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LE SYNCRTISME DES CHRTIENSRINCARNATIONNISTES:
ANALYSE D'UN DISCOURS THOLOGIQUE
Andr Couture1
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Plutarque (c.46-120) est le premier auteur utiliser le
motsyncrtisme dans un passage d'un trait sur l'amour fraternelo il
donne l'exemple des Crtois qui se rconciliaient et secoalisaient
quand un ennemi de l'extrieur les attaquait2 . Leterme fut adopt
par l'Europe l'poque de la Renaissance quandrasme (?1466-1536) lui
consacra un paragraphe de ses Adages(introduit probablement en
1517/18). Dans une lettre Melanchton date du 22 avril 1519, le mme
auteurrecommandait aux gens de lettres en butte la haine
desyncrtiser comme les anciens Crtois, car, disait-il, laconcorde
est un puissant rempart3 . Le mot sera ensuitemaintes fois repris,
et le plus souvent pour dsigner un accordfragile fond sur
l'opportunisme (Zwingli, en 1525; Butzer, en
1 Andr Couture est professeur la facult de thologie et au
programme de sciences humaines de la religion de
l'UniversitLaval.
2 De l'amour fraternel, trait 31, no 19, dans Plutarque.
uvresmorales. Tome VII. Premire partie: Traits de morale
(27-36),texte tabli et traduit par Jean Dumontier, 1975, pp.
168-169. Ceparagraphe doit beaucoup aux recherches de P.-H. Poirier
dans lecadre d'un sminaire portant sur la notion de syncrtisme que
nousavons donn ensemble l'hiver 1988 la Facult de thologie
del'Universit Laval.
3 Collected Works of Erasmus, Tome xxx: Adages, translated
byMargaret Mann Philipps, annotated by R.A.B. Mynors, I i 11,pp.
60-61.
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Andr Couture
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1531; etc.).4 Les protestants discutrent pendant tout le
XVIIe
sicle d'ventuels compromis avec l'glise romaine. Tandisqu'un
luthrien comme G. Calisen dit Calixte (1586-1656) semontait ouvert
au syncrtisme au sens o il favorisait unrapprochement doctrinal
entre les catholiques et les protestants,A. Calov dit Calovius
(1612-1685) ridiculisait le syncrtisme etl'effort d'harmonisation
qu'il reprsentait. l'unionisme ou l'irnisme des uns s'opposait le
strict rigorisme thologique desautres.5 Plutt que d'insister sur
l'ide d'alliance que recelait levocable grec de Plutarque, on
prfrait une explication de ceterme par un verbe grec de consonnance
similaire mais signifiantmlanger, mler.
Quoi qu'il en soit de ces querelles souvent byzantines, ilreste
que l'utilisation thologique moderne du mot syncrtismene se
comprend que sur ce fond historique. Dans les articlesclectisme et
Syncrtistes, Hnotiques, ou Conciliateursqu'il a rdigs pour
l'Encyclopdie, Diderot (1713-1784)prconisait l'clectisme comme la
seule vritable dmarchephilosophique; il peignait par contraste le
syncrtisme comme unhabile pacificateur cherchant faire concorder
les vrits les pluscontraires, se contentant d'-peu-prs et
d'emprunts multiplesmal tays. La notion de syncrtisme s'est
introduite au XIXe
sicle dans le champ des sciences religieuses, et il semble
quel'influence d'Ernest Renan (1823-1892) ait t cet gard
4 Un certain Windeck proposait en 1604 aux catholiques soucieux
de
favoriser l'essor du peuple chrtien de cultiver le syncrtisme.
Et en1615, D. Pareus de Heidelberg exhortait les protestants un
pieuxsyncrtisme contre cet ennemi commun qu'est l'Antichrist [cf.
JohnHenry Blunt, Dictionary of Sects, Heresies, Ecclesiastical
Parties,and Schools of Religious Thought , Ann Arbor, Gryphon
Books,1971, p. 585 (1re d.: Londres, 1874)].
5 Voir R. Pillorget, Le problme du syncrtisme, dbat majeur
ausein du protestantisme allemand du XVIIe sicle, dansL'Information
historique 32, 1970, pp. 210-215.
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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importante6 . Persuad du progrs ncessaire et continu de
l'trehumain, Renan pensait que le syncrtisme caractrisait
l'tatenfantin et irrflchi de l'humanit, qu'il prcdait la
phased'analyse laquelle les sciences historiques de son
tempscontribuaient de toutes leurs forces, et que se prparait peu
peuune synthse venir ncessairement fonde sur un sainclectisme. Les
livres religieux, les sectes orientales, les gnoseslui
fournissaient alors autant d'exemples de confusionssyncrtiques, de
conglomrats tranges qu'il fallait dpasser pourarriver au but
vis.
Ces quelques repres historiques montrent le caractrequivoque du
terme syncrtisme. Il renvoie un effort deconciliation, parfois pour
l'encourager, surtout pour lecondamner. En fait, la catgorie de
syncrtisme a longtempsrelev (et relve souvent encore) non pas de
l'analyse historiqueou anthropologique, mais plutt de la rhtorique.
Renan et sespigones peroivent le syncrtisme comme une premire
tapepar laquelle passent ncessairement les humains de toute
culture.Il est certes possible d'enregistrer des
manifestationssyncrtiques, ventuellement de tirer parti de ces
conglomratstranges pour y dcouvrir des bribes d'histoire.
Qu'ilsappartiennent au state puril pr-analytique ou tmoignent
d'unedgnrescence ultrieure, ils dfient toute analyse
rigoureuse.Pour que ce concept de syncrtisme puisse devenir
vritablementopratoire en sciences des religions, il faut prendre
consciencequ'il a longtemps t utilis comme un jugement premptoire7
plutt que comme un instrument destin analyser desphnomnes religieux
ou culturels.
Je voudrais donc poser nouveau la question de lapertinence de
cette notion de syncrtisme partir d'un dossier
6 C'est du moins ce que je suggre dans un article rcent: A.
Couture,
Le recours la notion de syncrtisme chez Renan, dans
MichelDespland (dir.), La tradition franaise en sciences
religieuses.Pages d'histoire , Les Cahiers de recherche en sciences
de lareligion (Universit Laval), vol. 10, 1991, pp. 57-84.
7 Couture, loc. cit., p. 83.
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Andr Couture
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qui me semble typique des ambiguts qui l'entourent. En
effet,depuis une quinzaine d'annes, des thologiens et
pasteurschrtiens, catholiques ou protestants, taxent volontiers
desyncrtistes les chrtiens qui sont tents d'accepter
larincarnation8 . Convaincus que la rincarnation est trangreaux
intuitions les plus fondamentales du christianisme, ceschrtiens
brandissent le syncrtisme comme une arme pourdfendre leur propre
puret doctrinale. Les rflexions quisuivent veulent faire tat de ce
dossier, prsenter quelquesrflexions sur la faon dont les sciences
des religions abordentaujourd'hui la question du syncrtisme, et
finalement procder une analyse des arguments qui sous-tendent
l'utilisation de ceterme.
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
Pour bien marquer l'impossibilit d'introduire larincarnation
l'intrieur du christianisme, certains thologiensou vulgarisateurs
chrtiens parlent volontiers de la rincarnationcomme d'une doctrine
floue, indcise, confuse, et dnoncent
8 J'utilise ici le mot rincarnation la faon des
rincarnationnistes
actuels et de leurs opposants chrtiens, i.e. en gnralisant
sonemploi toutes les situations historiques particulires. En fait,
lemot rincarnation s'est impos vers 1860, vraisemblablement
sousl'influence d'Allen Kardec. C'tait le nologisme dont on
avaitbesoin pour bien marquer l'opposition entre la mtempsycose
desGrecs et des Orientaux, considre comme une croyance dgnre,et une
mtempsycose ascendante, lie l'ide d'une me quiprogresse, et cense
tre le vritable enseignement des vraiesspiritualits. Les textes
grecs parlent de palingnsie(renaissance), galement de mtempsycose
(litt. animation ensuccession); les textes hindous sanskrits, de
punarjanman (re-naissance), de punarbhava (r-apparition), de
punarvritti (re-tour), de samsra (circuit, transmigration), de
patisamdhi (r-union, re-jonction), etc., et avec dans chaque cas
des nuancesparticulires.
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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l'alliage rincarnation-rsurrection comme une sorte debricolage,
une forme de syncrtisme.
Le thme de la rincarnation est un thme diffus, noteLaurent
Schlumberger. J'entends ce mot dans un double sens.Ce thme est
diffus d'abord parce qu'il est prsent dans denombreuses sphres
culturelles et religieuses, qui n'ont parfoisrien voir les unes
avec les autres. () Mais ce thme estdiffus galement dans un second
sens: il n'est pas dveloppdans un corpus de textes admis par tous
ceux qui adhrent l'ide de la rincarnation. Il n'y a donc pas de
recueil detmoignages ou encore d'laboration thorique qui
fasseautorit.9 Cette croyance trs souple peut en effet s'adapter
toutes sortes de systmes culturels et religieux trs
diffrents(religions archaques, orientales, monothismes).
Larincarnation, poursuit Schlumberger, est en Occident
presquetoujours vue positivement alors qu'elle est en Orient une
fatalittragique dont on espre tre libr.10 Pourtant cette
souplesseest moins perue comme une qualit que comme une
caused'ambigut. La souplesse, conclut-il, est ici devenue
distorsionou encore, selon l'expression d'un auteur, "du syncrtisme
et dubricolage".11
Joseph Thomas: Rincarnation transmigration desmes existences
plurielles, le vocabulaire est vari. Lessources d'inspiration sont
aussi diverses. L'Orient, l'Indespcialement, est pour beaucoup la
rfrence premire. () Onoublie toutefois que pour l'hindouisme la
rincarnation est unmalheur. () Nous sommes donc en prsence d'une
croyanceaux contours indcis.12 Mme si une telle croyance,
diffuse,
9 Laurent Schlumberger, La rincarnation. Essai d'analyse et
de
critique d'une croyance populaire occidentale, dans
Aujourd'huicredo, mai 1991, p. 9.
10 Ibid.11 Louis-Vincent Thomas, dans Rincarnation,
immortalit,
rsurrection, Bruxelles, p. 20.12 Joseph Thomas, Rsurrection ou
rincarnation?, dans tudes, fv.
1991, pp. 236-237.
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Andr Couture
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confuse mme, est de mode13 , il faut la dnoncer et
montrerqu'elle est absolument incompatible avec la foi
chrtienne.
Aprs avoir rpondu des questions destines manifesterles
divergences entre la doctrine de la rsurrection et lathorie de la
rincarnation, Pierre Bougie conclut: Larincarnation est une thorie
errone et nbuleuse, mme si elle ades partisans de bonne foi.14
Dans Menus propos sur la rincarnation, RichardBergeron qualifie
la croyance en la doctrine de la rincarnationde salade fort
dplaisante par son manque de srieux et derigueur intellectuelle.15
Il est donc important, note-t-il, dedistinguer rsurrection et
rincarnation. Beaucoup d'adeptes dela rincarnation confondent
allgrement les deux notions et enfont un alliage qui sonne creux.
Il faut distinguer pour unir. Ce quoi il faut tendre, ce n'est ni
la fusion, ni l'unit descroyances, c'est l'union dans la diffrence.
L'union qui nie ladiffrence est pige et oppressive. Et l'unit qui
jaillit de lafusion n'est que confusion.16 Le mme auteur conclut
ailleurs l'impossibilit thorique d'intgrer la doctrine de
larincarnation dans l'difice doctrinal de la foi chrtienne.Certains
chrtiens pensent que cette impossibilit thorique neprjuge en rien
de la possibilit pratique d'une coexistenceconcrte de la croyance
en la rincarnation et de la foichrtienne. Et ils prtendent vivre
cette coexistence avec profit.Toutefois, notre avis, cette
inclusion concrte de larincarnation dans la pratique de la foi
chrtienne ne peut se faire plus ou moins long terme qu'au dtriment
de la puret, de laspcificit et de la qualit de la foi. Puisque la
rincarnation estun lment tranger au christianisme, son
incorporation dans la
13 Ibid., p. 238.14 Pierre Bougie, Questions sur la Bible et la
foi , Charlesbourg
(Qubec), Les d. Le Renouveau, 1987, p. 47.15 Richard Bergeron,
Menus propos sur la rincarnation, dans
Relations, vol. 42, n 480, mai 1982, p. 136.16 Ibid., p.
138.
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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vie chrtienne risque d'apporter, la longue, plus de confusionque
de lumire.17 Le Cortge des fous de Dieu illustraitd'ailleurs
justement le syncrtisme douteux propre la gnosepar l'exemple de la
fusion entre la rincarnation orientale et larsurrection chrtienne18
.
Jean Vernette utilise un vocabulaire similaire. L'adhsion la
rincarnation telle qu'elle est vcue aujourd'hui en nos pays
estl'une de ces croyances floues caractrisant la nouvelle
religiositdiffuse de la fin du sicle.19 Ici encore, le jugement
port surl'essai de rapprochement entre rincarnation et
rsurrectionapparat comme un cas particulier du syncrtisme qui
seraittypique de l'occultisme et du spiritisme20 .
Syncrtisme et science des religions
Inutile de multiplier les citations. Elles ne feraient querpter
que la rincarnation est un enseignement confus et quecette
confusion trahit son origine gnostique. La gnose est parnature
vague, mallable, sans ossature. Elle se plat combinerles doctrines
les plus disparates. Le systme gnostique,affirmait Edmond
Robillard, est le plus camlon qui soit: il n'apas de couleurs
propres; il ne se prsente qu'en pousant celle dumilieu o il diffuse
sa propagande.21 La rincarnation, comme
17 Richard Bergeron, Un chrtien face la rincarnation ,
Ottawa,
d. Novalis, 1985, p. 60.18 Richard Bergeron, Le cortge des fous
de Dieu , Montral,
d. Paulines, 1982, p. 427.19 Jean Vernette, La rincarnation dans
la nouvelle religiosit, dans
Lumire et vie , vol. 38, n 195, dc. 1989, p. 5.20 Ibid., p. 6;
voir Jean Vernette, Rincarnation, rsurrection.
Communiquer avec l'au-del. Les mystres de la vie aprs la vie
,Mulhouse, Salvator, 1989, p. 32, 58.
21 Edmond Robillard, La libration du cycle des naissances: gnose
oursurrection chrtienne, dans Nouveau dialogue 35 (mai 1980),
p.29.
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Andr Couture
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la gnose dont elle serait issue, apparat donc comme une
doctrinevague, confuse, indcise, indtermine, fantaisiste.
On croirait reconnatre les propos de Renan au sujet desgnoses
hellnistiques. Pour des raisons qui sont certesdiffrentes, mais qui
ne sont pas plus explicites dans un cas quedans l'autre,
rincarnation et gnoses se trouvent stigmatisesdans des termes peu
prs semblables. Renan ne pouvaitanalyser les crits gnostiques qui,
juges l'aune de son schmevolutionniste, apparaissaient comme une
rgression l'tatenfantin et son fatras de purilits. Les chrtiens
quidnoncent les amalgames gnostiques le font le plus souvent aunom
d'un attachement inconditionnel leur foi en la rsurrectionet sans
tre capable de se poser la question du sens que pourraitavoir un
christianisme qui intgrerait la rincarnation. Unchristianisme
diffrent ne peut tre pour eux qu'un mlangeconfus. Notons cependant
qu'un jugement si catgorique n'estpas le fait de tous les chrtiens.
Dans un effort remarquable pourcomprendre le discours des adeptes
de la rincarnation, le groupede rflexion chrtienne qui signe Pascal
Thomas ne craint pasd'affirmer que ni la rincarnation, ni la
rsurrection ne sont descroyances monolithiques. L'une et l'autre
peuvent se prter desinterprtations diverses. Tantt la rincarnation
met l'accent surles faits exprimentaux; tantt elle est d'abord
spirituelle.Tantt elle implique le retour d'une me ou d'une
ralitspirituelle humaine dans un corps; tantt, comme en
Afrique,elle se contente d'indiquer une relation privilgie entre
teldfunt et tel vivant. Tantt elle permet de rattraper un
chec;tantt elle dfinit une volution positive. Mais la croyance en
larsurrection apparat galement sous de multiples visages. Ellepeut
se prsenter comme l'essentiel de la foi chrtienne; elle
peutattester la divinit de Jsus ou bien marquer l'achvement de
lacration; elle peut insister sur le corps ressuscit ou se
formuleren termes plus spirituels, etc.22 L'ide de rsurrection peut
donctre envisage de diverses faons l'intrieur mme du
22 Pascal Thomas, La rincarnation, oui ou non? , Paris, Le
Centurion, 1987, pp. 121-123, presque textuel.
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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christianisme. Mais il faudrait ajouter qu'elle possde
desharmoniques encore plus spcifiques dans le judasme, dansl'islam
ou dans le mazdisme.23 Le mot rsurrection n'estpeut-tre pas si
univoque qu'il ne semble. Comme larincarnation, il peut aussi
apparatre comme un terme gnralsusceptible de recevoir des sens
diffrents selon l'ensemblereligieux l'intrieur duquel on
l'envisage.
Les mots de mlange ou de syncrtisme utiliss dans notredbat
renvoient d'abord au caractre composite de mouvementsspirituels
comme la Socit thosophique de Mme Blavatsky,l'occultisme de Papus,
ou tant d'autres nouvelles religionscontemporaines. Doit-on
conclure que ces nouvelles religionsseraient des entits polymorphes
uniquement capables deparasiter les grandes religions? Il me semble
plus raliste depenser que tout ensemble religieux ou spirituel se
construit partir de matriaux recueillis dans les cultures
environnantes.On connat la fameuse distinction de W.C. Smith entre
traditionreligieuse et personne religieuse. Une telle distinction
permet depenser la question du syncrtisme d'une faon qui respecte
lafois la foi du croyant et les sciences historiques. La
traditionreligieuse est l'expression spatio-temporelle de la foi
depersonnes religieuses. Elle est la cristallisation un momentdonn
des multiples interventions de personnes croyantes et deleurs
interactions avec un milieu qui leur est souvent hostile.
A religious tradition, then, is the historicalconstruct, in
continuous and continuingconstruction, of those who participate in
it.These are in interaction, also, and this can behighly
significant, with those who do notparticipate. They are in
interaction also, andthis too can prove highly relevant, with a
totalenvironment that may include earthquakes or
23 Voir l'article Resurrection de Helmer Ringgren dans
Mircea
Eliade, The Encyclopedia of Religion , New York,
MacmillanPublishing Company, 1987, tome 12, pp. 344-350.
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Andr Couture
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modern medecines, moonlit lakes or tyrannousgovernments.24
Cette tradition que W.C. Smith appelle justement latradition
cumulative est prcisment celle qu'analyse l'histoiredes religions
et qui lui parat en osmose constante avec une oudes cultures. Le
christianisme n'chappe videmment pas cettetradition cumulative. Il
s'est lui aussi form par emprunts, parassimilations, par cumuls, ou
si l'on veut par syncrtisme.25 Oncomprend alors que Dario
Sabbatucci26 , qui se situeexclusivement d'un point de vue positif
et qui refuse auxreligions toute ralit autre que socio-historique,
en arrivegalement nier que le syncrtisme corresponde unphnomne
spcifique objectivement reprable.
L'anthropologue Marc Aug explique la ralit sous-jacenteau
syncrtisme par la logique du cumul. Il affirme que toutereligion
est syncrtique en ce qu'elle a affaire sa proprehistoire, appele
par l mme, d'une part, rpondre denouvelles demandes et de nouvelles
situations, d'autre part, se situer incessamment par rapport ses
fondements ou sesarrire-plans mythiques.27 Les religions s'ajustent
la
24 Wilfred Cantwell Smith, The Meaning and End of Religion ,
Fortress Press Ed., 1991 (1re d. 1991), pp. 165-166.25 W.C.
Smith pose explicitement la question du syncrtisme en
traitant de la tradition cumulative, voir op. cit., p. 158, note
4 etp. 316. Pour une analyse du christianisme en tant que
traditioncumulative, on pourra se reporter la synthse de Jean
Ppin,Survivances mythiques dans le christianisme ancien, dans
YvesBonnefoy (dir.), Dictionnaire des mythologies , Paris,
Flammarion,1981, tome 2, pp. 469-475.
26 Dario Sabbatucci, Syncrtisme, dans Encyclopdia Universalis
,tome 15, Paris, Encyclopdia Universalis France S.A., 1973,pp.
655-656.
27 Marc Aug, Les "syncrtismes", dans Le grand atlas
desreligions, Paris, Encyclopdia Universalis France S.A., 1988,
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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nouveaut qui les environnent en ajoutant ce qu'elles sont;mais
elles ne peuvent rester fidles elles-mmes sans repensergalement
leurs fondements et sans justifier ces additions auniveau le plus
fondamental.28 Toutes les religions ne ragissentcependant pas de
mme faon la nouveaut, et Aug en arrive distinguer les polythismes
paens qui conoivent sans effortl'addition des dieux aux dieux des
religions comme lechristianisme ou l'islam qui sont davantage
conscientes depossder une identit particulire et une cohrence
propre. Cesdernires religions ragissent aux provocations extrieures
et setransforment comme tout phnomne historique, mais elles
ontaussi dvelopp une conscience d'tre originales en matire
dedoctrines, de rites et d'institutions qu'elles dfendent parfois
defaon agressive.
Alors que les polythismes se satisfont d'une logique decumul ou
d'additon, ces autres religions rsistent chacune leurfaon aux
interfrences avec d'autres organismes semblables etconcurrents et
peuvent donc en arriver plus facilement dfendre leur identit en
dveloppant une argumentation faisantintervenir la notion de
syncrtisme. On pourrait dire qu'il sepasse dans ces religions la
mme chose que dans les langues.29 Toute langue est le fruit la fois
d'une volution interne et leproduit de l'assimilation d'lments
extrieurs la suite decontacts, d'emprunts, etc. La linguistique
structurale prfreconsidrer les langues comme des systmes clos et
autonomes decommunication rgis par des lois phonologiques
prcises.
p. 130; voir galement Marc Aug, Gnie du paganisme ,
Paris,Gallimard, 1982.
28 Ce langage sociologique n'est pas sans rapport avec la
distinction deW.C. Smith entre tradition cumulative et foi
personnelle.
29 Stanislav Segert suggre d'tudier les questions de
syncrtismereligieux en utilisant des concepts labors par exemple
par lalinguistique, mais sans dvelopper ses intuitions (cf.
SomeRemarks Concerning Syncretism, Birger A. Pearson,
ReligiousSyncretism in Antiquity. Essays in Conversation With
GeoWidengren, Missoula (Ma), Scholars Press, 1975, p. 66).
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Andr Couture
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D'autres linguistes sont d'avis qu'il faut aussi tudier
lesinterfrences des langues entre elles et la faon dont cessystmes
se modifiaient dans des conditions de bilinguisme,
deplurilinguisme, de contacts varis. De mme, les spcialistestudient
les religions soit comme des systmes ferms possdantune cohrence
propre, soit comme des ralits socio-historiquesen contact les unes
avec les autres et pouvant changer entreelles. Les deux approches
se compltent plus qu'elles nes'opposent; elles sont toutes deux
ncessaires pour comprendreune religion dans toutes ses dimensions.
Beaucoup despcialistes pensent que le concept de syncrtisme,
conditiond'tre affin, constitue un instrument utile pour analyser
leschanges complexes d'une religion une autre et reprer
lesmcanismes complexes qui y jouent.30 Il est normal pour
unhistorien de considrer chaque religion un moment donncomme le
rsultat prcaire d'une srie de transformations, unesorte d'quilibre
rsultant de processus compliqus. Mais certaines priodes de
l'histoire ou en certains lieux, il peut aussiarriver que les
contacts entre les religions soient si nombreux etimportants qu'il
apparaisse absolument ncessaire de considrerles religions du point
de vue de la diversit des influences quiont contribu les former.
C'est prcisment ce qui s'est pass
30 Voir Carsten Colpe, Syncretism, dans Mircea Eliade (d.),
The
Encyclopedia of Religion , t. 14, New York, Macmillan
Publ.,1987, pp. 218-227; Pierre Lvque, Essai de typologie
dessyncrtismes, dans Les syncrtismes dans les religions grecque
etromaine. Colloque de Strasbourg (9-11 juin 1971, Paris, P.U.F.
,1973, pp. 179-187; Ulrich Berner, Untersuchungen zurVerwendung des
Synkretismus-Begriffes , Wiesbaden,Harrassowitz, 1982. galement les
travaux de V. Lanternari, enparticulier Syncrtismes, messianismes,
no-traditionalismes(Archives de sociologie des religions , 21,
1965, pp. 99-116) quidistingue les mouvements a-syncrtiques des
mouvementssyncrtiques; et ceux de Roger Bastide, en particulier Le
sacrsauvage (Paris, Payot, 1975), qui distingue le syncrtisme
spontand'un syncrtisme rflchi (pp. 186-200).
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Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
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entre autres dans l'Europe du XIXe sicle et ce qui se passe
dansle contexte pluraliste des grandes villes modernes.
Si l'on accepte de se situer du point de vue socio-historique,il
est donc normal que les diffrents spiritualismes des XIXe etXXe
sicles soient analyss comme n'importe quelle autrephnomne
religieux. R. Bergeron affirme de la rincarnationqu'elle est une
construction philosophico-mystique, labore endehors des donnes
positives de la foi biblique et [qui] luidemeure totalement
trangre.31 On a dit de la thosophie deMme Blavatsky qu'elle tait
une reconstruction du modlehindou introduite dans des syncrtismes
souvent trangers sonesprit et mixe avec des traditions
sotro-occultistes.32 Et detelles affirmations se justifient
parfaitement d'un point de vuehistorique. Ces spiritualismes
donnent certainement plus que lesgrandes religions l'impression
d'tre des constructionsclectiques et artificielles. Mais
l'historien se demandera aussi sice n'est pas le fait de tout
vnement culturel que de pouvoir treanalys comme une construction
originale. Les humains secrent sans cesse de nouveaux difices
partir des pierrestailles par d'autres cultures. Ils rutilisent des
symboles et desmythes connus et peuvent tenter de se justifier en
invoquant unetradition antrieure trs haute malheureusement tombe
dansl'oubli. Le christianisme s'est bti sur la bible juive; il a
reprisles textes des prophtes, les hymnes du psautier et leur a
confrun nouveau sens. D'un point de vue pistmologique,
toutethologie implique galement une construction de sens.Envisag
sous l'angle des sciences humaines, l'sotrisme estune composition
originale; il est le fruit de transactions diverses,de compromis de
toutes sortes avec les religions et les sciencesexistantes. Les
thologies chrtiennes sont donc des discoursconstruits, au mme titre
que les sotrismes modernes, mme siles unes paraissent plus homognes
et que les seconds peuvent
31 Richard Bergeron, Faites vos jeux: rincarnation et
rsurrection ,
Montral, Socit catholique de la Bible/Ottawa, d. Novalis,
1979,p. 15.
32 Vernette, Rincarnation, rsurrection , p. 32.
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Andr Couture
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parfois sembler avoir t plus explicitement bricols avec
despierres empruntes au hasard des difices existants. Et de cepoint
de vue, les uns et les autres sont susceptibles d'treanalyss en
tant que syncrtismes.
En fait, la difficult que l'on ressent percevoir les religionsou
les langues comme le produit d'influences varies vient peut-tre de
ce qu'on les a d'abord penses comme des touts parfaits
etinaltrables. Soumises des lois de nature, religions et languesne
pouvaient donc en se mlant que se corrompre et s'abtardir.En
considrant les langues comme les religions partir de leurfonction
sociale plutt que dans leur puret naturelle, lessciences humaines
obligent un total changement deperspective. Les religions comme les
langues (en tant que lies une culture et relatives un espace et un
temps particuliers)n'ont plus tre parfaites d'une perfection qui
corresponde leurtat originel, mais seulement permettre une
communicationefficace leur niveau.33 Il n'est plus important
qu'elles sortenttoutes armes du cerveau de la divinit; il suffit
qu'elles soientdes instruments efficaces au service d'une
communaut, desinstruments que la communaut a contribu faonner et
qu'ellecontinue amliorer. travers l'accusation de syncrtisme,
unecertaine thologie revendique, son insu peut-tre, une
religionpure de la puret des origines. Le christianisme apparat
commeun pur-sang qui ne doit s'unir rien d'impur. Les prophtesjuifs
fustigaient de mme Isral qui se prostituait aux dieuxpaens. Ils
sont aussi coupables que ceux qui mlent larincarnation des
doctrines chrtiennes censment pures.34 En
33 On pourra se reporter l'article suggestif de Carl-A.
Keller,
Religions as System of Communication. A Reappraisal of
anAnthropological approach, dans Witold Tyloch (d.),
CurrentProgress in the Methodology of the Science of Religions ,
Warsaw,Polish Scientific Publishers, 1984, pp. 119-123.
34 La croyance l'origine naturelle des langues a t un des
principauxfreins l'tude des pidgins et des croles perus ds lors
comme deslangues mles, hybrides, et donc dnatures ou abtardies.
Voir ce sujet les articles suivants: Andre Tabouret-Keller, Origine
et
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
15
utilisant le mot syncrtisme, la thologie moderne prolonge enfait
la polmique anti-catholique des dbuts du protestantismequi a
ressuscit ce mot de Plutarque pour bannir de la religioncatholique
les mlanges indus et provoquer un retour la puretdes origines
bibliques. On risque d'assister alors unesurenchre d'arguments qui
dpassent le terrain proprementlogique pour glisser vers une
rhtorique facile.
Analyse de la qualification de syncrtisme dansl'argumentation
thologique
Du point de vue de la science des religions, ce qu'on
appellesyncrtisme peut donc s'analyser de deux points de vue.
Toutereligion peut tre perue un moment donn comme unensemble plus
ou moins complexe de doctrines ou de croyances,de rites ou de
pratiques ayant des origines varies, ou issued'horizons culturels
diffrents et tre analyse par l'historien entant que syncrtisme.
Mais une religion peut tre aussiconsidre sous l'angle du croyant
qui s'y est engag et quicherche se situer par rapport des religions
ou des positionsreligieuses qui lui semblent inacceptables. Le
second emploi dumot syncrtisme intresse davantage l'hermneutique
qui veutcerner le fonctionnement d'une argumentation. Qualifier
unereligion de syncrtisme, c'est alors la juger incohrente; et, en
cesecond sens, le mot comporte souvent une charge affectivedestine
discrditer la religion ou la spiritualit ainsi tiquete.Cette
utilisation du mot syncrtisme reflte d'abord lesconvictions des
croyants qui l'utilisent. Elle se comprend l'intrieur d'une
communaut de croyants qui devient plusconsciente de sa spcificit et
qui cherche justifier ses positions
simplicit: des langues croles au langage des enfants,
dansEnfance 1979, no 3-4, p. 269-292; et l'inverse de la
clart,l'obscurit des langues hybrides, dans Revue de l'Institut
deSociologie (Universit Libre de Bruxelles), 1989, 1-2, pp. 19-29.
Lemaniement malais de la notion de syncrtisme en histoire
desreligions tient sans doute des ambiguts semblables celles
quedcrit A. Tabouret-Keller propos des langues.
-
Andr Couture
16
doctrinales. Mais cela peut galement vouloir dire que
cettecommunaut est incapable d'apprcier l'autre croyant
autrementque comme un marginal ou un distant.35 Les
argumentsutiliss par les thologiens chrtiens pour condamner chez
leschrtiens rincarnationnistes ce qu'ils appellent du syncrtisme,ou
par les adeptes de la rincarnation pour dmontrer le caractrechrtien
de cette doctrine, sont en fait des tentatives de ces deuxensembles
religieux pour se dfinir l'un par rapport l'autre etdmontrer ainsi
leur propre cohrence doctrinale. Ce sont leursinteractions en
situation de pluralisme qui amnent les religionset les spiritualits
affirmer leur identit et dcouvrir ce qui lesdistingue les unes des
autres.
tudier des religions qui s'affirment en contexte pluriel,
c'estdonc s'efforcer de dmler les argumentations qu'elles
utilisentpour fonder l'originalit et la cohrence de leurs
croyances. Jeme contenterai de quelques exemples puiss au corpus
des critsrincarnationnistes des dernires dcennies et des
texteschrtiens qui ont pris position par rapport la
rincarnationpendant cette mme priode. Il me semble que
cetteargumentation se prsente sous cinq modalits principales qui
sereconnaissent tant chez ceux qui dfendent la rsurrection quechez
ceux qui prnent la rincarnation. Chacune de ces
formesd'argumentation ne doit pas non plus tre considre
commeexclusive d'un auteur: elles se combinent subtilement chez
tousceux qui ont particip ce dbat.36
35 Voir ce sujet les rflexions runies dans Marginalit, distance
et
altrit, dans Nouveau Dialogue, 95, sept.-oct. 1993.36 On pourra
consulter l'introduction de A. Couture (avec la coll. de
M. Saindon), La rincarnation: thorie, science ou croyance?
,Montral, ditions Paulines, 1992; on trouvera un reprage
pluscomplet des arguments utiliss par les dfenseurs de la
rincarnationet par les chrtiens rincarnationnistes dans Andr
Couture, Larincarnation, Ottawa, d. Novalis, 1992, en part.pp.
75-111.
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
17
A. Une argumentation de type traditionnel. L'ide derevenir la
tradition authentique ou l'unique tradition est unpremier argument
utilis autant par les rincarnationnistes quepar les chrtiens qui
s'opposent la rincarnation. Pensant par ldmolir les prtentions des
diffrents christianismes (catholique,protestant, orthodoxe),
l'sotrisme affirme que la traditionchrtienne vritable a t occulte
par un clerg jaloux de sesprrogatives et de son pouvoir. S'il ne
reste de la rincarnationdans la Bible que certaines bribes peine
perceptibles, c'est toutsimplement qu'on l'en a supprime.37 Il faut
donc de toutevidence revenir la doctrine authentique qui doit
concider avecl'antique tradition sotrique et arrter de prter foi
auxinventions postrieures d'une tradition chrtienne frelate.
Cette intransigeance peut tonner, mais il est tout
aussisurprenant de constater que, pour refuser la rincarnation
l'intrieur du dogme chrtien, certains chrtiens font valoir
desarguments de mme nature. Il suffit pour cela d'utiliser
desparoles bibliques comme des arguments premptoires et sansqu'il
soit besoin de situer ces textes dans leur contexte ou des'enqurir
plus avant de leur signification. Autrement dit, on saitd'avance la
signification que doivent avoir ces textes, parce quel'on connat la
direction de la tradition qui doit servir lesinterprter. Je
choisirai comme exemple Hbreux 9, 27 qui estun des textes les plus
souvent invoqus pour refuser larincarnation et qui se lit comme
suit dans la Bible de Jrusalem:Et comme les hommes ne meurent
qu'une fois, aprs quoi il y aun jugement, ainsi le Christ, aprs
s'tre offert une seule foispour enlever les pchs d'un grand nombre,
apparatra uneseconde fois hors du pch, ceux qui l'attendent
pourleur donner le salut. examiner cette phrase mme horscontexte,
le lecteur attentif comprend que l'affirmation ported'abord sur
l'unique sacrifice du Christ, puis sur sa secondeapparition la fin
des temps, et non pas sur le fait comme tel dela mort des humains.
C'est ce sacrifice unique que l'auteur veut
37 Noel Langley, Edgar Cayce et la rincarnation , Paris, J'ai
Lu,
1989, chap. 10 et 11.
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Andr Couture
18
clairer en le comparant la mort unique des humains qui paratici
comme une vidence assez communment accepte deslecteurs de l'ptre.
Mais sous la plume d'apologtes presss decontredire la rincarnation
en raffirmant la tradition chrtienne,il suffit de retenir l'lment
de comparaison et de le prsentercomme une affirmation de l'auteur
biblique. J.M. Nicole ledclare avec nettet: Il est rserv tous les
hommes de mourirune seule fois (en note: Hb. 9, 27. C'est ce texte
qui contredit leplus formellement, mon sens, la possibilit d'une
rincarnation)et de ressusciter une fois la fin des temps (en note:
Jn. 5, 28-29).38 Ou encore Jean-Paul Berney: L'ide de la
rincarnationn'est-elle pas en trange contraste avec le
christianisme? La Bibleenseigne que l'homme n'a qu'une existence
passer ici-bas: Ilest rserv aux hommes de mourir une seule fois,
aprs quoivient le jugement (Hbreux 9, 27). Cette affirmation
del'criture est catgorique.39 L'appel la tradition devienttellement
impratif que l'on n'hsite pas dformer le texteinvoqu pour la
fonder.
B. Une dmarche de type spirituel. Au dire de certainsinterprtes
qui font partie de l'immense postrit de Joachim deFlore, nous
venons d'entrer dans une re nouvelle, dans undernier ge du
christianisme o rgne dsormais un Esprit quirelgue la personne de
Jsus dans un pass rvolu et quirevendique une perfection qui abolit
toutes les figures anciennes.D'aussi hautes vrits ne pouvaient tre
comprises par deshumains matrialistes. L'autorit ecclsiastique,
soutient ShirleyMacLaine par l'intermdiaire d'une entit du nom de
Jean, auraitvoulu "prserver" le genre humain d'une vrit que
l'homme
38 J.-M. Nicole, Que penser de la Rincarnation? , 2e dition
revue,
Nogent-sur-Marne (France), ditions de l'Institut Biblique, 1986,
p.11.
39 Jean-Paul Berney, Faut-il croire la rincarnation? ,
ditionsVeritas, St-David (P.Q.), s.d. (feuillet de trois
colonnes).Cf. galement Florent Varak, La rincarnation. Examen
desarguments et perspective biblique , Villeurbanne (France),
ditionsCl, 1992, p. 115.
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
19
n'tait pas prt recevoir.40 Au contraire, l'ge nouveaupermet de
dbloquer les limites de l'esprit41 , de pratiquer lestechniques
spirituelles grce auxquelles chacun peut prendreconscience de sa
propre divinit et accepter la rincarnationcomme le fondement de
toute volution. Convaincue que larincarnation est la cl de
l'aventure humaine, Marie-Pia Stanleypense que son occultation est
providentielle. Son acceptationpar toute l'glise supposera un vaste
et profond mouvementd'largissement de la conscience et de l'vidence
de l'Esprit.42
Il arrive que des thologiens chrtiens qui s'opposent
larincarnation se rclament de l'Esprit, mais dans un contexte ola
renaissance spirituelle signifie une fidlit exclusive la Bibleet
foi totale en un Christ qui seul peut sauver43 . Rares sont eneffet
les thologiens chrtiens qui prennent position en faveur dela
croyance en la rincarnation. Mais quand ils le font, c'est aunom
d'une thologie qui mise presque unilatralement surl'Esprit, redonne
la premire place l'exprience spirituelle etvalorise la dimension
symbolique de l'exprience chrtienne.C'est dans un tel contexte que
la mthode des correspondancesou des consonantia est rige au rang de
mthode thologiquepar excellence et qu'il devient alors ais de
reconnatre en larincarnation un symbole d'esprance parmi d'autres
pouvantrpondre un certain type d'aspiration chrtienne.
L'effortthologique d'un thosophe comme MacGregor
s'appuieexplicitement sur Joachim de Flore pour tenter de dcouvrir
desconsonnances entre la rincarnation et l'exprience
40 Shirley MacLaine, L'amour foudre , Paris, Sand /Montral,
Primeur, 1987, p. 233.41 Shirley MacLaine, Danser dans la lumire
, Paris, Sand /Montral,
Primeur, 1986, p. 106.42 Marie-Pia Stanley, Christianisme et
rincarnation, vers la
rconciliation , Saint-Martin-leVinoux (France), L'Or du
Temps,1989, pp. 69-70, 281.
43 Cf. Florent Varak, p. 95, 104-107.
-
Andr Couture
20
chrtienne.44 Prenant pour acquis qu'il existe des
harmoniquesnaturelles entre les croyances, l'auteur ne s'inquite
pasdavantage d'approfondir l'anthropologie qui sous-tend
cettethmatisation, ni ne cherche cerner les contextes
socio-historiques qui la permettent. Au fond, la rincarnation
n'estqu'une nouvelle faon actuelle d'interprter des
chosesanciennes.45 Laurent Gagnon prche au Lac-Trois-Saumons
unvangile de l'Esprit qui devrait faire comprendre aux humainsles
vrits caches de la rincarnation. Vous avez besoin del'Esprit de
vrit pour illuminer davantage la vrit qui est envous, fait-il dire
un Christ qui s'adresse tous les prtresd'aujourd'hui.46 Cet Esprit
fera dcouvrir aux pasteurs quel'volution de leurs fidles est
variable et qu'il y a ncessairementde nombreuses demeures dans la
maison du Pre.
C. Une dmarche de type concordiste. Nous venons deconstater
qu'une argumentation uniquement spirituelleconduisait postuler un
monde fait d'harmonies naturelles nedemandant qu' tre entendues et
comprises. Mais il peut aussiarriver que cette recherche de
concordances se manifeste sansqu'il y ait d'appel explicite une
thologie de l'Esprit. Larincarnation sera alors perue uniquement
comme une thoriescientifique, ou mme comme un fait dmontr, ne
pouvant pasne pas tre en accord avec le sens vritable des grands
textesreligieux. Tablant sur une psychologie renouvele et
conformeaux proccupations de notre ge nouveau, Gina
Cerminarasouhaite dmontrer l'accord profond qui existe entre
lesprincipes de la rincarnation et les enseignements du Christ.47
Il faut seulement se rendre compte, affirme-t-elle, que l'glise
a
44 Giddes MacGregor, Reincarnation as a Christian Hope ,
Totowa,
N.J., Barnes & Noble, 1982, p. 29-30. Cf. Henri de Lubac,
Lapostrit spirituelle de Joachim de Flore , Paris, Lethielleux,
1979.
45 Ibid., p. 127.46 Laurent Gagnon, L'unit de l'glise vue par le
Christ , St-Jean-
Port-Joli (Qubec), Les Penseurs du XXe sicle, 1973, p. 34.47
Gina Cerminara, De nombreuses vies, de nombreuses amours ,
Paris, Adyar, 1984, p. 102.
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
21
fait du Christ un principe extrieur, alors que la
consciencechristique est proprement parler un principe intrieur
chacundes humains, une Identit ternelle qui demande de
nombreusesvies pour tre vraiment dcouverte. bien rflchir, il
devientclair que la rincarnation est prsente dans le christianisme,
maissous des noms et des formes diffrentes. Il y a beaucoup
dedemeures dans la maison du Pre, a dit Jsus selon Jean 14,
2.Spencer Lewis interprte ce texte comme une rfrence auxdouze
demeures du royaume cosmique o attendent les mesjusqu'au moment de
leur rincarnation.48 Cette parole duChrist rend galement compte,
selon H.-H. Vdrine, de laralit de ces univers spirituels
fonctionnant sur un nombre infinide dimensions, etc.49 et confirme
que la rincarnation faitpartie des croyances chrtiennes. MacGregor
considre aussicomme une vidence que la rsurrection n'est qu'une
forme derincarnation. Il assimile alors le corps glorifi dont
parlel'aptre Paul une sorte de corps subtil cens transporter
lestraces d'actions des vies passes. Ce thologien
presbytrienpropose aussi de retraduire les images des fins dernires
que l'ontrouve dans la Bible la lumire de la loi de l'volution et
arriveainsi redonner au purgatoire catholique un sens acceptable
enmontrant qu'il correspond au cheminement des mesrincarnes.50
48 Harvey Spencer Lewis, Les Demeures de l'me. La conception
cosmique, Villeneuve-Saint-Georges, ditions Rosicruciennes,8e
d., 1986, p. 15, 151-152.
49 Hettie-Henriette Vdrine, L'glise et la rincarnation ,
Paris,ditions de Vecchi s.a., 1990, p. 122.
50 Geddes MacGregor, Reincarnation in Christianity. A New
Visionof the Role of Rebirth in Christian Thought , Wheaton, Ill,
TheTheosophical Publishing House, 1978, pp. 8-9, 38-39,
100;Reincarnation as a Christian Hope , p. 39, 148; The Christening
ofKarma, Wheaton, Ill, The Theosophical Publishing House, 1984,pp.
74-77. Voir aussi J.-L. Htu, Rincarnation et foi chrtienne.Une
rflexion sur le srieux de l'aventure humaine , Montral,ditions du
Mridien, 1984, pp. 95-130.
-
Andr Couture
22
On trouve aussi, chez des auteurs chrtiens qui
s'opposentfermement la rincarnation, un effort similaire pour
faireconcorder le langage biblique avec les situations modernes
quel'on dnonce. Il s'agit d'un concordisme inverse qui passe par
lamise en vidence d'une force du mal dj identifie comme telledans
la Bible et susceptible d'expliquer l'apparition d'unedoctrine
aussi malfique que la rincarnation. Selon FlorentVarak, les esprits
qui s'adressent les mdiums et qui tanttaffirment, tantt dnient
l'existence de la rincarnation,pourraient ne pas tre les esprits
des dfunts, mais les esprits,anges ou dmons, dont parle la Bible.
Ces tres qui ne meurentpas sont capables de communiquer aux hommes
tous lesrenseignements qu'ils demandent des mdiums sous hypnose.Il
ne faudrait cependant pas en dduire que les dmons veulentcorrompre
les humains. Satan ne gagnera pas des mes pourl'enfer; selon la
conception biblique, les hommes en un sens,sont dj en enfer. Le
salut est le sauvetage gratuit que Jsus-Christ a accompli par sa
mort et sa rsurrection, et qu'il donne quiconque croit. La seule
motivation que l'on puisse supposer setrouve dans la nature mme des
puissances des tnbres. Satanest mauvais, totalement corrompu. Il
n'existe en lui aucunetincelle d'amour et de compassion. Il est le
pre du mensonge,toujours dsireux de sduire et de tromper.51 Cet
argumentassez trange n'est qu'un lment parmi d'autres destin
convaincre que la rincarnation contredit l'enseignementbiblique.
Varak sait bien que Satan n'a le pouvoir de condamnerpersonne, mais
il se contente de suggrer que cette doctrinemensongre est sans
doute celle qui manifesterait le mieux samchancet et son dsir de
corrompre les humains. En oprantce rapprochement entre Satan et la
rincarnation, Varak insinuele doute chez ses lecteurs et cela
suffira peut-tre loigner de larincarnation certains indcis.
D. Une dmarche de type esthtique. La beaut de larincarnation,
affirme Vdrine, c'est l'esprance dont elle estporteuse, le fait de
pouvoir retrouver ceux qu'on a aims, renouer
51 Varak, op. cit., p. 65, 68, 70.
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
23
un lien d'amour dont la continuit et la fusion de deux
mes,poursuivre un idal, dvelopper un don, un talent, rparer
desinjustices, effacer des remords, apprendre, enseigner,
participerde la grandeur de l'univers dans son ternit, suivant la
promessebiblique: "J'avais dit: Vous tes des dieux. Vous tes
toujoursfils du Trs-Haut" (Psaumes, LXXXII, 6.)52 La croyance en
larincarnation ncessite un nettoyage en rgle, il faut balayer
lesscories qui l'encombrent. Mais bien comprise, elle ne peut quese
marier aux valeurs chrtiennes.53 Ou encore, contre unchristianisme
qui a parfois pactis avec la violence au cours deson histoire, il
faut exalter la tolrance vhicule par la croyanceen la
rincarnation.
On voit donc que la croyance en larincarnation, si elle tait
rpandue, enseigne,comprise dans sa noblesse, sa justice et sonquit,
rsoudrait avec sagesse la diversit desreligions, et aussi celles
des ethnies qui tententd'imposer leur croyance dans un
intgrismefanatique qui fait couler et fera encore coulerdes flots
de sang. La rincarnation ne fait pasde proslytisme. Sa propagation
estentirement pacifique. Elle accueille sansdistinction tous ceux
qui veulent y adhrer.Elle ne brandit aucun anathme, n'rige
aucunbcher, ne stigmatise personne. Avec elle, nuln'est suprieur ou
infrieur. Chacun est ce qu'il"est" intrinsquement. Chacun garde sa
valeuret tout le monde a ses chances. () Lagrandeur et la
profondeur spirituelle de larincarnation, religion cosmique, c'est
qu'elleest conciliable avec toutes les religions de laTerre, sans
empchement pour les pratiquerdans leurs rites particuliers.54
52 Ibid., p. 117.53 Ibid., p. 23.54 Vdrine, op. cit., p.
149.
-
Andr Couture
24
Gina Cerminara et Marie-Pia Stanley ont fait des
remarquesanalogues. Autant la rincarnation peut faire peur quand
elleconduit toutes sortes d'explications extravagantes, autant
ellese rapproche de la plus haute vrit quand on la rduit aux
loissimples qui assurent son quilibre.
Dans plusieurs des citations qui introduisent cet article,
lechristianisme est oppos la rincarnation cause du caractrenbuleux
de celle-ci, cause de sa confusion. Il arrive encoreque des
chrtiens s'opposent aussi la rincarnation parce qu'elleserait une
doctrine monstrueuse. Florent Varak suppose quel'Inde est voue la
pauvret, la famine et au chaos justementparce qu'elle croit la
rincarnation. Comme nous le voyons,la foi dans le karma est source
d'immobilisme: tout est fatal, ilfaut survivre avec la meilleure
attitude possible. Et la culturehindoue vit dans cette crainte de
ce que les dieux vont accomplird'inluctable, pour rgler la dette de
chacun.55 Ces argumentssont moins des dmonstrations rationnelles
que desconsidrations esthtiques. la limite, ce ne sont que
desparalogismes, c'est--dire de faux raisonnements faits de
bonnefoi. Suivant que l'on est pour ou contre une doctrine,
ondcouvre ses beauts ou ses horreurs. De tels panchements
desentiments sont frquents dans ce dbat, mais n'ont rien voiravec
l'existence ou l'inexistence de la rincarnation.
E. Une dmarche de type hermneutique. Reste unedernire dmarche
qui ne cherche pas a priori discrditer descroyances mais percevoir
leur sens, leur cohrence, et surtout dgager les prsupposs
anthropologiques sur lesquels elless'appuient. Cette forme
d'argumentation laquelle je rserve lenom d'hermneutique n'est pas
non plus l'apanage d'un seulparti. En effet, un certain nombre
d'auteurs dfendantl'hypothse de la rincarnation mettent noir sur
blanc leursprsupposs et cherchent faire valoir les avantages de
leurposition. Jean-Louis Simons se prsente comme un adepte dela
thosophie de Mme Blavatsky qui lui parat fournir le meilleur
55 Ibid., pp. 79-80.
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
25
modle spirituel. Cela ne l'empche pas d'analyser la loupe
lesarguments dits scientifiques prsents par de nombreux auteurset
conclure qu'ils sont insuffisants prouver le fait de
larincarnation, mais qu'ils n'infirment pas non plus
cettehypothse.56 Des auteurs comme Howe ou MacGregor vitentles
affirmations historiques tout fait gratuites comme celles
quiconsistent dire que Jsus et toute l'glise ancienne croyaient la
rincarnation. Ils insistent plutt sur les prsuppossphilosophiques
de cette option. Selon eux, un christianismerinterprt dans la ligne
de Platon et qui inclurait larincarnation serait plus valable parce
qu'il mettrait l'accent surl'exprience personnelle, sur le
symbolisme, sur l'ide d'une Loiinitiale (celle du karma) laquelle
toute la cration devrait seconformer. Ces auteurs prennent
consciemment le risque d'unenouvelle interprtation et on ne peut le
leur reprocher.57
Il existe galement des chrtiens qui s'efforcent decomprendre la
tradition rincarnationniste, sa logique, sesprsupposs, et qui
insistent sur les implications philosophiqueset anthropologiques de
cette croyance. J'ai dj cit le petit livrede Pascal Thomas, La
rincarnation, oui ou non?, qui mesemble un excellent exemple d'un
effort loyal pour comprendreles raisons pour lesquelles la
rincarnation sduit tantaujourd'hui et pour situer en regard les
rticences duchristianisme. Mais il faudrait citer de nombreuses
pages deRichard Bergeron ou de Jean Vernette dont il m'est arrriv
plushaut de critiquer certaines expressions. C'est galement avec
unevise proprement hermneutique que j'ai moi-mme essay derefaire
l'histoire de cette croyance et que j'ai suggr dans despublications
rcentes de dissocier la croyance en la rincarnationdes arguments
utiliss pour justifier cette croyance.
56 Voir les livres rpertoris dans A. Couture (avec la coll.
de
M. Saindon), La rincarnation: thorie, science ou croyance?
,Fiches 39-40-41, en particulier Revivre nos vies antrieures .
57 Voir ce sujet A. Couture, La rincarnation , Ottawa,
Novalis,1992, p. 132 s.
-
Andr Couture
26
*
De ces considrations, on peut conclure que l'accusation
desyncrtisme porte contre les chrtiens qui acceptent larincarnation
peut se lire diffrents niveaux. Elle peut certesconstituer un
effort interprtatif pour dbrouiller au planhistorique l'cheveau des
religions et des spiritualits donts'inspirent l'sotrisme occidental
ou la thosophie de MmeBlavatsky. Il peut tre clairant d'tudier
l'origine desinterfrences qui permettent des chrtiens d'intgrer
leur foila croyance en la rincarnation. Mais il ne faudrait pas
oublierque le christianisme a aussi subi des influences multiples
tout aulong de son histoire et qu'il peut tre galement en
bonnemthode analys comme un syncrtisme.
Derrire le reproche de syncrtisme se cache parfois l'ideque la
rincarnation viendrait fausser une tradition qui paraissaitjusque-l
assure (argumentation de type traditionnel). On peutgalement
laisser entendre qu'un christianisme syncrtique trahitl'esprit de
ses origines et qu'il devrait plutt se laisser guider parl'Esprit
de vrit (dmarche de type spirituel). L'cart entre lavrit
traditionnelle et l'innovation rprhensible peut aussi setraduire
par la dcouverte d'indices de prsence diabolique etengendrer une
dmarche de type concordiste. Mais le plussouvent, on conviendra que
l'accusation de syncrtisme relved'une apprciation gnrale de cette
croyance qui se situedavantage au plan esthtique qu'au plan
rationnel. Rincarnationet christianisme forment un couple mal
assorti, un amalgamebizarre, un bricolage doctrinal, une figure aux
contours indcis,une salade indigeste ou un alliage qui sonne creux.
Ce n'estplus une question d'incohrence, c'est l'affreuse laideur de
cecouple qui le condamne.
Mais on peut aussi se demander si cet argument esthtiquene
s'allie pas parfois inconsciemment un schme volutifapparu au sicle
dernier sous la plume d'Ernest Renan.Caractristique de la pense
primitive et du psychisme oriental,le syncrtisme est cette sorte de
confusion, de chaos informe, de
-
Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes
27
jeu puril, d'-peu-prs, qui prcde dans l'volution
humainel'apparition de l'analyse et d'une synthse ultrieure, et
danslequel menace de retourner tout esprit qui se laisse sduire
parles images de la mythologie et les croyances paennes. Peruesous
cet angle, il ne fait pas de doute que la rincarnation doittre elle
aussi une doctrine nbuleuse; elle l'est parce qu'elle estorientale
et que les Orientaux ne seraient pas encore parvenus exprimer avec
clart et cohrence des vrits qu'ils ne fontqu'entrevoir.58 J'ai
montr ailleurs59 que la rincarnation quis'impose en Occident est
beaucoup plus grecque qu'hindoue oubouddhique, et que le recours
l'Orient fait partie des argumentsdont on se sert pour rendre cette
croyance plus attrayante. Larincarnation devient orientale quand on
veut mettre l'accent surses origines traditionnelles; elle devient
galement orientale pourceux qui la considrent comme une croyance
floue et enfantine.En fait, cachs sous les plus hautes
considrations sotriques ouscientifiques, il y a des prjugs qui
viennent d'un autre sicle etqui ont la vie trs dure. Il ne faudrait
pas en minimiser le poidsquand l'esthtisme vient trop facilement au
secours d'unehermneutique dfaillante.
58 Voir Andr Couture, Le recours la notion de syncrtisme
chez
Renan. galement Edward Sad, L'orientalisme. L'Orient cr
parl'Occident, Paris, Seuil, 1980.
59 Voir en part. La rincarnation , Ottawa, Novalis, 1992.