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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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Académie de la Guadeloupe
Loïc Cazaux – Formation du mercredi 5/11/2014
Conférence sur l’histoire médiévale dans les programmes du
Secondaire (5e, 2nde)
Guerre et population
Le texte suivant s’entend en corrélation avec le fascicule qui
lui est joint.
Introduction à la journée de formation
L’histoire médiévale intervient à deux moments importants de la
scolarité de l’élève en
histoire, au collège et au lycée :
-en classe de Cinquième, elle ouvre les apprentissages en
histoire pour un nouveau cycle
d’enseignement, le cycle « des approfondissements »1. Ce cycle
correspond aux trois
dernières années du collège, dont la classe de Cinquième
constitue la première année. Les
élèves se sont déjà familiarisés en Sixième avec la période
médiévale en étudiant les empires
chrétiens du haut Moyen Âge, en écho avec l’essor du
christianisme et le concept impérial
romain qu’ils voient la même année.
Mais c’est en Cinquième que les élèves approfondissent
véritablement leur connaissance
du Moyen Âge. Celui-ci est appréhendé sous des angles multiples
qui donnent à l’élève une
vision complète des transformations marquant la période
médiévale de l’an Mil au XVe siècle.
Cette vision correspond aux objectifs d’apprentissage et aux
attendus méthodologiques des
programmes : découverte d’une grande civilisation, l’Europe
occidentale latine ;
familiarisation avec des sources historiques diverses. Le
programme aborde donc : l’histoire
sociale et économique (« Paysans et seigneurs », « Expansion de
l’Occident) ; l’histoire
politique (« Féodalité et premiers Etats ») ; l’histoire
religieuse et culturelle (« La place de
l’Eglise »). A titre comparatif, la civilisation islamique n’est
pas oubliée (« Les débuts de
l’Islam »).
-en classe de Seconde générale et technologique, l’histoire
médiévale prend toute sa
part au fil conducteur du programme, qui vise à pousser les
élèves à réfléchir sur « la place
des Européens dans l’Histoire du monde ». Classe charnière entre
le collège et le lycée, la
Seconde vise à prolonger les acquis du collège et à initier les
démarches propres au lycée.
Il n’est donc pas étonnant de constater que les élèves
reprennent en Seconde, sous un angle
plus problématisé et en fonction d’exigences méthodologiques
distinctes, des thématiques
esquissées en Cinquième. Celles-ci sont rassemblées autour du
thème 3 « Sociétés et
cultures de l’Europe médiévale du XIe au XIIIe siècle ».
En Cinquième comme en Seconde, les programmes d’histoire
choisissent donc de centrer
leur perspective sur les grandes dynamiques qui traversent la
civilisation chrétienne
médiévale à partir de l’an Mil. Aucun aspect de ces
transformations n’est éludé : les élèves 1 Au titre du code de
l’éducation, articles L 311-1 à 3 (10/07/2013).
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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réfléchissent autant sur l’organisation de la société médiévale,
que sur les rapports de
pouvoir, les relations économiques, les cadres institutionnels
et spirituels. Au travers de
sources diverses, l’approche se veut autant chronologique que
spatiale.
En cela, on peut dire que les programmes d’histoire médiévale
restent héritiers des
évolutions de l’historiographie depuis l’Ecole des Annales. La
réflexion se veut structurelle,
elle ne néglige aucun type de source, elle vise à comprendre les
différents aspects de la vie
des hommes au Moyen Âge, et pas seulement à centrer le regard
sur les institutions. Tous
les domaines de l’histoire médiévale sont envisagés.
C’est en vertu de ce cadre pédagogique que l’on m’a demandé de
réaliser une conférence
sur l’histoire médiévale, et plus précisément sur la place de la
guerre dans la société
médiévale (// programme de l’agrégation interne : « Guerre et
société, fin XIIIe-fin XVe s. »).
En fonction des sujets abordés par les programmes – qui sont
très divers, comme nous
avons pu le voir –, je vous propose d’effectuer d’abord une
présentation de l’historiographie
actuelle en histoire médiévale.
Après cette présentation historiographique, et en nous appuyant
sur les documents que
j’ai réunis dans le fascicule, j’examinerai le thème « Guerre et
populations » au travers des
programmes du secondaire. J’ai choisi pour cela de cumuler les
perspectives propres aux
programmes de Cinquième et de Seconde, car les thématiques
restent proches, même si les
objectifs d’apprentissage et les attendus méthodologiques
diffèrent. L’ensemble des
documents présentés dans le fascicule sont, à mon sens,
mobilisables en classe de
Cinquième ou de Seconde. J’ai tenté de varier les types de
documents pour donner un
panorama large, dans lequel les collègues peuvent puiser s’ils
le veulent.
Dans la deuxième partie de cette journée, nous nous
concentrerons sur deux de ces
documents (voir la fin de fascicule), pour réfléchir sur la
méthodologie du commentaire de
documents historiques en fonction des thèmes des programmes.
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Bilan historiographique :
L’état de la recherche en histoire médiévale
Comme toutes les périodes historiques, le Moyen Âge traîne
derrière lui certains
stéréotypes (voir le texte de Jérôme Baschet, p. 5 fascicule).
Dans la conscience collective,
l’époque médiévale se trouve un peu écartelée entre des rejets
anciens qui la taxent de
période « obscurantiste », et des envolées tirées du romantisme
qui y voient un
conservatoire du merveilleux et de l’épique. Certains de ces
stéréotypes fonctionnent
toujours actuellement, et on peut suivre J. Baschet lorsqu’il
considère qu’il faut échapper à
la caricature ou à l’idéalisation quand on parle du Moyen Âge :
ce n’est pas une période de
guerres continues et de violence débridée ; et la société
médiévale ne se limite pas aux
joutes et aux armures d’apparat des chevaliers du XVe
siècle.
Cependant, fort heureusement, la vigueur de l’enseignement
(secondaire ou
universitaire) et de la recherche en histoire médiévale ne se
démentent pas et sont là pour
tordre le cou aux préjugés.
-Dans ce bilan historiographique, j’aborderai d’abord les
espaces couverts et les disciplines
utilisées par la recherche en histoire médiévale (I).
-Je vous présenterai ensuite les grandes thématiques de
recherche (II).
I. Les espaces couverts et les disciplines de la recherche : une
grande
diversité des outils et des approches
a. Les espaces couverts par la recherche en histoire
médiévale
Les domaines couverts par l’historiographie médiévale actuelle
sont larges, si bien que
l’on ne peut pas dégager de secteur principal de recherche en
histoire médiévale, mais
seulement une série de tendance. Ce sont ces tendances que je
vais m’attacher à exposer ici.
Les intitulés des unités de recherche du C.N.R.S. dans la
section 32 (Mondes anciens et
médiévaux) montrent cette diversité des champs de recherche.
Diversité qui est vraie au
C.N.R.S. comme à l’Université, d’autant que la majorité de ces
unités de recherche sont
intégrées au monde universitaire. Les espaces couverts par la
recherche ne se limitent pas
au seul royaume de France, même s’il est bien représenté, ou
encore à l’Europe latine
(Empire, mondes nordiques et anglo-écossais, Italie et Espagne,
Europe centrale). Un rapide
panorama de ces espaces de recherche montre que sont bien
représentés : l’Orient byzantin,
l’Islam (Andalousie, Afrique du Nord, Egypte, Proche-Orient),
les mondes iraniens et indiens
– et je n’évoquerai pas le monde asiatique médiéval, qui est lui
aussi un domaine de
recherche à part entière. Face à cela, parallèlement espaces
méditerranéens forment un
pôle de recherche spécifique et très valorisé dans le cadre du
C.N.R.S.
La diversité des espaces de recherche est représentée à
l’Université dans les intitulés de
Master et les champs couverts par les écoles doctorales. Et la
nouvelle question donnée à
l’agrégation et au CAPES externes montrent bien ce souci de
perspective large pour l’étude
du Moyen Âge : « Gouverner en terre d’Islam, Xe-XVe siècles ».
Des coopérations se sont
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d’ailleurs développées dans les 2 dernières décennies pour créer
des ponts entre les espaces
et les périodes. La création du Laboratoire Orient et
Méditerranée au CNRS a permis de
dépasser la coupure entre antiquisants et médiévistes, entre
spécialistes des espaces
chrétiens et spécialistes des premiers siècles de l’Islam. A
l’étranger, les grands
établissements français facilitent les séjours de recherche et
l’étude des sources locales :
Ecole française de Rome, Ecole française d’Athènes, Institut
français en Orient, etc.
b. La diversité des disciplines utilisées dans la recherche en
histoire médiévale
Diversité est également le maître mot lorsque l’on considère les
multiples disciplines qui
sont utilisées pour la recherche en histoire médiévale. Cette
diversité ne date pas de la
dernière décennie. Elle s’est construite progressivement,
surtout depuis les années 1950-
1960 : quand, d’une part, l’archéologie médiévale s’est imposée
comme une discipline
scientifique à part entière et, d’autre part, lorsque toutes les
sciences auxiliaires de l’histoire
médiévale ont acquis une importance certaine dans l’enseignement
universitaire.
L’archéologie est maintenant étroitement intégrée aux recherches
en histoire médiévale.
L’archéologie médiévale est un domaine d’étude indépendant, bien
identifié au C.N.R.S.
comme à l’Université, qui a vu depuis les dernières décennies
ses problématiques s’élargir.
Le nombre de thèse en archéologie médiévale est d’ailleurs en
progression constante depuis
15 ans, et le nombre de postes offerts est en relation avec ce «
boom » : il est de plus en plus
important. Quels sont les grands secteurs de recherche en
archéologie médiévale ?
On sait l’apport de l’archéologie rurale pour des thèmes aussi
importants que la naissance
du village. Le maillage des villages se fixe définitivement au
Moyen Âge central, comme
l’indique le programme de Cinquième. Mais ce processus de
pérennisation des
communautés villageoises s’appuie aussi sur des antécédents au
haut Moyen Âge, qui ont
été bien étudiés grâce à l’archéologie, faute de sources
écrites. L’archéologie a ainsi prouvé
le relatif dynamisme des organisations humaines dans l’espace
rural entre le Ve et le Xe
siècle.
A côté de l’étude de l’espace rural, l’archéologie castrale
forme la deuxième grande
branche de l’archéologie médiévale en Europe. Elle est
aujourd’hui toujours importante, et
des domaines nouveaux de recherche se sont intégrés à l’étude
monumentale des châteaux
et des enceintes : l’étude des armes et des armures notamment,
qui s’appuie sur des
analyses métallurgiques fines faisant appel aux sciences
exactes.
L’archéologie s’épanouit aussi depuis les années 1980-1190 dans
l’étude des villes
médiévales, tant et si bien que l’archéologie urbaine,
généralement préventive, est
actuellement le premier pôle de recherche en archéologie du
Moyen Âge.
Les champs de recherche ne s’arrêtent pas là. Il faut citer
l’importance de l’archéologie
des techniques, qui travaille en lien avec l’histoire de l’art
et des sciences (étude des
structures architecturales, des charpentes – par exemple pour
les cathédrales – ; étude de
l’outillage et du travail du fer – par exemple dans les grandes
abbayes cisterciennes, où des
modèles évolués de forges ont été inventés au XIIe s.).
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Importance enfin de l’archéogéographie, qui étudie l’évolution
des paysages dans le
temps. Elle utilise pour cela l’analyse des pollens anciens
(paléopalynologie), l’étude des
restes d’animaux (archéozoologie), l’étude des restes de
végétaux (archéobotanique), etc. :
on regroupe parfois ces champs de recherche sous le terme «
d’archéologie
environnementale ». L’une des secteurs d’étude de
l’archéogéographie est l’histoire des
climats, abordée par exemple par Emmanuel Leroy-Ladurie.
Dans tous ces domaines, l’informatique a révolutionné les outils
de recherche. La
possibilité de compulser les relevés dans des bases de données
numériques permet des
études statistiques. La cartographie des espaces de recherche se
fait sur ordinateur, en
utilisant le GPS. La 3D permet de réaliser des reconstitutions
qui font progresser la recherche.
Ce renouvellement des champs de recherche concerne d’autres «
sciences auxiliaires de
l’histoire », qui étudient les textes. La diplomatique ou la
paléographie, qui étudient les
diplômes et les écritures anciennes, sont des disciplines nées
avant le XXe siècle. Mais ce
n’est que depuis quelques décennies que leur enseignement s’est
renforcé à l’université
pour l’histoire médiévale, dès le cycle de licence. Au CNRS, des
équipes travaillent
spécifiquement sur ces disciplines pour étudier les textes
religieux et littéraires. Des
spécialisations existent en fonction des espaces de recherche :
la papyrologie est par
exemple importante pour les études byzantines.
De plus, le manuscrit est maintenant analysé autant pour les
textes qu’il contient qu’en
tant qu’objet matériel : on étudie le type de reliure,
d’écriture, les pigments utilisés pour les
enluminures, etc. : c’est la codicologie. L’écriture n’est plus
seulement envisagée comme
moyen de recueillir des informations sur l’histoire, mais aussi
considérée pour elle-même :
on étudie les spécialistes de l’écrit (clercs et laïcs), les
pratiques sociales de l’écrit au Moyen
Âge. Par ailleurs, de nouvelles disciplines ont également émergé
depuis les années 1980-90,
comme la prosopographie, qui vise à l’étude statistique des
groupes sociaux (évêques,
chanoines, officiers royaux).
Au total, nous avons souligné la vigueur de la recherche en
archéologie. Cette vigueur
concerne aussi l’analyse des sources écrites. La recherche en
histoire aujourd’hui n’est pas
seulement une analyse des textes. Pour étudier les sources
écrite et leurs différents supports,
l’interconnexion entre les différentes sciences auxiliaires a
beaucoup progressé, et les
équipes de recherches s’appuient sur l’analyse textuelle, mais
également l’histoire de l’art, la
numismatique, la sigillographie, l’iconographie, etc. Une
typologie des sources écrites est
ainsi en cours depuis la fin du XXe siècle chez Brépols. Elle
recense toutes ces sources, leurs
méthodes d’étude, et les principes d’édition des textes. Le
dynamisme de l’Institut de
Recherche et d’Histoire des Textes, situé à Paris et Orléans,
est un autre le signe de ce
renouvellement dans l’approche méthodique des sources écrites.
Cet institut, qui dépend du
C.N.R.S., rassemble les études sur les manuscrits, les
enluminures, la philologie, l’histoire
littéraire et religieuse dans une même perspective, grâce au
recours aux multiples sciences
auxiliaires de l’histoire.
L’informatique a également transformé la recherche grâce à la
constitution depuis les
années 1990 de bases de données qui sont accessibles en ligne :
bases de textes numérisés,
bases iconographiques (BnF, Archives nationales).
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II. Les grandes thématiques de recherche en histoire
médiévale
Aucun domaine de l’histoire n’est négligé par l’historiographie
actuelle. Tous les champs
de recherche sont abordés. Il me paraît un peu artificiel de
faire ici un recensement complet
de tous ces champs de recherche, domaine par domaine. Mieux vaut
vous présenter les axes
de recherche les plus dynamiques actuellement, afin de donner
une photographie de
l’historiographie d’aujourd’hui 2 . J’ai insisté sur les
domaines de recherche les plus
représentés dans les programmes de Cinquième et Seconde.
*L’histoire de la guerre :
Le sujet nous intéresse ici : l’histoire de la guerre au Moyen
Âge est un secteur en
renouvellement. La recherche ne se limite pas à l’étude
institutionnelle de la guerre
(organisation et recrutement des armées par les pouvoirs en
place), ou à l’étude des
stratégies et des tactiques. Celle-ci est d’ailleurs renouvelée
par une meilleure connaissance
des armes et des équipements, aidée par l’archéologie, comme je
l’ai dit plus haut. En outre,
la théorie de la guerre, « l’art de la guerre » est un sujet à
part entière : en 2014, un ouvrage
a par exemple paru sur les manuels de combat au Moyen Âge.
Enfin, l’histoire des
campagnes militaires s’est réorientée en fonction de l’histoire
sociale et politique : par
exemple, l’histoire des croisades est très liée à celle des
rapports avec le monde musulman,
et aux modalités d’organisation de la conquête en Orient.
D’un point de vue plus structurel, les historiens se sont
interrogés sur les processus
politiques et juridiques qui ont mené la royauté, à la fin du
Moyen Âge, à s’arroger le droit
exclusif de faire la guerre et la paix. En ce sens, les études
sur la guerre se trouvent à la
croisée de l’histoire des pouvoirs et de la justice (texte de
Richard Kaeuper sur Guerre,
justice et ordre public, p. 8 : l’auteur compare les royaumes de
France et d’Angleterre à la fin
du Moyen Âge, surtout pendant la période de Cent ans).
L’analyse du fait militaire devient donc un vecteur permettant
de comprendre l’évolution
des structures politiques et sociales. Dans ce cadre, elle
permet aussi de s’interroger sur les
mentalités : quel rapport existait-il entre les combattants et
la violence ? Quelles étaient les
répercussions de cette violence sur les populations ? En quoi
les pratiques militaires
déterminaient-elles une identité sociale et culturelle pour les
combattants, notamment pour
les combattants nobles ? C’est à ce titre que progresse la «
nouvelle histoire bataille ».
Dans une veine anthropologique, celle-ci étudie la bataille
comme un phénomène social
permettant de s’interroger sur les pratiques culturelles et les
représentations des
combattants médiévaux.
*L’histoire de l’Etat monarchique ou « la genèse de l’Etat
moderne »
Il s’agit de l’un des grands programmes de recherche pour le
Moyen Âge, datant des
années 1980. Il s’agissait à l’origine de réfléchir aux éléments
qui permirent le
développement d’un Etat monarchique en Occident : fiscalité,
droit, législation, théories
2 Je m’appuie ici sur : Sirinelli (J-F.), Cauchy (P.), Gauvard
(C.) (dir.), Les historiens français à l’œuvre, 1995-2010,
Paris, PuF, 2010.
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politiques sur la souveraineté. Ces aspects sont toujours
étudiés actuellement, mais de
nouveaux ont émergé. On analyse par exemple les caractéristiques
du pouvoir princier par
rapport au pouvoir royal : souvent, dans les derniers siècles du
Moyen Âge, les grands
princes ont copié des principes institutionnels propres à l’Etat
royal pour organiser leur
principauté. On s’interroge aussi sur les modalités du débat et
des idées politiques dans la
société, dans le cadre d’un programme de recherche qui va du
XIIe au XVIIe siècle.
Cette étude des pouvoirs est aussi réalisée pour le monde
islamique et byzantin :
rapports entre le politique et le religieux, modes de
légitimation et formes d’exercice du
pouvoir.
*L’histoire socio-culturelle : un domaine d’étude très centré
sur l’histoire des élites
L’histoire des élites reste au cœur de l’histoire sociale
médiévale. Le manque de sources
ne permet malheureusement pas de bien connaître l’ensemble de la
population, même si
des recherches ont été faites sur le peuple médiéval. Cependant,
celui-ci est généralement
appréhendé dans ses relations avec le pouvoir ou avec les
puissants.
L’histoire des élites est d’abord l’histoire de la noblesse.
Celle-ci est ancienne et plonge
ses racines dans les études faites au XIXe siècle, voir avant,
avec la généalogie. Elle reste
toutefois extrêmement riche, car l’étude de la noblesse est à la
croisée de l’histoire sociale,
mais aussi culturelle, politique et économique du Moyen Âge.
Néanmoins, les dernières décennies ont élargi le regard posé par
les historiens sur les
élites, en intégrant l’étude des élites urbaines (marchands,
notaires) et ecclésiastiques
(chanoines par exemple). Les historiens ont ici profité de
l’apport de la sociologie, qui définit
l’élite non pas seulement comme les deux ordres dominants de la
société médiévale (clercs
et nobles), mais comme ceux qui dominent un groupe social
particulier. La prosopographie
et l’outil statistique ont également été ici d’une grande aide.
Enfin, dans le cadre de l’histoire
de l’Eglise, l’étude des élites intellectuelles médiévales a
bien progressé : études sur les
universités, mais aussi sur les collèges, les écoles
cathédrales, les abbayes comme centre de
production du savoir et de l’écrit.
*Une histoire économique renouvelée, mais en lent
redémarrage
L’histoire économique ne néglige pas l’analyse des cycles
économiques et des grands axes
de commerce (notamment en Méditerranée). Ainsi, elle s’intéresse
aux rapports Orient-
Occident, mais également aux conditions des crises économiques,
surtout au début du XIVe
siècle.
Mais face à cela, l’histoire économique s’est renouvelée dans la
dernière décennie. Il
s’agit pour beaucoup d’une histoire faite à l’échelle locale,
centrée sur l’étude des conditions
de mise en valeur du patrimoine, du marché de la terre, des
transferts d’argent et de biens
(notamment sous forme de don). Ce renouvellement a permis de
relancer la discipline, qui a
connu une longue traversée du désert, face aux autres domaines
d’étude, à la fin du XXe
siècle.
Dans le cadre de l’histoire rurale, l’étude de la seigneurie
connaît aussi un regain d’intérêt,
en lien avec l’histoire de la noblesse et l’histoire des
fiefs.
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*L’histoire de l’Eglise : la vigueur de l’histoire de la
spiritualité et de l’histoire de l’art
Depuis les travaux précurseurs d’André Vauchez, l’histoire de
l’Eglise ne se concentre plus
seulement sur les problématiques institutionnelles, mais
s’intéresse aussi à l’histoire de la
spiritualité, tant dans les milieux cléricaux que laïcs. Cette
histoire de la spiritualité a donné
lieu au développement des études sur la prédication religieuse
et les ordres monastiques.
Les historiens s’interrogent aussi sur la culture et le
sentiment religieux.
Parallèlement, l’histoire de l’art a renforcé ses liens avec
l’histoire de l’Eglise à l’Université.
L’étude des monuments religieux se fait en fonction de
l’évolution de la spiritualité
médiévale et de l’analyse de la place de l’Eglise dans la
société, pour encadrer les
comportements. Ainsi, la plupart des Universités ne négligent
pas l’histoire de l’art religieux
dans leur cursus de licence. L’histoire de l’art est alors
conçue comme un moyen de mieux
comprendre l’Eglise et la société médiévales.
*Les débats historiographiques : les questions de la « mutation
de l’an Mil » et de la
naissance de l’Etat moderne
Ces différents domaines de recherches soulèvent bien évidemment
des débats
historiographiques. Le programme sur la « genèse de l’Etat
moderne » a par exemple été
critiqué : certains historiens considèrent que l’on plaque avec
ce programme le concept
d’Etat moderne en un temps où il n’existait pas encore
véritablement. Le programme aurait
donc des tendances téléologiques. Quoiqu’il en soit, que l’on
s’oppose ou que l’on adhère au
postulat historiographique de la « genèse de l’Etat moderne »,
le programme pousse les
historiens à réfléchir sur une question majeure à l’époque
médiévale et moderne : celle de
l’évolution des pouvoirs souverains et de leur rapport avec la
société qu’ils dominent.
Les débats historiographiques portent également sur la
définition des grandes ruptures
chronologiques qui organisent la période médiévale. Le texte de
Dominique Barthélemy (p. 7
du fascicule) permet d’aborder la question de la « mutation de
l’an Mil ». Le texte de
Dominique Barthélemy démontre que la désaffection du pouvoir
royal après la chute de
l’empire carolingien n’entraîna pas pour autant l’anarchie. Le
cadre seigneurial, marqué par
les liens féodaux, formait la base de l’ordre social et
politique. Si ce cadre seigneurial a pu se
prouver si opératoire aux Xe-XIe siècle, c’est parce qu’il
plonge pour Dominique Barthélemy
ses racines dans le haut Moyen Âge. Ainsi, la chevalerie
n’apparaîtrait pas après l’An mil mais
serait héritière d’évolution déjà anciennes, remontant aux
siècles précédents. Pour D.
Barthélemy, il n’y aurait donc pas de « mutation » ou de «
révolution de l’an mil », avec des
changements fondamentaux par rapport à la période carolingienne,
mais le développement
progressif d’une société aristocratique marquée par des
continuités entre le IXe et le XIIe
siècle.
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Guerre et populations
dans les programmes d’histoire médiévale
La guerre est un élément structurant de la société médiévale,
tout particulièrement de
la société aristocratique. En écho au sujet de la question
d’histoire médiévale à l’agrégation
interne (« Guerre et société, fin XIIIe-fin XVe s.), nous avons
choisi d’explorer cette
importance de la guerre au Moyen Âge en partant d’un thème
transversal : « Guerre et
populations ». Thème qui permet de s’intéresser à la place de la
guerre dans la société
nobiliaire, le discours clérical, et pour l’affirmation du
pouvoir royal, mais aussi aux rapports
qu’entretient l’ensemble du peuple médiéval avec le fait
militaire. Un thème large donc, qui
traverse les programmes d’histoire médiévale en Cinquième comme
en Seconde.
Mon objectif ici n’est pas de refaire les programmes en histoire
médiévale – ce que vous
êtes beaucoup plus apte à faire que moi – mais de vous donner
des clés de lecture à partir
d’un thème transversal, qui aborde l’ensemble des aspects des
programmes de Cinquième
et de Seconde. Le travail sur le fascicule vous donne également
différents supports
pédagogiques, pour développer la réflexion et même pour les
utiliser en cours.
J’ai subdivisé ce thème général en 3 sous-thèmes qui recoupent
ceux des
programmes et permettent d’envisager la question en fonction de
ses
problématiques sociales, politiques et religieuses :
I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident
médiéval (XIe-XVe s.)
II. Guerre, populations et pouvoir : l’Eglise et l’Etat royal
(XIe-XVe s.)
III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident.
Pour explorer ce thème avec vous, je m’appuierai sur un
fascicule que j’ai constitué en
choisissant des documents de nature diverse, mobilisables avec
les élèves. A mon sens,
chacun de ces documents peut être utilisé par le professeur et
répond aux attendus
méthodologiques des programmes :
-qu’il s’agisse de la classe de Cinquième, pour laquelle on
attend que les élèves puissent
se familiariser avec différents types de sources historiques,
qu’ils apprennent à situer
dans le temps et dans un contexte donné » (Programmes
officiels).
-qu’il s’agisse de la classe de Seconde, où les élèves doivent
établir un travail critique sur
les sources, qui ne néglige pas l’histoire de l’art.
I. Les seigneurs, les paysans et les villes dans l’Occident
médiéval (XIe-
XVe siècle)
1. L’importance de la guerre dans le mode de vie noble
La guerre est un élément fondamental de l’identité
aristocratique au milieu du Moyen
Âge. Le noble se distingue socialement car il est un guerrier,
un spécialiste du maniement
des armes. Le combat à cheval représente l’essentiel de son
activité.
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Cette fonction guerrière du noble est tout à fait reconnue par
l’Eglise au XIe siècle, avec le
développement de la théorie des trois ordres. Dans la première
moitié du XIe siècle, les
évêques Gérard de Cambrai et Adalbéron de Laon formulent l’idée
d’une tripartition
fonctionnelle de la société chrétienne : trois « ordres »
associés travaillent de concert pour
assurer la Loi et la Paix : « ceux qui prient », « ceux qui
combattent », « ceux qui travaillent ».
Il faut cependant souligner que cette vision de la société en
ordres, qui confère aux nobles
une place particulière comme défenseurs, par les armes, de la
communauté des chrétiens,
n’est pas nouvelle au XIe siècle. Elle s’élabore au cours du
haut Moyen Âge, sous les
Carolingiens, lorsque des évêques (Jonas d’Orléans) et des
moines (de l’abbaye St Germain
d’Auxerre) veulent promouvoir un système de classification de la
société chrétienne
départageant les laïcs (qui doivent défendre l’Eglise par les
armes), et les clercs (qui
dominent la société et assurent la paix et la prière).
Si l’Eglise a voulu dès le haut Moyen Âge réfléchir sur la place
de l’aristocratie
combattante dans la société chrétienne, c’est en raison du lien
intime qui unit les nobles
francs à la guerre. Ce lien entre l’aristocratie et la guerre
remonte aux fondements mêmes
des sociétés germaniques. La guerre n’est pas seulement pour le
noble un moyen de
défendre ses terres et de s’enrichir grâce au butin. C’est par
la guerre qu’il assoit et légitime
son pouvoir. Le roi franc, premier des nobles, est d’ailleurs
avant tout un guerrier, et cela dès
les premiers temps de la période mérovingienne. Une des bases
idéologiques de la royauté
mérovingienne, puis carolingienne et capétienne réside dans la
fonction militaire du roi, qui
rassemble l’armée et justifie par les armes sa domination
charismatique (concept
germanique de « roi chef d’armée » : Heerkönig).
Les armes symbolisent la fonction guerrière, et donc l’identité
aristocratique. Armes
remises pendant le haut Moyen âge aux nobles lors de rituels
marquant le passage à l’âge
adulte. Armes déposées dans les tombes aristocratiques ou
royales, comme le montre (p. 9
fascicule) :
Le mobilier funéraire de la tombe de Childéric Ier (v.
481-482)
Ces armes ont été retrouvées dans la tombe de Childéric Ier
:
-Childéric Ier, roi des Francs saliens mort en 481, était le
père de Clovis. Sa tombe a été
retrouvée au XVIIe s. à Tournai, région que dominaient les
Francs à la fin du Ve s.
-sont présentées ici différents essais de reconstitution des
épées de Childéric déposées
dans sa tombe. Sous les Mérovingiens, les nobles utilisent
l’épée longue à double
tranchant (spatha) et le long couteau à un seul tranchant
(scramasaxe). Ce sont les armes
privilégiées de l’aristocratie, à côté de la lance, et de la
hache de jet (francisque).
On remarquera avec ces dépôts funéraires la forme des épées
franques. Cette forme
évoluera légèrement au cours du Moyen Âge en favorisant
différents types de mouvements.
Jusqu’au XIe-XIIe siècle, on se préoccupe surtout de trancher.
Les combattants se protègent
avec une broigne, juste-au-corps en tissu ou en cuir renforcé de
mailles rigides. Mais à partir
du milieu du Moyen Âge, l’usage de cottes de mailles (veste
constituée d’un assemblage
serré de mailles en fer) se développe, ce qui protège mieux le
combattant. Les armes
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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s’adaptent : l’épée devint plus effilée et longue pour trancher
mais aussi percer (les cottes
de mailles). Le scramasaxe est progressivement abandonné au
cours du haut Moyen Âge.
Malgré ces évolutions, on remarque que la forme de base de
l’épée à double tranchant
est fixée dès l’origine, au haut Moyen Âge. Dès le Ve siècle,
l’épée est avec la lance l’arme
privilégiée pour le noble. De là, elle symbolise l’identité
aristocratique : l’épée est utilisée
comme dépôt funéraire royal. Avec la christianisation de
l’aristocratie franque au cours de la
période mérovingienne, l’usage de déposer des armes dans les
tombes des nobles se perdra.
Mais la représentation funéraire du noble comme un guerrier en
armes restera parfaitement
effective : on le voit avec les plaques funéraires et les
gisants qui sont encore bien conservés
pour le Moyen Âge central et le bas Moyen Âge, et qui montrent
le corps du défunt en
armure, avec son épée.
Tournons maintenant complètement vers le Moyen Âge central avec
ces représentations
de chevaliers armées du XIe et du XIIIe siècle (Bayeux,
Bréviaire d’Amour). Elles nous
montrent valeur essentielle de la guerre dans le mode de vie
noble et les caractéristiques de
son armement.
Enluminure illustrant les chevaliers et la vie de Cour, d’après
le Bréviaire d’Amour
d’Ermengol de Béziers (v. 1290)
Cette enluminure est intéressante d’un point de vue pédagogique
: d’une part, elle
représente les fondements du mode de vie aristocratique (guerre
et vie de Cour) ; d’autre
part, elle permet de faire allusion à la littérature courtoise
:
-le bréviaire d’Amour est composé à la fin du XIIIe siècle par
un clerc et juriste de
Béziers, Ermengol de Béziers. Le texte est écrit occitan sur
l’enluminure qui illustre le
manuscrit. La littérature courtoise, genre auquel il appartient,
fait l’apologie du mode de
vie nobiliaire, partagé entre la vie de cour et la guerre,
source d’exploits permettant de
ravir l’amour des dames. Du point de vue de l’histoire de l’art,
on notera l’importance de
l’enluminure, ici en pleine-page, dans la peinture gothique et
dans la littérature.
-ce mode de vie courtois est partagé par tous les nobles
combattants à cheval, les
chevaliers. Mais il n’est pas sans lever des critiques de la
part des clercs, qui dénoncent le
goût pour le faste et le luxe. C’est pourquoi des diablotins
viennent animer les scènes aux
différents registres, et tenter les chevaliers à mal agir. Au
registre inférieur (en bas à
droite), un démon s’empare de l’âme du chevalier mourant.
L’enluminure est intéressante car, au travers de ce regard
doucement critique, elle
montre la quintessence du mode de vie nobiliaire aux XIe-XIIe et
XIIIe s. :
-la cour (royale ou seigneuriale) est le principal lieu de
sociabilité nobiliaire. La
commensalité (le partage du repas) permet de nouer des liens de
fidélité avec les
vassaux et de montrer la richesse du seigneur, qui reçoit et
doit faire preuve de
générosité. La vie de cour se veut fastueuse : elle est
l’occasion de danses et de
musiques, avec des troubadours (4e registre).
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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-le port des armes se présente dans différents contextes. C’est
d’abord en montant armé
à cheval que le chevalier représente son appartenance à une
famille noble (2e
registre) : il est paré de ses armoiries. L’usage de
l’héraldique se diffuse au XIIe s. en
réaction à l’équipement de plus en plus complet des chevaliers,
qui empêche de les
identifier.
-Vient ensuite (3e registre) une scène de tournoi : les tournois
permettent de renforcer
les liens entre familles nobles, entre seigneurs et vassaux, par
les équipes qui sont
constituées et ont une dimension internationale. Ils connaissent
un grand succès du
XIIe au XVIe siècle. Ils peuvent être à cheval, lance baissée,
ou à pied. Le but n’est pas
de tuer mais de prouver son courage et surtout d’emprisonner son
adversaire pour en
tirer une rançon. Mais l’Eglise réprouve ce simulacre de guerre,
qu’elle considère
comme des violences inutiles et comme une mauvaise expression de
la vanité
aristocratique : d’où de multiples interdictions en conciles, et
d’où la présence des
démons qui incitent sur l’enluminure les chevaliers à s’élancer
au combat. Néanmoins,
malgré les interdictions ecclésiastiques, les tournois
prospèrent car ils sont un élément
essentiel dans l’identité noble.
Le chevalier et son armement du milieu à la fin du Moyen Âge
Avec cette enluminure du Bréviaire d’Amour, nous avons vu
l’importance du combat à
cheval dans la guerre, pour les nobles. L’usage du cheval pour
combattre est constant dans
le monde aristocratique pendant tout le Moyen Âge, au point que,
comme le disait Philippe
Contamine, historien spécialiste de la guerre médiévale,
l’histoire de la noblesse et de la
guerre au Moyen Âge devrait être aussi une histoire du
cheval.
L’usage du cheval influence les tactiques de combat. Mais
celles-ci évoluent entre le XIe et
le XVe siècle. Pour le montrer, comparons deux documents
iconographiques représentants
deux batailles célèbres : la bataille d’Hastings (victoire
normande en Angleterre, 1066) ; la
bataille de Crécy (victoire anglaise contre l’armée française de
Philippe VI de Valois, pendant
la guerre de Cent ans, au nord du royaume de France, 1346) :
-La tapisserie de Bayeux (fin XIe s.) :
Le combat des nobles se fait essentiellement à cheval – mais pas
seulement : on peut
mettre pied à terre si nécessaire ou si l’on y était obligé par
perte du destrier (registre
inférieur) :
-au XIe siècle, l’attaque se fait pour les nobles en charge
compacte et frontale,
lance couchée sous le bras (la lance est de plus en plus
rarement utilisée comme arme de
jet). L’usage répandu de l’étrier et de la selle rembourrée,
après l’An mil, favorise la charge.
L’épée longue à double tranchant permet le corps à corps,
utilisée pour couper, mais aussi
de plus en plus pour piquer.
-pour se protéger, le noble tend à se couvrir de plus en plus
complètement d’un
équipement lourd qui peut dépasser 20 kg : casque avec renfort
nasal (heaume), cotte de
maille couvrant les jambes (haubert), bouclier (écu).
-La bataille de Crécy (1346) d’après un manuscrit des Chroniques
de Froissart datant du
XVe s. :
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L’armement offensif et défensif a évolué, malgré des permanences
:
-les nobles combattent toujours à cheval et utilisent volontiers
la charge de cavalerie
lance baissée, ainsi que l’épée, qui est plus longue et fine
qu’auparavant.
-Dans le même temps, le perfectionnement des épées tend à
promouvoir des armures
complètes, très articulées pour conserver une capacité de
mouvement. Le haubert (bien que
toujours utilisé) laisse la place à l’armure « de plates »
(XIVe), aussi appelée harnois. Cette
armure du bas Moyen Âge n’est pas composée d’anneaux de fer
formant une cotte de maille,
mais de lames de fer rivetées à une étoffe. Surtout, elle couvre
tout le corps, y compris les
jambes et les avant-bras. Un « plastron » en fer est ajouté pour
protéger le tronc (voir
l’enluminure), tandis qu’une jupe (pansière, braconnière)
protège le bas ventre du chevalier.
Le cou est protégé par un collet. Pour la tête, on abandonne
l’usage du heaume au profit du
bacinet à visière, qui couvre tout le visage (la visière peut
être abaissée et remontée, ce qui
n’empêche pas le chevalier d’avoir un mauvais champ de vision et
de suffoquer rapidement
sous l’équipement).
-tout cela fait que l’armure coute très cher. Elle est un signe
de richesse pour les nobles,
et ce n’est pas pour rien que les gisants du XIVe représentent
les grands nobles en harnois
complet, épée à la main. L’armure de plate fait aussi marcher
pendant la guerre de Cent ans
toute une économie de guerre (forgerons, armuriers) qui profite
aux villes les abritant.
-Les combattants à pied (non nobles) sont aussi protégés, mais
pas complètement : avec
une salade (casque en fer) et une brigandine (tunique renforcée
de fer, sorte d’évolution de
la broigne) (voir document).
Néanmoins, l’art traditionnel de la guerre tend à devenir moins
efficace à la fin du Moyen
Âge. A Crécy, les chevaliers français qui chargent de façon
indisciplinée lance baissée sont
décimés par les archers anglais. Ceux-ci ont une très bonne
cadence de tir et surpassent les
arbalétriers génois présents dans les rangs français. C’est une
défaite cuisante pour la France.
Par la suite, la noblesse française tâchera de s’adapter en
combattant plus souvent à pied,
en s’appuyant sur la cavalerie légère et en multipliant le
nombre des arbalétriers pour
rivaliser avec les archers anglais (le tout avec un succès très
inégal).
Enfin, la diffusion de l’usage de la poudre (surtout au XVe s.)
modifiera complètement les
tactiques et stratégies militaires des nobles sur le champ de
bataille.
Quoiqu’il en soit, la guerre reste jusqu’à la fin du Moyen Âge
un principe absolument
essentiel de l’identité noble. Cela se perçoit au travers de ces
deux documents :
-A la fin du XIe s., la tapisserie de Bayeux commémore les
exploits guerriers du duc de
Normandie Guillaume le Conquérant et sa conquête de
l’Angleterre. Elle détaille les
évènements militaires et représente les nobles en armes.
-Au XVe s., les plus célèbres chroniques, comme celles de Jean
Froissart (mort au début
du XVe s.) attachent beaucoup d’importance aux exploits
chevaleresques et aux
épisodes guerriers, qui sont représentés grâce à de magnifiques
enluminures pleine-
page. Incontestablement, le noble, même lorsqu’il perd la
bataille comme à Crécy, se
définit et se distingue au travers de la guerre.
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2. Les populations rurales et urbaines face à la guerre
Les populations médiévales, qu’elles soient rurales ou urbaines,
sont touchées et
concernées par la guerre, qui opposent généralement, au Moyen
Âge central, les nobles
entre eux.
Il faut d’abord comprendre que les méthodes de combat en dehors
des batailles
privilégient les dommages faits sur les terres de l’adversaire :
la guerre a donc un impact sur
les populations locales.
Parallèlement, la guerre permet d’assurer le contrôle des
communautés locales, sous la
dépendance des seigneurs.
Pillages et rapines vers 950 dans les Annales de Flodoard de
Reims
Cet extrait des Annales de Flodoard de Reims donne, peu avant
l’an Mil, une vision des
clercs sur les pratiques militaires nobiliaires. Flodoard était
en effet chanoine auprès de
l’évêque de Reims. La vision de Flodoard est partiale à double
titre : l’évêché de Reims prend
surtout partie contre le comte de Vermandois, Herbert de
Vermandois (cité dans le texte
comme un agresseur des seigneuries appartenant à l’évêque de
Reims, §1) ; de plus, l’Eglise
tend à désapprouver la violence armée des nobles, surtout
lorsqu’elle s’exerce sur le pays,
contre les communautés locales.
Les Annales de Flodoard n’en restent pas moins précieuses. Elles
illustrent les bases de
l’activité militaire des nobles au Xe siècle pour défendre leur
seigneurie et affaiblir leurs
adversaires : la chevauchée et le siège :
-la chevauchée s’appuie sur une stratégie de razzia afin
d’atteindre les ressources
agricoles de l’adversaire. Cf. §1 : « les vassaux du roi [Louis
IV] ravagèrent la seigneurie de
l’évêché de Reims, …. » : l’évêché est en effet disputé entre le
roi carolingien Louis IV et le
comte de Vermandois Herbert. Les groupes de chevaliers
parcourent les terres en attaquant
les champs et les paysans. Cependant, ne caricaturons pas : ces
chevauchées sont
circonscrites dans le temps et dans l’espace, et les dommages
restent généralement très
limités.
-le siège permet de réduire les positions seigneuriales
ennemies. Au Xe siècle, les
châteaux n’étaient pas encore tous appareillés en pierre. Mais
ils se multiplient, sous l’effet
de la montée en puissance des nobles importants (comtes, ducs)
face au roi. Les châteaux
sont pris par la force ou par la ruse, voire la trahison. Dans
ce texte, le siège débouche sur
des négociations avec la tenue d’un plaid, c’est-à-dire d’une
assemblée judiciaire permettant
de régler par la justice le conflit militaire. On voit donc que
les affrontements obéissent à des
règles, et qu’il n’y a rien d’anarchique dans ces contentieux
seigneuriaux. Ajoutons que les
oppositions militaires se font entre seigneurs et non pas contre
les communautés rurales,
même si celles-ci peuvent être des cibles pour affaiblir
l’adversaire.
Au total, pendant tout le Moyen Âge central, les guerres
seigneuriales sont marquées par
de faibles dynamiques territoriales : on agresse les terres
ennemies mais on les met
rarement entièrement sous sa coupe, une attaque génère une
contre-attaque, ponctuée de
négociations. Il y a beaucoup de démonstrations de force, et peu
de violence débridée. Mais
cela a évidemment un impact sur les communautés villageoises,
qui peuvent voir leurs liens
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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de dépendance avec un seigneur évoluer en fonction des
retournements militaires. De plus,
elles subissent différents dommages matériels.
Des pillages pendant la guerre de Cent ans et la guerre civile :
une chevauchée
armagnaque sur les terres anglo-bourguignonnes en 1433
Ce texte, issu de célèbres chroniques du XVe s. (celles du
Bourguignon Enguerrand de
Monstrelet) est intéressant. Il nous montre en effet qu’un
demi-millénaire après Flodoard de
Reims, les pratiques militaires des nobles en guerre ont peu
évolué.
Nous sommes pendant la guerre de Cent ans. Malgré sa durée
(1337-1453), cette guerre
franco-anglaise n’est marquée que par un nombre très réduit de
grandes batailles, comme
Crécy (1346) ou Azincourt (1415). Les armées évitent
généralement la bataille, coûteuse en
hommes, et dont la défaite a des conséquences trop lourdes. Les
défaites de Crécy et
d’Azincourt auront ainsi un très important coût politique et
militaire pour les rois de France.
C’est après Azincourt que le roi anglais Henri V réussit à
reconquérir toute la Normandie,
puis la région parisienne, sur les Français. Cela amènera l’une
des crises les plus importantes
de la monarchie française, avec la signature en 1420 du traité
de Troyes qui place le roi
Anglais à la tête d’une double monarchie comprenant le royaume
d’Angleterre et le
royaume de France.
La guerre pratiquée dans ce texte par les capitaines français
(les Armagnacs qui sont
opposés aux Anglais alliés aux troupes du duc de Bourgogne) est
une guerre de pillage et de
razzia. On retrouve la technique de la chevauchée utilisée par
les chevaliers du comte de
Vermandois au Xe siècle. Les cibles et le mode opératoire sont
clairs :
-les grandes villes bien défendues sont évités, au profit des
plus faciles à prendre. Le
« plat-pays », c’est-à-dire la campagne, est ravagée sur le
passage de la chevauchée. Les
attaques contre les « paysans qui ne s’étaient pas protégés »
(§1) sont privilégiées.
-Cela vise autant à affaiblir l’adversaire, à désorganiser et
atteindre ses ressources, qu’à
s’enrichir : car le pillage apporte des gains aux
capitaines.
-L’attaque est brève et ciblée : les capitaines français font un
aller-retour depuis leurs
bases aux limites de la Champagne, en poussant jusqu’au
Cambrésis. Ils agissent de façon
concertée, en troupes bien garnies (1500 combattants) pour avoir
le maximum de puissance
de frappe. C’est une guerre de razzia et de harcèlement.
Le contrôle et la protection des communautés rurales par les
nobles
A partir du Xe-XIe siècle, vous savez que l’affaiblissement du
pouvoir public engendre un
morcellement du territoire. Les nobles à la tête des grandes
principautés acquièrent un haut
degré d’autonomie face au roi. Puis les petits nobles, à la tête
de châtellenies réunies autour
d’un ou de plusieurs châteaux, réussissent à aussi à obtenir une
certaine autonomie. Dans le
cadre de cet émiettement territorial, la seigneurie et les liens
féodaux viennent structurer
les relations de pouvoir.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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Ce type de guerre pousse en effet à renforcer les systèmes de
défense : défense de la
seigneurie, mais aussi défense des communautés paysannes
placées, dans la
seigneurie, sous la dépendance du seigneur. En défendant leurs
terres contre les
agressions militaires, les nobles développent aussi leurs moyens
de contrôler les
populations locales et de les placer certes sous leur
protection, mais aussi sous leur
dépendance. C’est pourquoi les châteaux se multiplient à partir
du Xe et XIe siècle. Ils
expriment le pouvoir des seigneurs tout autant qu’ils permettent
de défendre leur
seigneurie et ses dépendants.
-La motte de Dinan selon la tapisserie de Bayeux (fin XIe
s.)
Cette représentation d’une motte (à Dinan, côtes d’Armor) nous
montre le premier type
de château existant autour de l’an Mil : la motte castrale. Ces
châteaux sont essentiellement
en terre et en pierre.
Dans certains cas, la motte est doublée d’un second espace
protégé par une palissade en
bois : la basse-cour, où peuvent se réunir les paysans sous la
protection du seigneur, et où se
trouvent des bâtiments destinés à loger le seigneur, à la prière
(chapelle), et à entreposer les
outils agricoles et les récoltes. C’est ce que l’on voit avec la
reconstitution faire à St-Sylvain
d’Anjou (p. 14) : à côté de la motte castrale prend place une
large basse-cour accueillant
différentes habitations, un logement seigneurial, des
ateliers.
La motte permet de surveiller le territoire grâce à une tour
(donjon, qui a alors moins une
fonction résidentielle qu’une fonction défensive, comme tour de
garde). La tour est
surélevée grâce à une levée en terre (artificielle ou
naturelle), la motte, entourée d’un fossé,
lui-même protégé par un remblai. Une palissade en bois fait
office d’enceinte rudimentaire.
Entre le Xe et le XIIe siècle, le modèle-type du château va
évoluer. On utilise de plus en
plus la pierre, plus solide, et plus monumentale : d’abord pour
l’enceinte, puis pour le
donjon (ou « tour-maîtresse »), qui gagne en hauteur : voir
l’exemple de Loches (Indre-et-
Loire), l’un des premiers donjons en pierre (v. 1030), haut de
37 mètres. L’organisation du
château se complexifie. Entre la fin XIIe et le XIVe s., on voit
apparaître des châteaux à
double enceintes en France et en Angleterre.
Les communes, les seigneurs et l’essor urbain : la charte de
Saint-Omer
(14/04/1127)
Tout comme les campagnes, les villes sont touchées et façonnées
par la guerre.
Vous savez que le milieu du Moyen Âge est marqué par un
important essor urbain :
accroissement démographique, force du pouvoir épiscopal se
traduisant par les grands
chantiers de cathédrales, organisation de l’activité économique
en fonction du système des
métiers/guildes (appelés corporations à l’époque moderne),
enrichissement qui profite aux
élites urbaines : la bourgeoisie. Celle-ci organise les
gouvernements urbains des principales
villes.
Cet essor urbain est canalisé par les pouvoirs laïcs ou
ecclésiastiques : les évêques, les
seigneurs laïcs ou le roi accordent aux gens des villes (avant
tout à ceux qui les dominent :
métiers et bourgeoisie), associées en « communes », des statuts
juridiques grâce à des
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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chartes de commune. Ces chartes leur reconnaissent une timide
autonomie politique et
judiciaire, mais aussi certains privilèges (franchises)
commerciaux et fiscaux qui doivent
favoriser l’essor économique urbain. En échange, ils doivent
rester fidèles au seigneur, qui
assure la paix.
Voir dans le fascicule p. 15 l’extrait de la charte de
Saint-Omer, concédée au
gouvernement urbain (les échevins) par le comte Guillaume de
Flandre en 1127. St-Omer
est une ville drapante en pleine croissance économique au XIIe
s.
La mise en défense des villes et sa traduction dans l’identité
urbaine (XIIIe-XVe s.)
Cet essor urbain, qui peut s’accompagner en plus pour les villes
importantes de privilèges
et d’une relative autonomie, fait des villes médiévales des
centres de pouvoir avec lesquels
les puissants, laïcs ou clercs, doivent s’entendre, ou qu’ils
doivent dans tous les cas protéger
et soutenir.
Au début du XIIIe siècle, le roi de France Philippe II Auguste
décide de construire une
nouvelle enceinte pour protéger Paris. Il redoute notamment des
attaques depuis la
Normandie, qu’il a reprise récemment aux Anglais (Jean sans
Terre). Ainsi, il fait construire
l’enceinte et le Louvre pour protéger Paris :
-Plan de l’enceinte de Philippe II Auguste à Paris au XIIIe s.
:
L’enceinte urbaine a une fonction militaire et politique :
-fonction militaire car elle protège une ville en expansion, qui
est devenue sous
Philippe Auguste la capitale administrative du royaume (voir le
palais royal sur l’Ile-
de-la-Cité).
-fonction politique car elle exprime la domination royale sur la
ville, mais aussi la
volonté du roi de protéger sa capitale et de l’embellir.
Les enceintes urbaines se multiplient à partir du XIIe siècle
dans tout l’Occident. Elles
permettent de protéger les villes contre les agressions
militaires, mais aussi
d’exprimer la puissance politique de la ville. En cela, la
guerre a bien une dimension
politique pour les communautés urbaines :
-Sceau de la commune de Valenciennes (XIVe s.) / Ville de
Montbrison d’après l’Armorial
de Guillaume Revel (mi-XVe s.) :
Ce sceau et cette miniature (XIVe-XVe s.) montre que l’identité
urbaine se fonde au Moyen
Âge sur une symbolique militaire. Certes, Valenciennes était un
château avant de devenir
une commune au XIIe s., mais il n’empêche que la ville a
conservé les symboles militaires
que sont les tours et l’enceinte pour montrer la puissance
urbaine et exprimer son statut
juridique (le sceau sert à authentifier les actes promulgués par
la commune).
Au XVe s., l’armorial de Guillaume Revel représente Montbrison
(Forez) étroitement blottie
derrière son enceinte et protégée par son château dépendant du
duc de Bourbon.
Ces éléments militaires sont tout aussi importants que les
églises pour caractériser et
distinguer la ville sur l’enluminure.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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II. Guerre, populations et pouvoirs : l’Eglise et l’Etat royal
(XIe-XVe s.)
L’importance de la guerre dans le mode de vie noble et l’impact
qu’elle a sur les
communautés rurales et urbaines pousse l’Eglise chrétienne à
développer un discours
particulier sur le fait militaire.
La guerre n’est jamais complètement rejetée par l’Eglise. Nous
verrons plus loin, avec la
croisade, que la guerre peut être considérée comme « juste »
lorsqu’il s’agit de défendre la
communauté chrétienne contre des agresseurs extérieurs. Par
ailleurs, les nobles peuvent
porter les armes : il s’agit même de leur fonction première dans
la société selon le modèle
tripartite élaborée par les clercs au XIe siècle. Mais ils ne
doivent pas utiliser ses armes
n’importe comment. La guerre doit permettre de rétablir la paix
et de conserver l’ordre :
ordre religieux, ordre social et ordre politique. Tout cela
pousse l’Eglise à promouvoir au
milieu du Moyen Âge, face aux conflits qui opposent les
seigneurs et les rois entre eux, une
logique de régulation de la violence armée. Il ne s’agit pas
d’interdire les guerres, mais de
réduire leurs effets sur les communautés locales, et sur les
clercs ainsi que sur leurs
possessions (1).
Ces principes sont partagés par le roi lui-même. Roi guerrier,
le roi est aussi un roi de paix
qui doit faire régner la justice et l’ordre : il prône donc avec
ses ordonnances des principes
de limitation de la violence (2).
1. La place de l’Eglise face à la guerre
La paix et la trêve de Dieu selon le moine bourguignon Raoul
Glaber (XIe s.)
Ce texte sera étudié plus en détail lorsqu’on travaillera sur la
méthodologie du
commentaire de documents.
Il illustre les mouvements de la « paix » et de la « trêve » de
Dieu, qui se développèrent
dans le royaume de France à partir de la fin du Xe siècle. Ils
constituent une réponse de
l’Eglise aux divisions politiques qui touchent le royaume et
sont marqués par une
multiplication des seigneuries, mais aussi des conflits
militaires latents. Il faut comprendre
que la guerre, si elle est fréquente autour de l’An mil, n’est
pas véritablement plus présente
qu’auparavant : les seigneurs du milieu du Moyen Âge ne sont pas
fondamentalement plus
« guerriers » que les nobles mérovingiens ou carolingiens. En
revanche, l’évolution politique,
avec le morcellement territorial qui touche le royaume de France
et l’affaiblissement du
pouvoir royal, favorise la montée en puissance des abbés et
évêques qui, à l’échelle locale,
s’attachent à renforcer leur emprise sur la société chrétienne.
On observe d’ailleurs que les
ligues diocésaines et les conciles qui s’organisent aux Xe et
XIe siècles pour promouvoir la
paix demandée par l’Eglise (ou paix de Dieu) à apparaissent
surtout dans des régions peu
marquées par les incursions normandes (Auvergne, Bourgogne) et
dominée par
d’importantes seigneuries ecclésiastiques. Par ailleurs, la Paix
de Dieu ne se fait pas
complètement à rebours du pouvoir des nobles locaux, qui souvent
la cautionnent et
protègent les assemblées chargées de la déclarer.
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Loïc Cazaux – 5/11/2014
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Que demandent ces assemblées diocésaines réunies autour de
plusieurs évêques, et
soutenues par des comtes et ducs locaux ? Elles n’interdisent
pas la guerre, mais cherchent à
l’encadrer en déterminant des normes et en promouvant la paix.
Ces normes sont inspirées
du dogme et de la morale chrétienne et visent à réprimer l’usage
inconsidéré de la force
armée. Les individus qui ne peuvent pas porter les armes
(clercs, paysans, femmes, enfants)
sont protégés par des immunités. L’Eglise demande de ne pas
attaquer les biens et les outils
agricoles, et surtout de protéger les sanctuaires chrétiens. Il
faut aussi s’abstenir de toute
opération militaire pendant certains jours de la semaine (Trêve
de Dieu).
Avec cela, l’Eglise s’impose aux Xe-XIe siècles comme un acteur
essentiel dans
l’encadrement des mœurs et le contrôle des comportements. La
Paix de Dieu et le discours
sur la guerre permettent à l’Eglise (notamment les évêques) de
renforcer leur emprise sur la
société laïque et de promouvoir un idéal de société chrétienne.
Le mouvement de la Paix de
Dieu permet aussi à l’Eglise d’être un acteur important au sein
de la société féodale, en
renforçant ses liens et son ascendant sur les grands nobles, qui
participent aux conciles.
C’est dans le même temps que se diffuse l’idée d’une
tripartition de la société en trois
ordre : les clercs dominent, suivis des nobles qui doivent
combattre, mais en fonction de
principes chrétiens.
L’église, « citadelle de la foi » : la cathédrale Sainte-Cécile
d’Albi (Tarn, XIIIe-XIVe s.)
La place des clercs dans la société médiévale se renforce aussi
au Moyen Âge par la
réforme de l’Eglise et l’accroissement de l’autorité du pape. Il
s’agit en particulier de lutter
contre l’indiscipline cléricale et contre l’hérésie. En ce sens,
l’Eglise chrétienne va reprendre
à son compte l’image de la guerre – les armes étant spirituelles
– contre ceux qui portent
atteinte à l’orthodoxie chrétienne.
Cette image de l’Eglise militante est transposée au sud du
royaume dans l’architecture
même des églises, qui sont pensées comme des « citadelles de la
foi ». Cela est très visible
pour la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi (Tarn, chantier débuté à
la fin du XIIIe s.) :
-l’église témoigne déjà des particularités du gothique
méridional : église à nef unique,
héritière des églises-halles romanes (centre-ouest et sud-ouest
du royaume). Il s’agit en
effet de favoriser la prédication, car l’Albigeois est marqué
par la permanence de
l’hérésie cathare, qui a provoqué au début du XIIIe siècle la
croisade des Albigeois (1209-
1229). La construction d’une nouvelle cathédrale à Albi au XIIIe
s. s’inscrit de ce fait dans
un contexte de reconquête du comté de Toulouse par l’Eglise
catholique romaine contre
les Cathares. Reconquête par les armes (croisade) et par
l’Inquisition, qui s’y développe
à partir de 1233. La cathédrale doit donc marquer la force, y
compris militaire, de l’Eglise
catholique romaine dans l’Albigeois.
-ces objectifs particuliers expliquent l’architecture de
Ste-Cécile : cathédrale fortifiée,
très sévère, dotée de systèmes de défense inspirés des châteaux
: clocher tour de 76 m
imitant le donjon, une seule porte gardée par un mâchicoulis,
contreforts en forme de
tourelles, murs épais de plus de 2 m.
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
20
L’Eglise et la légitimation de la guerre royale : Saint-Denis et
l’oriflamme royal
En somme, le thème qui nous intéresse, « Guerre et population »,
est aussi un thème
d’histoire religieuse et spirituelle. Cette volonté de l’Eglise
d’investir le discours sur la guerre
légitime et licite n’est pas nouvelle au milieu du Moyen Âge
(voir saint Augustin et ses
réflexions sur la guerre juste, au Ve s.). Mais le contexte
particulier des XIe-XIIIe siècle le
favorise sans aucun doute. Aussi n’est-il pas étonnant de voir
l’Eglise prendre part à la
justification de la guerre royale.
L’Eglise et la religion chrétienne sont depuis les Mérovingiens
un élément prépondérant
dans la légitimation du pouvoir royal. Cela se vérifie
évidemment sous les Capétiens (voir le
sacre royal). La guerre du roi ne peut donc être qu’une guerre
approuvée et soutenue par les
clercs. Rappelons que le roi, au Moyen Âge, se veut profondément
chrétien et qu’il jure à
son avènement, lors du serment du sacre, de défendre les
principes chrétiens et de
conserver paix, justice et ordre dans le royaume. La guerre doit
en théorie servir ces
objectifs religieux et moraux.
Le légendaire de la royauté selon le prologue de la Cité de Dieu
de saint Augustin,
traduction de Raoul de Presles, manuscrit de la fin du XVe
s.
La réactualisation du légendaire royal au XIXe siècle : peinture
de 1841 par Pierre
Révoil
L’abbaye de Saint-Denis joue pendant tout le Moyen Âge, mais
surtout à partir du XIIe
siècle, un rôle de premier plan dans la justification et
l’apologie du pouvoir royal. Les abbés
de Saint-Denis veillent sur les regalia (insignes du pouvoir
royal) utilisés pour sacrer les rois
capétiens à Reims. Et Saint-Denis s’imposera définitivement, à
partir du règne de saint Louis,
comme nécropole royale.
C’est l’abbé Suger, grand artisan de la promotion du pouvoir
royal capétien, qui
développa au XIIe siècle l’usage de l’étendard de Saint-Denis.
Celui-ci, ensuite appelé
oriflamme de Saint-Denis, aurait appartenu selon le légendaire à
Charlemagne (ce qui
permettait de relier les Capétiens aux Carolingiens).
Ainsi, à partir du XIIe siècle et jusqu’à la fin du Moyen Âge
l’oriflamme de Saint-Denis est
levé, à l’abbaye, par les rois de France, pour les campagnes
militaire (par exemple par
Philippe Auguste lors de la IIIe croisade voir p. 21 du
fascicule). L’étendard original est
rapidement perdu, ce qui n’empêche pas d’en refaire un à
l’occasion (il évolue comme un
étendard dédié à saint Michel à la toute fin du Moyen Âge). On
associe dès lors la défense du
royaume de France à la protection de ce même royaume par Dieu.
Ce principe est un
principe essentiel dans la légitimation du pouvoir royal
médiéval. De fait, il est utilisé dans
une commande artistique de Louis-Philippe au XIXe siècle pour la
salle des croisades à
Versailles : il s’agit surtout d’inspirer une certaine nostalgie
de l’ancien temps visant à rallier
la noblesse ultra au régime (Louis Philippe ne veut pas renouer
avec le système de la
monarchie absolue).
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
21
L’enluminure sur la Cité de Dieu de saint-Augustin reprend les
différents éléments du
légendaire de la royauté française à la fin du Moyen Âge :
légendaire qui fait du royaume et
du roi de France des élus de Dieu. Comme l’indique la légende,
on notera :
-le don des fleurs de lys – emblème marial – qui remonterait à
Clovis (l’insigne fleur de
lysée se fixe en fait sous Louis IX au XIIIe s.)
-le baptême de Clovis à Reims et le miracle de la Saint
Ampoule.
-le pouvoir thaumaturgique des rois de France.
-et l’oriflamme de Saint-Denis portée pour le départ en guerre
de l’armée royale.
On remarquera l’importance de la scène militaire dans
l’enluminure : elle occupe la
moitié de la page. Le roi de France, Rex christianissimus, est
bien un roi de guerre tout
autant qu’un roi de paix.
2. Le pouvoir royal et la régulation de la violence armée
La régulation royale de la violence et la promotion de la paix
du XIIe au XVe siècle
Les principes de régulation de la violence portés par l’Eglise
aux Xe-XIIe siècle sont repris
par la royauté capétienne, qui les utilise pour affermir son
contrôle sur les grands féodaux.
-Décret de paix générale de Louis VII (10/06/1155).
Le décret de paix général de Louis VII en 1155 montre que la
royauté s’appuie sur la
promotion des idéaux d’ordre, de justice et de paix pour
renforcer ses liens avec les grands
princes : duc de Bourgogne, comte de Flandre. Le texte est
promulgué lors du concile de
Soissons, ce qui montre les liens forts entretenus par la
royauté capétienne avec l’Eglise
(archevêques de Reims et de Sens). Le texte réitère d’ailleurs
des proscriptions issues de la
Paix et de la Trêve de Dieu.
Ce décret est célèbre car il constitue l’une des toutes
premières lois du roi à avoir une
portée générale, étendue à tout le royaume. Il s’agit de l’une
des toutes premières
ordonnances royales des Capétiens.
-Extraits de la grande ordonnance de Charles VII sur la violence
armée (2/11/1439).
Cette ordonnance très importante promulguée par Charles VII
pendant la guerre de Cent
ans montre que les préoccupations de Louis VII en 1155 sont
toujours d’actualité au
XVe siècle. La guerre se déroule essentiellement en France, où
elle occasionne pas mal de
destructions et de pillages (même si, encore une fois, il n’y a
pas de chaos généralisé …).
Face à cela, le roi de France multiplie dès le XIVe siècle les
ordonnances destinées à
réprimer l’indiscipline des soldats de l’armée royale et à
limiter les pillages (voir ce que j’ai
dit plus haut sur la chevauchée de 1433).
L’ordonnance de 1439 est importante :
-elle reprend des normes édictées dans les siècles précédents
pour limiter la violence
armée dans le royaume (voir la p. 23).
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
22
-mais surtout, elle est l’une des premières ordonnances royales
à évoquer l’idée d’un
monopole royal de la force armée. C’est le roi qui décide des
conditions licites d’usage de la
force, et les nobles ne peuvent pas prendre les armes sans avoir
l’autorisation du roi.
-en cela, l’ordonnance de 1439 illustre le développement de
l’Etat royal à la fin du Moyen
Âge.
Le roi chef de guerre (XIIIe-XVe s.)
Si le roi est roi de paix, il est aussi « roi de guerre », pour
reprendre l’expression
consacrée par le livre de Joël Cornette sur Louis XIV. Il se
doit en effet de défendre le
royaume et protéger sa population. La guerre royale répond donc
à des normes validées par
l’Eglise, et les campagnes royales sont justifiées en fonction
de ces principes moraux,
religieux, et politiques.
Le roi est aussi le premier des nobles. A ce titre, il partage
avec l’aristocratie une série de
références militaires, qui fondent son identité sociale. Le roi
est un chevalier. Il reçoit lors du
sacre les attributs du pouvoir royal (sceptre, couronne), mais
aussi les attributs de la
chevalerie : épée, éperons d’or. A la fin du Moyen Âge, le roi
(de France mais aussi
d’Angleterre) valorise considérablement la culture
chevaleresque. Il procède à des
adoubements avant une campagne ou un siège ; il fonde des ordres
de chevalerie par
lesquels il développe son contrôle de la noblesse du royaume
(ordre de l’Etoile, de la
Jarretière, de saint-Michel).
Deux miniatures reproduites dans le fascicule montrent cette
importance du roi de guerre
dans la représentation du pouvoir royal.
-La reddition de Rouen à Philippe Auguste en 1204 (enluminure de
la fin du XIVe s.)
Les oppositions féodales entre le roi d’Angleterre et duc de
Normandie Jean sans Terre et
le roi de France Philippe II Auguste permettent à ce dernier de
déclencher une grande
campagne militaire se soldant en 1204 par la prise de la
Normandie. Le duché de Normandie
est alors intégré au domaine royal.
Cet épisode célèbre est remémoré dans cette miniature de la fin
du XIVe s., en pleine
guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre : la
Normandie est alors convoitée par les
Anglais, qui la reconquerront d’ailleurs entre 1415 et 1449. On
voit Philippe Auguste, vêtu
d’une armure de type XIVe s. (mais avec un haubert), distingué
par la couronne ouverte aux
fleurs de lys qu’il lors du sacre, se faire remettre les clés de
la ville de Rouen, capitale
administrative du duché.
Le roi est présenté comme un roi combattant et victorieux. Mais
surtout, il est montré
comme celui qui rétabli l’ordre militaire et politique dans le
royaume. Les vaincus lui font
soumission : la guerre permet bien d’exalter la puissance
royale, que ce soit sous les
Capétiens ou sous les Valois.
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
23
-L’entrée victorieuse de Charles VII à Rouen en 1449 à la fin de
la guerre de Cent ans
(miniature du XVe s.)
A la fin du Moyen Âge, la reddition des villes lors de campagnes
royales entraîne le
développement d’un rituel politique et militaire : l’entrée
royale. On en voit une illustration
avec l’entrée de Charles VII à Rouen, alors que la Normandie a
été reprise par les Français
après 3 décennies de conquête anglaise :
-l’entrée exprime la hiérarchie politique du royaume. Le roi
apparaît en combattant, paré
de ses attributs de souverain, de chevalier, de combattant :
destrier à robe de fleurs de lys,
couronne (sur un chapeau : pas de heaume ni de bacinet afin de
pouvoir porter la couronne
fleur de lysée), armure à plate complète avec plastron sur le
torse. Derrière Charles VII se
pressent tous les capitaines de son armée. On sait aussi que le
chancelier, symbolisant son
pouvoir législatif, était présent dans le cortège (mais il n’est
pas représenté ici).
-le roi de France reçoit les clés des bourgeois rouennais, qui
montrent ainsi leur
soumission au roi. A côté d’eux apparaissent les clercs (évêque
de Rouen, chanoines), qui
célèbrent le rétablissement de la paix qu’a permis la reconquête
royal.
-souvent, les redditions et les entrées royales sont
accompagnées à la fin de la guerre de
Cent ans d’amnisties collectives par lesquelles le roi de France
exalte son pouvoir en
montrant que, par sa guerre, il ne détruit pas mais rétablit
paix dans le royaume.
La création d’une armée royale moderne à la fin de la guerre de
Cent ans
-L’institution des grandes compagnies d’ordonnance par Charles
VII en 1445 :
La guerre est un vecteur de déstabilisation dans le royaume,
mais aussi d’affirmation du
pouvoir royal. On le voit au travers de ces miniatures, lorsque
la royauté exploite ses succès
militaires et veut ainsi apparaître comme plus légitime
vis-à-vis des populations du royaume
(même lorsqu’il s’agit de population soumises et vaincues). Pour
le roi, la guerre permet le
de rallier et de mieux contrôler les communautés du royaume.
C’est pendant la guerre de Cent ans, en vertu des aux efforts
que cette longue guerre a dû
demander à la monarchie pour mieux organiser son armée, que naît
l’armée permanente et
moderne. L’ordonnance de Charles VII promulguée en 1445 créée
les compagnies de
grandes ordonnances, qui doivent résider dans les villes
fortifiées et sont entretenues en
permanence pour défendre le royaume. Dès lors, l’armée n’est
plus convoquée en fonction
des besoins militaires du roi, mais elle est continuellement
mobilisée. Elle est fondée sur un
corps d’hommes de guerre professionnels, volontaires et soldés
par la monarchie. Les
capitaines sont tous des nobles choisis par le roi.
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
24
III. Guerre, religion et conquêtes en Orient et en Occident
PLACER ICI le 3) de la partie suivante : il y a une erreur de
pagination, car cette sous-partie
sur les croisades a plus sa place dans le III
3. Les croisades et l’expansion latine en Méditerranée
Les croisades, qui sont des pèlerinages armés dirigés contre
l’infidèle, sont l’une des
expressions de la « réforme de l’Eglise » promue par Grégoire
VII. Il s’agit de renforcer la
place centrale de l’Eglise et de sa hiérarchie (pape, mais aussi
évêques et abbés) dans la
société chrétienne. La guerre juste encouragée par l’Eglise
depuis la fin de l’Antiquité est une
guerre essentiellement défensive, qui vise à protéger la
communauté chrétienne. Mais elle
peut être aussi offensive lorsqu’elle vise à restaurer
l’intégrité des territoires chrétiens en
Orient, autour de Jérusalem. C’est donc une guerre contre les
infidèles, qui peut s’effectuer
contre les Musulmans depuis qu’ils ont conquis la Terre Sainte
au VIIe siècle (prise de
Jérusalem en 638). Or, à la fin du XIe siècle, les musulmans
sont divisés au Proche-Orient, et
les conquêtes arabes sont fragilisées par la progression des
Turcs seldjoukides. Celle-ci
pousse l’Empire byzantin à faire appel aux chrétiens latins.
Les croisades sont aussi une expression de l’expansion latine en
Méditerranée, qui se
renforce à partir du XIe siècle, grâce à l’activité commerciale
des cités italiennes.
La Première croisade (1095-1099)
-La Première croisade (fin XIe s.) vue d’après des miniatures du
XIIIe siècle :
La Première croisade est déclenchée à la suite de la prédication
au concile de Clermont en
1095 du pape Urbain II, successeur de Grégoire VII. Urbain II
promeut l’idée d’une chrétienté
unie derrière le pape pour défendre la Palestine, prise
illégitimement par les musulmans en
638.
L’enluminure illustre les principaux épisodes de la première
croisade (1095-1099), qui se
termine par la reprise de Jérusalem en 1099. Insérée dans la
Chanson d’Antioche au XIIIe
siècle, elle donne une vision tronquée de la croisade, qui
sélectionne les évènements (en
ajoutent certains, imaginaires 3). Laissant de côté le rôle des
roturiers, notamment comme
combattants (piétons, arches), elle se concentre surtout sur
l’aristocratie latine (les Francs)
et musulmane (les Turcs, lors du siège d’Antioche contre les
Seldjoukides, en 1097-1098).
Elle est cependant intéressante, car elle permet de montrer que
l’idéal de la croisade et les
succès de la croisade restaient tout à fait important dans la
production littéraire de la suite
du Moyen Âge (la littérature épique ici, car la Chanson
d’Antioche est une épopée).
3 Des exemples de réinterprétations faites par la Chanson
d’Antioche de l’histoire de la Première croisade :
-dans le registre supérieur, en haut à gauche : une miniature
représente le frère du roi de France Philippe Ier, qui propose ses
services à Urbain II et au prédicateur Pierre L’Ermite, lors du
concile de Clermont. Philippe Ier avait été excommunié à cause d’un
mariage illégal. -dans le registre intermédiaire, à droite : le duc
lorrain Godefroi de Bouillon mène les troupes lors de la sortie
d’Antioche contre les Turcs. Or ce fut surtout Bohémond de Tarente
(un normand d’Italie) qui joua un rôle décisif dans cette
sortie.
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
25
Dans toute la seconde partie du Moyen Âge et jusqu’au XVe
siècle, la croisade
participe bien du mode de vie nobiliaire et de la culture
courtoise : une culture
essentiellement tournée vers la guerre et les beaux faits
militaires accomplis par les
chevaliers :
-l’enluminure édulcore toute mention trop crue de violence pour
chacun des belligérants.
Or les croisés comme les Turcs ont accomplis des massacres : les
croisés lors de la prise e
Marra et de Jérusalem, les Turcs lors de leur conquête du
Proche-Orient.
-les combats qui sont représentés sur la miniature font
l’apologie du combat
chevaleresque classique, lance couchée : combat adopté après par
les croisés, mais pas par
les musulmans. Or ici, les Turcs sont montrés en chevaliers
identiques aux croisés.
La première croisade serait un vaste combat de chevaliers
partageant une même culture
militaire. Cela se fait tout à l’honneur des croisés, qui
réussissent à vaincre des adversaires à
leur mesure. Cette déformation démontre d’ailleurs la perception
ambigüe qu’avaient les
croisés des musulmans au Moyen Âge : ils les combattent et les
dénoncent, mais les
respectent également, et n’hésitent d’ailleurs pas à négocier
avec eux (voir le document
placé un peu plus loin, p. 30, sur la chevalerie franque vue par
un musulman).
-cependant, la réalité des combats était bien différente. Les
Turcs privilégiaient non pas la
charge de cavalerie lourde, mais les rapides coups de mains, le
harcèlement et les guets-
apens, grâce à une cavalerie légère très agile et mobile. Plutôt
que des lances baissées, ils
utilisaient des javelots et des arcs.
1. Les débuts de l’Islam et l’expansion musulmane en
Méditerranée
La guerre est également l’un des fondements du monde musulman,
en ce qu’elle a
garanti l’expansion de l’islam dès les premiers temps du
prophète, au début du VIIe siècle. Le
programme de Cinquième invite à présenter aux élèves les débuts
de l’islam et un épisode
de l’expansion musulmane. J’ai choisi d’évoquer la bataille de
Badr (624) et le concept de
Jihad, tel qu’il apparaît dans le Coran et les Hadîths, puis
quelques siècles plus tard au XIe
siècle parmi les Almoravides (avant d’être repris encore au XIIe
siècle en Palestine contre les
croisés). Avec la conversion à la suite des invasions armées, le
Jihâd joua un rôle essentiel
dans les grandes conquêtes musulmanes du VIIe siècle.
La bataille de Badr en 624, d’après la Sîra du Prophète.
La Sîra est une biographie du prophète. La plus ancienne
conservée a été rédigée par
Ibn Ishaq (cité dans le texte p. 27, mort v. 768), et remaniée
par Ibn Hichâm (m. v. 830). C’est
un extrait de cette Sîra qui évoque ici la bataille de Badr en
624.
La bataille de Badr est importante car il s’agit de la première
victoire remportée, dès
l’an II de l’hégire, par les musulmans commandés par Mahomet.
Badr se situe au sud-ouest
de Médine, sur la route des caravanes reliant la Mecque à la
Syrie. C’est donc grâce à la
-
Loïc Cazaux – 5/11/2014
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victoire de Badr que Mahomet s’impose non seulement comme
prophète mais aussi comme
homme de guerre. La bataille est provoquée par son souhait
d’intercepter un convoi ennemi
protégé par les Mecquois. Elle est un grand succès pour les
troupes de Mahomet car ils
étaient inférieurs en nombre, et la victoire leur permit
d’accumuler un butin important.
D’après le Coran, la victoire fut considérée comme un signe de
l’assistance divine, qui
aurait appuyé les troupes musulmanes par l’envoi d’anges. La
victoire de Badr fut donc
considérée comme un moyen de justifier et de légitimer la foi
musulmane nouvelle contre
les infidèles :
-la Sîra d’Ibn Ishaq reflète cette idée, selon laquelle la
bataille est le signe d’un jugement
de Dieu : Mahomet prie Dieu « pour qu’il lui accorde la victoire
promise » (l.4-5). Une
révélation fait apparaître au prophète l’ange Gabriel, qui
intervient sur le champ de bataille
(l. 9-10). Par ailleurs, la victoire est conçue comme un moyen
d’accéder au paradis pour les
combattants musulmans. Prendre les armes pour Dieu est donc un
signe de foi.
-on peut faire un parallèle direct entre cette interprétation
divine de la victoire à Badr et
la conception religieuse de la bataille dans la chrétienté
médiévale. Les chrétiens médiévaux
(clercs et laïcs) considéraient que la victoire relevait d’un
jugement de Dieu, d’une ordalie.
Dieu choisissait et distinguait le vainqueur sur le champ de
bataille. Ainsi, comme l’a montré
G. Duby dans un livre célèbre, le Dimanche de Bouvines, la
bataille de Bouvines est
interprétée comme une ordalie, un signe de Dieu envers le
royaume de France, victorieux
(27/07/1214 : elle fait suite à la prise de la Normandie par
Philippe Auguste. Celui-ci doit
alors affronter à Bouvines, dans les Flandres, une coalition
formée autour de l’empereur
Otton IV).
Le Jihâd dans le Coran et les Hadîths, et son rappel au milieu
du Moyen Âge.
Les Hadîths sont les paroles attribuées au prophète. Elles se
distinguent du Coran car elles
ne sont pas considérées – sauf exceptions – comme une parole
divine transmise au