-
,. CUESPIN.. |iir L DaNON-BoIIJAU (puis).lM]ii. pur I. I ARRAK
IT (puis). II. K H KM IN #| . 1)1 -CHARIJKR (puis),
par C. DSIRT T. IIord (|Miis). in*, i Kir J . II. M a r c e lle
(puis).NIL*). (puis).ui*, par (II. Normand (puis).C (r|aits).J.-J.
TllO.MAS (|HIs).*rn. |uu* G. ClIAKVEU (puis), ihcdre, p ar I. B o l
RCIER (puis).
(rali*. |ar J.-M . MaRANIIIN (|Hii?*).I II. (|Miis)
nii'iir lra n g rrr , par (I. PERDKE r l K. loiiyi 1ER (puise),
laiiol|ii* il C. S. P eiree , par F. PERALDI (puis).1111 r .lain*.
|Mir F. FUiNOlS (puis), r. par A. Roi VERET (puis).< :KU.KSI
(puis)., ON Kl INK (puis).nlifum , par M. (ROSS (puis).Dnflnt rl
analvsr liitpiUlMpir. par K. MARTIN ri F. NEF (piiw !. uilr Moyen
Age, |ar M. BARATIN el F. DESBORDES (puis)
;).bCANATI.I VK / K (puis).iisti|ue. |>ar A. (RSILLON el J
.-L . I.EBRWE (|Niis). i*|MIs).. |Ur S. llONNAFOKS (rpuix*).Mir M.
PaRAIMS r l Y. LEBRUN (rpuM).H-BoiLEAl (|Miis)... (.1 KM1 N
(puis).ERIELLE rl J .-l . I RBAIN (|uis).. hRKMIN (pufe).Cl.
Normand (puis).
Ioiino (pufe).i< iiK r i C. RmiiKK (puis).. Anscomiikk
(puis), il, par IL Mvi.DIDIKIt (|Uli*).
l.ll'NAY, M. MOIJIO (puis).(puis).Ir> immigrs. |Nir CI. PERD!
E |i; |K1N ; ).
(l'|Hli"4|.pur F. K vshkk.
|Nw).par k . IUn.\cki.
.
I adray H. C ardin.r . |wir I.. DaNON-Bo ILEAI (puis).JKI
(puis).t|ir en ;*|*. jku* O . Iih ik n . G.- - > l i n u n >
H A. H. I>:i m its. ion. par P. CaDIOT r l A. Zr
iRI-IIkRTZ.I.-Fr. Morti rei \.tions. par A. IAK\DIKR.e iG .
Deniiire.
ni fro , i tar J .-C l. A.NSCOMBRE.HJET r l J . . lisrursivr,
uir M.-A. MOREL.. |{k: m :i :o .
A N N E E R E V U E T R I M E S T R I E L L E
S E P T E M B R E 9 5 119
Lanalyse du discours philosophique
Frdric Cossutta
M. Ali Bouacha, J.-F. Bordron, K. Ehlich, D. Maingueneau, G.
Philippe
-
CONSEIL DE DIRECTION
J. D U BO IS - B . PO TTIER B . QUEMADA - N. RUW ET
RESPONSABLE DITORIALE :DANIELLE LEEMAN
CHARGE DE FABRICATION :MARTINE TOUDERT
La composition de ce numro a t confie Frdric Cossutta
Sommaire
F. C o s s u t t a , Prsentation
.......................................................................................................
5F. C o s s u t t a , Pour une analyse du discours
philosophique............................................ 12D. .M a
i n g u e n e a u , Lnonciation philosophique comme institution
discursive . . . 40J.-F" B o r d r o n , Signification et subjectiv
it........................................................................
63M. A l i B o u a c h a , De l ego la classe de locuteurs :
lecture linguistique des
. Mditations
............................................................................................................................
79G. P h i l i p p e , Embrayage nonciatif et thorie de la
conscience : propos de V Etre
e.p le Nant
...............................................................................................................................
95K. Ehlich, Manire de penser, manire dcrire : la procdure phorique
dans le
texte hglien
'.........................................................................................................................
109
Abstracts
......................................................................................................................
123
Un an, quatre numros :France
.............................................................................Etranger
...........................................................................Le
numro
......................................................................
Rglement par chque bancaire l ordre de : Centrale des Revues
11, rue Gossin 92543 Montrouge Cedex
Larousse17, rue du M ontparnasse, 7529N Paris Cedex 06
-
S E P T E M B R E 9 5 119
Lanalyse du discours philosophique,
par (% >s\ . / SH V '/M\ /// vVi
Frdric COSSUTTWNV
et
M. Ali Bouacha, J-F. Bordron, K. Ehlich, D. Maingueneau, G.
Philippe
W -
LAROUSSE
-
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et
3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions
strictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une
utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute
reprsentation ou reproduction intgrale, ou partielle, faite sans le
consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause,
est illicite (alina 1er de l'Article 40). Cette reprsentation ou
reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une
contrefaon sanctionne par les Articles 425 et suivants du Code Pnal
.
Commission paritaire n 56492
Larousse, Paris. Printed in France
-
F. C o ssu t t aCollge International de Philosophie
P R S E N T A T IO N
Le numro 21 de la revue Langages de mars 1971 intitulait La
philosophie du langage. Mais si on en examine le sommaire, on
dcouvre que certaines contributions portaient sur le langage des
philosophes et sattachaient en mettre en vidence certaines
proprits. Cela montre qu une poque o commenait se rpandre
lapplication des diverses disciplines linguistiques une multitude
de types de discours, littraire, politique, mdiatique, religieux,
la philosophie aurait pu devenir elle aussi un objet
dinvestigation. Pourtant, except quelques tentatives isoles, on
constate quaucun programme de recherche ne sest vraiment dvelopp
comme analyse du discours philosophique. Cette trange impasse est
moins due aux hasards de lhistoire qu des raisons de fond. Elles
tiennent en effet autant aux proprits spcifiques de la philosophie
considre comme discours, qu la nature des outils linguistiques ou
textuels qui taient offerts lpoque. Dun ct en effet la philosophie,
mme si sa position hgmonique tait battue en brche par la monte en
puissance des sciences humaines, rpugnait se laisser constituer
comme objet dune investigation extrieure, et aprs le moment 'de
fascination structuraliste pour Saussure, Jakobson et les
formalistes russes, elle intervenait de nouveau sur le terrain du
langage. De lautre, les sciences du langage et du discours se
dveloppaient en ordre dispers dans un foisonnement de courants et
dcoles, avec pour consquence un abaissement progressif de la
frontire entre linguistique et philosophie, ce qui a entran un
redcoupage des territoires disciplinaires. Les linguistes du speech
act par exemple ont dvelopp les intuitions initiales dAustin, qui
tait un tenant du courant analytique anglo-saxon, les dveloppements
logiques vers des smantiques formelles ou des logiques non
extensionnelles ont influenc nombre de thories linguistiques du
sens et de la rfrence, linspiration aristotlicienne du courant
no-rhtoricien nest plus dmontrer, on connat les rapports privilgis
qui lient les conceptions de Hjelmslev ou de la smiotique la
phnomnologie husserlienne, ou la pragmatique celle de Peirce.
Enfin, nombre de philosophies contemporaines, celles de Habermas,
Apel, Ricur, Jacques, Meyer, placent la dimension langagire au cur
de leur dispositif thorique, et intgrent tel ou tel secteur de la
linguistique, quils contribuent en retour influencer. L histoire
raisonne de ces bouleversements reste faire, nous nous contentons
ici de constater quelle met en vidence une proximit mais aussi des
ambiguts entre les disciplines du langage et la philosophie, qui
ont fait paradoxalement obstacle un tel projet.
Le moment nous semble pourtant venu dexaminer quelles conditions
une Analyse du discours philosophique est possible, et de montrer
par la diversit des textes ici runis, quelques-unes des directions
dans lesquelles elle peut se dvelopper.
Deux facteurs nous y encouragent. Tout dabord une transformation
progressive du panorama que nous dressions grands traits, a vu se
modifier le centre de gravit des disciplines du langage. La
linguistique, en prenant en considration les propri-
-
ts nonciatives et pragmatiques, sest dplace vers ltude de la
langue en contexte, conue comme activit en situation
communicationnelle. Les dimensions proprement argumentatives ou
dialogiques du sens ont t mises en vidence, et lexamen doprations
qui, dans la philosophie, jouent prcisment un rle important est
venu au centre des proccupations. Les thories du discours de leur
ct (voir le numro rcent de cette revue consacr par D. Maingueneau
aux Analyses du discours en France) ont cess de sinscrire dans un
espace thorique et idologique assez restreint qui privilgiait ltude
du discours politique, et sattachait surtout penser, ft-ce dune
faon moins mcanique que le marxisme des annes 60, larticulation
entre les formations discursives et les formations sociales. La
multiplication des centres de recherche, la diversification des
types de discours tudis lenrichissement des mthodes en
linguistique, le dplacement des enjeux en analyse du discours, sont
autant de signes encourageants.
La seconde circonstance, quon ne saurait certes mettre sur le
mme plan que la prcdente, tient la mise en uvre dun projet de
recherche que nous pouvons conduire dans le cadre dune Direction de
Programme au sein du Collge International de Philosophie. Nous
avons voulu rassembler des linguistes, des philosophes, qui, sans
ncessairement faire de cette question leur objet principal, sans
ncessairement partager les mmes choix thoriques, saccordent
pourtant tous sur la ncessit dapprhender la philosophie comme
activit discursive. Un sminaire de recherche 2, des journes de
travail 3, des publications 4 commencent donner ce projet quelque
consistance 5. Il sagit moins de crer une unit thorique illusoire
et vaine que de donner des chercheurs isols les conditions dune
rflexion en commun.
Ce volume ne cherche pas illustrer directement les travaux de ce
groupe, mme si tous les auteurs runie ici, part K. Ehlich, en font
partie, puisque nous avons privilgi le point de vue des linguistes
ou analystes du discours, afin de proposer quelques repres et
quelques exemples de la fcondit de leur perspective.
Si tous les auteurs saccordent pour tudier la dimension
spcifiquement discursive du philosophique, cela ne prjuge pas
ncessairement de la mthode quil convient demployer pour en rendre
compte, ni de la nature des rapports existant entre ces mthodes et
leur objet. On peut ici, sans vouloir accentuer les diffrences
lexcs, distinguer deux types de positions.
1. Le CED ISCO R, anim par S. Moirand Paris I I I , dveloppe une
activit de recherche intense portant sur les discours de
vulgarisation ou de spcialit, dun grand intrt pour la perspective
que nous dveloppons ici. Cf. Beacco-Moirand. Autour des discours de
transmission des connaissances , dans Langages, n 117.
2. Ce groupe a dj trait de la question de l argumentation
philosophique, du style des philosophes, de la cohrence textuelle.
A chaque fois une tude dtaille de textes, p ar exemple de Descartes
ou de Bergson, a permis de comparer concrtement la diversit des
mthodes et dapprofondir l intelligibilit des textes (correspondance
: Collge International de Philosophie, 1 rue Descartes, 75005
Paris).
3. Dans le cadre dune srie de journes publiques intitules
L'criture des philosophes, deux journes consacres en fvrier 1995 au
Discours philosophique, ont permis de confronter les points de vue
des logiciens, des linguistes, des historiens de la philosophie et
des philosophes sur cette question.
4 . Un volume consacr l tude du statut de l argumentation en
philosophie travers lexemple privilgi de la philosophie cartsienne,
sans constituer la transcription dun travail collectif, traduit la
fois une communaut dinspiration et la diversit des options qui sy
manifestent. Voir Cossutta (d.). Structures de Vargumentation
philosophique. P aris, P uf, 1996.
5. Nous tenons galement ne pas nous couper des centres de
recherche qui dveloppent des problmatiques d analyse du discours,
ou qui approchent la philosophie sous des angles comparables, le
CEDISCO R a Paris I I I , le Centre Europen pour lEtude de l
Argumentation a Bruxelles, le Groupe de Recherche ur la Philosophie
et le Langage de Grenoble.
6
-
Pour certains auteurs il est ncessaire, si lon veut rendre
compte du discours philosophique, de disposer dune thorie gnrale de
la signification et du discours. Ainsi D. Maingueneau a labor une
conception gnrale de la discursivit, puis, layant par ailleurs
applique au discours littraire 6, en transpose ici de faon trs
globale (mais systmatique) les catgories, en les mettant lpreuve du
discours philosophique. L article, porte thorique 7, montre que
nonobstant son statut de discours constituant, la philosophie nen
dpend pas moins, comme tout discours, dune institution discursive
qui suppose quon la rapporte ses conditions dnonciation. La
catgorie centrale de scnographie permet dviter de penser le
contexte de luvre de faon purement mcanique, puisquelle donne au
faisceau des repres nonciatifs un rle qui, loin de simplement
traduire une inscription dans un champ social, montre que le
discours procde rtroactivement la lgitimation de son procs
dinstauration et valide ou dplace en retour les conditions de son
institution discursive. Ainsi le sens dune philosophie ne saurait
tre dissoci de ltude de ses conditions dnonciation.
J . F. Bordron apprhende la question de la constitution du sens
des noncs philosophiques dune tout autre faon, en essayant plutt,
partir dune thorie gnrale du sens, de penser la nature des
contraintes smiotiques qui en assujettissent la possibiht. Dans un
ouvrage entirement consacr Descartes, il avait dtermin quelles
taient les contraintes smiotiques de la pense discursive, en
testant les relations possibles entre les oprations philosophiques
et le discours smiotique 8. Cela lavait conduit privilgier ltude
des structures smio- narratives et montrer quil ny a aucun
tonnement constater quune philosophie puisse sorganiser en rcit.
Mais ce qui parat vident pour les Mditations Mtaphysiques ne lest
pas moins pour la philosophie en gnral, et, en saidant du
schmatisme kantien et de la conception husserlienne du sens, il met
en vidence linterdpendance troite entre les schmes spculatifs et
les schmes narratifs qui sont sous-jacents toute philosophie 9. Il
montre enfin ici, aprs avoir exphcit la question de la
signification par une thorie des dpendances, comment la scne
spculative du cartsianisme permet la construction du point de vue
subjectif.
L auteur de cette prsentation voudrait pour sa part essayer de
tenir ensemble les deux dimensions qui sont ainsi prises en compte.
En effet loption de J . F. Bordron conduit, si on la poursuit,
envisager les conditions dune dduction transcen- dantale des
catgories expressives du discours philosophique. Les recherches de
D. Maingueneau, sans jamais verser dans lempirisme ou le
sociologisme, rapporteraient plutt les modes de constitution du
discours philosophique une transaction entre des constructions
doctrinales et leurs conditions sociales dinstitution, puisquaussi
bien une uvre constituante joue-t-elle son rle non seulement par
les contenus quelle vhicule mais aussi par les modes dnonciation
quelle autorise . Mais comment penser de faon homogne une double
articulation qui, dans les deux options prcdentes, est certes
indique, mais au profit de lun des deux termes :
6. Maingueneau. Le contexte de Vuvre littraire. P aris, Dunod,
1993.7. On trouvera l tude de fonctions ou de cas particuliers dans
Maingueneau-Cossutta, L analyse des
discours constituants , Langages n 117 et Ethos et argumentation
philosophique. Le cas du discours de la mthode , in Cossutta d. op.
cit., 1996.
8. Descartes. Recherches sur les contraintes smiotiques de la
pense discursive, p. 10, P aris, Puf, 1987.
9. Schmatisme et signification , Smiotique, ontologie et
icnicit. Potica et analytica. Aarhus universitet, 1991.
7
-
entre le discouru et son contexte, entre le discoure de luvre et
luvre comme doctrine. Nous montrerons que c est ltude du dispositif
scnographique mis en place autour des repres nonciatifs qui, nos
yeux, permet de penser simultanment ces dimensions constituantes.
Elle permet en effet de rapporter les schmes spculatifs et les
schmes expressifs par la mdiation de contraintes nonciatives qui,
corrlativement, jouent le rle de mdiation pour rapporter les
conditions de linstitution discursive du philosophique ses
conditions dinstauration doctrinale ,0. Il faudrait donc, et nous
nous loignons alors de loption smiotique, dvelopper une analyse du
discours philosophique capable de lier une analyse linguistique des
oprations et une tude globale des contraintes discursives.
Une analyse du discours philosophique doit autant dvelopper une
thorie gnrale du sens ou du discours, et donc aborder ltude des
grandes oprations qui contraignent la constitution discursive du
philosophique, que lanalyse microcontextuelle ou dtaille des
oprations de langue qui concourent llaboration du sens.
Cest cela que sattachent les trois autres contributions, qui
senracinent moins directement dans la volont de construire une
thorie autonome du discours philosophique que dans le souci, partir
dune linguistique gnrale, de se donner les moyens daborder les
oprations discursives par ltude de leurs marqueurs linguistiques.
Cette deuxime voie ne soppose pas la prcdente, l enjeu dune
rflexion thorique sur l analyse du discours tant plutt de les
concilier.
Ainsi A. Ali Bouacha se rfre explicitement une linguistique des
oprations telle quelle a t dveloppe par A. Culioli 11, et montre
quil faut tenir compte de deux proprits fondamentales pour
dvelopper une telle approche : Il faut dabord distinguer entre le
discours, objet thorique conu comme lieu organis dun systme de
signes mettant en jeu des individus et des univers en reprsentation
et lunivers objet empirique renvoyant du texte. Dun ct on met en
relation du texte dans son apprhension immdiate avec une activit
discursive laquelle il renvoie ou plus prcisment laquelle on le
fait renvoyer, et de lautre, on considre ce texte comme un ensemble
de donnes linguistiques brutes quil faut ensuite traiter en donnes
discursives. Celles-ci sont ncessairement filtres par des proprits
linguistiques partir desquelles il est possible de dcrire des
proprits discursives l2. A. Ali Bouacha, partir de lanalyse de
discours didactiques ou de vulgarisation 13, a ainsi largi la
catgorie linguistique de gnricit vers une laboration de la catgorie
discursive de gnralisation. Son texte montre comment sont lies les
oprations nonciatives et les oprations discursives, grce ltude du
statut de la premire personne dans les Mditations mtaphysiques.
L tude de Gilles Philippe vient renforcer lintrt de cette
investigation, dans la mesure o, partir dun horizon thorique trs
proche, il tudie aussi le statut gnrique de la premire personne,
mais cette fois dans lEtre et le nant. Il sagit de
10. Pour une application des uvres philosophiques de Platon ou
Descartes, Dimension dialogique du discours philosophique : les
dialogues de Platon . Colloque le Dialogique, organis par l
universit du Maine, sept. 1994, actes a paratre (Berne, Peter
Lang). Argumentation, ordre des raisons, et mode d exposition dans
l uvre cartsienne , dans Cossutta d. op. cit., 1996.
11. Pour une linguistique de Vnonciation. Oprations e t
reprsentation I. Paris, Ophrys, 1990.12. Enonciation, argumentation
et discours , p. 47 , dans Configurations discursives, Annales
littraire de l Universit de Besanon, Paris, Diffusion les Belles
Lettres, 1993.13. Le discours universitaire, la rhtorique et ses
pouvoirs, Peter Lang, Berne, 1984.
8
-
reprer et comprendre des alternances trs rapides dans le systme
dembrayage nonciatif qui ne recoupent pas les htrognits
squentielles entre passages argumentatife et passages narratifs ;
le texte, oprant un constant va-et-vient entre deux scnes
nonciatives, brouille constamment les pistes. Il faut, pour
clarifier cette question, procder une tude du fonctionnement
linguistique de la premire personne. Or on dcouvre un emploi qui
subvertit lopposition classique entre embray / non embray : cette
forme idale de discours totalement dsembray... que Benveniste
cherchait dfinir, c est dans le discours philosophique quil fallait
la rechercher . Ce qui invite le linguiste, en considrant la
spcificit de la pratique philosophique du discours , largir, voire
reconsidrer ses catgories . Il convient en effet ici de rapporter
les modalits langagires au contenu spculatif du discours sartrien.
Or on se rend compte que la langue vhicule une ontologie
substantiellste dont la phnomnologie sartrienne veut se dmarquer,
et pour ce faire, lemploi dun Je non spcifi lui permet de djouer
les clivages traditionnels que la conscience entretient avec
elle-mme comme conscience-de-soi.
L article de K. Ehlich partage avec les prcdents le souci dune
analyse microscopique des phnomnes de langue qui interviennent dans
la structuration du procs discursif. Mais on pourrait aussi le
rapprocher de la perspective de D. Maingueneau, dans la mesure o,
prenant en considration les difficults de lecture auxquelles sont
confronts les lecteurs de Hegel, quils soient de langue allemande
ou pas, il sinscrit dans une perspective pragmatique, rejoignant
indirectement les questions de lthos, de lincorporation et de
loralit. Il lui faut en effet penser les ajustements toujours
difficiles auxquels le philosophe doit consentir, pris entre
lexigence dautarcie expressive des structures conceptuelles et les
exigences com- municationnelles qui dcoulent de la ncessit dtre lu
et compris. Le reproche dobscurit fait Hegel, selon lauteur, est en
grande partie un faux procs, car il existe au sein du texte des
mcanismes et des structures langagires qui, sans dispenser de tout
effort intellectuel, permettent de pallier cette difficult.
Refusant une dfinition corfrentielle des pronoms personnels de la
troisime personne, lauteur en donne une interprtation anaphorique
ou plus globalement phorique , en montrant quils contribuent non
seulement la structuration interne du procs de pense, mais quils
facilitent chez le lecteur le maintien dune orientation
focalisante, condition de la rception et de la comprhension du
discours. Mais prise entre le souci dconomie et le risque dun excs
phorique, la discursivit hglienne pour rsoudre ses paradoxes
micro-langagiere apphque des schmes dorahsation, les principes dune
scansion quasi prosodique, son nonciation textuelle.
Nous avons prsent ces contributions en fonction dune diffrence
dapprciation concernant le rle respectif du linguistique et du
discursif. Nous pourrions galement rapprocher celles qui insistent
plus sur la dimension pragmatique (Cossutta, Maingueneau, Ehlich)
ou examiner le rapport quelles entretiennent avec leur objet.
Sans quil y ait eu de concertation sur ce point, trois
contributions portent en effet sur le statut de la premire personne
dans le cadre de philosophies de la conscience (Ah Bouacha,
Bordron, Philippe). Il ne faut pas stonner de cette relation qui
vrifie un lien entre des types dapproches et des types doprations
philosophiques. G. Philippe observe ainsi au dbut de son article
quil existe, dans le champ des sciences humaines, un rapport trs
troit entre les thories linguistiques de lembrayage nonciatif et
les thories philosophiques et psychologiques de la
9
-
conscience et du sujet . Nous mettrons pour notre part en
vidence le risque de voir se dvelopper ainsi une circularit non
matrise du rapport entre philosophie et linguistique qui annulerait
l ide mme dune analyse du discours philosophique. J . F. Bordron
vite ce risque en dduisant la forme gnrale du sujet empirique
partir dune schmatisation instruite par la thorie kantienne. Pour
leur part, les trois auteurs qui tudient au plus prs les oprations
linguistiques ne tombent ni dans le risque dune application de
catgories thoriques qui ne feraient que sauto-vrifier, ni dans la
tentation de donner une leon au philosophe en prtendant rsoudre
linguistiquement la question philosophique que celui-ci se pose. En
effet aussi bien A. Ali Bouacha que G. Philippe vitent une lecture
laveugle, et se posent la question de savoir comment le rgime
nonciatif du texte en premire personne est modifi par le statut
philosophique de la premire personne. Tous deux rencontrent en
effet des formes dusage qui ne sont ni de luniversel ni du
singulier, mais une faon indite de les associer virtuellement. De
son ct, K. Ehlich montre que le rgime anaphorique et les procdures
focalisantes mises en place par Hegel ne sont pas indpendants des
relations structurelles que sa philosophie entretient avec ses
propres modes dexpression, ce qui est dailleurs dvelopp
explicitement dans la prface la Phnomnologie de l esprit. Le
paradoxe du commencement du systme (il nest possible que sil est
achev...) se voit immdiatement redoubl en un paradoxe de la
lecture, dont ltude de K. Ehhch met en vidence la transposition
micro-contextuelle : il indique en effet quels procds Hegel met en
uvre pour assurer les possibilits de bouclages rtroactifs et
anticipateurs qui permettent dassurer la translation du sens
ncessaire lauto-dveloppement et lappropriation rceptive du concept
philosophique.
Les auteurs ont su viter un positivisme qui, confrant leur
discipline une position de surplomb excessif, lempcherait de
problmatiser son objet. Confronts des structures langagires
indites, ils doivent approfondir leurs modles et raffiner leurs
catgories. Ainsi, on peut considrer que lexpression philosophique,
comme le souligne A. Ah Bouacha propos du remodelage cartsien de
lemploi du pronom de la premire personne, peut modifier les usages
au-del de son propre champ. Pour mettre cela en vidence, comme le
souligne fortement G. Philippe la fin de son article, le linguiste
a d, sans abandonner son statut de spcialiste du langage, prendre
en considration certaines dimensions spcifiquement doctrinales
(philosophie de la conscience, phnomnologie, dialectique) qui
contraignent en retour les procds de langue qui sont pourtant la
condition de leur mergence dans lordre du discours. Ils rejoignent
ainsi les trois premires interventions pour lesquelles la
diffrenciation entre dimension spculative et dimension expressive
navait dautre statut que fonctionnel, la tche de lanalyse tant de
comprendre la nature de leur articulation, la porte de leur
autonomie respective, ou les mcanismes de leur rversibilit.
Ainsi les tudes que nous prsentons ici voudraient pouvoir
intresser aussi bien le spcialiste danalyse de discours, ou le
linguiste, que le philosophe, ou lhistorien des doctrines, puisque
les diffrentes communications sefforcent de ne sacrifier ni ltude
des dimensions langagires la prise en considration des contenus
philosophiques (dont elles ne seraient alors quun support
extrinsque), ni la dimension philosophique au profit de ltude
exclusive des oprations linguistiques (qui ds lors ne prendraient
le texte philosophique qu titre de prtexte). Dans la mesure o tous
ont considr que les dimensions nonciatives, pragmatiques ou
smiotiques taient
10
-
le lieu o se nouait la relation entre les dimensions doctrinales
spculatives, les dimensions expressives, et les dimensions
contextuelles, il devient possible denvisager une Analyse du
discours philosophique qui soit la fois une authentique Analyse du
discours, et un encouragement pour leffort de comprhension ou
dinterprtation des uvres philosophiques.
U
-
Frd ric COSSUTTA(College International de Philosophie
(Paris)
P O U R U N E A N A LYSE D U D IS C O U R S P H IL O S O P H IQ
U E
1. A quelles conditions une Analyse du discours philosophique
est- elle possible ?
1. Un trange objet qui semble rsister toute tentative
danalyse
On pourrait stonner de devoir donner une justification thorique
une question qui, si on sintressait au discours politique,
mdiatique, de vulgarisation ou littraire, ne se poserait pas avec
la mme acuit.
La situation de la philosophie semble en effet bien trange,
puisquelle suppose quon sinscrive dj dans son propre champ pour
pouvoir sen dmarquer et la prendre pour objet. En effet :1) il faut
la pratiquer pour y exercer une activit critique, puisque les
philosophes ne rpondent de leurs assertions quau regard dinstances
de validation qui sont elles-mmes philosophiques. Ainsi lactivit
philosophique comporte une dimension polmique et dialogique
intrinsque qui la met perptuellement en conflit avec elle-mme ou
avec les institutions discursives concurrentes. Si toutes les
doctrines prtendent unilatralement la vrit, leurs prtentions sont
limites par la juxtaposition dune diversit de systmes qui sont en
concurrence. Quon limite cette dispersion par un principe clectique
ou synthtique, quon la rduise dans une progression historique, ou
que lon se rfre la philosophie perennis ne change rien.2) La
critique de lextrieur nest pas possible si lon en croit largument
bien connu selon lequel le misologue ou le ngateur du principe de
contradiction sont dans une position intenable. Ainsi le dnigrement
de la philosophie, on le sait depuis les sophistes, les cyniques et
les sceptiques grecs, renvoie moins un ailleurs de la philosophie
qu un travail opr par la philosophie elle-mme sur ses marges et ses
frontires, comme si lide de son impossibilit perptuellement la
hantait, et tait depuis toujours inscrite dans ses conditions de
surgissement. Comme le phnix, la philosophie renat toujours de ses
cendres, et on peut souponner l quelque complaisance de sa part.
Nous savons en effet depuis le Socrate platonicien quelle a d
souvent mimer sa propre mort pour instaurer la possibilit de sa
rsurgence. Cest un de ses gestes caractristiques que de faire table
rase, de revenir lorigine pour retrouver un socle originaire, et c
est vrai aussi bien pour Nietzsche qui justifie lapocalypse en
attendant une nouvelle aurore, que pour Hegel qui au crpuscule
consume rtrospectivement lhistoire dans lembrasement final du
savoir absolu.3) Et de fait, comment pourrait-on lui poser
extrieurement la question de sa possibilit, puisque son projet
sinscrit dans la volont de rpondre dabord, et avant toute autre
proccupation cette question ? Une des tches prioritaires de toute
philosophie, ft-elle anti-systmatique ou anti-philosophique ,
consiste en effet expliciter son propre mode de constitution, c
est--dire ne sautoriser que delle -mme pour poser les conditions de
validit de ses propres noncs, comme les
12
- conditions de vuliilution
-
rcemment, dans un article o il se posait la question Y a-t-il
une langue les philosophes ? , J . Derrida rpondant ceux qui
laccusent de rduire la philosophie la littrature, caractrisait
ainsi son travail dcriture : Dans mes textes la forme dcriture qui,
pour ntre pas ni purement littraire ni purement philosophique,
tente de ne sacrifier ni lattention la dmonstration ou aux thses,
ni la fictionnalit ou la potique de la langue (Derrida 1988, p.
31-32).
2 . En sortir sans en sortir : philosophie du langage, langage
de la philosophie et analyse du discours philosophique
On ne peut donc sortir de la philosophie... quand on y est dj
entr. Mais pourquoi devrait-on y entrer ? Rpondre cette question,
ne serait-ce que dun mot, serait recommencer lternel recommencement
de la philosophie. Si bien quil faut prendre acte du fait que, du
point de vue du philosophe, on ne saurait fonder aucun savoir sur
la philosophie qui ne soit philosophique. Mais pourquoi devrait-on
en sortir ? Rpondre cette question serait ne pouvoir terminer une
fois de plus son interminable agonie. Si bien quil faut prendre
acte de ce que dun point de vue extrieur la philosophie, celle-ci
ne saurait tre garante du savoir quelle a sur elle-mme. Cela
signifie-t-il l'impossibilit de la philosophie et dune analyse du
discours philosophique ? Au contraire, nous voyons l un
encouragement et un mode de rsolution des paradoxes qui nous
permettrait simultanment de dvelopper une analyse du discours qui
chapperait autant au relativisme quau positivisme, linhibition quau
dogmatisme, et dassumer un exercice de pense et de vie qui,
dbarrass de ses fantasmes auto-destructeurs comme du risque
totalitaire, nhsiterait pas se dire philosophique.
Si la philosophie ne peut se totaliser elle-mme, sinon sur le
mode dune clture mtaphysique, si elle ne peut non plus sannuler
sans reconduire immdiatement son geste instaurateur, il devient
lgitime de la prendre pour objet. En effet, cela signifie quelle ne
peut jamais achever son mouvement dauto-constitution, non seulement
parce que des paradoxes structurels grvent les tentatives de
construction systmatique , ce que le scepticisme prcisment met en
vidence, mais aussi parce quune doctrine est toujours menace de
d-constitution de la part de ses concurrentes. Cest bien plutt ce
constant mouvement qui fait lessence de la philosophie. Mais c est
dire que son projet dexplicitation de son propre mode de
constitution discursive laisse toujours un reste, un point aveugle
qui porte justement sur cette question. Les paradoxes que nous
avons voqus trouvent en effet tous leur quivalent dans des
paradoxes inhrents lexpression philosophique. Pour les philosophies
systmatiques, on se heurte par exemple la circularit existant entre
les termes permettant linstauration conceptuelle et la
catgorisation doctrinale qui doit rtroactivement se les
rapproprier. Paralllement, dans les philosophies de dconstitution
du philosophique comme le scepticisme, ou dans des philosophies
comme celles de Nietzsche, Kierkegaard, Bergson, Wittgenstein, on
est en permanence confront devoir rsoudre la difficult dune
discursivit auto-contradictoire. Ce reste discursif, intotalisable
par le philosophe, peut devenir lenjeu dune investigation pour qui
disposerait des moyens de penser la constitution discursive, non
plus en vue driger un univers de sens auto-constitu, mais pour
dvelopper un savoir sur la constitution discursive.
1. Sur ce point, voir Cossutta, 1989, p. 145 ; 1994a, 111 ,117
.
14
-
Muh la condition qui permet un avoir le prtendre la validit est
la ri'1-onnaHHance de ses limites, et une analyse du discours
philosophique devra soigneusement les dfinir.
Kn effet, toute tentative pour constituer un savoir non
philosophique qui voudrait puiser lessence de la philosophie se
heurterait sa propre impossibilit, et au risque de limposture sil
prtendait faire ce que la philosophie na pas pu faire sur elle-mme.
Cela condamne tout positivisme pistmologique ou naf lchec, car la
philosophie pourra toujours linterroger sur ses fondements et
expliciter la dpen
dance des sciences du langage lgard de postulats qui
indirectement renvoient des choix philosophiques. Une thorie du
discours philosophique (ou toute approche utilisant des outils non
philosophiques, en loccasion linguistiques ou danalyse textuelle),
ne saurait donc analyser la philosophie comme discours constitu qu
la condition de renoncer son auto-constitution, c est--dire la
possibilit dune explicitation totale de ses conditions de
possibilit. Faute de quoi elle se constituerait elle-mme comme
philosophie. Cest le cas pour des tentatives comme celle de Katz,
qui, en construisant une smantique, pensait se donner les moyens de
rsoudre linguistiquement les questions philosophiques, et dbouche,
aprs stre inscrite dans une philosophie de la linguistique, comme
lindique le titre de son livre sur une philosophie du langage (Katz
1971). Une thorie du langage, en croyant penser le langage de la
philosophie, devient ainsi une philosophie part entire. Il y a donc
un lien de dpendance plus complexe quil ny paraissait entre
lanalyse du discours et son objet philosophique, puisquil joue la
fois en aval et en amont. En amont, par le risque dune dpendance
prsuppositionnelle dune thorie du discours par rapport des
conceptions philosophiques dtermines, en aval par la possibilit
dinterventions des linguistes dans les questions traditionnellement
traites par les philosophes.
Le discours philosophique, comme discours constituant, nest pas
sans avoir jou un certain rle, au cours de son histoire, par
rapport la langue dont il a, dans certains cas, contribu modifier
les usages, et surtout par rapport larchive quil contribue
priodiquement remanier lorsque ses schemes doctrinaux ou mthodiques
valent comme principes de structuration pour dautres discours ou
ont des effets pratiques et institutionnels. Il peut donc
intervenir dans la constitution des disciplines du langage, ce
quatteste leur dveloppement rcent. En effet, labaissement des
frontires entre philosophie et sciences du langage dans les vingt
dernires annes, sil est extrmement fcond, nen reprsente pas moins,
du point de vue dune analyse du discours philosophique, un risque.
Le philosophe peut tre tent dinvestir les conceptions linguistiques
du sens des noncs philosophiques, pour mieux rgnrer le geste
dinstauration philosophique. Cest manifeste pour des tentatives
hermneutiques qui, soucieuses dintgrer comme le fait par exemple P.
Ricur, ltude de structures narratives ou mtaphoriques, laissent
toujours la dimension spculative le dernier mot. Dun autre ct
lanalyse du discours, tente dutiliser lapport des philosophies,
aurait bien du mal conduire une investigation sur lune dentre
elles, tout en devant directement ou indirectement lui emprunter
ses catgories, ou au contraire des catgories issues de philosophies
adverses (ainsi, imaginons ce que pourrait comprendre du platonisme
ou de Descartes, une approche rhtorique utilisant des
classifications aristotliciennes).
Nous avons vu que cest la limitation des prtentions hgmoniques
de la philosophie lgard du discours qui rendait lgitime le projet
dune approche extrieure, mais nous dcouvrons galement que c est
lirrductibilit dun tel discours (il nest
15
-
pas rductible ce que lanalyse en fait, ou du moins elle nen
invalide pas pour autant la possibilit) qui invite lanalyse
contraindre sa constitution.
3 . Contraintes pistmologiques dune analyse du discours
philosophique
Une rflexion thorique sur lanalyse du discours philosophique
doit donc expliciter la nature des dpendances quelle doit
reconnatre et des limites quelle doit se donner si elle veut
prtendre au statut dun savoir.
Elle doit accepter une double dpendance : une dpendance forte
lgard dune rflexion pistmologique, et une dpendance faible lgard
dun horizon philosophique. Il nest pas ncessaire quelle explore
systmatiquement cette dpendance faible qui nobre en rien son effort
dinvestigation. Sinon elle reculerait perptuellement la mise en
uvre de son programme, en spuisant en valider la possibilit, ou
comme nous lavons vu, deviendrait une philosophie honteuse. Il lui
sufft de maintenir la prsence de ce point aveugle, non comme un
obstacle llaboration de ses mthodes danalyse, mais comme leur
condition, en considrant que son refoulement, loin de la dlivrer
dune sujtion la philosophie, linscrirait au contraire dans un
assujettissement dautant plus dommageable quil serait inaperu ( la
faon dont Althusser dans un autre contexte parlait de philosophie
spontane du savant). Elle doit par consquent se dmarquer dune
philosophie du langage, sans ignorer lhorizon philosophique des
questions portant sur le langage.
Par contre, la dpendance forte lgard dune rflexion pistmologique
doit tre constamment maintenue comme une chance, et non comme un
risque. Elle signifie en effet le refus dun empirisme naf. La
premire tche dune analyse de discours est en effet de penser la
constitution de son objet comme domaine dobservables : comment
partir de lobjet-texte dcouper des squences signifiantes,
hirarchiser des niveaux opratoires, passer dun relev dindices
doprations linguistiques la complexit doprations proprement
discursives ? Cette tche va de pair avec la construction de
catgories mtadiscursives permettant de rendre intelligibles les
phnomnes tudis, et de modles permettant de schmatiser le procs de
constitution ou de rception du sens des noncs philosophiques. Une
telle rflexion ne peut se dispenser de prendre en considration les
thories du discours labores pour dautres domaines, non seulement
parce quil serait vain de construire ad hoc une dfinition du
discours qui ne vaudrait que pour la philosophie, mais parce quil
est ncessaire, si lon veut pouvoir en penser la spcificit, de la
comparer dautres types discursifs 2. Mais l encore, il ne sagit pas
de procder au choix dune mthode au hasard ou selon la fantaisie. La
thorie approprie sera celle qui sajustera au mieux la nature de
lobjet, sans en rduire la complexit.
Or nous avons dfini cette complexit et cette spcificit du
philosophique la place quil occupe parmi les discours constituants,
dont la prtention est de sauto- constituer et de jouer un rle
constituant lgard dautres rgimes discursifs (Maingueneau-Cossutta,
1995, p. 112). La spcificit du discours philosophique parmi les
discours constituants est dtre le discours qui veut expliciter les
conditions de possibilit de toute constitution discursive. En
effet, lobjet du discours philosophique nest pas seulement sa
propre constitution, mais la constitution discursive en gnral. Une
uvre littraire certes construit les conditions de sa propre
lgitimit
2 . C V st ce
-
discursive en proposant un univers de sens, et plus gnralement
offre des catgories sensibles pour un monde possible. La
philosophie, elle, n explicite pas sous forme figurative et
fictionnelle, mais sous forme conceptuelle et catgorielle, les
conditions qui rendent le sens possible. L analyse du discours pour
sa part, a une vocation comparable, mais elle sinscrit dans un
autre registre. Si elle peut laborer une conception gnrale,
lorsquelle fait retour sur elle-mme, comme c est le cas ici, elle
ne peut jamais se dispenser dune articulation de ses modles et
catgories des domaines dobjets diversifis. Bien entendu, le cas
particulier o elle se prendrait elle-mme comme objet fait problme,
car vouloir expliciter ses propres conditions discursives elle
transgresserait la rgle de non-totalisation et serait reconduite au
rgime paradoxal qui rgit le discours philosophique. Dans ce cas,
une fois de plus, on oscillerait dans une boucle sans fin. Nous
sommes face un choix qui, de lanalyse du discours, peut nous
reconduire la philosophie (lobjet analys deviendrait sujet
analysant), ou au contraire, nous conduire linscrire dans un champ
disciplinaire autonome, dont lanalyse du discours philosophique ne
serait quun secteur.
Si lon opte pour cette direction, il faut maintenir, mais
maintenir faiblement, le caractre faible de la dpendance lgard dun
fondement philosophique, et sappuyer au contraire fortement sur la
dpendance forte qui pose la ncessit dune rflexion pistmologique,
afin de dfinir le rapport de lanalyse du discours philosophique son
objet et ses mthodes.
4 . Contraintes pistmologiques portant sur lobjet. Quelles
relations une doctrine entretient-elle avec ses modes dexpression
?
Si lanalyse du discours veut dfinir son objet, il lui faut
lucider la nature du rapport quentretient la philosophie avec la
langue et les contraintes gnrales qui rendent un discours possible.
La tche est dautant plus difficile que, le discours philosophique
sappliquant lui-mme ses propres catgories, les formes de
lexpression y sont en permanence rabsorbes par les contenus et
rassignes dans le cadre des catgories conceptuelles. La philosophie
est ce discours qui, constitu partir des contraintes gnrales et
spcifiques qui sont la condition de toute mise en discours, les
rlabore dans son propre champ, les catgorise, de telle faon quil
devienne auto-constituant. Cest ce qui lui confre la proprit, au
regard des autres discours, den prtendre fonder le mode de
constitution, de sen porter garant ou de les dlgitimer.
Tantt le philosophe fait comme s il y avait une pure
transparence des contenus philosophiques en construisant une langue
idale, ou en se posant dans le registre dutilisation idale de la
langue. Par exemple il labore partir des notions offertes par la
langue vernaculaire un champ conceptuel dont les structures
smantiques sont lies des procdures dfinitionnelles et obissent aux
contraintes inhrentes une logique explicite du sens. Tantt au
contraire, il retravaille une langue vernaculaire dont il sollicite
les stratifications smantiques et tymologiques, les usages, afin de
donner voir le mouvement de constitution du sens des noncs. Que le
rsultat dbouche sur la stabilisation dun lexique ou sur la
valorisation dune faon de dire, dans les deux cas le philosophe
assume une position de matrise en contrlant des processus dont il
ne garde certaines traces que pour mieux favoriser la rception de
sa doctrine. La philosophie ne prsenterait donc aucun des rsidus
expressifs, mienne des scories communicationnelles qui maillent les
conversations, et ne laisserait donc pas prise lanalyse, comme si
lon pouvait donner aux moyens expressifs un rle purement
contingent. Cette matrise serait dautant plus grande quelle
17
-
ne dpendrait pas dune habilet stylistique ou dune aptitude au
maniement de la langue, mais du travail philosophique lui-mme qui
constitue en tant que tel la source de toute stylisation et le lieu
dun rapport que la langue entretient avec elle-mme.
Nous pensons au contraire que ces lments discursifs ou
expressifs, loin dtre adventices ou occasionnels, sont doublement
lis aux contenus : dune part ils dterminent leur possibilit
dmergence, en leur offrant plus quun support, mais ltoffe mme de
leur inscription dans lordre du dicible. Dautre part ils sont
rtroactivement dtermins par les contenus, pour autant que chaque
doctrine doit trouver le mode de prsentation adquat ses schemes.
Certes, une doctrine ne semble pas totalement rductible ses lieux
dinscription, dans la mesure o le philosophe sy rfre comme une
entit faite didalits qui ne devrait rien aux conditions
contingentes de son laboration, parmi lesquelles il faudrait
compter la varit de ses reconfigurations dans la diversit des
textes. Mais ces reformulations voient leur nombre restreint par
des rgles de limitation ou d emploi (tous les modes dexpression
gnriquement possibles ne sont pas ncessairement acceptables pour
telle ou telle philosophie) qui ne sont pas sans rapport avec les
contraintes doctrinales 3. On rencontre donc, certes, une variation
sur les reformulations possibles, mais aussi des formes d
expression que lon appellera canoniques, travers lesquelles une
philosophie saccomplit. Ainsi les rapports entre forme dexpression
et structures du contenu oscillent entre contingence et ncessit. La
nature des transactions opres consciemment ou non par le philosophe
sur ce rapport dtermine la forme gnrale de luvre.
Comme nous lavons vu, les grandes philosophies explicitent leur
propre mode de constitution, et par consquent thmatisent
ncessairement la question de leur choix de langue, de leur mode
dexpression et dexposition. La forme dexpression dune doctrine et
ses thses ne sont pas dissociables, dans la mesure o le procs
danalyse et de dmonstration qui permet de leur donner une lgitimit
est lui-mme dpendant des thses quil est cens permettre dexpliciter.
Donc le choix dun genre, celui dune forme dexposition ne dpendent
pas du hasard mais doivent tre appropris la forme procdurale qui
dveloppe la conceptualit propre une philosophie. Ainsi la
mtaphysique cartsienne trouve son mode dexpression appropri dans un
expos narratif empruntant ses caractristiques gnriques lexercice
spirituel de type mditatif. Il ne sagit en rien dun emprunt
mcanique, puisque le temps mditatif constitue la dimension
expresssive de lordre analytique quelle explicite et quelle rend en
mme temps possible, et accessible au lecteur. Descartes emprunte
les traits caractristiques dun genre en les adaptant la faon dont
saccomplit le procs de pense (mthode). Nous avons montr galement
comment, au sein des dialogues platoniciens, les personnages
explicitaient constamment les conditions de leur entretien au point
quen faisant une tude systmatique des proprits mta- dialogiques de
lactivit interlocutive, on pouvait esquisser les lments dune
pragmatique transcendantale platonicienne. Cela pourrait donc
laisser penser que la philosophie matriserait totalement ses
propres conditions dexpression, dans la mesure o on y observerait
une adquation la plus grande possible entre les schemes
3. Nous avons tudi ces phnomnes entre autre pour les dialogues
de Platon (Cossutta 1994b) et pour r
-
doctrinaux et les schemes expressifs. Cela correspond
effectivement la vocation des grandes philosophies systmatiques.
Mais sil est normal que la philosophie efface aprs coup les traces
de son laboration ou quelle en donne une version publique dulcore
ou reconstruite, pour permettre au lecteur de reparcourir son
cheminement, cela ne justifie pas de la rduire sa dimension
purement conceptuelle ou dmonstrative. Au contraire lanalyse du
discours philosophique doit desserrer cette compacit expressive et
observer comment sont effectus les montages, les mises en scne par
lesquels la doctrine se joue ou se mime elle-mme dans un espace de
reprsentation qui utilise toutes les ressources de lcriture. Elle a
vocation mettre en vidence le travail grce auquel cette tentative
dadquation se ralise, valuer les degrs de cohrence ou dhtrognit que
cela suppose, moins pour disqualifier la prtention du philosophe,
que pour signifier que cest aussi ce travail patient dlaboration du
sens, avec ses fourvoiements et ses russites, qui caractrise
lactivit conceptuelle. Ainsi, la matrise expressive est plus un
idal, que ralisent parfois avec bonheur certaines grandes uvres,
quun fait. L activit philosophique est faite dune pense qui se
cherche et qui sapprivoise elle-mme dans le jeu du discours, entre
la pure libert cratrice qui dcoupe idalement son objet, et les
compromis formels quexige sa destination. Pour rpondre cette double
ncessit, le philosophe doit matriser nombre dexigences qui gnrent
des tensions au sein de son texte. Entre la forme qui accomplirait
l expression la plus rigoureuse et la plus pure de la structure des
idalits philosophiques, et ce quil faudrait prendre en compte pour
rfuter les adversaires, initier un disciple, expliquer ce que lon
veut dire, il faut transiger. Tantt on tente dintgrer le plus
conomiquement le maximum de contraintes discursives, et l on tend
alors vers une uvre-monde unique, tantt on accepte une prolixit
textuelle en redployant ou rlaborant la doctrine au gr de formes
dexpression, qui, travers le choix dun genre ou dun mode
dexposition, satisfont de faon privilgie lune ou lautre de ces
contraintes.
Toute philosophie, quelle que soit la faon philosophique dont
elle rsout le problme de sa propre expressivit, doit satisfaire aux
exigences inhrentes la communication, ngocier un rapport avec son
public et les institutions sociales qui rglent la rpartition de la
parole. Un philosophe doit dvelopper des stratgies pour tre
reconnu, il doit passer des alliances, sadresser aux spcialistes,
tre accept par ses pairs, chercher officialiser sa doctrine. On
peut ds lors parler avec D. Main- gueneau de lnonciation
philosophique comme institution discursive . Les phnomnes quil
tudie ici-mme, eux non plus, ne sont pas des lments extrinsques la
philosophie et doivent tre pris en considration au mme titre que
ceux que nous venons de dcrire. Pour chapper un sociologisme
rducteur qui traiterait mcaniquement le rapport du texte au
contexte, on doit, l aussi, privilgier la richesse des composantes
discursives de la philosophie, ne pas ngliger les prfaces, tudier
les notes qui renvoient des systmes daffiliation, ou par leurs
oublis des dnis, tudier tout ce qui au sein du texte contribue
lgitimer ses propres conditions dlaboration.
L analyse du discours philosophique, grce ltude des proprits
discursives apprhendes dans leur complexit et leur richesse, mettra
donc en vidence le double aspect de la constitution philosophique :
les conditions de son institution et celles de son instauration
discursive. Son institution discursive mdiatise le rapport entre
uvre et contexte, son instauration discursive mdiatise le rapport
entre formes expressives et schmes spculatifs.
19
-
5 . Contraintes pistmologique portant sur les mthodes. Rgles de
la mthode de lanalyse du discours philosophique
Il reste prsent dterminer par quel biais aborder la philosophie
comme discours. Les prsupposs pistmologiques dfinis tout au long de
cette rflexion contraignent autant la dfinition des mthodes que le
choix des objets.
Nous pouvons carter rapidement toute approche reposant sur une
srie de postulats qui, isols ou groups, reprsentent des impasses
plus que des encouragements pour une analyse du discours
philosophique : le postulat de rduction rduirait unilatralement la
complexit textuelle lune de ses composantes ; le postulat de
traduction exigerait que lon transpose dans un mtalangage adquat
les contenus philosophiques, puis quon opre mcaniquement (voire
automatiquement) des calculs sur le modle pour obtenir une
reprsentation du langage objet. Le postulat de normativit,
solidaire des prcdents, voudrait qu partir dune rfrence ou dun
critre (langage idal, langage ordinaire, modles de genre, normes de
raisonnement, rgles de cohrence) on puisse procder des jugements de
valeur revenant disqualifier lobjet tudi. Le postulat prescriptif,
consquence du prcdent, donnerait celui qui le manie la possibilit
de rectifier ou dintervenir sur la question traite en prtendant
disposer des moyens de la rsoudre ou de la dissoudre et par exemple
de gurir ceux qui sont atteints par cette maladie philosophique.
Nous ne nous attarderons pas analyser ces postulats, solidaires
dune position en surplomb que nous avons dj critique.
Nous nous attarderons un instant sur trois postulats dont la
critique dterminera directement le choix dune position mthodique :
postulat clectique, postulat ins- trumentaliste et postulat de
lecture en aveugle .
Nous avons indiqu quil fallait envisager ltude de la philosophie
comme activit langagire, mais comment choisir entre les diffrentes
approches offertes par les linguistes et les analyses du discours ?
Il faut renoncer une thse excessive qui dun point de vue extrieur
poserait la rductibilit de la philosophie sa dimension expressive,
puis la rductibilit de celle-ci lun de ses constituants. On
tudierait alors le texte en le rduisant une de ses composantes,
logique, rhtorique, smantique , stylistique, lexicologique par
exemple. Il est intressant de constater dailleurs que la seule
tentative vraiment cohrente, suivie de la mise en uvre de moyens
importants, dapplication des progrs de la linguistique la
philosophie, sest dveloppe dans le domaine lexicologique. Ce
programme de recherche (soutenu par le CNRS) sest dvelopp dans le
domaine de lhistoire de la philosophie et des doctrines et non dans
une perspective danalyse du discours 4. Il sagissait, au dbut des
annes 70, de coupler lutilisation doutils informatiques avec les
mthodes de la lexicologie statistique (les travaux du laboratoire
de lexicologie politique de lENS de St-Cloud jouant un rle
pionnier). Andr Robinet en fondant le CIRPHO (Centre International
de Recherches Philosophiques par Ordinateur) fut linitiateur dun
tel projet en France, puisquil a men bien avec ses quipes des
projets sur Malebranche, Descartes, Leibniz, Rousseau, et fonda une
coopration europenne fructueuse dans ce domaine. La lexicologie
assiste par linformatique a pu procurer
4. Le programme dvelopp par J . Cauvin 6e montre plus soucieux
de penser, comme pralable son approche du corpus hglien, les
caractristiques langagires de la philosophie, comme le montre
l'article remarquable quil avait consacr cette question (Gauvin
1971). On pourrait en dire autant des travaux en Analyse
Automatique du Discours de M. Pcheux, en remarquant toutefois que
le privilge accord au discours politique n a pas vraiment permis
den mesurer la fcondit en philosophie.
20
-
concernant la relation entre les lments qui y sont prsents, et
de dire ce quil peut sattendre trouver dans dautres exemples de
langage soumis au mme type danalyse (ibid., prface, non pagine). Il
ne sufft pas disoler un seul niveau de stratification textuelle, ni
de lui appliquer un outil linguistique 5 pour obtenir une analyse
de discours. Ici le texte ne sert que de corpus pour llaboration ou
la vrification dun modle labor en dehors de lui. Il est vrai que
ltude de Platon inviterait plutt ltude des proprits dialogiques du
procs dialectique, et on peut esprer des dveloppements rcents de la
pragmatique et de la linguistique du dialogue quelles dveloppent
une tude fine de la structure dialgale des dialogues platoniciens
6. Toujours est-il quaux postulats prcdents nous opposerons la
ncessit dune analyse qui ne renoncera pas obtenir un gain
heuristique ou interprtatif du texte, qui prendra en compte tous
ses niveaux constitutifs, concourant ainsi lenrichissement des
hypothses de lhistorien de la philosophie.
On constate que des correspondances stablissent tout
naturellement entre des courants linguistiques ou de disciplines
danalyse du discours, et le choix dun phnomne particulier du texte
philosophique. Ainsi ltude du champ conceptuel bnficierait des
apports privilgis de la smantique structurale, ltude des structures
narratives celle de lanalyse du rcit ou de la smiotique de type
greimassienne, la forme dialogue celle dune linguistique du
dialogue, largumentation des apports dune nouvelle rhtorique, les
philosophies de la conscience, dune linguistique de lnonciation,
ltude des rapports entre uvre et contexte dune sociolinguistique ou
dune analyse du discours largissant son horizon la prise en
considration de linstitution discursive.
Mais ces couplages, auxquels on ne saurait refuser une part de
pertinence, illustrent le risque dune dpendance forte lgard dune
philosophie voque plus haut, et tendent fragiliser la vocation
scientifique de ces approches : ou lon privilgie un seul aspect du
texte alors quil faudrait prendre en considration sa complexit, ou
lon risque un clectisme mthodologique vouloir superposer
artificiellement ces tudes pour pouvoir analyser les dimensions
correspondantes du texte. Il est certes lgitime disoler aux fins de
lanalyse certains phnomnes : par exemple si lon veut faire une tude
des aspects mtaphoriques, comparatifs ou imags chez Bergson, ou
Kant, il peut tre utile de disposer dune critriologie fine,
permettant de dterminer ce qui est mtaphore ou image, etc.
Cependant, les textes prsentent les traces dune activit discursive
qui intgre les usages mtaphoriques dans des constructions qui
mobilisent des effets de style ou dargumentation, des
catgorisations conceptuelles, des structures dadresse faisant
intervenir un destinataire suppos ou rel, et enfin doit-on prendre
en considration les contraintes doctrinales qui en rglent lusage.
On ne saurait par ailleurs faire dpendre ltude du discours
philosophique de lvolution des rapports de force intervenant entre
ces disciplines, coles ou courants relevant des sciences du langage
qui, un moment donn, cherchent occuper une position dominante dans
les institutions et le champ disciplinaire.
5. Dans un autre registre, D. Parrochia a tent de modliser le
systme des dichotomies platoniciennes en appliquant au procs de
division un modle mathmatique emprunt la thorie des filtres issue
de la topologie gnrale de Bourbaki (D. Parrochia, La raison
systmatique, Vrin, 1993, Livre I I , ch. 1 et 2).
6. Cf. sur ce point Auchlin A. Une approche discursive du Mnon :
sur le dialogisme explicite et la participation. L criture des
philosophes /. Colloque organis par le Collge International de
Philosophie, P aris, 1995. Il existe en Allemagne et en Angleterre
une bibliographie dj importante sur ce point.
22
-
Ces considrations plaident en faveur dune mthodologie qui
permettrait de rendre compte de la philosophie comme systme dactes,
ensemble de gestes de pense agis travers le discours, et dont les
traces demeurent travers les marques nguistiques stratifies qui se
dposent en criture. La philosophie nest pas le dpt immobile dune
pense rigidifie dans la monumentalit dune doctrine acheve, mais
propose bien davantage le partage du geste par lequel elle
constitue comme objet de sens ses objets et ses thses. Certes la
pense dpose des thses, offre des rsultats, mais il est beaucoup
plus important de comprendre le mouvement par lequel les
significations ont t poses que de se rfrer un catchisme dogmatique.
On ne sparera donc plus le corps, la biographie, l existence et la
pense quand on aura pris en compte l encore de faon non mcanique
leur intrication 7. Une philosophie traduit moins une existence,
une vie quelle ne mdiatise travers ses gestes une forme de vie, une
forme dexistence. On pourrait ainsi tendre la conception dveloppe
par P. Hadot propos des philosophes antiques, jusquaux systmes qui
paraissent les plus referms sur leur abstraction (Hadot, 1992, p.
9). On les interprterait comme exercices spirituels , puisquils
nous invitent nous approprier leur gestuelle, ou ce quon pourrait
appeler aussi leur style.
Une linguistique des oprations associe une approche pragmatique
du discours est indispensable, si on veut restituer cette dimension
expressive de la philosophie, et garder son texte la caractristique
dune uvre vive. On peut en effet les associer, dans la mesure o
toutes deux tendent privilgier ltude des composantes nonciatives du
discursif, ce qui les rend virtuellement compatibles, et on doit le
faire si lon veut penser simultanment le rapport de la philosophie
considre comme genre de discours son ailleurs extradiscursif, et
son intriorit doctrinale.
Il convient donc prsent de dfinir une hirarchisation de niveaux
opratoires permettant dintgrer les composantes linguistiques et
discursives du philosophique dans un modle gnral.
I I . Construction des catgories de l analyse discursive
1 . Oprations linguistiques, oprations discursives
Pour construire les catgories dune approche discursive du
philosophique, sans quelle soit greve par les limites inhrentes la
restriction de son domaine dobjet (thorie qui ne vaudrait que pour
la philosophie), il faut que la thorie qui lie les catgories dans
un modle gnral sintgre dans une thorie gnrale du et des
discours.
Pour construire une thorie gnrale du et des discours sans que
llaboration de ses catgories soit dpendante dautres champs
disciplinaires, ou de prconstructions idologiques ou
philosophiques, il faut faire en sorte que la thorie gnrale du
discours sarticule une thorie linguistique gnrale. Ainsi lanalyse
du discours philosophique cherchera, pour penser les oprations
complexes, leurs points d ac- croche dans des formes linguistiques.
Il ne sagit pas de proposer une rduction du
7. Sur ce point, nous souscrivons aux analyses proposes ici-mme
par D. Maingueneau sur le statut 'le lu biographie et de l thos,
avec les amnagements requis par le dni dont ils font en apparence l
objet chez nombre de philosophes.
23
-
discursif du linguistique, mais de comprendre que ce qui opre un
niveau transphrastique trouve son ancrage dans des micro-oprations
associant les repres nonciatifs, le lexique et la syntaxe. Nous
partageons le point de vue de Sophie Moirand pour qui Les indices
verbaux dordre linguistique sont constitus par lorganisation du
lexique dans lordre du discours, les rcurrences ou les rarets
dapparition de constructions syntaxiques sous-jacentes ou de celles
qui apparaissent en surface, la prsence effective de marques
nonciatives (traces doprations nonciatives privilgies :
positionnement de la personne, positionnement par rapport au temps
ou lespace, dtermination, quantification, thmatisation, modalits,
htrognits exhibes ou suggres) (Moirand, 1990 : 6-7). Cest l une
conviction forte, pour reprendre son expression, puisquelle pose la
ncessit dune prise linguistique du pragmatique et de largumentatif
dans la matrialit du texte (ibid. P. 7). On pourra alors dterminer
la porte et les limites de leur valeur opratoire au niveau
transphrastique, dceler les mcanismes des transferts de proprits,
relever des marqueurs communs. Cela ne nous dispensera pas de
devoir diffrencier des niveaux de structuration fonctionnant comme
des paliers dintgration des diffrents types doprations, ni de
devoir laborer un modle gnral articulant la faon dont ces oprations
gnrales de mise en langue et de mise en discours concourent la
spcification du discours philosophique. On pourra ainsi laborer les
catgories permettant de reprsenter rigoureusement sinon
formellement les contraintes de mise en discours. Notre hypothse
thorique consiste utiliser la linguistique dA. Culioli pour en
transposer lesprit (sens dune analyse dtaille des mcanismes de
langue, rflexion pistmologique sur la construction des
reprsentations mtalinguistiques, prise en considration comparative
de la diversit des langues, phnomnes de langue reprsents comme
oprations), et les mta-catgories (systmes de repres, dcrochage,
frontire, arbre came, curseur) au niveau dune linguistique du
discours. Il nous semble en effet quil est possible de transposer
au plan du discours ce constat valeur programmatique : Lentement,
nous passons dune linguistique des tats une linguistique des
oprations. Peu peu, nous entrevoyons que la langue est une
incessante mise en relation (prdication, nonciation), grce quoi des
nonciateurs, en tissant un jeu structur de rfrences, produisent un
surplus dnoncs et reprent une pluralit de signification (Culioli,
1973, p. 87). Nous ne prtendons pas nous seul dvelopper une telle
analyse des oprations discursives mais en avoir indiqu la ncessit.
Sil y a sous la diversit des formes dexpression philosophiques des
contraintes gnrales inhrentes toute mise en discours, qui psent sur
leffort pour penser lorsque celui-ci seffectue travers la langue,
on peut dfinir lanalyse du discours philosophique, pour paraphraser
encore une formule fondatrice de la conception culiolienne, comme
la discipline dont la finalit est dapprhender lactivit discursive
travers la diversit des textes.
2 . Dtermination et hirarchisation des oprations linguistiques
et discursives
Comment viter le double risque du rductionnisme linguistique et
du laxisme dans la catgorisation ? Il faut distinguer et
hirarchiser des types de catgories et distinguer les niveaux o
elles interviennent dans la complexit discursive du texte. Puisquil
sagit ici en effet dans la majorit des cas de discours crits, il
faudra accorder une attention particulire aux contraintes
spcifiques la mise en texte : nous accorderons par exemple une
attention particulire au rle jou par la matrialit spatiale du
livre-support. Au mme titre que le temps associ la premire
24
-
personne dans le dispositif nonciatif (rle du prsent
dnonciation), il constitue en effet un lment situationnel qui va
jouer un rle considrable dans les oprations de reprage interne au
discours, permettant de situer les paquets dnoncs les uns par
rapport aux autres. On voit sur cet exemple que les oprateurs
linguistiques jouent un rle intermdiaire favorisant la construction
doprations discursives complexes. Dans lexemple choisi, le systme
des espaces typographiques, les dcoupages divers, la numrotation
des pages, paragraphes ou chapitres, sont mis en relation par le
moyen dun systme de renvois effectus par des marqueurs aspectuels,
dictiques, anaphoriques divers, avec des lments du contenu
philosophique qui peuvent tre dsigns par une catgorie doctrinale ou
par dautres formes thmatisantes. Ces oprateurs de renvoi ancrs dans
des formes syntaxiques (anaphoriques) ou lexicales (rptition dun
syntagme nominal, reprise substantive dun procs), constituent un
niveau dorganisation lmentaire souvent structur par des prises en
charge nonciatives ( comme nous lavons amplement montr au
paragraphe 2 ... ), qui permettent lnonciateur de gloser ou nommer
les oprations discursives quil effectue, comme latteste la rfrence
de amplement montr la sphre argumentative. On distinguera des
marqueurs linguistiques constituant le support ou jouant un rle
dans la construction doprations discursives (ex. : rle des relais
anaphoriques dans la densification dun discours vise didactique ou
argumentative), des marqueurs non directement linguistiques entrant
dans la composition ou constituant le support doprations
discursives (rle doprateurs rhtoriques, argumentatifs, relais
mtadiscursifs, ordre dexposition, jeux sur les niveaux rfrentiels).
De mme quon peut regrouper des faisceaux de marqueurs pour dfinir
des oprations en langue que lon reprsente par des catgories mta-
linguistique (A SSERTIO N , M ODALIT, G N R IC IT , ANAPHORE,
PASSIVATION, NOMINALIS A T IO N ...) , on pourra dfinir, par
composition doprations linguistiques et de marqueurs proprement
discursifs, des oprations discursives dfinies en termes de
contraintes ou reprsentes par des mtacatgories discursives
(ARGUMENTATION, D ID A CTICIT, DIALOGICIT , R E N V O I...) .
Lapprhension du niveau discursif pose des problmes spcifiques en
philosophie. Nous voudrions en voquer quelques-uns. Les sujets
parlants, mme sils ont une activit de commentaire sur leur propre
activit langagire (reformulations, mta-noncs relevant dune activit
qualifie par A. Culioli dpilinguistique), ne passent pas leur
temps, sauf sils sont linguistes ou professeurs de langue,
introduire explicitement les catgories grammaticales ou les rgles
smantiques qui gouvernent leur production verbale. De la mme faon,
maie c est dj moins vrai pour les discours de transmission de
connaissance ou de vulgarisation (Beacco- Moirand, 1995),
lutilisation du discours ne suppose pas en permanence une
explicitation de ses conditions de fonctionnement, mme sil est vrai
que la recherche dune entente par exemple, oblige au cours dun
change rechercher des ajustement en explicitant certains postulats
conversationnels. En philosophie, ce travail est constant, celui
qui dfinit dit quil dfinit, celui qui dmontre non seulement le dit
et en disant le donne croire, mais souvent explicite ce quil entend
par dmonstration. Cela introduit une difficult particulire parce
quil sera difficile de bien distinguer la reprsentation
mtadiscursive de ces oprations de leur dnomination a dfinition en
contexte par le philosophe. Pourtant, il faut intger cette activit
mtadiscursive du philosophe lanalyse, en mettant en vidence la part
des procds qui sont gnraux, et en dlimitant exactement leur part et
leur degr d'implication dans les contenus doctrinaux : tous les
philosophes utilisant le support
25
-
lu livre recourent au systme du blanc typographique, et souvent
numrotent des rgions de texte ou les associent des titres.
Pourtant, ce systme peut prendre une valeur signifiante ou non, en
vertu des contenus. Ainsi lutilisation de structures de numrotation
ternaires chez Hegel (par exemple dans / Encyclopdie des sciences
philosophiques) est lie au rythme du procs dialectique dont il
rigidifie ici lexposition pour des raisons didactiques. De la mme
faon, comme le montre ici K. Ehlich, le fonctionnement du rgime
anaphorique chez le mme auteur rpond aux mmes contraintes que
dautres niveaux macro-contextuels de lexpressivit hglienne.
Une seconde remarque a trait la distinction et la porte des
oprations discursives. On peut, lorsquon labore un modle,
distinguer abstraitement des oprations, examiner leurs rgles de
compatibilit, mais ltude suivie et dtaille des textes montre
quelles sont toujours lies, que les mmes oprateurs linguistiques
concourent simultanment leur mise en uvre. Ainsi un renvoi peut
fort bien simultanment permettre une conomie en vitant la rptition,
consolider une thse, et renforcer la systmatisation doctrinale.
Nous avons montr propos de Platon, Descartes, Spinoza ou Hume, que
les tches dargumentation, dexplication, dinitiation sopraient
simultanment, selon des modalits toujours diffrentes chez chaque
auteur, en fonction dune vise privilgie selon les thses
philosophiques soutenues. Enfin, la porte de ses oprations pose des
problmes dchelle et de dcoupage. En effet, le discours construit
son propre espace-temps mesure quil se dveloppe linairement, ce qui
oblige travailler aussi bien en micro-contexte quen macro-contexte.
On peut isoler une squence dfinitionnelle ou consacre la
description dun cas particulier, mais nombre de processus se
dploient transversalement sur un texte entier. Ainsi, limiter par
exemple ltude dune mtaphore dans une uvre de Kierkegaard un passage
donn, empchera de remarquer la prgnance significative de certains
thmes mtaphoriques que seule lanalyse du texte entier permet de
comprendre.
3 . Hirarchisation des catgories
Pour commencer clarifier quelque peu la complexit des oprations
discursives, on peut distinguer les quatre niveaux o elles oprent
en leur associant les catgories qui permettent de les
reprsenter.
(1) Catgories permettant de dsigner les phnomnes de construction
des noncs.
Il sagit ici de cerner des oprations syntaxiques et smantiques
qui ne sont pas spcifiquement transphrastiques, mais entrent dans
la composition des oprations de niveau discursif : proprits
lexicales, nominalisations, passivations, phnomnes de focalisation
et de reprage, valeurs aspectuelles, dictiques, anaphores. Ces
catgories renvoient la langue pour autant quelle structure tout
discours : elles prennent en considration des mcanismes de reprage
fondamentaux, dans la mesure o larticulation entre la prdication et
lnonciation est effectue leur niveau. La linguistique culiolienne
est un cadre satisfaisant pour leur traitement (Culioli, 1990). A
la limite, ce niveau ne concerne que lanalyse interne des noncs,
mais on voit bien que les relations transphrastiques le supposent
ncessairement, puisque la rptition dun syntagme nominal,
lintervention dun relatif ou de tout autre anaphorique par exemple,
permet dengendrer une trame nonciative complexe, homogne dans la
mesure o elle construit sa propre cohrence (suivi isoto
26
-
pique, cohrence smantique, harmonisations des marques
morpho-syntaxiques), ou la modifie par variations, ruptures,
changement dembrayage ou de rgimes smantiques.
(2) Catgories gnrales permettant de dcrire la mise en
discours.
Un faisceau doprations syntaxico-smantiques concourt la
construction doprations ncessaires toute mise en discours, et qui
interviennent donc pour her les noncs dans lorganisation du
discours, indpendamment des considrations de vise, ou de genre. Les
catgories de ce niveau dsignent des phnomnes, qui certes peuvent
tre reprs ponctuellement travers les traces des oprations
linguistiques qui les mettent en uvre, mais se caractrisent avant
tout par le fait quils contribuent la construction de la trame mme
du discours. Tout discours utilise des repres nonciatifs,
aspectuels, dictiques, dtermine des zones et des squences articules
selon des modes de relation qui font dune production orale ou dun
texte un espace/temps susceptible dtre parcouru et dentrer dans un
mcanisme de bouclage fait de rtroactions et danticipations. On
trouve la position des repres nonciatifs rglant la distribution de
la parole et lattribution du dire, rendant possible lmergence d un
cadre d espace/tempe spcifique qui prend la forme gnrale dune scne
(cf. Cossutta, 1989) o viennent sinscrire les vnements du discours.
Tout discours, pour autant quil a ncessairement un destinataire
(son absence apparente tant un cas limite), construit une image de
sa destination, et on peut lgitimement regrouper tous les traits
grce auxquels cette fonction est remplie... On examinera galement
la position des systmes rfrentiels : rfrence et co-rfrence,
anaphore textuelle. Nous dsignons par ce terme tous les phnomnes de
relayage et de renvois grce auxquels un discours, un texte peuvent
se rfrer eux-mmes (simple systme de grille numrique, ou renvois
labors laide de dictiques). On relvera enfin les oprations qui
concourent la position thmatique, l obtention dune cohrence
textuelle assurant la fois une identit travers la variation, et
autorisant lapport dinformations nouvelles par rapport un repre
constituant le fond identique du propos.
(3) Catgories gnrales permettant didentifier de grandes
contraintes discursives.
Les oprations prcdentes constituent des supports ou des cadres
pour la mise en place doprations discursives plus complexes : le
discours quel quil soit obit des vises qui sont lies simultanment
aux conditions du traitement de son objet, et aux conditions de son
inscription dans le procs de communication. Nous appelons
contraintes du discours les macro-oprations qui lui permettent de
prendre une configuration dtermine en visant une fin : tantt il
transmet une information, tantt il la rlabore, la critique,
lexphque, mais il peut galement viser par des prescriptions, des
conseils, des souhaits, modifier lattitude du destinataire. Enfin
il peut proposer un univers de sens qui nest pas destin directement
vhiculer un contenu informatif, ni modifier nos attitudes, comme c
est le cas dans la fiction ou pour lexamen dune hypothse. Ces
oprations gnrales, rpondant aux vises du discours, ne sont pas
spcifiques dun type de discours, mme si leur prvalence peut
contribuer spcifier des genres : les oprations didactiques,
argumentatives, pdagogiques, dialogiques, polmiques, tantt
interviennent de faon localise, tantt donnent au discours sa
coloration prvalente. On peut ainsi distinguer un passage dialogu
dun dialogue. Il y a des aspects didactiques dans dautres
productions que
27
-
celles qui, comme les manuels scolaires, sont rgies par cette
contrainte. Ainsi on dcrira sous ces catgories les grands principes
de structuration du discours, sans prjuger des types ni des genres
quils permettent dlaborer. On mettra ainsi en vidence la prsence
des schemes organisateurs de la prsentation des contenus
(structures narratives, schma de composition).
(4) Catgories spcifiantes, permettant de dsigner des fonctions
particulires unmode de discours ou de dfinir des types de
discours.
Ces catgories dsignent des oprations qui, tant par la nature du
travail rfrentiel portant sur la constitution du domaine dobjet que
par la nature du procs de mise en relation des nonciateurs entre
eux ou aux noncs, contribuent la constitution de formes expressives
dotes de caractristiques distinctives plus ou moins stables. Ainsi
il est vrai par exemple que la contrainte didactique, l obligation
de procder des renvois internes, ou les procds de focalisation
peuvent jouer un rle dans toutes les productions discursives ; mais
un discours sera didactique sil est structur par des oprations qui
le spcifient comme tel (rptition, emplois particuliers des
tournures personnelles, formes dadresse, recours lexemplification).
Mais sil est possible de reprer des contraintes spcifiquement
didactiques, un discours nest pas didactique en soi. Il est
construit comme tel travers dautres systmes de contraintes : la
transmission de connaissances dans une communaut de spcialistes, la
vulgarisation scientifique, la relation pdagogique, le manuel de
philosophie, croisent la didacticit avec dautres contraintes qui
les spcifient comme situation communicative, comme type de discours
ou comme genre. On peut se demander si les diffrents types de
discours ont une faon identique de mettre en uvre les mmes
contraintes, ou sils construisent chaque fois des contraintes
spcifiques, comme semblent lattester pour la philosophie les
contributions ici rassembles qui portent sur lemploi du pronom la
premire personne.
4 . Construction d un modle de l appareil de l nonciation
philosophique
Nous avons dfini des niveaux opratoires et des types doprations,
et leur avons associ des catgories qui en permettent une
reprsentation mtadiscursive. Nous en avons voqu quelques-unes, mais
sans faire linventaire complet des oprations constituantes de la
discursivit philosophique. Il faut pour cela construire un modle
thorique qui, respectant les niveaux qui viennent dtre dfinis,
permette de dnombrer et dassocier les oprations qui en contraignent
la mise en discours et en dfinissent progressivement la spcificit.
La particularit du philosophique tant de reprendre les oprations
qui dterminent sa constitution discursive (instituante et
instauratrice), en les (re)catgorisant conceptuellement, on pourra
ds lors leur associer leur forme transpose. Ainsi en philosophie
les repres nonciatifs, effacs sous le procs de pense objectiv, ou
exhibs, assums la premire personne, ou associant les cononciateurs
pour instaurer une relation avec un interlocuteur suppos, conjugus
avec dautres oprations du niveau prcdent contribuent spcifier la
figure de lAuteur, ou du Philosophe tel quil est dessin dans
lespace scnique ainsi instaur, tout comme celle du Destinataire.
Sur chacune des places et des relations de lappareil nonciatif sont
construites les fonctions majeures qui concourent, pour la
philosophie par exemple, la mise en uvre du procs de pense qui
structure la prsentation de la doctrine.
28
-
Nous avons prsent ailleurs de faon dtaille un tel modle auquel
nous nous permettons de renvoyer (Cossutta, 1994c et 1989). Nous
privilgierons plutt lexamen dun exemple, qui permettra de voir
comment on peut croiser lanalyse de certaines oprations discursives
en procdant lexamen de leur mise en uvre dans un texte
philosophique. Observons la faon dont les oprations de renvoi, que
nous avons voques plus haut titre dexemple, contribuent la
structuration de lexposition dmonstrative et didactique dans
lEthique de Spinoza.
I II . Anaphore textuelle, contraintes didactiques et systm
aticit : 1 Ethique de Spinoza
1. L anaphore textuelle et la construction de leapace-temps
discursif
Il conviendrait de parler de procds diaphoriques, mais, ne
tenant pas compte ici de la distinction entre anaphore et
cataphore, noue dsignons par ce terme les oprations de reprise ou
danticipation dun terme dans la chane du discours. Les oprateurs
linguistiques de lanaphore sont multiples : substituts pronominaux
(pronoms dmonstratifs, pronoms personnels la troisime personne,
pronoms relatifs), verbes, adverbes voire adjectifs anaphoriques.
Ils offrent une srie de mcanismes qui, permettant la fois une
translation et un transfert de sens, interviennent dans la
construction doprations plus globales qui ont pour fonction
dassurer au niveau du discours la translation et le transfert de
sens. Nous dsignons, rappelons-le, cette opration gnrale parle
terme d anaphore textuelle . L Anaphore linguistique nopre pas
seulement au niveau de la phrase, mais elle contribue, avec dautres
phnomnes, paraphrasages, redondances, itrations, produire une trame
complexe qui joue la fois squentiellement et pour ainsi dire
synoptiquement, puisquelle maille les noncs dans un filet plus ou
moins dense de boucles de rtroaction ou danticipation. Mais cette
anaphore micro-contextuelle, si elle assure un suivi et une
cohrence interphrastique, a ncessairement une porte limite. Elle
doit donc tre relaye par des oprateurs qui vont jouer un rle
analogue, mais cette fois en portant sur des groupes dnoncs plus
importants, et surtout en reliant des lments appartenant des
phrases disjointes. L anaphore textuelle joue un rle considrable
pour la cohrence thmatique et smantique, puisquelle assure la
continuit interphrastique dun sens qui est en quelque sorte
transport en mme temps quil est retravaill (changement de
focalisation, etc.). Elle joue galement un rle dterminant dans la
constitution de lespace-temps textuel, puisquelle assure un reprage
interne et des renvois qui permettent de contrebalancer la linarit
squentielle du discours par une mise en prsence quasi-simultane de
tout ou partie du texte par rapport un de ses lieux/moments. Il ne
sagit pas seulement dassurer le maintien ou la transformation dun
niveau isotopique, mais de construire le texte comme son propre
rfrentiel en lui associant des repres topologiques ou temporels.
Cette opration est extrmement gnrale et joue un rle considrable
dans toute lactivit langagire, puisquelle fait du texte sa propre
mmoire, le constituant comme une archive que lon peut reparcourir
sans fin, que lon peut la fois totaliser mesure quon en parcourt le
chemin jusqu la fin, ou dans laquelle on peut se rimmerger si lon
se rinscrit dans une des zones despace-temps qui le composent. Le
texte est ainsi offert dans une disponibilit permanente qui louvre
la lecture, lecture contrainte par les ciblages imposs et les
renvois explicites, mais aussi lecture ouverte qui veut sy frayer
son propre
29
-
cheminement. Sans elle nous serions vous la fragmentation,
limits des atomes de sens isols : toute activit discursive suppose
la construction dun espace/temps homogne lintrieur duquel
transitivit interne (enchanement des squences, isotopie, homognit
identifie des contenus ) et tr ans ver s alit (rptitions distance
de lidentique noms propres, systmes de dsignations etc. reprises,
renvois, anticipations, bilan gnral) se croisent sans cesse grce
aux anaphoriques textuels.
La question du statut de cette catgorie ncessiterait une
investigation beaucoup plus approfondie. Faut-il dsigner comme
anaphore des phnomnes discursifs qui habituellement ne relvent pas
de cette catgorie ? Tous les oprateurs mis en jeu pour cette
constitution ntant pas des anaphoriques, faut-il largir ce point la
catgorie danaphore, ou dsigner par un autre terme ces phnomnes si
lon pense quils constituent une classe bien dfinie ? Faut-il y
intgrer des phnomnes qui ne relvent pas de lnonciatif : grilles de
numrotation et pages, oprateurs de mise en relation logique ? Par
ailleurs cette question recoupe celle qui occupe la smantique
(rptitions strictes par synonymie ou largissement en classes
paraphrastiques) ? Est-il ncessaire de rappeler quil ne faut pas
confondre anaphore et corfrence, cette dernire assurant aussi pour
une part des effets de continuit smantique. Enfin, la
continuit/cohrence globale est galement lie des systmes de
contrainte qui mettent en forme le discours selon des structures
prconstruites : structures prosodiques ou rythmiques, structures de
genre : un roman, une pice de thtre obissent ou suscitent lattente
de structures narratives ou dialogiques qui schmatisent
lespace-temps du discours et contribuent la structuration de son
univers interne. Nous ne pouvons entrer ici dans lanalyse de cette
question, nous attachant seulement indiquer les caractristiques
gnrales dune contrainte de mise en discours qui, pour la
philosophie, joue un rle considrable.
Si toute mise en discours, orale ou textuelle, suppose comme une
de ses conditions fondamentales la possibilit de croiser continuit
et renvois, tous les discours nen font pas le mme usage :
coexistent des formes trs contraintes, et donc denses, et des
formes lches et dispersives ct de formes quilibres, tant du point
de vue squentiel que transversal : la prise en considration de la
variation qualitative et quantitative de lanaphore textuelle permet
une description fine de ce quon pourrait nommer mtaphoriquement le
grain du texte. Mais il sagit moins ici dtablir des coefficients de
densit ou de dispersion, que danalyser certains phnomnes
structurels pour lexposition doctrinale dune philosophie : celle-ci
doit pouvoir assurer son dploiement linaire selon un ordre
squentiel contraignant, qui dtermine les phases de la lecture, mais
doit aussi accomplir sa structuration en un corps dnoncs homognes.
L anaphore textuelle accomplit donc une fonction de totalisation
par laquelle le discours se rapportant lui-mme, ayant des limites,
une aire propre lintrieur de laquelle sont dfinis topologiquement
des rgions, temporel- lement des moments, peut oprer la
systmatisation doctrinale, et rendre possible sa ractualisation par
un lecteur.
2 . Anaphore textuelle, didacticit et systmatisation de la
doctrine spinoziste dans l'Ethique
Nous voudrions montrer comment Spinoza doit rsoudre un problme
dquilibre entre la construction de sa doctrine selon le point de
vue de la vrit de lide adquate, et la ncessit de tenir compte des
contraintes communicationnelles permettant doprer une conversion
des lecteurs et duniversaliser son propos.
30
-
Didacticit et Expressivit selon lordre rigoureusement
dmonstratif semblent se contredire, et c est la densit des renvois
internes du systme qui, accentuant son caractre hermtique, semble
en rendre laccs impossible. Or nous montrerons au contraire que
VEthique, en superposant des rseaux de renvois, en intriquant ainsi
selon des rgles rigoureuses des strates discursives fonctionnant
selon des rgimes nonciatifs diffrents, peut satisfaire simultanment
les contraintes didactiques (expliquer), pdagogiques (convertir par
lintriorisation comprhensive), dmonstratives (enchanement dductif
des propositions).
A) Forclusion systmique du pdagogique et paradoxes de
lecture