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DANS LES COULISSES DE L’AVENTURE GALLIMARD EXCLUSIF UN CHAPITRE INÉDIT DE « FÉERIE POUR UNE AUTRE FOIS » CÉLINE M 02049 - 505 - F: 6,00 E
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Céline

Mar 28, 2016

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L’écrivain terrible est mort il y a cinquante ans, alors qu’il venait juste d’achever son Rigodon.
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DANS LES COULISSES DE L’AVENTURE GALLIMARD

EXCLUSIFUN CHAPITRE INÉDIT DE « FÉERIE POUR UNE AUTRE FOIS »

CÉLINE

M 02049 - 505 - F: 6,00 E

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3 Éditorial

Février 2011 | | Le Magazine Littéraire

Édité par Sophia Publications74, avenue du Maine, 75014 Paris.Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94Courriel : [email protected] : www.magazine-litteraire.com

Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10Tél. - France : 01 55 56 71 25Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25Courriel : [email protected] France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €.Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter.

Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.

RédactionDirecteur de la rédactionJoseph Macé-Scaron (13 85)[email protected]édacteur en chef Laurent Nunez (10 70) [email protected]édacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) [email protected] éditorial Alexis LacroixChef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93)Conception couverture A noirConception maquette Blandine PerroisDirectrice artistique Blandine Perrois (13 89) [email protected] photo Michel Bénichou (13 90) [email protected]/éditrice web Enrica Sartori (13 95) [email protected] Valérie Cabridens (13 88)[email protected] Christophe Perrusson (13 78)Directrice administrative et financièreDounia Ammor (13 73)Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49)

Marketing directGestion : Isabelle Parez (13 60) [email protected] : Anne Alloueteau (54 50)

Vente et promotionDirectrice : Évelyne Miont (13 80) [email protected] messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74)Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31

PublicitéDirectrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96)Publicité littéraire Marie Amiel - responsable de clientèle (12 11) [email protected]é culturelle Françoise Hullot - responsable de clientèle (12 13) [email protected]

Service comptabilité Marie-Françoise Chotard (13 73) [email protected]

Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie.

Commission paritairen° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.Copyright © Magazine LittéraireLe Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros.

Président-directeur général et directeur de la publicationPhilippe ClergetDépôt légal : à parution

Par Joseph Macé-Scaron

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N otre temporalité n’est pas la leur. Il est rare que Le Magazine Littéraire choisisse de revenir sur un événe-ment éditorial qui apparaîtra peut-être dans un an ou deux comme

relevant de la pure émulsion médiatique. Pourtant, cet achat massif, certains diront compulsif, de la bro-chure – et non du livre, c’est entendu – de Stéphane Hessel, titrée Indignez-vous ! nous intéresse. Nous nous garderons bien d’en tirer des considérations politiques ou de relever les faiblesses d’un texte qui pèche parfois par sim-plisme et souvent par relativisme. Il y a des degrés dans l’indignation comme dans la colère ou la révolte, et tous les événements qui heurtent notre conscience ne peuvent être placés sur un plan identique.À l’inverse, il est préférable d’ignorer les aigreurs de certains essayistes ou philo-sophes se voyant, d’un coup, dépassés dans leur course vers les sommets de la gloire par un homme de 93 printemps. Hésiode nous le disait déjà : « Le potier en veut au potier, le charpentier au charpen-tier, le pauvre est jaloux du pauvre et le chanteur du chanteur » (Les Travaux et les Jours, v. 25-26).On comprend leur amertume. Cette génération poursuivie par ses fantômes se demande : « À quoi cela servit-il de trahir nos “idéaux soixantehuitards” si l’on se fait aujourd’hui bousculer par une figure issue de la Résistance ? » Décidément, nos anciens ne savent plus se tenir. Ces snipers qui tirent sur Sté-phane Hessel nous rappellent le mot d’Umberto Eco quand il parlait de « ceux qui veulent faire la révolu-tion avec l’autorisation de la préfecture ».

L a littérature et l’indignation entretiennent des rapports passionnés. Le procès de So-crate, l’affaire Dreyfus, l’affaire Calas, l’exter-

mination des Indiens d’Amérique, le bombardement de Guernica, la destruction des Twin Towers… La liste est longue des crimes qui, par-delà les souffran-ces causées aux victimes, ont suscité l’horreur uni-verselle et la réprobation des témoins, tout en inspi-rant les philosophes et les écrivains. Dans son ouvrage extrêmement stimulant De l’indignation

(éd. La Table ronde, 2005), le philo sophe Jean-François Mattéi dévoile « la scène primitive de l’indignation philoso phique » qui est non pas la mort de Socrate, mais son procès. En effet, l’indi-gnation ne consiste pas à s’apitoyer sur son sort, à pleurer sur ses propres malheurs. Elle n’est pas une ordonnance philosophique qui nous prescrit, comme c’est le cas actuellement, de la « moraline ». Rien d’éton-nant dans ce cas si Nietz sche s’écrie : « Nul ne ment autant qu’un homme in-digné. » Juvénal avant lui avait ricané en écrivant :

« Facit indignatio versum », affirmant qu’une per-sonne manquant des dons requis pour faire des vers pouvait néanmoins devenir poète si elle laissait par-ler son indignation. Certaines formes de l’art contem-porain (les plus voyantes ?) répondent parfaitement à cette définition.

M ais, précisément, il ne s’agit pas de la mort de Socrate sinon de son procès. S’indi-gner, c’est rendre sa dignitas, son rang

civil, à des personnes, des idées ou des actions humaines qui ont été déchues. Aussi, contrairement à la colère, qui est le résultat d’une émotion et qui peut exploser pour les motifs les plus variés, l’indi-gnation repose sur un fond de vérité rationnelle qui ne demande qu’à s’expliciter. Révolté par le specta-cle de l’injustice (Socrate devant ses « juges »), le philosophe brûle de faire valoir les arguments de la justice. Cette ardeur éveille à l’éthique ; le démon de l’indignation est une ouverture au Bien comme l’étonnement est le premier moment du savoir onto-logique. C’est ce que Bernanos a résumé par une belle formule quand il présente l’indignation comme « l’élévation de l’âme ». L’écrivain savait que le contraire de l’indignation n’est pas la raison mais la résignation. [email protected]

Indignez-vous, réindignez-vous

Le démon de l’indignation est une ouverture au Bien comme l’étonnement est le premier moment du savoir ontologique.

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Février 2011 | | Le Magazine Littéraire

Le cercle critique

Compléments au dossier Céline

René BarjavelRavage

Entretien intégral

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n° 505 février 2011Sommaire

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Cahier critique : Michel Foucault. Dossier : Céline. Grand entretien avec Tavares.

En couverture : Céline, années 1950. .

Abonnez-vous page 37

Ce numéro comporte 3 encarts : 1 encart abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Ulysse sur une sélection d’abonnés.

Anniversaire Les éditions Gallimard fêtent cette année leur centenaire : la saga d’une maison en douze dates.

L’actualitéL’éditorial de Joseph Macé-ScaronContributeursCentenaire 1911-2011 : les douze dates qui ont fait les éditions GallimardLa vie des lettres Édition, festivals, spectacles… Les rendez-vous du mois

Le cahier critiqueFiction

Gaëlle Obiégly, Le Musée des valeurs sentimentalesÉric Chevillard, Dino EggerJean-Pierre Martin, Les Liaisons ferroviairesKossi Efoui, L’Ombre des choses à venirChristian Garcin, Des femmes disparaissentWesley Stace, Charles Jessold, meurtrier présuméWilliam Burroughs, Le Porte-lameLeonardo Padura, L’Homme qui aimait les chiensClaudia Piñeiro, Elena et le roi détrônéJonathan Lethem, Chronic CityJonathan Coe, La Vie très privée de Mr Sim

PoésieEduard Mörike, Poèmes (édition bilingue)

Non-fictionMichel Foucault, Leçon sur la volonté de savoir. Cours au Collège de France, 1970-1971Frank Lestringant, André Gide, tome IAugust Strindberg, Correspondance, tome II Guillaume Métayer, Nietzsche et VoltaireRoberto Bolaño, Entre parenthèsesJean Jaurès, Œuvres, tome IIWalter Benjamin et Gershom Scholem, Théologie et utopie, correspondance

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Dossier : La littérature nordique

Le dossier Louis-Ferdinand Céline

dossier coordonné par Maxime Rovere Tous céliniens ? par Mikaël Hirsch Chronologie Portraits volés, par David Alliot « Ma seule vocation, c’est la médecine »,

par Philippe Roussin Critiques au casse-pipe, par André Derval De Rimbaud à Molière, par Suzanne Lafont Rabelais ou « la crudité juste », entretien

avec Céline (1958), par Guy Bechtel Voyage au bout de la viande,

par Florence Mercier-Leca D’une nausée l’autre, par Maxime Rovere Les traductions américaines du Voyage

au bout de la nuit, par Pascal Ifri Écrire à corps ouverts, par Philippe Destruel Guignol’s Band, des lumières dans la nuit

par Yves Pagès Vu du Japon : « Hardi petit ! » face

au désastre, par Kenzaburô Ôé Céline enluminé, par Éric Mazet Les précieuses reliques du Dr Destouches,

par Éric Fosse « Céline a construit sa propre légende »,

entretien avec Pascal Fouché Bibliographie

Le magazine des écrivains Inédit Un chapitre non paru de Féerie pour

une autre fois, de Louis-Ferdinand Céline Archétype Morts-vivants, par Christian Garcin Admiration B. Traven, par Éric Faye Grand entretien avec Gonçalo M. Tavares :

« Nous ne sommes pas de gentilles créatures », propos recueillis par Pierre Assouline

Le dernier mot, par Alain Rey

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« Six personnages en quête d’une revue »

« Des ouvrages choisis et édités avec le plus grand soin »

Le « second premier » numéro de La NRF, paru en février 1909.

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Le Magazine Littéraire | | Février 2011

Les 12 dates qui ont fait GallimardLa maison d’édition fête cette année son centenaire.Par Olivier Cariguel (avec Alexis Brocas et Olivier Steiner)

De la revue au comptoir d’édition

N ée à la « belle époque des revues », La Nouvelle Revue française prit un faux départ en guise de prologue : à deux

mois et demi d’intervalle, deux premiers numé-ros ont paru. À peine imprimé, le numéro daté du 15 novembre 1908 déclenche un conflit entre Eugène Montfort, le premier et éphémère direc-teur de La NRF, et Gide, qui mobilise autour de lui cinq autres fondateurs (Jacques Copeau, Marcel Drouin, Henri Ghéon, André Ruyters et Jean Schlumberger). Ils deviennent « six person-nages en quête d’une revue ». Pourquoi ? Parce que Gide, le discret initiateur de la revue, s’in-surge contre un article négatif sur Mallarmé, déplorant aussi le « médiocre snobisme d’un article sur Gabriele D’Annunzio ». Conclusion : Eugène Montfort est débarqué. Il abandonne

G ide souhaite prolonger l’aventure. Paul Claudel lui suggère de créer un « comptoir d’édition », mais il faut un gérant. Ce sera Gaston Gallimard, jeune bourgeois d’une famille

aisée, fils d’un collectionneur de toiles impressionnistes, dilettante qui fréquente les milieux littéraires et artistiques. Il est de plus le secrétaire de Robert de Flers, dramaturge et critique théâtral au Figaro – on murmure même qu’il écrit certains de ses papiers. C’est surtout un ami de Maurice Schlumberger, frère de Jean. André Gide et Jean Schlumberger lui proposent de les épauler. La recrue donne satisfaction : « Il ne fait pas de phrases, mais il est actif et compé-tent » (Schlumberger). « La Nouvelle Revue française, annonce le premier dépliant publici-taire des éditions, ne publiera pas un grand nombre de volumes ; elle se propose seulement de former une collection d’ouvrages choi-sis et édités avec le plus grand soin. » L’Otage de Paul Claudel, le récit Isabelle d’André Gide et l’édition intégrale de La Mère et l’Enfant de Charles-Louis Philippe sont les trois premiers ouvrages publiés par les éditions de La Nouvelle Revue française en mai 1911. On découvre en couverture de ces trois livres le fameux monogramme

La NRF au clan des gidiens et retourne diriger son ancienne revue, Les Marges. Un second premier numéro, domicilié rue d’Assas, chez Jean Schlumberger, paraît en février 1909. Il s’ouvre par des « Considérations » exprimant l’orientation générale, mais il com-porte surtout le premier tiers de La Porte étroite de Gide. La NRF s’annonce « revue mensuelle de littérature et de critique ». C’est le vrai départ. Le numéro de 1908 sera d’ailleurs vite effacé de l’histoire officielle de la revue : le critique Albert Thibaudet n’évoque-t-il pas en 1929 « un faux départ dont l’histoire n’a pas d’importance » ? En 1910, La NRF tire alors à 1 400 exemplaires, chiffre honorable, et conserve sa couverture sable imprimée en noir et rouge, appelée à deve-nir mythique.

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« NRF », dessiné par Jean Schlumberger. Ce sigle appelé à devenir la griffe de la maison ne sera d’ailleurs reproduit qu’en 1929 sur la revue. Au-delà d’une pure considération esthétique, le mono-gramme révèle les liens de filiation et d’émancipation de la revue et de la maison. Gestionnaire, Gaston Gallimard apprend sur le tas, et s’affirme peu à peu comme éditeur.

Jean Schlumberger redessinant le sigle de La NRF en 1967.

Le « second premier » numéro

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Gaston Gallimard à Noisy-le-Roi, dans

les années 1920.

G aston Gallimard et Marcel Proust se sont rencontrés à Béner-ville pendant l’été 1908, alors que Proust rendait visite à son ami Robert Gangnat – qui était l’oncle de Gaston Gallimard.

Un dîner s’ensuivit à Cabourg, et le futur éditeur s’en souviendra long-temps : « Je fus frappé par l’extrême tendresse de son regard, et aujourd’hui encore je le revois tel qu’il m’apparut avec ses vêtements noirs étriqués et mal boutonnés, sa longue cape doublée de velours, son col droit empesé, son chapeau de paille défraîchi trop petit, ses épaules hautes, ses cheveux épais et drus, ses escar-pins vernis couverts de pous-sière. » Proust avait alors 37 ans ; il était de dix ans l’aîné de Galli-mard. Mais il fallut attendre 1912 pour que les deux hommes colla-borent véritablement, au sein de La NRF. Ce fut visiblement dans la joie, comme Proust l’écrivit à Jac-ques Copeau : « Paraître à La Nou-velle Revue française est encore beaucoup plus tentant pour moi depuis que vous m’avez dit que mon lecteur et mon éditeur serait M. Gallimard. Je l’ai rencontré une fois et j’ai gardé de lui un si bon souvenir que, pour moi qui suis malade et que les rapports avec un éditeur effrayent déjà, tout devient simple et charmant si l’éditeur, c’est lui. »Hélas, en décembre 1912 se pro-duit le plus fâcheux des malentendus. Proust reçoit une lettre de refus concernant le manuscrit de Du côté de chez Swann. Comme Gaston Gallimard est chargé du comptoir d’édition, Proust va croire, à tort, qu’il est également lecteur. Rien de plus faux : à l’époque, Gaston Gal-limard est encore un simple administrateur, et c’est à Gide qu’il a communiqué le manuscrit ; Gide qui, pour des raisons obscures, n’y

a pas prêté réellement attention. L’auteur de Paludes s’en repentira longuement – tant qu’en janvier 1914 il confiera à Proust : « Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de La NRF – et (car j’ai cette honte d’en être beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. » Mais le mal est fait, les liens entre La NRF et Proust se distendent : entre-temps Bernard Grasset a accepté de

publier le premier volume de la Recherche à compte d’auteur. La Grande Guerre va tout chan-ger. Le 24 février 1916, Gide rend visite à Proust : il apprend alors que la publication de la Re-cherche est interrompue du fait de la mobilisation de Bernard Grasset. Gide n’hésite plus et fa-vorise immédiatement une ré-conciliation entre Proust et Gal-limard. Les deux hommes se retrouvent, Gallimard en profi-tant pour faire son mea culpa : « Nous avons été sottement lé-gers. J’en ai honte en y pensant. Le succès étant venu, je n’ai plus osé vous écrire, craignant que vous vous mépreniez sur une sympathie un peu tardive. » L’amitié renaît, Proust et Galli-mard renouent : ils poursuivent dès lors une correspondance as-sidue, jusqu’à la mort du grand écrivain. Mais la blessure du refus originel ne se refermera jamais ; Proust, cet éternel jaloux, saura

toujours raviver la culpabilité de Gaston Gallimard : « Je me demande si je n’ai pas été depuis quelques années le cocu de La NRF. Heureu-sement – ou malheureusement – ce sont des cornes qu’on ne peut pas porter. » Et Gaston Gallimard de lui répondre : « Pourquoi pen-sez-vous être le cocu de La NRF ? (ai-je bien lu ?) À la première lecture j’avais lu le cœur de La NRF, ce qui serait plus vrai. »

Marcel Proust reçoit le prix Goncourt pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs

M algré une activité ralentie par la guerre, la maison a publié 110 ouvrages depuis sa fondation. Quant à La NRF, inter-

rompue pendant presque cinq ans, elle reparaît en juin 1919 sous la direction d’un jeune homme de 33 ans : Jacques Rivière. Sur les deux fronts édi-toriaux, il faut redémarrer dans une Europe dévas-tée. En juillet 1919, la société anonyme Librairie Gallimard succède ainsi aux éditions de La Nou-velle Revue française. Elle consacre la position prépondérante d’un Gaston Gallimard de retour d’une tournée aux États-Unis avec la troupe du Théâtre du Vieux-Colombier animée par Jacques Copeau. Il en a profité pour visiter des éditeurs et imprimeurs new-yorkais. « Gaston veut être chez lui aux éditions, il veut être le maître », glisse Copeau à Rivière. Ses fidèles entrent dans la

place : son frère Raymond, chargé des affaires administratives et financières, ainsi qu’un ami, Emmanuel Couvreux, qui préside le conseil d’ad-ministration. L’objectif de Gaston Gallimard est de diversifier le catalogue, d’élargir l’assise com-merciale de la maison, et de la doter d’une orga-nisation inspirée de son expérience américaine. Pour lui, cela passe par la constitution d’un fonds d’auteurs de qualité. D’où la création d’un comité de lecture composé de spécialistes : Robert Aron, Benjamin Crémieux, Ramon Fernandez, Jean Grenier, Bernard Groethuysen, Brice Parain, Jean Paulhan… D’où aussi l’ouverture d’une librairie (1920), boulevard Raspail. Gide prend alors du recul, exerçant plutôt un magistère intellectuel loin des affaires courantes. Gaston Gallimard a réussi son « coup d’État. »

« Gaston veut être le maître »

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Maquette de couverture de Du côté de chez Swann (1917).

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14 La vie des lettres

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que dans le fil de l’écriture. De la même ma-nière, dans Fin de Baudelaire, Jean-Louis Cornille peut montrer que les Petits poèmes en prose témoignent d’une volonté de ré-écrire Les Fleurs du mal en mode mineur. Poème après poème, discutant les lectures de Walter Benjamin et de Steve Murphy, Jean-Louis Cornille met au jour un travail de défi-guration où Baudelaire tisse entre les choses des passerelles plus complexes encore que les fameuses « correspondances ».Est-ce à dire que la fiction comporte d’elle-même une pensée étrangère au concept ? Peut-être. Dans Déclinaisons, Jonathan Pol-lock étudie la façon dont les écrivains se sont approprié le De natura rerum de Lucrèce. Il en va alors d’une affaire de mouvements : les thèses des épicuriens concernant le compor-tement des atomes se sont disséminées dans un grand nombre d’œuvres, dont les auteurs ont préféré la métamorphose à la mise en forme figée. Au-delà des rapprochements évi-dents (Cyrano de Bergerac, en libertin dis-ciple de Gassendi, s’imposait !), Jonathan Pol-lock orchestre des rapprochements originaux, mais non fortuits. Les Essais de Montaigne n’intègrent-ils pas au cœur même de leur style, tout comme la mise en page du « Coup de dés », la notion de clinamen (autrement dit de mouvement spontané) ? Dans Le Roi Lear, Shakespeare n’achemine-t-il pas son lec-teur vers un monde sans finalité ?La collection « Fictions pensantes » réédite aussi les études sur l’abbé Prévost de Jean Sgard. Bien que seuls quelques romans de Prévost soient aujourd’hui disponibles dans des éditions séparées, le travail de Jean Sgard révèle en eux tous une espièglerie digne de Borges. Selon lui, les romans de Prévost sont des « labyrinthes absolus » où l’on ne peut que se perdre – non seulement à l’intérieur du récit, mais aussi dans le défi que celui-ci présente à la mémoire du narra-teur. Alors, précisément, à quand Borges, le philosophe littéraire ? Peut-être après L’Effet-Bartleby, philosophes lecteurs, à paraître au printemps, dans lequel Gisèle Berkman étu-diera le scribe de Melville à travers les inter-prétations proposées par les philosophes (Blanchot, Deleuze, Derrida, Agamben et Badiou). Maxime Rovere

idées. Comment ? Naturellement pas comme l’exposé d’une doctrine, mais sur le mode d’une énigme dont le lecteur glane lui-même les indices. On comprend donc que la pensée d’une œuvre littéraire ne se construise pas seule, car elle n’est pas uniquement celle de l’auteur. La seule faiblesse de cette présenta-tion, par ailleurs convaincante, est de consi-dérer cette pensée littéraire comme « inache-vée » au lieu d’admettre sa cohérence spécifique. Ce n’est pas parce qu’une pensée ne peut être synthétisée ou systématisée qu’elle est encore en cours de maturation.La preuve par l’exemple : dans Le Genou de Jacques, Franck Salaün lui-même montre que les trois fictions de Diderot, Jacques le Fata-liste, Le Neveu de Rameau et Le Rêve de D’Alembert, incarnent une philosophie des singularités, où le moi n’est pas un principe, mais une sorte d’horizon. Pas plus que celle du roman, la figure du moi ne s’y laisse cir-conscrire. C’est pourquoi le narrateur de ces fictions, à son tour, ne se laisse appréhender que dans la relation à l’autre ou bien au cœur de sociabilités multiples, dans un contexte où la morale ne peut donner naissance à rien d’autre qu’à des mœurs personnelles. On voit par là que c’est à la surface de l’œuvre, et non dans ce qu’elle doit comporter de « sens », que sa pensée se saisit. L’idée n’est pas ailleurs

E st-ce que la littérature pense ? Oui, non, évidemment, certai-nement pas. Cela dépend de la portée qu’on donne à ces deux mots – littérature, pen-

sée. La collection « Fictions pensantes » a pré-cisément pour objectif de mesurer cette double extension et d’examiner dans quelles conditions ces deux ensembles peuvent se rejoindre. Signe que non seulement la litté-rature est toujours objet de théories, mais surtout qu’elle suffit, par elle-même, à porter une vision du monde faite d’autre chose que de sensations ou d’affects.En somme, ce n’est pas parce que ce n’est pas conceptuel que cela ne pense pas. Dans l’ouvrage qui présente l’ensemble de la col-lection (Besoin de fiction, 80 p., 14 ), Franck Salaün, maître de conférences à Montpellier, pose les bases qui permettent d’aborder cette pensée-fiction dont les formes sont mou-vantes. Pour commencer, il faut admettre que les moyens littéraires n’organisent pas seule-ment des narrations : à l’égal du concept, mais sans lui, ils permettent de fabriquer des

éditionPensées à l’œuvreLa littérature produit-elle des idées ? Et, si oui, comment ? Une nouvelle collection passe de grands textes au crible de ces interrogations.

Dans Le Roi Lear, l’auteur ne mène-t-il pas son lecteur vers un monde sans finalité ?

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Jean-Louis Cornille a publié Fin de Baudelaire dans la collection « Fictions pensantes ».

À lireLe Genou de Jacques. Singularité et théorie

du moi dans l’œuvre de Diderot, Franck Salaün, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 172 p., 23 €.

Fin de Baudelaire. Autopsie d’une œuvre sans nom, Jean-Louis Cornille, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 256 p., 22 €.

Déclinaisons. Le Naturalisme poétique de Lucrèce à Lacan, Jonathan Pollock, éd. Hermann, « Fictions pensantes », 194 p., 23 €.

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éditionLe Pulitzer 2010 au Cherche MidiLes éditions du Cherche Midi ont obtenu les droits de Tinkers, premier roman de l’Américain Paul Harding, qui a remporté, à la surprise générale, le prix Pulitzer 2010. Sa traduction française, Les Foudroyés, sortira donc le 17 mars prochain. Il s’agit du deuxième Pulitzer publié par un petit éditeur indépendant, après la désormais classique Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.

Luchini rejoue BarthesAprès Raphaël Enthoven, qui a enregistré, pour les éditions Thélème, sa lecture des Mythologies, Fabrice Luchini lit une sélection des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Le livre audio qui en résulte vient d’être publié aux éditions Audiolib : l’occasion de découvrir l’acteur dans une interprétation discrète, tout au service du texte.

éditionTout HammettAucun éditeur américain n’y était parvenu pour l’instant : la collection « Omnibus » a réuni et publié en un volume l’ensemble des nouvelles de Dashiell Hammett, maître du genre policier. Rivages/Thriller, de son côté, fait paraître Spade & Archer, où le romancier Joe Gores imagine le passé commun de ces deux personnages du Faucon maltais.

Milan Kundera en PléiadeLe Tchèque Milan Kundera va bientôt compter parmi les rares auteurs publiés de leur vivant dans la « Bibliothèque de La Pléiade » : les deux tomes de son Œuvre paraîtront le 24 mars. Le premier comprendra les textes depuis Risibles amours jusqu’à L’Insoutenable Légèreté de l’être, le deuxième, de L’Immortalité à Une rencontre.

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Sauver des textes de l’oubli

E n 2007 paraissait le pre-mier volume de la col-lection « Planète libre »,

fondée par Pierre-Marc de Biasi, directeur de l’Item (Institut des textes et manuscrits modernes), sur Léopold Sédar Senghor. Avec les œuvres com plètes de l’un des poètes les plus cé lèbres de Madagascar, Jean- Joseph Rabea-rivelo, le chercheur confirme sa volonté de sauvegarder les chefs- d’œuvre menacés d’au-teurs franco phones d’origine non hexagonale.

L’Item, que vous dirigez, se consacre à l’étude génétique des textes. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?Pierre-Marc de Biasi. Cette discipline se consacre à l’étude des traces de travail des écrivains : brouillons, carnets personnels, épreuves corrigées. Autant de documents qui donnent accès au mouvement même de la création et révèlent une véritable grotte d’Ali Baba herméneutique que les meilleurs critiques littéraires n’auraient pu soupçonner. Le laboratoire que je dirige a donc été institué en 1982 pour déchiffrer, classer et interpréter ces traces.Une discipline récente, où il reste beaucoup à découvrir, surtout en ce qui concerne les francophones d’origine non hexagonale.Claire Riffard m’a fait découvrir les manuscrits de Rabearivelo, ce « Victor Hugo malgache » méconnu en France. Ils se composent d’un journal quotidien, entre 1933 et 1937, de cette personnalité littéraire qui choisit la langue de ceux qui ont asservi ses ancêtres pour s’interroger sur son inspiration, sur sa fascination pour la culture française, et pour exprimer les doutes qui l’ont conduit à brûler une partie de ses carnets. Il se suicidera à l’âge de 36 ans. On découvre aussi une œuvre poétique métissée – que nous publierons dans un second volume –, qui explore l’impact fascinant d’une lan-gue sur une autre culture et les difficultés du postcolonialisme.Quels sont vos projets pour la collection « Planète libre » ? D’abord, les œuvres complètes d’Aimé Césaire, qui comprennent de nombreux inédits. Puis nous travaillons sur celles d’écrivains congolais, Sony Labou Tansi et Tchicaya U Tam’si, et d’un auteur haïtien vivant, Frankétienne. Cette collection s’inscrit dans un pro-jet de sauvegarde des œuvres littéraires francophones non hexa-gonales, qui sont dans un état de déshérence absolu. Nous réflé-chissons à des lieux de préservation sur place lorsque c’est possible. Puis, à la mise à disposition virtuelle de ces textes à travers une vaste bibliothèque mondiale en ligne. L’entreprise est ambitieuse : il s’agit d’alerter le monde sur des chefs-d’œuvre en péril.

Propos recueillis par Lauren Malka

Trois questions à

nouvelle collectionHonorés, les motsSaviez-vous qu’à son apparition dans le dictionnaire Richelet (en 1680) « maman » s’écrivait avec la graphie « M’ama’m » ? Que l’expression « maman téton » signifiait alors nourrice ? Le lexicologue et lexicographe Jean Pruvost a lancé au printemps dernier la collection « Champion Les Mots » (aux éditions Honoré Champion), dédiée aux aventures et métamorphoses que connurent certains termes depuis le XVIe siècle. Après La Mère et Le Citoyen, viennent de paraître Le Vin et Le Loup.

Maeterlinck, l’intégraleSes pièces sont toujours jouées, le reste demeure insuffisamment lu. Pourtant, l’œuvre de Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature 1911, étincelle toujours, malgré la poussière du temps. Sa Vie des abeilles, par exemple, miroir tendu à l’entomologie par la littérature. Les éditions André Versaille publient justement ses Œuvres complètes, dans une luxueuse présentation de Paul Gorceix (cf. la critique détaillée sur notre site).

À lire Œuvres complètes, tome I, Jean-Joseph Rabearivelo,

édition critique coordonnée par Serge Meitinger, Liliane Ramarosoa et Claire Riffard, CNRS Éd., « Planète libre », 1 274 p., 35 €.

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Jean-Joseph Rabearivelo.

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Le Magazine Littéraire | | Février 2011

Le Musée des valeurs sentimentales, Gaëlle Obiégly, éd. Verticales, 220 p., 18,50 €.

S avez-vous à qui s’adressent les gens qui par-lent seuls, « qui chuchotent, qui crient […] dans les rues, dans les gares » ? Serait-il fou d’imaginer un monde, tel que le nôtre, où rien ni personne ne compterait davantage

que les disparus, les œuvres qui les incarnent et les lieux qui les abritent ? Gaëlle Obiégly nous avait préve-nus. Son prochain roman serait abstrait, et dénué de

tout personnage, avait-elle annoncé lors de la parution de Faune (éd. L’Arpenteur/Gallimard). On y trou-verait tout de même un objet et une voix, avait-elle concédé. Ce sont finalement les voix de quelques personnages et l’ombre d’une « histoire », si l’on peut dire, que l’on perçoit dans Le Musée des valeurs sentimentales. C’est même de façon quasi parodique que l’écrivain affecte régulièrement le ton de la conteuse pour rappeler la trame de son roman.« L’histoire », donc, se déroule dans les pièces les plus cachées d’un château, appartenant au domaine baptisé Le Luxe, en 2012. Après la

rétrospective qui lui est consacrée, l’artiste Pierre Weiss – compagnon de Gaëlle Obiégly dans la vie – se fait attendre à la fête organisée en son honneur. Son œuvre principale, Bild und Porzellan, une sculpture de deux mètres de long, a vagabondé dans toute l’Europe pour achever son périple « quelque part dans le domaine du Luxe, où exactement, comment le savoir sans l’explo-rer ? ». Pierre Weiss a manqué la navette qui le mènerait du musée des valeurs sentimentales, le lieu où il se trouve, au château. Sa compagne, étrangement dési-gnée par le surnom de « la wieille personne », l’y attend avec impatience. Les choses qui se passent au-dessous de la table, la cuisine et les autres pièces, intriguent bien plus la wieille personne que le petit monde bavard qui dîne en commentant l’absence mystérieuse de l’ar-tiste. Elle finit par quitter la table et s’égare dans les sous-sols du château. Tombée du haut de l’escalier, la wieille personne s’évanouit. « Ses genoux sont écorchés sous le pantalon, et sa tête que ses mains ont pourtant protégée pisse le sang […]. Évanouie, c’est-à-dire por-tée disparue, c’est-à-dire perdue dans la nature. » Pour-tant, dans l’obscurité de la cave où elle est enfermée, à travers les lattes du plancher, la wieille personne recueille des confidences. Très vite, elle devient cet être unique à qui s’adressent les gens qui parlent seuls. L’« être caché » à qui l’on peut dévoiler nos morts.Si Gaëlle Obiégly semble bien projeter une « histoire » sur le grand écran blanc de son roman, des per-sonnages, un lieu, une action, qui s’apparentent en

Rêverie en sous-solPar Lauren Malka

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Les décombres, demande la wieille personne, je ne me sou-viens plus, c’est le nom de ce qui reste ? Ce qui reste comment l’ap-pelle-t-on, je crois, les décombres en effet ou on l’appelle aussi le présent. Le présent, j’ai toujours trouvé ça inutile. Inutile et sans prises, comme la quête du bon-heur, les jupes, les habits sans poches et aussi le parfum.

Le Musée des valeurs sentimentales, Gaëlle Obiégly

Gaëlle Obiégly invente une dimension parallèle dans les souterrains d’un château.

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Gaëlle Obiégly invente une dimension parallèle dans les souterrains d’un château.

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Février 2011 | | Le Magazine Littéraire

Dino Egger, Éric Chevillard, éd. de Minuit, 154 p., 14 €.

D e nos jours, les génies semblent aussi rares que les tigres du Bengale ou les licornes. Peut-être que nous sommes devenus moins impressionnables ; ou que nos aïeux déli-

raient. Alors ? Bête merveilleuse ou espèce disparue ? Éric Chevillard enquête, dans un livre consacré à un génie pur, car inconnu – enfin, pas vraiment, puisque l’unique chose qu’on sait de lui, c’est son nom : Dino Egger. On supposerait que ce type-là aurait pu avoir, par son œuvre, une influence déterminante sur le cours de l’humanité. Ce serait dès lors un livre entièrement au conditionnel, même si Éric Chevillard a l’intelligence (ou la coquetterie ? les deux ?) de ne pas utiliser ce mode grammatical. En dehors du nom de Dino, brouillard complet : serait-il passé inaperçu ou ne serait-il pas né ? Ou pas encore ? Aurait-il dû rayonner du temps de Babylone, à la Renaissance ou au siècle passé ? Serait-il artiste, philosophe, savant ou tyran ? Un certain Albert Moindre tente d’élucider le mystère, sur le mode d’un monologue élucubrant, passant en revue toutes les éventualités. « [Dino] devait fertiliser les pôles sans lézarder la ban-quise – et sinon lui, qui le fera ? et qui encore convertira en énergie le souffle des buffles ? qui liera en fagots les traits de l’averse afin de pourvoir en eau les terres arides ? [...] qui réduira enfin le poids du pied ? » Il aurait pu inventer « le funiculaire stellaire », décrire « la faculté du chat d’être pour soi-même brosse et coussin », découvrir « le fruit savoureux du peuplier » ou « le poisson de viande ». Pour-quoi Dino n’en a-t-il rien fait ? Qu’est-ce qui a pu entraver son exis-tence ou son activité ? Aurait-il finalement renoncé ? Se serait-il égaré ? Ou manifesté sous des noms d’emprunt ? Aurait-il décidé de

se vouer au zéro le plus parfait, à la réti-cence la plus entêtée ? Et s’il est encore à venir, comment pourrions-nous faci-liter son avènement ?Éric Chevillard n’est pas membre de l’Oulipo, mais il fait bien œuvre de lit-térature potentielle (un pléonasme à bien des égards). La sienne s’inscrit sur un mode moins formel que mytholo-gique, ce que marque son art inépui-sable du bestiaire. Chez lui, les mon-des, les hommes ou les animaux

demeurent des virtualités toujours susceptibles de muter, d’être remises en cause, reformulées, écartées au profit d’une hypothèse concurrente. On pourrait penser à Borges devant ces mises et remi-ses en abyme, cette manière d’ériger la labilité littéraire comme seul principe de réalité – tout comme, auparavant, lorsque Chevillard imaginait les écrits inédits d’un écrivain imaginaire (L’Œuvre pos-thume de Thomas Pilaster, 1999) ou laissait émerger l’ombre d’un scripteur mégalo dans le remake d’un conte classique (Le Vaillant Petit Tailleur en 2003, tout juste réédité en poche). Mais, contrai-rement au maître argentin, Chevillard ne goûte pas aux labyrinthes cristallins : il les tapisse de boue, de musc, de viandes de tous poils. Et c’est bien tou-jours vers Henri Michaux – ou le rêve d’un Lautréamont bon enfant – que tendent ses embryologies voraces.

tout point à ceux d’un « roman-feuilleton », si elle prend même le soin de résumer, au début de chaque chapitre, l’action du précé-dent, elle ne tarde pas, elle non plus, à s’en éclipser discrètement pour nous signaler que la réalité est ailleurs. Qu’elle ne s’exprime pas sur la scène misérable du spectacle mondain, sur les rideaux en trompe-l’œil de la pièce où l’on dîne, ou dans les conversations illusoires des convives attablés, mais dans l’intimité souterraine du château. Dans les mystères de la création. Le domaine du Luxe, tout comme la terre, « possède presque autant de pièces souter-raines que de pièces au-dessus du sol ». C’est un lieu mortuaire, l’« endroit où, supposons, finissent tous les gens perdus, où se cachent tous les cachés, où se cament les camés, où on attend le retour de l’être aimé, où on retrouve les sentiments égarés… », qui recueillera les vérités les plus essentielles de la wieille per-sonne, de l’artiste, de l’œuvre Bild und Porzellan, et d’autres figures de ce texte. Les personnages doivent y disparaître pour réinventer le monde, par la seule force de leur voix.Par les mots aussi, qui cheminent de façon autonome dans l’his-toire, puisque ce livre se structure d’une façon singulière, de telle sorte que chaque paragraphe commence avec le mot qui clôt le précédent. Et tandis que l’auteur se retire de son œuvre, les phrases s’emparent de la destinée narrative. Elles enjambent les chapitres, s’accouplent entre elles et nous promènent dans les pièces du château, entre les bribes de confidences et les actions – souvent étranges – des personnages. La « garniture » des canards rôtis au miel réapparaît par exemple, au paragraphe suivant, comme la « garniture du décolleté d’une dame [qui] tombe dans [une] assiette ». Les rêveurs, les fous, les créateurs fabriquent-ils leurs œuvres d’une autre façon que par ce type d’association d’idées ? Procèdent-ils autrement qu’en gommant sans cesse, de leurs ouvrages, les traces de leur propre passage, n’intervenant que pour placer quelques symboles intrigants ? Le Créateur lui-même, au sens biblique, ferait-il surgir autrement le sens de sa parole qu’en s’éclipsant de la terre et en adressant à l’homme ses paraboles mystérieuses ? Gaëlle Obiégly parle seule, répète les mots, les lettres et les paroles de son roman mais ne se révèle pas plus insensée qu’un rêveur ou que tout créateur qui espère simplement, du plus profond de sa cachette, créer une œuvre « qui suscitera d’autres œuvres », unir sa voix à celle de l’humanité pour accepter de disparaître.C’est donc sous terre, dans l’atelier intime de ce roman, que Gaëlle Obiégly et la wieille personne retrouvent l’homme qu’elles aiment, que l’on croise les figures inspiratrices de la Bible et de la mytho-logie grecque, Samuel Beckett, Maurice Blanchot ou Georges Bataille. Le lecteur n’a, bien sûr, pas entièrement accès à ce lieu – tout comme l’être humain à sa propre énigme – et se retrouve face à la même angoisse que s’il recueillait les confidences d’un fou ou apprenait, comme l’un des personnages du récit, qu’un parent défunt « s’était glissé dans [sa] chair ». De même que l’être humain en ce monde, le lecteur n’observe en ce roman qu’une série d’objets épars, décombres d’une réalité dont il ignore le passé, d’un immense labyrinthe dont il ne connaît pas la sortie.Le livre de Gaëlle Obiégly a le défaut des plus grandes œuvres, y compris celle de Dieu : il nous laisse prisonniers de son absence, l’oreille collée aux ténèbres de ses mystères, dans un désarroi tel que certains commentateurs se contenteront, comme ceux de Pierre Weiss, d’« empailler son âme », de véné-rer les traces de sa pensée. Tandis que les disciples tenteront de prendre le relais, déclarant n’avoir, tel Beckett, « rien à expri-mer, rien avec quoi exprimer, rien à partir de quoi exprimer, aucun pouvoir d’exprimer, aucun désir d’exprimer et, tout à la fois, l’obligation d’exprimer ».

Malin géniePar Hervé Aubron

À lire aussi d’Éric Chevillard

Le Vaillant Petit Tailleur, éd. de Minuit, rééd. « Double », 234 p., 8 €.

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Dossier 49

Février 2011 | | Le Magazine Littéraire

Arletty rendant visite à Céline, le 14 avril 1958.

D’un siècle l’autre

L.-F. CélineJamais la littérature ne fut plus explosive qu’entre les mains de Louis-Ferdinand Céline. Lorsque son premier roman parut dans le pay-sage littéraire, Gaëtan Picon le signala comme « l’un des cris les plus insoutenables que l’homme ait jamais poussé ». Ce n’était qu’un début. Pendant toute sa vie d’homme et d’écrivain, Céline ne fit rien d’autre que de mettre en musique – en son admirable « petite musique » – ce cri par ailleurs inqualifiable, ce cri à la fois animal et humaniste, jeté dans les incohérences de la détestation et de la ten-dresse, du cynisme et de l’humilité, de l’amour et du désespoir. Il était fatal que l’un des plus grands romanciers de tous les temps ait pris la figure de son siècle : som-bre, traversé de flammes, de larmes et d’éclairs.La responsabilité de l’écrivain, qui fut long-temps une question centrale pour aborder Céline, semble aujourd’hui se diffracter dans l’espace social. Car, bien entendu, l’enga-gement de l’auteur en faveur des pires idéo-logies pose la question de la situation de la littérature : quelle légitimité, quelle lucidité ou quel aveuglement, quelles compromis-sions – et pour finir, quelle complicité avec les actes mêmes ? « À force de dire des choses horribles, il finit par arriver des choses hor-ribles », fait dire Jacques Prévert au romancier de Drôle de drame.Mais, cinquante ans après sa mort, il semble que nous puissions lire Céline autrement. Le succès de ses derniers romans – plutôt trois volets du même : D’un château l’autre (1957), Nord (1960) et Rigodon (1969) – montre que la France, très rapidement après la guerre, fut curieuse d’apprendre à se connaître elle-même en regardant Céline en face. Ainsi, il y eut bien un temps pour le

JJamais la Jamaiqu’entre lequ’enLorsque soLorsqusage littérasage li«« l’un desl’un l’homme al’homdébut. Pedébud’écrivaind’écrmettre en met

juger. Mais ce temps est passé. L’immense écrivain apparaît aujourd’hui comme un témoin précieux, lucide et déchirant, du côté sombre de la France.Et puis, s’il est vrai que Céline a forgé l’image d’un « pur » styliste, ennemi des idées, afin de faire oublier une partie de ce qu’il avait écrit, il faut également reconnaître que c’est en effet ce qu’il fut. Le rapport à l’écriture créé par lui est plus vivant, plus charnel, plus écorché que pour n’importe qui auparavant. Cette nouvelle forme de lyrisme, telle qu’il l’explique dans ses Entretiens avec le profes-

seur Y, exige un écrivain « plus qu’à poil !... à vif !... » Cette authenticité viscérale est plus qu’un artefact littéraire. Elle révèle aussi que, en com-plément à son travail de

la langue, Céline le médecin voulut encore soigner, amender, guérir peut-être quelque chose de l’homme.C’est donc cette écriture, avec laquelle il se brûla les mains et le visage, que nous avons voulu présenter ici. La singularité de Céline tient en une expérience unique, où les sen-timents personnels entrent en interaction avec les multiples pratiques de la langue, biffent ou soulignent des pans entiers de l’histoire littéraire, trouvant le sens de l’in-vention verbale dans le comique ou l’invec-tive, pour rejaillir enfin en une vision de l’homme chaotique, éreinté, mais à jamais poète. Céline lui-même, atteint dans sa chair, continua d’écrire avec acharnement, cra-chant, toussant, saignant de l’encre tant et plus, comme quelque malade de littérature, jusqu’au moment où, le 1er juillet 1961, il put avertir sa femme qu’il avait terminé Rigodon ; il écrivit alors une lettre à Gaston Gallimard, et mourut à 18 heures. M. R.

Dossier coordonné par Maxime Rovere

L’écrivain terrible est mort il y a cinquante ans, alors qu’il venait juste d’achever son Rigodon.