150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel Bastarache & Hommage posthume à Michel Lavigne Grâce à la participation de plusieurs personnes dont Céline Bossé, Claude Boutin, Diane Boutin, Jean-Mathieu Brassard, Gary Colette, Dany Côté, Suzanne de Courville Nicol, Henri Emond, Dorys Gagné, Elsy Gagné, Myriam Girard, Yvon Godin, Sébastien Grammond, Jacques Hébert, Mathieu Kalenga, Charlie Langevin, Lana Langevin, Gérard Lévesque, Gilles Mossière, Arlette Pregliasco, Jacqueline Simard, Claudette Tardif, Denis Tardif et Inouk Touzin et Estelle Valois, une lecture collective d'extraits d'une partie du texte « 150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel Bastarache » a été organisée par la Société franco- canadienne de Calgary (SFCC) et Théâtre à pic, vendredi 29 septembre 2017, de 17h00 à 20h00, dans la salle paroissiale de l’Église Sainte-Famille, 1719 5 E Rue, S.O., Calgary 1. Narrateur Pour cette présentation, nous nous limitons à faire en moins de 120 minutes un survol nécessairement incomplet des revendications du bilinguisme judiciaire car il faudrait sans doute au moins 24 heures pour dresser un portrait vraiment représentatif de 150 ans de luttes pour obtenir justice dans ce domaine. 1
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150 ans de revendications de bilinguisme judiciaire : de Louis Riel à Michel
Bastarache & Hommage posthume à Michel Lavigne
Grâce à la participation de plusieurs personnes dont Céline Bossé, Claude Boutin,
Diane Boutin, Jean-Mathieu Brassard, Gary Colette, Dany Côté, Suzanne de
that Riel was hanged by the government for political expediency, necessitated by
Orangemen support. The French Canadians felt their national existence had been attacked
– that the English speaking majority was determined to end French influence in Canada
both culturally and politically, for all time. That Riel’s death would result in long-lasting,
perhaps permanent, problems for Canadian society, was predicted by numerous editorials
in French newspapers at the time.
3. L. Hunt :
The influence of Louis Riel on the development of the Canadian nation was profound in
that it also laid bare the deep-rooted feeling of English Canadians regarding French
Canadians. It was the Orange Order –a group of Protestant, anti-Catholic, highly pro-
British, English Canadians, that became the focus for aroused emotions… Fearful of
French dominance in the West, the Orangemen used their antagonism as a political
weapon in both 1870 and 1885 to force the Conservative government to act in their
interest. Louis Riel was not the cause of these extreme views, but rather the focal point of
aroused religious and racial emotions in a political climate which was opportunistic and
sometimes ruthless.
4. L. Goshawk :
Few figures in Canadian history are more controversial than Louis Riel. The man, and the
two rebellions which he led in the 19th century, are still of great interest as they were in
the early days of the nascent confederation. But the significance of Riel and the two
rebellions runs deeper than mere interest since the basic issues involved are still haunting
the Canadian mind. An examination and clarification of the issues in which Riel was
intimately involved would aid the development of an understanding of the treatment of
Canada’s first settlers in the West. It may also assist us to understand better the present-
day frustrations and problems of the Métis, Indians and other minority groups in Canada.
(Louis Riel, An Annotated Bibliography, University of Saskatchewan, Saskatoon, p. 5-6.)
5. Narrateur
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La Loi constitutionnelle de 1867 confirme les ambitions du Canada pour acquérir les
territoires à l’Ouest de l’Ontario. Les Métis craignent que la Compagnie de la Baie
d’Hudson vende les terres et, comme du bétail, vendent aussi les personnes qui habitent
ces terres. Louis Riel réussit à unir les Métis francophones et anglophones afin de
présenter des revendications. En 1869 et 1870, en tant que chef métis, il réussit à unifier
les résidents des Territoires du Nord-Ouest qui parlent français et ceux qui parlent anglais
afin de présenter une liste de droits qu’ils réclament des représentants d’Ottawa. Or, parmi
ces demandes, il y a celle concernant le droit d’employer le français et l’anglais devant les
tribunaux.
6. Louis Riel
« Nous ne voulons pas des demi-droits mais bien tous les droits qui nous appartiennent. »
7. Narrateur
Parmi les revendications des Métis, il y a le bilinguisme législatif et judiciaire. Lorsque le
Manitoba est créé en 1870, des garanties constitutionnelles sont accordées au bilinguisme
législatif et judiciaire. La population étant devenue en majorité anglophone à la faveur des
politiques d’immigration, les droits linguistiques des francophones sont enlevés illégalement. Le
gouvernement ignore les deux décisions judiciaires qui déclarent anticonstitutionnel ce vol de
droits linguistiques. Il va falloir attendre 95 ans avant que des décisions de la Cour sup^rme du
Canada (CSC) réinstituent les droits des francophones.
8. Narrateur:
Le 22 novembre 1885, Montréal connaît une des plus grandes manifestations de toute son
histoire. Plus de cinquante mille personnes hurlent leur rage à la suite de la pendaison de
Louis Riel. La ville compte alors 140 000 habitants. Pratiquement tout ce que la ville
compte de francophones descend dans la rue. Au nombre des orateurs qui affirment leur
désapprobation, on trouve Honoré Mercier, futur premier ministre du Québec, déjà un
orateur très populaire.
9. Honoré Mercier
« Riel, notre frère, est mort, victime de son dévouement à la cause des Métis dont il était
le chef, victime du fanatisme et de la trahison ; du fanatisme de Sir John et de quelques-
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uns de ses amis ; de la trahison de trois des nôtres qui, pour garder leur portefeuille, ont
vendu leur frère. »
10. Narrateur :
Aucun groupe linguistique n’a le monopole du fanatisme. Il arrive cependant que, les
circonstances le justifiant, même les ecclésiastiques soient portés à généraliser. Le 27
octobre 1887, le père Albert Lacombe écrit à son archevêque, Mgr. Taché.
11. Le père Albert Lacombe :
« Je ne prétends pas être un prophète mais il me semble qu’une grande tempête se pointe à l’horizon. Le courant anglais, avec tout son fanatisme et sa brutalité habituels, tentera de savoir si maintenant est le bon moment pour nous attaquer de front avec une chance de succès. Je m’attends à recevoir les foudres de la tempête, autant parmi les membres de notre législature que dans la presse… »
I do not pretend to be a prophet but it seems to me that a big storm is brewing on the horizon. The English element, with all its fanaticism and its usual brutality, will attempt to find out whether now would not be the time to attack us frontally, with a chance of success. I expect the unleashing of the storm, both among the members of our legislature and in the press… (Translation)
12. Narrateur : Donald B. Smith, professeur au Département d’histoire de l’Université de
Calgary, écrit dans son texte sur l’histoire des francophones de l’Alberta:
La lettre du père Lacombe, écrite en 1887 était prophétique, car moins de cinq ans plus tard, le conseil des Territoires du Nord-Ouest élimine le français à la fois de l’assemblée territoriale, des tribunaux et presque complètement du système scolaire de ce qui constitue aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan.(traduction)
Lacombe’s letter written in 1887 was indeed prophetic, for within five years the catastrophy occurred. In 1892, the North West Territorial Council eliminated the French language from the territorial assembly, the courts, and almost completely from the schools of what today constitutes the provinces of Alberta and Saskatchewan.
Source : SMITH, Donald, A History of French-Speaking Albertans, p. 82
13. Mot du narrateur
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En 1890, le député de Simcoe-Nord, Dalton McCarthy, présente un projet de loi dont le
seul objectif est de supprimer les dispositions de l’Acte des Territoires du Nord-Ouest,
S.C. 1875, c.45, enchâssant l’utilisation du français à l’assemblée législative, un droit qui
était alors à l’article 110. En 1988, dans le dossier R. c. Mercure, (1988) 1 RCS 234) la
Cour suprême du Canada va caractériser de la façon suivante l’initiative assimilatrice de
McCarthy :
Le juge La Forest :
…la première étape d’un processus
qui visait ultimement l’élimination
de la langue française dans tout le
pays, un processus qui comprenait
incidemment la tentative d’abolition
par le Manitoba des garanties
linguistiques prévues à l’article 23 de
la Loi de 1870 sur le Manitoba.
…the first step in a process the ultimate goal
of which was the elimination of the French
language throughout the country, a process
which incidentally included the attempted
abolition by Manitoba of the language
guarantees in s. 23 of the Manitoba Act,
1870.
14. Narrateur:
Le 21 février 1890, l’honorable Alphonse Larivière (député de Provencher), prononce
l’un des derniers discours avant le vote de la Chambre des communes rejetant la
proposition de McCarthy. Il rappelle que la protection des minorités a été un enjeu central
des négociations importantes de la Confédération et que c’est à la lumière de ce fait qu’on
doit interpréter les lois entourant la création du Manitoba.
Alphonse Larivière :
Mais, chose étonnante, quand la province du Manitoba a été érigée, ce n’était pas la minorité française ou catholique qui était protégée par l’acte de constitution, parce que les catholiques et les Français formaient la majorité. En conséquence, les lois adoptées pour donner une constitution à la province du Manitoba, l’ont été pour protéger la minorité protestante et anglaise.
But, astonishing to say, when the Province of Manitoba was organized, it was not the Catholic or the French minority that was protected by the enactment, because at that time the Catholics and the French were in the majority. Therefore, the laws which were passed in order to give a constitution to the Province of Manitoba, were passed with the view to protect the Protestant and English
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Maintenant le contraire existe. La population anglaise et protestante a augmenté de telle manière que les Français sont en minorité.
Que voyons-nous aujourd’hui ? Avons-nous jamais vu la majorité, quand le premier état de choses existait, essayer d’enlever les droits de la minorité? Non; mais nous voyons aujourd’hui que la majorité, agissant d’après les vues préconisées par l’honorable député de Simcoe-nord (M. McCarthy) adopte des lois pour abolir la langue française au Manitoba…
Débats de la Chambre des communes du Canada, (1890) 29, page 1010
minority. Today, the reverse exists. The Protestant and English-speaking population has increased, so that now the minority is on the other side.
What do we see now? During the existence of the former state of things, did we ever see the majority attempt to take advantage of their position to take away the rights of the minority? No, but today we see that the majority, acting on the views which have been enunciated by the hon. member for North Simcoe (Mr. McCarthy) are passing enactments to abolish the frenc language in Manitoba…Debates of the House of Commons of Canada, (1890) 29, page 987
15. Narrateur:
Même si le projet de loi de McCarthy est rejeté par la Chambre des communes, celui-ci
revient à la charge, déposant sa proposition francophobe aux sessions de 1891, 1892, 1893,
1894 et 1895. Chacune de ces tentatives d’abolir le français dans les Territoires du Nord-
Ouest échoue.
Le premier des premiers ministres du Manitoba est le franco-manitobain Marc-Amable Girard
qui a aussi été membre du Sénat du Canada (13 décembre 1871 - 12 septembre 1892). Voici un
extrait de l'une de ses interventions en tant que sénateur en 1891. Comme les effectifs d’alors du
Bureau des traductions n’étaient pas à la hauteur de la situation, les francophones qui voulaient
être compris par les anglophones unilingues intervenaient en anglais.
16. Le sénateur Marc-Amable Girard
“You have been asked by petitioners in all parts of the Dominion to protect the majority from the
evils of the liquor traffic: I am asking you now to protect the minority in one of the provinces and
in the territories from an encroachment upon their rights and privileges. It seems to me that it is
the duty of every member of this House, if he finds a lack of harmony in the province from which
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he comes, to investigate the cause and to suggest a remedy… I must say that the present
Government of Manitoba has dealt harshly with the French minority of the province… It is not
necessary for me to enter into an argument, before a body that is so well disposed towards us as
the Senate is, to show the importance of the French language. At the same time, I may say that
we ask simple justice and we claim a right which should not have been contested in any way…
Under the circumstances, we think we are justified in calling upon the Federal Government to
come to our protection… There are people of French origin, not only in Manitoba, but throughout
the North-West, who are waiting for justice, and they do not understand why they should have to
wait so long for that to which they are fairly entitled.” Débats du Sénat, 7e lég., 1re sess.
(27 mai 1891), p. 42-43.
17. Narrateur :
En mars 1892, dans la cause Hébert à propos d’élections municipales à La Broquerie, le
juge Louis-Arthur Prud’homme prononce une première déclaration d’invalidité de la loi
de 1890.
18. Narrateur :
Le successeur du sénateur Girard est le sénateur Thomas-Alfred Bernier. Voici une de ses
déclarations en 1894.
19. Le sénateur Thomas-Alfred Bernier
“In the first place, we have the right to rely on the general promises of protection contained in the
federal constitution as explained during the debates on the resolutions placed before the
Parliament of old Canada in 1865. Then fears were entertained and vigorously expressed by the
opponents of the measure as to the condition in which the minorities might afterwards find
themselves. But it was repeatedly said that all through confederation, and for all time to come, the
minorities would receive protection and be accorded the free and full enjoyment of their
language…Why? Confederation was conceived and passed and adopted expressly with that
view.” Débats du Sénat, 7e lég., 4e sess. (3 avril 1894), p. 101-102.
20. Narrateur
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Le 30 janvier 1909, la 2e déclaration d’illégalité de la loi de 1890 éliminant le français est
prononcée par le juge L. A. Prud’homme.
21. Le juge L. A. Prud’homme :
“I then hold that "An Act to Provide that the English Language shall be the Official Language of
the Province of Manitoba" (R.S.M. 1902, c. 126), is ultra vires of the Legislature of Manitoba and
that consequently s. 23 of the Manitoba Act, 1870 cannot be amended and still less repealed by
the provincial Legislature. I could not come to a different conclusion without doing violence to
both the letter and the spirit of the British North America Act, 1867, and the Manitoba Act, 1870.
The Legislature evidently did not appear to be sure of its right to abolish the French language.
The act contains only two sections: the first has the effect of abolishing the French language and
the second to confess its doubt to do so by stating: "This Act shall only apply so far as this
Legislature has jurisdiction so to enact ...".”
Bertrand v. Dussault, Cour de comté de St-Boniface, le 30 janvier 1909, reproduit dans 1977
CanLII 1635 (MB CA), 77 D.L.R. (3d) 445 at 458.
22. Narrateur :
Dans son ouvrage « L’Ontario français, quatre siècles d’histoire », l’écrivain Paul-François
Sylvestre souligne le rôle prépondérant joué par le procureur général Roy McMurtry en faveur de
l’accès à la justice en français.
23. L’écrivain Paul-François Sylvestre :
En Ontario, le secteur de la justice s’ouvre à la dualité linguistique, en douce. Pas de
manifestation, pas de grève des avocats francophones. Tout commence avec l’arrivée de Roy
McMurtry, qui est nommé Procureur général dans le cabinet de Bill Davis en 1975. Il demeurera
à ce poste pendant dix ans.
En 1976, McMurtry donne son aval à la mise en œuvre d’un programme de services en français
dans les tribunaux. Il commence par une cour provinciale bilingue, division criminelle, à
Sudbury. L’année suivante, le Procureur général crée un comité de juristes francophones pour le
conseiller sur toutes questions relatives à l’usage du français dans les tribunaux de la province.
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Toujours en 1977, il devient possibilité de tenir des procès en français dans des tribunaux de
certains districts judiciaires.
En 1978, l’Assemblée législative adopte la loi permettant la création de jurys bilingues. C’est
aussi le début du programme de traduction des lois de l’Ontario. L’année suivante, il devient
possible d’utiliser les versions françaises des lois comme élément de preuve lors d’un procès.
L’année 1979 est surtout marquée par la reconnaissance du droit de tout francophone de subir un
procès d’instance criminelle en français en Ontario.
En 1980, la province désigne les régions où il sera désormais obligatoire d’offrir des services en
français ; cela s’applique aux cours provinciales (division de la famille). Deux ans plus tard, le
Procureur général fait adopter des amendements législatifs autorisant l’enregistrement de certains
formulaires et documents en français (testaments, titres de propriété, etc.). Il devient aussi
possible pour une compagnie d’adopter sa raison sociale en français.
Enfin, en 1984, l’Assemblée législative adopte la Loi sur les tribunaux judiciaires qui confère au
français et à l’anglais le statut de langues officielles dans le système judiciaire de l’Ontario. Sans
tambour ni trompette, Roy McMurtry a gagné son pari de rendre la province bilingue en matière
de justice ! L’Ontario français, quatre siècles d’histoire (pages 186-187)
24. Narrateur:
Des parents franco-albertains vont jusqu’en Cour suprême du Canada pour obtenir les
droits prévus à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le 15 mars 1990,
par une décision unanime, rendue par le juge en chef Brian Dickson dans le dossier Mahé
c. Alberta, [1990] 1 RCS 342, le plus haut tribunal du pays leur donne raison et déclare :
25. Le juge en chef Brian Dickson :
Une langue est plus qu'un simple moyen de communication ; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle. C'est le moyen par lequel les individus se comprennent eux-mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent.
Language is more than a mere means of communication, it is part and parcel of the identity and culture of the people speaking it. It is the means by which individuals understand themselves and the world around them.
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26. Narrateur : En 1981, toutes les autorités législatives du pays, y compris l’Alberta alors
représentée par Peter Lougheed, acceptent les dispositions linguistiques de ce qui
devient la Loi constitutionnelle de 1982.
27. Le 22 juin 1988, le procureur général de l'Alberta, Jim Horsman, fait une déclaration
ministérielle à l'Assemblée législative.
28. Le procureur général de l'Alberta Jim Horsman :
29. Narrateur : Même si le procureur général Jim Horsman annonce que les procédures
judiciaires seront enregistrées dans la langue parlée, comme on va le constater par
après, cela ne signifie pas nécessairement que les propos prononcés en français feront
partie de la transcription de l’audience.
30. Narrateur : Lors de la rencontre que le Conseil de l'Association du Barreau canadien
tient en août 1991 à Calgary, une résolution sur le dépôt de documents en français
devant les tribunaux de l'Alberta est présentée et débattue passionnément par les
membres du Conseil.
Maître Gérard Lévesque :
Attendu que la Loi linguistique de
l’Alberta prévoit à l’article 4(1) :
Chacun peut employer le français ou
l’anglais dans les communications
verbales dans les procédures devant
Whereas the Languages Act of
Alberta provides in subsection 4(1):
Any person may use English or
French in oral communication in
proceedings before the following
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les tribunaux suivants de l’Alberta :
(a) La Cour d’appel de l’Alberta
(b) La Cour du Banc de la Reine de
l’Alberta
(c) Le Tribunal des successions de
l’Alberta
(d) La Cour provinciale de l’Alberta;
Attendu que la Loi ne permet pas le
dépôt de documents écrits en
français devant ces tribunaux;
Attendu que toute personne devrait
avoir le droit de déposer les
documents écrits dans la langue
officielle de son choix;
Qu’il soit résolu que le président de
l’Association du Barreau canadien
demande formellement au
gouvernement de l’Alberta de
modifier la Loi linguistique afin de
permettre le dépôt de documents en
français devant les tribunaux de
l’Alberta.
courts:
(a) The Court of Appeal of Alberta
(b) The Court of Queen’s Bench of
Alberta
(c) The Surrogate Court of Alberta
(d) The Provincial Court of Alberta;
Whereas the Act does not allow the
filing of documents in French in the
Courts enumerated above;
Whereas all persons should have the
right to file documents in the official
language of their choice;
Be it resolved that the President of
the Canadian Bar Association
formally request the Government of
Alberta to amend the Languages Act
to permit the filing of documents in
French in Alberta courts.
Extrait du compte-rendu de la rencontre du Conseil de l'Association du Barreau canadien
(ABC), tenue du 18 au 21 août 1991 à Calgary, où a été débattue la résolution 9 sur le
dépôt de documents en français devant les tribunaux de l'Alberta.
31. Narrateur : Bien que la résolution soit adoptée avec l’appui spécifique de la Section de
l’Alberta de l’Association du Barreau canadien, la requête sera ignorée par le
gouvernement de l’Alberta.
32. Narrateur : En 1992, Don Getty, le successeur de Peter Lougheed, propose d’enlever
au bilinguisme tout caractère législatif. Voici un extrait de son allocution.
Le premier ministre de l’Alberta Don Getty :
…Le dernier des points que je veux toucher, jamais je ne l’ai précisé auparavant. Je demande à tout Albertain et à tout Canadien de l’examiner attentivement.
Je propose qu’au Canada, nous renouvelions notre engagement envers la notion de bilinguisme en tant que caractéristique positive et fondamentale de l’unité canadienne, mais je crois que le temps est venu de soustraire le bilinguisme à l’empire de la loi.
Ceci constituerait un changement crucial au Canada : bilinguisme par choix, non pas par la loi.
J’émets cette suggestion après beaucoup de réflexion introspective parce que cela correspond à une attitude d’ouverture et de tolérance plutôt qu’à la force de la loi.
Cette attitude nous renvoie à la manière canadienne de travailler ensemble parce que tel est notre sentiment et non pas parce que les gouvernements nous ont dit comment il fallait nous conduire.
Cette position délicate, je vous en fais part parce que je crois que ce sera positif pour le Canada. Je ne veux être associé
…My final point today is one which I would ask every Albertan and Canadian to consider with a great deal of care – because it is a position I have never stated before.
I propose that in Canada, we re-commit ourselves to the concept of bilingualism as a positive, fundamental characteristic of Canadian unity – but, I believe the time has come when bilingualism should be removed from the force of law.
This would be a fundamental change in Canada. Bilingualism by choice, not by law.
I make this proposal after a great deal of soul searching because it relies on an attitude of openness and tolerance, rather than legal force.
It takes us back to the Canadian way of working together because that is how we feel – not because governments have told us how we must behave.
I present this sensitive position because I believe it will be positive for Canada. I don’t want to be part of any intolerance,
à aucune intolérance à quelque mouvement qui alimente l’incompréhension, Je ne veux jouer aucun rôle dans des politiques qui disent au Québec : « Vous n’êtes pas le bienvenu ».
Mon Canada comprend le Québec mais j’en suis venu à la conclusion que, de quelque manière au Canada, nous devons trouver entre nous des façons de nous défaire d’irritants, et que, partout au pays, le bilinguisme imposé par la loi est devenu un tel symbole d’irritant.
À mes yeux, nous aurons franchi un pas au Canada si nous pouvons affirmer: «Nos lois ne nous contraignent pas à cela, mais dans nos cœurs, nous voulons nous adresser l’un à l’autre en tant que Canadiens égaux.»
Ce n’est pas la philosophie du bilinguisme qui est en cause, elle a mon appui. Tous, nous tirons profit de nous comprendre mutuellement. C’est l’idée d’être contraint, c’est le sens d’obligation qui a été si destructif. Voici venu le moment de changer.
Dans tout ça, le côté paradoxal consiste dans le fait que si nous enlevons la contrainte de la loi, et c’est ce que je crois, beaucoup plus de Canadiens adopteront librement le bilinguisme.
Je convie les Albertains et les Canadiens à penser à un nouvel équilibre qui favorise la compréhension, qui encourage le bilinguisme mais qui désamorce la colère, parce que ce n’est plus une loi punitive et désagréable.
Version française de l’allocution du premier ministre Don Getty (9 jan. 1992)
or any movement which feeds misunderstanding. I want no part of policies which say to Quebec: « you are not welcome ».
My Canada has Quebec in it. But I have come to the conclusion that somehow in Canada, we need to find new ways to remove the irritants among us, and enforced bilingualism has become such a symbol all across the country.
To me, we will have truly accomplished something in Canada, if we can say: «our laws don’t force us to, but in our hearts, we want to be able to speak to each other as equal Canadians.»
The issue is not the philosophy of bilingualism. I support it. All of us benefit when we understand each other. It’s the idea of being forced; it’s the sense of obligation which has been so destructive. And it’s time to make a change.
The odd part about it is this. I believe that if we remove the force of law, many more Canadians will willingly embrace bilingualism.
What I ask Albertans and others to consider is a new balance – that does encourage understanding – but takes the anger away because it no longer is a punitive, unwelcome law.
Don Getty (January 9, 1992) http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=2137985599&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=6345
En 1999, le Gouverneur général du Canada, Roméo Leblanc, porte un regard réaliste sur
l’évolution du pays.
Le Gouverneur général du Canada, Roméo Leblanc :
Au fil des ans, nous nous sommes efforcés de construire une société qui repose sur la liberté et l’égalité. Nous avons à notre actif de belles réalisations, mais notre histoire nationale a ses chapitres sombres …Tous n’ont pas profité de notre rêve national.
Over the years, we have worked to create a society based on freedom and equality. We have accomplished a great deal, but our national story has some dark chapters…Not everyone benefittedfrom our National Dream.
37. Narrateur :
En 1999, dans la cause R. c. Beaulac, (1999) 1 RCS 768, la Cour suprême du Canada renverse
l’ancienne interprétation des droits linguistiques.
Dans le dossier Caron c. Commission albertaine des droits de la personne, Gilles Caron se représente lui-même et fait ses représentations en français alors que la Commission et la Ville d’Edmonton font leurs représentations en anglais.
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Comme il n’y a pas d’interprète, c’est la juge bilingue présidant l’audience du 28 juin 2007, au Palais de justice d’Edmonton, qui ajoute à ses tâches en traduisant d’une langue à l’autre ce que les parties disent respectivement en français et en anglais.
En plus de discuter de la question à savoir qui, dans une instance où les deux langues sont utilisées, doit fournir et payer l'interprète, la juge et les parties soulèvent plusieurs questions ayant trait aux droits linguistiques, notamment : si le juge qui entend les parties doit être bilingue et si les justiciables qui utilisent le français ont le droit d'être compris directement dans cette langue (page 23 de la transcription de l’audience); s'il y a une différence entre les instances bilingues où les deux parties sont civiles par rapport aux instances où l'État est une partie (pages 7, 8, 19); s'il y a une différence entre les langues officielles et les autres langues; s'il y a une différence entre les droits linguistiques devant les tribunaux administratifs et les droits linguistiques devant les tribunaux judiciaires (page 28, 29); si les moyens financiers de la personne ayant besoin d'un interprète (pages 4, 5, 11, 17, 30-32) ou son niveau de connaissance de la langue seconde (page 21) devaient être considérés; si la langue française peut être utilisée dans une procédure de divorce en Alberta (page 8).
(Caron v. Chief Commissioner of the Alberta Human Rights and Citizenship Commission, Proceedings taken in Court of Queen’s Bench of Alberta, June 28, 2007, disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=- 751102913&voir=centre_detail&Id=3503 )
La Commission albertaine des droits de la personne n’estime pas opportun de demander à ce que le ministère de la Justice de l’Alberta participe à l’audience pour expliquer comment les droits linguistiques peuvent être exercés devant les tribunaux. L’avocate de la Commission et l’avocat de la ville d’Edmonton reconnaissent que Gilles Caron a droit à un interprète mais ils prennent la position que c’est Caron qui doit payer pour ce service lui-même s’il veut l’utiliser. La juge Joanne Veit rejette cette position car agir ainsi serait pénalisé un justiciable qui choisit d’utiliser une des deux langues autorisées devant les tribunaux albertains.
Le 14 septembre 2007, la juge Joanne Veit, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, rend une décision favorable à Gilles Caron: elle somme le gouvernement de l’Alberta, représenté dans ces procédures par le Directeur de la Commission, de payer les services d’un interprète pour l’audition de la requête de révision judiciaire :
39. La juge Joanne B. Veit
« …puisque M. Caron a le droit enchâssé de s’exprimer en français au cours de l’audience, il est nécessaire d’avoir une transcription officielle de ses prétentions… »
… since Mr. Caron has a constitutional right to express himself in French during the judicial review, it is necessary to have an official version of his submissions…
17
(Caron c. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), 2007 ABQB 525, paragraphe 8, disponible sur le site de l’Institut canadien d’information juridique: www.canlii.org/en/ab/abqb/doc/2007/2007abqb525/2007abqb525.html )
40. Narrateur :
La Cour du Banc de la Reine reconnait ainsi que Monsieur Caron a le droit de s'exprimer dans la langue officielle de son choix. Elle reconnait que ce droit impose des obligations afin qu’une partie puisse comprendre l’autre partie. L'octroi d'un interprète doit être compris dans ce contexte de l'obligation de respecter les droits linguistiques des parties.
La Commission albertaine des droits de la personne n’est pas d’accord et porte en appel la décision de la Cour du Banc de la Reine. Estimant qu’il manque au dossier une partie essentielle, le conseiller juridique de Gilles Caron présente, le 24 février 2009, en Cour d’appel de l’Alberta une requête afin que la Couronne soit mise en cause et, ainsi, informe la Cour des raisons expliquant l’absence d’un règlement pris en application de la Loi linguistique qui donnerait effet aux dispositions de l’article 4 de cette loi ou préciserait ou complèterait cet article ainsi que des raisons expliquant l’absence de règles des tribunaux pour encadrer l’emploi du français et de l’anglais dans les communications verbales dans les procédures devant les tribunaux.
La Couronne s’oppose à la requête, indiquant qu’il est préférable que, dans une situation de clarification de droits linguistiques devant les tribunaux, elle soit jointe au dossier dès la première instance.
La Couronne demande au juge que les deux déclarations présentées en appui de la requête soient radiées du dossier. Ces témoignages écrits de Gilles Caron et de Annie Cadoret présentent des exemples illustrant le fait qu’il est presqu’impossible pour les justiciables et les juristes d’expression française de l’Alberta d’exercer pleinement leurs droits linguistiques. La Cour refuse la demande de radier du dossier les éléments de preuve qui gênent la Couronne. La Cour décide toutefois que la Couronne ne sera pas mise en cause lors de l’appel.
La Commission est d’avis que l’audience en appel ne devrait pas être tenue avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans l’affaire R. c. Caron, [2011] 1 R.C.S. 78.
Cependant, peu de temps après la publication en mars 2011 de la décision Pooran, la Commission se désiste de son appel en Cour d’appel de l’Alberta. Le désistement de la Commission prive alors les justiciables et les juristes d’obtenir du plus haut tribunal de la province la clarification d’une partie des droits linguistiques devant les tribunaux.
En 2008, l’AJEFA présente un mémoire sur l’accès à la justice. L’élection provinciale du 3 mars 2008 arrive sans que le ministre de la Justice de l’Alberta, Ron Stevens, ait l’occasion de répondre à la lettre du président de l’AJEFA.
À la suite de l’élection, l’AJEFA envoie à la nouvelle ministre de la Justice et procureure générale de l’Alberta, Alison Redford, un mémoire par lequel l’Association recommande entre autres la mise en place d’un Groupe de travail albertain sur l’accès à la justice et la création, au sein du ministère de la Justice, d’un Bureau de coordination des services en français. Les
18
recommandations du mémoire seront ignorées par la ministre et par les fonctionnaires de son ministère.
Mémoire sur l'accès à la justice en langue française, disponible sur le site de l’AJEFA : www.ajefa.ca/pdf/memoire2008.pdf
Également disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca : http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=- 751102913&voir=traduct&tvoir=centre_detail&Id=3681
Le 11 décembre 2008, dans une audience pour discuter si une cause sera entendue en français, la juge Cook- Stanhope prononce à trois reprises des propos en français; ils ne sont pas transcrits. À la place de ses propos, il y a l’explication : «Foreign language spoken».
Transcription de l’audience du 11 décembre 2008 dans l’affaire de l’enfant R. O.-A., pages 13, 15 & 19.
Disponible sur le site www.DocumentationCapitale.ca :
Il s’agit là d’un traitement inacceptable des propos prononcés par un membre de la magistrature. Lorsque, dans une instance devant un tribunal albertain, un juge s’exprime en français ou en anglais, la transcription doit refléter fidèlement ce que le juge a dit en français ou en anglais.
Cet exemple n’est pas dû à l’initiative personnelle de la personne responsable de la préparation de la transcription. Le gouvernement de l’Alberta diffuse sur Internet le manuel qui régit les transcriptions des audiences des tribunaux de l’Alberta. À la lecture de ce document, on constate que, dans une instance, lorsqu’une langue autre que l’anglais est utilisée, la directive aux dactylographes et aux greffiers est claire : il suffit d’indiquer qu’une autre langue a été utilisée et cette annotation est définie comme étant une situation où une langue étrangère est utilisée. Cela revient donc à considérer le français comme étant une langue étrangère!
Non seulement le ministère de la Justice n’entend pas modifier les directives régissant la préparation des transcriptions judiciaires, il cautionne une pratique qui fait fi des droits linguistiques devant les tribunaux.
Dans l’affaire R.O.-A., deux juristes d’expression française comparaissent le 18 décembre 2008
devant une juge bilingue de la Cour provinciale de l’Alberta, à Calgary. Bien que le client de
chacun de ces deux juristes a le français comme première langue, l’avocat du directeur du bien-
être des enfants s’oppose à la requête de tenir une audience en français. Son opposition est
d’abord fondée sur le fait qu’advenant un appel de la décision en Cour du banc de la Reine, tout
devrait être traduit en anglais. À l’avocat du ministère public, la juge L.T.L. Cook-Stanhope
indique:
42. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
«There are several Queen’s Bench Justices who speak French.”
43. T. LaRochelle :
«What if it goes to the Court of Appeal?”
44. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
«There are several Court of Appeal Justices who speak French».
45. Mot du narrateur :
L’avocat du directeur du bien-être des enfants doit donc avancer un autre argument ce qu’il fait
en présentant l’interprétation originale suivante du droit de chacun d'employer le français ou
l'anglais devant les tribunaux de l'Alberta.
46. T. LaRochelle :
«The Legislature dealt with that issue by enacting the Languages Act. The Languages Act is quite
clear that you are not entitled to… it is not a right to a hearing in French. You have a right to a
hearing in English…we’re saying that French should be no different than if people were here
speaking any other language, asking that the proceedings be in any other language. This Court
wouldn’t say, well we’ll do it in that language then because we happen to have a judge who
speaks that language…So French, after the Languages Act, French has been treated like any other
language. No more rights are accorded or afforded someone who wants to speak French in this
matter in this Court than someone who wants to speak any other language. »
47. Mot du narrateur :
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Pour appuyer sa position, l’avocat de la Couronne s'engage à remettre au juge et aux autres parties un mémorandum portant sur l’utilisation du français devant nos tribunaux.
48. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
Okay. Can I have your authorities?
49. T. LaRochelle :
“Well, I have got a memorandum that I would be happy to give you. I am going to have to get the authorities reproduced for you.”
50. La juge L.T.L. Cook-Stanhope
“Would you do that, please.”
51. T. LaRochelle :
“Sure, I'm happy to do that.”
52. Mot du narrateur :
Puis, l’avocat de la Couronne affirme que la position qu’il vient de présenter à la Cour est
appuyée entre autres par un constitutionnaliste renommé.
53. T. LaRochelle :
“I have some authorities I can give your Honour this morning, if you – if you wish, and I’ll – ”
54. La juge L.T.L. Cook-Stanhope :
« Yes. »
55. T. LaRochelle :
“I’ll make copies for my friend. I don’t have copies this morning.”
56. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
« Well, when you make copies for your friend, why don’t you just provide them then to me.”
57. T. LaRochelle :
« Fair enough. »
58. T. LaRochelle :
21
“I’ll just tell you right now I wanted your ruling on this. One of the authorities I intend to provide
is – I believe it’s – is it Peter Hawke (phonetic), constitutional expert?”
59. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
« Constitutional expert, mmm hmm. »
60. T. LaRochelle :
“He has prepared an article on this issue, and I can tell you that the outcome of that article is in
support of our argument.”
61. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
“Is that post R. v. Beaulac ?”
62. T. LaRochelle :
« Yes. »
63. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
« Okay. »
64. T. LaRochelle :
“So that is one of the documents I’ll be tendering.”
65. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
« All right… »
66. T. LaRochelle :
“And could I then suggest that my materials be to Your Honour even the 30th?”
67. La juge L.T.L. Cook-Stanhope:
“Actually…Then, yes, Mr. Larochelle .”
68. Narrateur
L’avocat de la Couronne n'a pas remis, tel qu’il s’en était engagé, ce mémorandum au juge et aux
autres avocats puisque cette cause ne s'est pas poursuivie.
22
Ce qui est important de noter, c’est que la Couronne a induit la Cour en erreur. Le professeur
émérite Peter Hogg n’appuie pas la thèse présentée à la Cour. Au contraire, dans Constitutional
Law of Canada, lorsqu’il traite du sujet Language of courts, à la section Language of
proceedings, il écrit ceci :
Le professeur émérite Peter Hogg :
In R. v. Beaulac (1999) 1 S.C.R. 768, para 25, Bastarache for the majority said, obiter:
« To the extent that Société des Acadiens stands for a restrictive interpretation of language rights,
it is to be rejected »;”
see also Solski v. Que. (2005) 1 S.C.R. 201. para. 20 (language rights must be interpreted in a
broad and purposive manner).
Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Fifth Edition, Volume 2, p, 706.
69. Narrateur
La plaidoirie de Maître T. LaRochelle n’est pas désavouée. Au contraire, quelques mois plus tard,
Alison Redford, alors ministre de la Justice de l’Alberta, nomme cet avocat à la magistrature
provinciale.
En 2009, dans le dossier R. c. Pooran, 2011 ABPC 77, la Couronne et la Défense demandent une
clarification du droit à l’usage du français. Il est important de noter que la demande de
clarification des droits linguistiques devant les tribunaux a été faite conjointement car, par après,
l’attitude de la Couronne va démontrer moins de zèle.
Voici un extrait de la lettre envoyée le 10 juin 2009 au juge en chef adjoint R. J. Wilkins par
l’avocate de la Couronne.
70. L’avocate de la Couronne Britta Kristensen :
You may recall that earlier this year, Mr. Levesque and I appeared before you to request that a
traffic ticket matter (Accused Sonia Pooran) be moved from traffic court to Provincial Court. Mr.
Levesque on behalf of Ms. Pooran is seeking a ruling as to whether the Alberta Languages Act
allows a litigant to have a trial in French on a traffic matter. Judge Brown is currently seized
with the Pooran matter and we are setting a date for hearing on June 17, 2009.
23
Mr. Levesque also represents François-Pierre Marquis who is also charged with a matter under
the TSA. Mr. Levesque on behalf of Mr. Marquis is seeking the same ruling as to whether or not
Mr. Marquis is entitled to a French trial. Mr. Marquis currently has a trial date of July 22, 2009
in traffic court.
The Crown and defence are agreeable to having these two matters joined together for the purpose
of determining the Accused's right to use French on traffic matters. When we appeared before
Judge Brown in the past, we advised her this and Judge Brown was agreeable.
Would you please authorize the transfer of the Marquis matter to Provincial Court so that we can
marry it up with the Pooran matter?
R. c. Marquis: lettre envoyée au juge en chef adjoint par l'avocate de la Couronne (10 juin 2009)
75. Narrateur : Se basant sur cet échange entre la juge Brown et l’avocate de la Couronne,
bien des juristes et justiciables d’expression française ont pensé qu’un changement
politique comme celui qui mettra au pouvoir en mai 2015 un gouvernement NPD en
Alberta aurait comme conséquence que les directives données aux avocats de la
Couronne respecteraient dorénavant la jurisprudence du plus haut tribunal du pays,
mais, malheureusement, ce n’est pas encore le cas en 2017.
En mars 2011, la juge Anne Brown rend sa décision; elle rejette la position de la Couronne.
76. La juge Anne Brown :
[21] Si des participants à un litige ont le droit d’employer soit l’anglais, soit le français dans leurs observations orales devant les tribunaux, mais qu’ils ne sont compris que par l’intermédiaire d’un interprète, ils ne détiennent certes que des droits linguistiques fictifs. Une interprétation aussi restreinte de leur droit d’utiliser l’anglais ou le français est illogique ─ comme le fait d’applaudir d’une seule main et
[21] If litigants are entitled to use either English or French in oral representations before the courts yet are not entitled to be understood except through an interpreter, their language rights are hollow indeed. Such a narrow interpretation of the right to use either English or French is illogical, akin to the sound of one hand clapping, and has been emphatically overruled by Beaulac.
d’en espérer du son. Ainsi une telle interprétation a-t-elle été écartée avec force dans l’arrêt Beaulac.
[22] Si nous faisons nôtre l’assertion de la Couronne intimée selon laquelle les droits de la Loi linguistique sont respectés par le fait d’offrir les services d’un interprète, nous nous trouvons à écarter d’un revers de main, en lien avec les droits linguistiques, les droits de la partie au litige à l’application régulière de la loi, au respect de la justice naturelle et à un procès équitable que la Charte reconnaît aux justiciables.
[23] À la lumière de la déclaration ministérielle (du 22 juin 1988), il est clair que dans trois institutions où interagissent des particuliers et la province ─ l’Assemblée législative, les tribunaux et les écoles ─, les langues qui peuvent être utilisées sont l’anglais et le français.
[24] Par conséquent, pour les raisons suivantes, j'ai conclu que les demandeurs ont droit à un procès du Traffic Safety Act en français, avec un juge de langue française et un procureur de la Couronne de langue française:
Les droits linguistiques doivent recevoir une interprétation libérale et téléologique; (Beaulac)Les droits linguistiques sont distincts des droits juridiques; (Beaulac)
L'Alberta reconnaît les droits uniques des francophones; (déclaration ministérielle, le 22
[22] The Crown Respondent assertion that the rights in the Languages Act are met by the provision of an interpreter amounts to a sloughing of the language rights of the litigant to the Charter legal right to due process, natural justice and a fair trial. As to the reference in the June 22, 1988, ministerial statement, to the provision of an interpreter if necessary, I infer from those words that the interpreter is to be provided for witnesses who do not speak the language, English or French, in which the trial is being conducted.
[23] It is clear from the ministerial statement that in three significant arenas of interaction between individuals and the province, the Legislative Assembly, courts and schools, the languages that may be used are English and French.
[24] Therefore, for the following reasons, I have concluded that the Applicants are entitled to have their Traffic Safety Act trials in French, with a French-speaking judge and French-speaking prosecutor:
Language rights are to be given a liberal and purposive interpretation; (Beaulac)Language rights are distinct from legal rights; (Beaulac)
Alberta recognizes the unique rights of Francophones; (ministerial statement, June 22, 1988, Alberta Hansard)
26
juin 1988, Alberta Hansard)Les langues des tribunaux de l'Alberta sont l’anglais et le français; (Article 4(1), Loi linguistique) et, les droits linguistiques énoncés à l’article 4 de la Loi linguistique ne sont en rien amoindris parce qu’on a omis d’adopter des dispositions règlementaires pour en favoriser la mise en œuvre. »
The languages of the courts in Alberta are English and French; (section 4(1), Languages Act) and, the language rights enunciated in section 4 of the Languages Act are not eroded by the failure of the provincial government to enact regulations to hone their delivery.
77. Narrateur :
Au plus fort des débats sur l’opportunité d’exiger une compétence linguistique de la part des candidats à une nomination à la Cour suprême du Canada, c’est la ministre de la Justice de l’Alberta qui fournit l’appui le plus enthousiaste à la position des conservateurs fédéraux.
En effet, alors qu’elle est ministre de la Justice de l’Alberta, Alison Redford publie dans les journaux une lettre pour susciter l’opposition active des Albertains à tout projet de loi reconnaissant le droit d’être compris en français sans interprétation devant la Cour suprême du Canada. Sa campagne l’amène même à écrire des lettres aux chefs du Parti libéral du Canada, du NPD du Canada et du Bloc Québécois, lettres auxquelles Michael Ignatieff, Jack Layton et Gilles Duceppe répondent brillamment.
78. Gilles Duceppe :
Considérant que les citoyens ont droit à une justice pleine et entière, le Bloc Québécois insiste sur l’importance du bilinguisme des juges à la Cour suprême, dernière instance juridique au Canada. En effet, nous croyons que la compréhension du français et de l’anglais constitue un critère de compétence incontournable pour quiconque aspire occuper un tel poste…
Actuellement, les juges francophones – qui sont tous bilingues – ont l’obligation de tenir les discussions dans leur langue seconde parce que les seuls juges unilingues admis à cette instance sont des juges anglophones, ce qui crée une situation non équitable.
Lettre du 21 juin 2010 de Gilles Duceppe à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3900
Liberals believe an understanding of both official languages is necessary to be nominated to the Supreme Court of Canada. Canada is a bilingual country and therefore its highest court must be able to hold proceedings and deliberations in either official language. Every Canadian should be able to be heard in his or her first language before the Supreme Court and not through simultaneous interpretation.
Lettre du 24 juin 2010 de Michael Ignatieff à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3899
80. Jack Layton :
It is also inaccurate to say Bill C-232 would unduly favour candidates from Quebec, Ontario or New Brunswick when selecting judges to sit on the Supreme Court. That argument has been made for 40 years, but has not stopped fully competent candidates, who are able to read original legal documents in both English and French, from across Canada from sitting on our highest Court. I would only cite the case of current Supreme Court Chief Justice Beverly McLaughlin, a native of your province, and whose competence, legal and otherwise, is beyond question.
Given the high quality of legal professionals from Alberta and all other provinces, I remain confident that we can continue to fill nine positions on our highest court with fully competent judges who represent the amazing diversity of our great country.
Lettre du 7 juillet 2010 de Jack Layton à la ministre Alison Redford http://documentationcapitale.ca/index.cfm?Repertoire_No=-751102913&voir=centre_detail&Id=3901
81. Narrateur :
Le 28 juin 2011, la sous-ministre adjointe Vicki Brandt explique qu’en Alberta, même en
droit criminel, il n’y a pas d’offre active du droit d’employer le français.
82. La sous-ministre adjointe Vicki Brandt
“You have asked whether a French or bilingual version of the designation of counsel form
currently exists. There is no French form. The (English) form has been prepared by Court
Services merely for the assistance of the accused and their counsel.
Where the Court has granted an order under section 530 of the Criminal Code permitting the
accused to be tried in French, counsel may prepare and file a designation of counsel document in
French should they wish to do so. Absent an order under section 530, there is no requirement to
accept French language documents for filing in criminal matters.”
La juge ne recevra pas de réponse à cette question.
Dans sa plaidoirie orale du 15 mai 2015 contre le droit de déposer des documents en français
devant les tribunaux de l’Alberta, Maître Donald Padget revient plusieurs fois sur la décision de
la Cour suprême du Canada dans le dossier du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. À chaque fois, madame la juge Eidsvik indiqué que cette décision n’est pas
pertinente en Alberta. En voici un exemple :
149. La juge Kristine Eidsvik :
“You have -- you have put all kinds of interesting information on the language rights here, but,
quite frankly, a lot of them do not apply. B.C. is a completely different situation than Alberta, as
you should probably know. For instance -- and you have put in a Supreme Court of Canada case
dealing with a B.C. rule, which is irrelevant, as far as I am concerned, here in Alberta.”
(Transcription de l’audience du 15 mai 2015, page 6, lignes 35 à 40)
150. Narrateur
La Direction du droit constitutionnel de Justice Alberta continue d’estimer que son interprétation
des droits linguistiques a préséance sur la jurisprudence bien établie de la Cour suprême du
Canada. La juge Eidsvik est pourtant très claire à ce sujet :
151. La juge Kristine Eidsvik :
“The problem you have though is Beaulac and until that Supreme Court of Canada decision is
overturned, that is your biggest problem -- because Beaulac expands rights. Whenever you have
rights, you have to read them expansively and that is what Judge Brown did in Pooran case as
well. And your Government did not appeal that decision. » (Transcription de l’audience du 15