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Gabor Gelléri (Aberystwyth University) Contre-voyage/s – un cas particulier du contre-texte Publié dans La Lecture littéraire 12, « Le contre- texte », mai 2014, 125-138. La publication des Lettres sur les François et les Anglois de Béat de Muralt 1 fut l’occasion d’un débat littéraire, mais aussi idéologique d’une intensité rarement égalée pendant les premières décennies du 18 e siècle. Certains travaux se sont déjà penchés sur ce débat : Janos Riesz y voit une manifestation par excellence de la Frühaufklärung française 2 ; la littérature secondaire suisse y souligne la première émergence d’une identité d’écrivain spécifiquement romande. Ces interprétations scientifiques récentes ne font que continuer un débat lancé par le texte même et les lectures contemporaines de Muralt. Chacun des commentateurs a abordé ce texte avec des intentions précises, formant une constellation textuelle d’une densité remarquable. Appliquer la notion de contre-texte à ce cas qui dépasse considérablement les seules frontières de la production littéraire, place le « cas Muralt » 1 Béat Louis de Muralt, Lettres sur les Anglois et les François et sur les Voiages, 1725 (plusieurs éditions). 2 Janos Riesz, Beat Ludwig Muralts « Lettres sur les Anglais et les Français et sur les Voyages ». Eine literarische « Querelle » der Französischen Frühaufklärung. München, Wilhelm Fink Verlag, 1979 1
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Contre-voyage/s - un cas spécifique du contre-texte

Jan 26, 2023

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Brieg Powel
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Gabor Gelléri (Aberystwyth University)

Contre-voyage/s – un cas particulier ducontre-texte

Publié dans La Lecture littéraire 12, « Le contre-texte », mai 2014, 125-138.

La publication des Lettres sur les François et les Anglois deBéat de Muralt1 fut l’occasion d’un débatlittéraire, mais aussi idéologique d’une intensitérarement égalée pendant les premières décennies du18e siècle. Certains travaux se sont déjà penchéssur ce débat : Janos Riesz y voit une manifestationpar excellence de la Frühaufklärung française2 ; lalittérature secondaire suisse y souligne lapremière émergence d’une identité d’écrivainspécifiquement romande. Ces interprétationsscientifiques récentes ne font que continuer undébat lancé par le texte même et les lecturescontemporaines de Muralt. Chacun des commentateursa abordé ce texte avec des intentions précises,formant une constellation textuelle d’une densitéremarquable.

Appliquer la notion de contre-texte à ce cas quidépasse considérablement les seules frontières dela production littéraire, place le « cas Muralt »

1 Béat Louis de Muralt, Lettres sur les Anglois et les François et surles Voiages, 1725 (plusieurs éditions).2 Janos Riesz, Beat Ludwig Muralts « Lettres sur les Anglais et lesFrançais et sur les Voyages ». Eine literarische « Querelle » derFranzösischen Frühaufklärung. München, Wilhelm Fink Verlag,1979

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sous un nouvel éclairage. Mais cela permettraégalement de renverser la perspective, et derepenser les nombreuses interprétations de lanotion de « contre-texte ».

Contre-texte, voyages - contre-voyage/s

Le consensus est loin d’être total quant àl’application des notions de « contre-texte » etles notions en apparence similaires dans d’autreslangues, telles le counter-text anglais ou leGegenschrift allemand. Pierre Bec définit le contre-texte comme un texte, ou plutôt tout un ensemble detextes, subvertissant une tradition ou un discoursdominant (la fin’amor en l' occurrence) tout en laconfirmant en fin de compte3. Le counter-text anglais,employé le plus souvent dans le contexte d’étudespost-coloniales, indique des textes particuliersqui s’opposent à un autre texte, ce dernier étantpris comme symbole d'une position particulière :ainsi, la réécriture/déconstruction par AiméCésaire de La Tempête de Shakespeare, texteparadigmatique du colonialisme européen4. Le3 Pierre Bec, Burlesque et obscénité chez les troubadours. Pour uneapproche du contre-texte médiéval. Paris, Stock/Moyen Âge, 1984– v. surtout l’Introduction, p. 7-22. Il s’appuie lui-même sur le travail de Jacques Saint-Gérand sur lanotion de norme littéraire et sa subversion ; cf. sonarticle « L’Amour : érotisme, pornographie et normeslittéraires », in Paul Vialleneix – Jean Ehrard eds,Aimer en France 1760-1860, Clermont-Ferrand, Association desPublications de la Faculté des Lettres et SciencesHumaines, 1980, vol. II, p. 191-204.4 V. ce cas, à côté de quelques autres, dans JenniRamone, Postcolonial theories. London, Palgrave-MacMillan,

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Gegenschrift allemand peut se rapporter à tout textes’opposant à un autre texte. Comme FrançoiseKnopper le souligne, cette contre-écriture,critique et en même temps réécriture partielle,émerge, dans la plupart des cas, depuis un point devue conservateur, avec l’ambition de discréditer untexte et celle de renforcer le point de vueattaqué5.

Ces trois définitions ne s’excluent pasmutuellement, mais ne se recoupent que trèspartiellement. Introduire dans cet ensemble levoyage ne fait, en apparence, que compliquer ladonne. Depuis ses origines, écrire le voyage estperçu et vécu comme problématique : Straboncondamne déjà les auteurs de voyage, et cetteopinion refait surface régulièrement au cours del’époque moderne6. Un Bernardin de Saint-Pierrefinit par admettre son incapacité de produire untexte de voyage satisfaisant ; d’autres évitent legenre ou éliminent dans leurs écrits les traces del’écriture de voyage (voir le cas, maintes fois

2011 – cf. part III, chap. III : « The Post-ColonialCounter-Text », p. 167-179.5 Françoise Knopper, « Öffentlichkeit undMeinungsfreiheit. Repliken und Gegenshcriften zuReisebeschreibung am Ausgang des 18. Jahrhunderts », inArnd Bauerkämper - Hans Erich Bödeker -Bernhard Struck (Hg.).: Die Welt erfahren : Reisen als kulturelleBegegnung von 1780 bis heute, Framkfurt am Main, Campus,2004, 219-238.6 Strabon, Géographie, livre 1, 2, 23.: « tout homme aimese vanter quand il raconte ses périples ». La citation apparaît notamment dans la plupart des définitions que les dictionnaires donnent du voyage, jusqu’à l’Encyclopédie.

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discuté, des Lettres philosophiques)7. Mais en mêmetemps, le voyage, compte-rendu de la diversité descultures et des pays lointains, demeure inévitable.Il en résulte une tension difficilement surmontableentre une expérience et une source d’informationvitales et une production textuelle perçue d’embléecomme insuffisante pour rendre compte de cetteexpérience.

Comment envisager le voyage sous l’angle ducontre-texte ? Serait-il possible de créer un« contre-voyage » ? Elargir la notion de contre-texte, en combinant des éléments des troisvariantes ci-dessus (contre-texte, counter-text,Gegenschrift), permettra ici une réévaluation quinous paraît nécessaire et fructueuse.

La définition de départ que nous proposons estsimpliste en apparence. Aussi évident que celapuisse paraître, il faut souligner que la « contre-textualité » ne peut se comprendre, selon nous, quedans le dialogue d’une intention d’auteur et d’une« compréhension » de la part des lecteurs. Contre-textes incompris (intention de l’auteur sanscompréhension de la part des lecteurs) ouaccidentels (intention perçue uniquement par lelecteur) ne peuvent pas être pris en compte ici –nous n’excluons pas cependant la mécompréhensiond’un texte.

Un contre-texte serait tout ce qui, de façonprononcée et intentionnelle de la part de l’auteur,s’oppose à un « texte ». « Texte » aura ici, par7 Pour Bernardin de Saint-Pierre, v. la dernière lettrede son Voyage à l’Île de France…, Amsterdam-Paris, Merlin,1773 ; pour les Lettres philosophiques, ces éléments ont étésoulignés, entre autres, par Frédéric Deloffre (Préfacede l’édition Folio des Lettres philosophiques de Voltaire,Paris, Gallimard, 1986, p. 7–34.).

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contre, une définition très large, comprenanttextes proprement dits, mais également discours detout type. Cette définition comprend chacune desdéfinitions préalables : elle pourrait s’appliqueraux textes subvertissant la tradition établie touten la renforçant ; aux textes détournant undiscours dominant ; ou aux textes écrits contre untexte-cible.

Si nous maintenons cette définition se limitantà l’idée de « contre-un-texte », mais enintroduisant davantage d’ouverture quant à lanature de ce qu’est le « texte » et le « contre-texte », nous pouvons considérablement enrichir laportée de la notion. Sur ce point, le voyage nousfournira un exemple particulièrement intéressant.

Tout voyage est basé sur un certain nombre decouples de notions. Dans un premier temps, levoyage est à la fois action et texte – un texte quiaffirme rendre compte de l’action à travers unauteur particulier qui en est l’agent. Ladestruction de ce lien entre l’action, l’auteur etle texte est une des façons essentielles de créerle « contre-texte » d’un texte de voyage. L’autredualité du voyage peut se décrire, dans les termesde Harry Berger, comme l’opposition entre anodin etinsolite ("mischievous")8. Le texte de voyage estanodin car, documentaire, il prétend rendre comptedirectement de la réalité. Mais il est en même8 Nous appliquons ici les notions que Harry Bergerintroduit à propos de l’emploi des signes dans diverstextes, à travers l’exemple de la Fairie Queene de Spencer– sans le suivre tout au long de son argument sur cequ’il appelle « textualisation ». Harry Berger : «Archimago : Between Text and Counter-Text », EL Studies inEnglish Literature 1500-1900, 43/1, Winter 2003, p. 19-64, enparticulier p. 22 sqq.

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temps insolite car il a une portée et une ambitionpotentiellement cachées, au-delà de lui-même.

Nous proposons d’appliquer cette notion decontre-texte au voyage sur trois niveaux, que nousmettrons à l’œuvre ensuite sur l’exemple desLettres de Muralt. La première question se posetout d’abord à propos du texte de voyage même. Toutvoyage comme action veut obtenir un changement dansl’agent qui l’effectue (le voyageur transformé parson voyage), et tout voyage comme texte cherche àmodifier le dispositif mental et intellectuel deses lecteurs. Dans une interprétation très large,si le « monde tel que nous le connaissons etpensons » est considéré comme un texte,pratiquement tout voyage peut être considéré commeune sorte de contre-texte9.

Cette idée du voyage comme « Ur-contre-texte »nous amène à la notion de contre-voyage. Celle-ci n’apas de signification établie. Le seul emploi quenous connaissons vient de la littératurespécialisée anglophone : Graham Huggan appellecounter-travel un certain nombre de récits de voyagescontemporains, tels ceux de Salman Rushdie etd’Amitav Ghosh, qui s’opposent à une traditionreprésentée par d’autres voyages. Comme dans le casdu counter-text, c’est en particulier le contextepost-colonial qui s’impose ici : les voyages citésdéconstruisent soit la thèse orientaliste, soitl’exotisme agréable du tourisme moderne10. Cette9 Nous ne souhaitons pas cependant suggérer ici que lanotion de « nouveauté » s’appliquerait à tout voyage :la confirmation des présupposés et le renforcement desvaleurs font partie des motivations et des ambitions duvoyage.10 Graham Huggan, « Counter-Travel Writing andPostcoloniality ». In: Liselotte Glage ed.: Being/s in

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interprétation de la notion de contre-voyagecombine ce que nous appelons la nature contre-textuelle de tout voyage (s’opposant à unetradition, à une vision du monde) à ce que noussouhaitons présenter comme deuxième étape : ladéconstruction d’un texte de voyage par diversmoyens.

Ce phénomène du contre-voyage est d’une extrêmecomplexité, miroir de la complexité du texte devoyage même. Le contre-voyage est loin d'êtrenécessairement un texte : il peut être action, unvoyage s’opposant à un autre voyage, menant ou nonà un nouveau texte de voyage. Mais le contre-voyagepeut-être un démenti d’un premier voyage, créantune réécriture/réfutation du texte original, baséesur des preuves de nature diverse.

Le contre-voyage ne représente pas, bien sûr,l’étape ultime dans la suite des prises de positioncontre-textuelles. Nous conclurons par un brefaperçu des interprétations successives du texte deMuralt mais également de ses contre-textes.

Le voyage comme contre-texte

Un texte de voyage a pu, dans certainesconstellations intellectuelles et sociales dontl’analyse dépasse le cadre de ce travail, remettreen question le monde tel que les contemporains lepercevaient. Ce phénomène est un peu plus rare enFrance qu’en Allemagne. En France, les incertitudesquant à la valeur du texte de voyage étaientparticulièrement fortes, les idées héritées de

Transit: Travelling – Migration – Disclocation. Asnel Papers 5.Cross/Cultures, Readings in the Post/Colonial Literatures in English,Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 2000, p. 37-59.

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l’Antiquité se combinant à l’héritage de la« stabilité » classique et de l’évidence de lasupériorité des usages de « chez nous »,11. À cetteépoque, le voyage comme forme de connaissanced’autres cultures semble être un privilège durégime central, et ses voyageurs cardinaux sontpour la plupart fortement soutenus par le roi.

Christine Montalbetti suggère que tout voyageest « lecture du monde et relecture de labibliothèque »12. La bibliothèque relue est large,allant de la Bible en passant par la mythologie,jusqu’aux textes de voyageurs précédents. Mais ilserait judicieux d’ajouter à cette « lecture dumonde » l’idée de « relecture du monde ». Unecertaine idée du monde peut être transmise par denombreux moyens, les textes en étant un parmid’autres – il suffit de penser à la traditionorale. Et c’est au moment exact où le texte devoyage entame une sérieuse re-lecture, c’est-à-direréinterprétation, du monde, que son aspectsubversif devient dominant. Béat de Muralt, quant àlui, remplira à la fois le rôle de « re-lecteur »du monde et de « re-lecteur » de la bibliothèque.

Rappelons ici rapidement les donnéesessentielles à propos de ce texte et de son auteur.Né en 1665 dans une famille patricienne de Berne,il suit pendant longtemps les étapes habituellesdans la vie d’un jeune homme de ce milieu : étudesà Genève, puis carrière militaire en France. Aubout de deux ans, il part pour l’Angleterre : un11 Cette tradition est décrite par Paul Hazard, La crise dela conscience européenne, 1680-1715. Paris, Boivin, 1935 – cf.surtout son premier chapitre : « De la stabilité aumouvement ».12 Christine Montalbetti, Le voyage, le monde et la bibliothèque.Paris, PUF, 1997.

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pareil séjour, souvent à mi-chemin entre travail(militaire ou autre) et voyage, est également uneétape consacrée dans l’éducation d’un jeuneSuisse. Nous ignorons tout de ce séjour, y comprisses motivations, et la date exacte de la créationde la première variante de ses lettres sur les deuxnations. À son retour en Suisse, Muralt seconvertit au piétisme, rédige plusieurs textesreligieux, et se voit pour cela expulsé deplusieurs villes suisses. Des variantes manuscritesde certaines de ses lettres de voyage circulent àpartir des années 1717. Il ne songe pas à lespublier et apparemment a même essayé de supprimertous les exemplaires du texte ; mais quand uneédition pirate comportant un texte fortementdénaturé voit le jour en 1725, il finit par donnersa version. Les lettres sont d’habitude publiéesavec sa surprenante Lettre sur les Voiages : un textethéorique sur le voyage (un ars apodemica) de laplume d’un ancien voyageur mais qui suggère desupprimer la pratique du voyage puisqu’il ne faitque corrompre la pureté des mœurs, surtout cellesde la Suisse.

Trois éléments de ce texte, intimement liés, ontattiré en particulier l’attention descontemporains : l’identité helvétique affirmée del’auteur ; une réévaluation de l’Angleterre dansune comparaison face à la France ; et son approcheirrévérencieuse de la culture française. Ceséléments peuvent être considérés comme autant decontre-textes – contre-lectures du monde mais ausside la bibliothèque.

Les trois éléments représentent, en fait, troisaspects d’une même question : celle de laréinterprétation de la thèse de la supérioritéculturelle française, telle qu’elle est représentée

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dans les ouvrages d’un Bouhours ou d’un Boileau13.Le voyage de Muralt est donc le contre-texte d’undiscours majeur qui, pour l’époque, était toutaussi puissant que les thèses colonialistes : lathèse de l’hégémonie culturelle du goût classiquefrançais14.

Le deuxième aspect appartient au même phénomènecontre-textuel. Muralt affirme, dès l’ouverture deson texte, qu’il écrit du point de vue d’un Suisse.Sa nationalité affirmée, et les remarques faitesdans cette optique, ont littéralement choqué lescontemporains. Outre les interprétations que nousanalyserons plus loin, ces réactions ont étémentionnées, entre étonnement et outrage, dans denombreux autres comptes rendus et opinionscritiques.

La signification de cet helvétisme changera au fildes réactions et des contre-textes qui voient lejour. Pour Muralt, son helvétisme représente deuxchoses. D’un côté, un attachement à une culture13 L’importance de s’opposer à Bouhours est notammentsoulignée par Gian Carlo Roscioni (Beat Ludwig Muralt e laricerca dell’umano, Roma, 1961, 54.), cité par Riesz (p.15.) ; la dernière des lettres de Muralt sur lesFrançais est un examen de Boileau.14 Cet aspect a à lui seul généré une sorte de contre-texte: contre les propos de Muralt, le père de la Santéa proposé de « venger sa patrie » et de démontrer que lathèse de la supériorité culturelle française esttoujours valide. V. « Harangue prononcé au Collège Louisle Grand le 28 juillet 1728, par le R. P. de la Santé,Jésuite, Professeur de Rhétorique », Mercure de France, mai1728, p. 894-911. Soulignons ici, même s’il ne s’agitpas d’un véritable contre-texte dans ce cas précis, quela parole peut également être un moyen de créer uncontre-voyage.

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qui, pour l’auteur de conviction piétiste,représente un degré moindre de corruption morale ;de l’autre, une impartialité déclarée dans sesjugements sur l’Angleterre et la France. Chacun deces éléments aura une carrière : la première initieles idylles alpines caractéristiques du 18e siècle,tandis que la figure du « Suisse impartial »continuera dans le contexte des voyagesd’Angleterre tout au long du siècle15. Par contre,comme nous le verrons par la suite, la séquence descontre-textes finira par donner à ces deux élémentsune signification totalement différente,indépendante des intentions de Muralt.

Ce même message d’impartialité et de traitementégal est le troisième élément crucial du voyage deMuralt. Celui-ci est un « contre-texte » nonseulement de la thèse de la supériorité du goûtclassique français ou d’une certaine image mentalede l’Europe dominée par la France, mais égalementd’au moins un récit de voyage antérieur. Avantcelui de Muralt, le dernier voyage d’Angleterre delangue française à être connu d’un plus largepublic était celui de Samuel de Sorbière ; un texteinterdit dès sa publication, en 1664, pour unnombre remarquable d’opinions ironiques oucritiques sur l’Angleterre16. Malgré les changementspolitiques sur l'île et malgré l’interdiction du15 Ainsi, la première occurrence du mot « anglomanie »,dans la pièce de théâtre La Frivolité de Louis de Boissy(1753), est donnée dans la bouche d’un Suisse ; et mêmeen 1777, un auteur français se crée une fausse identitésuisse pour transmettre un message d’impartialité(François Lacombe, Observations sur Londre et ses environs).16 V. Samuel de Sorbière, Relation d’un voyage en Angleterre, oùsont touchées plusieurs choses qui regardent l’estat des sciences et de lareligion et autres matières curieuses. Cologne, 1664

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texte (rendue par ailleurs obsolète à partir dumoment où, par la Révolution Glorieuse, l’alliéinsulaire s’est transformé en ennemi), cesremarques de Sorbière, affirmant une nettesupériorité de la France sur l’Angleterre, ontdominé dans la pensée française sur l’Angleterrejusqu’à l’avènement des Lettres philosophiques etparfois au-delà.

Muralt lui-même représente donc un contre-textesur plusieurs plans : d’une vision du monde (l’idéede l’hégémonie culturelle et, ajoutons-le,politique, de la France, autant sur la Suisse quesur l’Angleterre), qui est incarnée par des textes(Bouhours, Boileau) ; mais également de voyagesantérieurs qui pouvaient représenter la même thèse(Sorbière). Dans chacun de ces aspects, sescontemporains tenteront de s’opposer à lui, créantautant de contre-voyages.

Le contre-voyage comme action et comme texte :Pierre-Jacques Fougeroux

Pierre-Jacques Fougeroux, gendre de Duhamel deMonceau et père du botaniste Fougeroux deBonderoux, s’est rendu en Angleterre au cours d’unvoyage qui l’a également amené en Flandre et enHollande. Sa tentative de découverte d’uneAngleterre pittoresque nous intéresse uniquementdans la mesure où elle fait partie de son effortprincipal : « Je pourrai encore vous être dequelque utilité en vous détrompant du livre desLettres sur les Anglois où l’envie de philosopher prévaut

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beaucoup sur l’obligation où est un honnête hommequi écrit de dire la vérité. »17

Voyager pour contrer un autre voyage est ungeste qui n’a rien de surprenant. Le voyages’appuie sur la notion de témoignage oculaire, etl’un des moyens élémentaires pour prouver le tortd’un témoignage prétendument authentique est del’opposer à un autre témoignage – soit disponibledans un autre texte, soit obtenu directement. À lasuite de voyages ou séjours qui se sont avérésparticulièrement importants pour la postérité, nousvoyons sur les traces d'un voyageur donné, nonseulement des pèlerins, mais également desincrédules qui souhaitent prouver qu'il a tort .L’expérience anglaise de Voltaire en est le cas leplus spectaculaire – mais même ses contre-voyages,ceux souhaitant une déconstruction du mythe anglaispouvaient avoir un contre-voyage18. Ces contre-voyages sont toujours des actions avant d’être,potentiellement, des textes.

Dans le cas de Fougeroux, son action s’est eneffet transformée en texte – mais un texte à lacirculation limitée, sous forme manuscrite. Le17 Pierre-Jacques Fougeroux, Voiage d’Angleterre, d’Hollande et deFlandre (…) fait en l’année 1728. Foundlings Museum, Gerald CokeHandel Coll., 2/C/Fougeroux, 1. Une autre copie dumanuscrit se trouve dans la National Arts Library, MssMSL/1912/1255. Je remercie Mlle Emma Pauncefort d’avoirattiré mon attention sur ce texte.18 Ainsi en 1785, Madame Roland s’oppose explicitement àses contemporains lorsqu’elle s’écrie : « il ne fautqu’ouvrir les yeux sur ces belles campagnes pour jugerde la nature et de l’influence de l’administration, etpour dire, en dépit de nos agréables : heureusel’Angleterre ! ». Œuvres, vol. III : Voyages, Paris,1799, p. 214-215.

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texte étant considérablement bien construit, on nepeut que spéculer quant à la raison quiexpliquerait qu'il n'ait jamais été publié – vu lechoc que le voyage de Muralt a représenté pour laplupart du public français, un contre-texteexplicite aurait très bien pu trouver son public.Mais il s’agit là d'un « contre-texte » bienparticulier. Fougeroux ne se contente pas derelever les erreurs du texte de Muralt (et quelqueserreurs dans d’autres textes disponibles surl’Angleterre). Il dépasse le démenti textuel dedeux points de vue : il crée un démenti et uncontre-texte quant à la forme du texte, et undémenti sur l’identité de l’auteur.

Fougeroux est doublement outré par les propos deMuralt dans la comparaison franco-anglaise. Toutd’abord, le fait d’aborder ce genre de sujetssemble, pour lui, s’écarter des devoirs d’un auteurde voyage :

La Sixième Lettre sur les Anglois est lamoindre de toutes. L’auteur croit qu’unedescription de Londres déshonorerait sa plume.Et qu’une philosophie débitée partout avec dela morale est infiniment au-dessus. […] C’estun voyageur mélancolique, négligeant tout cequi est beau, pour se plonger tout à son aisedans les grands discours, dans les parallèleset les comparaisons.19

Ces propos s’opposent à la forme et à la naturemêmes des Lettres de Muralt. En ramenant au cœur dutexte de voyage le devoir de description, et enniant la raison d’être du contenu philosophique etdes comparaisons, Fougeroux s'oppose précisément àce qui était de nature contre-textuelle dans levoyage de Muralt. Le voyage, comme Fougeroux19 Fougeroux, note en marge, p. 21-22.

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l’imagine, devrait être un texte qui seraitintégralement documentaire, anodin, avec un accentsupplémentaire sur le concept de beauté. Ainsi,Fougeroux crée à la fois un contre-texte de Muraltet un contre-voyage face à toute la littérature devoyage « philosophique ». En même temps, son refusdésespéré de cette forme de voyage ne fait, en finde compte, qu’en renforcer la raison d’être.

Mais son refus d’accepter la portée comparativeet philosophique d’un texte de voyage estessentiellement motivé par ce qu’il a lu dans lesLettres de Muralt, et il refuse de croire que cesremarques ont effectivement pu venir d’un tiersimpartial. Suivant une relecture de Muralt, ilarrive à une autre conclusion :

« Je les ai lues avant que de partir et à monretour les ayant parcourues de nouveau je les autrouvées bien différentes. Le gentilhomme suissequ’on en dit l’auteur m’a bien l’air d’êtreanglais. Il affecte quelque fois de parler contrela nation anglaise pour en relever mieux leur bonsens prétendu et là-dessus il se répand de toutesmanières sur les pauvres Français qui ont toujoursle dessous. »20

Il poursuit en maugréant contre les auteursanonymes qui fatiguent leurs lecteurs par desidentités supposées.

De ce point de vue, Fougeroux crée un autre typede contre-texte, plus ciblé sur Muralt. Au-delà desdémentis factuels, au-delà de ses remarques sur ceque devrait être le texte de voyage, il poursuit endétruisant pour le texte attaqué ce qui est lefondement de tout texte de voyage : le triangleexpérience-auteur-texte. Si l’auteur n’est pas

20 Fougeroux, op. cit., p. 162.15

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suisse, il n’écrit pas en voyageur ; s’il n’est passuisse, il n’est pas impartial non plus. Tout letexte de Muralt perd sa validité – ce qui, en finde compte, est probablement le but de toutel'entreprise de Fougeroux.

Le contre-voyage comme critique textuelle :l’Apologie de Desfontaines

Le nom de l’abbé Desfontaines est bien connu,mais il n’a pas encore reçu l’attention critiquequ’il mérite. La plupart de la littératuresecondaire le connaît comme un des adversairesfarouches de Voltaire ; quand Delisle des Salesl’appelle le « père du journalisme », c’est pour ledénoncer comme premier représentant d’une formed’écriture méprisée21. Quelques travaux plus récentsont déjà montré qu’il peut être, en effet,considéré comme le père du journalisme – mais d’unjournalisme littéraire critique dans un sensmoderne22.

Le texte que nous analysons ici date du début desa carrière de journaliste littéraire, d’avant lestroubles qu’a connus Desfontaines pour desaccusations d’homosexualité : il est encorecollaborateur du Journal des Savants. Sa réponse àMuralt est aussi un élément unique dans sacarrière : c’est la seule occasion où il ne secontente pas de publier un ou une série de comptes21 Jean-Baptiste-Claude Delisle des Sales, Essai sur lejournalisme depuis 1735 jusqu’à l’an 1800, Paris, 1800.22 Cf. Paul Benhamou, « The review in Desfontaine’s Nouvelliste du Parnasse: the development of literary criticism », Studies in 18th century culture, Baltimore, 1989 (XIX), p. 367-381.

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rendus critiques, mais publie un ouvrage entierpour commenter un texte.

Son Apologie du caractère des Anglois et des François23 estcertainement le plus important contre-texte deMuralt quant à la réfutation systématique.L’envergure du travail incite Desfontaines àrassembler une « équipe ». Ainsi, la lettre surBoileau est réfutée par un autre journaliste, lepère Brumoy ; tandis que les passages surl’Angleterre sont jugés par un « ami anglais ».Introduire ce collaborateur est nécessaire puisqueDesfontaines est obligé d’admettre qu’il n’a jamaisété en Angleterre lui-même. Même si cecollaborateur fictif ne trompe personne, il permetde bâtir de façon satisfaisante le contre-texte.Comme Fougeroux l’a souligné, selon les lecteurscontemporains, Muralt est carrément partial enfaveur des Anglais : ses critiques des Anglais neservent qu’à souligner leurs mérites. Desfontainesretourne le procédé : le correspondant « anglais »est choqué par les critiques de Muralt contre sanation, mais Desfontaines arrive par la suite pourconclure que les Français sont encore plusmaltraités.

La réplique au livre de Muralt suit de près letexte original, lettre par lettre : elle représenteune réécriture/contre-écriture partielle etfragmentaire, un contre-texte au sens deGegenschrift. Ce travail en soi serait cependant d’unintérêt limité, s'il ne permettait de constaterl’existence de ce type d’écriture, un cas de

23 Pierre-François Guyot, abbé Desfontaines, Apologie ducaractère des Anglois et des François, ou Observations sur le livre intituléLettres sur les Anglois et les François et sur les Voyages, Paris,Briasson, 1726.

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contre-texte ou réplique de voyage, plutôt rare enFrance. Il nous sera plus intéressant d’observerles critiques de cette contre-écriture. Deux nousintéresseront en particulier cette fois : laréaction de Voltaire et celle du Mercure Suisse.

En ce qui concerne Voltaire, Muralt lui sertsurtout de prétexte pour s’attaquer – encore unefois – à Desfontaines :

Imprime-t-on un livre sage et ingénieux de

M. de Muralt, qui nous fait tant d’honneur à la Suisse, et qui peint si bien les Anglais chez lesquels il a voyagé : l’abbé Desfontaines prend la plume, déchire M. de Muralt qu’il ne connaît pas, et décide sur l’Angleterre qu’il n’a jamais vue. 24

Le fait que Desfontaines, se cachant derrière le

correspondant anglais, critique Muralt à propos del’Angleterre, est incontestable. Mais, en fait, lacorrection qu’apporte Desfontaines à propos del’Angleterre est assez minimale, et à quelquesexceptions près se limite à la question ducaractère des Anglais. Ici, Muralt lui fournit uneoccasion de critique : on peut lui reprocher que« ses remarques sont bornées à cette ville et auxcaractères des gens qu’il a vus dans des Cafés »25,puisque Muralt lui-même avoue qu’à travers laconnaissance de Londres, il croit tenir uneconnaissance représentative de la populationanglaise. Cet élément sera par la suite la pierrede touche d’un résumé des erreurs de Muralt que24 Cité par Gustave Lanson dans son édition critique desLettres philosophiques, Paris, Edouard Cornély et cie, 1909,p. 32.25 Desfontaines, p. 9.

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Desfontaines donne en tête de sa réponse sur lesLettres sur les François. Cette liste va de la sorte :Muralt attribue à un peuple des traits quicaractérisent d’autres nations ; il généralised’après les traits de quelques individus ; nedéveloppe pas assez certaines choses et en exagèred’autres ; et enfin y ajoute des éléments faux26.

Sans vouloir suivre en détail la validité de cesreproches, nous pouvons constater que la liste nedépasse pas ce qui pourrait être défini comme lamarge d’action du journaliste. Mais ceci n’est pasle cas du point de vue de Voltaire, qui partage lesopinions de la plupart des représentants du campdes Philosophes quant au journalisme : pour eux, lejournalisme devrait se limiter à un compte-rendu,et s'interdire toute remarque critique. Voltaireretourne ici contre Desfontaines les outils dujournaliste qu’il méprise tant, le jugementsommaire et la formulation frôlant le cynisme. Cequ’il crée ici est, en fait, un contre-texte dugenre journalistique tel qu’il est représenté parDesfontaines.

La réaction qui arrive du côté de la Suisses’appuie sur un élément de l’Apologie qui, pourDesfontaines, n’était pas essentiel. Contrairementà certaines autres opinions de l’époque, il nepense pas qu’un Suisse n’aurait pas le droit decritiquer la culture française – il se dit être «bien aise de voir un Suisse qui pense »27, tout enadmettant les mérites incontestables de Muralt. Ils’agit d’une remarque ironique d’ordre secondaire,typique de Desfontaines, qui a tendance à chercherle rire facile auprès de son lectorat.

26 Ibid, p. 56.27 Ibid, p. 1-2.

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Mais cette seule remarque sert d’occasion à uneréponse du côté suisse. Celle-ci arrive quelquesannées plus tard, mais dans le tout premier numérodu Mercure de Suisse28. La réponse est un poème, à vraidire d’une qualité douteuse ; il n’est pas tant unedéfense de Muralt qu’une attaque contreDesfontaines : « Vous pensiez donc, froid Satirique/ Qu’avant Muralt, tout Helvétique / Ne pensaitpoint, ou pensait mal ? / Et vous pensiez comme uncheval. »

Ce contre-texte de la critique de Desfontainesest, en fait, basé sur un survol en diagonale dutexte original de Desfontaines – qui, bien sûr,avait également produit une lecture similaire dutexte de Muralt. Il ne s’agit pas d’un contre-texteincompris, mais l’intention de Desfontaines est –intentionnellement ou non – mécomprise. Et, toutcomme pour Voltaire, le contre-texte qui naît sertun programme spécifique : en l’occurrence, unmanifeste de l’indépendance culturelle romande, etun appel à l’appréciation de ses produits :« François quittez vos fiers caprices / Connaissezmieux vos bons voisins. » Muralt lui-même étaitplus porté à protéger la pureté morale de laSuisse, qu’à en promouvoir les produitsintellectuels ; le contre-texte du contre-texte neretrouve pas intégralement les objectifs originauxdu texte de départ. Cependant, nous retrouvonsincontestablement ici une des intentions originalesdu voyage de Muralt: créer un contre-texte d’unecertaine image du monde, un démenti de lasupériorité intellectuelle française sur toutel’Europe policée, et par conséquent sur le mondeentier.

28 Mercure de Suisse, mars 1733, p. 77-79.20

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Par la suite, Muralt se voit promu au titre dereprésentant majeur de cette indépendanceintellectuelle ; chose remarquable puisque, de sonvivant, il avait connu des difficultés partout enSuisse. Et le débat autour de sa personne nes'arrête pas là : dans la littérature scientifique,il est interprété différemment par les travauxfrançais, allemands et suisses, chacun d’entre euxsouhaitant ajouter le nom de Muralt à sa propreculture. Les Français en font – oubliant souventjusqu’à sa nationalité – une figure de précurseurdans une vision du voyage d’Angleterre qui mène, defaçon téléologique, à Voltaire ; les Allemandscherchent à aligner Muralt sur la cultureallemande, s’appuyant sur sa naissance à Berne etsur l’influence du piétisme. Les Suisses, quant àeux, cherchent à démontrer que Voltaire s’inspireprofondément de Muralt bien qu’il n’y ait aucunepreuve que Voltaire ait lu le texte de Muralt avantson propre séjour en Angleterre. Dans ces mêmestravaux suisses Desfontaines apparaît comme symboledu mauvais traitement que les Français réserventaux exploits intellectuels suisses.

Conclusion

Notre usage du « contre-texte » sur un casprécis de l’étude des voyages avait pour ambitionde suggérer que la rencontre de cette notion et dece domaine d’études pourrait être bénéfique pourles deux.

Du côté de l’étude des voyages, surtout àl’époque moderne, le contre-texte comme approchepermet de repenser la façon dont chaque participantprend une position dans des débats aussi complexes

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que le cas de Muralt. C’est particulièrement dansle contexte de la France du 18e siècle, où lacompétition entre les différentes « sphèrespubliques » est notoirement importante, que lacontre-textualité permet de saisir la variété desintentions, le glissement depuis la portéeoriginale d’un texte, à travers ses contre-textessuccessifs, vers une interprétation parfois trèsdifférente de l’original. Comme la mécompréhension– intentionnelle ou non – des remarques ironiquesde Desfontaines par les Suisses l’indique, danscertains cas, les mouvements d’humeur semblent êtreaussi importants que les messages sérieux – lecontre-texte est également adapté à cet usage.

Quant à l'emploi de la notion de contre-texte,nous avons suggéré une définition plus large,englobant les catégories voisines. Selon lecontexte, nous avons vu les différents textesgénérés autour de l'ouvrage de Muralt remplirdifférentes fonctions, et il en va de même pour sesLettres. C'est en réunissant ces variations sous uneunique catégorie de « contre-texte » que nouspouvons suivre dans ses méandres un cas aussicomplexe que celui-ci. 

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