Coup d’œil Images en Dermatologie • Vol. III • n° 2 • avril-mai-juin 2010 54 Cas clinique Dermatose flagellée Flagellate dermatitis C. Girard (Service de dermatologie, hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier) U ne femme âgée de 32 ans consulte pour une dermatose extrêmement prurigineuse évoluant depuis quatre jours. Observation L’examen clinique met en évidence une éruption constituée de papules érythé- mateuses groupées de façon linéaire, à disposition flagellée prédominant sur les membres et le tronc (figures 1, 2 et 3). Aucune lésion muqueuse et aucun dermo- graphisme ne sont notés. La patiente n’a pris aucun nouveau traitement et n’a aucun antécédent particulier. L’interrogatoire révèle qu’elle apprécie les cuisines orientale et asiatique et qu’elle a consommé un repas japonais un jour avant la survenue de l’exanthème. Le bilan biologique standard incluant l’hémogramme et la vitesse de sédimentation est normal. Une biopsie cutanée effectuée sur une papule met en évidence un infiltrat inflammatoire lympho-histiocytaire modéré périvasculaire du derme superficiel et moyen. Le diagnostic retenu est celui d’une dermatite flagellée au shiitaké. Un traitement par antihistaminiques et dermocorticoïdes est débuté, entraînant une régression complète de l’éruption en dix jours, sans séquelles pigmentaires. Discussion Les champignons shiitaké (Lentinula edodes) constituent la deuxième catégorie de champignons les plus cultivés et consommés dans le monde après les champignons de Paris (Agaricus bisporus). La dermatite au shiitaké a été décrite pour la première fois au Japon (1) et appelée toxicoderma. Elle est généralement rapportée dans la littérature par les auteurs japonais (2) et est moins connue dans le monde occidental (3). Elle survient typiquement 1 à 2 jours après une consommation de champignons shiitaké crus ou mal cuits. Les manifestations cutanées caractéristiques comportent de petites papules rouges linéaires disposées sur le tronc et les extrémités, parfois sur le visage, et de disposition flagellée. Le prurit est typiquement rapporté mais il n’y a pas d’atteinte muqueuse. Une réaction de photosensibilité est observée chez 47 % des patients (4). Le diagnostic se fonde sur l’histoire alimentaire et l’éruption typique. Les biopsies cutanées sont non spécifiques et montrent une spongiose, une élonga- tion des crêtes épidermiques et un infiltrat périvasculaire de lymphocytes, neutro- philes et éosinophiles (2). La réintroduction orale éventuelle confirme le diagnostic. Les patchs et prick tests cutanés sont inutiles, l’éruption n’étant pas de nature aller- gique. Le mécanisme physiopathologique incriminé est celui d’une réaction toxique au lentinane, un polysaccharide thermolabile du champignon connu pour ses propriétés antitumorales (5) et utilisé comme traitement adjuvant dans les cancers colorectal et gastrique au Japon. L’utilisation du lentinane comme antitumoral est responsable de manifestations cutanées proches de la dermatite au shiitaké, en faveur de son rôle pathogénique (6). Une dermatose à disposition flagellée est également observée au cours de la dermatomyosite et des traitements par bléomycine, chez environ 20 % des patients recevant cette substance (7). Dans ce dernier cas, le mécanisme patho- génique en cause est mal connu mais semble lié à son composé sulfuré. L’éruption cutanée caractéristique survient quelques heures à 9 semaines après son adminis- tration et se caractérise par des groupes de lésions vésiculeuses ou urticariennes disposées de manière linéaire, ayant un aspect flagellé. Cependant, contrairement à la dermatite au shiitaké, l’association à une stomatite et à une hyperpigmentation cutanée séquellaire sont fréquentes (8). Les champignons shiitaké sont désormais Dermatose flagellée Flagellate dermatitis Légendes Figures 1 et 2. Groupes linéaires de papules érythémateuses à disposition flagellée du haut du tronc. Figure 3. Aspect linéaire et flagellé des lésions des flans.