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Comment parler de désir dans la Création ?

Mar 12, 2023

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Page 1: Comment parler de désir dans la Création ?

Publié le: 2011-03-13

COMMENT PARLER DE DESIR DANS LA CREATION ?

Auteur : Fabien Revol

ScienceLib-Intersection, Editions Mersenne : Volume 2 - 2012 - PP 30 - 48ISSN 2114-8139

www.sciencelib-Intersection.fr

Sciences Philosophies Religions

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Page 2: Comment parler de désir dans la Création ?

COMMENT PARLER DE DESIR DANS LA CREATION ?

Thinking on desire in creation

Fabien Revol

Maître Assistant

Centre Interdisciplinaire d'Ethique

Université Catholique de Lyon

25 rue du Plat

69288 LYON CEDEX 02,

[email protected]

www.cie-lyon.fr

COMMENT PARLER DE DESIR DANS LA CREATION ?

Thinking on desire in creation

RESUME

Est-il correct de vouloir parler de désir de la création comme on prête des désirs à un sujet

humain ? Ce thème issu de l’épître aux Romains (8,19) semble suggérer cette interprétation

dans le contexte particulier de la crise écologique. Cependant une étude exégétique

attentive montre que telle n’est pas l’intention de Paul dont l’objectif est d’aviver la foi des

chrétiens de Rome en la résurrection. Comment est-il alors envisageable d’un point de vue

théologique de parler du désir de la création ? Comment éviter le piège anthropomorphique

de l’attribution d’une subjectivité propre à la création porteuse de ce désir ? Pierre Teilhard

de Chardin envisageait que l’histoire de l’univers tendait vers la réalisation de cette

subjectivité par l’avènement de la conscience généralisée, ou noosphère, médiatisée par

l’être humain. Le dialogue entre science et religion par la médiation de la philosophie de la

nature donnera des éléments d’intelligibilité d’un désir objectif et immanent présent dans la

création. Ce désir se caractérise par la contingence de sa réalisation vers une fin

indéterminée et selon une progression probabiliste. Il se manifeste dans la nature par une

profusion de modalités : dans le vivant, selon une herméneutique de la théorie de

l’évolution de Charles Darwin ; et dans l’univers, selon une herméneutique du modèle

Fabien Revol

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standard de la nouvelle cosmologie depuis Georges Lemaître. Cette approche permettra

d’envisager les attentes eschatologiques de la création, la sortie d’un sens indéterminé

naturellement, en vue de sa glorification en Dieu.

ABSTRACT

Is it correct to speak of the desire of creation as the desires felt by human subjects? This

theme derived from the Epistle to the Romans (8,19) seems to suggest this interpretation in

the specific context of the ecological crisis. However a careful exegetical study shows that

this is not Paul’s intention, who aims to heighten the faith of the Christians of Rome in the

resurrection. How is it then possible to envisage from a theological point of view to speak

of the desire of creation? How is it possible to avoid the trap of an anthropomorphic

attribution of subjectivity to creation bearer of this desire? Pierre Teilhard de Chardin

envisioned that the history of the universe tends towards the achievement of this

subjectivity by the advent of the widespread consciousness, or noosphere, mediated by the

human being. The dialogue between science and religion through the mediation of the

philosophy of nature will give elements of understanding of an immanent desire and

purpose within creation. This desire is characterized by the contingency of its realization

toward an end using a probabilistic progression. It occurs in nature in a profusion of terms:

in the living, according to a hermeneutic of the theory of evolution of Charles Darwin; and

in the universe, according to a hermeneutics of the standard model of cosmology of

Georges Lemaitre. This approach will consider the eschatological expectations of creation,

the exit of a naturally indeterminate sense, for its glorification in God.

MOTS CLES

Désir, création, finalité, forme, probabilité

KEY WORDS

Desire, création finality, form probability

Fabien Revol

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INTRODUCTION

« Le désir ardent de la création ». Ce thème issu de l’épître aux Romains (8,19) sonne

particulièrement à nos oreilles contemporaines. Replacé dans son contexte, celui de

l’attente du Salut et de la libération, il évoque une situation dans laquelle, la création

semble soumise à une persécution écologique par son gardien humain. Il existe un

consensus mondial pour reconnaître que l’homme est le responsable d’une crise écologique

à l’échelle de la planète. Dans cette perspective écologique, le désir ardent de la création

semble être un rétablissement de bonnes relations avec l’être humain en son sein, et

l’attente de la glorification des temps derniers. Cette interprétation met alors en valeur un

péché de l’homme contre la création, un péché écologique reconnu récemment par le Pape

Jean Paul II1. Il me semble que cette approche constitue une interprétation écologique

légitime qui peut faire jaillir un sens jusqu’ici caché, ou du moins peu envisagé dans

l’histoire de la théologie.

Les conclusions de ce petit développement introductif paraîtront un peu hâtives

spécialement dans le cadre de l’exercice qui est ici demandé. Elles ne rendent pas justice

aux travaux exégétiques réalisés sur Rm 8,18-25. La critique principale que j’ai envie

d’apporter à cette vision écologique des choses serait la suivante : il existe une tendance à

vouloir associer un peu vite la création avec la Planète Terre, alors que l’univers entier

appartient à la création. Or l’action de l’être humain, sur le plan environnemental, n’a pour

l’instant d’effet destructeur qu’à la surface de la Terre. Le reste de l’Univers n’a cure de ce

petit coin de matière solide perdu dans un système solaire quelconque, à la périphérie

d’une galaxie banale, elle-même indiscernable dans un cluster de galaxies qui s’éloigne de

plus en plus rapidement de milliards d’autres clusters composés eux-mêmes de milliards de

galaxies. Le désir ardent de la création n’est-il alors que le rétablissement de relations

écologiques harmonieuses et la libération de la tyrannie dont souffre une si infime et

négligeable partie de l’univers ? Je m’intéresserai ici à savoir comment on peut parler de

désir ardent de la création dans le contexte de cette cosmologie contemporaine. Qui dit

désir, implique a priori, une subjectivité qui éprouve ce désir. La question sous-jacente est

donc la possibilité d’attribuer une subjectivité à la création.

1 JEAN PAUL II, « Homélie prononcée au sanctuaire marial de Zamosc, Pologne, le 12 juin 1999 », in Le

gémissement de la création, vingt textes sur l’écologie choisi et présentés par Jean Bastaire, Paris, Parole et Silence, 2006, p. 112.

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Dans cet essai, je soutiendrai la thèse qu’il est possible de parler de subjectivité

médiate de la création dont l’être humain est l’articulation. Puis je montrerai qu’il existe un

désir dans la création, désir à dissocier d’une subjectivité mais à considérer comme

condition générale de la création en cheminement vers sa fin. Mon point de départ sera une

brève étude exégétique du texte de Rm 8, 18-22. Elle mettra en avant qu’on ne peut pas

vraiment déduire de ce texte que la création a une subjectivité qui peut générer des désirs.

Dans un deuxième temps, je m’attacherai à montrer qu’on ne peut pas parler d’une

subjectivité pour la création comme sujet hypostasié en rentrant en dialogue avec la pensée

de Pierre Teilhard de Chardin. Dans une troisième partie, je m’attacherai à montrer qu’il

est possible de parler d’un désir immanent qui appartient à la condition de créature et qui

transcende toute la création à partir de la notion de cause finale chez Aristote. En termes

contemporains, pour une théologie en dialogue avec les sciences de la nature, nous

pourrons alors parler de désirs dans la création grâce aux « propensions de l’univers »

selon l’expression d’Arthur Peacocke.

I. RM 8, 18-22.

Posons-nous la question de savoir si le texte de Paul nous présente une création

subjective éprouvant un désir.

1. L’expression « le désir ardent de la création »

Dans l’épître aux Romains, Jean-Pierre Lémonon pense que deux convictions

commandent la réflexion de Paul : le salut est pour tous les hommes, ce qui fait que

l’Église est fondée sur la grâce de Dieu en Jésus-Christ et sur la foi de la communauté2. La

lettre est organisée en trois parties : la première présente le thème de la justification par la

foi et non par la Loi : (1,18-4,25). Une deuxième partie qui est divisée en deux : la vie de la

communauté (5,1-8,39) et la portée bénéfique, pour les chrétiens de la gentilité, du refus du

salut par les juifs malgré leur élection toujours actuelle (9,1-11,36). La troisième partie

2 Jean-Pierre LEMONON, Les Épîtres de Paul II, Romains Galates (Coll. Commentaires), Paris, Outremont, Bayard Éditons, Centurion, Novalis, 1996, p.12.

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traite des problèmes propres à la communauté de Rome, ses membres étant invités à

trouver les principes de leur vie chrétienne dans les deux premières parties de l’épître3.

Ce contexte général de notre passage met en avant une chose : le but de Paul n’est pas

premièrement de parler de la création comme un en soi. Il asservit ce thème à un objectif

qui est de parler de la justification à une communauté chrétienne qui s’interroge sur le lien

entre la Loi et le Salut. Comment s’y emploie-t-il ?

Dans le dictionnaire de Bailly4 le mot grec « ktisij » que l’on traduit en général par

création prend autant le sens de création ou de créature.

Dans l’ensemble de son corpus, Paul emploie en fait le mot ktisij selon les trois sens

d’acte de créer, de totalité du créé et de créature. On trouve le mot douze fois dans les

épîtres (sept fois en Romains, puis en 2 Cor, 5,17, Ga 6,15, Col 1,1 et Col 1,2).

En Rm 8,19, on trouve la même traduction dans les cinq versions bibliques

envisagées5 : celle de la nature non humaine. En Rm 8,20 on retrouve ce même sens

partout, de même en 8,21 et en 8, 22. Dans l’esprit de Paul il y a peu de doutes pour

affirmer qu’il veut signifier la création dans sa portée cosmique, et non le thème de la ou

des créatures ni celui du processus de création. Nous parlerons donc de la création dans ce

sens dans la suite de cet essai.

« L’ardent désir » traduit le mot grec « apokaradokia ». Dans le Bailly, le sens donné

est « attente impatiente6 ». On ne trouve qu’une seule autre occurrence de ce mot chez Paul

(Phi 1,20). Ces deux occurrences sont d’ailleurs les deux seules du Nouveau Testament.

En Rm 8,19 on trouve différentes traductions dans les cinq versions bibliques

envisagées (désir, attente impatience), alors qu’en Phi 1,20 on trouve dans toutes les

versions françaises le mot « attente ». Notons donc qu’en Rm 8,19, il n’y a pas d’unanimité

de traduction pour en conclure que l’intension de Paul n’est pas de nous montrer que la

création a des désirs, au sens anthropologique du terme. Il nous montre que la création est

dans une situation d’attente. Il me semble que la traduction du Bailly d’« attente

impatiente » ferait plutôt consensus. 3 Ibid., p. 12-13. 4 BAILLY Anatole, « Ktisij », Dictionnaire Grec-Français, le Grand Bailly, Paris, Hachette, Ed. rev. 2000, p. 1144. 5 Nova Vulgata, Bible de Jérusalem, Traduction Œcuménique de la Bible, la Bible de Louis Segond, et la

Bible du Chanoine Crampon. Le choix fut dicté par l’usage du logiciel « Ictus » qui propose ces versions avec possibilité des les étudier en parallèle sur l’écran de mon ordinateur. 6 BAILLY Anatole, « Apokaradokia », Dictionnaire Grec-Français, le Grand Bailly, op. cit., p. 226.

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2. Le message de Paul sur la création

D’après Simon Légasse ce texte de Paul est en premier lieu adressé aux croyants, ce

qui revient dans la suite de ce passage en 23-25. La création n’est donc pas envisagée pour

elle-même mais dans son utilité pour faire passer un message aux chrétiens de Rome. Le

désir de la création de voir la libération des enfants de Dieu ne peut être ici compris que

comme une métaphore qui devient réalité parmi les êtres humains7. Paul effectue pourtant

un travail de personnification de la création. C’est un procédé littéraire courant dans la

Bible que de prêter des sentiments aux animaux et d’inviter les éléments de la nature à la

louange : les cieux, les montagnes, les collines8. Ici, Paul transpose les attentes des

chrétiens sur la création. Cette dernière aspire à une révélation qui fait écho au v17 où il est

question d’une révélation faite aux chrétiens. Cette révélation attendue par la création

concerne les Fils de Dieu c'est-à-dire, les régénérés par la Résurrection9.

Il existe cependant un lien entre création et humanité. Lémonon est partisan de l’idée

que la soumission de la création à la corruption fasse référence au Péché Originel, car selon

lui « l’homme ne peut pas être compris en dehors de rapports à l’ensemble du créé10. ».

Légasse écrit quant à lui qu’il n’y a aucune relation littéraire entre les textes de Rm 8,18-22

et Gn 3,17-19. L’homme ne serait donc ni acteur ni responsable de la soumission au non-

sens du fait de son péché, mais la responsabilité en revient à Dieu lui-même. Cela peut se

montrer par l’emploie du passif divin (8,20) pour éviter de devoir nommer Dieu à cet

endroit11. De plus, Légasse rapproche le terme de « mataiothj » de son emploi scripturaire

en Ep 4,17 et 2P 2,18 qui désigne plutôt des choses sans but, dépourvues de sens. Cette

conjecture semble paulinienne car Légasse avance que, pour Paul, Dieu fixe l’ordre et le

désordre présent dans la création : « la création non-humaine n’a fait que subir que ce qui

lui a été imposé12. »

Pour interpréter cette opinion de Légasse, je conjecture qu’il se situe dans une

cosmologie de type scientifique. Les sciences modernes proposent une interprétation de

7 LEGASSE Simon, L’épître de Paul aux Romains (Coll. Lectio divina), Paris, Cerf, 2002, p. 517. 8 Ibid., p. 518. 9 Ibid., p. 519. 10 LEMONON, op. cit., p. 93. 11 LÉGASSE, op. cit., p. 520. 12 Ibid..

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l’univers dans laquelle les événements naturels sont dépourvus de sens pour eux-mêmes,

car soumis au hasard. D’après Rm 8,20, et selon cette interprétation, Dieu soumet la

création à une évolution non dirigée, car telle est la façon dont il l’a crée. Dans cette

optique, on peut alors mieux comprendre que l’attente impatiente de la création est de

trouver du sens et un accomplissement dans le projet de Dieu. Cela lui sera donné dans une

perspective eschatologique13.

Chez Paul, il semble que l’espérance ait un sens subjectif et un autre objectif, en

fonction du contexte. D’après Légasse, on se situe ici dans la deuxième option : il ne s’agit

pas d’abord d’un sentiment ou d’une attitude, mais d’une situation objective à venir : « la

restauration vers laquelle le même univers est supposé tendre14. »

Je pense qu’il est possible de conclure que, dans l’esprit de Paul, la création n’a pas

spécialement de désir. Mais, avec Légasse, on peut dire qu’elle a été voulue dans un état

d’attente intrinsèque d’un accomplissement qui la libère de l’état de non sens, ainsi qu’une

participation à la glorification promise par Dieu à ses enfants. Paul projette les désirs de la

communauté, sur la création. Par analogie, cela lui fait éprouver des désirs ou la met dans

une attente impatiente, pour signifier que la création se fait solidaire de celle de la

communauté. On ne peut donc pas en conclure que Paul prête une subjectivité à la création

qui serait le support de cette attente impatiente.

Cependant, des courants théologiques au 20ème siècle se sont fait les portes parole d’une

certaine forme de subjectivité propre à la création. Je propose donc maintenant d’envisager

celui de Pierre Teilhard de Chardin qui me semble significatif15.

13 Ibid.. 14 Ibid., p. 521. 15 Un autre courant est celui de la théologie du process, très fort en Amérique du Nord dans le contexte du dialogue science et religion. Mais il ne sera pas envisagé ici, voir WHITEHEAD Alfred North, Procès et

réalité : essai de cosmologie, trad. de l’anglais par Daniel Charles et al., Paris, Gallimard, 1995.

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II. LA CONSCIENCE DE L’UNIVERS CHEZ PIERRE TEILHARD DE CHARDIN

1. La complexité, signe de la conscience en devenir

Pierre Teilhard de Chardin, jésuite et paléontologue, a développé une vision propre à

caractère théologique et surtout spirituel de la cosmologie. Son approche est nourrie par sa

méditation sur le monde interprété par les sciences de la nature. Teilhard nous intéresse

dans le cadre de cette étude car il accorde à la création une forme de subjectivité toujours

en devenir et en cours de réalisation. Dans cette vision, l’univers est en marche vers

l’édification et la croissance de l’esprit. L’homme se trouve être sur l’axe principale de ce

développement. L’univers a donc un sens, celui de la spiritualisation, de l’émergence de

l’esprit16. L’esprit est pour Teilhard une grandeur physique toujours croissante. Ce qui

implique pour lui qu’il ne peut y avoir de phénomène de régression dans l’univers17.

Cependant ce travail ne concerne pas que l’être humain, il arrive même vers la fin de la

chaîne.

Cette conscientisation progressive de l’univers passe par des processus physiques

élémentaires concernant la nature de l’énergie. Teilhard est amené à distinguer deux

formes complémentaires d’énergie dans l’univers : une « énergie tangentielle qui rend

l’élément solidaire de tous les éléments de même ordre et complexité et de même

« centréité » que lui dans l’univers ; et une énergie radiale, qui l’attire dans la direction

d’un état toujours plus complexe et centré vers l’avant18. » L’énergie tangentielle pour

Teilhard n’est autre que l’énergie mesurable par la physique. L’énergie radiale semble lui

échapper, mais c’est elle qui travaille en faveur de la conscientisation19. Le propre de cette

énergie radiale s’exprime dans la tendance à la complexité20.

L’histoire de la vie sur la terre est donc l’histoire de la complexification de la matière

sous l’effet de cette énergie radiale. Cette complexification se manifeste dans l’ordre du

vivant au cours de l’évolution, jusqu’à donner des animaux chez qui des formes de

consciences plus ou moins importantes peuvent émerger, comme chez les Vertébrés et

16 TEILHARD DE CHARDIN Pierre, Comment je crois, (coll. Points sagesses n° 140), Paris, Éd. du Seuil, [1969] 19982, p. 127. 17 Ibid., p. 129, 132. 18 Pierre TEILHARD DE CHARDIN, Le phénomène humain, Paris, Seuil, 1955, p. 62. 19 Ibid.. 20 Ibid., p. 63.

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surtout chez les Mammifères. L’histoire de la complexité est donc celle de la matière qui

cherche à atteindre la conscience d’elle-même et c’est ce à quoi elle arrive avec l’être

humain.

D’après Teilhard, l’évolution de l’homme ne peut se comprendre qu’en son sens

générique, l’apparition de la conscience individuelle n’est qu’une ébauche d’un

phénomène beaucoup plus important qui est celui de la conscience collective21, la

« noosphère », selon son vocabulaire22. L’aboutissement de ce processus lié à l’énergie

radiale, appelé la « noogenèse23 », s’accomplira dans un unique point de focalisation et de

conscientisation : « un foyer ultime de personnalité » que Teilhard appelle le « Point

Omega24 ». Ce dernier est le point de récapitulation de toute la création en Christ

ressuscité, selon l’esprit de Col 1, 1725. Cet état final n’est pas statique, Teilhard conçoit le

Christ Omega comme un attracteur du monde26. Les phénomènes de complexification et de

conscientisation obéissent en fait à une attraction de l’état final de la création réalisé en

Christ.

Ce résumé de la pensée de Teilhard sur la question de la conscientisation nous amène à

conclure que la conscience de l’univers se trouve sous forme d’ébauches et de tension dans

toute forme de complexité naturelle : de la macromolécule à l’organisme, et aujourd’hui on

pourrait élargir à l’écosystème, voire à la biosphère. Mais elle se trouve à un état bien plus

avancé et concentré en l’être humain. Cette conscience apparaît de manière dispersée dans

les individualités et elle est appelée à se concentrer encore plus, à s’unifier dans la

noosphère, afin de faire parvenir l’univers à sa maturité psychique ! Avec l’édification de

la noosphère, l’univers arrive à l’état de conscience de lui-même. Et dans cette perspective,

21 TEILHARD, Comment je crois, op. cit., p. 166. 22 « Noosphère: Couche réfléchie (humaine) de la terre, constituant un règne nouveau, un tout spécifique et organique, en voie d’unanimisation, et distinct de la biosphère (couche vivante non réfléchie), bien que nourrie et supportée par celle-ci. A la fois réalité déjà donnée, et valeur à réaliser librement. » Claude CUENOT, Lexique Teilhard de Chardin, Paris, Seuil, 1963, p. 63. 23 « Noogenèse : Mouvement de l’univers qui consiste en une concentration graduelle de ses éléments physico-chimiques en noyaux de plus en plus compliqués (sic), chaque degré ultérieur de concentration et de différentiation matérielles s’accompagnant d’une forme plus avancée de spontanéité et de psychisme. » Ibid.. 24 « Oméga : 1 centre défini par la concentration ultime sur elle-même de la noosphère. Point naturel de convergence de l’humanité et par là-même du cosmos tout entier. Terme de la maturation sociale et spirituelle de la terre. Sujet total transhumain dont la réalisation se poursuit à travers les vicissitudes de la terre. 2 Dieu, fin et consommation de l’univers, et plus spécialement le Christ ressuscité, qui se révélera à la parousie comme le sommet des âmes arc-boutées dans la communion finale. » Ibid., p. 63-64. 25 TEILHARD, Comment je crois, op. cit., p. 168. 26 Ibid., p. 171.

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on peut conclure que si la création a une subjectivité, elle est en construction, en devenir, et

ne sera accomplie qu’à la parousie, moment de l’accomplissement de la noosphère.

2. Critique : vers une conscience médiatisée de la création

Cette approche convergente entre évolution de l’univers et avènement du Royaume de

Dieu me semble pourtant faire preuve d’un concordisme assez dangereux. Cette évolution

dirigée en continue vers la complexité et vers la glorification me semble contredite en

plusieurs points dans les évangiles, spécialement par Jésus lui-même, en Mt 24,36. 44. 50 ;

25,13 … et par Paul en 1The 5,2…lorsqu’ils nous invitent à être des veilleurs du moment

de la venue du Christ qui se fera, par exemple, comme un voleur visite une maison. Nous

ne savons ni le jour ni l’heure. C’est pourquoi, je pense que cette approche qui met en

avant une subjectivité de la création en construction dans le cadre de ce système

teilhardien, ne peut être retenue : on ne peut assimiler le point final de la noosphère selon

un développement naturel avec l’accomplissement de la construction du Corps du Christ.

Sans forcément envisager l’accomplissement d’une noosphère, considérons que l’être

humain soit bien le seul être doué de conscience réfléchie. Cela le constitue de fait comme

conscience de l’univers. Dans la perspective de Rm 8, 18-22, cette idée prend une tournure

nouvelle. L’ardent désir de la création, ne peut être exprimé que dans la conscience de

l’être humain. C’est en quelque sorte ce que nous avons vu avec Lémonon et Légasse,

quand ils disent qu’il y a un transfert des désirs des chrétiens sur la création. Mais nous

pouvons aller plus loin : il y a un transfert de l’attente objective de libération et de

glorification de la création dans la conscience de l’être humain. Non seulement, l’homme

doit porter en lui le désir et le souci de son propre salut, celui de ses semblables, mais aussi

celui de la création toute entière. Cela veut peut-être dire que l’on pourrait parler d’une

subjectivité de l’univers mais qui serait médiatisée par celle de l’être humain, à travers sa

propre conscience. Cette subjectivité et cette conscience universelle, ne se définissent pas

en tant que telles mais en tant que l’être humain, comme sujet et comme communauté,

prend conscience de l’univers. De ce point de vue, on peut alors conclure que l’attente

objective de libération et de glorification présente dans la création se transforme en désir

dans la conscience humaine.

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Teilhard, nous l’avons vu, attribue au Christ ressuscité une fonction d’attracteur

universel, un « évoluteur27 » de l’univers. Ce thème n’est pas sans lien avec le thème

traditionnel de la cause finale en philosophie et en théologie : la fin d’une créature

conditionne son état définitif vers lequel elle tend tout au long de son existence. Cette

attraction de la cause finale pourrait bien être à l’origine d’une forme de désir généralisé à

toutes les créatures d’accomplir sa fin, un désir qui serait donc immanent dans toute la

création.

III. LA CAUSE FINALE OBJET DE DESIR DANS LA CREATION.

1. La matière et l’appétit de la forme chez Aristote

Une approche contemporaine du concept de nature semble montrer qu’une forme de

finalité biologique existe dans le vivant. Malgré l’impact des travaux de Darwin qui en

1859 ont exclu toute idée de finalité des mécanismes naturels, les sciences contemporaines

mettent en évidence qu’il existe un dynamisme interne à la nature qui lui fait produire de la

nouveauté. Cette nouveauté est contingente car dépendante de l’interaction entre les lois

naturelles et le hasard des rencontres des séries causales. Cette contingence fait entrer les

processus naturels dans le temps. Dans cette optique Emmanuel Gabellieri28 explique que

le concept de nature passe d’une connotation essentialiste fixiste, à une connotation

dynamique dans laquelle se structurent des processus, selon la philosophie du Process de

Whitehead et la philosophie de l’élan vital de Bergson. Le concept de nature qui se dégage

de cette approche revient à celui de la fusij d’Aristote dans laquelle se conjuguent

mouvement et repos, c'est-à-dire une nature qui a en elle son principe de développement

vers sa perfection. Ce concept de nature revisité par une interprétation philosophique

contemporaine des sciences de la nature permet de reposer la question de la finalité en

philosophie de la nature.

27 Ibid., p. 163-176. 28 GABELLIERI Emmanuel, « Nature et création : Opposition ou nouvelle alliance ? », in Nature et création

entre science et théologie (J.M.EXBRAYAT/E.GABELLIERI dir.), Paris, Librairie Philosophique J.Vrin-IIEE, 2006, p 189-230.

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Sur le plan métaphysique, il est possible d’envisager que cette finalité obéisse à une

cause finale, concept qui nécessite ici un remaniement. Je le ferai à la suite de Bertrand

Souchard dans sa thèse de philosophie : Aristote, de la Physique à la métaphysique29.

D’après Souchard, il existe une finalité - qu’il qualifie de relative - dans la nature. Elle

n’est pas perceptible directement et demande une prise de distance.

Le cheminement vers la fin est le passage pour chaque créature, de la puissance à

l’acte :

Le dedans de l’acte est l’immanence de la fin : « la nature est un principe résidant dans la chose même ». Par la puissance et l’acte, du mouvement et du vivant, c’est l’actualisation progressive et immanente des êtres qu’Aristote constate. Cette finalité interne fait que la matière est appétit de la forme, tendance à l’actualité30.

Il me semble que dans cette expression : « la matière est appétit de la forme », on a le

résumé essentiel de ce qu’est la finalité chez Aristote. La matière est appétit de la forme,

mais on ne peut pas forcément dire laquelle a priori. Seule l’histoire contingente de la

matière et de la vie peut le dire. Le caractère relatif de la finalité correspond en effet à

l’intégration de la notion de hasard comme appartenant en propre au mode de

fonctionnement des phénomènes naturels. Il est dans ce cas possible de sortir le concept de

finalité de son carcan déterministe. On peut alors comprendre que, dans la nature, la

finalité soit a priori ouverte sur une pluralité de chemins évolutifs possibles.

Or pour Aristote, Dieu est l’acte pur dans la Métaphysique et il attire à lui tous les êtres

qui sont dans l’actuation. Dieu, comme acte pur, est aussi cause finale. Et Dieu comme

cause finale agirait sur la nature selon une attraction dont le propre serait de faire passer de

la puissance à l’acte, selon le mode du désir. Souchard montre dans un autre ouvrage

comment Thomas d’Aquin assimile cette conception de Dieu comme cause finale de la

création31.

On peut donc dire à ce stade de l’étude qu’il y a « du » désir dans la création. Ce point

rejoint la proposition de Légasse dans son commentaire de Rm 8 18-25. Légasse identifiait

lui aussi cette attente impatiente de la création comme un état objectif, expectatif de la

réalisation de sens et d’accomplissement en Dieu. L’approche de Souchard vient compléter

29 Bertrand SOUCHARD, Aristote, de la physique à la métaphysique, Réceptivité et causalité (coll. Écritures), Éditions Universitaires de Dijon, 2003. 30 Ibid., p. 254. 31 SOUCHARD Bertrand, La création du monde matériel avec S. Thomas d’Aquin (Somme de Théologie), mémoire de maîtrise de théologie, sous la direction de Didier Gonneaud, Lyon, UCLy, 2003., p. 77-78.

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ce point de vue car il permet de dire que tout n’est pas perdu dans l’évolution de la

création, qu’elle n’est pas totalement soumise au pouvoir du non sens. Car même s’il y a

une indétermination intrinsèque aux phénomènes naturels, le désir lié à la cause finale est

efficace, c'est-à-dire qu’il sort la création de la passivité, pour la faire entrer dans une

dynamique évolutive, lui donnant ainsi une finalité : la quête de la forme.

2. Les propensions de l’univers : des désirs par analogie.

Je pense que les effets de la cause finale, qui se manifeste sous la forme d’un désir

immanent et objectif dans la création, sont perceptibles dans l’évolution du vivant, mais

aussi de l’univers tel que les sciences nous le décrivent. La cause finale montre ses effets

dans ce qu’Arthur Peacocke appelle les « propensions de l’univers32 ». La définition de ce

concept de propension se base sur une réflexion sur la dialectique hasard et nécessité que

j’emprunterai à Bernard Lonergan dans Insight33.

Comme Bertrand Souchard, je pense que déterminisme et incertitude sont les deux

facettes d’une même réalité primordiale de cet univers invisible qui donne forme au réel

observable. L’indéterminisme de certains phénomènes rend difficile leur assimilation dans

la conception classique des choses. Les statistiques permettent cependant d’en rendre

compte. Lonergan développe la notion de probabilités émergentes définies pour l’étude de

ce phénomène d’ensemble qui assimile en lui la notion d’ordre et de désordre. En se

focalisant sur les probabilités de schémas de récurrence, l’ordre et le désordre entrent dans

une synergie qui fait sens en formant notre univers visible et mesurable. Lonergan parle

d’intelligibilité de l’univers, d’ordre de l’univers, il parle même de design. Ce dernier n’est

donc pas calqué sur un ordre purement rationaliste et déterministe, mais sur un ordre

probabiliste.

D’après Lonergan, les structures de l’univers, se mettent en place au fil de son

développement, selon des schémas de récurrence, des plans d’organisation qui s’insèrent

dans ceux qui précèdent selon une certaine probabilité d’apparition et une autre de

subsistance dans le temps. Ces schémas de récurrence font une double opération : ils

32 « Propensity », PEACOCKE Arthur, « Biology a Theology of Evolution », Zygon, vol. 34, n°4, Décembre 1999, p. 72. 33 Bernard LONERGAN, Insight, a study on Human Understanding, Toronto, Buffalo, London, University of Toronto Press, [1957] 19925, p. 126-162.

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permettent à d’autres de se mettre en place s’ils sont compatibles avec ceux qui précèdent

et ferment la possibilité de mise en place à ceux qui ne présenteraient pas cette

compatibilité. Ce développement de schémas de récurrence est donc à la fois contingent,

mais aussi contraint par ses structures internes.

A terme, les schémas vont dessiner des propensions. Cette notion désigne des

tendances à ce que certaines potentialités s’actualisent du fait des pressions d’un

environnement sur un système. La propension décrit la situation où le contexte va faire en

sorte qu’un phénomène aléatoire va devenir plus que probable34. La sélection naturelle

serait de cet ordre dans le monde du vivant : le milieu, exerçant une pression de sélection

sur les organismes, va favoriser l’émergence de structures complexes qui permettront

l’adaptation des organismes bénéficiaires de ces structures. Les caractères nouveaux

n’entrent sur scène que si d’autres sont là avant eux pour ouvrir la voie à la possibilité

d’apparaître35. Une de ses manifestations est le phénomène de convergences de caractères,

ou encore convergences évolutives, comme l’hydrodynamisme chez les animaux marins,

ou encore le développement du membre supérieur comme l’aile chez les animaux volants.

L’avantage de cette notion de propension, est qu’elle est le concept-clé qui va

permettre d’éviter les dérives de vocabulaire anthropomorphique qui ont tendance à

attribuer une subjectivité à l’univers. La propension est beaucoup plus neutre et modeste

dans ses ambitions, car elle est sévèrement conditionnée par son milieu de développement,

et elle s’applique à un système inerte au sens où celui-ci n’est pas doué d’une identité

personnelle, plus ou moins consciente d’elle-même. Cette, approche permet de rebondir sur

l’approche de Bertrand Souchard en envisageant des finalités relatives, émergentes dans la

nature, et éviter ainsi une finalité de type déterministe et donc contraignante. Le propre de

la propension est d’être ouvert sur l’indéfini, l’adaptation, et la redirection en cas d’erreur

ou de sélection négative par la sélection naturelle.

Cependant, je pense qu’on peut parler de ces propensions en termes de désir mais

seulement par analogie. En continuant de se situer dans l’approche de Souchard, c'est-à-

dire, en considérant une forme de désir immanent dans la nature qui aspire à la forme par

l’actualisation, il est possible d’envisager que ce désir général se décline en des désirs de

formes particulières dans les propensions. Nous avons toutefois vu que le propre de ces

propensions était de se mettre en place de manière contingente. Le fait que ces propensions 34 PEACOCKE, « Biology a Theology of Evolution », loc. cit., p.74. 35 LONERGAN, Insight, op. cit., p. 156.

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soient ouvertes, entre hasard et structure, montre qu’il existe une contingence de la finalité

dans la nature, particulièrement dans ces finalités particulières que nous pouvons appeler

désirs par analogie.

CONCLUSION

Une réflexion sur l’expression « L’ardent désir de la création » en Rm 8,19 nous a

mené à nous interroger sur plusieurs plans afin d’avoir une vue d’ensemble qui soit

théologique sur les questions de la subjectivité de la création, et son désir. La lecture de

l’épître aux Romains, nous a amené à comprendre que Paul n’avait pas dans l’idée de

parler de la création comme un en soi mais plutôt dans le but d’aviver le désir du salut chez

les chrétiens de Rome. Cependant, avec Simon Légasse, nous avons vu qu’il était possible

de dégager un sens objectif à ce désir compris comme une attente d’accomplissement

promis par Dieu, car la création est soumise à un cheminement chaotique propre à sa

constitution interne. Mais l’approche de Paul ne réglait pour autant pas notre question de

savoir si on pouvait attribuer subjectivité et désir à la création.

L’exploration de la pensée visionnaire de Pierre Teilhard de Chardin nous a amené à

considérer l’évolution de l’univers comme génération de complexité. C'est-à-dire que, par

la tendance à la complexité immanente à la matière, l’univers arrive à la conscience de lui-

même par l’intermédiaire de la conscience humaine qui est appelée à s’unir dans une

noosphère. Ce moment ultime est le point Oméga, celui de l’accomplissement du corps

mystique du Christ Ressuscité. Ce point Omega agit comme un attracteur de l’évolution de

l’univers. Cependant, nous avons vu que cette progression continue de la création vers le

royaume de Dieu ne peut se concevoir sans une rupture transcendante : la parousie peut

arriver à n’importe quel moment de cette évolution future. C’est pourquoi, j’ai préféré

envisager une conscience médiate de l’univers à travers celle de l’être humain dans son

individualité.

Un travail philosophique sur les thèmes de la nature, de la finalité et de la cause finale,

nous a amené à considérer que le concept de nature le plus approprié à entrer en dialogue

avec les sciences contemporaines était celui de fusij élaboré par Aristote. Un dynamisme

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interne propre aux phénomènes naturels est spécialement observable dans l’évolution du

vivant. Ce dynamisme peut très bien être interprété en termes de finalité relative suscitée

par une cause finale qui travaille par attraction. Par elle, cette cause finale identifiée à

Dieu, suscite le désir de la forme parmi les êtres, dans la contingence des lois de la nature.

Dans cette optique hasard et nécessité collaborent au cœur même des mécanismes naturels

pour générer de la forme qui peut être prédite à plus ou moins long terme36. J’en conclus

qu’il y a du désir immanent qui est présent dans tout l’univers, celui de s’actualiser dans un

plus de forme.

Une réflexion complémentaire à partir d’une perception probabiliste du développement

de l’univers nous permet d’envisager une déclinaison de ce grand désir, dans la

particularité de ce que j’ai appelé à la suite de Peacocke, les propensions de l’univers. Ces

propensions, décelables à postériori, témoignent qu’il existe dans la nature des formes vers

lesquels convergent différents types d’êtres vivants. Cette approche de la propension,

permet de parler de désirs par analogie « dans » la création et non « de » la création. Ces

désirs sont l’expression du grand désir immanent à la création, à savoir celui de la forme

par le passage de la puissance à l’acte. Ce désir est, me semble-t-il, le développement de ce

que signifiait Légasse au sujet de la quête de sens qui était propre à la création en Rm 8,

20. Il me semble alors que l’accomplissement de ce désir ne se trouvera, comme le dit

Paul, que dans la libération et la glorification, dans un acte divin compris dans sa pure

transcendance, et que la création ne pourra jamais se donner à elle-même37.

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36 Cela dépend si l’on se situe dans le cadre de la biologie du développement ou de l’écologie évolutive. Dans le premier cas, ce désir de forme est tout à fait prédictible, dans le second on ne peut faire que des conjectures. 37 4959 mots, 5625 notes comprises.

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