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communio - 19821

Mar 08, 2016

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communio
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  • Comit de rdaction en franais : Jean-Robert Armogathe, Guy Bedouelle, o.p. (Fribourg), Franoise et Rmi Brague, Claude Bruaire, Georges Chantraine, s.j. (Namur), Eugenio Corecco (Fribourg), Olivier Costa de Beauregard, Michel Costantini (Tours), Georges Cottier, o.p. (Genve), Claude Dagens (Bordeaux), Marie-Jos et Jean Duchesne*, Nicole et Loic Gauttier, Jean Ladrire (Louvain), Marie-Joseph Le Guillou, o.p., Marguerite Lna, s.fx., Corinne et Jean-Luc Marion, Jean Mesnard, Jean Mouton, Jean-Guy Pag (Qubec), Michel Sales, s.j., Robert Toussaint*, Jacqueline d'Ussel, s.f.x.. Membres du Bureau.

    En collaboration avec :

    ALLEMAND : Internationale ketholische Zeitechrift, Commu-nio Verlag (D 5000 KtWn 50, Mase/stresse 34, R.F.A.) Hans-Urs von Balthaser (Suisse), Albert Garros, Franz Greiner, Karl Lehmann, Hans Maier, Cardinal Joseph Ratzinger, Otto B. Roegele.

    BRSILIEN : Instituieo Communio (Rua Benjamin Constant, 23 3 andar, 20241 Rio de Janeiro RJ, Brsil) Estevao T. Bettencourt, Luciano C. Duarte, Candida G. de M. Machado, Tarcisio M. Padilha, Hercalito F. S. Pinto, Mgr Karl J. Romer, Newton L. B. Sucupira.

    AMRICAIN : International Catholic Review Communia (Conga University, Spokane, Wash. 99258, U.S.A.) Kenneth Baker, s.j., Andre Emery, William J. Hill, o.p., James Hitchcock, Clifford J. Kossel, s.j., Thomas Langan (Canada), Val J. Peter, David L. Schindler, Kenneth L. Schmitz (Canada), John R. Sheets, s.j., John H. Wright, s.j. CROATE : Svesci Communio (Krscanska Sadasnjost, YU 41000 Zagreb, Marulicev trg 14, Yougoslavie) Stipe Bagaric, o.p., Vjekoslav Bajsic, Jerko Fucak, o.f.m., Tomislav Ivancic, Adalbert Rebic; Tomislav Sagi-Bunic, o.f.m. cap, Josip Turcinovic. ESPAGNOL : Revisse catolica international Communio (Editions Encuentro, Urumea 8, Madrid 2, Espagne) Ricardo Blazquez, Carlos Diaz, Javier Elzo, Flix Garcia, Olegario Gonzalez de Cardedal, Patricia Herraez, Juan-Maria Laboa, Jos-Miguel Oriol, Juan Martin-Velasco, Alfonso Perez de Lahorda, Juan-Luis Ruiz de la Pena.

    ITALIEN : Strumento internazionale per un lavera teologico : Communio (Edizioni Jeta Book via G. Rovani 7, / 20123 Milano, Italie) Zoltan Alszeghy, Sante Bagnoli, Enzo Bellini, Carlo Caffarra, Adriano Dell'Asta, Elio Guerriero, Massimo Guidotti, Luigi Mezzadri, Antonio Sicari, o.c.d., Guido Sommavilla. NERLANDAIS : International katholiek Tijdschrift Commu-nio (Hxgstraat 41, B 9000 Gent, Belgique) Jan Ambaum (NI), Jan De Kok, o.f.m. (NI), Georges De Schrijver, s.j. (BI, Jos F. Lescrauwaet, m.s.c. (NLI, Klara Rogiers (B), Stefaan Van Calster (B), Alexander Van der Does de Willebois (NLI, Herman P. Vonhogen (NI), Jan H. Walgrave, o.p. (B), Grard Wilkens, s.j. (NI). POLONAIS : Miedzynerodowy Przepled Teologiczay Commu-nie (Pallottinum, Przybyszewskiego 30, PL. 60-659 Poznan, Pologne) Lucjan Baller, s.e.c., Jan Charytanski, s.j., Kazimierz Czulak, s.e.c., Kazimierz Dynarski, s.a.c., Pawel Goralczyk, s.a.c., Stanislaw Grygiel, Helmut Juros, s.d.s., Jozef Majka, Stanislaw Nagy, s.c.j., Kazimierz Romeniuk, Waclaw Swierzawski.

    En prparation : ditions arabe, portugaise et hispano-amricaine.

    Revue catholique internationale COMMUNIO tome VI I ( 1 9 8 2 ) n 1 (janvier-fvrier) IL EST RESSUSCIT

    Lorsque les Saintes Femmes sont arrives au tombeau du Christ le matin de le Rsurrection, elles ont eu un moment de stupeur. Le mot grec est le mme que celui qu'on trouve dans le rcit que nous donne Marc de l'agonie du Christ au Jardin ds Oliviers . (Marc 14, 33 et 16, 5-6).

    Julien GREEN, Journal (VIII), (uvres compltes, Pliade, tome V, p. 194)

    Claude BRUAIRE page 2 .................................................................................... Pouvons-nous y croire ?

    ..................................................................................... De quoi parlons-nous ?

    ................................................................................... Ce sur quoi tout repose

    .............................................................. Fait historique et vrit thologique .................................................................................................. Le tombeau vide Attestations

    Jacques GUILLET, s.j. page 50 ................................................... L'appel la conversion : le tmoignage des Actes Antonio M. SICARI, o.c.d. page 59 ..................................................................... Vers la Rsurrection par l'eucharistie Signets Louis ROY, o.p. page 66 ............................................................ La mthode thologique de Bernard Lonergan

    E. Earle ELLIS page 75............................................................................ La datation Nouveau Testament A.C.B. page 90................................................................. Une vie consacre dans l'glise locale

    Louis BOUYER, de l'Oratoire page 92 ...... .Notes de lecture

    La Revue catholique internationale COMMUNIO est publie tous les deux mois en franais par Communio , association dclare but non lucratif, indpendante de tout diteur ou mou-. vement. Prsident-directeur de la pu-blication : Jean DUCHESNE. Directeur de la rdaction : Claude BRUAIRE. Adjoint au rdacteur en chef : Rmi BRAGUE. Secrtariat de le rdaction : Jean-Paul BARBICHE, Jean CONGOUR-DEAU.

    Rdaction, administration, abon-nements (Mme S. GAUDEFROY) : au sige de l'association : 28, rue d'Auteuil, F 75016 Paris, tl. : (1) 527.46.27 ; C.C.P. Communio : 18.676.23 F Paris.

    Conditions d'abonnement, antennes de Belgique, du Canada et de Suisse : voir page 95 ; bulletin d'abonnement : page 96.

    Librairies et autres lieux o Communio est disponible : voir page 24.

    U n e r e v u e n ' e s t v i -vante que si elle mcontente chaque fois un bon cinquime de ses abon-ns. La justice consiste seulement ce que ce ne soient pas toujours les mmes qui soient dans l e c i n q u i m e . A u t r e -ment, je veux dire quand on s'applique ne mcontenter personne, on tombe dans le systme de ces normes revues, qui perdent des millions, ou- en gagnent, pour ne rien dire, ou plut6t ne rien dire.

    Charles PEGUY, L'Argent, OEuvres en prose, tome 2,

    Pliade, p. 1136-1137.

    Georges CHANTRAINE s.j. page 3

    Problmatique ______ Hans-Urs von BALTHASAR page 10 ............... Leo SCHEFFCZYK page 15

    La mort engloutie par la vie

    Intgration Peter SCHMIDT page 25 Rudolf PESCH page 37

  • Communio, no VII, 1 janvier fvrier 1982 Communio, no VII, 1 janvier fvrier 1982

    Pouvons-nous y croire ? Georges CHANTRAINE

    Le Christ n'est pas ressuscit, notre foi est vaine. L'affirmation tranche de saint Paul met en silence toute spculation qui s'efforce de biaiser avec cet vnement incroyable . Comme

    la pense serait a l'aise sans lui ! Toute autre proposition du Credo serait un large lieu d'accueil pour la recherche thologique. Nous pourrions disserter loisir sur la vie trinitaire, exprimer la charit et l'esprance avec bonheur. Mais trs vite nous nous surprendrions affadir l'Evangile, l'assimiler nos penses trop humaines, l'acclimater d'autres religions. Le salut du Dieu chrtien n'est inassimilable, irrductible, indrivable, que s'il com-mence avec la rsurrection. Otez celle-ci, et nous n'aurons plus un mot dire qui soit, singulirement, chrtien. Nous pouvons trouver tout le reste ailleurs, ou peu prs. Car tout le reste du

    message rvl n'a son sens propre que pour et par la rsurrection. Le Christ, aprs quelques discours difiants, aurait termin dans l'chec de l'infamie sur une croix de brigand. Mais la promesse du Royaume se ralise au commencement inou de la Vie ressuscite. Alors revient inlassablement la question lancinante : pouvons-nous y croire ? Sans doute, nous pouvons faire semblant, et parler d'autre chose :

    exposer une hermneutique, moduler sur ce qu'il faut entendre par l , glisser de l'vnement, tenu pour essentiel, l'essentiel , plus comprhensible, plus intelligent, plus signifiant . L'essentiel, ce serait notre foi, sa manire de dire une libration ou une conception nouvelle... Seulement, le fait, la rsurrection; le tombeau vide, le corps debout; vivant parlant, est-ce un symbole, une mtaphore, un signe, et, au fond, l'heureux avenir d'une illusion ? Mais alors, autant nimporte quelle autre philosophie ou organisation de bienfaisance : toute la tradition chrtienne serait btie sur un mensonge immense. Posons-nous les questions les plus simples. L'aubergiste d'Emmas pouvait-

    il, sans la foi, voir son troisime client ? L'aptre Thomas pouvait-il, ou non, mettre sa main sur les plaies de Jsus ? Rpondons-nous clairement ? Ne sommes-nous pas presss de passer d'autres exercices ? C'est que la rsurrection heurte nos penses les plus habituelles et ne semble gure intelligente . Au point que nous en avons honte. En fait, toutes nos ides sur la vie et la mort, sur la nature et l'esprit, rendent inconvenante la rsurrection. Surtout, quand nous pensons Dieu , nous ne pouvons pas penser un mort qui reprend vie. On mesure alors tout le travail philosophique et thologique qui est

    faire, recommencer inlassablement sur un chantier peine ouvert. A moins que notre foi ne soit vaine... Sans doute faut-il concevoir la transformation du corps du Christ

    ressuscit. Sans doute faut-il redcouvrir le sens du salut. Mais d'abord, retenir la vrit de l'vnement, et s'efforcer de le penser dans sa dure et pure historicit, dans sa manifestation charnelle. Georges Chantraine, dans les pages qui suivent, expose la problmatique ncessaire, sans complai-sance. Nous ne pouvons l'amputer, le morceler, moins encore l'dulcorer. Tant pis si nous faisons aveu de balbutier. L'essentiel, pour tous les auteurs de ce numro, c'est que notre foi ne soit pas vaine.

    Claude BRUAIRE 3

    De quoi parlons-nous ? Avec Jsus, ce n'est pas n'importe quel corps qui ressuscite. Ce

    corps tait ds l'origine celui du Verbe, et il le reste dans l'glise, l'Ecriture, l'Eucharistie. Savons-nous donc bien ce que c'est qu'un corps ?

    PAQUES suit le Samedi Saint. Dans la suite chronologique, c'est un jour parmi d'autres. L'vnement qui se produit alors prend place dans la suite des jours. D'autre part, Pques s'unit aussi au Samedi Saint et. au Vendredi Saint. La Rsurrection du Seigneur couronne la Passion et la descente en enfer. Toute la vie nouvelle qui est offerte tous les hommes est alors manifeste dans le corps ressuscit du Seigneur Jsus. Cet vnement historique est aussi transhistorique.

    Comment le connatre ? Par la mthode historique ? Mais l'historien ne va-t-il pas se rcuser, parce que l'vnement est transhistorique ? Par la foi alors ? Mais la foi chrtienne peut-elle se priver de son fondement historique ? On doit donc allier la foi et la mthode historique. Mais comment ? Alliance ne signifie pas alliage mlant les deux en un mixte. Alors le croyant requerrait l'historien de lui dire ce qui s'est pass le dimanche de Pques et d'abord s'il s'est pass quelque chose (Pannenberg), et l'historien: viterait de se prononcer pour respecter la foi (la foi en la Rsurrection) et ne pas compromettre sa science en transgressant les limites de sa validit. Dans le mme temps, cependant, le croyant affirmerait que la Rsurrection ne. peut tre connue que par la foi (Bultmann lui soufflera la formule : le Christ. est ressuscit dans la foi) et l'historien n'accepterait pas ou ne penserait pas que, s'il a eu lieu, un tel vnement remette n cause non seulement les limites de sa mthode, mais sa mthode elle-mme. Bref, tout en prtendant: faire un pas l'un vers l'autre, chacun campera sur ses positions. Exemple caricatural d'interdisciplinarit. Au terme, plus personne ne saura de quoi il: parle. Mais n'est-ce pas 'parce que, au principe, personne ne le savait ? Il convient donc d'abord de faire mmoire de l'vnement avant d'en laborer en quelques traits la problmatique. La problmatique, car on n'a pas l'intention ici de fournir des rponses. Pointer quelques questions parat suffire.

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    Si

  • Georges Chantraine

    I. Faire mmoire de l'vnement Jsus est vu et reconnu aux cicatrices de ses mains, de ses pieds (Jean,

    Luc) et de son ct (Jean), ses gestes (Luc, Emmas). Ce n'est pas un esprit : il mange (Luc, Jean 21). Celui qui est vu est reconnu aussi par les yeux de la foi, par Jean (Jean 21). Quand les yeux de la foi n'ont pas encore t ouverts, Jsus est pris pour un autre : un jardinier (Marie-Madeleine en Jean) ou un tranger (Clophas et son compagnon en Luc).

    Sa prsence corporelle est requise par Thomas et offerte par le Seigneur qui l'invite le toucher, alors qu'il avait refus Marie Madeleine de le faire. Pourquoi Jsus n'a-t-il pas insinu la rponse : Je ne suis pas mont vers mon Pre (Jean 20, 17) ? De mme, aussitt reconnu, il s'efface (Luc).

    Cette prsence corporelle est relie la Passion et au tombeau : les femmes vont au tombeau quand elles le rencontrent (Matthieu, Marc, Luc ; cf. Jean) ; Pierre et Jean inspectent le tombeau et Jean se met croire tandis que Pierre constate seulement les faits (Jean). Dans le prsent de sa prsence, les cicatrices rappellent la Passion.

    Cette prsence corporelle appartient au monde invisible o vivent l'ange (Matthieu), les anges. (Jean) qui marchent devant elle. Jsus est l, toutes portes closes. Il donne la paix. Il envoie les aptres en mission comme son Pre l'a envoy (Jean, Matthieu, Luc). De mme, il envoie les femmes aux aptres. Sur les aptres, il souffle l'Esprit qui remet les pchs (Jean), ou bien il promet l'Esprit qui fera des aptres des tmoins (Luc). Il confie Pierre sa mission (Jean).

    Sa prsence corporelle est ainsi donne l'glise et sa mission. Elle s'efface dans la fraction du pain. Elle est lie l'criture sainte (Luc).

    Voil les faits en brut. Reprenons-le dans la mmoire. Jsus ressuscit est un homme qui est vu : le mme que celui qui tait mort, mais se manifestant autrement. Cet autrement n'altre pas son identit, mais la confirme.

    Il est vu avant d'tre l'objet de la foi, vu avant d'tre cru (1). Cette vue des yeux du corps est chemin et moyen de la foi ; elle ouvre les yeux de la foi, du moins chez, certains, car d'autres doutent (Matthieu).

    (1) D'aprs les rcits vangliques, il y a une priorit chronologique du . voir sur le . croire .. On ne saurait donc s'autoriser de ces rcits pour affirmer . qu'une priorit chronologique (de la Rsurrection corporelle et personnelle de Jsus) n'a aucun sens . (E. Schillebeeckx, Jsus, Het verhaal van een levende. Bloemendael, Nelissen, 1975 (4), 528, cit par P. Schmidt, plus bas p. 31). On peut ensuite se demander quel sens a pareille ngation. De faon classique, Schillebeeckx distingue priorit ontologique, logique et chronologique. Il admet la priorit ontologique et logique de la Rsurrection : toute rsurrection dpend (ontologiquement) de celle du Christ ; toute affirmation de la rsurrection dpend de la ralit de celle-ci (niveau logique) ; mais il serait dnu de sens d'affirmer qu'une telle affirmation dpende de l'vnement lui-mme de la Rsurrection, donc qu'elle n'a de sens que si Jsus est d'abord ressuscit. Assurment, comme nous le dirons, le fait de la Rsurrection ne peut tre mesur l'chelle de nos sciences humaines et de ce qui est empirique ; assurment, le fait de la Rsurrection est en mme temps qu'un fait le grand Fait qui domine toute l'histoire humaine en l'achevant dans le Christ ;

    (fin de la note page 5)

    De quoi parlons-nous ?

    Ce qu'est Jsus se dploie vers l'arrire dans l'criture (Jean au tombeau, il est ressuscit comme il l'a dit s, le troisime jour selon les critures ) : non seulement en conformit avec la volont de Dieu, accomplissant la promesse, mais comme lumire qui claire les critures (Emmas). Ce qu'est Jsus se dploie aussi vers l'avant dans la mission de l'glise

    confie aux aptres et personnellement Pierre, mission qui comporte tmoignage, baptme avec rmission des pchs dans l'Esprit, retrait de Jsus (Ascension) et don de l'Esprit (Pentecte). Tout cela, l'arrire avec l'criture, le prsent avec son propre corps,

    l'avant avec l'glise, parait comme encercl d'aprs saint Jean dans l'aller vers le Pre qui me semble s'accomplir quand Thomas est invit toucher ses mains, ses pieds et son ct : le toucher est ici adoration parce que Jsus s'offre alors dans un corps qui est dsormais pure et absolue offrande, toujours disponible. (Dire que Thomas n'a pas touch le Seigneur ne me parait pas juste. C'est un peu comme si la communion spirituelle, non sacramentelle, tait le modle de la communion au corps du Seigneur.) Pourquoi est-ce en touchant son corps que Dieu est ador?

    Il. Elments de problmatique Il faut donc tenir lis dans la rflexion, comme ce l'est dans la mmoire,

    les critures, le corps de Jsus ressuscit et l'glise, comme le pass, le prsent et l'avenir de Jsus lui-mme. Et, ainsi que nous allons le montrer, cela ne peut tre pens, comme ce ne peut tre gard dans la mmoire, que comme vnement trinitaire, comme manifestation de Dieu selon sa ralit mme dans l'histoire et la domination qu'il exerce sur elle. Cela peut tre dvelopp dans trois directions.

    A. Lien entre critures, corps du Ressuscit et glise

    1. Les critures ont fix pour Jsus la volont de son Pre. Connues par l'Esprit par lequel il fut conu, elles lui servirent de rgle. En obissant, il les a accomplies, les remplissant de ce qu'il est, Fils de Dieu. Ds lors la Rsurrection fonde la caractre inspir des critures, comme l'a bien vu

    (fin de la note 1) assurment encore, il remodle la chronologie. Mais, pour qu'il soit le Fait, il faut aussi qu'il soit un fait, situ dans l'histoire humaine (aprs la mort, aprs le samedi saint, avant le premier acte de foi des Aptres). Sans quoi il apparatrait ncessairement comme mythique ; ce grand Fait, tant mythique, n'achverait pas l'histoire humaine ni ne saurait le faire. Certes, il garderait sens au niveau logique ; seulement, il n'aurait alors pas plus de ralit que celle d'un principe premier ; comme un tel principe, il serait logiquement antrieur sa propre affirmation ; la Rsurrection du Seigneur serait alors comprise uniquement comme un principe d'intelligibilit de l'histoire humaine. Certes, au niveau ontologique, elle serait affirme comme l'est Dieu ou l'tre ; seulement, le rapport d'un tel vnement avec l'histoire serait celui de l'ternit au temps tel qu'il peut tre pens par le mtaphysicien. Il en rsulterait que ni l'intelligence ni l'tre ne sauraient tre transforms par la Rsurrection du Seigneur. Tout en s'essayant sauvegarder l'objectivit et la ralit de la Rsurrection, la ngation de Schillebeeckx y choue donc finalement, car ce qu'elle sauvegarde, ce n'est pas l'objectivit et la ralit propres la Rsurrection du Seigneur, mais c'est au mieux une objectivit du sens en gnral et une ralit de l'tre en gnral.

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  • Georges Chantraine De quoi parlons-nous ?

    qu'clate la puissance du Pre qui manifeste l'tre du Fils dans ce qui le cachait mme sous l'apparence contraire de la mort.

    Cela a quelques consquences pour l'exgse. J'en note brivement l'une ou l'autre. On dit : les vanglistes projettent partir de la Rsurrection une lumire rtrospective sur la vie de Jsus, particulirement sur sa conception et sa naissance. On concde : ils ne pouvaient faire autrement. Pourquoi ? A cause de leur psychologie de convertis ? A cause d'une exigence de la foi ? D'abord en raison de l 'unit entre l 'Incarnation, la Passion et la Rsurrection, qui clate prcisment Pques.

    Et c'est parce qu'il est ainsi livr que Jsus opre la transmutation des critures, qu'il les transmue dans sa propre substance. Et c'est pour la mme raison qu'il peut tre offert dans l'glise chaque fidle travers les sacrements et singulirement celui de son corps eucharistique.

    3. Au moment de mourir, Jsus dit sa Mre : Voici ton fils et Jean : Voici ta mre . Mourir, c'est, pour lui, donner sa vie ; c'est ainsi qu'il l'a donne. Marie est alors arrache en quelque sorte sa maternit divine dans l'acte mme o elle devient mre du disciple. Dans le silence o elle laisse son Fils disposer d'elle s'accomplit le fiat de l'Annonciation ; il prend la dimension de l'glise. Marie est la Femme, et c'est par la Parole souveraine de Celui qui donne sa vie qu'elle devient Mre en tant pouse. La Rsurrection ne peut tre pense dans son rapport l'glise en dehors de cette mdiation mariale (sponsale et maternelle) et elle oblige penser une transfiguration des corps en leur sexualit.

    C'est dans ce mme silence et cette mme disponibilit que la Parole du Fils lui fait porter le sens de l'criture pour qu'elle le conoive. S'il en est ainsi, pourrait-on penser la conception biologique et la conception intellectuelle comme relies seulement par un lien de pure quivocit ? Ou bien, dans l'intelligence de l'criture sainte, l'esprit serait-il uni au corps ? et comment ?

    B. Corps de l'criture, corps de Jsus ressuscit, corps de l'glise

    Si l'criture sainte et l'glise sont unies, comme on vient de le voir, au corps du Ressuscit, ne convient-il pas de parler du corps de l'criture et du corps de l'glise ? C'est communment admis en ce qui concerne l'glise. On le fait aussi pour l'criture, mais c'est souvent de manire plus extrieure. Or, en accomplissant les critures, le Christ les transfigure en lui et en son corps.

    Puisqu'il s'agit d'une analogie, il convient d'aborder la question du ct de l'homme et du ct de Dieu.

    Du ct de l'homme d'abord. Pour que l'expression corps du Seigneur ne soit pas simplement pieuse, mais sense, il importe que soit reconnu dans l'homme le lien entre corps et esprit. Pas de foi dans la rsurrection des corps sans affirmation de l'me et de son immortalit. Cette affirmation

    Origne (2). C'est dans cette seule mesure que les Ecritures sont chrtiennes et non pas seulement judaques. Du mme coup tombe une apologtique de la Rsurrection qui croit pouvoir s'appuyer sur des arguments scripturaires. De mme, une exgse qui tenterait de cerner la Rsurrection sans recevoir sa lumire de la Rsurrection qui claire les critures ne verrait rien, et cette ccit rsulterait d'une faute de mthode, malgr la prtention scientifique qui l'animerait.

    Du mme coup aussi, les critures sont en avant d'elles-mmes : elles sont offertes l'glise, puisque le Ressuscit s'offre lui-mme elle et s'efface absolument dans ce don, qui est l'Esprit du Pre. Normatives en tant qu'elles sont fondes par la Rsurrection, les critures saintes sont aussi remises entre les mains de l'glise, non point seulement comme un corpus de textes dchiffrer, ni mme comme l'attestation d'une mmoire la memoria Christi mais comme sa vivante Parole.

    2. La Rsurrection fait problme lorsqu'on la dlie de l'Incarnation : comment alors relier le corps du Ressuscit avec celui du fils de Marie ? Or, dans la mmoire chrtienne, il n'en va pas ainsi. A Pques, Dieu dit son Fils : Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendr. La Rsurrection est l'Incarnation mme. Elle l'est dans son achvement ; elle accomplit ce qu'avait commenc la Nol. C'est ainsi que plusieurs Pres grecs l'ont contemple la suite des premiers chrtiens ; c'est le cas notamment d'Athanase (la doctrine de Nice s'obscurcit en dehors de cette perspective).

    La question alors se dplace : elle n'est plus d'expliquer la possibilit d'un corps ressuscit partir de l'vnement de Pques, mais d'clairer autant qu'on le peut la possibilit pour le Fils de Dieu de s'incarner : quel est ce corps qui est capable de s'offrir pour le salut du monde ? Parce que nous confessons que Jsus est semblable tous les hommes l'exception du pch, nous supposons facilement que nous savons ce qu'est son corps, puisque nous croyons savoir ce qu'est le ntre. Comme toute analogie n'est pas exclue entre le sien et le ntre, et comme nous craignons juste titre le doctisme (un corps apparent, sans consistance), nous tenons cette supposition, que du reste conforte le sens commun (vous n'allez pas me faire croire que le corps de Jsus tait autre que le ntre ! Rassurez-vous, je ne le ferai pas). Mais le corps de Jsus, depuis sa conception, ne se comportait-il pas autrement que le ntre ? Conu parce qu'il l'a voulu, Jsus a reu un corps qui d'emble est offert dans l'acte mme o le Fils est offert son Pre pour le salut du monde. De mme, il meurt. Pourtant, ma vie, nul ne la prend, je la donne de moi-mme . Et encore : il est mort. Pour l'homme, c'est un terme, aprs quoi il n'y a plus rien ce que signe la dgradation du corps. Pour lui, c'est un tat : il est dans l'tat d'tre offert (Nous parlons du corps sacr au tombeau . Pourquoi sacr ?). Et c'est dans cet tat

    (2) Peri Archn. I. IV.

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  • Georges Chantraine De quoi parlons-nous ?

    mtaphysique en dtermine une autre, d'ordre thique : puisque ce qui unit corps et esprit ne provient pas de l'homme ni de sa volont, mais a sa raison dans la libre dcision prise par Dieu de crer l'homme, le geste fondamental de l'homme n'est-il pas l'offrande de soi ? Cependant, s'il en est capable, puisque il le porte en lui dans sa constitution mme, l'homme n'est-il pas inapte le faire ? La bance entre la capacit et l'inaptitude creuserait la place pour le Christ et son offrande.

    Corps des critures. Quel sens prcis et fort pourrait avoir cette expression si l'Ecriture tait un pur texte, qu'on pourrait faire fonctionner selon toutes les techniques linguistiques et si, d'autre part, le corps n'tait pas reli au langage par lequel il fait signe vers l'esprit et dans lequel il le symbolise ? Aussi certaines varits de linguistique et d'hermneutique empchent-elles de trouver un tel sens. Si cela suffit dclarer leur fausset, cela ne suffit pas fonder la vrit des autres varits. Il faut d'abord dfinir philosophiquement le lien entre texte et langage comme entre corps et langage.

    Enfin, pour pouvoir parler du corps de l'glise d'une manire qui ne soit pas utopique, c'est--dire qui ne projette pas en avant le dsir d'une ralisation de l'Humanit par elle-mme, il faut qu'existe en arrire une unit de l'Humanit non seulement dans le Crateur et son dessein, mais encore dans l'homme lui-mme. Pas de corps du Christ qu'est l'glise sans corps d'Adam. Et il faut encore que la destine que l'Humanit reoit de Dieu en Adam puisse ne pas tre collective seulement, mais singulire, sans quoi la destine de l'homme dans l'glise ne saurait tre que collective, au lieu d'tre la fois ecclsiale et personnelle. Mais alors quelle tait en Adam la sexualit et quel en tait le rle ? Cela pose de manire aigu (et nullement mythique, si on y prend garde) la difficile question de savoir ce qu'est la sexualit humaine et quel est son rle, dans la condition prsente. Si on ne la posait pas l'intrieur d'une telle problmatique, on courrait le risque de la rsoudre en prsupposant une connaissance de ce qu'est le corps. Comment alors ne pas rduire le sexuel au biologique, quitte le magnifier ?

    Abordons maintenant la mme analogie du ct de Dieu.

    C. Le triple corps du Logos divin

    En chacun des trois moments prcdents (cf. A), nous avons parl du Verbe de Dieu : les critures saintes sont la vivante Parole de Dieu ; la Rsurrection est en son accomplissement l'Incarnation du Verbe de Dieu ; en mourant, Jsus est le Verbe qui se donne l'glise pouse comme un poux. On distinguerait alors avec Origne (3) trois corps du Logos, ou, plutt un

    (3) Cf. H. de Lubac, Histoire et Esprit : L'intelligence de l'criture d'aprs Origne, Aubier, Paris, 1950, ch. 8, Les incorporations du Logos.

    triple corps du Logos : son corps individuel, son corps social et son corps intelligible. En raison de son offrande, son corps individuel est eucharistique ; en raison de l'Alliance, son corps social est l'glise, qui est pouse ; en raison du lien avec l'Esprit, son corps intelligible est l'criture. C'est ainsi qu'on marquerait que la Rsurrection est un vnement trinitaire. Et c'est partir de la rvlation de Dieu en lui-mme que le corps pourrait tre clair de sa vraie lumire et du mme coup qu'apparatrait la possibilit de l'incarnation du Logos, et donc celle de la rsurrection du corps, et donc celle de la divinisation de l'homme. Rptons-le au moment de clore cette note : il s'agit dans notre intention d'laborer, au moins dans quelques-uns de ses traits, une problmatique qui reste intrieure la mmoire de la Rsurrection du Seigneur Jsus. Ce que j'entends en deux sens distincts et conjoints : sans une telle problmatique, on ne sait pas de quoi on parle (on risque donc de parler d'autre chose) et, d'autre part, cette problmatique suscite quelques questions d'ordre spculatif : quelle est la possibilit de l'incarnation de Dieu, qu'est-ce que le corps ?

    Georges CHANTRAINE, s. j.

    Georges Chantraine, n Namur en 1932. Entr dans la Compagnie de Jsus en 1951, prtre en 1963. Docteur en philosophie et lettres (Louvain) et en thologie (Paris). Professeur l'Institut d'tudes Thologiques de Bruxelles. Publications : Vraie et fausse libert du thologien, DDB, 1969 ; Mystre . et Philosophie . du Christ selon Erasme, Paris-Gembloux, Duculot, 1971 ; Erasme et Luther (Libre et serf arbitre), Paris, Lethielleux, 1981. Membre du bureau de rdaction de Communio.

    Pensez votre rabonnement !

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  • Communio, n VII, 1 janvier fvrier 1982

    Hans-Urs von BALTHASAR

    La mort engloutie par la vie

    La mort engloutie par la vie

    La Rsurrection ne se laisse comprendre que lie l'Incarnation et la Passion du Fils. Et sa place dcisive dans l'conomie du Salut n'est reconnaissable qu' partir des relations trinitaires.

    S'EXPRIMER de faon approprie sur la Rsurrection du Christ suppose que l'on s'carte dans toute la mesure du possible de toute considration intracosmique du mme simplement physique. Dans ce domaine, ce n'est pas de loin que peuvent tre abordes les paroles suivant lesquelles ce qui est mortel est englouti par la vie (2 Corinthiens 5, 4) et la mort est engloutie dans la victoire (1 Corinthiens 15, 54).

    On ne peut pressentir quelque chose de cette victoire remporte, sur la mort apparemment dfinitive, par la puissance suprieure de la vie ternelle, qu'en se plaant dans l'horizon de la pense thologique, en admettant au pralable que le cosmos cr englobe de prime abord les dimensions terre et ciel ( en de au-del ), que la vie intrieure de Dieu est un vnement trinitaire, que la nature du monde a t cre en vue d'une participation la vie divine et que le Verbe et Fils de Dieu est venu dans le monde pour porter son pch dans sa Passion et tuer la haine en lui-mme (phsiens 2, 16). Car un aspect isol du mystre de la foi comme la Rsurrection du Christ ne se laisse clairer que par tous les autres aspects centraux, ce qui, vrai dire, ne rend pas les choses plus simples pour la raison qui veut tout saisir, mais ce qui la force laisser sa place l'ensemble du mystre, mme dans chaque aspect particulier.

    Dans ce qui suit, nous essaierons d'approcher le mystre de la Rsurrection unique du Christ qui deviendra ensuite, il est vrai, celui qui ouvre la voie (Jean 11, 25 ; 14, 6 ; Hbreux 2, 10) pour tous les autres partir du caractre unique de son statut et de sa mission comme Rdempteur de l'humanit. C'est seulement quand On voit ce que Jsus abandonne dans sa souffrance et dans sa mort, et donc ce qu'il est capable d'abandonner de son statut d'Homme-Dieu, que l'on peut aussi voir ce qu'il peut, en tant qu'il est le Ressuscit, rcuprer en ralit corporelle.

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    1 . LA mort de Jsus sur la Croix est caractrise par un double paradoxe, qui apparat clairement mme dans les paroles du Nouveau Testament.

    Vis--vis de l'humanit pcheresse, il est d'une part celui qui est livr (traditus : Marc 9, 31 et parallles), afin que le pch du monde se donne libre cours, jusqu' s'puiser, aux dpens de son tre corporel vivant. La Passion suppose sans aucun doute une passivit de celui qui souffre. Jsus ne peut pas se dfendre, bien qu'il y soit provoqu (Marc 15, 30), mais cette impossibilit relle prsuppose chez lui une non-volont active : Le Pre m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite. Personne ne me l'enlve, mais je la donne de moi-mme ; j'ai le pouvoir de la donner et j'ai le pouvoir de la reprendre : tel est le commandement que j'ai reu de mon Pre (Jean 10, 17 18). Dans ce caractre volontaire du dessaisissement, il n'y a pas seulement, et pas avant tout, la mort physique, mais le sens (et le statut divino-humain qui le rend possible) du dessaisissement : la prise en charge du pch du monde qui est mis sur ses paules. C'est avec sa libre volont qu'il ouvre activement l'espace de son tre corporel et spirituel, pour y laisser positivement s'exercer toute la brutalit inconcevable du pch de l'humanit s'opposant Dieu. Les dimensions de ce pch s'tendent du dbut de l'humanit jusqu' sa fin ; le pass et l'avenir sont contenus dans l'vnement prsent, ce qui transporte spirituellement le Souffrant dans une sorte d'extratemporalit ( Jsus en agonie jusqu' la fin du monde : Pascal), mais ce qui confre ncessairement aussi son tre corporel une ex-tension ( distentio : saint Augustin), fonde sur le pouvoir du dessaisissement, laquelle reste impossible dcrire sur le plan physiologique. Ce premier paradoxe rside donc dans une passivit qui dpasse toutes les limites de la capacit de souffrir et qui est rendue possible par un pouvoir actif dpassant les limites du dessaisissement possible.

    Mais avec le concept de pouvoir se dvoile le deuxime paradoxe : le pouvoir de poser de faon absolument volontaire l'acte du dessaisissement de soi-mme est une mission reue du Pre : ici s'ouvre donc la dimension trinitaire. Eu gard celle-ci, l'abandon absolu de Jsus au pch du monde signifie cet abandon de Dieu, qui est l'essence la plus intime de la situation de pch dont il fait l'exprience, en tant qu'elle est le plus extrme loignement (encore une fois distension ) entre le Pre et le Fils, rendu possible dans l'conomie du salut par le Saint-Esprit. Mais on voit dj que cet tat de livraison au pch n'est rendu possible, galement de la part de Dieu le Pre, que par l'obissance d'amour absolue du Fils devenu homme vis--vis de Dieu, et qu'ainsi la nuit obscure de la perte de Dieu (ou de l'obscurcissement de Dieu par lui-mme) est une fonction et une manifestation de leur intimit la plus profonde, telle que Jsus peut l'exprimer dj avant l'exprience de l'abandon, mais aussi en vue de celle-ci : Voici que l'heure vient, et maintenant elle est l, o vous serez disperss, chacun allant de son ct, et vous me laisserez seul, mais mme alors je ne suis pas seul, car le Pre est avec moi (Jean 16, 32).

    Si nous comparons ces deux paradoxes de la Passion, ils ne deviennent comprhensibles qu' partir d'une hypothse trinitaire : la distance entre les personnes divines l'intrieur de la divinit, dans le cadre d'une nature divine unique, doit tre tellement illimite que, dans le cadre de l'unit complte de la volont qui constitue l'essence du Pre, du Fils et de l'Esprit, il y ait de l'espace

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  • Hans-Urs von Balthasar La mort engloutie par la vie

    pour ce qui va apparatre, dans l'conomie du salut, comme la (libre !) obissance du Fils pousse jusqu' l'exprience de l'abandon par le Pre, et ce qui par consquent toujours comme mission du Pre sera la libre mise la disposition de l'existence corporelle et spirituelle du Fils devenu homme pour que s'y puise le pch du monde. C'est seulement si l'on tient fermement que toute cette histoire du salut est rendue possible partir du fait trinitaire, que celle-ci acquiert une crdibilit suffisante si l'on abandonne cette thse, le pro nobis de la Passion est suspendu en l'air, et, en fin de compte, on le laisse tomber, comme c'est le cas aujourd'hui de la part de nombreux thologiens.

    Alors la Rsurrection de Jsus apparat bien entendu aussi comme un miracle isol, qui n'est reli la Passion que par le lien mrite-rcompense , un lien qui, vrai dire, n'est dj qu'une image dans les textes du Nouveau Testament (parce qu'ici encore le mrite de l'amour est comme toujours sa propre rcompense).

    Mais cette premire considration, qui circonscrivait de faon tout fait gnrale les rapports de l'conomie du salut et de la vie divine, doit tre concrtise quant au rle particulier de l'tre corporel de Jsus dans le don de ses souffrances l'humanit et par suite au Pre dans le Saint-Esprit.

    2. LE fait que Jsus puisse offrir son corps vivant comme espace pour le pch du monde marque un pouvoir libre, qui s'exprime, avant que toute souffrance ait t inflige par l'humanit, dans son don de lui-mme comme eucharistie. Il est caractristique que celle-ci soit institue avant la Passion, mme chronologiquement, bien qu'elle suppose par anticipation son accomplissement, comme le montrent clairement les paroles de l'institution : Prenez ce corps livr pour vous, ce sang vers pour (et par) vous . Le fait que le corps de Jsus soit tendu aux dimensions du pch du monde supposait au pralable que le don (galement) corporel du Fils dans l'eucharistie ait lui-mme dj atteint et dpass ces dimensions, car son amour, lorsqu'il porte le pch, se rvle plus fort que celui-ci. Sa Passion, laquelle appartient sa mort, est toujours environne de son libre amour ( je me dessaisis de ma vie de moi-mme : ap'mautou : Jean 10, 18), qui est en mme temps l'expression de son obissance d'amour au Pre.

    C'est ainsi qu'il pouvait aussi, pralablement toute Passion passive, transmettre son corps et son sang , en tant que livrs, son glise : Faites ceci en mmoire de moi - un legs manifestement dfinitif, jamais repris. Il sera ncessaire d'y penser lors de la Rsurrection. La fondation de l'eucharistie, qui inclut en elle la Croix et la mort, est une sorte de fixation par des clous l'glise, et par celle-ci au monde, fixation qui est irrversible.

    Mais le don eucharistique de l'tre vivant corporel de Jsus comporte aussi une face tourne vers la Trinit. Il donne son Corps aussi bien au Pre, pour qu'il en dispose, qu'aux hommes : c'est bien Dieu qui dans le Christ rconcilie le monde avec lui-mme (2 Corinthiens 5, 19) ; il faudrait positivement parler d'une communion du Pre sur la base de l'eucharistie du Fils, qui n'est rien d'autre que l'tablissement de la communion entre Dieu et l'humanit. Le dpt de son tre corporel auprs du Pre est lui aussi irrversible pour

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    l'ternit. Si nous rflchissons plus profondment, ce dpt n'est rien d'autre que la forme la plus haute, dans l'conomie du salut, de la reconnaissance trinitaire ternelle du Fils envers le Pre qui l'engendre, reconnaissance qui s'exprime ternellement dans l'offrande en retour de tout son tre divin l'Origine qui l'engendre, offrande dans laquelle se trouve aussi l'origine de la possibilit de la dcision trinitaire de l'incarnation et de la rdemption du monde.

    3. TOUT ce qui a t dit jusqu'ici semble accumuler des difficults presque insurmontables pour l 'vnement de la Rsurrection du Christ. Comment est-il possible que ce qui a t abandonn sans conditions et dfinitivement l'humanit et Dieu le corps du Christ sacrifi puisse tre rcupr par celui-ci, galement sans conditions et pour toujours ? Et comment Jsus peut-il dire lui-mme qu'il a le pouvoir, non seulement de se dessaisir de sa vie, mais de la reprendre (Jean 10, 18) ?

    Il est ncessaire de revenir aux paradoxes prsents au dbut, approfondis travers la ralit de l'eucharistie, pour voir la possibilit de runir ce qui apparaissait comme spar. Commenons par l'abandon du corps au pch du monde, qui le consomme ou l'anantit par engloutissement (katapi-nein : 1 Corinthiens 15, 54 ; 2 Corinthiens 5, 4) : il s'est rvl que cette passivit est saisie et dpasse par le don eucharistique de soi-mme l'glise, don qui, l o la consommation du corps et du sang du Seigneur est discerne (1 Corinthiens 11, 29) pour ce qu'elle est, reoit de l'glise une reconnaissance approprie : celle-ci devient Corps du Seigneur et se restitue comme telle au donateur qu'elle reconnat avec gratitude. C'est alors aussi la manire la plus profonde dont Jsus a le pouvoir de reprendre sa vie : il se rcupre lui-mme partir de l'glise, sans pour autant devoir se retirer d'elle. Et parce qu'il a souffert sur la croix en dehors du temps pour la faute du monde pendant toute sa dure, il se rcupre lui-mme , galement en dehors du temps, de toutes les gnrations des croyants.

    Bien entendu, cet aspect ne doit aucun moment tre spar de la relation trinitaire, qui est principalement souligne dans les textes du Nouveau Testament : le Pre restitue son Fils mort, dans la puissance du Saint-Esprit, son tre corporel que celui-ci avait dpos auprs de Lui pour qu'Il en dispose pour la rdemption du monde, en tant que cet tre corporel sera dans l'avenir l'instrument permanent de cette rconciliation. Si c'est expressment comme charg d'une mission de son Pre que le Fils reprend sa vie, cela signifie qu'il se rcupre de son Pre , dans son ternelle obissance filiale, comme celui qui vit dans un corps ; tout l'loignement du Fils provoqu par le Pre (jusqu' l'abandon par Dieu sur la Croix) n'a pas d'autre but pour le Pre que d'riger son Fils, pour le monde, dans la plnitude de sa vie corporelle, comme l'icne du Pre, visible pour toujours. Ceci est en fin de compte port son achvement par le fait que le Fils, en ressuscitant, se rcupre lui mme de son Pre avec son Corps et son Ame, avec sa divinit et son humanit .

    On peut alors aussi comprendre dans quelle mesure la mort est engloutie par la vie victorieuse. La mort tait sous tous les rapports aussi bien vis--vis du monde que vis--vis de Dieu une fonction de

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  • La mort engloutie par la vie Communio, n VII, 1 janvier fvrier 1982

    Leo SCHEFFCZYK l'Amour se donnant, mme l o elle apparaissait, en tant que puissance destructrice du pch, comme l'ennemie suprme de la vie et de l'Amour. L'inimiti qu'il y a dans ce meurtre est anantie, mais la mort elle-mme reste celle de quelqu'un qui aime, et par l elle est glorifie dans la vie de la Rsurrection, non pas pour ainsi dire comme une ombre subsistante (au sens de C.J. Jung), mais comme une forme sous laquelle l'Amour vivant pouvait se manifester jusqu' l'extrme (Jean 13, 1). C'est pourquoi l'Agneau vivant apparat dans l'Apocalypse comme celui qui semble immol , comme vainqueur, et le Seigneur glorifi peut dire de lui-mme : J'tais mort, et voici, je suis vivant pour les sicles des sicles et je tiens les cls de la mort et de l'Hads (1, 18). Il emporte dans sa vie ternelle son mode d'existence de mort comme un tat pass, avec sa marque qui y reste imprime, et le fait qu'il tient les cls pour la mort et l'Hads montre encore une fois qu'il englobe la mort, en tant que supporte victorieusement et surmonte, dans sa propre existence suprmement vivante. Ceci n'est pas prendre, en aucune manire, dans le sens d'une dialectique hglienne o le ngatif apparat comme un moment interne de la vie ternelle : car le fait de se livrer dans l'impuissance de la Passion et de la mort est son pouvoir ; ou, pour exclure toute ambigut, l'impuissance (de l'Amour) de Dieu est plus forte que les hommes (1 Corinthiens 1, 25).

    Hans-Urs von BALTHASAR (traduit de l'allemand par Jacques Keller)

    (titre original : Der Tod vom Leben Verschlungen )

    Hans-Urs von- Balthasar, n en 1905 Lucerne (Suisse). Prtre en 1936. Membre de la Commission thologique internationale ; membre associ de l'Institut de France. Co-fondateur de l'dition allemande de Communio. Sa dernire bibliographie, arrte 1977, compte 90 pages dans d'Arian attraverso la mia opera, Jaca Book, Milan, 1980. Derniers ouvrages parus en franais : Nouveaux points de repre, coll. Communio , Fayard, Paris, 1980 ; Aux croyants incertains, coll. Le Sycomore , Lethielleux, Paris, 1980.

    Dans Le Courrier de COMMUNIO (supplment la revue, quatre numros par an) :

    - l'analyse des lettres de lecteurs reues la rdaction ; des informations sur les groupes de lecteurs et sur les autres

    ditions de Communio la publication progressive d'un Index thmatique de tous les

    thmes abords dans la revue depuis ses dbuts en 1975. _Abonnement annuel : 35 FF, 260 FB, 10 S, 15 FS; autres pays : 40 FF.

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    Ce sur quoi tout repose

    Que Dieu ait rveill Jsus d'entre les morts est le pivot de tout le mystre et de toute l'existence chrtiens, dans leurs dimensions baptismale, ecclsiale et eschatologique.

    LA Rsurrection du Christ est vraiment le noyau de la foi chrtienne. Elle est comme le foyer o viennent converger les rayons de la lumire divine pour remplir la vie de foi du feu de l'Esprit. Il est caractristique que les disciples d'Emmas, qui viennent de rencontrer le Ressuscit et d'tre instruits par lui du sens de l'vnement qui sauve, confessent : Notre coeur ne brlait-il pas en nos poitrines, quand il parlait avec nous sur la route et qu'il nous ouvrait le sens des critures ? (Luc 24, 32). Pour eux, cet vnement contenait le sens de l'criture et avec lui le nerf de la foi au Christ.

    C'est d'une autre faon, en l'opposant son ruineux contraire qu'est le refus de croire, que saint Paul confirme la signification fondamentale de la vrit de la rsurrection du Seigneur : Si le Christ n'est pas ressuscit, notre prdication est vide et votre foi insense (...), alors votre foi est inutile, et vous tes encore dans vos pchs (1 Corinthiens 15, 17). Pour Paul, la foi ne peut tre vrit et vie sans s'ancrer dans le terrain ferme de la Rsurrection.

    Cet aveu prend une teinte encore plus personnelle dans l'ptre aux Philippiens, dans laquelle Paul n'hsite pas, avec une autorit parn-tique (1) recommander sa propre exprience de la Rsurrection du Christ comme exemple pour la communaut. Il s'agit du gain surminent qu'est la connaissance du Christ Jsus (...), de la justice qui se fonde sur la foi, afin que je le connaisse avec la puissance de sa Rsurrection et la communion ses souffrances et que je lui devienne conforme dans la mort (3, 8 s.) (2). La connaissance qui intervient ici est de toute vidence plus que la saisie purement thorique d'une vrit objective ; elle est l'exprience de force et de communion qui va- jusqu' la conformation au Christ. Il est remarquable que Paul choisisse un ordre qui n'est pas utilis ailleurs : la connaissance de la force de la Rsurrection est place avant l'exprience de la communion aux souffrances du Christ ! Paul souligne par l que la foi est en son essence foi en

    (1) Cf. W. Wolbert, Vorbild und parnnetische Autoritt (Das Problem der ' Nachahmung" des Paulus) , dans Mnchner theologische Zeitschrift 32 (1981), 249 s. (2) Cf. sur ce passage J. Gnilka, Der Philipperbrief Freiburg, 1968, 191 s.

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  • Leo Scheffczyk Ce sur quoi tout repose

    la Rsurrection, et que l'existence chrtienne donne forme cette foi, qui reste indissolublement lie la Passion et la mort du Christ. L'unit de la Croix et de la Rsurrection imprime sa marque sur toute l'existence chrtienne.

    Il ne fait aucun doute que l'aptre ne fasse porter cette connaissance du Ressuscit, comme vrit et force, dj sur la vie prsente vcue dans la foi, bien qu'il considre galement comme en dcoulant son extension l'avenir. Mais la foi en la Rsurrection est pour lui une force qui intervient dj dans cette vie et qui la transforme. Comment peut-on faire comprendre cela une pense scularise, qui prtend ne connatre que la ralit terrestre et les forces qui y rgnent ? (3)

    L'action de Dieu sur le Crucifi

    On s'interroge beaucoup aujourd'hui sur le sens de la Rsurrection du Christ. Le mot de rsurrection , qui est celui de la foi et de la prdication, est plac dans une lumire varie et bariole de mille couleurs.

    En s'efforant de librer le contenu du mot de prtendues concrtions historiques qui seraient venues le recouvrir, et de le rendre accessible la comprhension de l'homme d'aujourd'hui, on part de sa signification pour nous , pour ainsi dire de son reflet dans la conscience contemporaine. C'est ainsi que l'on interprte la Rsurrection comme le fait que les aptres en soient venus la foi (4), comme l' unit de la vie et de la mort dans l'amour de Jsus (5), ou comme exprience de grce aprs la mort de Jsus (6). Il n'est pas question de nier de tels reflets. Mais ils ne suffisent pas accueillir la ralit de l'vnement sauveur. Le reflet ne peut pas subsister sans la source lumineuse, l'nergie sans son porteur, l'effet sans celui qui le produit. C'est pourquoi la foi en la Rsurrection n'a pas de noyau, si elle ne s'attache pas au Ressuscit lui-mme. L'vnement ne peut tre saisi sans la personne laquelle il est arriv l'origine. Ce que l'vnement reoit de ralit effective et de force, il ne peut le tenir que de ce qui est arriv la personne de l'Homme-Dieu. La rsurrection reste une simple ide, un appel moral ou une valeur purement humaine si elle ne commence pas avec le Ressuscit lui-mme et avec la nouvelle manire d'tre qui se manifesta en lui pour se rpandre ensuite en cercles concentriques partir du centre qu'il constitue.

    C'est pour cela que la premire confession de foi en la Rsurrection est en mme temps la plus simple et celle dont le contenu est le plus concentr : Il est ressuscit, il n'est pas ici (Marc 16, 6 et les parallles Matthieu 28, 6 ; Luc 2.4, 6). C'est bien lui que Dieu a rveill et dlivr des affres de la mort, car il n'tait pas possible que la mort le retnt (Actes 2., 24). L'vnement de Pques est tout d'abord l'action de Dieu exerce sur Jsus-Christ, mort sur la croix et

    (3) Cf. par exemple H. Braun, Die Heilstatsachen im Neuen Testament , dans Gesammelte Studien zum Neuen Testament und seiner Umwelt, Tubingue, 1971 (3), 304. (4) W. Marxsen, Die Auferstehung Jesu von Nazareth, Gtersloh, 1968, 143. (5) E. Fuchs, dans E. Fuchs W. Knneth, Die Auferstehung Jesu Chisti von den Toten, Neukirchen, 1973, 33. (6) E. Schillebeeckx, Jsus : l'histoire d'un vivant, tr. fr., Paris, Cerf.

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    enfoui dans le tombeau et c'est pourquoi l'criture prfre parler de rveil . D'aprs le tmoignage de la Bible, le tombeau vide fait aussi partie de cette action. Sur , la place et la signification du tombeau vide pour la naissance du message pascal et pour les arguments qui l'appuyaient, on pourra penser ce que l'on veut (et en particulier lui attribuer un rang secondaire par rapport aux apparitions du Ressuscit). Toujours est-il que le tombeau vide appartient au message apostolique primitif comme preuve du fait que le Messie a vritablement surmont la mort ( la diffrence de David, cf. Actes 2, 29-36). Paul lui aussi le sait trs bien, quand il pose nettement l'antithse : Il a t enseveli Il est ressuscit au troisime jour (1 Corinthiens 15, 4). La Rsurrection est ainsi reconnue comme la cration d'une vie nouvelle, qui saisit aussi le Ressuscit en sa dimension corporelle.

    Mais tre rveill d'entre les morts, ce n'est pas revenir une vie terrestre, comme chez le jeune homme de Nam (Luc 7, 11-17) ou chez Lazare (Jean 11, 17-44). A la diffrence de ces miracles, la Rsurrection du Christ est un recommencement absolu, un vnement quasiment crateur.

    Si on la considre du point de vue de l'conomie du salut, la Rsurrection est l'endroit o le chemin s'inverse depuis la profondeur de l'abaissement humain jusqu' la hauteur de l'lvation divine ; elle est la priptie essentielle du drame de la rdemption accompli dans la figure du Rdempteur. H ne faut. pas minimiser la nouveaut de ce qui arrive ici Jsus-Christ (dans le souci, par exemple, de maintenir la divinit immuable de sa personne) : le rveil d'entre les morts (concept qui n'exclut en rien celui de rsurrection dans la force mme de la divinit) est l'entre de l'Homme-Dieu dans la gloire du Pre, gloire qu'il manifeste dans ses apparitions, la faon des thophanies de l'Ancienne Alliance. Par lui, le Rdempteur est rendu parfait, aussi quant sa dimension corporelle. Celle-ci reoit une nouvelle forme d'existence, que Paul n'arrive pas formuler positivement (cf. I Corinthiens 15, 42 s.), mais dont il est acquis qu'elle implique une lvation dans la gloire de l'Esprit. Ceci implique pour le Christ aussi une modification de ce qu'il est : il participe dsormais l'existence glorieuse de Dieu, et, s'asseyant la droite du Pre , il reoit-la pleine souverainet qui lui donne sa place de Seigneur de l'glise et du monde. Une premire expression de l'acquisition par le Christ de cette Seigneurie est la parole que l'vangliste Matthieu associe la dernire apparition du Ressuscit : Tout pouvoir m'a t donn au ciel et sur la terre. Allez donc vers toutes les nations et de tous les hommes faites des disciples (Matthieu 28, 19).

    Cette parole montre galement que l'action que Dieu a exerce sur son Christ concerne l'humanit entire et chacun de nous. Ce qui est arriv au Christ, et qui nous est extrieur, porte aussi sur l'humanit en vertu de l'union de l'Homme-Dieu avec toute l'humanit. Dans ce cadre, des hommes reoivent le pouvoir et le devoir de tmoigner.

    Ce qui est arriv Jsus-Christ dans la Rsurrection produit son premier effet et trouve son premier reflet de salut chez les aptres de Jsus. Les rcits vangliques sur les apparitions du Ressuscit permettent de saisir le retournement bouleversant qui s'est produit dans l'existence des aptres et qui nous met sous les yeux les effets que le salut venant de la Rsurrection et la vie nouvelle qui en rsulte produisent sur ceux qui sont ainsi rachets. Une exgse libre de prjugs, et qui ne cherche pas a priori rationaliser ou

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  • Leo Scheffczyk Ce sur quoi tout repose

    psychologiser le miracle de la Rsurrection, devra reconnatre que l'on ne peut donner aucune explication psychologique ou historico-pragmatique de cette extraordinaire rvolution dans la vie des aptres (7). Au Vendredi-Saint, ils taient frapps de plein fouet par la tragdie de la crucifixion. Leurs attentes taient dues (cf: Luc 24, 21), leur communaut commenait se dissoudre, car tous l'abandonnrent et s'enfuirent (Marc 14, 50). Mais l'vnement de Pques fit d'eux des hommes nouveaux dans un monde nouveau (8). La force qui, sortant de leur rencontre personnelle avec le Ressuscit, s'empara d'eux depuis la manifestation du Seigneur, tait une foi victorieuse, une comprhension dfinitive du sens de l'vnement du Christ, un emplissement par l'Esprit du Ressuscit (cf. Jean 20, 22) qui leur donnait la capacit d'assumer une mission aux dimensions du monde, annoncer le message de la Rsurrection comme le noyau de toute la bonne nouvelle de Jsus-Christ. Ce qui leur arriva ainsi est que la nouvelle vie qui vient du Ressuscit fondit sur eux comme sur les ans de la foi : miracle d'un retournement absolu, d'une nouvelle cration (2 Corinthiens 5, 17).

    Les effets de la Rsurrection comme renouvellement et transformation de la cration, tels qu'ils apparaissent dans la corporit spirituelle du Christ qui en est le signe, ouvrent de vastes perspectives sur une christologie cosmique, et, l'inverse, sur une conception christologique de la cration, d'aprs laquelle le Christ, offert sur le bois de la croix, rconcilie le ciel et la terre et a accompli une ouvre la fois divine et humaine (9) ; car on peut dire aussi du Ressuscit ; En lui, le monde est ressuscit . en lui, le ciel est ressuscit ; en lui, la terre est ressuscite (10). Mais le centre de la nouvelle cration est dans l'glise.

    L'glise, corps du Ressuscit

    Quels que soient les problmes historiques que pose la fondation de l'glise, celle-ci apparat au regard de la foi comme l'eeuvre du Ressuscit qui, en la construisant, s'est donn en elle l'organe visible destin maintenir sa vie transfigure dans sa Rsurrection. C'est pourquoi saint Lon le Grand, dans une homlie sur la Rsurrection, dit aux croyants : Que le peuple de Dieu soit donc ainsi conscient de ce qu'il a t cr nouveau par le Christ (11). Celui qui, comme Tte, a le primat sur tout (phsiens 1, 22) ne peut pas donner la force de. sa Rsurrection uniquement des individus ; la tte a besoin d'un organisme afm que, aprs son lvation au-dessus des cieux, son glise puisse par sa richefcondit emplir toute la terre (12). On ne peut pas concevoir le Seigneur lev dans la gloire sans le domaine sur lequel il rgne. Mais, du point de vue de l'homme galement, le salut ne peut se raliser dans

    (7) Cf. mon livre Auferstehung : Prinzip christlichen Glaubens, Einsiedeln, Johannes Verlag, 188. (8) C.H. Dodd, Le fondateur du christianisme, Seuil, Paris, 1972, 179. (9) Origne, Homlies sur le Lvitique, I, 4. (10) Saint Ambroise, De excessu fratris sui, I, 2. (11) Sermon 71, 6. (12) Saint Augustin, Lettre Saturninus, 1 s.

    une relation prive entre un Je et un Tu , entre le Rdempteur et celui qu'il rachte ; il lui faut se raliser avec les autres, dans la communaut d'un Nous auquel l'individu est perptuellement renvoy dans toutes les dimensions de sa vie. C'est d'autant plus vrai que l'tre nouveau qui vient du Ressuscit et qui s'empare de l'homme s'oppose diamtralement toutes les tendances gostes au repli sur soi pour le renvoyer la communaut dans laquelle le salut prend corps. C'est pourquoi la force de la Rsurrection, d'aprs saint Paul, se ralise d'abord dans le Nous de la communaut : Dieu nous a fait revivre dans le Christ, alors que nous tions morts par suite de nos fautes (...), avec. Lui il nous a ressuscits et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jsus (phsiens 2, 4 s.). Saint Augustin peut donc parler du caractre communautaire et ecclsial de la foi au Ressuscit : L'glise contemple (c'est--dire la communaut visible) nous aide croire que le Christ est ressuscit . Ceci ne vaut que sur le fond du principe gnral selon lequel notre foi est remplie d'un corps (13), c'est--dire de la communaut des croyants.

    De ce fait, la communaut des croyants, l'glise comme corps du Christ, n'est pas seulement la condition de la perptuation de la foi et de la force de la Rsurrection ; en tant que nouvelle cration, elle est constitue par la force du Ressuscit, mme si elle ne reoit sa pleine ralisation que par l'envoi du Saint-Esprit. Mais l'Esprit lui aussi est la force du Seigneur ressuscit et lev dans la gloire.

    Le fait que l'glise provienne de la Rsurrection la constitue aussi dans son statut de temple de l'Esprit, comme communaut ou comme corps du Ressuscit, qui vit de la prsence du Seigneur glorieux. Dans le repas du Seigneur (1 Corinthiens 11, 20), dans lequel se concentre la vie de la communaut, la prsence du Seigneur glorieux reoit une expression particulire, dans la mesure o il est lui-mme celui qui donne le repas, et en mme temps le repas lui-mme, le don prsent dans sa corporit transfigure. Le Seigneur (Kyrios) peut ainsi tre l'objet d'un culte, comme le montrent les nombreuses invocations du Nouveau Testament (Romains 10, 9 ; 1 Corinthiens 12, 3 ; Philippiens 2, 11). Mais ce n'est pas que cet vnement actuel qui fait de l'glise une communaut de la Rsurrection . La participation au corps sacramental du Christ suppose que l'on participe en Esprit au corps communautaire, qu'elle manifeste et consolide : Parce qu'il y a un seul pain, nous sommes un seul corps (1 Corinthiens 10, 17).

    La corporit remplie de l'Esprit, qui est celle de l'glise, ne doit pas tre spare de la corporit transfigure du Ressuscit. Le fait que leur tre soit marqu par l'Esprit qui les remplit assure une profonde unit entre le corps du Seigneur ressuscit .et l'glise, sans que l'on ait le droit d'affirmer entre les deux l'existence d'une unit formelle. Mais le corps existe dans la force de la tte transfigure, force qui le porte et le remplit. Au-del de toute interprtation sociologique (comme association fonde sur l'identit d'une opinion, ou comme union des gens qui s'intressent au message de Jsus), l'Eglise est constitue partir de la Rsurrection dans sa conformit au Christ:

    (13)1d., Sermon 116, 6, 6.

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  • Leo Scheffczyk Ce sur quoi tout repose

    Relie au Ressuscit et remplie de Sa vie, elle est aussi l'intermdiaire par lequel une certaine contemporanit avec la Rsurrection peut tre communique l'homme.

    Le baptme comme sacrement de la mort et de la Rsurrection du Christ

    L'glise, comme intermdiaire universel de la ralit de la Rsurrection, exerce ce pouvoir galement dans des actes dtermins qui s'adressent l'individu et lui communiquent cette contemporanit avec le Christ qui constitue, d'aprs Kierkegaard, la pointe du fait chrtien . La parole de la Croix est dj force et sagesse de Dieu (1 Corinthiens 1, 24), de mme que l'annonce du message de la Rsurrection est le fondement sur lequel vous vous dressez (ibid. 15, 1). Par le moyen de la parole, dj, le chrtien saisit la Rsurrection non comme un souvenir qui ramne sa pense un pass rvolu, ou comme un cho qui va s'affaiblissant, mais comme une force prsente. Mais un vnement atteint son intensit suprme l o il devient prsent en son noyau mme. Il y a coappartenance de l'action que Dieu exerce sur le Christ et de celle qu'il exerce sur les croyants (14). Elle se produit avant tout dans le sacrement du baptme, dont Paul dcrit la signification comme entre dans la mort et la Rsurrection de Jsus-Christ de faon hautement pntrante (Romains 6, 1-14). Certes, l'union l' image de la mort de Jsus-Christ (ibid. 6, 5), et, partant, l'appartenance sa Rsurrection ne doivent pas tre interprtes au sens de la thologie des mystres paens, et l'aptre lui-mme ne conoit pas le rite de la plonge et de l'mersion dans et hors de l'eau du baptme comme une rptition de la mort et de la Rsurrection du Christ (15). Mais malgr cela, la ralit mystique de la mort avec le Christ et de la participation sa Rsurrection dans le baptme n'en est pas diminue. En effet, nous avons t ensevelis avec lui par le baptme dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscit des morts par la gloire du Pre, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle (ibid. 6, 4). C'est pourquoi le baptme sacramentel est, de la manire la plus effective, l'entre dans une communaut d'existence avec le Seigneur mort et ressuscit. Dans le Christ, le baptis meurt au pch, pour participer aussi la vie nouvelle qui vient de sa Rsurrection. Bien sr, il n'est pas dit que nous avons t ensevelis exactement comme le Christ et que nous sommes ressuscits absolument comme lui. Cette rsurrection signifie seulement que, de par notre baptme, nous menons une vie nouvelle . Mais il est hors de doute que cette nouvelle vie dcoule de la Rsurrection du Christ, qui son tour est produite par la gloire (ou la puissance) du Pre. Une complte conformation la Rsurrection de Jsus-Christ, l'aptre la rserve l'avenir : Car si c'est un mme tre avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable la sienne, nous le serons aussi par une rsurrection semblable (ibid. 6, 5). Ceci .ne relche en rien le lien qui nous unit la

    (14) H. Schlier, Der Brief an die Epheser (Ein Kommentar), Dsseldorf, 1957, 109.

    (15) Cf. H. Schlier, Der R6merbrief, Fribourg, 1977, 195.

    Rsurrection du Christ. L'aptre invite seulement penser, par de fines nuances de son vocabulaire, que la Rsurrection de Jsus-Christ qui s'opre en nous, quelle qu'en soit la prsence actuelle, reste aussi pour nous quelque chose de futur, savoir quelque chose d'orient vers la future rsurrection des morts. De la sorte, c'est dj la perspective d'avenir ou la dimension eschatologique de la ralit de la rsurrection se saisissant de nous qui s'ouvre. Comme nouveaut de la vie , elle nous est dj rvle par le baptme, mais elle n'est pas encore devenue manifeste en nous dans la plnitude de sa puissance.

    On voit bien l'aptre, dans un autre passage, ngliger cette diffrence et dclarer plein d'assurance : Il nous a ressuscits et fait asseoir aux cieux dans le Christ Jsus (phsiens 2, 5 s.). Ici, toute la ralit de la rsurrection semble bien place dans le prsent. Toutefois, Paul ne veut videmment pas par l supprimer la diffrence entre prsent et futur, mais indiquer que, pour la foi, on peut d'une certaine faon modifier l'quilibre entre le dj et le pas encore . Dans la vie chrtienne, les deux moments peuvent se rapprocher au point que le chrtien fera l'exprience de la Rsurrection et de son clat glorieux comme d'une force dj victorieuse ; mais ils peuvent aussi s'carter de telle sorte que le baptis tendra les mains vers la fin dans un dsir souvent douloureux. Mais jamais ces deux moments ne peuvent formellement concider l'intrieur de la vie terrestre du chrtien. La tension entre tre-ressuscit-avec-le-Christ et se-rveiller-avec-lui-d'entre-les-morts ne peut pas disparatre chez le chrtien. L'quilibre est ralis par la conversion une vie nouvelle (Romains 6, 4), c'est--dire par la faon dont la force de la Rsurrection s'enracine et .s'tend (aussi sur le plan moral) dans la vie chrtienne. En tout cas, le baptme reste le vritable intermdiaire sacramentel pour nous conformer avec le destin du Seigneur, parvenu la gloire par la mort sur la Croix. Cette existence, marque du sceau de la mort et de la Rsurrection du Christ, est propre au baptis lui aussi. Il parvient ainsi, au milieu des conditions d'une existence menace par la mort, une vie ressuscite . Dans cette existence dans le Christ s'accomplit un meurs et deviens ir mystique, pour reprendre une formule de Goethe, qui lui donne d'ailleurs un contenu qui n'est que l'ombre de ce que nous visons ici.

    La dimension eschatologique

    La tension dans laquelle la Rsurrection du Christ, comme ralit prsente et comme fait pass, plonge le chrtien confre l'existence chrtienne dans son ensemble une orientation eschatologique, o l'accent mis sur ce qui vient, sur le futur, est videmment dominant. Ce n'est pas que le chrtien, la manire des modernes idologies du futur, doive dvaluer le prsent, faire comme si rien ne s'tait jamais produit de dcisif dans le monde et comme si ce qui s'est pass dans la Rsurrection du Christ ne pouvait encore tre confirm par aucun effet (16), de telle sorte que la Rsurrection ne vaudrait que

    (16) J. Moltmann semble aller dans ce sens, cf. Thologie de l'esprance, Paris, Cerf-Maine, 1970, 212.

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  • Leo Scheffczyk Ce sur quoi tout repose

    comme symbole de l'attente de l'avenir. Pour ne pas laisser cette attente s'garer dans le vague et l'utopique, il faut la rattacher l'action de Dieu qui s'est dj produite, c'est--dire qu'il faut donner au moment eschatologique un sens aussi bien prsent que futur.

    Pour ce faire, il faut partir du fait que l'vnement de la Rsurrection du Christ tait lui-mme dj un vnement eschatologique, qui d'un certain point de vue apportait dj le parfait achvement de l'histoire, dans la mesure o rien de plus grand quant son essence ou de plus haut quant sa qualit ne peut plus se produire. Tout ce qui suit cet vnement ne peut en tre que le dploiement dans la plnitude des. temps (Galates 4, 4). Sous le poids d'un tel fait, le temps qui continue s'couler et l'histoire, considre comme celle des. temps intermdiaires , sont relativiss, non certes en eux-mmes, mais eu gard ce qui a dj eu lieu dans la Rsurrection et la plnitude de sa manifestation dfinitive. De cette re qui s'tend entre deux vnements terminaux qui la dlimitent, on peut dire : Le temps est court , et en tirer les consquences pour le comportement des chrtiens dans le monde : Reste donc que ceux qui ont femme vivent comme s'ils n'en avaient pas ; ceux qui pleurent, comme s'ils ne pleuraient pas ; ceux qui sont dans la joie, comme s'ils n'taient pas dans la joie ; ceux qui achtent, comme s'ils ne possdaient pas, ceux qui usent de ce monde, comme s'ils n'en usaient pas vritablement. Car elle passe, la figure de ce monde (1 Corinthiens 7, 29-31). De la mme manire, toute une tradition du christianisme, pensant partir de la Rsurrection et regardant vers la Rsurrection, a toujours su exprimer la . rserve eschatologique , par exemple dans les paroles de Jean Chrysos-tome : Ne crois pas que tu aies quoi que ce soit de commun avec la terre, parce que, en ton corps, tu n'es pas encore enlev au ciel ; ta tte (le Christ) trne dj dans les hauteurs. Ceci n'est pas dit pour dvaluer la vie terrestre, mais pour que tu saches aussi vivre sur la terre comme si tu tais dj au ciel (17). La perspective eschatologique sur le ciel n'est donc pas une attitude de fuite du monde, mais, elle vise justement mener correctement la vie terrestre, exister du point de vue de l'ternit. Le regard vers le ciel libre les forces ncessaires l'accomplissement de la tche dans le monde.

    L'attitude eschatologique du chrtien, telle qu'elle se fonde sur la Rsurrection comme prsente et future, n'est pas un surnaturalisme qui viterait la ralit terrestre. Elle fait ses preuves avant tout devant la question .qui aujourd'hui nous presse de tous les cts : la question du sens. Pour l'existence historique de l'homme, cette question ne peut recevoir de rponse, si l'on ne peut pas mettre en vidence un but qui, d'un ct, est dj prsent, et qui d'un autre ct, en tant qu'il en est la figure terminale, se tient au-dessus de l'histoire. Or, ces deux moments sont enracins dans la structure de la foi en la Rsurrection comme prsente et future. Cette foi peut donc nous apprendre que dans l'vnement de Pques, le dsir de surmonter la mort et le pch qui est le moteur de toute vie humaine est devenu ralit, bien que ce ne soit d'abord le cas que chez cet homme unique qui a t choisi pour tre le prince de la vie (Actes 3, 15). Ce qui tarde encore, c'est le retour du monde

    (17) Commentaire sur Matthieu, 12, 4 s.

    entier dans la vie parfaite de Dieu. L'histoire de l'humanit devient ainsi comprhensible, la lumire de la foi en la Rsurrection, comme son retour en amont, vers Dieu, dans la force du Rdempteur, ressuscit de sa mort sur la Croix. Le thme le plus profond de l'histoire du monde n'est donc pas seulement le combat de la foi et de l'incroyance (18), mais la faon dont la vrit de la Rsurrection lutte pour percer dans un monde qui voudrait se contenter de consolations qu'il ne tirerait que de lui-mme, et dont il prouve pourtant l'insuffisance.

    La foi en la Rsurrection, dans son orientation eschatologique, ne livre pas seulement une connaissance intuitive du sens de l'histoire. Devant un but qui est tellement au-dessus de l'homme que celui-ci ne peut l'atteindre par ses propres forces (mme s'il pressent que cela lui conviendrait et lui serait mme ncessaire), la connaissance elle seule reste impuissante et spare de la ralit. Cette sparation ne peut tre dpasse que si la connaissance, en l'occurrence la connaissance de foi, s'largit et s'lve jusqu' cette force d'aspiration qu'est l'esprance chrtienne. Celle-ci ne consiste pas en une manire de tendre par ses propres forces vers le but suprme, mais (dans la mesure o elle est une vertu surnaturelle ) dans le fait que l'on est attir par le but lui-mme et qu'on se laisse saisir par lui. Par la main de l'esprance, nous tenons le Christ. Nous le tenons et nous sommes tenus par lui. Mais tre tenus par lui est quelque chose de plus grand que de le tenir (19). Qu'une force de ce genre se mette en oeuvre, cela n'est possible et rel que pour l'unique raison que l'Unique est dj au but, et que, de l, il nous jette comme une amarre. Bien qu'il sige la droite du Pre, il est avec chacun de nous, qui appartenons son corps. C'est lui qui d'en-haut nous donne la force de la patience qui nous invite la gloire d'en-haut (20).

    On peut se poser la question de savoir si la force de l'esprance qui provient du Ressuscit (21) peut se traduire dans la ralit du psychisme et ramener cette exprience autour de laquelle on fait aujourd'hui tant de bruit ; de savoir si l'on peut dj saisir quelque chose de la faon dont nous sommes orients vers le but ultime, et si cette saisie peut nous transformer. Car autrement, l'esprance reste bien thorique. Au niveau des principes, on ne peut pas douter qu'une telle exprience soit possible. Mais il faut garder prsent l'esprit qu'elle reste elle aussi engage dans le rythme eschatologique, c'est--dire dans le balancement entre dj et pas encore .

    Par suite, nous ne pouvons pas en disposer dans notre existence comme nous le faisons de forces et d'expriences sensibles. Nous ne pouvons la recevoir que comme un cadeau, comme la dlicate lumire spirituelle qui, de par sa finesse, traverse et parcourt toutes choses (Sagesse 7, 24). Il en est de l'exprience de la force de l'esprance comme de cette lumire intrieure qui apparat aux matres de vie spirituelle et que l'un d'eux, maitre Eckhart, dcrit

    (18) Goethe, Noten und Abhandlungen zum besseren Verstiindnis des West-istlichen Divans. (19) Paschase Radbert, De fide,,spe et caritate, 2, I. (20) Lon le Grand, Sermon 72, 3. (21) Sur le thme de l'esprance, cf. H.-U. von Balthasar, Zu einer christlichen Theologie der Hoffnung , dans Mnchner theologische Zeitschrift, 32 (1981), 81-102.

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  • Ce sur quoi tout repose Communio, no VII, 1 - janvier fvrier 1982

    ainsi Je m'aperois de quelque chose en moi, qui joue et luit devant mon me ; si ce quelque chose devenait en moi parfait et permanent, cela serait ncessairement la vie ternelle.

    Leo SCHEFFCZYK (traduit de l'allemand par E. Mathez)

    (titre original : Die Auferstehung Jesu : der Lebensgrund des Glaubens )

    Leo Scheffczyk, n en 1920 en Silsie. Depuis 1957, professeur de thologie systmatique l'Universit de Munich. Depuis 1964, a publi douze livres et dit deux recueils d'articles sur tous les domaines de la dogmatique. En franais : Cration et providence (coll. Histoire des Dogmes ), Paris, Cerf, 1970. Signalons aussi le livre sur la Rsurrection cit note 7.

    Peter SCHMIDT

    Fait historique et vrit thologique

    Comment concilier que la Rsurrection soit en mme temps un fait objectif et une ralit que seule la foi subjective permet de reconnatre ? La Rsurrection garde une priorit logique et ontologique sur la foi, et nous ne la dcouvrons que dans le tmoignage baptismal et eucharistique de l'glise apostolique o s'accomplissent les promesses de l'Alliance.

    RACONTANT comment les Athniens emmnent Paul l'Aropage, pour recevoir de ce prdicateur de divinits trangres des informations plus prcises sur cette religion nouvelle, Luc ajoute l'explication suivante : C'tait parce que Paul proclamait Jsus et la Rsurrection (Actes 17, 18).

    L'expression Jsus et la Rsurrection se prsente ici comme un rsum de toute la prdication paulinienne. A considrer ses lettres, et surtout les vangiles tels qu'ils nous ont t transmis, cette manire de proposer les choses peut sembler, premire vue, rtrcir par trop les perspectives. Les passages traitant de la Rsurrection n'occupent quantitativement que peu de place, tant dans les lettres de Paul que dans les rcits des vangiles. Beaucoup d'autres choses que Jsus et la Rsurrection sont l'objet de l'annonce, du krygme de la Bonne Nouvelle ; celle-ci prsente, en sa grande richesse, des facettes multiples, dont la Rsurrection est bien le couronnement, mais non le point de dpart ou le support..

    Et pourtant, c'est bien la vrit : la Rsurrection se trouve, du point de vue de l'histoire, la base du krygme concernant Jsus de Nazareth, reconnu dsormais comme le Christ. Bien plus : la foi mme en Jsus, Messie envoy par Dieu, repose sur le fondement de la Rsurrection. Sans doute, la foi dans le Christ n'est pas sparable de ce que les disciples ont vcu dans leurs contacts avec le Jsus terrestre ; elle en est le prolongement et la confirmation. Mais ce sont les vnements entourant la Rsurrection qui fondent, de manire dcisive, leur confession de foi : Jsus est le Christ. Ds l'origine, la proclamation des disciples s'est concentre dans la phrase-clef : Jsus, mis mort par les autorits au pouvoir, a t ressuscit et exalt par Dieu, et c'est pour ce motif que nous vous le proclamons comme tant le Christ. Pour l'glise apostolique, le rle dcisif que Jsus remplit comme Christ-Messie de Dieu, n'apparat dans toute sa clart que dans la Rsurrection. C'est prcisment cet vnement qui leur signifie que Dieu a

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  • Peter Schmidt Fait historique et vrit thologique

    ralis son plan de salut, savoir la rdemption de son peuple, par ce Jsus contest et rejet. Le Crucifi est vivant et sa vie apporte le salut au monde.

    La clbre affirmation de Paul en 1 Corinthiens 15, 14 : Si Christ n'est pas ressuscit, notre prdication est vide et vide aussi notre foi , accentue de manire insurpassable l'importance unique de la Rsurrection. Sans la foi en la Rsurrection, il n'y aurait mme pas eu d'glise du Christ, et peut-tre sans elle, n'aurions-nous jamais entendu dire qu'autrefois un certain Jsus de Nazareth avait vcu sur cette terre.

    C'est en dfinitive en raison de la signification tout actuelle que la christologie la plus ancienne prend pour nous aujourd'hui, qu'il importe d'examiner quelle ralit se cache derrire les dclarations de la primitive glise au sujet de la Rsurrection. L'glise d'aujourd'hui ne peut se contenter de proclamer : le Christ est ressuscit ; il faut encore examiner ce que cette proclamation implique. Ce n'est qu'alors que le monde d'aujourd'hui pourra entendre et saisir l'importance qu'a pour lui la proclamation chrtienne de la Rsurrection.

    Les reprsentations de la Rsurrection font question

    La prdication sur la Rsurrection est parseme de difficults et de problmes. Dj l'Aropage, Paul a pu constater, selon le rcit d'Actes 17, que parler de rsurrection, c'est parler d'une chose contre laquelle les soupons s'lvent tout spontanment. L'homme moderne, lui aussi, se pose de nombreuses questions ce sujet. Il serait naf et injuste d'affirmer que les difficults que rencontre la prdication sur la Rsurrection, telle qu'elle est prsente dans le Nouveau Testament, ne peuvent avoir pour cause que l'incroyance ou l'ignorance des sources. Le krygme primitif apporte de multiples difficults aux croyants eux-mmes. C'est l un fait que le dsir de fonder la foi sur des bases solides et la tche missionnaire qui incombe l'glise ne peuvent dissimuler. -

    Il y a tout d'abord les difficults exgtiques, propres aux sources elles-mmes. Les textes scripturaires posent bien souvent l'homme moderne de srieux points d'interrogation : quelle est, tout prendre, la porte exacte de ce qu'ils nous apprennent ? Prenons par exemple Jean 20, 26-27 : Or huit jours plus tard, les disciples taient nouveau runis dans la maison et Thomas tait avec eux. Jsus vint, toutes portes verrouilles, il se tint au milieu d'eux et leur dit : "La paix soit avec vous." Ensuite il dit Thomas : "Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon ct, cesse d'tre incrdule et deviens un homme de foi" . Quoi de plus normal que de se poser plusieurs questions propos de ce texte ? Ces faits se sont-ils produits tels qu'ils sont raconts, ou avons-nous faire ici un rdt se servant d'images et de reprsentations symboliques ? Et, si cette dernire hypothse est la bonne, quel en est alors le sens ou la porte ?

    L'exgse a pour tche de tirer ces problmes au clair. La question en effet n'est pas de faire comparatre les textes de l'vangile devant le tribunal de la pense moderne, pour n'en retenir que ce qui lui plat,- mais bien, au contraire, de retrouver dans les rcits transmis la vrit mme que l'vangile veut nous apprendre. L'tude critique de l'historicit des textes, l'examen des genres littraires, des formes de langage et de la symbolique n'ont d'autre but que de mettre en pleine lumire la vrit de la proclamation de foi. Il faut accepter le fait de l'incarnation jusque dans

    l'criture mme : la parole de Dieu nous parvient par des voies et en des formes d'expression humaines. C'est prcisment pour cela qu'il est important de se demander quel niveau de vrit les rcits vangliques se situent.

    Une fois admis le principe de l'examen critique, nous nous sentons, devant les rcits de l'vangile concernant la Rsurrection, comme pris d'hsitations fort raisonnables. Le problme apparat clairement en comparant, au niveau de l'information, les rcits de la crucifixion aux rcits de la Rsurrection. L'examen critique ne fait aucune objection de principe quant la manire dont nous sommes informs sur la crucifixion. Nous n'prouvons aucune difficult accepter l'historicit de la mort de Jsus en croix, puisqu'un tel fait s'inscrit sans peine dans le cadre empirique de l'histoire de l'humanit. Il ne s'agit pas ici d'un fait d'un autre ordre. On peut le comparer, par exemple, d'autres crucifixions, la mort de Socrate, etc. En principe, et de ce point de vue, la mort en croix de Jsus de Nazareth se situe dans la mme catgorie de factualit que tous les autres faits historiques. Que Jsus soit mort Jrusalem vers l'anne 30, alors que Ponce Pilate est procurateur de Jude, ne pose l'historien aucun problme de principe. Si la source d'information est exacte, le fait peut tre considr comme historique.

    La difficult surgit l'tape suivante. La mort empirique de Jsus n'est pas en ralit ce qu'il y a de plus important dans l'information que nous apporte le Nouveau Testament. Ce qui compte vraiment, c'est le krygme qui a cette mort pour objet : Il est mort pour nos pchs A. Cette affirmation nous transporte soudainement dans une autre catgorie de langage. Le krygme de la croix de Jsus n'appartient plus alors comme tel au domaine que l'historien peut contrler. Mais cela n'entrane en aucune manire que le krygme soit moins vrai que le fait empirique. Nous nous trouvons donc dans la situation paradoxale suivante : ce qui, relativement la mort de Jsus en croix, est le plus vrai (ce qui constitue en fait la seule raison pour laquelle nous en parlons encore), tombe comme tel en dehors du cadre des connaissances scientifiques de l'histoire. Ce n'est pas le fait empirique brut qui exprime la vrit totale, mais bien l'explication que le krygme en donne.

    L'affirmation : Il est mort pour nos pchs , est le rsultat de la foi en la Rsurrection. Mais, en portant notre attention sur celle-ci, nous constatons que le problme devient encore bien plus complexe que lorsqu'il ne s'agit que de la mort en croix. Car pour celle-ci, il est encore possible de distinguer entre information concernant ce qui s'est pass historiquement, faits empiriquement constatables, d'une part et signification de ces mmes faits dans le cadre de la prdication, d'autre part ; tandis que la Rsurrection ne permet pas de faire cette distinction. Les vnements que l'vangile nous relate concernant la Rsurrection, ne se laissent plus inscrire dans le cadre de nos constatations empiriques et de notre comprhension de l'histoire. Ils sont si uniques et au sens littral du terme si incomparables qu'ils tombent hors de tout cadre de rfrence. (En voulant comparer la Rsurrection comme fait avec d'autres faits rels ou possibles, on ne saisit prcisment rien de l'intention propre l'annonce de l'vangile et de la prdication de l'glise.) Nous sommes donc amens penser que la seule chose qui ressortit vraiment au domaine de la critique historique, est la suivante : la prsence de la prdication concernant la Rsurrection dans le krygme de l'glise primitive. Au sujet des faits , il faut se demander s'ils ne sont pas en tant que non-historiques, transhistoriques ou mtahistoriques hors de notre porte (et donc par l aussi, comme faits, tout simplement ngligeables).

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  • Peter Schmidt Fait historique et vrit thologique

    prsent l'esprit le rapport qu'ont ncessairement entre eux l'vnement et son interprtation, les faits et leur signification (2).

    En ressuscitant, Jsus rtablit le contact avec ses disciples

    Nous lisons en Actes 1, 3 : Aprs sa mort, il leur a montr qu'il tait vivant . Cette phrase, rsumant globalement les rcits d'apparition, nous fournit un bon point de dpart. Les rcits vangliques traitant des vnements de Pques sont assurment des

    rcits relatifs une communication entre Jsus et ses disciples. Ce point nous parat fort important pour l'interprtation de la Rsurrection. On n'a en effet plus proprement parler de contact avec un mort. Tout rapport de personne personne se trouve dsormais exclu. Le fait que toute communication soit impossible est inclus dans l'ide mme de mort. Le dfunt peut continuer vivre dans le souvenir ; sa parole peut encore tre source d'inspiration et d'action ; sa doctrine peut encore tre approfondie. Mais le mort est incapable de prendre lui-mme quelque initiative que ce soit. La parole du dfunt devient la proprit de ceux qui en gardent le souvenir. Elle est confie la bonne volont, l'honntet, la comprhension de ceux qui la transmettent et l'tudient. Le mort n'est plus qu'objet de souvenir. Il en est de mme avec Jsus dfunt. Son annonce du Royaume de Dieu est

    comme emprisonne en sa mort. Dans le rcit d'Emmas (Luc 24), les disciples parlent de lui comme d'une exprience merveilleuse, mais celle-d appartient dsormais au pass et ne laisse finalement qu'une dsillusion amre. L'exprience pascale se rapporte essentiellement une reprise par Jsus de

    l'initiative et de la communication. Ce mme Jsus qu'ils ont connu et enterr ! Dans leur style raliste et quelque peu naf, les rcits se rapportant au message pascal veulent en tout cas faire comprendre que ce n'est pas le souvenir qui voque la prsence de Jsus, mais que c'est Jsus lui-mme qui s'affirme, qui entre en communication avec les disciples, qui revendique la matrise de la parole qu'il a proclame, et qui envoie ses disciples dans le monde. Il est en fin de compte le Seigneur, matre de la mort ; car, depuis la Rsurrection, il nous est possible d'interprter le phnomne de la mort partir du Christ vivant. La mort met fin toutes relations, mais Jsus rencontre les aptres ; il s'est libr du carcan que la mort lui imposait : il a la libert d'entrer en communication avec qui et l o il veut. Les rcits vangliques prsentent la ralit pascale comme le rtablissement de la relation unissant Jsus et ses disciples, mais c'est l'intrieur d'une libert jusque-l inconnue. Ce dernier point est d'une importance primordiale. Il constitue en fait une base

    solide pour l'ecclsiologie : la Rsurrection signifie que Jsus est prsent auprs de ses disciples et chaque homme est en puissance l'un d'entre eux , mais en chappant dsormais toute limitation de temps et d'espace. Par sa Rsurrection, Jsus peut tre l'universellement prsent, travers toute l'histoire, dans l'univers

    Aprs ce que nous venons de dire, le lecteur ne s'tonnera pas d'apprendre que la rflexion thologique (il ne s'agit plus ici de pure exgse) s'est occupe intensment en notre sicle de la question de savoir si, dans l'annonce de la Rsurrection, on entend parler de faits historiques dont le krygme vient prciser le sens (et la Rsurrection doit alors, elle aussi, tre conue comme historique) ; ou bien si la Rsurrection ne concide pas avec le krygme (autrement dit, en ce cas la Rsurrection du Christ est le krygme des aptres sur le sens de sa vie et de sa mort). Deux interprtations galement clbres et radicalement opposes, l'une de Rudolf Bultmann et l'autre de Wolfhart Pannenberg, viennent ici clairer fort propos nos investigations. Pour Bultmann, la ralit de la Rsurrection n'est nulle part ailleurs que dans le krygme lui-mme. L'approche historique, dit-il, doit dclarer forfait quant aux vnements qui sont la base du message pascal. Bien plus : vouloir fonder la foi en Jsus sur une factualit historiquement constatable serait aller l'encontre de l'essence mme de la foi. La Rsurrection est pure interprtation : elle exprime le sens donn la croix. Karl Barth a rsum la position de Bultmann dans la formule bien connue : Le Christ est ressuscit dans le krygme. Par contre, pour Pannenberg, la Rsurrection est vritablement un vnement (historique). Elle doit tre dite historique (bien que d'une historicit d'un genre tout particulier) et c'est sur cet vnement que reposent la conviction, la foi et le krygme des disciples (1).

    Une telle controverse a fait surgir au sujet de la foi un nombre considrable de questions, toujours actuelles. Quelle conception avons-nous de l'histoire ? Comment concevons-nous le rapport entre les choses de la foi et les choses de la nature ? Nous faisons-nous de la foi une ide objective ou (et) existent-elles ? On remarquera aussi que non seulement l'exgse peut influencer la manire de concevoir la foi chrtienne, mais encore que les conceptions sur Dieu et l'homme, la connaissance et la foi, influencent rciproquement l'interprtation exgtique. Ainsi, par exemple, les informations concernant le tombeau vide ne sont aux yeux de Bultmann qu'une lgende (puisque les faits historiques c objectifs sont pour lui totalement ngligeables sur le plan de la foi), tandis que Pannenberg interprte le tombeau vide comme un indice empirique conduisant la reconnaissance de l'vnement pascal. Encore une fois, on ne peut se soustraire la question : l'criture veut-elle nous donner des informations sur quelque fait, ou pouvons-nous nous contenter d'admettre que nous nous trouvons devant l'expos d'une interprtation mettre au compte de la foi de l'glise primitive ?

    Nous nous proposons; dans l