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Coffiots dans la Ville Close

Mar 11, 2016

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Coffiots dans la « Ville Close » Dans cette comédie policière, Maurice, l'ancien marin, le caïd, retrouve, à l'occasion de la « fête de la mer » de Concarneau, un ancien camarade de la « Royale », Boris, qui, sous le couvert d'un chalutier transformé en bateau de tourisme, effectue un trafic peu ordinaire de billets de banque entre la Norvège et Jersey via... la « Ville Close », cette presqu'île concarnoise fortifiée par Vauban qui recèle bien des cachettes. Et le jeune Sébastien, le fils « adoptif » de Maurice et Odile, qui a tout juste neuf ans, s'avère être un dur lui aussi : bien qu'enfermé à Saint-Joseph – une prison autant qu'une école –, il est d'une aide efficace pour la récupération des coffres (les 'coffiots') au moment de leur transfert. Au prix, il est vrai, du sacrifice de son ami chinois, « le noiche ».
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Coffiots dans la Ä Ville Close Å

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Bruno Leclerc du Sablon

Coffiots dans la Ä Ville Close Å

�Les Le Menech� –2�me�pisode

Com�die polici�re

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� Bruno Leclerc du Sablon – [email protected]://blog.bebook.fr/jardinier� Les �ditions Keraban – 2008ISBN [email protected]://www.keraban.fr

*Les �ditions Keraban sont une maison fond�e en avril 2008 sous

forme d'une association d�clar�e Loi de 1901 sans but lucratif. Elles�ditent des romans, des polars, des ouvrages de fiction ou de fantaisie,des nouvelles, des autobiographies et r�cits de vie, des œuvres po�tiquesou th��trales et des livres pour enfants.

Le comit� de lecture et la direction �ditoriale pr�tent une attentionparticuli�re aux ouvrages pr�sent�s par des auteurs �cart�s de la vieordinaire par la maladie, le handicap physique ou mental et l'exclusionsous toutes ses formes

*La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin�as 2 et 3 de

l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictement r�serv�es� l’usage priv� du copiste et non destin�es � une utilisation collective et,d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exempleet d’illustration, toute repr�sentation ou reproduction int�grale, ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause,est illicite (alin�a 1er de l’article 40). Cette repr�sentation ou reproduction,par quelque proc�d� que ce soit, constituerait donc une contrefa�onsanctionn�e par les articles 425 et suivants du Code p�nal.

Image de couverture : Rempart et beffroi de la Ville Close � Concarneau

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Voler, c'est trouver un objet avant qu'il soit perdu.COLUCHE

D'un lecteurJ'ai lu ce deuxi�me volet des tribulations de la famille

Le Menech avec un plaisir au moins aussi grand que pour lepremier. J'ai envie de dire qu'il s'agit l� d'un divertissementefficace et complet : mise en place d'une intrigue qui d�marrepratiquement in medias res et qui ne s'essouffle jamais ; �vasion(toute une th�matique de la Mer et des bateaux) ; l�g�ret� deton, humour ; suspens habilement soutenu. Au niveau de lanarration (et peut-�tre est-ce l� ce qui m'attire le plus), jeremarque une particularit� plus subtile : ce que Kundera appellele � franchissement des barri�res du vraisemblable �, une� esth�tique du non-s�rieux �. C'est que ces Coffiots dans laVille Close sont construits sur un encha�nement deretournements de situation � l'imagination d�brid�e ; ici plus decontraintes, mais une libert� totale qui permet tout ; on est duc�t� du vaudeville, de la com�die, comme une sorte de r�voltecontre l'esprit de s�rieux qui domine le monde. M�meesth�tique que dans le premier tome, d'ailleurs, qui passeraitmal dans certains cas mais qui ici, peut-�tre parce que nous nesommes pas loin de la parodie, participe � ce plaisir dontj'essaye de parler. � Si tu ne vas pas aux coffiots, c'est lescoffiots qui viennent � toi � : telle est en substance (oulitt�ralement) la devise de Le Menech (� noter : tr�s en formeavec son Odile dans ce deuxi�me volet !), tout aussi immoraleici que dans le premier tome, et cela continue de nous plaire defa�on jubilatoire. � lire avec d�lectation.

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MAURICE LE MENECH, Odile – sa femme –, leur fils Alain – quatreans – et le jeune S�bastien Bouchetard– neuf ans, leur filsadoptif –, ne sont finalement rest�s que quelques jours de plus �l'H�tel de la Poste de Brigneau-Mo�lan, dans le sud duFinist�re. Passant leurs journ�es en tournois sur Omaha Beach,ce jeu du d�barquement de Normandie qu'ils ont r�install�s dansle hangar de leur ami Fernand d�s que celui-ci �tait reparti �Paris pour �couler ses deux caisses de poisson au march� EdgarQuinet, ils allaient, chaque soir, dans un des ports o� se donnaitune f�te de la mer.

C'est ainsi qu'ils se trouvent, ce mardi 1er ao�t, �Concarneau. La f�te, dans ce grand port am�nag� autour de laVille Close et de son mur d'enceinte, avait commenc� le samedi29 juillet et toute la ville s'�tait embras�e. Des feux d'artificeavaient �t� tir�s chaque soir, soit � partir de barges install�es �une encablure de la jet�e qui ferme le port de plaisance, soitdepuis les remparts de la vieille cit�. Et les quelques 30 000concarnois comptaient pour peu dans la foule rassembl�e pourcette occasion : les organisateurs estimaient le nombre � plus de200 000. De m�me pour les bateaux : c'�tait comme si tous lesp�cheurs bretons s'�taient donn� rendez-vous. Et pas seulementceux du sud, et pas seulement les p�cheurs.

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Le spectacle est partout, et on se demande ce qu'il serait si lecidre �tait aussi alcoolis� que le vin !

Il est 11 heures 30. Les derni�res fus�es viennent d'�tre tir�es.La police, les pompiers et des �quipes de la Croix-Rougeramassent ceux qui ont roul� par terre.

Maurice n'imagine pas repartir � Brigneau sans avoir revu aumoins un de ses anciens coll�gues de la Royale. C'est pourquoi,malgr� l'heure avanc�e, il prom�ne encore sa petite �quipe lelong des quais et sur les pontons, saluant au passage les�quipages ou les patrons p�cheurs rest�s � bord de leur bateau.Ils entrent sur le ponton A, le dernier ponton avant le quai nordqui fait face � la cri�e. Odile, d�j� un peu lasse de marcher avecses talons mi-hauts sur ces planches plus ou moins bienjointoy�es, tente de convaincre son mari de rentrer � l'h�tellorsque le bruit d'un pas rapide r�sonne sur les planches, derri�reeux. Maurice n'a pas m�me le temps de se retourner qu'unhomme, barbu, coiff� d'une vieille casquette qui le feraitressembler � un capitaine au long cours lui envoie une grandeclaque sur l'�paule.

─ Alors, Maurice, on prom�ne la p'tite famille ?─ Ah �a ! Boris ! Salut le moco ! Et en pacha on dirait !

C'est-y pour la f�te que tu t'es fait r'linguer ?─ Ben mon Maurice, tu crois pas si bien dire. La f�te, tu vas

pouvoir la faire sur le yacht � Boris, le pacha comme tu dis. Ettu viens avec ta tribu, y a d'la place pour tout l'monde.

─ OK Boris, tu vas nous l'montrer ton rafiot, et j'esp�re qu'ysont pas tous bourr�s tes lampions pass'que les jeunes y z'aimentpas trop r'nifler vot'picole.

─ T'inqui�te, Maurice, on a tout s'qu'y faut pour eux, et pourta dame aussi. D'ailleurs, que si tu m'pr�sentais, je s'rais pascontre. Allez v'nez donc par l� vous autres !

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Odile n'attend pas d'�tre pr�sent�e.─ Dites, Monsieur Boris, ah, au fait, vous permettez que je

vous appelle Monsieur Boris ?─ Appelez-moi seulement Boris, on est entre nous, pas vrai

Maurice ?─ Bon, alors dites, Boris, vous ne croyez pas que nous

serions mieux � l'int�rieur pour les pr�sentations ?─ Comme vous voudrez ch�re petite dame, suivez-moi. Le

barlu est amarr� au bout du ponton B, l�-bas, � c�t� de lavedette de la SNSM. C'est le Guilvinec, le grand bateau vert etblanc qu'on voit d'ici.

─ Ben mon salaud, c'est-y k'tu t'es fait des couilles en or,c'est pas un marsouin ton rafiot, s't'un paquebot. C'est kekb�tons k'tas douill�s, tu m'racont'ras �a hein p'tit p�re !

─ J'te racont'rai �a l�-bas Maurice, mais rappelle vite teslardons qu'y sont en train d'se faire la malle.

S�bastien avait pris Alain par la main. Tous les deux �taientremont�s sur le quai en courant et avaient d�j� rejointl'avenue Pierre Gu�guin, au bout de la cri�e. De nombreuxtouristes �taient encore attabl�s aux terrasses des bars. Mais passeulement des touristes. Jean Le Bertrand, de l'Armorique libreet son confr�re Lionel Micoulin, pigiste pour Ouest France,enfilent les derniers verres.

─ Tu vois ces m�mes Lionel ? dit Le Bertrand � son ami.─ Et quoi ? �a t'�tonne qu'y soient pas encore au lit ? Mais

c'est leur f�te aux gamins.─ J'te dis pas, mais ceux-l�, attends, c'est un scoop que j'm'en

vais leur faire au bahut !Jean Le Bertrand sort discr�tement son appareil photo de sa

sacoche.

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─ J'attends qu'ils s'approchent un peu et j't'expliquerai.S�bastien et Alain ne sont qu'� une dizaine de m�tres quand

le journaleux appuie sur le bouton.Au flash, S�bastien l�che la main d'Alain, se pr�cipite vers la

table, arrache l'appareil des mains du photographe et repart encourant vers le ponton B.

─ Viens, suis-moi Alain, allez cours !Quelques secondes s'�coulent avant que Jean L.B. et Lionel

M. r�agissent. Les deux gamins sont d�j� hors de vue.─ T'inqui�te pas Jean, y peuvent pas aller loin sur ce ponton.

On n'a qu'� y aller tranquillement et on les choppe sansprobl�me.

─ Attends Lionel, c'est qu'y sont capables de s'planquer surun bateau. Mais je sais lequel, c'est le Keraban. C'est un p'titchalutier blanc. On peut pas l'manquer. Ah, je sens que j'vaisleur pondre un sacr� jus pour demain. Et m�me sans la photo.

─ Note que si tu veux t'servir de mon appareil, il est � tadisposition. Mais j'voudrais bien conna�tre l'histoire. �a seraitpas l'affaire du joueur de bridge que tu racontais l'autre jourdans ta feuille de chou.

─ J't'en prie Lionel, c'est pas l'moment d'te foutre de moi. J'teraconterai, c'est promis, mais maint'nant ouvre l'œil.

Les deux reporters marchent jusqu'au bout du ponton. ─ Merde ! fait Jean, pas de Keraban ! O� est-ce qu'y sont

partis ces m�mes. Y a plus un chat ici.Maurice, Odile et Boris ont saisi les deux fuyards dans leur

course et les ont tir�s manu militari � bord du Guilvinec. Ilsn'�taient d'ailleurs pas trop de trois pour les ma�triser.

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SON APPAREIL PHOTO – un Nikon num�rique � 3 000 euros –, c'estune part importante de son outil de travail. Et il appartient � sabo�te. Jean ne peut pas s'en s�parer comme �a. Il doit porterplainte, et tout faire pour retrouver le gamin. Il s'en souvientmaintenant. Il s'appelle S�bastien, et c'est le fils adoptif deMonsieur et Madame Le Menech. Il n'a jamais tr�s bien comprisles dessous de l'histoire, mais il est s�r que la Police, elle, sait dequoi il retourne.

─ Laisse tomber, Lionel, on l'retrouvera pas comme �a cep'tit voleur. J'ai vu qu'il y avait plusieurs voitures de flics �l'entr�e du parking. Allons-y, j'vais d�poser une plainte.

─ Attends, Jean, tu crois quand m�me pas qu'y vont prendreta plainte dans leur voiture. Et il est bient�t minuit en plus !T'iras d'main au commissariat d'Concarneau.

─ Bon, �coute, on verra bien, mais je s'rais pas �tonn� quecette affaire les int�resse et qu'y s'y mettent tout de suite.T'aurais vu l'cin�ma l'aut'jour, � Brigneau. Et puis �a co�te riend'leur poser la question.

─ OK, Jean, j'te suis, mais c'est ma berg�re qui vacommencer � s'poser des questions. C'est k'jai encore centbornes � m'farcir !

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─ Tu vas pas m'dire k'tu t'inqui�tes pour elle !Cinq minutes plus tard, les deux journaleux frappent � la

vitre du conducteur de la voiture de Police gar�e � l'extr�mit�ouest du parking, en face du beffroi, un endroit peu �clair�. Unbrigadier entrouvre la porti�re. � l'odeur qui se d�gage aussit�tde la cabine, on sent tout de suite que la surveillance ne peutplus �tre aussi active qu'elle pouvait l'�tre une paire d'heuresplus t�t.

─ C'est pourquoi messieurs ?─ C'est pour un vol, je voudrais d�poser une plainte, r�pond

Jean L.B.─ Et c'est tout ?─ Ben, c'est que, non, c'est pas tout, c'est toute une histoire.

Vot' chef est-il l� ?─ �coutez Monsieur, pour la plainte et pour votre histoire,

vous pourrez venir demain au commissariat.─ C'est qu'il s'agit d'une histoire avec le petit S�bastien, celui

des Le Menech, � Brigneau, vous savez peut-�tre...Le grad� assis � l'avant, � la place du passager, remet sa cas-

quette et sort de la voiture...─ Vous avez dit Le Menech, c'est bien �a, j'ai bien entendu ?─ Oui monsieur l'agent, enfin, le fils adoptif, le petit

S�bastien. Pourquoi ? Vous �tes au courant ?D'une voix forte, le grad� se retourne vers l'int�rieur de la

cabine et hurle :─ Dehors vous autres, et vite !Pendant ce temps Maurice, Odile et les deux enfants,

accompagn�s par le capitaine Boris, ont eu le temps de monter �bord du Guilvinec.

─ Vous n'avez qu'� poser l� vos affaires, j'vais vous faire

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visiter l'bateau. J'suis tout seul ce soir, l'�quipage est sorti. Onn'embarque personne avant d'main matin.

Ils suspendent parkas et sacs aux pat�res, dans un halljouxtant un grand salon. Tous, sauf S�bastien.

─ S�bastien, enl�ve ton parka et accroche-le l� toi aussi, luidit Odile.

─ Non, j'le garde. J'ai froid.─ C'est comme tu veux.S�bastien, qui tient son bras droit serr� contre lui, fait

semblant de trembler de froid.Tous entrent dans le salon, une immense cabine tout � fait

dans le style bar am�ricain des ann�es 60 : tapis �pais,nombreuses et magnifiques marines suspendues aux boiseriesfinement travaill�es, fauteuils et canap�s de cuir, tables basses,larges hublots.

─ J'vous fais d'abord visiter ? On r'viendra ici apr�s pourprendre un verre si vous voulez.

─ C'est �a Boris, fais-nous faire le tour du propri�taire.Maurice, qui n'a jamais cess� de surveiller S�bastien, a d�j�

pr�par� son plan.─ Mais dis-moi, Boris, j'm'�tais pas gour�, c'est vraiment un

paquebot ton bateau.─ Bon, y a un peu d'vrai. Faut dire k'la p�che hauturi�re,

comme y disait l'aut'Fernand, �a a eu pay�, mais �a paye plus.─ Ah, mais l� Boris, tu fais erreur, pass'que le Fernand,

j'peux t'dire qu'y s'plaint pas.─ Mais j'te parle de Fernand Raynaud, l'aut'chansonnier

qu'on avait, dans l'temps.─ Ah bon, j'pr�f�re comme �a. Alors tu dis k'c'�tait un barlu

pour la p�che hauturi�re ?

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─ Ou�, et on f'sait des mar�es d'une ou deux s'maines. Duc�t� irlandais par l�-haut. Faut dire que moi j'lai pas vraimentconnu comme �a. C'�tait du temps d'l'ancien patron.

─ Mais o� c'est qu'y mettait son poiscaille ? Y a k'descabines !

─ Et ben l� o� tu vois des cabines, avant c'�tait la cale, c'estl� d'dans qu'on versait l'chalut. Moi, j'ai gard� l'chalut, mais c'estpour la photo. Les touristes, si t'as pas des trucs pour leursbo�tes � images, y viennent pas chez toi.

─ C'est qu'y en a dans l'citron � Boris. Tu commences �m'int�resser mon fils.

Minuit a d�j� sonn� � l'horloge du beffroi, ce monumentcentenaire qui marque l'entr�e de la Ville Close. Surl'insistance de Boris, les Le Menech se sont laiss�s convaincrede finir la nuit � bord. Les parents se sont vus attribuer la cabinede l'armateur – une des deux cabines � large hublot lat�ralouvrant sur le pont, l'autre �tant celle de Boris, le Pacha –, tr�sconfortablement am�nag�e, avec salle de bains et WC attenants,tandis que les enfants ont �t� conduits dans une cabine � deuxlits superpos�s, une des quatre cabines identiques, situ�s versl'avant du bateau, avec ouverture au plafond, douche et WCcommuns. (Il reste encore, en plus des cabines occup�es parl'�quipage, deux cabines d'h�tes � lits doubles accessibles de laplage arri�re.)

Ils ne se sont d'ailleurs pas fait prier pour aller se coucher, lesenfants, surtout S�bastien. Lui qui, tout au long de la visite,avait gard� l'avant bras serr� contre son son parka, sit�t entr�dans la cabine, choisit imm�diatement la couchette sup�rieure,se jette dessus, enl�ve son parka en tournant le dos et l'enfouitvite fait sous le traversin.

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Les parents et Boris, eux, sont remont�s dans le salon. Borisa ouvert une bouteille et les deux marins commencent � seraconter leur vie depuis qu'ils s'�taient s�par�s apr�s leuraffectation sur l'Origny, ce vieux dragueur de mines tout en boiso� Maurice �tait serrurier et Boris � la cuisine. Ils avaient dix-huit ans tous les deux.

Maurice interrompt la conversation.─ Attends, Boris, je r'viens dans une minute.─ Mais mon ch�ri, o� vas-tu ?─ T'inqui�te pas ma puce, je r'viens tout d'suite.Maurice descend sur le pont des cabines avant, s'approche de

celle des enfants, colle son oreille contre la porte et, n'entendantque le l�ger ronflement des dormeurs, entre sans bruit. Ilsoul�ve d�licatement le traversin sous la t�te de S�bastien, saisitl'appareil photo et revient au salon, le Nikon � la main.

─ Qu'est-ce que t'as encore trouv� ? Demande Odile.─ Ma puce, tu crois k'c'est en courant comme �a qu'il avait

attrap� froid, l'gamin ?─ Alors Maurice, c'est �a l'�ducation k'tu leur donnes ?─ Attends Boris, on n'en est pas encore l�. O� k'ten �tais ? Tu

la continues ton histoire ?

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LE LIEUTENANT LE GOFF avait rassembl� toute son �quipe de nuit– sept hommes et trois femmes – sur le quai, au bout du pontono� le Guilvinec est amarr�. Il avait donn� ses instructions etattendait dans une voiture les appels des uns et des autres. Ilavait gard� pr�s de lui Mademoiselle Florence Guguen, unestagiaire. Le premier appel ne se fit pas attendre.

─ Lieutenant de Louis Hamon vous m'entendez ?─ J'�coute Lulu, � toi.─ Vous aviez pas parl� d'une Blue Star ?─ J'ai parl� d'un bateau, le Keraban, qu'est-ce que tu

m'chantes ?─ L�, chef, il s'agit d'une voiture, dans le grand parking

qu'est d'vant la cri�e.─ Merde, mais t'as raison Lulu, c'est quoi l'num�ro.─ Attendez, avec ces foutus num�ros, on n'est plus habitu�.

Heuh... kilo yankee, et puis mille deux cent vingt-six, et tangozoulou., elle est bleue.

─ Du con, et tu crois qu'une Blue Star �a peut �tre jaune ? Tubouges plus, tu restes sur zone avec Yann, vous vous planquezet vous agissez d�s que quelqu'un s'approche de la tire.

─ Compris chef.─ Florence, t'appelles Lorient et tu d'mandes le num�ro d'la

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tire dans l'affaire � Declain, tu sais tout l'tintouin qu'y z'ont faitdans l'port de Brigneau. Tu d'mandes pour la Blue Star bien s�r,pas la vieille deuche.

─ Bien patron.─ Et si l'commandant Maradec est encore l�, tu d'mandes

qu'on m'le passe.─ Bien patron.─ Bon Dieu, des Blue Star, j'en ai encore jamais vues dans

s'd�partement. Ah, ce sacr� Declain qui veut jouer les vedettes !J'te dis pas, Florence, mais y s'ra plus tout seul. Et l'Keraban,j'te dis pas non plus, mais on va s'faire une petite fouille que s'tenuit on s'en souviendra.

─ Pardon patron, c'est pas la Gendarmerie Maritime, pour lesbateaux ?

─ On est dans l'port de Concarneau, oui ou merde ? C'est pasnous, Concarneau ?

Le radio-t�l�phone cr�pite.─ Allo, parlez !─ Ici Lucas pour le lieutenant Le Goff.─ Alors Jo�l, vous l'avez trouv� le Keraban ?─ Non chef, pas de Keraban dans l'port.─ Merde !─ Comment chef ?─ Non, c'est pas pour toi Jo�l. T'appelles les autres et vous

rentrez � la maison.─ Bien compris chef.

Jean Le Bertrand et Lionel Micoulin se sont r�sign�s. Ils ontpris un dernier verre – d'ailleurs le bar fermait – et regagnentleur voitures respectives, toutes les deux au bout du grandparking du quai nord, devant la cri�e.

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─ Dis-donc, Lionel, vise un peu cette voiture l�-bas, la BlueStar.

─ La quoi ?─ Blue Star, comme '�toile bleue'.─ Merci, �a va, j'comprends quand m�me trois mots

d'anglais.─ Ou�, mais celle-ci, attends, c'est l� qu'on l'tient not gamin.

Viens donc par l�.Tous les deux se d�tournent pour s'approcher de la voiture.

Ils sont maintenant tout contre la voiture et s'arr�tent. ─ Attends Lionel, j'avais not� l'num�ro dans mon carnet.

Laisse-moi v�rifier.Jean met sa main dans sa poche.─ Police ! Messieurs, contr�le, vos papiers s'il vous pla�t.─ Vous ! Ah �a, c'est la meilleure, on m'l'avait encore jamais

faite, dit Jean sur un ton mi moqueur, mi courrouc�. J'viens vousvoir pour porter plainte, vous m'jetez comme un mal-propre etmaint'nant vous nous sautez d'sus ! C'est quoi ce cin�ma ?

─ Mon coll�gue vous a d'mand� vos papiers, r�p�te lebrigadier Briand, l'�quipier de Louis Hamon.

─ Bon �a va, �a va, on va vous les montrer nos papiers. Etnos cartes de presse, �a vous int�resse ?

─ Et puis on va vous d'mander d'souffler dans s'ballon, sic'est comme �a k'vous l'prenez. J'ai bien peur que vous partiezpas ce soir avec vot'belle voiture. Qu'est-ce que t'en pensesLulu ?

─ Il a raison mon coll�gue. Dans s'pays, vous comprenez, onn'aime pas beaucoup les noctambules qu'ont un peu trop carbur�et qui s'prennent pour El Kabach. V'nez avec nous !

Lionel Micoulin s'insurge :

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─ Mais vous avez pas l'droit. On n'�tait venus l� uniquementpour la r'garder cette voiture.

Et Jean Le Bertrand en rajoute :─ J'peux m�me vous dire � qui elle est, si vous voulez tout

savoir.Mais les deux reporters sont maintenant tenus chacun par un

bras et tir�s vers la voiture des keufs.─ C'est la Blue Star de Brigneau, l'affaire o� il y avait

l'directeur de cabinet du pr�fet et vot'chef de Lorient, leCommandant Maradec. Et j'peux m�me vous dire que c'est lem�me gamin qui...

Le radio-t�l�phone du brigadier interrompt l'explication. ─ Hamon, vous me recevez ?─ Oui chef, on a deux lascars qui s'pr�paraient � partir avec

la voiture, on les emm�ne au...─ Mais pas du tout ! hurle Lionel Micouleau, on n'faisait

k's'en approcher. On la conna�t cette tire, mon coll�gue vientd'vous l'expliquer. Merde !

─ Hamon, r�pondez ! crie le lieutenant.─ Oui chef, mais c'est qu'on a ces deux l� qui gueulent

comme des cochons.─ Hamon, serrez-les et restez o� vous �tes, j'am�ne du

renfort.─ Bien re�u chef.

En quelques secondes, deux journalistes repr�sentant lamoiti� de la presse du Finist�re se retrouvent pinc�s l'un � l'autreet tenus en laisse par le brigadier Briand. En fait de renfort, cesont le Lieutenant Le Goff et la stagiaire Florence qui arriventmoins d'une minute apr�s. Cette fois, sans doute gr�ce �l'�clairage public, le grad� Le Goff reconna�t imm�diatement Jean

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Le Bertrand. D'un signe de la main, il ordonne � Briand derel�cher les deux prisonniers. Et, cachant mal sa confusion sousun air tr�s convenu,

─ Bonsoir Monsieur Le Bertrand, toujours le premier sur lesaffaires, comme d'habitude !

─ Alors vous m'jetez dehors quand j'viens d�poser ma plainteet maint'nant vous m'reconnaissez ? Et bien faites-la donc toutseul votre enqu�te, nous on s'en va. On a d'quoi faire not'papier.

Le Goff prend maintenant un ton amical, presque familier.─ Attendez, Le Bertrand, on est sur la m�me affaire, on va

vous la prendre, vot'plainte, racontez-moi seulement commentvous �tes venus jusqu'� cette voiture.

─ Par hasard, tout simplement.─ Alons Le Bertrand, ne m'prenez pas pour plus con k'je suis !─ Puisque j'vous dis � par hasard �, c'est � par hasard �.─ Bon, et ce m�me, par o� est-il parti ?─ Y z'�taient deux, le jeune S�bastien, le plus grand, celui

qu'a emport� mon appareil photo, et son p'tit fr�re je crois. Ysont partis sur ce ponton, en face du beffroi.

─ C'est pas possible, arr�tez vos histoires Le Bertrand, si yz'�taient partis par l�, c'est k'le bateau le Keraban y s'rait aussi.Et il n'y est pas. Alors on a assez jou�, vous trouvez pas ?

─ Nous on n'joue pas Monsieur l'agent. Mais si vousl'trouvez pas, j'vous donne un truc. Demandez donc au patron duGuilvinec, le chalutier pour touristes qui est sur le m�meponton. Lui, y sait tout s'qu'y s'passe dans l'coin.

─ Mais nous savons s'que nous avons � faire cher Monsieur.Florence, accompagne ces messieurs � la voiture et occupe-toide la plainte. Vous deux, v'nez avec moi.

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LE GOFF ET SES ADJOINTS Yann Briand et Louis Hamon descendentsur le ponton B pour aller jusqu'au Guilvinec, amarr� au bout duponton. Arriv�s au bateau, Le Goff demande � ses �quipiers del'attendre l�.

─ J'y vais seul. Je vous ferai signe si besoin. Attendez-moi l�.Une fois sur le pont, l'officier s'avance jusqu'au premier

hublot �clair� et jette un œil discret. Il aper�oit deux hommes etune femme : le barbu lui semble �tre le patron du bateau. Quantaux deux autres, vu leurs tenues, ce sont s�rement des touristesattendant le d�part du lendemain. Ils ont l'air calme, pas l'airinquiet. Pas d'enfant. Pas d'autre cabine allum�e. � Fausse piste,se dit Le Goff, il m'a bien eu cet enfoir� de l'Armorique libre. �

─ Y a rien � voir ici, lance l'officier � ses coll�gues avantm�me d'avoir mis le pied sur le ponton, on rentre !

Le bruit des pas et de la voix de Le Goff ont �videmment �t�entendus � l'int�rieur du Guilvinec. Maurice, qui a tr�s biencompris de quoi il s'agissait, prend l'appareil photo, sort sur lepont et rappelle l'officier, imm�diatement suivi par Boris coiff�de sa casquette de capitaine.

─ Monsieur l'agent, ne partez pas, c'est �a k'vous cherchez ?lance Maurice d'une voix assez forte pour �tre entendue par lestrois hommes d�j� arriv�s � l'entr�e du ponton.

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Ils se retournent et reviennent sur leurs pas. Maurice tient leNikon en main et l�ve le bras bien haut.

─ Bonsoir Messieurs. Pouvons-nous monter � bord ?demande Le Goff.

─ Alors des fois vous d'mandez, des fois vous d'mandez paslui r�pond Boris, content de lui.

─ Chef ! fait Louis Hamon.─ Oui Lulu, r�pond Le Goff en se retournant vers son

�quipier.Hamon lui montre du doigt la cam�ra de surveillance fix�e

au-dessus de la porte du poste de pilotage.─ En effet, je risquais pas d'monter incognito. Mais venons-

en � cet appareil photo.─ Tenez, M'sieur l'agent, prenez-le.─ Mais l'gamin...─ Le gamin y dort.─ Mais il a commis un vol, cher Monsieur, je dois

l'interroger.─ Il a rien vol�, l'gamin, il a trouv� s't'appareil, y m'l'a

apport� et il est all� s'coucher. � qui voulez-vous que j'le donne� s't'heure ? Voil�, vous l'prenez et vous l'rendrez � sui-l� quiviendra l'r�clamer. Vous �tes satisfait comme �a ?

─ �a va pour nous. Bonne nuit Messieurs.Les keufs s'�loignent. Le Goff appelle Florence Gueguen.─ Florence pour Le Goff─ J'vous �coute patron.─ Y sont encore l� les deux zigotos ?─ Non, y viennent juste de partir patron.─ Alors Florence, t'appelleras l'Armorique libre demain

matin pour dire qu'on a r'trouv� l'appareil photo. Et la plainte, tu

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la classeras sans suite. Tu nous attends, on arrive.─ Le commandant Maradec vient d'appeler patron. Je lui ai

r�pondu que vous �tiez occup� et que vous le rappelleriez d�sque vous aurez fini.

─ Et merde ! Rappelle-le et dis-lui k'l'affaire est class�e.─ Bien patron.

Maurice et Boris ont rejoint Odile dans le salon du Guilvinec,Odile, qui n'a rien compris � l'affaire qui vient de se d�rouler etqui aimerait ne pas en �tre �cart�e.

─ Est-ce que je peux savoir ce qui vous a pris, tous les deux,� sortir comme �a, comme deux furies ? Mon ch�ri, tu ne mecaches rien d'habitude.

─ T'avais pas vu k'S�bastien y planquait kek'chose sous sonparka ? Tu voulais p't'�tre qu'on r'joue l'coup de la bijouterie,chez INNO � Paris ?

─ Non, j'avais pas vu, c'�tait quoi ?─ Un appareil photo, mais pas une quincaille � dix balles, du

matos de pro, le m�me que celui d'lautre pisse-copie qu'�taitv'nu m'poser des questions � l'h�tel. Y disait k'c'�tait pourl'Armorique libre. Y s'rait encore en train d'nous cherchers'tenfoir� !

─ Tu sais, mon ch�ri, il est sans doute venu pour faire unreportage sur la f�te, tout simplement.

Et Boris de confirmer.─ C'est s�r, tous les baveux du coin y viennent, � la f�te de la

mer de Concarneau. Ce s'ra facile � v�rifier d'main matin dansles canards locaux, Ouest France, Le petit Concarnois,L'Armorique libre et les autres.

─ Ben c'est pas k'j'ai peur de leurs tartines, mais j'pr�f�re ladiscr�tion. Qu'on nous foute la paix avec l'histoire de

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COFFIOTS DANS LA � VILLE CLOSE �

S�bastien ! On a donn�, maint'nant la vie continue.─ Tu as raison mon ch�ri. Mais on devrait penser � rentrer �

Paris. Tant pis pour les quelques jours de vacances qui restent.Au moins, on pourra s'organiser pour la rentr�e, et surtout pourS�bastien. On a encore rien pr�vu pour ses �tudes.

─ Ma puce, t'oublies mes deux rombiers qui doivent sed'mander o� on est pass� et s'qu'ont d'vient.

─ �coute mon ch�ri, tes rombiers, tu les as sur le dos toutel'ann�e. On dirait que tu ne peux plus t'en passer. Oublie les unpeu !

─ Pas'que toi aussi tu trimballes ton �quipe ? IntervientBoris.

─ Attends Boris, je peux pas tout t'raconter en une soir�e. Ons'reverra. Pour le moment, j'irais bien met'la viande dansl'torchon. Qu'est-ce que t'en dis ma puce ?

─ Moi je trouve qu'on est bien ici, mais si t'as sommeil,allons nous coucher.

─ Voulez-vous que j'vous r�veille demain matin ? demandeBoris

─ Merci, mais si t'as pas b'soin d'nous, on pr�f�re profiterd'ton palace.

Comme chaque mercredi � 9 heures, l'Office du Tourisme deConcarneau appelle le Guilvinec. Boris d�croche le t�l�phonedu poste de pilotage, sur la passerelle.

─ Nous avons six personnes pour votre croisi�re � Bergen.Peut-on vous les envoyer ?

─ Il me reste seulement deux cabines doubles et trois cabines� lits superpos�s.

─ C'est bon Monsieur Boris, il s'agit d'un couple avec deuxenfants et d'un couple seul.

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─ OK, j'vous envoie deux matelots pour les accompagner.Le Guilvinec appareille � dix 10 heures 30. Les nouveaux

arrivants – des parisiens – sont rest�s sur le pont pour assister aud�part. Largage des amarres, moteurs � bas r�gime jusqu'au boutde la jet�e, � la sortie du port de plaisance, entr�e dans la baie deConcarneau. Boris est � la barre. Il pousse les moteurs � 2 000tours et met le cap au 225.

On est d�j� par le travers de Beg Meil quand Maurice montesur la passerelle.

─ Alors, le marsouin � casquette, tu nous fais faire un p'tittour ?

─ Tu m'as bien dit qu'�a f'sait plus d'six ans k't'�tais pas sorti.Fallait bien que j't'offre �a !

─ Du moment qu'on est rentr� pour ce soir et k'la m�t�o estbonne.

─ La m�t�o, j'lai �cout�e s'matin : pour le secteur 'Iroise ',c'est 'mer peu agit�e, vent force 2 � 3 secteur ouest', �a t'va ?

─ �a m'va fiston, tu peux y aller. Laisse-moi la barre si t'asaut'chose � faire, tu m'dis la route et c'est bonnard.

─ Tiens, et tu passes bien au large de Sein s'il te pla�t,pas'qu'apr�s, dans l'secteur Ouessant, c'est plus la m�mechanson.

─ Mais attends, Boris, j'vais m�me pas y aller jusqu'� Sein. Sima berg�re voit Sein, elle nous fait un malaise.

─ Pas'qu'elle aussi elle l'a appris : 'qui voit Sein voit sa fin' ?─ Et qu'est-ce que tu crois qu'on f'sait tous les deux � Brest ?─ Elle y est pas rest�e bien longtemps si j'tai bien �cout� hier

soir.─ Non, pas bien longtemps, mais suffisamment pour d�cider

qu'elle f'rait plus d'bateau. Mais une journ�e par une mer comme�a, �a d'vrait aller, sinon elle reste au paddock.

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COFFIOTS DE LA � VILLE CLOSE �

─ Merde, c'est pas d'chance, pas'que sur secteurs Dogger,Fisher et Utsire, y z'annoncent 'mer forte � tr�s forte avec ventforce 7 � 8 et 9 par rafales'. Mais on y est pas. �a peut s'calmer.

─ Qu'est que tu m'chantes. Si t'as pris l'bulletin pourOuessant, on est bons. Les Norv�giens, y z'ont qu'� pass'promener.

─ C'est pas pour les Norv�giens que j'te dis �a, c'est pour mesclients. Y en a six qu'ont pas pay� pour voir le fjord de Bergendu fond d'leur couchette. Et m�me les bancs d'poissons, si t'esraide, k'tas l'mal de mer, t'y descends pas, dans la calepanoramique.

─ Tu vois Boris, j't'ai connu plus dr�le dans l'temps. Tu croispas qu'on peut faire d'mi-tour ?

─ Non pas maint'nant, j'veux dire pas aujourd'hui. Tiens, onest juste par le travers de Guilvinec. C'est l� qu'il �tait l'bateaudans l'temps, quand on f'sait l'cabillaud, le merlu ou lalangoustine. Bon, tu peux mettre au 270 jusqu'� Penmarch. Etpousse un peu, 2 500 tours, sinon on y s'ra encore pour No�l !

─ Putain, mais c'est k'tu t'foutrais d'moi pour de vrai ! On filed�j� 15 nœuds, t'es pas content ?

─ Ben tu vois, non, pas'qu'y faut qu'on soit � Concarneaudans quinze jours, pour la prochaine bord�e. Avec les deuxmoteurs on est bien � 20 nœuds. Allez, Maurice, pousse donc lesmanettes !

─ Ma parole, s't'un enl�vement ! T'arr�tes tes conneries ouj'fais un appel sur le canal 16.

─ Viens plut�t � table. Il est d�j� une heure. �a doit �treservi.

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BORIS APPELLE LE MATELOT TRUSTAN, un de meilleurs pilotes dubord.

─ Vous m'avez appel�, commandant ?─ J'vais d�jeuner Trustan, tu appelles Yvon pour surveiller.

Tu passeras � deux milles au sud de Sein, c'est bien compris. L�,tu mettras le cap sur le 310 et tu m'fais appeler.

─ Bien compris commandant. Deux milles sous Sein et capau 310. Bon app�tit commandant. Bon app�tit Monsieur.

Une table est r�serv�e pour Boris et ses invit�s � l'extr�mit�de la salle � manger, s�par�e des autres tables par une jardini�regarnie de hautes plantes tropicales.

Les autres passagers sont d�j� � table. Un couple assez jeune,seul � une table, et un autre, dans la quarantaine, avec deuxjeunes gar�ons de 10 et 12 ans environ � une autre table.

─ Attends-moi Boris, j'vais appeler Odile et les enfants. Maisattends-toi � s'qu'elle soit pas d'bonne humeur quand elleapprendra s'que tu nous as concoct�.

─ Bouge pas. J'envoie quelqu'un.Boris claque dans ses doigts. Le ma�tre d'h�tel s'approche

aussit�t.─ Yag, tu veux bien aller frapper doucement � la porte de

Madame et lui dire que nous l'attendons � table. Et pareil pourles deux gar�ons.

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─ Bien Commandant.─ Et demande � Titouan d'nous amener les ap�ritifs.─ Bien Commandant.Dans la minute, Titouan s'approche avec une table roulante et

des quantit�s de bouteilles et de soucoupes garnies de biscuits etautres amuse-gueule sal�s.

─ Tu as une pr�f�rence ?─ Oui, un whisky par exemple, Red Label vous avez ?─ Mais � quoi tu penses Maurice ? On t'propose du vrai, du

bon. � toi d'choisir. Laphrohaig, Caol Ila, Macallan ? Tous 12ans d'�ge. Moi, mon pr�f�r�, c'est le Bruichladdich. Tiens,Titouan, sers nous donc un Bruichladdich. Tu m'en diras desnouvelles.

─ OK pour un Brutmacchich.─ Bruichladdich. Oui, pas facile � dire. Mais go�te-moi �a !

J'en ai rapport� deux caisses de not'derni�re escale � l'�le d'Islay.C'est � l'ouest de l'�cosse. Mais cette fois-ci, on n'va pas ypasser. Nous, c'est 'direct to Bergen Norway !'

Maurice n'en peut plus. Jusqu'� la veille � la m�me heure, ilse croyait le plus heureux des hommes. Sa devise, 'si tu vas pasaux coffiots, les coffiots viendront � toi', il la croyait au dessusde tout, magique, in�galable. Mais l�, il est d�pass�. Il est mal.

Odile, accompagn�e de Yag, entre dans la salle � manger.Mais sans les enfants. Elle s'approche et, avant m�me des'asseoir � table, s'adresse � Boris.

─ Boris, c'est permis de poser une question ?─ J'vous en prie ch�re Odile. Mais asseyez-vous donc.

Voulez-vous un ap�ritif.─ Excusez-moi, Boris, oui je veux bien un ap�ritif, oui je

vais m'asseoir, mais avant, voulez-vous bien me dire ce que

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COFFIOTS DANS LA � VILLE CLOSE �

nous faisons ici, en pleine mer ? Mon ch�ri, tu le sais, toi ? Tun'aurais pas fait �a sans m'en parler, j'en suis certaine !

─ Bien s�r ma puce, j'voulais t 'en parler, j'lai dit � l'amiBoris, mais tu sais comme il est, y fonce, y fait �a pour nousfaire plaisir et j'ai pas pu l'arr�ter. Et tu sais quoi ?

─ Non, mais dis moi, dis moi vite !─ Oui mais � propos, o� sont les enfants, y sont pas avec

toi ?Yag intervient :─ J'ai frapp� � leur porte, et puis je suis entr� dans leur

cabine et ils n'y �taient pas. Je n'les ai pas vus.Boris sent la moutarde lui monter au nez :─ Alors tu nous dis �a comme �a, tranquillement. Mais

bordel, appelle tout l'monde et fouillez l'bateau. Appelle aussi lapasserelle qu'y fasse sonner l'alerte et demi-tour, vitesse r�duite,des fois que...

─ Boris, vous voulez dire...─ Ma puce, t'inqui�te pas, on fait toujours cette manœuvre,

'homme � la mer', c'est obligatoire si on voit que quelqu'unmanque � bord. Mais on va les r'trouver, c'est s�r. Tu sais, avecS�bastien, on en verra d'autres ! Assieds-toi, sers-toi un verre etattendons.

─ Sers-moi donc un Martini blanc s'il te pla�t.

** *

BORIS EST REMONT� SUR LA PASSERELLE, au poste de pilotage. Toutl'�quipage – neuf hommes – fouille le bateau de fond en comble.Au bout d'une demi-heure, Boris se r�sout � faire un appel ded�tresse.

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Il appuie sur la touche rouge de la station VHF. Quelquessecondes plus tard le CROSS1 r�pond.

� De CROSS �tel pour Guilvinec, me recevez-vous ?─ Guilvinec, cinq sur cinq, � vous.─ Passez sur le canal 7, � vous.─ Bien compris, je passe sur canal 7.Maurice a rejoint Boris � la passerelle. Deux matelots, �

l'avant, scrutent l'horizon � la jumelle. Plusieurs b�timents ontsignal� leur pr�sence sur zone. Maurice prend le micro desmains de Boris.

─ � tous les bateaux secteur Audierne de Guilvinec.Recherchons deux enfants peut-�tre � la mer, r�pondez.

On entend plusieurs r�ponses indistinctement. Et puis plusrien, mais un des deux matelots, � la proue, se retourne vers lapasserelle et pointe son doigt vers une direction, � l'horizon,vers l'ouest. Boris d�croche ses jumelles et regarde.

─ En effet, il y a un bateau blanc l�-bas, qui ressemble � unpetit chalutier.

─ Passe-moi �a, dit Maurice en lui prenant les jumellesd'autorit�.

Quelques instants apr�s, Maurice le marin confirme sonintuition :

─ C'est le Keraban, c'est s�r, c'est mon ami Fernand quir'vient d'Granville. Y a qu'� stopper les machines et l'attendre. Yva nous aider.

─ Eh, Maurice, regarde donc derri�re !Une vedette de la Gendarmerie Maritime s'approche du

Guilvinec � grande vitesse, suivie d'assez pr�s par le bateaurouge de la SNSM2.1 Centres R�gionaux Op�rationnels de Surveillance et de Sauvetage 2 Soci�t� Nationale de Sauvetage en Mer

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Les gendarmes ont sorti les pare-battage sur leur babord etviennent � contre, sur le babord du Guilvinec. Un matelot leurlance un bout et deux hommes montent � bord. Boris et Mauricesont descendus de la passerelle et les accueillent sur le passe-avant.

─ Bonjour Messieurs, que nous vaut votre visite ? demandeBoris.

Un sous-officier ouvre une sacoche dont il extrait un papier.─ Vous �tes le patron de ce bateau, n'est-ce pas ?─ Oui Monsieur.─ Vous avez bien � bord la famille Le Menech, c'est bien

exact ?─ C'est vrai aussi.─ Et donc le petit S�bastien Bouchetard.─ En effet, il �tait � bord jusqu'� hier soir, il est suppos� avoir

dormi � bord, avec le jeune Alain Le Menech, mais tous lesdeux ont disparu. J'ai lanc� un appel de d�tresse voil� une demi-heure environ. Nous craignons que...

─ La SNSM, derri�re nous, c'est donc �a ?─ Je suppose Monsieur. Ils ont d� �tre alert�s par le CROSS,

et le chalutier blanc, l�-bas, est aussi � leur recherche. Noussommes revenus sur zone pr�sum�e d�s que nous avons constat�leur disparition mais � vrai dire nous ne les avons pas vusdepuis qu'ils se sont endormis hier soir, dans leur cabine, en bas.

─ Fran�ois, crie le sous-officier vers un coll�gue rest� � bordde la vedette, appelle le poste et demande un patrouillaged'h�lico, de Concarneau � Guilvinec, jusqu'� dix milles, pourchercher deux enfants. Quant � nous, pouvons-nous visiter votrebateau ?

─ Faites, j'vous accompagne.Maurice intervient.

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─ S'il vous pla�t Monsieur, j'peux savoir s'que vous lui voulezau p'tit S�bastien ?

─ Vous comprendrez que c'est pas l'moment d'parler d'�a,Monsieur Le Menech.

─ Ben oui, j'comprends, mais c'est k'ma femme elle s'fait dusang, alors si vous en rajoutez...

─ �coutez Monsieur Le Menech, nous avons re�u ordre duPr�fet de retrouver le jeune S�bastien Bouchetard. Alors s'ilvous pla�t, laissez-nous travailler.

Maurice repart pr�s d'Odile � la salle � manger pendant queBoris et les deux gendarmes fouillent toutes les cabines.

─ On va les r'trouver ma puce, j'suis pas inquiet. Il a plusd'un tour dans son sac, ce sacr� S�bastien. J's'rais m�me passurpris qu'il ait trouv� une planque que m�me le bosco il y a paspens�.

─ Ah, mon ch�ri, si tu pouvais avoir raison ! Reste avec moimaintenant. J'ai tellement peur !

Aux autres tables, les conversations se font de moins enmoins discr�tes. � Des parents qui surveillent m�me pas leursenfants �, entend-on � une table, et � l'autre : � Tu t'rendscompte, on a pay� une somme folle et tout �a pour faire desronds dans l'eau ! � Et en r�ponse : � Et en plus, on n'y s'rajamais en Norv�ge, si �a continue ! �

─ Quoi, pourquoi elle parle de Norv�ge celle-l� ? demandeOdile � son mari.

─ C'est aussi la question k'j'ai pos�e � Boris. J'croyaisk'c'�tait une farce, mais �a a plus l'air d'�tre une farce. J'vais tirer�a au clair d�s qu'on aura r'trouv� les gamins.

Et Maurice se l�ve, se retourne vers les autres tables et, d'unevoix forte, avec toute l'autorit� qui le caract�rise dans lesmoments d�licats, fixant de ses yeux noirs, tour � tour, les deux

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couples attabl�s, leur jette : ─ Chers amis, nous sommes sur le m�me bateau, si �a vous

pla�t pas, y a des gilets d'sauvetage pour ceux qui savent pasnager. Vous faites s'que vous voulez mais si vous d�cidezd'rester su'l'bateau vous fermez vot'gueule.

─ Le plus �g� des deux hommes, celui qui a deux enfants, sel�ve � son tour.

─ Vous vous prenez pour qui, � oser nous parler comme �a,Monsieur ?

Maurice ne se laisse pas impressionner. Jamais. Il appelle unmatelot.

─ Tu t'appelles comment ?─ Joan.─ Bon, Joan, tu veux bien sortir un canot. Ce Monsieur a

envie d'ramer. Y va ramer jusqu'� Concarneau avec sa p'titefamille et j'vais lui rembourser son voyage. N'est-ce pasMonsieur ?

─ Mais, �a alors ! Tu entends �a tr�sor ?─ Notez bien k'si vous pr�f�rez r'partir avec les cognes,

j'peux leur demander ce p'tit service pour vous. Y r'fusent jamaisd'rend' service, croyez-moi. Allez vite ranger vos affaires !Allez !

L'homme s'est rassis � sa table. Joan a d�j� mis un canot � lamer, retenu par un bout. Le Keraban n'est plus qu'� quelquesencablures, � l'arri�re, vers l'ouest. Les gendarmes ont termin�leur fouille et sont revenus sur le pont, � l'avant, vers l'est. Lechef semble ennuy� :

─ Eh bien, �a m'a l'air d'�tre bien ennuyeux. J'esp�re quevous allez les retrouver au plus vite. Heureusement l'eau n'est pasfroide, elle est � plus de vingt degr�s en surface. Et puis �a ne

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COFFIOTS DE LA � VILLE CLOSE �

manque pas de bateaux dans le secteur. Gardez confiance. Aurevoir Monsieur.

Les gaffes descendent dans leur vedette. Celle de la SNSM astopp� ses machines � une vingtaine de m�tres du m�me c�t�.Les b�n�voles du secours en mer commencent � �changer leursinformations avec les gendarmes. On entend un bruit r�p�t� quivient du fond du bateau. Le Keraban est � port�e de voix etstoppe ses machines.

─ Qu'est-ce qui s'passe l� en-dessous ? s'interroge Boris. Ilentre dans la cabine de pilotage et appelle Joan qui est sur lepont, � l'arri�re.

─ Joan, descend vite aux cabines et �coute d'o� vient ce bruitcomme �a � boum boum boum �.

─ Bien Commandant.Maurice aussi a entendu. Il lui vient une id�e et se pr�cipite

vers le pont inf�rieur. Il trouve Joan en train de coller son oreillepartout, sur toutes les cloisons. Maurice, lui, colle son oreille surle sol.

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WILLY VANDENLOOD a fait montre d'une certaine nervosit� apr�sl'arriv�e des voiture de police et des pompiers. Mais il a pris letemps, avant de s'�clipser, de donner rendez-vous � MadameGirardin demain, samedi, au m�me endroit, � midi.

Elle et les Le Menech sont rentr�s � l'H�tel de la Poste deMo�lan-sur-Mer. Ils retrouvent Alain que Gwennaelle a d�j� faitd�ner mais eux n'ont plus faim. Ils d�cident de se s�parer et tousmontent dans leur chambre.

─ T'as vu ma puce ? Y a pas eu b'soin d'le pousser, il y est v'nutout seul.

─ Oui, j'ai vu mon ch�ri. Je suis vraiment contente. Par contretu avais l'air pensif quand le bruit a couru qu'il s'agissait d'unasiatique. Tu pensais � quelqu'un de pr�cis ?

─ Non, pas vraiment, mais j'me d'mande s'qu'y f'sait cont' leGuilvinec. �a peut pas �tre le hasard.

─ �coute, on verra demain. De toutes fa�ons c'est l'affaire dela police, pas la notre.

─ T'as raison ma puce. Un p'tit c�lin ?─ Ah non, un gros !Le lendemain matin, Maurice descend le premier en salle �

manger et prend les deux quotidiens r�gionaux mis � ladisposition des clients : Ouest-France et l'Armorique libre. Le

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chinois fait la une des deux journaux et il s'agit d'un jeune d�tenu– en principe, on devrait dire �l�ve – de l'�cole des fr�res deSaint-Joseph. Il manquait � l'appel du soir, apr�s le repas. Aucunetrace de blessure. Le procureur a ordonn� une autopsie. On ne luiconna�t pas de famille. Il avait �t� plac� l� par la DDASS. Lapolice se pr�pare � entendre une par une toutes les personnes del'�tablissement, et les �l�ves aussi.

� Le noiche, le pote � S�bastien, �a peut pas �t' lui, S�bastien ydisait qu'il irait s'coucher. L� y s'est pas couch�, y s'est noy�. Yvont l'entendre et y dira k'son pote il �tait all� s'coucher, c'est tout,y a pas d'l�zard �

C'est bien, mais Maurice n'est qu'� moiti� rassur�. Et puis il y ale transfert � assurer. Le p'tit prince et le singe, il faudra leur direce qu'ils ont � faire. Avec toute cette flicaille, �a ne sera pascoton. Il y a aussi le risque de voir S�bastien entendu par les flicsjuste au moment o� ce serait � son tour d'agir. Toutes ces id�ess'emm�lent dans la t�te de Maurice. Quoi faire avec MadameGirardin pendant ce temps ? Il est vrai qu'elle a son rencard avecWilly. Mais Willy, sa marchandise, il faudra bien qu'il approchesa voiture du beffroi, au plus pr�s du quai qui est rempli debagnoles de keufs. Enfin Boris, est-ce qu'il pourra amarrer sonsabot au quai, sous le rempart ?

� Et merde, on l'avait bien phosphor� s'coup l�, et y vont nousl'mettre en carafe, merde ! �

Odile et Madame Girardin entrent � leur tour dans la salle �manger et viennent s'asseoir � la table de Maurice.

─ Tu as l'air inquiet mon ch�ri. Les nouvelles ? C'est �a qui temet dans cet �tat ?

─ Non ma puce, j'suis pas inquiet. Disons que j'suis triste.C'est jamais bidonnant d'voir un jeune se faire flotter, comme �a.Tu gamberges, et si c'�tait not' S�bastien !

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COFFIOTS DANS LA � VILLE CLOSE �

─ Oh, ne dites pas �a, Monsieur Le Menech, pas S�bastien !─ Vous savez, avec la baille, on choisit pas ! Ma puce, t'as

r�veill� Alain ?─ Oui mon ch�ri, �a fait un moment qu'il est dans le jardin.─ Alors y faut s'magner si on veut k'notre amie elle manque

pas son rencard avec Willy.─ Tu veux bien nous laisser encore une minute, le temps de

finir notre petit-d�jeuner et nous sommes � toi.

** *

MAURICE ENTRE DANS CONCARNEAU et fait le tour de la ville, justepour passer par le boulevard de Bougainville et voir si laMercedes de Willy est rest�e � la m�me place. Il ne la voit pas. Ilcontinue par le quai P�n�roff et s'arr�te devant le Vauban pourlaisser descendre Muriel Girardin.

─ Nous viendrons vous retrouver ici un peu plus tard. Ne vousinqui�tez pas, et bonne chance avec Monsieur Vandenlood ! luilance Odile.

Maurice repart et va garer la Blue Star sur le quai Carnot, enface de la Ville Close, de l'autre c�t� du bassin nord. De l�, il peutobserver les va et vient de tout le monde sans �veiller l'attention.Il aper�oit le p'tit prince et le singe, attendant d�j� � l'endroitconvenu.

Le Guilvinec n'a pas boug� et on ne voit personne sur le pont.Des flics entrent et sortent continuellement de la Ville Close.─ Il faut qu'on reste ici ma puce. Si tu veux, t'auras qu'� aller

chercher des sandwichs. Faut attend' que le Guilvinec vienne �quai. � s'moment l� t'iras accompagner mes deux zouaves pourles pr�senter � Boris. Tu lui dira qu'y cherchent du boulot, qu'y

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peuvent aider � charger l'matos. T'auras qu'� lui dire k'c'est toi quiraques, pour rend'service � ces pauv' mecs.

─ Tr�s bien, jusque l� je comprends, mais � Georges et �Ren�, j'ai rien � leur dire ? Tu leur a d�j� tout expliqu� ?

─ Ma puce, tu sais bien qu'� ces deux peigne-cul, on peut pasleur causer plus d'cinq minutes avant l'heure. M�me si yz'entravent kek' chose, y te boulottent tout ! Alors tu leur fais pasd'dessin, tu leur dis seul'ment k'tout s'k'y z'auront charg� dansl'bocal, y l'd�chargent aussit�t qu'y voient l'gamin qui leur tendles mains. Apr�s y z'ont juste � attend' qu'on leur ouv' la porte.

─ Bon, je crois qu'ils sont capables de faire �a. C'est plusfacile que la m�canique des voitures.

─ Et pendant s'temps l� j'garde Alain avec moi et j'mate. OKma puce ?

Odile part acheter deux sandwichs et un pain au raisin pourAlain.

� son retour, le Guilvinec a lev� l'ancre et manœuvre pour semettre � quai, � dix ou quinze m�tre du beffroi, par babord.

─ Va ma puce ! C'est ton tour.Odile se rend au pied du beffroi et s'approche des deux

employ�s du Grand Garage.─ Bonjour Georges, bonjour Ren�, vous attendez depuis

longtemps ?─ Non M'dame Odile, r�pond Georges – le p'tit prince –, �a

fait qu'une heure qu'on est l�. On r'garde. C'est plein d'flics qu'onsait pas s'qu'y font.

─ Ne vous occupez pas des flics. Ils font leur travail. Vous,vous avez � faire le votre.

─ C'est quoi not' taf ? demande Ren� – le singe.Odile explique avec pr�cision et concision.

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─ C'est panard, on va y voir des poissons. Merci M'dameOdile, dit encore le singe.

L�-dessus, Odile accompagne ses deux acolytes jusqu'auGuilvinec. Elle aper�oit Boris sur la passerelle, au poste depilotage et l'appelle. Boris sort sur le pont.

─ Ah, c'est vous M'dame Odile, quel bon vent ?– C'est que j'ai pens� que je pourrai vous aider si vous avez

quelques mat�riels � charger. ─ Pour une fois qu'on ne vient pas pour me d�charger, alors

j'veux bien. C'est ces deux crapauds qui veulent du taf ?─ Oui Boris, et c'est moi qui les paierai, je leur ai promis.

Mais si vous voyez Maurice, s'il vous pla�t, ne lui dites rien.─ Promis M'dame Odile. Allez les branleurs, montez ! Et

enfilez ces combinaisons pass' que dans l'bocal y a d'l'eau. C'estun principe. Pour respirer, vous avez qu'� aspirer dans l'tuyau,chacun vot' tour. Et vous m'ranger bien les bo�tes. J'veux pasd'bordel sur ce barlu, nom de Dieu !

Les deux apprentis dockers descendent dans la cale. Odile seretire au del� du beffroi, au del� du pont m�me, sur le quaiP�n�roff, et regarde.

On n'entend ni ne voit plus rien du c�t� du Guilvinec.Par contre, de l'autre c�t� du rempart, S�bastien attend. �

vingt m�tres environ, cach� dans un renfoncement du mur.Et puis il s'approche, s'enfonce dans l'eau jusqu'aux �paules et

tend les bras vers les deux manœuvres. La demi-douzaine decoffres ressort du bocal en tr�s peu de temps. S�bastien repoussela porte du bocal. Les gars de Maurice ferment la porte del'int�rieur et attendent qu'on leur ouvre.

Les coffres sont entass�s contre le rempart. S�bastien les porteun par un au pied du beffroi. Un flic l'aper�oit et s'approche.

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─ Alors mon gar�on, on dirait que tu peines � porter cesbo�tes.

─ Oui M'sieur. C'est l'bateau l�-bas qui les a d�charg�es pourque j'les porte derri�re la tour, l�, sous l'horloge qu'est l�-haut.

─ Attends mon gar�on, tu vas pas y arriver, j'vais t'envoyerd'l'aide.

Deux minutes plus tard, deux keufs en blouson ont fini leboulot de S�bastien.

─ Et bien tu vois mon grand, la police, elle sert aussi � �a !Aider les gens, explique l'un des deux bleus.

─ Merci M'sieur. C'est Papa qui va �tre content.─ Eh bien tu pourras lui dire � ton papa, que c'est des flics qui

t'ont aid�. Allez, mon gars bon courage !

** *

SUR LE QUAI CARNOT, Maurice regarde sa montre.� Y doit avoir fini. C'est mon tour maint'nant. � Il d�marre et

approche la Blue Star au plus pr�s du beffroi. Il lui reste �franchir six fois le porche d'entr�e de la Ville Close, les mainsvide en entrant, charg�es en sortant. La distance totale est devingt-cinq m�tres. Il commence � remplir le coffre arri�re. Puiscelui de devant. Il reste deux bo�tes qu'il sera contraint de laissersur la banquette arri�re.

Mais au moment d'entrer pour la sixi�me fois dans lapresqu'�le, il aper�oit un bleu sortant de l'�cole des fr�res et tenantS�bastien par le bras.

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� Le sacr� m�me, il a tout r�ussi et y faut k'les keufsl'emm�nent ! O� qu'elle est la m�re Girardin ? Elle le sortira biend'l�, une fois d'plus, avant d'partir � Jersey. �

Maurice court vers la caf� Le Vauban.Le Guilvinec a remis ses moteurs en route et regagne son

mouillage. Boris, du poste de pilotage, entend un bruit bizarre. Ilappelle Yann.

─ T'entends ce bruit comme �a, 'boum boum boum' ? Tupeux aller voir d'o� �a vient ?

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ISBN n� 978-2-917899-01-4

Achev� d'imprimer en juillet 2008par TheBookEdition.com

� Lille (Nord-Pas-de-Calais)Imprim� en France

D�p�t l�gal 20081204-65545

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