortement à l’étude de la sémantique et de la combinatoire, en se penchant

davantage sur les expressions figées et semi-figées. Dans son ouvrage Les

stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et combinatoire57 le linguiste

démontre les mécanismes sémantiques qui sont à l’origine des expressions semi-

figées et nous fournit une explication bien fondée de leur motivation. Dans son

55 Grossman F., Tutin A., « Quelques pistes pour le traitement des collocations », in Les collocations : analyse et traitement, Amsterdam : Editions « De Werelt », 2003, p.8. 56 Grossman F., Tutin A., « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatf », in Revue française de linguistique appliquée, Amsterdam : Editions « De Werelt», juin 2002, p.19-20. 57 Beliakov V., Les stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et combinatoire, Dijon : Editions universitaire de Dijon, 2012, 209 p.

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22

analyse des associations lexicales libres, des collocations et des phrasèmes,

Vladimir Beliakov emploie les termes de sequence libre, de sequence contrainte et

de sequence figée. Nous nous servirons des résultats de ses analyses ainsi que

de sa terminologie dans notre chapitre consacré aux expressions utilisant les mots

État/gosudarstvo.

Comme nous l’avons souligné précédemment, les mots État/gosudarstvo

appartiennent au lexique général au sein du vocabulaire politique et social. Ainsi,

un certain nombre d’expressions comportant ces mots fait partie du lexique

spécialisé. Il serait judicieux, à notre avis, d’analyser parmi eux les

« combinaisons lexicales spécialisées », terme proposé par Marie-Claude

l’Homme et Isabelle Meynard dans leur article « Le point d’accès aux

combinaisons lexicales spécialisées : présentation de deux modèles

informatiques»58. Marie-Claude l’Homme consacre, en particulier, plusieurs

articles sur les points communs et les différences existant entre collocations et

combinaisons lexicales spécialisés (CLS). D’après elle, la différence consiste dans

le fait que « la notion de semi-compositionnalité utilisée pour caractériser les

collocations ne semble pas centrale pour définir les combinaisons lexicales

spécialisées »59. Toujours selon Marie-Claude l’Homme, les collocations et les

combinaisons lexicales spécialisées sont définies d’abord par des questions de

convention, soit au sein d’une communauté linguistique pour les collocations, soit

au sein d’un groupe de spécialistes pour les CLS. Elle précise que « dans les

deux cas, il semble possible de généraliser certains cooccurrents à des

ensembles de mots clés sémantiquement apparentés, dans des proportions qui

sont toutefois inconnues »60. La linguiste ajoute que « les relations sémantiques

entre les éléments des groupements sont également généralisables »61.

58 L’Homme M.-C., Meynard I., « Le point d’accès aux combinaisons lexicales spécialisées : présentation de deux modèles informatiques », in TTR : traduction, terminologie, rédaction, vol. 11, n° 1, 1998, p. 199-227. 59 Ibid., p.206. 60 L'Homme, M.C. (1998), "Caractérisation des combinaisons lexicales specialisees par rapport aux collocations de langue generale", in Fontenelle, T. et al. (Eds.) Proceedings EURALEX '98, Universite de Liege: Liege, 4-8 aout 1998, pp. 513-522. 61 Ibidem.

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23

L’analyse des études citées plus haut a démontré l’importance de la notion du

figement qui, d’après Gaston Gross, « permet de rendre compte à la fois des

phénomènes de nature très diverse mais qui ne sont pas indépendants les uns

des autres »62. Nous aborderons aussi dans notre travail les différents degrés de

figement, en analysant les séquences contraintes ou figées.

Nous essaierons de distinguer, entre autre, les CLS des collocations, des

locutions figées ou encore des combinaisons libres. Nous aurons recours aux

différents dictionnaires, généralisés et spécialisés, par exemple le dictionnaire

combinatoire, celui des cooccurrences ou le dictionnaire des expressions et

locutions. Comme le constatent Franz Joseph Hausmann et Peter Blumenthal, la

collocation est aujourd’hui souvent identifiée à la locution, expression ou

cooccurrence63 et, par conséquent, elle est introduite sous ce nom dans les

différents dictionnaires.

Définition du champ lexical et sémantique par les linguistes français

Le terme « champ lexical et sémantique » reste ambigu. Plusieurs linguistes ont

essayé de le définir. Nous souhaitons mentionner ici quelques définitions

générales de ce terme. Mais il faut d’abord signaler un problème, celui de la

définition des champs du lexique du vocabulaire politique et social, car les mots

État/gosudarstvo appartiennent à ce type de champs. Ce problème sera analysé

dans notre chapitre dans lequel nous essaierons d’établir les champs lexico-

sémantiques des mots État/gosudarstvo.

Jean Dubois, dans son Dictionnaire de linguistique et de sciences du langage64,

propose de distinguer plusieurs champs que la lexicologie et la sémantique

étudient, notamment « le champ sémantique d’un mot, le champ lexical d’une

62 Gross G., Les expressions figées en français, Paris : Ophrys, 1996, p.9. 63 Nous trouvons dans le dictionnaire du Nouveau Petit Robert la définition suivante de la collocation : « Position (d’un objet, d’un élément) par rapport à d’autres ; proximité dans une chaîne, cooccurrence », Collocations, corpus, dictionnaires, sous la direction de] Peter Blumenthal et Franz Josef Hausmann. - Paris : A. Colin, 2006, p.10. 64 Dubois J., Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse, 1994, 514 p.

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24

famille de mots ou le champ lexical d’une réalité extérieure à la langue »65. Il cite

un exemple du champ sémantique du mot père, le champ lexical de la parenté :

père, mère, frère, sœur. Selon Jean Dubois, les premières délimitations

concernent le champ conceptuel (« par exemple le champ des mots désignant la

« connaissance » 66). Il entend sous ce champ les schémas conceptuels d’une

société qui ne font que désigner des unités dans un certain système conceptuel

sans prendre en compte leur polysémie. Le linguiste cite l’exemple d’un champ

conceptuel du vocabulaire politique et social et les procédures de distinction à

l’intérieur de ce champ, concernant les synonymes, les antonymes et les diverses

corrélations. En analysant le champ conceptuel, on arrive à la construction du

champ dérivationnel. En prenant en compte cette définition, nous pouvons

conclure qu’il est nécessaire de construire le champ sémantique et lexical, ainsi

que le champ dérivationnel, en étudiant les dérivés des mots État/gosudarstvo,

afin d’établir les familles de ces deux mots. Notre analyse consistera aussi à

analyser les syntagmes et les locutions possibles avec ces mots, ainsi que leurs

synonymes, leurs antonymes et les collocations admissibles qui sont nécessaires

pour déterminer la place des mots étudiés dans la structure du lexique.

En revenant à la définition du champ sémantique, il nous semble indispensable de

développer le problème de l’ambiguïté de cette notion. Christian Touratier utilise le

terme de sémantique structurale puisque, pour lui, les unités lexicales de la langue

entrent dans les systèmes et sous-systèmes qui ont été appelés « champs

sémantiques »67. Il cite deux exemples réussis, selon lui, de champs sémantiques

établis par Georges Mounin en 1965, « l’un concernant la dénomination des

animaux domestiques, et l’autre le lexique de l’habitation ».68 Christian Touratier

croit que, pour définir au mieux la structure sémantique propre à chacune des

unités lexicales, il faudrait recourir à l’approche lexicographique et plus

particulièrement au dictionnaire de langue qui définit le mieux le sens de chaque

mot, ainsi qu'au dictionnaire de synonymes qui « rapprochent et opposent les

65 Ibid., p.81. 66Ibid., p..88-89. 67 Touratier C., La sémantique, collection Cursus, Lettres, Paris : Armand Colin, 2000, p.28. 68 Ibidem.

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25

mots dont les sens sont proches ».69 Christian Touratier cite ensuite la description

célèbre de l’analyse sémantique proposée par Bernard Pottier pour le lexème

chaise70 qu’il analyse en y ajoutant plusieurs observations et critiques. Le linguiste

allonge la liste des lexèmes du mot siège étudiés par Bernard Pottier. Il préfère

présenter son champ sémantique des sièges non seulement en tableau mais

aussi en arbre pour mieux montrer sa structure71. Ce type d’arbre a, par

conséquent, été adopté par plusieurs linguistes pour construire leurs champs

sémantiques.

Cependant, il existe d’autres réflexions sur la notion de champ dans d’autres

approches de la sémantique, par exemple, si nous prenons l’analyse de la

sémantique du langage de Christian Bayon et Xavier Mignot72, nous obtiendrons

un autre terme, champ générique, employé par Jacqueline Picoche, qui a étudié

les champs lexicaux-sémantiques et qui a privilégié le terme de champ générique

(champ conceptuel, champ notionnel sont aussi utilisés)73. Si le champ lexical

définit un ensemble de mots qui s’appliquent à la même réalité, le champ

sémantique doit être défini, par analogie, comme «l’ensemble des sens de mots

différents »74. Ainsi, d’après Georges Mounin, «le champ lexical pour les

signifiants et le champ conceptuel pour leur dénotation sont les deux faces du

champ sémantique»75. D’où Georges Mounin conclut que le champ sémantique

est un système clos défini comme l’association d’un champ lexical et d’un champ

conceptuel ; dans la mesure où le champ conceptuel peut être nommé par un mot

(plutôt que par une paraphrase), le champ sémantique est l’association d’un

ensemble de termes spécifiques et d’un terme générique.

69 Ibidem. 70 Pottier B., « Recherches sur l’analyse sémantique en linguistique et en traduction mécanique », in Série A. Linguistique appliquée et Traduction automatique II, Publications linguistiques de la Fac.des lettres de l’univ.de Nancy, 1963, 38 p. 71 Touratier C., La sémantique, collection Cursus, Lettres, Paris : Armand Colin, 2000, p.40-41. 72 Bayon C. et Mignot X., Initiation à la sémantique du langage, Paris : Nathan, 2000, 255 p. 73 Ibid., p.117. 74 Ibid., p.115. 75 Dictionnaire de la linguistique sous la direction de Georges Mounin, Paris : Presses universitaires de France, 1974, 1974, 340 p.

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26

Comme nous l’avons vu, Jean Dubois considère qu’un mot peut avoir un champ

sémantique, par exemple, le mot « père ». Christian Bayon et Xavier Mignot voient

un danger dans la notion de champ sémantique en tant qu’ensemble des sens car

cela doit renvoyer plutôt à la polysémie qu’aux systèmes de champs. Les deux

linguistes y distinguent des problèmes liés au fait qu’un mot peut avoir plusieurs

sens et, par conséquent, selon son sens, appartenir à différents champs : c’est le

cas des mots polysémiques. Le problème de ces champs génériques consiste en

leur diversité, c’est pourquoi Christian Bayon et Xavier Mignot affirment qu’il n’y a

pas «de hiérarchie harmonieuse de champs lexicaux sans lacune ni

chevauchements»76.

En conclusion, nous pouvons constater que cette variété de définitions et de

théories comporte pour nous une difficulté particulière. Nous essaierons aussi, au

cours de notre analyse, d’appliquer plusieurs approches en prenant en compte

tous les problèmes évoqués. En ce qui concerne la définition du champ, nous

avons préféré recourir au terme qu’Alise Lehmann propose, c’est-à-dire, le champ

lexico-sémantique, puisque nous devons étudier le sens des mots

État/gosudarstvo dans l’ensemble qu’ils forment avec d’autres unités lexicales. De

plus, nous étudions non seulement les mots État/gosudarstvo, mais aussi leur

concept, c’est pourquoi notre champ peut être aussi considéré comme conceptuel.

3. Deuxième approche appliquée - lexicographique : corpus, principes théoriques et difficultés méthodologiques

Tout d’abord, c’est la lexicographie qui étudie l’organisation du lexique dans les

dictionnaires (définition d’Alise Lehmann)77. La lexicographie ne se limite

cependant pas, selon certains linguistes, au simple rôle de la rédaction de

dictionnaires. Plusieurs linguistes français et russes se sont, d’ailleurs, intéressés

au rôle important de la lexicographie en tant que science théorique. Puisque nous

utilisons essentiellement les dictionnaires français et russes, ce sont les

recherches menées par les lexicographes français et leurs homologues russes

que nous prendrons en considération.

76 Bayon C. et Mignot X., Initiation à la sémantique du langage. Paris : Nathan, 2000, p.115. 77 Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction à la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2005, 201 p.

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27

Corpus

En suivant l’exemple de certains linguistes qui ont travaillé sur le vocabulaire

politique et social, nous avons choisi, en tant que corpus, les dictionnaires

généraux et spécialisés, en appliquant ainsi l’approche lexicographique. Nous

voulons montrer comment et pourquoi les dictionnaires ont été choisis par d’autres

linguistes avant nous dans leurs études.

Sylvianne Rémi-Giraud, en prenant comme corpus de son travail le dictionnaire,

propose deux hypothèses :

• « le dictionnaire est le dépositaire du lexique de la langue qui fixe de

manière normative "les bonnes définitions" des mots »78 ;

• « le dictionnaire est un discours comme les autres »79.

Sylvianne Rémi-Giraud choisit l’hypothèse que ce discours n’est pas « comme les

autres » puisqu’il reflète la vision collective.80 En même temps, elle admet elle-

même que son étude à partir d’un seul dictionnaire usuel pourrait être développée

et enrichie si on ajoutait des définitions tirées d’autres dictionnaires pour établir

une étude comparative. Nous croyons en effet que cette approche ne pourrait pas

être complète sans l'étude de dictionnaires différents : généraux et spécialisés, de

langue et encyclopédiques, unilingues et bilingues, car il s’agit, dans notre cas,

d’une étude comparative dans deux langues. De plus, nous avons élargi notre

étude en choisissant deux corpus supplémentaires car, à notre avis, si le

dictionnaire fixe de manière normative les définitions, c’est un discours et nous ne

pouvons pas nous restreindre en ne prenant pas en compte d’autres discours.

Nous devons prendre en compte également les approches lexicographiques qui

existent en France et en Russie.

78 Rémi-Giraud S., « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.19-39. 79 Ibidem. 80 Ibidem.

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Approche lexicographique en Russie

A ce propos, il est judicieux de citer l’ouvrage de Vladimir Dubičinskij81, linguiste et

lexicographe russe, qui a récemment essayé de décrire le côté théorique et le côté

pratique de la lexicographie et de donner une analyse des exemples les plus

remarquables des dictionnaires russes. Tout d’abord, l’auteur partage l’opinion de

certains spécialistes russes dans ce domaine, comme quoi il n’existe pas de vrais

ouvrages qui présentent une image complète des travaux lexicographiques

russes. Il mentionne aussi l’insuffisance de bases théoriques pour les

lexicographes russes82. Comme Dubičinskij le constate, les auteurs des

dictionnaires devraient rédiger leurs ouvrages sans pouvoir utiliser de base

théorique suffisante dans ce domaine, c’est pourquoi « nous pouvons être

impressionnés par leur succès plutôt que par leurs défaites» 83. Il cite Anna

Wierzbicka qui croit « qu’aujourd’hui commence la nouvelle ère lexicographique

où les spécialistes peuvent recourir aux recherches théoriques »84.

Nous ne voulons bien évidement en aucun cas négliger le rôle important des

recherches réalisées dans ce domaine par des linguistes russes de renom tels

que Mihail Lomonossov, Aleksandr Vostokov, Izmail Sreznevskij, Vladimir Dal’,

Lev Ščerba, Viktor Vinogradov ainsi que d’autres. En ce qui concerne les

recherches récentes, il faut tenir compte d’un grand nombre d’ouvrages parus

dans les années 198085.

81 Dubičinskij V.V., Leksikografija russkogo jazyka : učebnoe posobie. Moskva : Nauka : Flinta,

2009, 432 p. 82 Ibid., p.7. 83 Ibidem. 84 Ibidem. 85 Parmi les publications nous pouvons citer les ouvrages consacrés à la lexicographie en tant que science, : Х. Касарес “Введение в современную лексикографию” [Касарес Х., 1958], Л.В.Щерба “Опыт общей теории лексикографии” [Щерба Л.В., 1974], В.В.Виноградов “Лексикология и лексикография” [Виноградов В.В.,1977], Л.П. Ступин “Лексикография английского языка” [Ступин Л.П., 1985], F.W.Householder and Sol Saporta “Problems in Lexicography [Householder F.W. and Saporta S.,1967], J.Dubois C.Dobois “Introduction à la Lexicographie: le dictionaire” [Dubois J. Dobois C.,1971], L.Zgusta “Manual of Lexicography” [Zgusta L.,1971].

Page 30: dans les langues

29

Vladimir Dubičinskj met en évidence la « dualité de la lexicographie », car « d’un

côté, il s’agit d’une discipline particulière parmi d’autres disciplines linguistiques,

d’un autre, il s’agit d’une science universelle »86. Le linguiste précise que les

sciences sociales et exactes ne peuvent se passer de dictionnaires, lesquels

représentent des sources de base indispensables. Ainsi, selon lui, dans la

communauté des chercheurs en linguistique, on considère cette science comme

synthétique87.

Il ne faudrait pas non plus confondre la lexicologie et la lexicographie ou

considérer cette dernière comme appliquée à la lexicologie. Selon Dubičinskij, la

lexicologie se concentre principalement sur les traits caractériels du lexique en

tant qu’ensemble de mots, tandis que la lexicographie essaie de décrire chaque

unité lexicale, en soulignant son caractère individuel, ses particularités et son

emploi spécifique dans différents contextes88.

Les délimitations de l’approche lexicographique

Dubičinskij expose aussi dans son ouvrage les « défauts » des œuvres pratiques

des lexicographes. Il reproche le caractère anachronique et conservateur des

dictionnaires, qui ne peuvent pas toujours suivre l’évolution de la langue.

Si nous considérons que les dictionnaires dictent souvent la norme, celle-ci peut

cependant être obsolète et subjective. Puisque ces dictionnaires sont des

ouvrages d'auteurs différents, nous pouvons trouver des définitions différentes

d’un mot, car chaque auteur propose sa variante du sens d’un mot, même s’il doit

se référer à l’emploi de ce mot par les locuteurs. Nous examinerons les défauts

des dictionnaires choisis pour notre travail dans la partie consacrée au corpus.

86 Dubičinskij V.V., Leksikografija russkogo jazyka : učebnoe posobie. Moskva : Nauka : Flinta, 2009, p.14. 87 « Le trait caractériel de toute lexicographie contemporaine est la synthèse de la philologie et dla culture au sens large » Aprecian in Dubičinskij, Op.cit., p.9. 88 Ibid., p.13.

Page 31: dans les langues

30

Approche lexicographique en France

En analysant les études des linguistes français sur la lexicographie, nous pouvons

constater que, s’ils consacrent beaucoup d’ouvrages à la rédaction des différents

dictionnaires, en revanche, il existe peu d’ouvrages qui pourraient décrire les

théories lexicographiques. Nous avons souvent rencontré certaines tentatives

visant à présenter la lexicographie comme une discipline indépendante de la

lexicologie. Cependant, ces études ne sont souvent que le chapitre d’un ouvrage

de lexicologie. Nous pouvons citer comme exemple le livre de François Gaudin et

Louis Guespin89, qui ont essayé de décrire l’évolution historique de la

lexicographie ainsi que de donner la classification des dictionnaires d’aujourd’hui.

Ils ne s’intéressent en revanche qu’à son côté pratique, c’est-à-dire à la rédaction

des dictionnaires, sans prendre en compte son côté scientifique. Cet ouvrage

nous semble donc important pour expliquer le choix de notre corpus, même s’il

fournit peu d’information sur les études lexicographies effectuées par ces

linguistes.

Particularités et difficultés de l’approche lexicographique

En choisissant l’approche lexicographique, nous avons rencontré certaines

difficultés liées à la variété des dictionnaires. Dans notre travail, pour analyser le

mot État, nous avons eu recours essentiellement au Nouveau Petit Robert, alors

que pour le mot gosudarstvo nous avons choisi le Slovar’ russkogo jazyka

(Dictionnaire de langue russe) d’Ožegov et Švedova, ainsi que le Novyj slovar’

russkogo jazyka (Nouveau dictionnaire de langue russe) d’Efremova.

En élargissant nos recherches dans le domaine lexicographique, nous avons été

cependant confrontée, d’une part, au problème du discours lexicographique qui

est multiple et, d’autre part, au fait que les dictionnaires de langue, les

dictionnaires spécialisés ou les dictionnaires bilingues peuvent proposer des

définitions et des traductions différentes. Une comparaison des définitions et des

traductions des mots État/gosudarstvo dans différents dictionnaires de langue

89 Initiation à la lexicologie française : de la néologie aux dictionnaires, François Gaudin, Louis Gues-pin. - Bruxelles : De Boeck-Duculot, 2000. 355 p.

Page 32: dans les langues

31

peut être enrichissante pour notre analyse. C’est pourquoi le but de notre

recherche actuelle est d’approfondir cet aspect en nous appuyant sur un choix

plus vaste de dictionnaires.

4. Méthodes pour l’analyse des mots État/gosudarstvo dans le discours politique : principes et particularités terminologiques

Il nous semble judicieux d’entreprendre un bref voyage dans le temps pour tracer

l’apparition de la méthode d’analyse en France et en Russie. Nous ne devons pas

oublier que l’évolution du discours politique en France et en Russie n’est pas la

même et qu’il est nécessaire, par conséquent, de prendre en compte les

différences qui peuvent exister dans les méthodes des chercheurs français et

russes.

Le discours politique et sa problématique

L’analyse du discours est une approche méthodologique multidisciplinaire,

qualitative et quantitative, qui étudie le contexte et le contenu du discours oral ou

écrit. Elle emprunte de nombreux concepts aux champs de la sociologie, de la

philosophie, de la psychologie, de l’informatique, des sciences de la

communication, de la linguistique et de l’histoire. Elle s'applique à des objets aussi

variés que, par exemple, le discours politique, religieux, scientifique, artistique. Par

rapport à l’analyse du contenu, qui prend pour analyse un énoncé de la taille d'une

phrase, l’analyse du discours se concentre sur les énoncés qui ont la taille d'un

groupe de mots, de mots ou même parfois d'ensemble de lettres. C’est aussi une

approche socio-sémantique. Elle prend en compte le contexte de l’énonciation, les

caractéristiques des locuteurs ainsi que les caractéristiques sémantiques de

l’énoncé. Pour notre méthodologie, le recours partiel à cette approche est

nécessaire car nous devons tenir compte des différents contextes des

énonciations dans lesquelles les mots État/gosudarstvo sont employés ainsi que

prendre en considération de nombreuses caractéristiques des locuteurs.

Page 33: dans les langues

32

Christian Baylon et Xavier Mignot, dans leur ouvrage Initiation à la sémantique du

langage 90, distinguent deux approches différentes de l’analyse du discours :

l’approche anglo-saxonne (Halliday et Hassan) et l’approche française (Main-

gueneau, Ducrot). Tous deux précisent que, si les chercheurs anglo-saxons

mettent en relief plutôt les caractéristiques internes du discours telles que la

cohésion, la cohérence et la pertinence, leurs homologues français, inspirés par

les théories de Bakhtine91, prennent en compte avant tout « la dimension sociale

du langage ».92 Le but de l’analyste anglo-saxon du discours est ainsi « à la fois

de mettre en évidence et d’interpréter la relation entre les régularités du langage

et les significations et les finalités exprimées à travers le discours»93.

Ce but est contesté par Dominique Mangueneau, pour qui « l’analyse du discours

n’a pour objet « ni l’organisation textuelle en elle-même, ni la situation de

communication », mais doit « penser le dispositif d’énonciation qui lie une

organisation textuelle et un lieu social déterminé »94. En effet, l’école française

reproche aux anglophones certains défauts présentés par l’analyse du contenu,

notamment la négligence des aspects cognitifs et culturels. Comme Patrick Sériot

le souligne dans son ouvrage sur le discours politique soviétique95, le sujet de

recherche doit être non seulement un texte, mais aussi un ensemble de textes que

l’on traite en tenant compte des paramètres sociaux et historiques. On n’étudie

donc pas uniquement le contenu, mais aussi l’intonation de l’auteur, et donc non

seulement ce qui est dit, mais également les non dits.

90 Bayon C. et Mignot X., Initiation à la sémantique du langage. Nathan, 2000, p.197-198 91 Inna Agueeva (université de Lausanne) insiste sur le fait que l’interprétation de Mikhaïl Bakhtine est « faussée par Julia Kristeva et Tzvetan Todorov et déterminée par l’air du temps et l’air du lieu des années 1970 en France ». Elle cite l’image que Todorov essaie de créer de Bakhtine en tant que initiateur de la théorie de l’énonciation, donc comme disciple de Benveniste. « Le M. Bakhtine "français" : la réception de son œuvre dans les années 1970 », intervention au colloque « Représentations de la Russie » les 25 et 26 mars 2004, à Lyon. 92 Bayon C. et Mignot X., op.cit. 93 Dictionnaire d’analyse du discours sous la direction de P. Charaudeau, D. Maingueneau, Paris : Seuil, 2002, p.42-43. 94 Ibidem. 95 Sériot P., Analyse du discours politique soviétique, Paris : IMSECO, 1985, 362 p.

Page 34: dans les langues

33

Le discours politique et son analyse en France

À la fin des années 1960, l'analyse du discours prend naissance en France grâce

à des chercheurs venant de diverses disciplines (linguistique, sociologie, histoire,

philosophie...) et qui s'intéressaient aux phénomènes langagiers dans leurs

contextes socio-historiques. Plusieurs centres de recherches ont travaillé sur ce

sujet, de nombreux colloques ont été organisés, des revues et, plus récemment,

des manuels et des dictionnaires ont été publiés. Le nombre croissant d'ouvrages

sur l'analyse du discours témoigne ainsi de la vitalité de ce domaine qui a su

profiter de l'essor de disciplines nouvelles, telles que les sciences de l'information

et de la communication. Si au début de sa formation, on se posait des questions

sur les notions et le sujet de l’analyse du discours, on assiste, depuis le milieu des

années 1980, à une certaine spécialisation, en termes d'objets ou de secteurs

(discours médiatique, politique, institutionnel).

Parmi les chercheurs contribuant à la formation de l’analyse du discours,

Dominique Maingueneau, aujourd’hui membre du Céditec (Centre d’Etudes des

Discours, Images, Textes, Ecrits et Communications), participe activement à

l’élaboration de la méthodologie française. Le Céditec a été créé en 1999 dans le

prolongement du laboratoire de lexicométrie et textes politiques de l'Ecole

Normale Supérieure de Saint-Cloud. Le Céditec a conservé un ancrage fort dans

les sciences du langage et de la politique ainsi qu’un intérêt marqué pour

l'informatique textuelle, ce qui constitue une de ses entrées méthodologiques

majeures. Il a aussi maintenu un investissement important dans la revue Mots,

que nous avons déjà mentionnée dans notre travail. Le Céditec est enrichi

d’apports différents, en s’intéressant à plusieurs types de discours (discours

littéraire, philosophique…).

Le discours politique et son analyse en Russie

Il est important de préciser que notre intérêt porte essentiellement sur les études

des chercheurs russes à partir des années 90, c’est-à-dire de la nouvelle Russie

après la chute de l’URSS. Si nous faisons cependant une brève analyse des

études soviétiques antérieures, c’est pour constater qu’il était surtout question de

Page 35: dans les langues

34

la propagation de la nouvelle langue (новояз - novojaz), nouvelle langue à

laquelle, par la suite, toutes les recherches ont été liées. Comme le souligne dans

son ouvrage96 Anatolij Čudinov, le but principal des linguistes de cette période

était de glorifier les dirigeants soviétiques en analysant leurs discours et en

codifiant leur vocabulaire. L’objectif était de trouver les facteurs qui contribuaient

au succès de ces derniers dans le discours pour distinguer les phénomènes

lexicaux qui pourraient permettre d’influencer le public. On distingue notamment

ceux qui avaient suivi les recherches de Nikolaj Marr97 et essayaient de décrire la

« langue des exploiteurs et la langue des travailleurs » comme deux systèmes

autonomes au sein de la langue russe. Les linguistes soviétiques ne cherchaient

pas en réalité à définir le vocabulaire politique et social en général ; leur but étant

de présenter le rôle important de la nouvelle langue dans la formation d’un

nouveau type d’homme.

Depuis les années 90, les linguistes russes, en contribuant beaucoup aux

recherches nationales, commencent à s’intéresser aux recherches sur le discours

politique étranger. Comme nous l’avons déjà vu, les études sur le discours

effectuées par les linguistes soviétiques sont aujourd’hui remises en question.

Jusqu’à présent certains linguistes considéraient le discours politique en Russie

en tant que « phénomène en voie de développement »98. L’évolution et la

problématique de la linguistique politique en général ont récemment été exposées

par Anatolij Čudinov dans son ouvrage Političeskaja lingvistika, mentionné plus

haut. Le linguiste a donné une image bien structurée de cette science dans le

96 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.16. 97 « Linguiste, spécialiste des langues caucasiennes, l’histoire, l’archéologie et l’ethnographie du Caucase, professeur de l’Université de Pétersbourg (Leningrad) élu académicien de l’Académie de sciences de Pétersbourg en 1912, président de l’Académie d’État de l’histoire de la culture matérielle à partir de 1919, vice-président de l’Académie des sciences de l’Union Soviétique en 1930-1934. A présent Marr est surtout connu comme créateur de la « nouvelle doctrine du langage » (novoe učenie ob jazyke) qui eut un statut de «doctrine officielle» dans la linguistique soviétique pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’intervention de J. Staline dans les discussions sur la langue en juin 1950 ». (La publication se trouve sur le site du Centre de recherches en histoire et épistémologie comparée de la linguistique d'Europe centrale et orientale (CRECLECO), http://www2.unil.ch/slav/ling/recherche/ENCYCL%20LING%20RU/MARR/Marr.html. Consulté le 12 août 2009. 98 Khmelevskaia I., « La métaphore sportive dans la presse en URSS et en Russie », in Mots. Les langages dupolitique [en ligne], 84 | 2007, p.57, mis en ligne le 01 juillet 2009. URL : http://mots.revues.org/index1031.html.

Page 36: dans les langues

35

monde et en Russie en particulier, avec des exemples concrets. Čudinov introduit

le terme de « političeskaja kommunikacia » (communication politique), le sujet des

recherches de la linguistique politique, qui selon eux « étudie les problèmes des

genres du discours politique » (slogan, tract, article de presse…)99. L’auteur

développe aussi les principales notions de la linguistique politique : la langue

politique, le texte politique, le discours politique etc.

Nous nous penchons sur le terme « discours » utilisé par les linguistes français et

qui est souvent traduit comme « reč’ » (discours oral), « vystuplenie »

(intervention) ou encore « diskurs » (discours) en russe100. Cependant, selon

l’opinion d’Anatolij Čudinov, ce terme n’a pas été défini de nos jours de la même

manière101. Čudinov fait référence à la définition de Patrick Sériot quant à la place

de ce terme dans la linguistique française, puisque ce terme « peut signifier le

discours oral, le texte, le contexte et une énonciation dans une communication

concrète »102. Anantolij Čudinov conclut que, dans la pratique russe, le terme

« diskurs » (discours) est aussi souvent défini comme « текущая речевая

деятельность в данной сфере» (tekyščaja rečevaja dejatel’nost’ v dannoj sfere -

une activité orale), «творимый в речи связный текст» (tvorimyj v reči svjaznyj

tekst - le texte oral). Il cite aussi les linguistes russes tels que Karaulov et Petrov

qui disaient que «дискурс – это сложное коммуникативное явление,

включающее, кроме текста, еще и экстралингвистические факторы (знания о

мире, мнения, установки, цели адресата)103.Nous partageons l’opinion de ces

linguistes selon laquelle on ne peut distinguer le texte du discours, car les

énoncés peuvent exister aussi bien sur le papier qu’être présentés oralement. Il

s’agit donc, dans les deux cas, de discours et, par conséquent, il s’agit selon

99 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.31-40. 100 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, p.342. 101 Čudinov A.P.,op.cit., p.40. 102 « Как показывает Патрик Серио (1999), во французской лингвистике термин «дискурс» может обозначать и речевую деятельность, и текст, и контекст, и высказывание в его взаимосвязях с коммуникативной ситуацией». Ibidem. 103 « Le discours est un phénomène complexe de la communication qui comprend à part le texte, les facteurs extralinguistiques (connaissances sur le monde, opinions, orientations, objectifs des énonciateurs) ». Ibidem.

Page 37: dans les langues

36

l’expression saussurienne104, de toute occurrence d’énoncé. Donc, partant du fait

que tout énoncé écrit est un discours, nous avons choisi pour notre analyse un

type d’énoncé écrit particulier, celui de la presse, qui comprend à son tour

plusieurs sources : articles, interviews, slogans et autres…

Partant de l’hypothèse que la perception des deux mots dans le discours politique

comme dans le discours de tous les jours, en français comme en russe, diffère de

ses définitions établies dans les dictionnaires, nous devons, en premier lieu,

déterminer les univers sémantiques des mots État/gosudarstvo et les divers

positionnements des locuteurs par rapport à ces mots dans le discours, pour

ensuite les comparer aux traits sémantiques définis par le dictionnaire.

Si, dans notre premier chapitre, en analysant les mots État/gosudarstvo dans le

dictionnaire, nous nous sommes essentiellement appuyée sur le fait que leur

signification représente un ensemble de traits sémantiques plus ou moins stables,

nous avons décidé, pour analyser le discours, d’y ajouter une autre théorie : celle

des stéréotypes105. Nous partons de l’idée développée par Vladimir Beliakov qui

considère que « la signification d’un mot est une suite ouverte de caractéristiques

associées à ce terme de manière stable dans un contexte socioculturel pour un

ensemble de personnes donné »106. Nous pouvons dégager de nouveaux traits

sémantiques à l’aide de caractéristiques associées aux mots État/gosudarstvo

dans le discours français et russe. Nous savons déjà que les stéréotypes diffèrent

d’une culture à l’autre. Notre analyse permet de mettre en évidence les différentes

caractéristiques associées aux mots État/gosudarstvo. Nous analyserons ainsi les

métaphores d’État/gosudarstvo qui reflètent la perception de ces deux mots d’une

façon efficace.

104 Bayon C. et Mignot X., op.cit.,, p.196. 105 La théorie des stéréotypes décrite par Alise Lehmann est apparue en 1975, grâce aux travaux du philosophe H. Putnam, qui a introduit la notion de stéréotype pour décrire la signification des noms d’espèces naturelles et d’artefacts. H. Putnam a développé l’hypothèse sociolinguistique. Il considère les stéréotypes comme des idées conventionnelles, qui correspondent à l’image sociale de l’unité lexicales et non à ses définitions. 106 Beliakov V., « Les termes demokraty, zapad et vlast' dans le discours politique russe d’aujourd’hui », in La société russe à travers les faits de langues et les discours, Dijon : Editions Universitaires, 2009, p.77-83.

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37

5. Approches extralinguistiques appliquées : corpus, principes théoriques et difficultés méthodologiques

Le sens des mots est, comme le constate Christian Touratier107, « quelque chose

de fuyant ou de malléable, qui peut changer avec les locuteurs ou les auteurs ».

Ce sont ainsi les aspects psycho, ethno et sociolinguistiques qui sont en jeu. Ces

aspects permettent d’expliquer les différentes perceptions des mots

État/gosudarstvo par des individus de deux cultures. D’après plusieurs linguistes,

l’influence des facteurs extralinguistiques (sociaux, politiques, psychologiques,

ethniques) sur le lexique politique et social est conséquente, ce qui introduit

plusieurs changements sémantiques. Ces changements sont très visibles, par

exemple dans les périodes de grands bouleversements politiques et sociaux qui

ont eu lieu en Russie, (les réformes de Pierre le Grand, la Révolution de 1917, la

perestroïka, la période après l’effondrement de l’URSS), ou en France

(l’émergence de la monarchie absolue, la Révolution et l’Empire, la construction

de l’État-nation, la débâcle de la 3ème République, la fondation de la 5ème

République). Ainsi, les mots État/gosudarstvo subissent ces changements sous

l’influence de facteurs extralinguistiques et il nous semble important de les mettre

en lumière ainsi qu’en étudier leurs impacts.

Aspect psycholinguistique

Une idée communément partagée par certains spécialistes postule que « toute

sémantique doit nécessairement adopter, à un moment ou à un autre, une vue

psychologique des problèmes, en raison même du fait que le sens, ou la

signification, ne peuvent être mis en œuvre que par un esprit humain »108. Nous

considérons ainsi que, pour définir État/gosudarstvo, il est indispensable, non

seulement de recourir aux dictionnaires de langues, mais aussi aux associations

verbales que ces mots suscitent chez les individus. La réalité psychologique, c’est

le sens que l’homme donne aux mots et ceci représente une interprétation

individuelle. Nous utiliserons à cet effet deux corpus qui permettront de connaître

107 Touratier C., La sémantique, collection Cursus, Lettres, Paris : Armand Colin, 2000, p.17. 108 Le Ny J.-F., La sémantique psychologique, Paris : Presses universitaires de France, 1979, 257 p.

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38

et d’interpréter le sens individuel de chaque mot : le discours politique et les

dictionnaires des associations verbales du français et du russe.

Il nous semble nécessaire de rappeler que la psycholinguistique en tant que

science est née aux États-Unis dans les années 50 : elle est donc relativement

jeune, mais elle a pourtant suscité plusieurs débats sur les questions qu’elle devait

traiter. Les approches sont différentes et se distinguent, ce qui est expliqué dans

l’ouvrage récent de Revekka Frumkina109 qui a essayé de définir la variété des

questions traitées par cette science et en particulier les principes de l’approche

psycholinguistique russe.

Etudes antérieures

Revekka Frumkina, linguiste et psychologue russe, étudie la corrélation entre la

psycholinguistique et la sémantique. Selon elle, le psycholinguiste se pose

toujours la question de la perception du sens du mot par un individu. Elle cite les

recherches d’Anna Wierzbicka110, linguiste d’origine polonaise, qui a introduit deux

termes – concept-maximum et concept-minimum, pour expliquer que chaque

individu possède certaines connaissances selon sa pratique, sur tel ou tel mot. Il

peut connaître le mot soit en tant que concept-maximum, autrement dit tout savoir

sur ce mot, soit en connaissant le mot en tant que concept-minimum : la personne

possède alors une certaine information qui semble incomplète. Il nous semble

donc important d’appliquer cette théorie dans notre analyse et de voir comment

les journalistes, les hommes politiques et autres personnes interrogées voient les

mots État/gosudarstvo. Il s’agit de savoir s’ils possèdent ou non une information

complète sur ces mots.

Par ailleurs, Revekka Frumkina met en relief les associations en tant que

phénomène culturel que la psycholinguistique étudie. Il s’agit des associations

verbales. Elle explique qu’une association est « une liaison entre certains objets

109 Frumkina R.M., Psixolingvistika, Moskva : « Akademija », 2008, 320 p. 110 Vežbicka A., Semantičeskie universalii i opisanie jazykov. Trad. De Šmelev A.D., red. Buligina T.V., Moskva : Jazyki slavjanskoj kul’tury. 2001, 78 p. Vežbicka A., Sopostavlenie kul’tur čerez posredstvo leksiki i pragmatiki. Trad. De Šmelev A.D., red. Buligina T.V., Moskva : Jazyki slavjanskoj kul’tury. 2001, 272 p.

Page 40: dans les langues

39

ou phénomènes qui se forme sur l’expérience individuelle et subjective »111.

Chaque culture possède en effet son expérience et, à l’intérieur de cette culture,

chaque individu possède à son tour sa propre expérience. D’habitude, comme

l’écrit Frumkina, afin d’analyser les associations verbales, on effectue un test

associatif qui consiste à proposer à un individu ou à un groupe un certain nombre

de mots stimulants. Les personnes interrogées doivent noter le premier mot qui

leur est spontanément venu à l'esprit en réaction aux mots proposés.

Frumkina mentionne l’importance des dictionnaires de « normes associatives ».

Ces dictionnaires présentent leurs articles différemment des dictionnaires de

langue : en premier lieu se trouve le mot stimulant, ensuite viennent les mots ou

les locutions associées, suscités chez les personnes interrogées. Ces

dictionnaires peuvent être comparatifs, c’est-à-dire décrire les associations entre

les différentes cultures pour montrer leur spécificité. Pour comparer ces

associations, Frumkina donne l’exemple tiré du dictionnaire bulgare « Български

норми на словесни асоциации »112. Lors d’un test, 200 mots bulgares ont été

présentés à 1000 personnes interrogées (550 femmes et 450 hommes de

profession et d'âge différents). Ainsi, le mot fromage suscite chez les Russes les

associations les plus répandus : hollandais, bon, jaune, et beurre, chez les

Bulgares – ovca (mouton), belyj (blanc) et solenyj (salé). Frumkina essaie

d’expliquer cette différence par la tradition bulgare qui est de manger du fromage

salé ; chez les Français – blanc, gruyère et camembert, chez les Allemands :

beurre, pain et lait.

Revekka Frumkina constate donc que les Français, selon leur tradition, associent

le mot « fromage » à des variétés appartenant à la notion même du mot. En ce qui

concerne les Russes et les Allemands, on trouve une association commune –

beurre. Nous avons intentionnellement cité cet exemple d'un mot très simple, pour

mieux expliquer ce test. Revekka Frumkina s’intéresse aussi à l’attitude envers

certains concepts appartenant au vocabulaire politique et social. Pour démontrer

les associations à certains concepts de ce vocabulaire, la linguiste limite son

111 Frumkina R.M., Psixolingvistika, Moskva : « Akademija », 2008, p.189. 112 Gerganov E., B’’lgarski normi na slovesni asociacii. Sofia : Nauka i izkustvo, 1984, 272 p.

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40

enquête à des élèves de dernière année du lycée de Moscou, de Varsovie et de

Toruń. Ces élèves ont dû donner sans réfléchir trois associations (trois mots) aux

stimuli tels que prezident (président), armija (armée), parlament (parlement),

diktatura (dictature), narod (peuple), perestrojka (perestroïka), gosudarstvo (État)

et autres. L’auteur de cette expérimentation s’interroge avant tout sur la possibilité

qu’ont les jeunes de s’identifier par rapport aux phénomènes politiques et sociaux,

ainsi que sur leur monde intérieur. Les mots ont été divisés en deux groupes :

« Politika (demokratija, zakon, prezident, gosudarstvo i t.p.) (Politique (démocratie,

loi, président, État et autres) ; Moral’ (sem’ja, rodina, vera, buduščee, Bog,

nadezda i t.p.) (Morale (famille, patrie, foi, futur, Dieu, espoir et autres).

Dans son ouvrage Revekka Frumkina ne décrit que les résultats obtenus entre

1994 et 1996, auprès des élèves russes dont le total a atteint 100 personnes et

elle compare, dans certains cas, ces résultats à ceux obtenus auprès d’élèves

polonais. Les deux groupes de mots ont été adressés aux élèves de différentes

classes et le deuxième groupe a ensuite été adressé aux élèves d’un lycée

catholique113. L’analyse des réponses a permis de les diviser en associations à

connotation positive ou négative, en personnifications et en associations à

distinction grammaticale (noms propres - personnes et noms géographiques).

D’après ce test, le mot gosudarstvo apparait comme association à connotation

plutôt positive aux mots stimulants suivants : narod (peuple) 3, parlament

(parlement), rodina (patrie)114... En revanche, gosudarstvo figure parmi les

associations à valeur plutôt négative, à côté de bazar (marché), бизнес (biznes –

business), война (vojna - guerre), власть (vlast’ - pouvoir), диктатура (diktatura

- dictature), коммунисты (kommunisty – communistes), коррупция (korrupcija –

corruption), красный (krasnyj – rouge), ларек/ларьки (larek/lar’ki – échoppe),

мафия (mafia)115...

113 Il s’agit du lycée catholique de Foma Akvinskij (appelé à son honneur) à Moscou, qui est destiné non seulement aux catholiques mais à tous ceux qui veulent mieux connaître la problématique religieuse. 114 Frumkina R.M., Psixolingvistika, Moskva : « Akademija », 2008, p.197-198. 115 Ibid., p.199.

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41

Revekka Frumkina arrive à la conclusion que l’attitude des jeunes qui ont vécu

pendant l’époque des réformes est très négative envers les institutions étatiques,

par conséquent envers l’État en général. De plus, l’auteur de cet test introduit le

terme de « sindrom semantičeskogo opustošenia », c’est-à-dire quand le mot perd

son sens et ne garde que son identifiant dans la perception des gens. Frumkina

cite l’exemple de l’expression « правовое государство», « pravovoe

gosudarstvo » (État de droit) qui n’a révélé aucune association chez la moitié des

personnes interrogées. Malgré ces conclusions intéressantes, il nous apparaît que

l’auteur aurait dû donner tous les résultats et aurait dû développer ces

associations plus en détail ; c’est pourquoi il s’est avéré indispensable de trouver

d’autres sources pour pouvoir découvrir les principales associations du mot

gosudarstvo. Revekka Frumkina souligne également l’importance de l’approche

psycholinguistique pour la lexicographie. Elle prend l’exemple des dictionnaires

russes et le travail de leurs auteurs. En effet, Frumkina remarque que certains

auteurs, tels qu’Ožegov et Ščerba, en rédigeant les dictionnaires, donnent la

définition d’un mot la plus proche possible de la perception du mot par les

russophones. Elle reconnaît cependant que ce travail est très difficile, car les gens

ne perçoivent pas le mot de façon identique : il s’agit ici de la différence d’âge, du

statut professionnel ou même du lieu d’habitation. En plus, le lexique change avec

le temps, certaines notions deviennent communes pour certains et non pour les

autres.

Dans le dictionnaire de langue, les articles sont élaborés par une ou plusieurs

personnes sur la base de leurs connaissances personnelles acquises grâce à

l’analyse d’un certain nombre de contextes. La signification d’un mot est une

connaissance consciente que le créateur d’un dictionnaire peut décrire de manière

précise. Autrement dit, les définitions des dictionnaires excluent la partie

inconsciente des connaissances sur les mots. Le dictionnaire des normes

associatives, lui, n’étudie pas de définition, mais les champs associatifs. Ces

champs contiennent une partie générale constante, dans laquelle sont réunies les

connaissances partagées par tous et une partie changeant dans le temps,

représentée par les connaissances individuelles obtenues par des réponses non

répétitives.

Page 43: dans les langues

42

Notre travail consiste à vérifier si la définition des mots État/gosudarstvo fixée

dans les dictionnaires ressemble à la perception de leur notion par les individus

francophones et russophones. Nous espérons aussi révéler des associations

verbales communes et spécifiques.

6. Objectifs, hypothèses et plan de la thèse

L’objectif principal de notre travail consiste à dégager les traits sémantiques

communs qui peuvent exister entre les mots État/gosudarstvo, en construisant les

champs lexico-sémantiques de ces deux mots à partir de dictionnaires et de

discours. Le cadre d’une thèse étant insuffisant pour embrasser la totalité des

dictionnaires et des types de discours, nous limiterons notre corpus à un certain

nombre de dictionnaires de langue, généraux et spécialisés et de dictionnaires de

normes associatives ainsi qu’au discours politique, et plus précisément à la

presse. Pour atteindre cet objectif, il nous a semblé nécessaire de passer par cinq

étapes:

1) Analyser et comparer les définitions des mots État/gosudarstvo dans les

dictionnaires de langues française et russe et dans les dictionnaires

spécialisés qui contiennent des informations encyclopédiques. Nous avons

également utilisé les dictionnaires historiques et étymologiques pour

retracer l’évolution des sens et des traits sémantiques communs. Si nous

comparons les sens actuels des deux mots, ce qui entre dans l’optique

synchronique, nous sommes alors obligée d’appliquer aussi l’approche

diachronique. Il est connu que le sens actuel des mots État/gosudarstvo est

lié à l’histoire de leur évolution. Nous dégagerons ensuite les traits

sémantiques de ces mots.

2) Examiner et comparer la perception des mots État/gosudarstvo dans le

discours politique français et russe, pour en dégager les caractéristiques

sémantiques. Nous nous tournons, pour cette analyse, vers les métaphores

Page 44: dans les langues

43

conceptuelles d’État et de gosudarstvo, retrouvées dans les textes

médiatiques.

3) Étudier et mettre en parallèle la perception des mots État/gosudarstvo dans

le discours de tous les jours, pour en extraire les traits sémantiques. Nous

utilisons, pour cette analyse, les associations liées à ces deux mots et

figurant dans les dictionnaires des normes associatives françaises et

russes.

4) Construire et rapprocher, à partir des études antérieures et des résultats

obtenus, les champs lexico-sémantiques comprenant les mots

État/gosudarstvo.

5) Établir et comparer les familles des deux mots État/gosudarstvo, en nous

basant sur la morpholexicologie et en reprenant les dérivés et les mots

composés à partir de ces deux mots, sans négliger les expressions ou les

locutions utilisant ces mots, notamment les unités phraséologiques et les

collocations.

Hypothèses

Les hypothèses que nous émettons sont les suivantes :

1) Bien que l’évolution respective de la notion d’État et de gosudarstvo soit

différente au cours de leur histoire, les mots État/gosudarstvo possèdent

plus de traits sémantiques communs que de différences sémantiques dans

leurs langues.

2) État/gosudarstvo ont de nombreuses caractéristiques communes dans le

discours politique, malgré le vécu différent des Français et des Russes au

cours de leur histoire.

Page 45: dans les langues

44

3) La perception par les locuteurs de ces deux mots dans le discours politique

ou dans celui de tous les jours, diffère de leurs définitions établies dans les

dictionnaires. Nous tenons compte ici du fait que, même si le dictionnaire

essaie de rassembler des significations collectives et de les fixer comme

des normes, les mots État/gosudarstvo appartenant au vocabulaire

politique et social possèdent une stabilité lexicale relative. Leurs

significations se trouvent en lien étroit avec la vie des communautés

humaines ainsi qu’avec les mouvements politiques et sociaux. Le sens des

mots change rapidement suite à ces mouvements. Les dictionnaires

n’arrivent pas toujours à fixer ces changements car ils sont limités dans le

temps. De plus, leur but est de normaliser des significations soit pour des

raisons politiques, soit afin de stabiliser une communauté linguistique.

4) Il existe un nombre important de métaphores et d’associations communes à

État/gosudarstvo, en raison des différents emprunts et de l’universalité de

ces mots, ce qui rapproche deux mondes conceptuels.

Plan de la thèse

La présente thèse se divise en cinq chapitres.

Le premier est consacré à l’analyse comparative des définitions des mots

État/gosudarstvo dans les dictionnaires. Nous y présentons l’établissement du

corpus de cette partie et essayons de prouver notre première hypothèse

concernant les traits sémantiques communs que ces deux mots possèdent dans

les langues française et russe.

Dans le deuxième chapitre, nous examinons la perception des mots

État/gosudarstvo dans le discours politiques français et russe. Nous analysons les

métaphores conceptuelles d’État/gosudarstvo.

Le troisième chapitre présente les associations liées à ces deux mots dans les

dictionnaires des normes associatives russes et françaises. Cette partie contient

Page 46: dans les langues

45

également la présentation du corpus d’analyse ainsi que les études antérieures

dans ce domaine.

Dans le quatrième chapitre, nous élaborons les champs lexico-sémantiques à

partir des résultats obtenus dans les chapitres précédents, ainsi que des résultats

d’études antérieures.

Enfin, le cinquième et dernier chapitre est destiné à la construction des familles

des mots État/gosudarstvo.

Les résultats de cette étude pourront être utilisés en linguistique appliquée,

notamment en didactique des langues étrangères et en science de la traduction,

ainsi qu’en lexicographie, par exemple, pour la rédaction du dictionnaire des

notions politiques et sociales.

Page 47: dans les langues

46

Chapitre 1

L’analyse comparative des définitions des mots État/gosudarstvo dans les dictionnaires

Comme annoncé dans notre introduction, nous nous sommes limitée à la

définition des mots État/gosudarstvo dans les dictionnaires de langue modernes,

puisque notre travail est fondé, avant tout, sur l’état actuel des mots

État/gosudarstvo et qu’il s’inscrit donc dans la sémantique synchronique. Nous

considérons cependant que notre analyse ne peut être complète sans l’approche

diachronique et qu’il est nécessaire de montrer l’étymologie de ces mots ainsi

que l’évolution de leur sens à travers le temps. Nous recourons alors aux

dictionnaires historiques et étymologiques, qui sont la source de la sémantique

diachronique. Le sens actuel des mots État/gosudarstvo est inévitablement en

relation avec leur histoire. Pour cette analyse, le choix d’un dictionnaire comme

principal corpus de travail est déterminé par son statut linguistique.

1.1. Définition du mot État et son origine dans les dictionnaires de langue, historiques et étymologiques dans la langue française

1.1.1. Définition du mot État dans les dictionnaires de langue française

Le problème rencontré en étudiant les dictionnaires de langue française est la

polysémie du mot État. Dans un premier temps, notre travail a donc consisté à

choisir des articles contenant les définitions entrant dans le champ du vocabulaire

politique et social. Nous avons ainsi suivi l’exemple de Sylvianne Rémi-Giraud, qui

a analysé les mots « peuple, nation, État, pays, patrie » à partir des articles du

Nouveau petit Robert, en nous penchant sur le mot État. La polysémie du mot État

nous enjoint de ne pas confondre le mot état «manière d’être» (physique,

intellectuelle, morale), avec le mot État écrit avec une majuscule, du domaine

Page 48: dans les langues

47

politique et social. Ce fait établi, nous distinguons tout particulièrement une forte

polysémie à l’intérieur même du champ politique et social de ce mot.

Le Nouveau petit Robert propose plusieurs définitions du mot État : nous avons

pris en compte dans notre analyse les sens secondaires ou vieillis116 :

État III. Manière d’être d’un groupement humain 1. vieilli. Forme de

gouvernement, régime politique, social. 2. (fin XVe) mod. avec une

majuscule. Autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un peuple et

d’un territoire déterminé. 3. Ensemble des services généraux d’une nation,

par opposition aux pouvoirs et aux services locaux. 4. Groupement humain

fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et pouvant être

considéré comme une personne morale.

Selon notre analyse, deux différences principales existent entre ces définitions. La

première réside dans l’étymologie et l’origine du mot. La seconde, elle, est plus

liée aux phénomènes historiques et culturels l’ayant fait évoluer. Nous avons déjà

justifié notre choix des dictionnaires de langue dans l’introduction et précisé que

nous ne nous adressons qu’à deux dictionnaires de langue française : le Nouveau

Petit Robert et le Trésor de la langue française. Si le premier nous semble être la

source la plus complète, nous nous sommes interrogée en revanche sur le

nombre réduit de définitions du mot État dans le Trésor de la langue française

informatisé117.

116 Robert. P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928. 117 Le Trésor de la Langue Française est le résultat de recherches linguistiques sur l’histoire et l’usage actuel du vocabulaire français. Grâce au travail d’une centaine de chercheurs, 16 volumes ont vu le jour entre 1971 et 1994. Ce dictionnaire offre une analyse détaillée des mots du XIXe et du XXe siècle. Au début des années 90, on a commencé la phase de traitement informatique du TLF, assurée par le CNRS au sein de l’Institut national de la langue française, devenu Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française (ATILF) en 2001.

Page 49: dans les langues

48

En effet, n’y sont recensées que deux définitions :

B. Forme particulière d’un gouvernement ; nature d’un régime politique.

C. (Avec une majuscule) Autorité politique souveraine, civile, militaire ou

éventuellement religieuse, considérée comme une personne juridique et

morale, à laquelle est soumis un groupement humain, vivant sur un

territoire donné.

Nous pouvons remarquer que la première définition du Trésor de la langue

informatisée « B » coïncide avec celle du Nouveau Petit Robert (donnée comme

vieillie). La deuxième, « C », comporte des éléments de deux articles du Nouveau

Petit Robert : le deuxième et le quatrième, et met en avant l’autorité politique à

laquelle est soumis un groupement humain, autrement dit le trait structurel. Au

contraire, la définition 4 du Nouveau Petit Robert considère que l’État est avant

tout « un groupement humain soumis à une autorité » et met en valeur plutôt le

trait humain. Nous verrons plus loin que l’interdépendance des traits sémantiques

peut changer en fonction de l’évolution du mot État dans la langue et dans le

discours.

Abordons maintenant l’origine et l’évolution du mot État, tout d’abord dans les

dictionnaires historiques et étymologiques, puis dans les dictionnaires de langue.

1.1.2. Origine et évolution du mot État dans les dictionnaires historique et étymologique français.

Les phénomènes linguistiques sont liés à des facteurs historiques et

sociologiques, qui expliquent les modifications de la langue. Comme le précise

Jean Dubois dans sa thèse, intitulée Le vocabulaire politique et social en France

de 1869 à 1872, « la langue elle-même a une action sur l’activité sociale et

politique »118. Nous pouvons constater que les rapports entre l’évolution du mot

État, l’histoire et la culture sont très compliqués et interdépendants. L’évolution

118 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.198.

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49

politique a également participé à créer les définitions de ce mot. Si nous prenons

les grandes dates de l’Histoire, comme Jean Dubois nous le propose, il nous sera

facile de mettre en évidence l’existence de ce lien étroit entre les événements

politiques et l’évolution du mot. Jean Dubois propose de distinguer les

phénomènes proprement linguistiques de la transformation de la langue. Nous

avons donc essayé de suivre son exemple et de donner l’explication lexicale de

certaines évolutions du mot État. Nous avons alors découvert que ces

phénomènes historiques et lexicaux se trouvent en étroite relation.

Dans le Dictionnaire historique de la langue française, nous trouvons l’histoire et

l’étymologie du mot état. Ce mot qui s’écrit d’abord avec une minuscule vient de

l’emprunt « au latin classique status, « action de se tenir » et « position, situation

», de stare « se tenir debout », qui se rattache à une racine indoeuropéenne sta-

« être debout » »119, ceci tout d’abord sous la forme estate (1213), puis estat

(v.1370). En latin, status fût souvent associé à civitas et à impérium et ne prît que

tardivement le sens de « forme de gouvernement ».

Comme nous l’avons déjà remarqué dans notre introduction, le concept d’État,

existant déjà au Moyen Âge, a été cependant transmis par d’autres termes.

Simone Goyard-Fabre cite les termes de Polis, res publica, civitas, regnum,

communitas perfecta, corps politique ou encore corona regni (Couronne du

royaume)120 : ces termes ont largement été utilisés par les auteurs médiévaux, ces

derniers ignorant les mots estat ou état. Les études philologiques démontrent que

le mot latin status ou son dérivé français estat apparaissent, dès le XIIe siècle,

dans le vocabulaire et désignent soit la condition de magistrat, soit l’autorité ou le

pouvoir attaché à la magistrature, sans avoir le sens de communauté politique.

Dans le vocabulaire juridique du bas latin, les mots état ou estat sont employés

comme « situation d’une personne ». Au XVIIIe siècle, ils acquièrent un sens plus

large, symbolisant la « manière d’être des hommes en société (voir la définition du

119 Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de A. Rey, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1998, tome 1, p.736. 120 Goyard-Fabre S., L’Etat : figure moderne de la politique, Paris : Armand Colin, 1999, p.14.

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50

Nouveau petit Robert121). A partir de 1549, les termes état ou estat s’emploient en

droit pour désigner ce qui distingue l’individu dans la société et la famille

(nationalité, parenté, etc.).

Dominique Colas, spécialiste en science politique, partage l’opinion de Simone

Goyard sur le fait que le concept d’État est apparu en France plus tôt que le mot.

Il donne des exemples montrant la présence du concept d'État avant la naissance

du mot. Le premier exemple provient de la traduction du De regimine principum (le

Gouvernement des rois) rédigé par Gilles de Rome à la fin du XIIe siècle, où on

trouve « estat du roi » pour dire situation du roi122. Un autre exemple provient des

Six Livres de la République, où Jean Bodin donne, en 1576, une définition de

l’État sans employer le terme : « République est un droit gouvernement de

plusieurs mesnages123 et de ce qui leur est commun avec puissance

souveraine »124. Nous pouvons comprendre qu’il s’agit de l’État en tant qu’entité,

qui s’exerce sur les familles, voir sur la population.

Comment expliquer l’apparition tardive du mot État ? L’auteur de ce dictionnaire

considère que la raison de cette histoire lexicale réside probablement dans la

polysémie de ce mot. Cette polysémie aurait pu provoquer « la confusion avec

« estat » (ou état), terme qui désignait des groupes à statut, corporation ou

ordre »125 dont le rôle était très important, dans la vie politique et sociale de

l’Ancien Régime.

D’après Simone Goyard-Fabre, il fallut attendre la Renaissance pour que le mot

État, dérivant lui aussi du terme estat, apparaisse avec une majuscule afin

d’acquérir un sens proche des mots Civitas et Res publica. Depuis la fin du XVe

siècle, il s’écrit avec une majuscule pour désigner tout d’abord un groupement

humain soumis à une même autorité (voir la définition du Nouveau Petit Robert),

puis, depuis 1549, pour désigner l’autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble

121 III. Situation, manière d’être une personne dans la société, ROBERT, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.927. 122 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.88. 123 Il s’agit du mot ménage qui s’écrit mesnage jusqu’au XVIIIe siècle. Rem. V.T. 124 Colas D., ibidem. 125 Ibidem.

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51

d’un peuple et d’un territoire (la deuxième définition du Nouveau Petit Robert). À

partir de 1640, le mot s’emploie comme « forme de gouvernement ». D’après Alain

Rey, auteur du dictionnaire historique, cette utilisation a deux explications : soit le

mot a repris la valeur du latin médiéval, soit il a subi l’influence du mot italien stato,

employé depuis le XIVe siècle dans le sens de « gouvernement »126. Ce n’est qu’à

la fin du XIXe siècle qu’apparaissent les premièrs dérivés du mot, comme

étatisme, étatiste, étatiser et d’autres127, appartenant toutes au sens politique et

social du mot. Nous analyserons ces dérivés dans notre quatrième chapitre.

1.1.3. Origines des définitions du mot État

Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous allons aborder l’origine et

l’évolution du mot État à travers les dictionnaires de langue.

Nous pensons qu’il est nécessaire de nous interroger d’abord sur les différentes

définitions du mot État proposées par le Nouveau Petit Robert et citées

précédemment. Sylvianne Rémi-Giraud nous fait remarquer que la quatrième

définition présente une structure renversée par rapport à la deuxième : « du

pouvoir qui s’exerce sur un groupe, nous passons au groupe sur lequel s’exerce le

pouvoir... »128 Ce renversement met en relief à notre avis les relations entre les

traits sémantiques à l’intérieur du mot. Si l’on se base sur la théorie des trois

actants de Sylvianne Rémi-Giraud129 exposée dans notre introduction, nous

pouvons tout d’abord constater que l’actant du pouvoir change la définition, en

constituant des rapports d’interdépendance entre le groupement humain et

l’autorité. Nous constatons en effet un glissement : d’une référence concrète nous

passons à une autre référence concrète, d’une autorité qui exerce son pouvoir sur

126 Dictionnaire historique de la langue française sous la direction de A. Rey, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1998, tome 1, p.1321-1322 127 Ibid., p.1321-1322. 128 Rémi-Giraud, S., « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.33. 129 Ibid., p.26.

Page 53: dans les langues

52

l’ensemble d’un peuple à un groupement humain, soumis à une autorité. Ceci est

appelé « processus métonymique »130.

Nous supposons que ce glissement métonymique peut être expliqué par des

facteurs historiques et par le rôle de l’homme dans l’État. En effet, d’après Hegel,

« l’État objective une éthique, voire même une conception de l’homme »131. Jean

Proulx retrouve chez Platon l’idée que « la forme de l’État exige et façonne à la

fois un mode de comportement et un type d’homme.132 C’est-à-dire qu’à cette

époque, l’État a été associé plus à un groupement humain, qu’à l’autorité ou au

pouvoir. Les grands philosophes du politique, tels que Montesquieu ou Hegel, ont

cherché à comprendre la nature de l’État et ils ont conclu que nous ne pouvons

séparer la forme de l’État et l’esprit de l’homme. Selon Hegel, l’État est un tout

organique qui « unit la structure du pouvoir, l’esprit du peuple et chaque

subjectivité » 133. Cette idée née de la Grèce antique, selon laquelle l’État doit être

ce milieu de vie où s’exprime l’esprit du peuple, a servi à la création de ce

glissement pour mettre en relief l’homme. La société industrielle avancée entraîne

plus tard une forme d’« État gestionnaire et fonctionnel »134. Le citoyen disparaît

au profit du technicien de gestion et du technocrate au pouvoir. Comme le précise

Sylvianne Rémi-Giraud, l’affaiblissement de l’actant humain et la dominance de

l’actant du pouvoir pourrait expliquer « la déshumanisation, qui pèse sur le signifié

et conditionne sa préférence pour des emplois gestionnaires ou officiels »135. Le

Nouveau petit Robert propose les synonymes suivants du mot « État » :

gouvernement, pouvoir (central), administration ; service (public), qui reflètent

cette dominance.

130 Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction a la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2005, p.91. 131 Cité par Proulx J., « L’homme, père et enfant de l’État », in Critère, 1980, publie sur le site : http://agora.qc.ca, consulté le 25 mars 2006. 132Ibidem. 133 Ibidem. 134 Ibidem. 135 Rémi-Giraud, S., op.cit., p.30.

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53

Il faut mentionner également l’importance de l’apparition du mot nation dans la

troisième définition. Pour ce mot, le Nouveau Petit Robert donne la définition

suivante :

Groupe humain, constituant une communauté politique, établie sur un

territoire défini ou un ensemble de territoires définis, et personnifiée par une

autorité souveraine.

A notre avis, cette définition est un peu ambiguë puisque, dès lors que la nation

est personnifiée ou représentée par une autorité souveraine, elle peut être

identifiée à l’État lui même. Le danger de cette ambiguïté réside aussi dans le fait

que c’est l’homme, sujet libre et indépendant, qui fait la nation136, pourtant

l’homme est une unité d’un groupement humain qui désigne un État.

La confusion entre la nation et l’État vient également de l’histoire de la France. En

Europe, au XVIIIe siècle, siècle des Lumières, la nation s’est confondue avec la

patrie. Ensuite, au moyen de l'Assemblée nationale, les Révolutionnaires de 1789

transfèrent vers les représentants de la "nation" la souveraineté jusqu’alors

concentrée dans la personne du roi, instaurant de ce fait un nouveau concept

politique : "la nation source exclusive de la souveraineté". Le troisième article de

la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 fonde la

souveraineté de la nation et énonce sa primauté : "Le principe de toute

Souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne

peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément." Cela va entraîner la

confusion entre État et nation, préfigurant ainsi l'ère des États-nations.

Si nous recourons au Lexique des sciences politique, nous apprenons que

« l’État-nation repose en général sur un système politique unitaire : la

reconnaissance de l’unité nationale prime sur la diversité des communautés

vivant sur le territoire…et au niveau des droits individuels, l’exercice de la

citoyenneté « (i.e. l’acquisition du droit de participer à la vie publique) est

136 Busnel F., Tellier F., Grolleau F. et Zarader J.-P., Les mots du pouvoir, Précis du vocabulaire. Paris : Editions Vinci, 1996, p.106.

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54

étroitement liée à la nationalité (l’appartenance juridique à la communauté

nationale) »137. Chez Dominique Colas138, nous trouvons une autre définition de

l’État-nation :

Forme politique où les frontières territoriales politiques et celles d’une

population possédant une certaine homogénéité culturelle, religieuse,

linguistique coïncident.

Selon plusieurs philosophes et hommes politiques, ce modèle est tout de même

imparfait, car il devient souvient l’enjeu de luttes politiques ; il est utilisé par les

mouvements autonomistes ou indépendantistes et en même temps trop

autoritaire malgré la diversité culturelle. Le slogan tel que « la France aux

Français » apparu avec l’affaire Dreyfus continue d’être un sujet débattu de nos

jours. Plusieurs partis de droite ou d’extrême droite, tels que le Front national ou

le Renouveau français, sont considérés comme nationalistes. On voit néanmoins

qu’il est question d’une forme d’État et non pas du concept d’État, qu’il est

important de distinguer du concept de nation. Dans le livre Les mots du pouvoir il

nous est proposé de voir l’État comme « un ensemble organique des institutions

d’une communauté historique, c’est à dire une nation ». L’État est un cadre à

l’intérieur duquel évoluent les individus139, d’où vient la troisième définition du

Nouveau Petit Robert :

Ensemble des services généraux d’une nation, par opposition aux pouvoirs

et aux services locaux.

Ainsi, nous arrivons au problème lié à la différence entre les définitions du mot et

du concept d’État. Le but de nos recherches linguistiques est d’analyser

séparément ces définitions, jugées insuffisantes dans les dictionnaires de langue ;

les connaissances encyclopédiques sur le concept étant développées dans les

dictionnaires spécialisés.

137 Lexique de science politique, Paris : Dalloz, 2008, p.190-191. 138 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.97. 139 Busnel F., Tellier F., Grolleau F. et Zarader J.-P., op.cit., p.107.

Page 56: dans les langues

55

1.2. Définitions du mot État dans les dictionnaires spécialisés

Nous nous sommes trouvée confrontée au problème lié à la grande variété de

dictionnaires spécialisés et au large choix de définitions. Ces dictionnaires sont : le

Lexique de politique, les Dictionnaires de science politique et des institutions

politiques, ou encore le Dictionnaire de la constitution. Ayant déjà développé ce

problème dans notre partie méthodologique dans la partie « Les délimitations de

l’approche lexicographique », passons aux définitions elles-mêmes.

1.2.1. Définition du mot et du concept État dans le Lexique politique

Le Lexique politique de Charles Debbasch et Yves Daudet qui traite de sujets

comme la vie politique ou les relations internationales propose, comme étant des

éléments constitutifs de l’État140, les définitions suivantes :

1. Personne morale de droit public territorial et souveraine.

2. l’ensemble des pouvoirs publics par oppositions aux citoyens, soit les

éléments centraux de l’administration par opposition aux collectivités

locales (sens étroit)

3. éléments constitutifs :

- un territoire délimité par des frontières ;

- une population plus ou moins homogène (race, religion, langue)-v.

Nation ;

- un gouvernement.

Ainsi, nous trouvons la même notion de personne juridique et morale que le

Trésor de la langue française place en second : l’autorité politique souveraine,

considérée comme une personne juridique et morale. Nous pouvons cependant

noter une certaine différence de sens dans la troisième définition du Nouveau Petit

Robert, opposant l’État aux pouvoirs locaux. S’agit-il ici d’un problème de

terminologie ? Nous croyons qu’il est ici possible de remplacer le terme «pouvoir»

140 Debbasch C., Daudet Y., Lexique de politique, Cinquième édition, Paris : Dalloz, 1988, p.158-161.

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56

par «service», ce qui ne changera pas le sens et ne suscitera plus d’ambiguïté. Il

est important de noter les trois éléments constitutifs de l’État, énoncés

précédemment. Dans les dictionnaires de langue, le territoire est « déterminé » ou

« donné », alors qu'ici, il est question de territoire « délimité par des frontières ».

Alors que dans les dictionnaires de langue on utilise la locution de groupement

humain, ici, on trouve le terme de population qui obtient en plus une

caractéristique via un complément : plus ou moins homogène. Il s’agit dans ce cas

d'une référence directe à la nation en tant que composante constitutive du concept

d’État. Cette idée de « population plus ou moins homogène » nous renvoie plutôt

à la définition d’État-nation et non à celle du concept d’État.

1.2.2. Définition du mot et du concept d'État dans le Dictionnaire de la Constitution (les institutions de la Ve République)

Le Dictionnaire de la Constitution cite, avant tout, les articles de la Constitution qui

comportent le mot État et le définissent dans un sens juridique comme «une entité

politique constituée par la réunion de trois éléments : un territoire, une population

et un gouvernement»141. Les auteurs Raymond Barrillon, Jean-Michel Bérard,

Marie-Hélène Bérard et autres tentent ensuite de développer le problème lié à la

définition du mot État, laquelle réside, selon eux, dans une ambiguïté due à la

dualité de son sens : « tantôt il désigne la communauté humaine, vivant sur un

territoire, dotée d’une organisation autonome et détentrice de pouvoirs de

contrainte (ex. : la France, l’U.R.S.S.) ; tantôt il ne s’applique qu’à une partie de

cet ensemble, c’est-à-dire à la machine gouvernementale, la puissance publique

(État : appareil d’État) »142. Les auteurs trouvent également confuse la multitude

de formes qu’a prises l’État au cours de l’histoire (féodal, monarchique,

républicain, …) et de natures différentes (libérale, bourgeoise, …). Nous

remarquons que ces périodes sont mieux explicitées et les formes de l’État sont

définies de manière plus précise dans les dictionnaires de science politique. Ainsi,

nous pouvons conclure que cette analyse est aussi restreinte et incomplète que

celle du lexique politique, qui ne caractérise l’État que dans un sens juridique.

141 Dictionnaire de la Constitution, Les institutions de la Ve République, troisième édition, revue et augmentée, Paris : Edition Cujas, p.160-165. 142 Ibid., p.160.

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57

Ces deux ouvrages abordent finalement les définitions de l’État de la même façon

car dans l’un comme l’autre nous trouvons les mêmes éléments de référence :

territoire, population et gouvernement. Si nous comparons ces définitions à celles

des dictionnaires de la langue, nous constatons que ces derniers préfèrent

employer le terme « services » au lieu du terme « gouvernement ». Cela permet

d’éviter la synonymie du mot « gouvernement » au mot « État ».

1.2.3. Définition du mot et du concept d’État dans les dictionnaires de science politique

La différence entre les définitions analysées précédemment et celles que nous

trouvons dans les deux dictionnaires auxquels nous allons faire référence ci-

après, réside dans le fait que, si les premières décrivent bien le concept d’État,

les secondes ne développent que le concept d’État à un moment précis de

l’histoire.

Le Dictionnaires de la science politique et des institutions politiques143, rédigé

sous la direction de Guy Hermet traite le concept d’État du point de vue de la

sociologie politique. On y trouve la définition de l’État proposée par Max Weber,

selon laquelle l’État doit se concevoir comme « une entreprise politique de

caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès,

dans l’application des règlements, le monopole de la contrainte physique »144.

Etant donné qu’il s’agit ici de la définition d’un sociologue et économiste, les

termes d’entreprise et de monopole apparaissent. Ce dictionnaire développe

brièvement les étapes de l’évolution de l’État depuis sa naissance jusqu’à nos

jours, ainsi que ses différents types et formes : État de droit, État-Nation, État

centralisé ou décentralisé. Il nous semble cependant que la typologie n’est pas

complète et qu’on trouve dans le Dictionnaire de science politique de Mokthar

Lakehal145 une typologie plus étendue qui couvre plusieurs étapes des formes de

l’État dans l’histoire mondiale. Mokthar Lakehal, spécialiste algérien en science

143 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigué par G.Hermet, Armand Collin, 2005, p.102-107. 144 Ibidem. 145 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.165-170.

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politique, expose plusieurs recherches dans différents domaines (histoire,

philosophie, sociologie…) et présente une classification assez complète de ses

types et de ses formes. Il commence par définir l’État monarchique et l’État

démocratique, qui tous les deux ne sont que des « entités émanant de la

légitimité, soit d’une famille (l’État monarchique), soit d’un peuple (l’État

démocratique) ».

Mokthar Lakehal décrit par la suite les différentes étapes étatiques en citant des

philosophes, des hommes politiques et des sociologues de ces époques, qui

décrivent le concept d’État à l’aide de métaphores. En parlant de l’État anarchique

et utopique, l’auteur du dictionnaire prend pour exemple la citation de Max Stirner :

« Tout État est une tyrannie ; que ce soit la tyrannie d’un seul ou de

plusieurs. »146

Cette définition imagée est typique du processus de conception humaine. Nous

développerons plus en détails cette affirmation dans notre deuxième chapitre.

Comme nous pouvons le constater, ces deux dictionnaires ne définissent pas le

concept lui-même, mais plutôt les différentes formes étatiques. Les auteurs du

Lexique des sciences politiques pensent que « l’État ne saurait, toutefois, se

confondre avec une forme quelconque de régime politique »147. Nous essayons

néanmoins de prouver que ce fait est très répandu dans le discours, car les gens

associent souvent le concept d’État à certaines étapes de son régime. Nous

trouvons même dans le Nouveau Petit Robert un des sens du mot État, notée

comme vieilli : Forme de gouvernement, régime politique, social148.

146 Ibid., p.166. 147 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigué par G.Hermet, Armand Collin, 2005, p.102-107. 148 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 928.

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59

1.2.4. Définition du mot et du concept d'État dans le Dictionnaire de la pensée politique

L’auteur du Dictionnaire de la pensée politique, Dominique Colas, spécialiste en

sciences politiques149, définit en premier lieu le mot État et nous présente ensuite

plusieurs informations encyclopédiques sur le concept d'État. Il est intéressant de

mentionner sa définition car elle diffère de celles analysées ci-dessus. Dominique

Colas considère État comme une « forme institutionnalisée de domination où un

territoire et sa population sont contrôlés par une instance, dont le moyen est la

détention du monopole de la violence physique légitime et qui remplit des

fonctions multiples (approvisionnement, hygiène, scolarisation, etc.)… »150. Nous

retenons ici deux éléments clés : forme institutionnalisée et domination. Il est

question ainsi de la domination de l’institution sur la population et le territoire, ce

qui nous renvoie à la deuxième définition du Nouveau Petit Robert151. Nous

observons également que l’autorité souveraine est remplacée par la forme

institutionnalisée qui domine un territoire et sa population au lieu de juste s'y

exercer. Ce rapport de pouvoir reconquiert sa place. Ce fait d’associer à nouveau

l’État au pouvoir d’une institution dominant le peuple provient-il des facteurs

historiques et sociologiques ? En analysant le discours politique et celui de tous

les jours, nous espérons trouver des réponses à cette question. S’arrêtant

brièvement sur la définition du mot État, Dominique Colas décrit aussi

minutieusement l’évolution du concept d'État.

Conclusion

Après avoir analysé ces définitions tirées des dictionnaires spécialisés, nous

admettons que l’État peut être défini comme une personne morale, une entité

politique ou une forme institutionnalisée possédant les trois éléments constitutifs :

un territoire délimité par des frontières, une population et un gouvernement. En

rapprochant ces définitions de celles des dictionnaires de langues, nous pouvons

149 Dominique Colas est également directeur de la spécialité Russie et CEI, mention Sociétés et politiques comparées du master à l'IEP de Paris. 150 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.87. 151 ROBERT, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.927.

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noter deux éléments communs : un territoire délimité par des frontières et une

population. Les spécialistes en science politique distinguent cependant l’État du

groupement humain ou de la population. Un groupement humain ou une

population représente un élément clé de l’État, mais ne le définissent pas. Nous

n’avons pas trouvé la possibilité de prouver les origines du glissement

métonymique entre l’État et le peuple, définition 4 du dictionnaire de langue152,

dans les dictionnaires spécialisés et les textes juridiques. Il nous semble donc

nécessaire de réaliser nos recherches sur ce sujet dans le discours, ce qui

pourrait expliquer ce processus métaphorique.

1.3. Définition de государство (gosudarstvo) dans les dictionnaires de langue russe

Comparé au mot État, le mot gosudarstvo n’appartient qu’au domaine politique et

social. Vu sa polysémie moins forte, ce mot commence par une minuscule. Il est

cependant intéressant de noter que l’écriture du mot gosudarstvo, de son dérivé

gosudarstvennyj et de ses synonymes, commençait, avant la Révolution de 1917,

tantôt avec une majuscule, tantôt avec une minuscule.

Tout d’abord l’orthographe dépendait des sources : dans les textes officiels, par

exemple dans le Code complet des lois de l’Empire russe153, nous trouvons la

majuscule pour des associations et des termes tels que "Российское

Государство" (Rossijskoe Gosudarstvo - État russe), "Император" (Imperator -

Empereur), "Государь" (Gosudar’- souverain), "Царь" (Tsar’-Tsar),

"Самодержец" (Samoderžec – autocrate), "Верховная Власть" (Verhovnaja

Vlast’ – autorité suprême), "Императорский Дом" (Imperatorskij Dom – la maison

impériale), "Императорский Престол" (Imperatorskij Prestol – le trône impérial),

"Всероссийский Престол" (Vserosijskij Prestol – le trône de toute la Russie),

"Наследник Престола" (Naslednik Prestola – héritier de la couronne), "Империя"

(Imperija – Empire), « Государственная Дума» (Gosudarstvennaja Duma –

Douma d’État) et d’autres.

152 Groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et pouvant considérer comme une personne morale. 153 Polnyj Svod Zakonov Rossijskoj Imperii. SPb.: Izd. Vestnik znanija. 1912. Т. 1. Č. 1. Disponible sur : http://civil.consultant.ru/reprint/books/169/81.html. Consulté le 20 mai 2010.

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61

En revanche, dans les textes religieux le mot gosudarstvo s’écrivait avec une

minuscule. Dans son article intitulé «L’Église est plus importante que la

monarchie ? »154, l’écrivain russe, Mixail Babkin, expose que l’Église et la

monarchie se sont livré un duel pour le pouvoir en Russie. Mixail Babkin explique

que ce duel politique a trouvé son écho dans l’orthographe des mots церковь

(cerkov’ - Église) et государство (gosudarstvo-État). Avant la Révolution, le mot

cerkov’ s’écrivait avec une majuscule quand s’il s’agissait de l’ensemble de fidèles

unis au sein de l’institution fondée par Jésus-Christ. Cette orthographe servait à

affirmer le rôle dominant de l’Église sur l’État russe, ainsi que la suprématie du

chef de l’Église, «Патриарх» (Patriarh-patriarche), sur le souverain ; donc le mot

s’écrivait avec une minuscule (государь-gosudar’, царь-tsar’).

Après la Révolution de 1917, le mot cerkov’ perdit sa majuscule. Cette règle

orthographique semble évoluer aujourd’hui. D’un côté, nous trouvons le mot

cerkov’ toujours avec une minuscule dans le Novyj slovar’ russkogo jazyka

(Nouveau dictionnaire de la langue russe) d’Efremova, avec ses deux sens :

це́рковь ж.

1. Религиозная организация духовенства и верующих, объединенная

общностью верований и обрядности.

2. Здание, в котором происходит христианское богослужение; храм155.

Église f.

1. Organisation religieuse des clercs et des fidèles, unie par une communauté des croyances et des rituels.

2. Bâtiment dans lequel se déroule la liturgie chrétienne ; temple.

De l’autre, le Russkij orfografičeskij slovar’ (Dictionnaire russe d’orthographe)

propose deux possibilités :

154 Babkin M., « Svjaščenstvo vyše carstva? O filologičeskoj storone problemy: Rossja, XX–XXI vv». Disponible sur : http://portal-credo.ru/site/. Consulté le 25 mai 2010. 155 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p. 987.

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церковь (религиозная организация; храм) и Церковь (Божественное

учреждение, богосл.; вместо Русская православная церковь)... 156

église (organisation religieuse ; temple) et Église (institution divine,

théologique ; remplace Eglise orthodoxe russe).

Comme le souligne Mixail Babkin, le syntagme "Русская православная церковь"

(Russkaja pravoslavnaja cerkov’ – Église orthodoxe russe) en tant

qu’organisation religieuse s’écrit avec une majuscule sur le premier mot, selon les

normes orthographiques en vigueur aujourd’hui. Voici un extrait tiré du site internet

du Kremlin utilisant cette orthographe :

Перед началом встречи глава государства и Патриарх Московский и

всея Руси Кирилл осмотрели ряд экспозиций, посвящённых истории

Русской православной церкви157.

Avant leur rencontre, le chef d’État et le Patriarche de toute la Russie,

Cyrille, ont visité plusieurs expositions, consacrées à l’histoire de l’Église

orthodoxe russe.

Cependant, nous retrouvons dans les articles de presse, publiés sur le site de

l’Église, des exemples où les trois mots du syntagme "Русская православная

церковь" sont écrits avec une majuscule :

В среднем, еженедельно в интернете этими агентствами

публикуется около двухсот текстов о жизни Русской Православной

Церкви158.

En moyenne, chaque semaine ces agences publient sur internet environ

deux cent textes sur la vie de l’Église Orthodoxe Russe.

La montée en puissance de l’Église orthodoxe russe, à laquelle on assiste depuis

le début des années 2000 en Russie, influence désormais l’orthographe, ce qui

rend les règles de plus en plus floues.

156 Lopatin V.V., Russkij orfografičeskij slovar’, Rossijskoj akademii nauk, version électronique, « GRAMOTA.RU », 2001–2007, Consulté le 21 septembre 2011. 157 Consulté le 25 novembre 2011, http://kremlin.ru/news/13374. 158 Žukovskaja E.E., « Cerkov’ v informacionnom prostranstve Interneta », publié le 11 mai 2008, consulté le 28 novembre 2011, disponible sur le site : http://www.bogoslov.ru/text/298718.html.

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63

Mixail Babkin cite également d’autres syntagmes contenant l’emploi de :

"Российская империя" (Rossijskaja imperija – Empire russe), "Российское

государство" (Rossijskoe gosudarstvo – État russe), "Государственная дума"

(Gosudarstvennaja Duma – Douma d’État), "Святейший синод" (Svjatejšij sinod-

Saint-Synode), "Московская патриархия" (Moskovskaja patriarhija – patriarchat

de Moscou). On peut également rencontrer les formes courtes de certaines

expressions avec une majuscule: Дума, Синод, Патриархия (Duma, Sinod,

Patriaršija). Les titres tels que « Государь Император » (Gosudar’ Imperator-

Souverain Empereur), "Святейший Патриарх Московский и всея Руси"

(Svjatejšij patriarh vseja Rusi – Patriarche de toute la Russie), "Президент

Российской Федерации" (Prezident Rossijskoj Federacii – Président de la

Fédération de Russie) gardent aussi la majuscule dans les textes officiels.

Si nous comparons les majuscules du mot État et du syntagme "Российское

государство" (Rossijskoe gosudarstvo), on voit que leur origine est liée à

différents phénomènes : dans le premier cas, il s’agit de la distinction de sens,

dans le deuxième, des enjeux politiques.

Nous avons décidé de recourir au Dictionnaire de langue russe d’Ožegov et de

Švedova et au Nouveau dictionnaire de langue russe d’Efremova159 pour notre

analyse des définitions du mot gosudarstvo. Comme nous l’avons déjà constaté,

le choix de dictionnaire de langue est multiple et nous sommes obligée de prendre

en compte différentes sources pour distinguer au mieux les traits sémantiques du

mot gosudarstvo.

Le dictionnaire d’Ožegov et de Švedova donne deux définitions du mot

государство (gosudarstvo)160 :

159 Les linguistes russes font également recours au dictionnaire d’Ožegov pour définir le mot gosudarstvo dans leur articles recueillis dans l’ouvrage Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, 448 p. 160 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.141.

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1. Основная политическая организация общества, осуществляющая

его управление, охрану его экономической и социальной

структуры.( L’État est l’organisation politique principale de la société. Elle

la dirige et assure la sécurité de sa structure économique et sociale).

2. Страна, находящаяся под управлением политической организации,

осуществляющей охрану ее экономической и социальной структуры.

(L’État est un pays dirigé par une organisation politique qui assure la

sécurité de sa structure économique et sociale)

Si dans la première définition le mot gosudarstvo (État) est désigné comme

политическая организация (političeskaja organizacija - organisation politique de

la société), dans la deuxième, ce mot change complètement de sens et devient

strana (pays) dirigé par организация (političeskaja organizacija-organisation

politique). Dans les deux définitions, l’expression političeskaja organizacija est

bien présente. En revanche, dans la première, il est précisé que cette organisation

appartient à la société et qu’elle possède un caractère déterminant puisqu’elle

désigne gosudarstvо.

Dans la deuxième définition, cette expression acquiert en effet un rôle secondaire,

car en premier lieu, vient le mot страна (strana-pays).

Nous nous adressons maintenant aux définitions du mot gosudarstvo

mentionnées dans le Dictionnaire de langue russe d’Efremova161, qui sont plus

nombreuses:

(1) Политическая форма организации общества, осуществляющая

управление обществом, охрану его экономической и социальной

структуры. (Forme politique d’organisation de la société qui la dirige et

assure la sécurité de sa structure économique et sociale).

2) а) Страна с определенной политической системой. (Pays ayant un

système politique déterminé).

161 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, Т. 1: А-О, Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.332.

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65

Б) Система органов управления. (Systèmes de services

d’administration)

3) а) перен. Что-то крупное, значительное, занимающее большую

территорию и отличающееся определенной обособленностью,

самостоятельностью. (Sens figuré. Quelque chose d’immense,

d’important et qui diffère par son isolement et par son indépendance).

Б) Место обитания, распространения, преобладания чего-л. (Endroit

d’habitation, de diffusion, de prédominance).

De prime abord, les définitions 1 et 2 d’Efremova ne différent pas beaucoup de

celles du dictionnaire d’Ožegov. Cependant, dans la première, apparait le mot

форма (forma-forme) alors que dans la deuxième, strana (pays) ne se trouve plus

sous la domination de l’organisation politique et devient indépendant.

Si nous cherchons la signification du mot страна (strana-pays), nous trouvons la

définition suivante dans le Novyj slovar’ russkogo jazyka (Nouveau dictionnaire de

langue russe) d’Efremova 162 :

(a)территория, имеющая собственно государственное управление

или управляемая другим государством

(Territoire possédant sa propre administration politique ou géré par un autre

État).

б) население такой территории (Population d’un territoire de ce genre)

Местность, территория, край

(Lieu, territoire, région).

Le pays est défini ici, soit comme un territoire déterminé (dominé par l’État), soit

comme un lieu d’habitation d’un peuple (ou « la population »). Ainsi, à travers le

mot страна (strana-pays) la notion de la population devient implicitement

présente dans la définition государство (gosudarstvo-État).

162 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, Т. 2: О-Я, Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.714.

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66

En comparant le champ sémantique des concepts proches du concept de

gosudarstvo tels que deržava, Rodina, strana, vlast’, sistema dans les œuvres

d’écrivains russes163, Ol’ga Evtušenko arrive à la conclusion que le concept de

strana est plus large que celui de gosudarstvo en raison de connotations que ce

mot acquiert dans les différents textes.

Dans la définition 2 Б du dictionnaire d’Efremova, apparaît un nouveau sens du

terme État : sistema organov upravlenija « système de services d’administration ».

Ol’ga Evtušenko souligne que les auteurs russes considèrent souvent l’État en

tant que système à travers l’emploi d’expressions telles que силовые/властные

структуры (silovye/vlastnye structuri), правоохранительная система (pravo-

ohranitelnaja sistema)….Les auteurs russes recourent également à la métaphore

du mécanisme et aux expressions métaphoriques государственная машина

(machine étatique), государственный аппарат (appareil étatique)164, que nous

analyserons dans notre deuxième chapitre.

La première des deux définitions contenues dans la définition 3 est au sens

figuré : Quelque chose d’immense, d’important et qui diffère par son isolement et

par son indépendance. Ceci s’explique par un phénomène historique,

géographique et linguistique. Tout abord, l’État russe est un pays dont le territoire

a toujours été très vaste. Au début du XIXe siècle, la Russie était devenue l’un des

plus grands États d’Europe.

Ce sens figuré a tout d’abord servi le style poétique. Nous pouvons citer un des

plus célèbres poèmes du diplomate russe et écrivain proche des slavophiles,

Fiodor Tiouttchev, dans lequel la définition 3a trouve son équivalent :

Умом Россию не понять

Аршином общим не измерить

У ней особенная стать

163 Evtušenko O.E., « Koncept « gosudarstvo » v proizvedenijax sovremennyx russkix pisatelej », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, op cit., p.48. 164 Ibid., p.44.

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В Россию можно только верить 165.

La Russie est un pays dont les directions à prendre pour son développement ont

toujours alimenté les discussions entre les slavophiles et les

occidentalistes166.Dans la définition 3b, le mot gosudarstvo est désigné comme

obitanie (lieu d’habitation), ce qui le rapproche du mot naselenie (population), du

mot ljudi (peuple) et du mot zemlja (terre). Dans le Tolkovyj slovar’ russkogo

jazyka (Dictionnaire de langue russe) d’Ožegov nous trouvons la définition

suivante du mot obitaemyj « habité » :

Населенный людьми, имеющий население, вообще такой,

где есть живые существа. Обитаемая земля167.

Cette définition du mot obitaemyj nous renvoie directement au mot zemlja (terre).

Un des sens du mot zemlja est : « страна, государство, а также вообще

какая-нибудь большая территория Земли (высок.). Родная земля. Русская

земля... »168 (pays, État, ainsi que tout grand territoire de la Terre (littér.) Terre

natale. Terre russe).

Selon Igor Uluxanov, auteur d’une étude consacrée à l’étymologie du mot

gosudarstvo, la synonymie entre le mot gosudarstvo (État) et le mot zemlja (terre)

provient de l’origine du sens du mot gosudarstvo – «земля, находящаяся под

управлением государя» (zemlja, naxodjaščajasja pod upravleniem gosudarja –

165Istorija Rossii s drevnejšix vremen do načala XXI veka, pod red., A.N. Saxarov, v 2 t., t.2: S načala XIX do načala XXI, Moskva: AST. Astrel’, Tranzitkniga, 2006, p.222 : « La Russie, s’écrie-t-il, on ne peut pas la comprendre par l’intelligence, on ne peut pas la mesurer avec l’archine générale, elle a une essence particulière. En la Russie on ne peut que croire. » Tiouttchev F., in Strémooukhoff D., La poésie et l’idéologie de Tiouttchev. Thèse, Strasbourg : Commission des publications de la faculté des lettres, 1937, p.146. 166 Slavophile, hist. Se dit d’un partisan de la tradition slave en Russie au XIXe siècle, par opposition à l’occidentaliste, partisan du développement de la Russie sur le modèle européen. Dictionnaire Hachette, Paris : Hachette Livre, 2006 p.1504 et Le petit Larousse 2004, Larousse/VUEF, 2003. 167 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p 428. 168 Ibid., p.229.

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terre régie par le souverain)169. En effet, Vladimir Dal a défini le mot gosudarstvo

de la manière suivante :

…земля, страна государя…170.

… terre, pays régis par le souverain.

Cette synonymie est également fixée par le Dictionnaire de synonymes171 :

Государство, страна, земля (устар.)/большое: держава

(État, pays, terre (vieilli), grand/puissance)

Malgré le fait que cette synonymie est considérée comme vieillie, nous observons

les liens sémantiques entre ces deux mots. Nous analyserons plus en détails les

relations d’équivalence et d’opposition du mot gosudarstvo avec d’autres mots

plus loin. Nous pouvons cependant dès maintenant annoncer que ces rapports

synonymiques ont des origines historiques et sociales aussi bien que

lexicologiques. Suite à notre analyse des métaphores et des associations dans le

discours, nous découvrirons leur interdépendance avec les facteurs

extralinguistiques.

1.3.1. Origine et évolution du mot государство dans les dictionnaires historiques et étymologiques russes.

Nous nous sommes servie, pour notre analyse, de différents dictionnaires, plus

précisément de ceux utilisés par Igor Uluxanov dans son article cité

précédement172 , c’est-à-dire :

169 Uluxanov I.S., « Istorija slova « gosudarstvo », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.226. 170 Dal’ V.I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955. 171 Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika, Moskva: Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 172 Uluxanov I.S., op. cit., p.226-237.

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- Материалы для Словаря древнерусского языка И.И. Срезневского (Le

Dictionnaire de vieux russe d’Izmail Ivanovič Sreznevskij)173. Le dictionnaire

d’Izmail Sreznevskij, lui, constitue un véritable trésor de l’histoire des mots

du vieux russe, en se basant sur des sources des XIème - XIVème siècles.

- Толковый словарь живого великорусского словаря В. Даля – le

Dictionnaire de la langue russe de Vladimir Dal174, qui reflète l’état de la

langue russe du XIXe siècle dans toute sa profondeur : il contient la source

des emprunts, donne les citations et les expressions idiomatiques.

- Этимологический словарь Фасмера – le Dictionnaire étymologique de la

langue russe du linguiste allemand Max Fasmer175, dans lequel

l’étymologie des mots russes est soigneusement recueillie.

- Историко-этимологический словарь Павла Черных – le Dictionnaire

historico-étymologique de la langue russe de Pavel Černyx176.

Dans cet article, Igor’ Uluxanov y construit le schéma des liens étymologiques

suivant :

Государство ← государь ← господарь← господа ‘хозяйство’←

господь gost+pod (gost ‘гость’gast ‘почва, земля’ + pod ‘хозяин,

повелитель’)177.

Gosudarstvo (État) ← gosudar’ (souverain) ← gospodar’ (souverain) ←

gospoda ‘хоzjaistvo’ (messiers «ménage ») ← gospod’ (Dieu) gost+pod

(gost ‘gost’ – invité gast ‘počva (sol, terroir), zemlja (terre)’ + pod ‘хоzjain

(maître), povelitel’ (souverain).

173 Sreznevskij I.I., Materialy dlja slovarja drevnerusskogo jazyka. T 1, Sankt-Peterburg, 1893, p.571-572. 174 Dal’ V.I.,Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955-956. 175 Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T. 1 A-D, T 3 Muza-Sjat, Moskva: Astrel’. AST, 2004, p.446, p.49. 176 Černyx P.Ja., Istoriko-etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka, v 2-x tomax, T 1, Moskva : Izdatel’stvo « Russkij jazyk », 1993, 623 p. 177 Uluxanov I.S., op.cit., p.226-237.

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Comment procède Igor’ Uluxanov pour arriver à ce schéma ? Si nous recourons

au dictionnaire de Pavel Černyx, nous voyons que le mot государство n’a pas

d’article, il n’est mentionné que dans l’article qui définit le mot государь

(monarque, souverain).178 D’après Pavel Černyx, le mot государство,

государьство vient du mot господарьство, deux fois mentionné dans le

Sobornoe uloženie en 1649179. Cependant, Igor’ Uluxanov souligne que le mot

господарьство (gospodar’stvo), formé à partir de господарь (gospodar’), existait

parallèlement au mot государьство (gosudar’stvo), lui même formé du mot

gosudar’. Il s’agissait alors de deux synonymes, tels qu’énoncés dans le

Dictionnaire de langue russe (XIe-XVIIe)180 :

1. Государство. А будетъ кто измђнить из Московскаго

господарства...(Gosudarstvo. A budet’ kto izmenit’ iz Moskovskago

gospodarstva…)

2. Правление, царствование... Рцем о сем, в которыя времена и лета

и при котором господарств... (Pravlenie, carstvovanie…Rcem o sem, v

kotoryja vremena i leta i pri kotorom gospodarstv…Gouvernement, règne..)

D’après Sreznevskij181, le mot государь (gosudar’) est apparu au XIVe siècle et

c’est ensuite, au XVe, qu’est apparu le mot государство (gosudarstvo). Igor

Uluxanov suppose que le mot господарьство (gospodar’stvo), mentionné dans

des documents écrits assez tard, au XVIIe siècle, fut créé plus tôt. Son étymon

господарь (gospodar’) apparaît déjà, selon Uluxanov, au XIe siècle, avec son

sens originel : « glava doma », « vladelec » (maître de maison, propriétaire) et

plus tard, avec un deuxième sens, correspondant au titre de souverain : « И

повелъша имъ бити челомъ господину и господарю князю великому Василию

Васильевичю...(Псков.лет I, 58) » (I povel’’ša im biti čelom’’ gospodinu i

gospodarju knjazju velikomu Vasiliju Vasil’eviču – Et il leur ordonna de se

178 государь, -я, м. – «глава монархического государства», in Černyx P.Ja., Istoriko-etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka, v 2-x tomax, T 1, Moskva : Izdatel’stvo « Russkij jazyk », 1993, p.210. 179 Ibidem. 180 Slovar’ russkogo jazyka XI-XVII vv., V. 4 G-D, Moskva: Nauka, 1977, p.108. 181Sreznevskij I.I., Materialy dlja slovarja drevnerusskogo jazyka. T.1, Sankt-Peterburg, 1893, p. 571-572.

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prosterner devant le souverain, le grand prince Vasilij Vasil’evič) (Pskov I, 58)182.

Igor Uluxanov précise que, plus tard, ce dédoublement s’arrête et que les mots

государь (gosudar’) et государьство (gosudar’stvo) remplacent leurs

synonymes господарь (gospodar’) et господарьство (gospodar’stvo).

Si nous nous basons sur le fait que le mot gosudarstvo est un dérivé de государь

(gosudar’), formé à l’aide du suffixe –ство (stvo), «par analogie : князь –

княжество, царь-царство...» (knjaz’–knjažestvo/prince-principauté, car’–

carstvo/roi-royaume)183, il faut déterminer l’étymologie de gosudar’.

Nous apprenons que le mot государь (gosudar’) a été créé à partir du mot

господарь (gospodar’), défini par Max Fasmer, dans son dictionnaire

étymologique, comme vieilli « господин, повелитель » (gospodin, povelitel’),

«князь в бывшей Молдавии и Валахии » (knjaz’ v byvšej Moldavii i Valaxii)

(prince dans l’ancienne Moldavie et dans la principauté de Valachie)184. Ensuite,

apparaît les différentes formes du mot осударь, сударь, -с (osudar’, sudar’, -s),

utilisés comme formule de politesse. Le mot государь (gosudar’) a souvent

remplacé dès la fin du XVIIIe le mot сударь (sudar’) dans l’expression

«милостивый государь» (milostivyj gosudar’), traduit en français par

« cher monsieur ». Selon Max Fasmer, le mot russe aurait pu être emprunté au

tchèque « hospodář »185. Max Fasmer pense aussi que son origine vient du mot

Господь186 (Gospod’ – Dieu). En effet, si le pouvoir du monarque, du souverain,

est donné par Dieu, cette étymologie est fondée.187

Pavel Černyx ne mentionne pas cette référence, tout en donnant l’étymologie

suivante : gospodar’ - господин (gospodin), владыка (vladyka - seigneur). En

182 Uluxanov I.S., op.cit., p.231. 183 Ibid., p.226. 184 bulgare: господар, serbo-croate, господар, slovène : gospodar, tchèque : hospodar, polonais : gospodarz. In Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T. 1 A-D, T 3 Muza-Sjat, Moskva : Astrel’. AST, 2004, p.446. 185 Ibidem. 186 Ibidem. 187 Один бог, один государь. Ведает Бог да государь. (Un seul Dieu, un seul souverain. Dieu et le souverain ont seuls, le pouvoir de diriger) In Dal’ V., I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955.

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revanche, le mot владыка (seigneur), lui, tient son origine de la langue

ecclésiastique. Igor Uluxanov décrit l’étymologie du mot господь (gospod’) en se

basant sur les travaux de nombreux linguistes, tels qu’Oleg Trubačev, Schütz et

d’autres. Ces linguistes divisent ce mot en deux bases : ghost et pot qui sont

d’origine indo-européenne, mais ils interprètent différemment l’origine du sens du

mot господь (gospod’). Igor Uluxanov présente deux hypothèses, selon lesquelles

la première base ghostĭ signifie : soit гость (gost’ – invité), soit хозяин,

принимающий гостей (xozjain, prinimajuščij gostej – hôte), ou encore provient

de gast-, gasto - поле (pole-champ), пашня (pašnja – champ labouré), луг (lug –

pré). La deuxième base pot signifie хозяин, глава дома, повелитель, владыка

(xozjain maître, glava doma – maître de maison, povelitel’, vladyka - souverain).

Émile Benveniste, linguiste français, en cherchant à comparer le vocabulaire des

institutions indo-européennes, consacre tout un chapitre de son livre188 à l’analyse

sémantique et étymologique du terme hospitalité, ainsi que des deux éléments qui

le composent potis et hostis. Émile Benveniste nous démontre comment le sens

du mot potis évolue ; à son premier sens de « maître » s’ajoute le sens de

« pouvoir » avec le verbe latin potior : « avoir pouvoir sur quelque chose, disposer

de quelque chose ».

En conséquence, il est important de souligner, une fois encore, le rôle joué par

l’étymologie grace à laquelle le sème de pouvoir est présent dans le terme

gosudarstvo. En étudiant le terme hostis, Émile Benveniste retrouve deux sens,

celui d’ « ennemi » et celui d’« hôte », phénomène tout à fait explicable pour le

linguiste, car « l’un et l’autre dérivent du sens de « étranger », qui est encore

attesté en latin ; d’où « étranger favorable – hôte » et « étranger hostile –

ennemi »189. Ainsi, nous croyons que l’interpétation de gost- comme hôte ou

étranger est plus fondée.

Igor’ Uluxanov conclut que les deux interprétations comportent la matrice

commune - хозяин, владыка (xozjain, vladyka - souverain). Il retrouve le sens du

188 Benveniste E., Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Tome 1, Paris : Les éditions de Minuit, 1969, 376 p. 189 Ibid., p.90

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mot gospod’ dans les sources anciennes mentionnées dans le Dictionnaire du

vieux russe (XI-XIVe) : « рабы же ω(т) господин ω(т)бегающе. готово

приимати. »190

Il est aussi intéressant d’analyser la formation de государь (gosudar’), qui, selon

certains linguistes, « n’est qu’un changement phonétique du mot гос-

подарь (gospodar’)»191. En revanche, pour d’autres comme Černyx, cette

explication phonétique n’est pas suffisante. D’après Černyx, la racine –суд- (sud)

(justice) a joué un rôle très important dans la formation du mot государь

(gosudar') et est devenue la base des mots государь (gosudar’), государство

(gosudarstvo). Ce processus phono-morphologique provient de la signification de

la locution верховный судья (verxovnyj sudja - juge souverain). Nous avons

recours aux arguments d’András Zoltán, spécialiste des langues slaves, qui est

favorable à cette interprétation. Dans son article « K predystorii russk.

"Gosudar’" »192, Zoltán pense que l’explication de Pavel Černih est la plus

cohérente. Il adhère à la possibilité de formation du mot gosudar’ par l’association

des mots суд, судить (sud-justice, sudit’ – juger), en citant des textes des

chroniques de Pskov des XVe-XVIe siècles, utilisant ces deux mots193. En

revanche, il estime que cette théorie historico-sémantique, expliquant le

remplacement du mot gospodar’ par gosudar’ et du mot gospodar’stvo par

gosudarstvo, n’est pas assez développée.

Par ailleurs, selon András Zoltán, seul le sens du mot gospodar’ « xozjain,

vladelec » (maître, propriétaire) peut être considéré commun à toutes les langues

slaves. Selon lui, son deuxième sens - chef d’État - a été fixé seulement dans les

langues slaves de l’Est et en serbo-croate. Ainsi, en revenant à l’emploi des mots

gospodar’ et gosudar’ dans les textes du vieux russe, Andraš Zoltan essaie de

démontrer la fausse interprétation donnée par les éditeurs de textes, comme le

Sudebnik (le code de lois) d’Ivan III de 1497 ou le Tsarskij sudebnik (Le nouveau

190 Uluxanov I.S., op.cit., p.232. 191 Ibid., 226. 192 Zoltan A., « K predystorii russk. "Gosudar’" », in Iz istorii russkoj kul’tury, tom II, kniga 1, Kievskaja i Moskovskaja Rus’, Moskva :Jazyki slavjanskoj kultury, 2002, p.554-590. 193 Ibid, p.586.

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code de lois, le code royal) d’Ivan IV de 1550. Selon lui, il n’y a pas assez de

preuves permettant d’interpréter l’abréviation гĉдрь (gĉdr’) par le mot gosudar’194.

En revanche, cette abréviation peut être transcrite par le mot gospodar’, souvent

utilisé au XVe siècle dans son sens « xozjain ». Andraš Zoltan conclut que son

deuxième sens arrive de la principauté de Lituanie dans les documents de la Rus’

de Moscou dans les années 1430-1440. Il constate aussi que « le titre

gospodar de la terre russe dans les chartes de Casimir III195 n’est que calque du

latin dominus Russaie »196, ce qui fait de ce terme un latinisme. En ce qui

concerne les formes gospodar’ et gosudar’ et leurs dérivés

gospodar’stvo/gosudarstvo, mentionnés ci-dessus, András Zoltán suppose que les

formes gosudar’/gosudars’tvo ont remplacé gospodar’/gospodar’stvo à la fin du

XVIe - début du XVIIe siècle.

Pavel Černyx souligne, quant à lui, l’impossibilité de préciser à quel moment de

l’histoire, les mots государство et государь (gosudarstvo, gosudar’) ont

commencé à remplacer господарьство et господарь (gospodar’stvo, gospodar’),

car seule leur forme abrégée est mentionnée dans les documents écrits en vieux

russe, qu’ils soient manuscrits ou imprimés. Nous partageons son opinion et

considérons que ce processus ne peut avoir de frontières chronologiques.

Nous retrouvons en effet deux définitions du mot госоударь (gosudar’) dans le

Dictionnaire du vieux russe (XIe-XIVe siècles)197 :

1. владелец, хозяин: а холопа и половника не соудити твоимъ

соудиамъ безъ г(с)даря. Соудити князю въ новъгородъ. Гр.1304-1305

(1,новг.)...

2. титул великого князя, короля ....

194 Nous reviendrons plus en détails à l’écriture des abréviations dans notre dernier chapitre. 195 Il s'agit du roi de Pologne, Casimir III, dit le Grand. Il réussit à étendre le territoire de son pays grâce à ses nombreuses conquêtes et à rétablir l’importance de la Pologne en Europe. De plus, il reforma la justice, l’administration, la fiscalité, l’enseignement et autres domaines clés. 196 «титул господарь РусскоЂ землЂ русских грамот Казимира III представляет собой не что иное, как кальку латинского dominus Russaie », op.cit. Zoltan A., p.560. 197 Slovar’ drevnerusskogo jazyka (XI-XIV vekov) : v 10 t. AN SSSR In-t russkogo jazyka, gl.Red. R.I. Avanesov. Moskva : Russkij jazyk, 1989, Т.2, p.373-374.

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1. Vladelec, xozjanin : a xolopa i polovnika ne souditi tvoim’’ soudam’’ bez

g(s)dar. Souditi knjazju v’’ novgorod. Gr. 1304-1305

2. Titul velikogo knjazja, korolja : …Vladisla [tak!] ье ml(s)ti korol’

pol’skii.litovskii ruski. Iny(x) zem’ g(s)dr’.

L’auteur décide ainsi qu’il s’agit de la forme abrégée de gosudar’ dans ces

documents datant de 1304 à 1398. En revanche, nous pensons qu’il est difficile de

préciser de quelle forme abrégée il s’agit : господарь (gospodar’) ou госоударь

(gosoudar’). Concernant l’ensemble des documents manuscrits, on ne peut que

supposer que les mots gospodar’ ou gosudar’ s’introduisent dans le vocabulaire

du vieux russe après 1300. D’un côté, cela réfute l’hypothèse d’András Zoltán sur

le moment de l’apparition de ces deux formes. De l’autre, le deuxième sens à

cette époque concernait bien le souverain des terres polonaises et lituaniennes ;

ce qui conduit András Zoltán à conclure que ce sens est arrivé dans le vieux russe

par l’intermédiaire des langues slaves de l’Ouest.

Cherchant à comparer l’étymologie du français et du russe, Sergej Sakhno

propose un nouveau rapprochement entre le mot государь (gosudar’) avec le

terme en vieil-iranien wis-pati - « chef du clan, seigneur ». Selon lui, de cet étymon

iranien pourrait venir le nom de Gaspard (l’un des trois Rois Mages).198

Aujourd’hui, comme le précise Igor’ Uluxanov, le terme государь (gosudar’)

devient un « historisme » et est défini de la façon suivante :

В Древней Руси: князь; в царской Руси: царь199 (Dans l’ancienne

Russie : le prince ; dans la Russie tsariste : le tsar)

De son côté, Vladimir Dal’ propose, dans son dictionnaire, la définition suivante du

mot gosudarstvo :

198 Sakhno S., Dictionnaire russe-français d’étymologie comparée, Paris : l’Harmattan, 2001, p.81-82. 199 Uluxanov I.S., op.cit., p.226.

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Царство, империя, королевство, земля, страна, под управлением

государя. Стар. государствованiе200, власть, санъ и управление

государя. (Royaume, empire, terre, pays gouverné par un monarque. Vieilli.

Gosudarstvovanie (pouvoir et gouvernement du monarque)201

En effet, cette définition n’a rien en commun avec celle utilisée de nos jours et

citée précédemment par Ožegov. Le seul point commun est la présence de deux

mots земля et страна (terre, pays) dans cette définition. Ces mots possèdent

une connotation importante dans la langue russe. La terre (земля, zemlja)

représente toujours pour le peuple russe une source d’inspiration. Elle est

associée à la patrie202 et signifie souvent « pays » à la place du mot

gosudarstvo.203

Nous découvrons également dans la définition de Vladimir Dal’ une référence au

pouvoir (власть-vlast’) et plus précisément au pouvoir du monarque à qui

appartient cette terre. D’après cette définition, l’État russe ne peut être qu’une

monarchie, dirigé par une seule personne (tsar’, gosudar’), exerçant le pouvoir et

le droit de juger, deux principes confiés par Dieu.

La Russie a vécu sous un régime monarchique jusqu’au début du XXe siècle, plus

précisément jusqu’en 1917. Après la Révolution et la fondation de l’État

soviétique, Joseph Staline a réussi progressivement à vaincre et éliminer tous ses

adversaires politiques et, à la fin des années trente, à cristalliser entre ses seuls

200 «устар.управление государством, время правления какого-л. государя». (Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, Т. 1: А-О, Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p..332). 201 Dal’ V.I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955. 202 «Это - моя родина, моя родная земля, мое отечество, - и нет глубже и священнее чувства, чем любовь к тебе», ( Eto moja rodina, moja rodnaja zemlja, moe otečestvo, - i net glubže i svjaščennee čuvstva, čem ljubov’ k nej - C’est ma patrie, ma terre natale et seul l’amour envers elle est le plus profond et le plus sacré de tous les sentiments ». A. N. Tolstoj « Čto my zaščiščaem », in Slovar’ sinonimov russkogo jazyka pod redakciej Evgen’evna A.P., v dvux tomax, Tom 1 A-N, Leningrad: Izdatel’stvo « Nauka », 1970, с.250-252. 203 «Все славянские земли волновались и готовились к восстанию» (Vse slavjanskie zemli volnovalis’ i gotivilis’ k vosstaniju – Tous les pays slaves furent en émoi et préparèrent la révolte), in I.S. Turgenev, Nakanune, Ibidem.

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mains tout le pouvoir en instaurant un régime politique personnel et totalitaire.

Staline fut en quelque sorte l’incarnation du pouvoir absolu, en véritable souverain.

Ici l’étymologie du mot государство (gosudarstvo) trouve son application. Dans

son ouvrage Le stalinisme : origines, histoire, conséquences204, Roy Medvedev,

historien soviétique dissident, explique que le culte de la personnalité de Staline

trouve sa justification, entre autres, dans la tradition russe de déifier les tsars.

C’est l’ignorance profonde, le fanatisme et la foi aveugle du peuple qui ont

engendré le culte des dirigeants. Selon Roy Medvedev, de nombreux cas de

déification se sont produits « aux époques et dans les sociétés les plus diverses,

depuis l’Egypte antique jusqu’aux régimes fascistes du XXe siècle »205.

Au XIXe siècle, le mot царство (carstvo) était encore largement employé en

Russie. Aujourd’hui ce mot a gardé son caractère poétique provenant de la

tradition des contes et des légendes russes qui commencent souvent par « в

некотором царстве, в некотором государстве » (v nekotorom carstve, v

nekotorom gosudarstve)206. Dans la deuxième partie de notre thèse, nous nous

arrêterons sur toutes les associations et les métaphores concernant le mot

gosudarstvo, en nous basant sur de nombreux exemples tirés de dictionnaires, de

la presse et de la vie quotidienne.

Les auteurs du Dictionnaire de la langue russe courante de la Rus’ de Moscou aux

XVIe–XVIIe siècles207, récemment publié, proposent trois définitions du mot

gosudarstvo208, en se basant sur les sources de l’époque :

1. Страна, население которой состоит под одним управлением,

подчиняется единым для всех законам.

204 Medvedev R., Le stalinisme : origines, histoire, conséquences, Paris : Éd. du Seuil, 1972, 637 p. 205 Ibid., p.414. 206 В некиим царстве, в некиим государстве, жил-был богатый купец, именитый человек. (V nekiim carstve, v nekiim gosudarstve, žil – byl bogatyj kupec, imenityj čelovek - Dans un lointain royaume il était une fois un riche marchand, une personne connue) In S. Aksakov, Alen’kij cvetocek. Ibidem. 207Slovar' obixodnogo russkogo jazyka Moskovskoi Rusi XVI-XVII vv. Vyp. 4:Gagara-Gushcha, SPb.: Nauka, 2011, 312 p. 208 Ibid., p.228-229.

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2. Право владения и управления, власть над страной.

3. Население страны и ее правители.

1. Pays, dont la population est soumise à une seule autorité et aux lois

communes pour tous.

2. Droit de possession et d’administration, pouvoir sur le pays.

3. Population d’un pays et ses souverains.

À notre avis, la troisième définition n’est pas assez argumentée, car les sources

mentionnées209 ne démontrent pas clairement que le mot gosudarstvo avait à

cette époque le sens de население страны (naselenie strany – population).

Il nous semble également judicieux de citer les recherches françaises effectuées

sur l’étymologie du mot gosudarstvo. Dans son dictionnaire, Dominique Colas

s’interroge sur la racine du mot russe gosudarstvo210 et tire la conclusion, citée

précédemment, que ses racines « gospodar » ou « ospodar » ont été utilisées

pour désigner un « seigneur », un « propriétaire de terre », un « maître

d’esclaves ». Selon Dominique Colas, le signifiant russe détermine le principe de

l’histoire de l’État russe, au sein duquel il n’y avait pas de « distinction entre

domination politique et rapport de propriété » 211. Ce qui avait fait dire, en son

temps, à Richard Pipes que l’État russe était un État patrimonial212. Richard Pipes

remonte à la Russie médiévale pour démontrer les origines de l’État russe

patrimonial : “The term for property in medieval Russia was votchina (plural,

votchiny). It is frequently met with in medieval chronics, testaments and treaties

between princes. Votchina is indeed the exact equivalent of the Latin patrimonium

and, like it, denotes goods and powers ihherited from one’s father…”213(En Russie

médiévale le terme de propriété était votchina (pluriel, votchiny). Ce terme fut

rencontré fréquemment dans les chroniques médiévales, testaments et traités

209 Comme le souligne Boris Larin, linguiste russo-ukranien, initiateur du Dictionnaire de la langue russe courante de la Rus’ de Moscou aux XVIe–XVIIe siècles, le but était de décrire la langue russe courante en s’appuyant sur les sources connues de l’expression orale et de la correspondance privée. Les auteurs du dictionnaire ont également inclus les termes appartenant au vocabulaire ecclésiastique ou à celui des affaires officielles et largement employés dans la vie quotidienne. 210 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.89. 211 État patriarcal ou patrimonial : Type d’État où la domination est du même type que celle d’un chef de domaine sur ses biens et sur les siens. Ibid. p.102. 212 Pipes R., Russia under the Old Regime.New York: Penguin books, 1974, 360 p. 213 Ibid., p.40.

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entre les princes. Votchina est un effet l’équivalent exact de patrimonium en latin

qui signifie les biens et les pouvoirs hérités du père).

Les origines du mot État, elles, prennent source au Moyen Âge, État dont la

création prévoyait « la distinction entre domination politique et rapport de

propriété».

Comme nous l’avons vu précédemment, l’origine et l’étymologie du mot

gosudarstvo sont liées à l’histoire politique, ainsi qu’à la vie sociale et culturelle.

Les rapports entre les phénomènes linguistiques et historiques trouvent en effet

un vaste terrain de réflexion. Le dictionnaire en langue russe reflète ces rapports

en fixant la définition du mot à un moment précis de l’histoire (synchronie), alors

que les dictionnaires de langue française proposent les différentes définitions du

mot État en diachronie. Les événements historiques et sociaux influencent

constamment l’évolution du mot : son champ lexicologique, son utilisation dans le

discours et dans les dictionnaires sont parfois en décalage.

Nous devons également prendre en compte certains aspects sociolinguistiques

puisqu’il s’agit de la perception par le peuple de la notion d’État/gosudarstvo.

Plusieurs linguistes et sociologues ont analysé l’influence de ces aspects sur le

lexique. Citons par exemple Alekseij Leontiev : « La langue reflète la réalité, c’est

une forme qui permet l’existence de l’expérience historico-social de l’homme. »214.

L’origine du mot государство (gosudarstvo) dans les dictionnaires étymologiques

russes ne reflète ainsi qu’une période de l’histoire de l’État : sa création, selon le

modèle du pouvoir absolu. Si nous considérons le régime stalinien, on s’aperçoit

que l’idée de cet État, lié à la personne d’un monarque au sens étymologique,

apparaît à nouveau en subissant des changements. Il est question cette fois du

pouvoir du dictateur, identifié à l’État. C’est dans la diachronie que nous analysons

l’évolution de ce mot, défini non seulement dans les dictionnaires, mais aussi dans

certaines œuvres littéraires ainsi que dans les documents historiques qui

témoignent de l’expérience du peuple.

214 Sternin I.A., Leksičeskoe značenie slova v reči, Voronež : Izdatel’stvo Voronežskogo universiteta, 1985, p. 26.

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1.4. Définition du mot государство dans les dictionnaires russes spécialisés

Parmi le grand nombre de dictionnaires spécialisés russes, nous avons choisi

ceux qui ont été imprimés et ceux accessibles en consultation libre sur Internet.

Dictionnaires publiés

Nous avons eu recours à trois dictionnaires publiés : au Dictionnaire juridique

encyclopédique (Juridičeskij enciklopedičeskij slovar’), au Dictionnaire

encyclopédique de politologie (Politologija: Ènciklopedičeskij slovar’) et au Lexique

politique de la Russie contemporaine « Parlons correctement ! » (Davajte govorit’

pravil’no! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii). Les deux premiers dictionnaires

définissent le mot et donnent des informations encyclopédiques de caractère plus

ou moins identique. Le Lexique politique de la Russie contemporaine, destiné à un

large public, ne fait, quant à lui, que designer le mot gosudarstvo et donner

quelques expressions sans nous renseigner sur le concept. Ce lexique est en

effet moins spécialisé et peut être plutôt considéré comme un dictionnaire de

langue.

1.4.1. Définition de gosudarstvo dans le Dictionnaire juridique encyclopédique

L’article définissant le mot gosudarstvo dans le Dictionnaire juridique

encyclopédique de Marina Bujanova215 comporte deux sens différents :

1) основной институт политической системы современного

общества и важнейшая форма его организации.

L’institution principale du système politique de la société. Sa forme

d’organisation la plus importante.

2) в гражданском праве – единый субъект гражданского права.

Dans le droit civil l’État est le sujet unifié du droit.

215 Bujanova M.O., Juridičeskij enciklopedičeskij slovar’. Moskva : OOO « Izdatel’stvo Prospekt », 2006, p.146-147.

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Ce dictionnaire définit ensuite les composants ainsi que les caractéristiques et les

fonctions de l’État d'un point de vue juridique, mais ne donne pas d’autres

informations ni sur l’origine de ce concept, ni sur l’histoire de son évolution

1.4.2. Définition de gosudarstvo dans le Dictionnaire encyclopédique de politologie

Dans le Dictionnaire encyclopédique de politologie, nous trouvons une définition à

peu près identique216 :

Государство – основной институт политической системы

общества, организующей, направляющей и контролирующей

совместную деятельность людей, общественных групп, классов и

ассоциаций.

L’État est l’institution principale du système politique de la société, qui gère,

dirige et contrôle l’activité commune des individus, des groupes de la

société, des classes et des associations.

Dans cette définition, il s’agit toujours de l’actant du pouvoir mis en relief, car les

individus, les groupes, les classes et les associations sont dominés par l’institution

politique, à travers la gérance et le contrôle. De plus, ce dictionnaire décrit les

étapes principales de l’évolution de l’État dans les différents pays et nous fournit

plus d’informations sur ses formes et sa nature. Comme nous pouvons le

constater, ni dans la première définition, ni dans la deuxième, il n’est fait référence

au territoire ou au pays, si l’on compare aux définitions de gosudarstvo dans les

dictionnaires de langue. L’élément principal est son caractère institutionnel et

organisationnel.

1.4.3. Définition de gosudarstvo dans le Lexique politique de la Russie contemporaine « Parlons correctement ! »

216 Aver’janov I.Ju, Politologija: Ènciklopedičeskij slovar’, Moskva: izd. PUBLISHERS, 1993, p. 65-70.

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Государство

1. Общность людей, проживающая на определенной территории,

представляемая и организуемая органом высшей власти.

Groupement humain qui vit sur un territoire déterminé, représenté et

géré par une autorité supérieure.

2. Система учреждений, обладающая верховной властью.

Système de services considéré comme une autorité suprême. 217

Si nous analysons la traduction de ces deux définitions, nous pouvons constater

plusieurs éléments communs entre ces définitions et celles du Nouveau Petit

Robert218 :

Groupement humain = общность людей

Un territoire déterminé = определенная территория

Soumis à une autorité = организуемая органом высшей власти

Système d’institutions = система учреждений

Ici, tous les trois traits sémantiques sont exprimés : trait humain, trait

géographique et trait structurel. Nous voyons que ces définitions du mot

gosudarstvo sont plus proches des définitions du mot État que de celles fixées par

les dictionnaires de langue et les dictionnaires spécialisés russes. D’où vient cette

différence dans la détermination du sens du mot gosudarstvo ?

A notre avis, il faudrait prendre en compte le fait que le Lexique politique a été

rédigé par Galina Skljarevskaja, docteur ès lettres et spécialiste lexicographe.

Galina Skljarevskaja est connue en Russie comme l’auteur de plusieurs lexiques,

d’un dictionnaire de la culture orthodoxe et d’un grand dictionnaire de langue

russe du XXIe siècle. Dans son Lexique politique de la Russie contemporaine,

l’auteur essaie de déterminer les mots nouveaux, les emprunts aux différentes

217Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg: Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61. 218 3. Ensemble des services généraux d’une nation, par opposition aux pouvoirs et aux services locaux. 4. Groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une même autorité et pouvant considérer comme une personne morale.

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langues ou les mots déjà connus mais ayant acquis un sens nouveau suite aux

changements sémantiques liés à notre époque.

Selon Galina Skljarevskaja, le mot gosudarstvo a ainsi subi des changements au

niveau historique et social, c’est pourquoi elle essaie de le définir différemment par

rapport aux définitions mentionnées dans les autres dictionnaires. Nous allons

essayer de prouver l’opportunité de ces définitions, en analysant le discours dans

la Russie contemporaine afin de vérifier que ces définitions reflètent bien leur

actualité. Nous pensons que ces définitions ont un caractère novateur et unique,

donc par conséquent, important pour notre recherche.

1.4.4. Dictionnaires spécialisés consultés « on-line »

Nous nous tournons maintenant vers les dictionnaires «on-line» dont le nombre

est très important ; c’est pourquoi nous avons dû nous limiter aux dictionnaires

publiés par les spécialistes en sciences politiques. Ces dictionnaires «on–line»

sont regroupés par l’Encyclopédie politique nationale219, ce qui facilite la

recherche.

Le Dictionnaire de politologie de Valerij Konovalov, professeur en sciences

politiques, donne la définition suivante de gosudarstvo220 :

Важнейший институт политической системы общества, способ

социального бытия человека […] (Une des institutions principales du

système politique de la société, le mode d’existence sociale d’un homme

[…] )

Le mot gosudarstvo est considéré avant tout comme une institution politique, puis

comme un mode d’organisation de l’homme en société. Nous avons deux traits

sémantiques : structurel et humain. En revanche, le trait géographique est absent

219 Disponible sur : www.politike.ru/dictionary. Consulté le 21 mai 2009. 220 Konovalov V.N., Slovar’ po politologii, Rostov-na-Donu : Izd-vo RGU, 2001, 285 p.

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car il n’y a pas les éléments géographiques fixés par les dictionnaires de langue :

pays, territoire.

Le Lexique de politologie de Vassilik et de Veršinin donne encore une autre

définition du gosudarstvo221, dont l'analyse est nécessaire :

центральный институт политической системы, особая форма

организации политической власти в обществе, обладающая

суверенитетом, монополией на применение узаконенного насилия и

осуществляющая управление обществом с помощью специального

механизма (аппарата)

Institution centrale du système politique, forme particulière d’organisation

du pouvoir politique dans la société, possédant une souveraineté, un

monopole, qui a le droit légal de faire l’usage de la force en gérant la

société à l’aide d’un mécanisme particulier (appareil).

Comme dans les définitions précédentes, le trait sémantique principal est

structurel. Il est introduit ici par l’expression « institut ou institution politique ». Cet

institut devient le seul acteur qui possède les caractéristiques d’un tyran suite aux

mots comme monopole, usage de la force, mécanisme (appareil). L’auteur de ce

lexique utilise la métaphore en représentant le concept de gosudarstvo à travers le

concept de mécanisme. Cette métaphore est souvent employée dans le discours

politique222 : nous l’analyserons dans notre deuxième chapitre.

Conclusion

Pour conclure à propos des différences entre les définitions du mot gosudarstvo

dans les dictionnaires de langue et celles fixées par les dictionnaires spécialisés,

nous pouvons constater que, dans la plupart des cas, dans les dictionnaires

spécialisées, le mot gosudarstvo est défini comme une institution politique, une

221 Politologija. Slovar’-spravočnik, M.A. Vasilik, M.S. Veršinin, Moskva : Gardariki, 2001. 328 p. 222 Les linguistes russes Baranov et Karaulov ont beaucoup étudié la métaphore politique russe. Ils ont publié le dictionnaire des métaphores politiques russes parmi lesquelles nous trouvons celle de « Государство – механизм» (Gosudarstvo – mexanizm - L’État est un mécanisme).

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forme du pouvoir politique, qui domine la société et les personnes. En même

temps, dans la plupart de ces dictionnaires, il n’est pas fait référence à la notion

de territoire, autrement dit à l'aspect géographique qui, lui, est bien présent dans

les définitions des dictionnaires de langue. Seul le Lexique politique de la Russie

contemporaine comporte ce trait sémantique géographique. Le Lexique politique

possède également les trois traits sémantiques : humain, géographique et

structurel. Il rapproche ainsi la définition du mot gosudarstvo de celle du mot État

fixée par le dictionnaire de la langue française.

Il est également important de noter que le trait sémantique structurel223 ainsi que

l’actant du pouvoir prédominent dans toutes les définitions dans les dictionnaires

spécialisés. Si nous construisions un schéma d’éléments clés, il serait le suivant :

Государство (État)

Институт (Institution)

Система учреждений (власть) Общество (люди)

(Système de services) (pouvoir) Société (les hommes)

1.5. Dictionnaires bilingues

Nous allons analyser les mots État/gosudarstvo dans deux langues, c’est pourquoi

il est nécessaire de recourir aux dictionnaires bilingues. Nous trouvons facilement

la traduction du terme « gosudarstvo » ou « État » dans les dictionnaires bilingues

généraux et spécialisés. Les articles dans les dictionnaires bilingues spécialisés

comportent, en général, plus d’expressions et de collocations traduites avec les

mots État/gosudarstvo, que les dictionnaires généraux. Le Dictionnaire bilingue

de Vladimir Gak224, qui constitue un vrai trésor pour le traducteur de textes

politiques, est une exception, car il donne la traduction de différentes expressions

223 Nous avons utilisé pour notre analyse de la structure sémantique l’étude de Sylvianne Rémi-Giraud qui a mis en évidence les trois traits sémantiques communs dans le micro-champ lexical des mots peuple, nation, État :

-un trait humain, - un trait géographique, - un trait structurel.

Voir Rémi-Giraud, S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, 33 p. 224 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, 1194 p.

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comportant le mot État, ainsi que ses dérivés. Il est également important de

distinguer, dans les articles des dictionnaires généraux français-russe, les

traductions du sens État (gosudarstvo) des autres sens de ce mot, écrit alors avec

une minuscule état « manière d’être », traduit en russe comme « состояние»

(sostojanie), «положение» (položenie)... Nous avons précédemment évoqué la

polysémie importante du mot « état » et avons précisé que nous nous intéressions

qu’au sens politique et social de ce mot. Certains dictionnaires spécialisés

français-russes ne donnent que la traduction de son sens politique225. La

traduction du mot gosudarstvo en langue française présente moins de difficulté,

sauf s’il est question de ses dérivés ou des locutions avec ce mot. Nous

développerons ce point dans notre quatrième chapitre.

1.6. Analyse comparative des définitions des mots État/gosudarstvo : matrice sémantique commune et traits différents

1.6.1. L’analyse des définitions des mots État/gosudarstvo dans les dictionnaires de langue et les dictionnaires spécialisés d’aujourd’hui et dans les dictionnaires historiques et étymologiques

Tout d’abord cette analyse nous permet de comparer ces définitions et d’établir

des traits sémantiques communs et des différences dans les deux langues. Notre

but est de prouver que malgré une énorme différence entre les origines des deux

mots État/gosudarstvo, il existe un nombre significatif de traits sémantiques

communs ayant différentes relations, aux différentes phases de l’évolution

historique de ces deux concepts.

Différences

Comme nous l’avons constaté précédemment, les premières différences se

trouvent dans l’orthographe. En effet, le mot État prend une majuscule en français,

ce qui n'est pas le cas en russe pour государство (gosudarstvo). Nous avons

225 C’est le cas du Dictionnaire français-russe des termes appartenant au vocabulaire de l’armée et politique de Vasilij Andrianov (Andrijanov V.V., Russko-francuzskij voenno-političeskij slovar’, 20 000 termes, Moskva : Voennoe izdatel’stvo, 1990, p.148).

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supposé que cette orthographe particulière est liée à sa polysémie et permet de

le distinguer de ceux porteurs d’autres sens. Pour preuve, citons Pierre Lerat dans

son exemple : « un dictionnaire juridique est amené à distinguer un État de droit

(qui est une entité politique) et l’état de droit (qui est une soumission à des règles

juridiques) »226.

Mais pourquoi la majuscule a-t-elle été attribuée à une entité politique ? Du point

de vue métaphorique, nous pouvons baser nos arguments sur une

personnification de ce mot dès son origine. L’État a toujours été comparé à un

être : « L’État est un être énorme, terrible, débile... » (Valéry)227 ou « ...Que le plus

grand État ne peut souffrir qu’un maître » (Corneille)228. Nous verrons dans notre

deuxième chapitre que la personnification est très répandue dans le discours

contemporain.

Au contraire d’État, gosudarstvo, apparu comme un terme entièrement politique, a

gardé la minuscule du fait de sa polysémie moins forte.

Dans les deux définitions fixées par les dictionnaires de langue, il existe une

référence à l’ensemble des services (voir la définition 3 de l’État du Nouveau petit

Robert, p.2) et à органы управления (organy upravlenija) (voir la définition 3

d’Efremova, p.6). Pourtant si, dans le dictionnaire français, il s’agit de l’ensemble

d’une nation, dans le dictionnaire russe, on parle plus de l’organisation d’une

société, ce qui présente une particularité sémantique. Selon Dominique Colas le

mot Nation, instauré lors de la Révolution française, est devenu un synonyme

d’État229. Nous avons précédemment développé les origines de cette synonymie.

La présence du mot obščestvo (société) dans la définition de gosudarstvo

constitue une différence sémantique supplémentaire. Nous trouvons dans le

226 Lerat P., Les langues spécialisées, Paris : Presses univesitaires de France, 1995, p.57. 227 Robert T P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.961. 228 Ibidem. 229 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.88.

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Dictionnaire de langue d’Ožegov la définition suivante du mot общество

(obščestvo – société):

Совокупность людей, объединенных исторически обусловленными

социальными формами совместной жизни и деятельности.

Ensemble d’individus, réunis par la vie sociale et l’activité commune

conditionnées par l’histoire230.

Ce dictionnaire cite également certains exemples remontant à la société féodale,

capitaliste. Le rôle de la société dans l’État russe a en effet toujours été très

ambigu. D’après la définition de l’État, nous découvrons les rapports étroits qui

existent entre la société et l’État. D’un côté, l’État organise la société, de l’autre, il

la dirige, entrainant ainsi une idée de domination.

Dans l’histoire de l’État russe, ce phénomène a connu un succès important.

Prenons l’exemple de l’État totalitaire dominant la société : dans un même temps,

la société déterminée par ses lois et ses règles domine l’individu, lui ôtant toute

liberté. Aucun des dictionnaires ne mentionne directement la notion de peuple,

d’humain, dans leur définition de государство mis à part le Lexique politique de

la Russie contemporaine « Parlons correctement ! ». A l’inverse, on trouve de

nombreuses références au peuple et au groupement humain dans les définitions

du mot État.

Le problème lié aux rapports entre la société et l’État a été débattu par de

nombreux philosophes, historiens et écrivains de différentes époques. Dans le

prolongement des théories de Hobbes, Rousseau et Hegel, les droits de l’homme

fixent la frontière entre l’État et la société, leur accordant ainsi un champ

d’activités indépendant. D’après Rousseau, dans l’État idéal, l’homme doit être

libre et vivre en paix231. La paix est pour lui « une entente entre les hommes », par

conséquent la liberté politique est « le pouvoir de vouloir ». Cette théorie de

230 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p 440. 231 Busnel F., Tellier F., Grolleau F. et Zarader J.-P., Les mots du pouvoir, Précis du vocabulaire. Paris : Editions Vinci, 1996, p.109.

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contrat social a été critiquée par Hegel, puisqu’ à son avis, il y a toujours un risque

dans cette liberté où chacun peut mettre en œuvre ses propres désirs. Hegel

rêvait de la cité grecque « qui ne reconnaissait comme homme que celui qui

participait à l’activité politique : le citoyen »232. Mais sa théorie a dépassé le simple

modèle de la Grèce antique car il espérait que « l’État moderne apparaîtrait sous

une forme de synthèse de l’universel et de la particularité »233. C’est la société

civile au sein de l’État qui s’occuperait de la vie privée de l’individu. L’État a

cependant prouvé au cours de l’histoire qu’il reniait l’identité et la particularité au

nom de l’universel. C’est le cas de l’État russe où, malheureusement, à de

nombreuses périodes, il y a eu une forte tendance de la part de l’État à négliger

l’individualité dans la société et plutôt à mettre en relief la communauté, unie par le

même type d’activité et par les mêmes obligations (comme dans l’État totalitaire

de Staline).

Marija Sančes Puig a également souligné la présence du mot nation dans les

définitions du mot estado (État) en le comparant au mot gosudarstvo dans les

langues russe et espagnole, dans son article cité dans notre introduction234 :

estado

Cuerpo politico de una nacion [Pallas 1916] ;…

Administracion, gobierno, nacion, pais [Gran diccionario de sinonimos y

antonymos 1994]…

État

Corps politique d’une nation [Pallas 1916] ; …

Administration, gouvernement, nation, pays [Grand dictionnaire de

synonymes et d’antonymes 1994]…

Il est nécessaire de souligner l’absence significative de nation dans la définition de

gosudarstvo. L’État russe est à l'origine un État où existe une grande diversité

culturelle, des groupes linguistiques et religieux hétérogènes : orthodoxes, juifs,

232 Ibidem 233 Ibidem. 234 Sančes Puig M., «O gosudare, « gosudar’stve » i gosudarstvennosti », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, op.cit., p.223.

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musulmans, bouddhistes et autres. Étant donné son caractère multiethnique, il est

difficile d’appliquer ici le principe d'État-nation à la française, où il est question

d’une certaine homogénéité culturelle, linguistique et religieuse. Malgré sa

diversité et son hétérogénéité, la Russie a connu, elle aussi, des mouvements

nationalistes ; référons nous, par exemple, aux intellectuels russes du XIXe siècle

qui ont trouvé l’idée d’une spécificité nationale dans le romantisme allemand, d’où

vient le courant slavophile, ou aux œuvres de Dostoevskij dont les idées sont

comparées par Dominique Colas à celles de l’historien français Jules Michelet.

Dominique Colas remarque la ressemblance entre ces deux penseurs. Leur idée

était d’unir les différentes nationalités en un grand corps. Cependant, pour Jules

Michelet, l’école serait au centre de ce corps. Dostoevskij, lui, espérait que le

réassemblage des nations slaves se produirait au sein de l’orthodoxie et que

l’Église en serait le cœur. Dominique Colas souligne cette idée d’un peuple

providentiel diffusant son message aux autres peuples, d’où vient la métaphore

commune aux deux penseurs : la comparaison de la France et de la Russie à la

mère235. Cette métaphore est en effet, selon l’auteur, la conséquence de la

personnification de la nation, mot qui vient de « naître », « naissance ». En

Russie, cette personnification est transmise par le mot народ (narod - peuple) qui

vient du mot род (rod – famille, génération). D’après le Dictionnaire étymologique

de Fasmer, le mot род II signifiait «преисподняя» (preispodnjaja - enfer,

géhenne), car les traducteurs slaves ont confondu les mots grecs « aд » (ad -

enfer) et « рождение » (roždenie - naissance)236 à cause de leur consonnance.

D’autres crises nationalistes brutales ont touché la Russie tsariste. Comme le

constate Andreas Kappeler, professeur allemand d’histoire russe, la politique de la

Russie tsariste s’oriente depuis 1831 vers l’accroissement de la répression, « en

commençant par le bannissement des Tatars de Crimée et des Tcherkesses, en

passant par la violente réaction au soulèvement polonais de 1863…, les nouvelles

235 « Sauver les races en les initiant. Non pas les changer, mais faire qu’elles soient elles-mêmes : comme la mère qui ne soulève pas l’enfant mais lui tend la main, non le doigt. » (Michelet J., Cours au Collège de France, t. II, p.462). 236 Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T 3 Muza-Sjat, Moskva : Astrel’. AST, 2004, p.490.

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mesures prises contre les Germano-Baltes…jusqu’aux attaques lancées sous

Nicolas II contre les Finlandais et les Arméniens », en y ajoutant « la

discrimination et la ségrégation des Juifs »237. Plus tard, il y a eu l’expulsion des

Juifs par Staline et l’effondrement de l’Union soviétique suivi par des mouvements

indépendantistes ; c’est pourquoi aujourd’hui les dictionnaires préfèrent éviter le

mot « nation » dans leurs définitions de gosudarstvo. Néanmoins, nous verrons

que le concept d’État-Nation a également été propagé en Russie, même si son

impact fut moins fort qu’en France.

Du point de vue diachronique, l’analyse des origines des mots État/gosudarstvo

révèle plus de différences sémantiques que de ressemblances. Selon leur

formation historique, les mots État/gosudarstvo n’ont pas le même étymon.

Comme nous avons pu le constater, le mot état provient du mot latin status,

« action de se tenir » et « situation, position ». Marija Sančes Puig précise qu’il est

question de la même formation pour les termes qui désignent ce concept en

espagnol, italien, anglais, allemand : stato, state, staat238. La racine

indoeuropéenne –sto- apparaît aussi dans le russe dans le verbe стоять

(stojat'- se tenir débout) : Праслав. *stojati, *stojo§… др.-инд. sthitas "стоящий",

греч. statТj -- то же, лат. status239.

Le substantif status provient du verbe latin stare (se tenir débout)240. Marija

Sančes Puig démontre alors le sème commun « стоять, быть» (stojat’, byt –se

tenir débout, être) des mots tels que estado (état), estable (stable), estatuo

(statut), estatua (statue)241.

Le mot gosudarstvo, en revanche, trouve ses origines slaves dans gospodar’ ou

ospodar’, employés pour désigner « un seigneur », un « maître ». Donc, on peut

parler de l’actant du pouvoir qui prend une place importante dans le champ

237 Kappeler A., La Russie. Empire multiethnique, traduit de l’allemand par Guy Imart, Paris : Institut d’études slaves, 1994, p.235. 238 Sančes Puig M., op.cit., p.222. 239 Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T. 1 A-D, T 3 Muza-Sjat, Moskva : Astrel’. AST, 2004, p.769. 240 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.927 241 Sančes Puig M., Op.cit., p.222.

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sémantique du mot gosudarstvo dès ses origines. Plus tard, à la fin du XVe siècle,

le mot État est utilisé pour désigner un « groupement humain soumis à une même

autorité » (voire la définition du Nouveau petit Robert) et ensuite pour désigner

(1549) « l’autorité souveraine qui s’exerce sur l’ensemble d’un peuple et d’un

territoire » (deuxième définition du Nouveau petit Robert). Selon cette dernière

définition, il comprenait déjà les traits humain, géographique et structurel.

Le mot gosudarstvo, apparu au XVe siècle et signifiant « акт правления » (akt

pravlenija – action de gouverner), « государствование » (gosudarstvovanie -

règne)242, ne faisait aucune référence aux traits humain et géographique. Il y avait

une référence évidente à l’autorité, au pouvoir, au règne d’un monarque. L’actant

du pouvoir est bien présent ici, sauf qu’il s’agit de l’autorité d’une seule personne

(le monarque). Nous considérons ce trait comme étant un trait structurel, car, cet

actant du pouvoir sert de noyau central dans la définition du mot gosudarstvo.

Nous insistons sur le fait que c’est le plan synchronique plutôt que le plan

diachronique qui est au centre de notre recherche, puisque nous avons

essentiellement porté notre intérêt sur l’état actuel du sens de deux mots.

Aujourd’hui nous pouvons constater qu’il existe plus de ressemblances au niveau

sémantique grâce à notre analyse des définitions du mot gosudarstvo, apparues

dans les dictionnaires de langues modernes.

Ressemblances

Tout abord, le mot politique/политический-ая (političeskij-aja) apparaît autant

dans les définitions françaises que russes, ce qui indique l’appartenance des mots

au vocabulaire politique. Le mot territoire est bien présent dans les définitions

française et russe. Le mot déterminé qui caractérise le territoire dans la définition

de l’État prend en compte les limites, le marquage de l’espace, tandis que dans la

définition ce marquage va plus loin puisque le mot gosudarstvo est désigné dans

la langue russe comme un pays (страна-strana).

242 Černyx P.Ja., Istoriko-etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka, v 2-x tomax, T 1, Moskva : Izdatel’stvo « Russkij jazyk », 1993, p.210.

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En analysant les mots qui définissent État/ gosudarstvo, nous avons rencontré un

phénomène de rapprochement des définitions à une certaine époque, puis un

éloignement. Bien évidemment, nous nous sommes surtout intéressée à l’état

actuel de ces mots ; néanmoins, l’analyse diachronique nous a permis de

constater les modifications de sens, suite aux phénomènes linguistiques ou

historiques. Ainsi, la notion d’autorité souveraine, traduite en russe comme

verhovnaja vlast’ présente un grand intérêt du point de vue du rapprochement et

de l’éloignement.

En France, « l’État a émergé dans un duel entre la monarchie et le pays prédivisé

en trois états : l’état noble, l’état clérical, l’état tiers ou roturier »243. Louis XIV

aurait eu la formule que « l’État c’est moi »244, ce qui fait référence à la notion

d’autorité souveraine, au pouvoir du monarque, qui a influencé les définitions

russes de l’État dans le dictionnaire de Vladimir Dal245. En France, suite à

l’apparition des États Généraux et à l’établissement de la République, il s’agissait

dorénavant du pouvoir du peuple et de sa souveraineté. Le Nouveau petit Robert

a gardé l’autorité souveraine dans sa définition, sans pour autant préciser qui

représente cette autorité. L’expression власть государя (vlast’ gosudarja -

pouvoir du monarque) a été mentionnée dans la définition de Vladimir Dal, puis,

plus tard, cette expression a été remplacée par политическая организация

(političiskaja organizacia -organisation politique) dans le Dictionnaire de langue

d’Ožegov. Ce remplacement est du à la révolution de 1917 et à l’établissement de

l’État soviétique. Cependant, la notion de верховная власть (verhovnaja vlast’ –

autorité souveraine), bien présente dans la définition de власть (vlast’)246 sert

d’équivalent à государственная власть (gosudarstvennaja vlast’ - pouvoir

d’État, pouvoirs publics) dans le dictionnaire d’Ožegov. Nous pouvons donc

conclure que le changement de régime politique a entrainé un changement

243 Dupont, N. « Les familles de patrie, état, nation » In Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.178. 244 L’État, c’est moi, la phrase que Louis XIV aurait prononcée lors de la séance du parlement du 13 avril 1655, considérée comme la devise du pouvoir absolu. ROBERT, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928. 245 Dal’ V., I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955-956. 246Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.86.

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sémantique dans la langue russe, alors qu’il a laissé telle quelle la définition

française.

Nous avons également pu constater un autre phénomène : l’absence des mots

droit/право (pravo) dans les définitions des mots État/gosudarstvo. Si nous

observons de nombreux syntagmes utilisant État/gosudarstvo, nous découvrons,

par exemple, dans les dictionnaires spécialisés247 État de droit/Pravovoe

gosudarstvo. Nous étudierons ces expressions plus en détail dans le quatrième

chapitre de notre thèse.

En nous référant à nos conclusions sur les définitions du mot et du concept d’État

dans les dictionnaires spécialisés, rappelons que les spécialistes en sciences

politiques définissent en général l’État comme une forme institutionnalisée qui

possède les trois éléments déterminés : un territoire délimité par des frontières,

une population et un gouvernement. Dans les dictionnaires spécialisés russes le

mot gosudarstvo est souvent représenté comme une institution politique ou une

autorité, qui domine la société. Enfin, nous pouvons constater un certain

rapprochement lexical des deux notions dans les dictionnaires russes et français

modernes, qui peut être notamment expliqué par le changement politique et social

que l’État russe a connu depuis sa fondation et, surtout, au cours des vingt

dernières années. Les phénomènes linguistiques, historiques et culturels illustrent

les traits communs lexico-sémantiques de ces deux mots. Le schéma suivant met

en évidence ce rapprochement lexical (il s’agit là d’expressions plus ou moins

équivalentes sur le plan sémantique et non pas de traductions) :

État государство

1) ensemble des services ↔ система учреждений

2) territoire (déterminé) ↔ (определенная) территория

3) forme institutionnalisée ↔ институт, политическая организация

4) groupement humain ↔ общность людей

D’après ce schéma, il devient clair qu’il s’agit dans les deux mots de trois traits

communs : structurel qui prédomine (1,3), géographique (2) et humain (4). La

247 Lakenal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2005, p.164.

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95

question que nous pouvons nous poser alors concerne l’interdépendance de ces

traits. Il faut établir les champs lexico-sémantiques pour essayer de déterminer

cette interdépendance. Pour le moment, nous avons prouvé notre première

hypothèse concernant l’existence des traits sémantiques communs entre ces deux

mots à partir de leurs définitions dans les dictionnaires. Il nous faut maintenant

développer notre deuxième hypothèse, selon laquelle la perception de ces deux

mots et de ces deux concepts, que ce soit dans le discours politique ou dans celui

de tous les jours, en français et en russe, diffère de leurs définitions établies dans

les dictionnaires. Il est important de rappeler que, d’un côté, nous considérons que

le dictionnaire est un discours qui sert à normaliser des significations et, d’un autre

côté, c’est un discours imparfait, car il ne peut refléter tous les mouvements lexico-

sémantiques ainsi que historiques et culturels. Nous devons donc utiliser un autre

discours pour révéler ces mouvements.

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Chapitre 2

La perception d’État/gosudarstvo à partir des métaphores dans le discours politique

2.1. Les métaphores dans le discours politique

Comme nous l’avons souligné dans notre introduction, le rôle des métaphores est

déterminant dans la construction du système conceptuel humain. Aujourd’hui

nombreux sont les linguistes (Georges Lakoff et Mark Jonson, Georges Kleiber,

Anatolij Baranov, Jurij Karaulov, Anatolij Čudinov, Eduard Boudaev, Vladimir

Beliakov, Inna Khmelevskaja et d’autres) qui ont étudié les métaphores dans le

discours politique et qui ont publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur

ce sujet.

Parmi les publications françaises récentes, nous pouvons citer l’ouvrage de

Jacques Dürrenmatt La Métaphore 248 qui ne présente pas toutes les théories sur

la métaphore, mais montre comment certaines approches ont pu changer la vision

classique de cette dernière, et l’article de Hugues Constantin de Chanay et de

Sylvianne Rémi-Giraud, « Espèces d’espaces : approche linguistique et

sémiotique de la métaphore » 249. Ces derniers essaient de répondre à deux

questions fondamentales relatives à la métaphore spatiale : la première

concernant la place de la métaphore spatiale et la deuxième le fondement du

processus métaphorique, en abordant ce sujet dans une perspective pluri-

sémiotique. Hugues Constantin et Sylvianne Rémi-Giraud développent également

la notion classique de la métaphore, en tant que « phénomène de transfert fondé

sur la ressemblance, observable dans les énoncés linguistiques et que fige parfois

248 Dürrenmatt J., La métaphore, Paris : Editions Champion, 2002, p.84. 249 Constantin de Chanay H., Rémi‑Giraud S., « Espèces d’espaces » : approche linguistique et sémiotique de la métaphore », in Mots. Les langages du politique, n° 68, 2002, p.75-105.

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la langue : point de vue « verbo-centrique» qui semble être celui de la rhétorique

la plus classique »250.

A l’origine, comme chacun sait, la métaphore vient en effet du grec metaphora qui

signifie transposition. Dans le Nouveau Petit Robert la métaphore est toujours

définie comme une figure de rhétorique : « procédé de langage qui consiste à

employer un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique,

sans qu'il y ait d’élément introduisant formellement une comparaison »251. Pendant

une longue période, dans la linguistique, la métaphore reste un phénomène

purement langagier, considéré comme un des tropes. Parmi ces derniers elle se

trouve dans des rapports très étroits avec l’allégorie, la personnification, la

métonymie et la synecdoque. Pour certains linguistes, par exemple, pour César

Chesneau Dumarsais, « l’allégorie est présentée comme « une métaphore

continuée » : tous les mots d’une phrase ou d’un discours allégorique forment

d’abord un sens littéral qui n’est pas celui qu’on a le dessein de faire entendre :

« les idées accessoires dévoilent ensuite facilement le véritable sens qu’on veut

exciter dans l’esprit »252. Nous verrons plus loin que la personnification est

directement classifiée parmi les métaphores par de nombreux chercheurs.

Rappelons aussi que la métaphore contient dans sa définition le mot

« comparaison », donc sa proximité avec la comparaison, d’après Jacques

Dürrenmatt, est évidente : « Aristote préfère en l’occurrence considérer la

comparaison comme une métaphore développée en ce que le est comme vient

éclairer le simple est »253. Nous préférons distinguer la métaphore de la

comparaison, même si nous présentons quelques exemples de cette dernière

dans notre analyse. Jacques Dürrenmat note aussi que la tradition linguistique voit

dans la métaphore une manière, parmi d’autres, de faire une image, en lui fixant

l’appartenance à l’extraordinaire qui devrait être contestée.

250 Ibid., p.75. 251 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 252 Durrenmatt J., La métaphore, Paris : Editions Champion, 2002, p.18. 253 Ibidem.

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Selon Hugues Constantin et Sylvianne Rémi-Giraud, « d’autres perspectives

pourtant ont étendu le concept de métaphore au-delà des limites des langues »254.

Parmi les approches les plus connues dans lesquels la vision classique de la

métaphore a été largement dépassée, les deux auteurs, ainsi que Jacques

Dürrenmat, citent l’approche de George Lakoff et Mark Johnson qui considèrent

la métaphore de manière plus générale, comme un processus cognitif

fondamental : «notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à

agir, est de nature fondamentalement métaphorique »255 ; «c’est parce qu’un

concept est structuré métaphoriquement que l’activité et, par conséquent, le

langage le sont aussi»256. La métaphore nous permet ainsi de «comprendre

quelque chose et d’en faire l’expérience en termes de quelque chose d’autre »257.

Ainsi, nous essayons à l’aide des métaphores d’État et de gosudarstvo de prouver

notre hypothèse concernant la différence entre les définitions fixées par les

dictionnaires et celles proposés par le discours politique. Si le concept est

présenté à travers les métaphores, c’est également à travers elles que nous

pouvons relever les caractéristiques propres à ce terme. Nous y ajoutons

également les métaphores de la France et de la Russie, car il ne s’agit pas

toujours des mêmes images. Les mots France et Россия (Rossija) sont des

désignations géographiques, en étroite liaison avec les mots pays et страна

(strana), qui sont à leur tour synonymes partiels d’État et de gosudarstvo.

2.1.1. La structure de la métaphore du point de vue cognitif

Parmi les études des linguistes russes, il faut souligner l’importance des travaux

sur la métaphore dans le discours politique, effectués par Anatolij Baranov, Jurij

Karaulov et Anatolij Čudinov, lesquels ont analysé le fonctionnement de la

métaphore du point de vue cognitif. Ce sont ces études qui sont à l’origine de nos

254 Constantin de Chanay H., Rémi‑Giraud S., « Espèces d’espaces » : approche linguistique et sémiotique de la métaphore », in Mots. Les langages du politique, 68, 2002, p.76. 255 Lakoff G., Johnson M., Les métaphores dans la vie quotidienne. traduit de l'américain par Michel de Fornel; avec la collaboration de Jean-Jacques Lecercle. - Paris : Éditions de Minuit, 1985, p.13. 256 Ibid., p.15. 257 Ibidem.

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recherches sur les métaphores d’État et de gosudarstvo. L’approche cognitive

préconise que la métaphore est analysée en tant que « phénomène langagier

complexe composé de deux éléments : domaine/source et domaine/cible (voir par

exemple Max Black258) »259. Prenons comme exemple la métaphore фундамент

советского и (российского) государства (fundament sovetskogo (i

rossijskogo) gosudarstva »260 - les fondements de l’État soviétique (et russe),

dans laquelle la source subsidiaire ou focus est « фундамент» (fundament –

fondements) et la cible est le concept de «государство» (gosudarstvo).

Cette théorie est également décrite dans l’ouvrage de Jacques Dürrenmatt, qui

nous renvoie à la théorie d’Anne-Marie Diller. Pour éclaircir le fonctionnement de

la métaphore conceptuelle, Anne-Marie Diller rappelle l’origine grecque du

mot « métaphore »: « métaphorien, de meta (au-delà) + pherein (porter) » 261. Elle

définit le domaine-source dont les éléments seront transportés dans un domaine-

cible, dans le but de pouvoir conceptualiser ce domaine-cible. De plus, toujours

selon la théorie interactionnelle de Max Black, le domaine-source et le domaine-

cible possèdent des « frames » qui se subdivisent en « slots » 262.

258 Pour Black, la métaphore est une phrase, une énonciation qui contient certains mots employés métaphoriquement alors que le reste des mots ne le sont pas. Black propose d’appeler « focus » le mot métaphorique, et « frame » le reste de la phrase. Ce rapport entre la focalisation sur un mot et le « cadre » entier de l’énoncé est à la base de la production métaphorique. Black, Max (1979). “More about Metaphor,” in A. Ortony (ed): Metaphor & Thought. 259 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.185. 260 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metaphor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.103. 261 In Cohérence métaphorique, action verbale et action mentale en français, Communications 53, 1991, p.210. 262 Nous gardons les termes « frame » et « slot » empruntés aux linguistes anglosaxons par leurs homologues russes. Les linguistes français préfèrent traduire le terme « frame » par « cadre » et le terme « slot » par « emplacement ». Ces deux termes sont largement utilisés dans la linguistique cognitive, en particulier en sémantique des cadres (frame semantics). Par exemple, Thierry Grass, linguiste français, emploie le terme de cadre dans son article « Une relation hiérarchique non classique : la relation "chef" ». Il se sert du FrameNet, une base lexico-sémantique, élaborée par les linguistes américains Charles Fillmore et Collin Baker. Comme le précise Thierry Grass, la base FrameNet « a pour hypothèse que l'on associe à chaque mot un sens qui est décrit non par une situation au sein d'un réseau de synonymes plus ou moins éloignés, mais par un cadre (activité, événement ou état) impliquant plusieurs participants et que ces participants sont assujettis à des contraintes syntaxiques spécifiques imposés par les mots associés au sens décrit par le cadre et jouent ainsi des rôles sémantiques prédéfinis », in Grass T., "Une relation hiérarchique non

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Anatolij Čudinov, linguiste russe, définit « frame » comme « unité de

connaissances sur un certain concept qui possède des données importantes sur

lui »263, à son tour le « frame » peut comprendre plusieurs « slots » qui précisent

différents aspects de « frame ». Le linguiste cite en tant qu’exemple le « frame »

« вооружение» (vooruzenie - armement), dont la source ou cible est « война»

(vojna - guerre) qui comporte plusieurs « slots » : « огнестрельное оружие»

(ognestrel’noe oruzie - armes à feu), « боевая техника» (boevaja texnika -

équipement militaire), « боеприпасы» (boepripasy - munitions de guerre)…

2.1.2. Pourquoi la métaphore ?

Aujourd’hui les hommes politiques, via les médias, ont souvent recours à la

métaphore comme moyen d’explication des termes politiques complexes ; les

journalistes le font également pour attirer l’attention des lecteurs. Leur but est de

rendre leur discours plus expressif ; en vue de séduire le lecteur voire même de le

manipuler.

Nous devons prendre en compte cet objectif car les métaphores politiques ne

servent pas seulement à désigner des concepts, mais aussi contribuent à la

construction conceptuelle d’une façon active pour des raisons politiques, ce qui

peut engendrer le changement complet du sens d’un concept chez le destinataire.

Celui-ci ne peut plus penser et agir par lui-même et sa construction conceptuelle

est influencée par l’énonciateur de ces métaphores. En quelque sorte, nous

voulons mettre en évidence la divergence existant entre les dictionnaires qui

proposent des définitions dans un but de normalisation et le discours politique qui

utilise les concepts pour leur propagande. Autrement dit, les dictionnaires et le

discours politique se trouvent en confrontation, ayant des buts et des moyens

différents. Selon notre hypothèse, les traits sémantiques et les caractéristiques

diffèrent aussi.

classique : la relation 'chef'' ", in Les Nouveaux Cahiers d’Allemand, n°3/2011, Nancy, pp. 307-324.

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2.2. Analyse comparative

2.2.1. Méthodologie de comparaison

Anatolij Čudinov a étudié non seulement la métaphore dans le discours politique

russe, mais également apporté une grande contribution dans l’analyse des

modèles métaphoriques politiques étudiés par les linguistes étrangers de

différentes cultures. Le linguiste a développé, notamment, les études de George

Lakoff, linguiste américain, lequel a travaillé non seulement sur la métaphore dans

la vie quotidienne, mais aussi sur la métaphore politique. Plus particulièrement,

Anatolij Čudinov s’est intéressé à l’étude scientifique de George Lakoff intitulée

«Métaphore et guerre : Système des métaphores pour justifier la guerre en

Irak»264. Dans cette étude l’auteur développe le rôle de la métaphore dans le

discours politique et, en particulier, celui des métaphores du mot État265.

Anatolij Čudinov a proposé, dans son ouvrage, plusieurs méthodes d’analyse des

métaphores dans différentes cultures. Parmi ces méthodes il a décrit :

- la comparaison des métaphores dans une langue à travers leur

traduction dans une autre langue ;

- la comparaison parallèle des métaphores dont la cible est la même,

mais les sources différentes ;

264 Budaev E.V., Čudinov A.P., Zarubežnaja političeskaja lingvistika. Moskva : Izdatel’stvo Flinta, 2008, p .97-113. 265 Budaev E.V., Čudinov A.P., op.cit. « Государство концептуализируется как индивид, вовлеченный в общественные отношения в мировом сообществе. Его территория является его домом. Он живет в окружении соседей, у него есть друзья и враги. Представляется, что государства обладают врожденными характеристиками: оно может быть мирным или агрессивным, ответственным или безответственным, трудолюбивым или ленивым» « L’État est conceptualisé en tant qu’une personne qui est introduite dans la société sur le plan international. Son territoire est sa maison. Il vit, entouré de voisins, il a des amis et des ennemis. Les États possèdent ainsi des caractéristiques d’un humain : l’État peut être paisible et agressif, responsable et irresponsable, assidu et paresseux. » Ici, il s’agit de la personnification, processus commun pour le discours français et russe. « Существует метонимия близкая к метафоре «Государство – как индивид»: Правитель вместо государства.» Vient ensuite une métonymie qui est proche de la métaphore, le chef d’État au lieu de l’État. Nous essayons de faire le parallèle entre ces métaphores dans le monde anglophone, français et russe.

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- la comparaison successive : on analyse d’abord les métaphores dans

une langue pour les comparer ensuite aux mêmes métaphores dans

une autre langue ;

- la comparaison contrastante, c’est-à-dire la recherche de l’équivalent

d’un modèle métaphorique dans une autre culture266.

Anatolij Čudinov est arrivé à la conclusion que toutes ces méthodes se

complètent, c’est pourquoi nous avons décidé d’utiliser plusieurs méthodes à la

fois. Nous décrirons d’abord les métaphores dans le discours français et ensuite

celles dans le discours russe. Nous comparerons ces modèles selon leur domaine

source, pour souligner les similitudes ou les différences des « frames ». Cette

analyse des métaphores d’État et de gosudarstvo nous permettra de les présenter

sous forme de classification d’après leur source. Nous constatons, en outre, que

les métaphores avec la même source peuvent posséder des « frames » et des

« slots » différents, ce qui témoigne des particularités nationales des modèles

métaphoriques des deux cultures.

2.2.2. Les études antérieures

Les études d’Anatolij Čudinov sont importantes pour notre analyse comparative,

puisque le linguiste compare la métaphore théâtrale et monarchique dans les

discours russe et américain. Il nous semble aussi indispensable de mentionner la

thèse de Natalija Šextman, qui a comparé les métaphores « Politika – ėto sport »

(La politique, c’est du sport) et « Politika – ėto teatr » (La politique, c’est du

théâtre) dans les discours russe et américain267. La nouveauté scientifique

apportée par cette thèse est la révélation de nouvelles caractéristiques qui

témoignent d’une différence nationale des images dans le discours politique, ainsi

que d’un grand nombre de ressemblances métaphoriques dans le discours de ces

deux pays. Natalija Šextman est arrivée à la conclusion que le discours politique

266 Ibid., p.180-187. 267 Šextman N.G., Sopostavitel’noe issledovanie teatral’noj i sportivnoj metafory v rossijskom i amerikanskom političeskom diskurse, dissertacija kandidata filologičeskix nauk, Ekaterinburg, 2006, 227 p.

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de la nouvelle Russie a fait beaucoup d’emprunts aux discours politiques d’autres

pays et, en particulier, des États-Unis. Ce phénomène est également très répandu

dans le lexique russe ; les termes sportifs sont par exemple des emprunts à

l’anglais.

Natalija Šextman cite ainsi Vitalij Kostomarov, spécialiste en langue russe, qui

donne des exemples de l’emprunt à l’anglais : прессинг (pressing), форсинг

(forsing -forcing), аутсайдер (autsajder-outsider), спурт (spurt-final), смэш

(smeš–smash)… 268. Parmi les similitudes constatées, elle souligne les

représentations communes dans les discours américain et russe, par exemple :

предвыборная кампания - соревнование на скорость (predvybornaja

kampanija – la campagne préélectorale) - (sorevnovanie na skorost’ – compétition

de vitesse), группа политиков– спортивная команда c запасными игроками,

тренером (gruppa politikov – sportivnaja komanda s zapasnymi igrokami,

trenerom – un groupe de politiques est une équipe sportive avec des remplaçants

et un entraîneur), et d’autres encore.

La composition des « frames » dans la métaphore sportive est souvent identique

dans les deux discours, à l’exception du frame «Правила состязаний и

наказания» (Pravila sostjazanij i nakazanija – Règles de jeux et sanctions). En

effet, le « frame » « Наказание спортсменов » (Nakazanija sportsmenov –

sanctions des sportifs) est absent dans le discours américain.

En conclusion, Natalija Šextman constate la popularité des métaphores

conceptuelles « Politika – ėto sport » (La politique, c’est du sport) « Politika – ėto

teatr » (La politique, c’est du théâtre) dans les deux discours, malgré une légère

différence dans les frames ou dans les slots. La linguiste souligne qu’il existe une

plus grande fréquence du lexique lié aux compétitions et à la vitesse dans les

textes américains, comme le « slot » « Favorites, leaders et outsiders » qui est

deux fois plus utilisé dans le discours américain que dans les textes russes.

Šextman constate aussi que le travail en équipe est plus conséquent chez les

hommes politiques russes, que chez leurs homologues américains, ces derniers

268 Ibid., 69.

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104

préférant le travail individuel. Ces différences mettent en évidence des traits

culturels spécifiques.

Dans sa thèse La Russie et la France : stéréotypes nationaux et leurs

représentations métaphoriques : dans les journaux français et russes269, Oksana

Šaova décrit les métaphores principales de la Russie. Son objectif était de

comparer les images de l'État russe, parues dans la presse française, à celles

parues dans la presse russe contemporaine. En analysant les journaux tels que

Le Monde, Libération et l’Humanité, Šaova a conclu que ces derniers utilisent les

métaphores conceptuelles pour représenter l’image de la Russie. Elle en distingue

trois types : métaphores typiques au discours français, métaphores universelles et

métaphores empruntées au discours russe.

D’un côté, de son point de vue, les stéréotypes continuent à apparaître dans la

presse française, où il est souvent question d’une image négative de la Russie : le

président russe est un membre d’un monde criminel ; la vie culturelle de la Russie

est une guerre270.

D’un autre côté, malgré la forte présence des stéréotypes, certaines métaphores

tentent de créer une image positive : la Russie et l’Occident maintiennent une

entente cordiale, l’économie de la Russie est en pleine croissance271. Les

conclusions et les exemples des métaphores étudiées par Oksana Šaova, ainsi

que par Natalija Šextman, sont importants pour nous, car ces derniers permettent

de confirmer notre hypothèse concernant l’universalisme des métaphores

auxquelles les discours français et russe ont recours. Ces études permettent

également de révéler certaines spécificités liées à la perception de ces concepts

par ces deux cultures.

269 Šaova O. A., Rossija i Francija : nacional’nye stereotipy i ix metaforičeskaja representacija : Na materiale francuzskix i rossijskix gazet, dissertacija kandidata filologičeskix nauk, Ekaterinburg, 2005, 207 p. 270 Voir Annexe I Metaforičeskij obraz Rossii vo francuzskoj presse (Image métaphorique de la Russie dans la presse française). 271 Ibidem.

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La publication de Vladimir Beliakov « La réalité russe à travers la métaphorisation

des discours médiatiques »272 s’est également avérée être une contribution

importante à l’étude des métaphores conceptuelles dans le discours russe. Dans

les énoncés tirés des articles de presse publiés dans l’hebdomadaire russe

Argumenty i Fakty (les Arguments et les Faits) entre 2002 et 2005, l’auteur a pu

montrer quelques métaphores de la Russie d’aujourd’hui :

• La Russie est un corps humain ;

• la Russie est une maison ;

• la Russie est une famille ;

• la Russie est un animal ;

• l’État est une machine ;

• la Russie est un chantier.

Au cours de notre analyse, nous verrons que ces modèles métaphoriques sont

aussi mentionnés dans le dictionnaire de Jurij Karaulov. Vladimir Beliakov a

effectué une analyse quantitative des expressions métaphoriques dans les textes

médiatiques et les a divisées en trois catégories selon leur domaine-source :

« L’homme et la nature », « L’homme et la société », « Les outils et les résultats

de l’activité humaine ». Cette distinction lui a permis d’affirmer que « dans la

catégorie « L’homme et la société », les métaphores militaire, historique, sportive

et mécanique sont les plus récurrentes273. Dans le discours ce sont les

métaphores réunies dans la catégorie « L’homme et la nature » qui prédominent,

parmi lesquelles « les métaphores physiologique, animalière et alimentaire restent

de loin les plus fréquentes274 ».

272 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », in Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, pp. 31-58. 273 Ibid., p.56. 274 Voir le tableau du classement des métaphores recueillies, Annexe II.

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2.2.3. Les métaphores « universelles » rencontrées dans la presse française et la presse russe

L’analyse des métaphores dans la presse française et la presse russe a, en effet,

révélé un certain nombre de métaphores dites « universelles », terme employé

par les linguistes russes. D’après Eduard Budaev et Anatolij Čudinov, ces

modèles métaphoriques sont typiques pour toutes les époques et cultures275. Les

linguistes insistent sur le fait que suite aux changements politiques, les modèles

métaphoriques peuvent évoluer et leur fréquence varier.

2.2 4. Les métaphores propres aux deux cultures

Il existe également des métaphores que l’on ne peut pas appeler « universelles ».

Néanmoins, une métaphore reste commune à, au moins, deux pays, comme

« France-monarchie » et « Rossija – monarhija », malgré les représentations et

fréquences différentes dans le discours, ce qui n’est pas le cas pour les États-

Unis276.

Ces résultats pourraient-ils témoigner des ressemblances dans le processus de

métaphorisation, tant chez les Français que chez les Russes ? Nous essaierons

de répondre à cette question en comparant les « frames » des modèles

métaphoriques et en utilisant l’approche diachronique, puisque l’histoire de

l’évolution des images peut expliquer certains processus dans la construction

conceptuelle de ces deux pays.

275 Budaev E.V., Čudinov A.P., Zarubežnaja političeskaja lingvistika. Moskva : Izdatel’stvo Flinta, 2008, p.23. 276 Anatolij Čudinov compare la métaphore monarchique dans le discours russe à ses équivalents dans le discours des Etats-Unis. In Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.223.

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2.3. Analyse de la métaphore d’État dans le discours paru dans la presse française d’aujourd’hui 2.3.1. Les études antérieures

Nous constatons qu’il n’existe pas beaucoup d’ouvrages français qui recueillent

les métaphores politiques les plus utilisées dans la presse. Nous n’avons trouvé

que celui de Rafika Kerzazi-Lasri, intitulé La métaphore dans le commentaire

politique277, dans lequel cet auteur étudie la nature et la fonction de la métaphore

à travers des articles de presse. Comme nous l’avons constaté précédemment, il

existe en revanche un grand nombre d’ouvrages et d’articles consacrés à la

métaphore en général. Plusieurs philosophes, écrivains et linguistes se sont

penchés sur les métaphores du corps, de l’organisme et nous devons donc

prendre en compte leurs études.Nous suivrons l’exemple de Rafika Kerzazi-Lasri

qui s’est interrogée, d’un côté, sur la nature de la métaphore et, de l’autre, sur son

fonctionnement et son rôle dans le commentaire politique. Elle a eu recours à la

classification de George Lakoff et Mark Johnson afin d’analyser la nature des

métaphores. Dans cette classification, Rafika Kerzazi-Lasri distingue les

catégories métaphoriques suivantes 278 :

1. La métaphore d’orientation (deux processus : spatial et temporel qui

sont à la base de la construction métaphorique) :

- la métaphore spatiale (organisée par rapport à une direction

déterminée, le haut/ le bas, l’extérieur/l’intérieur/, le devant/le

derrière);

- la métaphore temporelle (que Rafika Kerzazi-Lasri ne développe

pas)279 ;

277 Kerzazi-Lasri R., La métaphore dans le commentaire politique, Paris : l’Harmattan, 2003, 176 p. 278 Kerzazi-Lasri R., op.cit., p.18-20. 279 Ce processus temporel joue un rôle important dans le système de représentation et se trouve en étroite liaison avec l’espace. Selon Andrée Borillo, l’élaboration des métaphores temporelles s’inscrit dans un processus dynamique pour exprimer le déplacement. Elle cite par exemple des expressions où les adjectifs de dimension peuvent être interprétés dans un sens temporel : « court signifiant bref (pour un court instant), étendue signifiant durée (sur toute l’étendue de l’hiver), raccourcir signifiant perdre en durée (les journées racourcissent)… ». Borillo A., « Le déroulement

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2. la métaphore ontologique (notions abstraites qui deviennent

concrètes) ;

3. la métaphore de la personnification ;

4. la métaphore de contenant ;

5. la métaphore organique (emprunts au champ du corps, à l’organisme

humain).

De plus, Rafika Kerzazi-Lasri a analysé les structures métaphoriques et les a

réparti en trois grands groupes selon le degré de figement : les métaphores figées

lexicalisées (qu’on peut trouver dans le dictionnaire), les métaphores semi-figées

et les métaphores libres ou créatives. Rafika Kerzazi-Lasri a également distingué,

selon leur catégorie grammaticale, les métaphores nominales, verbales,

adjectivales et adverbiales.

Nous porterons une attention particulière à la valeur de la métaphore en tant

qu’outil expressif et à son rôle d’évaluation positive ou négative, selon le but de

l’énonciateur, ainsi qu’à sa place dans le texte. Nous constatons que les

journalistes utilisent souvent la métaphore avec le mot État dans les titres. Comme

le souligne Anatolij Čudinov, l’utilisation de la métaphore dans le titre d’un article,

ou d’un roman, est une volonté de l’auteur d’attirer au maximum l’attention du

lecteur. Anatolij Čudinov développe le rôle de la métaphore dans le titre en liaison

avec le texte de l’article et conclut qu’il s’agit de « moyens stylistiques spéciaux

qui peuvent susciter des effets différents 280 :

• l’effet de « l’attente trompée » : le lecteur comprend la métaphore utilisée

dans le titre, soit d’une façon inexacte281, soit ne comprend pas qu’il s’agit

d’une métaphore282 ;

temporel et sa représentation spatiale en français », in Syntaxe et figuration du monde. Cahiers de praxematique, 27, Montpellier : Université Paul-Valéry, 1996, p.121-123. 280 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.172-179. 281 Dans l’article avec le titre « Холодная война» (« La guerre froide ») (revue Expert) il ne s’agit pas de la guerre froide entre les Etats, mais de la concurrence entre les fabricants de glace. Ibidem.

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• l’effet de « l’attente renforcée » : le lecteur doit deviner le sens de la

métaphore pour être sûr de ses suppositions ; il doit lire l’article283 ;

• l’effet de « l’attente justifiée » : le sens de la métaphore est assez clair pour

le lecteur.

Nous essaierons également d’analyser le rôle des métaphores avec le mot État

dans le titre, avec liaison au contexte. Contrainte cependant de nous limiter dans

le corpus étudié, nous n’analyserons que les métaphores nominales et verbales à

travers des exemples précis tirés de quelques hebdomadaires et quotidiens, sans

prétendre, en aucun cas, au caractère exhaustif de ce travail.

2.3.2. Procédures et corpus d’analyse

Suivant l’exemple de Rafika Kerzazi-Lasri, nous avons décidé d’avoir recours à la

presse, qui reste une source importante du discours politique. Nous avons choisi

la presse quotidienne en particulier, car cette dernière est destinée aux lecteurs

non-spécialistes et peut ainsi intéresser un large public. Nous n’avons,

malheureusement, pas trouvé de corpus englobant des textes médiatiques, c’est

pourquoi nous avons été obligée de chercher par nous-même les métaphores

possibles d’État dans différents articles de journaux français. Nous nous sommes

tournée vers des quotidiens sur internet tels que Le Monde.fr, rubrique « France »,

Liberation.fr, Le Figaro.fr, Le Point.fr, L’Express.fr et à des hebdomadaires tels

que Le Nouvel Observateur, rubrique « Politique », Politis.fr... Grâce à nos

recherches, nous avons pu ajouter à notre corpus des propos d'hommes politiques

et des slogans de partis politiques. Nous allons analyser les exemples classifiés

d’après leur source : si la cible est toujours « État », les sources peuvent être

différentes284.

282 Anatolij Čudinov cite l’exemple du titre « Новобрачные при смерти» (« Les jeunes mariés sur leur lit de mort ») de la revue Expert, dans l’article il s’agit de l’union de deux banques avec un faible potentiel et non de la santé des jeunes mariés. Ibidem. 283 Čudinov nous renvoi à nouveau au titre de l’article tiré de la revue Expert « Kak podnjat’ den’gi ? », dans lequel il s’agit d’utiliser de façon efficace le marché des prêts d’Etat. Ibidem. 284 Anatolij Čudinov propose de distinguer quatre catégories de modèles métaphoriques, qui comprennent à leur tour plusieurs sous-catégories284 :

1. La métaphore anthropomorphe (métaphore corporelle, « organisme », « famille » etc..) ;

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110

2.3.3. Les métaphores d’État dans la presse française contemporaine

• La métaphore de personnification Nous avons remarqué que la personnification de l’État se rencontre souvent dans

la presse écrite française. Selon Rafika Kerzazi-Lasri, ce processus métaphorique

est en effet « plus fréquent et plus simple du point de vue du fonctionnement »285.

Comme Rafika Kerzazi-Lasri le souligne dans son analyse de la métaphore dans

le commentaire politique : « pour George Lakoff et Mark Johnson, la

personnification est une catégorie générale qui recouvre une grande variété de

cas différents donc chacun repère un aspect de la personne ou une façon

différente de la considérer »286. Voici quelques exemples de la personnification de

l’État :

1. L’État est comparé à une personne concrète : « État-arbitre », « État-

pompier », « État-père Noel », « État-père fouettard » ... ;

2. l’État est une personne active ou passive ;

3. l’État est un criminel ;

4. l’État est son propre chef.

Analysons maintenant plus en détail la structure des types de métaphores et le

fonctionnement de ces métaphores dans leur contexte. Dans le premier groupe se

trouvent essentiellement des expressions de caractère métaphorique qui viennent

des notions telles qu’État-gendarme, État-patron. Les notions « d’État-gendarme »

et « d’État-patron » sont fixées pas les dictionnaires spécialisés :

L’État-gendarme : Qualification donnée à l’État dont les seules fonctions

sont des fonctions de défense nationale, police, justice, relations avec

l’étranger.287

2. La métaphore de la nature (par exemple, la métaphore animalière) ; 3. La métaphore sociale ; 4. La métaphore artéfact. N’importe quel phénomène d’origine humaine peut représenter une

source : « Bâtiment », « Machine », « Moyen de transport ». 285 Kerzazi-Lasri R., op.cit., p.19. 286 Ibidem. 287 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigé par G.Hermet, Armand Collin, p.110.

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L’État patron est un État entrepreneur, un agent économique dont le métier

est de combler rationnellement les facteurs de production – travail, capital,

organisation, technologie – en vue de produire ou de fournir, à des coûts

supportables par la collectivité, des biens et services marchands ou non

marchands.288

Les notions d’État-gendarme et d’État-patron proviennent des idées sur le rôle de

l’État et, avec le temps, elles ont engendré de nouvelles images à partir du même

comparant : État-arbitre289, État-pompier290 ou encore État père Noël291. Nous

croyons que l’expression État-arbitre peut être expliquée à travers une métaphore

sportive car une des définitions du mot « arbitre » dans le dictionnaire de langue

est suivante :

Personne désignée pour veiller à la régularité d’une compétition sportive,

de manœuvres militaires. Juge-arbitre.

Certains linguistes, en analysant le recours de l’énonciateur aux métaphores

sportives dans le discours politique, en citent plusieurs exemples.292 Nous

pouvons constater que, selon le contexte, ces métaphores ne sont pas forcément

porteuses d’une connotation positive, comme dans l’extrait suivant :

288 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.168. 289 « L'État appelé en arbitre dans l'affaire Molex », in La Dépeche.fr, publié le 12 mars 2009, http://www.ladepeche.fr/article/2009/03/12/, Consulté le 15 janvier 2010. 290 « L’État pompier » est le titre de l’article du Figaro dans lequel il s’agit de l’intervention de l’État dans la crise économique pour aider les entreprises ainsi qu’apporter des aides dans le domaine social et élaborer en même temps des projets diverses (aides aux chômeurs, jeunes etc.), http://www.lefigaro.fr/debats/2009/, Consulté le 15 janvier 2010. 291 « La fin de l'État Père Noël » est le titre de l’article de Nicolas Baverez, http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2007-Consulté le 15 janvier 2010. 292 Denis Barbet dans son article « La politique est-elle footue ? » analyse les métaphores sportives, notamment du football dans le discours politique à travers la presse écrite (Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Humanité, Le Progrès), consultés en particulier les lendemains d’élections et lors d’événements liés au football, depuis les années quatre-vingt. Denis Barbet souligne l’importance du rôle de la métaphore sportive lors les élections. Par exemple, selon lui, « la métaphore du match est omniprésente : Dominique de Villepin / Nicolas Sarkozy : Le grand match (sondage sur un forum consulte en mai 200610)…Le gouvernement est aisément identifié par les journalistes à une équipe, et le président, assimilé au sélectionneur sportif. » in Mots. Les langages du Politique Numéro 84 (2007) Politiquement sportif, p.14 www.cairn.info/, Consulté le 15 février 2010.

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On connaissait l’État patron, l’État pompier, l’État gendarme, on a

maintenant l’État Père Fouettard. Depuis quelques temps maintenant, l’État

multiplie les obligations qu’il impose aux entreprises. Obligations sur

l’embauche de seniors, de handicapés, sur la rémunération des dirigeants,

sur la lutte contre le stress au travail, etc.…293

Dans cet extrait, l’auteur énumère plusieurs notions pour arriver à celle à

caractère métaphorique – l’État Père Fouettard. Cette comparaison de l’État avec

le personnage, dont on se servait pour menacer les enfants, est ironique. L’auteur

de cet article critique une intervention excessive de l’État dans les affaires des

entreprises et le nombre croissant des obligations imposées par l’État à ces

dernières, car il y a un grand risque de les décourager et de les « infantiliser ».

• La métaphore familiale

La métaphore familiale est tout à fait typique du discours français. Si l’État français

est associé au père, la France l’est à la mère. La France est en effet depuis

longtemps personnifiée et représentée par une femme. Dans son article consacré

aux métaphores dans le discours du XVIIIe siècle « Telo, semja, mašina : igra

social’nyx metafor vo Francii XVIII v. » 294 (Le corps, la famille, le mécanisme : le

jeu des métaphores sociales en France au XVIIIe siècle), Ljudmila Pimenova,

historienne, décrit plusieurs cas de personnification295.

293 Izraekewicz E., « L’Etat Père fouettard », in La Tribune.fr, publié le 22 octobre 2009, http://www.latribune.fr/blogs/le-blog-d-erik-izraelewicz/20091022trib000441199/l-etat-pere-fouettard.html, Consulté le 20 janvier 2010. 294 Pimenova L.A., « Telo, semja, mašina : igra social’nyx metafor vo Francii XVIII v. », in Odissej, Moscou : Nauka, 2007, p. 148-168. 295 Ljudmila Pimenova présente comme exemple la gravure, consacrée au moment où Louis XVI était courroné pendant lequel la France représentée par une femme avec le sceptre vient à l’autel pour couronner le roi. Un autre exemple date de 1781 où la France était représentée par une femme avec l’héritier bébé dans les mains. Bibliothèque Nationale de France. Département des estampes. Collection de Vinck.

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Nous avons également retrouvé différentes images, gravées sur des estampes.

Sur une des estampes figure entre autre le roi Louis XVIe et la figure féminine

allégorique de la France qui lui transmet la Constitution de 1791296.

Plus tard, la Révolution recourt à l’allégorie féminine : la France républicaine est

présentée par une femme portant un bonnet phrygien et offrant son sein à tous les

Français. La symbolique du bonnet phrygien prend son origine dans l'Empire

Romain, quand les esclaves libérés portèrent un chapeau de ce type, appelé

pileus pour afficher leur liberté. L’allégorie féminine apparaît sur les estampes de

1792 et sur les différentes peintures décrivant la Révolution297. Il est intéressant

de noter qu’à cette époque certaines images distinguent la France royale de la

République ; on observe par exemple sur une image, la France et la République

représentées par deux femmes. Il est question d’une allégorie où la France,

accompagnée de Minerve vient complimenter la République, pour avoir rétabli les

droits de l’homme298.

Citons l’exemple de la métaphore maternelle tellement bien décrite dans les vers

de Joachim du Bellay299 :

France, mère des arts, des armes et des lois, Tu m’as nourri longtemps du

lait de ta mamelle, Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle, Je

remplis de ton nom les antres et les bois…300

Maurice Agullon, professeur et écrivain français, et Pierre Bonté, journaliste à la

radio et à la télévision, dans leur livre « Marianne, les visages de la République »

ont étudié les différentes images de Marianne qui représentent la République et

qui changent au cours de l’histoire de l’État français. Les auteurs s’interrogent sur

l’origine de cette allégorie féminine qui est due soit au fait que les mots France et

République sont féminins ou soit à la culture européenne et de l’antiquité où les

296 Voir Annexe III (1) « Louis XVI reçoit la Constitution de 1791 des mains d’une figure allégorique de la France », source gallica.bnf.fr, Bibliothèque nationale de France. 297 Agulhon M., Bonte P., Marianne, les visages de la République, Paris : Gallimard, p.13. 298 Voir Annexe III (2). 299 Bordas E., Les chemins de la métaphore, Paris : Presses universitaires de France, 2003, p.22. 300 Il s’agit ici selon Eric Bordas de la métaphore filée, car nous pouvons observer la continuité et le développement de la matrice sémantique fondatrice de l’image de la France en tant qu’une mère dans une séquence large d’un paragraphe.

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valeurs abstraites prennent le genre de leur nom. Nous pouvons ajouter à cette

liste des noms féminins tels qu’Egalité, Raison, Liberté, qui sont également

représentées par des femmes301. En effet, le genre grammatical entraîne

l’allégorie féminine. Par ailleurs, comme le précise Maurice Agullon, la

République française fondée en 1792, prend l’image de la Liberté venue de Rome.

Le problème lié à la représentation à la fois de la République et de la Liberté est

de savoir laquelle des deux doit porter le bonnet phrygien ; sur laquelle des deux

têtes doit-il apparaitre ? La République l’emporte finalement, obtenant ainsi le

bonnet et un franc succès d’abord parmi les révolutionnaires, puis parmi le reste

du peuple.

Marianne apparaît sur les emblèmes officiels, mais perd son monopole de ceux de

la cinquième République. C’est Charles de Gaulle qui rompt, en 1958, la tradition

de médailler les présidents de la République. En ce qui concerne la presse, en

quittant son rôle dominant, Marianne prend la place d’épouse du chef de l’État.

D’après Maurice Agullon et Pierre Bonté, l’image de Marianne devient plus neutre

ou plus familière dans la presse depuis.

Aujourd’hui l’allégorie féminine est aussi bien répendue dans la presse :

La France, mère patrie des Lumières et des droits de l'homme, est aussi

celle du cynisme politicien.302

Cette métaphore est dotée ici d’une évaluation négative, car la citation affiche une

opposition : d’un côté, la France est mère patrie des Lumières et des droits de

l’homme et d’autre mère patrie du cynisme politicien. La suite de cette phrase est

beaucoup plus explicite :

On en a une nouvelle preuve avec deux affaires qui rappellent que notre

République française a quelque chose d'affreusement bananier303.

301 Voir Annexe III (3-4). 302 « Et si on faisait du 14 Juillet la fête des nouveaux Français ? ». L’article de Jacques Marseille, publié le 19 juillet 2007 in Le Point.fr, http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2007-07-19/ Consulté le 3 mars 2010.

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L’auteur considère la France comme une république bananière, « apparemment

démocratique, mais régie par les intérêts privés de la prévarication (comme les

régimes de l’Amérique centrale dominés par de grandes sociétés agricoles) »304.

Dans l’exemple suivant, l’État est comparé à la fois au père et à la mère. L’auteur

utilise ici l’antithèse père-mère pour renforcer son regret de l’État-père sévère,

qu’il était autrefois, car maintenant il est question d’une image caricature d’une

Mama italienne, obèse, désespérée, harcelée :

L'État, père sévère des fondateurs de la République, devient une Mama

obèse, dispendieuse, à la fois implorée et décriée, désespérée par le

chômage, tourneboulé par des grèves cérémonielles, harcelée par des

catégories adonnées à la détestable prise en otages des usagers305.

D’un point de vue théorique, la métaphore familiale connaît une longue histoire

dans différentes cultures. Ljudmila Pimenova, mentionnée ci-dessus, démontre les

origines de la métaphore familiale dans la tradition de l’Antiquité et du

christianisme et la classe parmi les métaphores « universelles ». Elle fait référence

aux œuvres de Platon et d’Aristote où est employée cette métaphore. Elle évoque

également des ouvrages français tels que l’Encyclopédie méthodique de Charles-

Joseph Panckoucke, qui utilise cette métaphore dans son article « Société »306.

Nous verrons que le discours russe a également recours à cette métaphore et

qu’avec le temps, sa valeur connotative, elle aussi, a subi des changements.

Revenons à présent à l’image de l’État-patron qui est d’origine positive, mais qui

peut acquérir une connotation défavorable dans la presse française :

Et, conscient du « risque de soulever un tollé », il va jusqu'à chiffrer le coût

pour l'État-patron des 10 % de fonctionnaires en trop à « 150 milliards de

303 Giesberg F.-O., « Circulez, il n’y a rien à voir », in Le Point.fr, publié le 24 septembre 2009, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/381842.Consulté le 10.01. 2009. 304 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 213. 305 Imbert C., « Crédible, la gauche ? », in Le Point.fr, publié le 10 mai 1997, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/97803. Consulté le 22. 02. 2010. 306 « Chaque famille forme une société naturelle dont le père est le chef », in Encyclopédie Méthodique. Jurisprudence. Paris : 1787. T. 7. p. 609.

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francs, l'équivalent de la perte du Crédit lyonnais, à ceci près que ce coût

est un coût répétitif annuel307

A la suite de sa mauvaise gestion, l’État-patron est obligé de licencier et devient

ainsi le premier licencieur d’Europe :

Razzy Hammadi, secrétaire national PS aux services publics: "L'État, malgré

la crise, demeure le premier licencieur d'Europe" avec "100.000 emplois

supprimés depuis 2002, 50.000 dans l'Education nationale"308.

On peut rencontrer la personnification « le chef d’État au lieu de l’État» 309 dans la

presse française. Comme nous l’avons déjà mentionné, ce procédé métonymique,

proche de la métaphore, est décrit par George Lakoff dans son étude scientifique

« Métaphore et guerre : Système des métaphores pour justifier la guerre en Irak ».

Georges Lakoff insiste sur le fait que pour le monde anglo-saxon, ce modèle

métaphorique n’apporte qu’une connotation péjorative310. Dans le cas étudié, le

contexte de la métaphore "dans l'État Sarkozy" et l’appartenance de l’énonciateur

au Parti Socialiste prédéterminent une appréciation négative de l’énonciateur

envers l’État. Si, selon George Lakoff, dans le monde anglo-saxon, cette

métaphore ou plutôt métonymie ne s’adresse qu’aux chefs considérés comme

illégitimes, dans la presse française, elle peut aussi toucher les chefs d’État tout à

fait légitimes.

307 Toscer O., « Le rapport qui fait scandale » in Le Point.fr, publié le 20 octobre 1997, http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2007-Consulté le 22 mars 2010. 308 « Manif pour Fonction publique à Pairs : réactions politiques », in Le Parisien.fr, rubrique Flash actualité – Politique, publié le 21 janvier 2010, http://www.leparisien.fr/flash-actualite-politique/manif-pour-la-fonction-publique-a-paris-reactions-politiques-21-01-2010-786439.php, Consulté le 01 janvier 2010. 309 Le député PS Pierre Moscovici a jugé que l'on était "dans l'État Sarkozy", en dénonçant "l'appropriation du pouvoir par un homme, par un clan, par une équipe". In Le Figaro.fr, publié le 12 avril 2009, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/04/12/01011-20090412FILWWW00092-moscovici-on-est-dans-l-etat-sarkozy.php. Consulté le 19 mars 2010. 310 « Подобная метонимия применима лишь к тем лидерам, которые осознаются как незаконные». « La métonymie pareille n’est employée que quand il s’agit des chefs qui sont considérés comme illégitimes ». In Budaev E.V., Čudinov A.P., Zarubežnaja političeskaja lingvistika. Moskva : Izdatel’stvo Flinta, 2008, p. 103.

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Les journalistes et les hommes politiques comparent souvent l’État soit à une

personne active, dynamique, pleine de qualités, prête à agir, soit à une personne

passive, fainéante qui n’a pas envie de bouger, ou encore à une victime :

- Exemple d’une personne active : l'État ne restera pas les "bras ballants",

déclare Estrosi311. Ici l’État est présenté comme une personne active qui ne

veut pas rester sans agir.

- Exemple d’une personne passive : La présidente du comité international

pour la préservation de Lascaux, basé à Oakland (États-Unis, Californie),

avait dénoncé "la politique de l'autruche" de l'État français, inquiète que "la

grotte ne soit plus sous supervision scientifique depuis juin"312.

- Exemple de l’État-victime : L'État français victime de hackers313, La France

souffre du manque d'investissement de ses entreprises314…

• La métaphore criminelle

La métaphore « l’État est un criminel » transmet l’évaluation négative envers

l’État. Voici un extrait de l’article paru dans le Monde :

Cette année, le détournement direct sera de plus de 200 millions d'euros.

Pire que cela, l'État organise les détournements à venir à hauteur de 307

millions d'euros", a dénoncé dans un communiqué le président de l'AD-PA,

Pascal Champvert315.

311 Publié le 12 janvier 2010 in France 24.com, http://www.france24.com/fr/20100112-renault-clio-turquie-letat-restera-pas-bras-ballants-clare-estrosi -Consulté le 5 janvier 2010. 312 Ici l’Etat français joue un rôle d’une personne qui refuse de voir le danger pour la célèbre grotte préhistorique de Dordogne, car selon les scientifiques la prolifération de micro-organismes commence à se propager dans la grotte et ces micro-organismes risqueraient mettre en danger les peintures et les gravures vieilles de 18.000 ans. http://actu.dna.fr/Consulté le 25 mars 2010. 313 C’est le titre de l’article dans lequel il est question du danger que représentent les hackers pour le système informatique en France. http://www.lepoint.fr/actualites-technologie-internet/2007-. Consulté le 25 mars 2010 314 In L’Expansion.com, publié le 18 mai 2009, http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/ Consulté le 26 mars 2010. 315 « L’Etat accusé de détourner les fonds de la journée de solidarité », In LeMonde.fr, publié le 18 novembre 2009, http://www.lemonde.fr/economie/article/2009/11/18/l-etat-accuse-de-detourner-les-fonds-de-la-journee-de-solidarite_1268945_3234.html, Consulté le 27 avril 2010.

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Ici, l’État, accusé d'un crime important, le détournement de fonds et se trouve

donc comparé à un criminel. Dans l’exemple suivant l’État est présenté comme

une association de malfaiteurs.

S'il (le dirigeant d’Elf) ment, alors l'État est une association de malfaiteurs,

s'il dit vrai, alors l'État est un syndicat d'incapables316.

Nous verrons que la métaphore criminelle est un phénomène très répandu dans le

discours russe et, par conséquent, beaucoup étudié par des linguistes russes317.

Nous comparerons également la personnification de l’État français à celle de l’État

russe.

• La métaphore corporelle de l’État

La métaphore corporelle ou la métaphore de l’organisme furent employées dans

les œuvres des philosophes tels qu’Aristote318 ou Machiavel. Cette métaphore a

été étudiée par des philosophes et linguistes contemporains tels que Max

Black319, George Lakoff et Mark Johnson, Anatolij Čudinov, Ljudmila Pimenova et

autres. Si nous parlons de la métaphore en tant que moyen de construction

conceptuelle, la formation même de l’organisme de l’État, sa naissance, peut être

comparée à celle du corps humain320.

Le linguiste russe, Anatolij Čudinov, applique l’approche diachronique et analyse

l’évolution de la métaphore corporelle dans l’Antiquité. Il découvre sa présence

316 Revel J.-F., « L’étatisme sauvage », in Le Point.fr, publé le 2 février 2002, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/67647, Consulté le 3 avril 2010. 317 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.172-179. 318 Aristote compare l’État à un organisme : « Dans un tel organsime, le tout l’emportera sur les parties », in Cassier E., Le Mythe de l’Etat, Paris : Editions Gallimard, 1993, p.359. 319 Black, Max (1954). Metaphor,”Proceedings of the Aristotelian Society, 55, pp. 273–294. Black, Max (1962). Models and metaphors: Studies in language and philosophy, Ithaca: Cornell University Press. Black, Max (1979). “More about Metaphor,” in A. Ortony (ed): Metaphor & Thought. 320 Marsille de Padoue établit le parallèle entre le corpus vivant et communauté politique Le Défenseur de la paix, trad. Jeanine Quillet, Paris, Vrin, 1968, I, II, 3.

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dans les textes du Moyen Age321 et même jusque dans les textes bibliques322.

Ensuite, toujours selon Anatolij Čudinov, des philosophes et des écrivains du XIXe

et du XXe siècle tels que Hegel323, Anatole France324 et d’autres ont beaucoup

comparé l’État au corps humain. Nous pouvons constater que la métaphore

corporelle est devenue omniprésente dans le discours et que par conséquent le

mot « corps » a acquis de nouveaux sens, y compris un sens politique.

La métaphore se trouve, en effet, en liaison étroite avec la polysémie. Rafika

Kerzazi-Lasri, qui étudie les relations entre ces deux phénomènes, met en

évidence le fait que, dans les deux cas, il s’agit du déplacement du sens et que

« c’est autour de la notion de variabilité qu’il faut saisir la liaison entre polysémie et

métaphore »325. En même temps, cette notion de variabilité distingue également la

métaphore de la polysémie : « dans le cas de la polysémie, la variabilité

correspond à une multiplicité de potentialités désignatives différentes pour une

seule signification ; dans le cas de la métaphore – la variabilité est d’ordre

expressif »326.

321 « Например, Иоанн Солсберийский предлагал следующую метафорическую картину государства : Принц – голова; органы управления – сердце; судьи – глаза, уши и язык; солдаты – руки; крестьяне – ступни ног; сборщики налогов – желудок. (Par exemple, Jean de Salisbury a proposé le modèle métaphorique suivant de l’Etat : prince – tête ; ensemble de services – cœur ; juges – yeux, oreilles et langue ; soldats – mains; paysans – pied ; percepteurs des impôts – estomac) In Budaev E.V., Čudinov A.P., Zarubežnaja političeskaja lingvistika. Moskva : Izdatel’stvo Flinta, 2008, p.27. 322 Čudinov fait référence à l’Ancien Testament, dans lequel le prophète Daniel emploie la métaphore corporelle. Malheureusement, le linguiste ne nous donne pas d’exemple précis. Nous croyons qu’il s’agit de l’interprétation du rêve du roi Nabuchodonosor, proposée par Daniel. Celui-ci parle d’une grande statue dont « la tête était d’or fin, sa poitrine et ses bras étaient d’argent, son ventre et ses cuisses de bronze, ses jambes de fer, ses pieds partie fer et partie terre-cuite ». Alors, Daniel dit que la tête d’or est le roi et les autres membres du corps les royaumes. In Daniel. Traduit par P.-J. de Menasce, Paris : les Editions du Cerf, 1954, p.30-31. 323 Remarques sur la métaphore de l’organisme en politique : les principes de la philosophie du droit et les deux sources de la morale et de la religion par Maël Lemoine. 324 « L’Etat est comme le corps humain. Toutes les fonctions qu’il accomplit ne sont pas nobles. Aussi en est-il qu’il faut cacher, je dis des plus nécessaires », in Anatole F., Les opinions de M. Jérôme Coignard, Paris : Calmann-Levy Editeurs, 1905, p.73. 325 Kerzazi-Lasri R., op.cit., p.60. 326 Ibid., p.60.

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Nous trouvons une des définitions du mot « corps » dans le Nouveau Petit

Robert327 qui se ressemble à celle du mot État :

(Abstrait) Groupe formant un ensemble organisé sur le plan des institutions.

Le corps politique. Les grands corps de l’État : le Conseil d’État, la Cour

des comptes, l’Inspection des Finances, la diplomatie etc.

L’expression « le corps politique » pose deux problèmes : problème de traduction

et problème d’appartenance328. Nous rencontrons, dans le Dictionnaire bilingue de

Vladimir Gak, la traduction suivante: le corps politique - государство329. Dans

Littré, source supposée de Vladimir Gak, cette confusion entre l’État et le corps

politique est bien présente :

Réunion de personnes vivant sous les mêmes lois. L'État est un corps

politique dont le souverain est le chef.

Dans le Trésor de la langue française cette expression comprend deux sens :

Corps politique. ) Ensemble des citoyens considérés en tant qu'ils exercent

des droits politiques. ) Groupe organisé intervenant de façon active et suivie

dans la vie politique d'un état. Mais est-il nécessaire que le clergé soit un

corps politique dans l'État (Staël, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 222)330

En suivant ces définitions, nous constatons que la traduction de Vladimir Gak n’est

pas tout à fait exacte, car il ne s’agit que de synonymie partielle entre ces deux

concepts. D’après Ljudmila Pimenova, cette expression doit être traduite comme

« političeskaja korporaсija » ou «političeskoe soslovie »331. Dans les deux cas, la

327 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.536. 328 Nous nous posons la question sur l’appartenance de cette expression à la métaphore ou à la polysémie. 329 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, p.247. 330 Le Trésor de la langue française http://atilf.atilf.fr/ Consulté le 1 mars 2010. 331 В данном случае русским эквивалентом выражения "le corps politique" будет «политическая корпорация» или «политическое сословие», так что в переводе на русский язык пропадают всякие телесные аллюзии, хотя во французском оригинале они

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traduction russe perd sa comparaison avec le corps et donc ses origines

métaphoriques. Nous trouvons que les deux expressions sont ambigües et

peuvent être mal interprétées par le locuteur russe.

Le mot russe « korporaсija » signifie «объединенная группа, круг лиц одной

профессии, одного сословия » (ob’’edinennaja gruppa, krug lic odnoj professii,

odnogo soslovija - groupe uni de personnes qui exercent le même métier, du

même ordre) ou «одна из форм монополистического объединения »332 (odna

iz form monopolističeskogo ob’’edinenija - une des formes d’un monopole). Le mot

« soslovie » est défini comme « сложившаяся на основе феодальных

отношений общественная группа...купечество, дворянство»333

(složivšajasja na osnove feodal’nix otnošenij obščestvennaja gruppa…kupečetvo,

dvorjanstvo - groupe de personnes formé sur la base des relations féodales, les

marchands, ordre de la noblesse). Il nous semble judicieux de proposer une autre

traduction de l’expression «corps politique » pour éviter toute

ambigüité : « političeskoe ob’’edinenie ». Ainsi, la traduction russe devient plus

abstraite et peut définir n’importe quel corps politique et, entre autre, l’État.

Examinons à présent le deuxième problème, celui de l’appartenance. S’agit-il de

la métaphore ou de la polysémie dans le cas de l’expression « corps politique » ?

Certains linguistes proposent de distinguer les métaphores de catachrèses. César

Chesneau Dumarsais, grammairien et philosophe français, dénomme la

catachrèse comme « un écart que certains mots font de leur première

signification, pour en prendre une autre qui y a quelque rapport et c’est aussi ce

qu’on appelle extension »334. C’est toujours Dumarsais qui remarque qu’il existe

un grand nombre de métaphores habituelles dans le langage courant et qu’il ne

присутствуют. « Dans le cas présent, l’équivalent de l’expression « le corps politique » doit être ««политическая корпорация» или «политическое сословие», car cette expression traduite en russe perd toutes ses allusions à un corps humain, malgré leur présence dans la langue française» In Pimenova L.A., « Telo, semja, mašina : igra social’nyx metafor vo Francii XVIII v. », in Odissej, 2007, p.148-168. 332 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.298. 333 Ibid., c.750. 334 Durrenmatt J., La métaphore, Paris : Editions Champion, 2002, p.45.

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s’agit pas pour autant de catachrèses335. Une chose est sûre, suite au glissement

métaphorique, nous obtenons aujourd’hui un mot polysémique « corps » et nous

observons la même polysémie pour le mot « organisme » : II Ensemble organisé.

L’organisme social336. Les mots tels que corps, organisme, tête, cœur obtiennent

ainsi des seconds sens, lexicalisés et fixés par les dictionnaires.

Dans son ouvrage Le figement lexical337, Salah Mejri demontre par l’exemple des

parties du corps entrant dans la formation des sequences nominales figées

« comment s’illustre la dimension anthropomorphique dans le langage, et par

conséquent comment l’homme voit le monde extérieur en procédant à des

rapprochements entre les choses et son propre corps »338. Selon lui, dans les

séquences telles que corps électoral, corps législatif… le terme corps devient le

foyer d’une métaphore qui choisit le sème « partie principale ». Nous verrons dans

notre analyse de la métaphore corporelle dans la presse russe, que l’expression

« gosudarstvennoe telo» (corps politique) reste purement métaphorique sans être

lexicalisée.

Aujourd’hui, nous rencontrons toujours dans la presse française des exemples de

métaphore corporelle, même si leur fréquence est plus faible qu’aux époques

antérieures. Analysons les exemples suivants:

Plus Sarkozy s’agite, plus la France est malade339

Remèdes pour une France malade340

L'obésité étatique nous déclasse dans la compétition mondiale341

335 Ibidem. 336 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 1737. 337 Mejri S., Le figement lexical : descriptions linguistiques et structuration sémantique, Tunis : Université des Lettres, des arts et des sciences humaines, 1997, 632 p. 338 Ibid., p.313. 339 18 février 2009 par Jean-Luc Gonneau, http://www.la-gauche-cactus.fr/. Consulté le 22 mars 2010. 340 Le titre de l’article publié le 17 janvier 2007, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2007. Consulté le 22 mars 2010. 341 Imbert C., « Décisif ! », in Le Point.fr, publié le 17 mai 1997, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/97905. Consulté le 22 mars 2010.

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Dans les deux premiers exemples, la comparaison de l’État au corps humain dont

la santé est en cause apporte une évaluation négative. Dans le troisième, au delà

de la métaphore corporelle, il s’agit d'une métaphore sportive. Nous verrons plus

loin que ce type de métaphore est également répandu dans le discours français.

• La métaphore « l’État est machine, mécanisme »

Suite au progrès technique et industriel, comme le remarque Anatolij Čudinov, la

métaphore « l’État est machine, mécanisme » remplace en grande partie la

métaphore corporelle. La métaphore « l’État est machine, mécanisme » fut

largement utilisée par Thomas Hobbes, philosophe et matérialiste-nominaliste

anglais. Il compara la structure de l’État aux pièces d’une machine dans l’ouvrage

Le Léviathan (1651)342. De là vient l’expression « machine étatique », utilisée

encore aujourd’hui dans la presse :

Parler de réforme l'est à peine moins. Et ceci explique cela : si nous

continuons à accumuler les déficits, c'est faute d'avoir revu de fond en

comble le fonctionnement d'une machine étatique - au sens large - qui,

dans sa configuration actuelle, est vouée à en générer toujours plus343.

Nous pouvons considérer cette métaphore « machine étatique » comme une

métaphore semi-figée : « Une métaphore est semi-figée si elle fait parti des

métaphores d’usage qui peuvent subir des changements, expansions, et autres

transformations»344 En effet, cette métaphore est facilement reconnaissable et

isolable comme dans l’extrait suivant :

Quant à l'État, impuissant à protéger ses citoyens, il devient alors une

machine molle, indigne de respect345.

342 Thomas Hobbs perçoit un Etat comme une machine et son souverain comme son ingénieur qui doit faire fonctionner cette machine. Cette perception est tout à fait positive. 343 Manière P., « La facture Balladur », in Le Point.fr, publié le 20 mai 1995. Consulté le 21 mars 2010. 344 Kerzazi-Lasri R., op.cit., p.21. 345 Imbert C., « Les maîtres chanteurs » in Le Point.fr, publié le 6 juin 1998, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/91286. Consulté le 5 avril 2010.

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Nous pouvons constater que si, aujourd’hui, l’expression « la machine étatique »

amène une évaluation péjorative, autrefois cette métaphore était suivie d’une

connotation positive. Citons, par exemple, Anatole France comparant l’État à un

mécanisme dans son œuvre Les opinions de M. Jérôme Coignard 346:

Ignorez vous à ce point l’histoire qu’il ne vous apparaisse pas qu’un César,

un Richelieu, un Cromwell, pétrit les peuples comme un potier d’argile ? Ne

voyez-vous point qu’un État marche comme une montre aux mains de

l’horloger ?

L’État est ici clairement mis en valeur. En empruntant le rôle d’un mécanisme de

précision, il se confond dans l’image d’un objet d’art, ne pouvant naître ailleurs

qu’entre les mains d’un homme initié.

• La métaphore spatiale de l’État

Bertrand Pirat analyse dans son article « En haut et au centre : la prééminence

présidentielle » la métaphore du haut et celle du centre dans les ouvrages publiés

après la mort de François Mitterrand entre 1995 et 1997. Il en révèle des

métaphores suivantes de l’État :

- L’État est une montagne « La métaphore du sommet fait système avec

celle de l’escalade pour assimiler l’État à une montagne dont le point

culminant serait la présidence »347.

Bertrand Pirat constate aussi que la métaphore du sommet se chevauche avec

celle du centre :

« Et pourtant, comment justifier, au plus haut sommet de l’État, au cœur

même de l’Elysée, l’écoute de journalistes, écrivains, hommes politiques »

(à propos des écoutes téléphoniques, ADA, p.29)348

346 France A., Les opinions de M. Jérôme Coignard, Paris : Calmann-Lévy, p.38. 347 Pirat B., « En haut et au centre : la prééminence présidentielle », in Mots. Les langages du politique, N 68, mars 2002, p.68. 348 Ibidem.

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Il arrive à la conclusion que cette coïncidence est tout à fait normale si on

l’analyse du point de vue géométrique, le président, au sommet de l’État, se

trouve « bien en haut et au centre ».

L’emploi de cette métaphore dans le discours d’aujourd’hui ne semble pas être

courant. Nous croyons que c’est en parti dû à la perte de l’expressivité de cette

métaphore. Le mot « sommet » devient polysémique en raison de glissement

métaphorique : ce mot obtient donc un nouveau sens dans le Nouveau Petit

Robert :

Par métaph. Et fig. « ce qui est le plus haut, ce qui domine ; degré le plus

élevé, supérieur, suprême349.

Si nous traduisons en russe cette expression, on obtient le mot « вершина»

(veršina). Natalija Borodulina et Marina Makeeva précisent que le terme

anglophone « summit » commence à être largement employé dans le monde

diplomatique à la fin des années 1980 où il est question de советско-

американские саммиты (sovetsko-amerikanskie sammity - les réunions au

sommet soviéto-américaines)350. Ce calque s’est introduit depuis dans le discours

et le vocabulaire russe afin de désigner la rencontre des chefs d’États.

Dans l’analyse des métaphores spatiales dans le « champ des affects »,

Magdalena Augustyn et Francis Grossmann étudient les collocations

métaphoriques parmi lesquelles ils distinguent plusieurs types351. Nous en avons

pris quelques uns en tant qu’exemples pour retrouver des collocations

métaphoriques avec le mot État352 :

349 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2364. 350 Borodulina N.J., Makeeva M.N., Slovar’ metafor ekonomičeskogo leksikona russkogo jazyka, Tambov: Gramota, 2010, p.87. 351 Augustin M., Grossmann F., « Je nage dans la joie, la colère me submerge… : étude de quelques métaphores spatiales dans les champs des affects », in Les mots de l’espace entre expression et appropriation, sous la direction de Marie J. Berchoud, Paris : L’Harmattan, p.57-76. 352 Nous étudions les collocations plus en détails dans la troisième partie de notre travail.

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Dimension/Croissance : L’État géant, hypertrophié353 ;

Avant/Arrière : Soucieux de récupérer ce flux financier, l'État avance,

mais... à reculons354.

• La métaphore de la guerre

La guerre est une source très expressive et même agressive dont les cibles

deviennent souvent des notions politiques. Le modèle métaphorique « la politique

est la guerre » a été étudié par plusieurs linguistes et considéré en tant que

métaphore sociale par Anatolijj Čudinov355. Dans l’exemple suivant, nous trouvons

la métaphore de la guerre « La France est un glaive atomique »356. Cet extrait de

l’article nous paraît intéressant, car l’auteur prend l’expression « bombe

atomique » et la périphrase en utilisant le mot « glaive ». Ce type d’épée est

souvent employé dans les œuvres littéraires comme « le symbole de la guerre, de

la justice divine, du pouvoir judiciaire »357. En effet, l’épée représente un signe de

parole divine : « dans l’Apocalypse, le cavalier frappe les païens avec une épée

qui sort de sa bouche ; la lame qui tient lieu de langue est l’emblème du Logos, du

Verbe de Dieu (Ap 19, 11-21 ; Ep 6, 17) »358. Cette métaphore est de plus

employée dans le titre pour attirer davantage l’attention du lecteur. Nous pouvons

constater le succès de la métaphore guerrière dans le discours français

contemporain, surtout quand il s’agit de réformes, d’élections ou d’autres

événements importants au sein de l’État. Voici un extrait du discours du premier

ministre Jean-Pierre Raffarin, en 2003, à propos de la situation des manifestations

et de la grève des enseignants suite à la réforme de l’Education nationale :

353 Beauchesne J., Dictionnaire des cooccurrences, Montréal : Guérin, 2001. p.140-141. 354 L’extrait de l’article Les jeux en ligne Publié le 25/05/2009 sur le site www.lepoint.fr. Consulté le 25 mars 2010. 355 Nous avons précédemment décrit la classification proposée par Čudinov. 356 Le titre de l’article publié le 22 Octobre 2009 Source : Le Monde. Consulté le 25 mars 2010. 357 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1144. En russe, l’expression de caractère métaphorique « меч правосудия» (meč pravosudija) est lexicalisée. 358 Feuillet M., Lexique des symboles chrétiens, Paris : Que sais-je, 2004, p.49.

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« Cela ne désarme pas forcément l'adversaire, mais cela permet de tenir »,

précise-t-on dans son entourage.359

Ici les manifestants et les grévistes sont comparés aux adversaires de l’État qu’il

faut désarmer, ou au moins de ne pas capituler devant eux. L’article qui contient

cet extrait est riche en métaphores (être sur le fil du rasoir) ou en

allusions (victoire de Pyrrhus360). D’après l’opinion d’Anne-Marie Gingras,

spécialiste en science politique, « la comparaison guerrière vise à indiquer la

dureté de l'affrontement et la gravité des enjeux »361.La veille des élections, le

discours devient plus expressif grâce aux collocations métaphoriques guerrières

« engager la bataille », « la guerre fratricide », « se placer en embuscade », « chef

de guerre », « encourager ses troupes », « l’ultime ligne droite »… :

Après des mois de tergiversations, le Parti socialiste (PS) a finalement

décidé d'engager la bataille contre Georges Frêche et d'investir Hélène

Mandroux pour conduire les listes socialistes, une situation qui pourrait faire

le jeu de la droite362.

Comme tout bon chef de guerre, il (Nicolas Sarkozy) encourage donc ses

troupes à ne pas baisser les bras dans l'ultime ligne droite363.

• La métaphore théâtrale

Il est nécessaire de mentionner le rôle non négligeable des métaphores théâtrales

parmi les images que les journalistes utilisent largement dans le discours. La

métaphore théâtrale prend ses origines dans l’Empire Romain et dans la Grèce

359 Pégard C., « Le discours de la méthode » in Le Point.fr, publié le 6 juin 2003, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/38008, Consulté le 10 avril 2010. 360 La victoire de Raffarin dans la réforme des retraites est comparée à celle du roi Pyrrhus Ier d’Epire dont l’armée souffrit des pertes irremplaçables, une victoire avec un coût dévastateur pour le vainqueur. 361 Gingras A.-M., « Les métaphores dans le langage politique », in Politique et Sociétés, n° 30, 1996, p.170. Il s’agit du discours au Canada. 362 LANGUEDOC-ROUSSILLON - Division à gauche, la droite en embuscade, in Le Point.fr, publié le 6 février 2010, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2010-Consulté le 10 avril 2010. 363 Publié le 25/03/2010 N°1957, in Le Point, Comment va-t-il s'en sortir ? http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2010-.Consulté le 10 avril 2010.

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antique. Georges Banu, écrivain et homme de théâtre français, s’interroge sur

l’interdépendance de la vie et du théâtre et sur le rôle des métaphores du théâtre

dans notre vie dans son livre « Shakespeare, Le monde est une scène :

Métaphores et pratiques du théâtre »364. Les linguistes russes considèrent ce

modèle métaphorique comme dominant dans le discours politique de la fin du XXe

siècle en Russie365. Anatolij Čudinov souligne son « caractère international » car

ce modèle est utilisé non seulement en Russie mais aussi aux États-Unis et en

Europe. Anatolij Čudinov met en évidence les mêmes « frames » tels que

« Metteur en scène », « Acteurs », « Bâtiment du théâtre » et d’autres, dans la

presse russe et américaine.366

La presse française n’a pas échappé à la comparaison de la vie politique à un

théâtre. La métaphore « l’État est le spectacle » est largement employée par les

journalistes, mais aussi critiquée par Roger-Gérard Schwartzenberg, homme

politique français, dans ses ouvrages L'État spectacle et L'État spectacle 2 où il

accuse la politique de devenir « un show, une parade du pouvoir »367. Si l’État est

comparé au spectacle, il possède son metteur en scène. Ce rôle est souvent

attribué au président, mais aussi à d’autres personnages politiques, par exemple,

au premier ministre :

C’est en revanche un bon stratège, un orateur flamboyant et un metteur en

scène épique (Dominique de Villepin)368.

Les hommes politiques deviennent aussi les acteurs, car dans le théâtre tous

peuvent changer de rôle. Dans la presse, les journalistes ne recourent pas qu’aux

364 Banu G., Shakespeare, Le monde est une scène : Métaphores et pratiques du théâtre, Paris : Gallimard, 2009, 269 p. 365 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.188-189. 366 Ibidem. 367 Schwartzenber R.-G., L'État spectacle 2. Politique, Casting et médias, Plon, 2009, p.7. 368 Dominique de Villepin avait les fonctions du premier ministre du 31 mai 2005 au 15 mai 2007 sous la présidence de Jacques Chirac. Duhamel A., « Clearstream: avantage Villepin”, in Liberation.fr, publié le 29 octobre 2009, http://www.liberation.fr/politiques/0101599906-clearstream-avantage-villepin. Consulté le 25 mars 2010.

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métaphores de théâtre, mais aussi de cinéma, de concert, de show, en tant que

source pour leurs cibles…

Nouvelle scène, nouveau public… Elysée productions est fier de présenter

sa dernière création : Nicolas Sarkozy «live» à Versailles face aux

parlementaires réunis en congrès.369

Laissant à Fillon le rôle qu’il s’obstine à revendiquer : celui de chef

d’orchestre du gouvernement370.

Rappelons la thèse de Natalija Šextman, qui a comparé les métaphores

universelles « Politika – ėto sport » (La politique, c’est un sport) « Politika – ėto

teatr » (La politique, c’est un théâtre) dans les discours américain et russe371. La

linguiste russe arrive à la conclusion que la métaphore théâtrale apporte une

valeur négative car elle souligne le caractère faux, hypocrite de la vie politique en

tant que spectacle, show et des hommes politiques qui perdent leur

indépendance, deviennent des marionnettes dans les mains du metteur en scène.

C’est pourquoi nous croyons que l’emploi de cette métaphore malgré la critique de

Roger-Gérard Schwartzenberg joue un rôle important dans la presse française car

elle permet d’ironiser sur la vie politique actuelle, de mettre en avant les défauts

sous la forme d’images. Ce moyen d’expression sert plus à attirer l’attention du

locuteur ou du lecteur sur l’hypocrisie des hommes politiques, des campagnes

préélectorales, sur « l’imitation de l’activité »372 dans la vie politique.

369 Guiral A., « A Versailles, Sarkozy prend le Congrès à témoin », in Liberation.fr, publié le 22 juin 2009,http://www.liberation.fr/politiques/0101575406-a-versailles-sarkozy-prend-le-congres-a-temoin. Consulté le 5 avril 2010. 370 François Fillon est le premier ministre depuis le 17 mai 2007. Auffray A., « Fillon, le rôle du dindon », in Liberation.fr, publié le 22 juin 2009, http://www.liberation.fr/politiques/0101575415-fillon-le-role-du-dindon. Consulté le 5 avril 2010. 371 Šextman N.G., Sopostavitel’noe issledovanie teatral’noj i sportivnoj metafory v rossijskom i amerikanskom političeskom diskurse, dissertacija kandidata filologičeskix nauk, Ekaterinburg, 2006, 227 p. 372 Ibid., p.107 : «имитация деятельности, а не собственно деятельность» (imitaticja dejatel’nosti, à ne sobstvenno dejatel’nost’).

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130

2.4. Analyse de la métaphore de gosudarstvo dans le discours paru dans la presse russe d’aujourd’hui

2.4.1. Procédures et corpus d’analyse

Pour analyser les métaphores de gosudarstvo dans la presse russe nous

recourons à deux corpus : le Dictionnaire des métaphores russes politiques de

Baranov et de Karaulov373, ainsi qu’au Corpus National de la Langue Russe374, qui

englobe des œuvres littéraires et des articles de presse du milieu du XVIIIe

jusqu’au début du XXIe siècle. Nous y ajoutons ainsi quelques exemples récents

retrouvés grâce au moteur de recherche Google dans des hebdomadaires et des

quotidiens. Cette comparaison des métaphores du dictionnaire qui se base sur le

discours de la pérestroïka jusqu’aux métaphores utilisées de nos jours démontre

comment l’emploi et le choix des images ont évolué dans le temps. D’un côté, il

s’agit de la fréquence des métaphores dans le discours pour une période donnée.

D’après Anatolij Čudinov, il existe une interdépendance des métaphores et des

événements sociopolitiques, prouvés par Christ De Landtsheer, professeur de

communication en Belgique375. D’un autre côté, Čudinov souligne l’importance de

comparer les métaphores dominantes des périodes différentes du discours. Nous

avons ainsi découvert un grand nombre des métaphores utilisées dans la presse

pendant la pérestroïka et nous les comparons à celles d’aujourd’hui.

Le Dictionnaire de Baranov et de Karaulov peut être considéré comme un travail

unique dans son genre en Russie. La métaphore n’est pas traditionnelle pour les

recherches lexicographiques, comme le précisent les auteurs eux-mêmes376. Les

373 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991,193 p. Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metafor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, 313 p. 374 Ce corpus répertorie plus de 140 millions de mots. Accessible sur internet : www.ruscorpora. 375 Anatolij Čudinov cite le travail publié par Christ’l De Landtsheer « Function and the language of Politics. A Linguistics Uses and Gratification Approach ». Christ’l De Landtsheer a prouvé l’interdépendance entre les métaphores et les crises sociales et politiques. En analysant le discours politique hollandais de 1831 jusqu’à 1981 et utilisant la méthode de l’analyse du contenu (content analyse) elle a pu prouver que le nombre des métaphores pendant ces crises augmente. 376 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.5.

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131

linguistes ont donné non seulement les cas de métaphores avec le mot

gosudarstvo, mais aussi les cas de métonymie, de synecdoque et de

comparaison. Les auteurs délimitent leur corpus, car ils ont eu recours à un

certain nombre de sources choisies par eux-mêmes. Les auteurs ont utilisé

comme sources différents types de discours, les textes des communications des

congrès des députés, publiés ou présentés dans des émissions, des articles de

presse (journaux et revues tels que Правда « Pravda », Известия « Izvestia »,

Коммерсантъ « Kommersant’ », Советская Россия « Sovetskaja Rossija»,

Комсомольская правда « Komsomolskaja Pravda », Столица « Stolica »,

Новый мир « Novyj Mir » et plusieurs autres.) Baranov et Karaulov privilégient

les métaphores substantivées car leur système est plus simple que celui des

métaphores verbales qui demande un temps supplémentaire pour leur analyse.

Le dictionnaire comporte deux parties : « Modèles métaphoriques de la réalité

politique » dans laquelle sont réunies les métaphores les plus courantes dans le

discours politique et « Monde politique dans le miroir des métaphores » dans

laquelle le lecteur peut trouver des concepts appartenant au vocabulaire politique

et social où chacun d’entre eux possède un certain nombre de métaphores. Nous

nous intéressons surtout à la deuxième partie, dans laquelle nous trouvons le

concept de gosudarstvo. Nous y ajoutons les métaphores du concept « Russie »

tirées de l’ouvrage des mêmes auteurs qui a précédé le dictionnaire. Par ailleurs,

cet ouvrage comporte aussi les métaphores de l’URSS (СССР-SSSR) mais

puisque nous analysons le concept d’État contemporain, nous avons décidé de ne

pas les inclure dans notre travail.

L’objectif de ce sous-chapitre est de comparer les métaphores de gosudarstvo

proposés par Baranov et Karaulov avec nos propres exemples, le tout tiré de la

presse russe. Il est aussi nécessaire d’analyser la différence temporelle entre les

métaphores fixées par Baranov et Karaulov et celles plus récentes, du Corpus

National. Nous prenons aussi en compte la théorie des stéréotypes qui sont à

l’origine de la construction des significations. Selon cette théorie, les métaphores

viennent souvent des stéréotypes culturels qui fixaient les images déterminées du

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132

concept de gosudarstvo dans la société et se transmettaient d’une génération à

l’autre, non sans avoir subi certaines transformations.

Il serait utile de souligner l’intérêt que les linguistes russes en France ont porté à

la métaphorisation dans le discours politique. Ainsi, Inna Khmelevskaia,

professeur et membre du CEDITEC, consacre son article à la métaphore sportive

dans le discours politique en URSS et en Russie377. D’après ses études, les

journalistes, essaient de trouver un nouveau style de rédaction et s’adressent

souvent aux métaphores occidentales de la presse étrangère et en particulier

anglo-américaine. Elle cite pour exemple la métaphore sportive et arrive à la

conclusion qu’il s’agit d’une des métaphore conceptuelle les plus répandues dans

le discours politique russe d’aujourd’hui pour désigner certains concepts politiques

réels378.

2.4.2. Les métaphores de gosudarstvo dans la presse russe (dictionnaire de Baranov et de Karaulov)

Nous commençons notre analyse par la simple énumération des métaphores du

mot gosudarstvo, fixées dans le dictionnaire de Baranov et de Karaulov, pour

ensuite les analyser, c’est-à-dire révéler leurs origines, les caractéristiques

sémantiques et donner d’autres exemples que nous avons trouvés dans le Corpus

National de la Langue Russe (www.ruscorpora) 379:

Государство – строение/здание; машина/механизм; организм; лицо

(выкидыш, ночной сторож, тренер); сверхъестественное существо

377 Khmelevskaia I., « La métaphore sportive dans la presse en URSS et en Russie », in Mots. Les langages du politique [en ligne], 84 | 2007, p.51-63, mis en ligne le 01 juillet 2009. URL : http://mots.revues.org/index1031.html. 378 « Qu’une métaphore soit ou non appropriée, le langage du sport, même s’il n’est pas employé aussi largement qu’aux États-Unis, participe de façon régulièreà la métaphorisation de la réalité – politique notamment. Parmi les sphères de conceptualisation qui enrichissent le plus la métaphore sportive en contexte politique, on a noté agression et pression, règles du jeu et infraction aux règles, compétition, jeu d’équipe ». Ibid., p.62. 379 Nous nous limitons à analyser les métaphores les plus employées dans le discours selon A. Baranov et Y. Karaulov. Les linguistes russes ont organisé leur liste des descripteurs selon leur fréquence d’apparition dans la presse russe. Les descripteurs (focus) en italique n’apparaissent qu’une fois. L’analyse de toutes les métaphores possibles du mot gosudarstvo fixées par le dictionnaire ainsi que trouvées indépendamment peut devenir, en revanche, un débouché important pour les recherches ultérieures.

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(монстр, дракон, цербер); животное (медведь, шакал), средство

передвижения (автомобиль, поезд); бочка, Вавилонская башня,

громада, Медный всадник, муравейник, обоз, оркестр, пар, пирамида,

стальной кулак380.

(État – bâtiment/édifice ; machine/mécanisme ; organisme ; personne (mort-

né, veilleur de nuit, entraîneur) ; une créature surnaturelle (monstre, dragon,

Cerbère) ; animal (ours, chacal), moyen de transport (voiture, train) ;

tonneau, la tour de Babel, une masse énorme, « le Cavalier de bronze »,

fourmilière, convoi, orchestre, vapeur, pyramide, poing d’acier)

Россия – лицо (лицо вообще, активное лицо, пассивное лицо);

транспортное средство (корабль, воз, телега); животное

(звероящер, конь, медведь); марионетка, механизм (приводной ремень,

стержень); арсенал, гигант, глыба, диалог, идея, империя, плеть,

пушечное мясо, растение, строение, таран, тюрьма, фундамент,

чумной дом381

(Russie - personne (personne en générale, une personne active ou

passive) ; moyen de transport (bateau, chariot, télègue (voiture de charge à

quatre roues)) ; animal (synapside, cheval, ours) ; marionnette, mécanisme

(transmission par courroie, tige) ; arsenal, géant, bloc, dialogue, empire,

fouet, chair à canon, plante, édifice, prison, bélier, fondations, centre pour

pestiférés)

En analysant la fréquence des métaphores de la pérestroïka, Baranov et Karaulov

accordent la première place aux métaphores ontologiques, dont la source est tout

ce qui a été fait par l’humain382.

380 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metafor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.103. 381 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.5. 382 C’est la métaphore artefact, quatrième catégorie métaphorique, proposée par A. Čudinov.

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• La métaphore de bâtiment «Государство – строение/здание (Gosudarstvo – stroenie/zdanie)

Dans la métaphore « Gosudarstvo – stroenie/zdanie » (L’État est un bâtiment),

l’histoire de l’évolution de l’État peut être comparée à la construction d’un

bâtiment, par analogie, étape par étape l’État russe a été crée. L’État comme le

bâtiment comporte les fondations, les murs,… Cette métaphore était répandue

dans le discours soviétique à l’époque où l’on parlait de la construction d’un

nouvel État soviétique – d’où vient l’expression «советское строительство »,

« sovetskoe stroitel'stvo » (la construction de l’État soviétique). Cette métaphore

possédait généralement un caractère positif et l’État soviétique était comparé au

bâtiment, neuf, solide. En revanche, pendant la perestroïka, cette métaphore était

souvent employée dans un contexte négatif pour mettre en relief des défauts dans

la construction ou la vétusté d’un bâtiment (État) :

На наших глазах рушилось здание опостылевшего режима. Потом

присмотрелись – новое-то здание тоже растет вкривь да вкось, вот-

вот обвалится и погребет нас под своими обломками. (Говорухин

С.)383

Sous nos yeux, l’édifice d’un régime odieux s’est écroulé. Ensuite en

regardant plus attentivement nous nous sommes aperçus qu’un nouvel

édifice pousse encore à tort et à travers ; il s’effondrera d’un moment à

l’autre et nous ensevelira sous ses décombres.

Смотрят Михаил Сергеевич и Борис Николаевич на горящее здание

нашего государства...(Болдинец Ю.)384

Mikhaïl Sergeevič (M. Gorbatchev) et Boris Nikolaevič (Eltsine) regardent le

bâtiment de notre État qui est en feu…

383 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metafor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.103. 384 Ibidem.

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Ainsi, au lieu de construire on parle plutôt de détruire, l’État n’est plus un bâtiment

solide, mais une « maison de guingois » qui peut s’écrouler ou prendre feu à tout

instant. Vladimir Beliakov qui révèle la métaphore « la Russie est un chantier »,

souligne l’importance du modèle conceptuel de la maison, du bâtiment qui « sert à

évoquer, les changements dans la société, sa transformation, son évolution, son

instabilité »385.

Parmi les exemples que nous avons retrouvés dans la presse, nous observons

ces derniers temps une certaine tendance à ressusciter le caractère positif de

cette métaphore, car les hommes politiques parlent à nouveau de la construction

d’un État fort :

У нас есть шанс построить новую, свободную, процветающую,

сильную Россию.386

Nous avons une chance de construire une nouvelle Russie, libre, forte,

prospère.

Mais jusqu’à présent, cette métaphore a acquis une connotation péjorative dans

les cas où il est question de la construction d’un bâtiment habité par des bandits

ou des fonctionnaires corrompus, dans lequel le peuple ne peut pas vivre

normalement :

Под лозунгами демократии, либерализма и плюрализма было

построено чиновничье, полубандитское государство.387

Sous les slogans de la démocratie, libéralisme et pluralisme, un État de

bureaucrates et semi-criminel a été construit.

385 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, p.56 386 L'article de Dmitri Medvedev du 10 septembre 2009, « Россия, вперёд! » (La Russie, en avant !), http://www.kremlin.ru/. Consulté le 25 mars 2010. 387 Andreev A., « Buduščee prinadležit nam ! », in Zavtra, 2003.08.22, www.ruscorpora. Consulté le 25 mars 2010.

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Ici nous voulons souligner le rôle important de l’aspect temporel : le futur (espoir

de construire un État fort) et le présent (la construction n’a pas été réussie).

• La métaphore mécanique « Государство - машина/механизм» «Gosudarstvo – mašina, mexanizm»

Comme nous l’avons déjà vue, la métaphore mécanique est une métaphore

universelle, utilisée dans plusieurs discours, y compris le français (« l’État –

machine, mécanisme»). Cette métaphore connait une évolution différente dans les

deux pays. Elle a largement été employée à l’époque du progrès industriel en

France et est moins utilisée aujourd’hui. En revanche, cette image connaît

toujours un succès retentissant dans le discours politique russe. Si nous

recherchons l’étymologie de cette métaphore, nous découvrons dans le

dictionnaire historique et étymologique de Birikh388 que cette expression est un

calque de l’expression allemande Maschine States. Nous avons déjà mentionné

l’emploi de cette métaphore par Thomas Hobbes dans ses œuvres, dans le

chapitre consacré à la métaphore de l’État français et il nous reste juste à préciser

que l’expression russe gosudarstvennaja mašina (la machine étatique) apparait

dans la première partie du XXe siècle389.

La métaphore «Gosudarstvo – mašina, mexanizm» était, d’après Baranov et

Karaulov, également très répandue dans le discours de la perestroïka. Nous

pouvons constater le caractère péjoratif de cette métaphore jusqu’à nos jours. Les

personnes sont comparées aux « rouages » d’un grand mécanisme. Si avant ce

mécanisme faisait peur, servait à dominer, aujourd’hui il est rouillé, désaccordé,

en panne, inefficace :

И только тогда, когда все возможности и ресурсы, пожираемые

сегодня гигантской государственной машиной, будут повернуты на

нужды людей ...(Известия).

388 Birix A.K., Russkaja frazeologija. Istoriko-etimologičeskij slovar’. Moskva : Astrel’, 2007, p.424-

425. 389 Ibidem.

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Seulement quant toutes les possibilités et les ressources dévorées par une

machine étatique immense, seront tournées vers les besoins du peuple

(Izvestia).

...людей рассматривали как средство для достижения разного рода

производственных целей – преслувотые «винтики» государственной

машины (Петрушина В.).

…On considérait les gens comme un moyen d’atteindre les différents

objectifs de productivité - les fameuses vis de la machine étatique. (Petrušina

V.).

Хорошо, пусть эта машина уже разлажена, заржавлена [...] (Баткин

Л.) 390.

D’accord, même si cette machine est déjà désaccordée, rouillée […] (Batkine

L.).

Неэффективная государственная машина сводит на нет даже вполне

либеральное налоговое законодательство.391

La machine étatique inefficace réduit à néant même une législation fiscale

libérale.

Nous partageons l’opinion de Vladimir Beliakov, selon laquelle la métaphore

mécanique, largement utilisée dans la presse russe, impose « le caractère

austère, inhumain, impitoyable de l’État et de ses institutions, pour évoquer son

poids et son indifférence face à l’individu »392. Si l’individu, dans l’extrait cité, est

comparé à la vis, en effet, il devrait se sentir agressé et même écrasé par le

mécanisme étatique.

390 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metaphor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.104-105. 391 Blant M., « Biznes – plan dlja Kozaka », in Eženedel’nyj žurnal, 2003.05.13, www.ruscorpora.ru. Consulté le 10 avril 2010. 392 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », in Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, p.54.

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En revanche, si nous revenons à l’origine de cette métaphore, il est nécessaire de

rappeler que sa connotation était différente de celle d’aujourd’hui. Thomas Hobbes

visait à transmettre l’image positive de l’État en tant que machine, mécanisme, car

c’est seulement à cette condition que l’État pouvait bien fonctionner.

• La métaphore corporelle

Comme nous l’avons vu, les métaphores corporelles, « État - corps ou

organisme» et «Gosudarstvo – telo ili organizm » sont aussi universelles. Selon

Anatolij Čudinov, elles datent d’une lointaine époque et apparaissent déjà dans les

textes sacrés (la Bible)393. Elle est ensuite largement utilisée au Moyen Âge et

plus tard par les penseurs comme Thomas Hobbes, Hegel... D’après le

Dictionnaire de Baranov et de Karaulov, la métaphore «Gosudarstvo – telo ili

organizm » est régulièrement rencontrée dans le discours de la pérestroïka. Nous

constatons que celui de nos jours recourt aussi fréquemment à ce modèle :

...Борьба между бюрократией и народом? Но это совершенно, на мой

взгляд, абсурдно – это была бы борьба между структурой

государства и самим государством, нечто вроде борьбы между

мышцами и скелетом. (Рашидов А.)394

La lutte entre la bureaucratie et le peuple ? C’est à mon avis tout à fait

absurde, cela serait une lutte entre la structure de l’État et l’État même, qui

ressemblerait à une lutte entre les muscles et le squelette. (Rašidov A.)

Ainsi, l’organisme peut être sain ou malade :

Агонизируя..., истощения государства... распад живого

государственного организма...395

Agonisant…, l’épuisement de l’État, la destruction d’un organisme étatique…

393 Budaev E.V., Čudinov A.P., Zarubežnaja političeskaja lingvistika. Moskva : Izdatel’stvo Flinta, 2008, p.26-27. 394Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metafor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.105-106. 395 Ibidem.

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Если от покушения до покушения все повторяется, причем с

точностью до малозначительных деталей, значит, государственный

организм болен.396

Si d’une tentative de meurtre à une autre, tout se répète, de plus avec les

mêmes détails, cela signifie que l’organisme de l’État est malade.

Ces exemples, tirés du discours politique, témoignent des problèmes de l’État

russe, qui subit une agonie ; il est malade, épuisé, il s’écroule…

Vladimir Beliakov avance l’idée que « la métaphore « La Russie est le corps

humain » sert d’argument en faveur de l’identité nationale et engendre les

analogies qui établissent une relation de similitude entre les différents groupes

sociaux, les entités sociopolitiques ou leurs actions et les membres et les organes

du corps, ainsi que leur fonctionnement » Il cite ainsi des exemples dans lesquels

« la classe dirigeante est présentée comme une tête ; les médias la langue/la voix,

le centre du pays ou d’une région, d’une institution comme le cœur »397.

Il est évident que l’image de l’État en tant qu’organisme corporel engendre la

personnification et ainsi nous rencontrons des expressions métaphoriques telles

que глава государства (glava gosudarstva-chef d’État), лицо государства (lico

gosudarstva – la personne d’État), правая рука государства (pravaja ruka

gosudarstva – le bras droit de l’État). Nous avons déjà vu que, dans la langue

française, nombreux sont les mots qui définissent les organes du corps humain,

tels que tête, cœur, dont les deuxièmes sens ont été lexicalisés et fixés par les

dictionnaires. Dans la langue russe on assiste au même processus.

396 Voščanov P., « Pravitel’stvo troečnikov », in Novaja gazeta, 2003.01.23, www.ruscorpora.ru. Consulté le 10 avril 2010. 397 Beliakov V., op.cit., p.36.

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Prenons par exemple un des sens du mot глава (голова) - glava (golova) :

Глава 2,руководитель, начальник, старщий по положению.398

Glava 2. Rukovoditel’, načal’nik, staršij po polozeniju

Tête 2. Dirigeant, chef, celui qui a une position supérieure.

Comme nous l’avons souligné précédemment, ce processus ne concerne pas tous

les organes du corps humain et l’expression государственное тело,

(gosudarstvennoe telo) garde son caractère métaphorique.

Le linguiste russe, Eduard Budaev, n’a pas seulement présenté une étude

détaillée de la métaphore «Gosudarstvo – organizm », mais il a aussi effectué une

analyse comparative de cette métaphore dans le monde conceptuel britannique et

russe399. Il a ainsi souligné que la presse britannique et russe a souvent recours

aux organes du corps humain, comme eyes-глаза (yeux), ears-уши (oreilles),

nose-нос (nez), face-лицо (visage), hands, arms - руки (bras, mains)… 400:

The Right has accused the administration of turning a blind eye to abuses of

power (D.McLaughlin//DT, 27.01.2004).

La droite a accusé le gouvernement de fermer les yeux sur les abus du

pouvoir.

Станут ли «государевы очи» «государевыми зубами» (И.Ринаева //

МК, N 21, 2000)

Les yeux du souverain, deviendront-ils « les dents du souverain » ?

Руки у России все крепче и крепче. Их не выкрутить даже таким

крепким партнерам, как Евросоюз (В. Путин КП 23.04.2004)

398 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.131. 399 Budaev E.V., Postsovetskaja dejstvitel’nost’ v metaforax rossijskoj i britanskoj pressy. Monographie. Nijnij Tagil : Nijnetagil’skaja gosudarstvennaja, 2007, 160 p. 400 Ibid., p.78.

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La Russie a les mains de plus en plus fortes. Même un partenaire aussi fort

que l’Union européenne ne pourra pas les tordre.

Nous avons également retrouvé dans la presse française des exemples de

l’emploi métaphorique des expressions utilisant les noms des différents organes

du corps humain :

Houssin se contente alors d'être les yeux et les oreilles du gouvernement401.

À l'heure où nombre de Français s'envolent pour des destinations lointaines,

l'État se frotte les mains402.

N’oublions pas qu’il existe un grand nombre d’unités phraséologiques qui

contiennent les organes du corps humain : piquer du nez, avoir du nez, entre les

mains…

Cette brève comparaison de la métaphore corporelle dans les discours français et

russe permet néanmoins de voir que ces discours utilisent souvent les mêmes

images.

• La personnification

Nous avons déjà vu que la personnification dans le discours politique français est

un des moyens les plus utilisés par les journalistes et les hommes politiques. En

analysant les métaphores du dictionnaire de Baranov et de Karaulov, nous

constatons que la personnification de gosudarstvo est aussi souvent présentée à

travers de nombreuses métaphores telles que mort-né (выкидыш-vykidyš),

veilleur de nuit (ночной сторож-nočnoj storož), entraineur (тренер-trener)...

401 Péyranie B., « Pétrole : Didier Houssin, l’oreille de l’Etat », in Le Point.fr, publié le 20 août 1998, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/71909, http://www.lepoint.fr/archives/article. Consulté le 3 janvier 2010. 402 Cunéo L., « Le passeport biométrique, une manne pour l’Etat », in Le Point.fr, publié le 1 juillet 2010, http://www.lepoint.fr/societe/, Consulté le 3 janvier 2010.

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La métaphore « Государство – жандарм, ночной сторож» (Gosudarstvo –

žandarm, nočnoj storož, L’État – gendarme, veilleur de nuit) est citée dans le

Dictionnaire des métaphores du lexique économique de Borodulina et de

Maneeva403. Les auteurs soulignent ainsi la présentation du rôle de l’État russe

dans l’économie où l’État devient un régulateur, veille sur l’ordre. Nous avons déjà

analysé l’origine de la notion « d’État-gendarme » fixée par les dictionnaires

spécialisés et l’apparition par la suite de cette métaphore dans le discours

français. Ainsi, la même chose s’est produite pour la métaphore de gosudarstvo.

Dans les cas de personnification, gosudarstvo est souvent présenté soit comme

une personne active : Rossija razognala, sožgla, nanesla udar (la Russie a fait

fuir, a mis le feu, a porté un coup)… et dans ce cas on utilise souvent des verbes

de mouvements, soit comme une personne passive : spjaščaja Rossija,

isterzannaja, ustavšaja strana... et des adjectifs qualificatifs révèlent alors l’état

physique de cette personne, endormie, torturée, fatiguée :

Россия не Польша. Помочь ей подняться с колен – значит заведомо

создавать себе мощного конкурента. (Лапик А.)... На колени ставят

не его (Б. Ельцина), а Россию. (Любимов Л.)404

La Russie n’est pas la Pologne. L’aider à se lever signifie créer un puissant

concurrent (Lapik A.). On ne le met pas à genoux (Boris Eltsine), mais la

Russie.

Dans les exemples cités plus haut, on parle de la Russie et non de l’État, mais

nous pouvons remplacer le mot Россия (Rossija – la Russie) par l’expression

Российское государство (Rossijskoe gosudarstvo – l’État russe).

Viktoria Kransnix, philologue russe, cite aussi des exemples de la personnification

de gosudarstvo qui « en tant que personne, peut aussi aimer, détester, posséder

des défauts et des qualités : лицемерное государство (licemernoe gosudarstvo

403 Borodulina N.J., Makeeva M.N., Slovar’ metafor ekonomičeskogo leksikona russkogo jazyka, Tambov: Gramota, 2010, p.22. 404 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metafor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.24.

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- l’État hypocrite), заботливое государство (zabotlivoe gosudarstvo - l’État

attentif), любовь и ненависть государства (lubov’ i nenavist’ gosudarstva –

l’amour et la haine de l’État), заинтересованность государства

(zainteresovannost’ gosudarstva – l’intérêt de l’État)... »405 Viktoria Krasnix cite

aussi les exemples dans lesquels l’État russe est comparé à un maître, à un

joueur et même à un tueur à gage : « государство-хозяин (gosudarstvo-hozjain),

государство-игрок (gosudarstvo-igrok), государство-киллер (gosudarstvo-

killer) »406.

Nous analyserons plus loin la métaphore criminelle et la métaphore du jeu, mais

arrêtons-nous maintenant sur la métaphore « государство-хозяин» (gosudarstvo-

xozjain) qui est liée à l’histoire de l’étymologie du mot gosudar’ que nous avons

déjà développé précédemment. Nous avons déjà mentionné qu’étant donné que

l’analyse étymologique permet d’établir un lien entre les mots gosudar’, gospodar’

et « gospod’ » et que cette base pod’ signifiant - хозяин, владыка (xozjain,

vladyka) disparait plus tard de la structure morphologique du mot gosudarstvo. Le

sens de cette base, quant à lui, reste ancré dans la perception qu’ont les gens, du

concept, présenté métaphoriquement en tant que maître.

Le recours à la comparaison de gosudarstvo et de l’État à un organisme malade

ou souffrant est un procédé commun aux presses française et russe. L’État est

aussi comparé à une créature qui a les pouvoirs surnaturels d’un monstre :

Разумеется, трудно тягаться с государством. Мы ведь такого

монстра вырастили, нам долго придется с ним бороться407.

Il est évident qu’il est difficile de rivaliser avec l’État. C’est pourtant nous qui

avons élevé un tel monstre, donc, c’est à nous de le combattre.

405 Krasnyx V.V., « Ponjatie kak predmet izyčenija lingvokul’turologii: postanovka problemy (na primere ponjatija “gosudarstvo”) », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005: Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, op.cit., p.122. 406 Ibidem. 407 Ibid., p.107.

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Мне кажется, мы уже подошли к критической черте, за которой

маячит монстр под названием «бандитско-полицейское

государство».408

Il me semble que nous nous sommes approchés de la ligne critique derrière

laquelle on voit le profil d’un monstre qui s’appelle « L’État des bandits et des

policiers (état policier et mafieux) »

L’État a été souvent identifié à un monstre par certains philosophes comme Paul

Valéry, Friedrich Nietzsche et autres :

L’État est un être énorme, terrible, débile. Cyclope d’une puissance et d’une

maladresse insignes, enfant monstrueux de la Force et du Droit409.

L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids410…

Thomas Hobbes désigne l’État sous le nom de Léviathan, dont la puissance ne

connaît pas ses limites. Le Léviathan est le nom hébreu d’un monstre marin dont

la Bible parle dans les Psaumes (74,14 et 104, 26), en Isaïe, 27, 1 et dans le Livre

de Job (3:8 et 40:25). Ce nom désigne un monstre colossal apparaissant sous

différentes formes : dragon, serpent ou crocodile et qui possède une puissance

prodigieuse. Le nom grec du monstre dracôn est souvent traduit comme

« dragon », mais peut être traduit aussi comme « serpent ». D’après le livre « Les

Animaux de la Bible : allégories et symboles / François-Xavier Nève » de Clair-

hélion Olivier, ces deux types de reptiles se confondent souvent dans l’Ancien

Testament et dans l’Apocalypse411. En effet, il était question de chimères,

composées de plusieurs animaux.

408 Kučerena A., « Ne nado, druz’ja, bojat’cja... », in Nezavisimaja gazeta, 2003.04.28, www.ruscorpora.ru. Consulté le 10 avril 2010. 409 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928 410 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.163. 411 Clair-hélion, O., Les Animaux de la Bible : allégories et symboles / François-Xavier Nève, Paris : Ed. du Gerfaut, 2004, p.96.

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Le recours à ces chimères dans la Bible est symbolique. François-Xavier Nève, un

spécialiste des langues anciennes, explique ce symbolisme par le fait que ces

allégories aident à mieux interpréter et installer dans la mémoire des hommes le

nom des empires, des dynasties ou des rois. Ainsi, le prophète Daniel raconte

l’Histoire sous la forme de chimères animales. De plus, tous ces monstres sont

« des jouets dans la main de Dieu »412 et l’auteur croit que c’est un moyen efficace

de « les déprécier, de les amoindrir, de les humilier en proclamant leur déclin

prochain »413.

En comparant les métaphores de personnification nous n’avons pas vu celles de

« État Père Noël » ou « État Patron » ce qui prouve le fait qu’il existe des images

propres aux cultures française et russe puisque la réalité sociale influence la

conception métaphorique, suite aux expériences vécues dans des différents

environnements414.

• La métaphore animalière

Parmi les métaphores de la perestroïka tirées du dictionnaire étudié, nombreuses

sont les métaphores animalières. L’État russe est fréquemment comparé à un

ours, un chacal, un cheval... :

…Это такой медведь. Ему только надо придать инерцию, а дальше

он пойдет уже сам. (Ельцин Б.)

C’est en fait un ours. Il ne faut que le pousser, ensuite il ira tout seul. (B.

Eltsine)

412 Ibidem. 413 Ibidem. 414 Cette hypothèse est émise par George Lakoff et Mark Johnson dans leur livre : « Les systèmes conceptuels des diverses cultures dépendent en partie de l’environnement physique dans lequel ils se sont développés. » Lakoff G., Johnson M., Les métaphores dans la vie quotidienne », traduit de l'américain par Michel de Fornel [i.e.] ; avec la collaboration de Jean-Jacques Lecercle. - Paris : Éditions de Minuit, impr. 1985, p.156.

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Государство, считает он (Федоров), всегда выполняло функиции

шакала. (Сидоров Д.)415

L’État avait toujours les fonctions d’un chacal, comme le croit Fedorov. (D.

Sidorov)

Vladimir Beliakov mentionne aussi la métaphore animalière comme une des plus

fréquentes dans le discours médiatique d’aujourd’hui. Il cite ainsi l’extrait de

presse dans lequel la Russie est comparée à un cheval:

За последние 5 лет Россия избавилась от олигархического хомута.

(N°49, 2005) [Durant les cinq dernières années la Russie s’est débarrassée

du collier oligarchique.]416

Parmi ces nombreuses comparaisons avec des animaux, nous avons pu constater

que l’identification de l’État russe à l’ours prédomine. Cette image prend ses

racines dans la mythologie slave, car cet animal a toujours été perçu comme un

animal sacré, un totem. Dans la Rus’ païenne (avant sa conversion au

christianisme en 988), cet animal était associé au Dieu « Veles », le protecteur du

bétail417. L’attitude des habitants de la Rus’ envers cet animal reste ambiguë : on

compare l’homme à l’ours, s’il possède les caractéristiques suivantes : paresseux,

brutal, maladroit. Les expressions figées peuvent en témoigner418.

415 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metaphor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.108. 416 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », in Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, p.45. 417 L’ours était vénéré comme maître des forets et de tous les animaux sauvages, et était considéré à moitié humain…Nous trouvons aussi bien des points fondamentaux de cette théorie dans les contes populaires dans lesquels l’ours peut se marier avec une humaine et avoir un fils humain. Cette attitude favorable et respectueuse vis-à-vis de l'ours se manifeste aussi dans la langue qui désigne l'ours par toutes sortes de noms et diminutifs affectueux : Micha, Mikhaïl Ivanovitch, Mikhaïlo Potapovitch ; quant à l'ourse, on l'appelait Matriona, Aksinia. L'ours avait la capacité de se transformer en homme notamment... Par la suite, à l'époque chrétienne, saint Vlassy, protecteur du bétail, se substitua à Veles. 418Как медведь в антикварной лавке (maladroit) ; медведь на ухо наступил (avoir une mauvaise oreille), медвежью услугу (un mauvais service)…Smirnova N.S., Zanimatel’nyj francuzsko-russkij frazeologičeskij slovar’, Moskva : Izdatel’stvo « AST » : Vostok-Zapad, 2006, p. 372-373.

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Plus tard, la figure de l’ours apparaît sur le sceau d’Ivan IV le Terrible (1577)419 et

les armoiries des villes de Perm, d’Iaroslavl et de Novgorod établies en 1699

contiennent aussi l’image de l’ours. L’image n’est en revanche pas la même : sur

les armoiries de Perm l’ours est figuré sur quatre pattes et en mouvement, tandis

que sur celles d’Iaroslavl l’ours est représenté sur deux pattes et tient une hache

sur son épaule420. L’héraldique germanique, dont s’inspire l’héraldique russe

apparue à la fin du XVe siècle avec la politique culturelle d’occidentalisme, contient

également souvent l’image de l’ours, surtout s’il s’agit de la partie orientale de

l’Europe centrale où vivaient des populations slaves.

Dans sa communication sur « Les expositions de Moscou et de Saint-Pétersbourg

en 1903 : deux approches russes de l’Art Nouveau »421, le professeur Antoine

Nivière attire l’attention sur « la présence récurrente » de l’ours dans les œuvres

des artistes russes du mouvement Mir iskusstva (le monde de l’art) au début du

XXe siècle, qui cherchaient à renouer avec les formes de l’art russe médiévale et

du folklore national. C’est le cas notamment dans les œuvres d’Ivan Fomin

présentées à l’exposition d'Art Nouveau de Moscou en 1903. Antoine Nivière

ajoute que «L’ours contraste avec l’aigle, omniprésent sur les monuments officiels

du XVIIIe et du XIXe siècles, symbole de l’empire, du classicisme, de l’influence de

l’Occident »422. Toujours selon Antoine Nivière, l’approche artistique néo-russe à

partir de cette époque redonne à l’ours, symbole de la Russie médiévale, son rôle

prépondérant.

Alain Boureau, historien médiéviste français, consacre tout un ouvrage à

l’emblème de l’aigle423. Il retrouve l’aigle dans les citations bibliques qui créent une

image mystique de cet oiseau : « les âmes des justes sont comparées aux aigles :

ils se portent vers les hauteurs, délaissent les bas-fonds, parviennent, dit-on, à un

419 Gura A. V., Simvolika životnyx v slavjanskoj narodnoj tradicii, Moskva : INDRIK, 1997, p.512. 420 Ibidem. 421 Nivière A., « Les expositions de Moscou et de Saint-Pétersbourg en 1903 : deux approches russes de l’Art Nouveau ». Communication présentée au colloque sur « L'art nouveau, d'une Europe à l'autre : Nancy, Prague, Cracovie, Moscou. », les 26 et 27 novembre 2001, à l'Université de Nancy 2. 422 Ibidem. 423 Boureau A., L’aigle. Chronique politique d’un emblème, Paris : Les éditions du CERF, 1985, 204 p.

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âge avancé ; aussi David dit-il à son âme : « Ta jeunesse sera renouvelée comme

celle de l’aigle » ; « l’aigle se comprend comme le Christ, qui, de son vol, est

descendu sur terre »424. Plus tard, selon Alain Boureau, l’aigle devient le symbole

du pouvoir militaire romain et apparaît sur le sceau impérial. L’aigle d’empire

prend sa place parmi les figures animalières dans l’héraldique européenne qui

s’établit vers 1150. Alain Boureau croit qu’avec le temps, « l’aigle héraldique se

banalise en se répandant dans toute l’Europe, sans rapport nécessaire avec

l’Empire, Rome… »425. Cependant, à cette époque, l’aigle continue d’être associé

au parti impérial dans la vie politique de l’Europe médiévale et garde son rôle

idéologique dans la lutte contre les adversaires de l’empire, représentés, eux, par

un autre animal, le lion.

Rappelons que le symbole de la monarchie russe est l’aigle à deux têtes ou

bicéphale. Alain Boureau signale l’apparition de l’aigle bicéphale dans l’héraldique

européenne, par exemple comme emblème du Saint Empire Germanique jusqu’à

sa disparition en 1806.

Ces constatations nous conduisent à nous intéresser aux origines de l’aigle

bicéphale dans l’héraldique russe. Evgenij Pčelov, specialiste russe en histoire et

généalogie, dans son ouvrage Bestiarij Moskovskogo carstva : životnye v

emblematike Moskovskoj Rusi konca XV-XVII vv. (Le bestiaire du royaume de

Moscou : les animaux dans les emblèmes de la Rus’ de Moscou des XVe – XVIIe

siècles)426 consacre tout un chapitre à l’aigle bicéphale et cite plusieurs théories

sur son apparition dans la symbolique de l’État russe. Cet historien utilise entre

autres les travaux réalisés par les spécialistes russes dans ce domaine, tels que

Aleksandr Lakier, Nadežda Soboleva, Magdolna Agošton, Georgij

Vilinbaxov…Selon Evgenij Pčelov, l’aigle bicéphale apparaît pour la première fois

dans l’héraldique russe à la fin du XVe siècle, sur le sceau du grand prince de

Moscou Ivan III.

424 Ibid., p.47-48. 425 Ibid., p.103. 426 Pčelov E., Bestiarij Moskovskogo carstva : životnye v emblematike Moskovskoj Rusi konca XV-XVII vv., Moskva : OOO « Staraja Basmannaja », 2011, 204 p.

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Selon l’interprétation donnée par Nikolaj Karamzin, reprise plus tard par Alekseij

Orešnikov et citée par Evgenij Pčelov, l’aigle bicéphale fait partie de l’héritage de

Byzance, apporté à Moscou par la deuxième femme d’Ivan III, Sof’ja-Zoja

Paléologue. Toutefois, il existe une autre théorie selon laquelle la Russie

emprunta l’aigle bicephale au Saint Empire Romain Germanique. Cette théorie

nous semble plus vraissemblable. En effet, selon Evgenij Pčelov, Ivan III a

emprunté cet oiseau à l’héraldique de l’empereur germanique Frédéric III, pour

affirmer son égalité avec ce dernier. D’ailleurs, Evgenij Pčelov observe une

certaine analogie dans les emblèmes de ces deux souverains. On peut

effectivement constater que l’emblème de Frédéric III présente, d’un côté l’image

du souverain sur son trône, de l’autre l’aigle bicéphale et que celui d’Ivan III

montre, d’un côté, le souverain sur son cheval, de l’autre l’aigle bicéphale427. Nous

partageons l’opinion d’Evgenij Pčelov que, dans l’héraldique russe, l’aigle servait à

symboliser non seulement le royaume, mais aussi l’idée d’égalité avec l’Empire

Romain Germanique428. Déjà, à cette époque, la Rus’ se positionnait comme un

empire sur l’arène politique.

Après le XVe siècle, la représentation de l’aigle a subi des changements à

plusieurs reprises, mais elle est demeurée sur les armories russes jusqu’en 1917.

En 1993, il reprend sa place dans l’héraldique et comme symbole officiel de la

Fédération de Russie, après avoir été supprimé sous le régime communiste, entre

1918 et 1991, au profit de l’étoile rouge.

Toutefois, selon Antoine Nivière, au début du XXe siècle, tout juste avant la chute

du régime tsariste, la suprématie de l’aigle dans la symbolique de la Russie

commençait à être contestée, notamment dans le courant artistique du Monde de

l’Art favorable à un retour vers des formes d’expressions esthétiques et

symboliques nationales, se démarquant des modèles européens.

Aujourd’hui, tant la presse russe qu’occidentale continuent d’exploiter l’image de

l’ours. Nous verrons plus loin que l’image de l’aigle est également utilisée dans la

427 Ibid., p.27. 428 Ibid., p.26.

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métaphore concernant l’État américain. En effet, les États-Unis ont emprunté à

l’Europe l’image de cet oiseau, symbole de l’autorité et du pouvoir, en prenant

pour modèle l’aigle à tête blanche autochtone429. Cet aigle, figurant sur leur Grand

sceau depuis le 20 juin 1782, tient dans ses serres une branche d’olivier et un

faisceau de flêches, symboles de paix et de guerre, représentant l’union pacifique

après la guerre.

Pour revenir à l’ours, il a survécu jusqu’à nos jours dans l’héraldique non officielle

russe. Par exemple, il est devenu le symbole des Jeux Olympiques d’été de 1980

à Moscou, ou encore du parti politique « Russie Unie ». Le pouvoir cherche

surtout à jouer sur le caractère national russe de cet emblème. Néanmoins, la

connotation de la métaphore dépend du contexte.

Ce qui conduit à constater que dans le discours occidental, par exemple, on

trouve la métaphore « l’État russe est un ours » induisant une connotation

péjorative. Selon la revue polonaise Przeglad430, cette connotation péjorative

apparaît en Occident au XVIIIe siècle. À cette époque, il s’agissait d’une Russie

arriérée, barbare, d’une infinie brutalité, stéréotype crée par les voyageurs

occidentaux. Christiane Mervaud, spécialiste de l'oeuvre de Voltaire, cite les

propos du roi Frédéric II écrivant à Voltaire en 1760 : « Dites-moi, je vous prie de

quoi vous avisez-vous d’écrire l’histoire des loups et des ours de la Sibérie ? »431.

Ce à quoi Voltaire répond : « qu’à Berlin, où les troupes de Sa Majesté tsarienne

viennent d’entrer, les Russes se sont conduits, tout compte fait, " en ours très

bien élevés " »432. Même si, en général, Voltaire a tenté de briser les stéréotypes

occidentaux sur la Russie, dans sa réponse au roi Frédéric II il ne manque pas de

servir de la métaphore animalière pour exprimer son ironie.

429 Cet aigle appelé « chauve » ou « à tête blanche » dans le langage courant est un rapace connu sous le nom de pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus - bald eagle) et vit exclusivement dans le continent nord-américain. 430 http://www.inosmi.ru/world/20080520/241458.html, 20/05/2008. Consulté le 12 mars 2010. 431 Mervaud C., « La perception voltairienne de l’autre et de l’ailleurs dans l’Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand », in Revue Voltaire, n° 1 - 2001, p.27. 432 Ibidem.

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Plus tard, à l’époque soviétique, la comparaison avec l’ours servait à susciter chez

le lecteur occidental la peur et le dégout. L’URSS même dans son orthographe

arbore une ressemblance avec le mot ours, d’où son nom dans l’argot l’oURSS :

« Dans les griffes de l’oURSS »433. Il s’agit d’un État qui réalise une politique

extérieure agressive. Aujourd’hui dans le discours français, la Russie est souvent

comparée à un ours, surtout suite à l’élection du président Dmitrij Medvedev en

2008. Selon les auteurs de l’article «La métaphore « la Russie est un ours » dans

le conflit russo-géorgien à travers la presse » 434, Oleg Rjabov et Andžej De Lazari,

le conflit russo-géorgien a renforcé l’évaluation négative de cette métaphore. En

effet, la presse a recommencé à exploiter l’image de l’ours dans le discours :

Медведь вышел из берлоги, и окончился спокойный сон его соседей'

(Times)435

L’ours est sorti de sa tanière, donc le sommeil tranquille de ses voisins est

fini.

Nous pouvons citer plusieurs exemples de titres d’articles parus dans la presse

française :

« Se sentant trop bafoué, l'ours russe montre griffes et dents ! »

« Obama veut apprivoiser l'ours russe»

« Un come-back qu’effectue l’ours russe désormais chaussé des larges

bottes du capitalisme. »436

433 Prix littéraire(s) (Prix d'histoire de l'Académie Nationale Sciences Arts Lettres de Metz, 2008 Auteur(s) Laurent Kleinhentz Editeur Editions Serpenoise Date de parution le 1 novembre 2007. L’utilisation de la métaphore dans le titre d’un article ou d’un roman est un désir de l’auteur d’attirer au maximum le lecteur car c’est toujours le titre qui est mis en avance. En analysant le rôle de la métaphore dans le discours politique, Anatolij Čudinov met en évidence l’importance de la métaphore dans le titre, qui est utilisé dans de buts différents : dans notre cas, le sens de la métaphore est claire, le titre suscite chez le lecteur l’envie de découvrir le problème plus en détails. En revanche, il existe des titres dans lesquels le sens de la métaphore est ambigu et ne peut pas être compris sans avoir pris connaissance de tout le texte. In Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.173. 434 Rjabov O., De Lazari A., « Miša i Medved’ : "Medvež’ja" metafora v Rossii v diskurse gruzino-rossijskogo konflikta, in Europa, 2008. № 4 (29), p.49-61. 435 Ibidem. 436 Par Jean Matouk, « Economiste », 15/08/2008 ; « Yves Bourdillon » 23.09.09. Les Echos. http://www.lesechos; 2009. L’Observateur.

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Eduard Budaev a également mentionné les associations négatives utilisant

l’image de l’ours dans la presse britannique. Il cite des exemples dans lesquels

bear est caractérisé comme « rough » (brutal), « unmannerly » (pataud),

« uncouth » (maladroit) ainsi que des exemples de comparaison de la Russie avec

l’ours dans un contexte péjoratif 437 :

The Russian bear will be back (N.Ascherson // The Guardian, 14.11.2000)

L’ours russe sera de retour.

Eduard Budaev remarque aussi que la presse britannique compare la Russie au

loup même si cette image est moins répendue :

I feel now that, politically, the big bad wolf won't be able to get his claws

into us438.

Je sens que maintenant sur le plan politique le grand méchant loup ne sera

pas capable de nous griffer.

Soulignons que cette image est aussi dotée d’une évaluation négative car il s’agit

d’un animal dangereux. On rencontre également dans le discours politique

français cette tendance métaphorique qui consiste à se servir des animaux « le

coq gaulois439, la baleine anglaise, l’aigle américain». Voici le titre d’un l’article

publié dans le Monde récemment :

« Le coq gaulois et l’aigle américain »

437Budaev E.V., Postsovetskaja dejstvitel’nost’ v metaforax rossijskoj i britanskoj pressy. Monographie. Nijnij Tagil : Nijnetagil’skaja gosudarstvennaja, 2007, p. 94. 438 Ibidem. 439 Le Coq Gaulois, souvent considéré comme un symbole national de la France, sans que cela ait un caractère officiel comme c'est le cas pour le pygargue à tête blanche pour les États-Unis. En latin gallus signifie à la fois coq et gaulois. Bien que présent comme figure symbolique en France depuis l'époque médiévale, c'est à partir de l'époque de la Renaissance que le coq commence à être rattaché à l'idée de Nation française. Il devint emblème (non officielle) politique et patriotique.

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Alors, quand on connaît l’agacement de Nicolas Sarkozy envers Barack

Obama, on ne s’étonne pas que le coq gaulois veuille se faire aussi gros que

l’aigle américain.440

Il est question de l’aide humanitaire que les États apportent à Haïti après le terrible

tremblement de terre. Comme le constate le journaliste, il ne s’agit pas que d’une

aide mais aussi d’ambitions politiques, c’est pourquoi les États français et

américains sont critiqués à travers la métaphore animalière car ici les traits

caractéristiques de ces oiseaux tels que l’orgueil et la fierté nationale sont mis en

avant.

Parmi d’autres animaux, auxquels les journalistes français ont recours pour

représenter l’État, nous avons trouvé, par exemple, le boa :

Comme si le boa étatique, avant d'avaler d'autres proies, devait d'abord

digérer ce morceau trop copieux pour lui, les retraites441.

La métaphore animalière est utilisée de longue date. Tout abord, nous pouvons

retracer les apparitions de cette métaphore, qui consiste à opérer une analogie

entre un être humain et un animal depuis Les Fables d’Ésope, celles de la

Fontaine, La Métamorphose de Kafka ou Le Traité des animaux de Condillac. Plus

tard, le fait que l’État ait été personnifié, a joué en faveur de l’analogie entre l’État

et l’animal.

Nous partageons l’idée d’Eduard Budaev et d’autres chercheurs qu’aujourd’hui

l’emploi de la métaphore animalière apporte souvent une connotation négative au

discours politique. En comparant le monde animalier au monde politique, les

journalistes essaient de mettre en évidence les défauts de ce dernier. Les

exemples mentionnés précédemment en témoignent

440 Schindler M., « Le coq gaulois et l’aigle américain », in Le Monde.fr, publié le 1 janvier 2010, http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2010/01/19/le-coq-gaulois-et-l-aigle americain_1293512_3232.html. Consulté le 10 avril 2010. 441 Dufay F., Gernelle E., « Les intermittences de la réforme », in Le Point.fr, publié le 18 juillet 2003, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/39061.Consulté le 10 avril 2010.

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• La métaphore « Gosudarstvo – sposob peredviženija » (L’État est un moyen de transport)

Parmi les moyens de transport auxquels les journalistes se sont référés le plus

souvent pendant la pérestroïka, Baranov et Karaulov ont trouvé la voiture, le train,

le bateau, ou encore le chariot ou la télègue (voiture de charge à quatre roues) :

Государство - средство передвижения (автомобиль, поезд)

Gosudarstvo – sredstvo peredviženija (avtomobil’, poezd)

L’État est un moyen de transport (voiture, train)

Россия - транспортное средство (корабль, воз, телега)

Rossija – transportnoe sredstvo (korabl’, voz, telega)

La Russie est un moyen de transport (bateau, chariot, télègue)

Le deuxième exemple - voz, telega- met tout de suite en évidence le caractère

péjoratif de la métaphore, car le chariot et la télègue renvoient au passé :

Депутаты пытались и так и сяк приладить к старой телеге какие-

то новшества. Кто колесо меняет, кто уздечку предлагает, кто

кнут. (Цыба Т.)442

Les députés essayaient de mille façons de moderniser une vieille télégue.

L’un a changé sa roue, l’autre ajoute un frein ou un fouet. (T. Ciba)

Nous observons que la connotation des métaphores « l’État et la voiture, le train

ou le bateau » peut aussi être différente selon le contexte :

« ... ведь в каждой систему нужны и мотор, и переключатель

скоростей, и тормоза... (Горбачев М.С.)

… Chaque système a besoin d’un moteur, d’une boite de vitesse, de freins…

(M.C. Gorbatchev)

442 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.124.

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И вновь кошмарное видение : госпоезд сошел с рельсов и катится в

пропасть...(Бестужев-Лада И.)443

Encore une vision cauchemardesque : le train étatique a déraillé et roule

vers l e précipice… (I. Bestoujeva-Lada)

Государственная машина сильно отстала от страны и является

тормозом на пути прогресса.444 La voiture étatique s’est laissée dépasser

par le pays et freine le progrès.

Si le premier exemple témoigne d’une simple analyse de l’État russe, le deuxième

et le troisième évoquent chez le lecteur une image défavorable – l’État est au bord

de l’abîme et la structure étatique russe arriérée freine le progrès. En effet, comme

n’importe quel moyen de transport, l’État-véhicule peut avancer, ou à contrario

freiner, s’arrêter, faire marche arrière, etc. Ici la dimension spatiale apparaît grâce

aux collocations métaphoriques. Il est également intéressant de noter que le

quatrième exemple distingue l’État et le pays. Nous développerons plus en détails

les relations d’équivalence et d’opposition dans notre quatrième chapitre.

Nous avons également rencontré quelques exemples de cette métaphore de

transport dans la presse française :

A quelle condition pourrons-nous raccrocher le wagon France au train de la

relance mondiale ?445

C'est là un paradoxe de notre prétentieuse machinerie étatique, lourde

carrosserie avec un tout petit moteur446.

443 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Slovar’ russkix političeskix metaphor, Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1994, p.108. 444 Nemcov B., « Strategija Rossii », in Nezavisimaja gazeta, 2003.05.27, www.ruscorpora.ru. Consulté le 15 avril 2010. 445 Bentégeat H., « Le livre de la semaine », in Le Point.fr, publié le 9 novembre, 1196, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/93995, Consulté le 15 avril 2010. 446 Revel J.-F., « Le vice constitutionnel », in Le Point.fr, publie le 17 mai 1997, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/97967, Consulté le 15 avril 2010.

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Rappelons que Jean Bodin a déjà utilisé la métaphore de transport dans son livre

Six Libres de la République en comparant la France au navire tourmenté par la

tempête. Pour Jean Bodin, c’était le prince qui représentait la puissance

souveraine sans laquelle aucun État ne pouvait exister : « Tout ainsi que le navire

n’est plus que bois sans forme de vaisseau quand la quille qui soutient les côtés,

la proue et le tillac sont ôtés, ainsi la République sans puissance souveraine qui

unit les membres et parties d’icelle, et tous les ménages et collèges en un corps,

n’est plus République »447.

• La métaphore théâtrale

Nous avons précédemment vu que le discours des différentes cultures emploie

largement ce type de métaphores et nous avons même cité quelques exemples de

« frames communs » proposés par Anatolij Čudinov en général et par Natalija

Šehtman dans le discours américain et russe. Dans leur dictionnaire Baranov et

Karaulov citent également deux métaphores théâtrales de la perestroïka

« gosudarstvo – orkestr » (l’État est un orchestre ») et «Rossija – marionetka »

(la Russie est une marionnette) :

Но нам необходим централизм не в меньшей мере, чем демократия,

в форме умного дирижирования приоритетно-

стратегическиминаправлениями развития страны...( Романова

В.Ф.)448

Cependant, nous avons besoin d’un pouvoir centralisé aussi bien que de

démocratie en la personne d’un chef d’orchestre éclairé, qui dirigera les

domaines stratégiques du développement du pays.

Ее реализация (программа Б.Ельцина – прим. Автора) позволяет

практически без единого выстрела превратить Россию в послушную

марионетку...(Бровко Ю.)449

447 Goyard-Fabre S., L’Etat : figure moderne de la politique, Paris : Armand Colin, 1999, p.24. 448 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.124. 449 Ibidem.

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Sa réalisation (le programme de Boris Eltsine) permet pratiquement sans la

moindre opposition de transformer la Russie en marionnette docile.

L’État français est aussi comparé à l’orchestre dans l’exemple mentionné plus ci-

dessous :

Laissant à Fillon le rôle qu’il s’obstine à revendiquer : celui de chef

d’orchestre du gouvernement.

La métaphore théâtrale reste actuelle dans le discours politique russe

d’aujourd’hui :

Все остальное — игра в оппозицию, за которой, кроме желания еще

раз надуть и обмануть граждан, ничего не стоит… Это же театр

абсурда, где два человека, входящих в пятерку первых лиц

государства, играют в политику450.

Tout le reste est un jeu d'opposition, derrière lequel il n’y a rien sauf un désir

de monter un bateau, tromper encore une fois les citoyens…C’est le théâtre

de l’absurde, où deux hommes (Boris Gryzlov et Sergej Mironov), qui sont

parmi les cinq personnes les plus importantes de l’État, jouent la politique.

Dans l’exemple cité ci-dessus, l’homme politique russe Genadij Zjuganov compare

la vie politique au théâtre de l’absurde et les hommes politiques à ses acteurs.

Rappelons que les mêmes frames et slots existent dans la presse française. La

vie politique française est aussi comparée au théâtre, les hommes politiques aux

acteurs, avec leur metteur en scène. Cette métaphore, comme nous l’avons

précédemment remarqué, reflète une appréciation négative envers la politique en

Russie. Les expressions надуть и обмануть граждан ( nadut’ i obmanut’

graždan – monter un bateau, tromper) renforcent le caractère faux et hypocrite de

la vie politique russe.

450 Genadij Zjuganov, leader du parti communiste, in Vlast’, № 6 (859) du 15.02.2010, http://www.kommersant.ru/ Consulté le 15 avril 2010.

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• La métaphore spatiale de gosudarstvo

Les métaphores « государство – гигант » (gosudarstvo - gigant ; l’État est un

géant) ou « государство – пирамида » (gosudarstvo-piramida ; l’État est une

pyramide) dans le dictionnaire de Baranov et de Karaulov nous renvoient à la

métaphore spatiale. En effet, la métaphore de dimension semble être répandue

dans le discours soviétique et russe contemporain. Budaev et Čudinov font

référence à l’étude de Richard Anderson, spécialiste en science politique451, qui

arrive à la conclusion que les métaphores de gigantomania sont typiques du

discours russe, car les adjectifs exprimant la dimension tels que большой (bol’šoj-

grand), великий (velikij-grand), крупный (krupnyj-gros, grand) ont la fréquence la

plus élevée. Nous examinerons plus en détails les collocations métaphoriques

большое государство (bol’šoe gosudarstvo-grand État), великое государство

(velikoe gosudarstvo-grand État) plus loin. Rappelons seulement la définition d’un

des sens du mot gosudarstvo du dictionnaire d’Efremova452 :

3) а) перен. Что-то крупное, значительное, занимающее большую

территорию и отличающееся определенной обособленностью,

самостоятельностью. (Sens figuré. Quelque chose d’immense,

d’important et qui diffère par son isolement et par son indépendance).

Ce sens figuré transmet l’idée ancrée dans la perception des Russes du mot

gosudarstvo en tant que géant. Dans la langue russe il existe un autre mot

великан (velikan), synonyme du mot гигант (gigant), l’équivalent français de

géant. Nous avons retrouvé son emploi dans des comparaisons avec la Russie ou

avec l’État. Voici quelques exemples :

Вернее, государство-бюрократизм, как великан из сказки, там

служит людям, ― сказал Каримов453.

Plus exactement, l’État bureaucratique, comme le géant d’un conte, est au

service des gens, disait Karimov.

451 Voir Annexe IV “Metaphors of Dictatorship and Democracy: Change in the Russian Political Lexicon and the Transformation of Russian Politics" in Slavic Review 60, 2, (Summer 2001), 312-255. 452 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva: « Russkij jazyk », 2001, p.332. 453 Grossman V., Zizn’ i sud’ba, t.1, 1960), www.ruscorpora.ru. Consulté le 22 novembre 2011.

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159

Россия : пробуждающийся великан454.

La Russie : un géant se réveille.

Le mot velikan sert à nommer des personnages de grande taille, principalement

dans les contes, doués de forces extraordinaires. Parmi les personnages connus

dans le folklore russe on peut citer, par exemple, Svjatogor ou Il’ja Muromec. On

utilise également богатырь (bogatyr’) pour désigner ces personnages. Ce mot

définit non seulement les hommes grands et forts, mais aussi les héros

courageux, prêts à combattre le mal. Rarement employé dans le langage courant

actuel, il est encore utilisé comme comparatif dans la presse :

RU : - Россия―не богатырь на распутье : мол, налево

пойдешь―благо найдешь, направо―потеряешь…455

RU : La Russie n’est pas un héros à la croisée des chemins : alors si tu vas

à gauche, tu trouveras la chance, à droite, tu perdras…

A notre avis, si l’on compare l’État russe aux mots velikan et gigant,

sémantiquement le résultat est neutre, par contre comparé au mot bogatyr’, on

obtient une connotation favorable.

2.4.3. Les métaphores de gosudarstvo dans la presse russe (Corpus National de la Langue Russe)

Nous pouvons citer d’autres exemples de métaphores russes utilisant le mot

gosusdarstvo, parues dans la presse contemporaine :

Государство – царство (хозяин, монарх, престол) ; преступное

сообщество (крыша, главный), двойник, тень, образ; пастух.

L’État est un royaume (maître, monarque, trône) ; une société criminelle

(chef mafia, kriša456) ; sosie, ombre, image ; berger.

454 http://www.ja-russia.ru/ru/trail/pressa/AG/. Consulté le 10 février 2012. 455 « U Rossii tri puti… », in Komsomol’skaja pravda, 2006.01.30, www.ruscorpora.ru. Consulté le 22 novembre 2011. 456 Littéralement, un « toit », vient du terme «Крышевание» — concept qui définit la protection de l’économie par les organisations étatiques ou criminelles («крыши») pour une rémunération

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• La métaphore monarchique

Anatolij Čudinov consacre tout un chapitre à la métaphore monarchique dans son

ouvrage Linguistique politique457. Il arrive à la conclusion que la métaphore

conceptuelle «Gosudarstvo - carstvo » (L’État est un royaume) est due au

contexte historique et culturel et qu’elle reste actuelle car les traditions du peuple

russe n’ont pas changées. Vladimir Beliakov partage cette opinion. Il fait en effet

référence « aux contextes historiques ancrés dans l’imaginaire du peuple »458. Le

peuple russe continue en effet de croire au pouvoir du monarque. Ainsi, dans le

discours politique le président est comparé au monarque alors que ses conseillers

et ses ministres sont assimilés à sa cour (dvor, pridvornaja svita) et les candidats

aux présidentielles prennent le rôle des héritiers du trône (prestolonasledniki) :

За десять дней до выборов президента расклад наших симпатий,

похоже определился: Путин и Зюганов – основные кандидаты на трон

(В.Днепров)459

Dix jours avant les élections présidentielles, les préférences pour les

candidats au trône semblent être déterminés : Poutine et Zjuganov. (V.

Dneprov)

Enfin, Elena Beljaevskaja analyse les métaphores du concept de gosudarstvo

dans les contes écrits par les étudiants russes au cours de l’olympiade460. Dans

ces contes, on trouve souvent la métaphore « le président russe est un tsar » :

continue. Ce terme, apparu en URSS, a été largement utilisé au début des années 1990 en Russie. Le terme крыша vient de l’argot des services de renseignements, ensuite emprunté par l’argot criminel, plus tard par les journalistes et par les hommes politiques. 457 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p. 213-225. 458 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », in Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, p.49. 459 Čudinov A.P., op. cit., p.218. 460 Beljaevskaja E.G., « Konceptual’naja kartina mira v zerkale metaforičeskoj reprezentacii (gosudarstvo i rossijskaja dejstvitel’nost’ glazami studentov) », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005: Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.17-36.

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161

В некотором царстве, в некотором государстве, а иначе сказать - в

земле Русской – жил был царь Борис...461

Il était une fois dans un certain royaume, dans un certain État, autrement dit

sur la terre russe, vivait le tsar Boris …

Ce paragraphe est d'autant plus intéressant qu’il transmet la synonymie

mentionnée précédemment entre le syntagme zemlja Russkaja (terre russe) et

l’État.

Nous avons également révélé plusieurs exemples de l’emploi de la métaphore

monarchique dans le Corpus National de la Langue Russe :

Что ж, добро пожаловать в наше царство-государство.462

Alors, bienvenu dans notre Royaume-État.

Доходное место: На поклон к государству463

Une assiette au beurre : faire des courbettes à l’État.

Мелкая и средняя буржуазия, квалифицированные рабочие,

образованные специалисты во всех отраслях больше всего хотят

стать солидными, хотят институционализироваться, хотят

системы отношений с одним хозяином в лице государства, а не с

набегами государственных шаек, как сегодня.464

La petite et moyenne bourgeoisie, les ouvriers qualifiés, les spécialistes

diplomés dans tous les domaines, veulent devenir plus forts, veulent

s’institutionnaliser, veulent avoir de bons rapports avec un seul patron en la

personne de l’État et ne veulent plus des raids organisés par les bandes

étatiques, comme aujourd’hui.

461 Ibid., p.24. 462 « S Novym godom ! », in Murzilka, № 12, 2002, www.ruscorpora.ru. Consulté le 15 avril 2010. 463 Le titre de l’article publié sur le site : http://www.vedomosti.ru, Consulté le 20 avril 2010. 464 Dorenko S., « Levye sily – perezagruzka », in Zavtra, 2003.08.13, Consulté le 20 avril 2010.

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Le but de l’emploi de la métaphore «Gosudarstvo - carstvo » (L’État est un

royaume)» nous parait ambigu. Anatolij Čudinov développe l’idée que cet emploi

est lié à la nécessité du peuple russe de créer une image de l’État fort, tout-

puissant grâce au président élu non par lui-même mais par Dieu. Dans un tel État,

le peuple est à l’abri des problèmes grâce à sa foi en un souverain fort et juste465

et à son amour pour lui. Dans la troisième métaphore cette idée est reflétée à

travers l’expression «na poklon k gosudarstvu » (aller faire des courbettes devant

l’État).

Nous supposons que la métaphore monarchique sert aussi à mettre en évidence

les problèmes de l’État russe en tant qu’État de droit. A notre avis, les journalistes,

en utilisant cette métaphore conceptuelle, veulent souligner le caractère ridicule

de l’État russe qui au XXIe siècle reste toujours otage des stéréotypes culturels et

historiques, en gardant sa forme féodale :

Давайте корректировать Конституцию, которая писалась под

"царя Бориса", а для народа стала настоящим ярмом, которое не

позволяет обществу вздохнуть.466

Allons réformer la Constitution, qui fut écrite pour le « tsar Boris » et qui

devint pour le peuple un poids lourd qui empêche la société de respirer.

Nous avons précédemment vu la synonymie entre les mots gosudarstvo et

carstvo, fixée par le dictionnaire des synonymes467 :

Государство, страна, земля, держава, царство.

(État, pays, terre, puissance, règne)

La métaphore monarchique n’est pas seulement typique du discours russe

moderne, mais se rencontre également dans le discours français :

465 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.214. 466 « Oborotni pervoj volny », in Zavtra, 2003.08.06, www.ruscorpora.ru. Consulté le 20 avril 2010. 467 Evgen’eva A.P., Slovar’ sinonimov russkogo jazyka, Tom 1 A-N, Leningrad : Izdatel’stvo « Nauka », 1970, p.250.

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Nicolas Sarkozy l'a dit et répété : il ne sera pas un « roi fainéant».468

Comment expliquer le retour de la métaphore monarchique dans l’État français

moderne ? La France a connu une longue période pendant laquelle l’État a été

identifié à la personne du souverain de « droit divin ». La devise du pouvoir absolu

est la phrase que Louis XIV aurait prononcée lors de la séance du parlement du

13 avril 1655 : « L’État c’est moi ». La Révolution française a changé cette image,

et la métaphore monarchique semble avoir été enterrée dans le passé.

Cependant, des extraits tirés de la presse française prouvent qu’elle n’a pas été

complètement oubliée et qu’elle a été souvent reprise par les hommes politiques,

les journalistes et les écrivains. Voici le titre de l’article : « L'Elysée sous Nicolas

Ier »469 dans lequel le journaliste fait allusion au tsar russe Nicolas Ier et au

président Nicolas Sarkozy. Il est important de préciser que l’image des présidents

français représentés comme des rois n’est pas aussi récente que nous pouvons le

penser. Alain Duhamel utilise ce type de métaphore dans le titre de son article

consacré à l’ouvrage de Jacques Attali, le collaborateur le plus proche de François

Mitterrand « Mitterrand d’Attali, le portrait-souvenir d’un souverain » :

Le « C'était François Mitterrand » de Jacques Attali était donc fort attendu,

puisqu'il s'agissait cette fois du portrait-souvenir d'un souverain aussi fascinant

que controversé par l'homme placé le plus près de lui durant son règne470.

En remontant à Charles de Gaulle et à la 5e République, Dominique Labbé,

spécialiste en science politique, dans son article « Les métaphores du général de

Gaulle »471, développe la perception « monarchique » du Général dans sa

philosophie. Le chercheur cite les propos du Général dans lesquels ce dernier

468 L’extrait de l’article « L'art de réformer », Article publié le 17 Janvier 2010, Source : LE MONDE. Consulté le 15 avril 2010. 469 L'écrivain Patrick Rambaud a récemment publié l’ouvrage « Chronique du règne de Nicolas Ier». Le journaliste le compare à Saint-Simon, célèbre pour ses Mémoires qui racontent la vie à la Cour aux temps du roi Louis XIV et de la Régence. Patrick Rambaud à son tour décrit les mœurs de l'Elysée de la même manière. http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2008-Consulté le 15 avril 2010. 470 Duhamel A., « Le Mitterrand d’Attali : le portrait-souvenir d’un souverain », publié le 24 novembre 2005, disponible sur : http://www.lepoint.fr/archives/article.php/115035. Consulté le 15 avril 2010. 471 Labbé D., « Les métaphores du général de Gaulle », in Les Mots, juin 1995, N°43. pp. 51-61.

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perçoit le président en tant que souverain : « II doit être évidemment entendu que

l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui

l’а élu, qu'il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni

judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui, enfin qu'il lui appartient

d'ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la

gestion à d'autres »472.

• La métaphore criminelle

La métaphore « Gosudarstvo – prestupnoe soobščestvo » (L’État est une

association criminelle) (kriša, glavnij) est aussi bien développée par Čudinov473 .

Le dictionnaire de Baranov et de Karaulov contient également le « slot »

« tjurma » (prison). Čudinov suppose que si la Russie est comparée à une prison,

il est tout à fait logique de considérer ses citoyens comme des prisonniers, d’où

vient, à notre avis, l’utilisation de l’argot : « zèki »474, « kriša, glavnij » (chef) :

Стив Чейз: "Главный" от бизнеса будет говорить с "главным" от

государства.475

Steve Chase : Le « principal » du business va parler au « principal » de

l’État.

Государственные компании окончательно убедятся, что быть под

крышей государства гораздо безопаснее и выгоднее.476

Les entreprises étatiques seront définitivement rassurées qu’il est plus

sécurisant et avantageux de se trouver sous la protection de l’État.

472 Ibid., p.55. 473 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.140-148. 474 Зек (zek) — la désignation des prisonniers en URSS, vient de l’abréviation«з/к» dans les papiers officiels en 1920-1950. Le terme est devenu populaire dans le discours suite aux prisonniers du Goulag parmi lesquels étaient plusieurs écrivains et poètes ; le Goulag (acronyme venant du russe Главное Управление Лагерей, « Direction principale des camps (de travail) ») était l’organisme gérant les camps de travail forcé en Union soviétique. 475 In Известия, 2002, www.ruscorpora.ru. Consulté le 20 avril 2010. 476 « JUKOS – čto dal’še ? Xodorkovskij i kremlevskaja dolja », in Gazeta, 2003.07.07, www.ruscorpora.ru. Consulté le 20 avril 2010.

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Selon Čudinov, l’emploi de ces métaphores criminelles produit des conséquences

désastreuses - l’image de la Russie en tant qu’État criminel devient une image

presque positive chez le locuteur : «…в нашем обществе все шире

распространяется миф о всемогуществе преступного мира, о

преступлении как единственном средстве добиться справедливости и

даже просто выжить, о России как стране преступников»477. Nous

partageons l’opinion de Čudinov, qui pense que la prédominance des métaphores

« criminelles » dans le discours russe le rend plus agressif. L’image de l’État russe

en tant qu’État de criminels devient une norme, au lieu de faire réfléchir le locuteur

au danger de ce type d’État.

Ainsi, le discours russe est peu policé ; la prédominance des métaphores à

connotation négative, voir même agressive est une de ses caractéristiques

frappantes478.

• La métaphore de la guerre

Comme nous l’avons vu précédemment dans l’analyse des métaphores de l’État,

la guerre est une source importance de construction conceptuelle dans le discours

politique. C’est aussi un moyen d’expression qui rend le discours plus agressif,

tout comme la métaphore criminelle. Anatolij Čudinov y reconnait l’agressivité

comme étant la caractéristique typique des modèles métaphoriques du discours

russe, renforcée par les événements politiques importants parmi lesquels il cite les

campagnes électorales ou référendaires, les manifestations...479

477« …dans notre société se propage de plus en plus le mythe sur la toute-puissance du monde criminel en tant que seul moyen pour obtenir la justice et tout simplement pour survivre en Russie, pays des criminels » in Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.140-148. p.140. 478 «Значительная часть современных отечественных метафорических инвектив – это метафорическое обозначение объекта речевой агрессии как представителя мира животных (животное, зверь, козел, осел, ишак, акула, шакал, таракан, клоп и др.); широко используются также образы из милитарной и криминальной сферы.» « Une partie importante des métaphores nationales contemporaines –ce sont les sources agressives du monde des animaux (animal, bête, âne, requin, chacal, punaise, cafard) ; on utilise largement les images de la guerre et du monde criminel » Ibid.,p.67. 479 Ibid., p.66.

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Observons l’exemple suivant :

Причем если за кресла местных глав идет хоть какая-то борьба, то

штурмовать "деревенские" парламенты партии не спешат. Конкурс

четыре человека на одно депутатское кресло - рекорд для

муниципальных баталий России480.

Si on se bat toutefois pour occuper les places des autorités locales, les partis

ne sont pas pressés de conquérir les parlements locaux. Quatre députés

pour une place est un record pour les batailles municipales en Russie.

Dans cet extrait pour décrire les élections parlementaires en Russie, le journaliste

se sert des métaphores guerrières : šturmovat « derevenskie » parlamenty

(attaquer les parlements « campagnards »), municipal’nih batalij Rossii (les

batailles municipales en Russie). Ici la Russie est associée au champ de bataille

et les députés aux guerriers qui ne sont pas pressés de prendre d’assaut le fort (le

parlement).

Dans l’extrait suivant nous trouvons la métaphore « Moscou-armée » :

В январе 2009 Москва билась с Киевом, заблокировавшим транзит

газа в Европу, в январе 2010 – сражается с Минском, посулившим

оставить без электричества наш западный анклав –

Калининградскую область.481

En janvier 2009 Moscou s’est battue contre Kiev, qui a bloqué le transit du

gaz vers l’Europe, en janvier 2010, elle s’affronte à Minsk, qui a promis de

laisser sans électricité notre enclave occidentale, la région de Kaliningrad.

480 Beluza A., « Političeskaja topografija », in Izvestija.ru, 12.02.10, http://www.izvestia.ru/politic/article3138477/. Consulté le 20 avril 2010. 481 Volkov M., « Vtoruju zimu Rossija igraet v vojnušku s brat’jami-slavjanami », in Svobodnaja Pressa.ru, 5 janvier 2010, http://www.svpressa.ru/politic/article/19283/. Consulté le 20 avril 2010.

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Dans la métaphore « Moscou-armée », nous pouvons sous-entendre « l’État russe

- armée » suite au processus métonymique482. Nous avons aussi retrouvé un

exemple de la métaphore « Armija – gosudarstvo » dans le dictionnaire de

Baranov et de Karaulov :

Как талантливый полководец не может ничего сделать без армии,

так и талантливый государственный деятель ничего не сделает без

государства483.

Comme un stratège talentueux qui ne peut rien faire sans armée, un bon

homme politique ne peut rien faire sans État.

L’exemple suivant est davantage intéressant car ici deux modèles s’interposent

« Политика - война» (Politika – vojna, la politique c’est la guerre) et «Война -

игра» (Vojna – igra, la guerre est un jeu) :

Вторую зиму Россия играет в войнушку с братьями-славянами484.

Voici le deuxième hiver, que la Russie continue de jouer à la guerre avec ses

frères slaves.

Dans cet exemple, nous pouvons remplacer le mot Россия (Rossija – la Russie)

par la séquence Российское государство (Rossijskoe gosudarstvo – l’État

russe) ce qui n’altère pas le sens. Il s’agit ici de la politique de l’État et non pas du

pays. Cette expression métaphorique « играть в войнушку» (igrat’ v vojnušku-

jouer à la guerre) associe la guerre à un jeu et renvoie à l’idée de compétition.

482 Toujikova V., « Le mot et la notion de « gosudarstvo » (l’État) dans les discours parus dans la presse russe contemporaine », in Actes de la sixième journée d’études de doctorants slavisants de 2009, à paraître. 483 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.30. 484 Volkov M., « Vtoruju zimu Rossija igraet v vojnušku s brat’jami-slavjanami », in Svobodnaja Pressa.ru, 5 janvier 2010, http://www.svpressa.ru/politic/article/19283/. Consulté le 20 avril 2010.

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• La métaphore sportive

Nous avons déjà évoqué la richesse des discours politiques français et russe en

métaphores sportives et les études effectuées en France et en Russie sur ce

sujet. En France, c’est Denis Barbet qui dans son article « La politique est-elle

footue ? »,485 analyse les métaphores sportives. Il analyse notamment celles du

football, dans le discours politique et à travers la presse écrite (Le Monde,

Libération, Le Figaro, L’Humanité, Le Progrès), consultés en particulier les

lendemains d’élections et lors d’événements liés au football, depuis les années

quatre-vingt. Inna Khmelevskaia a, quant à elle, analysé les métaphores sportives

dans le discours de l’URSS et de la Russie contemporaine486. Nous avons ainsi

relevé la métaphore « l’État arbitre » dans le discours français, en conséquence

nous nous sommes interrogée sur la présence de la même métaphore de

gosudarstvo dans le discours russe.

Borodulina et Maneeva ont inclus dans leur dictionnaire des métaphores du

lexique économique, la métaphore « Государство – футбольный арбитр,

тренер» (Gosudarstvo – futbol’nij arbitr, trener - l’État est l’arbitre de football,

entraîneur) : « ... тренером выступает государство »487 (L’État joue le rôle

d’un entraîneur).

La présence des mêmes « slots » peut être expliquée par le caractère universel

de la métaphore sportive. Comme nous l’avons vu précédemment dans la thèse

de Natalija Šehtman, le discours politique américain a souvent recours à cette

métaphore universelle comme le discours russe pour mettre en relief le

485 Barbet D., « La politique est-elle footue ? », in Mots. Les langages du politique [En ligne], №84, 2007, mis en ligne le 01 juillet 2009, consulté le 19 mai 2011. URL : http://mots.revues.org/987, Consulté le 21 juin 2010. 486 Khmelevskaia I., « La métaphore sportive dans la presse en URSS et en Russie », in Mots. Les langages du politique [en ligne], №84 | 2007, p.57, mis en ligne le 01 juillet 2009. URL : http://mots.revues.org/index1031.html. Consulté le 10 mars 2010. 487 Borodulina N.J., Makeeva M.N., Slovar’ metafor ekonomičeskogo leksikona russkogo jazyka, Tambov: Gramota, 2010, p..22.

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« caractère compétitif, le désir de gagner » des hommes politiques488. La

différence des frames et des slots consiste en la fréquence des images

transmettant « l’échange de coups » dans les textes russes, tandis que le discours

américain préfère les images de la compétition saine489.

Nous avons déjà cité l’extrait de l’article de Dmitrij Medvedev « Rossija vpered ! »

(La Russie, en avant !), dans lequel il utilise la métaphore de la construction.

Maintenant adressons-nous au titre qui n’est qu’un slogan sportif490. Ce titre fait le

parallèle entre l’État et une équipe sportive ou un sportif, car de la même façon les

supporters soutiennent leurs sportifs ou leurs équipes.

Государство должно стать арбитром при столкновении интересов,

что подразумевает политический плюрализм, соревновательность и

смену у власти различных сил, а также независимый суд491.

L’État doit devenir le juge-arbitre face à la confrontation des intérêts, ce qui

sous-entend le pluralisme politique, la compétition et le changement de

pouvoir, ainsi que le jugement indépendant.

• La métaphore biblique

La métaphore «Государство - двойник, тень, образ» (Gosudarstvo – dvojnik,

ten’, obraz) peut avoir un impact favorable sur l’image de l’État russe :

Отношение русских к государству двойственно: мы нежны к нему и

жестоки одновременно, как и оно к нам, потому что это наш образ,

наша тень, проекция наших страхов и вместилище наших надежд.

Государство -- это свободный двойник народа, его отражение,

получившее призрак независимости. Как "дьявол есть обезьяна Бога",

488 Šextman N.G., Sopostavitel’noe issledovanie teatral’noj i sportivnoj metafory v rossijskom i amerikanskom političeskom diskurse, dissertacija kandidata filologičeskix nauk, Ekaterinburg, 2006, p.104. 489 Ibidem. 490 Le slogan des sportifs et supporteurs en février 2008 à Kazan’. 491« Gosudarstvo dolžno stat’ arbitrom », in Verstov.Info, le 3 février 2010, http://www.verstov.info/6687-gosudarstvo-dolzhno-stat-arbitrom.html, Consulté le 20 avril 2010.

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так "государство есть обезьяна народа". Там все узнаваемо, но все

искажено.492

L’attitude des Russes envers l’État est contradictoire : nous sommes tendres

avec lui et cruels en même temps, comme il l’est avec nous, puisque c’est

notre image, notre ombre, la projection de nos peurs et le réceptacle de nos

espoirs. L’État est un double libre du peuple, son reflet, qui détient le fantôme

de l’indépendance. Comme « Le diable est le singe du Dieu », « L’État est le

singe du peuple ». Tout est reconnaissable, mais déformé. (Presse des

affaires)

Ici, les relations entre le peuple russe et l’État sont renforcées par la comparaison

avec les images suivantes : eto naš obraz, naša ten’, proekcia našix straxov et

vmestilišče našix nadežd. En même temps, l’auteur utilise l’antithèse : tendre et

cruel. On constate également que l’auteur paraphrase la citation biblique « le

Diable est le singe de Dieu » en remplaçant le diable par l’État et Dieu par le

peuple. A notre avis, ici il s’agit aussi d’une métaphore filée, car la matrice

sémique fondatrice de l’image de l’État est reprise et développée493.

Prenons un autre exemple :

Когда волк [Anatoli Tchoubaïs 494 rem. V.T.] безнаказанно жрет барана,

виноват пастух — государство, у которого баранов еще много. С

волком же лучше не ссориться, он укусить может.495

Quant le loup dévore impunément un mouton, c’est le berger (l’État) qui est

coupable. L’État a beaucoup de moutons. Il est préférable de ne pas fâcher

le loup, il peut mordre.

492 In Delovaja pressa, № 21 (356), 08.06.2006, Consulté le 20 avril 2010. 493 Ce sont des exemples décrits dans notre communication « Le mot et la notion de « gosudarstvo » (l’État) dans les discours parus dans la presse russe contemporain » à paraître dans les Actes de la journée d’études 494 Anatoli Tchoubaïs est un homme politique, économiste et dirigeant d'une entreprise russe. Il est actuellement président de la compagnie nationale de distribution d'électricité RAO EES Russie. Ici il est question de ses projets de réformes du système d’électricité. 495 In Rodnaja gazeta, № 17(17), 22 августа 2003 Consulté le 15 avril 2009.

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La comparaison de l’État au berger qui veille sur ses moutons (le peuple) prend

ses racines dans la Bible. Olivier Cair-Hélion dans le livre « Les Animaux de la

Bible : allégories et symboles » cite François-Xavier Nève, spécialiste en histoire

des religions, qui compare les hommes aux moutons et les bergers aux gourous,

idoles, présidents, ministres, chefs…496. D’un côté, il s’agit d’une connotation

favorable de la métaphore «государство-пастух» (gosudarstvo-pastux - l’État est

un berger). Rappelons que les brebis représentaient dans la Bible les Fils d’Israël

et plus tard « des Baptisés dans le Christ, les brebis qui suivent leur berger qui

leur conduira vers de verts pâturages »497. D’un autre côté, il est question d’une

perception défavorable puisque l’énonciateur incrimine l’État en avançant son

caractère faible, lâche et irresponsable, permettant à n’importe quel ministre de

réaliser ses propres réformes sans considérer les besoins du peuple. Le ministre

est comparé au loup, animal « féroce et vorace, symbole du mal »498 dans la

Bible.

• La métaphore familiale

Nous avons observé une utilisation fréquente dans la presse française de la

métaphore universelle « l’État français père » et « la France mère ». L’idée du

paternalisme politique a été reflétée dans l’État patrimonial. La métaphore « L’État

est un père » exprime l’idée d’un Etat protecteur qui veille sur ses citoyens.

Comme le rappelle Dominique Colas, Aristote imaginait déjà la possibilité d’une

organisation politique sous la forme d’une famille patriarcale, mais la distinguait de

la société civile499. Le mot patriarcat est dérivé de patriarche, apparu en 1080, qui

provient du « latin chrétien patriarcha, emprunté au grec patriarkês « chef de

famille », composé de patria « clan, famille » (dérivé de patêr, → père) et de

arkhês « chef » (→archi-) »500.

496 Nève F.-N., Les Animaux de la Bible : allégories et symboles, Paris : Ed. du Gerfaut, 2004, p.12. 497 Feuillet M., Lexique des symboles chrétiens, Paris : Que sais-je, 2004, p.22. 498 Ibid., p.68. 499 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p. 102 500 Rey A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 2010, p.1565.

Page 173: dans les langues

172

Vladimir Beliakov a révélé plusieurs modèles métaphoriques de ce type dans le

discours russe tels que « la Russie est une famille », « le peuple russe est le

grand frère et les autres peuples de la Russie sont les frères cadets», « le chef

d’État est le père »501...

Nous pouvons revenir à l’extrait déjà cité, dans lequel les autres peuples (dans ce

contexte il s’agit des Ukrainiens et des Biélorusses) sont nommés frères :

Вторую зиму Россия играет в войнушку с братьями-славянами502.

Voici le deuxième hiver, que la Russie continue de jouer à la guerre avec ses

frères slaves.

Elena Beljaevskaja fait allusion, elle aussi, à la perception de l’effondrement de

l’URSS par les étudiants russes en tant que déclin d’une famille : « Жили-были

пятнадцать братьев и сестер, жили в мире и согласии... » 503 Il était une

fois quinze frères et sœurs, ils vivaient dans la paix et dans l’harmonie…) .

En comparaison avec la France, nous avons pu retrouver dans la

presse quotidienne un exemple de métaphore « la France famille » :

Charlie Winston : “La France est une famille qui m’a pris dans ses bras”504.

Á notre avis, c’est l’Europe qui est le plus souvent comparée à la famille dans le

discours politique :

L'Europe est une famille. Lorsqu'un membre de la famille est malade, tout le

monde se sent mal505.

501 Beliakov V., « La réalité russe à travers la métaphorisation des discours médiatiques », in Metaphorik.de, N°10, Berlin, 2006, p.43. 502 http://svpressa.ru/politic/article/19283/, Consulté 20 avril 2010. 503 Beljaevskaja E.G., « Konceptual’naja kartina mira v zerkale metaforičeskoj reprezentacii (gosudarstvo i rossijskaja dejstvitel’nost’ glazami studentov) » in Russkoe slovo v russkom mire – 2005: Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.25. 504 http://www.metrofrance.com/culture/charlie-winston-la-france-est-une-famille-qui-m-a-pris-dans-ses-bras/mkku!GD5suZzX8wKu2/. Publié le 21 novembre 2011. Consulté le 21 septembre 2012.

Page 174: dans les langues

173

L’histoire de l’État russe était celle d’un l’État patriarcal, par conséquent,

gosudarstvo ou plutôt son souverain (gosudar’) fut associé au père, la Russie fut à

son tour identifiée à la mère « Russie –mère ». La Mère Russie (en russe : Rossija

– Matuška, Matuška-Rus’) est devenue la personnification nationale de la Russie

depuis la naissance de l’État russe (chansons, contes folkloriques). Comme le

note Čudinov, la métaphore «Rossija – mat’ » (La Russie - mère) a été largement

utilisée dans le discours de l’Empire russe506.

Oleg Rjabov a consacré tout un ouvrage à cette perception féminine de la Russie

en l’examinant à travers le prisme des « gender studies »507. Dans son ouvrage

« La mère Russie »508, l’auteur n’étudie pas les événements historiques ni les

traits du caractère national russe, mais il cherche à comprendre les raisons de la

féminité de la Russie en tant que moyen de conceptualisation. Son analyse est

basée sur les textes des historiographes, philosophes, écrivains russes, comme

Dostoievski, Soloviov, Rozanov, Berdiaev, Merejkovski, Il’ine...Ces intellectuels,

attirés par l’idée messianique, associaient la Russie aux valeurs considérées par

eux comme féminines : résignation, communautarisme, esprit chrétien, vérité.

Oleg Rjabov analyse trois concepts : la mère-Patrie, la Russie en tant que terre de

la Sainte-Vierge et le mythe de la femme russe. Son but est de démontrer le rôle

que ces concepts ont joué dans la vie des Russes. Selon lui, le concept Mère-

Patrie a évolué dans l’histoire. Cette image apparaît d’abord dans les mythes

archaïques, où la mère représente souvent la terre. La terre est à son tour

505 Interview avec François Bayrou, l'invité de RTL Midi, jeudi 3 novembre 2011. 506 «Россия – это мать, Москва – матушка, царь – батюшка, императрица – матушка, соотвествтенно поданные – это дети, все славяне – братья, православные народы – тоже братья» ( La Russie est une mére, Moscou est une mère (matouchka), le tsar est un père, l’impératrice est une mère, ainsi le peuple est leurs enfants, tous les slaves sont des frères, tous les peuples orthodoxes sont aussi des frères ) Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.209. 507 Il est question des études de la sexo-spécificité ou des rapports sociaux de sexe, qui analysent le rôle du sexe/genre dans la société, la culture, l’économie. À l'université de Genève, on a crée une Unité interdisciplinaire d'études genre qui travaille à travers de trois approches différentes: études femmes, études féministes et études genre. Les études genre apparaissent dans les années 1980 et le début des années 1990 suite au développement des études féministes. Cette approche a pour objet les rapports entre les sexes au sein de la société et ne se concentre pas spécialement sur les femmes. 508 Rjabov O., “Rossiia-Matushka'': Natsionalizm, gender i voina v Rossii XX veka (Soviet and Post-Soviet Politics and Society 60), ibidem-Verlag, 2007, 284 p.

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174

identifiée à la Russie. D’après Oleg Rjabov, après les réformes de Pierre Ier, la

Mère Russie a commencé à symboliser l’opposition à l’État, lequel était associé

par le peuple russe à quelque chose d’hostile et d’occidental.

D’un côté, toujours selon Oleg Rjabov, la même tendance a été conservée à

l’époque soviétique avec l’opposition au régime, par exemple dans les œuvres de

Soljenitsyne. D’un autre côté, pendant la période soviétique, cette personnification

apparaît dans les affiches patriotiques. On construit des statues en son honneur

sous le nom de « Mère-Patrie » pour unifier les nombreuses ethnies de l’Union

soviétique sous le même symbole. La fameuse affiche « Rodina-Mat’ zovet » (la

Mère-Patrie appelle) a été diffusée pendant la deuxième guerre mondiale afin

d’inciter le peuple à s’inscrire dans l’armée. La métaphore familiale servait à la

propagande et à l’idéologie509. Malgré cette idéologie, les Russes distinguent

souvent la patrie et l’État ; de plus, la synonymie entre ces mots n’est même pas

fixée par le Dictionnaire de synonymes510. Cependant, nous avons trouvé parmi

les associations au mot gosudarstvo le mot rodina (patrie) et nous analyserons

cette synonymie dans le discours russe dans notre chapitre suivant.

Les changements politiques et sociaux dans l’histoire influencent la métaphore

familiale ainsi que son rôle évaluatif dans le discours. Ainsi, on peut observer

l’évaluation positive de la perestroïka « Gorbatchev – père de la perestroïka », qui

a ensuite été remplacée par une valeur péjorative de l’image de l’État russe en

tant que famille de mafieux, ici Čudinov voit le mariage entre la métaphore

familiale et la métaphore criminelle511.

La métaphore familiale est également présente dans le discours à travers des

verbes comme заботиться (zabotit’cja – s’occuper), помогать ‘pomogat’ -

aider), давать (davat’-donner) qui transmettent les rapports du père

(gosudarstvo-État) et du fils (narod-peuple) dans un certain contexte:

509 Čudinov cite l’exemple de la métaphore « Staline père des peuples », « Lénine –grand-père », Ibidem. 510 Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika. Moskva : Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 511 Ibidem.

Page 176: dans les langues

175

… когда государство заботится о своих гражданах512.

…quand l’État s’occupe de ses citoyens.

Conclusion

Dès le début de notre travail, nous avons fait l’hypothèse que les métaphores

conceptuelles dans le discours peuvent dégager de nouveaux rapports

sémantiques, différents de ceux fixés par les dictionnaires. Nous pouvons

constater dans le discours médiatique russe une fréquence importante de

personnification de l’État en tant que métaphore conceptuelle. Elle met au premier

plan le trait humain fixé dans les définitions des État/gosudarstvo. Pour Georges

Lakoff, cette métaphore est une des plus importantes sur l’arène internationale,

car elle décrit au mieux la politique de l’État513.

La métaphore corporelle utilisée dans la presse française et russe rapproche aussi

l’État de l’homme grâce à ses caractéristiques : l’État est identifié au corps humain

et peut éprouver la même chose : il peut être malade, peut souffrir, se rétablir…,

même si ses caractéristiques dépassent souvent les possibilités

humaines (comparaison de l’État au monstre, ayant des pouvoirs surnaturels).

Les métaphores telles que « l’État/gosudarstvo est une machine, un mécanisme »

ou « l’État/gosudarstvo est un moyen de transport » ou « L’État/gosudarstvo est

une monarchie » jouent également un rôle important dans le système conceptuel

russe et français aujourd’hui. C’est le trait structurel qui caractérise ces

métaphores et qui fait concurrence au trait humain. La présence du trait

géographique est beaucoup plus faible ; on le retrouve dans des métaphores

telles que « L’État est une monarchie » et « Gosudarstvo – monarxija » où le

territoire est bien déterminé. La métaphore spatiale « Gosudarstvo – gromada »,

512 Alferov Ž., « My dolžny vinit’ sami sebja », 2001, www.ruscorpora.ru, Consulté le 14 mars 2010. 513 « Когда государства описывают данной метафорой, в них видят присущие им характеры, что ведет к описанию государств как «миролюбивых и агрессивных, ответственных и безоственных, трудолюбивых и ленивых (Lakoff, 1991) » « Quand on utilise cette métaphore pour les Etats, on y voit les caractéristiques suivantes : paisibles ou agressives, responsables et irrésponsables, assidu et paresseux », in Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p.322.

Page 177: dans les langues

176

employée dans le dictionnaire de Baranov et de Karaulov, nous renvoie à un

territoire immense.

Il nous semble néanmoins difficile de déterminer la dominance de tel ou tel trait

car nous étions limités dans le temps et par notre choix de corpus qui n’est pas

exhaustif. De plus, la construction des concepts d’État/gosudarstvo chez les

Français et les Russes est influencée par les hommes politiques et les

journalistes. Les métaphores dans la presse servent non seulement à désigner

des concepts mais aident aussi les journalistes et les hommes politiques à

influencer le lecteur, à le manipuler. Ainsi la presse, à l’image des dictionnaires,

devient un dictateur de norme, qui tente de nous imposer sa définition. Il nous est

apparu donc judicieux de nous adresser à un autre discours, celui de tous les

jours, afin d’y voir plus clair la perception des mots État/gosudarstvo. Pour cela,

nous nous adressons aux aspects psycho, ethno et sociolinguistiques, jusqu’à

présent pris en compte, mais insuffisamment développés.

Nous ne négligeons pas le point de vue de Georges Lakoff et de Mark Johnson,

qui affirment que « les métaphores politiques influencent notre vie

quotidienne »514, c’est-à-dire que notre perception des mots État/gosudarstvo

dans la vie de tous les jours est dépendante du discours politique.

La spécificité de la perception des concepts État/gosudarstvo par les Français et

les Russes a généré une autre hypothèse partiellement prouvée. De nombreux

exemples ont montré que plusieurs métaphores portent un caractère universel.

Prenons, par exemple, la personnification, la métaphore corporelle, animalière,

familiale, guerrière, criminelle, sportive... L’analyse comparative des métaphores

conceptuelles permet ainsi de dégager les caractéristiques communes pour les

deux cultures. Autrement dit, les sources utilisées pour représenter les concepts

État/gosudarstvo sont les mêmes. En revanche, les images (frames) ne sont pas

toujours identiques. Ainsi, si la Russie est le plus souvent comparée à l’ours, la

514 Lakoff G., Johnson M., Les métaphores dans la vie quotidienne, Traduit de l’américain par Michel Defornel avec la collaboration de Jean-Jacques Lecercle. Les éditions de minuit, 1985, p. 249.

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177

France l’est au coq. Nous observons la différence des « frames » utilisées pour la

personnification : l’État devient père Noel, père fouettard et gosudarstvo se

transforme en double, berger... Souvent, certaines expressions françaises perdent

avec le temps leur caractère métaphorique, alors que leur traduction en russe le

leur rend : le corps étatique – gosudarstvennoe telo. Ces exemples témoignent en

faveur de spécificités de la construction conceptuelle, due à un environnement

historique et socioculturel propre à chaque culture. Néanmoins, malgré ces

spécificités, les mondes conceptuels russe et français possèdent plus de sources

et images communes que différentes.

Pour résumer, nous avons procédé à la construction du tableau suivant, qui

présente les sources communes et les images communes ou différentes,

concernant les concepts État/gosudarstvo et France/Russie :

Sources communes Images communes ou différentes

État (France) Gosudarstvo (Russie)

Humain

(personnification)

Arbitre-арбитр (arbitr)

Gendarme-жандарм (žandarm)

Patron, gestionnaire – хозяин,

предприниматель (xozjain, predprinimatel’)

Veilleur de nuit-ночной сторож (nočnoj storož)

Personne active, passive - активное, пассивное

лицо (aktivnoe, passivnoe lico)

Père Noel Двойник (dvojnik-

double)

Père fouettard Пастух ( pastux-

berger)

Famille

Mère-мать (mat’), père (otec)

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famille Брат (brat-frère),

семья (semja-famille)

Corps humain

Organisme-организм (organizm), Тело (telo-

corps), глаза (yeux), уши (oreilles), nose-нос (nez),

лицо (visage), руки (bras, mains)

Mécanisme,

machine

Machine étatique - государственная машина

(gosudarstvennaja mašina)

Monarchie Royaume Царство (carstvo)

Guerre Armée-армия (armija)

Théâtre

Spectacle-спектакль (spectacl’)

Orchestre-oркестр (orkestr)

Марионетка

(marionetka-marionnette)

Transport

Train-поезд (poezd), navire-корабль (korabl’),

voiture- машина (mašina-)

телега (telega-

télègue)

Sport

Arbitre –арбитр (arbitr)

Monde criminel

Association criminelle- Преступное сообщество

(prestupnoe soobščestvo)

Page 180: dans les langues

179

Personne criminelle Тюрьма (tjur’ma-

prison)

Monde animalier

Coq, boa

Медведь (medved’-

ours), конь (kon’- cheval),

звероящер (zverojaščer-

synapside), шакал

(šacal-chacal)

Ce schéma démontre que les sources auxquelles ont recours les Russes et les

Français pour construire la perception des concepts sont souvent communes, et

même universelles. Comme nous avons pu le constater, le monde anglo-saxon a

aussi recours à des sources telles que sport, monde animalier, guerre, théâtre…,

les images que ces sources fournissent ne sont en revanche pas toujours les

mêmes, d’où la spécificité de la construction conceptuelle liée aux différentes

cultures. Nous précisons que le nombre des images énumérées n’est pas

exhaustif et qu’il devrait être complété par des recherches ultérieures.

Page 181: dans les langues

180

Chapitre 3

Les associations liées aux mots État/gosudarstvo dans les dictionnaires des normes associatives russes et

françaises

3.1. Historique des dictionnaires associatifs

Comme nous l’avons mentionné dans l’introduction, il existe aujourd’hui un certain

nombre de dictionnaires des normes associatives. L’apparition de ces derniers est

liée aux travaux des chercheurs allemands en psychologie. Les chercheurs

allemands Albert Thumb et Karl Marbe ont été les premiers à utiliser l’expérience

associative dans l’étude du discours ; leurs expériences ont été reprises

ultérieurement par Gertud Salling ainsi que par d’autres515.

Ensuite l’expérience associative fut introduite dans la linguistique et en particulier

dans les études sémantiques car les linguistes tentèrent de comprendre ce qui

était formé grâce aux facteurs psychiques et ce qui était lié à la langue516. La

première liste des associations verbales a été publiée, en 1910, par Grace Helen

Kent et Aaron Joshua Rosanoff qui rassemblèrent les 100 mots (stimuli) les plus

fréquents dans la vie quotidienne selon les réactions de 1000 personnes

515 Les expériences d’ Albert Thumb et Karl Marbe consistaient à démontrer que lorsqu’on prononçait des noms de parenté devant plusieurs personnes en demandant de répondre par d’autres mots, on obtenait des noms de parenté en tant que associations, par exemple, père-mère. Plus tard, en reprenant leurs résultats, Gertud Salling a montré qu’on pouvait utiliser ce test par écrit et demander à chaque personne d’écrire le premier mot auquel elle aura pensé par réaction. Gertud Salling a aussi prouvé que l’âge influence la production associative, ainsi qu’il était nécessaire de créer des dictionnaires d’associations qui pourraient servir aux linguistes. 516 Debrenne M., Frey C. Morel M.-A. « L’étude des champs associatifs du français : création d’un dictionnaire des normes associatives », in Congrès Mondial de Linguistique Française, Paris, 2008, Institut de Linguistique Française : Durand J. Habert B., Laks B. (éds.), p. 1117- 1127.

Page 182: dans les langues

181

interrogées517. Un ouvrage collectif dirigé par Leo Postman, publié en 1970, réuni

tous les travaux connus sur les normes associatives de l’anglais, du français et de

l’allemand518. Enfin, en 1973, Kiss publie « An associative thesaurus of English

and its computer analysis»519. The Edinburg Associative Thesaurus est disponible

aujourd’hui sur Internet520. Nous nous y référons également pour comparer les

réponses au stimulus State à celles des stimuli État/gosudarstvo.

Le premier dictionnaire des normes associatives du russe a été réalisé en 1977

par Aleksej Alekseevič Leontjev521, qui a beaucoup contribué à la création de la

psycholinguistique en tant que science. Leontiev, fut le premier à publier certains

travaux importants de Lev Vygotskij522 et d’Aleksej Nikolaevič Leontjev. Ensuite,

l’école psycholinguistique et ses membres, tels que Jurij Karaulov, Evgenij

Tarasov et Natalja Ufimceva, contribuent à l’élaboration de plusieurs dictionnaires

des normes associatives : par exemple, les dictionnaires des normes associatives

du russe523, de l’espagnol524, de l’allemand525, des langues slaves526.

Depuis les années 90, l’école de psycholinguistique de Moscou a commencé à

élaborer une nouvelle base théorique pour les études d’ethnolinguistique et de

517 Kent G. H., Rosanoff A. J.., “A study of association in insanity”, in American Journal of Insanity, v. 67, No., 1910, p.37-96, 317-390. 518 Postman L., Norms in word association, New York: Academic Press, 1970, 467 p. 519 Kiss G.R., Armstrong, C., Milroy, R., and Piper, J. “An associative thesaurus of English and its computer analysis”, in The Computer and Literary Studies. Edinburgh: University Press, 1973 520 http://www.eat.rl.ac.uk/, Consulté le 21 juin 2010. 521 Leontiev A.A., Slovar’ associativnyx norm russkogo jazyka, M., 1977, 192 p. 522 Ce psychologue russe est connu pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie historico-culturelle du psychisme. Il a prouvé l’existence d’un lien entre les associations verbales, représentatives de la conscience linguistique et les perceptions ethnologiques et socioculturelles. 523 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’: ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, 784 p. Russkij associativnyj slovar’. Kniga 2. Obratnyj slovar’ : ot reakcii k stimulu. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, 992 p. 524 Sančes Puig M., Karaulov Ju. N., Čerkasova G.A., Associativnye normy ispanskogo i russkogo jazykov. Moskva-Madrid: “Azbukovnik’, 2001, 496 p. 525 Ufimceva N.V. et autres, Associativnye normy russkogo i nemeckogo yazykov, Voronež: Injaz RAN – VGU, 2004, 130 p. 526 Slavjanskij associativnij slovar': russkij, belorusskij, bolgarskij, ukrainskij, red. N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Ju.Karaulov, V.F. Tarasov, M., 2004, 800 p.

Page 183: dans les langues

182

psycholinguistique. Cette théorie se basait sur « l’analyse de la particularité de la

conscience linguistique nationale spécifique à une culture donnée»527. L’idée

principale était de réaliser une analyse contrastive des consciences linguistiques

de différentes cultures. Ce type d’analyse considère la langue et la culture

« comme des formes d’existence de la conscience sociale, où se retrouvent

l’image de soi (celle de son propre peuple) et l’image de l’autre »528.

Toutefois, les principes de cette école ont été critiqués, par exemple, par Patrick

Sériot qui s’est prononcé contre la notion de conscience linguistique nationale. En

raison de ces critiques, nous préférons parler des particularités dans la perception

des mots État/gosudarstvo par les francophones et les russophones. Nous

analysons les associations verbales, afin d’établir la matrice sémantique commune

en raison de l’universalisme du concept d’État. Cependant, nous supposons qu’il

existe des associations spécifiques, dues aux facteurs historiques et

socioculturels, ainsi que des associations individuelles qui représentent la partie

inconsciente sur les mots (associations non répétitives).

3.2. Les associations liées au mot gosudarstvo dans le dictionnaire des normes associatives russes

3.2.1. Dictionnaire des normes associatives russes

Nous avons décidé de nous référer au thésaurus des normes associatives rédigé

par Jurij Karaulov, Galina Čerkasova, Natalja Ufimceva, Jurij Sorokin et Evgenij

Tarasov, dans lequel nous avons retrouvé les associations obtenues pour le mot

gosudarstvo. Les résultats se divisent en deux dictionnaires : direct et inverse. Le

dictionnaire direct (du stimulus à la réaction) comporte toutes les réactions au mot

gosudarstvo, par ordre de fréquence. Le nombre de réactions identiques est

indiqué après le mot. A la fin de l’article on trouve une série de chiffres, séparés

par un signe +. Le premier chiffre indique le nombre total de réactions obtenues à

527 Debrenne M., Frey C. Morel M.-A. « L’étude des champs associatifs du français : création d’un dictionnaire des normes associatives », in Congrès Mondial de Linguistique Française, Paris, 2008, Institut de Linguistique Française : Durand J. Habert B., Laks B. (éds.), p. 117-118. 528 Ibidem.

Page 184: dans les langues

183

ce mot, le second, le nombre de réactions différentes, le troisième est celui des

abstentions et le dernier prend en compte les réactions uniques 529 :

Государство Страна 49; наше 29; власть 21 ; социалистическое 19 ; и право,

правовое, Cоветское 18; большое, СССР 16; и революция 14;

революция 13; право, это я 12...

(Pays 49 ; pouvoir 21 ; socialiste 19 ; et le droit, de droit, Soviétique 18 ;

grand, l’URSS 16 ; et la révolution 13 ; le droit, c’est moi 12…)

Au total, le dictionnaire présente 645 réactions, parmi lesquelles 237 différentes,

157 uniques et 6 abstentions.

Le dictionnaire inverse (de la réaction au stimulus) présente les articles

différemment, puisque l’entrée est fixée par la réaction des sujets de l’expérience

aux stimuli. Les chiffres indiquent la fréquence de cette réaction.

Ainsi государство - страна 14; правительство 9 ; … (État – pays 14,

gouvernement 9 ; …) signifie que, dans le dictionnaire direct, à l’article страна

(strana - pays) le substantif государство (gosudarstvo - État) a été donné 14

fois, tandis qu’il a été donné 9 fois comme réaction au stimulus правительство

(pravitel’stvo - gouvernement)530.

Comme nous l’avons déjà mentionné, les deux dictionnaires des associations sont

considérés comme des dictionnaires descriptifs, qui ne fixent pas de normes mais

servent à donner toutes les associations possibles pouvant susciter différents

concepts parmi lesquels celui de gosudarstvo.

529 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’: ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.38. Nous joignons la liste complète des réactions au stimulus gosudarstvo, Annexe V (1). 530 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 2. Obratnyj slovar’ : ot reakcii k stimulu. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju. A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.62. Voir Annexe V (2).

Page 185: dans les langues

184

Les résultats obtenus lors de l’expérience et fixés ensuite par les dictionnaires

nous ont révélé les associations au mot gosudarstvo qui permettent de déterminer

les équivalents psychologiques des « champs sémantiques » définis par les

dictionnaires usuels, ainsi que d’évaluer le positionnement des locuteurs envers le

concept de gosudarstvo. Nous avons été confrontée à diverses associations

appartenant à toutes les classes verbales (substantif, adjectif, pronom) de

caractère paradigmatique et syntagmatique. Les personnes interrogées sont des

étudiants de différentes spécialités de la 1ère à la 3ème année de Licence, âgés de

17 à 25 ans, effectuant leurs études dans des établissements d’enseignement

supérieur dans différentes régions du pays et pour qui le russe est la langue

maternelle.

3.2.2. Analyse des résultats du dictionnaire direct

Tout d’abord, les linguistes russes et étrangers, tels que Jurij Karaulov, Natalja

Saburkina, Marija Sančes Puig et d’autres, ont déjà eu recours aux résultats de ce

dictionnaire pour analyser le mot gosudarstvo et sa perception par les Russes. En

analysant les associations de ce mot, nous attirons l’attention avant tout sur les

liens sémantiques qui sont à la base de ces associations, afin de mettre en

évidence les traits sémantiques dominants de ces associations : trait humain, trait

géographique et trait structurel, déterminés par Sylvianne Remi-Giraud et

mentionnés dans notre introduction531. Notre hypothèse est que ces associations,

à travers lesquelles les Russes cherchent à définir le mot gosudarstvo, diffèrent

des caractéristiques sémantiques du mot gosudarstvo fixées par les dictionnaires.

Nous comparons également ces associations aux métaphores conceptuelles

parues dans le discours, notamment dans la presse, analysées dans notre

chapitre précédent. Le caractère grammatical ainsi que la fréquence de ces

associations sont aussi importants pour nous, même si ces paramètres ne sont

pas au cœur de notre analyse.

531 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.22.

Page 186: dans les langues

185

3.2.2.1. Trait géographique

La première place, parmi les associations au mot gosudarstvo, revient au

substantif страна (strana - pays), qui a obtenu 49 réponses lors de

l’expérimentation. Comme nous l’avons précédemment analysé dans notre

premier chapitre, le mot страна (strana) est bien présent dans la définition du

mot gosudarstvo fixée par le dictionnaire de langue :

Страна с определенной политической системой. (Pays ayant un

système politique déterminé). 532

Il s’agit bien de la synonymie entre ces mots qui est également fixée par le

dictionnaire de synonymes :

Государство, страна…533 (État, pays)

Nous pouvons donc déjà affirmer qu’il s’agit, d’un côté, des relations

paradigmatiques entre le stimulus gosudarstvo et la réponse strana du point de

vue grammatical ; d’un autre côté, cette association fait partie des connaissances

partagées par tous, c’est-à-dire reflète cette partie consciente, constante.

Procédons à l’analyse des traits sémantiques de cette association.

Dans le dictionnaire de la langue russe d’Ožegov et de Švedova le mot страна

(strana-pays) possède deux sens :

1. Территория, имеющая собственное государственное управление

или управляемая другим государством. (territoire, soit ayant sa propre

structure étatique, soit dirigé par un autre État)

2. Местность, территория534. (lieu, territoire)

532 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.332. 533 Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika. Moskva : Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 534Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.772.

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186

Ces deux sens nous permettent de saisir deux traits sémantiques : le trait

géographique (territoire) et le trait structurel (structure). Alors, il n’y a aucun doute

sur le fait que c’est le trait géographique qui prédomine.

Parmi les associations qui contiennent également ce trait, nous pouvons classer

les associations telles que Советское 18; большое, СССР 16; огромное,

Российское 10; Россия 7; граница, родное 5; Африки, Израиль, карта,

территория, Родина 3; город, Отечество, отчизна, соседнее, Урарту,

Швеция 2; Азии, Англия, Ангола, в Европе, географическая карта, глобус, ,

далекое, Европа, Европы, Египет, Каир, Китай, Латинской Америки,

Мальта, Нидерландов, Перу, РСФСР, район, Челябинск, штат 1.

(Soviétique 18 ; grand, l’URSS 16 ; immense, Rossijskoe 10 ; Russie 7 ; frontière,

natal 5 ; de l’Afrique, l’Israël, la carte, territoire, patrie 3 ; ville, Patrie, voisin,

Ourartou, Suède 2 ; de l’Asie, Angleterre, Angola, en Europe, la carte

géographique, le globe, lointain, Europe, de l’Europe, Egypte, Caire, Chine, de

l’Amérique latine, Malte, des Pays Bas, Pérou, RSFSR (République socialiste

fédérative soviétique de Russie), région, Tcheliabinsk, État 1.

Nous observons les associations géographiques de classe différente : noms

propres et adjectifs, pronoms et même les syntagmes. Le rôle des adjectifs

qualificatifs, tels que большое (bolšoe-grand), огромное (ogromnoe-immense),

est important car il montre la spécificité des associations chez les Russes, qui

considèrent ainsi n’importe quel État comme quelque chose de grand, d’immense.

Il est aussi important de noter que les Russes associent le mot gosudarstvo

d’abord à l’ancien nom propre СССР (SSSR-URSS) (18) et ensuite au nom actuel

Россия (Rossija-Russie) (7) ; la même chose pour les adjectifs Советское

(Sovetskoe-soviétique) 18 et Российское (Rossijskoe-russe) 10.

Nous savons que les rédacteurs du dictionnaire des normes associatives ont

commencé à réaliser leur expérience en 1986. C’était encore la période de

l’URSS; donc, si nous tentons de nous projeter dans ces années, nous constatons

que l’image de l’URSS est encore très présente dans les consciences et même

Page 188: dans les langues

187

chez les jeunes nés dans l’Union soviétique. Le rédacteur du dictionnaire535 Jurij

Karaulov souligne que l’époque soviétique a formé des stéréotypes dans la

perception russe qui se maintiennent toujours536. Jurij Karaulov cite comme

exemple des stimuli et leurs réactions qui reflètent ces stéréotypes : советский –

значит отличный (sovetskij – značit otličnyj) (soviétique – signifie excellent),

отец – народов (otec – narodov) (père des peuples), труда – ударник (truda –

udarnik) (travailleur de choc), труду – и обороне (trudu - i oborone) prêt pour le

travail et la défense)537, пальца – ты записался добровольцем538 (pal’ca – ty

zapisalsja dobrovol’cem) (du doigt – tu t’es engagé comme volontaire) , жалость –

не украшает советского человека (žalost’ – ne ukrašaet sovetskogo čeloveka)

(la pitié n’embellie pas l’homme soviétique)539 et autres. De plus, Jurij Karaulov

souligne que ces réactions sont souvent dotées d’une connotation défavorable ou

ironique. Si nous recourons aux réactions au stimulus gosudarstvo comme

социалистическое (socialiste), Советов (des Soviets), аппарат насилия

(appareil de la violence), машина для угнетения (machine pour oppression),

трудящихся (de travailleurs), nous verrons qu’il s’agit en effet d’expressions

stéréotypées ancrées dans la perception des Russes et employées de manière

ironique ou péjorative aujourd’hui.

535 Karaulov Ju.N., « Russkij associativnyj slovar’ kak novyj lingvističeskij istočnik instrument analiza jazykovoj sposobnosti », in Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A.Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Astrel’, 1994. p. 190-218. 536 «Советская эпоха внесла в русское национальное самосознание специфические черты, которые, отлившись в устойчивые вербальные формы, в стереотипы, на длительный период стали определять отношение к тем или иным сторонам и явлениям действительности, влиять на поведение носителей языка, на позицию «я» в мире » Ibid., p.202 « L’époque soviétique a introduit des traits spécifiques dans l’identité russe qui sont devenus des formes verbales, des stéréotypes. Ces derniers ont commencé à influencer les locuteurs d’une langue, leur attitude envers tel ou tel phénomène ou activité, la compréhension de « soi-même » dans le monde » (Karaulov 1994 : 202) 537 «Готов к труду и обороне» (ГТО) (Prêt pour le travail et la défense de l’URSS) (abbréviation GTO) est un programme d’exercices physiques, qui existait de 1931 à 1991 dont l’objectif était l’éducation civique des jeunes. 538 «Ты записался добровольцем?» (Tu t’es engagé comme volontaire ?) est une affiche de propagande, créée par D.Moor (Dmitrij Orlov) pendant la guerre civile russe, de 1917 à 1923, pour promouvoir l’engagement à l’Armée rouge, formée par le pouvoir bolchevik. 539Karaulov Ju.N., « Russkij associativnyj slovar’ kak novyj lingvističeskij istočnik instrument analiza jazykovoj sposobnosti », in Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A.Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Astrel’, 1994. p. 202.

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Les Russes n’associent pas le mot gosudarstvo seulement à leur propre pays,

mais aussi à un certain nombre de pays étrangers : Израиль (Izrail'-Israël),

Швеция (Švecija-Suède) 2 ; Англия (Anglija-Angleterre), Египет (Egipet-

Egypte), Каир (Kair-Caire), Китай (Kitaj-Chine) ….1. Il s’agit des expressions que

les Russes forment avec ces noms propres et le mot gosudarstvo.

Viktoria Kransnix, philologue russe, souligne dans son article « Le concept comme

objet d’étude de la linguoculturologie sur l’exemple du concept de

gosudarstvo »540 une certaine tendance à employer des syntagmes de type

государство РФ (gosudarstvo RF - L’État de Fédération de Russie),

государство Израиль (gosudarstvo Izrail’-L’État Israël), европейское

государство (evropejskoe gosudarstvo – un État européen)…dans les sites

russe.

Parmi les nombreuses réactions mentionnées, nous voulons attirer l’attention sur

les synonymes Родина (Rodina) 3 ; Отечество (Otečestvo), Отчизна (Otčizna)

2, qui n’ont qu’un seul équivalent en français : Patrie. Nous nous sommes aperçue

que leur construction complexe rend la saisie des traits sémantiques plus difficile.

Voici la définition de ces synonymes dans le dictionnaire de la langue russe :

Родина

1. Отечество, родная страна. Patrie, pays natal.

2. Место рождения, происхождения кого-чего ниб., возникновения чего-

ниб.541. Lieu de naissance, d’appartenance ou d’origine de quelqu’un ou de

quelque chose.

Отечество

Страна, где человек родился и к гражданам кот-ой он принадлежит542.

Pays ou un homme est né et dont il est citoyen.

540 Krasnyx V.V., « Ponjatie kak predmet izyčenija lingvokul’turologii: postanovka problemy (na primere ponjatija « gosudarstvo ») », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005: Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, op.cit., p.118-125. 541 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.681.

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Отчизна

(высок.) Отечество, родина. Любовь к отчизне. Отчизны верные сыны.

Littér. Patrie. Amour de patrie, les fils fidèles à la patrie.

Ici les trois traits sont présents : géographique (lieu), structurel (appartenance) et

humain (l’endroit où quelqu’un est né) ; de plus, ils se trouvent en étroite liaison

entre eux, ce qui rend le problème de la prédominance extrêmement difficile.

Il existe de nombreuses études sur le concept de patrie, qui a trois signifiants en

russe: Родина, Отечество, Отчизна (Rodina, Otečestvo, Otčizna - Patrie). Irina

Sandomirskaja analyse ce concept en tant qu’idiome culturel543, car il est ici

question de la représentation collective d’une communauté donnée. Comme nous

l’avons vu dans notre chapitre consacré aux métaphores, la métaphore

conceptuelle « Родина-мать » (Mère-Patrie) est souvent employée dans le

discours russe. Irina Sandomirskaja cite d’autres métaphores de la Patrie :

« Родина-Путь, Родина-Семья, Родина-Дом» (« Rodina-Put’ », « Rodina-

Semja », « Rodina-Dom ») (« Patrie-chemin », « Patrie-Famille », « Patrie-

Maison ») et souligne que ce caractère imagé est typique des idiomes culturels

ainsi que de leur contexte émotionnel.

Les synonymes Родина, Отечество, Отчизна (Rodina, Otečestvo, Otčizna) ont

des étymologies différentes. Le mot oтечество (otečestvo) (отьчьство,

отьчьствие) signifiait en vieux russe et jusqu’ au XVIIe siècle, non seulement le

« pays des pères », mais aussi les relations parentales, d’où vient le mot russe

отчество (otčestvo) (patronyme). D’après le Dictionnaire étymologique de

Semenov, le mot «отчизна» (otčizna), en vieux russe отьць, apparaît un peu

plus tard dans le vocabulaire russe, vers le début du IXe siècle, pour désigner le

père, l’ancêtre, la terre des pères544. Nous avons trouvé dans les chroniques le

542 Ibid., p.470. 543 Sandomirskaja I., « Rodina, Otečestvo, Otčizna v diskursivnyx praktikax sovremennogo russkogo jazyka. Opyt analiza kul’turnoj idiomy » in Etnolinguistika N 11, Lublin 1999, p. 51- 68. 544 Semenov A.V., Etymologičeskij slovar’ russkogo jazyka, Moskva : Izdatel’stvo Junves, 2003, disponible sur le site : http://evartist.narod.ru/text15/018.htm#%D0%B7_37. Consulté le 20 avril 2010.

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mot отчина545. Les origines de ces chroniques restent incertaines, mais peuvent

être datées selon les historiographes, tels Šahmatov ou Orlov, du XVe ou du début

du XVIe siècle.

Citons également le mot вотчина et son étymologie:

вотчина "наследное имение", др.-русск. отьчина то же , в отличие

от др.-русск. помьстье "имение, полученное за заслуги"

votčina « propriété héritée », vieux russe ot’čina la même chose,

contrairement à pom’st’e, vieux russe « propriété, obtenue pour les

mérites.

Selon le Dictionnaire étymologique de Fasmer, le mot родина (rodina) provient du

mot род (rod-famille, génération) et il est utilisé dans le sens de « родная

страна» (rodnaja strana-pays natal) pour la première fois par Derzavin546. Selon

Viktor Vinogradov, le mot «отечество» (otečestvo) était plus expressif à l’époque

tsariste et a acquis une connotation révolutionnaire suite à la tentative de coup

d’État des décembristes, tandis que le mot « patrie » plus neutre ne signifiait que

l’endroit natal547.

Aujourd’hui les journalistes et les hommes politiques recourent volontiers au

lexique patriotique et notamment aux synonymes : Родина, Отечество,

Отчизна (Rodina, Otečestvo, Otčizna). Pour vérifier la fréquence de ces mots,

nous nous sommes adressées au Corpus national de la langue russe. Le leader

est devenu le mot Родина (Rodina) avec 1153 documents, 2006 entrées. Il

545 Bulanov V.I. Rybakov B.A., Kloss B.M., « Letopisec Pereslavlja Suzdal’skogo (Letopisec russkix carei) », in Polnoe sobranie russkix letopisej, T.41, M. : Arxeogr. Centr, 1995, p.131. 546Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T. 1 A-D, T 3 Muza-Sjat, Moskva : Astrel’. AST, АСТ, 2004, p. 491. 547Vinogradov V.V., Istorija slov. Moskva : Institut russkogo jazyka iv. V.V. Vinogradov RAN, 1999, p. 998.

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191

faudrait pourtant distinguer l’emploi fréquent du nom propre du parti « Rodina »548

de l’emploi du nom commun. Voici l’exemple de l’emploi du nom propre :

Я обвинил генерала в предательстве / что он сегодня с теми / кто

обманывает вас / потому что это никакой не блок "Родина" / а

обычная фальшивая тусовка.549

J’ai accusé le général de trahison, car il est aujourd’hui avec ceux qui nous

trompent. « Rodina » n’est pas un parti mais une « party pour hypocrites ».

Comme cet extrait de l’intervention le témoigne, l’attitude de l’orateur envers le

parti politique « Rodina » est très négative. Le parti est comparé à une soirée,

fête, « party » des hypocrites « фальшивая тусовка550 » (fal’šivaja tusovka-

party des hypocrites). Ainsi, le caractère du parti politique est discrédité par une

comparaison avec une soirée de jeunes et de plus la critique est renforcée par le

fait que les personnes qui se réunissent à cette soirée sont hypocrites.

Le nom commun Родина (Rodina) est associé au mot gosudarstvo dans l’extrait

de l’article suivant :

Но я буду чувствовать себя плохо в этой стране, если не обустроен

мой род, мой народ, а значит и моя родина, мое государство551.

Mais je me sentirai mal dans ce pays, si ma famille, mon peuple, c’est-à-

dire aussi ma patrie, mon État ne fonctionnent pas bien.

Certains journalistes critiquent cette association en la considérant comme fausse

et typique de la perception du peuple russe :

548 Ce parti a été fondé en août 1998 sous le nom « Parti des régions russes » («Партия российских регионов»), et il a été nommé « Rodina » dès février 2004. Le 29 août 2006, Rodina s'est regroupé dans un nouveau parti «Справедливая Россия» (Russie Juste) avec le Parti russe de la Vie de Sergueï Mironov et le Parti des retraités d'Igor Zotov. 549 Le discours de V. Žirinovskij à l’émission « Svoboda slova » (Liberté de parole), NTV (2004) www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 550 Le mot russe « тусовка » (tusovka) signifie une soirée informelle dans le langage parlé, aujourd’hui fixé par le dictionnaire de la langue russe d’Ožegov «встреча, свободное собрание для знакомства, обмена мнениями» (rencontre, soirée pour faire connaissance, pour échanger des idées). 551 Abdulatipov R., « Sozdanie rossijskoj nacii », in Rossijskaja gazeta, 15.05.2003., www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010.

Page 193: dans les langues

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Русский человек всегда представлялся человеком государственным,

не различающим понятия Отечество и Государство552.

Le peuple russe s’associait toujours à l’État, qui ne distinguait pas les

concepts de Patrie et d’État.

Ainsi, ce n’est plus la synonymie, mais l’antonymie qui amène l’apparition des

mots Родина, Отечество, Отчизна (Rodina, Otečestvo, Otčizna) comme

réactions au stimulus gosudarstvo.

La métaphorisation comme dans le cas des concepts de партия (partija-parti) et

de государство (gosudarstvo-État), est bien présente dans le concept de родина

(rodina-patrie). Dans l’extrait suivant, il est question de la métaphore financière :

Для многих из нынешней правящей элиты родина ― товар553.

Pour la plupart des membres de notre élite dirigeante (au pouvoir), la patrie

est une marchandise.

L’auteur essaie de démontrer l’attitude négative des autorités au pouvoir envers le

concept de родина (rodina), qu’elles considèrent comme une marchandise.

Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’ironie de l’expression «Россия ― родина

слонов» (Rossija – rodina slonov : La Russie est la patrie des éléphants)554, qui

se rencontre dans la presse contemporaine :

Евгения Ленц «Россия ― родина слонов». Вы никогда не

задумывались, почему так органично вписалась в наш лексикон эта,

в общем-то, совершенно бессмысленная присказка?555

552 Kireev G., « Ot nacional’noj utopii k nacional’noj idee », in Lebed’ (Boston), 16.06. 2003. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 553 «Futurum», ili O razdelenii Rossii na « my » i « oni » », in Žizn’ nacional’nostej, 16.06. 2004. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 554 Dans les années soviétiques le dicton ironique « L’URSS est la patrie des éléphants » est apparu avec les tentatives de déformer l’histoire des découvertes scientifiques pour de buts politiques. Les intellectuels et le public en général considéraient la propagande soviétique officielle comme trompeuse. 555 Lenc E., « Ryba v vide pticy », in Biznes-žurnal, 30.04. 2004. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010.

Page 194: dans les langues

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Evgenija Lenc « La Russie est la patrie des éléphants ». Avez-vous jamais

réfléchi pourquoi cette ritournelle absurde s’est introduite si facilement dans

notre vocabulaire ?

Nous pouvons aussi observer une attitude favorable envers ce concept dans les

trois exemples suivants :

Каков бы ни был режим― Россия наша Родина.556

Quel que soit le régime – la Russie est notre Patrie.

« Родина», «Отчизна» ― это для нас не пустые слова557.

« Rodina », « Otčiszna » ne sont pas des mots vides pour nous.

Может, страна не права, но она моя Родина558.

Peut-être, le pays a-t-il tort, mais c’est ma Patrie.

Nous pouvons constater que dans ces exemples apparaît une certaine opposition

entre l’État, le pays et la patrie. Même si les journalistes n’approuvent pas le

régime de leur État, trouvent injuste la politique de leur pays, ils acceptent

néanmoins leur appartenance à l’endroit où ils sont nés. Ce sens « l’endroit de

naissance » qui nous renvoie à la métaphore « Родина-дом» (Rodina-dom ;

Patrie-maison) est très répandu dans la perception du peuple russe.

Pour le mot Otečestvo, nous avons retrouvé dans notre corpus 810 documents et

2007 entrées. Assez répandu aujourd’hui comme un nom commun seul ou dans

les expressions telles que защитник (zaščitnik-défenseur), враг (vrag-ennemi),

сын отечества (syn otečestva- fils de la patrie) et autres ; il se rencontre aussi

dans le nom du parti politique « Отечество — Вся Россия » (« Otečestvo - Vsja

Rossija »)559 :

556 Andreev A., « Buduščee prinadlezit nam! », in Zavtra, 22.08. 2003.. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 557 Kastet M., « Sistema rukopašnogo boja », in Stal’noj volk, www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 558 « Budem ži’t, rebjata… », in Soldaty ydači, 04.08.2004, www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avil 2010. 559 Le partie « Отечество — Единая Россия» (« Otečestvo – Edinaja Rossija) a été fondé en 1999. En 2002 ce parti s’est uni avec plusieurs organisations parmi lesquels« Edinstvo » et

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Один благоприятный для этого момент Кремль уже упустил ―

"Отечество" встало на ноги560.

Le Kremlin a raté un moment favorable pour cela – « Otečestvo » a réussi à

fonctionner de ses propres ailes.

Dans l’exemple suivant, il est possible d’associer le mot Отечество (Patrie) au

mot gosudarstvo (État) plus qu’au mot pays, car les fonctionnaires travaillent avant

tout pour l’État :

Либо мы создаём систему подготовки кадров, работающих на

Отечество, либо у нас будет бесконечная чехарда «своих» людей,

создающих круговую поруку, и страна превращается в кормушку для

тех или иных властвующих кланов561.

Soit nous créerons un système de formation de cadres, qui travaillent pour

l’État, soit nous aurons toujours le même chassé-croisé, qui forme un clan

coopté, qui se portera caution solidaire et le pays se transformera en

marmitte pour tel ou tel clan au pouvoir.

Quant au troisième synonyme отчизна (otčizna), le Corpus national contient un

nombre plus restreint de documents et d’entrées pour ce mot (70 documents, 86

entrées). Dans le dictionnaire de langue russe, ce synonyme est considéré

comme un mot appartenant à un style soigné, littéraire. En effet, les poètes, les

écrivains utilisent souvent ce mot pour refléter encore plus d’expressivité562 ;

comme eux, les journalistes cherchent à atteindre le même objectif :

commence à s’appeler«Единство и Отечество — Единая Россия». En 2003, il perd définitivement sa dépendance et la plupart de ses députés ont pris leur place dans la liste du parti «Единая Россия» (Russie Unie). 560 Kločkov I., « Lužkov v semejnom okruženii », in Kommersant’’-Vlast’, № 21, 1999, www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 561 Bondarenko V., « Očiščenie kul’turu », in Naš sovremennik, 15.11. 2003. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 562 Пока свободою горим, Пока сердца для чести живы, Мой друг, отчизне посвятим Души прекрасные порывы! (Пушкин А.С., «К Чаадаеву»). (Tant qu’en nous la liberté brûle, ô mon ami, offrons à la Patrie les nobles élans de nos cœurs. In Pouchkine A., Poésies. Traduction, choix et présentation de Louis Martinez. Gallimard, 1994, p. 31.

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Мы призываем всех, кому дорога наша Отчизна, ее будущее, дороги

идеи социальной справедливости в обществе, объединиться для

возрождения России563.

Nous appelons tous ceux pour qui notre Patrie, ainsi que son avenir et ses

idées de justice dans la société sont chers, à s’unir pour que la Russie

renaisse.

Ici, il est question de la synonymie partielle entre la patrie et l’État russe, car

l’auteur appelle le peuple à s’unir pour la renaissance de la Russie. Pour souligner

le caractère patriotique de son appel, il utilise le mot otčizna, qui est le plus

expressif parmi les trois synonymes.

En revanche, son emploi peut amener une certaine évaluation péjorative dans

d’autres contextes. Analysons l’exemple suivant :

Куда б его (член Совета Федерации – прим. автора) Отчизна ни

послала, он туда и шел564.

La Patrie l’envoyait n’importe où et il y allait.

Ici, l’auteur exprime une certaine ironie envers la patrie, qui est personnifiée, et le

futur membre du Conseil de la Fédération qui peut être envoyé n’importe où par la

patrie. L’expression « послать» « poslat’ » (envoyer) est dotée de plus de

connotation péjorative :

Послать 6. кого (что) В сочетании с нек-рыми бранными словами, а

также « куда подальше » : обругать, чтобы не приставал,

отвязался (простор.)565

Envoyer promener quelqu’un, quelque chose. Dans les locutions avec

certains mots grossiers tels «fiche-moi le camp » : insulter quelqu’un pour

563 Solov’ev V., « Rossiju nužno vozroždat’ », in Sankt-Peterburgskie vedomosti, 27.01. 2003.

www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 564 Kabakov A., « Portret delegata», in Kommersant’’-Vlast’, 26.02. 2002. www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 avril 2010. 565 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.568.

Page 197: dans les langues

196

qu’il vous lâche, vous laisse tranquille, envoyer se faire voir (langage

populaire).

Les journalistes recourent souvent à l’opposition des styles : langage populaire et

littéraire dans la presse en tant que moyen d’expressivité.

En conclusion, nous constatons que c’est le trait géographique qui est mis en

avant dans les trois mots Родина, Отечество, Отчизна (Rodina, Otečestvo,

Otčizna) par leur synonymie avec страна (strana - pays) ou место (mesto-

endroit). Ensuite, si l’on prend la définition du dictionnaire de langue, vient le trait

humain : страна, где человек родился (strana, u čelovek rodilsja ; pays ou un

homme est né), et le trait structurel : страна, где человек родился и к

гражданам кот-ой он принадлежит. (strana, u čelovek rodilsja i k graždanam

kotoroj on prinadležit ; pays ou un homme est né et duquel il est citoyen). Mais ce

schéma peut changer dans le discours russe, où la synonymie avec le mot

gosudarstvo peut renverser les positions et mettre en valeur le trait structurel par

rapport au trait humain. Ainsi, d’après les résultats du dictionnaire direct des

normes associatives russes, le trait géographique est mis ainsi en valeur, ce qui

ne correspond pas à nos résultats obtenus lors de l’analyse des définitions du mot

gosudarstvo dans les dictionnaires566.

3.2.2.2. Trait structurel

Parmi les réponses pour le mot gosudarstvo, dix neuf contiennent l’adjectif

социалистическое (socialiste), ce qui nous renvoie au trait structurel, car il s’agit

là du type ou forme de l’État. Le même type d'associations qui renvoie à la forme

d’État, type de l’État ou son régime comprend les mots suivants :

правовое 18 ; Советов, тоталитарное 4; капиталистическое 3;

буржуазное, демократическое, единое, независимое, суверенное,

авторитарное 2 ; демократичное, феодальное 1.

566 Voir le chapitre L’emploi du mot État (государство) dans les dictionnaires.

Page 198: dans les langues

197

(de droit 18 ; des Soviets, totalitaire 4 ; capitaliste 3, bourgeois,

démocratique, uni, indépendant, souverain, autoritaire 2 ; démocratique,

féodal 1.)

Comme nous l’avons déjà vu précédemment, la grande fréquence des mots

социалистическое (socialističeskoe-socialiste) et Советов (Sovetov-des

Soviets), comme réactions au mot gosudarstvo, est liée aux phénomènes

historiques et sociaux. D’un autre côté, la perception russe influencée par les

changements politiques de la nouvelle Russie a donné d’autres associations. Ces

associations démontrent que l’État peut être perçu comme un État de droit,

démocratique et capitaliste.

Regardons de plus près les réactions : и право 18 (i pravo- et le droit) ; право

(pravo-droit) 12. L’expression «государство и право» (l’État et le droit) fait partie

de la théorie russe d’État et de droit, dont l’objet est défini différemment par de

nombreux chercheurs. Cependant, tous s’accordent à dire que cette science

étudie les lois générales de la création, du développement et du fonctionnement

de l’État et du droit, la corrélation entre les deux, leurs caractéristiques principales,

la place et le rôle de l’État et du droit dans la vie de la société et dans le système

politique, et même les sources principales du droit comme la loi et son système

etc..567 Cette théorie a été développée en Union soviétique ; en Europe on étudie

généralement la théorie de l’État séparément du droit. La théorie russe cependant

propose de distinguer l’État du droit « l’État est une organisation du pouvoir

politique ; le droit lui, est un ensemble de normes »568. D’où vient la définition

juridique dans le dictionnaire de la langue russe moderne569 :

право

1. только ед. свод принятых имеющих силу закона и охраняемых

государством норм и правил, регулирующих отношения людей в

567 Marčenko M.N., Teorija gosudarstva i prava, Moskva: Izdatel’stvo Prospekt, 2006, p.10. 568 Ibid., p.46. 569 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.604.

Page 199: dans les langues

198

обществе, а также гарантирующих их возможности ; наука,

изучающая эти нормы и правила. (seul. Sing. Corps (code) de normes et

de règles adoptées par l’État en tant que lois, qui règlent les relations des

humains dans la société et qui garantissent leurs droits ; science qui étudie

ces normes et ces règles)

Les notions de droit et d’État ont été analysées par plusieurs philosophes,

historiens, hommes d’État, psychologues, hommes religieux. C’est la nature du

droit et de l’État qui a suscité leur vif intérêt. Nous croyons que leurs idées et

théories ont influencé la perception humaine. Nous pouvons citer Kant : L’État est

« une union d’un certain nombre de personnes, dominé par le droit »570. Ici en

effet, l’État est dominé par le droit, tandis que dans la définition fixée par le

dictionnaire, le droit est garanti par l’État, d’où vient la domination de l’État.

Du point de vue grammatical, il est aussi intéressant de noter qu’il s’agit du

recours aux relations syntagmatiques, par exemple : la réaction и право 18 (i

pravo- et le droit) et la réaction правовое 18 (pravovoe-de droit). Si dans le

premier cas on obtient le syntagme substantif + substantif à l’aide de la

conjonction и (i-et), dans le deuxième nous assistons au syntagme (adjectif

+substantif).

Parmi les réactions au mot gosudarstvo, le syntagme pravovoe gosudarstvo

(правовое государство - l’État de droit) est tout à fait logique, car cette notion

commence à s’introduire dans l’esprit du peuple russe depuis 1985 avec la

perestroïka. En 1988 Mikhaïl Gorbatchev annonça « la formation d’un État de

droit socialiste », un ensemble de réformes qui visait à garantir aux citoyens le

respect de leurs droits et à créer l’institution d’un comité de contrôle

constitutionnel. Dominique Colas y voit aussi une opposition entre l’État de droit et

l’État socialiste, car pour lui les deux ne peuvent pas exister ensemble571.

Cependant, après l’effondrement de l’URSS, la Constitution, approuvée par

référendum le 12 décembre 1993, proclame que la Fédération de Russie est

570 И.Кант: Государство - "Соединение некоего множества людей под господством права", in Semenov S., « Gosudarstvo i Graždanskoe obščestvo » in Peter-Club, http://www.peter-club.spb.ru/context/. Consulté le 23 juin 2010. 571 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.95.

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199

désormais « un État démocratique, fédéral, un État de droit, ayant une forme

républicaine de gouvernement »572 et que « L’homme, ses droits et libertés,

constituent la valeur suprême. La reconnaissance, le respect et la protection des

droits et libertés de l’homme et du citoyen sont une obligation de l’État »573.

Dominique Colas y voit un problème de définition de l’État de droit, puisque pour

lui, la Russie ne peut toujours pas être considérée comme un État de droit selon

sa politique et il serait plus judicieux de la qualifier, dans certains cas, d’État de

puissance574.

Le problème réside, en effet, dans la définition de l’État de droit. Nombreux sont

les débats sur ce sujet entre les spécialistes en droit. Plusieurs théories de l’État

de droit ont été développées au fur et à mesure de l’évolution de ce dernier. Vu le

manque de temps, nous ne pouvons pas présenter toutes ces théories et allons

essayer de dégager les principales caractéristiques de certaines. Le concept

d’État de droit apparait à la fin du XIXe dans la théorie juriste allemande du

Rechtsstaat, qui a été traduite par les juristes français, notamment par Raymond

Carré de Malberg. Comme nous l’avons vu précédemment, les rapports entre le

droit et l’État sont toujours ambigus : l’État de droit est soit « l’État qui agit au

moyen du droit, en la forme juridique, soit l’État qui est assujetti au droit, ou

encore l’État dont le droit comporte certains attributs intrinsèques »575.

La conception de l’État de droit comme un simple régime, selon Jacques

Chevallier, trouvera le soutien de Hans Kelsen, juriste austro-américain, fondateur

de la Théorie pure du droit. Il critique la doctrine allemande, qui définissait l’État de

droit par opposition à l’État de police (Obrigkeitsstaat) qui ne possédait pas de

corpus juridique576, car pour lui « l’État est une personnification de l’ordre

juridique »577. Ainsi l’État devient un État de droit à condition « qu’il établisse

certains organes spécialisés à qui il confie le soin de créer et d’appliquer les

572 Konstitucija Rossijskoj Federacii. Moskva : Omega-L, 2006, p.3. 573 Ibidem. 574 « Formule allemande où la force apparaît comme le principe de l’État ». Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.96. 575 Chevalier J., L'État de droit, 4e édition, Paris : Montchrestien, 2003, p.11. 576 Ibid., p.104. 577 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigé par G .Hermet, Armand Collin, p.103.

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200

normes qui le constituent », de plus, l’État de droit est un garant des droits

individuels, et si l’État exerce la force pour influencer le droit, ce n’est plus un État

de droit, même si il possède des organes spécialisés.

Dominique Colas est ironique vis-à-vis d’une telle conception telle qu’évoquée par

Hans Kelsen. Il cite l’exemple de la Grande Bretagne qu’on peut placer entre État

de droit et État de police ; la situation en Irlande du Nord montre que dans un seul

État les deux types sont présents. Nous avons vu la même chose pour la Russie,

où l’État prend différentes formes, tantôt de l’État de droit, tantôt de l’État de

puissance.

Néanmoins, la définition classique de cette notion reste celle qu’un État de droit

est « un État où devrait être respectée une hiérarchie des normes juridiques et,

plus particulièrement, où la validité des droits de l’individu est considérée comme

première, ce qui implique une limitation de la souveraineté »578. Jusqu’à présent le

discours politique se sert de cette expression pour opposer les régimes

démocratiques aux dictatures.

La perception du mot gosudarstvo dans les réactions l’appareil de la violence ou

violence (аппарат насилия-apparat nasilija, nasilie 1) est aussi une trace du

passé soviétique. Lénine définit l’État en tant que « организация насилия для

подавления какого-либо класса»579 (organizacija nasilija dlja podavlenija

kakogo-libo klasa- organisation de la violence pour la soumission d’une classe).

Le dictionnaire soviétique inclut ainsi les rapports de force dans sa définition de

l’État : « политическая организация господствующего класса страны во главе

с правительством и его органами, имеющими задачей охрану и подавление

классовых противников, а также сама страна с такой политической

организацией»580 (« l’organisation politique de la classe dominante avec le

gouvernement en chef et ses organes, dont le but est de protéger et lutter contre

les adversaires politiques, c’est aussi un pays avec une organisation de ce type»).

578 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique, Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.90. 579Lenin V.I., Polnoe sobranie sočinenij, T.33, Moskva : Izdatel’stvo političeskoj literaturi, p.24. 580 Ožegov C.I., Slovar’ russkogo jazyka, M., Gos. Izdvo inostr. i nac. Slovarej, 1963, p.137.

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201

Dans son article « О государе, « государьстве» и государственности» «O

gosudare, « gosudar’stve i gosudarstvennosti »581 Marija Sančes Puig arrive à la

conclusion que selon les définitions dans les dictionnaires datés d’époque

soviétique, on pouvait placer les concepts de gosudarstvo et de gosudarstvennost’

dans les mêmes champs sémantiques que les concepts de господство, власть,

подавление, класс...gospodstvo, vlast’, podavlenie, klass (domination, pouvoir,

soumission, classe dominante…)582.

Comme nous avons pu le constater, l’écho des années soviétiques se manifeste

pleinement dans les résultats actuels, à travers les réactions социалистическое

(socialističeskoe – socialiste) 19 ; революция (revolucia-révolution) 13 ; Советов

4; партия (partija-parti) 3, аппарат насилия (apparat nasilija – appareil de

violence) диктат (diktat- diktat), машина для угнетения (mašina dlja

ugnetenija - machine pour oppression), террор (terror-terreur) 1.

Tout d’abord l’association революция (revolucia-révolution) est présente dans la

conscience du peuple russe en raison des facteurs socioculturels, car l’État russe

a vécu en 1905-1907 et 1917 deux révolutions. Pourrons-nous en même temps

parler des facteurs linguistiques et de la synonymie sémantique entre ces mots ?

Dans le Dictionnaire de langue d’Ožegov et Švedova583 nous trouvons la définition

suivante de революция (revolucia-révolution):

Коренной переворот в жизни общества, который приводит к

ликвидации предшествующего общественного и политического

строя и установления новой власти.

Un changement brusque dans la vie de la société qui amène la suppression

d’un régime politique précédent et introduit un nouveau pouvoir.

581 Sančes Puig M., «O gosudare, « gosudar’stve » i gosudarstvennosti », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, op.cit., p.212—225. 582 Ibid., p.213. 583 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p. 672.

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202

Si l’État est considéré comme une organisation de la société et la révolution

comme un changement radical dans la vie de la société qui amène la suppression

d’un régime politique et l’instauration d’un nouveau régime, nous croyons qu’il

existe un trait sémantique structurel. Si nous nous imaginons l’État en tant que

structure de la société, n’importe quel changement sera appliqué à sa structure.

Ainsi ce changement peut être nommé « structurel ». Remarquons que la

définition russe du mot революция (revolucija) ressemble beaucoup à celle de

révolution fixée dans le Nouveau Petit Robert :

2. Spécial. (1680 révolution d’État) Coup d’État. Brusque changement

politique social.

Nous développerons la synonymie partielle entre la notion de révolution et de

coup d’État (государственный переворот-gosudarstvennyj perevorot) dans

notre quatrième chapitre consacré aux expressions avec les mots

État/gosudarstvo.

La réaction партия (partija -parti) au mot gosudarstvo peut aussi être liée à

l’histoire du parti communiste de l’Union soviétique, qui était le seul au pouvoir

entre 1925 et 1989. En effet, avec une structure très hiérarchisée, ce parti est

devenu l’autorité suprême de l’époque. Ainsi, le politburo (du russe : Политбюро,

abréviation de Политическоe бюро, « bureau politique »), institué en 1919, le

premier conseil (organe suprême) du Comité central du Parti communiste de

l'Union soviétique (PCUS) déterminait sa politique, sa ligne directrice. Sous

Staline, le secrétariat du comité central du PCUS devient un organe décisionnel et

ses Secrétaires généraux sont devenus chefs d’État.

Aujourd’hui le parti communiste n’est plus le même, mais, dans la perception

qu’en ont les gens, reste l’idée que n’importe quel parti au pouvoir actuel

représente le gouvernement ou l’État et souvent le parti est aussi personnifié

comme l’État :

Page 204: dans les langues

203

Как стало известно "Совершенно секретно", партия власти всерьёз

намерена "засучить рукава"584.

Le parti au pouvoir a sérieusement envie de « se retrousser les manches »,

annonce la revue mensuelle « Soveršenno sekretno ».

Если следовать формальной логике, то партия власти должна брать

ответственность за происходящие в стране реформы585.

Si nous suivons la logique formelle, le parti au pouvoir doit assumer la

responsabilité des réformes du pays.

Les réactions террор (terror-terreur) и диктат (diktat- diktat) peuvent être aussi

interprétées différemment. D’un côté, il s’agit des réponses non répétitives, donc,

relevant de l’interprétation individuelle. D’un autre, nous pensons qu’on peut les

expliquer par des facteurs extralinguistiques. Selon certains historiens, la politique

de "terreur" en URSS puise ses origines à la Révolution française, puisqu’il il y a

une grande ressemblance entre ces deux événements. Si nous recourons au

Nouveau Petit Robert nous y trouvons une des définitions suivantes de la terreur :

3. (depuis 1789) Peur collective qu’on fait régner dans une population pour

briser sa résistance ; régime politique fondé sur cette peur, sur l’emploi des

mesures d’exception. Hist. Ensemble des mesures d’exception prises par le

gouvernement révolutionnaire depuis la chute des Girondins (juin 1793)

jusqu’à celle de Robespierre (27 juillet 1794, 9 Thermidor). « La terreur

n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible »

(Robespierre)586.

Aleksandr Čudinov développe dans son article publié dans les Cahiers du Monde

Russe587 l’idée d’une grande influence que la Révolution française a exercé sur la

584 Gal’perin I., « Vlast’ « delom’ » zanimaetsja », in Soveršenno sekretno, 09.08. 2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 3 mai 2010. 585 Žerebenkov E., « Ne "Edinoj Rossiej" …», in Itogi, 04.02. 2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 3 mai 2010. 586 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2504. 587 Čudinov A.V., « Le culte russe de la Révolution française », in Cahiers du Monde Russe, 48/3, avril-septembre 2007, p.485-499

Page 205: dans les langues

204

conscience culturelle et politique de la Russie. Il affirme que l’image de la

Révolution française forma non seulement « un phénomène de la culture politique,

mais aussi une partie importante de la mémoire historique de l’intelligentsia

russe»588. Il faut dire que les Bolcheviks ont été particulièrement inspirés par la

Terreur de 1793-1794. D’après Aleksandr Čudinov, ils ont réédité à plusieurs

reprises la brochure sociale-démocrate consacrée à la Révolution française et à la

Terreur : « Les révoltés contre la République, les aristocrates, étaient traités avec

toute sévérité possible. Une telle politique est appelée Terreur, c’est-à-dire

intimidation. Si la Révolution n’avait pas châtié ses ennemis, elle serait elle-même

morte »589.

D'autres soulignent l’importance du rôle des mouvements révolutionnaires russes

du XIXe siècle, et surtout de celui de l’organsiation terroriste connue sous le nom

de Narodnaja Volja (« Volonté du peuple ») qui eut un grand succès en Russie.

Cette organisation a réalisé un acte terroriste fameux en assassinant l'empereur

Alexandre II de Russie en mars 1881.

Selon l'historien Nicolas Werth, « les dirigeants bolchéviques, notamment Lénine,

encouragèrent le développement d'une "terreur" populaire qui ne demandait qu'à

exploser »590 :

…Мы компрометируем себя: грозим даже в резолюциях Совдепа

массовым террором, а когда до дела, тормозим революционную

инициативу масс, вполне правильную…591

Nous nous compromettons car, d’un côté, nous menaçons de terreur

massive y compris dans les résolutions adoptées par le Conseil des députés,

mais, d’un autre côté, quand il s’agit d’une vraie action, nous freinons

l’initiative révolutionnaire du peuple, qui est pourtant juste…

588 Ibid., p.486. 589 Ibid. p.494. 590 Werth N., Histoire de l'Union soviétique, PUF, 1999, p. 152. 591 В. И. Ленин в своем письме Г. Зиновьеву 26 июня 1918 года ( V.I. Lenin v svoem pis’me G. Zinov’evu – Lenin dans sa lettre adressée à G. Zinov’ev, du 26 juin 1948).

Page 206: dans les langues

205

L’État bolchevik a introduit en Russie en 1918 une politique répressive

d'arrestations et d'exécutions de masse, appelée красный террор (kransyj terror

- terreur rouge), perpétrée par la Tchéka592 et l'Armée rouge durant la guerre civile

russe593.

Le mot диктат (diktat) est défini dans le dictionnaire de langue russe d’Ožegov

et Švedova comme « требование, условие, предъявляемое сильной

стороной и навязываемое слабой стороне для безусловного исполнения.

Политика диктата»594 ( trebovanie, yslovie, pred’’javljaemoe sil’noj storonoj i

navjazyvaemoe slaboj storone dja bezuslovnogo ispolnenija. Politika diktata -

demande, condition imposées par le côté fort au côté faible. Politique de diktat).

Dans le Nouveau Petit Robert on trouve que ce mot vient de l’allemand « chose

dictée » et que c’est un mot polysémique car, à part la définition déjà mentionnée,

il en possède une autre : chose imposée, en politique internationale. Le diktat de

Versailles (le traité de paix de 1919 selon les Allemands)595. Il est intéressant de

noter que dans ce dictionnaire on trouve parmi les synonymes de ce mot, le mot

указ (ukaz)596. Cette réaction peut, à notre avis, avoir des origines grammaticales

ou bien sémantiques. D’un côté, nous pouvons former un syntagme avec le mot

stimulus gosudarstvo et la réaction diktat. Voici l’exemple tiré du Corpus national

qui utilise cette locution :

592 La Tchéka (en russe : ЧК) est l'acronyme de Commission extraordinaire (en russe : чрезвычайная комиссия), forme abrégée de Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage (en russe : Всероссийская чрезвычайная комиссия по борьбе с контрреволюцией и саботажем) et désigne un service secret créé le 20 décembre 1917 sous l'autorité de Félix Dzerjinski pour combattre les ennemis du nouveau régime bolchevique. Son organisation était décentralisée et devait seconder les soviets locaux. 593 Malgré le fait que cette politique a été officiellement terminé en 1918, certains historiens considernent sa période plus étendue, c’est-à-dire durant toute la guerre civile de 1918-1923. С. П. Мельгунов Красный террор в России. 1918—1922. Берлин, 1924 (современное издание — М., 1990). 594 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.166. 595 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 724. 596 Постановление верховного органа власти, имеющее силу закона (Postanovlenie verxovnogo organa vlasti, imejuščee sily zakona) in Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.829.

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206

« Это диктат государства, которое не считается с мнением

страны, на которую открыто вещание», ― заявил Володин597.

« C’est le diktat de l’État qui ne prend pas en compte l’opinion du pays à qui

est destiné la radio diffusion », annonça Volodin.

D’un autre côté, peut-être est-il question de confusion entre le diktat et la

dictature, « 2. Régime politique autoritaire établi par un individu, une assemblée,

un parti, un groupe social » ou « 3. Pouvoir absolu, suprême598. Dans les extraits

de presse suivants nous pouvons facilement remplacer le mot диктат (diktat) par

le mot диктатура (diktatur-dictature) :

Вопрос о границах государственного сектора в этой сфере

общественного производства, как правило, даже не обсуждается,

диктат государства принимается как данность599.

La question des frontières du secteur étatique dans ce domaine de

production n’est pas discutable en règle générale, le diktat de l’État n’est pas

mis en question.

Диктат и авторитаризм питаются, точнее, паразитируют на

свободе, ибо способы действия авторитаризма стары и

однообразны, свобода всякий раз нова600.

Le diktat et l’autoritarisme se nourissent de la liberté ou plutôt la parasitent,

car les moyens de l’autoritarisme sont vieux et périmés, mais la liberté, elle,

change.

D’autres associations avec des traits structurels dominants sont fixées par le

dictionnaire des normes associatives :

597 Noskovič M., « U nas ne vistupajut terroristy », in Izvestija, 04.262002.www.ruscorpora. ru. Consulté le 13 avril 2010. 598 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 718. 599 Kuznecov Ju., « Pravoporjadok kak ekonomičeskoe blago », in Otečestvennye zapiski, 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 14 avril 2010. 600 Azarov Ju., « Podozrevaemyj » 2002, www.ruscorpora.ru, Consulté le 14 avril 2010.

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207

власть 21; царство, машина, правительство 5 ; Советов 4; Кремль,

партия, перестройка 3 ; в государстве, демократии 2, аппарат,

армия, закон, колхоз, конституция, организация, система, совет,

советское право, социализм, социалист, столы и чиновники,

управление 1.

pouvoir 21 ; société 7 ; royaume, machine, gouvernement 5 ; des Soviets

4 ; le Kremlin, parti, perestroïka 3 ;dans l’État, de démocratie 2 ; appareil,

armée, loi, principauté, kolkhoze, constitution, organisation, système,

conseil, le droit soviétique, socialisme, socialiste, bureaux et fonctionnaires,

direction 1

La réaction власть (vlast’-pouvoir) (21) au stimulus государство (gosudarstvo))

peut aussi provenir de la synonymie entre ces deux mots. La synonymie prend

ses racines dans les dictionnaires et peut être expliquée par les origines

étymologiques et par sa nouvelle perception par le peuple russe, reflétée dans les

dictionnaires modernes. Nous rappelons que le mot власть (vlast’) existe dans la

définition vieillie de государство (gosudarstvo) dans le dictionnaire de Vladimir

Dal’ : Gosudarstvovanie, pouvoir et gouvernement du monarque601 et que l’idée

de domination est transmise dès la formation de ce mot. Cependant, à l’époque il

s’agissait de la domination d’une personne concrète, d’un monarque. Donc, le

trait humain est aussi très important. L’analyse de la définition du mot vlast’ met en

évidence sa polysémie. Si nous nous adressons au dictionnaire d’Ožegov et de

Švedova, la première définition du mot власть et les expressions idiomatiques

sont les suivantes602 :

1) Право и возможность распоряжаться кем - чем-нибудь, подчинять

своей воле

Родительская власть. Превышение власти. Под чьей-нибудь властью

быть, находится… Терять власть над собой (терять

самообладание)…

601 Dal’ V. I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955-956. 602 Ibid., p.86.

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208

(Droit et pouvoir de commander quelqu’un, quelque chose, soumettre à sa

volonté. Le pouvoir des parents, abus de pouvoir, perdre le contrôle de soi)…

Nous pouvons citer ici comme exemple les rapports parents/enfants, entre ceux

qui travaillent et ceux qui organisent ou surveillent le travail, entre un entraîneur et

ses sportifs. Ensuite viennent deux sens qui rattachent le mot vlast’ au

vocabulaire politique et social :

2) Политическое господство, государственное управление и его

органы. Власть народа или народная власть. Прийти к власти. (La

domination politique, la direction étatique et ses organes. Le pouvoir du

peuple.)

3) мн. Лица, облеченные правительственными, административными

полномочиями. Местные власти. (pl. Les personnes ayant des pouvoirs

administratifs)

Le Dictionnaire de la langue russe contemporaine propose même trois sens du

mot vlast’ en tant que terme politique603:

власть

1. только ед. Форма управления страной, политический строй. (seul.

Sing. Forme de gouvernement du pays, le régime politique) ;

2. только ед. Право и возможность управления страной, политическое

господство. (seul. Sing. Droit et possibilité de diriger le pays ; domination

politique) ;

3. мн. власти. Органы государственного и местного управления, их

права и полномочия, лица, входящие в эти органы, начальство,

администрация. (Autorités d’État et locales, leurs droits et pouvoirs,

personnes qui composent ces autorités, chefs, administrations).

Le premier sens de vlast’ « Форма управления страной » (Forma upravlenija

stranoj-Forme de gouvernement du pays) est proche du sens de gosudarstvo, qui

603 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.139-141.

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209

est formulé dans le dictionnaire d’Efremova comme « Политическая форма

организации общества » (političeskaja forma organizacii obščestva-Forme

politique de l’organisation de la société)604. Il existe tout de même une différence,

car dans le premier cas il est question de la forme de gestion et dans le deuxième

de la forme d’organisation de la société. Pourtant cette définition nous semble

incorrecte car elle suscite une confusion entre les mots vlast’ et gosudarstvo.

En comparant les définitions du mot vlast’ « Органы государственного и

местного управления » (Organy gosudarstvennogo i mestnogo upravlenija-

Autorités d’État et locales ) et de gosudarstvo : Система органов

управления605( Sistema organov upravlenija - Systèmes de services

d’administration) nous pouvons constater que celles-ci se ressemblent, excepté le

fait que les pouvoirs ici au pluriel désignent aussi les personnes qui représentent

ces services ou tout simplement ces autorités. Ainsi, nous pouvons sur ces deux

points importants distinguer l’État et le pouvoir: L’État est l’ensemble des pouvoirs

(autorités d’État ou locales), l’État utilise le pouvoir pour diriger.

Le dernier point reste ambigu puisque selon la définition du mot vlast’, ceux qui

ont le pouvoir, ont le droit de diriger le pays, d’où vient de suite la question : Qui

détient ce droit ou ce pouvoir ? Selon la définition fixée par le dictionnaire, c’est

l’État (gosudarstvo) qui possède ce droit, en tant que Основная политическая

организация общества, осуществляющая его управление606 (Osnovnaja

političeskaja organizacija obščestva - l’organisation politique principale qui dirige la

société). Cependant, en analysant les métaphores du mot gosudarstvo nous

avons vu précédemment que ce pouvoir est souvent entre les mains de ceux qui

personnifient l’État – tsar, personne criminelle…:

Реальная власть воров в законе607 ещё продержится 3-5 лет.

604 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.332. 605 Ibidem. 606 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.141. 607 L’expression « vory v zakone » fait référence à un phénomène de la criminalité russe, représenté par l’élite criminelle. Si on traduit littéralement, nous obtenons les « voleurs dans la loi ». L’origine des « bandit professant le code » date du début des années 1930.

Page 211: dans les langues

210

Les « vory v zakone » garderont leur pouvoir pendant 3-5 ans608.

Le pouvoir échappe souvent à l’État, ce qui est reflété à travers les métaphores,

mentionnées dans notre deuxième chapitre : Государство – марионетка,

машина, здание, способ передвижения, армия... (Gosudarstvo – marionetka,

mašina, zdanie, sposob peredvizenia..). Quand l’État devient une marionnette,

une machine, un bâtiment ou encore un moyen de transport, le pouvoir est

transféré à son marionnettiste, constructeur, utilisateur ou conducteur, en

général... De plus, il est intéressant de noter que ces personnes sont souvent

représentées par le président et d’autres hommes politiques importants ou par des

personnes appartenant à des organisations criminelles, mais pas par des simples

citoyens, par le peuple. Donc, par conséquent le pouvoir n’appartient pas au

peuple.

En effet, dans son analyse des associations au terme vlast’, Vladimir Beliakov met

en relief une relation d’opposition : « vlast’ versus obščestvo, narod »609. Il cite

comme exemples plusieurs constructions qui créent une image dépréciative chez

le lecteur : vlast’ korrumpirovana, vlast’ sozdaet niščetu… vlast’ sroslas' s

biznesom etc.610Ainsi, l’association au pouvoir qui est corrompu, criminel, crée par

conséquent une perception négative de l’État.

Dans le Dictionnaire de la langue russe contemporaine, le mot vlast’ signifie

uniquement la domination politique. Nous croyons que l’auteur de ce dictionnaire

considère le sens du mot vlast’, en tant que droit et possibilité de commander

À cette époque, les purges de Staline remplissent les nombreux camps de travail de l’Union Soviétique avec des prisonniers politiques et des prisonniers de droit commun. Des structures informelles et des hiérarchies se répandent rapidement au sein de ces camps, et les vory constituaient une aristocratie criminelle qui avait le commandement suprême dans chaque camp. A l’époque il s’agissait d’un contre-pouvoir à l’État, tandis qu’aujourd’hui nous observons que l’État est comparé à cette structure informelle criminelle. 608 Lemcov M., Buldakov V., « Avtoritetnye sobranija », in Argumenty i fakty, 29.01.2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 14 avril 2010. 609, Beliakov V., « Les termes demokraty, zapad et vlast’ dans le discours politique russe d’aujourd’hui », in La société russe à travers les faits de langues et les discours, Editions universitaires de Dijon, 2009, p.80. 610 Ibidem., p.81.

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211

quelque chose, quelqu’un, soumettre sous sa volonté611, comme vieilli.

Cependant, nous ne partageons pas ce point de vue et des extraits récents dans

le Corpus national prouvent l’actualité de son sens premier, mentionné par le

dictionnaire d’Ožegov et Švedova :

Многое из того, что я назвал, приходит с возрастом и жизненным

опытом, а что-то находится во власти родителей612.

Dans ce que j’ai développé, on constate que la plupart des choses viennent

avec l’âge et l’expérience et certaines restent au pouvoir des parents.

Поговаривали, что он крут, сумасброден, целиком во власти

импульса, раб своих прихотей, не терпит возражений613.

On disait qu’il avait un caractère rigide, qu’il était extravagant, tout au

pouvoir de ses impulsions, esclave de ses désirs, ne tolérant pas

d’objections.

En conclusion, nous constatons que l’association du mot vlast’ à celui de

gosudarstvo, ou au parti, au gouvernement comme organisation politique de l’État,

se produit souvent dans le langage de tous les jours. De plus, ce phénomène a

été fixé dans les dictionnaires généraux de la langue russe moderne, ce qui

produit une certaine confusion entre ces deux notions. Nous ne devons pas

oublier que, dans sa troisième définition, le mot vlast’ doit être utilisé au pluriel,

vlasti. Cependant, le discours politique témoigne de l’emploi de vlast’ au singulier,

d’où provient la personnification. Nombreux sont les cas d’une telle

personnification ou de la synonymie entre vlast’ et gosudarstvo/pravitel’stvo, en

voici deux exemples :

Кризис выявил целый ряд изъянов экономической политики

последнего десятилетия. Власть не смогла воспользоваться

611 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.139-141. 612 « Kogo my vyrastim ? (grustnye razmyšlenija) Кого мы вырастим? », in Forum politika i obščestvennaja zižn’, 2005-2006, www.ruscorpora.ru, Consulté le 14 avril 2010. 613 Viskov A.,« Naslednik apostola Ionna », in Naš sovremennik, 15. 06. 2004.06. www.ruscorpora.ru, Consulté le 14 avril 2010.

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212

большими деньгами. Инновационное развитие остается отдаленной

перспективой. (Аргументы и факты № 18 (1487), April 2009

International)614.

La crise a révélé toute une série de défauts de la politique économique de

la dernière décennie. Le pouvoir n’a pas su profiter de ses richesses. Le

développement des innovations reste un projet lointain.

С другой стороны, я считаю, что должны консолидироваться все

те, кто не согласен с тем курсом, который проводит сегодняшняя

власть615.

D’un autre côté, je crois que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la

politique du pouvoir actuel, doivent se regrouper.

Le champ sémantique du concept vlast’ (pouvoir) a été établi par Valerij Ledjaev

dans son ouvrage « Vlast’ - konceptual’nyj analiz » (Pouvoir – analyse

conceptuelle)616. Nous analyserons la construction de ce champ dans le chapitre

de notre thèse consacré aux champs lexico-sémantiques comprenant les mots

État/gosudarstvo. Par ailleurs, Valerij Ledjaev, en analysant l’étymologie du mot

vlast’, met en relief la synonymie entre ce mot et gosudarstvo. Le Dictionnaire

étymologique de Fasmer nous renvoie, en effet, au mot du vieux russe

волость (volost’), désignant « область, территория, государство, власть »

(« oblast’, territorija, gosudarstvo, vlast’) - (région, territoire, gosudarstvo, pouvoir)

:

власть, властвовать, заимств. из цслав. вместо волость (см.)

волость ж., укр. волость, блр. волосць, др.-русск. волость

"область,территория,государство,власть" ст.-слав. ВЛАСТЬ617

614 Toujikova V., « Le mot et la notion de « gosudarstvo » (l’État) dans les discours parus dans la presse russe contemporaine », la communication présentée lors de la sixième journée d’étude, juin 2009, à paraître dans les Actes de la journée des doctorants en études slaves. 615 Larina K., Berezovskij B., Interview radiophonique « Exo Moskvy » (Echo de Moscou), 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 16 avril 2010. 616 Ledjaev V.G., Vlast’ : konceptual’nyj analiz. M. : « Rossijskaja političeskaja enciklopedija’ (ROSSPEN), 2001, 384 p. 617 Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T. 1 A-D, Moskva : Astrel’. AST,

Page 214: dans les langues

213

Valerij Ledjaev cite également les définitions du mot vlast’ dans le Dictionnaire du

vieux russe (XIe-XIe siècles)618 :

власть: 1. Область, княжество, государство. Население

определенной территории, организованное в виде отряда, войска. 2.

Владение, собственность. 3. Власть, господство, владычество. 4.

Право, возможность что-либо делать. 5. Мн. Лица, облеченные

властью.

Ainsi, nous constatons que la synonymie entre les mots vlast’ et gosudarstvo

prend ses racines dans leur étymologie et qu’il est toujours question de la

présence du sème de pouvoir – gospodstvo, vlast’ dans le terme gosudarstvo.

Marija Sančes Puig arrive à la même conclusion dans son article « О государе,

“государьстве“ и государственности » («O gosudare, gosudar’stve i

gosudarstvennosti »)619, en précisant que ce sème constitue la différence

sémantique principale entre les mots estado (État) et gosudarstvo dans les

langues espagnole et russe.

Pour conclure, nous considérons que les deux traits, structurel et humain,

apparaissent tout deux au sein du mot vlast’, suite à la personnification du pouvoir,

car il est souvent question d’une personne qui détient ce pouvoir.

Les raisons de la perception de l’État par le peuple russe, à travers les concepts

de машина, царство (mašina-voiture, carstvo-royaume) 5, ont déjà été

développées dans le chapitre consacré aux métaphores « Государство –

машина» (Gosudarstvo-mašina, État-machine) et «Государство – царство»

(Gosudarstvo- carstvo, État-royaume) dans le discours politique, notamment dans

la presse. Le fait que les associations et les métaphores sont identiques, témoigne

pour nous d’une influence importante de la métaphore sur le lecteur, d’un côté et,

АСТ, 2004, p.327, p.344. 618 Ibidem. 619 Sančes Puig M., «O gosudare, « gosudar’stve » i gosudarstvennosti », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.212—225.

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214

d’un autre côté, cela prouve l’interdépendance des stéréotypes socioculturels qui

existent dans la vie quotidienne.

La réaction правительство (pravitel’stvo-gouvernement) au stimulus

gosudarstvo vient à l’esprit des personnes interrogées dans la vie quotidienne,

malgré la distinction de ces deux mots dans le vocabulaire politique et social620.

Pour comprendre les sources de cette association, nous partons de l’idée que

c’est un glissement métonymique où on utilise une partie, dans notre cas, c’est-à-

dire l’organe du pouvoir exécutif, pour remplacer le mot État qui comprend cet

organe. Dominique Colas considère ce glissement « incessant » et « universel »,

même s’il peut être rencontré plus souvent dans certaines langues et moins dans

d’autres621.

Comme nous l’avons déjà noté dans notre intervention, le mot Кремль (Kreml’ - le

Kremlin) est souvent associé au mot « gosudarstvo »622. Dans le Corpus national

de la langue russe, cette synonymie est aussi présentée à travers de nombreux

exemples, voici l’un d’eux :

У Путина в Чечне мир, Кремль дружит с чеченской администрацией,

отводит войска, передаёт местным властям власть, налоги,

бюджет и оружие623.

620 « высший исполнительный орган государственной власти в стране» (un organe suprême du pouvoir exécutif dans le pays), in Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61. 621 Dominique Colas compare le monde anglophone au monde français. Les Anglais et des Américains ont la tendance d’utiliser Gouvernement où les Français préféreraient le terme « l’État ». Il explique ce phénomène par le fait qu’aux États-Unis le pouvoir exécutif a une autre désignation « administration », donc par conséquent il cite un exemple où « la réforme du Governement proposée par l’administration du président Bill Clinton en août 1993, est dans la terminologie française, une réforme de l’État proposée par le gouvernement ».Op.cit., Colas D., Dictionnaire de la pensée politique, p.88. 622 Toujikova V., « Le mot et la notion de « gosudarstvo » (l’État) dans les discours parus dans la presse russe contemporaine », la communication présentée lors de la sixième journée d’étude, juin 2009, à paraître dans les Actes de la journée des doctorants en études slaves. 623 Gamajun A., « Severokavkazskij prigovor», in Zavtra, 06.08.2003.www.ruscorpora.ru. Consulté le 17 avril 2010.

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215

Pour Poutine il s’agit de la paix en Tchétchénie, le Kremlin est un ami de

l’administration tchétchène, il retire son armée, transmet aux autorités

locales le pouvoir, les impôts, le budget et l’armement.

Cette synonymie peut être aussi considérée comme « universelle », car dans

d’autres pays, également, on désigne l’État, ou plus exactement son président,

par le nom de la capitale, ou son gouvernement par le lieu où réside le président

(la Maison blanche, l’Elysée...) :

L'Elysée n'a pas encore tranché sur l'âge de la retraite624.

Après une lourde défaite, la Maison-Blanche promet de travailler "plus

dur"625.

Vladimir Gak souligne que ce moyen métonymique est typique du discours

politique français. Il existe une tendance à employer le lieu de résidence du

président ou le nom de la capitale pour remplacer le gouvernement, l’État. Il

remarque que ce moyen est moins répandu dans le discours russe et cite

l’exemple de « pourparlers entre Paris et Londres », traduit en russe comme

« переговоры между французским и английским правительством»626

(peregovory meždu francuzskim i anglijskim pravitel’stvom). Cependant, nous

considérons que ce moyen devient aussi courant dans la presse russe

contemporaine comme nous l’avons démontré dans les nombreux exemples cités

précédemment.

Il nous semble intéressant d’étudier les réactions демократическое

(demokratičeskoe) 2 et демократичное (demokratičnoe) 1, qui n’ont qu’un

équivalent en français : démocratique. Dans le premier temps, nous examinerons

624 « L’Elysée n’a pas encore tranché sur l’âge de la retraite », publié le 3 mars 2010, http://www.lefigaro.fr/retraite/2010/05/03/05004-20100503ARTFIG00423-retraite-l-elysee-envisage-un-report-a-63-ans-en-2030-.php, Consulté le 9 mai 2010. 625 « Après une lourde défaite, la Maison-Blanche promet de travailler « plus dur » », publié le 20 janvier 2010, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2010-01-20/États-unis-apres-une-lourde-defaite-la-maison-blanche-promet-de-travailler/924/0/415478. Consulté le 9 mai 2010. 626 Gak V.G., Besedy o francuzskom slove. Iz sravnitel’noj leksikologii francuzkogo I russkogo jazykov, Moskva: KomKniga, 2006, p.104.

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216

la réaction демократия (demoktratija-démocratie) au mot gosudarstvo et ensuite

nous dégagerons la différence entre les deux adjectifs.

Á partir du stimulus gosudarstvo et de la réaction demokratii on peut former

l’expression gosudarstvo demokratii. Les rapports entre les notions d’État et de

démocratie connaissent une longue histoire. Cependant, nous rencontrons un

problème pour identifier le trait structurel dominant du mot demokratija, qui réside

dans la difficulté d’appréhender la notion de ce terme. Le Dictionnaire de la

langue russe contemporaine définit ce terme de la façon suivante627 :

демократия

Полит. Государственный строй и организация всей жизни

общества, основанные на признании народа источником власти и

всеобщего равноправия в сочетании с широким кругом политических

и гражданских прав и свобод.

démocratie

Polit. Régime d’État et organisation de la société, qui reconnaîssent le

peuple comme source du pouvoir et de l’égalité, assortis d’un large éventail

de droits et de libertés politiques et civiles.

Ainsi, cette définition du mot демократия (demoktratija) fait apparaître le trait

structurel, puisqu’il comprend la notion de régime et d’organisation ; à la fois, le

mot народ (narod - peuple) lie ces deux éléments par son trait humain. Si les

étudiants interrogés identifient demoktratija à gosudarstvo, nous pouvons

supposer qu’ils sous-entendent que l’État doit être démocratique. Nous ne devons

pas oublier le fait que les personnes interrogées sont des jeunes qui font leurs

études et qui connaissent donc les bases de la théorie du droit et de la philosophie

politique.

627 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p. 207.

Page 218: dans les langues

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L’étymologie de ce terme nous renvoie au grec ancien dēmokratía, « souveraineté

du peuple », de dêmos, « peuple » et krátos, « pouvoir », « souveraineté ». Dans

la cité-État d'Athènes du Ve siècle av. J.-C., la démocratie signifiait, dans son sens

originel, le gouvernement de tous (limité aux citoyens). Depuis, la démocratie est

devenue un système politique (et non plus un simple régime) dans lequel la

souveraineté est attribuée au peuple qui l'exerce de façon différente (directe,

indirecte, semi-directe). Ne pouvant guère nous arrêter longuement sur toute

l’histoire de ce concept, soulignons l’importance de son deuxième sens, fixé par

les dictionnaires français et russes :

B. P. méton.

État, pays vivant sous le régime politique de la démocratie.

Démocratie populaire. Pays ayant un régime communiste inspiré de celui

de l'URSS ou de la Chine; p. ex., pays vivant dans la mouvance de l'URSS.

L'industrialisation accélérée de la Russie et des démocraties populaires

(PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 286) 628.

Nous pouvons constater que cette définition comprend les trois traits sémantiques

à la fois : structurel (régime), humain (peuple) et géographique (pays). En fait,

cette définition fait du mot démocratie un synonyme du mot État et peut expliquer

pourquoi dans la perception russe elle prend sa place. Ce sens est lié à

l’apparition de la notion de démocratie populaire (народная демократия-

narodnaja demokratija). Comme nous l’apprenons de la définition, ce syntagme

désigne les pays communistes, tombés sous la coupe de l’URSS après la

seconde guerre mondiale. Ce terme était appliqué dans les pays tels que la

Pologne, la Roumanie, la Hongrie... En Chine, Mao Tsé Toung parle ainsi des

« États de démocratie populaire », en URSS Staline insiste sur cette nouvelle

notion dans la revue : Pour une paix durable, pour une démocratie populaire629.

628 Le Trésor de la langue française informatisée, disponible sur : http://atilf.atilf.fr/. Consulté le 21 avril 2010. 629 Colas D., « La dictature démocratique et la démocratie populaire. Oxymore et pléonasme dans les usages de démocratie chez quelques marxistes », In Mots, « Démocratie » Démocraties, ENS-Editions, 59 juin 1999, p. 27-47.

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218

Dominique Colas traite ce syntagme de pléonasme630, car il s’agit d’un

gouvernement du peuple populaire. Il considère également le syntagme

« dictature démocratique » comme un oxymore631, dont Lénine était un partisan

quand il proclamait la dictature du prolétariat comme une démocratie. Dominique

Colas trouve la plus étonnante production, du point de vue sémantique, chez Mao

Tsé Toung, qui donne comme titre à son discours prononcé le 30 juin 1949, à

l’occasion de la commémoration du 28e anniversaire du Parti communiste : « De la

dictature démocratique populaire ». D’après Dominique Colas, Mao Tsé Toung

réunit dans un syntagme à la fois un oxymore (dictature démocratique) et un

pléonasme (démocratie populaire). Ce phénomène sémantique et stylistique

explique d’avantage le mélange de ces notions dans l’esprit du peuple russe.

Une autre confusion se produit dans la langue russe avec la formation de deux

adjectifs : демократическое (demokratičeskoe) et демократичное

(demokratičnoe). Ces adjectifs ne sont traduits que par un seul mot en

français : démocratique ; d’où le problème rencontré par le traducteur français

pour distinguer ces deux mots dans un contexte et choisir la bonne traduction.

Voici comment ces deux mots sont définis dans le dictionnaire de la langue russe :

Демократический, 1. См. Демократия. Демократический строй,

Демократическая партия... 2. То же, что демократичный в первом

значении.

Demokratičeskij, 1. Voir Démocratie. Régime démocratique, parti

démocratique. 2. La même chose que demokratičnyj dans son premier

sens.

Демократичный, 1. Свойственный широким слоям народа, простой.

2. Простой и доступный в обращении, в своих отношениях с людьми.

Демократичный начальник. Сущ. Демократичность632

630 « Terme ou expression qui ne fait qu’ajouter une répétition à ce qui vient d’être énoncé » In Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1906. 631 « Oxymoron, figure en rhétorique qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner plus de force expressive » Ibid., p.1756. 632 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.160.

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219

Democratičnij, 1. Propre à une large couche de la population, simple. 2.

Simple dans ses relations, dans sa manière de traiter les gens. Un chef

sans prétentions. Substantif. Demokratičnost’.

Le nom демократичность (demokratičnost’) n’a pas d’équivalent en français et

peut être traduit de façon différente selon le contexte. Les expressions

демократический строй (demokratičeskij stroj – régime démocratique),

демократическая партия (demokratičeskaja partija –parti démocratique),

демократическое государство (demokratičeskoe gosudarstvo – État

démocratique) appartiennent au vocabulaire politique et juridique. Le spécialiste

en science politique emploiera donc демократическое государство

(demokratičeskoe gosudarstvo – État démocratique) plutôt que демократичное

государство (demokratičnoe gosudarstvo).

Cependant, ces adjectifs figurant dans le dictionnaire associatif démontrent la

confusion que ces derniers créent dans la vie quotidienne. Le fait que le mot

demokratičeskij est synonyme de demokratičnyj dans son deuxième sens ne

facilite pas le choix lexical de l’énonciateur. Comparons deux extraits tirés de la

presse :

Я ведь очень демократический человек / очень мягкий / а сейчас я

вам диктую633.

Je suis une personne très démocratique, très souple, et aujourd’hui c’est

moi qui commande.

Правда и то, что это был человек в обращении простой,

демократичный634.

C’est vrai que c’était une personne simple et démocratique dans la vie.

633 « Soveščanie al’pinistov », Biškek, 2000-2005, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 634 Arbatov G., « Čelovek sistemy », 2002, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010.

Page 221: dans les langues

220

En revanche, nous avons retrouvé l’expression демократичный строй

(demokratičnij stroj) à côté de демократический строй (demokratičeskij) dans la

presse :

Социологи спросили, когда в нашей стране был самый

демократичный строй, и предложили на выбор фамилии глав СССР и

России, начиная с Иосифа Сталина635.

Les sociologues ont demandé quel régime était le plus démocratique et ont

proposé un choix de noms de dirigeants de l’URSS et de la Russie, en

commençant par Joseph Staline.

По мнению 15%, россиянам не важно, демократический строй в

России или нет.

Pour 15% des Russes, un régime démocratique ou non en Russie n’est pas

important.

Dans le premier exemple, l’auteur emploie l’expression самый демократичный

строй (demokratičnij stroj – régime le plus démocratique) où il n’est pas question

de caractériser un régime politique, mais plutôt mettre en valeur le degré de liberté

à l’aide du superlatif самый (samyj).

Voici un autre extrait tiré de la presse :

Москва ― город демократичный, где все приезжие довольно быстро

начинают считать себя москвичами, но, заметьте, только жители

Петербурга даже в Москве продолжают называть себя

петербуржцами636.

Moscou est une ville démocratique, où tous les nouveaux arrivants se

sentent immédiatement moscovites. Mais notez que seuls ceux qui arrivent

635 « Putin i Brežnev okazalis’ demokratami », in Gazeta.ru, 2005. Consulté le 30 avril 2010. 636 Zorina N., « Deputat Baltiki», in Mir & Dom. City, 15.04. 2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010.

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de Saint-Pétersbourg continuent à s’appeler pétersbourgeois et non

moscovites.

Les réactions telles que система (sistema-système), организация (organizacija-

organisation), управление (upravlenie-gestion) (1) sont non répétitives, mais il est

évident qu’il s’agit d’une partie générale, constante, des connaissances de tous.

Ces mots se trouvent à l’intérieur de la définition du mot государство

(gosudarstvo)637. Il est également question des expressions avec ces réponses :

система, организация государства (sistema, organizacija gosudarstva),

управление государством (upravlenie gosudarstvom). Enfin, ces mots font

référence au trait purement structurel.

Nous observons presque la même chose pour les réactions au mot gosudarstvo

закон (zakon-loi) et конституция (konstitucija-constitution) (1). Le Dictionnaire

de la langue russe contemporaine propose deux définitions de zakon638 :

1. Нормативный акт высшего органа государственной власти,

принятый в установленном конституцией порядке и обладающей

высшей юридической силой.

Acte normatif de l’organe suprême du pouvoir d’État, adopté en conformité

de la Constitution et possédant l’autorité juridique suprême.

2. Совокупность законов государства, система законов, правосудие.

L’ensemble des lois de l’État, le système des lois, la justice.

Ici le trait structurel se manifeste dans les mots gosudarstvo et zakon, puisque le

rôle de l’État est d’établir un système de lois pour ses citoyens.

Quant au mot konstitucija, son premier sens est celui de loi fondamentale de

l’État :

637 Bujanova M.O., Juridičeskij enciklopedičeskij slovar’. Moskva : OOO « Izdatel’stvo Prospekt », 2006, p. 146-147 ; Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.332. 638 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p. 268.

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222

1. Основной закон государства, определяющий основы общественного

и государственного строя, систему государственных органов,

права и обязанности граждан639. La loi principale de l’État qui détermine

les principes du régime étatique et social, le système des services

étatiques, les droits et les responsabilités des citoyens.

Il nous semble judicieux, donc, de voir l’évolution de ces deux termes dans le

vocabulaire russe. D’après le Dictionnaire étymologique de Fasmer, le premier

mot provient du vieux slave законъ (zakonû) avec son premier sens « начало »

(načalo – début), qui a son tour prend sa racine dans les mots russes исконы et

конец, iskony signifiant « с самого начала » ( s samogo načala – dés le début) et

konec du vieux russe поконъ (pokon’’), signifiant « начало, обычай » (načalo,

obyčaj – début, coutume)640. Le mot konstitucija peut être considéré comme un

mot plus moderne, de plus d’origine et de consonance étrangère. Ce mot vient du

latin constitutio (« constitution ») «установление, учреждение; конституция»,

dérivé de constituere (« établir », « placer »). Toujours selon le dictionnaire de

Fasmer, ce mot a été emprunté au polonais konstytucja et a été utilisé pour la

première fois en Russie pour désigner «устройство» (ustrojstvo – organisation,

structure) sous le règne de Pierre Ier en 1704641. En revanche, il faudra attendre la

révolution des bolcheviks pour que soit adoptée la première Constitution de la

RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie) en 1918.

Nous pensons que le concept de constitution s’est exprimé à travers les

métaphores dans la vie quotidienne, ce qui peut être démontré par des exemples

tirés de la presse russe :

Конституция ― это нечто вроде заповедей Моисеевых, священной

коровы, башен Кремля (кому что нравится)…642.

639 Ibid., p.291. 640 Fasmer M., Etimologičeskij slovar’ russkogo jazyka. V 4 t., T.2, Мoskva: Аstrel'. АSТ, 2004, p.75, p.307-310. 641 Ibid., p.303. 642 Babaeva S., « Est’ u konstitucii načalo », in Izvestija, 24.07.2003.07. www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010.

Page 224: dans les langues

223

La Constitution est comme un des dix commandements de Moïse, une

vache sacrée, une des tours du Kremlin (chacun choisit ce qui lui plaît)..

.

Уже в 1989 году стало ясно, что сталинско-брежневская

Конституция ― основной тормоз на пути демократических

реформ643.

Déjà en 1989, il était clair que la Constitution de Staline et de Brejnev était

le principal frein sur le chemin des réformes démocratiques.

Les réactions суверенитет (suverenitet-souveraineté) (2), армия (armija-armée)

et монополия (monopolija-monopole) (1) demandent, à notre avis, un

commentaire supplémentaire. Tout d’abord, nous pouvons former le syntagme

суверенитет государства (suverenitet gosudarstva). L’étymologie du mot

suverenitet, nous renvoie au mot souveraineté, emprunté au français644 , emprunt

que le russe a fait pour introduire l’idée d’État indépendant. En revanche, ce

concept est apparu plus tôt que le mot dans l’histoire politique et juridique russe,

car si nous traçons l’étymologie du mot français souveraineté, nous nous

apercevons que son sens premier, fixé par le Nouveau Petit Robert, vient du mot

souverain : autorité suprême (d’un souverain, d’un prince)645D’après le

Dictionnaire encyclopédique de science politique646, le premier à développer

l’idée de l’autorité suprême des princes de Moscou fût le supérieur du monastère

de Volokolamsk Iosif Sanin, plus connu sous son nom religieux de Iosif Volockij

(Joseph de Volok). Il est l’auteur d’un ouvrage intitulé Prosvetitel’ (L’Illuminateur)

dont il rédigea une version courte en 1503-1504, suivie d’une version longue,

écrite dans les années 1510-1511647. Dans cet ouvrage, Iosif attribue au grand

643 Byčkov S., « Konstitucija – ne dyšlo », in Moskovskij komsomolec, 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 644 Kul’tura parlamentskoj reči, M., Nauka, 1994, p. 332. 645 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2386. 646 Aver’janov Ju.I., Politologija : Ènciklopedičeskij slovar’, M., izd. PUBLISHERS, 1993, p.368. 647Slovar’ knižnikov i knižnosti Drevnej Rus, Vyp. 2 (vtoraja polovina XIV – XVI v.). T. 1: А–К / АN SSSR. L.: Nauka, 1988, 516 p. http://lib.pushkinskijdom.ru/Default.aspx?tabid=3996. Consulté le 3 avril 2012.

Page 225: dans les langues

224

prince de Moscou un pouvoir absolu de droit divin648, avant la théorie de l’autorité

suprême du philosophe Jean Bodin649.

A la suite de nombreux spécialistes russes de l’histoire politique et religieuse de la

Rus’ moscovite650, Michel Heller fait remarquer dans son Histoire de la Russie et

de son empire que « l’idée du pouvoir divin ne revient pas à Joseph de Volok »,

mais « que ses fameuses formules ne sont que la traduction littérale des textes

d’Agapet, auteur byzantin du VIe siècle »651. Pourtant, si dans le chapitre 7 de son

Prosvetitel’, Iosif de Volok, à la suite d’Agapet, exige la soumission au souverain,

sauf si ce dernier agit en tyran ou contre les règles établies, il en vient, vers 1507-

1512, à prôner une soumission absolue au pouvoir du prince, en défendant la

thèse de l’origine divine du pouvoir monarchique, comme cela a été souligné par

Vladimir Vodoff652. C’est cette deuxième mouture des idées de Iosif qui s’est

finalement imposée dans l’Eglise russe au XVIe siècle et a fait école au sein de la

haute hiérarchie moscovite. Le plus excessif parmi les disciples de Iosif de Volok

est, sans conteste, son neveu, l’évêque Bassian Toporkov (milieu du XVIe siècle),

qui encourageait Ivan IV à ne se fier qu’à sa seule volonté, sans prendre l’avis de

quiconque, allant même jusqu’à suggérer au tsar de se détourner des conseillers

de valeur qui peuvent ternir la gloire d’un souverain653.

Selon la théorie élaborée par Jean Bodin dans son ouvrage Les Six Livres de la

République, la souveraineté est devenue en Europe du XVIe siècle le principe de

la puissance étatique, même si cette dernière a conservé un caractère divin. Plus

648 « Ибо царь естеством подобен всем людям, властью же подобен Богу Вышнему » ( Car le tsar est semblable aux hommes selon sa nature, mais son pouvoir est semblable à celui de Dieu), in Prosvetitel’, Slovo 16, http://promolenko.narod.ru/literat/prosvetitel.htm#16. Consulté le 22 novembre 2011. 649 Dans Les Six Livres de la République, Jean Bodin considère que la puissance d’un prince « est absolue et souveraine, car elle n’a autre condition que la loi de Dieu… » in Bodin J., Les Six Livres de la République, présentation de Gérard Mairet, Paris : Edition Générale Française, 1993, p.119. 650 Lur’je Ja.S. Ideologicheskaja bor’ba v russkoj publicistike konca XV-nachala XVI veka. M-L : Akadeija NAuk SSSR, 1960, pp. 234-260. 651 Heller M., Histoire de la Russie et de son empire, traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard, Paris : Ed. Flammarion, 1999, p.159. 652 Vodoff V., Autour du Moyen Age russe. Paris, IES, 2003, p. 22-23. 653 « Ne garde pas à tes côtés de conseiller plus intelligent que toi », Heller M., Histoire de la Russie et de son empire, op.cit., p.221.

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225

tard, au milieu du XVIIe siècle, en analysant le concept de souveraineté, Thomas

Hobbes a confirmé la théorie de Jean Bodin en affirmant : « … le principe de la

puissance unitaire que, pour l’État moderne, constitue la souveraineté »654. Mais,

contrairement à Jean Bodin, Thomas Hobbes essaie de transférer la souveraineté

du prince au peuple. Ainsi, dans le cadre de la théorie de contrat social,

développée plus tard par Jean-Jacques Rousseau, le peuple « n’est plus un sujet

soumis aux lois de l’État, mais un citoyen qui participe à l’autorité souveraine »655.

La théorie de la souveraineté envisage ainsi que le peuple puisse être au cœur de

la puissance étatique.

Au XVIIe siècle, d’après le Nouveau Petit Robert, le mot souveraineté acquiert un

nouveau sens transmettant l’idée d’indépendance des États :

1. (1631) Caractère d’un État ou d’un organe qui n’est soumis à aucun

autre État ou organe656.

La langue russe emprunte le mot суверенитет (suverenitet-souveraineté),

d’abord sous son premier sens, comme en témoigne la définition du dictionnaire

de Dal’ :

Суверенитетъ м., нем. Souveränität, фр. Souveraineté, высшая

власть, начальствование...657

Souveraineté, masc., en allemand Souveränität, en français. Souveraineté,

autorité suprême, pouvoir.

Comme nous l’avons constaté plus haut, le concept de souveraineté se manifeste

plus tôt que le mot qui, lui, apparaît seulement au XIXe siècle dans son premier

sens, celui d’autorité suprême. Son sens nouveau trouve son ancrage dans la

654 Goyard-Fabre S., L’État : figure moderne de la politique, Paris : Armand Colin, 1999, p.28. 655 Ibid., p.39. 656 Robert, P. Le nouveau petit Robert, op.cit., p.2386. 657 Dal V., Tolkovyj slovar' zivogo velikorusskogo jazyka, Tom IV, tret’e izdanie, pod. redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1909, p.614.

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226

langue russe du XXe siècle, c’est-à-dire après la Révolution de 1917, sans subir

de changement jusqu’à nos jours :

Суверенитет:

Полная независимость государства от других государств в его

внутренних делах и во внешней политике658. L’indépendance totale

d’un État, vis-à-vis des autres États, dans sa politique intérieure et

extérieure.

Cependant, à l’époque soviétique, le concept de souveraineté étatique subit des

transformations importantes en raison de la structure fédérative de l’État, formé

dorénavant de Républiques fédérées, de Républiques autonomes et de territoires

autonomes. Dans son ouvrage Droit international et souveraineté en U.R.S.S.659,

Jean-Yves Calvez, en analysant l’évolution des concepts de souveraineté et de

droit international, observe la disparition de l’État souverain et note que la

souveraineté désigne une nouvelle réalité en Union soviétique. Il s’agit désormais

de « souveraineté nationale », concept ambigu et difficile à mettre en application.

Jean-Yves Calvez remarque le caractère contradictoire de la situation

internationale de la République soviétique car « d’un côté l’État prend forme de

nation pour rendre sa souveraineté plus absolue. De l’autre il s’efface devant la

classe universelle dont il est l’organe »660. La souveraineté des Républiques

fédérées, reconnue dans la Constitution de 1936 et dans celle de 1977, était très

restreinte, par exemple, les décisions concernant la politique extérieure étaient

réservées au pouvoir central. La souveraineté, au sens classique, n’est réapparue

qu’à partir de 1988, lorsque l’Estonie a affirmé sa souveraineté. Après

l’effondrement de l’URSS en 1991, les Républiques soviétiques obtiennent leur

indépendance et deviennent des États souverains.

658 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, op. cit, p. 183. 659 Calvez J.-Y., Droit international et souveraineté en URSS : l'évolution de l'idéologie juridique soviétique depuis la révolution d'octobre, Paris : A. Colin, 1953, 299 p. 660 Ibid.,p.72.

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227

Il est nécessaire de préciser que le concept de souveraineté absolue était critiqué

par les spécialistes en science politique. En prenant le cas de la Fédération de

Russie, on peut citer les propos de Valéry Kossov : « dans un État fédéral, la

souveraineté ainsi que la responsabilité, se trouvent partagées de façon encore

plus réglementée car elles le sont déjà par les normes du droit interne»661.

Toujours selon Valéry Kossov, il est difficile, aujourd’hui, de parler de souveraineté

absolue des États dans l’organisation mondiale, car tous possèdent « une

souveraineté limitée, dans la mesure où ils sont membres de l’ONU ou d’autres

organismes internationaux ou européens»662.

La réaction armija que le mot gosudarstvo suscite chez les Russes nous paraît

logique, tout d’abord du point de vue grammatical, car il s’agit du syntagme:

армия государства (armija gosudarstva). Voici le premier sens du mot armija

fixé par le dictionnaire de la langue russe :

Вооруженные силы государства663

Les forces armées de l’État.

Ainsi les Russes ne peuvent pas imaginer un État sans armée, c’est en effet un

élément structurel très important. Dans les manuels de sciences politiques,

l’armée est définie comme un institut politique, un organe de l’État et en même

son instrument. L’armée en tant qu’institut politique est apparu en même tant que

l’État ; donc on pourrait dire que c’est un élément qui est aussi nécessaire que

d’autres pouvoirs, sa seule différence est que c’est un pouvoir armé ; donc il s’agit

d’un instrument très dangereux dans les mains de l’État. Mais à part le caractère

structurel, l’armée est un ensemble de gens, qui comporte aussi un trait humain,

d’où son sens indirect :

661 Kossov V., Quel fédéralisme pour la Russie multinationale ? Thèse en cotutelle pour le doctorat, sous la direction de J. Domenach (Grenoble) et A. Petrov (Nijni Novgorod, Russie), 1999, p.229. 662 Ibidem. 663 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.160.

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228

Совокупность большого количества чем-то объединенных людей664.

L’ensemble d’un grand nombre de personnes unies par quelque chose.

Cependant, l’attitude des Russes envers cette institution politique est souvent très

négative, quelques exemples tirés de la presse le confirment :

Армия второго сорта ! Нельзя иметь армию, в которую попадает

примерно тот же социальный контингент, что в тюрьму. Такая

армия может грабить и воровать, но побеждать она не может665.

L’armée de qualité moyenne ! Les personnes qui sont dans l’armée sont les

mêmes qui sont en prison. Une telle armée est capable de se comporter en

voleur, mais ne peut pas gagner.

Армия с каждым годом всё разваливается и разваливается666.

Chaque année l’armée continue de s’écrouler.

Dans les deux premiers extraits, nous voyons l’utilisation de la métaphore

criminelle « Армия – тюрьма, бандиты (Armija – tjur’ma, bandity, l’armée –la

prison, les criminels ») ou de la métaphore du bâtiment « Армия – здание »

(Аrmija-zdanie ; l’armée – édifice »). Nous avons précédemment développé la

métaphore guerrière dans le discours politique russe à travers plusieurs exemples

et nous avons vu que la métaphore « Армия – государство» (Armija -

gosudarstvo ; l’armée – l’État) est fixée par le dictionnaire de Baranov et de

Karaulov :

Как талантливый полководец не может ничего сделать без армии,

так и талантливый государственный деятель ничего не сделает

без государства667. Comme un bon stratège ne peut rien faire sans

armée, un homme politique talentueux ne peut rien faire sans État.

664 Ibidem. 665 Latynina Ju., « Armija vtorogo sorta », in Eženedel’nyj žurnal, 24.03.2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 666 « Beseda v Voroneže », 2001, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 667 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p. 30.

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229

Nous voyons ici que la presse ne fait que refléter la perception dans la vie

quotidienne et vice versa.

Comment expliquer le fait que les Russes associent le mot gosudarstvo au mot

monopolija (monopole) ? Tout abord rappelons la définition de gosudarstvo fixée

par le lexique de politologie de Vassilik et de Verchinin :

- центральный институт политической системы, особая форма

организации политической власти в обществе, обладающая

суверенитетом, монополией на применение узаконенного насилия и

осуществляющая управление обществом с помощью специального

механизма (аппарата)668.

Institut central de système politique, forme particulière d’organisation du

pouvoir dans la société ayant une souveraineté, qui a le monopole de faire

usage de la force à l’aide d’un mécanisme particulier (appareil).

Ici nous voyons que l’auteur accorde le privilège exclusif (monopole) à l’État

d’appliquer la violence approuvée par la loi. En effet, étant un mot polysémique, le

mot monopolija a un sens figuré qu’on trouve dans le dictionnaire de la langue

russe :

3.перен. Преимущественное право, особое положение кого-н. по

сравнению с другими669.

Figuré : Un droit ou une position privilégiée de quelqu’un par rapport aux

autres.

Ainsi, seul l’État, d’après les auteurs du lexique de politologie, a ce droit

d’appliquer la violence.

668 Politologija. Slovar’-spravočnik, M.A. Vasilik, M.S. Veršinin i dr., Moskva : Gardariki, 2001, http://politike.ru/dictionary/, Consulté le 12 juin 2010. 669 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.365.

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Aujourd’hui, le mot monopolija est plutôt employé dans son sens premier,

économique :

1. Исключительное право на производство или на продажу чего-н., а

также исключительное пользование чем-либо670. Un privilège exclusif

de produire, de vendre ou d’utiliser quelque chose.

La première expression qui suit ce sens est государственная монополия

(gosudarstvennaja monopolija - monopole d’État)671. Ne pouvant nous arrêter sur

toutes les théories consacrées au monopole, nous devons néanmoins préciser

qu’en Russie, avant le XIXe siècle, les monopoles ont été longtemps privilégiés par

rapport à la concurrence qui restait faible. Ils ont largement été critiqués par les

économistes libéraux, qui les considéraient comme excessifs et défavorables aux

consommateurs et à la croissance économique. Il s’agit des premiers libéraux

classiques comme l’Anglais John Locke, l’Ecossais Adam Smith ou encore le

Français Etienne Bonnot de Condillac. Dans son œuvre « Le commerce et le

gouvernement »672 Etienne Bonnot de Condillac critiquait le commerce européen

dont s’emparaient les monopoleurs. Il écrivait par exemple que « dans le

commerce des choses nécessaires, le monopole est toujours odieux…Il est de

l’intérêt de tous qu’il y ait dans chaque branche de commerce le plus grand

nombre de marchands… Il n’y a que la concurrence du plus grand nombre

possible de vendeurs et d’acheteurs, qui puisse mettre les choses à leur vrai

prix…»673. Ces économistes ont milité pour l’introduction de lois protégeant la

concurrence674. L’association vient aussi du fait que les Russes recourent à la

métaphore du monopole pour présenter l’image de la situation politique actuelle :

670Ibidem. 671 Le monopole légal procède de l'intervention d'un organe règlementaire (État ou collectivité) qui restreint la concurrence sur un marché donné afin d'atteindre un objectif donné (aménagement du territoire, bien stratégique...). 672 Hume D., Condillac, Le commerce et le gouvernement. Paris : Guillaumin, 1847, p.326-329. 673 Ibidem. 674 Le droit de la concurrence qui rassemble l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires considère une entreprise comme monopole si elle occupe 30-70 % du marché et cherche à la sanctionner – amendes, prix fixés…

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… ЕР Борис Грызлов: "Нам не нужна политическая монополия, нам не

нужна партия-государство675.

« Nous n’avons pas besoin du monopole d’un parti, nous n’avons pas

besoin d’un État-parti, » annonça Boris Grizlov, député du parti « Russie

Unie ».

Хотя бы потому, что КПРФ на сегодня ― естественная

монополия676.

C’est parce qu’aujourd’hui le parti communiste de Fédération de Russie est

un monopole naturel.

Dans le premier extrait, il est question du monopole politique, autrement dit, quand

un seul parti est au pouvoir, celui-ci est l’image de l’État. Dans le deuxième

exemple, l’auteur désigne le parti communiste comme un monopole naturel, c’est-

à-dire le seul capable de faire face à toutes les exigences de la population.

L’exemple suivant montre que le monopole est comparé à un bâtiment :

Монополия же, несколько изменив фасад, останется нетронутой677.

Le monopole, tout ayant un peu changé sa façade, restera inchangé.

Le recours aux métaphores économiques dans le discours politique russe a déjà

été développé par Anatolij Čudinov dans son article « La métaphore financière

dans le discours politique contemporain »678. Le linguiste souligne l’importance de

la métaphore « Ressources politiques – Argent » à partir du moment où la Russie

a commencé à développer l’économie de marché et il cite plusieurs exemples de

cette métaphore679 :

675 Faljaxov R., «To li bol’nyx stalo bol’še, to li vse vyzdoreveli», in Gazeta, 30.06.2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 676 Kagarlickij B., « Na političeskoj birže rastet spros na oppoziciju », in Novaja gazeta, 30.01. 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 677 Lenc E., « Solo na vodoprovodnoj trube », in Biznes-žurnal, 13.02. 2004, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 678Čudinov A.P., « Finansovaja metafora v sovremennoj političeskoj reči », in Izvestija Ural’skogo gos.ped. universiteta. Lingvistika., №7, Ekaterinburg, 2001, http://www.philology.ru/linguistics2/chudinov-01a.htm. Consulté le 21 mai 2010. 679 Ibidem.

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Российский парламент сегодня - это большая биржа, где депутаты

зарабатывают деньги (Е. Глушкова)

Le parlement russe d’aujourd’hui est une grande bourse où les députés

gagnent de l’argent. (E. Gluškova)

Госдума - своеобразное акционерное общество, контрольный пакет

в ней Кремль никому отдавать не собирается (О. Лурье)

La Douma d’État est une sorte de société anonyme, dont l’actionnaire

principal est le Kremlin (O. Lur’e).

Dans leur Dictionnaire des métaphores du vocabulaire économique680, Natalija

Borodulina et Marina Makeeva, à leur tour, citent des exemples de la métaphore

financière dans le discours politique :

У России давно сложились вполне «картельные» отношения с

Казахстаном и Туркменией.

La Russie a formé depuis longtemps les relations de « cartel » avec le

Kazakhstan et le Turkménistan.

Ici, les États sont considérés comme de « grandes entreprises juridiquement et

financièrement indépendantes, ayant des activités comparables et qui s’entendent

en vue de contrôler la concurrence et le marché »681. Ainsi, l’emploi des mots

monopolija, cartel dans le discours politique et quotidien permet de conceptualiser

certaines notions politiques.

La réaction колхоз (kolxoz-kolkhoze) peut, à notre avis, aussi être rapportée aux

métaphores financières. Dans notre deuxième chapitre consacré aux métaphores

de l’État, nous n’avons pas inclus celles liées à l’URSS. Si nous nous y

680 Borodulina N.J., Makeeva M.N., Slovar’ metaphor ekonomičeskogo leksikona russkogo jazyka, Tambov: Gramota, 2010, p.30. 681 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.351.

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233

intéressons maintenant, nous y trouverons la métaphore « СССР – колхоз»

(« l’URSS – kolkhoze682 ») :

Стало быть, сперва надо стать государством, а не оставаться

бригадой социалистического колхоза683.

Alors, il faudrait d’abord devenir un État et ne pas rester la brigade d’un

kolkhoze socialiste.

Ainsi cette association, qui est un écho de l’époque soviétique, n’a pas quitté

l’esprit du peuple russe dans la vie quotidienne, ni pendant la perestroïka, ni

après, comme nous l’avons déjà noté pour les réactions : революция 13 ; партия

3 ; диктат, террор 1 (révolution 13 ; parti 3 ; diktat, terreur 1).

Bien que les kolkhozes aient changé de forme après la privatisation en Russie, le

mot continue d’apparaître dans la presse russe avec dorénavant une valeur de

métaphore :

Кто-то считает, что виноваты акционеры, так сказать, колхоз

олигархов684. Certains croient les actionnaires coupables, comme on dit

c’est le kolkhoze des oligarques.

Ici, nous pouvons comparer deux hypothèses : soit la métaphore колхоз

олигархов (le kolkhoze des oligarques) ne s’associe plus à l’État et devient même

son opposé, soit l’État russe est associé au kolkhoze des oligarques, ce qui peut

susciter une valeur négative chez le lecteur. N’oublions pas que, dans le

dictionnaire de la langue russe, le mot kolxoze possède aussi un sens figuré dans

le langage parlé :

682 Un kolkhoze, une abréviation de коллективное хозяйство (kollektivnoe xozjajstvo), économie collective fut une coopérative agricole en Union soviétique qui remplaça les artels. Les kolkhozes furent massivement crées par Joseph Staline dans le cadre de la politique de collectivisation après la suppression des exploitations agricoles privées en 1929 et leur mise en collectivité. 683 Baranov A.N., Karaulov Ju.N., Russkaja političeskaja metafora (materially k slovarju), Moskva: Institut russkogo jazyka AN SSSR, 1991, p.137. 684 Pandorin T., « Profilaktika evantazi », in Nezavisimaja gazeta, 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010.

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234

1. Перен. О дружной группе людей (разг., шутл)685.

1. Sens figuré. Il s'agit d'un groupe de gens unis (langage parlé, plaisanterie).

Si, dans ce cas, ce sens n’apporte pas de péjoration, d’autres témoignent d’une

connotation péjorative :

Если надо было обидеть кого-то, то часто употреблялась фраза:

«Ну ты, колхоз!686

Quand on voulait vexer quelqu’un, on utilisait souvent la phrase : « Alors toi,

le kolkhoze ! »

En analysant la réaction княжество (knjažestvo-principauté) (1) au mot

gosudarstvo, nous pouvons supposer une synonymie entre ces deux termes.

Recourons au dictionnaire des synonymes qui donne parmi les différentes

occurrences à ce mot celui de княжество (knjažestvo)687.

La presse se sert aussi de ce concept pour donner l’image de l’État russe actuel.

La métaphore « Государство – княжество» (« Gosudarstvo- knjažestvo; l’État-

principauté »), par analogie à la métaphore (« Государство – царство »)

(Gosudarstvo-carstvo ; État-royaume) renvoie à l’histoire de l’État féodal russe688.

Anatolij Čudinov en donne quelques exemples, en analysant la métaphore

monarchique dans le discours russe :

Путин бьется за диктатуру закона и даже не подозревает, что

уральские князьки такой ножичек у него за спиной точат

(Ф.Сергеев)689

685 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.285. 686 Kozlov A., « Kozel na sakse », 1998, www.ruscorpora.ru.Consulté le 30 avril 2010. 687 Abramov N., Slovar’ russkix sinonimov i sxodnyx po smysly vyraženij, http://www.dict.t-mm.ru/abramov/ь. Consulté le 1 juin 2010. 688 Avant les débuts de la formation d’un État centralisé autour de la principauté de Moscou (fin XVe-XVIe siècles), la Rus’ ancienne, entre les XIe-XIVe siècles, était morcelée entre de nombreuses principautés (Kiev, Vladimir, Souzdal, Novgorod, Tver, etc.). 689 Čudinov A.P., Političeskaja lingvistika : učebnoe posobie, Moskva : Flinta : Nauka, 2008, p. 220.

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235

Poutine mène un combat pour une dictature de la loi et ne soupçonne

même pas que les petits princes de l’Oural ont une dent contre lui.

Enfin, la réaction « Государство- столы и чиновники » (Gosudarstvo- stoly i

činovniki, l’État – les bureaux et les fonctionnaires) comporte deux traits à la fois :

structurel et humain. Essayons d’imaginer l’État comme un ensemble de

fonctionnaires derrière leurs bureaux. Le mot чиновник (činovnik-fonctionnaire)

dans la langue russe, n’a pas seulement le sens de «государственный

служащий» (gosudarstvennyj služaščij, employé d’État), mais aussi le sens

figuré de : «человек, который ведет свою работу равнодушно, без

интереса, бюрократически»690 (personne indifférente envers son travail, le fait

sans enthousiasme et d’une façon bureaucratique) (trait humain). Tous ces

fonctionnaires représentent la bureaucratie, en russe «бюрократия » (bjurokratija)

qui est définie dans le dictionnaire de la langue russe comme « система

управления чиновнической администрации... » (sistema upravlenija

činovničeskoj administracii, système de gestion de l’administration des

fonctionnaires ») (trait structurel). Le mot bjurokratija possède un deuxième sens :

« 2. Собир. бюрократы»691 (Sobir. Bjurokraty – Collectif. Bureaucrates),

autrement dit « люди, приверженные к бюрократизму», «управление, при к-

ром деятельность органов власти излишне осложнена и направлена на

обеспечение ведомственных интересов в ущерб интересам общества, во

вред ему» (« des personnes attachées au bureaucratisme, qui est une forme de

gestion très lourde garantissant les intérêts des organes du pouvoir au détriment

de ceux de la société, à ses dépens »).

Donc, nous pouvons constater que la source de la métaphore « Государство-

столы и чиновники » (l’État – bureaux et fonctionnaires) est la bureaucratie. Ce

terme en français est connu pour avoir des sens multiples. On distingue deux

formes de bureaucratie : la forme sociale et politique. En sociologie, la

bureaucratie désigne un pouvoir sans direction qui se caractérise par des règles

strictes, la division des responsabilités et une forte hiérarchie. Ce mot a été créé

690 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.885. 691 Ibidem.

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236

au XVIIIe siècle par Vincent de Gournay, mais le concept a été défini par Max

Weber. En politique, la bureaucratie représente une forme d'État où le pouvoir est

exercé et transmis par l'appareil administratif lui-même, qui est souvent considéré

comme un « pouvoir politique des bureaux ; influence abusive de

l’administration »692.

En effet, dans son ouvrage Théorie générale de la bureaucratie 693 Nicolas

Grandguillaume remarque qu’aujourd’hui la bureaucratie est souvent associée au

lourd appareil administratif, par exemple celui de la Sécurité sociale. Il précise

que : « on l’accuse d’être despotique, tatillonne, envahissante, arbitraire, injuste,

coûteuse, égoïste… »694. Selon lui, il s’agit de la grande confusion entre la

bureaucratie régalienne et les bureaucraties secondaires. L’auteur insiste sur la

nécessité de la bureaucratie, en tant que corps social, offrant à la société l’ordre,

des règles précises et l’efficacité de la gestion, à condition que la machine

bureaucratique fonctionne bien. Malheureusement, on assiste souvent à des

dérives multiples de la bureaucratie, qui sont, par exemple, causées, comme le

note Nicolas Grandguillaume, par « la poursuite des fins propres de la

bureaucratie, la recherche des privilèges, de pouvoirs personnels… l’oubli des

missions… le vieillissement, l’incapacité à suivre les changements du corps

social » ou encore : « l’extension cancéreuse des fonctions et des

institutions…»695. Nous pouvons observer ces multiples dérives par exemple dans

l’URSS stalinienne, ce qu’analysent Alain Blum et Martine Mespoulet dans le

domaine de la statistique696. Ils exposent pourquoi le projet d’ « absolutisme

bureaucratique »697 lancé par Staline a échoué. Ce projet visait à créer une

gestion rationnelle et scientifique dans tous les domaines concernant l’État.

692 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 307. 693 Grandguillaume N., Théorie générale de la bureuacratie, Paris : Ed. Economica, 1996, 149 p. 694 Ibidem, Avant-propos. 695 Ibid., p.57-58. 696 Blum A., Mespoulet M., L’anarchie bureaucratique. Statistique et pouvoir sous Staline. Paris : Ed. la Découverte, 2003, 372 p. 697 Raymond Aron propose ce terme dans son ouvrage Démocratie et totalitarisme quand il décrit le régime politique soviétique comme « une combinaison du pouvoir absolu d’un ou de quelques hommes, et d’une bureaucratiee nombreuse qui exerce l’ensemble des fonctoins de direction technique, économique, administrative et idélogique dans la société », in Aron R., Démocratie et totalitarisme, Paris : Editions Gallimard, 1965, p.315.

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237

Cependant, ce projet a été voué à l’échec en raison des répressions, du

renouvellement constant de personnel, de l’embauche de gens peu formés, ainsi

que du « désordre institutionnel caractérisé par un grand nombre d’institutions

fonctionnant pour partie selon leurs propres règles et pratiques »698. Le poids du

passé et les aberrations de la bureaucratie, qui ont perduré jusqu’à nos jours,

influencent l’image de cette dernière, notamment dans la presse où les

journalistes utilisent les métaphores à connotation péjorative ; en voici quelques

exemples :

Первый (выход)― плодить "паразитов": переводить людей в

чиновники. Я считаю, что чиновники ― это такое сугубо

надстроечное сословие, которое сейчас просто поедает страну699.

Le premier moyen est d’engendrer des « parasites » : fabriquer des

fonctionnaires. Je crois que les fonctionnaires forment maintenant une classe

tellement obèse, qu’elle ne peut qu’avaler le pays.

Есть извечный враг, мешающий двигаться вперед, тормозящий

экономический рост, а с ним и рост благосостояния граждан ―

российская бюрократия700.

La bureaucratie russe est l’ennemi éternel, qui empêche d’aller de l’avant,

freine la croissance économique et le bien-être des citoyens.

3.2.2.3. Trait humain

La deuxième place dans la fréquence des associations est occupée par le pronom

« наше» (naše-notre), 26 réactions. Ainsi, se forme le syntagme наше

государство (naše gosudarstvo –notre État). Ici il s’agit d’un trait humain qui est

traduit par un lien d’appartenance : l’État est à qui ? A nous, donc, aux individus.

Selon Marija Sančes Puig, cette association traduit aussi un sentiment

698 Op. cit., Blum A., p. 183. 699 Semenova E., « Oligarx bez galstuka », in Argumenty i fakty, 29.01.2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010. 700 Blan M., « Biznes-plan dlja Kozaka », in Eženedel’nyj žurnal, 13.05. 2003. www.ruscorpora.ru. Consulté le 30 avril 2010.

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d’appartenance de l’individu à la société701. Le même trait dominant est présent

dans les associations telles que это я (éto ja-c’est moi) (12 réactions) ; мое (moë-

le mien) (8 réactions) ; я (ja-moi) (6 réactions) ; мы (my-nous), это мы (ëto my-

c’est nous) (3 réactions) ; свое (svoë-le sien) (1 réaction). Avec les pronoms

personnels et possessifs, le trait humain s’introduit par d’autres parties du discours

ou par des syntagmes : общество (obščestvo-société) 7; и личность (i ličnost’-

et la personnalité), народ (narod-peuple) 3; рабов (rabov - d’esclaves), идиотов

(idiotov -d’idiots), кормилица (kormilica - nourrisse), люди (ljudi - les gens), мама

(mama -maman), мать (mat’- mère), народное (narodnoe- du peuple),

президент (prezident-président), семья (semja-famille), государь (gosudar’-

souverain), царь (tsar’-tsar) 1. Nous trouvons parmi ces associations la

personnification à travers les mots : президент (prezident-président), кормилица

(kormilica-nourrisse), мама (mama-maman), мать (mat’-mère) (1) et l’allusion

это я... (ëto ja-c’est moi). Nous avons déjà analysé les métaphores familiale et

monarchique dans notre chapitre précédent et nous avons pu constater qu’elles

sont très répandues dans le discours politique et qu’elles nous servent à

construire différents concepts.

Marija Sančes Puig souligne l’importance des associations de gosudarstvo à la

mère, à la nourisse (мать, кормилица – mat’, kormilica), aux verbes заботиться

zabotit’sja (s’occuper), поддерживает podderživaet (soutient),

руководит rukovodit (dirige) 1. Ce type d’associations renvoie à la psychologie

de l’homme soviétique qui était habitué aux aides de l’État, au programme social

et à tout ce que l’État prenait en charge. Suite à ces relations mère-fils entre l’État

et l’homme, l’État jouait le rôle de guide et l’homme de bénéficiaire.

L’association au mot общество (obščestvo-société) (7) s’explique par sa

présence même dans la définition de gosudarstvo : Основная политическая

организация общества (l’organisation politique principale de la société )702. Ici il

701 Sančes Puig M., «O gosudare, « gosudar’stve » i gosudarstvennosti », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.221. 702 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.141.

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s’agit, à notre avis, des deux traits : humain et structurel. Nous observons ces

traits en décomposant la définition 1 du mot общество (obščestvo) dans les

dictionnaires de langue703 :

общество

1. Совокупность людей, объединенных исторически обусловленными

социальными формами совместной жизни и деятельности (ensemble

de personnes, réunies par les rapports sociaux et l’activité de la vie

commune, le tout conditionné par l’histoire).

D’un côté, il s’agit des personnes (trait humain), de l’autre, des personnes unies

par certains rapports organisés, d’où l’appartenance à l’organisation, à la structure

(trait structurel).

Pourtant, nous ne trouvons nulle part la référence aux mots gosudarstvo et strana

déterminé dans cette définition. Alors, si nous imaginons que nous ne savons pas

encore définir l’État, la question se pose : quel rôle cet ensemble d’individus joue-

t-il dans l’État ? Les philosophes et les politiciens ont commencé à analyser les

notions d’obščestvo et de gosudarstvo à partir de l’organisation de la cité dans la

Grèce antique704. A cette époque, il n’y avait pas de division entre ces deux

notions. La notion grecque polis (cité-État) recouvrait tous les domaines de la vie

de la société, tant politique qu’économique et religieux. Autrement dit, l’État était

identifié à la société. Ainsi, dans la conscience du monde antique et encore

ensuite à la période médiévale, il n’était pas question de l’individu. Aristote

affirmait que « l’homme est d’après sa nature un être politique, social »705

A partir des XVIIIe et XIXe siècles, la société bourgeoise acheva de se former en

Europe, suivie de la séparation définitive de trois sphères : l’économie, la société

civile et la politique706. L’État devint le garant de la réglementation et de l’intégrité

703 Ibid., p.440. 704 Semenov S., « Gosudarstvo i Graždanskoe obščestvo », in Peter-Club, http://www.peter-club.spb.ru/context/. Consulté le 1 mars 2009. 705 Borovik V.S., Kretov B.I., Osnovy politologii I sociologii. Moskva: Vysšaja škola, 2004, p.6. 706 Ibid. p.7.

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240

du territoire, tandis que la société restait un domaine où s’exerçait l’autonomie de

l’individu et la réalisation de sa différence. La société et l’État se complétaient l’un

l’autre. Le XXe siècle s’est avéré difficile pour le développement de la société, car

dans certains pays l’État aspire à absorber cette dernière (par exemple, le régime

totalitaire dans l’ex-URSS). Les dictionnaires ont fixé cette tendance, puisque

dans la définition du terme gosudarstvo son rôle est déterminant, car il dirige la

société et la domine. Cependant, aujourd’hui, se développent dans la société de

nouvelles relations, qui changent la perception de cette notion de société

moderne. Il s’agit de la communication libre entre les différentes cultures et

sociétés, qui dépasse les frontières des États707.

Parmi les personnes interrogées, trois ont identifié gosudarstvo aux mots ličnost’

(personnalité), narod (peuple) et une – au mot ljudi (gens). On trouve aussi un lien

entre l’État et le peuple dans les syntagmes tels que государство и народ

(Gosudarstvo i narod, L’État et le peuple), госудаство и личность (gosudarstvo

i ličnost’- l’État et la personnalité) 3, ou même une opposition государство или я

(gosudarstvo ili ja - l'État ou moi), государство не я (gosudarstvo ne ja-l’État

n’est pas moi). Nous observons le même phénomène dans les locutions

антинародное (antinarodnoe- l’État contre le peuple), бесчеловечное

государство (besčevelovečnoe-inhumain) qui témoignent d’une attitude négative

envers l’État chez les Russes. Une évaluation péjorative est aussi reflétée dans

les locutions государство дураков (gosudarstvo durakov - l’État des imbéciles)

3, государство рабов (gosudarstvo rabov - l’État des esclaves) 2, государство

идиотов (gosudarstvo idiotov - l’État des idiots) 1. Nous analyserons plus en

détails ces expressions dans notre chapitre suivant consacré aux expressions

contenant le mot État/gosudarstvo.

En conclusion, nous constatons que, malgré le fait que vingt six personnes se

sentent appartenir à l’État à travers l’association наше (le notre), le trait humain

vient après le trait géographique et structurel.

707 Ibidem.

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241

Conclusion

L’analyse des résultats concernant le mot gosudarstvo dans le dictionnaire

associatif démontre l’interdépendance entre les traits sémantiques. D’un côté, le

trait géographique occupe la première place avec la réaction strana (49 réponses),

ensuite vient le trait humain avec la réaction naše (26 réponses) et enfin le trait

structurel avec la réaction vlast’ (21 réponses); ce qui donne le schéma suivant :

trait géographique+trait humain+trait structurel. D’un autre côté, nous remarquons

que si nous calculons toutes les réactions et leur nombre de réponses, les places

changent et donnent la priorité aux réactions avec le trait structurel, et nous

obtenons déjà un autre schéma708 : trait structurel + trait géographique + trait

humain. Ce deuxième schéma est à notre avis plus conforme aux données

statistiques. Il est aussi important de signaler que ce schéma est identique à celui

obtenu par l’analyse des définitions dans les dictionnaires de langue et

dictionnaires spécialisés. Cette dernière conclusion contredit notre troisième

hypothèse par le fait que la perception par les locuteurs du mot gosudarstvo et de

son concept dans le discours de tous les jours, diffère des définitions établies

dans les dictionnaires. Ce qui signifie que la variabilité des interprétations

consécutives aux connaissances individuelles, telles qu’obtenues par des

réponses non répétitives, changeantes dans le temps s’efface devant le sens

général admis par tous.

3.2.3. Analyse des résultats du dictionnaire inverse

Nous croyons qu’il est utile d’analyser les résultats du dictionnaire inverse :

Государство – страна 14; правительство 9, империя 6; монополия,

СССР, экономика 5, гражданин, держава, СНГ 4; Беларусь, республика

3; буржуазный, история, независимый, охранять, право, Россия, США,

тоталитаризм, управления 2; Австралия, аппарат, безопасность,

взаимозависимость, владелец, власти, возрождать, враждебный,

глава, государство, Европа, завоевание, закон, западный, знамя,

708 Voir le tableau des associations, Annexe VIII, p.451.

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242

институт, Италия, король, крах, крупный, машина, министр, налог,

парламент, патриотизм, переворот, польза, порядок, права человека,

править, правление, предоставлять, проблема, простой, Русь, совет,

Советской Союз, созидать, Средневековье, страной, страну,

управлять, утопия, ущерб, флот, хребет, царь, целое 1 709.

État – pays 14 ; gouvernement 9 ; empire 6 ; monopole, URSS, économie 5 ;

citoyen, puissance, CEI 4 ; Biélorussie, république 3 ; bourgeois, histoire,

indépendant, défendre, droit, Russie, États-Unis, totalitarisme, de direction

2 ; Australie, appareil, sécurité, interdépendance, propriétaire, pouvoirs, faire

renaître, hostile, chef, État, Europe, conquête, loi, d’ouest (occidental),

drapeau, institut, Italie, roi, faillite (krach), gros, machine, impôt, parlement,

patriotisme, coup d’État, utilité, ordre, droits de l’Homme, gouverner,

gouvernement, assurer, problème, simple, Rus' (ancien nom de la Russie),

conseil, Union soviétique, bâtir, Moyen Age, pays (l’Instrumental), pays

(Accusatif), diriger, utopie, dommage, flotte, colonne vertébrale, tsar, entier

1.

Comme nous l’avons déjà mentionné, ici le mot gosudarstvo apparait en tant que

réaction aux nombreux stimuli ; les gens évoquent le mot gosudarstvo comme

réaction à tel ou tel stimulus. Le mot страна (strana-pays) (trait géographique) a

suscité pour la majorité des personnes (14) la réaction gosudarstvo. Donc, ceci

ne diffère pas des résultats du dictionnaire direct. Il est néanmoins intéressant

d’analyser des mots nouveaux qui ont suscité la réaction gosudarstvo, lors de

cette expérience. Parmi ces derniers, nous pouvons citer les mots suivants :

империя (imperija-Empire) (6), экономика (ëkonomika-économie) 5, гражданин

(graždanin-citoyen), держава (deržava-puissance), институт (institut-institut) 4.

La réponse gosudarstvo au stimulus империя (imperija-Empire) est due à la

synonymie partielle entre ces deux termes, donc aux relations paradigmatiques.

709 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 2. Obratnyj slovar’ : ot reakcii k stimulu. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.62. Annexe V (2).

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243

En effet, rappelons la définition de Vladimir Dal du mot государство

(gosudarstvo), analysée dans notre premier chapitre :

Царство, империя, королевство, земля, страна, под управлением

государя. Стар. государствованiе710, власть, санъ и управление

государя. (Royauté, empire, Royaume, terre, pays gouverné par le

monarque. Vieilli. Gosudarstvovanie (gouvernement du monarque)711

Cette définition reflète l’étymologie du mot gosudarstvo à travers les mots

царство (carstvo), империя (imperija-Empire), королевство (korolevstvo-

royaume). Le mot imperija est défini dans le dictionnaire de langue russe de la

manière suivante :

Монархическое государство во главе с императором; вообще

государство, состоящее из территорий, лишенных экономической и

политической самостоятельности и управляемых из единого

центра. Римская империя. Британская империя712.

État monarchique avec un empereur à sa tête ; n’importe quel État

composé de territoires privés d’indépendance économique et politique et

dirigés par le centre. L’Empire romain. L’empire britannique.

Nous constatons que le dictionnaire de la langue russe ne fait pas de différence

entre l’Empire romain et l’Empire britannique. En revanche, la distinction entre ces

deux empires est formulée dans le dictionnaire de langue française:

1. L’État ou l’ensemble des États soumis à cette autorité. L’Empire romain.

710 «устар.управление государством, время правления какого-л. государя» (ustar. upravlenie gosudarstvom, vremja pravlenija kakogo-l. gosudarja – vieilli. Administration de l’Etat, gouvernance d’un souverain), in Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.332. 711 Dal’ V. I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955. 712 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p. 245.

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2. Ensemble d’États, de territoire relevant d’un gouvernement central.

L’Empire britannique713.

Dans la langue française, le premier sens d’empire n’est pas celui d’État ou

ensemble d’États, mais autorité, domination absolue714. Ce sens du mot empire se

rapproche de celui du mot « puissance » doté de forte polysémie. Le mot français

« puissance » peut être traduit en russe différemment et parmi ces traductions

trois nous intéressent :

1) Власть, господство, владычество (Vlast’, gospodstvo, vladyčestvo);

2) Могущество, мощь, сила (moguščestvo, mošč; sila) ;

3) Держава, государство (deržava, gosudarstvo)715.

Ainsi, si, en français, ces trois significations appartiennent à un seul mot

« puissance », en russe, il faut distinguer, d’après le contexte, de quel sens s’agit-

il et trouver ensuite la bonne traduction.

Comme nous avons pu l’observer, le stimulus держава (deržava-puissance)

suscite également la réponse gosudarstvo. Voici le premier sens de ce mot

deržava énoncé dans le dictionnaire de langue russe :

1. Большая и мощная страна (высок.), великая держава (наиболее

крупные государства, кот-ые обладают большим экономическим и

военным потенциалом и играют главную роль в мировой политике

и международных отношениях)716. Un grand et puissant pays (style

élevé), une grande puissance (les plus grands États qui possèdent un

potentiel économique et militaire important et jouent un rôle essentiel dans

la politique et les relations internationales.

713 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.839. 714 Ibidem. 715 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, p.883. 716 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.161.

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245

En effet, il s’agit d’un côté du caractère dimensionnel : l’État peut être nommé une

puissance d’après l’étendue de son territoire, d’un autre côté l’État devient une

puissance grâce à son influence dans le monde, à son poids économique et

militaire. Sa caractéristique dimensionnelle est ainsi énoncée dans le dictionnaire

des synonymes717 :

Государство…большое: держава

État … grand : puissance

Aujourd’hui, c’est la deuxième caractéristique qui s’impose et un pays peut être

considéré comme une puissance grâce à son rôle dans la vie économique et

politique. Voici un exemple tiré de la presse française, qui qualifie la France de

cinquième puissance mondiale :

La France redevient la cinquième puissance mondiale. Selon le Financial

Times, son produit intérieur brut a dépassé celui du Royaume-Uni. Elle se

classe donc derrière les États-Unis, le Japon, l'Allemagne et la Chine718.

Dans la presse russe, en revanche, l’État peut être associé au mot deržava

(puissance) avec une appréciation négative. Ainsi, il suffit d’ajouter à ce mot des

adjectifs à connotation péjorative, par exemple «прижимистая держава»

(prižimistaja deržava- puissance avare) (Газета.ру Политика – Gazeta.ru

Politika) ou encore par l’utilisation des dérivés à partir de ce mot :

Усидеть сразу на двух стульях: державности и либерализма, —

президенту не удастся.

Le président ne parviendra pas à rester assis entre les deux chaises du

pouvoir et du libéralisme.

717Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika. Moskva: Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 718 L’article « L'euro propulse la France au 5e rang mondial » de Perrine Créquy 15/01/2008, in le Figaro,http://www.lefigaro.fr/tauxetdevises/2008/01/14/04004-20080114ARTFIG00465-l-euro-propulse-la-france-au-e-rang-mondial.php. Consulté le 23 avril 2010.

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Это у Сталина была держава, а у Путина пока — сплошная

державчина. Staline a créé une vraie puissance alors que Poutine n’en a

créé qu’une apparence.719

Dans le premier extrait, le dérivé державность (deržavnost')720 est utilisé par

opposition au libéralisme. Les journalistes critiquent la position incertaine du

président : créer un État libéral ou un État puissant. Dans le deuxième extrait, le

dérivé державчина (deržavčina) n’est pas mentionné par le dictionnaire de langue

et appartient aux mots occasionnels qui servent à exprimer des émotions

différentes et, dans ce cas, l’ironie et une attitude péjorative. Il est également

intéressant de noter l’allusion que ce mot fait à un autre : si on enlève де-, on

obtient ржавчина (ržavčina – rouille). Ce dernier mot renvoie à la métaphore

mécanique à valeur négative déjà citée dans notre deuxième chapitre, qui trasmet

l’idée de ржавое государство (ržavoe gosudarstvo – État rouillé).

Le mot гражданин (graždanin-citoyen) suscite l’association государство

(gosudarstvo) chez les personnes interrogées. Nous nous référons au dictionnaire

de langue russe moderne pour définir ce mot721 :

Офиц. Лицо, пользующееся, наделенное правами гражданства в

стране проживания.

Offic. Personne qui bénéficie de ses droits de citoyen dans son pays de

résidence.

Comme nous pouvons le constater, le terme гражданин (graždanin) est défini à

l’aide d’un autre terme, ce qui complique la compréhension. Nous devons définir

donc le terme гражданство (graždanstvo - citoyenneté) 722:

719 Toujikova V., « Le mot et la notion de « gosudarstvo » (l’État) dans les discours parus dans la presse russe contemporaine, l’intervention lors de la sixième journée d’étude, à paraître. 720 1. См. Державный (Voir deržavnyj – ayant l’autorité suprême, puissant). 2.Утверждение роли своей страны как великой и единой державы. (Affirmation du rôle de son propre pays en tant que puissance grande et unie) in Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.161. 721 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.185. 722 Ibid., p.186.

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Соц. Политическая и правовая принадлежность лица к населению

страны проживания, обусловливающая совокупность прав и

обязанностей этого лица, а также защиту его прав государством.

Social. L’appartenance politique et de droit d’une personne à la population

d’un pays. L’appartenance qui détermine l’ensemble des droits et des

obligations de cette personne, ainsi que la défense de ses droits par l’État.

Grâce à cette définition nous pouvons dégager le trait sémantique commun entre

les mots gosudarstvo et graždanin. Tout abord, le mot graždanin désigne une

personne qui appartient au groupe humain d’un pays déterminé et grâce à cette

appartenance, cette personne a des obligations et des droits, dont la défense est

garantie par l’État. Ici l’homme appartient à un groupement humain habitant sur un

territoire déterminé. Ainsi, au lieu des mots plus abstraits « groupement humain ou

peuple » apparaît le terme citoyen plus concret qui amène le trait humain, mais ce

trait implique déjà une « politisation » de l’humain.

Si dans la langue française, cette appartenance à l’État est transmise par le terme

« nation », dans la langue russe, on préfère d’autres termes, compte tenu de

l’ambigüité de son équivalent « нация» (nacia). Le problème de la conception de

deux États : État-Nation pour la France et l’État multinational pour la Russie, a été

analysé par Valéry Kossov723. Si en France les deux termes État et Nation

peuvent être employés comme deux synonymes, en Russie on les distingue.

Valéry Kossov prend comme exemple le terme russe национальность

(nacional’nost’ - nationalité) : pour lui le mot français nationalité ne reflète pas le

même sens. En russe, il s’agit de l’appartenance ethnique et en français il y a en

plus l’appartenance à l’État. En russe l’appartenance à l’État est exprimée par le

terme гражданство (graždanstvo - citoyenneté), qui a une autre connotation par

rapport à son équivalent français « citoyenneté ».

Dans sa thèse Quel fédéralisme pour la Russie multinationale ?, Valéry Kossov

nous présente le problème des deux notions « нация» (nacia) et « гражданство »

723 Kossov V., « La nouvelle terminologie dans les domaines économique, politique, juridique. Difficultés de traduction », in Essais sur le discours de l’Europe éclatée, N 20, p.117-127.

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248

(graždanstvo) en Russie en tant qu’État fédéral : « En Russie, le principe de

citoyenneté unique, consacré dans l’article 6 de la Constitution de la FR, souligne

avant tout l’appartenance à l’État fédéral et au territoire qu’occupe cet État. Ce

n’est pas par hasard que l’appartenance à la Russie se traduit dans la langue

comme la citoyenneté russienne (rossijskoie graždanstvo), ce qui souligne

l’appartenance de chaque ethnie peuplant le territoire de la Fédération, non pas

aux Russes en tant qu’une nation mais à un État fédéral russien, où la nation

russe dispose des mêmes droits, libertés et obligations que toute autre nation ou

ethnie »724.

Le mot нация (nacija) est ainsi défini dans le dictionnaire de langue725 :

1. Исторически сложивщаяся устойчивая общность людей,

образующася в процессе формирования общности их территории,

экономических связей, литературного языка. Communauté historique

de gens qui se forme en se basant sur des critères territoriaux,

économiques et linguistiques communs.

2. В некоторых сочетаниях: страна, государство. Dans un certain

contexte : pays, État.

Ainsi, la deuxième définition précise que dans un certain contexte ce mot peut

devenir synonyme des mots pays, État. Néanmoins, nous ne savons pas de quel

contexte il s’agit, car le dictionnaire ne le précise pas. Valéry Kossov met en

évidence une certaine actualisation du terme нация (nacija) dans les années 90,

suite aux « tendances centrifuges dans les rapports au sein de la fédération »,726

ainsi que l’emploi des expressions telles que « национальное значение

(naсional’noe značenie – importance nationale), обращение Президента к

нации (obraščenie Prezidenta k nacii – discours du Président à la nation) »727...

724 Kossov V., Quel fédéralisme pour la Russie multinationale ?, Thèse en cotutelle pour le doctorat, sous la direction de J.Domenach (Grenoble) et A. Petrov (Nijni Novgorod, Russie), 1999, p.236. 725 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.398. 726 Kossov V., « La nouvelle terminologie dans le russe politque, juridique et économique. Difficultés de traduction », in Essais sur le discours de l’Europe éclatée N 20, p.125-126. 727 Ibidem.

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249

En effet, la signification plus générale de нация (nacija) est devenue importante

dans le discours politique, en vue de créer une nation unie. Voici un exemple tiré

de la presse russe qui témoigne de cette tendance :

Единая нация ― это прежде всего одна семья, единый дух728.

Une nation unie c’est avant tout une famille, une pensée unique.

Dans cet extrait, la nation est décrite à l’aide de la métaphore familiale « нация-

семья » (nacija-sem’ja ; nation-famille). Alors, dans ce contexte, il nous semble

facile de remplacer le mot nacija par le mot gosudarstvo et de constater la

synonymie entre les deux mots.

Valéry Kossov souligne que, compte tenu de l’ambigüité du terme nacija, on le

remplace parfois « par le nom de cette Nation – Россиянин (Russien) – ce qui est

considéré comme un terme politiquement correct »729 et qui supprime toute

ambigüité. Néanmoins, Valéry Kossov constate que les efforts de construire une

nation unie sont remplacés, avec le temps, par une tendance inverse. Aujourd’hui,

il y a de nombreux exemples dans lesquels le terme nacija est employé pour

désigner une ethnie quelconque. Voici l’exemple de l’emploi de ce terme dans le

discours pour désigner l’ethnie russe :

А все объясняется просто: что бы мы ни думали сами о себе, и как

бы нас ни представляли иные народы, русские ― самая

любознательная, авантюрная и открытая всему новому нация730.

Tout s’explique simplement : quoi que nous pensions de nous même et

comment les autres peuples nous jugent, les Russes forment la nation la

plus curieuse, aventurière et ouverte à tout ce qui est nouveau.

728 Abdulatipov R., « Sozsanie rossijskoj nacii », in Rossijskaja gazeta, 15.05.2003., www.ruscorpora.ru Consulté le 30 avril 2010. 729 Kossov V., « La nouvelle terminologie dans le russe politque, juridique et économique. Difficultés de traduction », in Essais sur le discours de l’Europe éclatée N 20, p.125. 730 Lenc E., « Ryba v vide pticy », in Biznes-žurnal, 30.01.2004, www.ruscorpora.ru, Consulté le 30 avril 2010.

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250

Autrement dit, dans le discours, le mot nacija est souvent associé au mot narod

(peuple) :

Нация вымирает из-за низкой рождаемости и высокой

смертности731.

La nation disparait en raison de sa faible natalité et de son importante

mortalité.

Cette synonymie partielle est même fixée par le dictionnaire russe :

3. Нация, национальность или народность. Русский народ. Северные

народы732.Nation, nationalité ou peuple. Peuple russe. Peuples du Nord.

Mais jusqu’à présent cette notion reste ambigüe pour certains Russes, qui ne

savent pas comment la définir :

«Нация есть одно из тех многих явлений, которые мы знаем, пока

нас о них не спрашивают; на поставленный же о них вопрос мы не в

состоянии дать точного и ясного ответа»733.

La nation est l’un de ces nombreux phénomènes que nous connaissons,

tant qu’on ne parle pas d’eux; une question posée sur eux et nous sommes

incapables de donner une réponse claire.

Nous croyons qu’en raison de cette difficulté à définir le terme nacija, les Russes

ne l’évoquent pas dans leur associations au mot gosudarstvo.

Comme nous l’avons vu précédemment, en analysant les résultats du dictionnaire

direct, nous avons découvert que les Russes donnent le mot монополия

(monopolija-monopole) en tant que réaction au mot gosudarstvo. Dans le

dictionnaire inverse, à part le mot monopolija, nous trouvons le mot экономика

(èconomika-économie) et cinq personnes ont proposé le mot gosudarstvo à ce

731 Bondarev V., « Nad propast’ju vo lži », in Nezavisimaja gazeta, 31.03. 2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 30 avril 2010. 732 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.39. 733 Orlova I., « Vserossijskaja perepis’ », in Naš sovremennik, 15.08. 2004. www.ruscorpora.ru, Consulté le 30 avril 2010.

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251

stimulus. Cette association a été beaucoup influencée, à notre avis, par des

facteurs sociaux. Dans la définition de ce mot nous ne trouvons aucune référence

à l’État, mais nous trouvons la présence du mot общество obščestvo (société) :

1. Совокупность производственных отношений, соответствующих

данной ступени развития производительных сил общества,

господствующий способ производства в обществе734.

Ensemble des faits de production correspondant à une étape donnée dans

le développement des forces productives de la société, un moyen dominant

de production dans la société.

N’oublions pas que ce concept est assez large, car il comprend plusieurs sens ;

mais si nous prenons son premier sens et établissons le lien entre les mots

èconomika et gosudarstvo, nous pouvons facilement dégager son point d’attache

qui est le mot obščestvo. Nous croyons que c’est l’histoire de l’économie qui a

influencé sa perception par les Russes. Pendant la période soviétique, l’économie

était basée sur la propriété étatique et la planification centralisée735 ; par

conséquent l’économie n’était pas libre et dépendait de l’État, d’où vient

l’association entre ces deux concepts. Nous supposons qu’une autre raison est

liée au fait que lorsqu’il s’agit de l’économie, les Russes ont tendance à l’associer,

par défaut, à leur État, à la Russie.

Conclusion

L’analyse des résultats du dictionnaire inverse démontre une interdépendance

différente de ceux du dictionnaire direct : le trait géographique + le trait structurel +

le trait humain. Premièrement, le trait géographique dépasse légèrement le trait

structurel dans les stimuli qui suscitent la réaction gosudarstvo. Deuxièmement, la

différence consiste dans la présence faible du trait humain dans les mots qui ont

suscité l’association au mot gosudarstvo. Le trait humain est ici largement dominé

par le trait structurel. La métaphore conceptuelle « Государство – механизм,

734 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., op.cit., p.907. 735 L'économie soviétique était gérée par le Gosplan (la Commission de Planification d'État), la Gosbank (la Banque d'État) et le Gossnab (Commission d'État pour la fourniture en Matériaux et Équipements).

Page 253: dans les langues

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машина» (Gosudarstvo – mexanism, mašina ; l’État est un mécanisme, une

machine) a presque remplacé la personnification et la métaphore familiale :

« Государство- мать» (Gosudarstvo – mat’ ; l’État est une mère).

3.3. Les associations liées au mot État dans le dictionnaire des normes associatives français

3.3.1. Dictionnaire des associations verbales du français

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les linguistes français et russes

ont travaillé sur le projet commun de créer un Dictionnaire des Associations

Verbales du Français (Dictaverf). Ce dictionnaire associatif du français a été

récemment publié par l’université d’État de Novossibirsk736, mais il existe aussi

sous forme électronique737. Il prend place parmi les ouvrages analogues créés

selon la méthode élaborée au sein de l’Institut de Linguistique de Moscou :

Dictionnaire des Associations du russe, des langues slaves, de l’espagnol et

autres.

L’objectif de ce dictionnaire est de révéler les normes associatives des locuteurs

actuels du français. Les auteurs du projet espèrent que leurs résultats permettront

de décrire au mieux l’image langagière de ces locuteurs. Cette expérience

permettra aussi de comparer l’image langagière française à celle des autres

langues. Dans notre recherche nous essaierons de réaliser cette comparaison en

étudiant les associations du mot État et du mot gosudarstvo dans les langues

française et russe.

L’expérience a été réalisée sous forme d’enquête menée sur Internet du 11

novembre 2008 au 12 décembre 2009. Chaque personne interrogée a reçu un

questionnaire de 100 mots, choisis au hasard dans une liste de 1100 stimuli. Les

auteurs de ce dictionnaire ont réussi à réunir 5500 questionnaires de toutes les

régions de France, aux quels ont répondu des étudiants de différents cursus.

736 Debrenne M., Francuskij associativnyj slovar’ : v 2 t., Novosibirsk : Novosibirskij gosudarstvennyj universitet, 2010, 682 p. 737 Dictionnaire des Associations Verbales du Français, disponible sur ‹http://ccfit.nsu.ru/arom/old/test/dictaverf/. Consulté le 25 mars 2010. Voir Annexe VI (1-2).

Page 254: dans les langues

253

La méthode choisie pour l’élaboration de ce dictionnaire est celle de l’école de

psycholinguistique de Moscou (Institut de Linguistique) qui a déjà permis la

création de dictionnaires associatifs de diverses langues. Les linguistes français

précisent l’importance évidente de ce dictionnaire en lexicographie, sémantique et

autres branches de la linguistique, qui « permettra des avancées fructueuses en

ethnologie, psychologie et en sociologie, ainsi qu’en traductologie et en didactique

des langues étrangères »738. Il est également prévu de réaliser un dictionnaire

associatif dans les pays francophones (le Canada, la Belgique par exemple), ce

qui rendra possible, selon les linguistes français d’obtenir « des comparaisons

entre l’image du monde matérialisée dans le lexique des différentes communautés

langagières qui partagent le français »739.

D’après Michèle Debrenne, Marie-Annick Morel et Claude Frey (linguistes qui

travaillent sur ce projet), ce dictionnaire présente plusieurs intérêts. Tout d’abord,

l’étude des associations permet de comparer les réactions obtenues avec « la

structure sémantique du lexique du français (ou plutôt du lexique des locuteurs de

cette langue) telle qu’elle est reflétée dans les dictionnaires usuels, d’obtenir une

information sur les équivalents psychologiques des « champs sémantiques »

définis par la linguistique traditionnelle et de mettre à nu les liens sémantiques

existant réellement dans l’esprit des locuteurs »740. En même temps, les

chercheurs soulignent le fait que l’étude des réactions associatives en français

« réside dans le fait qu’elles sont conditionnées par les relations syntagmatiques

des lexèmes, ce qui a très peu été étudié par les linguistes ». Les linguistes

français croient que ce caractère syntagmatique présente une contribution

importante à l’enseignement du français en tant que langue étrangère.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’analyse des réactions au stimulus

gosudarstvo dans le dictionnaire des normes associatives, a démontré que ce

738 Debrenne M., Frey C et Morel M.-A., « L’étude des champs associatifs du français : création d’un dictionnaire des normes associatives », in Congrès Mondial de Linguistique Française, publié en ligne le 9 juillet 2008. Consulté le 12 novembre 2009. 739 Ibidem. 740 Ibidem.

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caractère syntagmatique est aussi propre aux réponses chez des russophones.

Nous y reviendrons dans notre analyse comparative.

Enfin, pour notre analyse, ce dictionnaire est également important car il a permis

de comparer les associations que les mots État/gosudarstvo suscitent chez les

Français et les Russes dans la vie de tous les jours, ainsi que les connaissances

culturelles que les Français et les Russes ont acquis sur ces concepts et qu’ils

possèdent aujourd’hui.

3.3.2. Résultats du dictionnaire direct

Il est nécessaire de préciser que les auteurs du Dictionnaire des normes

associatives françaises ont donné le lexème état avec une minuscule, aux

personnes intérrogées. La polysémie du mot nous pose un problème particulier

lorsque nous analysons les réactions suscitées. Ainsi, en se penchant sur les trois

premières réactions au mot état741, on découvre que les deux premières : pays

99, nation 31, nous renvoient au terme appartenant au vocabulaire politique et

social (État) et que la troisième : santé 20, est liée au sens premier du mot état :

manière d’être (physique, intellectuelle, morale) d’un être vivant742. Alors notre

travail se complique, puisqu’il convient de nous limiter aux associations obtenues

concernant le terme politique et social.

3.3.2.1. Trait géographique

La première association au mot état est le mot pays avec 99 réponses, ce qui peut

témoigner du fait que les Français perçoivent d’abord ce mot en tant que terme

politique et social. Ils mettent aussi en avant son trait sémantique géographique,

tout comme les Russes. Comme nous l’avons vu dans la première partie, les

définitions du mot État données par le dictionnaire de langue et le dictionnaire

encyclopédique ne contiennent pas le mot pays. En revanche, les dictionnaires

comportent le mot territoire qui contient le trait sémantique géographique.

741 Voir l’annexe VI (1). 742 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 927.

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Reprenons l’analyse des traits sémantiques de Sylvianne Rémi-Giraud et

souvenons-nous que le mot pays contient tout d’abord deux traits, l’un

géographique et l’autre humain : territoire habité par une collectivité et constituant

une réalité géographique dénommée : nation743. Ainsi la linguiste conclut que le

mot pays devient synonyme partiel du mot nation, ce qui lui ajoute le trait

structurel et présente ainsi le schéma suivant : trait géographique + trait humain +

trait structurel744 où le trait géographique prédomine. Ce schéma démontre la

synonymie entre les mots pays et État, ce qui regroupe ces derniers dans le

même micro-champ lexical. N’oublions pas que Sylvianne Rémi-Giraud construit

en s’appuyant sur le corpus des dictionnaires l’ordre d’apparition des traits

sémantiques du mot État de façon suivante : trait humain + trait géographique +

trait structurel745.

Cependant, un peu plus haut, nous avons avancé l’hypothèse que cet ordre peut

être rompu, si on analyse d’autres corpus, notamment celui du discours politique

ainsi que celui de tous les jours.

D’autres associations montrent que les traits sémantiques géographiques

prédominent, notamment les réactions telles que lieu, patrie 5, ville 3, Ohio,

région, territoire 2, Amérique, continent, département, France, Ile-de-France,

Michigan, New York, royaume, union européenne, USA 1. Il est important de noter

que les Français, comme les Russes, n’associent pas le mot État qu’à leur propre

pays, mais aussi à d’autres tels qu’États-Unis, États des États-Unis ou encore à

l’Union européenne. Mais si les Russes ont proposé plusieurs pays qui leur sont

venus à l’esprit, comme réactions au mot gosudarstvo, les Français n’ont nommé

que les États-Unis et les pays qui entrent dans l’Union européenne. Cette

détermination est liée à notre avis aux phénomènes culturels et historiques.

743 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.23-26. 744 Ibidem. 745 Ibidem.

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256

3.3.2.2. Trait humain

Trente et une personne française associent le mot état au mot nation ; ce qui

démontre la principale différence sémantique entre la perception des Français et

celle des Russes, qui préfèrent lui associer les mots общество 7 (obščestvo-

société) et народ 3 (narod-peuple). Comme nous l’avons développé

précédemment, le terme nation connaît un grand succès en France et devient

synonyme du mot État suite à l’évolution de son histoire qui l’a conduite à prendre

une forme d’État-nation. Si on analyse l’étymologie de ce mot, on verra qu’en latin,

« le mot « natio », dérivé de « nasci » (naître), exprime l’idée de naissance, puis,

par métonymie et spécialisation, signifie « un ensemble d’individus nés en même

temps dans le même lieu »746. D’où vient son sens en français : « (vers 1175) qui

correspond à celui d’une ethnie, car il est question d’un ensemble d’êtres humains

caractérisés par une communauté d’origine, de langue, de culture »747.

Au XVIIIe siècle l’Europe des Lumières met en avant ce terme pour réduire le

pouvoir royal. Mais c’est la Révolution qui apporte à ce terme une nouvelle

signification dans le vocabulaire politique et social, celle d’ « une entité politique

identique au tiers États, au peuple révolutionnaire et prend sa définition de

personne juridique constituée par l’ensemble des individus composant l’État »748.

La Révolution renforce la synonymie entre Nation et État, en transférant la

souveraineté vers la Nation749, d’où la naissance d’une confusion entre ces

termes.

Cette confusion fut renforcée par l’apparition des États-nations et s’est maintenue

jusqu’à nos jours, malgré l’affaiblissement du rôle des ces derniers. En revenant à

l’histoire des États-nations, il faudrait souligner que ce terme ne perd pas son sens

746 Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’A. Rey, Edition : le Robert, 1992, p.1307. 747 Ibidem. 748 Ibidem. 749 La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 annonce : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressivement », l’article 3, (http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/dudh/1789.asp).

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257

« primitif » d’ethnie, selon Foued Laroussi. Ce dernier en trouve la preuve dans la

création des nations mêmes, formées, « soit à partir d’une communauté culturelle

ou ethnie, soit à partir d’une volonté politique »750. Foued Laroussi distingue deux

conceptions différentes de la nation, l’une « à la française » basée sur la volonté

des citoyens, et l’autre « à l’allemande », issue d’une communauté ethnique et

culturelle. Le destin de l’État-nation français est difficile à juger. Le pouvoir de cet

État semble avoir été anéanti par la mondialisation, mais selon l’avis de certains

spécialistes, même si le cadre traditionel de l’État-nation a changé, il renaît sous

d’autres formes.

Ainsi, la réactualisation du mot nation prend une place importante dans la

perception des Français. Parmi les définitions de la nation énoncées par le

dictionnaire de langue, nous trouvons celle qui coïncide presque avec celle de

l’État :

Groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un

territoire défini ou ensemble de territoires définis, et personnifiée par une

autorité souveraine751.

Selon cette définition, Sylvianne Rémi-Giraud considère que l’ordre d’apparition

des traits sémantiques dans ce mot est le même que dans celui d’État : Trait

humain + trait géographique + trait structurel752, c’est-à-dire que le trait humain

prédomine. Les Français s’identifient alors plus facilement à une nation qu’un

peuple (3 réactions). Notons que le mot peuple comporte aussi les mêmes trois

traits sémantiques et dans le même ordre. Dans le dictionnaire de la langue

française le mot peuple est défini en tant que : «Ensemble d’être humains vivant

en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de

coutumes, d’institutions »753.

750 Laroussi F., « Quelle Politique linguistique pour quel État-nation ? » in revue Glottopol, N 1-janvier 2003, p.2-3. 751 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 1652. 752 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.24. 753 Le nouveau petit Robert, op.cit., p. 1856.

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258

Par opposition à la définition de la nation dans laquelle il y a un renvoi direct à

l’autorité souveraine qui la personnifie, la signification du mot peuple présente une

très légère allusion à l’État à travers le mot institutions. De quel genre d’institutions

s’agit-il, on peut juste le deviner. Autrement dit, le peuple peut vivre sans État,

mais la nation non. Cette idée est reflétée par Charles de Gaulle, pour qui « la

nation sans État serait condamnée »754.

Dans le dictionnaire de langue russe, au contraire, le mot народ (narod) signifie

avant tout «население государства, жители страны»755 (naselenie

gosudarstva, žiteli strany – la population d’un État, les habitants d’un pays). Donc,

pour les Russes l’appartenance du peuple à un État et à un pays est primordiale

et par conséquent plus important que pour les Français.

Aujourd’hui le terme nation a obtenu un nouvelle actualisation dans la presse

française, suite aux débats sur l’identité nationale lancés par l’ancien président

Nicolas Sarkozy :

La nation vue par Nicolas Sarkozy s'attache à des symboles, tels que

l'hymne, le drapeau, la culture ou la langue756.

Ainsi la synonymie entre l’État et la nation devient à nouveau très importante dans

le discours politique :

Je ferai de la France une grande nation numérique757.

754 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p. 98 755 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.391. 756 « L’identité nationale, l’héritage de l’extrême droite ? », in le Point.fr, publié le 28 octobre 2009 http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2009-10-28/l-identite-nationale-heritage-de-l-extreme-droite/920/0/389749. Consulté le 11 avril 2010. 757« Besson en mission », in Le Point.fr, publié le 16 octobre 2008, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2008-10-16/numerique-2012-besson-en-mission/917/0/283161. Consulté le 12 avril 2010.

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259

Assurant aux victimes le "soutien de la Nation", Nicolas Sarkozy a tenu à

faire un geste fort en leur faveur758.

Nombreuses deviennent les expressions de type le soutien de la Nation, la

solidarité de la Nation759, l’homme de la nation, le président de la nation, à la tête

de la nation, le budget de la nation….

Tout comme pour l’État, nous découvrons des métaphores avec la nation :

Depuis l'échec du référendum, ses plus proches (de Jacques Chirac), qui

voyaient déjà son âge comme un empêchement majeur, ne l'envisageaient

que comme l'ultime surprise que pourrait leur faire leur ami si la situation

internationale ou intérieure était si dégradée qu'il faille, encore une fois, s'en

remettre au père de la nation760.

Ici, l’ancien président de la France, Jacques Chirac, est comparé au père de la

nation, donc il est question de la métaphore familiale.

Par raport à un grand nombre de pronoms personnels et possessifs évoqués par

les Russes, les Français ne proposent que deux pronoms personnels : moi et

nous dans le syntagme nous tous. Donc, nous pouvons supposer que les Français

identifient rarement l’État à soi-même. En revanche, on trouve plusieurs cas de

personnification de l’État français à travers les associations uniques (non

répétitives) : l’État est le chef d’État, président, roi, Sarkozy 1. Comme nous

l’avons noté dans notre chapitre précédent, la personnification « le chef d’État au

lieu de l’État» est un des moyens les plus employés par la presse française, ce qui

758 Larquier S., « Les surirradiés d'Épinal pourraient être indemnisés dans un an », in Le Point.fr, publié le 17 avril 2008, http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2008-04-17/les-surirradies-d-epinal-pourraient-etre-indemnises-dans-un-an/920/0/239055. Consulté le 12 avril 2010. 759 « Meurtre d’un policier – Sarkozy désigne l’ETA », in Le Point.fr, publié le 17 mars 2010 http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-03-18/seine-et-marne-meurtre-d-un-policier-sarkozy-designe-l-eta/920/0/434659. Consulté le 12 avril 2010. 760 Pégard C., « Chirac : le tournant du quinquennat », in Le Point.fr, publié le 8 septembre 2005 « http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2007-01-17/chirac-le-tournant-du-quinquennat/917/0/21711. Consulté le 12 avril 2010.

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260

prouve cette interdépendance entre les associations dans la vie quotidienne et le

discours politique. Il est intéressant de noter que les Russes n’identifient pas l’État

ni au président, ni à son chef actuel. En revanche, les Russes associent l’État à

государь (gosudar’-souverain), царь (tsar’-tsar), Louis XV 1. Du point de vue

temporel, ils nient en quelque sorte le présent et cette personnification nous

renvoie aux siècles bien lointains.

Il nous semble judicieux de préciser que d’après l’analyse des métaphores,

George Lakoff insiste sur le fait que la personnification « l’État est le chef d’État »

acquiert souvent une connotation péjorative vis-à-vis du président de cet État.

Nous avons précédemment cité l’exemple d’un député du parti socialiste qui

critique la politique du président à travers l’expression "dans l'État Sarkozy".

Les Français identifient aussi le mot État au mots roi, souverain 1. Si l’association

au mot roi nous semble claire, celle au mot souverain peut être interpetée

différement vu sa polysémie.

D’un côté, il peut s’agir du syntagme État souverain. Le mot souverain en tant

qu’adjectif possède trois sens énoncés par le dictionnaire de langue :

1. Qui est au-dessus des autres, dans son genre. Supérieur, suprême. Le

souverain bien.

2. Qui, dans son domaine, n’est subordonné à personne. État souverain.

3. Qui manifeste par son caractère absolu761.

Si nous cherchons en russe l’équivalent de l’adjectif souverain, nous obtenons

plusieurs résultats : le premier est traduit par les mots высочайший (vysočajšij -

supérieur), высший (vycšij – suprême), высшее благо (vycšee blago – bien

souverain) ; le deuxième par верховный (verhovnij - souverain), суверенный

(suverennij – souverain) et le troisième par полнейший (polnejšij – absolu),

крайний (krajnij – extrême). D’après son étymologie, le mot souverain vient du

761 Le nouveau petit Robert, op.cit., p.2386.

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261

latin médiéval superanus, class. superus « supérieur » et qui, plus tard vers 1175,

fût employé comme nom commun, signifiant chef d’État monarchique762.

Depuis la Révolution, le substantif souverain acquiert le sens de « la personne

physique ou morale en qui réside la souveraineté »763. Nous ignorons quel sens a

été employé, parmi ceux que nous avons énumérés. Est-ce qu’il est question de

l’expression l’État souverain ou l’État est son souverain ? Les deux possibilités

sont judicieuses, à notre avis. Si la première expression est tout à fait actuelle, la

deuxième association nous renvoie au passé de l’État français. De plus, dans

l’expression État souverain c’est le trait structurel qui est mis en avant.

En résumant, nous constatons que la métaphore monarchique, que nous avons

précédemment analysée dans le discours politique français, se trouve en étroite

liaison avec la perception de l’État dans les termes monarchiques : roi, souverain.

N’oublions pas que l’État a été défini comme une « autorité souveraine » et qu’il

s’agissait du pouvoir d’un souverain, d’un monarque, au moment de la naissance

de l’État français . D’abord le souverain personnifiait le père de l’État et, plus tard,

soit son maître : « personne ne voit plus dans le souverain le père de l’État, et

chacun y aperçoit un maître » (Tocqueville)764.

Par ailleurs, le mot État suscite les réactions individu, français, soeur (1), dans

lesquelles le trait humain est exprimé davantage. Il est intéressant d’analyser la

dernière réaction sœur. Si nous supposons que les Français représentent l’État en

tant que sœur, nous pouvons parler de la métaphore familiale, dans laquelle le

peuple français peut être imaginé en tant que frère et la France en tant que leur

sœur. Dans le chapitre précédent, nous avons déjà développé le fait que l’État

français est souvent associé au père et la France l’est à la mère. Adressons-nous

au discours politique français, pour voir s’il existe des exemples d’emploi de la

métaphore « La France est une sœur » :

762 Ibidem. 763 Ibidem. 764 Alexis Tocqueville, penseur politique, historien et écrivain français, théoricien du libéralisme, montre dans De la démocratie en Amérique comment la démocratie s'est accompagnée des progrès de l’individualisme. Ibid., p.243.

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262

« Dans l'automobile, l'image des Français est moins bonne que celle des

Allemands, et encore moins bonne que celle des Japonais, concède Vasile

Costescu, le maire de Mioveni, une localité située à deux pas de l'usine de

Dacia, mais la France est notre grande sœur. »765

Il est important de préciser qu’ici c’est le peuple roumain qui considère la France

comme une grande sœur par rapport à son pays. Par comparaison, dans le

discours russe contemporain, nous trouvons la métaphore « Россия – старший

брат» (Rossija – staršij brat, la Russie est le grand frère) :

Россия продолжает изображать «старшего брата» и имитировать

имперскую политику766.

La Russie continue de jouer le rôle du « grand frère » et d’imiter la politique

impériale.

Natalija Borodulina et Marina Makeeva, dans leur Dictionnaire des métaphores

dans le discours économique russe767, précisent que la même métaphore est

utilisée pour les pays de l’Union européenne, et également pour l’État français.

Selon les auteurs du dictionnaire, la métaphore « L’Union Européenne est une

famille » est également fréquente dans le discours russe. Rappelons que nous

avons déjà mentionné la métaphore « l’Europe est une famille » dans notre

deuxième chapitre.

Rappelons également l’étude de Ljudmila Pimenova sur la métaphore familiale

dans le discours français du XVIIIe siècle768, auquel nous nous sommes référée

dans notre chapitre précédent. Ljudmila Pimenova analyse l’origine de cette

métaphore universelle et souligne son importance aux fins de propagande

politique : la comparaison de l’État à la famille monarchique, dans le discours et

765 Nexon M., Bran M., « Roumaniet : pourquoi Renault patine » in le Point.fr, publié le 6 avril 001, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/69445. Consulté le 25 juin 2010. 766 Borodulina N.J., Makeeva M.N., Slovar’ metaphor ekonomičeskogo leksikona russkogo jazyka, Tambov: Gramota, 2010, p.92. 767 Ibidem. 768 Pimenova L.A., « Telo, semja, mašina : igra social’nyx metafor vo Francii XVIII v. », in Odissej, M. : Nauka, 2007, p.148-168.

Page 264: dans les langues

263

dans les documents officiels, devait mettre en avant l’idée que le roi est le père de

la nation et la France sa mère.

3.3.2.3. Trait structurel

Les associations qui comportent le trait structurel sont les suivantes : droit,

gouvernement 16 ; patrie, république 5 ; loi, lois, pouvoir 3 ; de droit, politique 2 ;

armée, centralisé, démocratie, machine, ordre, régime, système 1. Nous avons

déjà vu plusieurs de ces réactions dans les résultats du dictionnaire des normes

associatives russes. Les Français comme les Russes associent l’État au droit, ou

construisent le syntagme État de droit. Les conditions de formation de l’État de

droit commencent à se développer au Moyen Âge, mais il faut attendre le juriste

français Carré de Malberg, qui a proposé sa définition de l’État de droit en

distinguant « État légal » et « État de droit »769. De plus, d'après Carré de

Malberg, le droit doit impérativement être séparé de la morale mais également du

droit naturel et de la politique770. Carré de Malberg constate que l'État, dans les

sociétés contemporaines, a le monopole de la force publique, et en conclut que le

droit ne peut exister en dehors de l'État. Il explique que l'État est caractérisé par la

puissance et qu'il est la personne juridique suprême, mais qu'il n'est pas supérieur

au droit.

L’association au mot gouvernement est tout à fait évidente, car comme nous

l’avons déjà examiné précédemment, l’histoire du mot État est liée à celle du

gouvernement. Le Nouveau Littré, Bible des dictionnaires, nous précise qu’ « on

écrit avec un E majuscule État, quand il signifie le gouvernement d’un pays »771 ;

d’où vient la signification de l’État considérée aujourd’hui comme vieillie : « Forme

de gouvernement, régime politique, social »772. Nous avons déjà étudié le

glissement entre « gouvernement » et «État » dans le monde anglophone et

francophone à travers les exemples que Dominique Colas cite dans son ouvrage.

769 Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, p.9. 770 Maulin E., La théorie de l’État de Carré de Malberg, Paris : Presses universitaires de France, 2003, 344 p. 771 Nouveau Littré, Paris : ed. Garnier, 2006, p.631. 772 Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.927.

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264

Dans l’exemple suivant, tiré de la presse, il s’agit de la réforme de l’État, donc

d’une réforme du gouvernement :

Le premier ministre a annoncé que la réforme de l'Etat "sera étroitement

articulée avec la nouvelle étape de décentralisation", avec l'objectif de

parvenir à "une meilleure organisation des compétences entre l'Etat et les

collectivités territoriales"773.

Comme nous l’avons déjà noté, le discours politique recourt souvent aux noms

propres : soit celui de la capitale ou celui du lieu où réside le pouvoir (le Kremlin,

la Maison blanche…). En français, il s’agit de Paris et de l’Elysée :

D'ailleurs, c'est avec l'Afrique du Sud que, pour la première fois en Afrique,

Paris a signé un accord institutionnalisant les consultations entre ministres

des Affaires étrangères774.

L'Elysée a annoncé mercredi 24 février la conclusion d'un accord pour la

construction d'un nouveau paquebot de croisière qui sera réalisé dans les

chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique)775.

Si en russe le trait géographique domine dans les synonymes родина (rodina),

Отечество (otečestvo), Отчизна (otčizna), signifiant tous patrie, selon

Sylvianne Rémi-Giraud, son équivalent français patrie commence par le trait

structurel, si on le considère comme synonyme de nation. Ainsi elle propose la

hiérarchie suivante d’après la définition de ce mot dans le dictionnaire de

langue776 : Trait structurel + trait géographique + trait humain777. En revanche,

773 Jérôme B., « Les économies et la réforme de l'Etat, version Hollande », in Le Monde.fr, publié le 26.09.2012. Consulté le 12 novembre 2012. 774 Duteil M., « Les messages de vedrine » in le Point.fr, publié le 18 octobre 1997http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2007-01-25/afrique-les-messages-de-vedrine/924/0/86271. Consulté le 16 avril 2010. 775 « Sarkozy annonce la construction d’un paquebo à Saint-Nazaire », in LEMONDE.FR avec Reuters, publié le 24 février 10, http://www.lemonde.fr/societe/article/2010/02/24/sarkozy-annonce-la-construction-d-un-paquebot-a-saint-nazaire_1310951_3224.html. Consulté le 17 avril 2010. 776 Nation, communauté politique à laquelle on appartient où à laquelle on a le sentiment d’appartenir ; pays habité par cette communauté.

Page 266: dans les langues

265

elle-même constate que « cette hiérarchie n’est pas sûre ». Elle souligne la

deuxième désignation du mot patrie en tant que pays. Ce sens peut renverser la

hiérarchie au profit du trait géographique. Nous nous intéressons avant tout aux

origines de cette association : « État – patrie » dans l’esprit français. Nous nous

appuyons aussi sur le discours politique pour voir s’il existe une interdépendance

entre la présentation métaphorique de l’État en tant que patrie et son association

chez les Français. En réalisant l’étude des mots exprimant la politisation, parmi

lesquels se trouve le mot patrie, Paul Bacot constate sa faible fréquence, ainsi que

celle de ses dérivés : patriote, patriotisme et patriotique, par exemple dans les

circulaires électorales (mars 1993)778. Pour lui, le mot Patrie tout comme Nation

est doté d’une connotation plus subjective, plus sentimentale.

Selon l’avis de certains journalistes, les mots patrie et patriotisme sont devenus,

dans le discours français contemporain, des mots « tabous, synonymes de guerre,

militarisme, nationalisme, chauvinisme… »779. Cependant, ces mots connaissent

aujourd’hui une réactualisation, tout comme le mot nation, à la suite aux débats

sur l’identité nationale. Ainsi ce mot a été évoqué lors des dernières élections :

Pour moi la patrie, c’est la terre de mes ancêtres!780

Les hommes politiques semblent chercher à définir ce mot à travers la métaphore

« patrie - la terre».

Les métaphores familiales enfants de la patrie781, mère-patrie, qui ont été

lexicalisées, sont aussi reprises dans la presse :

777 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.24. 778 Bacot, P., « Des mots pour dire la politisation. État, Nation, Patrie, Pays, Peuple dans des corpus politiciens français contemporains. », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.44. 779 Jelen C., « Antoine Chareyre, « Le chantre de la patrie », in Le Point.fr - Publié le 18 avril 1998, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/90267. Conulté le 19 avril 2010. 780 L’extrait du discours de Richard Roudier, chef de file de la Ligue du Midi aux élections régionales en Languedoc-Roussillon à Donzère (Drôme), Novopress in Política le 6 February 2010. Consulté le 20 avril 2010. 781 Le 1er couplet de la Marseillaise « Allons enfants de la Patrie… »

Page 267: dans les langues

266

Vous m'avez comprise, nous les enfants de la patrie voulons un

gouvernement responsable qui nous dise avec force que nous sommes la

famille France782

Ainsi, dans ce contexte, le mot patrie est loin d’être associé à la guerre ou au

nationalisme, mais plutôt au peuple, à l’État, au pays. En revanche, dans certain

contexte, nous pouvons observer une connotation négative que ce concept

acquiert :

« La France, mère-patrie des droits de l'homme, s'est comportée en

marâtre vis-à-vis des anciens combattants républicains », n'a pas hésité à

reconnaître le maire, Jean-Luc Moudenc, dans son discours783.

Dans cet exemple, le maire fait appel à l’antithèse « mère ≠ marâtre ». La France

qui est censée être une mère, devient une méchante belle-mère pour son peuple.

Les journalistes emploient d’autres formules pour exprimer leur ironie ; ils

périphrasent, par exemple, le célèbre couplet de la Marseillaise : « Allons enfants

de la Patrie, le jour de gloire est arrivé ! » par « Allons papys de la patrie »784.

Tous ces moyens décrits servent à renforcer une appréciation négative à l’égard

de certains phénomènes politiques.

Comme les Russes, les Français identifient l’État à la loi ou aux lois au pluriel et

au pouvoir. Nous nous sommes posé néanmoins la question : « Est-ce qu’il s’agit

du même pouvoir dans la perception des Français que dans celle des Russes ? »

Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, les Russes ont tendance à

associer le mot vlast’ au pouvoir de personnes concrètes, qui représentent les

782 « Aux enfants de la patrie… conversation autour de l'identité nationale, par Malika Hsino », in Le Monde.fr, publié le 17 décembre 2009, http://www.lemonde.fr/idees/article/2009/12/17/aux-enfants-de-la-patrie-conversation-autour-de-l-identite-nationale-par-malika-hsino_1282284_3232.html. Consulté le 21 avril 2010. 783 Thépot S., « Republicanos : allons papys de la patrie », in Le Point.fr, publié le 1 juin 2006, http://www.lepoint.fr/actualites-region/2007-01-17/toulouse-commemoration-republicanos-allons-papys-de-la-patrie/1556/0/11329. Consulté le 21 avril 2010. 784 Ibidem.

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267

autorités d’État et que ce mot au pluriel (vlasti) possède en effet ce sens785. La

personnification de ce concept se traduit soit par la comparaison au tsar, soit au

gouvernement et au président.

La polysémie du mot pouvoir est encore plus riche que celle du mot vlast’. Tout

d’abord il existe deux mots pouvoir (verbe) et pouvoir (substantif). Le verbe

pouvoir sert à exprimer la modalité du possible, l’hypothèse, le souhait786. En

russe il est traduit par мочь (moč’ - pouvoir), быть в состоянии (byt’ v

sostojanii), иметь возможность (imet’ vozmožnost’)787 (être capable, avoir la

possibilité de faire quelque chose). Le premier sens du substantif pouvoir est le

fait de pouvoir, la faculté, la possibilité en français et est traduit, en russe, par

возможность (vozmožnost’). Le substantif pouvoir a aussi le sens de capacité,

par exemple, pouvoir d’élévation qui peut être traduit en russe par подъемная

сила (pod’’emnaja sila).

Dans d’autres contextes nous préférons traduire le mot pouvoir comme свойство

(svojstvo - caractéristique), способность (sposobnost’- capacité). Tout dépend ici

des collocations et de la combinatoire des mots, car leur caractère est lié à une

culture et à une langue donnée. Mais tous ces sens nous intéressent moins par

rapport aux sens du terme politique :

5. spécialité. Situation de ceux qui dirigent ; puissance politique à laquelle

est soumis le citoyen. Le pouvoir du roi, de César. Vieilli. Gouvernement,

régime. Pouvoir monarchique, oligarchique, démocratique.

6. Droit et possibilité d’action codifiée, dans un domaine précis, des

pouvoirs (des institutions politiques). Pouvoir législatif, exécutif. Organes,

personnes dans lesquels s’incarne. Le pouvoir central. Le pouvoir

785 Органы государственного и местного управления, их права и полномочия, лица, входящие в эти органы, начальство, администрация. (Organy gosudarstvennogo i mestnogo upravlenija, ix prava i polnomočija, lica, vxodjaščie v eti organy, načal’stvo, administracija - Autorités d’État et locales, leurs droits et pouvoirs, personnes qui comprennent ces autorités, chefs, administrations). 786 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1964-1965. 787 Ibidem.

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268

municipal. Les pouvoirs publics : ensemble des autorités pouvant imposer

des règles aux citoyens788.

Les extraits tirés de la presse contemporaine témoignent de la synonymie

partielle, dans le discours politique, entre les mots pouvoir, gouvernement et

président. Les élections régionales de mars 2010, en particulier, présentent de

nombreux exemples de cette association :

« Quand on veut sanctionner le pouvoir, on se déplace et on vote contre789.

Le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a rappelé à Vincent Peillon - qui a

accusé de "servilité" certains dirigeants de France Télévisions - que le Parti

socialiste était "dans l'opposition au pouvoir" et non "à France 2"790.

Proglio: le Pouvoir soulagé, mais la controverse n'est pas éteinte.791

Ici l’association entre le pouvoir et le gouvernement, avec le président en tête, est

évidente. L’association entre l’État et le pouvoir est renforcée dans le troisième

exemple par la majuscule - Pouvoir.

Il est intéressant de noter l’apparition du mot État en tant que réaction au stimulus

puissance (68 réactions) dans le dictionnaire inverse. Le mot puissance est aussi

doté d’une forte polysémie, comme son synonyme pouvoir. Ce sont leurs sens

politiques et sociaux qui nous intéressent principalement. Parmi les quatre sens

attachés au mot puissance nous trouvons la synonymie avec État, nation et pays :

788 Ibid.,p.1965. 789 Pierre-Brossolette S., (avec Saïd Mahrane), « Comment va-t-il s’en sortir ? » in Le Point.fr, publié 18 mars /2010, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2010-03-25/comment-va-t-il-s-en-sortir/917/0/437405. Consulté le 25 avril 2010. 790 Beaumont A., « Si on sortait ? », in Le Point.fr, publié le 31 octobre 2003, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2010-01-24/parti-socialiste-hamon-tacle-peillon-nous-sommes-dans-l-opposition-a-l-ump-et-au/917/0/41670. Consulté le 25 avril 2010. 791 Hermano R., « Proglio : le pouvoir soulage mais la controverse n’est pas éteinte », in Le Point.fr, publié le 21 janvier 2010, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2010-01-22/proglio-le-pouvoir-soulage-mais-la-controverse-n-est-pas-eteinte/917/0/416294. Consulté le 25 avril 2010.

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269

4. État souverain (surtout quand il est puissant). « Une véritable société

internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits supérieurs

aux petites et aux moyennes nations » (Camus)792

Comme nous avons pu le constater précédemment, si dans la langue russe le trait

dimensionnel, qui caractérise le mot russe держава (deržava - puissance) 793 est

mis en premier lieu, dans la langue française il n’y a pas de référence à la

dimension, mais au caractère indépendant de l’État. Cet État est considéré

comme une grande puissance s’il possède un pouvoir important dans tel ou tel

domaine. On peut citer ces six pays : Chine, États-Unis, France, Russie,

Royaume-Uni, Allemagne, qui sont considérés par l’énonciateur comme grandes

puissances sur le plan international :

Les discussions entre les six puissances en charge du nucléaire iranien et

Téhéran ont débuté jeudi à Genève pour relancer des entretiens au point

mort depuis 14 mois794.

Le mot état a suscité deux fois la réaction politique. Etant donné l’homonymie, il

existe en effet deux mots différents.

Le premier mot politique a deux sens, de l’adjectif et du substantif :

I Relatif à la cité, au gouvernement de l’État. Pouvoir politique. Institution

politique.

II littér. Personne qui gouverne, qui exerce des responsabilités politiques.

Le vrai politique est celui qui joue bien et gagne à la langue. (Voltaire)795

792 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2042. 793 Il s’agit de son territoire immense (большая страна – bolsaja strana). 794 « L’Iran au pied du mur sur le nucléaire face aux six grandes puissances », in Le Point.fr, publié le 1octobre 2009http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2009-10-01/geneve-l-iran-au-pied-du-mur-sur-le-nucleaire-face-aux-six-grandes/924/0/381793. Consulté le 25 avril 2010. 795 Le nouveau petit Robert, op.cit., p. 1929

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270

En ce qui concerne le premier sens, le dictionnaire spécialisé définit l’État en tant

qu’entité politique796. Tandis que dans le deuxième cas, il s’agit de la

personnification, puisque l’État est associé à la personne qui possède des

responsabilités politiques. N’oublions pas qu’en français il existe une autre

expression homme d’État qui est aussi très répandue dans le discours et qui est

un synonyme d’homme politique. Dans ce cas, il s’agit de la prédominance du trait

humain. Nous avons déjà vu précédemment, qu’en premier lieu, les Français

identifient l’État à son chef, au président, actuellement à Nicolas Sarkozy qui est

un homme politique, un homme d’État.

Enfin, le deuxième mot politique est aussi polysémique et défini dans le

dictionnaire de langue comme :

I Art et pratique du gouvernement des sociétés humaines (État, nation).

II Manière de gouverner un État (politique intérieure) ou de mener des

relations avec États (politique extérieure ou étrangère)797.

Le terme « politique » est un concept beaucoup plus large que celui d’État : il

englobe plusieurs concepts à la fois, y compris celui d’État.

Les réactions armée et machine au mot État ont les mêmes origines que ces

réactions en russe, dues aux métaphores guerrière et mécanique. Les

associations démocratie, ordre, régime, système demandent des commentaires

supplémentaires. Nous avons déjà expliqué les origines des associations que les

Russes lient au mot gosudarstvo : демократии (demokratii – de démocratie) (2),

демократическое (demokratičeskoe - démocratique) (2) ; демократичное

(demokratičnoe-démocratique) (1). Nous avons vu que les Français associent

également l’État a la démocratie, en lui apportant un deuxième sens, celui d’État

pourvu d’institutions démocratiques ; État organisé suivant les principes de la

796 Dictionnaire de la Constitution, Les institutions de la Ve République, troisième édition, revue et augmentée, Paris : Edition Cujas, p.160-165. 797 Le nouveau petit Robert, op.cit., p. 1929.

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271

démocratie798. L’idée que l’État et la démocratie ne peuvent pas exister l’un sans

l’autre a été rappelée par Juan Linz. Mohammad-Saïd Darviche, maître de

conférence au CEPEL (Centre d’Études Politiques de l’Europe Latine) du

Département de science politique de l’Université de Montpellier I, a présenté sa

théorie dans laquelle il est stipulé que : « la démocratie est une forme de

gouvernance de l’État moderne. Ainsi, sans État, il n’y a pas de démocratie

moderne possible »799.

Si le mot russe система (sistema - système) est énoncé dans la définition de

gosudarstvo, le mot système n’est pas présent dans les définitions du mot État

dans les dictionnaires de langue française, qui lui préfèrent le mot plus neutre

ensemble. Le mot système est aussi un ensemble, mais un ensemble précis de

quelque chose, par exemple dans la politique :

« ensemble de pratiques, de méthodes et d’institutions formant à la fois une

construction théorique et une méthode pratique. Système politique.

Système fédéral.

Absolt. L’armature économique, politique, morale d’une société donnée

considérée comme aliénante, contraignante. Etre dans le système »800.

Nous croyons que cette association peut provenir, d’un côté, du processus

métaphorique qui compare l’État à un mécanisme, à une machine. En effet, la

machine est considérée dans le dictionnaire de langue comme un système801.

D’un autre côté, dans la deuxième définition plus générale du mot système, il est

question d’une certaine structure politique de la société et par conséquent, nous

pouvons parler du système étatique. Enfin, pour certains, le mot système est

synonyme du mot régime, d’où vient le remplacement par ce dernier.

798 Ibid., p.658. 799 Mohammad-Saïd Darviche « Sortir de l'État-nation : Juan Linz avec et au-delà de Max Weber », Revue internationale de politique comparée 1/2006 (Volume 13), p. 115-127. URL: www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2006-1-page-115.htm. 800 Le Nouveau Petit Robert, op.cit., p.2458. 801 Ibid., p.1480.

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272

On a retrouvé également dans la presse française des exemples d’association du

mot État au mot système.

Les restes d'un système ancien où l'État le plus « étatique » de l'Europe de

l'Ouest abritait, protégeait, confinait la gauche la plus idéologue802.

Dans cet exemple, l’auteur parle d’un ancien système étatique, en critiquant ce

passé. Il utilise comme moyen d’expression le pléonasme « l’État le plus

étatique » pour que son idée soit renforcée par l'ajout du mot étatique au mot État

avec le superlatif.

3.3.3. Les résultats du dictionnaire inverse des normes associatives françaises

Nous avons déjà analysé les résultats pour le mot gosudarstvo dans le

dictionnaire inverse. La même structure du dictionnaire français consiste à

présenter le mot état comme réaction aux nombreux stimuli : nous observons que

le mot stimulus gouvernement a suscité le mot état comme réaction chez de

nombreuses personnes (86)803. Ceci met en relief le trait structurel. Le trait

structurel prédomine aussi dans les mots tels que « loi 16; politique 12; affaire,

secret 5; conseil, drapeau 4; coup, démocratie, pouvoir 3; service 2 ; forme,

système 1 ». Nous avons déjà analysé la synonymie partielle entre le mot État et

les mots tels que gouvernement, empire, démocratie, pouvoir, système. Plusieurs

syntagmes : affaire, secret, conseil, coup d’État, sont formulés par le dictionnaire

de langue française et seront analysés plus en détails dans notre quatrième

chapitre. Les mots qui comportent le trait humain sont les suivants : nation,

gouverneur, ministre, société, président, chef, peuple, français, officier. Il est

intéressant de noter que presque tous ces mots comportent aussi le trait structurel

et que plusieurs d’entre eux appartiennent au vocabulaire politique et social.

802Imbert C., « Vieilles France », in Le Point.fr, publié le 12 décembre 1998, http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2007-01-24/vieilles-france/989/0/79687.Consulté le 25 avril 2010. 803 Voir Annexe VI (2).

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273

Nous observons le trait géographique, mis en relief dans les mots tels que pays

34 ; empire 8 ; cité, colonisation, puissance, ville 1. Si l’association du mot État

aux mots pays et ville nous semble claire, les autres doivent être expliquées,

malgré leur nature non répétitive.

Le mot cité suscite une réaction état car en se basant sur l’étymologie de ce mot,

on apprend qu’il a été emprunté au latin « civitas ». D’après le dictionnaire

historique de la langue française, ce mot a eu d’abord le sens abstrait de

« condition de citoyen » « droit de cité », et par métonymie il signifie ainsi « un

ensemble des citoyens », ensuite « un siège d’un gouvernement ».804. Il a aussi

désigné la ville en tant que corps politique, l’État et, avec le temps commence à

représenter une ville en général. Le dictionnaire de langue fixe son premier sens

comme « Fédération autonome de tribus groupées sous les institutions

religieuses et politiques communes », dont ses synonymes sont État, nation,

patrie, république. La synonymie entre les concepts de cité et d’État est renforcée

par le fait, qu’historiquement, les villes comme Sparte, Athènes, Corinthe,

Mycènes, Thèbes, Delphes étaient de vrais Cité-États. Leur puissance permettait

de parler, non seulement d’un simple regroupement d’hommes sur un territoire,

mais de la société avec ses ordres et ses règles. Plusieurs philosophes

cherchaient la Cité idéale. Platon écrit La République, où il expose son idée de la

cité parfaite, de la société parfaite, divisée en castes : celle des esclaves, entre

autres et celle des philosophes, lesquels dirigent la Cité avec sagesse…

Les linguistes français, Michel Casevitz et Louis Basset, s’intéressent à la Cité-

État en étudiant l’histoire des mots en grec ancien peuple, nation, État805. Tous

deux insistent sur le fait que l’époque gréco-romaine ignorait le concept moderne

de nation. En revanche, le concept de civitas était très important parce qu’il était

question, non seulement « d’un lieu et d’un système politique à l’intérieur duquel

peut exister et s’exprimer un dêmos ou un populus »806, mais aussi parce qu’il

s’agissait d’un mode de relation au sol dans lequel la ville est première et

804 Dictionnaire historique de la langue française sous la direction de A. Rey, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1998, p.426. 805 Cassevitz M., Basset L., « Peuple, nation, État en grec ancien », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.153-161. 806 Ibid., p.157.

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274

l’emporte sur le territoire. Avec le temps, la quantité des Cité-États commençait à

se réduire. Par exemple, Constantinople a gardé son statut de cité-empire jusqu’à

sa prise par les Ottomans. Nous pouvons citer d’autres exemples plus récents,

ceux des cités de la Renaissance italienne, et surtout Venise. Enfin, aujourd’hui la

Cité du Vatican possède ce statut.

Dans la presse française nous avons également retrouvé la référence à la cité-État :

Singapour est une cité-État comme il en existait au Moyen Age ; située à la

pointe de la presqu'île de la Malaisie, elle est formée par une île principale

et une soixantaine d'îlots807.

L’origine de l’identification du mot colonisation au mot État prend aussi ses

sources dans l’histoire de l’État français. Le mot colonisation est défini dans le

dictionnaire de la langue française en tant que « fait de peupler, de transformer en

colonie »808, la colonie est à son tour « un établissement fondé par une nation

appartenant à un groupe dominant dans un pays étranger à ce groupe, moins

développé, et qui est placé sous la dépendance et la souveraineté du pays

occupant dans l’intérêt de ce dernier »809. Ainsi, des pays entiers, considérés

comme moins développés et nécessitant d’être placés sous la dépendance et la

souveraineté de pays plus forts, devenaient des colonies.

La colonisation peut être définie comme un processus d'expansion

démographique et de domination politique, culturelle et économique, que certains

États, la France y compris, utilisaient dans différents buts : exploitation de

matières premières, main-d'œuvre, position stratégique…, d'un territoire au profit

de sa métropole, ou encore apport des bienfaits de la civilisation. Dans ce cas, le

mot « colonisation » est proche du mot « colonialisme », doctrine sur l’expansion

coloniale et de l’impérialisme, système politique visant à mettre sous son autorité

d’autres États, les placer sous sa dépendance politique, économique ou militaire.

807 Allègre C., « Singapour et l’innovation », in Le Point.fr, publié le 21 juin 2007, http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2007-06-21/singapour-et-l-innovation/916/0/189165. Consulté le 25 avril 2010. 808 Le nouveau petit Robert, op.cit., 2000, p.457. 809 Ibidem.

Page 276: dans les langues

275

L’histoire des États entre les XVIe et XIXe siècles était liée à la colonisation, car au

fil du temps, les États cherchaient cette expansion pour différents buts. Le

processus de décolonisation et l'établissement d'un droit international qui

préconise l'autodétermination des peuples, ainsi que le phénomène de

globalisation, n’ont pas fait disparaître la colonisation traditionnelle, mais l’ont

transformée en une nouvelles forme appelée néocolonialisme. Le néocolonialisme

diffère de son prédécesseur par l’emploi des moyens indirects de contrôle : au lieu

de la domination militaire et politique directe, il s’agit de politique économique et

culturelle, afin de dominer les pays moins puissants et les anciennes colonies.

Donc, dans la perception d’aujourd’hui des Français, l’État est lié au concept de

colonisation. Dans le discours politique, notamment dans la presse, le phénomène

de la colonisation suscite différents débats et en premier lieu, sur un plan affectif,

les journalistes sont souvent divisés en deux camps : ceux qui sont négatifs contre

ce processus et ceux qui sont favorables à certaines de ses caractéristiques.

Conclusion

L’analyse des résultats des deux dictionnaires permet d’établir deux schémas

d’apparition des traits sémantiques du mot État, en fonction de l’ordre d’arrivée

des associations :

Trait géographique + trait humain + trait structurel (dictionnaire direct) ou

Trait structurel + trait humain + trait géographique (dictionnaire inverse)

Si nous analysons les différentes associations selon le nombre de réponses, nous

obtiendrons les mêmes schémas d’apparition. Ces deux schémas sont différents

de l’ordre proposé par Sylvianne Rémi-Giraud, qui se basait sur le corpus des

dictionnaires de langue :

Trait humain + trait géographique + trait structurel

En revanche, le schéma obtenu d’après les résultats du dictionnaire inverse est

proche de celui élaboré par nous, à partir des définitions du mot État, énoncées

dans les dictionnaires de langue et dictionnaires spécialisés.

Page 277: dans les langues

276

Le deuxième schéma est différent et confirme notre hypothèse que la perception

du mot État, dans la vie de tous les jours par les locuteurs, diffère de leurs

définitions établies dans les dictionnaires. Néanmoins, cette pluralité de schémas

révèle que la stabilité des traits sémantiques à l’intérieur du mot est relative et

que, de plus, le sens, dans lequel sont réunies les connaissances partagées, peut

varier.

3.4. Analyse comparative

Tout d’abord, en analysant les résultats des deux dictionnaires associatifs

français et russe, nous avons pu dégager les traits sémantiques communs des

mots État/gosudarstvo, notamment le trait géographique, sémantique et structurel.

Si, en premier lieu, nous prenons en compte l’ordre d’apparition des associations,

nous constatons que c’est le trait géographique qui prédomine : страна 49 et

pays 99. Ensuite, en établissant une étude quantitative, nous découvrons la

prédominance du trait structurel sur le trait géographique et le trait humain, par le

nombre important d’associations. Les Russes conçoivent, en premier lieu, le mot

État comme une organisation, un système ou un pays. Pour les Français, le trait

humain reste plus important, d’après les résultats tirés des deux dictionnaires,

puisqu’il conserve toujours la deuxième place dans les schémas mentionnés.

La comparaison des résultats permet aussi de révéler les associations communes,

ce que nous avons développé dans notre intervention à la conférence consacrée

au projet de création du Dictionnaire des Associations Verbales du Français810 et

que nous présentons dans le tableau ci-après :

810 Toujikova V., « Analyse comparative des mots « gosudarstvo » et « État » dans les langues russe et française à partir des associations verbales », communication au colloque Franco-Russe « Création du Dictionnaire d’associations verbales en français », Novossibirsk, du 15 au 17 Juin 2010.

.

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277

страна (49) pays (99)

власть (21) pouvoir (3)

право (18) droit (16)

я (6) moi (1)

правительство (5) gouvernement (16)

машина (5) machine (1)

народ (3) peuple (3)

Родина (3) patrie (5)

территория (3) territoire (2)

республика (1) république (5)

армия (1) armée (1)

королевство (1) royaume (1)

Ce tableau témoigne du caractère universel de certains concepts, qui ont subi des

évolutions différentes selon les langues, mais qui possèdent des noyaux

sémantiques communs. En revanche, nous remarquons que le nombre de

personnes qui évoque ces associations n’est pas constant, ce qui nous amène à

mentionner que la différence de fréquence de ces associations est due, à notre

avis, aux différents facteurs historiques, politiques et socioculturels qui ont

beaucoup influé l’évolution de ces deux concepts.

3.4.1. Traits spécifiques des réactions aux mots État/gosudarstvo

L’analyse comparative de ces deux dictionnaires a permis d’observer un grand

nombre d’associations que l’on ne trouve que chez les Russes :

социалистическое (socialističeskoe – socialiste) 19, большое (bolšoe – grand)

16; огромное (ogromnoe – immense) 10; общество (obščestvo – société) 7,

тоталитарное (totalitarnoe – totalitaire) 4, партия (partija – parti) 3;

перстройка (perestrojka – perestroïka) 3; аппарат насилия (apparat nasilija –

appareil de violence), диктат (diktat – diktat), колхоз (kolxoze – kolkhoze) ,

террор (terror – terreur) 1.

Page 279: dans les langues

278

Nous observons le même phénomène chez les Français: nation 31; gendarme,

providence, religion 1... Nous pouvons aussi mentionner une grande différence

dans les réactions de type noms géographiques et noms propres, des personnes

interrogées françaises et russes. Cette différence prend ses origines dans

l’expérience liée à ces deux cultures.

Il est intéressant de noter que l’aspect dimensionnel joue un rôle particulier pour

les Russes, qui ont proposé un grand nombre de syntagmes : большое (bol’šoe -

grand) 16 ; великое (velikoe - grand), огромное (ogromnoe - immense) 10…

Nous avons précédemment développé le caractère métaphorique des

collocations : большое государство (bol’šoe gosudarstvo – grand État), великое

государство (velikoe gosudarstvo – grand État)… et leur rôle important dans la

définition du mot et du concept de gosudarstvo, que l’on trouve dans les

dictionnaires et dans la perception de ces mots par les Russes. En revanche, les

Français ont ignoré cet aspect dimensionnel, malgré le fait que ce type de

collocations existe et il semble aussi qu’il soit moins important dans la vie

quotidienne.

Une autre différence apparaît dans le fait que les Russes se sont massivement

référés aux adjectifs qualificatifs, transmettant ainsi une appréciation favorable ou

défavorable. L’appréciation favorable est exprimée par les associations telles que

богатое (bogatoe - riche) 6, могучее (mogučee – puissant, fort), свободное

(svobodnoe – libre) 5, сильное (sil’noe - fort), справедливое (spravedlovie - juste)

3; могущественное (moguščestvennoe – puissant, fort) 2…

Un grand nombre d’adjectifs qualificatifs à valeur négative se trouve parmi les

associations au mot gosudarstvo : бесправное (bespravnoe – privé de droits),

бесчеловечное (besčelovečnoe – inhumain), дрянное (drjannoe – mauvais),

гнилое (gniloe – pourri), застойное (zastojnoe – stagnant), плохое ( ploxoe –

mauvais), разоренное (razorennoe – ruiné, dévasté) (1). Les noms развал 4,

тюрьма 3, дрянь, чушь 1, expriment également une appréciation défavorable,

ainsi que les verbes развалиться (razvali’cja – s’effondrer), рухнуть (ruxnut' –

Page 280: dans les langues

279

s’écrouler), распасться (raspast’cja – s’éclater) 1811 utilisés tant au présent,

qu’au passé, c’est-à-dire l’État tombe en ruines, s’effondre, s’écroule. Ces

associations sont issues de la métaphore « государство – здание» (gosudarstvo-

zdanie, l’État est un bâtiment) dont l’emploi dans la presse russe a été analysé

dans le chapitre précédent. L’idée de destruction de l’État s’exprime dans les

associations развал (razval – effondrement) 3, в упадке ( v upadke – être en

déclin ) 2, и его крах ( i ego krax – et son effondrement), обанкротилось

(obankrotilos’ – a fait faillite), умрет (umret – va mourir)1. Ces réactions

témoignent d’une dévaluation du rôle de l’État chez les Russes, qui créent une

image négative du système étatique. Ainsi, nous pouvons constater que les

associations russes témoignent d’une grande importance de l’affectif, à l’inverse

des réactions françaises.

En effet, les associations françaises semblent être plus neutres vis-à-vis du mot

état. Dans les dictionnaires des normes associatives françaises, nous trouvons

moins d’adjectifs qualificatifs et de mots à caractère affectif. Ici nous nous

heurtons au problème de polysémie, car les adjectifs qualificatifs tels que stable 5,

solide 3, libre, mauvais 2, bon, fatigué, présent, triste 1, peuvent facilement entrer

dans les syntagmes avec le mot état, qui n’appartient pas au vocabulaire politique

et social. Nous ignorons de quel terme il est question dans ce cas et si les

Français associent ces adjectifs au mot État, terme politique. C’est pourquoi nous

jugeons nécessaire, à l’avenir, de proposer de différencier les mots état et État

dans le dictionnaire français des normes associatives.

Une nouvelle conclusion s’impose après la constatation du nombre important

d’associations de caractère métaphorique. Nous supposons que ces associations

sont étroitement liées aux métaphores du discours politique, métaphores que nous

avons étudiées dans notre précédent chapitre : par exemple, la métaphore de la

personnification dans le discours russe avec государство – я 6 ( gosudarstvo –

ja, l’État c’est moi), рабов (rabov – d’esclaves) 2, кормилица (kormilica –

nourrisse), мать ( mat’ – mère), президент (prezident – président), царь (tsar’ –

811 Voir l’annexe V (1).

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280

tsar)1, la métaphore du mécanisme государство – машина ( gosudarstvo –

mašina, État - machine) (5), la métaphore criminelle государство – тюрьма

(gosudarstvo – tjur’ma, État - prison) (3) ou celle de la guerre государство –

армия (gosudarstvo – armija, État - armée) 1.

Les réactions françaises témoignent de l’interdépendance avec ces métaphores,

par exemple celle de la personnification : État – moi, président, Sarkozy,

souverain, roi 1, ou la métaphore du mécanisme État-machine 1, ou encore la

métaphore de guerre État-armée 1. La brève comparaison de ces associations

métaphoriques amène à la même conclusion que pour celle des métaphores

conceptuelles dans le discours politique : le système conceptuel des Français a

des points communs avec celui des Russes, car ils ont en commun une certaine

matrice invariable qu’ils utilisent pour créer des concepts. Les résultats des

dictionnaires des normes associatives démontrent la théorie de George Lakoff et

Mark Johnson, qui insistent sur le fait que «notre système conceptuel ordinaire,

qui nous sert à penser et à agir, est de nature fondamentalement

métaphorique»812. Nous pensons donc qu’une analyse plus approfondie des

résultats des deux dictionnaires s’impose et pourrait devenir un axe primordial

dans les recherches ultérieures.

3.4.2. Comparaison avec d’autres langues

Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre deuxième chapitre, le mot

anglais state provient du même terme latin status et est un mot polysémique

comme le mot français état. Son premier sens est aussi celui de «manière d’être»:

1. a condition in which a person or thing is; a particular way of being, feeing

or thinking considered with regard to its most important or noticeable

quality813.

812 Lakoff G., Johnson M., Les métaphores dans la vie quotidienne, traduit de l'américain par Michel de Fornel; avec la collaboration de Jean-Jacques Lecercle. - Paris : Éditions de Minuit, 1985, p.12. 813 Longman dictionnary of contemporary English, Special Edition, Volume II, M-Z, Longman, 1992, p.1031.

Page 282: dans les langues

281

Les deuxième et troisième sens appartiennent au vocabulaire politique et social :

2. (often cap.) government or political organization of a country.

3. a country considered as a political organization814.

Nous avons déjà évoqué que, dans la langue anglaise, la synonymie est

beaucoup plus forte entre les termes governement et state en raison de sa

métonymie. Cependant, ceci n’est pas représenté dans le champ associatif du

mot state, car la réaction governement se trouve seulement à la cinquième

place815.

La première est occupée par le mot country, ce qui témoigne de l’universalisme du

concept d’État dans la perception humaine. La deuxième place est occupée par la

réaction America, qui est spécifique dans la perception anglophone. Cette

réaction, qui transmet un trait géographique bien déterminé, nous semble très

importante à analyser, ce que nous ferons dans une étude ultérieure. Il nous parait

utile de se pencher davantage sur ce point dans le cadre d’une analyse

comparative des associations se trouvant dans les dictionnaires des normes

associatives du russe et de l’anglais.

814 Ibidem. 815 Voir Annexe VI (3).

Page 283: dans les langues

282

Chapitre 4

Les champs lexico-sémantiques des mots État/gosudarstvo

Notre quatrième chapitre est consacré à la construction et à la comparaison des

champs lexico-sémantiques comprenant les mots État/gosudarstvo. Nous

établissons ces champs à partir des études antérieures et des résultats obtenus

au fil de notre recherche. En quelque sorte, ce chapitre est donc une synthèse des

résultats de notre travail précédent, qui nous a imposé des conclusions.

4.1. Etudes antérieures en France

Certains linguistes français ont déjà essayé d’établir les champs lexicaux et

sémantiques du vocabulaire politique et social, dans lesquels entre le mot État.

4.1.1. Champ lexical d’après Jean Dubois

Dans sa thèse sur le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872816,

Jean Dubois a déterminé le champ lexical, en distinguant le lexique des structures

sociales et économiques (classe, bourgeoisie, peuple, capitaliste, travailleurs etc.),

celui des luttes sociales (grève, communisme, socialisme etc.), celui des luttes

politiques (révolution, parti, démocratie). ll était souvent question, selon lui, de

l’emprunt ou de « la pénétration » des mots de différents lexiques. C’est-à-dire, les

mots provenant, par exemple, de l’économie ou de la philosophie ont pénétré le

lexique de la politique à un certain moment de l’évolution de ce vocabulaire. Ainsi,

la dissociation entre le politique, le social et l’économique lui semble impossible.

Jean Dubois juge aussi très importante la délimitation du contenu du champ

816 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, 460 p.

Page 284: dans les langues

283

lexical, car le choix des limites est arbitraire, car par exemple, la distinction entre

théorie sociale et politique d’une part et théorie philosophique de l’autre est difficile

suite à la pénétration des mots du vocabulaire de la philosophie dans celui de la

politique.

Jean Dubois place le mot « État » parmi les termes généraux qui « désignent les

groupes sociaux ou politiques et qui forment un ensemble où les oppositions et les

associations sont étroites et nombreuses »817. Il souligne aussi la difficulté de

définir ces termes suite aux changements de régimes politiques. Il distingue trois

champs :

• « société « et « corps social » (qui regroupes des mots tels que

« société », « corps social », « harmonie » et « édifice » ;

• « nation », « pays », « patrie » ;

• « État », « pouvoir », « régime », « système » et « gouvernement ».

Ainsi, cette classification distingue le mot « État » des mots tels que « pays » ou

« société ». Il ne faut pas oublier qu’il s’agit du vocabulaire d’une période précise

dans l’histoire. Selon Jean Dubois, « l’État représente la « direction »,

« l’organisation politique », « l’administration du corps politique »818 et ne doit pas

être confondu avec le gouvernement. Nous avons analysé la réaction

gouvernement au stimulus état, mentionnée dans les résultats du Dictionnaire des

associations verbales du français819 et avons observé le procédé métonymique

dans le discours, notamment dans la presse, où l’on utilise une partie pour

remplacer le tout.

Nous ne partageons pas l’opinion de Jean Dubois selon laquelle le mot État

comporte seulement un trait sémantique structurel. Les résultats obtenus

démontrent au fil de notre recherche que sont également présents les traits

sémantiques géographique et humain. Par conséquent, nous devons inclure les

817 Ibid., p.89. 818 Ibid., p.9. 819 Voir annexe VI (1) « Les résultats du Dictionnaire des associations verbales du français ». La réaction gouvernement a été proposée 16 fois au stimulus état.

Page 285: dans les langues

284

mots tels que «nation », « pays », « société » et autres dans le champ lexico-

sémantique d’État.

4.1.2. Le micro-champ lexical d’après Sylvianne Remi-Giraud Sylvianne Remi-Giraud a cherché dans son étude sur les mots peuple, nation,

État, pays, patrie820 à justifier le regroupement de ces mots, en mettant en

évidence la matrice sémantique commune à ces derniers. La linguiste a aussi fait

apparaître « les traits différentiels ou spécifiques qui donnent à chacun son

individualité et ses valeurs propres821. Nous avons déjà mentionné ses résultats

concernant les traits sémantiques. Ella a choisi comme corpus les articles du

Nouveau Petit Robert.

Rappelons qu’en analysant les mots peuple, nation, État Sylvianne Rémi-Giraud a

établi une structure sémantique des définitions avec les traits communs suivants :

• un trait humain (dans les définitions des trois mots il est question d’un

groupement humain) ;

• un trait géographique (il s’agit toujours d’un territoire) ;

• un trait structurel (il existe une autorité qui est liée à l’unité de ce groupe).

Ainsi, elle a fait extraction des traits sémantiques afin de pouvoir trouver la matrice

sémantique commune ainsi que pour voir la prédominance d’un ou de plusieurs

traits dans ces définitions. Dans chaque mot, ces traits connaissent des variations

qu’il est nécessaire de décrire. L’auteur s’intéresse à trois aspects :

- l’ordre d’apparition des traits sémantiques ;

- le degré d’intensité de chacun d’entre eux ;

- l’articulation qui peut s’établir entre eux.

Sylvianne Rémi-Giraud distingue également trois actants, qui correspondent à

deux traits : humain et structurel. Elle regroupe également les traits spécifiques et

820 Remi-Giraud S., « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, Etat » In Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.19-39. 821 Ibid., p.19.

Page 286: dans les langues

285

essaye de trouver la place de chaque mot dans le micro-champ lexical et elle y

ajoute la polysémie et les collocations des mots.

Ainsi, elle a conclu que si dans les mots peuple, nation, État, l’ordre d’apparition

des traits sémantiques est le suivant : trait humain + trait géographique + trait

structurel, dans les mots pays, patrie l’ordre change respectivement : trait

géographique + trait humain + trait structurel ; trait structurel + trait géographique

+ trait humain (ou le trait géographique + trait structurel + trait humain).

En ce qui concerne le degré d’intensité des traits sémantiques, le trait humain est

plus prononcé dans le mot peuple, et devient plus abstrait dans les mots nation et

État puisqu’il est question de groupe ou groupement humain. Le trait

géographique apparaît, mais change son implication. Il s’agit d’un territoire

déterminé pour l’État d’où viennent les limites, le marquage de l’espace (frontière

d’État). Le trait structurel se renforce en passant d’un « certain nombre

d’institutions » (le cas du mot peuple) au terme d’une autorité souveraine et

personne morale (cas de nation et d’État). Enfin, elle distingue trois actants qui

correspondent aux traits humain et structurel :

- A1 (humain) : groupe humain ;

- A2 (pouvoir) : autorité ;

- A3 (unité) : communauté politique.

Pour résumer, selon ces résultats, dans le mot État, l’actant A2 domine, c’est-à-

dire le pouvoir. Ce pouvoir s’exerce sur A1 (groupe humain). Cela dit, Sylvianne

Remi-Giraud explique que la place du mot est utilisée par « des emplois

gestionnaires et officiels », d’où vient la « déshumanisation »822 du mot.

Comme nous l’avons précédemment montré, nos schémas diffèrent des résultats

obtenus pour le mot État par Sylvianne Rémi-Giraud. Par exemple, l’analyse des

associations dans les Dictionnaires des associations verbales du français a

démontré la prédominance du trait géographique, dans le dictionnaire direct, et du

822 Ibid., p.30.

Page 287: dans les langues

286

trait structurel dans le dictionnaire inverse. Sylvianne Remi-Giraud souligne

également que le mot État perd son caractère humain au profit de la structure, car

l’actant humain est dominé par l’actant de pouvoir, d’où l’affaiblissement de

l’actant humain malgré sa première place. Nous constatons qu’ajourd’hui le trait

humain est devenu encore plus faible et a cédé sa place aux traits géographique

et structurel. Il s’agit d’une tendance nouvelle, car les personnes intérrogées sont

principalement de jeunes étudiants.

4.2. Etudes antérieures en Russie

4.2.1. Champs conceptuels comprenant le mot gosudarstvo de Jurij Karaulov

Comme nous l’avons annoncé dans notre introduction, les linguistes russes tels

que Jurij Karaulov, Igor’ Ružickij823 et autres ont récemment étudié le mot et le

concept de gosudarstvo en cherchant à comprendre comment ce concept est

perçu par les Russes et à comparer sa conception avec celle des locuteurs

d’autres langues.

Jurij Karaulov établit, notamment, des champs des concepts tels que власть

(vlast’-pouvoir), закон (zakon - loi), территория (territorija – territoire), люди

(ljudi – gens), государственный строй (gosudarstvennyj stroj – régime

politique)824 à partir des associations verbales fixées par le Dictionnaire associatif

du russe825. Jurij Karaulov insiste sur le fait qu’il est question des champs

conceptuels qui, en comparaison avec les champs sémantiques, n’étudient pas

les mots mais les concepts, donc, par conséquent, ces champs ne sont pas limités

par le sens sémantique et comprennent des unités conceptuelles différentes qui

sont liées par association. Dans ces champs que Jurij Karaulov présente sous

823 Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan. Sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M.: Azbukovnik, 2006, 448 p. 824 Karaulov Ju., Mixajlov O.D., « Gosudarstvennost’ kak obraz gosudarstva v obydennom soznanii nositelja jazyka-kulturu» in Russkoe slovo v russkom mire – 2005, Op.cit., p. 66-117. 825 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’ : ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju., A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.38.

Page 288: dans les langues

287

forme de cercles, nous retrouvons le concept de gosudarstvo, qu’il définit comme

« суперконцепт »826 (super concept) dont la fonction n’est pas toujours la même.

Par exemple, dans le champ conceptuel de закон (zakon,- loi)827, le concept de

gosudarstvo est dans le premier cercle, donc est plus proche de celui de zakon.

Dans le même cercle nous retrouvons les concepts de человек (čelovek –

homme), власть (vlast’ – pouvoir) et жизнь (žizn’ – vie), tandis que les concepts

de коррупция (korrupcija – corruption) et гражданин (graždanin – citoyen) se

trouvent en périphérie.

Rappelons qu’en analysant les réactions au mot gosudarstvo, nous avons attiré

l’attention avant tout sur les traits sémantiques dominants de ces réactions : trait

humain, trait géographique et trait structurel, déterminés par Sylvianne Remi-

Giraud. Nous avons aussi émis l’hypothèse que ces associations, à travers

lesquelles les Russes cherchent à définir le mot gosudarstvo, diffèrent des

caractéristiques sémantiques du mot gosudarstvo fixées par les dictionnaires.

Nous avons pu constater que cette hypothèse est partiellement vraie et que

l’interdépendance des traits sémantiques dans les résultats obtenus par le

dictionnaire direct est différente de celle du dictionnaire inverse :

• Le dictionnaire direct: trait structurel + trait géographique + trait

humain

• Le dictionnaire inverse: le trait géographique + le trait structurel + le

trait humain.

Par ailleurs, dans le champ conceptuel de люди (ljudi – gens) Jurij Karaulov place

celui de gosudarstvo dans le premier cercle, en précisant une liaison importante

entre ces deux concepts828. Cependant, d’après notre conclusion, parmi les

réactions au mot gosudarstvo le trait humain est toujours dominé par le trait

géographique et structurel et occupe la troisième place.

826 Karaulov Ju., Mixajlov O.D., Op.cit., p.105. 827 Voir Annexe VII (1). 828 Voir l’annexe VII (2).

Page 289: dans les langues

288

4.2.2. Champ sémantique du concept vlast’ (pouvoir)

Le champ sémantique du concept vlast’ (pouvoir) a été établi par Valerij Ledjaev,

spécialiste russe en sociologie et sciences politiques, dans son ouvrage Vlast’ -

konceptual’nyj analiz (« Pouvoir – analyse conceptuelle »)829. Cet ouvrage est

tout d’abord destiné aux politologues et sociologues et il a pour but de donner une

analyse du concept vlast’ et des différents types de pouvoir.

Valerij Ledjaev a analysé les études effectuées sur ce concept par les

philosophes, sociologues et politologues occidentaux, surtout anglophones, et

russes. Il a pu conclure que cette problématique a suscité un grand intérêt ces

dernières années en Russie : plusieurs thèses ont été soutenues (Grafski 1992,

Kramnik, Ledjaev 1999), des ouvrages ont été publiés830. Selon Valerij Ledjaev,

ce concept a été introduit dans plusieurs manuels de théorie de la politique tandis

qu’à l’époque soviétique, jusqu’aux années 60, il était étudié seulement en tant

que partie de la notion de pouvoir étatique. C’est en 1963 que cette notion est

pour la première fois devenue un sujet de recherches, effectuées par Korolev et

Muškin dans leur article « Gosudarstvo i vlast’ »831 (« État et pouvoir »).

Nous avons précédemment cité les conclusions importantes de Valerij Ledjaev

concernant la synonymie entre les mots vlast’ et gosudarstvo d’après son analyse

de l’étymologie de vlast’ et ses définitions. Valerij Ledjaev s’appuie sur les sens

suivants du mot vlast’ 832:

– способность влиять на что-то, способность сделать что-то

(possibilité d’influence sur quelque chose, de faire quelque chose);

– право распоряжаться, повелевать, управлять кем-либо, чем-либо

(droit de donner l’ordre à quelqu’un, de commander, de diriger quelqu’un) ;

– могущество, господство, сила (puissance, suprématie, force) ;

829 Ledjaev V.G., Vlast’ : konceptual’nyj analiz. M. : « Rossijskaja političeskaja enciklopedija’ (ROSSPEN), 2001, 384 p. 830 Vlast’ : Očerki sovremennoj političeskoj filosofii Zapada, M. :1989 ; Solov’ev A.I., Kul’tura vlasti, M., 1992… 831 Korolev A.I., Muškin A.E., « Gosudarstvo i vlast’ », in Pravovedenie, 1963, № 2, p. 15 -26. 832 Ledjaev V.G., Vlast’ : konceptual’nyj analiz., op.cit., p. 97.

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289

- право управления государством, политическое господство, права и

полномочия государственных органов (droit de gérer l’État, suprématie

politique, droits et pouvoirs des organes de l’État).

Valerij Ledjaev essaie également de comparer le concept russe de vlast’ à celui

de l’anglais « power » et du français « pouvoir » en dégageant les particularités et

les ressemblances de ces trois notions.

D’une part, le mot anglais “power” possède, selon lui, plus de sens. En effet, nous

trouvons plusieurs sens du mot power dans le Dictionnaire Hachette-Oxford833

avec ces traductions en français :

1. pol. (control) pouvoir ; 2. (strenght) puissance ; 3. (influence) influence ;

4. (capability) pouvoir ; 5. (authority) attribution ; 6. (physical force) (of

person, explosion) force ; 7. Phys. Tecn., gen. energie ; (current)

courant ; 8. (of vehicule, plane) puissance…

De plus, il n’y a pas de verbe, formé à partir de ce mot, c’est pourquoi, comme le

précise Valerij Ledjaev, on est obligé d’utiliser les expressions comme to be in

power, to have somebody in one’s power....Tandis que dans la langue russe il

existe le verbe властвовать (vlastvovat’) qui a les mêmes significations que le

substantif. En français comme en anglais, le verbe pouvoir signifie être capable

de, avoir le droit ou la possibilité mais il faut recourir à une périphrase ou à

d’autres verbes, par exemple régner sur, gouverner.

D’autre part, les mots vlast’ et power ont pour Valerij Ledjaev des sèmes

communs en tant que notion sociale. En ce qui concerne la langue française, il

cite Raymond Aron qui propose deux équivalents français du mot russe

« власть » - « pouvoir » et « puissance »834. En effet, le mot puissance est

polysémique en français et signifie entre autres capacité, potentiel, force.

833 Le Dictionnaire Hachette-Oxford compact, sous la direction de M.-H. Corréard et V. Grundy, Paris : Hachette Livre, 2004, p.1095. 834 Aron R., « Macht, Power, Puissance: prose démocratique ou poésie démoniaque? » in European Journal of Sociology, 5, 1964, p.26-51.

Page 291: dans les langues

290

L’analyse du champ sémantique du mot vlast’ faite par Valerij Ledjaev nous

semble intéressante en tant qu’étude d'un non spécialiste, mais insuffisante car

nous n’avons pas d’énumération précise des mots qui entrent dans le champ

sémantique du mot vlast’. Valerij Ledjaev se limite à nous présenter ses

définitions, son étymologie et ses synonymes sans donner une image complète

des mots de son champ. Par ailleurs, il ne précise pas les sèmes communs des

mots vlast’, power et pouvoir.

4.2.3. Champs comprenant le mot gosudarstvo du Dictionnaire sémantique

Il existe le Dictionnaire sémantique de Švedova835 qui regroupe les unités lexicales

selon leurs « classes lexico-sémantiques »836, qui sont à leur tour divisées en

nombreuses sous-classes … Nous avons retrouvé le mot gosudarstvo dans deux

champs différents en raison de la polysémie de ce mot :

1. Населенные места, обрабатываемые участки местности; дороги:

Страны. Государства. Населенные пункты. Административно-

территориальные единицы…837.

Lieux peuplés, endroits du territoire ; chemins : Pays. États.

Agglomérations, unités administratives et territoriales…

2. Организации. Учреждения. Предприятия. Партии. Общества838.

Organisations. Institutions. Entreprises. Partis. Sociétés.

Nous voyons que les auteurs de ce dictionnaire ont placé le mot gosudarstvo dans

le premier champ ou groupe d’après son deuxième sens de «страна (strana –

pays). Ainsi, le mot gosudarstvo est défini comme « Страна, находящаяся под

управлением властной организации, осуществляющей охрану ее эконо-

мической и социальной структуры. Eвропейские, азиатские, северо-

американские, африканские государства. Границы государства... »839 (Pays

835 Russkij semantičeskij slovar’. Tolkovij slovar’, sistematizirovannyj po klassam slov i značenij / Rossijskaja akademija nauk. Institut russkogo iazyka imeni V.V. Vinogradova, pod obščej red. N.Ju. Švedovoj. T II, M. : «Azbukovnik », 2002, 762 p. 836 Ibid., p. 1. 837 Ibid., p.11-12. 838 Ibid., p.476-478. 839 Ibid., p.11.

Page 292: dans les langues

291

soumis à une autorité qui assure la sécurité de sa structure économique et

sociale. États européens, d’Asie, d’Amérique du Nord, d’Afrique. Frontières

d’État). Cette définition correspond à la deuxième définition du dictionnaire

d’Ožegov et de Švedova :

Страна, находящаяся под управлением политической организации,

осуществляющей охрану ее экономической и социальной структуры.

(L’État est un pays dirigé par une organisation politique qui assure la sécurité

de sa structure économique et sociale)

Dans la sous-classe lexico-sémantique « Страны. Государства » (Strany –pays,

Gosudarstva – États) on trouve les mots, caractérisés par une prédominance du

trait sémantique géographique tels que восток (vostok – Est), держава (deržava

– puissance), заграница (zagranica – l’étranger), запад (zapad – Ouest),

зарубежье (zarubež’e – l’étranger) , земля (zemlija – terre), область (oblast’ –

région), отечество (otečestvo - patrie), отчизна (otčizna – patrie), пенаты

(penaty –pénates), предел ( predel - pays (vieilli)), родина (rodina – patrie),

страна (strana – pays), чужбина (čužbina – pays étranger)..

Dans la sous-classe lexico-sémantique « Властные, административные,

юридические, правоохранительные и финансовые учреждения» (Autorités

administratives, institutions juridiques, financières et forces de l’ordre), le mot

gosudarstvo apparait avec son premier sens d’organisation politique :

Система органов управления – основная политическая организация,

направляющая, контролирующая и охранияющая совместную

деятельность и отношения людей, общественных групп, классов.

Законы, бюджет государства. Стоять во главе государства...840

État : Système de services d’administration ; d’organisation politique, la

principale qui dirige, contrôle et assure la sécurité de l’activité commune et

840 Ibid., p.476-478.

Page 293: dans les langues

292

les relations des gens, des groupes sociaux et des classes. Lois, budget de

l’État. Etre à la tête d’un État.

Nous retrouvons les mots ayant le trait structurel dans cette sous-classe :

ассамблея (assambleja – Assemblée), власть (vlast’ – pouvoir), госдума

(gosduma – Douma d’État), госсовет (gossovet – Conseil d’État), директория

(direktorija - Directoire), дума (duma – Douma), кабинет (cabinet – cabinet),

министерство (ministerstvo – ministère), палата (palata – chambre) de

parlement), парламент (parlament – parlement), правительство (pravitel’stvo –

gouvernement), предпарламент (predparlament – Préparlement (Conseil

provisoire de la République)), президиум (prezidium – présidium), ревком

(revkom – comité révolutionnaire), собрание (sobranie – assemblée), совет

(sovet – Conseil), совмин (sovmin – Conseil des ministres), совнарком

(sovnarkom –Conseil des commissaires du peuple).

Nous pouvons constater que parmi les mots de cette sous-classe se trouvent les

termes généraux comme государство (gosudarstvo), власть (pouvoir), ainsi

que les termes biens précis, désignant les institutions de pouvoir comme госдума

(gosduma – Douma d’État), госсовет (gossovet – Conseil d’État)… De plus,

parmi ces termes précis, il y a des termes associés à une réalité : tsariste par

exemple директория (direktorija - Directoire), ou soviétique совнарком

(sovnarkom –Conseil des commissaires du peuple).

Notre critique porte sur l’absence du troisième sens du mot gosudarstvo dans ce

dictionnaire, celui de общность людей (obščnost’ ludej - groupement humain).

Rappelons la définition de gosudarstvo dans le Lexique politique de la Russie

contemporaine « Parlons correctement ! »841

Oбщность людей, проживающая на определенной территории,

представляемая и организуемая органом высшей власти »

841 Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61.

Page 294: dans les langues

293

Groupement humain qui vit sur un territoire déterminé, représenté et géré

par une autorité supérieure.

Comme nous l’avons précédemment noté dans notre troisième chapitre, parmi les

réactions au mot gosudarstvo fixées par le Dictionnaire associatif du russe,

nombreuses sont celles contenant le trait humain, comme par exemple : это я

(ëto ja-c’est moi) (12 réactions) ; мое (moë-le mien) (8 réactions) ; общество

(obščestvo-société) 7 ; я (ja-moi) (6 réactions) ; мы (my-nous), это мы (ëto my-

c’est nous) народ (narod-peuple) (3 réactions) ; 3; люди (ljudi - les gens), мама

(mama - maman), мать (mat’- mère), президент (prezident - président), семья

(semja - famille), государь (gosudar’ - souverain), царь (tsar’ - tsar) 1…842

N’oublions pas non plus nos résultats du deuxième chapitre, consacré aux

métaphores du concept de gosudarstvo. Comme nous l’avons constaté, parmi ces

dernières la personnification de gosudarstvo (mort-né (выкидыш - vykidyš),

veilleur de nuit (ночной сторож - nočnoj storož), entraîneur (тренер - trener)...)

ainsi que la métaphore familiale sont également répandues dans le discours

russe.

Ainsi, nous considérons que l’absence du trait humain dans le dictionnaire

sémantique exclut tous les mots ayant ce trait, qui peuvent entrer dans le champ

lexico-sémantique comprenant le mot État.

4.3. Champ lexico-sémantique comprenant le mot État

Nous avons précédemment étudié la notion de champ lexico-sémantique dans

notre introduction et nous avons expliqué que nos champs comprennent non

seulement le sens des mots État/gosudarstvo dans l’ensemble qu’ils forment avec

d’autres unités lexicales, mais aussi leur concept ; c’est pourquoi nos champs

peuvent être eux aussi considérés comme conceptuels. Nous avons décidé de

842 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’ : ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju., A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.38.

Page 295: dans les langues

294

construire le champ comprenant le mot État en prenant comme exemple le

schéma de Jurij Karaulov, qui construit les champs de différents concepts en

formant les cercles dans lesquels il regroupe les concepts selon le caractère de

leurs liens. S’il s’agit des liens réciproques, il place tels concepts dans le premier

cercle ; si ces liens ne sont pas réciproques, ils se trouvent dans la périphérie.

Nous essayons donc de former plusieurs cercles qui comprendront les mots du

champ en tenant compte des diverses corrélations qui peuvent exister entre ces

mots : synonymie, antonymie, association, métaphore…Nous différencions

également les cercles du mot État selon les traits sémantiques prédominants :

géographique, structurel et humain.

Tout d’abord, nous procédons à la construction de notre champ selon les sens

différents mentionnés dans les dictionnaires de langue, champ qui comporte les

différents traits sémantiques du mot État. Rappelons les mots clés qui définissent

l’État, dégagés dans notre premier chapitre :

• territoire

• forme institutionnalisée

• groupement humain

Ainsi nous obtenons les cercles suivants comportant les mots qui entrent dans le

champ lexico-sémantique avec le mot État843 :

Nous continuons ensuite à regrouper les mots selon la prédominance des traits

sémantiques autour de ces trois cercles comportant les mots : territoire (trait

géographique), groupement humain (trait humain), forme institutionnalisée (trait

structurel).

4.3.1. Trait géographique

Commençons par les mots dans lesquels le trait sémantique géographique

prédomine. Ici nous tenons compte de tous les mots ayant diverses corrélations

843 Voir Annexe IX (1) : champ lexico-sémantique avec le mot Etat, p.450.

Page 296: dans les langues

295

avec le mot État et que nous avons révélés grâce à notre étude des métaphores,

des associations et des synonymes du mot État. Nous avons également placé les

mots selon le type de leur proximité, par conséquent en liaison directe ou en

périphérie par rapport au concept d’État. Nous entendons par liaison directe les

mots qui peuvent être considérés comme ayant des corrélations plus importantes

avec État, tandis que la périphérie concerne les mots qui sont en liaison avec les

mots du champ lexico-sémantique avec État844.

Le mot patrie se trouve dans un cercle qui a un lien direct avec le mot État. Ce

mot est mentionné dans le Dictionnaire des synonymes de CRISCO845 ainsi que

dans le Dictionnaire des associations verbales du français. Nous l’avons

intentionnellement ajouté au cercle comportant les mots ayant le trait

géographique.

Comme nous l’avons noté précédemment, Sylvianne Remi-Giraud souligne la

deuxième désignation du mot patrie en tant que pays. Ce sens peut renverser la

hiérarchie : trait structurel + trait géographique + trait humain au profit du trait

géographique : trait géographique + trait structurel + trait humain846. De plus, nous

avons retrouvé l’exemple de la synonymie de ce mot avec le mot terre dans le

discours :

Pour moi la patrie, c’est la terre de mes ancêtres!847

Comme nous l’avons déjà mentionné, le mot pays ne détermine pas l’État, mais

sa synonymie est fixée par le Dictionnaire des synonymes CRISCO. De plus, c’est

la réaction au stimulus état qui a le plus grand nombre de réponses (99).

Sylvianne Remi-Giraud place également le mot pays dans le micro-champ lexical

à côté du mot État.

844 Voir Annexe IX (2), p.451. 845 http://www.crisco.unicaen.fr, Consulté le 11 septembre 2010. 846 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, État », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.24. 847 L’extrait du discours de Richard Roudier, chef de file de la Ligue du Midi aux élections régionales en Languedoc-Roussillon à Donzère (Drôme), Novopress in Política le 6 February 2010. Consulté le 20 avril 2010.

Page 297: dans les langues

296

Les mots puissance, empire, royaume figurent également dans ce cercle comme

synonymes du mot pays. Ces mots sont cités par le Dictionnaire des synonymes,

nuances et contraires848 et par le Dictionnaire des associations verbales du

français849. On y ajoute le mot principauté, réaction au stimulus état dans le

Dictionnaire des associations verbales du français850.

Le mot frontière se trouve en liaison directe avec État851 : on le trouve dans la

définition de l’État du Lexique politique: un territoire délimité par des frontières852.

Ce mot apparaît également dans le Dictionnaire des associations verbales du

français. De plus, on forme un syntagme frontière d’État, donc, il peut s’agir des

relations syntagmatiques entre ces mots.

Nous avons placé dans la périphérie lointaine les mots tels que continent, région,

province, département, ville, cité qui désignent les unités géographiques qui se

trouvent en liaison avec le mot pays. Si les mots cité, province sont mentionnés

dans le Dictionnaire des synonymes de CRISCO853, les mots région, continent,

département, ville sont des réactions au stimulus état dans le Dictionnaire des

associations verbales du français

4.3.2. Trait humain

Maintenant développons le cercle comportant les mots mettant en avant le trait

sémantique humain854. Les mots peuple, nation, société se trouvent en

interdépendance avec le mot État. Comme nous l’avons vu précédemment, dans

la langue française la synonymie entre les mots nation et État est fixée par

l’histoire même du concept d’État. Le mot nation est cité dans le Dictionnaire des

848 Le dictionnaire des synonymes, nuances et contraires, Paris : Le Robert, 2011, p.376-377. 849 http://ccfit.nsu.ru/arom/old/test/dictaverf/. Consulté le 25 mars 2010. 850 Ibidem. 851 Ibidem. 852 Debbasch C., Daudet Y., Lexique de politique, Cinquième édition, Paris : Dalloz, 1988, p.158-161. 853 http://www.crisco.unicaen.fr, Consulté le 11 septembre 2010. 854 Voir Annexe IX (3), p.452.

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297

synonymes, nuances et contraires855, tandis que le mot peuple n’y est pas

présent. Enfin, parmi les définitions de la nation énoncées par le Nouveau Petit

Robert, nous trouvons celle très proche de l’État: Nation : Groupe humain constituant une communauté politique, établie sur

un territoire défini ou ensemble de territoires définis, et personnifiée par une

autorité souveraine856.

État : Groupement humain fixé sur un territoire déterminé soumis à une

même autorité et pouvant être considéré comme une personne morale857.

Rappelons également que, selon les résultats du Dictionnaire des associations

verbales du français, les Français s’identifient plus facilement à une nation (31

réactions) qu’à un peuple (3 réactions). Le mot société est également mentionné

dans le Dictionnaire des synonymes, nuances et contraires858, ainsi que dans le

Dictionnaire des associations verbales du français inverse.

Nous considérons que famille entre dans les liaisons directes avec État. Le cercle

qui se trouve en périphérie par rapport au mot État, rassemble les mots désignant

les membres de la famille comme mère, père, sœur. Rappelons la métaphore

familiale et la représentation de la France comme mère ou sœur ou l’État français

comme père dans le discours français contemporain, souvent avec une

connotation particulière.

Un autre cercle comporte les mots désignant les personnes au pouvoir : chef, roi,

président, souverain, associations mentionnées dans le Dictionnaire des

associations verbales du français direct et les mots comme gouverneur, ministre

dans celui inverse, Ces mots possèdent, à notre avis, avant tout, le trait humain,

mais le trait structurel est aussi présent, car il s’agit des personnes représentant la

855 Le dictionnaire des synonymes, nuances et contraires, Paris : Le Robert, 2011, p.376-377. 856 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p. 1652. 857 Ibid., p.928. 858 Le dictionnaire des synonymes, nuances et contraires, Paris : Le Robert, 2011, p.376-377.

Page 299: dans les langues

298

hiérarchie structurelle de l’État. Nombreux sont les cas d’association d’État à son

chef ou à un homme politique.

4.3.3. Trait structurel

Le sens de l’État en tant que personne juridique met en avant le trait structurel.

Nous avons donc regroupé les mots dans lesquels ce trait prédomine859.

Le cercle avec les mots organismes, administration se trouve en liaison directe

avec le mot État car ces derniers sont mentionnés dans la définition même d’État.

Ensuite, vient le cercle de périphérie qui a une liaison avec organismes,

administration et qui comporte les mots corps politique, gouvernement qui

évoquent à leur tour les mots conseil, service, police. Les mots corps politique,

gouvernement, service sont proposés comme synonymes par le dictionnaire des

synonymes, nuances et contraires860. Nous avons traité la synonymie partielle des

mots corps politique et État, en précisant que le corps politique est un concept

plus abstrait qui désigne n’importe quelle organisation. Le mot police a été

proposé comme réaction au stimulus état dans le Dictionnaire des associations

verbales du français.

Les mots pouvoir, politique, souveraineté, autorité sont interdépendants du mot

État. Le mot pouvoir, donné comme synonyme au mot État dans le Dictionnaire

des synonymes et nuances, est également cité dans le Dictionnaire des

associations verbales du français. Les mots politique et souveraineté sont par

ailleurs mentionnés dans le Dictionnaire des synonymes CRISCO861. Enfin, le mot

autorité se trouve dans la définition d’État862. Nous avons mis en périphérie les

mots droit, loi, ordre proposés comme associations au mot état.

Le cercle comprenant les mots système et machine interagit avec le mot État. La

859 Voir Annexe IX (4), p.453. 860 Le dictionnaire des synonymes, nuances et contraires, Paris : Le Robert, 2011, p.376-377. 861 Dictionnaire des synonymes CRISCO (Comité Régional pour l’Imagerie et les Technologies de l’Information et de la Communication), http://www.crisco.unicaen.fr/, Consulté le 24 mars 2010. 862 (fin XVe) mod. avec une majuscule. Autorité souveraine s’exerçant sur l’ensemble d’un peuple et d’un territoire déterminé.

Page 300: dans les langues

299

métaphore mécanique a joué un rôle important en donnant les images de l’État en

tant que mécanisme, machine. Parmi les expressions métaphoriques, nous avons

également retrouvé la locution machine étatique, employée pour la première fois

par Thomas Hobbes et dont l’histoire a été analysée dans notre deuxième

chapitre. Nous avons ainsi ajouté le mot machine dans notre cercle à côté de celui

de système. Les mots machine, système apparaissent également comme

réactions au stimulus état dans le Dictionnaire des associations verbales du

français.

4.4. Champ lexico-sémantique comprenant le mot gosudarstvo

Nous procédons à la construction du champ lexico-sémantique comprenant le mot

gosudarstvo de la même façon que pour le mot État. Nous construisons notre

premier diagramme en utilisant les mots définissant le mot gosudarstvo dans le

dictionnaire de langue863 :

страна (strana – pays)

организация, система, управление (organizacija – organisation, sistema

- système, upravlenie – gestion)

общество (obščestvo –société)

4.4.1. Trait structurel

Analysons maintenant les mots ayant la prédominance du trait sémantique

structurel864. Nous avons regroupé les mots tels que власть (vlast’-pouvoir),

правительство (pravitel’stvo – gouvernement), правление (pravlenie –

gouvernement, conseil d’administration), партия (partija – parti) qui apparaissent

dans les résultats des deux Dictionnaires direct et inverse associatifs du russe. Il

est judicieux de préciser que le Dictionnaire de synonymes de langue russe865 ne

présente aucun synonyme du mot gosudarstvo avec le trait structurel ou humain.

863 Voir Annexe X (1). 864 Voir Annexe X (2). 865 Evengen’eva A.P., Slovar’ sinonimov russkogo jazyka, Tom 1 A-N, Leningrad : Izdatel’stvo « Nauka », 1970, p.250-252.

Page 301: dans les langues

300

Nous avons pu établir l’intéraction grâce à l’analyse des associations et du

discours, notamment de la presse. Rappelons que l’association entre les mots

vlast’, pravlenie, gosudarstvo prend ses origines dans l’étymologie et celle de

pravitel’stvo et gosudarstvo dans la métonymie.

Les mots право (pravo – droit), закон (zakon – loi), долг (dolg – devoir), порядок

(porjadok – ordre) sont également cités comme réactions au stimulus gosudarstvo

dans le Dictionnaire associatif du russe et qui se trouvent, à notre avis, en

interaction avec le mot gosudarstvo.

Les mots аппарат (apparat – appareil), институт (institut – institution)

définissent le mot gosudarstvo dans le Dictionnaire juridique de Marina

Bujanova866 ainsi que dans d’autres dictionnaires spécialisés. Nous observons la

présence des mots орган (organ – organe), учреждение (učreždenie – institution)

dans le Lexique politique de la Russie contemporaine867. N’oublions pas non plus

la métaphore mécanique et criminelle et la perception de gosudarstvo en tant que

машина (mašina – machine), механизм (mexanizm – mécanisme) ou тюрьма

(tjur’ma – prison).

4.4.2. Trait géographique

Passons aux mots ayant le trait géographique et au sens du mot gosudarstvo qui

est défini comme strana (pays)868. Rappelons que la deuxième définition dans le

Dictionnaire d’Ožegov et de Švedova du mot gosudarstvo est la suivante 869 :

3. Страна, находящаяся под управлением политической

организации, осуществляющей охрану ее экономической и социальной

структуры.

866Bujanova M.O., Juridičeskij enciklopedičeskij slovar’. Moskva : OOO « Izdatel’stvo Prospekt », 2006, p.146-147. 867Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61. 868 Voir Annexe X (3). 869 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.14.

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301

L’État est un pays dirigé par une organisation politique qui assure la sécurité

de sa structure économique et sociale.

Nous constatons que le mot страна (strana-pays) devient synonyme partiel du

mot gosudarstvo dans les dictionnaires de langue. Par ailleurs, le Dictionnaire des

synonymes d’Abramov870 est encore plus riche en mots qui possèdent le trait

sémantique géographique :

Государство, империя, княжество, королевство, царство. Ср.

Страна.

Gosudarstvo, imperija, knjažestvo, korolevstvo, carstvo. Cr. Strana.

État, empire, principauté, royaume, règne du tsar’. Comp. Pays.

Ces réactions sont également mentionnées comme réactions au stimulus

gosudarstvo dans les deux Dictionnaires direct et inverse associatifs du russe.

Nous retrouvons le mot земля (zemlja-terre) dans un autre dictionnaire des

synonymes871, avec la précision qu’il s’agit d’un sens vieilli de gosudarstvo. Une

des définitions actuelles du mot zemlja reste « страна, государство, а также

вообще какая-нибудь большая территория Земли (высок.). Родная земля.

Русская земля... »872 (pays, État, ainsi que tout grand territoire de Terre (littér.)

Terre natale. Terre russe).

Comme nous l’avons précédemment développé dans notre deuxième chapitre,

l’étymologie du mot gosudarstvo a influencé le sens qu’on lui donne et Vladimir

Dal’ l’a défini de la manière suivante :

870 Abramov N., Slovar’ russkix sinonimov i sxodnyx po smyslu vyraženij, Elektronnaja versija, «GRAMOTA.RU», 2002, http://www.gramota.ru/slovari/info/abr/, Consulté le 21 septembre 2010. 871 Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika. Moskva: Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 872 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.229.

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302

Царство, империя, королевство, земля, страна, под управлением

государя873.

État sous le règne du tsar, empire, royaume, pays sous le pouvoir d’un

souverain.

Bien que cette définition puisse être aujourd’hui considérée comme vieillie, elle a

laissé ses traces dans la perception par les Russes du mot gosudarstvo. Nous

avons déjà étudié la métaphore conceptuelle «Gosudarstvo - carstvo » (L’État est

un royaume) dans notre deuxième chapitre et nous avons vu que cette métaphore

reste actuelle dans la presse d’aujourd’hui.

Nous ajoutons au cercle avec le mot zemlja les trois synonymes russes

отечество (otečestvo), отчизна (otčizna), родина (rodina) qui signifient tous en

français patrie. Ces derniers sont mentionnés dans les deux Dictionnaires direct et

inverse associatifs du russe et, comme nous l’avons vu dans notre troisième

chapitre, ils sont souvent associés au mot pays et parfois même au mot

gosudarstvo dans la presse russe.

Le mot территория (territorija – territoire) se trouve en corrélation directe avec

le mot gosudarstvo, car il figure dans la définition du mot État tirée du Lexique

politique de la Russie contemporaine874 :

3. Общность людей, проживающая на определенной территории,

представляемая и организуемая органом высшей власти.

Groupement humain qui vit sur un territoire déterminé, représenté et

géré par une autorité supérieure.

Le mot territorija est, à son tour, en liaison avec les mots местность (mestnost’ –

lieu), граница (granica – frontière), город (gorod – ville), область (oblast’ –

873 Dal’ V.I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg :Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955. 874 Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg: Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61.

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303

région). Il est important de noter que la définition de strana dans le Dictionnaire

russe d’Efremova 875 comporte les mots tels местность (mestnost’ – lieu),

территория (territorija – territoire), край (kraj – région).

Enfin, le mot держава (deržava – puissance), mis dans un cercle à part, entre

dans le champ avec le mot gosudarstvo. Le mot deržava est mentionné dans le

Dictionnaire de synonymes876 et dans le Dictionnaire inverse associatifs du

russe877.

4.4.3. Trait humain

Nous arrivons aux cercles comportant les mots ayant le trait humain878.

Comme nous l’avons vu précédemment, le mot общество (obščestvo – société),

figurant dans la définition du mot gosudarstvo dans le Dictionnaire de langue

russe d’Ožegov, apporte le trait humain879 :

Основная политическая организация общества ( L’État est

l’organisation politique principale de la société.).

Le mot obščestvo est présent dans plusieurs dictionnaires de langue. Seul, le

Lexique politique de Galina Skljarevskaja880 utilise le syntagme общность людей

(obščnost’ ljudej - groupement humain) à la place du mot obščestvo. La locution

obščnost’ ljudej ajoute, à notre avis, plus de force concrète au trait humain.

875 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p.714. 876 Aleksandrova Z.E., Slovar’ sinonimov russkogo jazika. Moskva : Russkij jazyk, Media, 2003, p.94. 877 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 2. Obratnyj slovar’ : ot reakcii k stimulu. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin,V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.62. 878 Voir Annexe X (4). 879 Ožegov C.I., Švedova N.Y., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.141. 880 Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61.

Page 305: dans les langues

304

Ainsi, nous plaçons les mots люди (ljudi – gens), народ (narod – peuple) dans un

cercle qui interagit avec le mot gosudarstvo. Ces mots sont cités comme réactions

au stimulus gosudarstvo dans le Dictionnaire associatif du russe.

Parmi les réactions obtenues au stimulus gosudarstvo se trouvent également les

mots tels que я (ja-moi), мы (my-nous) qui se trouvent en périphérie par rapport à

gosudarstvo et ces pronoms peuvent témoigner de synonymie aussi bien que

d’opposition. Les Russes peuvent ainsi s’identifier à l’État ou s’y opposer.

Un autre cercle comporte le mot семья (semja - famille), possédant un trait

humain et évoqué comme réaction au stimulus gosudarstvo et il englobe les mots

comme mat’ (mère), otec (père), brat (frère). Rappelons la métaphore familiale

dans notre deuxième chapitre et les images de la Russie en tant que mère ou de

l’État russe en tant que frère ou père.

Nous avons ensuite regroupé les mots президент (prezident-président),

государь (gosudar’-souverain), царь (tsar’-tsar) désignant les personnes au

pouvoir, ce qui met en évidence l’interdépendance entre le trait humain et le trait

structurel dans ces mots. Enfin, le mot гражданин (graždanin - citoyen), mis dans

un cercle à part, implique une « politisation » de l’humain. Il est important de noter

que, comme dans le cas avec le mot État, certains mots possèdent un trait humain

et un trait structurel à la fois. Notre choix a été dicté par le fait, qu’il s’agit, avant

tout, dans ces cas précis des personnes et de la personnification de gosudarstvo,

procédé métaphorique courant dans le discours contemporain, analysé dans notre

deuxième chapitre.

4.5. Analyse comparative des champs comprenant les mots État/gosudarstvo

Comme nous l’avons précédemment annoncé, nous nous sommes penchée sur la

prédominance de tel ou tel trait sémantique au sein de chaque mot qui était

déterminante dans le regroupement dans les champs.

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305

Commençons par comparer les mots ayant le trait structurel prédominant. Le mot

система (sistema – système) se trouve dans la définition du mot gosudarstvo,

tandis que le mot système est en lien moins prononcé avec le mot État. Nous

avons placé les mots droit, loi, ordre en périphérie par rapport au mot État, tandis

que nous avons mis les mots право (pravo-droit), закон (zakon – loi), порядок

(porjadok – ordre) en liaison directe avec le mot gosudarstvo. De plus, on y a

ajouté le mot долг (dolg-devoir), absent dans le champ avec le mot État. Il est

intéressant de noter la présence des mots avec une connotation négative tels que

тюрьма (tjur’ma – prison), угнетение (ugnetenie - oppression), диктат (diktat

– diktat)), насилие (nasilie - violence). Ces mots, résultats du Dictionnaire

associatif du russe, caractérisent bien la perception du mot gosudarstvo dans la

vie quotidienne des jeunes étudiants et transmettent le rapport de force par

rapport à l’État en tant que système.

Quant au mot État, les mots tels que régime, démocratie, république mettent

l’accent sur la manière dont le pouvoir est organisé et exercé au sein d'une entité

politique donnée et sur sa forme. Les mots tels que conseil, service, police

indiquent l’organisation administrative au sein de l’État.

Nous avons hésité sur l’inclusion des mots tels que république, empire dans les

champs différents. D’un côté, ce sont tous des formes d’État et le terme de

république s’oppose à ceux de royauté et d’empire dans la science politique. D’un

autre, si le mot royaume n’évoque pas d’ambiguïté puisqu’il est défini comme

pays, État, gouverné par un roi 881, la polysémie du mot empire rend

l’interdépendance plus délicate entre le trait structurel ou celui géographique. Le

Nouveau Petit Robert mentionne, entre autre, le sens d’empire en tant

qu’ensemble d’États, de territoires relevant d’un gouvernement central882. Nous

croyons que dans cette définition le trait géographique est mis en avant grâce au

mot territoire. C’est pourquoi nous avons préféré placer le mot empire dans le

cercle avec les mots pays, royaume, principauté.

881 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2250. 882 Ibid., p.839.

Page 307: dans les langues

306

Sur le plan géographique, rappelons que, si c’est le mot territoire qui détermine le

mot État en français, le mot страна (strana - pays) définit gosudarstvo en russe.

Une autre différence entre les champs comprenant les mots État/gosudarstvo

réside dans la présence du mot земля (zemlja - terre) qui se trouve en étroite

liaison avec le mot gosudarstvo. Comme nous l’avons mentionné précédemment,

une des définitions actuelles du mot zemlja est « страна, государство, а также

вообще какая-нибудь большая территория Земли (высок.). Родная земля.

Русская земля... »883 (pays, État, ainsi que tout grand territoire de la Terre (littér.)

Terre natale. Terre russe). Il est question ici de la synonymie entre les mots

страна (strana – pays), земля (zemlja – terre), родина (rodina – patrie),

государство (gosudarstvo – État).

L’expression родная земля (rodnaja zemlja – terre natale) définit directement le

mot родина (rodina – patrie). Le mot rodina est par ailleurs défini dans le

Dictionnaire de Vladimir Dal’884 comme родимая земля, чье место рожденья ; в

обширном значении земля, государство, где кто родился... (rodimaja zemlja,

č’e mesto rožden’ja ; v obširnom zna čenii, zemlja, gosudarstvo, gde kto rodilsja…,

la terre natale, lieu de naissance ; au sens général : terre, gosudarstvo, où

quelqu’un est né).

Comme nous l’avons déjà observé, d’après le Dictionnaire étymologique de

Semenov, le mot отчизна (otčizna - patrie), apparu vers le début du IXe siècle,

désignait le père, l’ancêtre, la terre des pères885. L’expression Русская земля fut

employée en même temps que le terme «Русь» (« Rus’ ») depuis le XIe siècle.

Mixail Nikolaevič Tixomirov, historiographe russe, a étudié l’origine des noms Rus’

et Russkaja zemlja dans son ouvrage « Russkoe letopisanie »886 (Chroniques

russes). Selon lui, le terme de Russkaja zemlja était plus général car il désignait

883 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.229. 884 Dal’ V., Bol’šoj illjustrirovannyj tolkovyj slovar’ russkogo jazyka : sovremennoe napisanie, Moskva : Astrel’, 2006, p.270. 885Dictionnaire étymologique de Semenov, disponible sur : http://evartist.narod.ru/. Consulté le 20 avril 2010. 886Tixomirov M.N., Russkoe letopisanie, M., 1979, p. 22-48. .

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307

toutes les terres slaves de l’Est, qui faisaient partie de l’État de Kiev. Tixomirov

cite l’emploi de ce terme dans le document sur le combat de Lipeck de 1216 qui

indique clairement cette désignation :

...не было того ни при прадедех, ни при дедех, ни при отце вашем,

оже бы кто вшел ратью в силную землю в Суздальскую, оже вышел

цел, хотя бы и вся Русская земля, и Галичьская, и Киевьская, и

Смоленьская, и Черниговьская, и Новогородская, и Рязаньская887

… Ni du temps de vos arrières grands parents, ni de vos grands parents, ni

de vos parents, l’armée ne serait arrivée sur la terre puissante de Souzdal

et en serait repartie en vie, même si cela avait été l’armée de toute la terre

de la Rus’, y compris la terre de Galič’, de Kiev, de Smolensk, de Černigov,

de Novgorod, de Rjazan’.

Plus tard, on garde l’expression Russkaja zemlja pour désigner la terre de la

Russie. Il s’agit d’un concept caractérisant l’identité russe. Nous constatons que

pour les Français l’expression terre française n’est pas devenue synonyme de

l’État français et de la France. En revanche, l’expression territoire national désigne

la France métropolitaine par opposition à l’expression territoires d’Outre-mer.

Nous retrouvons les exemples de l’emploi de russkaja zemlja dans la presse

contemporaine :

Надо только радоваться, что не оскудела русская земля

талантами…888

On peut uniquement se réjouir que la Russie ne se soit pas appauvrie de

ses talents.

887 Ibidem. 888 Kučaev A., « Neznakomye griby », in Oktjabr’, 2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 22 septembre 2010. La phrase « Да не оскудеет земля русская талантами» ( Que la Russie ne s’appauvrisse pas de ses talents) est devenue presque un aphorisme, car elle est souvent utilisée dans le discours russe depuis quelque siècles. Selon les uns, elle appartient à Lomonossov, selon les autres à Pierre le Grand ou encore à Gogol’.

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308

Aujourd’hui, on se sert de l’expression russkaja zemlja pour rendre le contexte

plus solennel ou plus officiel.

La différence principale concernant le trait sémantique humain dans les champs

avec les mots État/gosudarstvo, observée dans notre premier chapitre, consiste

en l’interdépendance des mots общество (obščestvo –société) et государство

(gosudarstvo-État). Dans la langue russe, le mot obščestvo définit gosudarstvo,

tandis que dans le français l’expression groupement humain remplit la même

fonction pour État. Nous avons placé le mot société dans le même cercle que les

mots peuple, nation. Comme nous l’avons évoqué précédemment, le mot nation

joue un rôle important dans la perception du mot État, alors que le mot нация

(nacja) ne possède pas les mêmes valeurs sémantiques dans la langue russe et

se rencontre plus souvent comme synonyme du mot народ (narod-peuple) au

sens d’ethnie russe.

Nous constatons que les mots État/gosudarstvo se trouvent tous les deux en

liaison directe avec les mots famille et семья (semja). En effet, nous avons

observé, dans notre deuxième chapitre, la métaphore familiale présente dans les

mondes conceptuels français et russe.

Il est judicieux d’ajouter que le champ comportant le mot État comprend plus de

mots avec le trait humain, que celui comportant le mot gosudarstvo. Nous avons

par exemple retrouvé le mot communauté, mentionné dans le Dictionnaire des

synonymes, nuances et contraires889, ou les mots individu, chef, proposés comme

réactions au stimulus état dans le Dictionnaire des associations verbales du

français. Ce dernier révèle également les mots-stimuli gouverneur, ministre qui

suscitent le mot état comme réaction. La présence du mot chef est évidente vu

qu’il s’agit de l’expression chef d’État, bien répandue dans le discours français. Le

mot individu peut être considéré comme antonyme du mot État. Dans ce cas, il est

question de l’opposition de deux termes qui se retrouvent néanmoins dans le

même champ.

889 Le dictionnaire des synonymes, nuances et contraires, Paris : Le Robert, 2011, p.376-377.

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309

Conclusion La construction des champs comprenant les mots État/gosudarstvo a pu dégager

la matrice sémantique commune grâce à la présence des traits structurel,

géographique et humain dans les mots entrant dans ces champs. Cependant, il

existe un nombre de mots spécifiques aux champs qui sont le terreau des deux

langues. De plus, nous avons observé les corrélations différentes à l’intérieur des

champs comprenant les mots État/gosudarstvo. La détermination de corrélation

ainsi que le regroupement des mots sont devenus d’autant plus difficiles car les

domaines dont relèvent les significations se rapprochent ou se chevauchent

comme dans les cas des mots graždanin ou patrie.

Page 311: dans les langues

310

Chapitre 5

Les familles des mots État/gosudarstvo

Pour construire les familles des mots État/gosudarstvo, nous essaierons d’abord

de faire l’inventaire de toutes les expressions comprenant ces mots. Nous avons

recours à des sources diverses : les dictionnaires, mais aussi le discours politique,

notamment dans les textes médiatiques. Nous pouvons constater que le choix des

expressions varie selon les dictionnaires ou les énonciateurs. Mis à part ce

problème de choix multiple d’expressions, nous rencontrons un autre problème lié

au caractère figé de celles-ci.

Comme nous l’avons mentionné dans notre introduction, nous nous intéressons,

en particulier, aux combinaisons lexicalisées spécialisées (CLS) et aux

collocations, qui sont des phénomènes de combinatoire lexicale. Selon l’avis

d’Agnès Tutin et Francis Grossman, la collocation est un phénomène qui est

encore « aux contours flous » 890 et nous pouvons ajouter la même remarque pour

les CLS. Toutefois, plusieurs linguistes ont essayé de définir les termes de

collocation et de CLS. Nous avons cité dans notre introduction quelques

définitions891 que nous considérons comme les plus réussies. Nous rappelons que

notre but est d’essayer de dégager les CLS, les collocations, autrement appelées

sequences contraintes, les séquences figées ou encore les séquences libres

comportant les mots État/gosudarstvo.

Ensuite, nous analysons les dérivés des mots État/gosudarstvo et des mots

composés en reprenant l’hypothèse de Norbert Dupont, linguiste français, que « la

base (ou le radical) d’un dérivé ou d’un composé est en relation sémantique

890 Grossman F., Tutin A., « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatf », in Revue française de linguistique appliquée, Amsterdam : Editions De Werelt, juin 2002, p.7. 891 Introduction, p.19-23.

Page 312: dans les langues

311

étroite avec le mot simple dont elle constitue la totalité »892. Nous avons établi

notre corpus à partir des dictionnaires ainsi que du discours, notamment celui de

la presse.

5.1. Les expressions utilisant le mot État

Comme nous l’avons précisé dans notre introduction, Norbert Dupont a essayé de

schématiser la construction progressive de la notion d’État et d’élaborer la famille

du mot État en incluant les dérivés, les mots composés et les expressions

comprenant ce mot.

En étudiant le schéma de Norbert Dupont893, nous n’avons pas trouvé

d’informations sur le degré de figement des expressions. Plusieurs linguistes

français ont étudié cette notion de figement. Alise Lehmann, linguiste française, et

Françoise Martin-Berthet, spécialiste du lexique, définissent les expressions figées

ou semi-figées dans leur livre Introduction à la lexicologie894, en s’appuyant sur les

études antérieures de Ferdinand de Saussure, d’Emile Benveniste, Charles Bally

et d’autres. Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet constatent qu’il existe des

degrés différents de figement des syntagmes, puisque parmi ces derniers,

« certains permettent l’effacement du deuxième composant et d’autres non »895. Il

nous semble alors indispensable de classifier les expressions comprenant le mot

État, proposés par Norbert Dupont, ainsi que ceux qui ne figurent pas dans son

schéma et que nous avons retrouvés au fil de nos recherches. Nous utiliserons

différentes sources, telles que les dictionnaires de langue française, par exemple

le Nouveau Petit Robert qui propose un grand nombre d’expressions comportant

le mot État. Ce dictionnaire ne nous renseigne pas sur leur nature, ce qui

complique notre tâche car nous devons définir de quel type d’expression il s’agit. Il

nous a également semblé nécessaire de recourir aux dictionnaires spécialisés tels

que le dictionnaire analogique, le dictionnaire de cooccurrences, celui des

892 Dupont N., « Les familles de patrie, état, nation », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.175. 893 Voir Annexe XI, p.462. 894 Lehmann A., Martin-Berthet F., Introduction à la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2005, 214 p. 895 Ibid., p.181.

Page 313: dans les langues

312

expressions et locutions et celui des combinaisons de mots.

D’une part, nous pensons que les dictionnaires de collocations sont

indispensables, car ils facilitent l’analyse de la combinatoire des mots. C’est

notamment le point de vue d’Agnès Tutin selon lequel « l’accès aux collocations y

est systématisé et la couverture en collocations nettement plus importante » 896,

Agnès Tutin a tiré cette conclusion, après avoir comparé les dictionnaires de

langue, tels que le Petit Robert Electronique et le Trésor de la langue française

informatisé (TLFi), aux dictionnaires spécialisés comme le Dictionnaire de

cooccurrences de Beauchesne et au Lexique actif du français.

D’autre part, nous ne nous sommes pas limitée aux dictionnaires de collocations

et avons également étudié les dictionnaires de langue. Nous partageons l’avis

d’Agnès Tutin, quand elle met en évidence la nomenclature limitée des

dictionnaires de collocations, par rapport aux dictionnaires de langue, qui « ont

eux l’avantage de couvrir un large pan de la langue »897. Elle souligne, par

exemple, la souplesse de l’interface informatique du TLFi qui sert à rechercher les

syntagmes et à les afficher. Ainsi, le TLFi propose un nombre conséquent de

collocations et de CLS accompagnées des informations syntaxiques et

sémantiques.

5.1.1. Les expressions et les noms composés

Le problème réside pour nous dans la confusion terminologique de la définition

des mots composés et des expressions figées. Comme le précisent Alise

Lehmann et Françoise Martin-Berthet, les marques morphosyntaxiques aident à

distinguer le mot composé de l’expression figée : par exemple le trait d’union. Il

existe en effet des débats sur le fait que l’absence de ces marques, comme le trait

d’union, ne peut pas signifier qu’il ne s’agit pas d’un composé. Alise Lehmann et

Françoise Martin-Berthet considèrent à la mode, en forme, comme des

896 Tutin A., « Le dictionnaire de collocations est-il indispensable ? », in Revue française de linguistique appliquée, V.X-2, décembre 2005, Amsterdam : Edition De Werelt, 2005, p.31-45. 897 Ibidem.

Page 314: dans les langues

313

conversions. Selon d’autres théories, un lien graphique comme le trait d’union ne

peut à lui seul justifier l’existence d’un mot composé.

Nous partageons l’opinion du linguiste français Gaston Gross, qui prétend que

c’est une vision simpliste de dire que les mots composés sont ceux qui ont un trait

d’union. Dans son ouvrage Les expressions figées en français, Gaston Gross

propose de distinguer parmi les mots construits :

- les mots dérivés,

- « les mots polylexicaux (ou mots complexes), correspondant à toute une

unité (ou catégorie grammaticale ou partie de discours) composée de deux

ou plusieurs mots simples ou mots dérivés »898.

Gaston Gross souligne que « les mots polyléxicaux (ou complexes) peuvent être

soudés… ou comporter un séparateur (blanc, apostrophe, trait d’union, etc.) »899.

Il propose de distinguer les unités polylexicales sémantiquement opaques, comme

moulin à paroles, de celles qui ne le sont pas, comme moulin à huile. Le linguiste

soulève, d’une part, le problème du figement sémantique et du figement

syntaxique, qui, à son avis, ne doivent pas être séparés, car ce sont deux aspects

d’un même phénomène et, d’autre part, celui de la polysémie du terme composé.

Le TFLi considère comme des syntagmes l'État-nation, l'État-parti, l'État-patron,

l'État-providence, Super-État900. En revanche, ce dictionnaire ne nous renseigne

pas sur la nature de ces syntagmes. Nous considérons super-État comme

intermédiaire entre un dérivé et un mot composé, mais plus proche d’un dérivé.

De ce fait nous l’analyserons dans notre sous-chapitre consacré aux dérivés.

En ce qui concerne État-nation, État-parti, État-patron, État-providence, État-

arbitre, État-voyou901, État-gendarme, État-nation, état-major, État-moloch, État-

monopole, État-patron, État-providence, tiers-état, états généraux …, nous

898 Gross G., Les expressions figées en français, Paris : Ophrys, 1996, p.7. 899 Ibidem. 900 Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), http://atilf.atilf.fr/tlf.htm, Consulté le 21 novembre 2010. 901 Lexique de science politique. Vie et institutions politiques. Paris : Dalloz, 2008, p.189-194.

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314

considérons qu’il s’agit de termes composés nom + nom. Comme le souligne

Gaston Gross, les vocabulaires des langues des spécialités abondent en noms

composés. Le linguiste regrette cependant que dans la terminologie la

composition nominale reste peu développée, d’un point de vue linguistique, et que

l’on « considère les composés comme des termes correspondant à une

structuration préalable des concepts du domaine »902. Essayons d’éclairer certains

aspects de leur comportement linguistique.

Analysons le cas d’état-major. Le sens moderne du terme état-major, mentionné

dans le Nouveau Petit Robert, est celui d’« ensemble des officiers et du personnel

attachés à un officier supérieur ou général comme agents d’élaboration et de

transmissions des ordres »903. Si nous traduisons en russe ce terme dans son

sens actuel, nous obtenons 904:

état-major штаб (štab)

Nous pensons que ce terme composé n’est pas sémantiquement opaque car le

sens global est déduit de celui des éléments composants.

Il est intéressant de noter qu’Igor’ Mel’čuk considère l’expression à l’ÉTAT-MAJOR

comme collocation905, c’est-à-dire une locution semi-figée, puisque elle désigne la

tête d’un groupe et non plus les chefs militaires.

Jean Dubois, auteur du Vocabulaire politique et social en France de 1869 à

1872906, mentionne que ce vocabulaire est riche en unités phraséologiques et cite

entre autres l’exemple « État-monopole » :

1870 C. Armand, Conférence, 13 janv., in Et.hist…., 62

902 Gross G., op.cit., p.27. 903 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928. 904 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, p.423. 905 Mel’cuk I., « Les collocations : définition, rôle et utilité », in Les collocations : analyse et traitement, Amsterdam : Editions « De Werelt », 2003, p.26. 906 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, 460 p.

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315

Il y a surtout un danger immense à éviter, c’est l’État-monopole. Gardons-

nous, Messieurs, de concentrer entre les mains d’un pouvoir quelconque une

puissance aussi grande que celle de la fortune publique907.

Nous voyons qu’il s’agit ici d’une incitation à éviter de faire de l’État, un pouvoir

politique, un monopole dans le domaine économique. Nous avons déjà analysé

l’association de monopolija (monopole) au mot gosudarstvo, mentionnée dans le

Dictionnaire associatif du russe et nous avons vu qu’il peut s’agir de différents

sens du terme monopole.

Nous pensons qu’il est difficile de considérer État-monopole comme une unité

phraséologique, mais qu’il s’agit plutôt d’un terme composé, de même pour État-

patron, État-voyou ou autres. Ces termes représentent avant tout une idée ou des

concepts relevant de science politique. Nous avons analysé dans notre deuxième

chapitre les syntagmes de caractère métaphorique : État-patron, État-providence,

État-arbitre, État-gendarme. Nous avons également étudié la personnification de

l’État à travers ces notions définies dans les dictionnaires spécialisés. Nous nous

arrêtons sur les exemples non analysés jusqu’à présent, tels qu’État-moloch et

État-voyou, qui ont aussi pris leur source dans la métaphore. Le premier sens du

terme moloch est celui de « divinité ammonite, représentée par un homme à tête

de taureau, à qui l'on sacrifiait par le feu des victimes humaines, surtout des

enfants; représentation de cette divinité ». D’où son deuxième sens d’ « individu,

institution ou chose barbare, cruelle, qui exige des sacrifices »908.

Nous trouvons dans le Dictionnaire de la science politique et des institutions la

notion d’État-voyou, qui sert à définir « un État qui se place hors du droit et de la

morale « internationale » (« Rogue State ») »909, apparue sous la présidence de

Bill Clinton. Ce dictionnaire fait référence à un autre concept, celui d’État-brigand,

proposé par Jean Bodin. Ce syntagme présente un caractère métaphorique. Nous

907Ibid., p.347. 908 Le Trésor de la langue française informatisée, http://www.cnrtl.fr/definition/Moloch, Consulté le 12 janvier 2010. 909 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigé par G.Hermet, Armand Collin, p.115.

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316

avons précédemment évoqué la comparaison de l’État à une personne criminelle

dans le discours français. L’association de l’État à un brigand possèderait-elle une

valeur plus péjorative que celle de l’État à un voyou ?

Nous pouvons mettre ces termes dans la classe des mots composés formés par

association. Comme nous l’avons précédemment précisé, nous percevons des

concepts à travers d’autres concepts, d’où la composition nominale. Par

conséquent, il nous est apparu difficile de considérer ces derniers comme unités

phraséologiques. Cette situation ambigüe concerne aussi les expressions telles

que État fantoche910 et État tampon911. De son côté, Sylvianne Remi-Giraud

classe État tampon parmi les collocations. Nous pensons qu’il pourrait s’agir ici

des collocations « conceptuelles », terme proposé par Ulrich Heid, cité dans

l’article d’Agnès Tutin et Francis Grossman « Collocations régulières et

irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatif »912. Ulrich Heid fait

la distinction entre les collocations « conceptuelles », qui sont prédominantes en

terminologie et les simples collocations « lexicales », lesquelles prédominent

dans la langue générale. De plus, ces collocations ont souvent un caractère

métaphorique.

Le Nouveau Petit Robert cite un nombre important d’expressions que nous avons

décidé de réunir dans un seul groupe913 :

Affaire d’État, crime d’État, coup d’État, raison d’État, secret d’État, un État

dans l'État

910 Les termes de gouvernement fantoche, État fantoche ou régime fantoche sont des expressions péjoratives pour un gouvernement lequel — bien que formellement autochtone et issu du peuple — doit son existence à un pouvoir plus puissant, fréquemment étranger, qui lui dicte son action et dont il défend les intérêts. 911 Situé entre deux ou plusieurs grandes puissances et soustrait à leur influence afin de les séparer et de réduire ainsi la possibilité de conflits entre elles, l'État tampon doit garder politiquement une distance égale par rapport à chacun de ses voisins. Encyclopédie universalis, http://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-tampon/, Consulté le 25 mars 2010. 912 Tutin A., Grossmann F., « Collocations régulières et irrégulières : esquisse de typologie du phénomène collocatif », in Revue française de linguistique appliquée, Edition de Werelt, V.VII-1, juin 2002, p.22. 913 Le Nouveau Petit Robert, op.cit., p.928.

Page 318: dans les langues

317

À notre avis, ces expressions ont toutes un point commun, car elles peuvent

prendre un sens figuré et devenir une métaphore.

Dans le Dictionnaire des expressions et locutions, Alain Rey et Sophie Chantreau

définissent les expressions suivantes affaire d’État et coup d’État de la façon

suivante914 :

Affaire d’État, se dit par ironie d’une affaire que l’on traite comme si elle

était de la plus haute importance (le sens initial est « affaires de l’État, au

XVIe siècle) ;

Coup d’État « action violente, coup de force de caractère politique, de

nature à changer l’exercice du pouvoir ». L’expression est lexicalisée, et

s’inscrit dans la série de révolution, putsch, etc. Mais la possibilité de

dislocation des éléments, suscitant d’autres valeurs, est illustrée, par

l’exemple suivant :

On dit : coup d’État.

On dit aussi : coup de poing, coup de bâton.

L’État est donc bien quelque chose avec quoi l’on cogne :

Bâton, massue ou pomme cuite.

A. Jarry « Les Contes de l’histoire ». Le Canard sauvage, 28 juin-4 juillet

1903.

Nous voyons que l’expression affaire d’État, provenant d’affaires de l’État est

souvent employée au sens ironique dans la presse d’aujourd’hui, comme dans cet

extrait du journal Les Echos :

Le naufrage des Bleus devient une affaire d'État 915

On la retrouve dans ce même journal avec son sens initial :

914 Rey A., Chantreau S., Dictionnaire des expressions et locutions, Paris : Dictionnaires le Robert, 1989, p.495-496. 915 http://www.lexpress.fr, Consulté le 12 octobre 2010.

Page 319: dans les langues

318

Comment une affaire de famille est devenue une affaire d'État ...916

Quant à la locution coup d’État, nous pensons qu’il peut s’agir de la combinaison

lexicalisée spécialisée, car le coup d’État n’est plus un coup, c’est une conquête

ou une tentative de prise du pouvoir par des moyens hors la loi supposant la force.

En revanche, la locution coup d’État est aussi définie au sens figuré par le

Dictionnaire de l’Académie française comme « Tout ce qui est décisif dans

quelque affaire importante. Ce mariage fut un coup d’État dans cette famille

»917. Serait-il possible de considérer qu’il s’agit dans le deuxième cas d’une

métaphore ?

Nous constatons également que les expressions crime d’État et secret d’État, tout

en possédant leur sens propre, peuvent être employées au sens figuré dans le

langage courant. Cependant, dans la presse, elles sont souvent utilisées au sens

propre, en voici quelques exemples tirés du journal Le Point :

Les événements du 17 octobre 61 sont connus comme étant un grand

massacre qui a touché des Algériens à Paris. Pour la guerre de libération

nationale, pour nous Algériens, cette triste date restera dans l'histoire

comme un crime d'État918.

Frégates de Taïwan : un secret d’État919.

De plus, l’expression crime d’État est définie comme « tentative pour renverser les

pouvoirs établis »920, ce qui nous renvoie au vocabulaire spécialisé. L’expression

raison d’État est définie au sens propre comme « considération d’intérêt public

que l’on invoque pour justifier une action illégale, injuste en matière politique » et

au sens figuré « prétexte, raison donnée pour justifier une action »921. Dans

916http://www.lesechos.fr, Consulté le 12 octobre 2010. 917 Dictionnaire de l'Académie française, Institut de France. Paris : Firmin Didot frères, 1835, p.463. 918 « France-Algérie - 17 octobre 1961 : "Pour une reconnaissance, pas une repentance" », in Point.fr, publié le 17 octobre 2011. http://www.lepoint.fr/. Consulté le 23 novembre 2011. 919 Demonpion D., « Frégates de Taïwan : un secret d’Etat », in Point.fr, publié le 14 novembre 2003,http://www.lepoint.fr/. Consulté le 23 novembre 2011. 920 Robert, P. Le nouveau petit Robert., op.cit., p.928. 921 Ibidem.

Page 320: dans les langues

319

l’encyclopédie, nous trouvons l’origine de cette expression qui est considérée

comme une notion ancienne provenant de la tradition politique. D’après cette

source, ce concept se manifestait déjà chez Cicéron, ratio reipublicae. D'autres

expressions, empruntées au droit romain (utilité publique, raison de l'Empire…),

servirent de conducteurs aux concepts des juristes du Moyen Âge, dont les

analyses ont préparé le fondement des théories plus modernes, élaborées et

mises en pratique par Machiavel, Richelieu ou Cardin le Bret922. Aujourd’hui, cette

expression raison d’État est souvent employée dans la presse:

Ces derniers (les francophones) seraient alors davantage poussés par la

raison d'État et la peur que par leurs promesses électorales923.

Les plaignants ont accusé le parquet d'agir comme "bras armé de la raison

d'État ".924

Comme député, il a dû « faire retraite » face à un quarteron de généraux

que Mitterrand voulut réhabiliter pour « de fort mauvaises raisons

déguisées en raison d'État »925.

Il est aussi intéressant d’analyser les locutions, comme créer, être, former, devenir

un État dans l'État, qui servent à « exprimer le fait qu'un groupe (parti, entreprise

industrielle, corporation) acquiert un pouvoir tel au sein de l'État qu'il peut

échapper à son autorité, voire lui dicter ses volontés »926. Ces expressions sont

reprises très souvent dans la presse :

922 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2005, p. 322. 923 « Interview : Crise belge : « Nous sommes dans un véritable impasse », in Le Point.fr, publié le 15 juillet 2008, http://www.lepoint.fr/actualites-monde/interview-crise-belge-nous-sommes-dans-une-veritable-impasse/924/0/260579. Consulté le 12 février 2011. 924 « Poursuites relancées sur les biens « mal africains », in L’Express.fr, publié le 9 novembre 2010,http://www.lexpress.fr/actualites/2/poursuites-relancees-sur-les-biens-mal-acquis-africains_935128.html. Consulté le 1é février 21 février 2011. 925 Pierre-Brossolette S., « Les tourments d’un homme de principes », in Le Point.fr, publié le 2 février 2010, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/425516. Consulté le 1é février 21 février 2011. 926 Le Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/, Consulté le 22 septembre 2010.

Page 321: dans les langues

320

En croire la note, elle (la Gendarmerie des transports aériens) serait

devenue un État dans l'État, jusqu'à influencer les juges dans le choix des

experts. 927

Ses adversaires l'accusent (le Hezbollah) du même coup d'être devenu un

État dans l'État…928

De son côté, dans son ouvrage Les stéréotypes linguistiques en russe :

sémantique et combinatoire929, Vladimir Beliakov distingue un type particulier de

collocations – les collocations périphrastiques, dont « la particularité réside dans

le fait que ces suites se substituent à une unité monolexicale et renvoient au

même référent que celle-ci »930. Le linguiste précise que l’on peut appeler une

expression une collocation périphrastique, si la dernière rassemble trois

éléments : « l’élément périphrasé, l’élément périphrasant et le prédicat sémantique

associé à l’élément périphrasant »931. Selon Vladimir Beliakov, ces collocations

sont employées pour désigner les personnes, les lieux géographiques, les

institutions, les objets, les phénomènes et les espèces naturels et il cite, parmi

d’autres exemples, le suivant : « Ватикан « Vatikan » государство в

государстве « un État dans l’État »932. Cependant, en revenant aux exemples

cités plus haut, nous pensons qu’ils pourraient être plutôt qualifiés de métaphore.

En effet, il n’est pas question de la désignation d’une institution, comme dans

l’exemple de Beliakov, mais de l’emploi métaphorique : la Gendarmerie des

transports aériens serait devenue un État dans l'État.

5.1.2. Les collocations et les CLS comportant État

Nous avons retrouvé la liste des collocations comportant le mot État établie par

Sylvianne Remi-Giraud, qui se sert du corpus du Nouveau Petit Robert pour son

927 Decugis J.-M., Labbé C., « Les experts mis en cause » in Le Point.fr, publié le 28 janvier 2010, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/420507. Consulté le 22 janvier 2011. 928 « Portrait de Hezbollah, une puissance réligieuse et militaire montante » in Le Point.fr, publié le 9 mai 2008, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/244339. Consulté le 22 janvier 2011. 929 Beliakov V., Les stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et combinatoire, Dijon : Editions universitaire de Dijon, 2012, 209 p. 930 Ibid., p.69. 931 Ibid. 932 Ibid., p.72

Page 322: dans les langues

321

travail. Malheureusement, elle n’explique pas sur quelle définition de collocation

elle se base. Elle précise seulement qu’il s’agit d’un certain nombre d’ associations

usuelles et elle les classe « selon le domaine d’expérience dont elles relèvent :

identité, domaine géographique (Géogr.), civilisation, vie économique (Econ.),

politique (Pol.), juridique (Jur.), domaine militaire (Mil.), interaction (Inter.) »933.

Voici cette liste :

Géogr./Pol. Grands, petits États. Territoire, étendu, frontières d’un État. État

tampon. Divisions territoriales d’un État.

Polit. État unitaire. État fédéral, fédératif. Fédération, association d’États ;

États associés. L’U.R.S.S. était un État multinational. État sous mandat.

État mandat. État membre d’une communauté internationale.

Jur. États à capacité internationale normale. État protégé.

Inter. Relations entre États. Conflits entre États934.

Sylvianne Remi-Giraud conclut que, dans ces collocations, c’est le trait structurel

qui domine avec une forte présence du trait géographique quand il s’agit de

« délimitation de l’espace », tandis que le trait humain est absent. Comme nous le

constatons dans sa classification, Sylvianne Remi-Giraud ne se sert pas de la

définition de collocation proposée par Igor’ Mel’čuk935. Comme nous l’avons déjà

mentionné, les contours de la collocation sont « flous » et les linguistes prennent

en compte des critères différents dans leurs analyses. Nous pensons qu’ici

Sylvianne Remi-Giraud s’appuie sur la définition de la collocation proposée par

des linguistes anglo-saxons, que nous développerons plus loin. Il nous semble

important de préciser que la plupart de ces combinaisons appartient au lexique de

spécialité : juridique, politique, géopolitique. Par conséquent, il peut s’agir ici des

combinaisons spécialisées. Rappelons que, selon Marie-Claude l’Homme, les

collocations relèvent de la langue générale et les CLS de la langue spécialisée.

Toujours selon cette linguiste, les CLS comportent comme les collocations deux

933 Remi-Giraud S. « Le micro-champ lexical français : peuple, nation, Etat », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.34. 934 Ibidem. 935 Mel’čuk I., Clas A. Polguère A., Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire, Edition Duculot, 1995, p.46-47.

Page 323: dans les langues

322

lexèmes : la base ou mot clé (le terme) et le cooccurrent. Ainsi, dans la

combinaison État unitaire, le mot clé est État et unitaire est son cooccurrent.

Marie-Claude l’Homme distingue les formes de CLS suivantes936 :

T (terme) + verbe

T + nom (nom + préposition + terme)

T + adjectif (ou adjectif + terme)

En appliquant cette distinction et en reprenant la classification de Sylvianne Remi-

Giraud, nous obtenons le tableau suivant :

T + nom Nom + préposition +

terme

Terme + préposition +

nom

Terme + nom

territoire d’un État

étendue d’un État

frontières d’un État

Relations entre États.

Conflits entre États

Fédération d’États

association d’États

État sous mandat

État mandat

État membre

T + adjectif Terme + adjectif

Adjectif + terme

État unitaire

État fédéral, fédératif

États associés

État multinational

État protégé

Grand, petit État

936 L’Homme M.-C., op. cit., p.205.

Page 324: dans les langues

323

Ce tableau démontre la présence de nouvelles formes de CLS : Terme +

préposition + nom, Terme + nom, ainsi que l’absence de la forme Terme + verbe.

Toutefois, nous nous demandons si les locutions, comme territoire d’un État,

étendue d’un État, frontières d’un État, ou grand, petit État, font vraiment l’objet

d’entrées de lexique spécialisé ou sont simplement combinaisons libres. En effet,

la délimitation des frontières entre CLS et combinaisons libres est difficile, mais

nous pensons que ces expressions entrent plutôt dans le cadre des combinaisons

libres que des CLS.

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’expression État tampon ne figure pas dans

ce tableau, car elle peut être considérée comme une collocation « conceptuelle »

à valeur métaphorique.

Afin de révéler d’autres CLS ou collocations comportant le mot État, nous nous

référons également aux dictionnaires de locutions, de cooccurrences et

combinatoires.

Dans le Dictionnaire analogique de la langue française, nous avons trouvé les

séquences suivantes937 :

Bureaucratie de l’État, suppression de l’État, confédération d’États,

reconnaissance d’un État, service de l’État, dépérissement de l’État,

subvention de l’État, ministre/secrétaire d’État, le char/les rouages /le

vaisseau de l’État

Dans notre deuxième chapitre, nous avons déjà évoqué l’importance des

expressions à valeur métaphorique. D’un côté, les séquences telles que : le

dépérissement de l’État, le char/les rouages /le vaisseau de l’État peuvent être

considérées comme collocations à valeur métaphorique. Les sources de ces

collocations sont différentes : le dépérissement de l’État est une métaphore

corporelle, l’État est comparé à un organisme ; pour le char de l’État et le vaisseau

de l’État il est fait référence au transport et pour le rouage de l’État il s’agit d’une

937 Dictionnaire analogique, Paris : Les Dictionnaires Robert, 1985, p.242-243.

Page 325: dans les langues

324

métaphore mécanique. D’un autre côté, selon la définition d’Igor’ Mel’čuk, ce ne

sont pas des collocations mais des métaphores.

Nous nous sommes également servie des résultats du dictionnaire de

cooccurrences, en rappelant qu’il est important de ne pas confondre une simple

cooccurrence avec une collocation, cette dernière n'admettant pas de variation

dans l'association des mots ou avec un CLS.

Voici la liste des cooccurrences avec le mot État présentées dans son

dictionnaire par Jacques Beauchesne938 :

État autocratique, autonome, centralisateur, (dé)centralisé, chancelant,

défaillant, (in)dépendant, despotique, déstructuré, (in)efficace, faible,

florissant, fort, géant, grand, hypertrophié, justicier, minimal, minuscule,

modeste, omnipotent, patron, petit, populeux, (omni)présent, protecteur,

(tout)puissant, répressif, riche, (pleinement) souverain, tatillon, unitaire.

Administrer, affaiblir, créer, dégraisser, désengager, diriger, faire reculer,

gouverner, servir, soutenir, troubler un/l’ ; attenter, intriguer contre un/l’ ; se

séparer d’un ; réduire la part /la taille de l’État. L’État s’affaiblit, se délite,

s’effondre.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, il nous semble très difficile, dans

certains cas, de délimiter les frontières entre les CLS et les combinaisons libres ou

simples cooccurrences. Selon Sylvianne Remi-Giraud, les séquences grand État,

petit État sont des collocations ayant un caractère dimensionnel. D’autres, comme

État (dé)centralisé, État souverain, État unitaire, possèdent un trait structurel bien

prononcé. Nous ne réfutons pas l’idée de la prédominance de tel ou tel trait

sémantique au sein de ces séquences, mais croyons qu’il serait plus judicieux de

considérer État (dé)centralisé, État souverain, État unitaire, comme CLS, car ces

combinaisons appartiennent à la terminologie politique et juridique. Par contre,

grand État, petit État entrent dans le cadre des combinaisons libres. Nous

pouvons également préciser que ce dictionnaire contient une autre forme, Verbe +

Terme, par exemple administrer, créer, diriger, gouverner un État.

938 Beauchesne J., Dictionnaire des cooccurrences, Montréal : Guérin, 2001, p. 140-141.

Page 326: dans les langues

325

Le Dictionnaire combinatoire du français de H. Zinglé et M. Brobeck-Zinglé

mentionne aussi quelques combinaisons de type Verbe + Terme939 :

• Constituer un État dans l’État : phr. Acquérir à l’intérieur de l’État une

autonomie incompatible avec les prérogatives de l’État ;

• ébranler l’État : phr. Menacer l’État ;

• faire un coup d’État : phr. organiser un coup d’État ;

• former un État dans l’État : phr. Constituer un groupe puissant sur lequel

l’État n’a aucun contrôle ;

• rattacher, réunir une province à un État, reconnaitre un État (admettre la

légitimité d’un État).

Les auteurs de ce dictionnaire ne nous renseignent pas sur le degré de figement

des unités, qu’ils considèrent comme phraséologiques, d’où le problème de leur

classification. Il est clair pour nous qu’il est question d’unités appartenant au

lexique spécialisé, donc, que ces combinaisons peuvent être prises pour CLS.

Autrement dit, dans le domaine politique, on dira faire un coup d’État plutôt que

monter un coup d’État.

Enfin, le Dictionnaire des combinaisons de mots940 consacre tout un article au

terme État, où il mentionne plusieurs combinaisons, sans préciser leur

classification:

État nom masc. (nation)

Industrialisé, capitaliste, colonial, démocratique, fédéral, (bi)-national,

autonome, indépendant, souverain, de droit, voisin, étranger, membre, les

États membres de l’Union européenne

Grand +nom, puissant, riche, omnipotent, autocratique, despotique, totalitaire,

dictatorial

Petit+nom, faible, chancelant

939 Zinglé H., Dictionnaire combinatoire du français : expressions, locutions et constructions, Paris: La Maison du dictionnaire, 2003, p.442-443. 940Dictionnaire des combinaisons de mots, sous la direction de Dominique Le Fur, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2007, p.340, p.211.

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326

Verbe + État

Constituer, créer

Administrer, diriger, gouverner

Renforcer,

Affaiblir

Voir aussi coup d’État

Coup d’État nom masc.

coup d’État + adjectif

Militaire

Réussi

verbe+ coup d’État

Fomenter, préparer, diriger, être à la tête, prendre la tête de.

Nous remarquons que les auteurs de ce dictionnaire utilisent la description

syntaxique : Nom + adjectif, adjectif + nom, verbe + nom, plus efficace que celle

où les cooccurrents sont rationnellement énumérés à la suite d’un terme, parce

qu'elle permet de repérer plus rapidement les CLS. A notre avis, toutes ne

relèvent pas des CLS, car dans certains cas les frontières entre ces dernières et

les combinaisons libres sont floues. Cela concerne les combinaisons telles que :

État puissant, riche, despotique, chancelant et renforcer, affaiblir l’État, qu’on peut

considérer comme combinaisons à valeur métaphorique. La même remarque

s’applique aux séquences grand, petit État, déjà mentionnée.

5.1.3. Comparaison avec d’autres langues

Il nous a semblé judicieux de comparer les collocations comportant le mot État à

celles du mot anglais State. L’Oxford Collocations Dictionnary en propose les

suivantes941 :

State

2. country/gouvernement

941 Oxford collocations dictionnary for students of English, Oxford: Oxford university press, 2002, p.747.

Page 328: dans les langues

327

• Adj. Independent, nation, sovereign; foreign; democratic, one-party,

socialist, totalitarian, etc.; member; powerful, strong; weak; neighbouring

• State + Noun enterprise, monopoly; control, ownership; sector,

system; education, school; aid, funding, funds, subsidy, support; benefit,

pension; intervention; spending; employee; secret.

• Affairs/matters of state; head of state.

État

2. pays/gouvernement

• Adj. Indépendant, État -nation, souverain ; étranger ; démocratique, à

parti unique, socialiste, totalitaire… ; État -membre, puissant, fort ;

faible, voisin

• État + Nom entreprise publique, monopole d’État, contrôle de l’État,

propriété de l’État, secteur d’État, système d’État, enseignement

public ou enseignement d’État, école publique ; aide d’État,

ressources d’État, subvention de l’État, support de l’État ; profit

(intérêt) de l’État, pension sur l’État, intervention de l’État, dépenses

de l’État ; employé de l’État (fonctionnaire), secret d’État

• Affaires d’État, chef d’État.

Nous avons également consulté le BBI Dictionnary of English Word

Combinations942:

State (governement) 1. To establish, found, set up a state. 2. to govern,

to rule a state. 3. A buffer; client; garrison; independent; police ; puppet ;

secular, sovereign ; welfare state. 4. A member (the member States of

the UN)

1. Créer, fonder un État. 2. gouverner un État. 3. État tampon, État à la

solde d’un autre, État-garnison ; État indépendant ; policier ; fantoche ;

laïque, souverain ; État-providence. 4. État membre (membre de l’ONU).

942 The BBI Combinatory dictionnary of English, complied by Morton Benson, Evelyn Benson et Robert Ilson, Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins publishing company, 1986, p.236.

Page 329: dans les langues

328

Nous rencontrons deux problèmes dans l’analyse comparative des collocations

relevant de ces deux langues. Le premier problème réside dans la définition du

terme collocation dans le monde anglo-saxon. En effet, dans son article943,

Williams Geoffrey développe la définition des collocations de l’école britannique,

qui privilégie une approche contextualiste. Il remarque que dans le BBI Dictionnary

of English Word Combinations « les collocations sont des syntagmes bien formés

et sont extraites conformément aux techniques classiques de la lexicographie,

essentiellement fondées sur l’intuition » et qu’elles « sont classées en fonction des

liens syntaxiques »944.

Williams Geoffrey souligne aussi l’importance des travaux réalisés, par exemple

par Kenneth Church, Patrick Hanks et Frank Smadja, en traitement automatique

des corpus, permettant de dégager les collocations. À la suite de ces travaux,

l’Université d’Oxford a crée l’Oxford Collocations Dictionnary à partir d’outils

statistiques, lesquels, à notre avis, ne permettent pas d’extraire toutes les

collocations. Nous croyons que ces deux dictionnaires se complètent et

témoignent de la nécessité d’utiliser, non seulement l’approche purement

formaliste, mais aussi d’adopter une approche lexicographique945.

Le deuxième problème est lié au fait que les combinaisons ne sont pas identiques

dans les différentes langues. Voici un exemple de cette différence culturelle de la

combinatoire des mots : neighbouring State et pays voisin, State entreprise et

entreprise publique, State school et école publique. La langue française préfère

les termes de pays et de publique au terme d’État. Selon la vision de l’école

conceptualiste, la collocation est un « phénomène psychologique peu

maîtrisable »946. Nous la considérons également comme phénomène culturel.

943 Geoffrey W., « Les collocations et l’école contextualiste britannique », in Les collocations : analyse et traitement, Amsterdam : Editions « De Werelt », 2003, p.33-45. 944 Ibid., p.43. 945 Williams Geoffrey souligne aussi que pour les besoins des dictionnaires d’apprentissage, il est important « d’adopter un certain pragamtisme qui exclut une formalisation trop rigoureuse ». 946 Ibid., p.44.

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329

Conclusion

Contrainte de nous limiter dans notre recherche, nous avons choisi de nous

focaliser sur quelques expressions comportant le mot État, sans pouvoir prétendre

au caractère exhaustif de notre étude. Nous nous sommes d’abord confrontée au

problème de la délimitation des frontières de figement au sein des expressions

étudiées. Néanmoins, nous avons pu dégager un certain nombre de séquences

contraintes, notamment de collocations et de combinaisons lexicalisées

spécialisées. Nous avons également mis en évidence la possibilité de combiner le

terme État avec plusieurs verbes dans certaines CLS, comme dans constituer,

créer un État ou administrer, diriger, gouverner un État. Marie-Claude l’Homme

cite plusieurs chercheurs, tels que Heid ou Martin, qui ont démontré que « la

généralisation des combinaisons à des ensembles de mots clés sémantiquement

apparentés semble très productive en terminologie »947. Elle note l’apparition de

ce phénomène dans le domaine de l'informatique, en précisant qu’il est possible

de dénombrer plusieurs cooccurrents verbaux pour un terme donné. Serait-il

également envisageable que certaines CLS admettent des variations dans les

associations de mots, malgré leur caractère lexicalisé ? Cette question, ainsi que

d’autres concernant la délimitation des frontières du figement, restent encore pour

nous sans réponse. Nous tenterons d’y répondre au cours de nos recherches

ultérieures.

N’oublions pas que nous nous intéressons, comme Sylvianne Rémi-Giraud, aux

traits sémantiques prédominants au sein des expressions. Contrairement à cette

linguiste, nous ne nous limitons pas aux collocations et insistons sur le trait

humain que contiennent les expressions :

Humain : (personnification) l’État-nation, l’État-patron, l'État-arbitre, L’État –

gendarme, l’État-voyou, État fort, faible, tout-puissant, modeste, juste,

riche ; chef, homme, ministre, secrétaire d’État, l’État s’affaiblit…

947 L'Homme, M.C., « Caractérisation des combinaisons lexicales specialisees par rapport aux collocations de langue generale », in Fontenelle, T. et al. (Eds.) Proceedings EURALEX '98, Universite de Liege: Liege, 4-8 aout 1998, p.117.

Page 331: dans les langues

330

Malgré l’apparition du trait humain, nous constatons, néanmoins, avec Sylvianne

Remi-Giraud, la prédominance du trait structurel avec une forte présence du trait

géographique.

Enfin, il serait judicieux de rappeler les résultats du Dictionnaire des associations

verbales du français à propos des réactions au stimulus état948: de droit, policier,

centralisé, fédéral, frontière, gendarme, souverain... Ces réactions peuvent former

les syntagmes tels qu’État de droit, État policier, État gendarme État fédéral,

frontière d’État, État centralisé, État souverain. Nous croyons en l’importance de

ce dictionnaire comme outil d’analyse des régularités morphosyntaxiques des

combinaisons et dans l’apprentissage du français.

5.2. Les dérivés du mot État dans les dictionnaires et dans le discours

Avant d’analyser les dérivés possibles du mot État, nous voulons rappeler que

c’est la formation synchronique qui nous intéresse en premier lieu. Sur le plan

synchronique, les mots se repartissent en général en mots simples et mots

construits949. Notre but est de définir à quel type appartient le mot État, ainsi

qu’exposer les liaisons qui peuvent exister entre ce mot et ses dérivés, ou les

mots composés formés à partir de son radical. Cependant, l’approche

diachronique qui consiste à préciser l’histoire de la formation des mots est

également importante. Nous allons donc essayer de tracer au fur et à mesure

l’évolution temporelle des dérivés du mot État.

5.2.1. Le schéma de Norbert Dupont

L’approche diachronique a été mise en application par Norbert Dupont, qui a décrit

les dérivés du mot État selon l’ordre chronologique de leur formation950 :

1880 étatisme 1 [doctrine qui préconise l’extension du rôle de l’État]

948 ‹http://ccfit.nsu.ru/arom/old/test/dictaverf/. Consulté le 25 mars 2010. 949 Mitterand, H., Les mots français, Que sais-je ? Paris : Presses universitaires de France, p.24. 950 Dupont N., « Les familles de patrie, état, nation », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.175-176.

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331

1890 étatisme 2 [socialisme d’État]

1903 étatiste

antiétatiste

1905 étatiser [droit, puis économie]

1916 étatifier [id]

1918 étatique [« appareil, dirigisme étatique »]

1926 étatisation [action d’étatiser]

1976 parastatal [économie belge : semi-public].

C’est le dictionnaire historique951 qui détermine la liaison diachronique entre ces

dérivés. Nous avons déjà mentionné, dans notre premier chapitre consacré à

l’histoire et l’étymologie du mot État, qu’il vient de l’emprunt au latin classique

status, « action de se tenir » et « situation, position » ; mais il apparut tout d’abord

sous la forme estate (1213), puis estat (vers 1370). Nous pouvons donc

considérer que ce mot actuel est un mot simple qui a donné un nombre important

des dérivés présentés ci-dessous.

Nous observons d’abord une forte dérivation (huit dérivés), ce que confirme

l’opinion de certains linguistes français et russes, tels que par exemple Henri

Mitterand952 et Vladimir Gak, quand ils disent que la formation des mots est

toujours actuelle dans la langue française. Dans l’ouvrage consacré à la

comparaison des mots français et russes953, Vladimir Gak partage l’opinion

d’Henri Mitterand, quand il affirme que, bien que le français soit toujours considéré

comme la langue analytique d’origine, il a conservé une grande partie des dérivés

du vieux français et qu’il continue de produire un grand nombre de mots nouveaux

à l’aide de dérivation ou de composition. C’est surtout le discours ou la

terminologie qui produisent un grand nombre de mots nouveaux aujourd’hui, qui

ne sont pas toujours fixés par le dictionnaire de langue ou le dictionnaire

spécialisé.

951 Dictionnaire historique de la langue française sous la direction de A. Rey, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1998, tome 1, p.1322. 952 Mitterand, H., Les mots français, Que sais-je ? Paris : Presses universitaires de France, p.24. 953 Gak V.G., Besedy o francuzskom slove. Iz sravnitel’noj leksikologii francuzkogo I russkogo jazykov, Moskva: KomKniga, 2006, p.41.

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332

Nous avons déjà vu, dans le schéma de Norbert Dupont, que la suffixation est très

riche dans les dérivés du mot État : -isme, -iste, -ique, -iser. Nous verrons que la

préfixation et la composition sont aussi très importantes en ce qui concerne la

création de mots nouveaux. Ce phénomène de la langue française nous

rapproche de celui de la langue russe.

Nous pensons que les dérivés du mot État demandent une analyse plus détaillée :

nous commencerons par les dérivés formés à l’aide des suffixes, selon l’ordre

d’apparition des mots construits à partir d’État. Tout abord, il faut rappeler que

c’est Jean Dubois qui a étudié minutieusement la structure morphologique des

mots appartenant au vocabulaire politique et social en France, de 1869 à 1872954,

pour distinguer les procédés de formation du lexique politique et social, afin de

repérer quels sont les plus fréquents ou les plus spécifiques et quel rôle ces

procédés jouent dans le lexique. Cette analyse de Jean Dubois facilite notre

recherche. Cependant, comme elle est limitée à une période donnée, il est

nécessaire de l’élargir, pour pouvoir analyser d’autres procédés de formation plus

récents. La dérivation affixale est un phénomène d’autant plus intéressant, qu’il

nous permet de mettre en évidence le rôle important des morphèmes

grammaticaux, c’est-à-dire des affixes. Nous partageons l’opinion de Jean Dubois

que certains affixes possèdent un autre rôle que celui de marquer une catégorie

grammaticale, qu’ils servent à former des mots différents et à apporter des

significations nouvelles.

5.2.2. Suffixes –isme, -iste, -iser/-isation, - fier, -ique, -ité

« -Isme »

Le premier sens d’étatisme, apparu en 1880 est « doctrine ». Ensuite en 1890, ce

mot acquiert son deuxième sens, celui de système (socialisme d’État). Le suffixe

–isme, selon Jean Dubois, sert à apporter aux mots le sens de doctrines

(« garantisme », « unionisme » etc.) et de systèmes (« féodalisme »,

« capitalisme », « socialisme »). Cependant, Jean Dubois souligne la difficulté de

954 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, 460 p.

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différencier la doctrine du système dans le cas des mots en –isme, tels que

« communisme », « socialisme », « collectivisme »955... Il est intéressant de noter

que le Nouveau Petit Robert ne définit étatisme qu’en tant que « doctrine politique

préconisant l’extension du rôle, des attributions de l’État à toute la vie économique

et sociale »956 et ne propose pas de deuxième sens. Néanmoins, ce dictionnaire

contient des synonymes concernant les deux sens : le premier en tant que

doctrine, tels que dirigisme, planification et le deuxième tels que collectivisme,

socialisme, ainsi que les antonymes : individualisme, libéralisme, anarchisme.

Le concept d’étatisme suscite encore, actuellement, beaucoup de débats. Sa

synonymie avec le mot socialisme a été contestée, ce qui a fait dire à Julien

Coffinet, artiste et marxiste français (1907-1977) :

Nulle forme d'étatisme n'est le socialisme. En vérité ce n'est pas nouveau

et il est aisé de se référer aux textes socialistes qui l'ont, dès longtemps,

établi. 957

En réalité, ce concept d’étatisme a été perçu et appliqué de façon différente au fil

du temps. Par exemple, le keynésianisme, école de pensée économique fondée

par l'économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946), en était une

forme modérée où l'État avait un rôle à jouer dans le domaine économique,

notamment dans le cadre de la politique de relance. Son importance variait selon

les différents courants de cette école.

En France, la perception du mot étatisme est influencée par les partis politiques.

Ceux qui soutiennent l’idée d’une forte intervention de l’État dans la vie

économique et sociale construisent une image favorable de l’étatisme. Cependant,

au sein de chaque parti il peut exister des attitudes différentes envers ce concept.

955 Ibid., p.159-161. 956 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928. 957 Coffinet J., « L'étatisme et le capitalisme », in Masses no 2, février 1939, p. 74.

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D’après le Dictionnaire de la droite958, cette dernière a toujours défendu deux

points de vue opposés : « d’une part, l’étatisme, et de l’autre, la revendication du

libéralisme »959. Par exemple, pour le général de Gaulle, l’instauration d’un État

fort était une évidence incontestable : puisque il devait impérativement exister des

institutions assurant une autorité forte avec le chef d’État, son symbole. Autre

exemple concernant la Droite : Philippe de Villiers, président-fondateur du

Mouvement pour la France (MPF), parti politique d'inspiration souverainiste,

soutient l’étatisme.

Dans le discours politique d’aujourd’hui, le mot étatisme est souvent déprécié par

l’adjonction à ce mot d’adjectifs ou expressions qui le dévalorisent, comme par

exemple un étatisme désuet ou un fardeau d’un étatisme envahissant :

Vingt-cinq ans plus tard, il essaie d'enraciner encore le socialisme, au nom

du volontarisme politique, entre le libéralisme qui domine l'Europe, y

compris chez les sociaux-démocrates, et un étatisme désuet960.

Depuis plusieurs années maintenant, c'est proférer une banalité que de

prôner l'État minimal ou modeste. Pliant sous le fardeau d'un étatisme

envahissant, épuisée par des prélèvements obligatoires insupportables, la

société française nécessiterait un traitement radical de son obésité

administrative961.

La valeur péjorative peut être traduite aussi à l’aide de substantifs que l’on essaie

de présenter comme synonymes d’étatisme, comme dans la citation d’un des

membres du Parti socialiste Pierre Mauroy :

958 Dictionnaire de la droite sous la direction de Xavier Jardin, Larousse 2002, p.114. 959 Ibidem. 960 Fabius L., « Duels sans merci », in L’Express.fr, publié le 20 septembre 2004, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/duels-sans-merci_488562.html?p=2. Consulté le 24 juin 2010. 961 « Moins d’Etat ou mieux d’Etat », in L’Express.fr, publié le 26 septembre 1996, http://www.lexpress.fr/informations/moins-d-etat-ou-mieux-d-etat_618454.html. Consulté le 24 juin 2010.

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Dans une déclaration à l’AFP, il (Pierre Mauroy962) estime que l’entretien de

jeudi tend à « ridiculiser la France à l’étranger » car, pour lui, « le PCF est

l’exemple de tout ce qui dans le monde n’a pas fonctionné : totalitarisme,

centralisme, étatisme »…… 963

Jean Dubois souligne l’important développement du suffixe –isme dans le

vocabulaire politique affectif. Il cite plusieurs exemples de dérivés en –isme tels

que servilisme (l’idée de servilité, de bassesse), macairisme (régime

napoléonien)964 ... Aujourd’hui nous observons qu’il est un autre moyen très

efficace dans l’expressivité de l’affectif et peut être renforcé par l’emploi de deux

termes à sens opposé. C’est ce que nous allons constater dans l’extrait de

l’interview de Serge Regourd intitulé «Aujourd'hui se conjuguent affairisme et

étatisme» publié sur le site l’Humanité.fr :

De fait, l’histoire de la télévision publique est marquée par deux périodes :

d’abord la télévision du général de Gaulle, la « voix de la France », puis,

progressivement, un recul de l’étatisme au profit d’un affairisme triomphant

dont le scandale des animateurs producteurs est le cas le plus

emblématique. Or, aujourd’hui, on assiste à la réémergence synthétique

des deux phénomènes : l’affairisme et l’étatisme965.

Dans son ouvrage « Lire Vers la fin de la télévision publique ? »966, Serge

Regourd analyse les dangers de la réforme supprimant la publicité dans

l'audiovisuel public. Il emploi le mot affairisme, qui signifie « tendance à ne

s’occuper que d’affaires particulièrement lucratives à base de spéculation », ce

dernier créé en 1921 sur la base du mot affaire.967

962 Remarque de V.T. 963 http://www.humanite.fr/. Consulté le 24 juin 2010. 964 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.161. 965 Regourd S., « Aujourd’hui se conjuguent affairisme et étatisme » in L’Humanité.fr, publié le 24 octobre 2008, http://humanite.fr/node/38792. Consulté le 25 juin 2010. 966 Regourd S., Lire Vers la fin de la télévision publique ?, Éditions de l'Attribut, 2008. 244 p. 967 ROBERT, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.40.

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« -Iste », « -ique »

-iste

Comme le souligne Jean Dubois, dans le Vocabulaire politique et social entre

1869 et 1872968, les mots formés avec un suffixe en –iste désignent les partisans

d’un système social et politique, ou d’une doctrine. On peut constater que ce

procédé continue d’exister plus tard, car le mot étatiste apparaît en 1903 et

signifie, d’après sa forme, soit relatif à l’étatisme en tant qu’adjectif, soit un

partisan de l’étatisme en tant que substantif. Jean Dubois pose la question sur

l’interdépendance des termes en –isme et –iste. Sur le plan historique le terme en

–iste entraine celui en –isme. Le linguiste cite l’exemple du couple

communiste/communisme969, dont les textes de l’époque démontrent l’antériorité

de l’apparition du premier mot par rapport au second. Dans le cas

étatiste/étatisme, nous assistons au procédé inverse, car apparaît d’abord la

doctrine et donc le mot étatisme et ensuite le dérivé en –iste, étatiste.

Aujourd’hui ce dérivé semble répandu dans la presse française. Les journalistes

utilisent souvent l’adjectif étatiste dans les locutions suivantes : tradition étatiste,

culture étatiste, idéologie étatiste :

Le malheur voulut que notre tradition étatiste, le recours infantile à l'État

tutélaire et le conservatisme de nos élites s'accommodassent, à gauche

mais aussi à droite, de ce louvoiement. Il accouche d'un « modèle social »,

orgueil de l'« exception française » mais parrain, depuis trente ans, d'un

chômage incurable970.

968 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.162-165. 969 Ibidem. 970 Imbert C., « Gauche : avis de chantier », in Le Point.fr, publié le 21 juin 2007, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/189077. Consulté le 26 juin 2010.

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A cet égard, la France reste en Europe un des pays dont la culture étatiste

est la plus forte971.

D'abord l'idéologie étatiste de l'« exception française ». Elle aura vu l'État

papa, colbertiste et jacobin, tomber en quenouille et passer la main à l'État

mamma, couard et geignard972.

Dans ces extraits, l’État est à nouveau personnifié et le recours à la métaphore

familiale est évident, puisqu’il s’agit du rôle important de l’État dans la vie sociale.

Il est intéressant de noter que la France, en tant que pays, devient aussi étatiste,

ce qui revient à différencier le pays et l’État, ce qui est perceptible dans les

exemples suivants :

Mais Barroso a longtemps hésité à confier les services financiers à Barnier,

en raison des réticences de la Grande-Bretagne et de la City de Londres,

qui perçoivent la France comme étatiste et régulatrice973.

Afin de rassurer les Britanniques, qui perçoivent la France comme étatiste

et interventionniste, un garde-fou est prévu974.

Dans les exemples cités plus haut, sont utilisés des dérivés tels que colbertiste,

interventionniste, ce qui démontre que l’emploi de –iste est très courant dans la

presse française d’aujourd’hui.

971 « Pasca Perrineau, directeur du CEVIPOF, in le Point.fr, publié le 19 juin 2007, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/188823. Consulté le 26 juin 2010. 972 « Le piège français », in Le Point.fr, publié le 23 mars 2006, www.lepoint.fr/archives/article.php/27503. Consulté le 26 juin 2010. 973 « La France décroche les services financiers à Bruxelles, mais sous contrôle », in Le Point.fr, publié le 27 novembre 2009, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/399777. Consulté le 26 juin 2010. 974 Jean-Robert A., « La nouvelle Commission européenne dévoilée, un poste pour Michel Barnier », in Le Point.fr, publié le 27 novembre 2009, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/399738. Consulté le 26 juin 2010.

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338

-ique

L’adjectif étatique apparaît en 1918 avec le suffixe –ique et comme le suppose

Jean Dubois, les adjectifs en –ique se rattachent à la forme en – ie, ou plus

rarement des mots en –iste. Dans notre cas, il est difficile de juger si le mot

étatique dépend de la forme en –iste. D’un côté, la forme adjectivale et

substantive étatiste a été formée en 1903 avant l’adjectif étatique. D’un autre côté,

dans le dictionnaire de langue française, il est stipulé que le mot étatique vient

directement du mot État et le mot étatiste du mot étatisme, donc, la dépendance

entre ces deux adjectifs est peu probable. Comparons notre cas aux adjectifs

capitalistique et capitaliste que Jean Dubois cite dans son travail. Ici cette

dépendance est reflétée par la synonymie, quand l’adjectif capitaliste devient

substantif et, par suite, synonyme de système capitaliste975.

Le Nouveau Petit Robert définit l’adjectif étatique comme « qui concerne l’État »

et donne deux expressions : appareil étatique et dirigisme étatique.

Ces dernières sont utilisées aujourd’hui dans la presse :

La gauche française reste dans son rôle historique et sa vocation d'origine

en mettant toujours, quoique de moins en moins, l'appareil étatique français

au service de ce qui fut la grande illusion socialiste976.

Le rêve, la rumination utopiste a refusé d'assumer deux énormes évidences :

la première, c'est l'acceptation sans ambages de l'économie de marché ; la

seconde, c'est la conscience des dommages qu'y entretient un dirigisme

étatique où la providence d'État étouffe sous ses propres libéralités977.

975 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.170. 976 Imbert C., « La gauche, la droite et l’Etat », in le Point, 1997, www.lepoint.fr/, Consulté le 21 juin 2010. 977 Imbert C., « Gauche : avis de chantier », in Le Point, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/189077, Consulté le 25 juin 2010.

Page 340: dans les langues

339

Dans le deuxième exemple, l’expression dirigisme étatique, ainsi que la

personnification de l’État à travers le verbe étouffer, transmettent une péjoration.

D’autres exemples témoignent d’une connotation défavorable de l’adjectif étatique

tout à fait neutre d’origine. Voici un extrait de l’article « La démagogie étatique »,

sur le site Le Point.fr, dans lequel le titre lui-même contient une séquence libre

avec le mot étatique. La démagogie est « une politique par laquelle on flatte, on

exploite les sentiments, les réactions des masses »978.

Privée de privatisation, voici donc Air France livrée en tribut à l'intégrisme

étatique qui nous tient encore dans sa dépendance… Jospin - qui privatise

partout ailleurs - aura replié les ailes d'Air France dans le placard étatique

avec sans doute l'idée qu'elles s'en échapperont d'elles-mêmes, un jour ou

l'autre, sous son règne ou celui de son successeur...979

Les expressions métaphoriques intégrisme étatique et placard étatique servent à

rendre l’énonciation plus expressive. Un des sens du mot intégrisme est « attitude

de croyants qui refusent toute évolution »980, ce qui rapproche ces croyants et

l’État, ou plutôt le gouvernement qui ne veut pas changer sa politique en refusant

lui aussi toute évolution. Replier les ailes d’Air France dans le placard étatique

signifie aussi que l’État veut mettre à l’écart la réforme concernant la privatisation.

Il suffit de rappeler la collocation métaphorique machine étatique, analysée dans

notre deuxième chapitre, où Thomas Hobbes utilise cette locution. Il le fait dans un

contexte favorable, puisqu’il espère que l’État, en tant que machine, mécanisme,

pourrait travailler efficacement, en étant bien organisé ; aujourd’hui cette

collocation possède une connotation péjorative.

978 ROBERT, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.650. 979 Imbert C., « La démagogie étatique », in Le Point, publié le 13 septembre 1997, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/85431. Consulté le 25 juin 2010. 980 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1334.

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-Iser/isation

Jean Dubois affirme que le suffixe –iser (étatiser) est caractéristique des verbes

qui appartiennent au lexique politique et social. Il en cite de nombreux exemples :

aristocratiser, communaliser, dénationaliser, dépopulariser, despotiser, inégaliser 981… Ce suffixe a, dès le XVIIe siècle, joué un rôle important, a été renforcé au

XVIIIe siècle et a fini par remplacer ainsi le suffixe –fier. Dans le cas des verbes

étatiser et étatifier (transformer en administration d’État), nous voyons que dans

l’ordre d’apparition, le suffixe –iser arrive en premier en 1905. Son synonyme

étatifier a été formé plus tard en 1916. Avec le temps, le mot étatifier est remplacé

par son synonyme étatiser et aujourd’hui n’est pas mentionné dans le dictionnaire

de langue française. N’oublions pas que le verbe étatiser a deux synonymes

selon le dictionnaire de langue française : collectiviser et nationaliser, qui ont tous

deux le mêmes suffixe –iser. Ces deux verbes apparaissent avant étatiser, à la fin

du XIXe siècle et plus précisément, en 1842 pour nationaliser.

A partir du verbe étatiser est créé en 1926 le substantif en –isation étatisation.

Selon Jean Dubois, le groupe –iser/isation devient fréquent dans le lexique

politique et administratif : décentraliser / décentralisation, nationaliser /

nationalisation, collectiviser / collectivisation… Le mot étatisation possède deux

sens : « système économique dans lequel l’État gère certains services à

caractère industriel, commercial, agricole » et « action d’étatiser une entreprise ».

Par conséquent ce mot devient synonyme de nationalisation982. L’apparition du

verbe étatiser en 1905 et du substantif étatisation en 1926 est liée, à notre avis,

aux événements qui ont marqué la France, c’est-à-dire les nationalisations. La

première nationalisation à caractère économique a eu lieu en 1907. L'État a

nationalisé la « Compagnie ferroviaire de l'Ouest », en difficulté financière. En

1919, l'État prend le contrôle des mines de potasse d'Alsace. Ces deux premières

nationalisations avant les années 1930 furent exceptionnelles. En revanche, après

la seconde guerre mondiale, plusieurs nationalisations se succédèrent : d’abord le

Général de Gaulle nationalise par ordonnance, notamment, les houillères

981 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.166-167. 982 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.928.

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341

(14 décembre 1944), Renault, les transports aériens (juin 1945), la Banque de

France et les quatre plus grandes banques françaises (2 décembre 1945). En

1980-81 l’arrivée à la présidence de la République de François Mitterrand amène

une nouvelle vague de nationalisations.

Aujourd’hui nous rencontrons souvent ce mot étatisation dans la presse dans un

contexte péjoratif. Par exemple, sur le site de La Libération.fr dans le titre de

l’article « Agences Régionales de Santé : les syndicats dénoncent une

«étatisation» »983. Nous remarquons que le mot étatisation est ici entre guillemets

et que l’expression dénoncer une « étatisation » contient une appréciation

négative, car habituellement c’est un crime que l’on dénonce.

–ité

Nous avons retrouvé un autre dérivé « étaticité » qui n’est pas cité par Norbert

Dupont et qui est employé par certains spécialistes en sciences politiques, par

exemple par Eric Maulin984. Jean Dubois considère que les substantifs formés à

partir du suffixe –ité sont typiques du vocabulaire politique et social en France de

1869 à 1872. Les substantifs formés à l’aide de ce suffixe signifient l’état politique,

social et la doctrine. Selon Jean Dubois, les formes en –isme essaient de se

substituer aux dérivés en -ité à partir de 1830 : autoritarisme pour autorité,

égalitarisme pour égalité…985 N’oublions pas que des sens différents sont

contenus dans ce couple de substantifs en –ité et en –isme. D’autres couples en

–ité et en –isation, comme solidarité/solidarisation, collectivité/collectivisation…

existe en parallèle et suscite la différenciation des emplois.

983http://www.liberation.fr/societe/0101627732-agences-regionales-de-sante-les-syndicats-denoncent-une-État isation, Consulté le 25 juin 2010. 984 Eric Maulin dans son ouvrage « La théorie de l’État de Carré De Malberg » utilise ce terme : « L’État fédéral, par nature, ne peut générer qu’à une forme constitutionnalisée d’exercice du pouvoir constituant, soulevant à la fois la question de l’étaticité de l’État non souverain… » p.30. 985 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.169.

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342

Il est important de noter que le mot étaticité ne figure ni dans le dictionnaire de

langue, ni dans les dictionnaires spécialisés. Selon Mohammad-Saïd Darviche986,

ce terme est une traduction du terme anglais « stateness », qui a été introduit par

Juan Linz, spécialiste américain en science politique. Le concept d’étaticité

« suppose des degrés dans l’existence réelle de l’État »987 selon Juan Linz, qui

stipule qu’« il y a donc plusieurs niveaux dans l'étaticité (stateness) et dans le

processus de dissolution des États »988. Nous trouvons encore une définition de

stateness énoncée par Thomas Pfister :

Generally speaking, it is a varying quality of the state that makes it a state.

It is expressed in certain patterns of organization and authority and consists

of different elements and resources, many of them social institutions989.

En général, c’est une qualité variable de l’État qui fait l’État. Cela s’exprime

dans certains modèles d’organisation et d’autorité et consiste en éléments

et ressources différents, la plupart étant les institutions sociales.

Comme il est dit précédemment, à propos d’étaticité ; le terme stateness ne figure

pas non plus dans les dictionnaires de langue, ni dans les dictionnaires

spécialisés. Pourquoi néglige-t-on ces mots représentant un concept né du

discours des spécialistes en science politique ? Ce terme apparaît, en revanche,

dans le discours anglo-saxon. Voici un extrait d’un article publié par

l’hebdomadaire américain Politics & Governement Week990 le 2 octobre 2008 :

986 Mohammad-Saïd Darviche « Sortir de l'État-nation : Juan Linz avec et au-delà de Max Weber », in Revue internationale de politique comparée 1/2006 (Volume 13), p. 115-127. 987 Ibidem. 988 Linz J.J., « Construction étatique et construction nationale », traduit par Darviche Mohammad-Saïd, Genieys William, in Pôle Sud, N°7 - 1997. p. 5-26, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pole_1262-1676_1997_num_7_1_977. Consulté le 12 juillet 2010. 989 Pfister T., “From State to Stateness”, August 2004, site de Queen’s University Belfast, School of Politics and International Studies, http://www.qub.ac.uk/polproj/reneg/pdfs/Pfister-From_State_to_Stateness%20.pdf. Consulté le 12 juillet 2010. 990 http://www.highbeam.com/doc/1G1-185734909.html. Consulté le 15 juillet 2010.

Page 344: dans les langues

343

Can democratic peace theory be successfully applied when dealing with

the national identity or stateness question?

La théorie de la paix démocratique peut-elle s’appliquer avec succès,

quand on a affaire à l’identité nationale ou la question d’étaticité ?

La présence du terme stateness dans le discours, mais son absence dans le

dictionnaire peuvent témoigner d’une nouveauté de ce terme qui appartient à un

langage de spécialité et qui, en tant que néologisme, n’a pas encore été admis par

les lexicographes. Si le terme stateness apparaît dans la presse anglo-saxonne,

nous n’avons pas retrouvé la trace de celui d’étaticité dans la presse française.

Nous supposons que ce concept a été utilisé mais à travers d’autres mots

existants ou de syntagmes. L’attention particulière portée par les spécialistes

envers ce concept a engendré la création de termes nouveaux dans les langues

pour en exprimer l’idée.

5.2.3. Préfixes anti-, non-, pseudo-, quasi- para-, semi-, ultra-, Inter-, infra-, supra-

Anti-, non-

Norbert Dupont n’apporte pas de précisions dans sa classification concernant la

formation du mot antiétatiste991; il note seulement que ce mot est apparu en même

temps que le mot étatiste, en 1903. Jean Dubois classe le préfixe anti- parmi les

préfixes qui traduisent des rapports d’opposition ou d’hostilité (contre-, lèse-)992 et

précise que ce préfixe est normalement employé avec les mots désignant des

personnes. Ensuite, des substantifs se rapportant aux doctrines ont été formés et

il cite l’exemple du mot anticommunisme, qui est bâti sur anti-communiste. Il est

donc possible d’affirmer que, parallèlement, à partir d’antiétatiste a été créé le mot

antiétatisme. Nous observons la même chose pour l’adjectif antiétatique. Nous

pouvons ajouter ces deux dérivés à la liste de Norbert Dupont. Jean Dubois

991 Dupont N., « Les familles de patrie, État, nation », in Les mots de la nation. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, p.176. 992 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.146.

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344

précise que la composition avec anti- est toujours d’actualité et qu’il s’agit là d’un

procédé caractéristique du vocabulaire politique.

Le discours politique contemporain, notamment à travers la presse, a en effet

recours aux dérivés composés du mot État avec le préfixe anti-, tels que

antiétatique, antiétatisme ou encore antiétatiste. Voici des exemples d’un tel

emploi :

Alain Madelin est en pleine forme. A l'heure où, pour échapper aux lazzis

d'une opinion publique qui diabolise volontiers le capitalisme, les libéraux

font profil bas, l'ancien ministre au nez de boxeur remonte sur le ring

médiatique. Plus antiétatique que jamais. Malicieux993.

La gauche libertaire est la grande absente de la redistribution des

formations progressistes. Mais que désigne au juste ce mot de «libertaire»

un peu flou, repris tant par des anarchistes révolutionnaires que par des

libertariens de droite ? On peut en rappeler le spectre à travers les

concepts et les combats qui l’ont porté il y a quarante ans : l’autogestion, la

critique du travail, l’émancipation des mœurs, l’antiétatisme994.

Les expressions non-étatiste ou anti-étatiste sont même devenues le

sésame censé ouvrir la voie à une régénération du PCF, de son projet et de

ses modes d’action. Ainsi, à lire la plupart des interventions de

responsables communistes nous aurions été étatistes, et le serions

encore995.

993 « Alain Madelin », in Le Point.fr, publié le 23 avril /2009, http://www.lepoint.fr/actualites/2009-04-23/a-l-affiche-alain-madelin/1331/0/337277. Consulté le 21 septembre 2010. 994 Noudelmann F., « Où est la gauche libertaire ? », in Libération.fr, 2009 http://www.liberation.fr/politiques/0101309464-ou-est-la-gauche-libertaire, Consulté le 23 septembre 2010. 995 Le Lann E., « Sortir du communisme utopique » in La faute à Diderot.net, publié en avril 2008, http://www.lafauteadiderot.net/Sortir-du-communisme-utopique, Consulté le 23 septembre 2010.

Page 346: dans les langues

345

Il nous semble nécessaire d’analyser plus en détail le dernier exemple, dans

lequel est employé, à côté du mot anti-étatiste, un autre dérivé du mot État avec le

préfixe non-, que l’auteur de l’énoncé considère comme deux synonymes. A notre

avis, il ne s’agit que de synonymie partielle, car les préfixes non- et anti- ne

traduisent pas le même message sémantique.

Comme le précise Jean Dubois, le préfixe non- sert à traduire l’absence ou la

négation et aux XVIe et XVIIe siècles le nombre de dérivés construits avec ce

préfixe reste modeste, par rapport à son concurrent in-. Cependant, d’après lui, au

XVIIIe siècle, les composés deviennent plus fréquents, notamment dans le

langage commercial et juridique, et ensuite dans le lexique politique : « non-

émigration, non – cocardé, non –catholique, non-liberté »996. Le succès de ce

préfixe peut s’expliquer, selon Jean Dubois, par son caractère implicite qui, par

rapport à son concurrent in-, annonce la négation absolue. De plus, par

comparaison avec le préfixe anti-, nous constatons que le préfixe non- est plus

neutre, tandis que le préfixe anti- est plus fort, car il annonce l’opposition ou la

confrontation.

Par ailleurs, nous assistons aujourd’hui à la composition dans le discours de

nouveaux dérivés à partir du mot État, chargés d’une plus grande expressivité.

Voici un exemple tiré de la presse qui témoigne de la composition du mot anti-État

et ne figurant dans le dictionnaire moderne :

Et si les victimes innocentes du racisme - du racisme anti-État, anti-femme,

anti-adulte, anti-tout - c'étaient eux, les enseignants997 ?

En effet, le phénomène de création de mots nouveaux ou occasionnels à l’aide de

dérivation est répandu dans le discours politique contemporain. Certains de ces

mots pénètrent dans le vocabulaire politique si profondément, qu’ils obtiennent le

996 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.150. 997Dufay F., Jelen C., « Prof, le plus dur métier du monde », in Point.fr, 1996, http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2007-01-26/voile-violence-prof-le-plus-dur-metier-du-monde/920/0/94640, Consulté le 21 octobre 2010.

Page 347: dans les langues

346

droit d’être repris par certains dictionnaires spécialisés. Nous verrons que ce

phénomène est aussi connu en Russie et nous examinerons des exemples formés

à partir du mot gosudarstvo. Ce moyen sert à renforcer l’expressivité des paroles

que les hommes politiques ou les journalistes cherchent aujourd’hui dans le but

d’impressionner le lecteur. Comme nous avons pu le constater, les métaphores

conceptuelles jouent aussi ce rôle d’expressivité. Comme le note Roger-Gérard

Schwartzenberg dans son livre « l’État spectacle 2 » : « Expliquer, persuader,

convaincre par des arguments logiques : telle était naguère la démarche

principale, qui s’en remettait au jugement réfléchi des citoyens. Aujourd’hui

l’objectif majeur est différent : toucher, faire impression, attirer la sympathie »998.

On peut ajouter qu’il ne s’agit pas toujours de la sympathie et qu’en s’adressant

aux affects des auditeurs, l’énonciateur peut aussi vouloir susciter des émotions

défavorables : mépris, dégout, haine… Ainsi, dans l’exemple cité plus haut,

l’énonciateur essaie de provoquer le sentiment de pitié envers les enseignants,

victimes des « racistes » qui sont contre l’État, contre tout.

D’ailleurs, dans l’extrait de presse précédent, nous rencontrons un autre exemple

de formation de mots occasionnels : des libertariens de droite. Le mot libertarien

est formé à l’aide du suffixe -ien à partir du mot libertaire, qui désigne quelqu’un

« qui n’admet, ni reconnaît aucune limitation de la liberté individuelle en matière

sociale, politique999 ». Jean Dubois souligne la péjoration progressive du suffixe –

ien dans le vocabulaire politique et social, qui servait, à l’origine, à former des

dérivés de noms de peuples ou d’écrivains (bourbonien, garibaldien,

napoléonien…). Ce suffixe entre en concurrence avec le suffixe –iste car il existe

plusieurs dérivés synonymes comme : napoléonien/napoléoniste. Le suffixe -ien

commence à transmettre une valeur dépréciative, d’après Jean Dubois, comme

dans les exemples : rocheforien, trochien etc. Ainsi, à notre avis, l’auteur de

l’extrait de presse se veut ironique envers le libertaire, d’où l’emploi du mot

libertarien.

998 Schwartzenberg R.-G., L’État spectacle 2, Paris : Plon, 2009, p.16 999 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1436.

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347

La définition de ce terme est fixée aujourd’hui dans le Dictionnaire de la science

politique et des institutions politiques1000. Il s’agit en effet d’un terme américain

désignant un mouvement de personnes qui « défendent une théorie normative qui

assignant à l’État un rôle minimal de protection des citoyens contre l’usage de la

force indue, le vol, la fraude ou le non-respect des contrats, postule qui celui-ci

viole les droits individuels lorsqu’il outrepasse ce rôle » 1001. Ce mouvement s’est

développé aux États-Unis, principalement dans les années 1970.

Pro-

Le préfixe pro-, issu de l’élément latin ou grec pro- (grec ), antonyme de anti- et

non-, traduit le sens de «avant, devant», ou bien « l'idée qu'une chose (ou une

pers.) est favorable а une autre, partisan de »1002. Il n’est pas mentionné par Jean

Dubois. Cependant, il existe un nombre important de mots formés avec ce préfixe

qui appartiennent au vocabulaire politique et social tels que pro-gouvernemental,

pro-communiste, pro-occidental... Le préfixe pro-, comme le suffixe –iste, sert à

désigner les partisans d’une doctrine ou d’un phénomène politique, quelqu’un ou

quelque chose qui est favorable à une autre. Nous supposons que ce type de

dérivés commence à se développer plus tard dans le vocabulaire politique, soit

après 1872. Nous nous référons aux exemples cités par le Trésor de la langue

française qui datent du XXe siècle : pro-communiste. adj. Côté enseignants (deux

tiers syndiqués au SNES, tendance pro-communiste, ou au SGEN, tendance

CFDT, et un tiers de conservateurs) (Le Point, 13 juin 1977, p.108, col. 2)1003.

Nous observons que dans le discours contemporain, notamment dans la presse,

ce type de dérivés a acquis un sens péjoratif. Les journalistes ont souvent recours

à ce type de dérivation pour critiquer les partisans d’un phénomène ou d’une

doctrine ou pour les ridiculiser :

1000 Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigé par Guy Hermet, Paris : Armand Collin, 2010, 314 p. 1001 Ibid., p.164. 1002 Le Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/; Consulté le 25 avril. 1003 Ibid., Consulté le 25 avril 2010.

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348

En ceci les pro-Palestiniens et les pro-Israéliens se ressemblent jusqu'à la

caricature1004.

Ce groupe de pro-Sarkozy se réunit chaque semaine...1005

Le politologue pro-Kremlin Sergueï Markov y voit un effet de la volonté de

modernisation affichée par Dmitrij Medvedev depuis son élection, en mars

20081006.

Quelquefois, les adjectifs ou les substantifs formés à l’aide du préfixe pro-, qui

sont à l’origine neutres tels que pro-gouvernemental, pro-étatique, pro-

américain… ont une connotation péjorative dans un certain contexte :

Des milliers de militaires leur font face, et des manifestants royalistes pro-

gouvernementaux s'approchent régulièrement des barricades, déclenchant

des heurts avec les opposants1007.

Les mouvements de la nouvelle gauche se divisent entre ceux qui estiment

devoir faire revivre les positions des anciens opposants de la vieille gauche

(les anarchistes / les sections des nationalistes culturalistes) et dénoncer

toute orientation vers l’activité étatique, et ceux qui déclarent simplement

que la stratégie pro-étatique est exagérée ou omet des thèmes qui les

touchent particulièrement1008.

1004Bourdon J., « Le conflit israelo-palestinien rend-il aveugle ? », in Le Monde.fr, avril 2010. http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/04/28/le-conflit-israelo-palestinien-rend-il-aveugle-par-jerome-bourdon_1343655_3232.html, Consulté le 21 octobre 2010. 1005« Quand les députés UMP se réunissent », in L’Express.fr, avril 2010, http://www.lexpress.fr/actualite/indiscrets/quand-des-deputes-ump-se-reunissent_882365.html, Consulté le 15 octobre 2010. 1006 Envoyé spécial, « Medvedev fait sa mini révolution », in L’Express.fr, mars 2010, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/medvedev-fait-sa-mini-revolution_851547.html. Consulté le 1 avril 2010. 1007 «Le gouvernement thailandais rejette l’offre des opposants », in La Tribune, avril 2010 http://www.latribune.fr/depeches/reuters/le-gouvernement-thailandais-rejette-l-offre-des-opposants.html. Consulté le 25 octobre 2010. 1008 Wallerstein I., « Les dilemmes du concept d'espace ouvert : l'avenir du Forum social mondial », in Revue internationale des sciences sociales 4/2004 (n° 182), p. 697-705. http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RISS_182_0697, Consulté le 15 avril 2010.

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349

Les Français jouent les cartes égyptienne, tunisienne et marocaine. Dans le

monde arabe, ils soutiennent désormais la droite pro-américaine contre la

gauche progressiste (Le Nouvel Observateur, 1er mars 1976, p.33, col.

2).1009

Pseudo- et quasi-

Nous avons retrouvé d’autres dérivés formés à partir du mot État qui ne sont pas

cités ni par le dictionnaire de langue française, ni par Norbert Dupont et qui, à

notre avis, sont également dotés d’une valeur dépréciative importante. Ce sont

deux dérivés formés avec les deux suffixes : pseudo- et quasi-, qui forment les

deux concepts : pseudo-État et quasi-État.

Jean Dubois classe les préfixes pseudo- et quasi- parmi ceux qui traduisent la

dévalorisation, la mutation, l’approximation ou non-conformité à la réalité1010.

Comme le souligne Jean Dubois, à la fin du XIIIe siècle le suffixe pseudo- amène

le sens de « mensonger » du grec pseudês (menteur)1011 et il cite comme exemple

le mot « pseudo-politique » qui vise à tromper1012. Plus tard, dans le vocabulaire

scientifique, ce préfixe prend le sens de « faux ». Par la suite, il figure dans les

dictionnaires : le Petit Larousse et le Littré. D’après Jean Dubois, en 1869-1872,

l’emploi de pseudo- est très fréquent : pseudo-démocrate, pseudo-démocratique,

pseudo-libéral, pseudo-républicain, pseudo-démocratie, pseudo-république…

Les locuteurs ont aussi recours à ce préfixe pour indiquer le caractère fallacieux

de quelqu’un ou de quelque chose. C’est un procédé péjoratif répandu dans le

langage et le discours politiques, notamment dans les textes médiatiques. Les

mots formés avec le préfixe pseudo- ont deux synonymes : l’adjectif « faux » et la

locution « soi-disant », qui souvent se complètent ou se substituent. Nous

pensons que les locuteurs ont une préférence pour l’emploi des dérivés formés

1009Le Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/ Consulté le 25 avril. 1010 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.142. 1011 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.2035. 1012 Dubois J., op.cit., p.153.

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350

avec le préfixe pseudo-, quand il s’agit de renforcer la dévalorisation. Le concept

de « pseudo-État » sert à désigner un État qui n’en est pas un ou à peine.

Voici un exemple de l’emploi de ce mot dans le Monde :

Pour la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, le premier ministre israélien

a donné, en réponse à Barack Obama, "le plus petit signe d'accord possible

à la création d'un pseudo- État palestinien"1013.

Le préfixe quasi-, selon Jean Dubois, ajoute une nuance d’approximation,

apportant aussi une valeur dépréciative. Le dérivé quasi-État peut en témoigner,

car il s’agit d’un État qui ne jouit pas d’une pleine reconnaissance internationale,

mais fonctionne pourtant comme un véritable ensemble étatique avec son

administration, son armée et son système financier – tout cela contrôlé par

l’instance protectrice1014. Ce phénomène est répandu dans l’ex-Yougoslavie dont

les quatre pays, Bosnie, Macédoine, Kosovo et Monténégro, ont été qualifiés de

« quasi-États »1015 par Paul Garde, slavisant et linguiste.

Para-, semi-

Enfin, nous arrivons au dérivé parastatal formé à l’aide du préfixe para-. Norbert

Dupont cite le mot parastatal, formé en 1976 avec le préfixe para-1016 et le mot

latin status, qui signifie, dans l’administration belge, semi-public1017. Le préfixe

para- indique l'idée de à côté de, pas tout à fait. Jean Dubois ne fait pas état de ce

préfixe, que nous supposons ne pas faire partie du vocabulaire politique et social

de l’époque étudiée. Aujourd’hui nous constatons que ces dérivés (parapublic,

1013 Bekmezian H., “Le tout petit pas en avant de Benjamin Netanyahou”, in LeMonde.fr, juin 2006, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/06/15/le-tout-petit-pas-en-avant-de-benjamin-netanyahou_1206915_3218.html, Consulté le 24 avril 2010. 1014 Rywkin M., « Le phénomène des « quasi-États » », in Diogène 2/2005 (n° 210), p. 28-33. URL : www.cairn.info/revue-diogene-2005-2-page-28.htm, Consulté le 21 avril 2010. 1015 Garde P., « Etats et quasi-Etats dans les Balkans » in Politique internationale, n°100, été 2003. 1016 Préfixe 1 : du grec παρά para Indique l'idée de à côté de. 1017 Robert, P. Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. Rey. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, p.1779.

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351

paragouvernemental…) sont peu nombreux dans le lexique politique, social et

économique.

D’ailleurs, le dérivé parapublic est synonyme de parastatal dans la langue

française, puisque sa signification est la suivante : relatif à l'économie mixte, dont

les capitaux appartiennent au secteur public (qui concerne l'État) et au secteur

privé. Les deux adjectifs peuvent être considérés aussi comme faisant partie du

vocabulaire économique. Nous trouvons quelques exemples de l’emploi des mots

formés avec le préfixe para- dans la presse française d’aujourd’hui :

La Caisse des dépôts, établissement financier parapublic français, qui

possède des participations dans de nombreuses entreprises françaises, est

considérée comme le bras financier de l'État1018.

Voici un extrait de presse qui contient le mot paragouvernemental, terme,

appartenant au lexique politique :

Le service d'informations du Premier ministre ainsi que le ministère des

Affaires étrangères et l'Agence juive (organisme paragouvernemental pour

l'immigration en Israël) ont mis à la disposition des médias internationaux

films et documents soulignant les valeurs éthiques de l'État juif et montrant,

selon eux, le vrai visage de Samir Kantar.

L’idée d’approximation est mieux exprimée dans le préfixe semi-. Ce préfixe se

trouve dans le tableau de Jean Dubois, qui, selon ce dernier, traduit l’idée de

démultiplication, de division puisqu’il indique la moitié d’un tout1019. Pour Jean

Dubois, ce préfixe peut prendre une valeur dépréciative dans un contexte

particulier1020. Les dérivés avec le préfixe demi- (synonyme de semi-) : demi-

1018AFP, « Barnier suggère la créaton d’un caisse des dépôtts europeenne », in Le Point.fr, juin 2006,http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2009-06-22/placement-barnier-suggere-la-creation-d-une-caisse-des-depots-europeenne/917/0/354620, Consullté le 22 octobre 2010. 1019 Dubois J., op.cit., p.154. 1020 Jean Dubois fait référence aux écrivains de l’époque, par exemple à Benoît Malon qui n’a pas de respect envers les « semi-socialistes » ou à Edmond de Goncourt qui dénonce « les mensonges officiels et semi-officiels ». Ibidem.

Page 353: dans les langues

352

politique, demi-patriote, demi-révolutionnaire… transmettent la même valeur. À

notre avis, cette valeur péjorative ne s’applique pas à tous les dérivés formés avec

ces suffixes. Ainsi les adjectifs semi-public/semi-étatique désignent quelque chose

qui est une partie publique et une partie privée et sont dépourvus de cette

connotation défavorable. Voici un exemple de l’emploi plutôt neutre de l’adjectif

semi-étatique :

Le gouvernement et l'Etic, organisme semi-étatique qui traite ce lourd dossier

depuis plusieurs semaines, disent élaborer une stratégie pour que le

redressement s'opère "sans aucune interruption des activités de JAL", avec

un fonds de roulement suffisant.1021

Préfixe ultra-

Dans la presse nous avons trouvé un autre dérivé construit avec le préfixe ultra-

et le mot étatisme. Le préfixe ultra-, selon Jean Dubois, occupe une place

importante parmi les préfixes qui traduisent l’intensité ou l’excessivité dans le

vocabulaire politique et social entre 1869-1872. Ce préfixe est considéré par Jean

Dubois comme relativement récent, car le premier terme formé avec ultra- ne

figure dans le dictionnaire qu’à la fin du XVIIe siècle (ultramontain1022). Ensuite,

l’usage de ce préfixe s’accentue à la Révolution par une augmentation du nombre

de termes tels que ultra-civique, ultra-constitutionnel, ultra-patriote, ultra-

révolutionnaire... Jean Dubois attire l’attention sur le caractère ironique convenu à

l’origine dans l’emploi de ces dérivés et par conséquent sur leur valeur

dépréciative. La période entre 1869-1872 connaît un véritable boom des mots

composés avec ultra- : ultra-démocrate, ultra-démocratique, ultra-libéral... Nous

croyons qu’aujourd’hui l’emploi de ce préfixe reste usité. Si, au début, il s’agissait

de former des adjectifs qualificatifs, postérieurement on a créé des substantifs qui

gardaient ce trait qualificatif : ultra-république, ultra-libéralisme, ultra-démocratie...

Par analogie, nous obtenons le mot ultra-étatisme où le préfixe souligne l’aspect

1021 « JAL : Les fournisseurs seront payés », in Figaro.fr, janvier 2010, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/01/14/01011-20100114FILWWW00529-jal-les-fournisseurs-seront-payes.php. Consulté le 28 avril 2010. 1022 Ibid., p.142.

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353

excessif qui domine sur l’aspect intensif. Voici un exemple de l’emploi du mot

ultra-étatisme dans la presse contemporaine :

En lisant ce livre on comprend que le retard économique désastreux de la

Corse est largement du à la mentalité « nationaliste » c’est-à-dire à un ultra-

étatisme qui nie les droits de propriété1023.

Inter-, co-, infra-, supra-, sur-, super-

L’exemple suivant contient aussi un dérivé de l’adjectif étatique - interétatique :

Les guerres interétatiques sont en voie de disparition» est l’idée reçue au

nom de laquelle la défense devrait être centrée sur l’action humanitaire et la

lutte contre les défis non-étatiques1024.

Ce dérivé interétatique est formé du mot étatique et inter-, du latin inter « entre »

qui exprime l’espacement, la répartition ou une relation réciproque1025. Il n’est pas

analysé par Jean Dubois, peut-être cela s’explique-t-il par le fait que l’auteur ne le

considérait pas comme préfixe typique ou fréquent dans le vocabulaire politique et

social français de la période comprise entre 1869-1872. Cependant, nous avons

retrouvé des composés avec ce préfixe, par exemple le mot internationalisme1026

formé en 1845 et son dérivé internationaliste apparu en 1871. Du point de vue

sémantique, ce préfixe est neutre et n’amène aucune valeur appréciative ou

dépréciative et son rôle lexical reste faible.

Le préfixe co- nous semble également neutre et privé de valeur appréciative. Tiré

de la préposition latine cum « avec » et du préfixe latin co- de même sens, il

1023 Dumouchel A., « Victoire de l’Etatisme et du clanisme en Corse », in Gauche libérale, 17 août 2008,http://www.gaucheliberale.org/post/2008/08/17/Victoire-de-l-Étatisme-et-du-clanisme-en-Corse. Consulté le 28 avril 2010. 1024Heisbourg F., « Défense : un été mertrier pour les idées reçues », in Libération.fr, le 24 septembre 2008, http://www.liberation.fr/tribune/010131939-defense-un-ete-meurtrier-pour-les-idees-recues. Consulté le 28 avril 2010. 1025 Le nouveau petit Robert, op.cit., p.1338. 1026 Doctrine prônant l’union internationale des peuples, par-delà les frontières. Ibidem.

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exprime un point commun entre plusieurs personnes ou plusieurs choses. Ainsi le

mot co-état a été crée pour désigner un titre, une fonction, un rôle politique

commun :

Co-état : [En parlant d'un prince ou d'un État] « Celui qui partage la

souveraineté avec un autre ». Entraîner ses co-états à la suite de ses

décisions (GOBINEAU, TOCQUEVILLE, Correspondance [avec

Tocqueville], 1850, p. 146)1027.

Aujourd’hui nous pouvons trouver des exemples de ce dérivé dans la presse :

En tant que co-État membre de l'Asean, le gouvernement indonésien

espère que les principes démocratiques, des éléments importants

approuvés par la communauté de l'Asean, resteront en vigueur.

(Communiqué, mercredi 20 septembre)1028

Analysons ensuite le préfixe infra-, qui signifie « inférieur », « en dessous de »1029

et ses antonymes supra-, sur- qui signifient « au-dessus de », « supérieur à ».

L’adjectif infra-étatique désigne ce qui est à un niveau inférieur par rapport à l’État.

Ce préfixe exprime aussi l’idée de situation ou de placement à l’intérieur de

quelque chose. Voici un exemple tiré de la presse, qui utilise cet adjectif où le

préfixe infra- transmet plutôt l’idée du placement à l’intérieur de l’État :

La revendication identitaire n'est pas le résultat d'une organisation

administrative ; elle correspond à la volonté des citoyens, dans un contexte

de mondialisation, de retrouver des identités infra-étatiques1030.

1027 Le Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/ Consulté le 29 avril 2010. 1028 Les principales réactions suscitées par le putch militaire intervenu en Thaïlande et dirigé par le général Sonthi Boonyaratglin in Nouvel Obs.com, le 21 septembre 2006, http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20060920.OBS2602/les-reactions.html, Consulté le 29 avril 2010. 1029 Le nouveau petit Robert, op.cit p. p.1315. 1030 Perben D., Chevènement J.-P., « Décentraliser jusqu’où ? », in L’Express.fr, le 17 octobre 2002,http://www.lexpress.fr/region/decentraliser-jusqu-ou_497836.html?p=3, Consulté le 29 avril 2010.

Page 356: dans les langues

355

Les trois synonymes sur-, supra- et super- transmettent le sens « au-dessus de ».

Cependant, il ne s’agit que de synonymie partielle. Le préfixe supra- désigne ce

qui se situe au delà de l’État, le dépasse. Le préfixe sur- exprime une relation de

supériorité hiérarchique, l'appartenance à un ordre supérieur. Le dérivé construit

avec ce préfixe désigne, entre autre, une entité qui domine ou englobe celle

désignée par la base, comme dans le cas du dérivé sur-État :

La IIIe Internationale est un sur-État ou bien une confrérie militaire destinée

à établir des « marches » en territoire ennemi (P. LAFUE, in R. critique des

idées et des livres, 10 févr. 1921, pp. 279-280 ds QUEM. DDL t. 7)1031.

Enfin, le préfixe super- est un préfixe de renforcement marquant le plus haut degré

ou la supériorité, servant à former de nombreux noms et adjectifs, surtout dans le

domaine technique (superciment, supersonique) et des mots familiers (super-chic,

super-sympa…)1032. Le mot composé super-État a été retrouvé dans la presse :

Plus grande difficulté, à vingt-cinq qu'à quinze, de bâtir ce super-État

supranational dont rêvent les fédéralistes européens ?1033

Les suffixes sur-, supra-, super- sont, à notre avis, plus expressifs que les

préfixes inter-, co-, infra-. Sur- et supra- transmettent un sens péjoratif ou positif

dans un contexte précis. Analysons l’exemple suivant :

Je ne veux pas de l'Europe supra-étatique de Giscard et Brejnev. Elle est

archaïque et dépassée (Philippe de Villiers)1034.

Nous observons l’hostilité transmise par l’homme politique de droite à l’aide de

l’adjectif supra-étatique. Les adjectifs qualificatifs à valeur négative tels que

archaïque et dépassée renforcent la péjoration.

1031 Le Trésor de la langue française informatisée, http://atilf.atilf.fr/, Consulté le 29 avril 2010. 1032 Le nouveau petit Robert, op.cit p.2429. 1033 « Vues sur l’Europe », in Le Point.fr, le 6 mai 2004, http://www.lepoint.fr/archives/article.php/28412, Consulté le 21 avril 2010. 1034 Rossigneux A., « Dommage que Raffarin ne soit pas Premier ministre », le 20 mai 2004, http://www.lepoint.fr/actualites-politique/2007-01-17/interview-philippe-de-villiers-dommage-que-raffarin-ne-soit-pas-premier-ministre/917/0/28806. Consulté le 23 avril 2010.

Page 357: dans les langues

356

5.2.4. Composition avec étatico-, tout- et sans-

La langue française connaît un autre procédé de formation de mots, notamment la

composition qui consiste en « juxtaposition de deux ou plusieurs éléments

significatifs1035 ». D’après Jean Dubois, on peut trouver dès le XVIe siècle les

traces de mots composés appartenant au vocabulaire politique. Il s’agit de la

juxtaposition de deux adjectifs ou deux substantifs et l’ajout d’un affixe –o- au

premier élément. En général, ces formes servent à désigner des régimes, des

attitudes ou des groupements politiques, comme catholico-monarchique, prusso-

bonapartiste ou encore les situations économiques, sociales ou historiques :

économico-social, politico-social ... Ce type de procédé est dû, selon Jean Dubois,

aux facteurs historiques et à la situation politique à la fin du Second Empire et au

début de la IIIe République, période qui avait besoin d’alliances, d’unions. Plus

tard, ce procédé sert aussi à exprimer la péjoration, surtout quand il est question

de la juxtaposition de deux mots dont les signifiés sont très différents. Pour

renforcer le caractère ridicule des alliances ou des unions politiques, les

journalistes et les écrivains ont construit des mots composés tels que « démo-

radico-soc » ou « orléano-clérico-légitimo- bonapartiste »1036…

Dans le dictionnaire de langue, nous n’avons retrouvé aucun mot composé, formé

à partir du mot État. En revanche, la presse est riche de mots composés de même

type : étatico-national, étatico-populiste, étatico-libéral, étatico-militaire, étatico-

diplomatique, étatico-sauvage :

… pris conscience que l'échelon étatico-national ; à même d'agglomérer à

son nouveau modèle étatico-populiste, Argentins et Péruviens1037.

Singapour se situe dans cette catégorie d'expérience étatico-libérale. On y

accueille certes les sociétés étrangères à bras ouverts, mais les sociétés

1035 Dubois J., op.cit., p.183. 1036 Ibidem. 1037Adler A., « Le temps des conflits exacerbés », in Le Figaro, le 6 février 2003, http://recherche.lefigaro.fr/recherche/recherche.php?ecrivez=%C3%A9tatico-populiste&go=RECHERCHER&page=articles, Consulté le 23 avril 2010.

Page 358: dans les langues

357

nationales en apparence capitalistes sont puissantes et gérées par

l'État1038.

Et, Kouchner étant Kouchner, l’on s’attendait à ce qu’il ajoute à la geste

kouchnérienne un nouvel avatar étatico-diplomatique, serait-il symbolique.

Or, rien de cela ne s’est produit. Kouchner se mit d’emblée aux abonnés

absents, sur son terrain d’élection de toujours1039.

«C'était un peu inévitable, conclut Claude Le Pen, économiste de la santé.

Mais il faudra tirer les leçons d'une stratégie bien trop étatico-militaire, où

l'on est parti en guerre contre un virus sans chercher à établir une meilleure

concertation avec l'opinion publique et le corps médical.»1040

De quoi doper le patriotisme, qui est la panacée choisie contre la dilution de

l'idéologie communiste au pays du capitalisme étatico-sauvage1041.

Dans les extraits de presse cités, les journalistes se servent de la juxtaposition

pour former des adjectifs composés à partir d’étatique que l’on peut distinguer en

plusieurs groupes, notamment :

1. Le groupe qui sert à renforcer le poids de l’État dans les mots composés

tels que : étatico-national, étatico-libéral ;

2. celui qui exprime l’ironie ou la méfiance envers certaines politiques menées

par les États ou hommes politiques : étatico-militaire, étatico-sauvage.

1038 Allègre C., « Singapour et l’innovation », in Le Point.fr, le 21 juin 2007, http://www.lepoint.fr/actualites-economie/2007-06-21/singapour-et-l-innovation/916/0/189165, Consulté le 25 mai 2010. 1039 Hertzog G., « De l’inutilité du soldat Kouchner », in La Libération.fr, le 23 mars 2010, http://www.liberation.fr/politiques/0101626105-de-l-inutilite-du-soldat-kouchner, Consulté le 12 septembre 2010. 1040 « Bachelot défend sa gestion de la crise pandemique », in Nouvelobs.com, le 13 janvier 2010, http://tempsreel.nouvelobs.com/article/20100113.OBS3468/bachelot-defend-sa-gestion-de-la-crise-pandemique.html, Consulté le 12 septembre 2010. 1041 Makarian C., « Les arrière-pensées de la Chine en Libye », in L’Express.fr, le 9 mars 2011, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/les-arriere-pensees-de-la-chine-en-libye_970140.html Consulté le 25 avril 2011.

Page 359: dans les langues

358

Nous avons rencontré un problème lié à la distinction des mots composés par

rapport aux locutions. Vladimir Gak souligne également cette difficulté dans les

cas où il est question de la composition de type préposition+substantif, par

exemple sans-cœur, sous-main1042…

Ce type de composition est étudié par Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet.

Les linguistes citent un certain nombre de prépositions telles qu’après (après-

midi), avant (avant-guerre), contre (contrecoup), sans (sans-faute, sans-abri)1043

… pour montrer qu’il s’agit de la même formation que pour la composition à partir

des mots pleins. Si on considère qu’un sans-abri est un homme qui n’a pas d’abri,

la préposition sans possède donc une valeur référentielle, celle qu’elle a en

syntaxe, dans les syntagmes prépositionnels, ce qui crée la confusion entre mots

composés et locutions.

Voici un extrait de l’interview de Jean-Louis Debré dans le Figaro (9 août 2006)

qui contient les mots composés tout-État et sans-État, formés à partir de l’adjectif

tout et de la préposition sans :

Entre le tout-État et le sans-État, il y a une voie pour un État modérateur et

régulateur1044.

Les deux mots ne figurent pas dans le dictionnaire et nous supposons qu’il s’agit

de la formation de mots nouveaux et occasionnels qui abondent dans la presse.

Alise Lehmann et Françoise Martin-Berthet acceptent le fait que ce type de

composition «est très ouvert à la néologie»1045. Certains mots nouveaux restent

occasionnels en raison de leur emploi rare et du fait qu’ils ne sont pas retenus, ni

par le dictionnaire de langue, ni par le dictionnaire des néologismes.

1042 Gak. V.G., Sravnitel’naja tipologija francuzskogo u russkogo jazykov, Moskva : Izdatel’stvo KomKniga, 2006, p.231. 1043Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction à la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2005, p.129. 1044 Dictionnaire de la droite sous la direction de Xavier Jardin, Larousse 2002, p.114. 1045 Lehmann, A., Martin-Berthet F., Introduction à la lexicologie. Sémantique et morphologie. Paris : Nathan, 2005, p.130.

Page 360: dans les langues

359

Conclusion

En conclusion, nous constatons que :

Premièrement, l’étude du système morphologique nous a permis de comprendre

la création et l’évolution des dérivés du mot État, ainsi que leur rôle dans la famille

de ce mot. Nous avons vu, par exemple, que les dérivés du mot État formés avec

les préfixes anti-, pseudo-, quasi-, ultra- possèdent une valeur dépréciative

importante et que leur emploi, dans le discours, sert à susciter des émotions fortes

chez le lecteur.

Deuxièmement, l’analyse du rôle des dérivés, dans le discours, permet d’établir

les différentes priorités politiques de l’énonciateur, qui utilise ces dérivés dans un

contexte déterminé. Autrement dit, les partisans libéraux utilisent le mot neutre

étatisme, avec des adjectifs qualificatifs négatifs, ou essaient de l’associer aux

mots à valeur dépréciative comme dans les exemples mentionnés : un étatisme

désuet ou un fardeau d’un étatisme envahissant. Par opposition, les partisans d’un

État fort critiquent ceux qui sont contre l’État, en utilisant les dérivés formés par

l’adjonction des préfixes anti- et supra- (anti-État). L’emploi de tel ou tel dérivé

peut caractériser ainsi les idées politiques.

5.3. Les expressions utilisant le mot gosudarstvo

Nous avons travaillé sur la famille du mot gosudarstvo de la même façon que sur

celle du mot État. Cependant, nous avons rencontré deux problèmes principaux.

Le premier problème concerne le nombre restreint d’expressions construites avec

le mot gosudarstvo dans le dictionnaire de langue russe, si on le compare à son

analogue français. À noter que nous avons recours à l’approche française sur la

délimitation des locutions en phrasèmes figés complets ou quasi-figées, en

collocations, en combinaisons lexicalisées spécialisées (CLS) et en combinaisons

libres.

Le deuxième problème concerne l’approche diachronique, longtemps ignorée par

Page 361: dans les langues

360

les linguistes russes dans leurs analyses sur la dérivation, car ces derniers

privilégiaient l’aspect synchronique. Comme le note Genadij Nikolaev, spécialiste

russe en formation historique des mots, ce domaine s’est développé

principalement en suivant l’approche synchronique1046. Si Norbert Dupont cherche

à dater les dérivés du mot État, Tixonov, dans son dictionnaire de formation des

mots, choisi pour notre analyse, ne précise pas d’année de création des dérivés.

Ces derniers temps, grâce aux travaux de Gennadij Nikolaev, Dmitrij Alekeseev,

Elena Zemskaja et d’autres linguistes russes, l’aspect diachronique devient

d’actualité.

5.3.1. Les expressions utilisant le mot gosudarstvo dans les dictionnaires

Nous avons utilisé les dictionnaires suivants : le Dictionnaire de langue russe

d’Ožegov et de Švedova, le Nouveau dictionnaire de langue russe d’Efremova, le

Vocabulaire politique de la Russie moderne rédigé sous la direction de Galina

Skljarevskaja, ainsi que d’autres dictionnaires spécialisés.

Voici les expressions rencontrées dans le Dictionnaire de langue russe d’Ožegov

et de Švedova1047 :

Демократическое государство. Власть, функции, законы

государства. Бюджет государства. Во главе государства.

Европейское, азиатское, северо-американские, южно-американские,

африканские государства.

Государство в государстве.

Государственный герб, гимн, аппарат. Государственный строй.

Государственная граница. Государственная собственность.

Государственная тайна. Государственное право. Государственный

язык. Государственная машина.

1046 Nikolaev G.A., Russkoe istoričeskoe slovoobrazovanie. Moskva : Knižnyj dom Librikom, 2009, p.8. 1047 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M.: OOO izd. ELPIS, 2003, p.141.

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361

État démocratique. Pouvoir, fonctions, lois de l’État. Budget de l’État. A la

tête de l’État.

États européen, d’Asie, nord-américain, sud-américain, africain.

État dans l’État.

Armoiries d’État, hymne national, appareil d’État. Régime politique. Frontière

d’État. Biens de l’État. Secret d’État. Droit public. Langue d’État. Machine

d’État.

Comme nous avons pu le constater, le dictionnaire nous fournit non seulement

des expressions avec ce mot, mais également avec son dérivé, l’adjectif

d’appartenance государственный (gosudarstvennyj-étatique). Ceci témoigne de

la particularité de la grammaire russe qui permet l’emploi de ce type d’adjectif

dans les syntagmes. Au contraire, le français garde la combinaison : substantif +

préposition de + substantif. Voici un exemple comparatif : en russe

государственная тайна (gosudarstvennaja tajna) et en français secret d’État.

Parmi les expressions mentionnées, nous pouvons dégager la métaphore :

государство в государстве (gosudarstvo v gosudarstve – un État dans l’État ),

государственная машина (gosudarstvennaja mašina – machine d’État), ou les

CLS : демократическое государство (demokratičeskoe gosudarstvo – État

démocratique), во главе государства (vo glave gosudarstva - à la tête de l’État)

ou encore les séquences libres : власть, функции, законы государства (vlast’,

funkcii, zakony gosudarstva - pouvoir, fonctions, lois de l’État), европейское,

азиатское государство ( evropejskoe, aziatskoe gosudarstvo – État européen,

d’Asie) …

Le nombre restreint d’expressions que ce dictionnaire mentionne est lié, à notre

avis, au fait que la langue russe comporte un grand nombre de mots composés à

l’aide du mot государственный (gosudarstvennyj – étatique) dont on conserve

que la partie du radical гос- (gos-), par exemple госбюджет (gosbjudžet – budget

de l’État), госаппарат (gosapparat – appareil d’État). Nous examinerons plus loin

en détails ce type de formation de mots dans la langue russe. Précisons

Page 363: dans les langues

362

simplement qu’un grand nombre de mots ainsi composés se trouve dans le

Dictionnaire russe des notions nouvelles1048.

Le Vocabulaire politique de la Russie moderne, rédigé sous la direction de Galina

Skljarevskaja, comporte également peu d’expressions avec le mot

gosudarstvo1049 :

Российское государство. Многомиллионное государство. Глава

государства ( L’État russe. Un État de plusieurs millions d’habitants. Chef

d’État).

Иммунитет государства (immunité de l’État)

Правовое государство (État de droit)

Содружество Независимых государств (Communauté des États

indépendants)

Унитарное государство (État unitaire).

Les séquences telles que иммунитет государства (immunitet gosudarstva-

immunité d’un État), правовое государство (pravovoe gosudarstvo - État de

droit), независимое государство (Sodružestvo nezavicimix gosudarstv -

Communauté des États indépendants), унитарное государство (unitarnoe

gosudarstvo - État unitaire) sont des concepts appartenant au vocabulaire

juridique, qui peuvent être considérés comme combinaisons lexicalisées

spécialisées.

Enfin, dans le Dictionnaire de langue russe moderne rédigé sous la direction de

Galina Skljarevskaja1050 nous relevons deux expressions :

1048 Novie slova i značenija. Slovar’-spavočnik po materialam pressy I literatury 90-x godov XX veka, v 2 tomax, 1 tom, pod redakciej T.N. Buceva, Institut lingvističeskix issledovanij RAN, Spb: Dmitrij Bulanin, 2009, p.412-427. 1049 Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg: Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61. 1050 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.185.

Page 364: dans les langues

363

Мафиозное государство (основанное на сращивании

государственных органов управления с преступными

группировками).

État mafieux (basé sur l’association des organes du pouvoir avec des

groupes criminels).

Залезть в карман к государству (воспользоваться

государственными средствами в личных интересах).

Se servir dans les poches de l'État (s'approprier les biens de l'État par

intérêt personnel)

Dans son dictionnaire, Galina Skljarevskaja cite l’emploi dans la presse russe de

l’expression мафиозное государство (mafioznoe gosudarstvo – État mafieux).

Nous pensons que cette séquence peut être qualifiée de métaphore criminelle,

que nous avons déjà étudiée dans notre deuxième chapitre1051. Nous rappelons,

également, l’emploi dans la presse russe de l’expression полицейско-

бандитское государство (policejsko-banditskoe gosudarstvo - État policier et de

bandits) :

Сегодняшняя Россия ускоренными темпами превращается в

полицейско-бандитское государство...1052

Aujourd’hui la Russie se transforme à grande vitesse en État policier et de

bandits…

Comment expliquer cette association libre ? Nous supposons que l’équivalent

français État policier (полицейское государство-policejskoe gosudarstvo) a

probablement influencé cette association. Bien que la locution russe полицейское

государство (policejskoe gosudarstvo) ne figure pas dans les dictionnaires, elle

1051 « Gosudarstvo – prestupnoe soobščestvo » (L’Etat est une association criminelle) (kriša, glavnij) et d’autres exemples. 1052 Kučerena А., Bal bezzakonija, Мoskva: Vagrius, 2000, www.ruscopora.ru, Consulté le 15 avril 2010.

Page 365: dans les langues

364

est souvent utilisée dans la presse russe et dans le Corpus de la langue russe1053,

nous avons trouvé 12 documents qui contenaient cette locution. Voici un de ces

exemples:

― Я считаю, что отсутствие сейчас в стране оппозиции ― это

открытые ворота в полицейское государство.

- Je crois qu’aujourd’hui l’absence d’opposition dans le pays est une porte

ouverte à un État policier.

En ce qui concerne l’autre expression залезть в карман к государству (zalest’

v karman k gosudarstvu - se servir dans les poches de l'État), Galina Skljarevskaja

la considère comme unité phraséologique sans préciser son degré de figement.

Pour nous c’est l’expression залезть в карман qui est figée et qui signifie

« незаконно брать чужое добро, деньги »1054 (nezakonno brat’ čužoe dobro,

den’gi – s’approprier d’une façon illégale du bien d’autrui, de son argent).

Cependant, cette expression n’est pas complétement figée, puisque nous pouvons

y associer d’autres éléments, par exemple : залезать в чужой карман (zalest’ v

čužoj karman – se servir dans les poches d’un tiers).

Pour continuer nos recherches sur les sources des expressions contenant le mot

gosudarstvo, nous avons consulté le Dictionnaire explicatif et combinatoire du

russe d’Aleksandr Žolkovskij et d’Igor’ Mel’čuk, publié en 1984 en Autriche, mais

avons constaté que, malheureusement, ce dictionnaire ne contient pas d’article

avec le mot gosudarstvo. En revanche, nous avons trouvé dans le Dictionnaire

combinatoire du russe de Petr Denisov et de Valerij Morkovkin, publié en Russie

pour la première fois en 1978, un article comportant le mot gosudarstvo. Ce

dictionnaire a suscité un grand intérêt chez les lexicographes et les linguistes

russes, car il était le premier dictionnaire qui décrivait la combinatoire des mots

russes les plus connus. L’idée de la publication de ce dictionnaire avait été lancée

par Vitalij Kostomarov en 1965. Nous avons eu recours à la troisième édition de

1053 Nemcov B., Tregubov E., « My i pravda ne iz razvedki!! », in Kommersant’’-Vlast’, № 8, 2002, www.ruscopora.ru, Consulté le 15 avril 2010. 1054 Fedorov A.I., Frazeologičeskij slovrar’ russkogo literaturnogo jazyka, Moscou : Astrel’, 2008, http://phraseology.academic.ru, Consulté le 15 avril 2010.

Page 366: dans les langues

365

20021055, dont le but était de supprimer les termes se rapportant à la propagande

soviétique, par exemple : социалистическое (socialističeskoe – socialiste),

Советское (Sovetskoe – soviétique), буржуазное (buržuznoe – bourgeois),

диктатуры пролетариата (diktatury proletariate – de dictature de prolétariat)...

Les auteurs d’aujourd’hui estiment qu’il serait utile d’actualiser ce dictionnaire sur

le lexique de la nouvelle Russie.

Le Dictionnaire combinatoire du russe donne les relations paradigmatiques et

syntagmatiques. Les auteurs se basaient sur la capacité combinatoire du mot

avec certains autres mots. Cette capacité se trouve dans les caractéristiques

sémantiques et syntaxiques du mot. De plus, selon les auteurs, il fallait prendre en

compte trois types de facteurs déterminants :

• capacité combinatoire du mot,

• possibilité combinatoire liée à la tradition langagière d’une période donnée,

• moyen de combinatoire dicté par l’appartenance du mot à une classe

lexico-sémantique, par sa structure morphologique et ses caractéristiques

individuelles....

Ainsi, les auteurs présentent différents types de combinaisons :

- Adjectifs + Nom (gosudarstvo)

[Не] большое, крупное, огромное, маленькое, карликовое, сильное,

слабое, могучее, могущественное, богатое, бедное, развитое,

развивающееся, новое, молодое, единое, национальное,

многонациональное, самостоятельное,[не]зависимое, суверенное,

миролюбивое, дружественное, соседнее, союзное, нейтральное,

неприсоединившееся, общенародное, демократическое, европейское,

азиатское, африканское, латиноамериканское, российское…

государство

1055 Denisov P.N., Morkovkin V.V., Slovar’ sočetamosti slov russkogo jazyka. Ok. 2500 sl. statej, Izd. 3, Moskva : Astrel’, 2002, p.135.

Page 367: dans les langues

366

État : Grand (petit), important, immense, petit, micro-État, fort, faible,

puissant, tout puissant, riche, pauvre, (pays) développé, (pays) en voie de

développement, nouveau, jeune, unifié, national (relatif à la nation),

multinational, indépendant, (in)dépendant, souverain, pacifique, (pays) ami,

(pays) voisin, allié, neutre, non-aligné, national (relatif au peuple),

démocratique, européen, asiatique, africain, latino-américain, russe…

- Nom (gosudarstvo)+ Nom

Государство кого-чего: рабочих и крестьян, трудящихся…

État de qui, de quoi : d’ouvriers et de paysans, de travailleurs…

Форма, тип, функции, история, развитие, отмирание, основы,

задачи, цели, территория, население, столица, географическое

положение, границы, конституция, флаг, герб, гимн, создание,

образование, основание, признание, укрепление, защита, расцвет,

упадок, престиж (книжн.), роль, влияние, могущество, суверенитет,

независимость, безопасность, интересы, внутренние дела,

единство, раскол, экономика, политика, армия, вооруженные силы,

собственность, бюджет, доходы, расходы, основатель, глава,

руководитель, представитель, гражданин, название ... государства.

Forme, type, fonctions, histoire, développement, disparition, fondements,

problèmes, objectifs, territoire, population, capitale, situation géographique,

frontières, constitution, drapeau, armoiries, hymne, fondation, formation,

prestige (littér.), rôle, influence, puissance, souveraineté, indépendance,

sécurité, intérêts, affaires intérieurs, unité, scission, économie, politique,

armée, forces armées, propriété, budget, revenus, dépenses, fondateur,

chef, dirigeant, représentant, citoyen, nom ….. de l’État.

Управление... государством. Учение... о государстве. Заслуги перед

государством...

Administration…de l’État. Doctrine… de l’État. Mérites de l’État …

Page 368: dans les langues

367

- Verbe + Nom (gosudarstvo)

Создать, основать, строить, укреплять, усилить, ослабить,

защищать, охранять, возглавлять, признать, принять куда-л. ( в

ООН…), представлять где-л... государство. Помогать, угрожать,

принадлежать государству.

Fonder, former, construire, consolider, renforcer, affaiblir, défendre,

protéger, prendre la tête, reconnaître, devenir membre de (l’ONU),

représenter quelque part…l’État. Aider l’État, menacer l’État, appartenir à

l’État.

В защиту (в поддержку) государства (выступать), в интересах

государства (действовать, осуществлять что-л....). Во главе

государства (стоять, стать). За счет государства (сделать что-

л., построить что-л.) На какое-л. государство (напасть, оказывать

давление...) Перед государством (выполнить свой долг). С каким-л.

Государством (воевать, установить какие-л. отношения)1056

Prendre la défense, venir en aide à l’État ; agir, faire quelque chose dans

l’intérêt de l’État. Prendre, se mettre à la tête de l’État. Faire quelque chose,

construire quelque chose aux frais de l’État. Attaquer l’État, influencer l’État.

Remplir son devoir vis à vis de l’État. Faire la guerre à l’État, établir des

relations quelconques avec n’importe quel État.

Cette liste importante de mots pouvant être combinés avec le mot gosudarstvo

nous rappelle la description syntaxique : Nom + adjectif, adjectif + nom, verbe +

nom, mentionnée dans le Dictionnaire des combinaisons de mots1057 français.

Nous avons déjà cité son efficacité qui permet de repérer plus rapidement les

CLS. Les auteurs du Dictionnaire combinatoire du russe ne nous renseignent pas

non plus sur le degré de figement des expressions comportant le mot

1056 Denisov P.N., Morkovkin V.V., Slovar’ sočetamosti slov russkogo jazyka. Ok. 2500 sl. statej, Izd. 3, Moskva : Astrel’, 2002, p.135. 1057Dictionnaire des combinaisons de mots, sous la direction de Dominique Le Fur, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2007, p.340, p.211.

Page 369: dans les langues

368

gosudarstvo. Il est évident que toutes les combinaisons ne relèvent pas des CLS

et qu’il est plutôt question, soit de combinaisons libres ayant un trait sémantique

géographique, comme : [Не] большое (nebol ‘šoe - petit), огромное ogromnoe –

immense), маленькое (malen’koe – petit), карликовое (karlikovoe – micro- État),

соседнее (sosednee – voisin) государство (gosudarstvo) ; границы

государства (granici gosudarstva – frontière d’État), территория государства

(territorija gosudarstva – territoire d’un État), столица государства (stolica

gosudarstva – capitale d’un État), географическое положение государства (

geografičeskoe polozenie - situation géographique d’un État)… soit de

combinaisons libres décrivant le caractère de l’État : сильное (sil’noe-fort), слабое

(slaboe – faible), могучее (mogučee – puissant, fort), могущественное

(moguščestvennoe – puissant, fort), богатое (bogatoe – riche), бедное (bednoe

– pauvre), развитое (razvitoe – développé), развивающееся (razvivajuščeesja –

en voie de développement).

Nombreuses sont les combinaisons ayant un trait structurel, telles que бюджет

(bjudžet – budget), доходы (doxody – revenus), суверенитет (suverenitet –

souveraineté), независимость (nezavisimost’ – indépendance)... государства

(gosudarstva – d’État) ou единое (edinoe – uni), национальное (nacional’noe –

national), самостоятельное (samostojatel’noe – souverain), [не]зависимое

(nezavicimoe - indépendant), суверенное (suverennoe – souverain),

нейтральное (nejtral’noe – neutre), неприсоединившееся (neprisoedinivšeesja

– non-aligné), демократическое (demokratičeskoe – démocratique)...

государство (gosudarstvo) ; управление... государством (upravlenie

gosudarstvom –administration de l’État), учение... о государстве (učenie o

gosudarstve – doctrine d’État), заслуги перед государством... (zaslugi pered

gosudarstvom – mérites de l’État), во главе государства стоять, стать…

(prendre, se mettre à la tête de l’État.) , за счет государства сделать что-л.,

построить что-л. (faire quelque chose, construire quelque chose aux frais de

l’État)…

Nous pensons que, parmi ces combinaisons, il peut s’agir de CLS pour :

суверенитет (suverenitet – souveraineté), независимость (nezavisimost’ –

Page 370: dans les langues

369

indépendance)... государства (gosudarstva – d’État), единое (edinoe – uni),

национальное (nacional’noe – national), самостоятельное (samostojatel’noe –

souverain), [не]зависимое (nezavicimoe - indépendant), суверенное (suverennoe

– souverain), нейтральное (nejtral’noe – neutre), неприсоединившееся

(neprisoedinivšeesja – non-aligné), демократическое (demokratičeskoe –

démocratique)... государство (gosudarstvo)...

Nous mettons à part les expressions verbales : выступать в защиту (в

поддержку) государства (prendre la défense, soutenir un État), на какое-л.

государство оказывать давление (influencer un État), car, à notre avis, il s’agit

ici des collocations à verbe support : выступать в защиту, в поддержку,

оказывать давление. Dans son ouvrage Les stéréotypes linguistiques en russe :

sémantique et combinatoire1058, Vladimir Beliakov distingue les collocations à

verbe support des associations libres. Parmi les caractéristiques propres à ce type

de collocations, il cite, entre autres, le remplacement des « verbes liés

morphologiquement aux noms supportés sans que le sens de l’expression

change »1059. En effet, en modifiant les expressions выступать в защиту, в

поддержку, оказывать давление, nous obtenons les verbes formés à partir des

noms : защищать, поддерживать, давить, contenant le même sens.

5.3.2. Les expressions avec les mots gosudarstvo/État dans les dictionnaires bilingues

• Dictionnaires généraux et spécialisés bilingues

Après avoir traduit les expressions avec le mot gosudarstvo mentionnées dans le

Dictionnaire combinatoire du russe, nous avons constaté le même phénomène

que dans la traduction des expressions avec le mot anglais State. Dans certains

cas, les Français préfèrent le terme pays au terme État, par exemple pays

développé, pays en voie de développement, pays ami, pays voisin. Dans la langue

française, l’adjectif « public » signifie entre autre « qui appartient à la collectivité,

1058 Beliakov V., Les stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et combinatoire, Dijon : Editions universitaire de Dijon, 2012, 209 p. 1059 Ibid., p.107.

Page 371: dans les langues

370

qui appartient à l’État »1060, alors que les expressions telles que secteur public ou

entreprise publique sont traduites en russe par государственный сектор

(gosudarstvennyj sektor), государственное предприятие (gosudarstvennoe

predprijatie).

Valéry Kossov dans son article « Culture politique et traduction. Le concept de

l’État en français et en russe »1061 souligne le fait que, dans la langue russe,

« l’adjectif публичный (publičnyj) est employé dans le sens de открытый для

публики (ouvert au public), par exemple comme dans l’expression публичная

лекция (conférence ouverte au public), ou bien alors il signifie « commun »

(публичная библиотека) »1062. Valéry Kossov remarque aussi que les Russes

ont « une certaine difficulté à associer l’adjectif «public » à «d’État » (публичный –

государственный) en raison de leur perception différente de l’État »1063.

Certaines traductions ont posé des problèmes en raison de l’ambiguïté des

concepts, ou de leur absence dans les dictionnaires. Ainsi, l’expression

карликовое государство (karlikovoe gosudarstvo) peut être traduite en français

comme micro-État. Il faut néanmoins prendre garde de ne pas confondre les

termes russes карликовое государство (karlikovoe gosudarstvo) et микро-

государство (mikro-gosudarstvo), ce dernier devant être traduit par micro-nation.

Après avoir consulté les dictionnaires bilingues pour traduire en français les

expressions avec le mot gosudarstvo, nous avons découvert qu’il existe un grand

nombre de traductions différentes, mais aussi de nouvelles expressions à valeur

métaphorique, de CLS ou de locutions figées. Ainsi il faut mettre en évidence le

rôle important des dictionnaires bilingues généraux et spécialisés, afin de

compléter la liste des expressions comportant les mots gosudarstvo et État.

1060 Le nouveau petit Robert, op.cit., p.2039. 1061 Valéry Kossov, « Culture politique et traduction. Le concept de l’État en français et en russe », ILCEA [En ligne], 3 | 2002, mis en ligne le 08 juin 2010. URL : http://ilcea.revues.org/index773.html. Consulté le 21 juin 2009. 1062 Ibidem. 1063 Ibidem.

Page 372: dans les langues

371

Voici quelques exemples d’expressions tirés du Dictionnaire russo-français des

termes historiques et sociopolitiques de Žanna Arutjunova1064, que l’auteur traduit

de la façon suivante :

Государство-нарушитель : État délinquant

Государство всеобщего благосотояния : État -providence

Автономное государство : État autonome

Авторитарное государство : État autoritaire

Прибрежное государство : État riverain

Признанное государство : État reconnu

Присоединившееся государство : État adhérent….

Il est intéressant d’analyser la traduction du terme composé État-providence

proposée par Jeanne Arutjunova : государство всеобщего благосотояния

(Gosudarstvo vseobščego blagosostojanija), qui est différente de celle de

Vladimir Gak : государство-провидение (gosudarstvo-providenie). Vladimir Gak

fait un calque du terme française, tandis que Jeanne Arutjunova a traduit le terme

anglais "welfare state", introduit par les anglo-saxons (État de bien-être). Il s’agit

d’une forme d’État dans laquelle le système social permettrait de « mettre

l’homme à l’abri du besoin »1065. D’où viennent de nombreuses traductions telles

que - "государство благоденствия" (gosudarstvo blagodenstvija), "государство

всеобщего благоденствия" (gosudarstvo vseobščego blagodenstvija),

"государство-провидение" (gosudarstvo-providenie).

Si nous nous référons au Corpus de la Langue Russe, nous ne trouvons que le

terme de Jeanne Arutjunova, repris dans la presse, dont un extrait suit :

Тогда я пришел к выводу, что государство всеобщего

благосостояния ― это здорово.1066

1064 Arutjunova Ž. M., Russko-francuzskij slovar’ : Istoričeskie i političeskie terminy, Moskva : RGGU, 2008, p.56-57. 1065 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.168. 1066 Vlasova O., « Recept vseobščego blagosostojanija », in Ekspert, 12.20.2004, www.ruscorpora.ru. Consulté le 21 décembre 2010.

Page 373: dans les langues

372

Alors je suis arrivé à la conclusion que l’État -providence, c’est super !

En effectuant des recherches sur la traduction de Vladimir Gak dans les sources

électroniques, nous en avons trouvé quelques exemples, mais ce terme est

souvent mis entre guillemets 1067 :

Сам вопрос, вынесенный на обсуждение, мог быть так

сформулирован только на постсоветском пространстве, плотно

сохранившем в коллективной памяти "государство-провидение"...

La question même, amenée dans la discussion, pourrait être ainsi formulée

seulement dans l’espace postsoviétique, qui a fortement gardé dans sa

mémoire collective « l’État -providence ».

Это укрепление роли государства не предполагает создания

вездесущего «государства-провидения». Скорее речь идёт о

возникновении государства-предпринимателя во главе отраслевых

трестов, призванных стать конкурентноспособными на мировых

рынках1068.

Ce renforcement du rôle de l’État ne suppose pas la création d’« un État –

providence » omniprésent. Il s’agit plutôt de l’apparition d’un État-

entrepreneur à la tête des grands groupes industriels, ayant pour mission

d’être concurrentiels sur les marchés internationaux.

Dans le deuxième extrait, nous trouvons une séquence вездесущее

государство (vezdesyščee gosudarstvo - État omniprésent), qui ne figure pas

dans les dictionnaires russes, par comparaison à son équivalent français qui, lui,

1067 Dymarskij V., « Komu pomoč ? », in Rossijskaja gazeta, №4820, 25 décembre 2008, http://www.rg.ru/2008/12/25/dymarskij.html, Consulté le 21 décembre 2010. 1068 Sigman K., « Novyj gosudarstvennyj menedžment v rossijskom vysšem obrazovanii », in Russie.Nei.Visions, №30, avril 2008, http://www.ifri.org/?page=contribution-detail&id=5741&id_provenance=97&lang=uk, Consulté le 21 décembre 2010.

Page 374: dans les langues

373

est mentionné dans le dictionnaire des cooccurrences de Jacques

Beauchesne1069. Dans cet exemple la personnification est manifeste.

Il est également important de parler de la métaphore государство-

предприниматель (gosudarstvo-predprinimatel’ - État-entrepreneur). Comme

nous l’avons vu précédemment, il est question du concept d’État-patron. Comme

le précise Mokhtar Lakenal, spécialiste français en science politique, « l’État

patron est un État entrepreneur, qui n’est pas seulement un producteur, il est

aussi un employeur, un vendeur, un distributeur de biens et services individuels ou

collectifs, privatifs et sociaux »1070. Ainsi de nombreuses associations

personnifiées viennent du concept d’État-patron : государство-

предприниматель (gosudarstvo-predprinimatel’ – État-entrepreneur),

государство-работoдатель (gosudarstvo-rabotodatel’- État-

employeur)…Vladimir Gak a traduit en russe le concept d’État-patron par

государство-хозяин (gosudarstvo-xozjanin). Il nous a paru très important de

rappeler le schéma, construit par Igor’ Uluxanov, sur l’étymologie du mot

gosudarstvo :

Государство ← государь ← господарь← господа ‘хозяйство’←

господь gost+pod (gost ‘гость’gast ‘почва, земля’ + pod ‘хозяин,

повелитель’)1071.

Gosudarstvo (État) ← gosudar’ (souverain) ← gospodar’ (souverain) ←

gospoda ‘хоzjaistvo’ (messiers «ménage ») ← gospod’ (seigneur) gost+pod

(gost ‘gost’ – invité gast ‘počva (sol, terroir), zemlja (terre)’ + pod ‘хоzjain

(maître), povelitel’ (souverain).

La base pod signifie хозяин, глава дома, повелитель, владыка (xozjain –

maître, glava doma – mâitre de maison, povelitel’, vladyka - souverain). Ainsi nous

1069 Beauchesne J., Dictionnaire des cooccurrences, Montréal : Guérin, 2001, p. 140-141. 1070 Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.168. 1071 Uluxanov I.S., « Istorija slova « gosudarstvo », in Russkoe slovo v russkom mire – 2005 : Gosudarstvo i gosudarstvennost’ v jazykovom soznanii rossijan, sous red. de Ju. Karaulov, O.V. Evtušenko, I.V. Ružickij, M. : Azbukovnik, 2006, p.226-237.

Page 375: dans les langues

374

pouvons conclure que la traduction государство-хозяин (gosudarstvo-xozjanin)

proposée par Vladimir Gak nous renvoie à l'étymologie du mot gosudarstvo.

Nous pouvons ajouter ces locutions à valeur métaphorique à celles ayant le trait

humain.

• Dictionnaires généraux et spécialisés bilingues franco-russes

Voici la liste des traductions de certaines expressions avec le mot État

considérées par Vladimir Gak comme des unités phraséologiques 1072 :

État tampon - буферное государство

Mériter de l’État - Иметь заслуги перед государством

Tenir les États - историч. созвать Генеральные Штаты

L’État, c’est moi - государство – это я

Affaire d’État - перен. Оч. важное дело

Char de l’État - государственная колесница

Les coffres de l’État - разг. Государственное казначейство

Coup d’État - государственный переворот

Crime d’État - государственное преступление

Faire un crime d’État de quelque chose - раздувать чью либо вину

Homme d’État - Государственный деятель

Le premier magistrat de l’État - президент Республики

Raison d’État - государственные соображения, государственные

интересы

Les rênes du gouvernement ou de l’État - обыкн. Употреб. с prendre,

rendre, tenir бразды правления

Le timon des affaires de l’État ou du gouvernement - бразды правления

Vaisseau de l’État - государственный корабль

Tout le monde voudra s’occuper de la manœuvre, car elle est bien payée.

Stendhal, «le Rouge et le Noir »

1072 Le nouveau grand dictionnaire phraséologique français-russe, sous la direction de V.G. Gak, Moscou, Rousski Yazyk Media, 2005, p.590-591.

Page 376: dans les langues

375

Всякий будет стремиться стать у руля на государственном

корабле, ибо за это недурно платят (Стендаль «Красное и черное»).

Comme nous l’avons déjà vu, l’allusion : L’État, c’est moi, et son équivalent russe

государство – это я (ëto ja-c’est moi) sont souvent exploités dans la presse

française et russe. De plus, la réaction au mot gosudarstvo : это я (ëto ja-c’est

moi) figure également dans le Dictionnaire associatif du russe (12 réponses)1073.

Dans les traductions de Vladimir Gak, la combinatoire des mots change en raison

des différences culturelles. Ainsi, ce dernier traduit les séquences homme d’État et

coup d’État avec l’adjectif государственный (gosudarstvennyj - étatique), en

préférant les termes : деятель (dejatel’) et переворот (pereverot). D’après le

Dictionnaire de langue russe d’Ožegov, le mot переворот (perevorot) est

polysémique1074 :

1. Резкий поворот, перелом в развитии чего-н...

2. Коренное изменение в государственной жизни. Революционный

переворот. Государственный переворот.

3. Поворот с одной стороны на другую.

1. Changement brusque dans le développement de quelque chose…

2. Changement radical dans la vie de l’État. Révolution. Coup d’État.

3. Tournant, virage.

Ainsi, nous constatons que si nous omettons l’adjectif государственный

gosudarstvennyj - étatique), le sens du mot perevorot, qui se rapporte au

vocabulaire politique et social, ne sera pas modifié. Donc, nous ne pouvons pas

considérer cette expression, ni comme locution figée, ni comme CLS, puisque il

est question d’un simple terme relevant du lexique politique et social.

1073 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’ : ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin, V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.38. 1074 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M.: OOO izd. ELPIS, 2003,

p.500.

Page 377: dans les langues

376

Quant aux expressions les rênes de l’État et le timon des affaires de l’État, elles

sont traduites en russe par бразды правления (brazdy pravlenija). La

combinatoire russe adopte le mot правление (pravlenie1075) dans cette traduction.

Dans le Dictionnaire phraséologique de la langue littéraire russe, l’expression

бразды правления (brazdy pravlenija) a deux sens :

1. Устар. Власть, управление. Шведам война с Пруссией была

ненавистна, но бразды правления были всё ещё в руках

государственного совета, повинующегося повелениям французского

двора (А. Болотов. Записки).

1. Vieilli. Pouvoir, administration. La guerre avec la Prusse était détestable

pour les Suédois, mais les rênes de l’État étaient encore entre les mains du

Conseil d’État obéissant à la Cour française (A.Bolotov. Mémoires).

2. Лидерство, инициатива. Помню, в школе, где я работал, по

праздникам — в День учителя, к примеру, — все уроки и вообще все

бразды правления передавались старшеклассникам (М. Левин. Трудно

быть любимым).

2. Rôle dirigeant, initiative. Je me rappelle qu’à l’école où j’ai travaillé, pendant

les jours fériés, par exemple le jour de l’enseignant, tous les cours et les rênes

de la direction en général étaient déléguées aux élévès des classes

supérieures (M.Levin. Difficile d’être aimé).

Bien que le fait que le premier sens soit vieilli, nous constatons que dans la

presse d’aujourd’hui cette expression s’emploie toujours dans les deux sens :

Ротозейство, дескать, доверять и передоверять государству бразды

правления, если оно отлынивает защищать интересы нашего брата ―

олигарха1076.

1075 Le mot russe pravlenie est polysémique et peut être traduit différement en français : soit comme gouvernement (pour l’action de gouverner), soit comme règne (quand il s’agit d’un monarque) et soit comme direction (quand il s’agit de l’administration d’un établissement).

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C’est de la bêtise de confier et de reconfier à l’Etat les rênes du pouvoir, s’il se

soustrait à défendre les intérêts des oligarques.

Берем бразды правления в свои руки. Даже если управлять придется не

фирмой, а преддипломной практикой.

Nous prenons les rênes de la gestion. Même si on est obligé de diriger un stage

de fin d’études et pas une entreprise.

Dans son ouvrage Les stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et

combinatoire1077, Vladimir Beliakov se penche davantage sur « la question de la

motivation des associations lexicales » et il étudie, en particulier, l’organisation

des collocations métaphoriques. Il remarque que « à l’intérieur des associations

collocatives, le transfert métaphorique se produit également entre les domaines

tels que : 1. Monde physique →Monde humain, qui concerne entre autres : … ; b)

Les catégories sociales : … пресс государства "presse de l’État ", судебная

машина "machine judiciaire" »1078...Par analogie, nous pouvons supposer que

бразды правления (brazdy pravlenija), государственная машина

(gosudarstvennaja mašina) peuvent être considérées comme des collocations

métaphoriques.

Nombreux sont les exemples de l’emploi de cette collocation бразды правления

(brazdy pravlenija) dans la presse russe. Voici les combinaisons possibles :

получить (polucit’ – obtenir le pouvoir), передать (peredat’ – transmettre le

pouvoir) бразды правления ()1079, бразды правления в руках (brazdy pravlenija

v rukax – tenir les rênes de l’État), брать в руки (brat’ v ruki) 1080, взять бразды

1076 Владимир Попов. Страсти по «черному золоту». России прочат лидерство в мировой нефтяном экспорте. Но ценой утраты перспектив развития отечественной экономики (2003) // «Завтра», 2003.08.13 1077 Beliakov V., Les stéréotypes linguistiques en russe : sémantique et combinatoire, op.cit., 209 p. 1078 Ibid., p.77-78. 1079 Uglanov A., « Čto budet s SNG ?», in Argumenty i fakty, 2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 décembre 2010. 1080 « Bol’še svobody i otkrytosti ! », in Liza, 2005, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 décembre 2010.

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378

правления (vzjat’ brazdy pravlenija – prendre les rênes des affaires de l’État)1081...

Il est judicieux de souligner que l’expression le timon des affaires de l’État est

vieillie et que le locuteur préfère l’emploi de la locution les rênes de l’État, ou des

expressions comportant le mot pouvoir.

Nous trouvons également la traduction de quelques expressions et termes avec le

mot État dans le dictionnaire bilingue français-russe de Vladimir Gak1082 :

État frontière - пограничное государство

État fantoche - марионеточное государство

État-patron - государство-хозяин (государство как работодатель)

État-providence - государство-провидение.

Le Lexique juridique et économique russe-francais/français-russe 1083 de Philippe

Frison et d’Ekaterina Kudrina énonce aussi quelques expressions avec les mots

État/gosudarstvo, en donnant la priorité aux expressions avec le dérivé

государственный (gosudarstvennyj – étatique). Nous ne citerons ici que celles

qui ne figurent pas encore dans notre liste :

État partie (à un traité), État membre (d’une organisation), Государство-

участник (полит.)

Conseiller d’État, статский советник (юрид.)

Secrétaire d’État, Статс-секретарь, госсекретарь

Symboles d’État, государственные символы (полит.).

Il y a lieu de préciser que la traduction de l’expression conseiller d’État par

статский советник est vieillie, car cette dernière fût utilisée pendant l’époque

tsariste. Aujourd’hui on utilise le mot composé госсоветник (gossovetnik), qui est

1081 Voščanov P., « Proekt « vragi naroda », in Novaja gazeta, 2003.01.02, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 décembre 2010. 1082 Gak V.G., Ganšina K.A., Novyj francuzsko-russkij slovar’, M., izd. Russkij jazyk, 2002, p.422. 1083 Lexique juridique et économique russe-français - français-russe, sous la direction de Philippe Frison, Yekaterina Kudrina et Tatiana Zhyvylo. - Paris : Chiron, impr. 2006. p.230.

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379

une abréviation de государственный советник (gosudarstvennyj sovetnik),

défini dans le dictionnaire de la façon suivante1084 :

Должность, ранг государственной службы ; лицо, занимающее эту

должность, имеющее этот ранг ; государственный советник.

Fonction, grade dans la Fonction publique1085 ; personne occupant cette

fonction, ayant ce grade ; conseiller d’État.

Nous verrons plus loin que l’abréviation élaborée à partir du mot

государственный (gosudarstvennij) est un procédé important dans la formation

des dérivés.

En conclusion, il est nécessaire de préciser que l’étude des expressions, figurant

dans les dictionnaires bilingues généraux et spécialisés, a mis en évidence un

grand nombre d’expressions, parmi lesquelles :

• Des collocations métaphoriques : государственная машина

(gosudarstvennaja mašina – machine étatique),

• une collocation périphrastique : государство в государстве (gosudarstvo

v gosudarstve – un État dans l’État) quand il s’agit de la désignation d’une

entité politique,

• des CLS : пограничное государство (pograničnoe gosudarstvo - État

frontière), прибрежное государство (pribrežnoe gosudarstvo - État

riverain), признанное государство (priznannoe gosudarstvo - État

reconnu), буферное государство (bufernoe gosudarstvo – État tampon)

• et enfin des combinaisons libres : государственные символы

(gosudarstvennye simvoly - symboles d’État), государственный деятель

(gosudarstvennyj dejatel’ – homme d’État).

1084 Novye slova i značenija. Slovar’-spavočnik po materialam pressy I literatury 90-x godov XX veka, v 2 tomax, 1 tom, pod redakciej T.N. Buceva, Institut lingvističeskix issledovanij RAN, Spb: Dmitrij Bulanin, 2009, p.421. 1085 Valéry Kossov propose de traduire le terme государственная служба par Fonction publique.

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380

Nous avons également retrouvé des expressions à valeur métaphorique, comme

государственный корабль ( gosudarstvennyj korabl’ - vaisseau de l’État),

государственная колесница (gosudarstvennaja - char de l’État)…

Cette brève analyse des dictionnaires bilingues démontre la nécessité de mettre à

jour les traductions des locutions ou leurs équivalents, appartenant au vocabulaire

politique et social, et de les réunir dans un seul grand dictionnaire spécialisé

bilingue, franco-russe et russo-français.

Conclusion

Grâce aux dictionnaires bilingues, nous avons pu élargir notre liste d’expressions

comportant le mot gosudarstvo, ayant les trois traits sémantiques :

• Le trait géographique : буферное (bufernoe – tampon), прибрежное

(pribrežnoe – riverain), пограничное (pograničnoe - frontière)

государство (gosudarstvo - État).

• Le trait structurel : Иметь заслуги перед государством (imet’ zaslugi

pered gosudarstvom – mériter de l’État); автономное (avtonomnoe -

autonome), авторитарное (avtoritarnoe – autoritaire) государство

(gosudarstvo -État).

• Le trait humain : государство-хозяин (gosudarstvo – xozjain – État-

patron), предприниматель (predprinimatel’ - entrepreneur), участник

(učastnik – membre), нарушитель (narušitel’ – délinquant).

Précisons que notre étude sur les expressions comportant les mots

État/gosudarstvo est non exhaustive. Il serait utile, à notre avis, de poursuivre

cette étude, afin de dégager d’autres séquences, par exemples celles avec les

dérivés des mots État/gosudarstvo, ou plus largement les CLS ou collocations

appartenant au vocabulaire politique et social.

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Si nous comparons les expressions comportant le mot État à celles contenant le

mot gosudarstvo, nous observons la même prédominance du trait structurel et une

forte présence du trait géographique, au détriment du trait humain.

Il nous a semblé également nécessaire de comparer les expressions rencontrées

dans le dictionnaire de langue à celles mentionnées par le dictionnaire associatif.

Cette comparaison nous a permis de mettre en évidence le rôle important du

Dictionnaire associatif du russe1086, source non négligeable de combinaisons

comportant le mot gosudarstvo, privilégiant la structure syntaxique :

Adjectif + Nom

социалистическое (socialističeskoe – socialiste), большое (bolšoe –

grand), великое (velikoe - grand), тоталитарное (totalitarnoe –

totalitaire), сильное (sil’noe - fort), справедливое (spravedlovie – juste),

могущественное (moguščestvennoe – puissant, fort), застойное

(zastojnoe – stagnant) государство (gosudarstvo), бесправное

(bespravnoe – sans droits), бесчеловечное (besčelovečnoe – inhumain),

дрянное (drjannoe – mauvais), гнилое (gniloe – corrompu), разоренное

(razorennoe – ruiné) государство (gosudarstvo).

Comme nous l’avons déjà mentionné, le caractère dimensionnel et appréciatif du

lexique joue un rôle prépondérant dans l’esprit des Russes.

Nous avons délibérément fait le choix d’analyser les expressions comportant le

mot gosudarstvo, aux dépens de celles composées de l’adjectif

государственный (gosudarstvennyj – d’État). Nous nous réservons d’étudier ces

dernières ultérieurement et d’une manière plus approfondie. Soulignons que le

dictionnaire de langue n’est pas très riche en expressions contenant ce dérivé. Par

exemple, le dictionnaire d’Ožegov et de Švedova en propose seulement deux :

государственный ум (gosudarstvennyj um – esprit étatique), государственный

1086 Russkij associativnyj slovar’. Kniga 1. Prjamoj slovar’ : ot stimula k reakcii. Associativnyj tezaurus sovremennogo russkogo jazyka. Ju. Karaulov, Ju.A. Sorokin,V.F. Tarasov, N.F. Ufimceva, G.A. Čerkasova, Moskva: Izdatel’stvo Astrel’, 2002, p.38.

Page 383: dans les langues

382

человек (gosudarstvennyj čelovek – homme d’État)1087. En revanche, le Lexique

politique de Galina Skljarevskaja en propose plusieurs :

государственный гимн (gosudarstvennyj gimn – hymne national), герб

(gerb –armoirie nationale), флаг (flag – drapeau national),

государственная граница (gosudarstvennaja granica – frontière d’État),

государственное имущество (gosudarstvennoe imuščestvo – biens

d’État), государственный контроль (gosudarstvennyj kontrol’ – contrôle

d’État)...

Органы государственной власти. Дело государственной

важности.1088

Organes du pouvoir de l'État. Affaire d'État.

C’est dans le Dictionnaire de langue russe moderne1089 que nous avons retrouvé

le plus grand nombre d’expressions telles que : государственный аппарат

(gosudarstvennyj apparat – appareil d'État), государственный бюджет

(gosudarstvennyj bjudzet – budget d'État), государственная служба

(gosudarstvennaja služba – Fonction publique1090)... sans préciser le caractère de

ces locutions.

Quant au Dictionnaire phraséologique d’Aleksandr Birix, il ne propose que trois

expressions : государство в государстве1091 (gosudarstvo v gosudarstve –

l’État dans l’État), государственная машина1092 (gosudarstvennaja mašina –

1087 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.141. 1088 Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.60-61. 1089 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.183-184. 1090 Valéry Kossov précise que « государственная служба - ce n’est pas tout à fait le service de l’Etat » mais qu’il s’agit dans la réalité juridique russe plutôt de la Fonction publique. In Kossov V., « La nouvelle terminologie dans les domaines économique, politique, juridique. Difficultés de traduction », in Essais sur le discours de l’Europe éclatée, N 20, 2004, p.123. 1091 Birix A.K., Russkaja frazeologija. Istoriko-etimologičeskij slovar’. Moskva : Astrel’, 2007, p.162. 1092 Ibid., p.424.

Page 384: dans les langues

383

machine étatique), государственные младенцы1093 (gosudarstvennye

mladency1094).

Le Dictionnaire combinatoire du russe1095 propose plusieurs associations avec

l’adjectif gosudarstvennyj :

Строй, система, устройство, власть, управление, аппарат, органы,

суверенитет, независимость, политика, интересы, тайна, право,

контроль (сокр. госконтроль), граница....

Régime, système, organisation, pouvoir, direction, appareil, organes,

souveraineté, indépendance, politique, intérêts, secret, droit, contrôle (abr.

goskontrol’), frontière…

Nous retrouvons également plusieurs associations avec cet adjectif dans le

Dictionnaire associatif du russe comme государственная граница

(gosudarstvennaja granica – frontière d’État), тайна (tajna –secret d’État),

машина (mašina – machine étatique), палата (palata – chambre d’État)... ou

государственный строй (gosudarstvennyj stroi – régime politique), деятель

(dejatel’ – homme d’État), аппарат (apparat – appareil étatique)…1096.

Il ne serait donc pas inutile de poursuivre, également, l’étude des expressions

comportant les adjectifs gosudarstvennyj / de l’État ou publique, dans les deux

langues afin de comparer les différentes combinatoires.

Enfin, nous rencontrons des cas de dédoublement terminologique dans le

vocabulaire politique et social russe, en raison des différents emprunts lexicaux.

Par exemple, государство-провидение (gosudarstvo-providenie) est un calque

de l’expression française État-providence et государство всеобщего

1093 Ibid., p.440. 1094 Expression littéraire et vieillie, datant du début du XVIIIe siècle, utilisée à l’origine pour désigner les étudiants d’origine noble, elle sert ensuite à ironiser sur les nobles qui obtenaient un poste auprés de l’État uniquement grâce à leur noblesse. 1095 Denisov P.N., Morkovkin V.V., Slovar’ sočetamosti slov russkogo jazyka. Ok. 2500 sl. statej, Izd. 3, Moskva : Astrel’, 2002, p.135. 1096 Voir Annexe VI (3).

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384

благоденствия (gosudarstvo vseobščego blagodenstvija) est un calque de

l’anglais « welfare state ».

5.4. Les dérivés du mot gosudarstvo dans les dictionnaires

Avant d’aborder tous les dérivés du mot gosudarstvо, il faut préciser que la langue

russe est une langue synthétique où prédomine, en particulier l’affixation (suffixe,

préfixe, flexion). Ceci nous permet de former un grand nombre de dérivés et de

mots composés à partir du mot gosudarstvо. Comme nous l’avons vu

précédemment, bien que le français soit considéré comme une langue analytique

à l’origine, son système morphologique joue un rôle important dans le vocabulaire

politique et social. Essayons de comparer les deux systèmes et voir si leurs

fonctions sont identiques dans le vocabulaire politique et social. Il nous paraît

également nécessaire de comparer les procédés de formation à partir des deux

mots État et gosudarstvo. La théorie classique insiste sur le fait que ces procédés

différent considérablement dans les deux langues, par exemple comme l’a fait

Vladimir Gak1097. Nous essaierons de montrer qu’il existe un nombre important de

ressemblances dans la dérivation et la composition, tant française que russe.

Notre recherche reste cependant compliquée par le fait qu’il existe peu de travaux

sur les procédés de formation des termes politiques et sociaux et qu’il s’agit

souvent d’emprunts.

5.4.1. Dérivés de gosudar’ et de gosudarstvo

D’après nos recherches sur l’origine et l’étymologie du mot gosudarstvo, nous

avons constaté que son étymologie a plusieurs variantes. Nous avons déjà

mentionné au premier chapitre les étymons du mot gosudarstvо: государь,

1097 Vladimir Gak observe plusieurs différences dans la formation des mots français et russe, par exemple sur le principe d’ordre de la formation des substantifs et des verbes. Si les substantifs russes sont en général formés à partir des verbes, en français c’est l’inverse : dame, damer et трамбовать, трамбовка ou la dérivation préfixale qui est plus développé pour les verbes, surtout pour les verbes de mouvement. Vladimir Gak souligne dans ce contexte l’emploi des expressions françaises qui dans ce cas deviennent équivalents des dérivés russes. In Gak V.G., Besedy o francuzskom slove. Iz sravnitel’noj leksikologii francuzkogo I russkogo jazykov, Moskva: KomKniga, 2006, 336 p.

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385

господарь (gosudar’, gospodar’) en XIVe1098. Le mot gosudarstvо est donc un

dérivé du mot gosudar’ avec le suffixe –ств(o) (-stv(o)). Le suffixe –stvo répond

aux règles de formation des noms collectifs1099. Il provient du suffixe –ьstvo qui est

un des plus fréquents dans le vieux slave1100. Valerija Efimova, spécialiste russe

en vieux slave, retrouve dans les manuscrits rédigés en vieux slave environ 226

lexèmes qui contiennent le morphe –ьstvo ; de plus, dans 109 d’entre eux, le

suffixe –ьstvo est un moyen de formation. L’auteur précise que la fonction

principale de ce suffixe sert à la formation de « nomina abstracta » (noms

abstraits). Ce suffixe peut également transmettre au dérivé les caractéristiques ou

l’activité d’un individu, ainsi que l’idée de collectivité. Parmi les exemples nous

pouvons citer les mots tels que bratьstvo-братство (confrérie) / bratъ-брат

(frère), gospodьsvo-господство (domination, règne) / gospodь-господь

(Dieux)1101.

Certains linguistes considèrent que les mots gosudarstvо et gosudar’ constituent

aujourd’hui deux mots différents du point de vue sémantique, parce que le sens du

mot gosudarstvо en tant que pays gouverné par un souverain est vieilli. Ainsi le

dictionnaire de formation des mots de Tixonov présente ce mot comme une unité

lexicale indépendante, qui a donné à son tour une suite de dérivés1102 et

comprend deux articles séparés pour les mots gosudarstvо et gosudar’.

Le Dictionnaire de formation des mots de Tixonov ne nous renseigne pas sur les

dates de formation des dérivés du mot gosudarstvo. En effet, l’histoire de

l’évolution des dérivés ne semble pas intéresser les auteurs des dictionnaires

russes, tant de langue, qu’historiques ou étymologiques, lesquels ne cherchent

1098 Sreznevskij I.I., Materialy dlja slovarja drevnerusskogo jazyka. T 1, Sankt-Peterburg, 1893, p.571-572. 1099 Elena Zemskaja cite des exemples suivants : учитель – учительство (učitel’ – učitel’stvo), офицер – офицерство (oficer – oficerstvo). In Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka, 2007, p.260. 1100 Efimova V.S., Staroslavjanskaja slovoobrazovatel’naja morfemika. Moskva : In-t slavjanovedenija RAN, 2006, p.156. 1101 Ibid., p.157. 1102 Henri Mitterand cite l’exemple des verbes muer et remuer, distants du point du vue sémantique. Il les considère comme deux mots simples. In Mitterand, H., Les mots français, Que sais-je ? Paris : Presses universitaires de France, p.25.

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386

qu’à retrouver l’étymon de tel ou tel mot. Comme nous l’avons vu précédemment,

les dictionnaires étymologiques ne nous renseignent que sur l’histoire du mot

gosudarstvo. Pendant plusieurs années, les différents procédés de formation des

mots ont été analysés sur le plan synchronique, c’est-à-dire que les linguistes

russes ont étudié ces procédés, afin de comprendre comment un nouveau mot a

été produit ; c’est ce qu’a fait, notamment, Elena Adnreevna Zemskaja dans son

ouvrage Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie (La langue russe

contemporaine. La formation des mots)1103. Ces dernières années, l’étude

diachronique a commencé à susciter un intérêt particulier chez les spécialistes,

tels qu’Igor’ Uluxanov, Dmtrij Alekseev, Gennadij Nikolaev et bien d’autres

linguistes russes. En travaillant sur les documents rédigés en vieux russe, ces

linguistes ont rencontré des difficultés à situer l’apparition chronologique de ces

mots, car les auteurs de l’époque ne s’appuyaient pas eux-mêmes sur une

chronologie rigoureuse.

Dans le dictionnaire de Tixonov, nous trouvons les dérivés suivants formés à partir

des deux mots gosudarstvo et gosudar’ et de l’affixation1104 :

1. Государство (gosudarstvo)

Государственность (gosudarstvennost’)

Государственник (gosudarstvennik)

Государственный (gosudarstvennyj)

Антигосударственный (antigosudarstvennyj)

По-государственному (po-gosudarstvennomy)

Внутригосударственный (vnutrigosudarstvennyj)

Межгосударственный (mejgosudarstvennyj)

Противогосударственный (protivogosudarstvennyj)

Огосударствить, огосударствливать, огосударствление

(ogosudarstvit’,ogosudarstvlivat’, ogosudarstvlenie)

2. Государь (gosudar’)

1103 Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka, 2007, 328 p. 1104 Tixonov A.N., Slovoobrazovatel’nyj slovar’ russkogo jazyka, v 2-x tomax, Tom 1, Moskva : Russkij jazyk, 1985, p.246.

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387

Государыня (gosudarynja)

Государынин (gosudarynin)

Государский (gosudarskij)

Государев (gosudarev)

Государить (gosudarit’)

Государствовать (gosudarstvovat’)

Государствованиje (государствование) (gosudarstvovanie)

Dans le Lexique juridique et économique rédigé sous la direction de Philippe

Frison et Ekaterina Kudrina nous trouvons un nouveau dérivé

государственничество (gosudarstvenničestvo)1105, qu’il est nécessaire d’ajouter

à notre analyse.

• Verbes dérivés de gosudar’

Analysons maintenant les verbes dérivés de gosudar’. Le Dictionnaire de Vladimir

Dal nous indique les mots suivants : государствовать, государствованiе

(gosudarstvovat’, gosudarstvovanie). Le verbe государствовать

(gosudarstvovat’) a été créé à l'aide du suffixe –ова (-ova) qui transmet l’idée

d’action (dominer)1106:

Государствовать, государить, царствовать, царить, быть

государем. (gosudarstvovat’, gosudarit’, carstvovat’, carit’, byt’

gosudarem).

Le suffixe –ova était très employé dans le vieux russe, pour former les verbes

avec les substantifs en –ьstvo, ce qui a créé un groupe de substantifs en –

ьstvova. Dans les manuscrits rédigés en vieux slave on trouve environ 41 verbes

1105 Frison P., Y. Kudrina, Lexique juridique et économique russe-francais/français-russe, Paris : Chrion, 2006, p.36. 1106 Dal’ V.I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p..955-956.

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388

formés sur cette base : apostolьstvovati, blagodarьstvovti,

blagoslovesьstvovati...1107

Malgré le sens vieilli du verbe государствовать (gosudarstvovat’) figurant dans

le Dictionnaire d’Efremova1108, nous avons pu retrouver ce verbe dans le discours

contemporain. Dans la presse russe, Georgij Kireev, journaliste, cite Konstantin

Aksakov, slavophile russe, qui affirmait que :

« … Русский народ, не имеющий в себе политического элемента,

отделил государство от себя и государствовать не хочет. Не

желая государствовать, народ предоставляет правительству

неограниченную власть государственную…»1109

Le peuple russe n’ayant pas la fibre politique, s’est séparé de l’État et ne

veut pas régner. Ne souhaitant pas lui-même régner, le peuple délègue un

pouvoir illimité au gouvernement.

Georgij Kireev poursuit l’idée du philosophe et ajoute que :

Проблема заключается в том, что «нежелание государствовать»

живет в нас уже генетически1110.

Le problème reste dans le fait que la non-volonté de gouverner se transmet

de génération en génération.

Voici un autre extrait où le mot государствовать (gosudarstvovat’) est aussi

entre guillemets :

1107 Efimova V.S., Staroslavjanskaja slovoobrazovatel’naja morfemika. Moskva : In-t slavjanovedenija RAN, 2006, p.168. 1108 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., T1 : A-O, Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p. 332. 1109 «Rus’ », № 26, du 9 mai 1881, p. 11. 1110 Kireev K., «Ot nacional’noj utopii k nacional’noj idee », in Lebed’ (Boston), 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 27 juin 2010.

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389

Партия, на которую надо опереться, должна для этого иметь

собственный силовой потенциал, свою социальную систему передач

с правящим классом. Она должна «государствовать»1111.

Le parti politique sur lequel il faut s’appuyer doit avoir sa propre force, son

propre système social de relations avec les élites. Il doit « tenir le

gouvernail ».

Dans le même temps apparait le substantif : государствование

(gosudarstvovanie) formé à l’aide du suffixe -ние (-nie). Ni le dictionnaire

étymologique de la langue russe, ni celui de Vladimir Gak ne précisent la date de

formation de ce substantif ou celle du verbe государствовать (gosudarstvovat’).

Leur ordre d’apparition dans les dictionnaires n’est pas toujours le même. Nous

supposons, néanmoins, que le substantif a été formé à partir du verbe imperfectif.

Nous nous basons ici sur les conclusions de Genadij Nikolaev, philologue russe,

qui a étudié la formation des mots russes du point de vue diachronique1112. Le

substantif государствование (gosudarstvovanie) transmet l’idée de diriger le

pays en tant que souverain.

De plus, il était synonyme du substantif gosudarstvo :

Государство ср. царство, империя, королевство, земля, страна под

управлением государя. Стар. государствованiе, власть, санъ и

управленiе государя. Поздравлять на государствiъ, здравствовать

государю со вступленiемъ его на престолъ. Государствованье,

государенье ср. управленiе государствомъ въ сане государя.1113.

État n., royaume (carstvo), empire, royaume, terre, pays sous gouvernance

d’un souverain. Vieilli. Règne, pouvoir, dignité et gouvernement du souverain.

1111 Pavlovskij G., « Edinaja Rossija – pravit li partija ? », in Russkij žurnal, 18.03.2010, http://www.russ.ru/Mirovaya-povestka/Edinaya-Rossiya-pravit-li-partiya. Consulté le 26 juin 2010. 1112 Nikolaev G.A., Russkoe istoričeskoe slovoobrazovanie. Moskva: Knižnyj dom Librikom, 2009, p.26. 1113 Dal’ V.I., Tolkovyj slovar’ živogo velikorusskogo jazyka. Tret’e izdanie ispr. pod redakciej professora I.A. Boduena De Kurtane, T.1 A-Z, Sankt-Peterburg : Izdatel’stvo Tovariščestva Vol’f’, 1903, p.955-956.

Page 391: dans les langues

390

Féliciter de son gouvernement, souhaiter des vœux de longévité au souverain

à l’occasion de sa montée sur le trône. Règne. Gouvernement de l’État avec

la dignité du souverain.

Selon Genadij Nikolaev, cette synonymie est tout à fait typique de la dérivation

russe. Il les nomme « synomorphèmes (синоморфемы-sinomorfemy) »1114, par

exemple ходатайство – ходатайствование (xodatajstvo-xodatajstvovanie) :

demande, requête.

Il est intéressant de noter que ces substantifs gosudarstvovan’e,

gosudarstvovanie, dont le sens est aussi vieilli comme pour le verbe

государствовать (gosudarstvovat’), peuvent se rencontrer dans le discours

contemporain :

Никто не сомневается в том, что русские умеют писать романы,

нет проблемы с афишированием нашего оркестра за границей, но

есть провальное крыло здания - это государствование и

хозяйствование, и это можно проследить по бедности языка,

которым описываются наши дела.1115

Personne ne doute que les Russes ont la capacité d’écrire des romans, il

n’y a pas de problème pour faire connaître nos orchestres à l’étranger, mais

il existe une faiblesse, c’est dans la gouvernance et la gestion, cela se voit

à la pauvreté de la langue avec laquelle sont évoquées nos affaires.

Il nous semble que dans cet exemple le substantif государствование

(gosudarstvovanie) acquiert aujourd’hui un nouveau sens et désigne la gestion

des affaires de l’État au lieu de représenter le règne d’un souverain.

1114 Nikolaev G.A., Russkoe istoričeskoe slovoobrazovanie, op.cit., p.88. 1115 Najšul’ V., « Liberalizacija nacional’nogo uklada », in Polit.ru http://old.polit.ru/documents/198495.html, Consulté le 23 janvier 2011.

Page 392: dans les langues

391

• Les affixes empruntés par le vocabulaire politique russe Il est important de préciser que le vocabulaire politique russe est riche en mots

empruntés, dont un grand nombre vient de la langue française de la fin du VIIIe

siècle : révolution – революция (revolucija), constitution – конституция

(konstitucija), patriotisme - патриотизм (patriotizm), prolétaire – пролетарий

(proletarij), terreur- террор (terror), idéologue- идеолог (ideolog)… et par

conséquent des suffixes et préfixes latins et grecs, tels : –ист, -изм, -изиров-а

(ть) (iste-, -isme, -iser) et анти-(anti-), контр- (contr-), транс- (trans-), ультра-

(ultra) et ayant composé les mots : антигосударственный (antigosudarstvennij-

antiétatique), контрнаступление (kontrnastuplenie-contre-offensive), транс-

областной (transoblastnoj-transrégional), ультраправый (ultrapravyj-extrême

droite). De son côté, le mot gosudarstvo, qui est un mot russe, a lui aussi créé des

dérivés avec des affixes empruntés.

Les suffixes –ен (-en), –ость (-ost’), -ик (-ik), -ичество (-ičestvo)

–ен (-en), –ость (-ost’)

L’adjectif государственный (gosudarstvennyj - étatique) est formé du mot

gosudarstvo par l’adjonction du suffixe –ен (-en). C’est la formation caractéristique

des adjectifs et ne présente aucun intérêt sémantique. Il est plus intéressant

d’analyser la formation du mot государственность (gosudarstvennost’), crée de

l’adjectif государ-ственный (gosudarstvennyj) et du suffixe –ость (-ost’). Nous

ignorons de quelle période date cette formation et supposons qu’il s’agit toujours

du XIVème.

• Problème de définition et de traduction de государственность (gosudarstvennost’)

Elena Zemskaja rappelle que le suffixe –ость (-ost’) exprime le caractère abstrait

des mots, formés par l’adjonction de ce suffixe. Nous avons vu que dans le

français le suffixe –ité joue ce rôle.

Page 393: dans les langues

392

Nous nous abstiendrons de toute traduction de ce terme pour l’instant et ne le

ferons qu’après l’analyse de ce concept. Le Dictionnaire spécialisé de

politologie1116 propose la définition suivante de ce terme :

Государственность – особый признак, которым отмечено

историческое развитие стран (нации, группы национальностей,

союза племен и т.п. образований), сумевших создать собственное

государство или восстановивших утраченное в силу различных

причин (утрата независимости, объединение с другой страной) свое

государство.

La gosudarstvennost’ est une qualité particulière grace à laquelle l’évolution

historique des pays se distingue, (nations, groupes ethniques, union de

tribus ou autres formations) pays qui ont pu créer leur État ou le restaurer

(soit après une perte de souveraineté, soit après une union avec un autre

pays).

Ce terme est défini de différente façon dans les dictionnaires de langue :

Государственность :

- Государственный строй, государственная организация1117:

Государственность :

- Полит. Государственное устройство общества. Русская

государственность. Аппарат новой государственности. Обрести

свою государственность. Угроза национальной

государственности1118 :

Selon les deux définitions de gosudarstvennost’ dans les dictionnaires de langue,

il s’agit d’une certaine structure étatique qui restreint le concept développé plus

haut dans le dictionnaire spécialisé.

1116 Aver’janova Ju.I., Politologija. Enciklopedičeskij slovar’, Moskva :. Москва : izd. PUBLISHERS, 1993, p. 64-65. 1117 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., p.141 : « Régime étatique, organisation étatique ». 1118 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p. 183.

Page 394: dans les langues

393

Dans notre article « Quelques dérivés de gosudarstvo »1119, nous avons exposé le

problème de compréhension de ce terme et de sa traduction en français. Pour

traduire ce terme ou plutôt trouver un équivalent en français, nous avions recouru

aux dictionnaires bilingues généraux et spécialisés. Ces dictionnaires ont présenté

un nombre impressionnant de variantes. Ainsi, par exemple, le Dictionnaire des

relations internationales russo-français a donné deux traductions de

gosudarstvennost’ qui nous semblent mal appropriées :

1. statut d’État ; притязать на ~ prétendre au statut d’État.

2. étatisme m1120.

Comme nous l’avons vu précédemment, le terme « étatisme » signifie « doctrine

politique » et ne peut donc pas être traduit par gosudarstvennost’. De plus, le

vocabulaire politique et social du russe a emprunté à la langue française le mot

étatisme, ce qui a donné en translittération russe le terme этатизм (Étatizm),

défini dans le dictionnaire spécialisé russe comme « активное участие

государства в экономической и социальной жизни общества »1121

(participation active de l’État dans la vie économique et sociale).

Le Dictionnaire russo-français de Lev Šerba a proposé une autre traduction qui est

tout à fait logique, si nous prenons en compte la définition du mot

gosudarstvennost’ figurant dans le dictionnaire de langue :

Structure de l’État1122.

Le Lexique juridique et économique, rédigé sous la direction de Philippe Frison et

Yekaterina Kudrina, a essayé d’expliquer ce terme au lieu de le traduire :

Государственность

Prérogatives étatiques, régime politique, (pol.) ;

1119 Toujikova, V., « Quelques dérivés de gosudarstvo », in Actes de la cinquième journée d’études de doctorants slavisants de 2008, à paraître. 1120 Alekseeva G.K., Russko-francuzskij slovar’ meždunarodnyh otnošenij, M., ACT, Tranzitkniga, 2004, p. 78. 1121 M.A. Vasilik, M.S. Veršinin, Politologija. Slovar’-spravočnik, Moskva : Gardariki, 2001, www.politike.ru/dictionary, Consulté le 21 mai 2009. 1122 Ščerba L.V., Matuvevič M.I., Russko-francuzskij slovar’, M., Russkij jazyk, 1993, p.128.

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394

Caractère étatique d’une entité politique1123.

Enfin Dola Haudressy, dans son ouvrage « Ces mots qui disent l’actualité »1124 , a

choisi le terme de souveraineté pour traduire le mot gosudarstvennost’, en

illustrant son exemple d’un extrait de presse ou ce mot est en effet synonyme

d’indépendance de l’État :

К вечеру около пятисот его участников, съехавшихся в южно-

дагестанское село Касумкент, приняли Декларацию о

восстановлении государственности лезгинского народа.

(…) Déclaration proclamant que serait restituée au peuple Lezguien sa

souveraineté.

Tout d’abord pour traduire ce terme ou trouver un équivalent en français, il faudrait

comprendre de quel sens il s’agit. S’il s’agit d’un régime étatique ou d’une

organisation étatique, l’explication du concept gosudarstvennost’ dans le Lexique

juridique peut être plus exacte. S’il est question d’une certaine structure étatique,

le dictionnaire de Lev Šerba le traduit correctement. Mais il existe un sens plus

général énoncé par le dictionnaire spécialisé qui, à notre avis, nous renvoie aux

« stateness » et « étaticité », lequel est très peu employé, contrairement à

gosudarstvennost’.

Enfin, rappelons que le suffixe -ость (-ost’), comme le suffixe –ité, soulignent le

caractère abstrait des mots et que nous avons déjà étudié ces deux équivalents

en français étaticité et en anglais stateness, lesquels ne figurent pas encore dans

les dictionnaires, mais sont utilisés par les spécialistes en science politique.

En conclusion, il est possible, pour nous, de traduire gosudarstvennost’ par

étaticité.

1123 Frison P., Kudrina Y. (dir.), Lexique juridique et économique, P., Chiron, 2006, p. 36. 1124 Haudressy D., Ces mots qui disent l’actualité, P., Institut d’études slaves, 1992, p. 50.

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395

• L’emploi de gosudarstvennost’ dans le discours russe

Et pourtant dans le discours russe le concept de gosudarstvennost’ reste ambigu

et est souvent confondu avec le mot gosudarstvo:

Налоговое законодательство ― это прицельное оружие точного

наведения. Оно нокаутировало российскую государственность...1125.

La loi d’imposition est une arme de poing. Il a knock-outé l’étaticité russe.

On a affaire ici à des métaphores guerrière et sportive, l’auteur ayant recours au

lexique guerrier : прицельное оружие (pricel’noe oružie - arme de poing) et

lexique sportif : нокаутировало (nokautirovalo - knock-outer). De plus, le mot

государственность (gosudarstvennost’) devient souvent synonyme de

l’expression russe государственная независимость (gosudarstvennaja

nezavicimost’) ou du mot emprunté au français суверенитет (suverenitet)

(souveraineté) :

Это присутствие оправдано, поскольку Ирак ― дружественная

страна, мы хотим помочь иракцам обрести свою

государственность, суверенитет1126.

Cette présence est justifiée, puisque l’Irak étant un pays–ami, nous voulons

aider les Irakiens à trouver leur souveraineté.

Пройдя через многие испытания и потрясения, новая Россия

выстрадала свою свободу, государственность и суверенитет,

твердо встала на путь демократического развития1127.

1125 Klučnikov B., « Liberal’naja epidemija i zdorovyj protekcionizm », in Naš sovremennik, 15.10. 2004, www.ruscorpora.ru, Consulté le 27 mai 2010. 1126 Lavrov S.V., Interv’ju « Pervomu kanalu », in Diplomatičeskij vestnik, 25.05.2004. www.ruscorpora.ru, Consulté le 27 mai 2010. 1127 Trutnev Ju., Devjatkin N.A., « Uvažaemye žiteli Prikam’ja ! », in Neftjanik, 01.06.2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 27 mai 2010.

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396

Après avoir traversé plusieurs épreuves et bouleversements, la nouvelle

Russie a gagné sa liberté, son indépendance et sa souveraineté, et s’est

dressée sur le chemin du développement démocratique.

Le terme gosudarstvennost’ semble également avoir un certain succès dans le

discours, puisque nous l’avons retrouvé à travers de 207 documents du corpus

national de la langue russe. Ce mot peut acquérir comme le mot gosudarstvo une

valeur négative ou positive transmise par l’énonciateur dans les locutions telles

que государственность варварская (gosudarstvennost’ varvarskaja - étaticité

barbare)1128, «неполноценная государственность» (nepolnocennaja

gosudarstvennost’ – étaticité incomplète)1129…

Dans le discours il est aussi souvent question de la destruction de

gosudarstvennost’ : Государственность и целостность страны подорваны

(Gosudarstvennost’ i celostnost’ strany podorvany (L’étaticité et l’intégrité du pays

sont compromises) 1130... ; государственность уничтожена (gosudarstvennost’

uničtožena (l’étaticité est détruite) 1131... ; … государственность грозила

исчезнуть (gosudarstvennost’ grozila isčeznut’ – l’étaticité menaçait ruine)1132 ;

… обрушить слабую государственность (obrušit’ slabuju gosudarstvennost’ –

faire écrouler l’étaticité faible)1133.

Il est aussi question de la construction de la nouvelle étaticité :

1128 P’ecux V., « Uroki rodnoj istorii (Posobie dja junošestva, agnostikov i voobšče) », in Oktjabr’, 2003, www.ruscorpora.ru. Consulté le 27 mai 2010. 1129 Ibidem. 1130 Popov V., « Vsja Rossija – Sibir’ ? », in Zavtra, 07.10.2003., www.ruscorpora.ru, Consulté le 27 mai 2010. 1131 Osipov V., « Svoboda v zakone (kto i začem ubil Juščenko ?) », in Zavtra, 13.05. 2003.05, Consulté le 27 mai 2010. 1132 Alekseev A., « Kornilov i kornilovcy », in Specnaz Rossii, 2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 janvier 2010. 1133 Axiezer A., « Naskol’ko my raznye ? », in Neprikosnovennyj zapas, 2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 janvier 2010.

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397

То есть сохранение и восстановление живых (!) традиций и

строительство на этой основе новой государственности,

адекватной сегодняшним вызовам и задачам1134.

C'est-à-dire préservation et rétablissement des vraies (!) traditions et

construction sur cette base d’une nouvelle étaticité, qui réponde aux défis et

objectifs actuels.

Ici la presse a recours à la métaphore de la construction, comme dans le cas sur

le concept d’État. Dans les exemples étudiés, nombreux sont les verbes à

connotation négative utilisés au passé et à la forme passive, comme расшатать

(rasšatat’ - ruiner), обрушить (obrušit’ – faire s’écrouler), уничтожить (uničtožit’

- détruire), подорвать (podorvat’ - compromettre). L’étaticité est comparée au

bâtiment, c’est-à-dire à une œuvre vulnérable comme l’homme qui l’a édifiée.

La confusion dans le discours entre les mots gosudarstvo et gosudarstvennost’

peut être expliquée, à notre avis, par l’évolution dérivationnelle. Nous nous

servons du schéma de Gennadij Nikolaev : невежество – невежественный –

невежественность (nevežestvo – nevežestvennyj – nevežestvennost’) (ignorance

– ignorant – ignorance)1135. Gennadij Nikolaev précise que dans la langue russe

sont nombreuses les relations synonymiques entre les dérivés en –stvo et -ost’.

Dans notre cas, les mots gosudarstvo et gosudarstvennost’ ne sont pas devenus

synonymes, même si la confusion existe.

-(н) ик –(n) ik

Le mot государственник (gosudarstvennik) est formé par l’adjonction de deux

suffixes –ен (-en) et –ник (-nik). Dans le vocabulaire politique et social russe, le

suffixe –ник (-nik), comme le suffixe français –iste, transmet l’idée d’appartenance

à un système ou à une doctrine, comme западник (occidentophile). En russe, ce

1134 Kazakov A., « Velikaja Rossija Stolypuna i Struve – zadača na buduščee, a ne fragment prošlogo », in Kreml.org, 2007, http://www.kreml.org/interview/146623755, Consulté le 21 janvier 2010. 1135 Nikolaev G.A., Russkoe istoričeskoe slovoobrazovanie. Moskva : Knižnyj dom Librikom, 2009, p.88.

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suffixe sert à former, en général, les noms désignant l’activité, la situation, la

fonction d’une personne1136 : печник (fumiste), дворник (concièrge)…

Voyons maintenant si le substantif français étatiste, soit partisan de l’étatisme,

peut être traduit comme государственник (gosudarstvennik). Les différents

dictionnaires de langue russe ne donnent pas tous la même définition au mot

gosudarstvennik. Le Dictionnaire de la langue russe moderne définit ce mot de la

façon suivante :

Публ. Сторонник сильной государственной власти, сохранения

единого государства1137.

Journ. Partisan d'un pouvoir politique fort, défenseur d’un État uni.

Comme nous l’avons précédemment mentionné, l’idée d’un pouvoir fort reste

ancrée dans la perception des Russes du mot gosudarstvo, qui correspond à

l’étymologie. Ainsi, il est difficile de traduire ce terme en français comme étatiste,

qui ne signifie pas tout à fait la même chose.

La deuxième définition du mot государственник (gosudarstvennik), tirée d’un

autre dictionnaire de langue russe, le rapproche plus de celui d’étatiste :

Сторонник государственного регулирования, прочной

государственности. Убеждённый государственник 1138.

Partisan de la régulation de l’État, de l’étaticité stable. Étatiste convaincu.

D’après cette définition, nous croyons que le terme gosudarstvennik peut être

traduit comme étatiste, car il s’agit du rôle dominant de l’État dans la vie

économique et sociale. L’État devient « le seul et le principal entrepreneur du

1136 Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka,

2007,p.268-269. 1137 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p.183. 1138 Kuznecov S.A., Bol’šoj tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, SPb. : Norint, 1998, p.223.

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pays avec tout ce que cette position stratégique suppose dans les relations

économiques, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays »1139.

La première définition influence la connotation du mot gosudarstvennik dans le

discours russe :

… с одной стороны ― либералы, с другой ― силовики-

государственники1140.

… d’un côté – libéraux, d’un autre – hommes de force-étatistes.

Ici le mot gosudarstvennik est accompagné d’un autre terme, silovik, formé du mot

« сила » (sila-force) et du suffixe –ик, où il est question de la personne issue des

organismes appelées « силовые структуры» (silovye strukturu). De quels

organismes s’agit-il ? Il est souvent question des forces militaires et de sécurité.

Ce terme apparaît dans les années 90, sous le régime d’Eltsine et aujourd’hui on

appelle les politiciens originaires des services de sécurité (ancien KGB, devenu

FSB ...) « siloviki ». Ces derniers considèrent l’État comme la base même de la

société et estiment qu’il doit être fort. Ils représentent le rôle dominant de l’État

dans toutes les sphères de la société, surtout dans le domaine de la sécurité et de

la défense. Selon eux, l'État doit également diriger l'économie, au moins dans les

« secteurs stratégiques ». Leurs intérêts les rapprochent, en effet, de ceux des

étatistes.

Il est important de noter que le terme gosudarstvennik commence à figurer dans

les dictionnaires contemporains datant de 2001-2005. En effet, à partir de cette

époque, il semble être utilisé plus fréquemment dans la presse, ce qui est

manifeste dans le Corpus de la langue russe. Nous y avons retrouvé 40 extraits

comportant ce mot, dont 28 sont datés entre les années 2000 et 2007. Cependant,

il ne s’agit pas d’un terme nouveau, mais d’un mot employé par des écrivains et

des philosophes russes à la fin du XIXe siècle. Toujours d’après le Corpus de la

langue russe, voici un des exemples de cet emploi :

1139 Lakenal M., Dictionnaire de science politique, P., L’Harmattan, 2005, p. 168. 1140 Ivanter A., Gurova T., « Juščenko otravili, Grefa zagipnotizirovali », in Ekspert, 2004, www.ruscorpora.ru, Consulté le 23 février 2010.

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Он очень честный консерватор и нравственно чистый

государственник, что отличает его от ваших и наших Катковых,

Толстых, Сувориных etc.1141

Il est un conservateur très honnête et un étatiste d’une morale pure, ce qui

le distingue de vos et de nos Katkovy, Tolstye, Suvoriny.

Rappelons que, selon Jean Dubois, la doctrine d’étatisme apparaît en France en

1880 et le mot étatiste en 1903. Nous supposons que c’est l’apparition de cette

doctrine en Russie qui a entraîné la création du terme gosudarstvennik pour

désigner une personne défendant l’État. Ce terme est resté peu utilisé dans le

langage courant à l’époque, parce qu’il ne figurait pas dans le dictionnaire de

langue.

-ичество (ičestvo)

Nous avons précédemment développé l’histoire de l’apparition du mot

государственничество (gosudarstvenničestvo) et son problème de traduction

en français dans notre article1142. Ce mot nouveau, que l’on peut considérer

comme occasionnel, car il ne figure dans aucun dictionnaire de langue russe ou

spécialisé, reflète l’idée lancée par l’ex-président Vladimir Poutine, à son arrivée

au pouvoir en 2000. Sa signification est définie dans le Lexique juridique et

économique :

Государственничество ср. idée d’un État fort (avancée par Poutine lors

de la campagne présidentielle de 2000) (pol.)1143

En effet, dans son exposé « La Russie entre deux siècles1144 » du 31 décembre

1999, Vladimir Poutine a mentionné la notion de gosudarstvenničestvo, c’est-à-

1141 Annenkov P.V., Pis’ma k Turgenevy, (1875-1883), www.ruscorpora.ru. Consulté le 23 février

2010. 1142 Toujikova V., « Quelques dérivés de gosudarstvo : définitions et traductions », in Actes de la cinquième journée d’études de doctorants slavisants de 2008, à paraître. 1143 Frison P., Kudrina Y., Lexique juridique et économique, Paris, Chiron, 2006, p.36.

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dire l’idée d’un État fort, en tant que «источник и гарант порядка, инициатор и

главная движущая сила любых перемен1145». Vladimir Poutine ajoute que « la

société désire la restauration du rôle dirigeant et régulateur de l’État dans la

mesure où les traditions et la situation du pays le nécessitent»1146.

Cette idée a ses origines dans l’histoire du pays. Après l’effondrement de l’ex-

Union soviétique, où le rôle de l’État était primordial, est apparu un nouvel État

russe dont le rôle était réduit dans la vie économique et sociale. On peut même

parler d’une quasi-absence de l’État. Gérald Wild, l’auteur de l’ouvrage Les

Russes de Gorbatchev à Poutine, reproche à l’État russe son« insuffisante

capacité à assumer nombre de ses responsabilités et prérogatives1147. » C’est

pourquoi après être arrivé au pouvoir, Vladimir Poutine lance un appel à la

restauration du rôle dirigeant et régulateur de l’État dans la vie économique et

sociale. Pourquoi Vladimir Poutine a-t-il eu recours à ce mot au lieu d’utiliser le

terme emprunté au français этатизм (Étatizm – étatisme), qui reflète également

le rôle important de l’État dans la vie économique et social ou bien au terme russe

огосударствление (ogosudarstvlenie) qui existait déjà ?

D’un côté, le terme огосударствление (ogosudarstvlenie), qui est traduit en

français par étatisation, pourrait être interprété comme un retour direct à la

nationalisation, au régime communiste et, par conséquent, pourrait susciter une

connotation négative en Russie et en Occident.

D’un autre côté, le concept d’étatisme, qui est plus proche de la notion de

gosudarstvenničestvo, est d’origine étrangère et bien connu dans le discours

occidental. Comme nous l’avons vu précédemment, ce mot est souvent doté d’une

connotation négative dans le discours français. À notre avis, Vladimir Poutine

1144 Putin V., «Rossija na rubeže tysjačeletij », in Nezavisimaja gazeta, http://www.ng.ru/politics/1999-12-30/4_millenium.html, 30.12.1999, Consulté le 12 mai 2008. 1145 Ibid. : « source et garant de l’ordre, promoteur et force déclenchant tous les changements ». 1146 Ibid. : «Общество желает восстановления направляющей и регулирующей роли государства в той степени, в какой это необходимо, исходя из традиций и нынешнего положения страны». 1147 Wild G., Les Russes de Gorbatchev à Poutine, sous la direction de Marie-Pierre Rey, P., Armand Colin, 2005, p. 116.

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cherchait à utiliser un mot d’origine russe, qui ne fît pas référence aux termes déjà

existants. Ainsi est né le terme gosudarstvenničestvo beaucoup employé

aujourd’hui dans le discours politique. Bien sûr, l’appartenance aux partis

politiques définit la valeur appréciative. Les libéraux, par exemple, ont un regard

critique envers cette idée :

Либерализм для России гораздо более целебное лекарство, чем

доведенное до абсурда государственничество1148.

Pour la Russie le libéralisme est un remède beaucoup plus radical que

l’idée d’un État fort poussé jusqu’à l’absurde.

Ici on pourrait remplacer le mot gosudarstvenničestvo par celui d’Étatizm

(étatisme), par opposition au libéralisme. La synonymie entre ces termes est

évidente. Le mot государственничество (gosudarstvenničestvo) a été formé

avec le mot государственник (gosudarstvennik) et par l’adjonction du suffixe –

ств(о) et l’ajout de la voyelle intercalaire -е-. Ainsi obtenons-nous par analogie :

чиновник – чиновнич-(е)-ство (činovnik, fonctionnaire – činovničestvo,

ensemble des fonctionnaires)1149, государственник (gossudarstvennik – étatiste)

– государственнич-(е)-ство (gosudarstvennič-e-stvo). Il existe d'autres mots

occasionnels formés de la même façon, par exemple законничество

(zakonničestvo) moins médiatisés :

Упорно отстаиваемое в последние годы Э.Соловьевым

«законничество» является своеобразной реакцией, с одной стороны,

на волюнтаризм семи десятилетий советской истории.1150

1148 Nemcov B., Provincial v Moskve, Мoskva: Vagrius, 1999, www.ruscorpora.ru. Consulté le 28 juin 2010. 1149 Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka, 2007,

p.88. 1150 Stepanjac M.T., «Rossija v dialoge kul’tur Vostok – Zapad…», in Reformatorskie idei v social’nom razvitii Rossii. Moskva : Naučnoe izdanie, Rossijskaja Akademija Nauk, Institut filosofii, 1998, p.82-99.

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403

L'idée d'un légalisme, défendue obstinément par E. Solov'ev ces dernières

années, est apparue comme une réaction particulière à l’arbitraire du

régime soviétique.

Les préfixes анти- (anti-), противо-(protivo-), контр-(kontr-), по- (po-), внутри- (vnutri-), меж- (mež-), псевдо- (psevdo-), лже- (lže-), квази-(kvazi-), о-(o-)

анти- (anti-), противо- (protivo-), контр- (kontr-)

Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que par suite de l’emprunt au latin et au

grec, en russe, comme en français, trois suffixes d’origines différentes coexistent.

Vladimir Gak compare contre-, contra-, anti- dans le français et против- (protiv-),

контр- (kontr-), анти-(anti-) dans le russe1151. Le préfixe против-(protiv-) est

d’origine russe, le deuxième soit контр- (kontr-) est emprunt au latin et le

troisième анти-(anti-) – emprunt au grec.

Ainsi, les adjectifs противогосударственный (protivogosudarstvennyj – contre-

étatique) et антигосударственный (antigosudarstvennyj – antiétatique), figurant

dans le Dictionnaire de formation des mots de Tixonov, ont été formés, le premier

par l’adjonction du préfixe russe против- (protiv-), le second par l’adjonction du

préfixe grec анти- (anti-). Rappelons que Jean Dubois classe le préfixe anti-

parmi les préfixes qui traduisent les rapports d’opposition ou d’hostilité comme

antisocial, anti-révolutionnaire, anti-démocratique, anti-communal1152…

Jean Dubois souligne que ce préfixe est généralement utilisé en parlant des

personnes, comme en témoigne l’emploi du mot antiétatique dans le discours

français actuel. En revanche, nous observons que dans la presse russe l’adjectif

антигосударственный (antigosudarstvennyj – antiétatique) est aussi bien utilisé

avec les noms animés qu’avec ceux inanimés :

1151 Gak. V.G., Sravnitel’naja tipologija francuzskogo u russkogo jazykov, Moskva : Izdatel’stvo KomKniga, 2006, p.230. 1152 Dubois J., Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872, Paris : Librairie Larousse, 1962, p.147.

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404

… Госбюджет -2003 ― это бюджет антигосударственный 1153.

…le budget d’État de 2003 est un budget antiétatique.

Антигосударственный переворот в РАО «ЕЭС России»1154.

Как его ликвидировать? 1155

Changement antiétatique dans la société RAO « EES Russie ». Comment

l’éliminer?

Развратные действия адептов секты получают анти-

государственный статус1156 .

La conduite dépravée des adeptes de la secte a été taxée d’antiétatique.

«Чубайс антигосударственный деятель, а меня там не было», —

сказал Владимир Квачков1157.

« Tchoubaïs1158 est un homme politique antiétatique, et moi, je n’y étais

pas », a dit Vladimir Kvatchkov1159.

Le sens du suffixe противо- (protivo-) est défini par le Dictionnaire de langue

d’Efremova :

противо- 2. префикс Словообразовательная единица, образующая

имена прилагательные со значением признака, который

1153 Valentinov B., « Sal’do : niščeta », in Sovetskaja Rossija, 08.2003.04, www.ruscorpora.ru. Consulté le 28 juin 2010. 1154 Un monopole d'énergie russe qui fait partie de l'indice RTS. 1155 Gel’man M., «Antigosudarstvennyj perevorot v RAO « EES Rossii ». Kak ego likvidirovat’? », in PV, 13 -14 (90-91), septembre 2004, http://www.promved.ru/articles/article.phtml?id=157&nomer=9. Consulté le 21 septembre 2010. 1156 Denisov A., «Pedofilija s političeskim uklonom », in Nezasivisimaja gazeta, 09.07.2010, http://www.ng.ru/politics/2010-07-09/3_pedofiliya.html, Consulté le 21 septembre 2010. 1157« Figuranty dela o pokušenii na Čubajsa otricajut vinu » in Kommersant.ru, 23.11.2009, http://www.kommersant.ru/news.aspx?regionid=77&DocsID=1279854&NodesID=6. Consulté le 28 juin 2010. 1158 Homme politique, économiste, président, de 2001 à 2008, du monopole national de distribution d'électricité RAO EES Russie, il dirige, depuis le 22 septembre 2008, le conglomérat d'État Rusnano, en charge du développement des nanotechnologies en Russie. 1159 Ancien militaire, dirigeant.

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характеризуется противоположностью по отношению к качеству,

названному мотивирующим словом1160.

Protivo- 2. Préfixe. Élément de formation de mots qui sert à créer des

adjectifs qualificatifs et qui exprime le sens opposé à une caractéristique

déterminée.

Parmi des nombreux exemples tels que противоестественный

(protivoestestvennyj - contre-nature), противоэпидемический

(protivoepidimičeskij- antiépidémique)…1161 l’auteur du dictionnaire de langue cite

aussi l’adjectif противогосударственный (protivogosudarstvennyj -

antiétatique). En ce qui concerne l’adjectif противогосударственный

(protivogosudarstvennyj - antiétatique), il semble être moins employé que son

synonyme антигосударственный (antigosudarstvennyj - antiétatique), mais on

en rencontre quelques exemples dans la presse russe :

Из определения Ленина ….следует, что народ уже только

социальная категория, поскольку есть хороший народ и плохой

народ, государственно обозначенный народ и

противогосударственный народ1162.

D’après la définition de Lénine… apparaît que le peuple est seulement une

catégorie sociale, car il existe un peuple bon et un peuple mauvais, un

peuple étatique et un peuple antiétatique.

Это не только противогосударственный, но и противокультурный

элемент в нашей политике1163.

C’est un élément non seulement antiétatique, mais aussi anti-culturel dans

notre politique.

1160 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., Moskva : Т.2. О-Ja, Москва : « Русский язык », 2001, p.382. 1161 Ibidem. 1162 Timofeeva O., «Libo podčinit’sja, libo zatknut’sja. Est’ lu drugoj vybor u sovremennogo xudožnika ? », in Novaja gazeta, 11.06.2010, http://www.novayagazeta.ru/data/2010/062/09.html, Consulté le 21 septembre 2010. 1163 Kazakov A., « Velikaja Rossija Stolypuna i Struve – zadača na buduščee, a ne fragment prošlogo », in Kreml.org, 2007, http://www.kreml.org/interview/146623755, Consulté le 21 juin 2010.

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406

Nous pensons que ce faible emploi de противогосударственный

(protivogosudarstvennyj - antiétatique) dépend de deux phénomènes :

premièrement, le préfixe anti- répond plus à une mode que protivo-;

deuxièmement, le préfixe противо- (protivo-) est plus neutre, car il marque

davantage l’opposé que l’hostilité par rapport à son synonyme анти- (anti-), qui,

lui, est négatif et même péjoratif.

Elena Zemskaja remarque la formation fréquente des mots occasionnels par

l’adjonction du préfixe анти- (anti-) et, comme exemple, cite une poésie de Vadim

Babičkov « Antičnye stixi »1164 :

Зажав в зубах антиказбек1165,

В согласье с данными науки,

Шагает античеловек,

Неся в починку антибрюки...

(«Лит. газ.» от 4 дек. 1968 г.)

Avec les cigarettes « Anti-kazbek » dans les dents,

En accord avec les données de la science,

Marche anti-homme,

En portant ses anti-pantalons pour le raccommodage…

Nous observons ici le jeu dérivationnel : lorsqu’on prend n’importe quel mot et y

ajoute le préfixe anti- : антиказбек (antikazbek - « Anti-kazbek », античеловек

(antičelovek - anti-homme), антибрюки (antibrjuki – anti-pantalons). Ce jeu

permet à l’auteur de cette poésie d’ironiser sur les mots occasionnels, devenus à

la mode dans le discours. Elena Zemskaja souligne en outre que la formation par

l’adjonction de ce préfixe d’origine étrangère est encore peu étudiée par les

chercheurs, mais en revanche largement utilisé dans la presse.

1164 Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka, 2007, p.232. 1165 C’était une marque soviétique des cigarettes. Le mont Kazbek est un sommet et volcan endormi culminant à 5 047 mètres d'altitude en Géorgie, près de la frontière avec la Russie.

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Ainsi, le synonyme контргосударственный (kontrgosudarstvennyj – contre-

étatique), non mentionné dans le dictionnaire, mais rencontré dans le discours,

témoigne de cette forte tendance à créer des mots dits « occasionnels », au

moyen de la dérivation, des préfixes ou suffixes empruntés :

Слава тебе господи, что кончился этот ельцинизм, ужасный

контргосударственный, контримперский1166.

Dieu merci, cet eltsinisme est terminé, cette période terrible, contre-

étatique, contre-Empire.

Ici on assiste à la formation de deux adjectifs occasionnels :

контргосударственный (kontrgosudartvennyj – contre-étatique),

контримперский (kontrimperskij – contre-Empire) crées par analogie de

контрреволюционный (kontrrevoljucionnyj –contrerévolutionnaire), cité dans le

Dictionnaire de langue d’Ožegov1167 et dans le Dictionnaire de mots

étrangers1168 comme dérivé du mot контрреволюция (kontrerevolucija – contre-

révolution), emprunté au français : контрреволюция (фр contre-révolution) -

активное противодействие революции… (aktivnoe protivodejstvie revolucii –

une opposition active à la révolution).

En conclusion, nous constatons que les trois dérivés противогосударственный,

антигосударственный et контргосударственный possèdent chacun une

nuance : le premier est neutre, le dexième est négatif et le troisième a un

caractère agressif.

внутри-(vnutri-), меж- (mež-), сверх- (sverx-), над- (nad-)

Les adjectifs внутригосударственный (vnutrigosudarstvenij-intra-étatique) et

межгосударственный (mežgosudarstvennij-interétatique) sont formés à l’aide

1166 « Osoboe mnenie. Aleksandr Proxanov », 24/07/2006, http://lentatv.ru/13505, Consulté le 21 juin 2010. 1167 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.292. 1168 Moskvin A.Ju., Bol’šoj slovar’ inostrannyx slov : bolee 25 000 slov, Moskva : Centrpoligraf, p.267.

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408

des préfixes внутри- (vnutri-inter) et меж- (mež-entre). Nous avons déjà analysé

l’adjectif interétatique dans la langue française et le préfixe inter- qui vient du latin

inter « entre ». Néanmoins, nous n’avons pas vu le préfixe intra- qui signifie à

l’intérieur et l’adjectif intra-étatique. Les préfixes внутри- (vnutri-inter) et меж-

(mež-entre) sont d’origine russe et les adjectifs formés avec ces préfixes figurent

dans le Dictionnaire de formation des mots de Tikhonov. En revanche, les

adjectifs formés avec сверх- (sverh-supra) et над (nad) : сверхгосударственный

(sverhgosudarstvennyj) et надгосударственный (supra-étatique) n’apparaissent

pas dans le Dictionnaire de Tikhonov, mais sont employés dans la presse russe :

По информации Ъ, господина Грефа возмутил

"сверхгосударственный" подход министра транспорта Сергея

Франка к управлению отраслью…1169.

Selon le journal « Kommersant », Monsieur Gref a été choqué par la

méthode « supraétatique » de Sergej Frank, ministre du transport, dans la

gestion de son ministère…

... Иногда возможен и надгосударственный контроль…1170.

Parfois le contrôle supraétatique est possible…

Préfixe по- (po-)

Le préfixe по- (po-) s’utilise pour former les adverbes à partir des adjectifs qui

transmettent l’idée « à la manière de ». Les adverbes avec le préfixe по- (po-)

nécessitent une construction grammaticale avec le Datif ...ему: по-

государственному (po-gosudarstvennomy à la manière étatique), comme по-

новому (po-novomu – de façon nouvelle), по-хорошему (po-xorošemu –

gentiment), по-своему (po-svoemu – à sa manière)....Elena Zemskaja distingue

dans cette dérivation deux types : syntaxique et lexical1171. Voici un exemple de

1169 Jambaeva R., Butrin D., « Pravitel’stvo ne doždalos’ rossijskoj « Andavy » », in Kommersant’’, № 231 (2116) du 08.12.2000, http://www.kommersant.ru/doc/165131, Consulté le 21 juin 2010. 1170 Kimelev Ju., « Sredstva massovoj informacii i suverenitet ( o knige Monro Prajs) », in Otečestvennye zapiski, 2003, N4, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 avril 2010. 1171 Zemskaja E.A., Sovremennyj russkij jazyk. Slovoobrazovanie. Moskva : Flinta : Nauka, 2007, p.317.

Page 410: dans les langues

409

l’emploi du mot по-государственному (po-gosudarstvennomy - à la manière

étatique) dans la presse :

Анатолий Трегуб: « В любой должности руководитель должен

мыслить по-государственному»1172

Anatolij Tregub : « Un chef de service doit toujours raisonner à la manière

étatique »

Псевдо-, лже-, квази- (psevdo-pseudo, lže-, kvazi-quasi)

Certains linguistes différencient ces différents préfixes qui ne sont pas des

synonymes absolus. Rappelons que, selon Jean Dubois, à la fin du XIIIe siècle, le

préfixe pseudo- du grec pseudês (menteur)1173 véhicule le sens de « mensonger »

dans le vocabulaire politique français. Il cite comme exemple le mot « pseudo-

politique » qui vise à tromper1174. En russe, le préfixe псевдо- (psevdo-) nous

semble moins fort, car dominé par le préfixe лже- (lže-), d’origine russe, plus direct

et exprimant un vrai mensonge (racine – ложь-lož). Enfin, le préfixe latin квази-

(kvazi-quasi-) traduit une idée d’approximation, qui est sémantiquement plus

neutre.

Nous trouvons des exemples de trois dérivés, notamment dans la presse russe :

Псевдогосударство Киргизия 1175.

Pseudo-État de Kirghizie.

Напомним, что это не далеко не единственный случай коммерчески-

успешного лже-государства (Силандия)1176.

1172 Tatarnikov E., « Anatolij Tregub : V ljuboj dolžnosti rukovoditel’ dolžen myslit’ po-gosudarstvennomu », http://viperson.ru/wind.php?ID=622916, 20.03.2010, Consulté le 21 avril 2010. 1173 Le nouveau petit Robert, op.cit., p.2035. 1174 Dubois J., op.cit., p.153. 1175 Le titre d’un article d’Andrej Grozin, in Newsland.ru, 27.06.2010, http://www.newsland.ru/news/detail/id/524346/cat/94/, Consulté le 21 septembre 2010. 1176 «V Ispanii razoblačeny torgovcy virtual’nymi pasportami», in Lenta.ru, 2000, Consulté le 21 septembre 2010, http://www.lenta.ru/internet/2000/04/12/sealand/, Consulté le 21 septembre 2010.

Page 411: dans les langues

410

Rappelons que ce n’est pas du tout le cas unique d’un pseudo-État ayant

un succès commercial (Silandja).

А квазигосударство, как часть Российской Федерации, ―

существует1177.

Et un quasi-État comme partie de la Fédération de Russie existe.

Préfixe o- et le suffixe ен-(en-)

Les verbes огосударствить / огосударствливать (ogosudarstvit’ /

ogosudarstlivat’ - étatiser) sont formés par l’adjonction du préfixe о-. Dans le

Dictionnaire de langue russe d’Efremova, on trouve la signification suivante pour

огосударствливать (ogosudarstlivat’) :

Передавать в собственность и ведение государства,

национализировать1178.

Remettre la propriété et la gestion à l’État, nationaliser.

Ainsi, ces deux verbes peuvent être considérés comme synonymes du verbe

национализировать (nacionalizirovat’-nationaliser), comme dans la langue

française pour le couple étatiser/nationaliser.

Le substantif огосударствление (ogusadarstvlenie - étatisation) est formé par

l’adjonction simultanée du préfixe –о et du suffixe –ен. Il est défini dans le

dictionnaire de langue russe de la façon suivante :

Огосударствление, я, ср.

Офиц. Передача в государственную собственность, усиление роли

государства в чем-либо; противопол. разгосударствление1179.

1177 Interview « Pravo na samoopredelenie i buduščij miroporjadok » in Neprikosnovennyj zapas, 16.07.2003, www.ruscoprora.ru, Consulté le 24 mai 2010. 1178 Efremova T.F., Novyj slovar’ russkogo jazyka, v 2 t., T 1, A-O, Moskva : « Russkij jazyk », 2001, p. 580. 1179 Tolkovyj slovar’ sovremennogo russkogo jazyka. Jazykovye izmenenija konca XX stoletija, pod. red. G.N. Skljarevskoj, Moskva : Astrel’, 2005, p. 528.

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411

Transfert dans la propriété de l’État, renforcement du rôle de l’État dans

quelque chose… ; antonyme : Dénationalisation.

Налицо дальнейшее огосударствление, прямое и косвенное секторов

экономики1180.

Nous sommes face à la poursuite de l’étatisation directe et indirecte de

secteurs économiques.

Le mot огосударствление (ogusadarstvlenie - étatisation) nous semble assez

répandu dans la presse. Voici un exemple tiré du Corpus National de la Langue

Russe :

Чрезмерное огосударствление всего и вся, как и другая крайность

«смутных времен» ― разгосударствление всего и вся, ― в том и в

другом случае бросали человека на произвол судьбы1181.

L’étatisation excessive de tout, comme la privatisation de tout, un autre

extrême du « temps des troubles »1182, dans les deux cas, on livrait

l’individu à son sort.

Ici nous rencontrons un nouveau dérivé разгосударствление

(razgosudarstvlenie-dénationalisation, privatisation) formé avec le préfixe раз-

(raz-). Ce mot n’est pas mentionné dans le dictionnaire de Tixonov, mais, en

revanche, est défini par le dictionnaire de langue russe :

(офиц.) Передача государственной собственности в

собственность коллективных или частных владельцев1183.

1180 Ibidem. 1181 Abdulatipov P., « V poiskax « Zvezdnogo časa Rossii » in Zvezda, 2001, www.ruscorpora.ru, Consulté le 25 août 2010. 1182 Il s’agit des années 90 où la privatisation massive a été lancée par le président Eltsine et son gouvernement. L’auteur de cet énoncé utilise la métaphore en comparant la période du passé récent au passé lointain. Le temps des troubles désigne la période de l'histoire russe qui s'étend de la fin du règne de Fédor Ier en 1598 à l'avènement, en février 1613, de Michel Ier Romanov, dont les successeurs ont régné jusqu'en 1917. 1183 Ožegov C.I., Švedova N.Ju., Tolkovyj slovar’ russkogo jazyka, M., OOO izd. ELPIS, 2003, p.645.

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412

(officiel) Remise de la propriété de l’État entre les mains des propriétaires

collectifs ou privés.

5.4.3. La composition

La composition est un moyen important de formation de mots dans la langue

russe. On distingue d’abord la formation soit à l’aide de la voyelle de liaison, soit

d’un interfixe, soit sans cette voyelle.

Voici un exemple de formation à l’aide d’un interfixe : горе-государственный

деятель - gore-gosudarstvennij dejatel’) – (homme d’État malchanceux)1184. Il

s’agit ici de la formation d’un mot occasionnel, mentionné par Igor’ Uluxanov qui

souligne l’importance de cette composition répandue dans la presse, en

particulier :

Но на поверку получилось, что они горе-теорeтики, горе-политики и

горе-государственные деятели (Правда, 18 апреля 1990).

En réalité, il s’est avéré qu’ils sont tous des théoriciens malchanceux, des

hommes politiques malchanceux et des hommes d’État malchanceux

(Pravda, 18 avril 1990).

Ensuite, à l’intérieur de cette composition, on distingue encore deux procédés de

formation de mots :

• la composition avec deux substantifs entiers, comme dans le cas de :

государствоведение (gosudarstvovedenie1185), государствовед

(gosudarstvoved1186) ;

• l’abréviation lexicale des substantifs, comme госсовет (gossovet -

Conseil d’État), госаппарат (gosapparat – appareil d’État).

1184 Uluxanov I.S., Motivacija v slovoobrazovatel’noj sisteme russkogo jazyka, Moskva : « Librikom », 2010, p.278. 1185 Discipline scientifique concernant la gestion de l’Etat, sa structure et son évolution ; dans un sens plus large peut être traduit comme science politique. 1186Spécialiste en science politique, pris dans un sens large.

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413

Nombreux sont les dérivés qui sont formés par abréviation : par exemple

госсовет (gossovet - Conseil d’État), госаппарат (gosapparat – appareil

d’État), госбюджет (gosbjudžet – budget de l’État). Dans tous les cas a été

conservé l’élément du radical гос- (gos-) de государственный auquel ont été

rajoutés les noms : совет (sovet), аппарат (apparat), бюджет (bjudžet)… Ces

mots figurent dans le Dictionnaire de formation de mots de la langue russe de

Tixonov1187.

Contrainte de nous limiter dans le matériau étudié, nous avons choisi de nous

borner à l’aspect diachronique de l’abréviation, c’est-à-dire sur l’évolution des

mots composés, en particulier avec l’élément du radical gos-. L’abréviation, selon

Dmitrij Alekseevič Aleskeev, linguiste russe, connaît une longue histoire dans la

langue russe (slave)1188. Dmitrij Alekseev distingue trois étapes dans l’évolution de

l’abréviation :

1. Système graphique au début de l’écriture du vieux slave (XI) et ce,

jusqu’au XVIIIe siècle où il était fait usage des abréviations « titlovye » et

« slovotitlovye »1189).

2. Système graphique du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle (utilisation

d’abréviations suivies d’un point).

3. Lexical (la composition ou l’abréviation mentionnées ci-dessus).

Grace à l’analyse des sources slaves du XIe siècle, nous pouvons affirmer que

l’abréviation graphique fut très répandue dans l’écriture des noms sacrés (nomina

sacra), tels que апостол (apostol – apôtre), владыка (vladyka – seigneur),

господь (gospod’-Dieu), государь (gosudar’ – souverain), князь (knjaz’ – prince

1187 Tixonov A.N., Slovoobrazovatel’nyj slovar’ russkogo jazyka, v 2-x tomax, Tom 1, Moskva : Russkij jazyk, 1985, p.246. 1188 Alekseev D.I., Sokraščennye slova v russkom jazyke, Moskva : Librikom, 2010, p.14. 1189 Dmitrij Alekseev explique que les abréviations « titlovye » (титловые) concernent les noms sacrés du vieux slave et que seul le mot est considéré comme unité de texte. Les abréviations « slovotitlovye » (словотитловые) prennent quant à elles comme unité de texte une ligne entière, composée de plusieurs mots. Le but du premier type d’abréviations était de mettre en relief de façon graphique les noms sacrés, alors que le deuxième, visait à reduire le temps de l’écriture et à augmenter le volume potentiel du texte. Ibid., p.23.

Page 415: dans les langues

414

ou grand-duc)...1190 D’abord, on abrégeait le mot en supprimant les voyelles et

parfois les consonnes situées au milieu : дхъ (дух – dux - esprit), бъ (бог – bog -

Dieux), кнзъ (князь – knjaz’ - prince)...Cependant, cette abréviation s’est avérée

peu commode pour la reconnaissance des mots simples dans les textes de

l’époque. De plus, on préférait distinguer les mots par des exposants comme pour

: гСдь (господь – gospod’ - Dieux), гСдрь (государь – gosudar’ - souverain),

гСдтво (государство - gosudarstvo) - (sources du XVIe-XVIIe siècles)1191.

A partir du XVIIIe siècle on commence à utiliser l’abréviation avec le point, dont

certains exemples restent utilisés de nos jours : г. (год – god - an), т.е. (то есть

– to est’ – c’est-à-dire). La tendance vers l’abréviation lexicale se forme ainsi

pendant ces siècles. Ce phénomène se répand grâce à l’imprimerie. De plus, les

chiffres font leur apparition dans l’artisanat, sur les tableaux, les bijoux, la monnaie

et ce bien avant le XVIIIe siècle. Par exemple, au XIVe-XVe siècles les villes

comme Tver’, Moscou, Souzdal ont leur monnaie sur laquelle figurent leurs

initiales : Тф – Тверь (Tf – Tver’), М, Мо – Москва (M, Mo – Moskva)... Le

progrès technique et le développement de l’industrie du XIXe siècle a provoqué

l’abréviation des noms des sociétés et administrations au moyen des sigles. Les

abréviations ont gardé un caractère graphique, c’est-à-dire le point. Après la

révolution de 1917, plus exactement dans les années 30, ces abréviations se

lexicalisent, par exemple гос. дума (gos.duma) devient Госдума ou ГосДума

(Gosduma), dont le nom complet est Государственная Дума (gosudarstvennaja

duma - la Douma d’État ).

Les années qui suivent la révolution deviennent riches en abréviations du mot

государственный d’où reste juste un élément du radical гос- ou même го- dont

il a été déjà fait mention et des substantifs : госиздат (государственное

издательство – gosudarstvennoe izdatel’stvo – édition d’État), Гохран

(государственное хранилище – gosudarstvennoe xranilišče – dépôt d’État)

(1921); госторговцы (gostorgovcy - marchands de l’État) (1923)... Plus tard,

dans les années 30, on rencontre les mots composés tels que

1190 Ibid., p.45-46. 1191 Ibid., p.14.

Page 416: dans les langues

415

госполитуправление (gospolitupravlenie – gosudarstvennoe političeskoe

upravlenie – la direction politique d’État) ГПУ (GPU), госконтроль (goskontrol’ –

gosudarstvennyj kontrol’ – contrôle d’État ) ... Les initiales deviennent également

très répandues, en particulier pour les noms des universités et d’autres

établissements d’État : ГИТИС (Государственный институт театрального

искусства) (GITIS – Gosudarstvennyj institut teatral’nogo iskusstva), МГУ

(Московский государственный университет) (MGU – Mosckovskij

gosudarstvennyj institut)...

Aujourd’hui, on retrouve fréquemment ces abréviations dans le discours et nous

avons eu recours au Dictionnaire des mots nouveaux1192, qui contient des extraits

de presse et des œuvres littéraires datant des années 90. Ainsi, nous avons

retrouvé plusieurs mots composés tels que госденьги (gosden’gi – argent d’État),

госдеятель (gosdejatel’ – homme d’État), госдоля (gosdolja – part d’État),

Госдума1193 (gosduma – Douma d’État), госзаказчик (goszakazčik –client

étatique), госканал (goskanal – chaine étatique), госпакет (gospaket – action

d’État), госсоветник (gossovetnik – conseiller d’État), гостелевидение

(gostelevidenie – télévision d’État)… Nous nous sommes particulièrement

intéressée aux dérivés qui ont été formés par l’abréviation, par exemple Госдума

(Gosduma) : госдумец (gosdumec) и госдумовец (gosdumovec) (депутат

Государственной Думы – deputat Gosudarstvennoj Dumy – député de la

Douma d’État); госдумовский (gosdumovskij – de la Douma d’État)…

Voici des extraits de presse comportant ces dérivés et figurant dans le

Dictionnaire des mots nouveaux1194 :

1192 Novye slova i značenija. Slovar’-spavočnik po materialam pressy I literatury 90-x godov XX veka, v 2 tomax, 1 tom, pod redakciej T.N. Buceva, Institut lingvističeskix issledovanij RAN, Spb: Dmitrij Bulanin, 2009, p.413-416. 1193 Valéry Kossov propose l’équivalent français Assemblée nationale pour le terme russe Госдума (Douma d’Etat), ce qui réflète la réalité juridique. In Le texte dans la Russie contemporaine dans Chroniques slaves, n°2, 2006 ; Actes du colloque de Grenoble des 12-13-14 mai 2005, CESC, Université Stendhal-Grenoble 3, Grenoble : ELLUG, 2006, p. 44. 1194 Ibidem.

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416

Армада чиновников и госдумцев требует о себе неустанной заботы.

(Известия, 1.10.94)

L’armada des fonctionnaires et des députés de la Douma d’État réclame

une attention constante.

Россияне обязаны госдумовцам тем, что реальная зарплата при их

«властвовании» упала почти в два раза. Тр.25.10.95.

Les Russes sont redevables aux députés de la Douma d’État de la baisse

de leurs salaires de presque deux fois durant leur « règne ».

Уже после госдумовских слушаний в Москве состоялась вторая по

счету международная конференция по химическому разоружению. ОГ,

1994, 28.

Tout de suite après les audiences des députes de la Douma d’État, s’est

tenue à Moscou la deuxième conférence internationale sur le désarmement

chimique.

Nous avons également retrouvé plusieurs mots composés de cette façon dans le

Corpus de la langue russe, ce qui montre la généralisation de ce type de

composition dans le discours d’aujourd’hui :

И если бы коммерческие каналы по-прежнему имели возможность

регулировать языковой баланс самостоятельно – разница в

«смотримости» гос- и негостелевидения была бы

катастрофической для первого.1195

Si les chaines de télévision privées avaient toujours la possibilité de gérer

elles-mêmes la censure, la différence d’« audience » entre les chaines

publiques et privées serait catastrophique pour les premières.

1195 « Russkij jazyk na Ukraine: most ili rov? », in Novyj region, 12.09.2006, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 août 2010.

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Более того, одно только госимущество в случае чего перекроет все

долговые обязательства аж в полтора раза 1196.

De plus, les biens d’État seuls couvriraient, au cas où, toutes les dettes

même d’une fois et demie.

Также нельзя исключить возможность продажи госдоли акций БМП

(25,5%)…1197.

Il n’est pas non plus possible d’exclure la possibilité de vente des actions

de l’État de BMP (25,5%)….

Il est important de noter un autre phénomène typique de la presse ou d’Internet,

c’est l’abréviation graphique :

…окончательно он должен быть составлен, утвержден и

зарегистрирован в реестре гос- или муниципальной собственности

лишь к 2009 году1198.

…définitivement, il doit être rédigé, approuvé et enregistré dans le Registre

des biens nationaux ou municipaux, d’ici 2009.

Например, «государственный министр» (нечто вроде гос.

секретаря) Автандил Джорбенадзе…1199

Par exemple, « le ministre d’État » (quelqu’un comme secrétaire d’État)

Avtandil Džorbenadze…

1196 Jurov A., « VVP dlja VVO: grozit li Rossii očerednoj defolt? », in Moskovskij komsomolec, 14.01.2003, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 août 2010. 1197 Zavarskij L., « Situacija v Baltijskom morskom paroxodstve», in Komersant-Daily, .26.01.1996, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 août 2010. 1198 Babaeva S., Ratiani N., « Ban’ki na prodažu », in Izvestija, 2003.01.14, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 août 2010. 1199 Lebedev V., « Krax malen’koj imperii », in Lebed’, (Boston), 2003.11.30, www.ruscorpora.ru, Consulté le 21 août 2010.

Page 419: dans les langues

418

Conclusion

En analysant les dérivés du mot gosudarstvo, les conclusions suivantes

s’imposent.

Il s’agit des dérivés du mot gosudarstvo indépendamment de son étymon

gosudar’. Nous avons pu constater une forte présence de mots nouveaux formés

avec le mot gosudarstvo dans le discours russe, c’est-à-dire de mots qui ne sont

pas mentionnés dans les dictionnaires, tels que государственничество

(gosudarstvenničestvo), квази-государство (kvazi-gosudarstvo – quasi-État),

лже-государство (lže-gosudarstvo – pseudo- État), контргосударственный

(kontrgosudarstvennyj – contre-étatique), сверхгосударственный (sverh-

gosudarstvennyj – supra-étatique), надгосударственный (nadgosudarstvennyj –

supra-étatique)… Il est nécessaire de préciser que ces mots sont formés de

suffixes et préfixes russes ou empruntés, ce qui témoigne de l’importance de

l’emprunt dans le vocabulaire politique et social.

Les mots occasionnels sont très répandus dans le discours, notamment dans la

presse et certains figurent même dans les dictionnaires bilingues1200. Nous

croyons que ce type de mots, qui pénètre dans le discours russe, est dû aux

changements dans la vie politique de la Russie. La langue russe cherche à

désigner certaines réalités, particulières à la culture russe, en créant ces

nouveaux dérivés. Ce type de mots devient un phénomène important dans le

vocabulaire politique et social. Cependant, ces néologismes amènent un

dédoublement de vocabulaire, comme dans le cas de gosudarstvenničestvo et

étatisme, termes très proches mais qui troublent le lecteur.

Nous savons qu’il existe à présent le Dictionnaire de la pérestroïka1201, ou le

Vocabulaire politique de la Russie moderne rédigé sous la direction de Galina

1200 Voir l’analyse du mot государственничество (gosudarstvenničestvo), p.80-81. 1201 Vocabulaire de la perestroïka, sous la direction de Michel Niqueux, Paris : Editions universitaires, 241 p.

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Skljarevskaja1202. Cependant, ces sources ne comportent pas de mots

occasionnels. Alors, il ne serait pas inutile de commencer à élaborer un nouveau

dictionnaire, qui rassemblerait des mots occasionnels, des emprunts ou calques,

appartenant au domaine politique et social. De plus, il serait opportun de créer un

nouveau dictionnaire bilingue du lexique politique et juridique, qui donnerait non

seulement la transcription des termes, mais aussi leur explication et proposerait

des équivalents dans le cas où ce serait possible.

Enfin, nous avons pu dégager un nombre important de mots composés de

l’abréviation du mot государственный (gosudarstvennyj) (d’État ou de l’État) :

государственный совет (gosudarstvennyj sovet – Conseil d’État),

государственный аппарат (gosudarstvennyj apparat – appareil d’État),

государственный бюджет (gosudarstvennyj bjudžet – budget de l’État)… Grace

au Dictionnaire des mots nouveaux1203 et à la presse russe d’aujourd’hui, nous

avons rencontré de nombreux exemples de ce type de composition, ce qui nous

permet de conclure que ce procédé est largement utilisé pour la formation de mots

appartenant au vocabulaire politique et social.

En analysant les mots composés d’État/gosudarstvo, on constate que ce type

d’abréviation n’existe pas en français alors qu’en russe, elle est très utilisée.

5.5. Analyse comparative des familles des mots État/gosudarstvo

L’élaboration des familles des mots État/gosudarstvo a permis de révéler la

prédominance du trait structurel avec une forte présence du trait géographique et

celle moins importante du trait humain dans les collocations avec les mots

État/gosudarstvo. Nous avons également observé plusieurs collocations ou CLS

communes pour deux langues. Néanmoins, l’analyse de la combinatoire des mots

État/gosudarstvo, c’est-à-dire de leurs associations possibles avec d’autres mots a

1202Skljarevskaja G.N., Tkačeva I.O., Davajte govorit’ pravil’no ! Političeskij jazyk sovremennoj Rossii. Kratkij slovar’ – spravočnik, Sankt-Peterburg : Filologičeskij fakul’tet SPbgU, 2003, p.61. 1203Novye slova i značenija. Slovar’-spavočnik po materialam pressy I literatury 90-x godov XX veka, v 2 tomax, 1 tom, pod redakciej T.N. Buceva, Institut lingvističeskix issledovanij RAN, Spb: Dmitrij Bulanin, 2009, p.413-416.

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420

dégagé des particularités individuelles. Ces particularités ont été observées dans

les différents dictionnaires et en particulier dans les dictionnaires bilingues.

En comparant les expressions françaises aux expressions russes, nous

constatons que pour secteur public, l’équivalent est государственный сектор

(gosudarstvennyj sektor), et pour drapeau national, l’équivalent est

государственный флаг (gosudarstvennyj flag). La combinatoire russe préfère

utiliser dans les deux expressions l’adjectif государственный au lieu de

публичный (publičnyj–public) et национальный (nacional’nyj - national).

Dans la langue française, les mots public et national ont une plus longue histoire.

Nous nous appuyons sur le Dictionnaire historique de la langue française pour

constater que l’adjectif public vient du latin publicus, signifiant « qui concerne le

peuple, qui appartient à l’État » et « de propriété ou d’usage commun »1204. Ce

terme public entrait dans des expressions comme chose publique (v. 1355), lui-

même calqué du latin res publica, ou encore bien public (bien publique,

1362)…Plus tard, à la fin du XVe siècle, l’adjectif public désigne « plus

spécialement ce qui est relatif à l’administration et au gouvernement d’une

société ». Il apparaît ensuite dans des expressions telles que charge public, droit

public, domaine public, fonction publique, service public. Le mot public, comme

celui d’État, est complètement enraciné dans la langue française. La langue russe

a emprunté le mot публичный (publičnyj–public), avec un sens restreint de

« commun à la collectivité, ce qui est l’usage de tous » et « ouvert à tous ».

Toujours d’après le Dictionnaire historique de la langue française, le mot national,

dérivé de nation, apparu en 1534, transmet en général le sens de « qui concerne

l’ensemble de la nation »1205. Si nous nous référons au Nouveau Petit Robert, ce

mot, répandu à la fin du XVIIIe siècle, désigne « qui appartient à une nation, qui a

pour objet une nation, particulièrement celle à laquelle on appartient »1206. Il

1204 Rey A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 2010, p.1800. 1205 Ibidem. 1206 Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000,

p.1652.

Page 422: dans les langues

421

apparaît dans les expressions telles que territoire national, hymne national,

drapeau national… Aux XIXe et XXe siècles, cet adjectif national se retrouve dans

nombre d’expressions avec le sens « qui appartient à l’État, est géré par lui ».

Rappelons l’ambiguïté de la notion de нация (nacia – nation) dans le discours

russe. L’emploi de ce mot et de son dérivé национальный (national) est limité

comme dans les expressions национальный флаг (nacional’nyj flag),

национальный гимн (nacional’nyj gimn).

L’étude des liaisons qui peuvent exister entre les mots État/gosudarstvo et leurs

dérivés, ou les mots composés formés à partir de leurs radicaux, ainsi que leur

évolution temporelle, nous a permis de comparer le système morphologique dans

les deux langues. Nous avons pu observer l’importance des préfixes empruntés

dans les dérivés du mot gosudarstvo ; par exemple антигосударственный (anti-

gosudarstvennyj – antiétatique), контргосударственный (kontr-gosudarstvennyj

- contre-étatique). Ce phénomène est en effet devenu très à la mode pour la

formation des mots nouveaux dans le discours russe et notamment dans la

presse.

Nous avons vu que pour la plupart des dérivés du mot gosudarstvo, la langue

russe a eu recours aux affixes d’origine russe ou slave. Nous avons également pu

rapprocher certains concepts politiques et sociaux de la langue française, comme

étaticité, étatisme, à des concepts de la langue russe, tels que

государственность (gosudarstvennost’) et государственничество

(gosudarstvenničestvo).

Page 423: dans les langues

422

Conclusion

Nous nous sommes posée la question de savoir si les deux mots État/gosudarstvo

présentent aujourd’hui un seul et même concept, qui serait perçu de la même

façon par les Français et les Russes. Ces deux mots sont issus de deux

vocabulaires, de deux cultures, de deux évolutions étymologiques différentes.

Leurs sens ont été influencés par les divers événements historiques, politiques et

sociaux de leurs États. Néanmoins, nous avons émis l’hypothèse, qu’aujourd’hui,

ces mots possèdent plus de traits sémantiques communs que de différences. En

effet, après avoir analysé les définitions des mots État/gosudarstvo mentionnées

dans les dictionnaires de langue, nous avons constaté un certain rapprochement

sémantique, qui se manifeste par la présence de traits communs : structurel,

géographique et humain. Nous affirmons également que l’interdépendance de ces

traits n’est pas constante et que ces derniers peuvent changer leur hiérarchie à

l’intérieur des mots. Pour le prouver, nous avons eu recours à d’autres sources,

notamment à celles du discours.

D’une façon générale, le choix du sens qu’on apporte aux mots dépend, d’une

part, de la langue et d’autre part du locuteur. La partie consciente se reflète dans

les dictionnaires de langue. La partie inconsciente, quant à elle, fuit l’objectivité et

se cache dans les divers énoncés et contextes du discours. Les outils

méthodologiques de la sémantique cognitive et de la psycholinguistique ont

permis de dévoiler certains secrets de cette part inconsciente.

La variété des discours nous a guidée vers l’analyse du mouvement des différents

sens des mots et, notamment, vers l’étude de la perception d’État/gosudarstvo

dans les textes médiatiques et leurs associations dans les dictionnaires des

normes associatives. En suivant la théorie de George Lakoff et Mark Johnson,

selon laquelle le système conceptuel humain est à caractère métaphorique, nous

avons effectivement dégagé un grand nombre de métaphores et de

comparaisons, à travers lesquelles les Français et les Russes perçoivent

État/gosudarstvo. Nous avons comparé les sources conceptuelles des deux

Page 424: dans les langues

423

cultures et nous sommes arrivée à la conclusion que ces sources sont souvent

communes et même universelles. On les retrouve dans d’autres

discours, notamment dans le monde anglo-saxon. Les concepts universels dans le

vocabulaire politique et social ont tous leur histoire, leur passé, leur particularités,

mais sont, en fin de compte, représentés de la même façon, métaphorique ou

comparative, ou par association à une idée communément acceptée.

Nous avons mis en évidence les images spécifiques des deux cultures. La

principale différence est la prédominance des images négatives de gosudarstvo

chez les Russes. L’abondance des métaphores criminelles et animalières, ainsi

que la personnification de gosudarstvo en marionnette ou personne passive,

reflètent une certaine hostilité, voire même une agressivité des Russes envers ce

concept. Rappelons que cette étude des métaphores n’est pas exhaustive et

qu’elle sera complétée par des recherches ultérieures.

Par ailleurs, l’analyse des résultats des dictionnaires des associations verbales a

permis d’élargir les champs comportant État/gosudarstvo, en révélant certains

mots ayant des traits sémantiques communs aux deux langues. Les résultats ont

également démontré l’instabilité des traits sémantiques des mots, ainsi que les

spécificités culturelles des associations. L’approche diachronique a permis de

mettre en lumière l’origine de certaines associations. Les associations spécifiques

au mot gosudarstvo ont souligné l’importance du passé soviétique, l’aspect

dimensionnel et le grand nombre de réactions négatives et métaphoriques figurant

dans les dictionnaires des associations verbales du russe. Quant aux résultats des

dictionnaires des associations verbales du français, ils ont démontré une attitude

plus neutre envers État. Les Français ont cité beaucoup de synonymes à ce mot,

peu d’antonymes et encore moins d’associations à caractère métaphorique. Notre

analyse fut rendue délicate en raison de la polysémie de ce mot. En effet, à ce

mot proposé en tant que stimulus avec une minuscule, la plupart des personnes

ont réagi par le mot pays ; ce qui démontre qu’il est avant tout question de

politique dans leur esprit. Mais ces dictionnaires nous informent que d’autres

réactions sont possibles avec un sens différent, c’est-à-dire manière d’être

Page 425: dans les langues

424

(physique, intellectuelle, morale) d’un être vivant. Nous pensons que le caractère

plus neutre de ces réactions dépend de cette polysémie.

Nous avons également observé certaines régularités morphosyntaxiques dans les

résultats des deux dictionnaires. En effet, les réactions se trouvent souvent en

relations paradigmatiques ou syntagmatiques avec les mots État/gosudarstvo,

c’est-à-dire qu’il s’agit, soit de synonymes ou d’antonymes, soit de syntagmes. Ce

type de dictionnaire mériterait une étude plus approfondie. Il faudrait donc se

pencher davantage sur l’analyse des régularités morphosyntaxiques des

associations, pour être en mesure de comparer les résultats des dictionnaires des

associations de langues différentes ; ceci permettrait de dégager certaines

ressemblances et particularités des langues de familles différentes et des

associations dans les différentes cultures.

N’oublions pas que les mots ne sont pas isolés, qu’ils se trouvent en interaction et

par conséquent qu’il est nécessaire de saisir leur organisation dans le discours. La

construction des champs lexico-sémantiques a démontré les rapports que les

mots État/gosudarstvo entretiennent avec d’autres mots dans ces champs. De

plus, la comparaison de ces champs dans les deux langues a révélé, d’une part,

un nombre important de mots communs et, d’autre part, quelques mots

spécifiques qui sont le terreau des deux langues.

La construction des familles des mots État/gosudarstvo a tout d’abord permis de

présenter la richesse du lexique des vocabulaires français et russe en mots

occasionnels et, entre autres, en dérivés. Ce phénomène peut être expliqué, d’un

côté, par la recherche d’une plus grande expressivité dans le discours, par

exemple avec le préfixe anti- dans les deux langues et de l’autre, par l’apparition

de nouveaux concepts, comme celui d’étaticité en français, ou

gosudarstvenničestvo en russe. La traduction de ces nouvelles notions pose un

problème particulier pour transmettre le sens d’une langue à l’autre, le traducteur

ne pouvant pas compter que sur les dictionnaires. Il est donc nécessaire d’en

saisir le sens exact afin de le restituer en fonction du contexte avec les mots

adéquats. Nous avons constaté même qu’il serait utile d’élaborer un nouveau

Page 426: dans les langues

425

dictionnaire bilingue, qui rassemblerait des mots occasionnels, des emprunts ou

calques, appartenant au domaine politique et social. Ce dictionnaire donnerait une

transcription plus sûre accompagnée d’une explication et pourrait proposer des

équivalents quand le cas serait possible.

Par ailleurs, la combinatoire des mots a révélé un grand nombre de locutions

comportant les mots État/gosudarstvo, parmi lesquelles nous avons distingué des

expressions figées, des combinaisons lexicalisées spécialisées (CLS), des

collocations et des associations libres. Leur traduction nous a également posé

problème, car cette combinatoire diffère dans les deux langues, du fait que toutes

deux sont influencées par leur propre culture et par les variations liées à leur

l’histoire. Rappelons que le cas est similaire quand on compare les combinatoires

de l’anglais et du français. Nous pouvons donc affirmer que les particularités de

ces combinaisons dépendent en grosse partie des cultures. En outre, l’analyse

des collocations comportant État/gosudarstvo a démontré que les dictionnaires,

qu’ils soient dictionnaires de langue ou dictionnaires spécialisés dans les

collocations, ne représentent pas la source de donnée la plus importante ; les

textes médiatiques et les dictionnaires associatifs mentionnent également

plusieurs collocations qu’il faudra explorer dans des recherches ultérieures.

La comparaison des définitions des mots État/gosudarstvo figurant dans les

dictionnaires de langue à leur perception dans le discours a mis en évidence un

certain décalage dans les traits sémantiques. Rappelons que les dictionnaires de

langue française mettent en avant le trait structurel par rapport aux traits humain

et géographique, tandis que l’analyse des réactions pour État dans le dictionnaire

direct des associations verbales du français a révélé l’interdépendance suivante :

trait géographique + trait humain + trait structurel. Le trait structurel cède sa place

au trait géographique dans ce schéma. Nombreuses sont également les

métaphores de personnification de l’État trouvées dans le discours français, qui

mettent en avant le trait humain.

Page 427: dans les langues

426

Les Russes identifient, en premier lieu, gosudarstvo à un système et cela se

vérifie, tant dans les dictionnaires de langue, que dans ceux concernant les

associations verbales. Dans ce schéma construit à partir du dictionnaire direct des

associations verbales : trait structurel + trait géographique + trait humain, le trait

structurel prédomine sur le trait géographique, au détriment du trait humain.

Cependant, le schéma élaboré à partir du dictionnaire inverse transmet une

interdépendance différente des traits sémantiques : le trait géographique + le trait

structurel + le trait humain. Ici, c’est le trait géographique qui prédomine sur le trait

structurel, toujours au détriment du trait humain. En revanche, l’analyse des

métaphores dans la presse russe a démontré de nombreux exemples de la

personnification de gosudarstvo, ce qui nous renvoie au trait humain. Soulignons

encore une fois l’instabilité des traits sémantiques des mots et notre interprétation

personnelle de l’interdépendance de ces traits. N’oublions pas que les définitions

proposées par les dictionnaires reproduisent généralement le sens admis par la

majorité des individus. Les dictionnaires seuls ne suffisent donc pas à définir les

mots, parce que, à notre avis, le facteur humain et contextuel joue un rôle non

négligeable dans leur interprétation.

Faut-il rappeler les nombreux glissements de sens et les connotations possibles

qui affectent les mots État/gosudarstvo dans le vocabulaire politique et social ? Ce

vocabulaire est en constant changement et le sens des mots peut évoluer

rapidement. Ces mots sont souvent manipulés par les journalistes, les hommes

politiques, certains groupes sociaux ou partis et dans les discours de propagande.

Les néologismes et les emprunts, sont-ils le résultat de phénomènes de mode ou

de la volonté politique des chefs d’État ? Nous pensons que les deux facteurs

jouent un rôle prépondérant dans l’apparition de nouveaux mots dans le

vocabulaire politique et social des deux langues et des deux cultures. L’étude de

cette apparition fera l’objet d’études ultérieures, rendant incontournable l’analyse

du discours.

Page 428: dans les langues

427

Table des annexes

Annexe I : Metaforičeskij obraz Rossii vo francuzskoj presse (Image

métaphorique de la Russie dans la presse française) _____________ 429

Annexe II : La réalité russe à travers la métaphorisation __________________ 430

Annexe III (1) : Louis XVI reçoit la Constitution de 1791 des mains d'une

figure allégorique de la France. ______________________________ 431

Annexe III (2) : La France, accompagné de Minerve vient complimenter la

République, en présence de la nation, d'avoir rétabli les droits de

l'homme. _______________________________________________ 432

Annexe III (3) : Egalité ____________________________________________ 433

Annexe III (4) : La Raison : [estampe] / dessiné par Desrais ; gravé par

Carré __________________________________________________ 434

Annexe IV : "Metaphors of Dictatorship and Democracy: Change in the

Russian Political Lexicon and the Transformation of Russian

Politics" ________________________________________________ 435

Annexe V (1) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du

russe (direct) ____________________________________________ 436

Annexe V (2) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du

russe (inverse) ___________________________________________ 438

Annexe VI (1) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du

français (direct) __________________________________________ 439

Annexe VI (2) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du

français (inverse) _________________________________________ 440

Annexe VI (3) : The Edinburgh Associative Thesaurus (EAT) ______________ 441

Annexe VII (1) : champ conceptuel de закон (zakon - loi) _________________ 443

Annexe VII (2) : champ conceptuel de люди (ljudi – gens) ________________ 444

Annexe VIII Tableau associations ___________________________________ 445

Annexe IX (1) : champ lexico-sémantique avec le mot État ________________ 446

Page 429: dans les langues

428

Annexe IX (2) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait

géographique) ___________________________________________ 447

Annexe IX (3) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait humain) ____ 448

Annexe IX (4) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait structurel) ___ 449

Annexe X (1) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo __________ 450

Annexe X (1) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo –

translitération ____________________________________________ 451

Annexe X (2) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

structurel)_______________________________________________ 452

Annexe X (2) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

structurel) – translitération __________________________________ 453

Annexe X (3) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

géographique) ___________________________________________ 454

Annexe X (3) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

géographique) – translitération ______________________________ 455

Annexe X (4) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

humain) ________________________________________________ 456

Annexe X (4) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait

humain) – translitération ___________________________________ 457

Annexe XI : Schéma de Norbert Dupont ______________________________ 458

Page 430: dans les langues

429

Annexe I : Metaforičeskij obraz Rossii vo francuzskoj presse (Image métaphorique de la Russie dans la presse française)

Šaova O. A., Rossija i Francija : nacional’nye stereotipy i ix metaforičeskaja representacija : Na materiale francuzskix i rossijskix gazet, dissertacija kandidata filologičeskix nauk, Ekaterinburg, 2005, 207 p.

Page 431: dans les langues

430

Annexe II : La réalité russe à travers la métaphorisation

Page 432: dans les langues

431

Annexe III (1) : Louis XVI reçoit la Constitution de 1791 des mains d'une figure allégorique de la France.

Page 433: dans les langues

432

Annexe III (2) : La France, accompagné de Minerve vient complimenter la République, en présence de la nation, d'avoir rétabli les droits de l'homme.

Page 434: dans les langues

433

Annexe III (3) : Egalité

Page 435: dans les langues

434

Annexe III (4) : La Raison : [estampe] / dessiné par Desrais ; gravé par Carré

Page 436: dans les langues

435

Annexe IV : "Metaphors of Dictatorship and Democracy: Change in the Russian Political Lexicon and the Transformation of Russian Politics"

Table 1: Metaphors of Size in Authoritarian, Transitional and Electoral Russian

Metaphor

English

translation

Author-

itarian

Frequency

Transitional

Electoral

Transitional

Divided by

Authoritarian

Frequency

Adjusted for

corpus size

Vysokii High 430 161 52 0.4

Shirokii Wide 220 174 20 0.9

Bol'shoi Big 668 354 125 0.6

Velikii Great 320 58 37 0.2

Krupnyi Large 165 94 20 0.6

Nizkii Low 24 26 11 1.2

Uzkii Narro

w

5 4 4 0.9

Malen'ki

i

Little 1 3 8 3.4

Malyi Small 9 6 16 0.7

Melkii Petty 4 3 1 0.8

Slavic Review 60, 2, (Summer 2001), 312-255

Page 437: dans les langues

436

Annexe V (1) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du russe (direct)

ГОСУДАРСТВО: страна 49; наше 26; власть 21; социалистическое

19; и право, правовое, Советское 18; большое, СССР 16; и революция 14;

революция 13; право, это я 12; великое, огромное, Российское 10; мое 8;

общество, Россия 7; богатое, царство, я 6; граница, машина, могучее,

правительство, родное, свободное, сила 5; бедное, развал, Советов,

тоталитарное 4; Африки, дураков, Израиль, и личность,

капиталистическое, карта, Кремль, личность, мы, народ, партия,

перестройка, Родина, сильное, справедливое, территория, тюрьма, это мы

3; буржуазное, в государстве, в опасности, в упадке, город, демократии,

демократическое, дерьмо, единое, инков, могущественное, мощное,

насилие, независимое, нищее, Отечество, отчизна, рабов,

развивающееся, развитое, русское, СНГ, соседнее, суверенитет,

суверенное, угнетение, Урарту, Швеция 2; авторитарное, Азии, Англия,

Ангола, антинародное, аппарат, аппарат насилия, армия, ацтеков,

бесправное, бесчеловечное, борющееся, будущего, буржуазия, бюджет, в

Азии, в анусе, в Европе, вне закона, географическая карта, герб, главное

здание, глобус, гнилое, говно, города, государство, государь, границы,

давит, далекое, демократичное, диктат, долг, дом, дракон, древневосточное,

дружественное, дрянное, дрянь. дурное, Европа, европейское, Европы,

Египет, единое целое, заботиться, закон, застойное, здоровое, идиотов, и

его крах, и есть государство, или я, империя, и народ, интервент, история,

Каир, Китай, княжество, колхоз, конституция, кооператив, кормилица,

королевство, крепость, кусок географической карты, лампа, Латинской

Америки, люди, мало, Мальта, мама, мать, машина для угнетения, мир,

миролюбивое, монополия, мощно, мощь, мытарство, на обочине, Наполеон,

народное, наш, небольшое, не доверяй, независимый, не знаю, неправовое

— СССР, неразвитое, не я, Нидерландов, никто никому, новость,

обанкротилось, область, образование, организация, осень, Перу, плохое,

поддерживает, полюс, порядок, правая, правда, президент, рабство,

разбитая, разваливается, развалилась, развалилось, разное, разоренное,

район, распалось, республика, родные, РСФСР, руководит, русского,

Page 438: dans les langues

437

рухнуло, садизм, самое, свобода, свое, семья, сильнее, система, скифов,

слабое, смерть, совет, советское право, социализм, социалист, столы и

чиновники, стране, террор, топор, тотализатор, тотальное, трудящихся,

умрет, унитарное, управление, феодальное, хромой, царь, цивилизация,

Челябинск, чушь, штат, это я!, яма, Louis XV, 3-го мира 1; 648+238+6+159.

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438

Annexe V (2) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du russe (inverse)

ГОСУДАРСТВО* ← страна 14; правительство 9; империя 6; монополия,

СССР, экономика 5; гражданин, держава, СНГ 4; Беларусь, республика 3;

буржуазный, история, независимый, охранять, право, Россия, США,

тоталитаризм, управления 2; Австралия, аппарат, безопасность,

взаимозависимость, владелец, власти, возрождать, враждебный, глава,

государство, Европа, завоевание, закон, западный, знамя, институт, Италия,

король, крах, крупный, машина, министр, налог, парламент, патриотизм, пе-

реворот, польза, порядок, права человека, править, правление,

предоставлять, проблема, простой, Русь, совет, Советский Союз, созидать,

Средневековье, страной, страну, управлять, утопия, ущерб, флот, хребет,

царь, целое 1; 68+128.

Annexe V (3) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du russe (direct)

ГОСУДАРСТВЕННАЯ: граница 22; тайна 18; комиссия, политика,

собственность 5; Дума, машина 4; служба 3; библиотека, власть, галерея,

дача, измена, премия 2; далеко, закон, зарплата, идея, казна, квартира,

консерватория, контора, КПП, мебель, мера, муниципальная, награда,

налоговая инспекция, независимость, опека, палата, паритет, печать,

полиция, приемка, родной, сессия, сказка, тетя, флаг, ЦК, частная 1;

106+42+0+28.

ГОСУДАРСТВЕННЫЙ: гимн 9; строй, флаг 6; банк, институт,

чиновник 5; университет 4; деятель, закон, комитет, муж, общий, экзамен 3;

аппарат, герб, займ, магазин, номер, план, пост, преступник, работник,

служащий 2; баланс, билет, бюджет, важный, долг, завод, заповедник,

знак, имущественный, казенный, национальный, некачественный, не твой,

оркестр, парламент, печать, подход, собственник, собственный, совет,

ум, участок, учреждение, частный 1; 103+47+1+24.

Page 440: dans les langues

439

Annexe VI (1) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du français (direct)

état

pays 99; nation 31; santé 20; droit, gouvernement, situation 16; statut, franc, unis

12; esprit 10; être 8; sentiment 7; fait 6; condition, lieu, patrie, république, stable 5;

âme, humeur, maladie, second 4; d'âme, d'esprit, ébriété, fatigue, gazeux,

généraux, liquide, loi, lois, moment, peuple, position, pouvoir, sensation, solide,

ville 3; action, aspect, changement, civil, conscience, de droit, de grâce, drapeau,

grâce, libre, lieux, matière, mauvais, mouvement, néant, Ohio, phase, policier,

politique, région, territoire 2; actuel, alcoolique, Amérique, apparence, argent,

armée, art, attitude, avoir, bon, caractéristiques, cellulaire, centralisé, chef, chef

d'état, chimique, chose, commun, constat, construction, continent, correct, crise,

de choc, délabré, démocratie, département, déplorable, de siège, émotion, errer,

façon, faiblesse, fatigué, fédéral, fonction, force, français, France, froid, frontière,

gaz, gendarme, grave, Île-de-France, incompréhension, individu, initial, joie, juif,

limite, machine, major, malade, Michigan, milieu, moi, moral, moyen, national,

naturel, New York, nous tous, occupé, ordre, papillon, passage, passager,

physique, présence, présent, président, principauté, propreté, providence, qualité,

quantique, régime, religion, repos, roi, Rousseau, royaume, sage, sain, Sarkozy,

sobriété, social, sœur, souffrance, souverain, spin, stabilité, standard, stationnaire,

statique, status quo, step, système, transition, triste, une patrie, uni, union

européenne, urgence, USA, végétatif 1

(518, 166, 12, 107)

Page 441: dans les langues

440

Annexe VI (2) : Résultats du dictionnaire des associations verbales du français (inverse)

état

gouvernement 86; nation 66; situation 35; pays 34; gouverneur, ministre 24; loi 16;

politique 12; condition, national 11; police 9; empire, société 8; président 7; aspect,

attitude, chef, circonstance 6; affaire, secret 5; conseil, drapeau, fonction 4; coup,

démocratie, peuple, pouvoir, présence 3; armée, changement, fait, grâce, justice,

maintenir, position, service, social 2; action, animiste, bonheur, calme, cas, cité,

civilisé, colonisation, colère, confiance, conscience, crise, dur, démocratie,

désespoir, esprit, folie, forme, français, glace, grave, honneur, importance, mode,

neuf, obéir, officier, public, puissance, raison, religion, santé, servir, solitude,

système, titre, ville, visite, âme, établir, étranger 1;

(471, 78)

‹http://ccfit.nsu.ru/arom/old/test/dictaverf/. Consulté le 25 mars 2010

Page 442: dans les langues

441

Annexe VI (3) : The Edinburgh Associative Thesaurus (EAT)

State stimulated the following associations

Number of different answers: 61

Total count of all answers: 97

• COUNTRY 9 0.09 • AMERICA 6 0.06 • CONDITION 4 0.04 • COUNTY 4 0.04 • GOVERNMENT 4 0.04 • SAY 4 0.04 • CONTROL 3 0.03 • SOLID 3 0.03 • CALIFORNIA 2 0.02 • NATION 2 0.02 • NEW YORK 2 0.02 • PENSION 2 0.02 • POLICE 2 0.02 • STATEMENT 2 0.02 • WELFARE 2 0.02 • AFFAIRS 1 0.01 • AMENITY 1 0.01 • AMOUNT 1 0.01 • ANARCHY 1 0.01 • AUTHORITY 1 0.01 • BEING 1 0.01 • BORDER 1 0.01 • BRITAIN 1 0.01 • CAPITAL 1 0.01 • CITY 1 0.01 • COMMUNISM 1 0.01 • CONCERN 1 0.01 • COUNCIL 1 0.01 • DEFINITION 1 0.01 • DISHEVELLED 1 0.01 • ENGLAND 1 0.01 • EVEN 1 0.01 • FACT 1 0.01 • FORT 1 0.01 • FUNERAL 1 0.01 • GERMAN 1 0.01 • HEALTH 1 0.01 • INDEPENDENT 1 0.01 • KANSAS 1 0.01 • LESS 1 0.01

Page 443: dans les langues

442

• MAN 1 0.01 • MEANT 1 0.01 • MEND 1 0.01 • MENT 1 0.01 • NAME 1 0.01 • POSITION 1 0.01 • QUEEN 1 0.01 • SCHOOL 1 0.01 • SECRET 1 0.01 • SHIP 1 0.01 • STEADY 1 0.01 • SUBJECT 1 0.01 • TELL 1 0.01 • TEXAS 1 0.01 • THAT 1 0.01 • TRICK 1 0.01 • TROOPER 1 0.01 • U.S.A. 1 0.01 • UNION 1 0.01 • UNITED 1 0.01 • WHICH 1 0.01

http://www.eat.rl.ac.uk Consulté le 23 octobre 2010

Page 444: dans les langues

443

Annexe VII (1) : champ conceptuel de закон (zakon - loi)

Page 445: dans les langues

444

Annexe VII (2) : champ conceptuel de люди (ljudi – gens)

Page 446: dans les langues

445

Annexe VIII Tableau associations (pages suivantes)

Page 447: dans les langues

Trai

t d

om

inan

tG

éogr

aph

iqu

eSt

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Page 453: dans les langues

446

Annexe IX (1) : champ lexico-sémantique avec le mot État

forme institutionnalisée

organismes d’administration

groupement humain territoire

Etat

Page 454: dans les langues

447

Annexe IX (2) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait géographique)

pays empire

royaume principauté

frontière

patrie

puissance

continent région

province département

ville cité

Etat Territoire

Page 455: dans les langues

448

Annexe IX (3) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait humain)

président gouverneur

ministre chef

roi

famille

peuple nation société

moi nous

individu communauté

mère, père sœur

Etat Groupement

humain

Page 456: dans les langues

449

Annexe IX (4) : champ lexico-sémantique avec le mot État (Trait structurel)

corps politique gouvernement

Organisme Administration

Institution Forme

régime

pouvoir politique

souveraineté autorité

système machine

conseil service public police

droit loi

ordre

Etat Personne juridique

république démocratie

Page 457: dans les langues

450

Annexe X (1) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo

организация

система управление

Государство

страна

общество

Page 458: dans les langues

451

Annexe X (1) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo – translitération

оrganizacija sistema

upravlenie

Gosudarstvo

strana

Obščestvo

Page 459: dans les langues

452

Annexe X (2) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait structurel)

машина тюрьма

угнетение сила

диктат насилие

монополия

долг порядок право закон

Государство Организация

Система Управление

суверенитет

институт учреждения

орган аппарат

власть правительство

правление партия

Page 460: dans les langues

453

Annexe X (2) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait structurel) – translitération

mašina tjur’ma

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diktat nasilie

monoppli ja

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pravo zakon

Gosudarstvo Organizacija

Sistema Upravlenie

suverenitet

institut učreždenija

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Page 461: dans les langues

454

Annexe X (3) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait géographique)

территория

местность граница город

область

родина отчизна

отечество земля

империя царство

княжество королевство

Государство Страна

держава

Page 462: dans les langues

455

Annexe X (3) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait géographique) – translitération

territorija

mestnost’ granica gorod oblast’

rodina otčizna

otečestvo zemlja

imperija carstvo

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Gosudarstvo Strana

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Page 463: dans les langues

456

Annexe X (4) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait humain)

люди народ

гражданин

президент государь

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семья

Государство Общество

мать брат отец

я мы

Page 464: dans les langues

457

Annexe X (4) : champ lexico-sémantique avec le mot gosudarstvo (Trait humain) – translitération

ljudi narod

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prezident gosudar’

car’

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Gosudarstvo Obščestvo

mat’ brat oteč

ja my

Page 465: dans les langues

458

Annexe XI : Schéma de Norbert Dupont

Page 466: dans les langues

459

Bibliographie

I. Sources en français

1. Dictionnaires généraux et spécialisés

Beauchesne J., Dictionnaire des cooccurrences, Montréal : Guérin, 2001. p. 140-141. Benveniste E., Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Tome 1, Paris : Les éditions de Minuit, 1969, 376 p.

Colas D., Dictionnaire de la pensée politique. Paris : Larousse-Bordas, 1997, 295 p.

Debbasch C., Y. Daudet, Lexique de politique. Cinquième édition, Paris : Dalloz, 1988, p.158-161. Dictionnaire d’analyse du discours sous la direction de P. Charaudeau, D. Maingueneau, Paris : Seuil, 2002, 661 p.

Dictionnaire géopolitique sous la direction de Yves Lacoste, Paris : Flemmarlon, 1993, p.587. Dictionnaire de l'Académie française, Institut de France. Paris : Firmin Didot frères, 1835, p.463. Dictionnaire de la Constitution, Les institutions de la Ve République, troisième édition, revue et augmentée, Paris : Edition Cujas, p.160-165. Dictionnaire de la linguistique sous la direction de Georges Mounin, Paris : Presses universitaires de France, 1974, 340 p. Dictionnaire des citations françaises et étrangères, Paris : Librairie Larousse, 1980, 896 p.

Dictionnaire des expressions idiomatiques françaises par M. Ashrat et D. Miannay, Paris : Librairie Générale, 1995, 414 p.

Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, dirigé par G.Hermet, Armand Collin, p.102-107.

Page 467: dans les langues

460

Dictionnaire historique de la langue française sous la direction de A. Rey, Paris : Dictionnaires Le Robert, 1998, tome 1, p.1321-1322.

Dictionnaire des synonymes des nuances et contraires, sous la direction de Le Fur D., Paris : Collections les usuels Robert, 2005, p.435.

Dictionnaire politique, Encyclopédie du langage et de la science politique, Paris : Librairie Pagnerre, 1868, p.379.

Dictionnaire analogique, Paris : Les Dictionnaires Robert, 1985, p.242-243.

Dictionnaire des combinaisons de mots, sous la direction de Dominique Le Fur, Paris : Dictionnaires Le Robert, 2007, p.340, p.211. Dictionnaire de la droite sous la direction de Xavier Jardin, Larousse 2002, p.114. Dubois J., Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage. Paris : Larousse, 1994, 514 p. Encyclopédie Méthodique. Jurisprudence. Paris : 1787. T. 7. p. 609. Frison P., Y. Kudrina, Lexique juridique et économique russe-francais/français-russe, Paris : Chrion, 2006, p.36-37, p.230. Lakehal M., Dictionnaire de science politique, Paris : L’Harmattan, 2007, p.165-70. Lexique des relations internationales sous la direction de Pascal Boniface, Paris : Ellipses, 1995, p. 97-99. Lexique de politique, sous direction de Daudet Y. et Debbasch C., Paris : Dalloz, 1988, pp.158-160.

Nouveau dictionnaire des synonymes, Paris : Librairie Larousse, 1977, 741 p.

Nouveau Littré, Paris : ed. Garnier, 2006, p.631.

Rey A., Chantreau S., Dictionnaire des expressions et locutions, Paris : Dictionnaires le Robert, 1989, p.495-496.

Robert P., Le nouveau petit Robert. J. R.-D. A. REY. Paris, Dictionnaires le Robert, 2000, 2841 p.

Rozenblum A., Lexique politique : qui a dit quoi (2500 citations de 450 personnalités), Paris : Revue politique et parlementaire, Revue et parlementaire :

Page 468: dans les langues

461

p. 55-57.

Sakhno S., Dictionnaire russe-français d’étymologie comparée, Paris : l’Harmattan, 2001, p.81-82.

Vocabulaire de la perestroïka, sous la direction de Michel Niqueux, Paris : Editions universitaires, 241 p.

Zinglé H., Dictionnaire combinatoire du français : expressions, locutions et constructions, Paris : La Maison du dictionnaire, 2003, p.442-443.

2. Ouvrages et thèses

Agulhon M., Bonte P., Marianne, les visages de la République, Paris : Gallimard, 128 p. Aron R., Démocratie et totalitarisme, Paris : Editions Gallimard, 1965, 370 p. Bakounine M., Dieux et l’État, Editions Mille et une nuits, 1996, 143 p.

Banu G., Shakespeare, Le monde est une scène : Métaphores et pratiques du théâtre, Paris : Gallimard, 2009, 269 p.

Bayon C. et Mignot X., Initiation à la sémantique du langage, Nathan, 2000, 255 p.

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Table des matières

REMERCIEMENTS ____________________________________________________ 3

Sommaire __________________________________________________________ 4

Introduction ________________________________________________________ 5

1. Problématique _______________________________________________________ 5

Thème ______________________________________________________________________7

Contribution des linguistes et chercheurs russes aux études comparatives franco-russes

contemporaines ____________________________________________________________________8

2. Première approche appliquée - lexico-sémantique : objet d’étude, corpus, principes

théoriques et difficultés méthodologiques _______________________________________ 12

État/gosudarstvo : des mots appartenant au lexique général ou des termes propres à la

politique ? _______________________________________________________________________12

État/gosudarstvo : Mots, concepts et notions ______________________________________13

La sémantique lexicale ________________________________________________________15

Le problème de la polysémie ___________________________________________________16

Le problème de la construction des familles des mots _______________________________17

La lexicologie explicative et combinatoire _________________________________________18

Définition du champ lexical et sémantique par les linguistes français ____________________23

3. Deuxième approche appliquée - lexicographique : corpus, principes théoriques et

difficultés méthodologiques ___________________________________________________ 26

Corpus _____________________________________________________________________27

Approche lexicographique en Russie _____________________________________________28

Les délimitations de l’approche lexicographique ____________________________________29

Approche lexicographique en France ____________________________________________30

Particularités et difficultés de l’approche lexicographique ____________________________30

4. Méthodes pour l’analyse des mots État/gosudarstvo dans le discours politique :

principes et particularités terminologiques _______________________________________ 31

Le discours politique et sa problématique _________________________________________31

Le discours politique et son analyse en France _____________________________________33

Le discours politique et son analyse en Russie ______________________________________33

5. Approches extralinguistiques appliquées : corpus, principes théoriques et difficultés

méthodologiques ___________________________________________________________ 37

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Aspect psycholinguistique _____________________________________________________37

Etudes antérieures ___________________________________________________________38

6. Objectifs, hypothèses et plan de la thèse _________________________________ 42

Hypothèses _________________________________________________________________43

Plan de la thèse______________________________________________________________44

Chapitre 1 : L’analyse comparative des définitions des mots État/gosudarstvo dans

les dictionnaires _________________________________________________________ 46

1.1. Définition du mot État et son origine dans les dictionnaires de langue, historiques

et étymologiques dans la langue française _______________________________________ 46

1.1.1. Définition du mot État dans les dictionnaires de langue française _________________46

1.1.2. Origine et évolution du mot État dans les dictionnaires historique et étymologique

français. _________________________________________________________________________48

1.1.3. Origines des définitions du mot État ________________________________________51

1.2. Définitions du mot État dans les dictionnaires spécialisés __________________ 55

1.2.1. Définition du mot et du concept État dans le Lexique politique____________________55

1.2.2. Définition du mot et du concept d'État dans le Dictionnaire de la Constitution (les

institutions de la Ve République) ______________________________________________________56

1.2.3. Définition du mot et du concept d’État dans les dictionnaires de science politique ____57

1.2.4. Définition du mot et du concept d'État dans le Dictionnaire de la pensée politique ____59

Conclusion _________________________________________________________________59

1.3. Définition de государство (gosudarstvo) dans les dictionnaires de langue russe 60

1.3.1. Origine et évolution du mot государство dans les dictionnaires historiques et

étymologiques russes. ______________________________________________________________68

1.4. Définition du mot государство dans les dictionnaires russes spécialisés ______ 80

Dictionnaires publiés _________________________________________________________80

1.4.1. Définition de gosudarstvo dans le Dictionnaire juridique encyclopédique ____________80

1.4.2. Définition de gosudarstvo dans le Dictionnaire encyclopédique de politologie ________81

1.4.3. Définition de gosudarstvo dans le Lexique politique de la Russie contemporaine « Parlons

correctement ! » __________________________________________________________________81

1.4.4. Dictionnaires spécialisés consultés « on-line » _________________________________83

Conclusion _________________________________________________________________84

1.5. Dictionnaires bilingues ______________________________________________ 85

1.6. Analyse comparative des définitions des mots État/gosudarstvo : matrice

sémantique commune et traits différents _______________________________________ 86

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1.6.1. L’analyse des définitions des mots État/gosudarstvo dans les dictionnaires de langue et

les dictionnaires spécialisés d’aujourd’hui et dans les dictionnaires historiques et étymologiques ___86

Différences _______________________________________________________________86

Ressemblances ____________________________________________________________92

Chapitre 2 : La perception d’État/gosudarstvo à partir des métaphores dans le

discours politique ________________________________________________________ 96

2.1. Les métaphores dans le discours politique _______________________________ 96

2.1.1. La structure de la métaphore du point de vue cognitif __________________________98

2.1.2. Pourquoi la métaphore ? ________________________________________________100

2.2. Analyse comparative _______________________________________________ 101

2.2.1. Méthodologie de comparaison____________________________________________101

2.2.2. Les études antérieures __________________________________________________102

2.2.3. Les métaphores « universelles » rencontrées dans la presse française et la presse russe

_______________________________________________________________________________106

2.2 4. Les métaphores propres aux deux cultures __________________________________106

2.3. Analyse de la métaphore d’État dans le discours paru dans la presse française

d’aujourd’hui ______________________________________________________________ 107

2.3.1. Les études antérieures __________________________________________________107

2.3.2. Procédures et corpus d’analyse ___________________________________________109

2.3.3. Les métaphores d’État dans la presse française contemporaine __________________110

• La métaphore de personnification _________________________________________110

• La métaphore familiale __________________________________________________112

• La métaphore criminelle_________________________________________________117

• La métaphore corporelle de l’État _________________________________________118

• La métaphore « l’État est machine, mécanisme » _____________________________123

• La métaphore spatiale de l’État ___________________________________________124

• La métaphore de la guerre _______________________________________________126

• La métaphore théâtrale _________________________________________________127

2.4. Analyse de la métaphore de gosudarstvo dans le discours paru dans la presse russe

d’aujourd’hui ______________________________________________________________ 130

2.4.1. Procédures et corpus d’analyse ___________________________________________130

2.4.2. Les métaphores de gosudarstvo dans la presse russe (dictionnaire de Baranov et de

Karaulov) _______________________________________________________________________132

• La métaphore de bâtiment «Государство – строение/здание (Gosudarstvo –

stroenie/zdanie) _______________________________________________________________134

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484

• La métaphore mécanique « Государство - машина/механизм» «Gosudarstvo – mašina,

mexanizm» ___________________________________________________________________136

• La métaphore corporelle ________________________________________________138

• La personnification _____________________________________________________141

• La métaphore animalière ________________________________________________145

• La métaphore « Gosudarstvo – sposob peredviženija » (L’État est un moyen de

transport) 154

• La métaphore théâtrale _________________________________________________156

• La métaphore spatiale de gosudarstvo _____________________________________158

2.4.3. Les métaphores de gosudarstvo dans la presse russe (Corpus National de la Langue

Russe) __________________________________________________________________________159

• La métaphore monarchique ______________________________________________160

• La métaphore criminelle_________________________________________________164

• La métaphore de la guerre _______________________________________________165

• La métaphore sportive __________________________________________________168

• La métaphore biblique __________________________________________________169

• La métaphore familiale __________________________________________________171

Conclusion ___________________________________________________________ 175

Chapitre 3 : Les associations liées aux mots État/gosudarstvo dans les

dictionnaires des normes associatives russes et françaises ______________________ 180

3.1. Historique des dictionnaires associatifs ________________________________ 180

3.2. Les associations liées au mot gosudarstvo dans le dictionnaire des normes

associatives russes _________________________________________________________ 182

3.2.1. Dictionnaire des normes associatives russes _________________________________182

3.2.2. Analyse des résultats du dictionnaire direct__________________________________184

3.2.2.1. Trait géographique _________________________________________________185

3.2.2.2. Trait structurel ____________________________________________________196

3.2.2.3. Trait humain ______________________________________________________237

3.2.3. Analyse des résultats du dictionnaire inverse ________________________________241

Conclusion ________________________________________________________________251

3.3. Les associations liées au mot État dans le dictionnaire des normes associatives

français __________________________________________________________________ 252

3.3.1. Dictionnaire des associations verbales du français ____________________________252

3.3.2. Résultats du dictionnaire direct ___________________________________________254

3.3.2.1. Trait géographique _________________________________________________254

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485

3.3.2.2. Trait humain ______________________________________________________256

3.3.2.3. Trait structurel ____________________________________________________263

3.3.3. Les résultats du dictionnaire inverse des normes associatives françaises ___________272

Conclusion ________________________________________________________________275

3.4. Analyse comparative _______________________________________________ 276

3.4.1. Traits spécifiques des réactions aux mots État/gosudarstvo _____________________277

3.4.2. Comparaison avec d’autres langues ________________________________________280

Chapitre 4 : Les champs lexico-sémantiques des mots État/gosudarstvo ______ 282

4.1. Etudes antérieures en France ________________________________________ 282

4.1.1. Champ lexical d’après Jean Dubois _________________________________________282

4.1.2. Le micro-champ lexical d’après Sylvianne Remi-Giraud _________________________284

4.2. Etudes antérieures en Russie ________________________________________ 286

4.2.1. Champs conceptuels comprenant le mot gosudarstvo de Jurij Karaulov ____________286

4.2.2. Champ sémantique du concept vlast’ (pouvoir) _______________________________288

4.2.3. Champs comprenant le mot gosudarstvo du Dictionnaire sémantique _____________290

4.3. Champ lexico-sémantique comprenant le mot État _______________________ 293

4.3.1. Trait géographique _____________________________________________________294

4.3.2. Trait humain __________________________________________________________296

4.3.3. Trait structurel ________________________________________________________298

4.4. Champ lexico-sémantique comprenant le mot gosudarstvo ________________ 299

4.4.1. Trait structurel ________________________________________________________299

4.4.2. Trait géographique _____________________________________________________300

4.4.3. Trait humain __________________________________________________________303

4.5. Analyse comparative des champs comprenant les mots État/gosudarstvo ____ 304

Conclusion ___________________________________________________________ 309

Chapitre 5 : Les familles des mots État/gosudarstvo ______________________ 310

5.1. Les expressions utilisant le mot État ___________________________________ 311

5.1.1. Les expressions et les noms composés ______________________________________312

5.1.2. Les collocations et les CLS comportant État __________________________________320

5.1.3. Comparaison avec d’autres langues ________________________________________326

Conclusion ________________________________________________________________329

5.2. Les dérivés du mot État dans les dictionnaires et dans le discours ___________ 330

5.2.1. Le schéma de Norbert Dupont ____________________________________________330

Page 493: dans les langues

486

5.2.2. Suffixes –isme, -iste, -iser/-isation, - fier, -ique, -ité ____________________________332

« -Isme » _______________________________________________________________332

« -Iste », « -ique » ________________________________________________________336

-iste _________________________________________________________________336

-ique ________________________________________________________________338

-Iser/isation ___________________________________________________________340

–ité _________________________________________________________________341

5.2.3. Préfixes anti-, non-, pseudo-, quasi- para-, semi-, ultra-, Inter-, infra-, supra- _______343

Anti-, non- ____________________________________________________________343

Pro- _________________________________________________________________347

Pseudo- et quasi-_______________________________________________________349

Para-, semi- ___________________________________________________________350

Préfixe ultra- __________________________________________________________352

Inter-, co-, infra-, supra-, sur-, super- _______________________________________353

5.2.4. Composition avec étatico-, tout- et sans- ____________________________________356

Conclusion ________________________________________________________________359

5.3. Les expressions utilisant le mot gosudarstvo ____________________________ 359

5.3.1. Les expressions utilisant le mot gosudarstvo dans les dictionnaires _______________360

5.3.2. Les expressions avec les mots gosudarstvo/État dans les dictionnaires bilingues _____369

• Dictionnaires généraux et spécialisés bilingues _______________________________369

• Dictionnaires généraux et spécialisés bilingues franco-russes ____________________374

Conclusion ________________________________________________________________380

5.4. Les dérivés du mot gosudarstvo dans les dictionnaires ___________________ 384

5.4.1. Dérivés de gosudar’ et de gosudarstvo _____________________________________384

• Verbes dérivés de gosudar’ ______________________________________________387

• Les affixes empruntés par le vocabulaire politique russe _______________________391

Les suffixes –ен (-en), –ость (-ost’), -ик (-ik), -ичество (-ičestvo) _________________391

–ен (-en), –ость (-ost’) __________________________________________________391

• Problème de définition et de traduction de gosudarstvennost’ __________________391

• L’emploi de gosudarstvennost’ dans le discours russe__________________________395

-(н) ик –(n) ik __________________________________________________________397

-ичество (ičestvo)______________________________________________________400

Les préfixes анти- (anti-), противо-(protivo-), контр-(kontr-), по- (po-), внутри- (vnutri-),

меж- (mež-), псевдо- (psevdo-), лже- (lže-), квази-(kvazi-), о-(o-) ______________________403

анти- (anti-), противо- (protivo-), контр- (kontr-) _____________________________403

внутри-(vnutri-), меж- (mež-), сверх- (sverx-), над- (nad-)______________________407

Préfixe по- (po-) _______________________________________________________408

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487

Псевдо-, лже-, квази- (psevdo-pseudo, lže-, kvazi-quasi) _______________________409

Préfixe o- et le suffixe ен-(en-) ____________________________________________410

5.4.3. La composition ________________________________________________________412

Conclusion ________________________________________________________________418

5.5. Analyse comparative des familles des mots État/gosudarstvo ______________ 419

Conclusion ________________________________________________________ 422

Table des annexes _________________________________________________ 427

Bibliographie _____________________________________________________ 459

Table des matières _________________________________________________ 481