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Cours 6 Droit des biens
Quest-ce que le droit des biens ?
A la base du droit des biens rgne la distinction entre les personnes et les
choses. La personne est sujet de droit ; les choses sont objet de droit. A
cet gard, il faut dailleurs bien remarquer que ltre humain est le seul
tre vivant considr comme un sujet de droit, donc comme titulaire de
droits et dobligations. Les animaux entrent dans la catgorie des choses,
objets de droit. Certes, on entend souvent parler des droits de lanimal
et lon peut certainement se fliciter que les animaux bnficient dune
protection. Mais, juridiquement, cette expression na aucun sens : les
animaux ne peuvent pas avoir de droits ni dobligations. Ils peuvent
seulement faire lobjet dune protection, par exemple travers la sanctiondes personnes qui les soumettent des actes de cruaut. Ainsi, le droit
est binaire : il nexiste pas de catgorie intermdiaire entre les personnes
et les choses ; lanimal est donc une chose, mme sil sagit dune chose
particulire, qui peut tre objet de proprit.
Le droit divise donc le monde en deux catgories : les personnes et les
choses. Les personnes sont rgies par le droit des personnes ; les choses
par le droit des biens. Les personnes ont des droits sur les choses, par
exemple sur les choses dont elles sont propritaires. En 1re approximation
on peut donc dire que le droit des biens rgit les droits des personnes sur
les choses. Il organise les rapports de lhomme avec les choses. Mais en
ralit, la notion de bien est bien difficile cerner, dautant que le Code
civil ne la dfinit pas, alors mme quil sagit lvidence dune notion
fondamentale. Et dire quun bien cest une chose est approximatif. En
effet, et la formule est connue, toutes les choses ne sont pas des biens et
tous les biens ne sont pas des choses.
Toutes les choses ne sont pas des biens.En effet, bien que la notion
de bien soit difficile dfinir, il est en tout cas acquis que seules leschoses susceptibles dtre appropries peuvent tre qualifies de biens :
les biens sont les choses utiles pour lhomme et susceptibles
dappropriation prive. Ds lors, le droit des biens est le droit des choses
appropries. Or, toutes les choses ne sont pas appropriables et ne sont
donc pas juridiquement des biens.
Il en est ainsi des res communis, les choses communes. Selon larticle 714
du Code civil, ce sont les choses qui nappartiennent personne et dont
lusage est commun tous . Elles nappartiennent donc personne parce
quelles ne peuvent tre appropries et doivent servir lutilit de tous :
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lair, locan, le soleil Tout le monde peut en jouir, mais personne nen
est propritaire. Encore faut-il prciser que toute appropriation nest pas
absolument impossible : il est possible de sapproprier une fraction de ces
choses communes (une bouteille deau, une bombonne dair comprim).
Il ne faut pas confondre les choses communes, les res communis, avec leschoses sans matre. Les choses sans matre sont celles qui
nappartiennent personne un moment donn mais qui sont
susceptibles dappropriation (ex. : le chien errant). Le Code civil sest
intress certains dentre eux : les immeubles sans matre. Ainsi, larticle
539 prvoit que les biens des personnes qui dcdent sans hritiers ou
dont les successions sont abandonnes appartiennent lEtat. Larticle
713 prvoit que les biens qui nont pas de matre appartiennent la
commune sur le territoire de laquelle ils sont situs . Si la commune
renonce exercer ses droits, la proprit est transfre de plein droit lEtat. Il nexiste donc pas de vritables immeubles sans matre puisque
faute de matre priv, cest la commune ou lEtat qui en devient
propritaire. En revanche, il existe de vritables meubles sans matre. On
en distingue classiquement deux types : les res nullius et les res
derelictae. Les res nullius sont les choses qui nappartiennent personne
et que personne ne sest jamais appropries (ex. : gibier, poissons). Les
res derelictae sont les choses qui ont t appropries mais qui ont t
abandonnes par leur ancien matre. Toutes ces choses sans matre ne
sont pas appropries mais elles peuvent ltre, et pourront donc trequalifies de biens, ce qui les distingue donc des res communis.
Dautres choses sont traditionnellement exclues de la catgorie des biens,
parce quon considre quelles ne sont pas susceptibles dune vritable
appropriation. Il sagit en particulier du corps humain. Le corps humain est
le sige de la personne, cest la personne mme, et il ne peut donc pas
tre qualifi de bien. Cela permet dexclure lesclavage et de sopposer au
commerce de lhumain1.
Tous les biens ne sont pas des choses, ou plutt des chosesmatrielles. Le terme chose est en effet le plus souvent employ pour
dsigner des objets ayant une existence physique, matrielle. Les choses
matrielles sont celles que lon peut percevoir par les sens, que lon peut
toucher, voir Or, certains biens sont immatriels : ils nont pas
dexistence physique mais sont pourtant juridiquement considrs comme
des biens. Il en est ainsi, par exemple, du droit dauteur : ici, le bien, ce
nest pas seulement le support physique de luvre ; le bien cest luvre
1 Il est vrai nanmoins que les progrs scientifiques pourraient conduire une certaine
appropriation du vivant, comme le dmontrent les dbats sur la brevetabilit du vivant(des squences gntiques par exemple).
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en tant que telle. Ce qui a de la valeur dans un roman cest lesprit de
lauteur quil manifeste, et non le papier, qui na, lui, quune trs faible
valeur. Et cest luvre de lesprit en elle-mme qui est la proprit de
lauteur. Autre exemple : les valeurs mobilires, telles que les actions,
nont pas dexistence physique, pourtant elles ont une valeur conomiquevidente, et ce sont juridiquement des biens. En outre, la doctrine
considre plus gnralement que les droits eux-mmes sont des biens. Et
ces droits, en tant que tels, nont pas dexistence physique. Ainsi, dans le
patrimoine dune personne figurent ses droits, qui sont juridiquement des
biens (le droit de proprit sur telle chose, le droit de crance lgard
dune personne). Si lon poussait lextrme ce raisonnement, il ne
serait mme plus ncessaire de sinterroger sur lobjet sur lequel porte le
droit (objet matriel ou immatriel), le bien tant tout simplement le droit,
et non lobjet du droit. Prcisment, selon une partie de la doctrine, il
existerait une confusion entre les choses et les droits sur les choses, par
exemple entre la maison et le droit de proprit sur la maison. Cest le
droit sur la chose qui constituerait le bien, et non la chose elle-mme. Mais
cette doctrine est critique par certains, qui estiment que le droit de
proprit ne peut tre considr comme un bien sans absurdit. Il ny a
pas de sens considrer comme objet dappropriation linstrument mme
de lappropriation (F. Znati). Quoi quil en soit de ce dbat, il est clair
que les biens ne sont pas seulement les choses ayant une existence
physique, mais aussi des choses immatrielles, incorporelles, ds lors
quelles ont une utilit et une valeur conomique et quelles peuvent treappropries.
Il faut galement voquer le lien indissociable entre le droit des biens et la
notion de patrimoine : en effet, les biens entrent dans le patrimoine de la
personne. Le patrimoine est ainsi un contenant, le rceptacle juridique des
biens. Au sein du patrimoine on trouve, lactif, les biens, c'est--dire
toutes les choses et les droits qui ont une valeur pcuniaire (au passif on
trouvera les dettes, les obligations).
Sources du droit des biens et projet de rforme
Le droit des biens trouve sa source essentielle dans le Code civil, et plus
prcisment dans le livre 2e du Code civil intitul des biens et des
diffrentes modifications de la proprit (art. 516 710). Ici comme en
droit des contrats, on trouve dsormais dautres dispositions, extrieures
au Code civil, rglementant certains biens : code rural, code de
lenvironnement, code de lurbanisme Mais le Code civil reste le sige du
droit des biens. Pour lessentiel, les dispositions datent de 1804 et nont
pas t modifies depuis. Il ny a eu aucune grande rforme des
dispositions du Code civil relatives aux biens depuis 1804. Or, il est clair
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que le patrimoine des personnes a beaucoup volu depuis deux sicles.
Lorganisation sociale, les sources de richesses, ont chang. A certains
gards, les dispositions du Code civil ne paraissent plus en adquation
avec les ralits conomiques et sociales de notre temps. Il suffit de
prendre quelques exemples. Tout dabord, les dispositions du Code ont tcrites pour une socit rurale, agricole qui nest plus la ntre. Le
vocabulaire lui-mme le dmontre qui voque longuement, de manire
quelque peu suranne, les choses du monde rural, comme les moulins
vent (art. 519), les semences donnes aux fermiers, les pigeons des
colombiers, les lapins de garenne et autres ruches miel (art. 524)
Ensuite, conformment au contexte de lpoque, les biens considrs
comme les plus importants par le Code civil sont les immeubles. On
considrait alors quils taient seuls dignes dune vritable protection car
ils taient les biens prsentant la plus grande valeur. Les meubles enrevanche taient quelque peu dnigrs (on reproduisait alors la
conception exprime par le vieil adage res mobilis, res vilis). Or, il est clair
quaujourdhui les immeubles ne sont plus les seuls avoir une valeur
conomique importante : les plus grandes fortunes du monde
appartiennent des crateurs dentreprises dont la principale richesse est
leurs socits, et plus exactement leurs parts sociales ou leurs actions. Or,
ces parts sociales sont des biens meubles. De ce point de vue encore, le
Code civil nest donc plus adapt aux ralits, les biens meubles pouvant
avoir une valeur considrable.
Enfin, et dans le mme esprit, les dispositions du Code civil ont t
rdiges en considration des biens matriels, du monde physique (la
maison, le champ du fermier). Or, aujourdhui, les biens immatriels ont
envahi le patrimoine des personnes et ont parfois une grande valeur
conomique : valeurs mobilires, actions de socits, droits dauteur,
droits de proprit industrielle (brevets, marques) L encore, le Code
nest pas adapt cette ralit2.
Toutes ces volutions rendent souhaitable une rcriture des textes duCode civil relatifs au droit des biens. Certes, comme en droit des contrats,
la jurisprudence a jou un rle important pour faire voluer le droit
franais en dpit de textes inchangs depuis 1804. Par exemple, cest elle
qui a dvelopp la thorie des troubles anormaux de voisinage, et elle a
prcis de nombreuses rgles sur lesquelles le Code est trop flou ou mal
rdig. Mais il reste quil peut paratre souhaitable que le Code civil soit le
reflet de la socit actuelle et que ses dispositions soient donc rvises. Et
2 Encore que, sagissant du dernier exemple, il nappartient probablement plus au Code
civil de sen proccuper, depuis quexiste un Code de la proprit intellectuelle,rglementant la fois les droits de proprit industrielle et le droit dauteur.
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Comme pour les contrats, il existe ici plusieurs classifications des biens. La
principale oppose les biens meubles et immeubles (section 1). Il existe
ensuite des classifications secondaires (section 2).
Section 1 La classification principale : les meubles et les
immeubles
Le Code civil oppose les biens meubles et les biens immeubles. En effet,
selon larticle 516, tous les biens sont meubles ou immeubles . Tous les
biens doivent donc entrer dans lune ou lautre de ces deux catgories. La
catgorie des meubles est la catgorie ouverte : tout ce qui nest pas
immeuble est meuble. Ainsi, les immeubles sont en nombre limit. En
revanche, les meubles sont en nombre illimit. Il faut voir dabord le
critre de distinction (1) puis lintrt de la distinction (2).
1 Le critre de distinction des meubles et des immeubles
Le critre de distinction entre les meubles et les immeubles retenu par le
Code civil est essentiellement un critre physique : la mobilit (meuble :
du latin mobilis, mobile). Sont meubles les biens qui peuvent se dplacer
(animaux) ou qui peuvent tre dplacs (art. 528 : sont meubles par leur
nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter dun lieu un
autre, soit quils se meuvent pas eux-mmes, soit quils ne puissent
changer de place que par leffet dune force trangre ). A linverse, sont
immeubles ceux qui ne le peuvent pas : il sagit donc des biens qui sontancrs dans le sol (et du sol lui-mme). Mais ce critre physique nest pas
le seul, puisque le Code civil envisage plusieurs sortes de meubles et
dimmeubles.
A Les immeubles
Selon larticle 517 du Code civil, les biens sont immeubles, ou par leur
nature, ou par leur destination, ou par lobjet auquel ils sappliquent . On
distingue ainsi les immeubles par nature, les immeubles par destination
et les immeubles par lobjet auquel ils sappliquent.Les immeubles par nature. Il sagit des choses dont il est de la nature
mme dtre immeubles. On applique donc ici le critre physique : est
immeuble par nature ce qui est immobile, ce qui ne peut tre dplac. Il
sagit donc du sol et de tout ce qui est attach au sol, comme les
constructions ou les vgtaux. Le Code en donne quelques exemples :
larticle 518 dispose ainsi que les fonds de terre et les btiments sont
immeubles par leur nature . Il cite de mme les moulins vent ou eau
fixs au sol (art. 519), les rcoltes pendantes par les racines et les fruits
des arbres non encore recueillis (art. 520) Ainsi les vgtaux et lesarbres sont immeubles tant quils adhrent au sol ; ds lors en revanche
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quils sont coups, ils deviennent meubles. Dans le mme esprit,
sagissant des btiments, il faut prciser que les matriaux de
construction sont lorigine meubles, quils deviennent ensuite immeubles
une fois intgrs au btiment, et quils redeviennent meubles aprs
dmolition du btiment (art. 532).Les immeubles par destination. Les immeubles par destination sont
des biens qui ne sont pas par nature immeubles, mais que lon considre
comme tels parce quils servent un immeuble. Par nature ils sont donc
meubles, mais en raison de leur lien avec un immeuble on les considre
eux-mmes comme des immeubles. Lhypothse type est celle dune
personne propritaire dun immeuble par nature et dun meuble, qui
affecte le meuble limmeuble.
Deux conditions sont ncessaires pour tre en prsence dun immeublepar destination : lappartenance du meuble et de limmeuble au mme
propritaire, et un rapport de destination entre le meuble et limmeuble.
Le Code civil admet trois sortes de destination : la destination agricole, la
destination industrielle et lattache perptuelle demeure.
La destination agricole (art. 524) : les meubles affects au service dune
exploitation agricole sont des immeubles par destination. Le Code en
donne plusieurs exemples comme les instruments agraires, les animaux
tels que les abeilles des ruches miel, les engrais, les semences, la
paille
La destination industrielle : de mme les meubles affects au service dun
tablissement industriel sont immeubles par destination. Ici aussi, larticle
524 du Code civil en cite plusieurs exemples, comme les outils ncessaires
lexploitation des forges et autres usines. Le Code civil ne lenvisageait
pas lpoque, mais il faut aujourdhui ajouter la destination
commerciale : par exemple, les lits garnissant un htel sont des
immeubles par destination parce quils servent une exploitation
commerciale.
Lattache perptuelle demeure : le Code civil indique que sont
galement des immeubles par destination tous les meubles que le
propritaire a attachs au fonds perptuelle demeure . Il sagit des
ornements agrmentant un immeuble, ds lors quils lui sont attachs
perptuelle demeure , c'est--dire quils lui sont solidement attachs
(critre matriel). Il faut que lon puisse dceler la volont du propritaire
de les intgrer limmeuble, de les immobiliser, den faire une partie
intgrante de limmeuble (critre psychologique). Le Code en cite
plusieurs, tels que les meubles scells en pltre ou chaux ou
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ciment , les meubles qui ne peuvent tre dtachs sans tre fracturs
et dtriors (art. 525).
Dans tous les cas, la justification de la qualification dimmeuble par
destination est la suivante : il sagit de simplifier les choses en appliquant
un rgime juridique unique limmeuble et aux meubles qui lui sont lis.Cela permet de ne pas dissocier ce qui, en pratique, doit aller ensemble.
Ainsi, par exemple, limmeuble est en principe vendu avec tous les
immeubles par destination. De mme, la saisie de limmeuble emportera
saisie des immeubles par destination (le crancier naura donc pas
pratique une saisie immobilire + des saisies mobilires). De mme
encore, en cas de dcs de lagriculteur par exemple, la proprit des
champs et des biens ncessaires leur exploitation ne devra pas tre
spare : le mme hritier devra recevoir limmeuble par nature et
limmeuble par destination.
Les immeubles par lobjet auquel ils sappliquent. Ici, la loi ne
sintresse plus aux choses en tant que telles, aux choses matrielles. Elle
sintresse aux droits portant sur les choses. Elle indique ainsi que les
droits portant sur une chose immobilire doivent eux-mmes tre qualifis
de biens immeubles. Le Code civil en donne une liste (qui nest
quindicative) : lusufruit des choses immobilires ; les servitudes ou
services fonciers ; les actions qui tendent revendiquer un immeuble .
Ainsi, par exemple, lorsque lusufruit porte sur un bien immeuble, il est lui-
mme considr comme un bien immeuble.
Le projet de rforme reprend la division tripartite des immeubles (par
nature, par destination, par leur objet), mais il en modernise et simplifie
les dfinitions. Par exemple, les textes sur les immeubles par destination
sont considrablement allgs, sans modifier pour autant le droit positif :
Par leur destination, sont immeubles les meubles attachs ou affects
un immeuble par leur propritaire commun. Est prsum attach un
immeuble, sauf preuve contraire, tout meuble qui ne peut en tre dtach
sans dtrioration ou qui a t conu ou adapt pour y tre intgr. Estprsum affect un immeuble, sauf preuve contraire, tout meuble
ncessaire son exploitation (art. 528). Exit donc la foule dexemples
parfois suranns ou en tout cas inutiles (pigeons colombiers, lapins de
garenne, ruches miel, pressoirs, alambics cf. art. 524 actuel). Les
textes sont ainsi rationnaliss.
B Les meubles
Ici aussi, le Code civil distingue plusieurs catgories de meubles : les
meubles par nature et les meubles par dtermination de la loi (art. 527).La jurisprudence en a ajout une 3e : les meubles par anticipation.
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Les meubles par nature. On applique nouveau le critre physique :
sont des meubles par nature les biens qui peuvent se dplacer ou tre
dplacs. Il en est ainsi, par exemple, des animaux, des meubles
meublants4, des vtements
Les meubles par dtermination de la loi. Comme pour les immeubles,il sagit non plus de sintresser aux choses elles-mmes, mais aux droits
portant sur les choses. Sont donc meubles par dtermination de la loi les
droits portant sur des meubles. Ainsi, lusufruit est un meuble lorsquil
porte sur une chose mobilire, et un immeuble lorsquil porte sur une
chose immobilire. Larticle 529 donne quelques exemples des meubles
par dtermination de la loi : il nonce que sont des meubles par
dtermination de la loi les obligations et actions qui ont pour objet des
sommes exigibles ou des effets mobiliers . Sont donc galement des
meubles par dtermination de la loi les actions de socits ou partssociales.
Les meubles par anticipation. Il sagit de biens immeubles qui sont
traits juridiquement comme des meubles parce quils se destinent le
devenir. Le droit anticipe donc sur la ralit, et les traite dores et dj
comme des meubles. Il en est par exemple ainsi des fruits des arbres :
tant quils sont sur larbre ce sont en principe des immeubles par nature ;
mais ils sont destins tre cueillis et donc devenir des meubles ; on
peut donc les qualifier de meubles par anticipation et les considrer dj
comme des meubles, bien quils soient encore sur larbre. Il faut prciser
que cette notion nexiste pas dans le Code civil. Cest la jurisprudence qui
la consacre. Cela permet dallger le rgime applicable ces biens. En
effet, on le verra, la vente de meuble et la vente dimmeuble ne sont pas
soumises au mme rgime. Le rgime de la vente dimmeuble est
beaucoup plus lourd que celui de la vente de meuble. La qualification de
meuble par anticipation permet dappliquer le rgime plus souple de la
vente mobilire, mme si, au moment de la vente, la chose est encore
attache au sol. Ainsi, une rcolte sur pied (fruits, bls, bois) sera
soumise au rgime de la vente mobilire, bien que la rcolte soit encoreattache la terre. Ds lors que les parties ont conclu le contrat sur ces
immeubles en considration du moment o ils deviendront meubles, on
les considre ds lorigine, ds la formation du contrat, comme des
meubles.
4 Les meubles meublants sont les meubles du langage courant. Le Code le prciseexpressment en son article 534 : les mots meubles meublants ne comprennent que les
meubles destins lusage et lornement des appartements, comme tapisseries, lits,siges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature .
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Ici aussi, le projet de rforme reprend le triptyque des biens meubles
(par nature, par leur objet, par anticipation). Ainsi, la cration
jurisprudentielle des meubles par anticipation est consacre (art. 532 : le
propritaire de choses susceptibles dtre dtaches dun immeuble et
son cocontractant peuvent, par anticipation, les considrer commemeubles : ainsi les rcoltes sur pied, les matriaux extraire dune mine
ou dune carrire, les produits devant provenir dune dmolition ).
Sagissant des meubles par nature, la formulation est simplement
modifie : au lieu de dfinir les meubles par nature (ceux qui peuvent se
dplacer ou tre dplacs, cf. art. 528 actuel), le projet propose un
article 530 se contentant de dire que toutes les choses corporelles,
autres que celles vises aux articles 527 et 528, ainsi que toutes les
choses incorporelles, sont meubles . La dfinition procde donc par
renvoi la catgorie des immeubles et consacre le principe selon lequel
tout ce qui nest pas immeuble est meuble. Mais il sagit bien, selon la
terminologie en vigueur, des meubles par nature.
2 Intrts de la distinction des meubles et des immeubles
Sous lAncien droit on considrait que seule la terre avait une vritable
valeur conomique. Les autres biens taient considrs comme ayant une
valeur ngligeable (res mobilis, res vilis). On estimait donc quil fallait que
le rgime applicable aux biens immobiliers leur octroie une protection plus
grande quaux autres. Il fallait notamment permettre den assurer la
conservation dans les familles nobles qui les possdaient. Aujourdhui, les
consquences de la qualification de bien meuble ou immeuble ont bien sr
volu. Mais il reste que les immeubles sont souvent mieux protgs que
les meubles parce que le Code civil avait adopt cette perspective. Au
demeurant, il reste vrai que, pour de nombreuses personnes, les biens
immobiliers forment lessentiel de leur fortune.
Cela se manifeste de plusieurs manires. On se contentera de quelques
exemples. Tout dabord, les ventes de meubles et dimmeubles ne sont
pas soumises au mme rgime. Le rgime de la vente dimmeuble est pluslourd : la vente doit ainsi tre publie officiellement, alors que la vente de
meuble na pas ltre, et cela implique en outre des frais. Plus
gnralement dailleurs, tous les transferts de proprit immobilire
doivent tre publis (quil sagisse de vente, de donation, de
succession). La proprit immobilire est certains gards mieux
protge que la proprit mobilire. Ainsi, les saisies auxquelles peuvent
procder les cranciers sur les biens de leur dbiteur sont soumises des
rgimes diffrents selon quelles portent sur un immeuble ou sur un
meuble. Or, la procdure est beaucoup plus lourde en matire de saisie
immobilire quen matire de saisie mobilire, afin de protger les droits
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du propritaire de limmeuble. La vente dimmeuble peut galement tre
rescinde pour cause de lsion (si elle porte au moins sur les 7/12e), alors
que la vente de meuble ne le peut pas. Lide est quen principe il
convient de ne pas remettre en cause les conventions librement conclues,
mme si elles apparaissent dsquilibres. Mais ce principe a t cartpour la vente dimmeuble : le lgislateur a estim que la lsion, le
dsquilibre grave devait tre sanctionn ds lors quil porte sur un bien
constituant bien souvent lessentiel de la richesse dune personne.
Dautre part, les pouvoirs que peuvent exercer les personnes sur ces biens
diffrent : par exemple, lorsquune personne est place sous tutelle, le
tuteur peut librement vendre les meubles appartenant la personne
protge, alors quil ne peut vendre un immeuble quavec lautorisation du
juge des tutelles. De mme, lorsque deux poux sont propritaires dun
immeuble, lun dentre eux ne peut pas le vendre sans laccord de lautre,alors quil peut vendre un meuble commun (en principe du moins). Cela
manifeste, encore une fois, une volont de protger davantage la
proprit immobilire.
Section 2 Les classifications secondaires
Il en existe plusieurs.
1 Biens consomptibles et non-consomptibles
Les biens consomptibles, comme leur nom lindique, sont ceux quipeuvent tre consomms. Plus prcisment, il sagit des biens prissables,
qui se consument, prissent par le premier usage. Ex. un fruit est un bien
consomptible : ds quil sera utilis, c'est--dire mang, il disparatra. Pour
tre qualifi de bien consomptible, il faut que la chose prisse au 1er
usage, et non seulement quelle suse. Ainsi, par exemple, une voiture
nest pas un bien consomptible, bien quelle suse lusage.
Cette distinction produit quelques consquences, notamment sur le terrain
des contrats de restitution comme le prt, puisque les biens consomptiblesne peuvent pas tre restitus aprs usage. Il est vident que le prt
usage, c'est--dire le prt par lequel une personne prte son bien une
autre pour quelle lutilise, charge de le rendre, est impossible en
prsence dun bien consomptible, puisque lusage dtruit la chose. Seul un
prt la consommation est donc concevable : dans ce cas, lemprunteur
sengage restituer une chose quivalente celle quil a reu. On ne peut
pas non plus louer une chose consomptible car on ne pourrait pas la
rendre. Dans le mme esprit, lusufruit implique un rgime particulier
lorsquil porte sur une chose consomptible. En principe, lusufruitier, c'est-
-dire celui qui a lusage et la jouissance dune chose, doit la restituer au
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terme de lusufruit. Or, cela nest pas possible en prsence dune chose
consomptible. Lusufruitier dune chose consomptible ne peut restituer le
bien quil a utilis et donc dtruit ; il doit donc restituer une chose de
mme valeur (art. 587). On parle alors de quasi-usufruit .
2 Biens fongibles et non-fongibles
Les biens fongibles sont ceux qui sont interchangeables. Par exemple, les
exemplaires du mme livre empils sur le prsentoir dune librairie. Ce
sont en gnral des choses de genre, qui ne peuvent tre identifies que
par leur qualit et leur quantit (par ex. du bl). A linverse, les biens non
fongibles, ou corps certains, ne sont pas interchangeables parce quils
sont uniques : par exemple la toile Guernica de Picasso nest pas
interchangeable avec un autre tableau.
Ici aussi, une diffrence en dcoule au sujet des contrats de restitution :ces contrats impliquent imprativement la restitution de la chose elle-
mme lorsquils portent sur une chose non-fongible. En revanche, la
restitution peut porter sur chose quivalente si le contrat porte sur une
chose fongible.
Il y a aussi une diffrence en matire de vente. En principe, le transfert de
proprit a lieu au moment de la conclusion du contrat sil porte sur un
corps certain. En revanche, il est report lindividualisation de la chose
sil porte sur une chose de genre : le transfert de proprit interviendra aumoment o la chose sera mesure ou pese Ainsi, les risques ne psent
sur lacheteur quune fois que la chose a t individualise.
3 Biens frugifres et non-frugifres
Cette distinction prend en compte la capacit de certains biens en
produire de nouveaux. Les biens frugifres sont des biens qui fournissent
des fruits, au sens juridique du terme. Les biens non-frugifres sont ceux
qui nen produisent pas. Les fruits sont les biens que fournit un autre bien
sans altration de sa substance
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.Le Code civil voque trois catgories de fruits : les fruits naturels, les fruits
industriels et les fruits civils (art. 582). Les fruits naturels sont ceux
produits par la nature, qui sont le produit spontan de la terre (art.
583) : les fruits du sens courant, le foin Les fruits industriels sont ceux
obtenus par lindustrie de lhomme. Les fruits civils sont les revenus, les
5 Ils se distinguent des produits qui sont fournis par un bien en en altrant lasubstance. Exemple : les loyers perus grce la location dun immeuble sontdes fruits : ce sont des biens fournis par limmeuble sans en altrer la substance ;
linverse, les pierres extraites des carrires sont des produits car,progressivement, ils vont altrer la substance de la carrire.
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sommes dargent produites priodiquement par une chose : les loyers
des maisons, les intrts des sommes exigibles, les arrrages des rentes
(art. 584). Les principaux fruits civils sont les loyers quun propritaire
retire de la location de son bien.
Le Code civil a pris en compte cette catgorie de biens afin de prciser lesort des fruits. Ils appartiennent en principe au propritaire du bien
frugifre qui les produit. Mais lhypothse de lusufruit a conduit le
lgislateur apporter des prcisions. Il prvoit que lusufruitier a le droit
de jouir de toutes espces de fruits, soit naturels, soit industriels, soit
civils, que peut produire lobjet dont il a lusufruit (art. 582).
Chapitre 2 Le droit de proprit
Le droit de proprit est le principal droit, le droit le plus absolu quune
personne peut avoir sur un bien. Lors de la rdaction du Code civil, le droit
de proprit a t conu comme lun des piliers du droit civil, comme lun
des droits les plus sacrs consacrs par la loi civile. Quelques annes plus
tt, la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 elle-mme
classait la proprit dans la catgorie des droits naturels et
imprescriptibles de lhomme (art. 2), et le qualifiait de droit inviolable
et sacr (art. 17). Il en rsulte que le droit de proprit est un droit de
valeur constitutionnelle, la Dclaration des droits de lhomme et ducitoyen faisant partie du bloc de constitutionnalit. Cest dire limportance
du droit de proprit, et plus prcisment de la proprit individuelle, dans
le droit moderne. Sa dfinition mme dans le Code civil dmontre la
majest que ses auteurs ont voulu lui donner. Larticle 544 du Code civil,
lun des textes les plus clbres de ce Code, dispose que la proprit est
le droit de jouir et de disposer des choses de la manire la plus
absolue . En outre, aujourdhui, le droit de proprit est protg par de
nombreuses conventions internationales, comme la Convention
europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts
fondamentales par exemple. Larticle 1er du Protocole additionnel n 1
prvoit en effet que chacun a droit au respect de ses biens. Nul ne peut
tre priv de sa proprit que pour cause dutilit publique et dans les
conditions prvues par la loi et les principes gnraux du droit
international .
Laffirmation trs forte du droit de proprit dans le Code civil de 1804
visait mettre fin la conception de la proprit qui rgnait sous lancien
rgime. A cette poque, toute personne ne pouvait pas devenir
propritaire et acqurir un droit absolu sur les choses, du moins les choses
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immobilires6. La proprit immobilire tait un privilge qui ntait pas
accord tous. On distinguait ainsi le domaine minent et le
domaine utile : le domaine minent ne pouvait appartenir quaux
seigneurs ; le domaine utile pouvait tre acquis par ceux qui exploitaient
la terre. Mais en ralit ces personnes obtenaient seulement la jouissancedes terres ; elles ne pouvaient en devenir pleinement propritaires, car
leur position sociale le leur interdisait ; elles devaient en outre payer des
redevances aux seigneurs pour exploiter la terre. Ce sont donc les
seigneurs qui restaient propritaires de la terre. Ainsi, laffirmation du
caractre absolu du droit de proprit dans le Code civil met clairement fin
ce systme et rtablit lgalit civile au regard de la proprit, dans la
continuit des acquis de la Rvolution franaise. Chaque citoyen pourra
dsormais acqurir sa terre et en tre seul propritaire. Par cet article, les
auteurs du Code civil ont clairement affirm une idologie librale et
individualiste.
Mais encore faut-il savoir exactement ce que recouvre ce droit absolu.
Pour le savoir, il faut dabord examiner ce quon appelle les attributs
de la proprit (section 1). Nous verrons ensuite les caractres du droit de
proprit (section 2).
Section 1 Les attributs de la proprit
On appelle attributs de la proprit les prrogatives auxquelles la
proprit donne droit. La proprit a trois attributs, que lon dsigne leplus souvent par leur appellation latine : usus, fructus, abusus. Lusus cest
le droit dusage (1) ; le fructus le droit de jouissance (2) ; labusus le
droit de disposition (3). Lorsque ces trois attributs sont runis, on est en
prsence dun droit de proprit. Larticle 544 nvoque expressment que
le fructus et labusus ( la proprit est le droit de jouir et de
disposer ), mais il est admis que lusus est implicitement vis. Le projet
de rforme propose de laffirmer expressment : le droit de proprit
serait dfini comme le droit exclusif et perptuel duser, de jouir et de
disposer des choses et des droits (art. 534).
1 Le droit duser de la chose
Lusus dsigne le droit duser ou de ne pas user de la chose dont on est
propritaire. Il sagit de la prrogative la plus lmentaire du droit de
proprit. Lusus comporte dabord un aspect positif, le droit dutiliser la
chose, en y habitant, en lutilisant Il faut nanmoins prciser quen
ralit lusus ne se conoit pas pour une catgorie de biens : les biens
6 Chacun tait en revanche pleinement propritaire de ses meubles, mais ils taientconsidrs comme ayant une valeur ngligeable.
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consomptibles, c'est--dire ceux qui prissent par lusage. User de la
chose, cest donc en mme temps la dtruire, c'est--dire en disposer.
Dans ce cas, on dit que lusus se confond avec labusus.
Lusus comporte ensuite un aspect ngatif, le droit corrlatif de ne pas
user de la chose. Cela signifie quune personne ne peut pas tre prive deson droit de proprit parce quelle nutilise pas son bien ou encore parce
quelle le laisse se dgrader : elle est pleinement en droit de ne pas en
user si elle le veut, sans que cela remette en cause sa proprit.
2 Le droit de jouir de la chose
Le fructus est le droit de jouir de la chose, c'est--dire le droit den
percevoir les fruits. Tous les fruits produits par la chose (naturels,
industriels, civils) appartiennent au propritaire de la chose (art. 546 : la
proprit dune chose, soit mobilire, soit immobilire, donne droit surtout ce quelle produit ). Il est par suite libre den faire ce quil veut.
Il faut relever que la notion de fructus a donn lieu une importante
polmique depuis quelques annes par rapport une question
particulire : celle de limage des biens. La question est de savoir si le
fructus confre au propritaire le droit exclusif dexploiter limage de ses
biens, c'est--dire le droit dexploiter son bien sous forme de
photographie. Si tel est le cas, le droit de proprit sopposerait toute
exploitation de limage des biens par les tiers non propritaires. Sur cepoint, la jurisprudence a volu en plusieurs tapes. Pendant un temps, la
Cour de cassation a pu ladmettre : le propritaire a seul le droit
dexploiter son bien, sous quelque forme que ce soit () ; lexploitation du
bien sous la forme de photographies (par un tiers) porte atteinte au droit
de jouissance du propritaire (Cass. 1re civ., 10 mars 1999, JCP 1999, II,
10078, note P.-Y. Gautier). La solution tait nouvelle. En effet, pour la 1 re
fois, la Cour de cassation faisait une interprtation trs extensive des
termes de larticle 544 du Code civil : elle admettait que le fructus sur une
chose corporelle stend sa dimension incorporelle, c'est--dire son
image. Cette solution a suscit des critiques et sa porte fut limite par
plusieurs dcisions ultrieures. Les juges ont dabord pu retenir des
solutions plus mesures, afin de concilier les droits du propritaire de la
chose photographie, les droits artistiques du photographe et mme
lintrt du public. Ainsi des juges ont-ils pu noncer que le droit du
propritaire de la chose sur son image lui permet seulement dempcher
lexploitation commerciale de cette image, mais que cette image pouvait
tre utilise lorsquelle rpond un souci pdagogique dinformation
relevant de la libert dexpression (au sujet de la reproduction de
limage dun chteau dans un ouvrage sur le patrimoine franais, CA Paris,31 mars 2000, D. 2001, p. 770). Mais les critiques ont continu.
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LAssemble plnire de la Cour de cassation est finalement intervenue et
a largement limit la porte de la jurisprudence antrieure : elle a affirm
que le propritaire dune chose ne dispose pas dun droit exclusif sur
limage de celle-ci ; quil peut toutefois sopposer lutilisation de cette
image par un tiers lorsquelle lui cause un trouble anormal (Cass. Ass.Pln., 7 mai 2004, Bull. civ. n 10, JCP 2004, II, 10085, D. 2004, 1545).
Ainsi, la protection de limage du bien nest pas un attribut du droit de
proprit ; elle nest pas un lment du fructus appartenant exclusivement
au propritaire. Simplement, le propritaire peut sopposer lutilisation
de limage de son bien si elle lui cause un trouble anormal.
3 Le droit de disposer de la chose
Principe. Le dernier attribut du droit de proprit, le plus important, est
labusus. Il sagit du droit de disposer du bien. Cela signifie que lepropritaire a le droit daccomplir tous les actes juridiques et matriels
entranant la perte de toute ou partie du bien. Les actes matriels
consistent en la destruction matrielle de la chose. Les actes juridiques
entranant la perte de la chose sont ceux par lesquels il abandonne tout ou
partie de son droit de proprit : il labandonne totalement sil conclue un
contrat transfrant la proprit une autre personne (vente, donation) ; il
labandonne en partie sil en donne lusage et/ou la jouissance une autre
personne, par exemple en en donnant lusufruit.
Labusus comporte aussi un versant ngatif : le droit de ne pas disposer dela chose, c'est--dire de la conserver. Le propritaire a donc le droit de
sopposer ce que son bien soit cd ou dtruit.
Limites. Nanmoins, en dpit de laffirmation du caractre absolu du droit
de proprit, et donc notamment du droit de disposer du bien, des limites
y sont apportes, par la loi, la jurisprudence, ou mme de manire
conventionnelle. En voici quelques exemples.
Il existe tout dabord des limites au droit de cder un bien. Ainsi,
lorsquun bien est donn ou lgu une personne (ie transmis partestament), le donateur ou le testateur peut imposer la personne
gratifie de conserver le bien durant toute sa vie, afin de le transmettre
son tour lors de sa mort une personne dsigne (v. art. 1048 c. civ. :
une libralit peut tre greve dune charge comportant lobligation
pour le donataire ou le lgataire de conserver les biens ou droits qui en
sont lobjet et de les transmettre, son dcs, un second gratifi,
dsign dans lacte). Cest donc ici la volont du prcdent propritaire
qui prime.
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Il existe ensuite des limites au droit de conserver un bien. La limite la
plus radicale est bien sr la destruction force du bien.
Exceptionnellement, la loi limpose, notamment pour des raisons de
scurit. Par exemple, elle impose la dmolition des btiments menaant
ruine, c'est--dire les btiments qui menacent de seffondrer et donc decauser des dommages (L. 21 juin 1898). Elle impose parfois celle des
animaux dangereux (art. L. 211-11 c. rur.). Certaines limites sont moins
catgoriques. Par exemple, la loi impose parfois au propritaire dun bien
de le cder une personne publique. La Dclaration des droits de
lhomme et du citoyen le prvoit, de mme que larticle 545 du Code civil :
nul ne peut tre contraint de cder sa proprit, si ce nest pour cause
dutilit publique, et moyennant une juste et pralable indemnit . Il
existe plusieurs cas o une personne peut tre contrainte dabandonner sa
proprit, mais qui relvent tous de la mme philosophie : cette privation
de proprit intervient pour des raisons dintrt gnral, dutilit
publique :
Lexpropriation dutilit publique. Lexpropriation pour cause dutilit
publique a pour effet de dpouiller le propritaire de son immeuble ou
dune partie de son immeuble, moyennant le versement dune indemnit.
Il nest en effet pas concevable quune personne puisse tre prive de sa
proprit par lAdministration, mme si une cause dutilit publique le
justifie, sans tre indemnis.
Rquisition. La rquisition est un procd permettant ladministration
dimposer aux particuliers de lui rendre certains services grce leurs
biens, dans un but dintrt gnral. Suivant les cas, elle permet soit un
usage temporaire du bien appartenant une personne (cela se traduit par
une location force), soit un usage dfinitif qui se concrtise donc par une
vente force. Les biens immeubles ne peuvent faire lobjet que dune
rquisition temporaire.
Nationalisation. Une nationalisation est une expropriation lgislative des
propritaires ou actionnaires dentreprises industrielles ou commerciales.Il sagit donc de dpouiller une personne de la proprit de son entreprise.
Lentreprise est alors transmise lEtat et devient une entreprise
nationalise . Ici aussi, la nationalisation ne peut intervenir quen
contrepartie dune indemnisation. Bien que les nationalisations portent
une atteinte particulirement flagrante au droit de proprit, elles ont t
admises par le Conseil constitutionnel. Pour cela, il a commenc par
rappeler les termes de larticle 17 de la Dclaration des droits de lhomme
et du citoyen : la proprit tant un droit inviolable et sacr, nul ne peut
en tre priv si ce nest lorsque la ncessit publique, lgalement
constate, lexige videmment et sous la condition dune juste et
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pralable indemnit . Il a ensuite nonc que les nationalisations taient
acceptables au motif quelles taient ncessaires pour donner aux
pouvoirs publics les moyens de faire face la crise conomique, de
promouvoir la croissance et de combattre le chmage et procdaient donc
de la ncessit publique au sens de larticle 17 de la Dclaration de 1789 (Cons. Const., 16 janvier 1982).
Confiscation. La confiscation est une sanction pnale qui permet de
transfrer autoritairement des biens lEtat. Elle simpose par exemple
pour retirer de la circulation les objets dangereux.
Section 2 Les caractres du droit de proprit
On reconnat classiquement trois caractres au droit de proprit : il est
absolu, exclusif et perptuel. Le projet de rforme propose de les noncer
expressment dans le Code civil, en retouchant la dfinition du droit deproprit : La proprit est le droit exclusifetperptuel duser, de jouir
et de disposer des choses et des droits. Elle confre son titulaire un
pouvoir absolu sous rserve des lois qui la rglementent (art. 534).
1 Caractre absolu du droit de proprit
Larticle 544 du Code civil le proclame : la proprit est le droit de jouir
et de disposer des choses de la manire la plus absolue . Il sagissait
alors de bien montrer la force du droit de proprit. Mais cette affirmation
est en ralit surtout symbolique. En effet, absolu ne signifie pas illimit.On la vu, des limites peuvent tre apportes au droit de proprit,
notamment au droit de disposer de son bien, tout particulirement pour
cause dutilit publique. De plus, larticle 544 le reconnat lui-mme,
immdiatement aprs avoir affirm le caractre absolu du droit de
proprit : la proprit est le droit de jouir et de disposer des choses de
la manire la plus absolue, pourvu quon nen fasse pas un usage prohib
par les lois ou par les rglements . Larticle 544 envisage le respect des
rgles lgales et rglementaires, mais il faut savoir que la jurisprudence
elle-mme a dvelopp deux limites importantes au droit de proprit :elle sanctionne lusage abusif de ce droit, afin de protger les tiers ; elle a
galement dvelopp la thorie des troubles anormaux de voisinage.
Labus du droit de proprit. Comme la plupart des droits, le droit de
proprit est susceptible dabus, et cet abus doit tre sanctionn. Certes,
cela semble contradictoire avec laffirmation du caractre absolu du droit
de proprit. Mais, on la vu, larticle 544 ne ladmet que sous rserve de
ne pas faire un usage prohib du droit de proprit. Or, selon la
jurisprudence, lusage abusif est un usage prohib. Labus de droit limite
donc lexercice du droit de proprit. Par exemple, la jurisprudence a pu
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admettre que le fait ddifier une construction sur son terrain dans le seul
et unique but de gner son voisin est un usage abusif du droit de
proprit. Il y a donc abus lorsque le droit de proprit est utilis dans le
but de nuire autrui. Quant la sanction, lusage abusif du droit de
proprit engage la responsabilit civile du propritaire. Labus constitueune faute, qui oblige rparer le dommage subi par la victime, sur le
fondement de larticle 1382 du Code civil. Le plus souvent, cela se soldera
par le versement de dommages et intrts. Plus exceptionnellement, une
rparation en nature peut tre ordonne (par ex., destruction de la
construction).
Le projet de rforme propose de consacrer cette construction
jurisprudentielle dans le Code. Il propose un article 535 selon lequel nul
ne peut exercer son droit de proprit dans lintention de nuire autrui .
Les troubles anormaux de voisinage. La thorie de labus de droit
sest prolonge par la conscration en jurisprudence de la thorie des
troubles anormaux de voisinage. En effet, il arrive assez frquemment que
lexercice du droit de proprit provoque une gne plus ou moins grande
pour les voisins (bruit, odeurs, fume, manque de luminosit). Bien sr,
la vie sociale implique une gne normale. Il ne sagit donc pas de
sanctionner tous les comportements qui peuvent peu ou prou dranger les
voisins. Chacun doit supporter les inconvnients normaux du voisinage.
Mais, selon la jurisprudence, lorsque cette gne devient anormale,
excessive, une sanction peut intervenir. A lorigine, cette sanction est
intervenue sur le fondement de la thorie de labus de droit. Aujourdhui
elle sen est dtache : les troubles anormaux de voisinage sont
sanctionns de manire autonome. On peut remarquer que le projet de
rforme du droit des biens envisage de consacrer cette autonomie, en
intgrant au Code civil un texte propre aux troubles anormaux de
voisinage : il propose un article 629 selon lequel nul ne doit causer
autrui un trouble excdant les inconvnients normaux du voisinage . La
construction jurisprudentielle serait ainsi consacre. En effet, ce texte
reprend, avec une formule simplement retouche, celle pose par lajurisprudence titre de principe gnral : nul ne doit causer autrui un
trouble anormal de voisinage (Cass. 3e civ., 19 novembre 1986, Bull. civ.
III, n 172). Reste prciser les conditions et les effets de cette
responsabilit du propritaire.
Sagissant des conditions de la responsabilit, celle-ci prsente une
originalit par rapport au droit commun : il sagit dune responsabilit sans
faute. La responsabilit du propritaire peut tre engage mme sil na
commis aucune faute, mme sil ne fait quexercer ses prrogatives
lgales. En cela, les troubles anormaux de voisinage se distinguent
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dsormais clairement de labus de droit, qui implique une faute. La seule
condition est celle dun dommage, qui tient au trouble anormal. Le trouble
anormal est celui qui est important ou rptitif, et qui dpasse un certain
seuil de tolrance : cest le dsagrment qui excde ce que la vie en
socit impose. Ce caractre anormal sapprcie au regard de plusieurscritres : temps (jour/nuit, dimanche ou semaine), lieu (environnement
urbain ou rural). On peut aussi prendre en compte la situation
personnelle du voisin.
Pour chapper une condamnation, lauteur des nuisances peut invoquer
des faits justificatifs. Le fait justificatif ne peut pas tre labsence de faute,
puisque celle-ci nest pas une condition de la responsabilit pour trouble
anormal de voisinage. Quels sont donc les faits justificatifs ? Tout dabord,
lantriorit du trouble constitue parfois un fait justificatif : il sagit du fait
que le trouble existait avant linstallation du voisin. Cette solution estretenue lorsque le trouble mane dune installation agricole ou
industrielle. Dans ce cas, on considre quen sinstallant, le voisin
connaissait lexistence de la nuisance, et quil la donc accepte en
connaissance de cause. Il ne peut donc pas venir sen plaindre par la suite,
sauf ce que les nuisances augmentent par rapport ce quelles taient
auparavant. La jurisprudence admet galement comme fait justificatif la
faute de la victime. Comme en droit commun de la responsabilit, la faute
de la victime est une cause dexonration de responsabilit. De mme, la
force majeure peut tre invoque.
A dfaut de fait justificatif, lauteur du trouble doit rparer le prjudice
subi par la victime. Elle se fait en gnral par le versement de dommages
et intrts. Le juge peut aussi ordonner la cessation ou la diminution du
trouble : par exemple, il peut ordonner que soient effectus des travaux
afin de diminuer les nuisances (sonores, odorantes). En revanche, le
juge ne peut pas interdire une activit, mme prjudiciable pour les
voisins, si elle a t autorise par ladministration. Ce serait en effet une
violation de la sparation des pouvoirs. Dans ce cas, il pourrait tout au
plus ordonner des travaux damlioration.
2 Caractre exclusif de la proprit
Ce caractre est proche du caractre absolu mais sen distingue. Le
caractre exclusif est ce qui exclue le partage. Cela signifie quen principe
le propritaire est seul exercer un droit complet sur son bien. Par
consquent, il peut sopposer ce que les tiers exercent des prrogatives
sur son bien (pntration sur sa proprit par exemple).
Le caractre exclusif de la proprit souffre cependant dexceptions. Ilexiste en effet des mcanismes trs courants permettant de mettre en
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place des proprits collectives. Il en est ainsi, par exemple, de
lindivision : il y a indivision lorsque plusieurs personnes sont titulaires de
droits identiques et concurrents sur un mme bien. Il sagit donc de la
situation juridique dans laquelle plusieurs personnes sont propritaires
dun mme bien au mme titre. Concrtement, chaque membre delindivision est titulaire dune quote-part du bien (1/2, ). Cela rsulte le
plus souvent dune succession : par exemple, une personne dcde en
laissant trois enfants, qui vont recueillir sa maison. Cela va crer une
indivision dans laquelle chacun des enfants possde 1/3 de la pleine
proprit de la maison. Dans ce cas, on le voit, la proprit est partage ;
cest une proprit collective. Il en rsulte toute une srie de rgles pour
rgir la gestion de lindivision.
3 Caractre perptuel de la proprit
La proprit est perptuelle. Il sagit du seul droit rel (ie portant sur une
chose) bnficiant de ce caractre. Les autres ont tous une limite de
temps : ils sont soit viagers, c'est--dire quils steignent avec la mort
(usufruit, droit dusage et dhabitation), soit temporaires (bail
emphytotique). Le caractre perptuel du droit de proprit produit
deux consquences : ce droit ne steint pas par le non-usage ; il dure
aussi longtemps que la chose.
Le droit de proprit ne steint pas par le non usage. En dautres
termes, le droit de proprit est imprescriptible. Cette rgle a t affirmepar la Cour de cassation ds 1905 (req., 12 juillet 1905). Une absence
dusage, quelle quen soit la dure, nempche pas le propritaire de faire
respecter ses droits. Par exemple, un propritaire ne perd pas ses droits
sur un chemin quil na pas utilis ni entretenu depuis plus de trente ans.
Cela a galement permis aux successeurs dun collectionneur de tableaux
de revendiquer la proprit de toiles qui avaient disparu durant la 2e
guerre mondiale. En effet, aucun dlai de prescription ne peut tre oppos
au propritaire7. De plus, une solution contraire obligerait le propritaire
user de son droit dusage, alors quil bnficie rciproquement du droit dene pas sen servir. Le projet prvoit de consacrer ce principe
expressment dans le Code civil : la proprit ne se perd pas par le non
usage. Laction en revendication est perptuelle (art. 537).
Le droit de proprit dure aussi longtemps que la chose8. Puisque
le droit de proprit ne steint pas par le non-usage, la seule limite
7 malgr la gnralit des termes de larticle 2262 du Code civil (ancien), qui dcideque toutes les actions tant mobilires quimmobilires sont prescriptibles par trente ans,
ce texte ne sapplique pas laction en revendication intente par le propritaire , Cass.2e civ., 14 novembre 1979.
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temporelle du droit de proprit est la dure de vie de la chose elle-
mme : tant que celle-ci subsiste, le droit de proprit demeure (sauf ce
que le propritaire dcide de sen sparer avant, par exemple en la
vendant ; en revanche la proprit ne steint pas avec la mort, ce droit
tant transmissible aux hritiers) ; lorsquelle disparat, le droit deproprit disparat avec elle.
8 Il existe nanmoins une exception pour les droits de proprit industrielle (brevet,marques) qui nont quune dure limite. Mais lide mme de proprit est ici
discutable. Il sagit de monopoles dexploitation octroys pour une dure dtermine parla loi.
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