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Une jeune professionnelle du sexe, appuyée contre les barreaux de la maison close où elle vit et travaille, dans le quartier chaud de Dacca, au Bangladesh. Un nombre important de jeunes filles, au Bangladesh et ailleurs, deviennent des professionnelles du sexe sous la contrainte ou après avoir été enlevées. De nombreuses filles exploitées sont retenues dans des conditions de quasi-captivité par leurs souteneurs et leurs « mamas », qui les obligent à satisfaire autant de clients qu’il leur est donné de trouver. Photo : Martin Adler/Panos
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corps meurtris, rêves brisés La violence à l'égard des femmes mise à jour chap3

Jan 26, 2023

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Marion Pulce
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Page 1: corps meurtris, rêves brisés La violence à l'égard des femmes mise à jour chap3

Une jeune professionnelle du sexe, appuyée contre les barreaux de la maison close où elle vit et travaille,dans le quartier chaud de Dacca, au Bangladesh. Un nombre important de jeunes filles, au Bangladesh et

ailleurs, deviennent des professionnelles du sexe sous la contrainte ou après avoir été enlevées. Denombreuses filles exploitées sont retenues dans des conditions de quasi-captivité par leurs souteneurs et

leurs « mamas », qui les obligent à satisfaire autant de clients qu’il leur est donné de trouver.

Photo : Martin Adler/Panos

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P r o s t i t u t i o n e t p o r n o g r a p h i e i n f a n t i l e s 35

Prostitution et pornographie

infantiles

En 1986, aux Philippines, quelque 20 000 enfants étaient victimes du commerce du sexe. En 2000, ils étaient 100 000,

soit cinq fois plus.1 En Lituanie, entre 20 et 50 pour cent des prostitués seraient mineurs. On sait que certains

enfants se prostituent dès l’âge de 11 ans dans des maisons closes. D’autres, placés en orphelinat, sont utilisés

pour la réalisation de films pornographiques – certains tout juste âgés de 10 ou 12 ans.2 Au Cambodge, l’âge moyen

des enfants qui entrent sur le marché du sexe est passé de 18 ans, en 1992, à 13 ou 14 ans, en 1994. A Taiwan, il se

situe entre 11 et 15 ans.3

En Asie, environ un million d’enfants victimes du commerce sexuel sont détenus dans des conditions similaires à

l’esclavage.4 Il a été demandé à 100 000 professionnels du sexe indiens d’indiquer l’âge qu’ils avaient lorsqu’ils ont

fait leurs premiers pas dans l’industrie du sexe : 40 pour cent ont déclaré avoir commencé avant l’âge de 18 ans.5

Le commerce sexuel des enfants : un phénomène mondialSelon les estimations du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), unmillion d’enfants, dans le monde, sont entraînés chaque année dans le commerce dusexe. La plupart d’entre eux sont des filles.6 Selon les statistiques publiées en 2000par l’Organisation internationale du travail, 1,8 millions d’enfants dans le mondeétaient exploités à des fins de prostitution ou de pornographie. Dans la plupart despays, les filles représentaient entre 80 et 90 pour cent de ces jeunes victimes.7 Selond’autres statistiques, le nombre des enfants impliqués dans le commerce sexuel seraitmême nettement plus élevé, puisqu’il avoisinerait les 10 millions.8

Ces approximations globales ne sont guère plus que des suppositions éclairées, du faitde la nature clandestine de l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, mais aussiparce que nombre des jeunes victimes de l’exploitation sexuelle dans le monde évoluentloin des regards de la société. Dès lors, un nombre incommensurable de ces enfants –dont la plupart sont pauvres, sans éducation, sans abri et bien souvent rejetés par la

société – n’apparaîtra jamais dans aucune statistique. En voici trois parmi tant d’autres :

« Rachel », une Albanaise de 12 ans qui travaillait dans une usine de cigarettes locale,a été emmenée en Italie et contrainte de se prostituer par son propre mari, âgé de 29ans, trois mois après leur mariage. Si elle refusait de vendre son corps sur les trottoirs,celui-ci la battait. « Je travaillais du matin au soir, tous les jours », explique Rachel,qui satisfaisait jusqu’à 10 clients par jour pour gagner la somme de 250 dollars exigéepar son proxénète de mari.9

« Sarah », originaire des États-Unis, avait 10 ans lorsqu’elle a subi des sévices sexuels,en direct, devant la caméra du père de son amie. L’appareil était connecté àl’ordinateur de ce dernier, ce qui lui permettait de recevoir, en simultané, lesinstructions des membres d’un réseau pédophile sur Internet, qui guidaient ses gestes.Par la suite, l’homme avait échangé les images sur Internet.10

Cha

pitr

e 3

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36 P r o s t i t u t i o n e t p o r n o g r a p h i e i n f a n t i l e s

« Saïda », une Kenyane, a arrêté l’école à l’âge de 15 ans pour s’occuper de sa mèresouffrante. Après la mort de celle-ci, Saïda s’est mise à vendre des fèves, qu’ellecuisinait elle-même, pour subvenir aux besoins de ses frères et sœurs. Un jour, alorsque sa famille n’avait plus rien à manger, Saïda a consenti à avoir des rapports sexuelsavec un jeune homme de son quartier, en échange d’une somme d’argent. « Il medonnait entre 300 et 500 shillings [entre 4 et 7 dollars environ] quand je couchaisavec lui, et ça m’aidait. Mais j’avais peur d’attraper des maladies parce que je savaisqu’il couchait avec d’autres femmes, » avait expliqué Saïda.11

Malgré tout, Rachel, Sarah et Saïda ont eu de la chance : rares sont celles quiparviennent à se tirer de cette spirale de sévices. Rachel, sauvée par une organisationde lutte contre le trafic, est retournée dans safamille, en Albanie. Par la suite, elle a reçu uneaide financière qui lui a permis de s’inscrire à unprogramme de formation professionnelle. Sarah,quant à elle, avait d’abord nié que le père de sonamie lui avait infligé des sévices sexuels. Toutefois, grâce au soutien de sa mère, lafillette a fini par révéler les agissements de ce dernier. Son témoignage a permis à lapolice d’incarcérer l’agresseur et a donné lieu à la première opération internationale degrande envergure, mise en œuvre par la police pour appréhender les pédophilesagissant via l’Internet. Enfin, Saïda a été informée, par les femmes de sa communauté,de l’existence d’un programme local mis en place pour aider les filles exposées aucommerce sexuel ou y participant. Grâce à ce programme, la jeune fille prévoit desuivre une formation de coiffeuse et de renvoyer ses trois petites sœurs à l’école.

La plupart des enfants victimes de l’exploitation sexuelle n’ont pas la même chance.Thea Pumbroek avait six ans lorsqu’elle est morte d’une overdose de cocaïne, pendantle tournage d’une des nombreuses vidéos pornographiques dans lesquelles elle étaitforcée de figurer. Rares sont ceux qui connaissent l’histoire tragique de sa vie et de samort : « Considérée comme un objet de son vivant, elle n’a guère été mieux traitée,semble-t-il, à sa mort ».12

Nature de l’exploitation sexuelle des enfants à des finscommerciales – Une définitionLes experts s’accordent sur ce point : l’exploitation sexuelle des enfants n’est pas unphénomène récent. Elle existe sous différentes formes, dans toutes les cultures etremonte aux « périodes les plus reculées de l’histoire de l’humanité. »13 Néanmoins,des phénomènes plus récents – la mondialisation, l’internationalisation et le libre-échange – se sont conjugués pour provoquer « ce qui semble être une explosion, auniveau international » des ventes et achats d’enfants à des fins sexuelles.14

Dans le monde moderne, des jeunes filles et des jeunes garçons sont amenés, par laforce ou la coercition, à se prostituer, sont livrés au trafic sexuel, au niveau national

ou transnational, sont vendus comme esclaves sexuels ou bien encore exploités à desfins de pornographie et de tourisme sexuel. Toutes ces activités relèvent del’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales (ESEC). Bien qu’il n’y aitpas de définition universelle de ce terme, l’ESEC se rapporte généralement auxsévices sexuels subis par des enfants pour des raisons essentiellementéconomiques.15

Tout enfant amené, par la séduction, la force ou la coercition, à avoir des relationssexuelles en échange d’un gain matériel est exploité à des fins commerciales. S’il estvrai que l’argent est bien souvent le moyen d’échange, l’exploitation sexuelle desenfants peut également être pratiquée contre de la nourriture, un abri, une

protection, de la drogue ou d’autres biens et services. Dans certains cas, tels que laproduction et la vente de matériel pornographique, l’enfant peut être exploité à desfins commerciales sans recevoir d’argent ni de biens de la part de celui qui l’exploite.

La personne qui s’adonne à un acte sexuel avec un enfant est l’exploiteur direct.Partout dans le monde, la majorité de ces personnes sont des hommes. Certains sontpédophiles – ce terme désigne des adultes attirés sexuellement par des garçons oudes filles prépubères ou pubères. Sans nécessairement correspondre au profilconventionnel du pédophile, d’autres ciblent néanmoins les enfants car ceux-ci sont,croient-ils, moins susceptibles de contracter des maladies sexuellementtransmissibles. D’autres, encore, utilisent des enfants uniquement par commodité oupar curiosité, sans se soucier de leur âge.16

Il existe également des réseaux d’autres exploiteurs (souteneurs, trafiquants, membresde la famille des enfants, membres de réseaux de crime organisé…), qui ne s’adonnentpas nécessairement à des activités sexuelles directes avec des enfants, mais qui facilitentl’exploitation sexuelle de ceux-ci afin d’en tirer un profit financier ou matériel. Certes,les hommes sont bien représentés parmi ces exploiteurs tiers, mais un grand nombre

Des phénomènes plus récents – la mondialisation, l’internationalisation et le libre-échange – se sont conjugués pour provoquer « ce qui semble être une explosion au

niveau international » des ventes et achats d’enfants à des fins sexuelles.

* La traite des femmes et des filles étant abordée de manière approfondie au chapitre 7,le présent chapitre sera principalement consacré à la prostitution et à la pornographieinfantiles. Il importe cependant de noter que toutes les formes d’exploitation sexuelledes enfants à des fins commerciales sont étroitement liées et qu’un type d’exploitationcontribue souvent à un autre. Les enfants peuvent, par exemple, être livrés au trafic àdes fins de prostitution, puis exploités par des touristes sexuels et forcés à participer à laproduction de matériel pornographique.Mettre fin à la prostitution des enfants, à la pornographie infantile et à la traite desenfants à des fins d’exploitation sexuelle

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« Angelica », 14 ans, prostituée à Rita, en Lettonie. Le jour, elle voit ses amis ets’amuse dans les salles de jeux vidéo. La nuit, elle se prostitue dans le quartierchaud avant de retourner dans l’appartement où elle vit, et où de nombreusesfamilles partagent le même robinet d’eau courante.

Photo : Jorgen Hildebrandt/Panos

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Arrestation du souteneur d’une professionnelle du sexethaïlandaise à la suite d’une rafle policière, à

Johannesburg, en Afrique du Sud. L’homme est inculpépour détention d’un grand nombre de DVD de

pornographie infantile, fabriqués en Asie.

Photo : Mariella Furrer

Des DVD pornographiques changent de mains à Kaboul,en Afghanistan. Dans certaines villes d’Afghanistan, la

pornographie est devenue bien plus accessible depuis lachute du régime des Taliban, en 2001. L’accès à l’Internet

et la technologie du DVD ont entraîné un accroissementconsidérable de l’accès à la pornographie dans le monde,

et les sites de sexe sont invariablement les plusconsultés.

Photo : Fredrik Neumann/Panos

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somme étant issu de la prostitution infantile.24 De nombreux pays « sont devenusautant tributaires de la vente de services de femmes et d’enfants que de culturescommerciales ».25 Le Brésil, l’Inde, la Chine, la Thaïlande et les États-Unisprésenteraient le plus grand nombre d’enfants prostitués – certains tout juste âgés de 10ans. Néanmoins, le commerce sexuel des enfants reste un phénomène international.26

La plupart des enfants prostitués font partie des marchés principaux de laprostitution. De manière générale, les exploiteurs ne les choisissent pas pour leurjeune âge. Toutefois, il existe des exceptions à la règle. La pédophilie en est une. Lademande croissante en prostituées « vierges » en est une autre. Des fillettes sontvendues à loisir – par des souteneurs ou des propriétaires de maisons closes, dans des

boîtes de strip-tease, etc. – sous le prétexte fallacieuxqu’elles ne sont atteintes d’aucune maladiesexuellement transmissible, car elles sont vierges.26

Enfin, le tourisme sexuel des enfants constitue lui aussi une exception à la règle – onparle de tourisme sexuel lorsque des personnes voyagent vers d’autres pays dans lebut de se livrer à des actes sexuels de nature commerciale avec des enfants, biensouvent par le biais de tour-opérateurs qui proposent leurs services sur Internet. Letouriste sexuel choisit généralement des destinations où l’âge légal du consentementsexuel est moins élevé ou l’application de la loi plus laxiste que dans son paysd’origine. Selon le Tribunal international des droits des enfants, « Les voyages [à butsexuel] permettent à des hommes et à des femmes qui veilleraient à ne pas se faireaccoler l’étiquette de pédophile de se rendre dans des destinations dites exotiques oùils peuvent échapper aux mœurs sexuelles qui s’exercent dans leur pays parce qu’ilscroient que ces règles n’existent pas dans ces autres cultures. Les puissantes forces quesont le racisme, la misogynie, le néocolonialisme et l’exploitation économique seconjuguent aux fins de la promotion de séjours exotiques et érotiques ».26

Dans certaines régions, des traditions anciennes exigent que les femmes et les fillesse livrent automatiquement au commerce du sexe – et que les hommes deviennent lessouteneurs de leurs sœurs, de leurs épouses et de leurs filles. Par exemple, les hommesdu peuple rajnat, au Rajasthan, en Inde, vivent depuis des siècles des revenus généréspar les femmes de leurs familles. Dans le passé, les filles rajnat offraient leurs servicesaux familles princières du Raj britannique. Aujourd’hui, elles se mettent au service defermiers et de marchands locaux. La participation des femmes au commerce du sexeest telle que certaines communautés manquent de femmes à marier. Même ceux quiparviennent à trouver une épouse peuvent être contraints de s’occuper des enfantstandis que celle-ci se livre au commerce du sexe. Ces familles apprennent d’ailleurs àleurs filles à en faire autant.27

Les marchés non-commerciaux

La prostitution infantile se pratique également hors des marchés commerciaux. Danscertaines régions d’Afrique et d’Asie, des fillettes sont offertes ou vendues comme

de femmes sont, elles aussi, les organisatrices ou les bénéficiaires du commerce sexueldes enfants. Dans certains contextes, les femmes sont les promotrices essentielles ducommerce sexuel des enfants et peuvent en être à la tête. Bien souvent, ces femmes et,dans une moindre mesure, leurs homologues masculins sont « les enfants exploitésd’hier [qui] exploitent aujourd’hui les enfants qui seront les exploiteurs de demain. »17

Pour beaucoup d’exploiteurs tiers, la soif d’argent est sans aucun doute unemotivation importante, soutenue par des traditions ou des croyances qui privent lesenfants de leurs droits fondamentaux. Dans certains cas, les circonstances quipoussent les enfants vers le commerce du sexe sont aussi celles qui motivent lesexploiteurs tiers : pauvreté, aucune autre source de revenu, peu ou pas d’éducation,

violence familiale, dépendance à la drogue, inégalité des sexes et autres formes dediscrimination ou d’exclusion sociale.18 En dépit de tout point commun possible, lesexploiteurs ont toujours l’avantage sur les enfants qu’ils exploitent. Par définition,dans tous les cas d’exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales, la plusgrande partie des gains reviennent à l’exploiteur. Les droits et le bien-être de l’enfantsont ignorés, que celui-ci se livre à ces activités sexuelles de son plein gré ou non.19

Comme c’est le cas pour la violence sexuelle, la loi ne tient pas compte duconsentement de l’enfant en deçà d’un certain âge. Dans certains pays, toute formede pornographie ou de prostitution est illégale, quel que soit l’âge de la personneimpliquée. En outre, de plus en plus de pays criminalisent le trafic d’enfants. Malgrétout, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la vente d’enfants, la prostitutiondes enfants et la pornographie impliquant des enfants s’est inquiété de constater que,dans de nombreux pays, l’exploitation sexuelle des enfants n’était pas considéréecomme un crime. 20

Dans les pays où la loi autorise la pornographie ou la prostitution, et où l’âge duconsentement est relativement peu élevé, les enfants sont sans doute plusvulnérables face à certaines formes d’exploitation sexuelle, telles que le tourismesexuel. Toutefois, même dans les pays où la prostitution et/ou la pornographie sontinterdites, les systèmes de justice pénale tendent à sanctionner les travailleurs dusexe plus sévèrement que les exploiteurs. Cette tendance s’ajoute en outre à la natureclandestine de l’industrie du sexe, si bien que, de toutes les jeunes victimes del’exploitation sexuelle, les enfants livrés au commerce du sexe dans ces pays sontsans doute parmi les plus difficiles à atteindre et à aider.21

La prostitution infantile dans le monde contemporain

En 1998, la revue The Economist estimait que le commerce du sexe générait 20milliards de dollars américains par an à l’échelle internationale, un quart de cette

De nombreux pays « sont devenus autant tributaires de la vente de services defemmes et d’enfants que de cultures commerciales ».

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esclaves sexuelles par leurs familles, en échange d’une aide politique, d’un profitéconomique, d’un apaisement spirituel ou bien des trois à la fois. Ces enfants sontmis au service de prêtres, d’hommes fortunés ou même de divinités (dans ce derniercas, elles deviennent les prostituées d’un temple).28

Quelle que soit leur culture, les enfants des rues sont susceptibles de pratiquer le « sexepour la survie », c’est-à-dire d’utiliser le sexe comme moyen de subsistance. C’est aussile cas d’autres enfants, pauvres ou marginalisés par la société, qui n’ont ni ressource niappui. Selon une étude des adolescents de Zambie, beaucoup de filles auraient desrapports sexuels avec des jeunes gens de leur âge en échange d’argent ou de biens. Lesfilles avaient admis qu’elles étaient principalement motivées par la pauvreté. Lesgarçons, en revanche, avaient expliqué qu’« avoir des rapports avec des filles permetde prouver qu’on est un homme et d’obtenir une plus grande popularité. »29

Les relations qu’entretiennent certaines filles avec de « vieux protecteurs »renforcent encore davantage cette dynamique de l’inégalité des pouvoirs. Lephénomène mondial des « vieux protecteurs » semble avoir de plus en plus de succèsen Afrique subsaharienne, où des hommes d’âge mûr contraignent des adolescentesà entretenir des relations de nature sexuelle avec eux en leur offrant de l’argent, destéléphones portables ou d’autres cadeaux. Ces hommes espèrent ainsi ne pass’exposer au VIH/sida ni à d’autres maladies sexuellement transmissibles. Toutefois,

si l’homme d’âge mûr est moins exposé, la jeune fille, en revanche, l’est sans doutedavantage : différentes études suggèrent en effet qu’une fille parvient moins bien àfaire accepter le port du préservatif lorsqu’il existe une différence d’âge marquéeentre elle et son partenaire.30 C’est le cas de toutes les filles exploitées sexuellement,que leur maltraitance ait lieu dans un cadre commercial ou non.

Toutefois, les filles ne sont pas les seules victimes du commerce sexuel. Bien qu’iln’existe pas encore de statistiques pour le confirmer, il est probable qu’un nombreconsidérable de jeunes garçons soient exploités sexuellement dans chaque pays. AuSri Lanka, les jeunes garçons sont bien plus nombreux que les filles à se prostituer.31

La République Dominicaine, Haïti, la République tchèque, l’Égypte et le Marocfigurent parmi les destinations du tourisme sexuel ciblant les jeunes garçons.32 EnIrak, où le nombre des travailleurs du sexe a augmenté avec l’agitation politique, descentaines de jeunes garçons seraient victimes de l’exploitation sexuelle. Beaucoupd’entre eux travaillent sous le contrôle et la menace de gangs. Hassan, 16 ans, esthomosexuel, un crime passible de mort selon la loi islamique en vigueur en Irak. Lejeune garçon a été contraint de se livrer au commerce du sexe par l’un de sespartenaires sexuels, qui avait pris des photos de lui pendant leurs ébats. L’homme

avait menacé Hassan d’envoyer les photos à sa famille si celui-ci refusait de coucheravec d’autres hommes pour de l’argent.33

Malgré la vulnérabilité manifeste des garçons – notamment de ceux touchés par lapauvreté, homosexuels ou rejetés par la société pour toute autre raison – la majoritédes enfants prostitués du monde sont des filles. A de nombreux égards, leurexploitation constitue le prolongement des normes et des comportementssexospécifiques en vigueur dans les sociétés qui les achètent et les vendent. A Tokyo,par exemple, une étude réalisée en 2001 indiquait que « 72 pour cent desadolescentes avaient subi des attouchements sur le chemin de l’école ». Dans cettemême ville, un sex-shop propose à ses clients un service intitulé « Arracher la culotted’une écolière ». Les clients peuvent également « agresser sexuellement » des fillesqui se tiennent à des poignées suspendues au plafond pour recréer le décor d’unwagon de métro.34

Pornographie infantile dans le monde actuel

On ne s’étonnera pas de constater que le Japon est un grand producteur asiatique depornographie infantile.35 Partout dans le monde, il existe des liens étroits entre laprostitution infantile, le tourisme sexuel ciblant les enfants et la production depornographie infantile.36

Des garçons et des filles de tous âges, y comprisdes nourrissons, sont exploités sexuellement pourles besoins de l’imagerie pornographique.37 À lafois « crime en elle-même et […] image d’une

scène de crime », la pornographie infantile existe depuis des siècles.38 Au cours des30 dernières années, néanmoins, elle s’est transformée en un commerce florissant :plus hard que jamais, ses images sont de plus en plus accessibles via l’Internet.39

La plupart des pédophiles n’utilisent pas la pornographie infantile à des finspécuniaires. Ils sont plus susceptibles de mettre de côté des photos et des films qu’ilspourront ensuite copier et échanger, pour enrichir leur collection privée. Néanmoins,avec l’apparition des technologies modernes (caméras et ordinateurs personnels), lapornographie infantile est de plus en plus facile à produire et à échanger sans que l’onsoit répéré. Dès lors, la distribution illégale est devenue mieux organisée et pluscommerciale. Aux États-Unis seulement, le marché de la pornographie infantilegénèrerait entre 2 et 3 milliards de dollars par an environ. De tels revenus en fontl’une des industries artisanales les plus lucratives du pays. Enfin, la Russie se distinguecomme marché émergent, deuxième producteur de pornographie infantile,uniquement devancée par les États-Unis.

À notre époque, aucune région du monde n’échappe à la production de pornographieinfantile. Du temps où cette industrie n’en était qu’à ses balbutiements, la plupart des

Aux États-Unis seulement, le marché de la pornographie infantile génèrerait entre 2 et3 milliards de dollars par an environ. De tels revenus en font l’une des industriesartisanales les plus lucratives du pays.

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Des prostituées de quinze ans, à Birmingham, en Angleterre.

IPhoto : Karen Robinson/Panos

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Une esclave tire de l’eau pour la famille de son maître, au Niger,où de nombreux enfants esclaves sont nés de viols. Quel que soit

leur âge, les femmes esclaves du Niger sont exploitées sansrelâche par leurs maîtres, à titre de main-d’œuvre gratuite ; elles

servent également d’esclaves sexuelles et d’« éleveusesd’esclaves » pour la génération suivante.

Photo : Georgina Cranston/IRIN

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Vingt-quatre heures seulement après m’être connecté pour la première fois, j’avaistrouvé du porno infantile […] J’ai trouvé des gens à qui parler. Des gens quiressentaient les mêmes choses que moi. […] Je n’ai jamais eu autant d’amis. »49

Reconnaissance mondiale du problème

Au cours de la dernière décennie du vingtième siècle, la communauté internationalea uni ses forces pour endiguer la vague montante de l’exploitation sexuelle desenfants à des fins commerciales. En 1989, la Convention relative aux droits del’enfant a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les payssignataires de la Convention sont tenus de protéger les enfants contre toutes lesformes d’exploitation et d’agression sexuelles. En 1991, les Nations Unies ont

nommé le premier Rapporteur spécial chargé de traiter cette question. Puis, en 1996,1 300 personnes venues des quatre coins du monde se sont réunies à Stockholm, enSuède, pour participer au premier Congrès mondial contre l’exploitation sexuelle desenfants à des fins commerciales.

A l’issue du congrès, qui avait duré une semaine, les 122 gouvernements participantsavaient adopté à l’unanimité la Déclaration et le Plan d’action de Stockholm, unevéritable révolution dans ce domaine. Le Plan d’action exige des pays qu’ils élaborentou renforcent et mettent en place « une législation nationale visant à établir laresponsabilité pénale des prestataires de services, des clients et des intermédiairesimpliqués dans la prostitution, le trafic d’enfants et la pornographie infantile ycompris la possession de matériel pornographique mettant en scène des enfants ettoute autre activité sexuelle illégale. »50 De même, il exhorte les gouvernements à «ne pas sanctionner, en accord avec les droits de l’enfant, les enfants victimes del’exploitation sexuelle à des fins commerciales. »51 Le Plan d’action a été réaffirméet renforcé cinq ans plus tard, par les participants au second Congrès mondial, quis’est tenu à Yokohama, au Japon.

En mai 2000, les Nations Unies ont adopté un protocole visant spécifiquement àinterdire la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie infantile. Ennovembre de la même année, l’organisation a adopté le protocole de Palerme, axé surla prévention et la répression du trafic d’êtres humains, notamment des femmes etdes enfants. Certes, ces accords internationaux constituent d’importantes avancéescar ils responsabilisent les gouvernements en matière de protection des enfants.Toutefois, la ratification de tels accords ne représente qu’une avancée modeste aucœur d’un processus bien plus vaste visant à freiner la recrudescence, au niveauinternational, de l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.

P r o s t i t u t i o n e t p o r n o g r a p h i e i n f a n t i l e s 43

images représentaient des enfants occidentaux, nombre d’entre eux étant originairesdes États-Unis. Leurs photos étaient ensuite reproduites en Europe à des finscommerciales.40 Un petit nombre d’autres images provenaient d’Inde, du Mexiqueet d’Afrique. Par la suite, avec la recrudescence du tourisme sexuel, des imagesd’enfants originaires d’Asie et d’Europe de l’Est sont venues s’ajouter à la based’échange mondiale de la pornographie infantile ; ces images étaient distribuées parles touristes sexuels, qui filmaient leurs rencontres avec les enfants exploités.41 Lesenfants originaires d’Amérique latine sont eux aussi exploités devant les caméras depédophiles et d’agresseurs sexuels à la fois locaux et internationaux. Au Brésil, lesenfants des rues sont la cible privilégiée de la pornographie, qui s’exporte par la suitevers l’Amérique du Nord.42

De nombreuses victimes dela pornographie infantilesont des garçons. Aux États-Unis, plus de 50 pour centdu matériel pornographiqueinfantile saisi lors de raids représente des garçons. Au Canada, ce chiffre s’élève à 75pour cent. Au Japon, en revanche, la plupart des images représentent des filles.43

Pour les garçons comme pour les filles, être exploité devant l’objectif d’une camérapeut avoir un impact psychologique durable. Leur durée de conservation étantquasi-illimitée, les images pornographiques peuvent continuer d’être reproduites etdistribuées, de telle sorte que, « ayant depuis longtemps atteint l’âge adulte, il ou ellesait que quelqu’un peut encore être en train de regarder sa photographie, et être ainsile témoin de sa dégradation et de sa souffrance. »44 C’est le cas, sans doute plus quejamais, à l’heure de l’Internet.

Certaines données suggèrent qu’un nombre important de consommateurs depornographie infantile sont sans doute également des agresseurs d’enfants en activité.45

L’Internet permet aisément d’établir ce lien, car il « agit non seulement commemécanisme de production, de visionnage, d’échange et de distribution de matérielpornographique infantile, mais également comme vecteur qui permet auxpornographes infantiles d’entrer en contact avec de nouvelles victimes, pour les prendreau piège. »46 Les agresseurs sexuels peuvent entrer dans des forums de discussion pourenfants et gagner la confiance de ces derniers. Ensuite, ils peuvent leur demander deleur envoyer des photos d’eux par Internet ou organiser une rencontre – certainsvoyagent d’un continent à l’autre – dans le but de leur infliger des sévices sexuels.47

Selon une étude réalisée aux États-Unis, parmi les utilisateurs réguliers d’Internet, unenfant sur cinq est sollicité par des internautes inconnus à des fins sexuelles.48

En outre, les pédophiles et autres agresseurs d’enfants reçoivent, par le biais del’Internet, un renforcement positif susceptible de conférer à leurs pulsions et à leurscomportements criminels un caractère légitime et normal. Selon un pédophilecondamné, « L’Internet, c’est génial. C’est un monde à part entière qui vous absorbe.

L’Internet « agit non seulement comme mécanisme de production, de visionnage, d’échange et dedistribution de matériel pornographique infantile, mais également comme vecteur qui permet aux

pornographes infantiles d’entrer en contact avec de nouvelles victimes, pour les prendre au piège ».

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44 P r o s t i t u t i o n e t p o r n o g r a p h i e i n f a n t i l e s

Au cours des cinq dernières années, des progrès considérables ont été réalisés dansla mise en application d’une réglementation protectrice relative à différents aspectsde l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Par exemple, 32 paysau moins ont adopté des lois extraterritoriales pour soutenir la poursuite en justicedes ressortissants qui commettent des crimes sexuels sur des enfants à l’étranger.L’Organisation mondiale du tourisme a créé un Code de conduite international pourla protection des enfants contre l’exploitation sexuelle dans le tourisme et l’industriedes voyages. Certains pays ont élevé l’âge légal à atteindre pour pouvoir participer à

la production de matériel pornographique, afin qu’il coïncide avec l’âge de lamajorité plutôt qu’avec l’âge du consentement sexuel, souvent moins élevé. Danscertains pays, des permanences téléphoniques ont été mises en place pour permettreà la population de signaler les sites Internet qui appuient la pornographie infantile.52

Malgré ces progrès, le Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, la prostitutiond’enfants et la pornographie impliquant des enfants a observé, dans un rapportréalisé en 2003, que de nombreuses lois nationales ne criminalisaient pas comme ilse devait les infractions commises contre des enfants.53 Même dans les pays, de plusen plus nombreux, qui ont adopté des lois contre l’exploitation sexuelle des enfants,la mise en application de ces lois reste difficile. L’on déplore le « manque deformation alarmant » des représentants des forces de l’ordre et du système judiciaire.Qui plus est, les enfants victimes de cette pratique n’ont pas toujours accès à uneassistance juridique.54 Lorsque des procédures judiciaires sont engagées, celles-cipeuvent faire l’objet de nombreux reports et aboutir à des verdicts inattendus, ce quicontribue à « victimiser » davantage les enfants concernés. Selon le Rapporteurspécial, ce « processus de "revictimisation" des enfants et des adolescents quicherchent des mesures correctives, alimente le cercle vicieux de l’impunité. »55

À titre d’exemple, le cas d’un diplomate australien, accusé d’avoir exploitésexuellement deux enfants des rues du Cambodge, n’avait été porté devant les

tribunaux australiens qu’au bout de deux ans. Conformément à la loi extraterritorialeaustralienne, les enfants avaient été emmenés en Australie pour apporter leurstémoignages. N’ayant pas bien compris le déroulement de la procédure, ils avaientrépondu de manière confuse au cours d’un contre-interrogatoire violent. Enconséquence, le juge avait déclaré un non-lieu et acquitté le défendeur. Les enfantsavaient été renvoyés au Cambodge, où leur avenir reste incertain. A l’heure actuelle,l’un de ces enfants effectue des allers-retours jusqu’à la frontière thaïlandaise, sansdoute pour y travailler comme prostitué.56

Dans beaucoup d’autres cas, les enfants victimes del’exploitation sexuelle sont ignorés ou traitéscomme des délinquants. Ils portent les nombreusesblessures physiques et psychologiques infligées par

leur exploitation – viol, agression, VIH/sida et autres maladies sexuellementtransmissibles, grossesses non désirées et autres problèmes de santé reproductivemultiples, rejet social, comportement asocial, abus de substances toxiques,dépression et tendances suicidaires n’en sont que quelques-unes parmi tantd’autres.57 Leur rétablissement dépend non seulement de la mise en application delois efficaces pour les protéger, mais aussi de la capacité des organisations à lestrouver et à les soutenir.

En vue de rassembler des informations relatives aux pratiques les meilleures,l’organisation End Child Prostitution, Child Pornography, and the Trafficking ofChildren for Sexual Exploitation International (ECPAT) s’est engagée, lors duCongrès de Stockholm, à créer une base de données, propre à chaque pays, portantsur les programmes nationaux de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants. Sescomptes rendus des programmes de prévention et de prise en charge mis en placeaux niveaux régional, national et local comprennent, entre autres, des descriptionsd’activités de sensibilisation entreprises en Honduras, de stratégies d’application dela loi au Cambodge et de programmes d’éducation entre membres d’un même groupeen Chine. Ces études de cas sont une source d’inspiration pour les initiatives à venir,afin que les générations actuelles reçoivent une aide au lieu de subir desrécriminations, et pour que moins d’enfants vivent les mêmes expériences queRachel, Sarah, Saïda, Thea, Mary et des millions d’autres comme elles. n

Dans beaucoup de cas, les enfants victimes de l’exploitation sexuelle sont ignorés outraités comme des délinquants.

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Un groupe de jeunes filles et de jeunes garçons s’entassent à l’arrière d’un fourgon de police, après avoir été raflés sur la voie publique,dans le quartier chaud de Manille, au petit matin. Certains d’entre eux vendaient des chewing-gums ou des cigarettes ; d’autrestravaillaient probablement comme prostitués mineurs. Ces enfants peuvent être libérés sous caution ou moyennant le versement d’uneamende modique. Aux Philippines, selon certains observateurs, les officiers de police en service acceptent 10 dollars pour « libérer souscaution » un enfant et le livrer aux pédophiles, qui l’emmènent ensuite dans un hôtel et lui infligent des sévices sexuels.

Photo : Peter Marlow/Magnum

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46 P r o s t i t u t i o n e t p o r n o g r a p h i e i n f a n t i l e s

« Mary » est une jeune Kenyane de 14 ans. Lorsqu’elle était très jeune – elle ne se rappelle pas l’âge qu’elle avait – son père a affirmé qu’ellen’était pas sa fille biologique et a tenté de la tuer. Elle s’est enfuie toute dévêtue et a été accueillie par Jane, une jeune adolescente, qui l’a lavée, vêtue et nourrie. Jane travaillaitla nuit, comme enfant prostituée, et Mary en a bientôt fait autant. Une nuit, Jane a emmené Mary chez un homme. Mary, sous l’emprise de l’alcool et de la marijuana, ne sesouvient guère de ce qui s’est passé – elle sait seulement qu’elle a été violée à plusieurs reprises, puis enfermée. Pendant trois jours, pieds et poings liés, elle a été violée jusqu’àla soumission. Son violeur est par la suite devenu son souteneur : la nuit, il l’obligeait à faire le trottoir, et chaque matin, la forçait à lui remettre l’argent qu’elle avait gagné.

« J’étais très malheureuse, mais je n’avais pas le choix. Je voulais m’échapper. Un jour, j’ai tenté de m’enfuir mais il m’a rattrapée et m’a mis un couteau sous la gorge. J’ai criétrès fort. Une voisine m’a entendue. Elle est venue à la maison. Elle a pris le couteau, mais n’a rien fait de plus pour m’aider ».

Un groupe d’enfants prostitués, qui avait eu vent des ennuis de Mary, en a informé la police. Celle-ci a appréhendé le souteneur et lui a imposé un examen médical, dont lesrésultats ont confirmé qu’il était atteint de gonorrhée. Quant à Mary, elle est restée au poste de police pendant deux jours et a passé, elle aussi, un examen médical : elle avaitégalement contracté la gonorrhée. Pour aider Mary, des policiers ont contacté End Child Prostitution in Kenya, une organisation non gouvernementale locale. L’organisation,qui faute de fonds, ne disposait pas de lieu d’hébergement, a orienté Mary vers un refuge de Nairobi situé à quelques heures de son lieu de résidence. Le centre, dirigé parGOAL, une organisation humanitaire irlandaise, fournit aux enfants des soins médicaux et un programme d’alphabétisation de base.

« J’étais très malheureuse avec la vie que je menais. Mais je n’avais aucun moyen de m’échapper. Sur le trottoir, je devais garder en moi toutes mes émotions – je n’avais personneà qui parler. Aujourd’hui, enfin, je vais bien. J’ai eu tellement de chance d’avoir été emmenée ici. Quand je dors, je fais encore de terribles cauchemars où je revois cet homme.Si quelqu’un me parle de cette période de ma vie, ma tête se vide et j’ai le vertige. Je n’ai pas les idées claires. Moi qui n’ai jamais eu d’éducation, on me donne la chanced’apprendre à lire et à écrire. Pour l’instant, je ne peux pas me projeter loin dans l’avenir. Je suis juste très reconnaissante de l’aide que j’ai reçue depuis que j’ai été sauvée.

« Là d’où je viens, il y a tellement de filles qui ont été violées et mènent ma vie d’avant. Si quelqu’un veut nous aider, nous avons désespérément besoin d’un refuge vers lequelces enfants pourront s’échapper. Un refuge qui puisse leur offrir une formation professionnelle et leur donner la chance de se construire une vie meilleure ».

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Photo : Georgina Cranston/IRIN

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« Roxanna » se repose en attendant les clients sur le bord d’une route nationale, à Managua, au Nicaragua. À 15 ans, elle fait le trottoir la nuit en compagnie d’autres adolescentes,qui se prostituent, elles aussi, pour aider leur famille. Roxanna, comme beaucoup d’entre elles, a subi des sévices sexuels lorsqu’elle était plus jeune : « J’ai été violée par deux

gars quand j’avais 13 ans. Il était sept heures du soir, et je rentrais du marché. J’ai dû rester à la maison pendant un mois après le viol. On avait besoin d’argent – nous étionstellement endettés que j’ai décidé de faire le tapin ». Le père de Roxanna a quitté le foyer familial lorsque celle-ci avait neuf ans, et sa mère, aujourd’hui âgée de 60 ans, souffre dediabète. « Elle a des ulcères sur les jambes et ne peut plus marcher », explique Roxanna. « Deux mois après que j’ai commencé à travailler, elle m’a demandé comment j’avais eu

l’argent. Je lui ai dit. Elle a admis qu’il n’y avait pas d’autre solution. Maintenant, j’y vais tous les soirs ».

Photo : Evelyn Hockstein/IRIN

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